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ous connaissons bien cette page d'évangile où deux disciples de Jean-Baptiste, André et sans

doute Jean l'évangéliste lui-même, suivent Jésus et passent près de Lui cette première journée
de leur évangile à eux. L'épisode qui termine cette page d'évangile, le lendemain matin au
petit jour, nous rapporte la rencontre d'André et de son frère Simon. "Nous avons trouvé le
Messie !" dit André et il emmène Simon auprès de Jésus. Et Jésus, en le voyant lui dit : "Tu
t'appelles Simon, désormais, tu t'appelleras Pierre, Céphas !"

Il y a là une attitude fréquente de la part de Dieu. Déjà, quand Dieu avait appelé Abram, Il
avait changé son nom en Abraham, déjà, Il avait changé le nom de sa femme Saraï en Sara,
déjà, quand Il avait lutté avec Jacob, sous l'apparence d'un ange, toute une nuit, Dieu avait dit
à Jacob : "Tu t'appelleras Israël !"

Ainsi, à plusieurs reprises, Dieu change le nom de quelqu'un qu'Il appelle. Ceci ne peut se
comprendre que si nous savons ce que signifie le nom dans une civilisation sémitique. Pour
les anciens et plus particulièrement pour les sémites, pour les juifs, le nom n'est pas seulement
une manière commode de désigner quelqu'un pour le distinguer des autres. Le nom n'est pas
quelque chose qui est inscrit sur les registres de l'état civil. Le nom tient beaucoup plus
profondément à la personne. Il est la manifestation de la personnalité. Recevoir un nom c'est,
d'une certaine manière, recevoir un programme génétique spirituel. Le nom, par sa
signification, trace en quelque sorte le chemin par lequel doit s'épanouir la personnalité
profonde de celui qui le porte. C'est pourquoi donner un nom, dans ces civilisations
anciennes, n'est pas une petite affaire. Ce n'est pas simplement question de goût ou de mode,
ce n'est pas question de donner le nom d'un voisin qu'on aime bien ou d'un grand-père, c'est
donner à quelqu'un le programme de sa personnalité. C'est entrevoir la personnalité profonde
de celui qui est nommé.

C'est pourquoi fréquemment dans la Bible, quand les parents donnent un nom à leur enfant, ce
nom est expliqué par une phrase qui a une assonance avec le nom et qui exprime un
événement lié à cette naissance. Rebecca, Sara, Rachel, quand elles ont un enfant, disent le
sens du nom de leur enfant. Par exemple, Léa, une des femmes de Jacob, à la naissance de son
quatrième enfant, s'écrie : "Quelle bonne fortune !" et elle appelle son enfant Gad, parce que
ce nom signifie "fortune". Et ainsi de suite. Le nom est donc quelque chose qui touche très
profondément à la personnalité. C'est pourquoi connaître le nom de quelqu'un c'est déjà, pour
les sémites, avoir une première appréhension de son être profond. C'est la raison pour
laquelle, dans la Bible, quand on demande à Dieu : "Quel est ton Nom ?", en général Dieu
refuse de donner son nom, parce qu'Il ne veut pas que son interlocuteur s'imagine qu'il peut
mettre la main sur la personnalité de Dieu, qu'il peut se bercer de l'illusion de connaître Dieu
en profondeur, car Dieu est insondable, Dieu est infini, Dieu est au-delà de nos prises. C'est
pour cela que Dieu refuse de donner son nom à Jacob au moment du combat. Dieu ne fait
entrevoir son nom qu'une seule fois, lors du buisson ardent, quand Il dit à Moïse : "Je suis : Je
suis ! Mon Nom c'est Je suis ! Je suis présent suis avec toi !"

Par conséquent, de même que Dieu ne révèle pas son nom à n'importe qui, parce qu'Il ne se
met pas entre les mains de n'importe qui, de la même manière quand Il veut prendre
possession de la vie de quelqu'un, d'une manière plus particulière, plus profonde, en en faisant
son disciple d'un façon privilégiée, il arrive qu'Il transforme ou change complètement son
nom pour manifester cette vocation nouvelle qu'Il lui donne. Et c'est cela qui se passe avec
Simon que Jésus rebaptise Céphas c'est-à-dire Pierre, par un jeu de mot à l'origine de ce nom :
"Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église !" Il fait de Simon le roc, la fondation,
la pierre angulaire, la base de son Église, c'est-à-dire de la communauté chrétienne de ses
disciples. C'est donc toute une orientation de la vie de Pierre, de la personnalité de Pierre, de
la mission de Pierre qui est contenue dans ce nom.

L'Apocalypse nous dit que chacun d'entre nous, au moment de notre mort, quand nous
entrerons dans le Paradis de Dieu, nous recevrons un "nom nouveau". Un nom nouveau qui
sera l'accomplissement, l'épanouissement, la plénitude de notre être profond. Tout ce que nous
portons en nous, depuis l'instant de notre naissance, tout ce que nos parents, nos amis, nos
connaissances, les événements de notre vie, et à travers cela, tout ce que Dieu a déposé dans
notre être profond, tout cela prendra une splendeur nouvelle, une lumière nouvelle, un
épanouissement définitif qui sera caractérisé par ce nom nouveau que nous recevrons. Et de ce
nom nouveau, notre nom de baptême est déjà la préfiguration. Le nom que nous avons reçu
est l'ébauche de ce nom nouveau et éternel qui sera le nôtre dans le paradis.

Essayons, par avance, de déchiffrer ce nom nouveau, essayons de familiariser notre cœur avec
ce mystère qui, déjà, naît en nous, grandit en nous, jour après jour, essayons de mettre notre
oreille à l'écoute du murmure !de Dieu qui, déjà, nous appelle de notre nom nouveau, à
l'écoute de Dieu qui déjà s'adresse à nous avec cette tendresse, cette proximité, cette intimité
dont ce nom nouveau sera la révélation fulgurante et définitive au jour de notre mort.

Que cette eucharistie soit un moment de grâce où, en nous approchant du Seigneur, en le
recevant en nous, nous écoutions davantage le murmure de sa voix et ainsi la révélation de ce
qu'Il veut faire de nous.
Cette page de l'évangile de saint Jean est sans doute le souvenir le plus émouvant qu'il pouvait
garder dans son cœur, parce que, sans doute, et la tradition l'interprète ainsi, les deux disciples
qui entendent la parole de Jean-Baptiste : "Voici l'Agneau de Dieu" et qui, sur cette parole
simplement, se mettent à le suivre et demandent : "Maître où demeures-Tu ?" sont saint
André et saint Jean lui-même. Autrement dit, on aurait là le tout premier souvenir de la
rencontre de Jésus avec des disciples.

Et ce qui est curieux, ce n'est pas Jésus Lui-même qui appelle ces deux disciples à le suivre.
Mais simplement, parce qu'ils ont compris le sens de la mission de Jean, les disciples, sans
aucun appel du Maître, mettent simplement leurs pas dans les pas du Seigneur, avec cette
seule question : "Où demeures-Tu ?" Jean et André, à ce moment-là comprennent que la
prédication de Jean-Baptiste vient d'arriver à son terme. Lorsque Jean-Baptiste a désigné le
Christ comme "l'Élu de Dieu" puis comme "l'Agneau" c'est-à-dire celui qui doit porter le
péché du monde, celui qui doit laisser marquer sa chair par tout le poids de haine et de
violence dont le monde s'accable lui-même, lorsqu'ils ont compris que cet homme qui passait
devant eux était vraiment Celui qui était promis à Israël, alors, sans aucune parole, ils se
mettent à sa suite. Et c'est après, que le Christ se retourne et, comme embarrassés, ils lui
posent cette question qui peut paraître d'une terrible banalité : "Seigneur, où est-ce que tu
habites ?" - "Où demeures-Tu" ?

En réalité ils ne se rendent pas compte, et saint Jean le comprend simplement à de nombreuses
années d'intervalles qu'en posant simplement cette question, "Où demeures-Tu ?" ils posaient
la question même qui est le cœur du mystère. Car, ce que les disciples ont découvert, petit à
petit, c'est que le "Rabbi" à qui ils posaient la question n'avait pas simplement cette demeure
qu'il leur a sans doute montrée, sans doute une petite maison modeste, un ermitage, mais que
le Rabbi Jésus de Nazareth, avait comme demeure le cœur de l'homme. Au fur et à mesure
que s'éveille leur foi, leur compréhension dans ce mystère du Messie qui demeure au milieu
des hommes, à ce moment-là, André va voir son frère Simon et c'est sur Simon que se jette le
premier regard de Dieu. Jean nous le rapporte : "Jésus le regarda et lui dit : Désormais, tu
t'appelleras Pierre, tu t'appelleras Roc, tu t'appelleras Rocher." Dès le premier moment où le
Christ se manifeste dans sa mission publique, au cœur du peuple d'Israël nous avons déjà tous
les éléments de l'Église.

Le fait que l'Église c'est le peuple de ceux qui suivent le Christ, sans même que le Christ leur
adresse une seule parole, le simple fait de savoir qu'Il est l'Agneau, à ce moment-là, on ne
peut pas faire autrement que de marcher à sa suite. Et puis l'Église c'est la demeure de Dieu
parmi les hommes. L'Église, c'est ce peuple qui interroge sans cesse son Seigneur : "Rabbi, où
demeures-Tu ?" Non pas qu'elle ne le sache pas, mais pour qu'elle s'entende toujours
proclamer qu'Il est là au milieu de nous. Et enfin l'Église est fondée sur la foi des disciples et
plus spécialement sur ce Roc qui est Pierre parce que le Christ l'a regardé et a voulu en faire
un rocher un appui pour notre propre confession de la foi, pour dire nous-mêmes que Jésus est
Seigneur.

Qu'en ce temps de l'Épiphanie où nous approfondissons petit à petit le mystère de la


manifestation du Sauveur, nous comprenions que le Christ veut se manifester dans son Église
et à travers son Église. Que nous sachions que nous-mêmes nous sommes merveilleusement et
gratuitement investis de cette mission d'être témoins, porteurs de la gloire de Dieu.
C'est en entendant le Baptiste leur dire : "Voici l'Agneau de Dieu !" que ses disciples André et
Jean ont suivi Jésus. C'est un mot unique parce que, dans l'ensemble de la Bible, seul
l'évangéliste Jean l'emploie, à deux reprises, toujours d'ailleurs dans la bouche de Jean-
Baptiste et à la première fois pour signifier que cet Agneau de Dieu porte le péché du monde.
Dans sa première épître, saint Pierre fera écho à cette expression de Jean-Baptiste lorsqu'il
parlera d'un "agneau sans tache et sans reproche, le Christ". Il s'agit donc d'une expression
unique et il est étonnant, curieux, peut-être bouleversant, que des disciples de Jean-Baptiste,
Jean et André le quittent sur cette simple dénomination d'Agneau de Dieu, portée par Jean-
Baptiste sur Jésus qui passait par là. Que pouvait bien signifier dans le cœur et dans la foi de
ces deux disciples cette expression "Agneau de Dieu " ? Elle est, comme en raccourci, un
résumé extrêmement fort au plan théologique du Messie. Je voudrais simplement en rappeler
quelques notes, puisées dans l'Ancien Testament.

L'Agneau ! Lorsque Jean et André ont entendu ce mot, ils ont, dans leur foi, immédiatement
pensé à l'agneau de l'holocauste, du sacrifice d'Abraham, cet agneau que Dieu a donné à
Abraham pour qu'il puisse l'immoler en place et rôle de son fils Isaac. Cet agneau du premier
sacrifice n'est pas un agneau expiatoire, ce n'est pas un agneau de douleur, ce n'est pas
l'agneau de l'abattoir, c'est l'agneau de la pure offrande, de la gratuité, pour Dieu seul, sans
autre raison que le fait d'avoir été demandé par Dieu. C'est la réponse et le signe de la réponse
totale parce que Dieu est unique et attende de l'homme que celui-ci lui donne tout ce qu'il est,
par pure gratuité, sans aucune raison, sans autre motif que Dieu est Dieu. Et pour Jean et
André, il y a donc eu, dans leur esprit, en entendant le mot "Agneau de Dieu" cette
répercussion forte de la gratuité absolue. C'est probablement d'ailleurs un de ces éléments qui
les mettra en route pour suivre le Christ.

Le deuxième écho, c'est cet agneau de la Pâque, l'agneau de la nuit, l'agneau de l'Exode qui
fut non pas là encore un agneau expiatoire mais l'agneau du repas, l'agneau de la communion,
l'agneau d'une communion qui libère, l'agneau d'un repas pris ensemble et qui constitue déjà
un peuple car la première notion de peuple, ce n'est pas d'exister les uns à côté des autres ni
par je ne sais quelle idéologie, mais c'est de prendre son repas ensemble. Et cet agneau que
Dieu a donné dans la nuit de la Pâque est la première constitution d'un peuple, du peuple de
Dieu qui est appelé à la communion avec Dieu. Après la gratuité, il y a eu donc l'écho
théologique de la communion avec Dieu mais également entre eux. D'ailleurs ceci se
répercutera puisque eux-mêmes seront les ministres de cette communion ecclésiale, puisque
Jean et André appelleront leurs amis et leurs frères pour constituer le premier noyau d'un
peuple de communion.

Un autre écho est celui du livre d'Isaïe qui est l'agneau de douleur, l'agneau de l'innocence,
l'agneau conduit à la mort, l'agneau du silence, l'agneau de l'offrande pour porter le péché du
monde, non plus le bouc émissaire chassé dans le désert, mais l'agneau immolé qui réintroduit
le peuple dans la ville, dans la cité, justement pour que ce peuple puisse continuer à vivre
cette communion avec Dieu, malgré son péché, malgré ses blessures et malgré sa mort. Et
l'agneau du repas est donc aussi ici l'agneau de l'innocence et de la souffrance.

Il y a deux autres échos moins importants, mais qu'il ne me déplaît pas de rappeler. Le
psaume 114 dit que "le berger rassemble son troupeau et les agneaux bondiront de joie sur
les collines." L'agneau est donc aussi le symbole de la joie, le symbole de cette espèce de
spontanéité, de cette espèce de gaieté immédiate, première de ceux qui viennent de naître. Et
le deuxième texte c'est celui du chapitre onzième d'Isaïe où il est annoncé que "le loup
habitera avec l'agneau", non pas pour que le second soit mangé par le premier, mais pour que
le loup soit transfiguré et devienne un ami de l'agneau. C'est un petit peu la parabole de notre
conversion de pécheurs par la fréquentation de l'agneau qui nous transfigure à son image, à sa
ressemblance et selon son cœur.

Voila quelques-uns des échos scripturaires et profondément spirituels que Jean et André ont
laissé peut-être répercuter dans leur cœur d'homme, dans leur cœur de croyant, dans leur cœur
qui cherchait Dieu. Et ces échos de la Parole de Dieu les ont mis en route pour suivre Celui
que Jean-Baptiste désignait prophétiquement, c'est-à-dire comme étant réellement présent
devant eux, l'Agneau de Dieu.

Nous aussi, c'est cet Agneau de Dieu que nous suivons, en tout cas que nous voulons suivre.
Suivre l'Agneau de Dieu c'est demeurer avec Lui jusqu'à son heure, c'est-à-dire jusqu'à ce
qu'Il manifeste et prenne sur Lui toutes les images, toutes les préfigurations de l'Agneau dans
l'Ancien Testament, l'Agneau offert en sacrifice d'expiation pour nos péchés, corps livré, sang
versé pour le pardon des péchés de la multitude, et en même temps Agneau pascal de la
communion qui, en nous libérant du péché, nous permet de redevenir frères et donc de
constituer l'Église, l'humanité nouvelle.

Et en même temps, suivre le Christ, c'est déjà comme saint Pierre le pressentira encore
"tressaillir d'allégresse comme l'agneau sur les collines du printemps". Et c'est aussi déjà être
allégé de toute cette turpitude des loups pour que nous puissions apprendre à vivre avec le
Christ Agneau de Dieu et également agneaux les uns avec les autres. Et ceci dans l'attente
qu'un jour, tous ensemble, avec l'Agneau devenu notre pasteur, nous bondirons de joie sur les
collines éternelles dont Il est l'unique désiré.

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