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L’ÉTRAN GER
(1942)
Table des m atières
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I
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quand je m e suis réveillé, j’étais tassé contre un m ilitaire qui
m ’a souri et qui m ’a dem an dé si je venais de loin. J ’ai dit « oui »
pour n’avoir plus à parler.
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m ère. » J e m e suis levé sans rien dire et il m ’a précédé vers la
porte. Dans l’escalier, il m ’a expliqué : « Nous l’avons transpor-
tée dans notre petite m orgue. Pour ne pas im pressionner les
autres. Chaque fois qu’un pensionnaire m eurt, les autres sont
nerveux pendant deux ou trois jours. Et ça rend le service diffi-
cile. » Nous avons traversé une cour où il y avait beaucoup de
vieillards, bavardant par petits groupes. Ils se taisaient quand
nous passion s. Et derrière nous, les conversations reprenaient.
On aurait dit d’un jacassem ent assourdi de perruches. À la porte
d’un petit bâtim ent, le directeur m ’a quitté : « J e vous laisse,
m onsieur Meursault. J e suis à votre disposition dans m on bu-
reau. En principe, l’enterrem ent est fixé à dix heures du m atin.
Nous avons pen sé que vous pourrez ainsi veiller la disparue. Un
dernier m ot : votre m ère a, paraît-il, exprim é souvent à ses
com pagnons le désir d’être enterrée religieusem en t. J ’ai pris sur
m oi de faire le n écessaire. Mais je voulais vous en inform er. » J e
l’ai rem ercié. Mam an, sans être athée, n’avait jam ais pen sé de
son vivant à la religion.
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dit : « J e ne sais pas. » Alors, tortillant sa m oustache blanche, il
a déclaré san s m e regarder : « J e com pren ds. » Il avait de beaux
yeux, bleu clair, et un teint un peu rouge. Il m ’a donné une
chaise et lui-m êm e s’est assis un peu en arrière de m oi. La garde
s’est levée et s’est dirigée vers la sortie. À ce m om ent, le con-
cierge m ’a dit : « C’est un chan cre qu’elle a. » Com m e je ne
com prenais pas, j’ai regardé l’in firm ière et j’ai vu qu’elle portait
sous les yeux un bandeau qui faisait le tour de la tête. À la hau-
teur du nez, le bandeau était plat. On ne voyait que la blan cheur
du ban deau dans son visage.
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Dans la petite m orgue, il m ’a appris qu’il était entré à l’asile
com m e indigent. Com m e il se sentait valide, il s’était proposé
pour cette place de concierge. J e lui ai fait rem arquer qu’en
som m e il était un pensionnaire. Il m ’a dit que non. J ’avais déjà
été frappé par la façon qu’il avait de dire : « ils », « les autres »,
et plus rarem en t « les vieux », en parlant des pensionnaires
dont certains n’étaient pas plus âgés que lui. Mais naturelle-
m ent, ce n’était pas la m êm e chose. Lui était concierge, et, dans
une certaine m esure, il avait des droits sur eux.
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réchauffé et par la porte ouverte entrait une odeur de nuit et de
fleurs. J e crois que j’ai som nolé un peu.
Peu après, une des fem m es s’est m ise à pleurer. Elle était
au second rang, cachée par une de ses com pagnes, et je la voyais
m al. Elle pleurait à petits cris, régulièrem ent : il m e sem blait
qu’elle ne s’arrêterait jam ais. Les autres avaient l’air de ne pas
l’entendre. Ils étaient affaissés, m ornes et silencieux. Ils regar-
daient la bière ou leur canne, ou n’im porte quoi, m ais ils ne re-
gardaient que cela. La fem m e pleurait toujours. J ’étais très
étonné parce que je ne la connaissais pas. J ’aurais voulu ne plus
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l’entendre. Pourtant je n’osais pas le lui dire. Le concierge s’est
penché vers elle, lui a parlé, m ais elle a secoué la tête, a bre-
douillé quelque chose, et a contin ué de pleurer avec la m êm e ré-
gularité. Le concierge est venu alors de m on côté. Il s’est assis
près de m oi. Après un assez long m om ent, il m ’a renseign é san s
m e regarder : « Elle était très liée avec m adam e votre m ère. Elle
dit que c’était sa seule am ie ici et que m aintenan t elle n’a plus
personne. »
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tant, et à m on grand étonnem ent, ils m ’ont tous serré la m ain –
com m e si cette n uit où nous n’avions pas échangé un m ot avait
accru notre intim ité.
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vaient pas assister aux enterrem ents. Il les laissait seulem ent
veiller : « C’est une question d’hum anité », a-t-il rem arqué.
Mais en l’espèce, il avait accordé l’autorisation de suivre le con-
voi à un vieil am i de m am an : « Thom as Pérez. » Ici, le directeur
a souri. Il m ’a dit : « Vous com prenez, c’est un sentim ent un peu
puéril. Mais lui et votre m ère ne se quittaient guère. À l’asile, on
les plaisantait, on disait à Pérez : « C’est votre fiancée. » Lui
riait. Ça leur faisait plaisir. Et le fait est que la m ort de
M m e Meursault l’a beaucoup affecté. J e n’ai pas cru devoir lui re-
fuser l’autorisation. Mais sur le conseil du m édecin visiteur, je
lui ai interdit la veillée d’hier. »
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som m es sortis de l’asile. Devant la porte, il y avait la voiture.
Vernie, oblongue et brillante, elle faisait penser à un plum ier. À
côté d’elle, il y avait, l’ordonnateur, petit hom m e aux habits ri-
dicules, et un vieillard à l’allure em pruntée. J ’ai com pris que
c’était M. Pérez. Il avait un feutre m ou à la calotte ronde et aux
ailes larges (il l’a ôté quan d la bière a passé la porte), un cos-
tum e dont le pantalon tirebouchonnait sur les souliers et un
nœud d’étoffe n oire trop petit pour sa chem ise à grand col
blanc. Ses lèvres trem blaient au-dessous d’un nez truffé de
points noirs. Ses cheveux blancs assez fin s laissaient passer de
curieuses oreilles ballantes et m al ourlées dont la couleur rouge
sang dans ce visage blafard m e frappa. L’ordonnateur nous
donna nos places. Le curé m archait en avant, puis la voiture.
Autour d’elle, les quatre hom m es. Derrière, le directeur, m oi-
m êm e et, ferm ant la m arche, l’infirm ière déléguée et M. Pérez.
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ser aussi et m archait m aintenant à m on niveau. J ’étais surpris
de la rapidité avec laquelle le soleil m ontait dans le ciel. J e m e
suis aperçu qu’il y avait déjà longtem ps que la cam pagne bour-
donnait du chan t des insectes et de crépitem ents d’herbe. La
sueur coulait sur m es joues. Com m e je n’avais pas de chapeau,
je m ’éventais avec m on m ouchoir. L’em ployé des pom pes fu-
nèbres m ’a dit alors quelque chose que je n’ai pas entendu. En
m êm e tem ps, il s’essuyait le crâne avec un m ouchoir qu’il tenait
dans sa m ain gauche, la m ain droite soulevant le bord de sa cas-
quette. J e lui ai dit : « Com m ent ? » Il a répété en m ontrant le
ciel : « Ça tape. » J ’ai dit : « Oui. » Un peu après, il m ’a dem an-
dé : « C’est votre m ère qui est là ? » J ’ai encore dit : « Oui. »
« Elle était vieille ? » J ’ai répondu : « Com m e ça », parce que je
ne savais pas le chiffre exact. En suite, il s’est tu. J e m e suis re-
tourné et j’ai vu le vieux Pérez à une cinquantaine de m ètres
derrière nous. Il se hâtait en balançant son feutre à bout de
bras. J ’ai regardé aussi le directeur. Il m archait avec beaucoup
de dignité, sans un geste inutile. Quelques gouttes de sueur per-
laient sur son front, m ais il ne les essuyait pas.
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cham ps. J ’ai con staté aussi que devant m oi la route tournait.
J ’ai com pris que Pérez qui connaissait le pays coupait au plus
court pour nous rattraper. Au tournant il nous avait rejoints.
Puis nous l’avons perdu. Il a repris en core à travers cham ps et
com m e cela plusieurs fois. Moi, je sentais le sang qui m e battait
aux tem pes.
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II
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et je l’ai suivie. J e l’ai rattrapée, j’ai passé m a m ain autour de sa
taille et nous avons nagé en sem ble. Elle riait toujours. Sur le
quai, pendant que nous nous séchion s, elle m ’a dit : « J e suis
plus brune que vous. » J e lui ai dem andé si elle voulait venir au
ciném a, le soir. Elle a en core ri et m ’a dit qu’elle avait envie de
voir un film avec Fernandel. Quand nous nous som m es rhabil-
lés, elle a eu l’air très surprise de m e voir avec une cravate noire
et elle m ’a dem andé si j’étais en deuil. J e lui ai dit que m am an
était m orte. Com m e elle voulait savoir depuis quand, j’ai répon-
du : « Depuis hier. » Elle a eu un petit recul, m ais n’a fait au-
cune rem arque. J ’ai eu envie de lui dire que ce n’était pas de m a
faute, m ais je m e suis arrêté parce que j’ai pensé que je l’avais
déjà dit à m on patron. Cela ne signifiait rien. De toute façon, on
est toujours un peu fautif.
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dans m a cham bre la table de la salle à m anger. J e ne vis plus
que dan s cette pièce, entre les chaises de paille un peu creusées,
l’arm oire dont la glace est jaunie, la table de toilette et le lit de
cuivre. Le reste est à l’abandon. Un peu plus tard, pour faire
quelque chose, j’ai pris un vieux journal et je l’ai lu. J ’y ai dé-
coupé une réclam e des sels Kruschen et je l’ai collée dans un
vieux cahier où je m ets les choses qui m ’am usent dans les jour-
naux. J e m e suis aussi lavé les m ains et, pour finir, je m e suis
m is au balcon.
Après eux, la rue peu à peu est devenue déserte. Les spec-
tacles étaient partout com m en cés, je crois. Il n’y avait plus dans
la rue que les boutiquiers et les chats. Le ciel était pur m ais sans
éclat au-dessus des ficus qui bordent la rue. Sur le trottoir d’en
face, le m archan d de tabac a sorti une chaise, l’a in stallée devant
sa porte et l’a enfourchée en s’appuyant des deux bras sur le
dossier. Les tram s tout à l’heure bondés étaient presque vides.
Dans le petit café « Chez Pierrot », à côté du m archand de tabac,
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le garçon balayait de la sciure dans la salle déserte. C’était vrai-
m ent dim an che.
À cin q heures, des tram ways sont arrivés dan s le bruit. Ils
ram enaient du stade de banlieue des grappes de spectateurs
perchés sur les m archepieds et les ram bardes. Les tram ways
suivants ont ram ené les joueurs que j’ai reconnus à leurs petites
valises. Ils hurlaient et chantaient à pleins poum ons que leur
club ne périrait pas. Plusieurs m ’ont fait des signes. L’un m ’a
m êm e crié : « On les a eus. » Et j’ai fait : « Oui », en secouant la
tête. À partir de ce m om ent, les autos ont com m en cé à affluer.
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des plaisanteries dont elles riaient en détournan t la tête. Plu-
sieurs d’entre elles, que je connaissais, m ’ont fait des sign es.
Les lam pes de la rue se sont alors allum ées brusquem ent et
elles ont fait pâlir les prem ières étoiles qui m ontaient dan s la
nuit. J ’ai senti m es yeux se fatiguer à regarder les trottoirs avec
leur chargem ent d’hom m es et de lum ières. Les lam pes faisaient
luire le pavé m ouillé, et les tram ways, à intervalles réguliers,
m ettaient leurs reflets sur des cheveux brillants, un sourire ou
un bracelet d’argent. Peu après, avec les tram ways plus rares et
la nuit déjà noire au-dessus des arbres et des lam pes, le quartier
s’est vidé insen siblem ent, jusqu’à ce que le prem ier chat tra-
verse lentem ent la rue de nouveau déserte. J ’ai pen sé alors qu’il
fallait dîner. J ’avais un peu m al au cou d’être resté longtem ps
appuyé sur le dos de m a chaise. J e suis descen du acheter du
pain et des pâtes, j’ai fait m a cuisine et j’ai m angé debout. J ’ai
voulu fum er une cigarette à la fenêtre, m ais l’air avait fraîchi et
j’ai eu un peu froid. J ’ai ferm é m es fenêtres et en revenant j’ai
vu dans la glace un bout de table où m a lam pe à alcool voisinait
avec des m orceaux de pain. J ’ai pensé que c’était toujours un
dim an che de tiré, que m am an était m aintenant enterrée, que
j’allais reprendre m on travail et que, som m e toute, il n’y avait
rien de changé.
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III
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Nous som m es arrivés en nage chez Céleste. Il était toujours
là, avec son gros ventre, son tablier et ses m oustaches blanches.
Il m ’a dem andé si « ça allait quan d m êm e ». J e lui ai dit que oui
et que j’avais faim . J ’ai m angé très vite et j’ai pris du café. Puis
je suis rentré chez m oi, j’ai dorm i un peu parce que j’avais trop
bu de vin et, en m e réveillant, j’ai eu envie de fum er. Il était tard
et j’ai couru pour attraper un tram . J ’ai travaillé tout l’après-
m idi. Il faisait très chaud dan s le bureau et le soir, en sortant,
j’ai été heureux de revenir en m archant lentem ent le long des
quais. Le ciel était vert, je m e sen tais content. Tout de m êm e, je
suis rentré directem ent chez m oi parce que je voulais m e prépa-
rer des pom m es de terre bouillies.
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cham bre, alors il est en core battu. Il y a huit ans que cela dure.
Céleste dit toujours que « c’est m alheureux », m ais au fond,
personne ne peut savoir. Quand je l’ai ren contré dans l’escalier,
Salam ano était en train d’insulter son chien. Il lui disait : « Sa-
laud ! Charogne ! » et le chien gém issait. J ’ai dit : « Bonsoir »,
m ais le vieux in sultait toujours. Alors je lui ai dem andé ce que le
chien lui avait fait. Il ne m ’a pas répondu. Il disait seulem ent :
« Salaud ! Charogne ! » J e le devinais, penché sur son chien, en
train d’arranger quelque chose sur le collier. J ’ai parlé plus fort.
Alors sans se retourner, il m ’a répondu avec une sorte de rage
rentrée : « Il est toujours là. » Puis il est parti en tirant la bête
qui se laissait traîner sur ses quatre pattes, et gém issait.
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« Vous com pren ez, m onsieur Meursault, m ’a-t-il dit, c’est
pas que je suis m échant, m ais je suis vif. L’autre, il m ’a dit :
« Descends du tram si tu es un hom m e. » J e lui ai dit : « Allez,
reste tranquille. » Il m ’a dit que je n’étais pas un hom m e. Alors
je suis descendu et je lui ai dit : « Assez, ça vaut m ieux, ou je
vais te m ûrir. » Il m ’a répondu : « De quoi ? » Alors je lui en ai
donné un. Il est tom bé. Moi, j’allais le relever. Mais il m ’a donné
des coups de pied de par terre. Alors je lui ai donné un coup de
genou et deux taquets. Il avait la figure en sang. J e lui ai de-
m andé s’il avait son com pte. Il m ’a dit : « Oui. »
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tem ps en tem ps, ça faisait m ille francs. Et m adam e ne travaillait
pas. Mais elle m e disait que c’était juste, qu’elle n’arrivait pas
avec ce que je lui donnais. Pourtant, je lui disais : « Pourquoi tu
travailles pas un e dem i-journ ée ? Tu m e soulagerais bien pour
toutes ces petites choses. J e t’ai acheté un ensem ble ce m ois-ci,
je te paye vingt francs par jour, je te paye le loyer et toi, tu
pren ds le café l’après-m idi avec tes am ies. Tu leur donnes le café
et le sucre. Moi, je te donne l’argent. J ’ai bien agi avec toi et tu
m e le rends m al. » Mais elle ne travaillait pas, elle disait tou-
jours qu’elle n’arrivait pas et c’est com m e ça que je m e suis
aperçu qu’il y avait de la trom perie. »
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lointains du faubourg. Raym ond a continué. Ce qui l’ennuyait,
« c’est qu’il avait encore un sentim ent pour son coït ». Mais il
voulait la punir. Il avait d’abord pensé à l’em m ener dan s un hô-
tel et à appeler les « m œurs » pour causer un scan dale et la faire
m ettre en carte. Ensuite, il s’était adressé à des am is qu’il avait
dans le m ilieu. Ils n’avaient rien trouvé. Et com m e m e le faisait
rem arquer Raym ond, c’était bien la peine d’être du m ilieu. Il le
leur avait dit et ils avaient alors proposé de la « m arquer ». Mais
ce n’était pas ce qu’il voulait. Il allait réfléchir. Auparavant il
voulait m e dem ander quelque chose. D’ailleurs, avant de m e le
dem ander, il voulait savoir ce que je pen sais de cette histoire.
J ’ai répondu que je n’en pensais rien m ais que c’était intéres-
sant. Il m ’a dem andé si je pensais qu’il y avait de la trom perie,
et m oi, il m e sem blait bien qu’il y avait de la trom perie, si je
trouvais qu’on devait la punir et ce que je ferais à sa place, je lui
ai dit qu’on ne pouvait jam ais savoir, m ais je com prenais qu’il
veuille la punir. J ’ai encore bu un peu de vin. Il a allum é une ci-
garette et il m ’a découvert son idée. Il voulait lui écrire une
lettre « avec des coups de pied et en m êm e tem ps des choses
pour la faire regretter ». Après, quand elle reviendrait, il cou-
cherait avec elle et « juste au m om ent de finir » il lui cracherait
à la figure et il la m ettrait dehors. J ’ai trouvé qu’en effet, de
cette façon, elle serait punie. Mais Raym ond m ’a dit qu’il ne se
sentait pas capable de faire la lettre qu’il fallait et qu’il avait
pensé à m oi pour la rédiger. Com m e je ne disais rien, il m ’a de-
m andé si cela m ’ennuierait de le faire tout de suite et j’ai répon-
du que non.
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m ond parce que je n’avais pas de raison de ne pas le contenter.
Puis j’ai lu la lettre à haute voix. Il m ’a écouté en fum ant et en
hochant la tête, puis il m ’a dem andé de la relire. Il a été tout à
fait content. Il m ’a dit : « J e savais bien que tu connaissais la
vie. » J e ne m e suis pas aperçu d’abord qu’il m e tutoyait. C’est
seulem ent quand il m ’a déclaré : « Maintenant, tu es un vrai co-
pain », que cela m ’a frappé. Il a répété sa phrase et j’ai dit :
« Oui. » Cela m ’était égal d’être son copain et il avait vraim ent
l’air d’en avoir envie. Il a cacheté la lettre et nous avons fini le
vin. Puis nous som m es restés un m om ent à fum er sans rien
dire. Au-dehors, tout était calm e, nous avons entendu le glisse-
m ent d’une auto qui passait. J ’ai dit : « Il est tard. » Raym ond le
pensait aussi. Il a rem arqué que le tem ps passait vite et, dans un
sens, c’était vrai. J ’avais som m eil, m ais j’avais de la peine à m e
lever. J ’ai dû avoir l’air fatigué parce que Raym on d m ’a dit qu’il
ne fallait pas se laisser aller. D’abord, je n’ai pas com pris. Il m ’a
expliqué alors qu’il avait appris la m ort de m am an m ais que
c’était une chose qui devait arriver un jour ou l’autre. C’était
aussi m on avis.
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IV
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ouverte et c’était bon de sentir la nuit d’été couler sur nos corps
bruns.
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l’a giflé à toute volée d’une claque épaisse et lourde, en pleine
joue. La cigarette est tom bée quelques m ètres plus loin. Ray-
m ond a changé de visage, m ais il n’a rien dit sur le m om ent et
puis il a dem an dé d’une voix hum ble s’il pouvait ram asser son
m égot. L’agent a déclaré qu’il le pouvait et il a ajouté : « Mais la
prochaine fois, tu sauras qu’un agent n’est pas un guignol. »
Pendant ce tem ps, la fille pleurait et elle a répété : « Il m ’a ta-
pée. C’est un m aquereau. » – « Monsieur l’agent, a dem an dé
alors Raym on d, c’est dans la loi, ça, de dire m aquereau à un
hom m e ? » Mais l’agent lui a ordonné « de ferm er sa gueule ».
Raym ond s’est alors retourné vers la fille et il lui a dit : « At-
tends, petite, on se retrouvera. » L’agent lui a dit de ferm er ça,
que la fille devait partir et lui rester dans sa cham bre en atten-
dant d’être convoqué au com m issariat. Il a ajouté que Raym ond
devrait avoir honte d’être soûl au point de trem bler com m e il le
faisait. À ce m om ent, Raym ond lui a expliqué : « J e ne suis pas
soûl, m onsieur l’agent. Seulem en t, je suis là, devant vous, et je
trem ble, c’est forcé. » Il a ferm é sa porte et tout le m on de est
parti. Marie et m oi avons fini de préparer le déjeuner. Mais elle
n’avait pas faim , j’ai presque tout m angé. Elle est partie à une
heure et j’ai dorm i un peu.
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avec lui. J e m e suis levé et j’ai com m en cé à m e peigner. Il m ’a
dit qu’il fallait que je lui serve de tém oin. Moi cela m ’était égal,
m ais je ne savais pas ce que je devais dire. Selon Raym on d, il
suffisait de déclarer que la fille lui avait m anqué. J ’ai accepté de
lui servir de tém oin.
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pren dront, vous com prenez. Si encore quelqu’un le recueillait.
Mais ce n’est pas possible, il dégoûte tout le m onde avec ses
croûtes. Les agents le prendront, c’est sûr. » J e lui ai dit alors
qu’il devait aller à la fourrière et qu’on le lui ren drait m oyen-
nant le paiem en t de quelques droits. Il m ’a dem andé si ces
droits étaient élevés. J e ne savais pas. Alors, il s’est m is en co-
lère : « Donner de l’argent pour cette charogne. Ah ! il peut bien
crever ! » Et il s’est m is à l’insulter. Raym ond a ri et a pénétré
dans la m aison. J e l’ai suivi et nous nous som m es quittés sur le
palier de l’étage. Un m om ent après, j’ai enten du le pas du vieux
et il a frappé à m a porte. Quand j’ai ouvert, il est resté un m o-
m ent sur le seuil et il m ’a dit : « Excusez-m oi, excusez-m oi. » J e
l’ai invité à entrer, m ais il n’a pas voulu. Il regardait la pointe de
ses souliers et ses m ains croûteuses trem blaient. Sans m e faire
face, il m ’a dem andé : « Ils ne vont pas m e le prendre, dites,
m onsieur Meursault. Ils vont m e le ren dre. Ou qu’est-ce que je
vais devenir ? » J e lui ai dit que la fourrière gardait les chiens
trois jours à la disposition de leurs propriétaires et qu’en suite
elle en faisait ce que bon lui sem blait. Il m ’a regardé en silence.
Puis il m ’a dit : « Bonsoir. » Il a ferm é sa porte et je l’ai entendu
aller et venir. Son lit a craqué. Et au bizarre petit bruit qui a tra-
versé la cloison, j’ai com pris qu’il pleurait. J e ne sais pas pour-
quoi j’ai pensé à m am an. Mais il fallait que je m e lève tôt le len-
dem ain. J e n’avais pas faim et je m e suis couché sans dîn er.
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V
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m ent de vie. J ’ai répondu qu’on ne changeait jam ais de vie,
qu’en tout cas toutes se valaient et que la m ienne ici ne m e dé-
plaisait pas du tout. Il a eu l’air m écontent, m ’a dit que je ré-
pondais toujours à côté, que je n’avais pas d’am bition et que ce-
la était désastreux dan s les affaires. J e suis retourné travailler
alors. J ’aurais préféré ne pas le m écontenter, m ais je ne voyais
pas de raison pour changer m a vie. En y réfléchissant bien, je
n’étais pas m alheureux. Quand j’étais étudiant, j’avais beaucoup
d’am bition s de ce genre. Mais quand j’ai dû abandonner m es
études, j’ai très vite com pris que tout cela était san s im portance
réelle.
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« C’est sale. Il y a des pigeons et des cours noires. Les gens ont
la peau blan che. »
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elle est partie. Com m e je n’avais rien à faire, je suis sorti aussi et
je l’ai suivie un m om ent. Elle s’était placée sur la bordure du
trottoir et avec une vitesse et une sûreté in croyables, elle suivait
son chem in sans dévier et sans se retourner. J ’ai fini par la
perdre de vue et par revenir sur m es pas. J ’ai pen sé qu’elle était
bizarre, m ais je l’ai oubliée assez vite.
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dit qu’il était de belle race et Salam ano a eu l’air content. « Et
encore, a-t-il ajouté, vous ne l’avez pas connu avant sa m aladie.
C’était le poil qu’il avait de plus beau. » Tous les soirs et tous les
m atins, depuis que le chien avait eu cette m aladie de peau, Sa-
lam ano le passait à la pom m ade. Mais selon lui, sa vraie m ala-
die, c’était la vieillesse, et la vieillesse ne se guérit pas.
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VI
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avons décidé de pren dre l’autobus. La plage n’était pas très loin,
m ais nous irion s plus vite ain si. Raym ond pensait que son am i
serait content de nous voir arriver tôt. Nous allions partir quand
Raym ond, tout d’un coup, m ’a fait signe de regarder en face. J ’ai
vu un groupe d’Arabes adossés à la devanture du bureau de ta-
bac. Ils nous regardaient en silence, m ais à leur m anière, ni plus
ni m oins que si nous étions des pierres ou des arbres m orts.
Raym ond m ’a dit que le deuxièm e à partir de la gauche était son
type, et il a eu l’air préoccupé. Il a ajouté que, pourtant, c’était
m aintenant une histoire finie. Marie ne com prenait pas très
bien et nous a dem andé ce qu’il y avait. J e lui ai dit que c’étaient
des Arabes qui en voulaient à Raym ond. Elle a voulu qu’on
parte tout de suite. Raym ond s’est redressé et il a ri en disant
qu’il fallait se dépêcher.
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léger bruit de m oteur est m onté dans l’air calm e jusqu’à nous.
Et nous avon s vu, très loin, un petit chalutier qui avançait, im -
perceptiblem ent, sur la m er éclatante. Marie a cueilli quelques
iris de roche. De la pente qui descendait vers la m er nous avons
vu qu’il y avait déjà quelques baigneurs.
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Marie, nous nous som m es éloignés et nous nous sention s
d’accord dans nos gestes et dan s n otre contentem ent.
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un peu lourde et j’ai fum é beaucoup. Masson, Raym ond et m oi,
nous avons envisagé de passer ensem ble le m ois d’août à la
plage, à frais com m uns. Marie n ous a dit tout d’un coup : « Vous
savez quelle heure il est ? Il est onze heures et dem ie. » Nous
étions tous éton nés, m ais Masson a dit qu’on avait m angé très
tôt, et que c’était naturel parce que l’heure du déjeuner, c’était
l’heure où l’on avait faim . J e n e sais pas pourquoi cela a fait rire
Marie. J e crois qu’elle avait un peu trop bu. Masson m ’a de-
m andé alors si je voulais m e prom ener sur la plage avec lui.
« Ma fem m e fait toujours la sieste après le déjeuner. Moi, je
n’aim e pas ça. Il faut que je m arche. J e lui dis toujours que c’est
m eilleur pour la santé. Mais après tout, c’est son droit. » Marie
a déclaré qu’elle resterait pour aider M m e Masson à faire la vais-
selle. La petite Parisienne a dit que pour cela, il fallait m ettre les
hom m es dehors. Nous som m es descendus tous les trois.
– 42 –
pensé qu’ils avaient dû nous voir prendre l’autobus avec un sac
de plage, m ais je n’ai rien dit.
Les Arabes avan çaient lentem ent et ils étaient déjà beau-
coup plus rapprochés. Nous n’avons pas changé notre allure,
m ais Raym ond a dit : « S’il y a de la bagarre, toi, Masson, tu
pren dras le deuxièm e. Moi, je m e charge de m on type. Toi,
Meursault, s’il en arrive un autre, il est pour toi. » J ’ai dit :
« Oui » et Masson a m is ses m ains dan s les poches. Le sable
surchauffé m e sem blait rouge m aintenant. Nous avancions d’un
pas égal vers les Arabes. La distance entre nous a dim inué régu-
lièrem ent. Quand nous avons été à quelques pas les uns des
autres, les Arabes se sont arrêtés. Masson et m oi n ous avons ra-
lenti notre pas. Raym ond est allé tout droit vers son type. J ’ai
m al enten du ce qu’il lui a dit, m ais l’autre a fait m ine de lui
donner un coup de tête. Raym on d a frappé alors une prem ière
fois et il a tout de suite appelé Masson. Masson est allé à celui
qu’on lui avait désigné et il a frappé deux fois avec tout son
poids. L’Arabe s’est aplati dans l’eau, la face contre le fond, et il
est resté quelques secondes ain si, des bulles crevan t à la surface,
autour de sa tête. Pendant ce tem ps Raym ond aussi a frappé et
l’autre avait la figure en sang. Raym ond s’est retourné vers m oi
et a dit : « Tu vas voir ce qu’il va pren dre. » J e lui ai crié : « At-
tention, il a un couteau ! » Mais déjà Raym on d avait le bras ou-
vert et la bouche tailladée.
– 43 –
tout de suite. Mais chaque fois qu’il parlait, le sang de sa bles-
sure faisait des bulles dans sa bouche. Nous l’avons soutenu et
nous som m es revenus au cabanon aussi vite que possible. Là,
Raym ond a dit que ses blessures étaient superficielles et qu’il
pouvait aller chez le docteur. Il est parti avec Masson et je suis
resté pour expliquer aux fem m es ce qui était arrivé.
M m e Masson pleurait et Marie était très pâle. Moi, cela
m ’ennuyait de leur expliquer. J ’ai fini par m e taire et j’ai fum é
en regardant la m er.
Vers une heure et dem ie, Raym ond est revenu avec Mas-
son. Il avait le bras ban dé et du sparadrap au coin de la bouche.
Le docteur lui avait dit que ce n’était rien, m ais Raym on d avait
l’air très som bre. Masson a essayé de le faire rire. Mais il n e par-
lait toujours pas. Quand il a dit qu’il descendait sur la plage, je
lui ai dem andé où il allait. Il m ’a répondu qu’il voulait prendre
l’air. Masson et m oi avons dit que nous allions l’accom pagner.
Alors, il s’est m is en colère et nous a insultés. Masson a déclaré
qu’il ne fallait pas le contrarier. Moi, je l’ai suivi quand m êm e.
– 44 –
pas bougé et ils se regardaient toujours. J ’ai rem arqué que celui
qui jouait de la flûte avait les doigts des pieds très écartés. Mais
sans quitter des yeux son adversaire, Raym ond m ’a dem an dé :
« J e le descends ? » J ’ai pensé que si je disais non il s’exciterait
tout seul et tirerait certainem ent. J e lui ai seulem ent dit : « Il ne
t’a pas encore parlé. Ça ferait vilain de tirer com m e ça. » On a
encore entendu le petit bruit d’eau et de flûte au cœur du silence
et de la chaleur. Puis Raym on d a dit : « Alors, je vais l’in sulter et
quand il répondra, je le descendrai. » J ’ai répondu : « C’est ça.
Mais s’il ne sort pas son couteau, tu ne peux pas tirer. » Ray-
m ond a com m en cé à s’exciter un peu. L’autre jouait toujours et
tous deux observaient chaque geste de Raym on d. « Non, ai-je
dit à Raym ond. Pren ds-le d’hom m e à hom m e et donne-m oi ton
revolver. Si l’autre intervient, ou s’il tire son couteau, je le des-
cendrai. »
– 45 –
C’était le m êm e éclatem ent rouge. Sur le sable, la m er hale-
tait de toute la respiration rapide et étouffée de ses petites
vagues. J e m archais lentem ent vers les rochers et je sentais m on
front se gonfler sous le soleil. Toute cette chaleur s’appuyait sur
m oi et s’opposait à m on avance. Et chaque fois que je sentais
son grand souffle chaud sur m on visage, je serrais les dents, je
ferm ais les poings dans les poches de m on pantalon, je m e ten-
dais tout entier pour triom pher du soleil et de cette ivresse
opaque qu’il m e déversait. À chaque épée de lum ière jaillie du
sable, d’un coquillage blanchi ou d’un débris de verre, m es m â-
choires se crispaient. J ’ai m arché longtem ps.
– 46 –
n’avançait plus, deux heures qu’elle avait jeté l’ancre dan s un
océan de m étal bouillant. À l’horizon, un petit vapeur est passé
et j’en ai deviné la tache noire au bord de m on regard, parce que
je n’avais pas cessé de regarder l’Arabe.
– 47 –
où les balles s’enfonçaient sans qu’il y parût. Et c’était com m e
quatre coups brefs que je frappais sur la porte du m alheur.
– 48 –
D EU XIÈME PARTIE
– 49 –
I
– 50 –
lés. Malgré la chaleur (j’étais en m anches de chem ise), il avait
un costum e som bre, un col cassé et une cravate bizarre à
grosses raies noires et blanches. Il a posé sur m on lit la serviette
qu’il portait sous le bras, s’est présenté et m ’a dit qu’il avait étu-
dié m on dossier. Mon affaire était délicate, m ais il ne doutait
pas du succès, si je lui faisais confiance. J e l’ai rem ercié et il m ’a
dit : « Entrons dans le vif du sujet. »
– 51 –
parce que c’est faux. » Il m ’a regardé d’une façon bizarre,
com m e si je lui inspirais un peu de dégoût. Il m ’a dit presque
m écham m ent que dans tous les cas le directeur et le personnel
de l’asile seraien t entendus com m e tém oins et que « cela pou-
vait m e jouer un très sale tour ». J e lui ai fait rem arquer que
cette histoire n’avait pas de rapport avec m on affaire, m ais il
m ’a répon du seulem ent qu’il était visible que je n’avais jam ais
eu de rapports avec la justice.
Nous nous som m es tous les deux carrés dans nos fauteuils.
L’interrogatoire a com m encé. Il m ’a d’abord dit qu’on m e dé-
peignait com m e étant d’un caractère taciturne et renferm é et il a
voulu savoir ce que j’en pensais. J ’ai répondu : « C’est que je n’ai
jam ais gran d-chose à dire. Alors je m e tais. » Il a souri com m e
la prem ière fois, a reconnu que c’était la m eilleure des raison s et
a ajouté : « D’ailleurs, cela n’a aucune im portance. » Il s’est tu,
– 52 –
m ’a regardé et s’est redressé assez brusquem ent pour m e dire
très vite : « Ce qui m ’intéresse, c’est vous. » J e n’ai pas bien
com pris ce qu’il entendait par là et je n’ai rien répondu. « Il y a
des choses, a-t-il ajouté, qui m ’échappent dan s votre geste. J e
suis sûr que vous allez m ’aider à les com prendre. » J ’ai dit que
tout était très sim ple. Il m ’a pressé de lui retracer m a journée.
J e lui ai retracé ce que déjà je lui avais raconté : Raym ond, la
plage, le bain, la querelle, encore la plage, la petite source, le so-
leil et les cin q coups de revolver. À chaque phrase il disait :
« Bien, bien. » Quand je suis arrivé au corps étendu, il a ap-
prouvé en disant : « Bon. » Moi, j’étais lassé de répéter ain si la
m êm e histoire et il m e sem blait que je n’avais jam ais autant
parlé.
– 53 –
Brusquem ent, il s’est levé, a m arché à gran ds pas vers une
extrém ité de son bureau et a ouvert un tiroir dans un classeur. Il
en a tiré un crucifix d’argent qu’il a brandi en revenant vers m oi.
Et d’une voix toute changée, presque trem blante, il s’est écrié :
« Est-ce que vous le connaissez, celui-là ? » J ’ai dit : « Oui, na-
turellem ent. » Alors il m ’a dit très vite et d’une façon passionnée
que lui croyait en Dieu, que sa conviction était qu’aucun hom m e
n’était assez coupable pour que Dieu ne lui pardonnât pas, m ais
qu’il fallait pour cela que l’hom m e par son repentir devînt
com m e un enfan t dont l’âm e est vide et prête à tout accueillir. Il
avait tout son corps penché sur la table. Il agitait son crucifix
presque au-dessus de m oi. À vrai dire, je l’avais très m al suivi
dans son raisonnem ent, d’abord parce que j’avais chaud et qu’il
y avait dan s son cabin et de grosses m ouches qui se posaient sur
m a figure, et aussi parce qu’il m e faisait un peu peur. J e recon-
naissais en m êm e tem ps que c’était ridicule parce que, après
tout, c’était m oi le crim in el. Il a continué pourtant. J ’ai à peu
près com pris qu’à son avis il n’y avait qu’un point d’obscur dan s
m a confession, le fait d’avoir attendu pour tirer m on second
coup de revolver. Pour le reste, c’était très bien, m ais cela, il ne
le com prenait pas.
– 54 –
toi ? » J ’ai bien rem arqué qu’il m e tutoyait, m ais j’en avais as-
sez. La chaleur se faisait de plus en plus gran de. Com m e tou-
jours, quand j’ai envie de m e débarrasser de quelqu’un que
j’écoute à peine, j’ai eu l’air d’approuver. À m a surprise, il a
triom phé : « Tu vois, tu vois, disait-il. N’est-ce pas que tu crois
et que tu vas te confier à lui ? » Évidem m ent, j’ai dit non une
fois de plus. Il est retom bé sur son fauteuil.
– 55 –
cours, selon l’expression m êm e du juge. Quelquefois aussi,
quand la conversation était d’ordre général, on m ’y m êlait. J e
com m ençais à respirer. Personne, en ces heures-là, n’était m é-
chant avec m oi. Tout était si naturel, si bien réglé et si sobre-
m ent joué que j’avais l’im pression ridicule de « faire partie de la
fam ille ». Et au bout des onze m ois qu’a duré cette instruction,
je peux dire que je m ’étonnais presque de m ’être jam ais réjoui
d’autre chose que de ces rares instants où le juge m e recondui-
sait à la porte de son cabinet en m e frappant sur l’épaule et en
m e disant d’un air cordial : « C’est fini pour aujourd’hui, m on-
sieur l’Antéchrist. » On m e rem ettait alors entre les m ain s des
gendarm es.
– 56 –
II
– 57 –
grande salle éclairée par une vaste baie. La salle était séparée en
trois parties par deux gran des grilles qui la coupaient dans sa
longueur. Entre les deux grilles se trouvait un espace de huit à
dix m ètres qui séparait les visiteurs des prisonniers. J ’ai aperçu
Marie en face de m oi avec sa robe à raies et son visage bruni. De
m on côté, il y avait une dizaine de détenus, des Arabes pour la
plupart. Marie était entourée de Mauresques et se trouvait entre
deux visiteuses : une petite vieille aux lèvres serrées, habillée de
noir, et une grosse fem m e en cheveux qui parlait très fort avec
beaucoup de gestes. À cause de la distance entre les grilles, les
visiteurs et les prisonniers étaien t obligés de parler très haut.
Quand je suis entré, le bruit des voix qui rebondissaient contre
les grands m urs nus de la salle, la lum ière crue qui coulait du
ciel sur les vitres et rejaillissait dans la salle, m e causèrent une
sorte d’étourdissem ent. Ma cellule était plus calm e et plus
som bre. Il m ’a fallu quelques secondes pour m ’adapter. Pour-
tant, j’ai fini par voir chaque visage avec netteté, détaché dan s le
plein jour. J ’ai observé qu’un gardien se tenait assis à
l’extrém ité du couloir entre les deux grilles. La plupart des pri-
sonniers arabes ainsi que leurs fam illes s’étaient accroupis en
vis-à-vis. Ceux-là ne criaient pas. Malgré le tum ulte, ils parve-
naient à s’enten dre en parlant très bas. Leur m urm ure sourd,
parti de plus bas, form ait com m e une basse continue aux con-
versations qui s’entrecroisaient au-dessus de leurs têtes. Tout
cela, je l’ai rem arqué très vite en m ’avan çant vers Marie. Déjà
collée contre la grille, elle m e souriait de toutes ses forces. J e l’ai
trouvée très belle, m ais je n’ai pas su le lui dire.
– 58 –
« J eanne n’a pas voulu le pren dre, criait-elle à tue-tête. –
Oui, oui, disait l’hom m e. – J e lui ai dit que tu le reprendrais en
sortant, m ais elle n’a pas voulu le pren dre. »
– 59 –
petite vieille s’est rapprochée des barreaux et, au m êm e m o-
m ent, un gardien a fait signe à son fils. Il a dit : « Au revoir,
m am an » et elle a passé sa m ain entre deux barreaux pour lui
faire un petit signe lent et prolon gé.
– 60 –
bien réfléchir, je n’étais pas dans un arbre sec. Il y avait plus
m alheureux que m oi. C’était d’ailleurs une idée de m am an, et
elle le répétait souvent, qu’on finissait par s’habituer à tout.
– 61 –
aussi de la punition. Mais à ce m om ent-là, je m ’étais habitué à
ne plus fum er et cette punition n’en était plus une pour m oi.
– 62 –
cinq ans, riche, il était revenu avec une fem m e et un enfant. Sa
m ère tenait un hôtel avec sa sœur dan s son village natal. Pour
les surpren dre, il avait laissé sa fem m e et son enfant dans un
autre établissem ent, était allé chez sa m ère qui ne l’avait pas re-
connu quand il était entré. Par plaisanterie, il avait eu l’idée de
pren dre une cham bre. Il avait m ontré son argent. Dans la nuit,
sa m ère et sa sœ ur l’avaient assassiné à coups de m arteau pour
le voler et avaient jeté son corps dan s la rivière. Le m atin, la
fem m e était ven ue, avait révélé sans le savoir l’identité du voya-
geur. La m ère s’était pen due. La sœur s’était jetée dans un puits.
J ’ai dû lire cette histoire des m illiers de fois. D’un côté, elle était
invraisem blable. D’un autre, elle était naturelle. De toute façon,
je trouvais que le voyageur l’avait un peu m érité et qu’il ne faut
jam ais jouer.
– 63 –
j’ai contem plé une fois de plus m on im age. Elle était toujours
sérieuse, et quoi d’étonnant puisque, à ce m om ent, je l’étais aus-
si ? Mais en m êm e tem ps et pour la prem ière fois depuis des
m ois, j’ai entendu distin ctem ent le son de m a voix. J e l’ai re-
connue pour celle qui résonnait déjà depuis de lon gs jours à m es
oreilles et j’ai com pris que pen dant tout ce tem ps j’avais parlé
seul. J e m e suis souvenu alors de ce que disait l’infirm ière à
l’enterrem ent de m am an. Non, il n’y avait pas d’issue et per-
sonne ne peut im aginer ce que son t les soirs dan s les prison s.
– 64 –
III
J e peux dire qu’au fond l’été a très vite rem placé l’été. J e
savais qu’avec la m ontée des prem ières chaleurs surviendrait
quelque chose de nouveau pour m oi. Mon affaire était inscrite à
la dernière session de la cour d’assises et cette session se termi-
nerait avec le m ois de juin. Les débats se sont ouverts avec, au-
dehors, tout le plein du soleil. Mon avocat m ’avait assuré qu’ils
ne dureraient pas plus de deux ou trois jours. « D’ailleurs, avait-
il ajouté, la cour sera pressée parce que votre affaire n’est pas la
plus im portante de la session. Il y a un parricide qui passera
tout de suite après. »
– 65 –
l’air était déjà étouffant. On avait laissé les vitres closes. J e m e
suis assis et les gendarm es m ’ont encadré. C’est à ce m om ent
que j’ai aperçu une rangée de visages devant m oi. Tous m e re-
gardaient : j’ai com pris que c’étaient les jurés. Mais je n e peux
pas dire ce qui les distinguait les uns des autres. J e n’ai eu
qu’une im pression : j’étais devant une ban quette de tram way et
tous ces voyageurs anonym es épiaient le nouvel arrivant pour
en apercevoir les ridicules. J e sais bien que c’était une idée
niaise puisque ici ce n’était pas le ridicule qu’ils cherchaient,
m ais le crim e. Cependant la différence n’est pas grande et c’est
en tout cas l’idée qui m ’est venue.
– 66 –
bonhom m e qui ressem blait à une belette engraissée, avec
d’énorm es lunettes cerclées de noir. Il m ’a dit que c’était
l’envoyé spécial d’un journal de Paris : « Il n’est pas venu pour
vous, d’ailleurs. Mais com m e il est chargé de ren dre com pte du
procès du parricide, on lui a dem andé de câbler votre affaire en
m êm e tem ps. » Là en core, j’ai failli le rem ercier. Mais j’ai pensé
que ce serait ridicule. Il m ’a fait un petit signe cordial de la m ain
et nous a quittés. Nous avon s encore attendu quelques m inutes.
– 67 –
d’être regardé par m oi-m êm e. C’est peut-être pour cela, et aussi
parce que je ne connaissais pas les usages du lieu, que je n’ai pas
très bien com pris tout ce qui s’est passé ensuite, le tirage au sort
des jurés, les questions posées par le président à l’avocat, au
procureur et au jury (à chaque fois, toutes les têtes des jurés se
retournaient en m êm e tem ps vers la cour), une lecture rapide de
l’acte d’accusation, où je reconnaissais des nom s de lieux et de
personnes, et de nouvelles questions à m on avocat.
– 68 –
nuance de cordialité. On m ’a encore fait décliner m on identité et
m algré m on agacem ent, j’ai pensé qu’au fond c’était assez natu-
rel, parce qu’il serait trop grave de juger un hom m e pour un
autre. Puis le président a recom m encé le récit de ce que j’avais
fait, en s’adressant à m oi toutes les trois phrases pour m e de-
m ander : « Est-ce bien cela ? » À chaque fois, j’ai répondu :
« Oui, m onsieur le Président », selon les instructions de m on
avocat. Cela a été long parce que le président apportait beau-
coup de m inutie dans son récit. Pendant tout ce tem ps, les jour-
nalistes écrivaient. J e sentais les regards du plus jeune d’entre
eux et de la petite autom ate. La banquette de tram way était tout
entière tournée vers le président. Celui-ci a toussé, feuilleté son
dossier et il s’est tourné vers m oi en s’éventant.
– 69 –
président a déclaré que l’audien ce était levée et renvoyée à
l’après-m idi pour l’audition des tém oins.
– 70 –
prem ière fois depuis bien des an nées, j’ai eu une envie stupide
de pleurer parce que j’ai senti com bien j’étais détesté par tous
ces gen s-là.
– 71 –
Quand est venu le tour de Thom as Pérez, un huissier a dû
le soutenir jusqu’à la barre. Pérez a dit qu’il avait surtout connu
m a m ère et qu’il ne m ’avait vu qu’une fois, le jour de
l’enterrem ent. On lui a dem an dé ce que j’avais fait ce jour-là et
il a répondu : « Vous com pren ez, m oi-m êm e j’avais trop de
peine. Alors, je n ’ai rien vu. C’était la peine qui m ’em pêchait de
voir. Parce que c’était pour m oi une très grosse peine. Et m êm e,
je m e suis évanoui. Alors, je n’ai pas pu voir m onsieur. »
L’avocat gén éral lui a dem an dé si, du m oins, il m ’avait vu pleu-
rer. Pérez a répondu que non. Le procureur a dit alors à son
tour : « MM. les J urés apprécieront. » Mais m on avocat s’est fâ-
ché. Il a dem andé à Pérez, sur un ton qui m ’a sem blé exagéré,
« s’il avait vu que je ne pleurais pas ». Pérez a dit : « Non. » Le
public a ri. Et m on avocat, en retroussant une de ses m an ches, a
dit d’un ton pérem ptoire : « Voilà l’im age de ce procès. Tout est
vrai et rien n’est vrai ! » Le procureur avait le visage ferm é et
piquait un crayon dans les titres de ses dossiers.
– 72 –
m oi, c’est un m alheur. Un m alheur, tout le m onde sait ce que
c’est. Ça vous laisse san s défense. Eh bien ! pour m oi c’est un
m alheur. » Il allait continuer, m ais le président lui a dit que
c’était bien et qu’on le rem erciait. Alors Céleste est resté un peu
interdit. Mais il a déclaré qu’il voulait encore parler. On lui a
dem andé d’être bref. Il a encore répété que c’était un m alheur.
Et le président lui a dit : « Oui, c’est enten du. Mais nous
som m es là pour juger les m alheurs de ce genre. Nous vous re-
m ercions. » Com m e s’il était arrivé au bout de sa scien ce et de
sa bonne volonté, Céleste s’est alors retourné vers m oi. Il m ’a
sem blé que ses yeux brillaient et que ses lèvres trem blaient. Il
avait l’air de m e dem ander ce qu’il pouvait encore faire. Moi, je
n’ai rien dit, je n’ai fait aucun geste, m ais c’est la prem ière fois
de m a vie que j’ai eu envie d’em brasser un hom m e. Le président
lui a encore enjoint de quitter la barre. Céleste est allé s’asseoir
dans le prétoire. Pendant tout le reste de l’audience, il est resté
là, un peu penché en avant, les coudes sur les genoux, le pana-
m a entre les m ains, à écouter tout ce qui se disait. Marie est en-
trée. Elle avait m is un chapeau et elle était en core belle. Mais je
l’aim ais m ieux avec ses cheveux libres. De l’endroit où j’étais, je
devinais le poids léger de ses seins et je reconnaissais sa lèvre
inférieure toujours un peu gonflée. Elle sem blait très nerveuse.
Tout de suite, on lui a dem andé depuis quan d elle m e connais-
sait. Elle a in diqué l’époque où elle travaillait chez nous. Le pré-
sident a voulu savoir quels étaien t ses rapports avec m oi. Elle a
dit qu’elle était m on am ie. À une autre question, elle a répondu
qu’il était vrai qu’elle devait m ’épouser. Le procureur qui feuille-
tait un dossier lui a dem andé brusquem ent de quand datait
notre liaison. Elle a indiqué la date. Le procureur a rem arqué
d’un air indifférent qu’il lui sem blait que c’était le lendem ain de
la m ort de m am an. Puis il a dit avec quelque ironie qu’il ne vou-
drait pas in sister sur une situation délicate, qu’il com prenait
bien les scrupules de Marie, m ais (et ici son accent s’est fait plus
dur) que son devoir lui com m an dait de s’élever au-dessus des
convenances. Il a donc dem andé à Marie de résum er cette jour-
née où je l’avais connue. Marie ne voulait pas parler, m ais de-
– 73 –
vant l’insistance du procureur, elle a dit notre bain, notre sortie
au ciném a et notre rentrée chez m oi. L’avocat général a dit qu’à
la suite des déclarations de Marie à l’instruction, il avait con sul-
té les program m es de cette date. Il a ajouté que Marie elle-
m êm e dirait quel film on passait alors. D’une voix presque
blanche, en effet, elle a in diqué que c’était un film de Fernan del.
Le silen ce était com plet dans la salle quand elle a eu fini. Le
procureur s’est alors levé, très grave et d’une voix que j’ai trou-
vée vraim ent ém ue, le doigt ten du vers m oi, il a articulé lente-
m ent : « Messieurs les J urés, le lendem ain de la m ort de sa
m ère, cet hom m e prenait des bains, com m ençait une liaison ir-
régulière, et allait rire devant un film com ique. J e n’ai rien de
plus à vous dire. » Il s’est assis, toujours dan s le silen ce. Mais,
tout d’un coup, Marie a éclaté en sanglots, a dit que ce n’était
pas cela, qu’il y avait autre chose, qu’on la forçait à dire le con-
traire de ce qu’elle pensait, qu’elle m e connaissait bien et que je
n’avais rien fait de m al. Mais l’huissier, sur un signe du prési-
dent, l’a em m en ée et l’audience s’est poursuivie.
– 74 –
président lui a dem andé cependant si la victim e n’avait pas de
raison de m e haïr. Raym ond a dit que m a présence à la plage
était le résultat d’un hasard. Le procureur lui a dem andé alors
com m ent il se faisait que la lettre qui était à l’origine du dram e
avait été écrite par m oi. Raym ond a répondu que c’était un ha-
sard. Le procureur a rétorqué que le hasard avait déjà beaucoup
de m éfaits sur la conscience dans cette histoire. Il a voulu savoir
si c’était par hasard que je n’étais pas interven u quand Ray-
m ond avait giflé sa m aîtresse, par hasard que j’avais servi de
tém oin au com m issariat, par hasard encore que m es déclara-
tions lors de ce tém oignage s’étaient révélées de pure com plai-
sance. Pour finir, il a dem andé à Raym ond quels étaient ses
m oyen s d’existence, et com m e ce dernier répondait : « Magasi-
nier », l’avocat général a déclaré aux jurés que de notoriété gé-
nérale le tém oin exerçait le m étier de souteneur. J ’étais son
com plice et son am i. Il s’agissait d’un dram e crapuleux de la
plus basse espèce, aggravé du fait qu’on avait affaire à un
m onstre m oral. Raym ond a voulu se défendre et m on avocat a
protesté, m ais on leur a dit qu’il fallait laisser term iner le procu-
reur. Celui-ci a dit : « J ’ai peu de chose à ajouter. Était-il votre
am i ? » a-t-il dem andé à Raym ond. « Oui, a dit celui-ci, c’était
m on copain. » L’avocat général m ’a posé alors la m êm e question
et j’ai regardé Raym on d qui n’a pas détourné les yeux. J ’ai ré-
pondu : « Oui. » Le procureur s’est alors retourné vers le jury et
a déclaré : « Le m êm e hom m e qui au lendem ain de la m ort de
sa m ère se livrait à la débauche la plus honteuse a tué pour des
raisons futiles et pour liquider une affaire de m œurs in quali-
fiable. »
– 75 –
avait entre ces deux ordres de faits une relation profonde, pa-
thétique, essentielle. « Oui, s’est-il écrié avec force, j’accuse cet
hom m e d’avoir enterré une m ère avec un cœur de crim in el. »
Cette déclaration a paru faire un effet considérable sur le public.
Mon avocat a haussé les épaules et essuyé la sueur qui couvrait
son front. Mais lui-m êm e paraissait ébranlé et j’ai com pris que
les choses n’allaient pas bien pour m oi.
– 76 –
IV
– 77 –
l’ignorance où j’étais de l’âge de m am an, m on bain du lende-
m ain, avec une fem m e, le ciném a, Fernan del et enfin la rentrée
avec Marie. J ’ai m is du tem ps à le com prendre, à ce m om ent,
parce qu’il disait « sa m aîtresse » et pour m oi, elle était Marie.
Ensuite, il en est venu à l’histoire de Raym ond. J ’ai trouvé que
sa façon de voir les évén em ents ne m anquait pas de clarté. Ce
qu’il disait était plausible. J ’avais écrit la lettre d’accord avec
Raym ond pour attirer sa m aîtresse et la livrer aux m auvais trai-
tem ents d’un hom m e « de m oralité douteuse ». J ’avais provo-
qué sur la plage les adversaires de Raym ond. Celui-ci avait été
blessé. J e lui avais dem andé son revolver. J ’étais revenu seul
pour m ’en servir. J ’avais abattu l’Arabe com m e je le projetais.
J ’avais atten du. Et « pour être sûr que la besogne était bien
faite », j’avais tiré encore quatre balles, posém ent, à coup sûr,
d’une façon réfléchie en quelque sorte.
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doute, je ne pouvais pas m ’em pêcher de reconnaître qu’il avait
raison. J e ne regrettais pas beaucoup m on acte. Mais tant
d’acharnem ent m ’étonnait. J ’aurais voulu essayer de lui expli-
quer cordialem ent, presque avec affection, que je n’avais jam ais
pu regretter vraim ent quelque chose. J ’étais toujours pris par ce
qui allait arriver, par aujourd’hui ou par dem ain. Mais naturel-
lem ent, dan s l’état où l’on m ’avait m is, je ne pouvais parler à
personne sur ce ton. J e n’avais pas le droit de m e m ontrer affec-
tueux, d’avoir de la bonne volonté. Et j’ai essayé d’écouter en-
core parce que le procureur s’est m is à parler de m on âm e.
Il disait qu’il s’était pen ché sur elle et qu’il n’avait rien
trouvé, m essieurs les J urés. Il disait qu’à la vérité, je n’en avais
point, d’âm e, et que rien d’hum ain, et pas un des principes m o-
raux qui garden t le cœur des hom m es ne m ’était accessible.
« Sans doute, ajoutait-il, nous ne saurions le lui reprocher. Ce
qu’il ne saurait acquérir, nous ne pouvons nous plaindre qu’il en
m anque. Mais quand il s’agit de cette cour, la vertu toute néga-
tive de la toléran ce doit se m uer en celle, m oins facile, m ais plus
élevée, de la justice. Surtout lorsque le vide du cœ ur tel qu’on le
découvre chez cet hom m e devient un gouffre où la société peut
succom ber. » C’est alors qu’il a parlé de m on attitude envers
m am an. Il a répété ce qu’il avait dit pendant les débats. Mais il a
été beaucoup plus long que lorsqu’il parlait de m on crim e, si
long m êm e que, finalem ent, je n’ai plus senti que la chaleur de
cette m atinée. J usqu’au m om ent, du m oin s, où l’avocat général
s’est arrêté et, après un m om ent de silen ce, a repris d’une voix
très basse et très pénétrée : « Cette m êm e cour, m essieurs, va
juger dem ain le plus abom inable des forfaits : le m eurtre d’un
père. » Selon lui, l’im agination reculait devant cet atroce atten-
tat. Il osait espérer que la justice des hom m es pun irait sans fai-
blesse. Mais, il n e craignait pas de le dire, l’horreur que lui ins-
pirait ce crim e le cédait presque à celle qu’il ressentait devant
m on insensibilité. Toujours selon lui, un hom m e qui tuait m ora-
lem ent sa m ère se retran chait de la société des hom m es au
m êm e titre que celui qui portait une m ain m eurtrière sur
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l’auteur de ses jours. Dans tous les cas, le prem ier préparait les
actes du second, il les annonçait en quelque sorte et il les légiti-
m ait. « J ’en suis persuadé, m essieurs, a-t-il ajouté en élevant la
voix, vous ne trouverez pas m a pensée trop audacieuse, si je dis
que l’hom m e qui est assis sur ce banc est coupable aussi du
m eurtre que cette cour devra juger dem ain. Il doit être puni en
conséquence. » Ici, le procureur a essuyé son visage brillant de
sueur. Il a dit en fin que son devoir était douloureux, m ais qu’il
l’accom plirait ferm em ent. Il a déclaré que je n’avais rien à faire
avec une société dont je m éconnaissais les règles les plus essen-
tielles et que je ne pouvais pas en appeler à ce cœur hum ain
dont j’ignorais les réaction s élém entaires. « J e vous dem ande la
tête de cet hom m e, a-t-il dit, et c’est le cœur léger que je vous la
dem ande. Car s’il m ’est arrivé au cours de m a déjà longue car-
rière de réclam er des pein es capitales, jam ais autant
qu’aujourd’hui, je n’ai senti ce pénible devoir com pensé, balan-
cé, éclairé par la conscience d’un com m andem ent im périeux et
sacré et par l’horreur que je ressens devant un visage d’hom m e
où je ne lis rien que de m onstrueux. »
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L’après-m idi, les grands ventilateurs brassaient toujours
l’air épais de la salle, et les petits éventails m ulticolores des ju-
rés s’agitaient tous dan s le m êm e sens. La plaidoirie de m on
avocat m e sem blait ne devoir jam ais finir. À un m om ent donné,
cependant, je l’ai écouté parce qu’il disait : « Il est vrai que j’ai
tué. » Puis il a continué sur ce ton , disant « je » chaque fois qu’il
parlait de m oi. J ’étais très étonné. J e m e suis penché vers un
gendarm e et je lui ai dem andé pourquoi. Il m ’a dit de m e taire
et, après un m om ent, il a ajouté : « Tous les avocats font ça. »
Moi, j’ai pen sé que c’était m ’écarter encore de l’affaire, m e ré-
duire à zéro et, en un certain sen s, se substituer à m oi. Mais je
crois que j’étais déjà très loin de cette salle d’audience.
D’ailleurs, m on avocat m ’a sem blé ridicule. Il a plaidé la provo-
cation très rapidem ent et puis lui aussi a parlé de m on âm e.
Mais il m ’a paru qu’il avait beaucoup m oins de talent que le
procureur. « Moi aussi, a-t-il dit, je m e suis pen ché sur cette
âm e, m ais, contrairem ent à l’ém inent représentan t du m inistère
public, j’ai trouvé quelque chose et je puis dire que j’y ai lu à
livre ouvert. » Il y avait lu que j’étais un honnête hom m e, un
travailleur régulier, infatigable, fidèle à la m aison qui
l’em ployait, aim é de tous et com patissant aux m isères d’autrui.
Pour lui, j’étais un fils m odèle qui avait soutenu sa m ère aussi
longtem ps qu’il l’avait pu. Fin alem ent j’avais espéré qu’une
m aison de retraite donnerait à la vieille fem m e le confort que
m es m oyen s ne m e perm ettaient pas de lui procurer. « J e
m ’étonne, m essieurs, a-t-il ajouté, qu’on ait m ené si gran d bruit
autour de cet asile. Car enfin, s’il fallait donner une preuve de
l’utilité et de la grandeur de ces in stitutions, il faudrait bien dire
que c’est l’État lui-m êm e qui les subventionne. » Seulem ent, il
n’a pas parlé de l’enterrem ent et j’ai senti que cela m anquait
dans sa plaidoirie. Mais à cause de toutes ces lon gues phrases,
de toutes ces journées et ces heures interm inables pendant les-
quelles on avait parlé de m on âm e, j’ai eu l’im pression que tout
devenait com m e une eau incolore où je trouvais le vertige.
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À la fin, je m e souviens seulem ent que, de la rue et à tra-
vers tout l’espace des salles et des prétoires, pen dant que m on
avocat continuait à parler, la trom pette d’un m archand de glace
a résonné jusqu’à m oi. J ’ai été assailli des souvenirs d’une vie
qui ne m ’appartenait plus, m ais où j’avais trouvé les plus
pauvres et les plus tenaces de m es joies : des odeurs d’été, le
quartier que j’aim ais, un certain ciel du soir, le rire et les robes
de Marie. Tout ce que je faisais d’inutile en ce lieu m ’est alors
rem onté à la gorge et je n’ai eu qu’une hâte, c’est qu’on en fi-
nisse et que je retrouve m a cellule avec le som m eil. C’est à peine
si j’ai enten du m on avocat s’écrier, pour finir, que les jurés n e
voudraient pas envoyer à la m ort un travailleur honnête perdu
par une m inute d’égarem ent, et dem ander les circonstances at-
ténuantes pour un crim e dont je traînais déjà, com m e le plus
sûr de m es châtim ents, le rem ords éternel. La cour a suspendu
l’audien ce et l’avocat s’est assis d’un air épuisé. Mais ses col-
lègues sont venus vers lui pour lui serrer la m ain. J ’ai entendu :
« Magnifique, m on cher. » L’un d’eux m ’a m êm e pris à tém oin :
« Hein ? » m ’a-t-il dit. J ’ai acquiescé, m ais m on com plim ent
n’était pas sincère, parce que j’étais trop fatigué.
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La cour est reven ue. Très vite, on a lu aux jurés une série de
question s. J ’ai entendu « coupable de m eurtre »… « prém édita-
tion »… « circonstances atténuan tes ». Les jurés sont sortis et
l’on m ’a em m en é dans la petite pièce où j’avais déjà attendu.
Mon avocat est venu m e rejoindre : il était très volubile et m ’a
parlé avec plus de confian ce et de cordialité qu’il ne l’avait ja-
m ais fait. Il pen sait que tout irait bien et que je m ’en tirerais
avec quelques an nées de prison ou de bagne. J e lui ai dem andé
s’il y avait des chances de cassation en cas de jugem ent défavo-
rable. Il m ’a dit que non. Sa tactique avait été de n e pas déposer
de conclusions pour ne pas indisposer le jury. Il m ’a expliqué
qu’on ne cassait pas un jugem ent, com m e cela, pour rien. Cela
m ’a paru évident et je m e suis ren du à ses raison s. À considérer
froidem ent la chose, c’était tout à fait naturel. Dans le cas con-
traire, il y aurait trop de paperasses inutiles. « De toute façon,
m ’a dit m on avocat, il y a le pourvoi. Mais je suis persuadé que
l’issue sera favorable. »
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m ’a dem andé si je n’avais rien à ajouter. J ’ai réfléchi. J ’ai dit :
« Non. » C’est alors qu’on m ’a em m ené.
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V
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la volée. Mais tout bien considéré, rien ne m e perm ettait ce
luxe, tout m e l’in terdisait, la m écanique m e repren ait.
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froid que je m e recroquevillais sous m a couverture. J e claquais
des dents san s pouvoir m e retenir.
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tôt. Cette m achine sur le cliché m ’avait frappé par son aspect
d’ouvrage de précision, fini et étincelant. On se fait toujours des
idées exagérées de ce qu’on ne connaît pas. J e devais constater
au contraire que tout était sim ple : la m achine est au m êm e ni-
veau que l’hom m e qui m arche vers elle. Il la rejoint com m e on
m arche à la rencontre d’une personne. Cela aussi était en-
nuyeux. La m ontée vers l’échafaud, l’ascen sion en plein ciel,
l’im agination pouvait s’y raccrocher. Tandis que, là encore, la
m écanique écrasait tout : on était tué discrètem en t, avec un peu
de honte et beaucoup de précision.
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l’approuvais dan s m a prison, quand le ciel se colorait et qu’un
nouveau jour glissait dan s m a cellule. Parce qu’aussi bien,
j’aurais pu entendre des pas et m on cœur aurait pu éclater.
Mêm e si le m oindre glissem ent m e jetait à la porte, m êm e si,
l’oreille collée au bois, j’attendais éperdum ent jusqu’à ce que
j’entende m a propre respiration, effrayé de la trouver rauque et
si pareille au râle d’un chien, au bout du com pte m on cœur
n’éclatait pas et j’avais encore gagné vingt-quatre heures.
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naturel m êm e dans cette hypothèse, pour rendre plus plausible
m a résignation dans la prem ière. Quand j’avais réussi, j’avais
gagné une heure de calm e. Cela, tout de m êm e, était à considé-
rer.
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toujours baissée, pendant si longtem ps que j’ai eu l’im pression,
un instant, que je l’avais oublié.
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Com m ent aborderez-vous cette terrible épreuve ? » J ’ai répon-
du que je l’aborderais exactem ent com m e je l’abordais en ce
m om ent.
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les barreaux. « Vous vous trom pez, m on fils, m ’a-t-il dit, on
pourrait vous dem ander plus. On vous le dem andera peut-être.
– Et quoi don c ? – On pourrait vous dem ander de voir. – Voir
quoi ? »
J e m e suis un peu anim é. J ’ai dit qu’il y avait des m ois que
je regardais ces m urailles. Il n’y avait rien ni personne que je
connusse m ieux au m onde. Peut-être, il y a bien longtem ps, y
avais-je cherché un visage. Mais ce visage avait la couleur du so-
leil et la flam m e du désir : c’était celui de Marie. J e l’avais cher-
ché en vain. Maintenant, c’était fini. Et dans tous les cas, je
n’avais rien vu surgir de cette sueur de pierre.
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d’avoir une bouche m ieux faite. C’était du m êm e ordre. Mais lui
m ’a arrêté et il voulait savoir com m ent je voyais cette autre vie.
Alors, je lui ai crié : « Un e vie où je pourrais m e souvenir de
celle-ci », et aussitôt je lui ai dit que j’en avais assez. Il voulait
encore m e parler de Dieu, m ais je m e suis avan cé vers lui et j’ai
tenté de lui expliquer une dernière fois qu’il m e restait peu de
tem ps. J e ne voulais pas le perdre avec Dieu. Il a essayé de
changer de sujet en m e dem andant pourquoi je l’appelais
« m onsieur » et non pas « m on père ». Cela m ’a énervé et je lui
ai répondu qu’il n’était pas m on père : il était avec les autres.
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qu’on m e proposait alors dans les années pas plus réelles que je
vivais. Que m ’im portaient la m ort des autres, l’am our d’un e
m ère, que m ’im portaient son Dieu, les vies qu’on choisit, les
destins qu’on élit, puisqu’un seul destin devait m ’élire m oi-
m êm e et avec m oi des m illiards de privilégiés qui, com m e lui, se
disaient m es frères. Com prenait-il donc ? Tout le m onde était
privilégié. Il n’y avait que des privilégiés. Les autres aussi, on les
condam n erait un jour. Lui aussi, on le condam n erait.
Qu’im portait si, accusé de m eurtre, il était exécuté pour n’avoir
pas pleuré à l’en terrem ent de sa m ère ? Le chien de Salam ano
valait autant que sa fem m e. La petite fem m e autom atique était
aussi coupable que la Parisienne que Masson avait épousée ou
que Marie qui avait envie que je l’épouse. Qu’im portait que
Raym ond fût m on copain autant que Céleste qui valait m ieux
que lui ? Qu’im portait que Marie donnât aujourd’hui sa bouche
à un nouveau Meursault ? Com prenait-il donc, ce condam n é, et
que du fond de m on avenir… J ’étouffais en criant tout ceci.
Mais, déjà, on m ’arrachait l’aum ônier des m ains et les gardien s
m e m enaçaient. Lui, cependant, les a calm és et m ’a regardé un
m om ent en silen ce. Il avait les yeux plein s de larm es. Il s’est dé-
tourné et il a disparu.
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revivre. Personne, personne n’avait le droit de pleurer sur elle.
Et m oi aussi, je m e suis senti prêt à tout revivre. Com m e si cette
grande colère m ’avait purgé du m al, vidé d’espoir, devant cette
nuit chargée de signes et d’étoiles, je m ’ouvrais pour la prem ière
fois à la tendre indifférence du m onde. De l’éprouver si pareil à
m oi, si fraternel enfin, j’ai senti que j’avais été heureux, et que je
l’étais encore. Pour que tout soit consom m é, pour que je m e
sente m oins seul, il m e restait à souhaiter qu’il y ait beaucoup de
spectateurs le jour de m on exécution et qu’ils m ’accueillent avec
des cris de haine.
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À p ro p o s d e ce tte é d itio n é le ctro n iqu e
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Jan vie r 2 0 11
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– Qu alité :
Les textes sont livrés tels quels sans garantie de leur intégrité
parfaite par rapport à l'original. Nous rappelons que c'est un
travail d'am ateurs non rétribués et que nous essayons de
prom ouvoir la culture littéraire avec de m aigres m oyens.