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Avant-propos

Les littératures de l’imaginaire sont, comme l’emploi du pluriel l’indique,


protéiformes, multiples. Bien que l’imaginaire soit de plus en plus présent
dans les différents produits culturels (films, séries télévisées, romans, donc,
bandes dessinées, voire même musique), il est très facile de s’apercevoir que
l’écrasante majorité du public ne sait pas établir de distinction précise entre
ses principaux genres (Science-fiction, Fantasy, Fantastique) ou en donner
une définition à la fois simple et exacte. Les choses se compliquent encore
lorsqu’on sait que les deux premiers de ces trois genres sont eux-mêmes
divisés en une multitude de sous-genres, que d’autres genres comme
l’Uchronie, la Science fantasy ou le Steampunk viennent compliquer un
tableau à la base relativement simple, et que, pire que tout, il n’existe pas de
définition unique, mais seulement un consensus plus ou moins large et
qu’entre deux spécialistes, le même terme pourra avoir jusqu’à… quatre
significations différentes !
Le présent Guide des genres et sous-genres de l’imaginaire a donc pour but
de vous donner une vision aussi synthétique et facile à comprendre que
possible de ce que sont la Fantasy, la Science-Fiction et le Fantastique,
de ce qui les distingue et définit, des sous-genres qui forment ces grands
blocs, ainsi que de ce qui existe en parallèle (Steampunk, Uchronie, etc.), de
la filiation de ces genres mineurs avec les trois grands blocs, et bien sûr de
vous donner des exemples d’œuvres majeures caractérisant un genre ou sous-
genre donné. Il s’attachera aussi à examiner la façon dont chaque sous-genre
est lié à tel autre, via un historique expliquant comment le sous-genre B a été
conçu en réaction, comme une antithèse, au sous-genre A antérieur, le plus
souvent.
Ce guide est subdivisé en différentes parties, qui vous présenteront de la
façon la plus graduelle et logique possible comment s’organisent aujourd’hui
les littératures de l’imaginaire :

Dans une première partie, nous définirons les trois genres majeurs de
l’imaginaire : la Science-Fiction, la Fantasy et le Fantastique.

Dans la seconde partie, nous parlerons des autres genres des


littératures de l’imaginaire, ainsi que de la distinction à faire
entre sous-genres et simples étiquettes marketing.

Dans la troisième partie, nous parlerons des sous-genres majeurs de la


Fantasy et de leur historique, de la façon dont ils sont liés les uns aux
autres.

Dans la quatrième partie, nous aborderons la « Fantasy de demain »,


des sous-genres qui pourraient détrôner, dans les années à venir, ceux
qui sont actuellement sur le devant de la scène.

Dans la cinquième partie, nous évoquerons quelques exemples de sous-


genres mineurs de la Fantasy.

La sixième partie sera consacrée aux (sous-)genres se terminant en -


punk, dont ceux de la SF, de la Fantasy et du Steampunk, avec une
explication de ce qui les lie les uns aux autres.

La septième partie se penchera, elle, sur les sous-genres majeurs de la


Science-fiction, dans la même perspective historique que pour ceux
de la Fantasy.
La huitième parlera de quelques exemples de sous-genres mineurs ou
de thématiques associées à la SF.

Pour commencer, définissons les trois grands genres.


PREMIÈRE PARTIE
Science-Fiction, Fantasy et
Fantastique

Il y a quatre façons de définir la Science-fiction (SF), la Fantasy et le


Fantastique, qui sont les trois genres majeurs des littératures de l’imaginaire :
la mauvaise, la bonne, l’anglo-saxonne… et la nôtre.

SF, Fantasy et Fantastique :


définition « stéréotypée », méthode de l’analogie
Lorsque la plupart des gens tentent de définir SF, Fantasy et Fantastique,
par exemple à leur compagne / compagnon qui n’en a jamais lu, ou à des
parents qui cherchent à mieux appréhender les lectures « bizarres » de leur
progéniture, ils emploient la « méthode de l’analogie ». En clair, ils prennent
un exemple connu, et disent : ce genre-là, c’est « comme le film ou la série X
ou Y ». Quelques exemples connus :

« La SF, c’est comme Star Wars. »

« La Fantasy, c’est comme Le Trône de fer ou Le Seigneur des anneaux. »

« Le Fantastique, c’est comme un livre de Stephen King ».

Sauf que cette méthode pose de gros problèmes, parce qu’elle est
floue et parfois… complètement fausse ! Prenez Star Wars : certains
spécialistes classent volontiers la saga de Georges Lucas non pas dans la SF…
mais dans la Fantasy ! En effet, si je résume l’épisode IV, qu’est-ce qu’on a :
un jeune fermier, rêvant d’aventures, se voit initié à des arts surnaturels et à
celui de l’escrime par un vieux sage, qui lui fait don de son sabre
extraordinaire afin de l’aider dans sa quête visant à délivrer une princesse
captive. En chemin, il devra se confronter à un chevalier noir. Vous en
conviendrez, voilà un résumé que n’importe quel lecteur classifierait en
Fantasy (genre associé, dans l’esprit du grand public, aux épées, au surnaturel,
aux chevaliers, aux quêtes initiatiques, aux méchants très méchants, etc.), et il
aurait raison. Car un autre aspect éloigne complètement Star Wars de la SF :
c’est justement le fait que la science ne joue aucun rôle là-dedans, les
vaisseaux et planètes ne sont qu’un décor qui n’a aucun impact sur l’intrigue
ou les thématiques développées. Rien n’est expliqué ou explicable par la
science, malgré une tentative extrêmement maladroite dans ce sens-là dans la
seconde trilogie (les fameux midi-chloriens). Est-ce que, par exemple, il est
expliqué une seule fois dans les films (matériel strictement canon, comme
disent les puristes) comment marche la propulsion plus rapide que la lumière,
comme l’ont fait certains écrivains de SF ? Jamais. Et vous pouvez multiplier
les exemples à l’infini, rien dans Star Wars ne repose sur la science, les
gadgets techniques n’étant qu’un décor qu’on pourrait aisément remplacer par
leurs équivalents médiévaux-fantastiques sans rien modifier au fond.
Moralité : dire de la SF que c’est « comme Star Wars », c’est partir d’un
très mauvais pied. Vous allez rétorquer que la personne voulait en fait dire
que ça correspond à un univers où il y a des vaisseaux spatiaux, où on va sur
d’autres planètes hors du système solaire en quelques jours, voire heures de
voyage, et où il y a des lasers qui font pew pew. Sauf que là encore, cette
définition est biaisée : toute la SF, très loin de là même, n’implique pas des
voyages dans l’espace, des déplacements plus rapides que la lumière, l’emploi
d’une physique inconnue et peut-être impossible, des armes à énergie, un
lointain avenir et des distances colossales. Réduire la SF à ça, c’est faire
l’impasse sur une immense part de ce qu’elle est.
Vous pouvez employer le même raisonnement avec Le Trône de fer : il
s’agit d’une Fantasy plutôt inhabituelle, avec assez peu d’éléments
fantastiques, au final (dragons, morts-vivants, géants, mais très peu de magie
et pas de races imaginaires comme des nains ou des elfes), une quantité de
personnages et de sous-intrigues faramineuse par rapport à la moyenne, et
surtout un ton très noir, explicite et glauque qui est très, mais alors très loin
de caractériser l’ensemble de la Fantasy. Il est difficile de comprendre
comment tant de gens, qui ont commencé la Fantasy par Le Trône de fer,
peuvent conseiller à leurs amis d’en faire autant : c’est bien le dernier cycle de
Fantasy à conseiller à un complet néophyte.
Vous pouvez appliquer un raisonnement
connexe, même si pas tout à fait identique, au
Seigneur des anneaux : trois gros tomes, beaucoup de
personnages, une intrigue très manichéenne, cette
High Fantasy (voir plus loin) donne, là aussi, une
image très distordue du genre, qui ne se réduit en
aucun cas à des personnages très tranchés
moralement et à la stéréotypée lutte du Bien contre
le Mal, des « gentils » contre les « méchants ». Si
vous prenez un auteur comme Glen Cook, par
exemple, vous vous apercevrez qu’il est à l’exact
opposé de ces « caractéristiques », qui n’en sont en réalité pas, en tout cas pas
pour l’ensemble de la Fantasy.
L’autre problème que pose cette définition stéréotypée, par
l’exemple, par l’analogie, est qu’elle ne vous donne finalement aucune
clé pour comprendre pourquoi un livre relève de tel genre et pas de tel
autre. Un exemple ? « Le Fantastique, c’est comme Stephen King ». Ah.
Donc qu’est-ce que c’est, c’est de l’Horreur, du surnaturel, une littérature se
déroulant dans un cadre contemporain ? On ne sait pas. Du coup, vous
pourriez avoir un livre qui ressemble sur certains points à du Stephen King,
voire qui est du Stephen King, mais qui ne relève pas du Fantastique : cf.,
bien évidemment, le cycle de La Tour sombre.
Bref, c’est une définition à éviter, tant elle est souvent imprécise et
trompeuse, bien que pratique pour faire comprendre à sa mémé ou sa copine
ce qu’est la Fantasy ou la SF en deux phrases. Sauf qu’il y a d’autres méthodes
qui prennent à peine plus de mots et qui sont nettement plus efficaces.

SF, Fantasy et Fantastique : méthode du Chat


Cette excellente définition, souvent réemployée, dans différentes
variantes, par un grand nombre de personnes tentant d’expliquer ce que sont
les littératures de l’imaginaire, est, à notre connaissance, due à M. Denis
Guiot, directeur de collection chez Syros. Nous vous en proposons ici notre
propre redéfinition, qui constitue une méthode pour expliquer ce qu’est (ou
pas) la SF, la Fantasy et le Fantastique beaucoup plus précise et pertinente
que la précédente.
Donc, pour expliquer la différence entre SF, Fantasy et Fantastique
à votre maman ou votre petit(e) ami(e), vous allez lui dire que dans le
roman, il y a un chat qui parle : selon la raison pour laquelle le chat
parle, et si c’est habituel ou pas dans l’univers du livre, on pourra facilement
distinguer les trois genres :

Si le chat parle parce qu’on lui a fait subir des manipulations génétiques,
qu’on lui a posé des implants cybernétiques, etc., bref qu’il y a une
explication rationnelle et scientifique à ce fait, c’est de la Science-
fiction. Dans cet univers, un chat qui n’a pas subi ces procédures ne
parle pas.

Si le chat parle parce que c’est habituel et banal dans cet univers,
que c’est un fait connu et établi qui ne choque personne, comme le fait
qu’il y ait des dragons dans le ciel et des elfes à la taverne du coin,
c’est de la Fantasy. Ce qu’il faut retenir, c’est que l’explication est
surnaturelle / non rationnelle / non scientifique / qu’il n’y en a pas, et
que c’est un phénomène banal, qui ne choque personne et s’inscrit
dans le cadre normal de ce monde.

Si un chat se met à parler sans explication rationnelle alors


qu’aucun chat ne parle et que c’est scientifiquement impossible,
et ce dans un cadre qui est (la plupart du temps, du moins) notre
monde moderne, terrestre, cartésien, c’est du Fantastique. Tout
l’intérêt, toute l’essence de ce dernier genre est en effet de confronter
ses protagonistes à quelque chose qui transcende ou viole le cadre
banal, cartésien, de notre monde « normal », et de montrer les
réactions de refus, rejet, peur et incompréhension qui en découlent.

Simple et efficace, non ? Pour une première approche, oui. Sauf qu’il y a
des subtilités, des éléments de définition avec lesquels tout le monde n’est pas
forcément d’accord. Par exemple, certains considèrent que la Fantasy ne peut
se dérouler que dans un monde imaginaire (dit « monde secondaire »), alors
que d’autres acceptent de placer des éléments comme la magie et les créatures
fantastiques dans notre monde réel, historique. Ce qui donne parfois des
raccourcis qui marchent, mais pas toujours, et qui sont, de fait, dangereux :
du genre, ça se passe dans notre monde, donc même s’il y a de la magie, c’est
du Fantastique. Eh bien non. Si ça se passe dans notre monde et que la magie,
les succubes et vampires sont connus de tous ou en tout cas du narrateur, ce
n’est pas du Fantastique. Mais nous aurons l’occasion de reparler de ces
subtilités dans d’autres parties de ce guide !

SF, Fantasy et Fantastique : la conception anglo-saxonne, ou


« SF, Fantasy, et… rien du tout »
Arrivé à ce stade de ta lecture, cher lecteur/trice,
tu te dis « Ah, chouette, j’ai tout compris / je le
savais tout ça, maintenant je ne peux plus me
tromper ». Eh bien si, et pour une raison toute
simple, mais aux lourdes conséquences : le concept
de Fantastique est purement français et n’existe pas
dans le monde anglo-saxon. Les Américains et les
Anglais font, eux, des distinctions entre Fantasy à
monde moderne / réel d’une part et à monde
imaginaire (= secondaire) d’autre part, ou bien entre
Low Fantasy / Urban Fantasy (où les éléments
imaginaires sont peu présents, que ce soit dans notre monde ou un monde
secondaire) d’une part et High Fantasy, pleine de sorcellerie et de créatures
merveilleuses ou terribles, situées dans un monde secondaire, d’autre part. Ce
qui complique pas mal les choses lorsqu’il s’agit ensuite de classer un roman
dans une grille de lecture qui sera plus familière à un lecteur français.
Donc, en gros, en coupant les cheveux en quatre, on pourrait résumer les
subdivisions anglo-saxonnes à deux au lieu de trois :

La Fantasy implique le surnaturel, l’irrationnel.

La SF implique un monde rationnel, où tout peut être expliqué, même si


c’est par une science qui n’existe pas dans le monde réel et qui
n’existera jamais. Ce qu’il faut retenir c’est que certaines choses ne
sont pas là « parce que » ou car « c’est magique, point », mais ont au
contraire une explication qui peut être mise en équation, à un moment
ou à un autre du développement technologique de la civilisation
impliquée (dans le genre « oui, la technologie de l’espèce X ressemble
à de la magie, mais nous, l’espèce Y, savons que dans Z siècles, notre
science aura suffisamment avancé pour nous permettre de décrire
rationnellement le phénomène de A à Z jusqu’à la dixième
décimale »).

Attention toutefois à ne pas mélanger cohérence interne de l’univers et


rationalité : un système de magie (celui de Terremer d’Ursula Le Guin, par
exemple) peut être décrit de façon détaillée, logique, cohérente, presque
« scientifique », sans pour autant être rationnel, juste cohérent.

Notre définition
En mélangeant un peu tout ça, voici quelles sont nos définitions des trois
grands genres :

La SF est une littérature de l’imaginaire dont le cadre est rationnel, et qui


base son univers sur la science. Elle peut se dérouler dans un univers
imaginaire ou dans le nôtre.

La Fantasy est une littérature de l’imaginaire dont le cadre est irrationnel


(à ne surtout pas confondre avec incohérent : un univers peut être
rempli de démons et de merveilles, voire être complètement loufoque
–Pratchett–, pourtant garder une parfaite cohérence interne), et qui
base son univers sur le surnaturel. Elle peut se dérouler dans un
univers imaginaire (c’est le plus souvent le cas) ou dans le nôtre, mais
dans les deux cas l’existence du surnaturel doit être un fait connu, de
la vie quotidienne.

Le Fantastique est une littérature de l’imaginaire qui confronte des


personnages rationnels à l’irruption dans leur vie de l’irrationnel. Le
cadre, s’il est souvent celui de notre monde banal, cartésien, moderne,
terrestre, peut théoriquement être un univers imaginaire dans lequel le
paradigme est soudainement et inexplicablement chamboulé. Le cœur
de ce genre est la confrontation de personnages cartésiens à des
phénomènes inconnus et impossibles, ainsi que les réactions (déni,
peur, rejet, incompréhension, folie, etc.) qu’ils entraînent.

À partir de ces définitions, vous serez capables de classer facilement 99%


des romans de Science-Fiction, de Fantasy et de Fantastique.

Un mot sur le Fantastique


Outre l’irruption de l’irrationnel dans un monde cartésien, et les réactions
de peur, rejet et incompréhension qu’elle entraîne, le Fantastique peut aussi
être défini d’une seconde façon : dans le cadre de prétendus phénomènes
surnaturels se passant dans un cadre par ailleurs rationnel, terrestre,
contemporain, ce genre peut être caractérisé par l’hésitation du lecteur entre
une explication rationnelle (le témoin desdits phénomènes est fou / un
menteur / a été abusé / etc.) et une autre qui ne l’est pas (les phénomènes
décrits sont réellement irrationnels, surnaturels). Il est très important de
comprendre que l’auteur ne doit en aucun cas donner une explication allant
dans un sens ou dans l’autre à la fin du livre, faute de quoi le livre doit être
reclassifié en Fantasy si l’explication est surnaturelle et en SF ou en littérature
générale si elle est cartésienne.
Notez cependant que dans la définition donnée plus haut, l’intrusion
d’éléments sans conteste surnaturels dans un cadre rationnel ne place pas, par
contre, le roman concerné dans le registre de la Fantasy : c’est leur caractère
inhabituel, choquant, ne correspondant pas au paradigme en vigueur, leur
irruption dans le monde banal, réel et moderne, qui signe l’appartenance au
Fantastique.

Quelques exemples d’auteurs majeurs ou pionniers en matière de


Fantastique : Allan Poe, Algernon Blackwood, Sheridan le Fanu,
Bram Stoker, Guy de Maupassant, Alexandre Dumas, Théophile
Gautier, Oscar Wilde, Jean Ray, H.P. Lovecraft, Alain Dorémieux,
Mélanie Fazi, Stephen King, Dean Koontz, Clive Barker.
DEUXIÈME PARTIE
autres Genres des
Littératures de l’imaginaire,
différences entre sous-
genres et simples étiquettes
marketing

Vous maîtrisez désormais la méthode du chat, vous vous sentez capable


de classifier sans souci n’importe quel roman, et vous êtes prêt à découvrir les
sous-genres de la Science-Fiction et de la Fantasy. Sauf que tout n’est pas
aussi simple, car de nombreux trouble-fête se sont invités dans le jeu, et vont
vous rendre la tâche de classification nettement moins aisée : entre les genres
hybrides, les sous-genres qui ont un complexe de supériorité et qui veulent
laisser tomber le sous- pour devenir des genres à part entière, les conceptions
d’origine étrangère qui cassent le tableau très clair avec Science-Fiction,
Fantasy et Fantastique et puis c’est tout, les définitions qui sont loin de faire
l’unanimité (ou pire, qui sont multiples), les écrivains qui prennent un plaisir
sadique à brouiller les frontières et ceux qui vont les frôler, vous allez voir que
les choses ne sont pas aussi limpides que la première partie de ce guide
pouvait le laisser penser.
Si vous ne souhaitez pas vous compliquer l’existence avec des subtilités
taxonomiques, vous pouvez vous contenter de lire les passages consacrés à
l’Uchronie et au Steampunk et passer ensuite directement à la troisième partie
du guide.
Mélange des genres, complexe de supériorité : Science fantasy
et Steampunk, avec un petit détour par l’Uchronie et le Weird
Science fantasy
Certains auteurs (et pas seulement ceux de romans, comme nous allons le
voir) ont décidé de combiner des éléments, des codes, des techniques, une
ambiance ou une esthétique caractéristiques de ces deux grands genres que
sont la Science-Fiction et la Fantasy. Une autre manière de définir ce genre
hybride est de dire qu’il donne une explication en apparence scientifique à des
phénomènes qui ne pourraient en aucun cas exister selon les lois de la
physique actuellement connues (voir plus loin). Une troisième manière de
caractériser la Science fantasy réside dans l’ambiguïté qu’elle peut laisser dans
l’explication de certains phénomènes (et qui, au passage, relèverait plus, dans
la conception française, d’une certaine définition du Fantastique) : magie,
pouvoirs mentaux, technologie suffisamment avancée pour passer pour de la
magie aux yeux de races plus primitives. La Science fantasy peut, enfin, se
concevoir de deux façons : soit l’inclusion d’éléments scientifiques dans un
univers médiéval –ou antique– fantastique, soit celle d’éléments Fantasy dans
un univers de SF. C’est le cas de nombreux cycles qui ressemblent à de
banales histoires de Fantasy au début, avant de se révéler être tout autre
chose, comme un univers post-apocalyptique, par exemple.
Il est tentant de classifier toute SF (en apparence) qui utilise les pouvoirs
psi comme de la Science fantasy, d’autant plus quand d’autres éléments,
d’ambiance ou autre, tirent plus le livre vers la Fantasy que vers une réelle
science-fiction. Dune est à cet égard assez emblématique, d’autant plus que
son côté soft SF est extrêmement prononcé.
Le problème est que tout le monde ne s’accorde pas sur ces définitions, ni
même sur la pertinence de faire de la Science fantasy un sous-genre (de la SF,
le plus souvent). Le terme a majoritairement été utilisé dans les années 60-70,
puis par Presses Pocket chez nous (il y avait, juste avant la quatrième de
couverture, une autre page en papier couché à haut grammage, une sorte de
couverture arrière bis, où quatre genres étaient présentés, avec un ouvrage /
auteur emblématique à chaque fois, l’un d’eux étant « Les planètes de la
science-fantasy », avec comme exemple Le Dragon blanc d’Anne
McCaffrey), et est encore employé très occasionnellement chez certains
éditeurs. Le problème est qu’il est si flou et recouvre tant de choses qu’il est
compliqué de l’employer à bon escient, si même il en existe un !
Les planètes de la Science-fantasy ? Il se trouve
que dans la conception anglo-saxonne, nombre de
romans que nous classifierions en Planet Opera se
retrouvent rangés dans un sous-genre de… la
Science fantasy. Et dans cette conception, on
retrouve du très, très lourd, comme Edgar Rice
Burroughs ou . Mais d’autres aspects ou manières de
définir la Science fantasy mettent également en jeu
de grands noms : Jack Vance, Gene Wolfe, Terry
Brooks avec son cycle Shannara, évidemment, Tim
Powers (voir plus loin), d’une certaine manière
Charles Stross dans son cycle de La Laverie, mais aussi, et peut-être surtout,
Poul Anderson. En effet, ce dernier nous a offert, dans Operation Chaos, un
excellent exemple de l’approche « j’explique des phénomènes surnaturels dans
une optique scientifique » : dans cet univers (par ailleurs uchronique),
l’existence de Dieu a été scientifiquement prouvée, et la magie mise en
équations. L’une des protagonistes est une sorcière, et l’autre un loup-garou,
qui peut se transformer à volonté, même sans pleine lune, étant donné qu’il
possède un appareil reproduisant les fréquences spécifiques de lumière
polarisée du satellite de la Terre.
Certains considèrent que le Steampunk est un sous-genre de la Science
fantasy, par son approche qui consiste à prendre une technologie ancienne et
de faire de ce cadre victorien une « transplantation » du futur. Marquons
notre désaccord : d’abord, si on considère que la Science fantasy est un sous-
genre de la SF, il est sans doute cavalier de faire du Steampunk un sous-genre
d’un sous-genre ; ensuite, si effectivement, on peut considérer que certains
livres Steampunk (Les Voies d’Anubis de Tim Powers, par exemple) mêlent
des éléments de Fantasy (la magie, le plus souvent) à des éléments
uchroniques / rétrofuturistes, c’est loin d’être le cas de tous les livres classés
sous cette étiquette.
Finalement, il y a trois approches possibles : rejeter complètement
l’existence d’un sous-genre appelé Science fantasy, et classer le livre en
question, selon le cas, en SF ou en Fantasy ; faire de la Science fantasy un
sous-genre (le plus souvent de la SF) ; ou bien, et c’est l’approche que nous
adopterons, en faire un genre à part entière, au même titre et sur le même
plan que la SF, la Fantasy et le Fantastique. La Science fantasy présente trop
de caractères distinctifs, uniques, qui la séparent, au moins en termes
d’ambiance, sinon de codes, de la « pure » Fantasy ou de la « pure » SF, pour
se contenter de la considérer comme un simple sous-genre. C’est d’ailleurs
l’approche également choisie pour l’uchronie et le steampunk.
On peut aussi adopter l’angle de vision suivant : à partir de quel degré
d’implication de la science dans l’intrigue, de quelle place en termes de
nombre de pages, peut-on dire d’un livre à l’esthétique à l’écrasante majorité
Fantasy qu’il est de la SF, de la Fantasy ou de la Science fantasy ? Prenez le
cycle du Guerrier de Mars de Michael Moorcock, par exemple : à notre
époque, le savant Michael Kane met au point un prototype de téléporteur, et
décide de l’essayer lui-même (et non, il n’est pas transformé en mouche
humaine). Sauf que pendant l’essai, quelque chose va de travers, et il se
retrouve transporté dans l’espace et dans le temps, sur une planète Mars de
Fantasy de l’époque des dinosaures. Il y vit alors des aventures où, certes, la
science (en l’occurrence celle d’une race ancienne de la planète) joue un rôle,
mais où globalement, on se retrouve avec de la quasi-Fantasy (ou du Sword &
Planet, c’est comme vous voulez), avec géants bleus, arachnoïdes tout aussi
hypertrophiés, la belle princesse martienne Shizala qu’il faudra sauver des
griffes de l’infâme antagoniste, voleurs et assassins portant des masques (un
prélude aux Grandbretons du cycle d’Hawkmoon), un monde où l’épée se
porte nue, passée à un simple anneau à la ceinture, tant il est sauvage et
barbare. Donc la question est : parce qu’il y a de la science dans un contexte
de quasi-Fantasy, est-ce qu’il faut appeler ça de la Science fantasy, considérer
qu’à partir du moment où tout part d’une invention scientifique, ce n’est pas
de la Fantasy mais de la SF, ou considérer que parce que globalement, c’est
plus de la Fantasy qu’autre chose, le prétexte SF de départ ne suffit pas à
classer le livre dans un autre genre que de la Fantasy ?
Quoi qu’il en soit, la Science fantasy a trouvé un terrain particulièrement
fertile dans le Jeu de rôle, un grand nombre d’entre eux pouvant être classifiés
dans ce (sous-)genre : citons Shadowrun, Torg ou Space 1889 (parfois
également classé dans le Steampunk).

L’Uchronie
Voilà encore une catégorie de romans qui ne fait
pas l’unanimité : pour certains, simple sous-genre de
la SF ou de la Fiction historique, pour d’autres
(camp auquel nous appartenons), genre à part
entière, au même titre que la Science-fiction, la
Fantasy ou le Fantastique, l’Uchronie n’est, pour
d’autres encore, qu’une « esthétique » et pas un
genre ou sous-genre littéraire à part entière (et cette
approche est encore plus souvent adoptée à propos
du Steampunk).
Un monde uchronique est un univers où l’histoire
a suivi un cours différent : la Confédération a vaincu / a survécu à la guerre de
Sécession, Hitler domine le monde en cette année 1964, l’Empire romain est
e
toujours la puissance majeure en ce début de siècle, et ainsi de suite.
L’événement qui crée l’uchronie est appelé Point de divergence (un général qui
fait un choix différent, des catastrophes climatiques, une épidémie, l’entrée en
économie de guerre des années avant, des inflexions des programmes
scientifiques plus précoces, des alliances basées sur des critères différents qui
changent le rapport de force, un personnage historique clef qui survit / meurt
alors que dans notre réalité il est mort / a survécu, etc.) : avant ce point,
l’histoire de l’univers uchronique est la même que la nôtre, après, elles sont
plus ou moins différentes.
En littérature, il peut se présenter quatre cas :

L’action se passe dans l’uchronie, qui est le monde « normal » pour


ceux qui y vivent, et longtemps après le Point de divergence. Seul le
lecteur sait qu’il ne s’agit en fait que d’une variation de la « vraie »
Terre, à savoir la nôtre, les habitants du monde uchronique n’ont pas
conscience de vivre dans une variante de la « véritable » histoire.
Éventuellement, un autre facteur interne à l’univers peut établir les
différences (par exemple, dans Le Maître du Haut Château de Philip
K. Dick, le livre de fiction du même nom décrit une situation où
l’histoire s’est, pour le coup, déroulée comme la nôtre, et où la
Seconde Guerre mondiale ne s’est pas soldée par une victoire
germano-japonaise).

L’uchronie se crée « en direct » : les événements du livre servent à


montrer le Point de divergence et ses conséquences immédiates. Les
protagonistes n’ont pas conscience du fait qu’ils vivent dans une
variation uchronique de la « vraie » Histoire, seul le lecteur le sait.
Le monde que connaît le protagoniste du roman se transforme en
uchronie, mais il en a conscience : suite à un voyage dans le temps,
un accident ou une manipulation délibérée a perturbé la ligne
temporelle, et lorsque le voyageur temporel rentre à son époque, tout
à changé, le monde qu’il connaissait s’est transformé en une variation
uchronique (et en général bien glauque). C’est le cas, par exemple,
dans un des textes du cycle de La Patrouille du temps de Poul
Anderson.

L’uchronie et le monde « normal » coexistent en parallèle : c’est la


situation qu’on trouve majoritairement dans la SF à mondes parallèles.

Très important : dans les trois premiers cas,


il n’y a qu’un seul univers, celui dans lequel
l’intrigue se déroule. Seul le quatrième cas fait
coexister plusieurs univers. Notez aussi que
techniquement, les deux derniers cas relèvent autant,
sinon plus, de la SF que de l’Uchronie seule. C’est
pour cela que dans les exemples qui suivent en
matière d’uchronie historique nous avons le plus
souvent évité de citer tout ce qui ne relevait pas
purement de choix différents, d’une divergence en
matière météorologique, d’une épidémie plus
virulente, etc. Ce qui veut dire : pas de voyage dans le temps (naturel ou
technologique) / les univers parallèles ou d’autres éléments SF, donc pas de
22/11/63 de Stephen King, de De peur que les ténèbres de L. Sprague de
Camp, d’Éternité de Greg Bear, de Darwinia de Robert Charles Wilson, de
1632 d’Eric Flint, de cycle Nantucket par S.M Stirling, d’Axis of Time de John
Birmingham, de Kirov de John Schettler, etc. (de même, les livres qui
relèvent du Steampunk ne sont pas cités). Seule exception : l’uchronie
personnelle, où de toute façon les phénomènes ou concepts SF sont tellement
présents qu’il est impossible de ne pas en tenir compte.
Ainsi, nous faisons une distinction entre la SF à mondes parallèles (où un
personnage parti de notre monde peut visiter des Terres parallèles
uchroniques) et l’uchronie « vraie », où il n’existe qu’un seul monde, dont
l’histoire se trouve être une variation uchronique de la nôtre. De plus, à moins
que le protagoniste n’utilise une machine pour se rendre dans un monde
parallèle uchronique, il est difficile de voir pourquoi on classifierait toutes les
uchronies en SF : il n’y a pas de fiction scientifique dans Fatherland, par
exemple. Enfin, même s’il y a un aspect science-fiction (ou autre chose,
d’ailleurs, comme un aspect fantasy), le volet uchronique, à condition qu’il
soit mis en avant et ne soit ni un décor ni un vague prétexte (ou faire-vendre),
prend le pas sur le reste et classe forcément le texte concerné en uchronie.
Outre l’uchronie et ses sous-genres, nous allons aussi parler de l’Histoire
secrète, qui se déroule dans notre propre monde mais révèle que ce qu’on
vous enseigne en classe ne correspond pas aux événements réels, ainsi que
d’autres genres liés d’une façon ou d’une autre à l’Uchronie (ou confondus
avec elle).
Sous-genres de l’Uchronie
L’uchronie n’est pas un genre monolithique : bien que l’uchronie
historique et la dyschronie s’y taillent la part du lion, il en existe d’autres sous-
genres, plus mineurs en termes de nombre de livres mais, qui ont en revanche
souvent donné naissance à des œuvres particulièrement marquantes et/ou à
fort succès commercial.

Uchronie historique

C’est celle qui correspond tout simplement à la définition de base : si tel


événement historique se déroule différemment, qu’est-ce que ça change ?
Quelques auteurs ou œuvres emblématiques : Harry Turtledove,
cycle The Domination (S.M Stirling), Autant en emporte le temps
(Ward Moore), Pavane (Keith Roberts), Chroniques des années
noires (Kim Stanley Robinson), La Porte des mondes et Roma
Aeterna (Robert Silverberg), Rêve de fer (Norman Spinrad), King of
the Wood et le cycle Hannibal (John Maddox Roberts), Voyage
(Stephen Baxter), Le Complot contre l’Amérique (Philip Roth), Le
Club des policiers yiddish (Michael Chabon), trilogie du Subtil
changement (Jo Walton), Ada ou l’ardeur (Vladimir Nabokov),
Tancrède (Ugo Bellagamba), Alexandre le Grand et les aigles de
Rome (Javier Negrete), West of Eden et le cycle The Hammer and
the Cross (Harry Harrison), Guy Saville, Les Conjurés de Florence
(Paul McAuley).

Uchronie personnelle

Dans cette variante, ce n’est pas le cours de


l’histoire du monde qui change (mais voir plus loin
tout de même), mais celui de la vie du protagoniste :
suite à un événement quelconque (souvent une
boucle temporelle), il remonte le temps sur une
durée variable, et a l’opportunité de faire d’autres
choix que ceux faits la première fois (et c’est
d’ailleurs le thème phare de ce sous-genre : les choix
–de vie– et ce qu’ils entraînent), ou bien l’auteur
montre au lecteur plusieurs univers, chacun détaillant
les conséquences d’un choix lourd de conséquences
(dans Mes vrais enfants de Jo Walton, par exemple). Le ton peut être
extrêmement variable : il peut être doux-amer, noir (surtout lorsque chaque
nouveau choix entraîne une situation encore pire que la précédente) ou
(notamment avec les boucles temporelles) hautement humoristique,
particulièrement si le phénomène se prolonge (à la longue, le personnage est
tellement blasé qu’il se met à faire des choses délirantes, sachant qu’elles
seront effacées et sans conséquence à la prochaine itération).
Notez que dans certains cas, les actions du personnage peuvent conduire à
une uchronie historique (c’est le cas dans une des itérations de la boucle
temporelle de Replay, par exemple) ou se passer dans son cadre (Mes vrais
enfants).

Quelques auteurs ou œuvres emblématiques : Mes vrais enfants (Jo


Walton), Replay (Ken Grimwood), Dark Matter (Blake Crouch),
L’Échange (Alan Brennert), Les Quinze Premières Vies d’Harry August
(Catherine Webb).

Uchronie de fiction

Personne n’a jamais dit qu’une uchronie devait forcément prendre pour
cadre le monde réel : certains ne se sont donc pas privés de se poser la
question de savoir ce qui se serait passé si leur roman ou leur comics favori
avait tourné différemment, et du monde qui en aurait résulté.
Dans le second de ces deux domaines, Marvel s’est particulièrement
illustré, avec une série régulière, Et si ?, au ton souvent particulièrement noir
(DC a également proposé ce genre d’histoires, notamment avec Superman :
Red Son, qui postule que Kal-El n’a pas atterri au Kansas… mais en Russie
soviétique, avec tous les changements qu’on imagine : à la différence de celles
de Marvel, les publications DC de ce type, labellisées Elseworlds, n’étaient
pas régulières, ni une série en bonne et due forme). Et il y a vraiment des
hypothèses très intéressantes dans le lot : Spiderman stoppe le cambrioleur
qui tue l’oncle Ben (ou une autre variante : c’est la tante May qui est tuée à sa
place), Fatalis est un super-héros, Gwen Stacy survit, Phénix n’est pas tuée
dans le cadre du combat contre la Garde impériale Shi’ar, Daredevil est un
agent du SHIELD, Tony Stark devient le successeur du Roi Arthur (une suite
de son voyage temporel à cette époque en compagnie de Fatalis) et mène la
Terre vers une ère de paix et de prospérité universelle, Jane Richards meurt
en couches, les Quatre Fantastiques sont des cosmonautes russes (une réponse
à Red Son ?), etc. Notez que certaines possibilités, examinées comme un jeu
de l’esprit, sont par la suite devenues une réalité dans les séries « normales »
de Marvel, puisque par exemple, Spiderman a bel et bien fini par intégrer les
Quatre Fantastiques ! Notez enfin que la série n’avait pas de scrupule à
détourner ses propres codes, puisque dans Daredevil : an 2013, elle fait non
pas de l’uchronie, mais de l’anticipation, imaginant plusieurs décennies plus
tard une Veuve Noire devenue la dirigeante de la Russie et un Foggy Nelson
devenu vice-président des États-Unis.

Quelques auteurs ou œuvres emblématiques : l’uchronie de fiction


est surtout présente en comics / BD, à la télévision et au cinéma (la
dernière trilogie de films Star Trek en est un bon exemple), mais
dans le domaine littéraire, on peut citer Anno Dracula de Kim
Newman.

Uchronie de Fantasy

Dans ce type de roman, l’univers est à la fois uchronique ET il contient


des éléments fantastiques (souvent, c’est d’ailleurs une histoire alternative
parce qu’il contient de la magie, des dragons, des elfes, etc.). Ce qui signifie
donc que malgré leur présence, le livre se passe forcément sur Terre et pas
dans un monde imaginaire (sinon, ce n’est pas une Uchronie mais de la
Fantasy historique –variante Guy Gavriel Kay–, une confusion qu’on voit
passer un nombre effrayant de fois, par exemple pour Les Mémoires de Lady
Trent de Marie Brennan). Notez que si le roman se passe sur Terre, qu’il y a
des éléments fantastiques MAIS que le cours de l’Histoire n’est pas modifié
(ce qui signifie aussi que le livre se passe forcément dans le passé), ce n’est
PAS une Uchronie de Fantasy mais une Fantasy historique (variante classique
par opposition à la variante Kay).

Quelques auteurs ou œuvres emblématiques : Naomi Novik (cycle


Téméraire), Scott Card (Les Chroniques d’Alvin le Faiseur), Randall
Garrett (Lord Darcy), Susanna Clarke (Jonathan Strange & Mr
Norrell), Mercedes Lackey (cycle Elemental Masters).

Dyschronie

Ce terme, forgé par Eric B. Henriet, mêle tout simplement dystopie et


uchronie. En clair, il s’agit d’un monde où les changements historiques liés au
point de divergence ont abouti à une situation de cauchemar de notre point de
vue. L’exemple le plus évident est celui des univers où ce sont les nazis qui
ont vaincu les Alliés lors de la Seconde Guerre mondiale.
Comme pour la dystopie, la dyschronie a souvent pour but de nous alerter
sur tel ou tel péril sociétal, politique, religieux, etc., à la différence près qu’on
ne dit pas « voilà ce qui pourrait vous arriver dans le futur », mais plutôt
« voilà ce qui aurait pu vous arriver ».

Quelques auteurs ou œuvres emblématiques : Le Maître du Haut


Château (Philip K. Dick), SS-GB (Len Deighton), Fatherland (Robert
Harris), Les Îles du soleil (Ian McLeod).

L’Uchronie : à ne pas confondre avec…

… L’Histoire secrète
Il ne faut surtout pas confondre l’Uchronie avec l’Histoire secrète : cette
dernière nous enseigne que nos livres d’histoire sont des mensonges, et que si
les résultats sont bien ceux décrits, les causes, les acteurs et le déroulement
des grands événements historiques ne sont pas du tout ce (et ceux) que nous
croyons. Cependant, le cours de l’Histoire est globalement bel et bien
respecté, il ne diverge pas plus ou moins profondément comme dans une
uchronie historique.

Un bon exemple d’Histoire secrète est la Tétralogie des Origines,


par Stéphane .

… L’Histoire contrefactuelle

Si nous utilisons le terme uchronie, les Anglo-Saxons emploient en


revanche ceux d’Alternate History ou de Counterfactual History. Certains
considèrent cette dernière appellation comme une simple dénomination
alternative, tandis que d’autres y voient la marque d’une différence avec
l’uchronie / l’histoire alternative classique : surtout pratiquée par des
historiens (principalement militaires), l’Histoire contrefactuelle consiste à
examiner un événement (le plus souvent une bataille ou une guerre) et à se
demander ce qui aurait pu se passer si les choses avaient tourné
différemment. Vous êtes probablement en train de vous demander où est la
différence : elle est en fait double. Contrairement à une uchronie, la
Counterfactual History se concentre sur les conséquences à très court terme
de l’événement divergent, il est rare qu’elle se projette sur le long terme. De
plus, par ce biais, elle s’intéresse en fait plus à l’événement historique réel, à
ses tenants et aboutissants, qu’à ses alternatives hypothétiques et uchroniques.
Vous trouverez un excellent exemple d’Histoires contrefactuelles
dans les recueils What if ? 1&2, publiés sous la direction de Robert
Cowley.

… L’uchronie a posteriori

Imaginons qu’aujourd’hui, en 2018, vous écrivez un roman supposé se


passer en 2028. Vous allez y décrire certains changements politiques,
militaires, sociétaux, technologiques, écologiques et géopolitiques, donc faire
des hypothèses. Imaginons maintenant que quelqu’un lise votre livre en 2029,
et que vos hypothèses aient été invalidées et ne correspondent pas à la réalité :
de fait, votre livre, qui était de l’anticipation, est devenu une uchronie du
« vrai 2028 », alors qu’il n’a jamais été conçu comme tel.
Telle est la définition de l’uchronie a posteriori : il s’agit de romans de SF
(voire de politique-fiction) qui, lorsqu’ils sont lus après l’époque qu’ils
décrivent, peuvent être perçus comme des uchronies de fait du monde réel.
Notez que si cela concerne surtout la SF d’anticipation, cela peut aussi
toucher une SF plus classique, qui n’essaye pas forcément de décrire avec
réalisme le monde futur mais qui nous parle d’autre chose : cf., par exemple,
2001 et 2010 d’Arthur C. Clarke, qui nous parlent de Soviétiques au début du
e
siècle.

Le Steampunk
Aaaaah, vous vouliez un trouble-fête, qui brouille toutes les
classifications ? Eh bien, en voilà un, et un beau. Le Steampunk est classé par
certains comme un sous-genre de la Science fantasy, par d’autres comme un
sous-genre de la SF (rétrofuturiste et/ou un dérivé du Cyberpunk), un sous-
genre de l’uchronie, un genre à part entière (c’est notre approche), voire
comme une simple esthétique qui ne permet pas, fondamentalement, de
caractériser le roman ! Bref, plus divers, diffus et confus que ça, ça n’existe
pas.
Bon, tout d’abord, le Steampunk, qu’est-ce que c’est ? Commençons par
décortiquer le terme : il dérive de Cyberpunk, remplaçant du simple fait que
les romans Steampunk se déroulent à l’ère de la vapeur (steam en anglais),
adoptent une esthétique (néo)victorienne et utilisent souvent la vapeur pour
alimenter la technologie mise en jeu. Donc, l’approche basique est d’en faire
un « simple » dérivé du Cyberpunk, à l’ère victorienne (pas forcément en
Angleterre, d’ailleurs, puisqu’un certain nombre de livres se passent en
Amérique) et avec un aspect rétrofuturiste : en clair, des technologies plus
volontiers associées à un futur plus ou moins lointain sont mises au point au
e
siècle, comme des ordinateurs, des robots, des mecha (machines de
guerre anthropomorphes géantes : pensez à Macross / Robotech), et ainsi de
suite. Mais qui dit rétrofuturisme à l’ère victorienne implique un aspect
uchronique : la mise au point (très) en avance de ces technologies fait
forcément de cet univers une uchronie de notre monde réel.
Jusque-là, cela semble plutôt clair, non ? Le souci est que certains auteurs
ont ajouté des éléments de Fantasy (magie) ou d’Horreur au tableau, tandis
que d’autres ont fait du rétrofuturisme à d’autres périodes historiques
(Renaissance –Clockpunk–, entre-deux-guerres –Dieselpunk–, guerre froide
–Atompunk–, etc.), brouillant la distinction entre le fait d’être des dérivés du
Cyber- ou du Steam-punk, que certains autres ont gardé l’esthétique néo-
victorienne en augmentant l’aspect fantasy et en diminuant, voire en évacuant
complètement les aspects rétrofuturistes et/ou uchroniques (Gaslamp
Fantasy), tandis que d’autres encore ont transposé les éléments du Steampunk
qui leur plaisaient dans… un monde imaginaire. Dès lors, il devient très
compliqué de définir le Steampunk, car il recouvre des livres et des mondes
où la magie existe, d’autres où seule la science a force de loi, car il est
considéré à la fois comme un sous-genre du Cyberpunk, dont les Clock-,
Diesel- ou Atom-punk (et d’autres encore) seraient des cousins, et, par
d’autres personnes, comme un genre à part entière dont dérivent les trois
sous-genres que je viens de citer, en bien plus droite ligne que par rapport au
cyberpunk.
Certains ont une approche simplificatrice : pour eux, la caractéristique
primordiale du Steampunk n’est ni le rétrofuturisme, ni l’aspect uchronique,
ni autre chose, mais bel et bien l’esthétique. Dès lors, réduisant ce courant à
cela, ils n’en font, selon l’ingrédient dominant du livre examiné, qu’un ouvrage
de Fantasy ou de SF à esthétique steampunk / néo-victorienne /
rétrofuturiste, point.
Dans le cadre de ce guide, nous considérerons
que le Steampunk peut, selon les cas, mélanger des
éléments si divers (magie, science rétrofuturiste,
uchronie, etc.) qu’il est hors de question de le réduire
à une banale perspective esthétique, et encore moins
à un sous-genre de la SF ou du Cyberpunk. Nous
avons donc décidé d’en faire une des catégories de
base, un genre de plein droit comme la SF, la
Fantasy, le Fantastique, ou, comme nous venons de
le voir, la Science fantasy ou l’Uchronie. Il est
possible, bien entendu, d’être en désaccord avec
cette approche.
Nous n’examinerons pas tout de suite les sous-genres du Steampunk, mais
seulement dans la sixième partie de ce guide, celle qui décrit la phylogénie
des genres en -punk.

Quelques auteurs ou œuvres emblématiques : Les Voies d’Anubis


(Tim Powers), La Machine de Lord Kelvin (James Blaylock), La
Trilogie Steampunk (Paul Di Filippo), La Machine à différences
(William Gibson / Bruce Sterling), Confessions d’un automate
mangeur d’opium (Fabrice Colin / Mathieu Gaborit).

Je m’appelle Jack V., Roger Z., China M. ou Howard Phillips L.,


j’aime bien brouiller les codes, créer le doute, rendre floues
les frontières : mélange des genres, Weird et New Weird
Abordons maintenant certains auteurs qui ont aimé, au cours de leur
carrière, rendre floues les limites entre les genres, briser les barrières, casser
les codes, rendre les frontières perméables. Dans leur œuvre, ils mélangent
une esthétique, des éléments distinctifs (normalement) ou des codes de la
Fantasy et de la SF, ou bien passent, dans leur carrière, allègrement de l’une à
l’autre. Un exemple emblématique de ce type d’écrivain est bien entendu Jack
Vance, dont certaines œuvres sont de la pure Fantasy, d’autres de la pure SF,
et certaines enfin (le cycle de la Terre mourante) mêlent les deux dans de la
Science fantasy.
Il faut aussi parler de Roger Zelazny, fameux casseur de codes s’il en est,
dont certaines des œuvres les plus connues oscillent entre SF et Fantasy. Dans
L’Île des morts, par exemple, l’origine des pouvoirs employés par le
protagoniste ou l’antagoniste est double, l’auteur proposant à la fois une
explication technologique et autorisant une seconde interprétation, de nature
surnaturelle.
Certains livres relèvent même d’un genre hybride, qui mélange des tropes
surnaturels, mythiques, horrifiques et scientifiques en un seul genre appelé
e
Weird, apparu à la fin du siècle, très présent jusqu’aux années cinquante,
et dont les plus éminents représentants sont sans nul doute Howard Phillips
Lovecraft (qui aurait repris le terme jadis employé par Sheridan Le Fanu) et
Clark Smith. C’est lui qui a donné son nom au légendaire pulp (magazine
imprimé sur du papier de mauvaise qualité) Weird Tales. Si la recette
(mélange de codes) peut paraître similaire à celle de la Science fantasy, les
livres issus de ces deux genres n’ont en fait rien à voir, les univers et les
ambiances étant radicalement différents et impossibles à confondre.
Le genre refait surface à partir de la fin des années quatre-vingt, sous le
nom de New Weird, mêlant les codes de la SF, de la Fantasy, voire de
l’Horreur, là encore d’une manière entièrement différente par rapport à la
Science fantasy. Les trois auteurs les plus caractéristiques de ce renouveau
sont sans nul doute China Miéville, Thomas Ligotti et Jeff VanderMeer.

Conceptions venues d’ailleurs : absence de Fantastique, Urban


Fantasy, Low Fantasy et Réalisme Magique
Par rapport à la vision très claire séparant SF, Fantasy et Fantastique, la
confusion peut venir non seulement, comme nous venons de le voir, de genres
hybrides, d’auteurs brouillant intentionnellement les lignes, mais aussi de
conceptions différentes, entre diverses sphères culturelles, de la nature, voire
de l’existence même de certains genres. Précédemment, nous avons par
exemple vu que la notion de Fantastique était purement française, et n’existait
pas dans la sphère littéraire anglo-saxonne. Mais attention, l’inverse est
également vrai : le vide laissé par cette importante subdivision des littératures
de genre est comblé, ailleurs qu’en France, par des genres qui n’existent pas
ou ne sont pas du tout connus du grand public chez nous, mais qui, pourtant,
ont une certaine importance ailleurs. De plus, certains genres, comme l’Urban
Fantasy, existent, sont connus et très populaires chez nous, sans que les gens
ne se rendent forcément compte qu’ils occupent une niche qui devrait en fait
relever d’autre chose, notamment le Fantastique.

Urban Fantasy : une définition finalement très proche… du Fantastique


À l’origine, Urban Fantasy désignait des livres de Fantasy à cadre urbain.
Qui se passaient donc dans une ville, y compris dans un monde complètement
imaginaire. Et c’était tout. Sauf que cette définition a évolué : elle a ensuite
désigné des livres comprenant, certes, des éléments surnaturels, mais qui se
déroulaient dans le monde réel, par opposition à la High Fantasy, dont UNE
(et nous insistons là-dessus) des définitions est qu’elle se déroule forcément
dans un monde imaginaire.
L’élément urbain est capital, car dans l’esprit du
lecteur de la période précédant l’émergence de
l’Urban Fantasy, les créatures surnaturelles ne
pouvaient se concevoir qu’en dehors d’une ville, en
pleine forêt, dans les collines ou les montagnes, et en
e
tout cas en dehors de la période moderne (du au
e
siècle, en gros). Les auteurs qui ont fait débouler
le surnaturel, sortilèges et créatures, dans nos
métropoles contemporaines, dans notre
environnement cartésien, ont alors été acclamés pour
leur coup de génie.
Voici donc la conception actuelle d’une partie des livres de ce sous-
genre : dans le monde moderne, le protagoniste, monsieur ou mademoiselle
tout-le-monde, est brusquement confronté à un changement complet de
paradigme, à une irruption dans son monde régi par la science et le rationnel
de créatures féeriques ou mythologiques, à la découverte d’un autre monde,
régi par l’irrationnel, juste sous la surface du sien (Neverwhere).
Ça ne vous rappelle rien ? Eh oui, c’est du Fantastique. Voire, pour les
contextes de futur très proche, de la Science fantasy ! Sans compter toutes les
fois où ça relève de la Portal Fantasy (pensez à Alice au pays des merveilles,
Narnia, L’Appel de Mordant, etc.) ou de l’uchronie de Fantasy et où il n’y
avait vraiment aucun besoin de créer un nouveau sous-genre.
Attention toutefois, certains autres livres d’Urban Fantasy mettent en
scène des agents des forces de l’ordre (au sens très large) connaissant les
créatures surnaturelles qui se cachent dans notre monde (ce qui n’est pas le
cas des habitants « normaux » de leur pays, qui vivent dans une illusion de
rationalité), voire qui sont eux-mêmes issus de pareilles entités (demi-
vampire, etc.), et dont le métier consiste à les traquer, les détruire, cacher ou
canaliser leurs activités aux yeux du grand public. Ils ne relèvent donc pas du
Fantastique, puisque le protagoniste connaît l’existence du surnaturel et ne
subit donc pas de changement choquant / terrifiant de vision du monde
lorsqu’il est mis en sa présence.
Mais il n’en reste pas moins qu’une partie des livres d’Urban Fantasy
devraient en fait être reclassés en Fantastique, car ils relèvent plus des codes
de ce genre que de ceux de la Fantasy proprement dite. Sauf si on prend en
compte le fait qu’en Urban Fantasy, la réaction du type lambda à la révélation
de l’existence du surnaturel n’est pas forcément la peur / le rejet /
l’incompréhension (pas sur le long terme, en tout cas).

Low Fantasy
Vous trouvez que la définition de l’Urban Fantasy présente de troublantes
ressemblances avec des genres ou sous-genres existants (ce qui rend donc la
pertinence de la création ou de la conservation d’un sous-genre de plus
douteuse) ? Attendez de voir celle de la Low Fantasy. Ou plutôt (une fois de
plus, hélas), une des définitions de ce sous-genre. Car il existe différentes
conceptions de ce que la Low est (ou pas), et surtout à quoi elle s’oppose.
Nous développerons plus loin, mais ce que vous pouvez retenir dès à
présent est que selon la conception / définition, la Low Fantasy présente en
fait de nettes ressemblances avec la Portal Fantasy, voire avec… le
Fantastique ! Dès lors, employer un terme, un sous-genre de plus, est idiot
dans la plupart des cas, car ça n’apporte rien et ne fait que créer plus de
confusion.

Réalisme magique
Le réalisme magique (sous-genre surtout présent dans la littérature sud-
américaine –on citera Cent ans de solitude de Garcia Marquez– mais dont
relèvent aussi les tristement célèbres Versets sataniques de Salman Rushdie. Si
vous voulez quelque chose de plus léger –dans tous les sens du terme–, on
vous conseillera de vous tourner, chez nous, vers Ce qui nous lie de Samantha
Bailly) associe des éléments magiques ou surnaturels à un monde qui est, par
ailleurs, réaliste et banal. Il ne s’agit pas d’inventer un nouveau monde
imaginaire, mais de révéler les éléments magiques du nôtre. Les éléments
fantastiques ne sont pas expliqués, le narrateur leur est indifférent, ils ne le
choquent pas, il les accepte comme un phénomène banal. Et surtout, ces
livres sont écrits dans un style qui doit faire clairement ressortir le fait que les
événements magiques sont naturels, que rien d’extra-ordinaire n’a eu lieu, ce
qui a pour but de conduire le lecteur à accepter le « merveilleux » comme
quelque chose de normal, à considérer le surnaturel à l’égal du naturel.
Nombreux sont les auteurs anglo-saxons à avoir pointé du doigt le fait que
tout cela relevait tout simplement de la Fantasy, écrite par des gens
s’exprimant en espagnol (le plus souvent) plutôt que dans une autre langue.
D’autres ne sont pas d’accord, pointant notamment la banalisation des
phénomènes surnaturels comme une différence majeure avec le Fantastique,
ou ce que les Anglo-Saxons appellent de la « Fantasy », mais qui correspond
en réalité à notre conception française du Fantastique. En effet, le Fantastique
insiste sur le caractère profondément choquant, hors paradigme, de l’irruption
des éléments surnaturels dans la vie réelle moderne, alors qu’au contraire, le
Réalisme magique met sur le même plan phénomènes naturels et surnaturels,
les banalise, les intègre au paradigme.
Autre différence majeure : une des définitions du Fantastique repose sur
le doute introduit dans la tête du lecteur / narrateur / protagoniste concernant
le caractère surnaturel ou naturel (cause rationnelle mais inconnue, folie du
narrateur, etc.) de l’événement décrit. Dans le réalisme magique, le doute
n’existe pas : le surnaturel est aussi valable et incontestable que le réel.
Au final, alors que des trois genres (Urban Fantasy et Low Fantasy,
Magical realism), le Réalisme magique est le moins connu (en France, du
moins), c’est pourtant celui qui brouille le moins les cartes, même si par
certains côtés, il se rapproche de la Low Fantasy et fait donc double-emploi
avec elle, et même s’il vient compliquer le schéma jusqu’ici très simple
Fantasy / SF / Fantastique.

Monde imaginaire ou monde réel : une des conceptions pour


définir Fantastique, Fantasy, Low Fantasy et High Fantasy
Il existe de nombreuses approches pour définir si un texte appartient au
Fantastique ou à la Fantasy, à la Low- ou à la High- Fantasy : dans le premier
cas, on utilise en général le fait que le surnaturel soit habituel ou non dans
l’univers du roman, dans le second on examine soit les enjeux et
positionnements moraux, soit le degré de surnaturel dans l’univers.
Cependant, il existe une autre méthode d’analyse et de classification, adoptée
par certains (mais que nous trouvons trop prompte à générer des erreurs et
beaucoup trop imprécise et restrictive), autre méthode qui consiste tout
simplement à examiner si l’histoire se déroule dans le monde réel ou un
monde imaginaire (dit « monde secondaire »).
En effet, dans cette conception, toute histoire qui se passe dans le
monde réel est forcément du fantastique, tandis que toute histoire qui se passe
dans un monde imaginaire est obligatoirement de la Fantasy. Une perspective
connexe veut aussi qu’un monde imaginaire signe indubitablement une High
Fantasy, tandis que si le lieu de l’action est le monde réel, c’est presque à coup
sûr de la Low Fantasy (il existe une variante de la Low Fantasy où des
événements surnaturels se produisent soudain dans un monde qui n’est pas la
Terre, mais qui fonctionnait jusqu’ici avec des lois de la nature similaires à
celles de notre univers).
Belle conception, seulement il ne va pas falloir la laisser longtemps
dehors, sinon elle va s’abîmer… En effet, du point de vue des protagonistes
(Ron, etc.), la partie magique du monde d’Harry Potter n’a rien de choquant,
le fait qu’un univers surnaturel coexiste avec l’Angleterre moderne n’a rien
d’un changement de paradigme, c’est un fait connu et établi. La partie
« découverte » n’a lieu qu’au tout début du premier livre / film, mais jamais
Harry n’est effrayé, ne rejette tout en bloc en disant que c’est impossible, et il
ne devient pas fou comme un protagoniste lovecraftien. Bref, c’est
évidemment à de la Fantasy que nous avons affaire (selon les définitions, à de
la Low ou Urban Fantasy). Pourtant, selon la conception précédemment
décrite, l’histoire se déroulant dans l’Angleterre moderne, ça devrait
forcément être du Fantastique. On voit donc que baser la classification sur un
seul critère est beaucoup trop restrictif et entraîne, de fait, de grosses erreurs.
Les définitions de la Low Fantasy sont multiples : l’une d’elles (une
approche plutôt anglo-saxonne) place la distinction entre Low et High Fantasy
dans le caractère réel / rationnel ou imaginaire / doté de lois différentes de
l’univers. Pourtant, là aussi, cette caractéristique est imprécise. Une autre
définition du même terme place, elle, l’importance des éléments surnaturels
(créatures, magie, etc.) au cœur de la distinction entre les deux sous-genres :
s’il y en a beaucoup, c’est de la High, s’il y en a peu, c’est de la Low. Dans les
deux cas, on peut trouver des contre-exemples flagrants : Harry Potter, par
exemple, est classé dans la Low Fantasy, alors que très honnêtement, cet
univers est rempli d’éléments surnaturels jusqu’à la gueule. De plus, dans
certains romans classés Low, le degré de surnaturel est tellement bas que le
lecteur peut légitimement se demander ce qui relève vraiment du surnaturel et
ce qui relève plutôt de la folie du protagoniste / narrateur. Ambiguïté qui,
dans une certaine conception française, signe non pas de la Fantasy (même
Low) mais… du Fantastique.
Enfin, on peut déplorer une troisième conception, qui définit la Low
Fantasy comme toute œuvre où le monde réel communique avec un monde
imaginaire (à la condition qu’aucun des deux mondes ne connaisse l’existence
de l’autre) : en réalité, une telle approche correspond fortement à… de la
Portal Fantasy ! Dès lors, pourquoi multiplier les termes et les sous-genres ?

Une petite synthèse


Comme nous venons de le voir, selon la définition de tel ou tel genre ou
sous-genre que vous décidez d’adopter, selon votre conception personnelle,
selon le fait que vous acceptiez que telle ou telle étiquette est un sous-genre
ou un genre à part entière, le tableau, jusqu’ici simple, classant les littératures
de l’imaginaire en trois grands genres, la SF, la Fantasy et le Fantastique
(dans la conception française), peut singulièrement se compliquer.
Vous pouvez vous retrouver, comme sur Le culte d’Apophis par exemple,
avec un nouveau jeu de genres, qui associe, sur le même plan, aux classiques
Science-Fiction, Fantasy et Fantastique, l’uchronie, la science fantasy et le
steampunk, voire d’autres encore (le Weird / New Weird, par exemple).
Maintenant, ce n’est qu’une approche parmi d’autres, et par souci de
simplicité, vous pouvez très bien continuer avec le trio Science-
Fiction/Fantasy/Fantastique, classant les livres selon le genre dominant, selon
la méthode du chat ou une autre.
À l’usage, il apparaît tout à fait possible, pour ne pas dire pratique, de
classer un roman dans plusieurs sous-genres, car finalement rares sont
désormais les textes qui ne relèvent très clairement que d’un seul d’entre eux.

Sous-genre ou simple étiquette marketing ?


Fantasy politique, de crapules, militaire, Grimdark, Bit-Lit, Young
Adult… Qu’est-ce qui, là-dedans, relève réellement d’un sous-genre établi et
non d’une simple étiquette marketing, qu’elle soit propre à un seul éditeur ou
utilisée par les acteurs majeurs de l’édition, qu’elle soit anglo-saxonne ou
française ? Qu’est-ce qui différencie un livre classé dans un sous-genre d’un
autre juste affublé d’une étiquette ?

Bit-Lit, Young Adult et Grimdark : étiquettes, sous-genres, catégories de


livres ?
Bit-Lit

Vous connaissez probablement tous le terme de


Bit-Lit (bit pour « to bite », mordre, et lit pour
littérature), regroupant des livres qu’en d’autres
temps on aurait classés dans l’Urban Fantasy, la
Paranormal Romance ou la Chick-Lit (ces termes
seront expliqués dans une autre partie de ce guide).
Réputé être une invention de Bragelonne (et déposé
par cette maison), ledit terme est, pour certains, une
simple étiquette marketing, tandis que pour d’autres,
il s’agit d’un vrai sous-genre à l’égal de ceux que je
viens de citer. Cette dernière position pose quelques problèmes, vu qu’un
sous-genre doit être clairement défini par un ensemble de codes ou
d’éléments qui le signent, conditions nécessaires, voire suffisantes, pour
facilement distinguer les textes qui en relèvent (même si, à part quelques
incompatibilités absolues, la plupart des romans récents relèvent en fait d’un
mélange de plusieurs d’entre eux). Or qu’est-ce qui définirait la Bit-Lit d’une
façon tellement nette qu’elle serait clairement distincte de l’Urban Fantasy ou
(surtout) de la Paranormal Romance ? Pas grand-chose. Déjà que ces sous-
genres sont eux-mêmes parfois très flous (au niveau de leurs limites ou de
leur légitimité à exister par rapport à d’autres sous-genres, voire genres à part
entière comme le Fantastique, avec qui ils ont parfois des points communs),
vouloir distinguer la Bit-Lit par rapport à eux paraît assez illusoire ou futile.
Oh, il y a bien quelques vagues tentatives allant dans ce sens : la romance
ne serait pas systématiquement présente dans la Bit-Lit, au contraire de la
Paranormal Romance. La Bit-Lit ne serait pas uniquement destinée aux
femmes (comme la chick-lit), mais aussi aux hommes, et pas d’avantage aux
adolescents, ce qui la distinguerait du Young Adult. Vous remarquerez donc
que tout ceci nous révèle ce qu’elle n’est pas… forcément…, mais pas ce
qu’elle est, ce qui la différencie à coup sûr de ses sous-genres parents. Bref,
voilà qui paraît extrêmement maigre pour en faire un sous-genre à part
entière. Il est, par exemple, assez facile de distinguer la Paranormal Romance
(PR) de l’Urban Fantasy : dans la première, comme le nom l’indique, la
romance est forcément présente, alors que dans la seconde, elle peut l’être
(dans 50 % des cas, environ)… ou pas. En revanche, dans la PR, la sous-
intrigue amoureuse sera au centre de l’intrigue principale, ce qui ne sera (a
priori) pas le cas dans l’Urban Fantasy de base. De même, il est impossible
d’appliquer une grille de codes similaire à celle qui permet de distinguer la
High Fantasy de la Dark Fantasy, par exemple : quel est le code ou l’élément
qui définirait la Bit-Lit, qui la distinguerait de tout autre sous-genre ? Les
crocs (vampires, loups-garous, etc.) ? Non, il y en a ailleurs. La romance ?
Nous venons de voir que non. Autre chose ? Pas vraiment, là encore.
Bref, que recouvre réellement le terme Bit-Lit ? Pas un sous-genre
respectant à la lettre les codes taxonomiques dégagés dans ce guide, mais
plutôt une manière facile, pour Bragelonne, de dire au public, en plein boom
de Twilight, Anita Blake ou La Communauté du Sud / True Blood : « Vous
cherchez un bouquin ressemblant à ces références, avec des vampires, de la
romance, une héroïne, se passant dans notre monde contemporain ? Cherchez
l’étiquette Bit-Lit, c’est moins long et moins abscons que Paranormal Urban
Fantasy Romance. » Et ça a parfaitement rempli son office !
Maintenant, si sur un strict plan taxonomique, la Bit-Lit n’a rien ou
presque d’un sous-genre légitime, il en est, de fait, devenu un dans les rayons
des libraires ou des bibliothèques, qui ne s’embarrassent guère, le plus
souvent, à faire des rayons séparés Urban / PR / Bit-Lit, et mélangent
allègrement le tout dans un rayon unique, souvent appelé Bit-Lit, terme qui
est maintenant plus connu du lecteur de Fantasy lambda qu’Urban Fantasy ou
pire, Paranormal Romance.

Grimdark

Le Grimdark (ou Grim & Gritty / Gritty Fantasy) pose tout autant de
problèmes. À la base, il s’agit d’une littérature de l’imaginaire plus réaliste
(sur un plan psychologique mais aussi narratif, ne vous épargnant ni le sang,
ni le foutre, ni la merde –nous employons à dessein un niveau de langage en
phase avec ce style de romans), moins manichéenne, plus ambivalente, plus
violente, nihiliste et explicite. Le terme viendrait d’un slogan appliqué au jeu
Warhammer 40 000 (souvent abrégé W40K), puis à des œuvres comme celles
de G.R.R. Martin, Glen Cook, Joe , Richard Morgan, Steven Erikson, Mark
Lawrence, etc.
Vous remarquerez deux choses : d’abord, alors qu’on a volontiers
tendance à l’associer à la Fantasy, il peut aussi bien être appliqué à des œuvres
de SF (Richard Morgan et son Carbone modifié) ou de Science fantasy
(W40K) ; ensuite, vous remarquerez aussi que sur le volet Fantasy
proprement dit, il est exclusif ou quasiment de 1/ la Dark Fantasy et 2/
publiée à partir des années 90, en gros. Alors que certains experts pensent
que le Grimdark est un sous-genre apparenté à la Dark Fantasy (définie selon
des codes qui n’ont plus de réelle pertinence depuis longtemps, et ramenant
en gros à Lovecraft et une Fantasy d’ambiance et d’horreur), la réalité est
probablement beaucoup plus simple : le Grimdark est la Dark Fantasy anti-
tolkienienne publiée depuis 1985, ou quasiment. Ce qui en ferait donc
directement un sous-genre de la Fantasy. La Dark Fantasy a vu ses codes
d’origine remplacés, réécrits ou supplémentés par ceux du Grimdark, qui
n’existe donc pas en tant que sous-genre issu de la Dark Fantasy (DF) et
séparé d’elle. Du moins, en première approximation.
Car lorsqu’on y regarde de plus près, on s’aperçoit que le Grimdark et ses
codes peuvent s’appliquer à bien autre chose que la DF, et qu’il s’agirait donc
plus d’un ton que d’un sous-genre, d’une surcouche explicite / violente /
réaliste qui viendrait s’ajouter par-dessus les codes d’un autre genre. Nous en
avons eu un très bon exemple récent, avec la sortie de Godblind, (médiocre)
roman appartenant à la High Fantasy, mais utilisant des oripeaux (et une
étiquette marketing) Grimdark. Car c’est de cela dont il pourrait bien s’agir :
une simple appellation marketing, essentiellement destinée au (jeune) lecteur
masculin (ou à celui lassé de la guimauve High Fantasy), lui promettant des
combats violents à répétition et du sexe explicite. Recette qui, comme le
prouve le succès du Trône de fer, fonctionne très bien.
Au final, la nature exacte de ce que recouvre le terme n’est pas
définitivement tranchée : que ce soit l’appartenance de tel ou tel auteur à ce
sous-genre ou même la pertinence de le désigner comme tel et pas comme
simple vocable marketing, rien ne fait consensus. Notre approche est hybride,
reconnaissant le Grimdark comme la nouvelle incarnation post-1985 de la
Dark Fantasy (et d’une certaine SF ou Science fantasy, d’ailleurs), mais
acceptant le fait que certains de ses codes puissent (rarement) s’ajouter à ceux
d’autres sous-genres. Y compris à ceux de la High Fantasy, alors que le
Grimdark a spécifiquement été conçu pour être l’antithèse de la Fantasy
tolkienienne, incontournable en High Fantasy.

Young Adult

Young Adult, New Adult, réelles nouvelles catégories de livres ou


étiquettes marketing ? Clairement la seconde solution. Si un adulte lit un
roman relevant des littératures de l’imaginaire estampillé Young Adult, il sait
qu’il devra forcément être moins exigeant sur certains points, comme le ton,
la solidité de l’univers ou de la psychologie des personnages, la complexité de
l’intrigue, voire même le niveau d’écriture. Nous n’affirmons pas que
l’ensemble de ces points est bancal dans un roman Young Adult, il y en a
même quelques-uns qui sont très solides sur certains d’entre eux, mais
clairement, le niveau ne saurait être le même qu’avec une littérature purement
conçue pour l’adulte. Car telle est la caractéristique essentielle de l’imaginaire
Young Adult : il essaye de plaire à deux ou trois types de publics à la fois, du
pré- au grand adolescent en passant par le plus de 18 ans, qui a forcément
davantage de vécu littéraire et des attentes plus élevées, sauf s’il cherche un
livre « détente » entre deux lectures plus exigeantes.
On regrettera ce flou, parfois savamment entretenu.

Fantasy politique, Fantasy militaire, Fantasy de crapules :


sous-genres ou tons / thématiques ?
A priori, ces trois formes de Fantasy sont des sous-genres à part entière,
mais il est légitime de se demander si, comme pour le Grimdark, ces trois
styles ne sont pas plus des tons, des ambiances ou des thématiques ajoutés
par-dessus les codes d’un sous-genre de Fantasy qui fait, lui, l’unanimité, la
Dark Fantasy le plus souvent. Exemples et contre-exemples peuvent servir à
appuyer les deux thèses : toute Fantasy politique n’est pas forcément de la
Dark Fantasy, et encore moins du Grimdark (cf., par exemple, La Trilogie de
l’Empire de Feist / Wurts ou le diptyque Les Chevaux célestes / Le Fleuve
céleste de Guy Gavriel Kay), on peut théoriquement envisager une Fantasy
militaire très « héroïque » ne mettant pas l’accent sur la violence et le
réalisme cru, et on pourrait, dans la même veine, imaginer une Fantasy de
crapules adoptant plus un ton très Cartouche / cape et d’épée que sanglant et
sombre. Même si, il faut bien le dire, ces trois sous-genres s’inscrivent le plus
souvent, dans celui, plus large, de la Dark Fantasy.
Au fond, ces thématiques sont suffisamment distinctives pour éviter de se
contenter d’une simple surcouche ou étiquette par-dessus de la Dark Fantasy
(ou un autre genre), et elles méritent donc une vraie classification de sous-
genre en bonne et due forme.

Sous-genre ou étiquette marketing : comment les


différencier ? Qui décide ?
Comment différencier un « vrai » sous-genre d’une pure étiquette
marketing ? Sur quels critères ? Qui décide ? Nous avons déjà répondu à la
première question dans ce qui précède : il faut qu’un sous-genre potentiel ait
suffisamment de caractères distinctifs, de codes, le séparant de son sous-
genre ou genre parent pour être considéré comme une nouvelle subdivision
taxonomique à part entière. Après, tout est question d’utilisation et de
reconnaissance internationale de ladite catégorie : en France, on emploie des
termes ou classifications comme Bit-Lit ou Fantastique, qui n’ont pas de
réelle existence dans le monde anglo-saxon. Et comme nous l’avons vu, le
terme « Grimdark », et ce qu’il recouvre, ne fait pas lui non plus l’unanimité.
Potentiellement, n’importe qui peut inventer un nouveau sous-genre dans son
coin : Dionysos du blog Le Bibliocosme a, un beau jour, forgé celui de Water
Opera à propos d’une sorte de Space ou Planet Opera sous-marin. On
retrouve depuis l’étiquette sur Le culte d’Apophis. Ainsi, si épidémie il y a,
elle a commencé depuis la France…
TROISIÈME PARTIE
Sous-genres majeurs
de la Fantasy

Dans cette troisième partie, nous allons parler des sous-genres majeurs de
la Fantasy. D’abord, entendons-nous bien sur le terme : par majeur, il faut
comprendre ayant une grande importance dans l’histoire de la Fantasy et/ou
renfermant un très grand nombre de romans et/ou comprenant des œuvres
universellement reconnues comme importantes dans l’histoire du genre. La
cinquième partie, elle, parlera des sous-genres mineurs (d’une sélection
d’entre eux, du moins), qui sont ceux qui ne remplissent pas ou pas encore ces
critères, ce qui n’enlève rien à leur intérêt potentiel. Par exemple, la Flintlock
/ Gunpowder Fantasy est actuellement un sous-genre (mineur) qui ne saurait
être comparé à la High Fantasy (sous-genre majeur). La Gunpowder Fantasy
gomme de façon innovante et agréable les défauts du Médiéval-Fantastique, et
est en plein essor depuis quelques années, probablement destinée, tout comme
l’ensemble de la Fantasy postmédiévale, à établir de nouveaux standards et, à
terme, à devenir un genre très prolifique.
Nous allons examiner les sous-genres suivants :

Heroic Fantasy et Sword & Sorcery.

High Fantasy.

Dark Fantasy.

Urban Fantasy.
Portal / Crossworlds Fantasy.

Fantasy politique.

Fantasy militaire.

Ces entrées sont à lire dans l’ordre, tant certains genres ont été créés en
réaction à un autre et en constituent de quasi-antithèses.
Un dernier mot : il est très important de comprendre que certains sous-
genres ont de tels points communs avec d’autres que les distinctions entre eux
sont parfois difficiles (voire peu pertinentes) à établir, et également que
certains romans ou cycles emblématiques sont représentatifs (c’est-à-dire
qu’ils ne se contentent pas d’en relever marginalement, mais qu’ils sont pris
comme exemples pour illustrer ce que sont ces sous-genres) de plusieurs sous-
genres à la fois. Enfin, soyez conscients que les définitions de certains sous-
genres (particulièrement la High Fantasy) sont multiples et que certains choix
ont dû être faits.

Heroic Fantasy et Sword & Sorcery


À une lointaine époque, l’équation était, à peu de choses près, la suivante :
Heroic Fantasy = Fantasy tout court. Point. Mais ces temps de grande
aventure sont désormais lointains. Alors que pendant longtemps ce sous-genre
a tout simplement été le genre lui-même, il se voit désormais relégué au rang
de fossile vivant par de nouvelles variantes plus abouties et dynamiques. La
psychologie typiquement simple et stéréotypée du héros a notamment été un
handicap pour satisfaire des lecteurs en demandant désormais davantage sur
ce plan. Pourtant, même s’il a été ringardisé (sa variante Sword & Sorcery est
devenue, pour certains, un synonyme de roman de maigre qualité destiné à
des lecteurs peu exigeants), si son aura a diminué, il continue, encore
aujourd’hui, à produire des œuvres majeures, dans le sillage d’un renouveau
impulsé par David Gemmell et quelques autres.
Comme son nom l’indique, cette Fantasy est centrée sur un héros, donc
quelqu’un que ses capacités (en général martiales, physiques, mais parfois, au
contraire, magiques : Elric est, sur le plan du physique, une magnifique
antithèse à Fafhrd ou Conan) et/ou sa destinée placent nettement au-dessus
du commun des mortels. De plus, ce personnage, le plus souvent solitaire,
n’est motivé que par ses propres désirs et intérêts, combat à la recherche d’or,
d’aventure ou pour assouvir un quelconque désir personnel (vengeance,
devenir roi de ses propres mains, etc.). Voilà donc un point capital qui permet
d’établir une différence avec la High Fantasy, qui met plutôt en jeu un
groupe, une compagnie, une fraternité, ainsi que des gens qui se battent de
façon altruiste pour sauver le royaume / le monde. Dans l’Heroic Fantasy,
l’enjeu d’une intrigue est personnel, terre-à-terre ; en High Fantasy, il dépasse
les simples désirs d’une personne, il dépasse même la petite personne du
héros pour être global, à l’échelle du pays, du monde, voire du cosmos ou du
multivers.
Loin d’être une figure presque christique par sa pureté, son altruisme et
son abnégation à faire triompher le bien et la justice comme le personnage
principal en High Fantasy, le protagoniste d’Heroic Fantasy ne se fie à rien, ni
aux hommes, ni aux femmes, ni aux bêtes. Seules la force de son bras et la
solidité de l’acier (ou du bronze, pour certains) de son épée sont ses repères.
Inutile, donc, de dire qu’on est très, très loin de la Fantasy féérico-
merveilleuse arthurienne très populaire en France : la violence est un élément
omniprésent, incontournable de ces récits, qui sont un culte à la force,
l’agressivité, la virilité, la science des armes, une ode au carnage, un autel à la
gloire de la destruction (d’où, d’ailleurs, le fait qu’ils soient présentés, souvent
complètement à tort, comme des livres bourrins, pour lecteurs au front bas, et
« sans intérêt »). Le héros manie sans effort d’énormes épées bâtardes ou
haches (les armes à distance sont souvent quasiment bannies de ces récits, le
combat ne peut se concevoir que les yeux dans les yeux), tuant d’un seul
revers de sa lame plusieurs hommes. Certains, comme Hadon d’Opar, sont
l’équivalent d’un vice-champion olympique de pentathlon. En gros, ils
frappent comme Mike Tyson, courent comme Usain Bolt, sautent comme
Carl Lewis ou Renaud Lavillenie et nagent comme Michael Phelps. Sans
parler de l’attrait irrésistible (et des « performances »…) qu’ils exercent sur
des femmes hautement lascives, d’avance conquises et toujours soumises (ou,
au contraire, des « tigresses » à « dompter »).
Le personnage principal, donc, est la clef en Heroic Fantasy : il est
souvent immensément plus important dans l’intrigue et plus développé que les
personnages secondaires, voire que le monde dans lequel se déroulent ses
aventures. Il n’est jamais embringué dans une grande compagnie type
Fraternité de l’Anneau, mais voyage et combat plutôt seul ou à la rigueur avec
un fidèle compagnon de longue date, une véritable âme sœur parfois (Le
Souricier Gris pour le Fafhrd de Fritz Leiber ou Spellbinder pour Raven chez
Robert Holdstock, par exemple). Les personnages féminins sont typiquement
des ectoplasmes ou des stéréotypes (la princesse en détresse, la jeune femme
au corps de déesse vêtue d’un bikini en cotte de mailles), sauf dans de rares
cas où certains écrivains en font, au contraire… l’héroïne du récit ! ( de chez
C.L. Moore, Raven). Le peu de psychologie que possède le protagoniste
d’Heroic Fantasy est souvent (mais pas toujours) complètement stéréotypé.
Le monde, donc, n’est le plus souvent pas aussi développé que dans les
grands cycles de High Fantasy : pas d’historique s’étendant sur des milliers
d’années, pas de poèmes, de chansons, pas de langues créées pour l’occasion,
très peu de présence de races non humaines, etc. Dans un grand nombre de
cas (Conan, Kane, Hadon d’Opar), les univers d’Heroic Fantasy
correspondent à une époque lointaine (10 à 15 000 ans avant notre ère, en
gros) et hautement méconnue (comprenez : fictive) de l’histoire de la Terre
(au passage, remarquez que c’est aussi le cas pour le cycle le plus
emblématique de la High Fantasy, Le Seigneur des anneaux), même si les
univers complètement imaginaires existent aussi (Elric, Le Cycle des épées).
Quoi qu’il en soit, il s’agit de mondes sauvages, virils, où le vent à l’odeur du
sang, parcourus par des bêtes sauvages, des dinosaures ou des monstres
mutants, où despotes, usurpateurs, vils sorciers, seigneurs de la guerre et
brigands règnent en maîtres.
La différence entre Heroic Fantasy (HF) et Sword & (S&S) n’est pas
toujours aisée à établir, et certains ne tentent même pas de le faire,
considérant qu’il ne s’agit que de différentes facettes de la même gemme ou
de termes équivalents désignant le même type de romans. Certains cycles
majeurs sont d’ailleurs présentés comme emblématiques à la fois de la HF et
de la S&S, comme celui de Conan par exemple.
Malgré tout, on peut remarquer que l’Heroic Fantasy met l’accent sur les
prouesses purement martiales, tandis que la Sword & Sorcery implique plutôt
un bretteur-magicien ou bien un pur épéiste combattant spécifiquement des
menaces de nature surnaturelle (sorciers, démons, etc.). Dans ce dernier sous-
genre, les antihéros sont la règle (Kane, Fafhrd, Le Souricier Gris),
l’ambiguïté morale est bien plus prononcée (le combat du bien contre le mal
existe, mais il y a moins d’absolus qu’en Heroic ou en High Fantasy). Enfin, la
S&S mêle parfois des éléments de Science fantasy (le cycle de Kane, une fois
encore) ou de Fantastique (idem, avec l’inclusion de puissants éléments
Lovecraftiens) qui n’existent normalement pas en HF, et est nettement plus
sombre que cette dernière. En exagérant à peine, on pourrait presque dire que
la S&S est de la « Dark Heroic Fantasy » ou de « l’Antiheroic Fantasy ».
Dans tous les cas, la magie est rare, mystérieuse, réservée à une élite, et
en général (mais pas toujours) maléfique (particulièrement en S&S).

En résumé, l’Heroic Fantasy, c’est :

Un protagoniste solitaire (ou à la rigueur doté d’un fidèle compagnon).


Qui combat pour satisfaire ses propres désirs et pas sauver le monde.

En général caractérisé par des valeurs ou comportements « négatifs »,


comme l’égoïsme ou la violence, sans pour autant être clairement
dévoué au Mal.

Au-dessus du commun des mortels, en termes de naissance, de destinée


ou (surtout) de capacités, essentiellement martiales et physiques.

Auteurs, cycles et livres emblématiques du genre (listes


évidemment non exhaustives) :

Sword & Sorcery : Clark Ashton Smith, Fritz Leiber (Lankhmar),


Michael Moorcock (Elric), L. Sprague de Camp, Robert E.
Howard, Karl Edward (Kane).

Heroic Fantasy : Robert E. Howard, David Gemmell, Lin Carter,


Philip José Farmer (Opar), C.L Moore, Robert Holdstock
(Raven).

High Fantasy
La High Fantasy, ou Fantasy épique (bien que certains établissent des
différences entre les deux termes, voire considèrent, en utilisant une
définition différente, que l’Heroic Fantasy est aussi de la Fantasy épique), est
l’exact opposé de l’Heroic Fantasy : là où cette dernière mettait en jeu un
héros solitaire, ou une petite bande, qui ne poursuivait que ses propres buts
égoïstes ne mettant pas en jeu le sort du monde, et où le héros n’était
moralement pas tout net et en tout cas pas un modèle à suivre, la High
Fantasy explose tous les compteurs, avec une
intrigue aux dimensions presque mythiques, mettant
en jeu le sort du monde, de l’univers, voire du
multivers, avec de grandes compagnies de héros sans
peur et surtout sans reproche, avec une emphase
mise sur l’altruisme, avec une séparation
extrêmement nette entre les gentils et les méchants
(presque jusqu’au ridicule, notamment dans les
couleurs portées par les antagonistes et
protagonistes).
De plus, là où l’Heroic Fantasy se caractérisait par une écriture directe,
simple, à but essentiellement récréatif, avec des personnages aux motivations
et à la psychologie basiques, la High Fantasy met en jeu des personnages
mieux décrits / moins caricaturaux, moins prompts à la violence aveugle et
systématique, ainsi qu’une écriture en général plus subtile (chansons, poèmes,
niveau de langage plus élevé). Une des différences entre les deux sous-genres
est dans la manière de traiter l’adversaire : souvenez-vous de la réprimande de
Gandalf à Frodon, lorsqu’il lui fait part de son sentiment selon lequel Bilbon
aurait dû tuer Gollum lorsqu’il en a eu l’occasion. Un Conan, lui, aurait
découpé la créature en apéricubes et l’aurait sans arrière-pensée fait déguster
aux bêtes sauvages, sans jamais remettre en question la pertinence de son
acte. Là où le protagoniste d’Heroic Fantasy ou, pire encore, de Sword &
Sorcery, tue par habitude, froidement, sans remord, voire même par soif de
sang et parce qu’il y prend plaisir, celui de High Fantasy ne prend une vie que
s’il y est contraint, jamais gratuitement. Et dans tous les cas, il n’y prend pas
plaisir, voire en conçoit du remords.
La High Fantasy est enfin fortement marquée par la notion d’élu, de
prophétie, de destin : si Machinbidule détruit le Seigneur Noir des Ténèbres
de la Mort qui Tue, c’est parce qu’il était destiné à le faire. L’intrigue est une
quête, avec un fort aspect roman d’apprentissage dans un nombre important
de cas, dont le moteur est une prophétie ou la sagesse d’un vieux mentor
(autre élément presque incontournable de ce sous-genre).

Bref, ce qu’il faut retenir, c’est que la High Fantasy est l’exact
inverse de l’Heroic Fantasy, et est caractérisée par :

Un protagoniste qui n’est pas unique, remplacé par une fraternité, une
compagnie, une communauté, bref un groupe.

Les notions d’élu, de prophétie, de héros destiné à assurer la victoire du


Bien contre le Mal et à sauver le monde.

Son échelle épique : c’est le sort du monde qui est en jeu, pas juste
l’assouvissement du désir d’un simple individu.

Le niveau en général très élevé d’éléments fantastiques / imaginaires mis


en jeu, y compris celui de magie.

La très nette distinction entre les protagonistes, servant le bien et


moralement irréprochables, et les antagonistes, complètement et
irrémédiablement mauvais. La nuance morale n’existe pas en High
Fantasy, c’est ce qui la distingue de la Dark Fantasy ou de la Sword &
Sorcery.

L’emphase mise sur des valeurs positives, comme le pardon, la


tempérance, l’altruisme, l’entraide, le désir de justice par opposition à
la recherche de la vengeance, etc.

Nous qualifierons de Fantasy épique tout roman qui satisfait les


conditions d’« échelle » (du niveau de magie, des enjeux, des combats
épiques, etc.) de la High Fantasy sans en satisfaire les critères moraux. En
clair, dans cette conception, Le Livre Malazéen des Glorieux Défunts est (entre
autres) de la Fantasy épique, mais bien évidemment pas de la High Fantasy,
vu sa parenté évidente avec La Compagnie noire de Glen Cook.
Selon certaines autres conceptions, la définition de la High Fantasy (par
opposition à la Low ou à l’Urban) n’est pas la même : reportez-vous à la
deuxième partie du Guide pour plus de précisions.

Auteurs, cycles et livres emblématiques du genre (liste évidemment


non exhaustive) : J.R.R. Tolkien (Le Seigneur des anneaux), Robert
Jordan (La Roue du temps), C.S. Lewis (Le Monde de Narnia),
Stephen Donaldson (Les Chroniques de Thomas Covenant), Peter A.
Flannery (Mage de bataille), John Gwynne (The Faithful and the
Fallen).

Dark Fantasy
Si, quelque part, la High Fantasy a été conçue comme une antithèse à la
simplicité de l’écriture, des mondes, des motivations et des intrigues de
l’Heroic Fantasy, une partie de la Dark Fantasy (post-1985, en gros), dite
antitolkienienne, a été créée en réaction au net manichéisme qui caractérise la
High Fantasy. En clair, il était désormais hors de question d’opposer des «
gentils », défenseurs moralement parfaits du Bien, à d’incurables « méchants
», sectateurs définitivement pourris au service du Mal. Cela a donné
naissance à deux voies : l’une consiste à faire des « méchants » (ou des
monstres, d’ailleurs, pour les ouvrages de Dark Fantasy qui mettent le plus en
avant l’aspect horreur qui est une des signatures du genre) les… protagonistes,
l’autre à ne faire intervenir que des êtres à la psychologie nettement plus
complexe, nuancée, où le blanc et le noir laissent la place à un continuum de
nuances de gris.
Selon un autre point de vue, il n’existe pas de fracture nette entre Fantasy
héroïque / épique d’un côté et Dark Fantasy de l’autre, mais plutôt un long
continuum, où certaines œuvres relèvent de deux de ces genres à la fois : c’est
par exemple le cas des cycles d’Elric ou de Kane, qu’on peut sans peine
classer à la fois en Sword & Sorcery et en Dark Fantasy. D’ailleurs, les
(anti)héros de la S&S montrent que bien avant Glen Cook et compagnie,
certains auteurs avaient commencé à créer des personnages nettement plus
complexes et ambigus sur le plan moral et psychologique.
Sachez qu’à l’origine, la Dark Fantasy était une littérature ajoutant des
éléments d’horreur (surtout surnaturelle) et une ambiance ténébreuse
empreinte de crainte dans la Fantasy classique, celle qui se déroule dans un
monde secondaire (imaginaire), bien que certains classifient une partie des
textes de Lovecraft dans ce sous-genre. La Dark Fantasy post-1985,
particulièrement depuis l’avènement du Grimdark, a ajouté à ces éléments
(voire leur a substitué) un côté brutal, explicite et nihiliste.
Le ton, l’ambiance sont des éléments très importants : lugubres,
pessimistes, oppressants, réalistes, violents, montrant des personnages au bout
du rouleau, ils se démarquent, là aussi, du héros tout puissant pleinement
confiant dans ses (considérables) capacités de l’Heroic Fantasy ou du «
paladin » tellement convaincu de la justesse de sa cause que le renoncement
n’est en aucun cas une option de la High Fantasy. Enfin, les éléments
horrifiques et la description explicite de certains actes de violence sont aussi
des signatures du genre.
Les happy ends sont très rares, et les personnages, même les principaux
(ou leurs proches…), peuvent disparaître ou subir un sort terrible : viol,
mutilation, torture, etc. L’antihéros est la règle absolue dans ce type de
Fantasy : aucun protagoniste ou antagoniste ne saurait pouvoir être caractérisé
comme totalement (ou définitivement) bon ou mauvais : ils sont un peu l’un,
un peu l’autre, ou bien glissent progressivement d’une nuance à une autre.
En résumé, la Dark Fantasy est caractérisée par :

Une action soit vue du côté des « méchants », soit mettant en jeu des
protagonistes et antagonistes à la psychologie complexe, ni ou à la fois
bons et mauvais, faits d’un continuum infini de nuances de gris, sans
blanc ou noir purs.

Une action caractérisée par sa violence, son côté explicite, ses éléments
horrifiques.

Son ton / ambiance noir, lugubre, pessimiste, etc.

L’absence de garantie concernant la survie ou le bien-être des


personnages.

Auteurs, cycles et livres emblématiques du genre (liste évidemment


non exhaustive) : cycle d’Elric, cycle de La Compagnie noire, cycle
du Trône de fer, cycle de Kane, romans de Joe Abercrombie, cycle
du Livre Malazéen des Glorieux Défunts.

Urban Fantasy / Fantasy urbaine


La Fantasy urbaine est un sous-genre aux limites, voire à la définition,
extrêmement floues. Vous pouvez vous reporter, une fois de plus, à la
deuxième partie de ce guide pour avoir plus de détails à son sujet. On place la
date de naissance officielle de ce sous-genre aux alentours de 1984, et il a
connu un développement assez explosif durant 15-20 ans dans la littérature
anglo-saxonne, avant de subir une importante baisse de popularité. C’est
justement au moment où les lecteurs, auteurs et éditeurs outre-Manche et
outre-Atlantique passaient à autre chose que le genre s’est développé en
France, surtout avec sa très populaire variante Bit-Lit.
Si un roman ou un cycle peut relever de plusieurs sous-genres à la fois, il
ne peut, au moins dans une des définitions de la Fantasy urbaine, jamais
relever à la fois de la High Fantasy (ou de toute Fantasy se passant dans un
monde imaginaire) et de l’Urban Fantasy (qui se déroule dans notre monde).
Si, par contre, on s’en tient à la définition initiale, à savoir Fantasy à cadre
urbain (donc ni forcément contemporaine, ni forcément dans le monde réel),
il peut théoriquement se concevoir que certains genres se mélangent. En
pratique, on considère aujourd’hui qu’Urban Fantasy désigne des œuvres qui
e e
se déroulent entre la fin du et le début du siècle, sur notre Terre,
même s’il y a des exceptions (le cycle de La Cour d’Onyx de Marie Brennan,
par exemple, commence en 1590 !).

En résumé, l’Urban Fantasy est caractérisée (actuellement) par :

Le fait qu’elle se déroule sur notre Terre, à l’époque contemporaine le


plus souvent, et dans tous les cas dans un cadre obligatoirement
urbain.

Le fait que les éléments féeriques ou merveilleux soient cachés (faute de


quoi c’est de l’Uchronie de Fantasy ou de la Fantasy historique).

Le fait que la découverte de ces éléments n’entraîne pas de rejet, de


terreur ou d’incompréhension ET qu’il n’y ait aucun doute sur leur
réalité (qu’il n’y ait aucun doute sur la santé mentale du narrateur ou
protagoniste), faute de quoi c’est du Fantastique.

Le fait que parfois, le protagoniste soit d’ascendance à moitié


surnaturelle, et/ou qu’il traque ou protège des créatures surnaturelles,
que ce soit en tant que « justicier » ou membre d’une agence fédérale
/ unité de police officielle.

Le fait que la romance y ait souvent une place importante MAIS qu’elle
puisse être évacuée sans faire s’effondrer l’intrigue (faute de quoi c’est
en fait de la Paranormal Romance).

Une critique sous-jacente de la société contemporaine, urbaine, avec en


contrepartie une déclaration d’amour au merveilleux et à la nature.

Vous remarquerez qu’un grand nombre de points dans la liste précédente


ne servent pas tant à décrire ce qu’elle est que ce qu’elle ne doit pas être afin
de ne pas être confondue avec d’autres genres ou sous-genres, un signe certain
du flou qui entoure la définition de l’Urban Fantasy et du peu de pertinence
d’en faire un sous-genre à part entière (notamment parce qu’elle partage
certains codes ou ressemblances avec la Low Fantasy, le Fantastique ou la
Portal Fantasy).

Auteurs emblématiques du genre (liste évidemment non


exhaustive) : Charles de Lint, Marie Brennan, Patricia Briggs, Jim
Butcher, Neil Gaiman, Laurell K. Hamilton, Kim Harrison, Robin
Hobb, China Miéville.

Portal Fantasy (et Crossworlds Fantasy)


Si le terme Portal Fantasy est méconnu, les œuvres relevant du genre
sont en revanche très loin de l’être. Pour vous en convaincre, une petite liste :
Alice au Pays des merveilles, Narnia, Le Magicien d’Oz, L’Appel de Mordant
de Stephen Donaldson et Coraline de Neil Gaiman ! Si on prend en compte
un sous-genre connexe, la Crossworlds Fantasy (voir plus loin), on peut
ajouter à ces prestigieux exemples Les Chroniques de Thomas Covenant, La
Tapisserie de Fionavar, Trois cœurs, trois lions ou encore La Septième Épée,
entre autres.
La Portal Fantasy est caractérisée par la coexistence de deux mondes
(parfois, l’existence d’autres univers, voire d’un immense multivers, est
évoquée, mais l’histoire n’implique que deux d’entre eux), le nôtre et un autre
de nature fantastique (dans certains cas, elle implique même le passage d’un
monde fantastique à un autre monde fantastique). Le protagoniste passe de
l’un à l’autre par un « portail » (au sens très large) de nature magique (terrier
de lapin, armoire, tornade, miroir, etc.). Classiquement, chaque univers n’est
pas au courant de l’existence de l’autre (ou, au minimum, notre univers n’est
pas au courant de l’existence de l’univers fantastique, ou le tient pour un
conte, une fable ou une légende).
La Portal Fantasy ne doit pas être confondue avec d’autres sous-genres
des littératures de l’imaginaire mettant également en jeu d’autres « univers »
(là aussi au sens large), que ce soit la Crossworlds Fantasy (qui implique une
notion d’« élu » invoqué pour sauver le monde dans lequel il débarque, une
forte dimension morale –bien contre mal, justice contre injustice, anarchie et
loi du plus fort– et qui peut aussi conduire le protagoniste à d’autres époques)
ou la SF qui met en jeu des portes spatiales menant à d’autres endroits (de
Frederik Pohl à Stargate, vous avez l’embarras du choix…). La situation est
d’autant plus compliquée que certains romans phares sont classés dans deux
de ces sous-genres (voire plus…), comme Narnia par exemple (qui relèverait
pour certains de la Portal Fantasy, et pour d’autres de la Crossworlds, et en
tout cas de la High Fantasy).
Ce qu’il faut retenir, c’est qu’il n’existe qu’un seul univers parallèle
en plus du nôtre, et qu’il ne s’agit pas (forcément) d’une variation
uchronique du nôtre. Le portail est classiquement de nature magique, et la
nature surnaturelle du monde no2 fait qu’il s’agit de Fantasy, pas de SF.
Aucune explication n’est en général donnée sur la création de l’univers 2, et
elle n’est en tout cas pas de nature scientifique. L’univers 2 est qualifié de
parallèle, car il existe au même titre, au même moment que le nôtre, mais
dans un « espace » différent ; en revanche, il n’est pas « parallèle » dans le
sens sliders du terme, c’est-à-dire qu’il ne s’agit pas obligatoirement de la
Terre d’un autre univers, avec les mêmes continents, le même système solaire
et les mêmes règles que les nôtres. Il s’agit juste de deux endroits, pas
(toujours) identiques, situés dans des univers différents, qui sont en
contact, via un Portail (d’où le nom du sous-genre) permettant de passer
de l’un à l’autre.

En résumé, la Portal Fantasy est caractérisée par :

La coexistence de deux mondes, l’un étant en général le nôtre (mais


pouvant être un monde fantastique) et l’autre étant un univers
surnaturel.

On passe de l’un à l’autre par un « Portail ».

Ce portail n’est PAS de nature technologique (sinon, c’est de la SF ou de


la Science fantasy).

Il n’y a que deux univers en tout, s’il y en a plus ça relève d’autres sous-
genres.

N’importe qui peut franchir ce portail, il n’y a pas de notion d’« élu »
(sinon c’est de la Crossworlds Fantasy).

Les histoires n’impliquent pas forcément un grand combat moral entre


bien / mal, lumière / ténèbres, loi / chaos, etc. (idem).
L’écrasante majorité de l’histoire se déroule dans le monde fantastique,
faute de quoi il y a de fortes chances que ça relève plutôt de l’Urban
Fantasy.

Fantasy politique
Les deux dernières catégories ne sont pas reconnues comme des sous-
genres à part entière par tout le monde (c’est plutôt une conception anglo-
saxonne que française), mais davantage comme une thématique qui vient
s’ajouter à un sous-genre bien établi, comme la Fantasy épique ou la Dark
Fantasy. Ces catégories sont la Fantasy politique et la Fantasy militaire.
Il y a finalement peu de choses à expliquer à propos de la politique, le
nom se suffit à lui-même : elle décrit les grandes manœuvres… politiques soit
à l’intérieur d’un seul et même royaume, soit entre royaumes rivaux. Parfois,
elle peut aussi concerner une rébellion qui lutte contre un seigneur local ou un
souverain tyrannique, ou qui essaye de regagner la liberté confisquée par un
envahisseur (Vif-argent de Stan Nicholls).
Ce sous-genre a lui-même des variantes ou sous-catégories, comme la
Court Intrigue Fantasy (qui se consacre exclusivement aux intrigues de cour –
cf. le cycle des Princes d’Ambre de Roger Zelazny) par exemple. Il a donné
naissance à quelques-unes des sagas les plus populaires, emblématiques ou
réussies de la Fantasy, comme Le Trône de fer, La Trilogie de l’Empire de
Janny Wurts / Raymond E. Feist ou de nombreuses œuvres de Guy Gavriel
Kay, comme Les Lions d’Al-Rassan, Les Chevaux célestes ou sa suite, Le
Fleuve céleste.

Fantasy militaire
Cette fois, le terme est trompeur : toute Fantasy comprenant des
guerriers, des soldats ou des batailles ne relève pas de ce sous-genre ! Ce qui
le caractérise, c’est le fait que la narration et l’intrigue se focalisent sur la vie
des soldats (et des troufions de base ou des sous-officiers, pas des gradés,
champions et autres commandants de l’unité), sur la guerre ou sur une unité
spécifique.
Là encore, ce sous-genre a donné naissance à certaines des œuvres les
plus populaires de la Fantasy. Jugez plutôt : La Compagnie noire, La Première
Loi de Joe Abercrombie, Le Livre Malazéen des Glorieux Défunts… il ne
s’agit que de trois exemples les plus emblématiques d’une galaxie de romans
et de cycles pouvant être classifiés en Fantasy militaire. C’est aussi un sous-
genre qui a évolué ces dernières années, et qui peut être considéré comme
étant à la pointe d’un certain renouveau de la Fantasy dans son ensemble. En
effet, via son sous-genre fils, la Flintlock Fantasy (présentée en amples détails
dans la partie suivante), il tente de s’affranchir des influences historiques,
géographiques, mythologiques, culturelles et technologiques qui ont cloisonné
la fantasy pendant un nombre effarant de décennies dans un éternel contexte
médiéval-fantastique d’inspiration européenne et celto-romano-nordique.
La Fantasy militaire est donc probablement un des sous-genres qui
propose les romans cassant le plus les codes, allant au-delà des frontières
finalement étriquées des autres sous-genres pour proposer quelque chose de
neuf et de dépaysant. De Glen Cook il y a trente ans à la Flintlock Fantasy
aujourd’hui, elle a été, et de longue date, aux avant-postes des progrès du
genre tout entier.
QUATRIÈME PARTIE
La fantasy de demain

Dans cette partie, nous allons essayer de voir quels peuvent être les sous-
genres de la Fantasy « de demain ». Sous ce terme seront regroupées deux
choses différentes : d’abord, les sous-genres qui peuvent renverser la table et
établir de nouveaux standards qui remiseront les catégories historiques (High
Fantasy, etc.) au rang de dinosaures, ringards et en voie de disparition ;
ensuite, les sous-genres pour l’instant relativement mineurs (ou d’émergence
très récente et toujours en développement), qui pourraient bien devenir les
sous-genres majeurs de la Fantasy des années 2020 et plus. Comme nous le
verrons, l’un n’implique pas forcément l’autre : la Fantasy criminelle, par
exemple, ne révolutionne en rien le genre, mais de plus en plus de livres
relèvent pourtant de cette catégorie. À tel point d’ailleurs qu’elle commence à
saturer certains lecteurs !

La Révolution de la Fantasy est en marche


Nous soutenons que dans l’histoire de la Fantasy, chaque nouveau grand
sous-genre émergent se pose en antithèse de celui qui l’a précédé : la High
Fantasy substitue au héros solitaire et égoïste de l’Heroic une compagnie
s’étant jurée de sauver le royaume / le monde / l’univers, la Dark Fantasy
rejette le manichéisme de la High pour le remplacer par une palette de
nuances de gris, voire pour faire des « méchants » les protagonistes, l’Urban
Fantasy s’affranchit des mondes imaginaires des sous-genres précédents pour
placer des éléments surnaturels dans notre propre monde, et ainsi de suite. Il
est donc logique qu’à son tour, la « Fantasy de demain » casse les codes,
renverse la table, réécrive les Tables de la Loi.
Trois axes de développement semblent émerger de cette nouvelle
Fantasy, trois nouveaux sous-genres dont un est assez correctement défini,
dont le second est un grand fourre-tout, et dont le troisième commence à
peine à faire quelques pas timides, bien qu’il soit en gestation depuis
longtemps. Ces trois sous-genres du futur sont respectivement la Fantasy
postmédiévale, ce qu’on appellera, faute d’un meilleur terme, la Fantasy
exotique, et enfin la Fantasy très inspirée par la SF.
On pourrait aussi évoquer la tendance de plus en plus grande à une
Fantasy qui n’est pas seulement taillée pour le divertissement, le dépaysement,
mais pour faire réfléchir, pour transmettre un message. Jusqu’ici, cette
attitude était plutôt ancrée dans la SF (du moins dans une certaine SF, dite
« intelligente », terme pouvant paraître fortement élitiste et méprisant, mais
qui sera toutefois employé plus avant). Cette Fantasy « intelligente » émerge
de plus en plus, notamment (et ce n’est pas un hasard) sous la plume d’auteurs
qui écrivent essentiellement de la SF mais qui, pour une raison ou une autre,
décident de situer leur nouvel univers dans un cadre Fantasy. Certes, la
Fantasy « intelligente » existe depuis des lustres (on pourrait citer celle
d’Ursula Le Guin ou celle de Roger Zelazny), mais à ce niveau-là, c’est un
peu du jamais-vu. De Ken Liu à Sofia Samatar, en passant par Ekaterina
Sedia, vous avez l’embarras du choix ces derniers temps. Il faut croire que la
Fantasy n’est finalement plus une « littérature de gare »…

Les causes de la Révolution


Tout comme certains écrivains se sont rebellés, il y a une trentaine
d’années, contre les codes de la High Fantasy et son carcan manichéen,
d’autres ont commencé à envoyer balader, particulièrement depuis une grosse
décennie, la Fantasy classique, qui présente l’étrange névrose de ne s’inspirer
(dans son écrasante majorité) que du cadre européen et de l’époque
médiévale. Vous ne vous êtes pas posé la question de savoir pourquoi
pratiquement personne ne s’inspire (plus) de l’Antiquité, de la Renaissance,
de l’empire aztèque, de l’Afrique précoloniale ou d’autres lieux, civilisations
ou périodes historiques ? Pourquoi des centaines d’auteurs vous ressortent le
même gloubi-boulga d’influences celto-romano-nordiques et le même
contexte médiéval ? Pourquoi la technologie ne dépasse jamais le stade de la
catapulte et de l’arc long ou de l’arbalète ? La réponse à cette question est
complexe : manque d’imagination, confort du cadre médiéval qui ne nécessite
pas de recherches, manque d’audace par rapport à un lectorat qui, en matière
de Fantasy, est souvent conservateur, etc.
Donc, certains auteurs se sont mis à écrire de la Fantasy tirée des Mille et
une nuits, dans un cadre qui sent bon les épices de la Route de la soie, dans un
univers inspiré par les Aztèques, les japonais et les chinois, et encore, ce
n’était que le début de la révolution. Car justement, de jeunes fous furieux ont
changé l’époque et le niveau de technologie, soyons extravagants, tiens :
pourquoi s’inspirer de l’époque médiévale lorsqu’on peut placer son histoire
dans l’équivalent de la Révolution française (cycles des Poudremages de Brian
McClellan), et pourquoi restreindre ses personnages (ou ses antagonistes) à la
technologie du Moyen Âge lorsqu’on peut faire faire à son univers sa propre
révolution industrielle d’un seul mouvement de plume ? Avouez tout de même
que c’est drôlement plus excitant de voir des régiments d’elfes armés de
mousquets et de canons aller se battre avec des créatures surnaturelles dans
une Inde de Fantasy que de continuer à lire un 2867e ersatz du Seigneur des
anneaux, non ?
Bref, nous avons assisté à l’émergence de nouveaux genres, comme la
Gunpowder Fantasy (comme son nom l’indique : fantasy à poudre) ou son
sous-genre, la Flintlock Fantasy (d’inspiration plus spécifiquement révolution
industrielle / napoléonienne). Car attention, toute Gunpowder n’est pas de la
Flintlock, comme le montre l’exemple de Brent Weeks. Mais la Fantasy
postmédiévale ne s’arrête pas là : pourquoi se placer à l’époque de la
Révolution ou de Napoléon quand vous pouvez faire un saut de plusieurs
décennies et vous inspirer de l’époque victorienne (Gaslamp Fantasy), voire
de l’époque contemporaine (Arcanepunk) ?
Enfin, certains auteurs sont allés puiser des tropes, des codes, des
thématiques, des idées… dans la Science-Fiction, comme le prouve par
exemple la Fantasy post-apocalyptique qui est depuis quelques mois à
nouveau très à la mode.

Fantasy à poudre et armes à feu


D’abord, un petit point de vocabulaire : on qualifie de Gunpowder
Fantasy tout ouvrage qui situe son niveau de technologie après l’ère médiévale
et avant l’ère contemporaine, qui relève de la Fantasy, pas du Steampunk
(donc pas de rétrofuturisme, pas d’uchronie), et surtout qui place la poudre et
les armes à feu au centre du worldbuilding (nous y reviendrons).
Le terme Flintlock Fantasy dérive du terme anglais pour désigner les
fusils et pistolets à platine à silex, mécanisme utilisé de 1610 à 1818 (puis
remplacé par la platine à percussion, qui ne se généralisera cependant qu’à
partir de 1840). Certains utilisent indifféremment ce terme ou celui de
Gunpowder Fantasy pour désigner le même style de livres. Nous avons une
approche différente. En effet, le sous-genre Gunpowder est bien plus large
que la Flintlock, qui est plus spécifique dans le type d’armes à feu utilisées (il
y a eu des mécanismes autres que celui à platine à silex, que ce soit avant ou
après), et beaucoup plus influencée par l’Histoire (spécifiquement par la
période napoléonienne). Nous avons donc finalement adopté l’idée que la
Flintlock Fantasy est un sous-genre de la Gunpowder. Car si Le Porteur de
lumière de Brent Weeks relève incontestablement de la Gunpowder Fantasy, il
ne peut pourtant en aucun cas être classifié en Flintlock.
Certains d’entre vous vont se dire : « Mais le mélange Fantasy et armes à
feu, ce n’est pas spécialement original ! Regarde la Fantasy historique ou
l’Urban Fantasy ! Et le Steampunk alors, il y a des armes à feu et parfois de la
magie aussi ! ». Ils auront (très partiellement) raison. En fait, si on gratte un
peu la surface, le mélange entre Fantasy et poudre noire est bien plus ancien
qu’on ne l’imagine : un exemple frappant est constitué par Les Deux Tours (le
livre ou le film), qui montre un explosif basé sur la poudre noire (au passage,
on voit que la Fantasy mettant en jeu de la poudre n’implique pas forcément
des armes à feu). La différence entre les variantes de la Fantasy (plus le
Steampunk) citées et la Gunpowder en général se fait sur de multiples plans :

La Gunpowder et la Flintlock ne se déroulent (habituellement) pas dans


notre monde, mais dans un monde imaginaire / secondaire, ce qui les
démarque de l’Urban , de la Fantasy historique (du moins d’une partie
de ce sous-genre, comme nous le verrons dans une autre partie de ce
guide) et du Steampunk. Elles se rapprochent par contre sur certains
plans des livres de Fantasy historique « à la Guy Gavriel Kay » (ou à
la Marie Brennan) qui se déroulent dans un monde imaginaire, mais
lourdement inspiré par une époque précise du nôtre (par contre, le
niveau d’éléments fantastiques est en général incomparablement plus
élevé en Gunpowder / Flintlock que chez Kay ou autres). La question
se pose par contre pour l’Uchronie de Fantasy : la plupart des gens
considèrent que le cycle de Téméraire appartient à la Flintlock Fantasy
(dragons + armes à feu + cadre napoléonien), ou du moins qu’il en
constitue un précurseur, avec la deuxième partie du cycle Rigante de
David Gemmell.

La science rétrofuturiste et l’uchronie sont absentes, ce qui les différencie


(une fois encore) du Steampunk.

Selon la définition des Américains, le niveau de technologie est supérieur


à celui du médiéval-fantastique mais inférieur à celui de l’âge de la
vapeur (en clair : il atteint au maximum celui de l’époque
napoléonienne), ce qui les distingue de la Fantasy classique, du
Steampunk, de la Gaslamp Fantasy ou du Weird West (genre littéraire
mélangeant le western avec autre chose : horreur, science-fiction,
etc.). Cependant, il existe aussi des livres classifiables en Gunpowder
ou Flintlock qui comprennent des trains et des bateaux à vapeur (je
pense à The Cerberus Rebellion de Joshua Johnson).

L’aspect « fantastique » est beaucoup, mais alors beaucoup plus présent et


surtout visible qu’en Urban Fantasy ou qu’en Fantasy historique : il est
au niveau des sagas de Fantasy « classique » les plus emblématiques,
avec elfes, dragons, un haut degré de magie, etc.

La poudre n’est pas « juste » un élément présent dans le décor ou


l’intrigue (comme dans Les Deux Tours), elle est au cœur de la
construction de l’univers.

La magie et la technologie interagissent en général à un degré ou un


autre, particulièrement au niveau des armes.

Rappelez-vous cependant que ces deux sous-genres sont d’émergence


récente (ils ont commencé a réellement apparaître entre 2006 et 2008, en
gros, et ont donné quelques-uns de leurs meilleurs livres vers 2013-2014), et
que leurs frontières restent encore mal définies (cf. l’exemple du palier
technologique supérieur donné plus haut).
Une remarque : par essence (puisque l’univers est basé sur la poudre, les
armes à feu et les canons), la Gunpowder et la Flintlock sont des genres se
rapprochant beaucoup de la Fantasy épique et bien entendu de la Fantasy
militaire. Les batailles sont donc grandioses, la violence omniprésente, le
rythme nerveux, les intrigues linéaires, les dialogues relèvent plutôt du
registre argotique.
Pourquoi c’est excitant ?
Ces deux sous-genres sont qualifiés par certains de révolutionnaires, et
franchement, pourquoi bouder notre plaisir ? Ils participent à un mouvement
qui commence à prendre de l’ampleur et qui consiste à casser les codes de la
Fantasy qui a existé jusque là. A priori, rien de nouveau sous le soleil. Si vous
avez lu la section de ce guide sur les sous-genres majeurs de la Fantasy, vous
vous êtes sans doute aperçu qu’en coupant les cheveux en quatre, on peut dire
que chaque nouveau sous-genre de la Fantasy a été créé ou est devenu
populaire parce qu’il cassait les codes jusqu’ici en vigueur : la High Fantasy
substituait aux héros solitaires et égoïstes de l’Heroic Fantasy et de la Sword
& Sorcery des groupes de sauveurs du royaume / monde / univers altruistes ;
la Dark Fantasy cassait le haut degré de manichéisme de la High Fantasy en
introduisant des personnages beaucoup plus ambigus, et ainsi de suite.
Pourtant, à part l’Urban Fantasy, tous ces sous-genres avaient un point
commun : un cadre médiéval-fantastique (ou Renaissance-fantastique, mais
où les armes à feu étaient curieusement absentes ou quasiment), d’inspiration
à l’écrasante majorité européenne et gréco-romano-celto-nordique.
Les nouvelles tendances de la Fantasy, d’émergence ou de popularité
récente, cassent ces derniers codes : inspirées ni de l’Antiquité, ni de la
période médiévale, elles proposent aussi d’autres univers, évoquant l’Arabie,
la Chine, les Aztèques ou l’Inde, avec des mythologies reflétant ces influences
culturelles. Les livres les plus audacieux combinent même plusieurs de ces
approches, comme le cycle Lays of Anuskaya de Bradley P. Beaulieu (l’auteur
de Sharakhai), à la fois d’inspiration slave et relevant de la Flintlock Fantasy.
Il faut bien dire que la poudre change tout, à commencer… par les
batailles. Plus d’elfes armés d’arcs, mais plutôt avec des mousquets et des
canons. Sans compter que l’utilisation de canons et de fusils implique aussi
d’autres avancées technologiques. Et que ces dernières entraînent fatalement
des modifications dans la société, le commerce, les déplacements, les
communications, l’ingénierie (avoir des explosifs, ça aide pour préparer les
sites de construction pour des ponts, des tunnels, etc.), le mode de
gouvernement, et ainsi de suite. Il n’est dès lors plus question d’avoir des
univers caractérisés par une société, un gouvernement et surtout une
technologie figés pendant des siècles, voire des millénaires (un exemple : Le
Trône de fer, où, entre les Premiers Hommes et le début des romans, on se
bat à l’épée depuis quoi, 8 000-12 000 ans ?).
Au final, la Flintlock, ce sont des elfes armés de mousquets, un univers
plus inspiré par la Révolution française ou les campagnes napoléoniennes que
par un cadre médiéval, mais le tout dans un univers imaginaire au moins aussi
largement pourvu en races et en bestioles fantastiques ou en sorciers
surpuissants que n’importe quelle fantasy « classique » de votre connaissance.
Et c’est en ça que c’est intéressant : parce que par rapport à ce que vous
connaissez, TOUT change. Les armes, les tactiques, le mode de
gouvernement, les classes sociales, le degré de fantastique (largement plus
élevé qu’en Urban Fantasy en moyenne), l’ambiance (les livres se passent
souvent dans des cadres hautement exotiques : jungles, déserts, etc.). Sans
compter que les batailles prennent carrément une autre dimension. Et que
parfois, même la magie est basée sur la poudre ! Bref, si vous voulez lire une
version de La Compagnie noire mais avec des canons et des fusils, vous savez
ce que vous devez faire…

Pourquoi ça ne marche pas en France ?


Gunpowder et Flintlock Fantasy rencontrent une forte résistance en
France, mais même dans le monde anglo-saxon, pourtant plus ouvert aux
romans de Fantasy iconoclastes, certains n’arrivent pas à entrer dedans, selon
le sempiternel « il y a des armes à feu, ce n’est pas de la Fantasy » (il est
d’ailleurs étonnant de constater que ce genre de lecteur n’a par ailleurs aucun
problème avec l’Urban Fantasy, où, pourtant, univers contemporain oblige, il
y a bien des armes à feu, non ?). Et puis il y a l’inertie de gens qui, depuis
l’adolescence, lisent des livres se passant encore et toujours dans le même
cadre avec le même niveau de technologie, etc.
Certains éditeurs ont essayé, voyant l’enthousiasme d’une majorité de
lecteurs anglo-saxons, d’importer le genre en France : à part pour Téméraire,
qui a l’air de bien se porter, et sans doute Le Porteur de lumière de Brent
Weeks, les autres cycles phares ont été abandonnés en cours de route et / ou
sont devenus quasi introuvables neufs (et évidemment, il n’y a pas de version
électronique française le plus souvent). Outre les facteurs cités plus haut, et
une relative linéarité et « simplicité » des intrigues (assez typique de la
Fantasy militaire, par ailleurs), ce qui a le plus joué est que, justement, ces
livres relèvent quasiment tous de cette dernière. Dans un pays où on
recherche surtout les héros très manichéens, la fantasy féérico-bucolico-
poético-arthurienne, où on pense qu’une bonne fantasy a forcément recours à
un langage châtié, où on peut lire sur le net que la violence n’a pas sa place
dans la Fantasy (assertion que les seuls Trône de fer ou Seigneur des anneaux
démentent aisément), où toute innovation en matière de Fantasy est quasi
certaine de faire un gros bide, et où, enfin, la SF et la Fantasy militaires n’ont
guère la cote, le pari était, au mieux, risqué, et probablement perdu d’avance.
Sauf que… les choses commencent à bouger, et pas en mal : si Rebelle du
désert d’Alwyn Hamilton, qui mélange Gunpowder et Arabian Fantasy avec
une touche Weird West, semble avoir autant plu au public Young Adult, il y a
peut-être de l’espoir, à la fois pour la Fantasy non européenne et pour celle à
armes à feu. Sans compter que le cycle Sharakhai de Bradley P. Beaulieu
semble s’inscrire dans la même optique (sauf en ce qui concerne les armes à
feu), ce qui pourrait donc marquer une tendance multiéditeur et un
phénomène de grande ampleur plutôt qu’anecdotique. L’avenir le dira. Avec
tant d’époques, de niveaux de technologie et de civilisations dont on peut
s’inspirer, il est difficile de comprendre la focalisation obsessionnelle des
genres sur une poignée, et presque toujours les mêmes qui plus est. Il était
vraiment temps que cela change.

Quelques exemples de livres et cycles majeurs relevant de la


Gunpowder et de la Flintlock Fantasy : Les Mille Noms (Django
Wexler), La Promesse du sang (Brian McClellan), La Souveraine des
ombres (Chris Evans), Le Porteur de lumière (Brent Weeks), Guns of
the Dawn (Adrian Tchaikovsky), Lays of Anuskaya (Bradley P.
Beaulieu), les deux derniers tomes du cycle Rigante (David
Gemmell).

Autres fantasy postmédiévales


Comme précédemment expliqué, deux autres sous-genres de la Fantasy
e
poussent le curseur technologique encore plus loin que la fin du ou le
e
début du siècle :

Gaslamp Fantasy
Contrairement aux âneries que l’on peut lire sur le Net, la Gaslamp n’est
pas un sous-genre ou une variante du Fantastique (cela n’aurait strictement
aucun sens lorsqu’on connaît la ou plutôt les définitions possibles de ce
dernier), mais bel et bien de la Fantasy. Elle adopte ce que l’on pourrait
appeler une esthétique steampunk (et victorienne / edwardienne, ou parfois
liée à la Régence –l’anglaise) sans que l’action se déroule forcément dans
notre monde (mais plutôt dans un univers imaginaire), sans qu’il y ait toujours
un aspect uchronique, ni obligatoirement de science rétrofuturiste. En
revanche, les aspects fantastiques (magie, créatures et races extraordinaires,
etc.) sont beaucoup plus présents que dans le Steampunk. La difficulté à
distinguer, parfois, les deux vient du fait que bien des précurseurs du
Steampunk laissaient une place beaucoup plus importante au surnaturel que
les livres modernes relevant de ce genre ne le font (le plus souvent). Certains
distinguent les deux par le fait que les livres de Gaslamp Fantasy ne
comprennent pas (ou très peu) d’élément « punk », à savoir nihiliste, cynique,
dystopique, lugubre, etc. Enfin, ce sous-genre présente des caractéristiques
communes avec le roman gothique.

En résumé, la Gaslamp Fantasy est :

Un sous-genre de la Fantasy à esthétique Steampunk.

Se déroule plutôt dans un monde secondaire (imaginaire).

Ne présente donc pas toujours un caractère uchronique comme le


Steampunk.

Ne montre pas toujours de science rétrofuturiste (c’est le cas dans Le


Sang du dragon d’Anthony Ryan, par exemple).

Est beaucoup plus riche en magie et en créatures fantastiques que le


Steampunk, sauf à la rigueur le plus ancien.

Quelques auteurs ou œuvres emblématiques : Brother’s Ruin


(Emma Newman), L’Alchimie de la pierre (Ekaterina Sedia), le cycle
de Téméraire (Naomi Novik), celui de Lady Trent (Marie Brennan), Le
Sang du dragon (Anthony Ryan).

Arcanepunk
L’Arcanepunk peut poser un problème en termes de classification :
jusqu’ici, il n’apparaissait que comme une variante de la Science fantasy, mais
la situation est sans doute plus complexe. En effet, ce sous-genre aux limites
floues (tout comme la Science fantasy, au passage) rassemble des romans très
différents, dont certains peuvent au contraire être considérés comme des
évolutions de la Flintlock ou de la Gaslamp Fantasy.
Mais d’abord, tentons de définir ce sous-genre : selon les spécialistes
anglo-saxons, les romans d’Arcanepunk sont caractérisés par un contexte où
la magie ET la technologie coexistent, et surtout (c’est le point important) où
la société en est au moins à l’ère industrielle.
Jusqu’ici, les choses sont claires : elles se compliquent lorsqu’on sait que
ces livres peuvent concerner une uchronie du monde réel ou un monde
e
secondaire, et un niveau de technologie type , e, e
siècle, voire
encore plus futuriste. Si je prends les deux exemples les plus emblématiques
du genre, le jeu de rôle Shadowrun (qui se passe dans une uchronie mêlant
e
magie, créatures / races fantastiques et cybertechnologie du siècle) et le
cycle The Craft Sequence de Max Gladstone (qui se déroule dans un monde
secondaire), vous vous rendez facilement compte que la même étiquette
(Arcanepunk) peut être attribuée à des contextes qui, au final, sont
profondément différents.
Tout se complique encore lorsqu’on tente, outre ses limites, de retracer les
origines du genre (c’est un des gros intérêts de la taxonomie des littératures de
l’imaginaire, au passage) : le suffixe -punk tendrait à en faire un dérivé du
Steampunk, mais avec une technologie (éventuellement) plus avancée (et la
présence de magie pour ceux qui ont tendance à exclure la sorcellerie du
Steampunk pur et dur –pour plutôt la placer dans la Gaslamp Fantasy), ce qui
permet d’ailleurs de différencier les livres relevant de l’un ou de l’autre (en
plus de la présence non obligatoire du cadre victorien en Arcanepunk).
Cependant, une autre approche est possible : certains spécialistes anglo-
saxons parlent d’Arcanepunk Fantasy, ce qui ferait donc de ce courant un
dérivé (éventuellement) plus avancé technologiquement (et de cadre pas
obligatoirement victorien) de la Gaslamp Fantasy, et donc un sous-genre de la
Fantasy et non du Steampunk ou de la Science fantasy. C’est sans doute
l’approche qui convient le moins. Au final, si l’Arcanepunk peut relever de la
Science fantasy (même si toute Science fantasy n’est évidemment pas de
l’Arcanepunk), voire du Steampunk, c’est encore en tant que déclinaison de la
Fantasy (évolution technologique de la Flintlock ou la Gaslamp) qu’il trouve
le mieux sa place sur le plan taxonomique.
Deux caractéristiques sont à retenir : un côté « utilitaire » de la magie,
très intégrée à la vie quotidienne ou aux processus de l’entreprise ou des
industries, et surtout une atmosphère très noire, parfois même dystopique.
Cette présence particulièrement visible de la sorcellerie constitue la principale
différence entre l’Arcanepunk de l’Urban Fantasy, où créatures et
phénomènes surnaturels sont cachés au commun des mortels.
Contrairement à ce que l’émergence récente de Max Gladstone (qui, au
passage, qualifiait, à sa sortie, le premier roman de son cycle de
« Steampunk-Urban Fantasy ») peut laisser penser, l’Arcanepunk est
beaucoup plus ancien qu’on ne le croit : Shadowrun, par exemple, a été pour
la première fois publié en… 1989. Il est très probable qu’avec l’essor actuel
de la Fantasy postmédiévale (au moins dans l’édition et le lectorat anglo-
saxon…), ce sous-genre soit appelé à se développer, que ce soit en termes de
nombre d’auteurs, de ventes ou de notoriété, dans les toutes prochaines
années.

En résumé, l’Arcanepunk est :

un sous-genre de l’imaginaire qui peut être rattaché au Steampunk, à la


Science fantasy ou (c’est notre approche) à la Fantasy (en tant que
dérivé plus avancé technologiquement et non obligatoirement
victorien de la Gaslamp Fantasy).
un sous-genre qui mêle magie et technologie dans la vie de tous les jours,
ce qui le différencie de l’Urban Fantasy où le surnaturel est inconnu
du commun des mortels.

caractérisé par un degré de développement de type révolution industrielle


ou, plus rarement, supérieur (jusqu’aux implants cybernétiques et
autres technologies futuristes type Cyberpunk).

un courant littéraire dont l’univers peut être une variation uchronique du


nôtre ou bien un monde secondaire.

un sous-genre très noir, parfois quasiment dystopique.

Quelques auteurs ou œuvres emblématiques : Shadowrun, cycle


The Craft Sequence (Max Gladstone), cycle de Bas-Lag (China
Miéville).

Fantasy « exotique »
Changer la période historique servant d’inspiration et/ou le niveau de
technologie, c’est bien. Changer de civilisation et de mythologie est également
une piste intéressante. Nous appellerons Fantasy « exotique », ou Fantasy
« d’ailleurs » (sous-entendu : ailleurs qu’en Europe) les œuvres qui explorent
ces nouveaux territoires. Car s’il est un point commun à tous les sous-genres
(à part l’Urban Fantasy) et à 95% (minimum) de la Fantasy publiée, c’est
qu’elle s’inspire toujours des mêmes civilisations, cultures, pays et mythes :
ceux de l’Europe. Comptez le nombre de fois où le panthéon local est
d’inspiration chrétienne / romaine / celte / grecque / scandinave, le nombre de
fois où le décor géographique, social et culturel ressemble à l’Europe
médiévale…
Certains auteurs ont donc choisi de s’inspirer d’autres civilisations,
d’autres religions. Notez que le changement peut ne pas être total, c’est-à-dire
qu’on peut prendre un élément « exotique » et le mêler à un cadre qui se
rapproche beaucoup de la « standard ». Prenez Stefan Platteau avec son cycle
Les Sentiers des astres, par exemple : les noms des personnages et la
mythologie sont nettement influencés par l’Inde et l’hindouisme, mais le reste
est beaucoup plus classique. Dans la plupart des cas, cependant, le
changement est total : des ethnies aux noms en passant par le panthéon et le
paysage, l’auteur change complètement d’environnement par rapport au cadre
européen médiéval-fantastique banal. Prenez la Trilogie de l’Empire de Feist /
Wurts par exemple : l’inspiration mélange Chine (surtout), Japon, mais aussi
un poil d’empire aztèque, et pratiquement rien ne vient rappeler l’Europe, sa
religion ou ses paysages.
Les sources d’inspiration sont multiples, et à chacune correspond son
propre sous-genre. Par souci de simplicité nous les avons tous regroupés ici
sous une catégorie unique, Fantasy « exotique », mais les spécialistes en
distinguent plusieurs, les plus connues étant :

Inspiration chinoise : Wuxia Fantasy, Shenme Fantasy.

Inspiration (pays situés sur la) route de la Soie (donc ni Europe, ni Chine,
ni Japon) : Silk Road Fantasy.

Inspiration arabe : Arabian Fantasy (notez que certains livres de Silk


Road se passent dans un cadre arabe ou arabo-africain, les limites
sont floues).

Ces quatre sous-genres forment, avec la Fantasy d’inspiration japonaise,


le gros des bataillons. Si les deux premiers sont relativement modestes, le
troisième est en plein boom ces dernières années et comprend des auteurs
prestigieux (Elizabeth Bear, N.K. Jemisin, Bradley P. Beaulieu et son cycle de
Sharakhaï), tandis que la popularité de la Fantasy d’inspiration japonaise n’est
plus à prouver (du moins auprès du lectorat anglo-saxon : chez nous, c’est un
peu plus compliqué. Tout le monde adore Les Mille et une nuits, mais
bizarrement, certains ont du mal avec l’Arabian Fantasy, allez
comprendre…).
Notez que même pour des romans, des auteurs ou des cycles associés à
d’autres sous-genres, l’inspiration « exotique » peut être très présente : si vous
prenez les Livres du Sud (un des sous-cycles de la saga de La Compagnie
noire) de Glen Cook, vous vous apercevrez que, certes, à la base, c’est de la
Dark Fantasy et de la Fantasy militaire, mais que l’inspiration est africaine
dans une bonne partie du premier livre et hindoue dans le reste.
Notez aussi que certains auteurs utilisent des sources d’inspiration encore
différentes : aztèque (Aliette de Bodard), slave (Bradley P. Beaulieu),
polynésienne (trilogie des Rois navigateurs de Garry Kilworth), et ainsi de
suite.
Pourquoi, donc, changer la cadre et la civilisation / mythologie servant
d’inspiration est-il une voie d’avenir ? Parce que c’est un véritable bol d’air
frais, tout simplement. Chacun d’entre nous a lu des dizaines, voire des
centaines de romans d’inspiration médiévale-fantastique, européenne, et
chrétienne ou celto-romano-grecquo-nordique. Qu’il est donc rafraîchissant
de ressentir une autre ambiance, de voir d’autres paysages, d’autres noms de
personnages ou de villes, d’autres dieux ! Pour tout dire, avec l’immense
réservoir de périodes historiques et de grandes civilisations ou religions dont
on peut s’inspirer, il y a de quoi être sidéré de voir qu’autant de livres se sont
concentrés sur les mêmes périodes, les mêmes pays et cultures. C’est un peu
comme si 95 % des CD publiés en 2018 sonnaient exactement pareil, à
quelques nuances près.
Oh, évidemment, ça s’explique facilement : c’est tout simplement la
solution de facilité. Ça nécessite moins de recherches, moins d’efforts. Et puis
c’est plus consensuel : une partie du lectorat (en particulier en France) a
longtemps été très frileuse devant cette « Fantasy d’ailleurs », préférant rester
dans ses charentaises en lisant une énième resucée de mediéval-fantastique
européen. Mais bon, le vent a tourné, et le genre est de plus en plus populaire
chez les éditeurs anglo-saxons, y compris en Young Adult. Même en France,
l’accueil est de moins en moins hostile et les publications en hausse.
Notez que les auteurs et les livres les plus audacieux combinent les deux
approches, à savoir Fantasy à armes à feu et d’inspiration autre : encore une
fois, c’est le décidément révolutionnaire P. Beaulieu qui doit être cité (ou
Django Wexler, qui, dans Les Mille Noms, se débrouille pour faire à la fois de
la Fantasy militaire, de la Flintlock, de l’Arabian et de la Colonial Fantasy,
excusez du peu ! ), ainsi que Le Porteur de lumière de Brent Weeks, une
Gunpowder Fantasy de haute volée qui s’inspire également, pour son cadre,
d’un très grand nombre de civilisations terrestres issues de différentes
périodes, de l’Antiquité à la guerre froide !
Le gisement de périodes historiques et surtout de civilisations dont un
monde secondaire peut s’inspirer reste colossal : Songhaï, empires khmer,
gupta ou moghol, mayas ou incas, les possibilités sont pratiquement infinies,
surtout si on joue en parallèle avec les niveaux de technologie (ce que fait, par
exemple, le Silkpunk, dont nous reparlerons dans une autre partie de ce
guide).

Quelques auteurs ou œuvres emblématiques : Les Chevaux célestes


et Le Fleuve céleste (Guy Gavriel Kay), La Trilogie de l’Empire
(Raymond E. Feist / Janny Wurts), cycles Sharakhaï et Lays of
Anuskaya (Bradley P. Beaulieu), D’obsidienne et de sang (Aliette de
Bodard), trilogie des Rois navigateurs (Garry Kilworth), Le Fils de
l’acier noir (Larry Correia), Soleri (Michael Johnston), The Killing
Moon (N.K. Jemisin), cycle Eternal Sky (Elizabeth Bear), La
Souveraine des ombres (Chris Evans), Qushmarrah : Le Prix de la
liberté (Glen Cook), Les Mille Noms (Django Wexler), Throne of the
Crescent Moon (Saladin Ahmed), cycle de La Septième Épée (Dave
Duncan).

La Fantasy inspirée par la SF, et son récent et principal représentant :


la Fantasy post-apocalyptique
Une remarque préliminaire très importante : il ne faut pas confondre une
pure Fantasy inspirée par des thématiques ou idées SF avec la Science
fantasy. Ce sont deux choses différentes : dans le premier cas, il n’y a pas de
technologie futuriste mélangée avec un cadre antique ou médiéval (ou
l’inverse, d’ailleurs), l’auteur s’est juste servi de quelque chose associé à la SF
(parfois à un auteur très précis) comme source d’inspiration principale pour
son monde et son intrigue.
Cette Fantasy inspirée par la SF n’est pas à proprement parler neuve, cela
fait des décennies que Dave Duncan (par exemple) en écrit : citons
notamment L’Insigne du chancelier, où il recycle avec brio les lois de la
robotique d’Asimov dans un cadre hautement magique mais également très
inspiré par… Alexandre ! Ce qui est nouveau, depuis quelques mois, c’est la
régularité avec laquelle ce genre de livre sort, particulièrement ceux de
Fantasy post-apocalyptique.
Si le post-apocalyptique est usé jusqu’à la corde, littéralement, en SF /
Anticipation / Horreur, c’est en revanche un territoire encore en grande partie
vierge en Fantasy. Certains auteurs, cherchant sans doute à se démarquer de
la masse et à proposer du neuf, ne s’y sont pas trompés, dans le sillage du
cycle Fils-des-brumes de Brandon Sanderson ou, plus récemment, de The
Vagrant de Newman (prix Gemmell, catégorie premier roman, 2016). C’est
ainsi que la conclusion de la première trilogie de Stephen Aryan, Mage du
Chaos, adopte également un cadre post-
apocalyptique (limité à une ville), de même que la
trilogie Les Dieux sauvages de Lionel Davoust.
Ce recyclage de codes, cadres ou thèmes de la
SF est très rafraîchissant, à la seule condition que ce
soit bien fait. Car là est le piège : à force de recycler
des codes usés jusqu’à la corde dans leur genre
d’origine, on prend le risque d’essayer de faire du
neuf avec du vieux, de vouloir dépayser les lecteurs
avec des choses qui les lassent depuis un moment, et
au final d’accoucher d’un pétard mouillé. À ce titre,
le roman d’Aryan n’est qu’une demi-réussite. Seul l’avenir, et éventuellement
le recyclage d’autres sous-genres de la SF que le post-apo, nous dira s’il ne
s’agit que d’un épiphénomène ou d’une vraie déferlante. Car certains romans
ont retiré d’autres éléments de la SF, comme l’esprit de la Hard SF, pour le
transposer en Fantasy : voyez Les Couleurs de l’acier de K.J.Parker qui, d’une
façon très inhabituelle dans le genre, nous décrit avec un soin méticuleux les
méthodes de fabrication des cordes, machines de guerre ou épées.
On peut même considérer que le développement faramineux du magic-
building (système expliquant et détaillant les lois de la magie dans un univers
imaginaire) dans certains romans récents relève de la Hard Fantasy. Tandis
que dans les livres de l’âge héroïque, l’explication de l’origine et des
mécanismes de la magie se réduisait souvent à une version polie de « silence,
c’est magique », certains auteurs (les plus emblématiques étant, à mon sens,
Brandon Sanderson et Brent Weeks) se sont mis, ces dernières années, à
proposer des systèmes à la fois cohérents et extrêmement détaillés devant
expliquer d’où venait la faculté de lancer des sorts, pourquoi certains en
étaient capables et d’autres non, etc.

Genres mineurs… mais plus pour très longtemps ?


Si on peut parier sans grand risque que la Fantasy postmédiévale est
appelée à se développer (elle a déjà une solide tête de pont dans le paysage
éditorial anglo-saxon), d’autres sous-genres pourraient bien un jour
revendiquer, en termes d’aura ou de ventes, leur place au sein du panthéon de
la Fantasy, aux côtés de la High, Heroic, Dark, etc. On peut citer par
exemple, ces 20-30 dernières années, la Fantasy politique, la militaire et (en
termes de ventes) l’Urban, bien entendu, genres jadis mineurs qui, du fait des
ventes et/ou de romans de très grande envergure, se sont imposés aux côtés
des sous-genres « historiques ».
Voici quelques prétendants à l’entrée dans le cercle fermé des dieux
olympiens :

Fantasy historique
Il est malaisé de caractériser la Fantasy historique, tout simplement parce
qu’il n’en existe pas une seule définition… mais quatre !

Fantasy se passant dans le monde réel, mêlant à un cadre historique des


éléments surnaturels. Le cours de l’histoire est cependant respecté (on
peut considérer que c’est une variante « magique » de l’Histoire
secrète. En résumé : la conclusion des événements décrits dans les
livres d’histoire est réelle, mais en revanche leur déroulement exact est
très différent de celui qu’on vous raconte).

Fantasy se passant dans le monde réel, avec des éléments fantastiques


(dragons, magie, etc.), mais où le cours de l’histoire est modifié (notez
qu’il s’agit d’une définition seulement anglo-saxonne, dans ce cas là :
en France, on classe plutôt ce genre de roman dans l’Uchronie de
Fantasy).
Fantasy se passant dans un monde imaginaire MAIS fortement inspiré
par une période historique réelle (exemple : le cycle de Lady Trent,
par Marie Brennan).

Fantasy se passant dans un monde imaginaire MAIS se focalisant sur un


lieu et une période fortement inspirés par une tranche très spécifique
de l’Histoire réelle (parfois jusqu’à une reproduction d’une précision
aussi totale que possible, où seuls les noms sont changés et où une
poignée d’éléments Fantasy sont présents). C’est l’approche
majoritairement adoptée par le « pape » du genre, Guy Gavriel Kay.

Comme vous le constatez, la « Fantasy exotique » n’est en fait qu’un sous-


genre spécifique de l’ensemble plus large de la Fantasy historique. Et c’est la
même chose pour la Flintlock Fantasy (mais attention, toute Gunpowder
n’étant pas de la Flintlock, elle ne relève donc pas forcément de la Fantasy
historique). Sachez aussi qu’il en existe d’autres (sous-)sous-genres, comme la
Swashbuckling Fantasy par exemple, qui, comme son nom l’indique, est celle
de « mousquetaires ». Les Anglo-Saxons parlent même d’une « High
Historical Fantasy » qui ajoute également les codes de la High Fantasy / de la
Fantasy épique.
L’écrivain de référence dans ce sous-genre reste le Canadien Guy Gavriel
Kay : après avoir officié dans la Crossworlds Fantasy, il s’est, ces vingt
dernières années, quasiment spécialisé dans une Fantasy historique d’une très
grande qualité, très documentée, très prenante, et aux personnages
extraordinairement vivants. Il a, ainsi, balayé de nombreuses périodes et
civilisations, comme la Provence (La Chanson d’Arbonne) ou l’Espagne
médiévales (le fabuleux Les Lions d’Al-Rassan), comme la Chine des Tang
(Les Chevaux célestes) ou des Song (Le Fleuve céleste), l’Italie de la
Renaissance (Tigane), Byzance (La Mosaïque de Sarance) ou, dans son tout
e
dernier roman, la Croatie du siècle (Children of Earth and Sky).
Si Kay reste la référence incontournable dans le genre, il n’est pas le seul
à y officier, puisque Glen Cook s’est prêté à l’exercice (le magistral
Qushmarrah), et puisque chez nous, Pierre Pevel peut aussi être largement
classifié en Fantasy historique, tout comme l’incontournable Jean-Philippe
Jaworski.
Pourquoi ce genre pourrait-il être reconnu comme un sous-genre majeur
de la Fantasy ? Pour plusieurs raisons : d’abord, parce qu’il est plutôt à la
mode ces dernières années, ensuite parce que beaucoup des livres relevant de
la Fantasy historique sont de très grande qualité, à l’image de ceux de Kay ou
de Jaworski ; et enfin (à la notable exception de Kay qui, s’il se vend très bien
au niveau mondial, ne rencontre pas un tel succès en France), parce que ça se
vend plutôt (très) bien.

Fantasy criminelle
Les crapules et la Fantasy, c’est une vieille histoire d’amour : la présence
de voleurs et autres truands remonte quasiment aussi loin que les origines du
genre. Pendant très longtemps, la référence absolue a été Fritz Leiber et son
Cycle des épées, récemment éclipsé par Scott Lynch et ses Salauds
Gentilshommes.
Ces dernières années, ce sous-genre a connu une
croissance absolument explosive : Fantasy de
gendarmes et de voleurs (Mage de sang de Stephen
Aryan), Fantasy des bas-fonds (Wastburg de Cédric
Ferrand), des assassins (La Voie des ombres, par
Brent Weeks), des escrocs (Les Mensonges de Locke
Lamora, par Scott Lynch), des justiciers, avec un
parfum de polar (Le Baiser du rasoir de Polansky),
Fantasy mafieuse (Princes de la pègre de Douglas
Hulick), et j’en passe. Sans oublier L’Empire ultime de Brandon Sanderson,
évidemment.
En se basant uniquement sur le nombre de livres parus et leur succès, la
Fantasy criminelle pourrait d’ores et déjà être considérée comme un sous-
genre majeur… sauf que c’est, en exagérant un peu, un sous-genre presque
mort-né. En effet, le marché a été saturé un peu trop vite par une pléthore de
livres relevant de ce registre, et même les lecteurs les plus en phase avec ce
sous-genre commencent à dire qu’ils en ont assez et ont envie de passer à
autre chose. Sans compter un point important tout autant qu’insidieux : la
légitime interrogation (qu’on peut étendre à la Fantasy politique et militaire,
d’ailleurs) de savoir s’il est pertinent de classer les romans concernés dans une
catégorie à part, ou de simplement considérer que l’aspect criminel n’est
qu’une thématique, une « saveur », une ambiance surajoutée à un genre
mainstream, le plus souvent la Dark Fantasy.
CINQUIÈME PARTIE
Sous-genres mineurs
de la Fantasy

Nous allons finir notre exploration des sous-genres de la Fantasy avec


ceux qui ne peuvent être considérés ni comme majeurs (tel que défini
auparavant), ni comme en développement rapide et massif, ni comme
constituant probablement les fondamentaux de la Fantasy de demain. Il n’est
évidemment pas question d’examiner chacun d’entre eux, parce qu’il y en a
des dizaines et parce qu’une nouvelle sous-classification émerge chez les
spécialistes presque tous les mois (ou une variante / redéfinition de la
classification précédente…). Nous allons juste examiner certains sous-genres
intéressants, émergents ou ayant / ayant eu une certaine importance dans
l’histoire du genre.

Light Fantasy
La Light Fantasy (ou Comic Fantasy chez les Anglo-Saxons, Fantasy
humoristique chez nous) est, comme son nom l’indique, caractérisée par son
ton léger / humoristique, parfois (mais pas toujours) parodique d’autres sous-
genres se prenant plus au sérieux (la High Fantasy en tout premier lieu). Alors
attention, la fantasy humoristique a tellement été marquée, dans l’esprit du
lecteur français, par l’image de l’univers de Terry Pratchett qu’il est important
de se souvenir que ce dernier n’en constitue qu’un exemple extrême, et qu’il y
a tout un spectre de livres pouvant être classifiés en Light Fantasy sans pour
autant présenter ce genre de délire.
Ce n’est pas forcément parce qu’il y a deux-trois traits d’humour dans un
roman que cela en fait automatiquement un livre de Light Fantasy : il faut
vraiment que, sous une forme ou une autre (parodie de la Fantasy plus
sérieuse –ou de ses personnages, cf. le légendaire Cohen le Barbare chez
Pratchett–, ajouts d’éléments ridicules ou complètement loufoques, défauts
exagérés des personnages –principaux ou secondaires– qui apportent un
élément comique au héros ou à la réalisation de sa quête, etc.), le côté
humoristique, désinvolte et léger prenne le pas sur tout le reste, ou au
minimum soit présent de façon très significative, à un point tel qu’il sera
automatiquement associé à la présentation de l’œuvre.
Dans l’esprit des gens, la Light Fantasy se réduit le plus souvent à Terry
Pratchett, ce qui revient à oublier qu’il y en a eu bien avant lui (citons Fritz
Leiber ou Lyon Sprague de Camp) et qu’on continue à en sortir après son
décès (cf. le récent Kings of the Wyld de Nicholas Eames, opérant dans le
registre de la parodie). C’est par exemple faire l’impasse sur Piers Anthony et
son (interminable) cycle de Xanth, ou encore sur le très prolifique Tom Holt
(alias K.J. Parker).
Notez que certains opposent Light (dans le sens léger) et Dark Fantasy,
en faisant des genres irréconciliables, alors que d’autres font remarquer que
des livres comme ceux de Joe Abercrombie arrivent à mêler humour et
noirceur en un ensemble harmonieux. Il ne faut pas, non plus, oublier que
l’humour a de multiples dimensions, qu’il s’agisse de la parodie, de l’ironie, de
la satire, etc., et que la plupart des textes rattachés à l’Hyperborée chez Clark
Ashton Smith mêlent étroitement humour (à froid) et horreur parfois
extrême.
Certains d’entre vous risquent de se demander pourquoi, malgré la
notoriété et les ventes de Pratchett, la Light Fantasy n’a pas été classée parmi
les sous-genres majeurs : c’est tout simplement dû au fait que malgré cette
figure de proue (à laquelle on peut aussi associer Piers Anthony, du moins au
sein du lectorat anglo-saxon), la Fantasy humoristique reste,
comparativement, un sous-genre marginal par rapport aux masses de livres de
High, de Dark ou d’Urban Fantasy publiées chaque année. C’est aussi dû au
fait que son influence est restée mince, en tout cas pas à la hauteur de
l’Heroic Fantasy ou de la Sword & Sorcery, qui soit ont inspiré des milliers
d’auteurs, soit au contraire ont impulsé un mouvement devant proposer
quelque chose de radicalement différent (la High Fantasy, où l’aventure ne se
réduit pas à assouvir les désirs égoïstes du héros).

Colonial Fantasy
Comme son nom l’indique, cette Fantasy est modelée sur la période des
empires coloniaux post-1492 et centrée sur… le colonialisme (étonnant,
non ?). Elle peut se dérouler dans le cadre historique, réel, ou dans un monde
complètement imaginaire. Elle peut se placer du côté des colonisateurs… ou
des colonisés.
Ce sous-genre, bien que récent, fait preuve d’une belle vitalité dans
l’édition anglo-saxonne : citons Les Mille Noms de Django Wexler, La
Souveraine des ombres de Chris Evans, Sins of Empire de Brian McClellan,
The Traitor Baru Cormorant de Seth Dickinson, Soul of the World de David
Mealing ou encore Le Sang du dragon d’Anthony Ryan. Si un certain nombre
de ces romans sont avant tout de la Flintlock Fantasy et de la Fantasy
militaire, cela ne veut en rien dire que la Colonial Fantasy se réduit à ces
caractéristiques.
En tout cas, du fait de la profondeur des thèmes forcément abordés
(colonialisme, impérialisme, souvent esclavagisme, etc.), cette Fantasy
s’inscrit dans un certain renouveau du genre qui émerge ces dernières années,
et qui consiste à moins se placer dans une optique de divertissement pur et
plus dans celle de faire réfléchir, qui était jusque là plus typique de la SF que
de la Fantasy. Elle s’inscrit également, de fait, dans le changement de cadre
(s’il se place dans les colonies, il sera forcément d’inspiration non européenne)
et d’époque (qui ne sera pas médiévale) qui est un des axes de renouvellement
du genre, jusqu’ici ultra-marqué par un cadre de type européen à la
technologie et au degré de développement politique et social de type
médiéval.

Fantasy Arthurienne
La Fantasy arthurienne, comme son nom l’indique, exploite la légende du
roi Arthur, de Merlin, d’Excalibur, de Guenièvre, Lancelot, etc. Cela peut se
faire selon deux perspectives : raconter à nouveau cette histoire mais cette fois
vue au travers d’un prisme fantastique, ou s’en inspirer, créant un monde et
des personnages qui, en tout sauf en nom, rejoueront une partition identique
ou similaire.
De nombreux auteurs et cycles emblématiques opèrent dans ce registre :
citons évidemment Marion Zimmer Bradley et son cycle d’Avalon, mais aussi
le cycle Les Pierres du pouvoir par David Gemmell, le cycle de Pendragon de
Stephen Lawhead ou encore le cycle Renégat (arthurien et… Dark Fantasy !)
de Miles Cameron.
Et puis évidemment, comment ne pas citer notre Kaamelott national, qui
mêle aux codes arthuriens ceux de la Fantasy popularisés par le jeu de rôle
(AD&D et Warhammer en tout premier lieu, avec notamment la mention de
Skavens –hommes-rats popularisés par le second) ?

Fantasy érotique
Il existe de nombreux sous-genres des littératures de l’imaginaire qui se
concentrent sur les relations amoureuses (pas forcément les relations
charnelles, mais plutôt les liens de nature romantique entre deux individus).
Selon la part que prend la romance dans l’intrigue, la nature du monde
(imaginaire ou réel, médiéval ou moderne) et le niveau de détails dans la
description des relations sexuelles entre les personnages, on distingue la
Romantic Fantasy (médiévale-fantastique), la Paranormal Romance (plutôt
urbaine et moderne) et la Fantasy érotique. Ce qui différencie cette dernière
des deux autres est essentiellement son côté explicite, puisqu’elle décrit avec
d’amples détails ce que les autres se contentent de suggérer.
Notez, pour l’anecdote, que certains distinguent la Romantic Fantasy (où
les éléments fantastiques sont prédominants) de la Fantasy Romance, où
l’emphase est plutôt mise sur la romance que sur ces derniers.
Même au sein de la Fantasy érotique, il y a des gradations, certains
romans étant à la limite du porno, le cadre fantastique, l’intrigue et la
caractérisation des personnages y occupant parfois une place très réduite. On
pourrait résumer cela en disant que, alors que dans un livre de Romantic
Fantasy / Paranormal Romance / Erotic Fantasy « normal » il y a un plus ou
moins grand nombre de scènes amoureuses plus ou moins explicites insérées
dans une intrigue, dans ce genre de porno-fantasy, il y a une très vague
intrigue insérée (lorsqu’on y pense…) entre une multitude de scènes de sexe
ultra-explicites.
Sur le net, certains spécialistes contestent l’existence de l’Erotic Fantasy
en tant que sous-genre à part entière, parlant de « simple étiquette
marketing ». On peut sans doute considérer la Fantasy érotique comme le
sous-sous-genre qui ne saurait à lui seul suffire à classer un roman (qui
relèvera donc, à la base, de la Fantasy classique, de l’Urban, etc.), mais qui
donne une idée claire de son ton, de son ambiance, de ce que le lecteur
pourra trouver dedans et du côté explicite ou pas de la chose. On parlera donc
d’ouvrages d’Urban Fantasy ou de Paranormal Romance relevant en plus de
l’Erotic Fantasy, de par la présence de scènes de sexe / érotiques et de leur
côté sulfureux ou explicite.
Il faut aussi prendre en compte le fait que certains livres, et pas des
moindres, ne relèvent pas de l’Urban Fantasy ou de la Paranormal Romance
(soit parce qu’ils ne se passent pas dans un cadre moderne, soit parce que s’il
y a bien du sexe, il n’est nullement question de romance), et peuvent pourtant
être classés dans (voire être emblématiques de) l’Erotic Fantasy. Enfin, le
nombre de romans pouvant être rangés dans ce sous-genre et la notoriété de
leurs auteur(e)s font que nous avons bel et bien affaire à un sous-(ou sous-
sous-)genre à part entière, clairement distinct du reste (de la Fantasy ou
même de la Paranormal Romance), et rendant donc cette notion de « simple
étiquette marketing » inexacte.

Les trois auteures les plus emblématiques de l’Erotic Fantasy sont


Jacqueline (Kushiel), Laurell K. Hamilton (Merry Gentry) et Larissa
Ione (Demonica), mais on peut aussi citer Le Dernier Loup-garou de
Glen Duncan ou encore le cycle Les Infortunes de la Belle au bois
dormant, relecture hardcore (et BDSM) du conte du même nom,
signé Anne Rice (sous pseudonyme).

Fantasy mythique
Ce sous-genre exploite les codes et les thèmes des mythes, revus selon un
prisme Fantasy. La Mythic Fantasy peut utiliser aussi bien des mythes
existants que d’autres entièrement créés par un auteur et n’ayant aucune
contrepartie historique (c’est ce que l’on appelle la Mythopoeia, du nom d’un
poème de J.R.R. Tolkien).
Le plus souvent, l’échelle épique implique le combat de dieux de
panthéons différents (ou rivaux au sein d’un même panthéon, ou de leurs
champions humains) pour le contrôle / le sort du monde. Un autre thème
commun est de répondre aux grandes questions existentielles, du genre d’où
venons-nous, qui / que sommes-nous, et ainsi de suite.
On peut ranger sous la même bannière les romans de Fairytale Fantasy,
qui reprennent les codes des contes et non des mythes, même si certains en
font deux catégories séparées.
Ce sous-genre a donné naissance à certains des livres les plus
emblématiques de la Fantasy, comme Le Silmarillion de J.R.R. , American
Gods de Neil Gaiman ou La Forêt des Mythagos de Robert Holdstock, mais
aussi à la trilogie de Shiva d’Amish Tripathi, au considérable succès
international et depuis peu disponible en français.

Fantasy of manners
Également Manner Fantasy, ce sous-genre dérive
de la comédie de mœurs, non pas sur un éventuel
aspect humoristique (qui est loin d’être
systématique), mais plutôt sur l’aspect critique
sociale, qui est ici bien plus mis en avant. Il se
caractérise par un milieu (généralement urbain) à la
hiérarchie sociale rigide et complexe, contre laquelle
le ou la protagoniste va devoir lutter. Il se caractérise
aussi par un style très travaillé, que ce soit par un
langage châtié ou au contraire outrancier, et par la
place donnée à l’intrigue (dans le sens complot,
manigances, etc.) dans le scénario. Les éléments de la Fantasy classique
(magie, créatures extraordinaires, etc.) sont en général peu présents (même
s’il y a des exceptions notables, comme Le Fils de l’acier noir de Larry
Correia), voire complètement absents. On ne se bat pas tant contre des
monstres que contre ses compatriotes, contre le système, et moins à l’aide
d’une épée qu’à l’aide de la ruse, de l’intelligence et de l’art de l’intrigue (sauf
chez Larry Correia, où les deux types de combats cohabitent). Bref, c’est de
la Fantasy qui doit presque plus à Jane Austen et aux sœurs Brontë qu’à
Howard ou Tolkien.
C’est Ellen Kushner, autrice de Thomas le rimeur et de À la pointe de
l’épée, qui serait à l’origine du terme. Ce dernier roman est d’ailleurs classé
dans ce sous-genre, tout comme Les Griffes et les crocs de Jo Walton,
Jonathan Strange & Mr Norrell de Susanna Clarke, Une histoire naturelle des
dragons de Marie Brennan ou L’Alchimie de la pierre d’Ekaterina Sedia.

Space Fantasy
La Space Fantasy résulte d’un mélange entre les codes du Space Opera
(sous-genre de la Science-fiction) et ceux de la Fantasy. Cela peut se faire de
deux façons : soit les personnages d’un monde de fantasy classique voyagent
dans l’espace par des moyens qui ne relèvent pas de la technologie mais de la
magie (c’est par exemple le cas dans Spelljammer, supplément au jeu de rôle
AD&D2 exploitant un contexte dérivé de l’éther et des sphères de cristal de
Ptolémée), soit, dans un contexte a priori SF, la présence de pouvoirs
surnaturels (typiquement psi / mentaux ou assimilés) et de codes typiques de
la fantasy (aspect initiatique, influence des mythes, etc.) rapproche l’œuvre de
cette dernière. Nous préférons cependant classer ce dernier cas (qui est par
exemple applicable à Star Wars) en Science fantasy plutôt que dans un autre
genre ou sous-genre. Ce sera aussi le cas de cycles comme ceux de Melissa
Scott (Empress of Earth) ou de Glynn Stewart (Starship’s Mage).
Pourquoi, dès lors, ne pas classifier aussi la Fantasy « à la Spelljammer »
de la même façon ? Mais tout simplement parce que la science ne joue aucun
rôle dedans (pas même « esthétique », comme dans Star Wars), et que donc,
on ne peut pas parler de science fantasy : c’est de la Fantasy tout court, mais
qui se passe en partie dans l’espace et sur d’autres planètes. Il ne s’agit pas
davantage de Science fantasy que de Portal ou de Crossworlds Fantasy.

Swashbuckling Fantasy
La Swashbuckling Fantasy (Fantasy de cape & d’épée) est tout
simplement un équivalent pouvant comporter des éléments surnaturels
(magie, créatures ou races fantastiques) et/ou se passant dans un monde
imaginaire (ou pas) des Trois Mousquetaires ou d’œuvres du même genre. Elle
ne doit pas être confondue avec la Flintlock Fantasy (dont elle est un des
précurseurs ou ancêtres) car cette dernière est inspirée d’une époque
e e
ultérieure (début du siècle au lieu du ) et car elle laisse une bien plus
grande part à l’aspect mousquets, canons et magie à grand spectacle. La
Swashbuckling Fantasy est également considérée comme un sous-genre
centré sur une période très précise de la Fantasy historique.
Ce sous-genre s’est révélé assez prolifique et populaire ces dernières
années, et a donné naissance à plusieurs excellentes sagas. Quelques
exemples : cycle des Lames du roi de Dave Duncan, cycle des Lames du
cardinal de Pierre Pevel, cycle des Manteaux de gloire de Sébastien de
Castell. De plus, même s’il est classifié en Flintlock Fantasy, le cycle des
Poudremages de Brian McClellan est également très inspiré par Alexandre
Dumas.

Hard Fantasy
Dans la conception anglo-saxonne de la taxonomie, il existe un sous-genre
de la Fantasy qui est un « analogue » de la Hard SF, et qu’on appelle donc
Hard Fantasy. Bien plus ancienne qu’on ne le croit généralement (certains
romans qui en relèvent datent de… 1941 !), cette catégorie propose un
monde plus réaliste qu’il n’est de coutume en Fantasy. Attention, cela ne veut
pas dire qu’elle exclut forcément les races non humaines, les dragons, la
magie, etc., mais plutôt que la présence de ces derniers éléments est mieux
expliquée, voire expliquée tout court (concernant les semi- ou non humains,
un très bon exemple est donné dans le cycle La Dague et la fortune de Daniel
« The expanse » Abraham / Hanover, une des deux têtes de James S.A.
Corey). De même, les systèmes politiques (Le Trône de fer), économiques
(La Dague et la fortune, encore), la logistique (The Traitor Baru Cormorant,
de Seth Dickinson), l’histoire et les langues (Le Seigneur des anneaux), la
technologie (Les Couleurs de l’acier), voire la technomagie (Le Nom du vent,
qui s’intéresse aussi à la façon dont un étudiant finance ses études de magie –
ce qui ne court pas vraiment les rues en Fantasy-) ou des éléments de
construction similaires sont bien plus soignés que dans les livres de Fantasy
lambda, surtout les plus anciens.
Mais ces romans brillent particulièrement dans la description des
systèmes de magie : les pouvoirs surnaturels, en Hard Fantasy, ne sortent pas
de nulle part, mais ont une origine et des mécanismes bien identifiés, parfois
avec d’amples détails. Brandon Sanderson, Brent Weeks ou Brian McClellan
sont quelques-unes des références dans ce domaine, mais on peut aussi citer
David Mealing.
SIXIÈME PARTIE
Genres et sous-genres en
–punk

Si vous lisez de la SFFF, il est quasiment certain que vous ayez déjà
entendu parler de termes comme Cyberpunk ou du Steampunk, très
populaires en France ces dernières années. Pour autant, vous ne connaissez
peut-être pas forcément la signification du –punk, l’historique de ces genres
ou sous-genres ou le fait qu’ils ont donné naissance à une galaxie de dérivés.
Cette partie du guide a pour vocation de vous expliquer tout cela.
Le point de départ : le Cyberpunk
Certains textes ou auteurs (citons J.G. Ballard et Roger Zelazny), allant de
la fin des années 60 au milieu de la décennie suivante, firent forte impression
sur les jeunes auteurs émergeant dans les années 80, du fait du réalisme de
leurs histoires, moins héroïques et moins marquées par le conservatisme que
celles de leurs prédécesseurs, et parlant d’un futur qui ne serait pas forcément
glorieux. Les deux textes proto-cyberpunks ayant eu le plus d’influence sont
sans aucun doute Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? de Philip
K. Dick (adapté par Ridley Scott au cinéma pour donner le film Blade
Runner) et Sur l’onde de choc de l’immense John Brunner. Bref, si on nous
permet un parallèle avec la Fantasy, le Cyberpunk, par rapport à la SF
classique, c’est l’émergence de la Dark Fantasy et de ses antihéros plus
sombres, plus complexes, de son ton plus « réaliste », de son ambiance noire,
de ses mondes crépusculaires, de son anti-altruisme, en complète opposition
par rapport à la High Fantasy qui régnait avant elle.
Le terme « cyberpunk » apparaît en titre d’une nouvelle de Bruce Bethke
en 1983, puis sera popularisé par Gardner Dozois (célèbre anthologiste,
nouvelliste et surtout longtemps rédacteur en chef d’un des plus célèbres
magazines de SF américains) l’année suivante. D’ailleurs, 1984 verra la
parution d’un des romans emblématiques du genre, Neuromancien de William
Gibson (ainsi que de l’incroyable Dr Adder de K.W. Jeter).
Disséquons maintenant ce terme : cyber- vient de cybernétique, à savoir
les implants électroniques que l’homme peut utiliser pour augmenter ses
capacités, pilotant par exemple un véhicule « par la pensée » (par liaison
directe entre son système nerveux et les systèmes électroniques de l’engin),
mais aussi de la place très importante donnée aux réseaux, aux IA et au
hacking dans l’univers (cf. le livre de Brunner) ; -punk (voyou en anglais), lui,
vient de l’aspect nihiliste et de l’ambiance, d’un contexte dystopique où
l’homme a été broyé, déshumanisé (si l’on peut dire) par l’émergence brutale
d’une technologie à la vitesse d’évolution exponentielle, ainsi que par la prise
de pouvoir économique, financière, et parfois politique, voire militaire, des
Corporations (dans le sens économique du terme), qui, dans bien des cas, sont
bien plus puissantes que les gouvernements officiels fantoches. Le
Cyberpunk, c’est l’expression la plus ultime et la plus cauchemardesque d’un
capitalisme et d’un libéralisme économique débridés, dérégularisés, tout-
puissants.
Le futur, quasi invariablement proche (et strictement limité au système
solaire, voire même à la seule Terre), des œuvres Cyberpunk (par opposition
à celui, parfois très lointain, décrit dans la SF classique), est à la fois moins
positif, moins héroïque et surtout moins conservateur que celui des romans de
l’âge d’or. Le protagoniste de Cyberpunk est un antihéros, un être à la marge,
« courant sur le fil du rasoir » (Blade Runner), un anarchiste (et souvent
pirate informatique) luttant contre un pouvoir (corporatiste) dépourvu de
toute éthique. En somme, un David combattant un Goliath qu’il n’a aucune
chance de vaincre et qu’il finit (parfois à son insu) par servir. L’ambiance est
noire, dérivée des romans du même nom et du polar (qui marque très
fortement de son empreinte certains ouvrages Cyberpunk), lugubre,
crépusculaire, le ton cynique, la violence omniprésente. Les personnages se
débattent avec de nouveaux modes de vie qui évoluent presque trop vite pour
eux (ce qui, d’un autre côté, est une antithèse voulue avec le fort
conservatisme de la SF antérieure, où on vit en l’an 2500 comme dans
l’Amérique des années 50). Le Cyberpunk dénonce aussi une certaine
superficialité, une dictature du paraître, où les jambes de chrome ne sont pas
forcément une prothèse pour quelqu’un qui a perdu les siennes ou pour un
soldat qui veut améliorer ses capacités au combat, mais un pur accessoire de
mode, parce que leur galbe parfait et leur éclat fascinant sont tendance.
D’une façon finalement assez cocasse, le Cyberpunk fut lui-même victime
de son propre choc du futur : les progrès technologiques furent tellement
rapides (dans le monde réel) que les implants cybernétiques et les réseaux
primitifs du Cyberpunk furent bien vite vus comme déjà obsolètes (pour ne
pas dire ringards) quelques années à peine après la parution des romans
concernés. Cela conduisit certains auteurs à proposer quelque chose plus en
phase avec les perspectives offertes par la science et la technologie réelles ; de
plus, alors que le Cyberpunk se posait en antithèse d’un certain futur
conservateur et béat tel que décrit avant lui, certains écrivains ont cherché à
en garder le squelette (le rapport, dans un futur proche, de l’humain avec des
technologies émergentes ou de nouveaux modes de vie), mais sans le côté
noir, à la marge et dystopique du Cyberpunk classique. Bref, le
Postcyberpunk était né.

Une sélection d’auteurs emblématiques : William Gibson, Bruce


Sterling, Walter Jon Williams, K.W. Jeter, George Alec Effinger (ou le
« cyberpunk thé à la menthe »), Pat Cadigan.

Postcyberpunk
Le Postcyberpunk, dont on peut faire remonter
l’acte de naissance à la publication de Snow Crash /
Le Samouraï virtuel de Neal Stephenson en 1991,
reprend certains des thèmes ou codes du Cyberpunk
(futur proche, limité le plus souvent en termes
d’expansion de l’homme dans l’espace –mais pas
toujours, cf. la trilogie Altered Carbon / Carbone
modifié–, homme confronté à l’émergence rapide de
nouvelles technologies et/ou modes de vie), mais
avec une différence considérable : le ton. Il n’est plus
forcément question de faire dans le lugubre,
l’antihéros marginal évoluant dans une société dystopique (encore que,
Kovacs, une fois encore…) avec une attitude nihiliste disparaît au profit soit
d’un individu intégré dans sa société, soit de quelqu’un décidé à faire bouger
les choses dans le bon sens. Mais surtout, le rapport à la technologie (ou aux
modes de vie émergents) a beaucoup changé, il est en général plus apaisé,
plus sain. Un des dérivés récents du Postcyberpunk, le Solarpunk, fait même
de ce futur un cadre où l’écologie est une valeur suprême et où les
corporations, si elles sont certes puissantes, sont aussi beaucoup plus
« vertueuses » que dans un livre Cyberpunk classique (voir plus loin).
Cette différence de ton est une manière de définir le Postcyberpunk. Une
autre est de dire qu’on peut très bien avoir un ton (presque) aussi noir que
dans le Cyberpunk classique, mais qu’en revanche la nature de la technologie
au centre de l’univers sera différente, nettement plus perfectionnée : exit les
implants électroniques du Cyberpunk à papa (et ses réseaux informatiques qui
nous paraissent complètement folkloriques au regard des standards
modernes), voici venir la génétique et les nanomachines.
Dans tous les cas (rapport aux changements de paradigme, forme que
prend la société, insertion du protagoniste dans cette dernière, maturité de la
technologie. Notamment des réseaux ou d’augmentation des possibilités du
corps humain), on peut analyser le Postcyberpunk comme étant une forme
plus mature, réaliste, nuancée (la technologie a des points négatifs, peut être
aliénante, mais est aussi un facteur positif, étendant les possibilités humaines :
tout dépend de l’usage que l’on en fait) du Cyberpunk classique, ce qui est
ironique lorsqu’on se souvient qu’à l’origine, ce dernier se positionnait
exactement de la même façon par rapport à la SF parue avant lui.
Notez que de nos jours, le Postcyberpunk ne coexiste pas avec le
Cyberpunk « classique », mais l’a remplacé. Par contre, il existe en parallèle
d’autres sous-genres, considérés ici comme des dérivés, mais que certains
placent sur le même plan que lui (partant du principe que le Postcyberpunk,
pas obligatoirement nihiliste, n’est pas le genre parent d’un Biopunk
majoritairement assez noir, par exemple) : il s’agit du Biopunk, du Nanopunk
et du Solarpunk.

Biopunk
Le Biopunk est parfois appelé Ribofunk, voire
Ribopunk, en référence au ribosome, la pièce
maîtresse de la machinerie cellulaire dans la
traduction de l’ADN (ou plutôt de l’ARNm) en
protéines de structure ou métaboliques. Il est l’enfant
à la fois du Cyberpunk et du Postcyberpunk : il
hérite du second une emphase sur des technologies
avancées, non centrées sur l’informatique, les
réseaux ou la cybernétique, et du premier un ton
souvent très noir, une emphase sur les horribles
expériences génétiques menées par des
gouvernements ou des corporations sans scrupules. Des multinationales qui
cherchent soit le contrôle des masses, soit le profit à n’importe quel prix. Il se
penche aussi sur les dangers et la face sombre des biotechnologies, de la
génétique, du clonage, etc. Un thème possible est aussi la stratification sociale
créée entre ceux qui peuvent se payer les dernières bioaméliorations et ceux
qui ne le peuvent pas (comme dans le film Bienvenue à Gattaca).
Comme son nom l’indique, le Biopunk se concentre sur les
biotechnologies, la génétique, la création de drogues régulant les fonctions
métaboliques dans un sens ou un degré inédit, celle de « robots biologiques »,
de variantes « améliorées » de l’humanité et ainsi de suite.
Bien que l’on situe sa naissance en 1985, certains de ses romans ou
recueils de nouvelles les plus emblématiques ne verront le jour qu’une
décennie plus tard. On peut lire sur le Net que ce sous-genre bien plus
méconnu du grand public que le Cyberpunk est un peu mort-né, tant il s’est
révélé peu prolifique. Àune nuance près : s’il ne rassemble, certes, que peu de
livres, ceux-ci sont en général de grande qualité.

Une sélection de romans emblématiques : La Musique du sang de


Greg Bear, Les Diables blancs de Paul McAuley, La Fille automate de
Paolo Bacigalupi, le cycle Rifteurs de Peter Watts, Le Lait de la
chimère de Robert Reed, L’une rêve l’autre pas ou Les Hommes
dénaturés de Nancy Kress, BIOS de Robert Charles Wilson (hybride
de Biopunk et de Planet Opera très, très noir), et surtout Féerie de
Paul McAuley et Ribofunk de Paul Di Filippo (nettement moins noir
et nihiliste que le Cyberpunk ou même le Biopunk standard).

Nanopunk
Le Nanopunk relève de la même philosophie générale que le Biopunk
(remplacer la cybernétique et les technologies de l’information par une autre
science, plus avancée), mais substitue aux bio- les nanotechnologies, encore
plus pointues. De plus, il est globalement moins noir que le Biopunk. C’est
encore un genre relativement émergent, loin d’avoir atteint une hypothétique
maturité, mais qui a lui aussi déjà donné naissance à des œuvres très
intéressantes.
Les deux références en matière de Nanopunk sont L’Âge de diamant de
Neal Stephenson ainsi que la majorité de l’œuvre de Linda Nagata (dont Aux
marges de la vision), mais on peut aussi citer La Proie de Michael Crichton,
La Maison des derviches de Ian McDonald ou encore Bloom (en VO) de Wil
« Collapsium » McCarthy.

Solarpunk
Le Solarpunk est un sous-genre encore émergent, à tel point que certains
doutent même de l’intérêt, à ce stade, d’en faire une nouvelle catégorie dans
l’arborescence déjà très complexe qu’est la taxonomie de l’imaginaire.
Son but est de prendre le contre-pied complet du suffixe , en proposant
une atmosphère positive, un futur qui ne fait pas peur, dépourvu de guerres
ou de catastrophes, avec une préoccupation écologique qui est au centre de
tout. Chose incroyable, les corporations y ont même un comportement
décent, et ne représentent pas le mal (capitaliste) absolu, omnipotent, prêt à
tout pour une poignée de dollars.
Un bon exemple de ce nouveau courant est le cycle Les Enfants de
Poséidon d’Alastair Reynolds.

Le Steampunk, ou le choc du Futur… dans le passé !


Nous avons déjà eu l’occasion de parler du Steampunk dans la deuxième
partie de ce guide, il est donc inutile de revenir dessus en détail. Précisons
toutefois quelques petits points de nature historique. La genèse du terme est
attribuée à K.W. Jeter, un des précurseurs du genre avec Tim Powers et
James Blaylock, justement pour qualifier les œuvres du trio, inscrites dans
l’ère victorienne et la technologie basée sur la vapeur (d’où le steam) et qui,
selon lui, constituaient la prochaine évolution de la SF alors en pleine ère du
Cyberpunk. C’est un autre pionnier, Paul Di Filippo (encore lui !), qui sera le
premier à employer explicitement le terme dans le titre d’une de ses trilogies
de romans courts.
En réalité, le terme Steampunk est maladroit et le fait d’en faire un sous-
genre ou un dérivé du Cyberpunk une erreur, car les deux ne partagent en fait
qu’un nombre de points communs limités (des changements de paradigme
technologiques potentiellement déstabilisants et remodelant brutalement la
société, par exemple). Le Steampunk, qu’on le considère comme un genre à
part entière (comme dans ce guide), un sous-genre du Rétrofuturisme ou de
l’uchronie ou encore une simple « esthétique » s’ajoutant à une classification
plus classique, est trop différent du Cyberpunk pour établir une relation
réellement pertinente entre les deux.
Contrairement au Biopunk (par exemple), le Steampunk a été très
populaire dès l’origine, et est un genre (ou sous-genre, selon votre conception)
vigoureux en termes de nombre de publications. Même certains des auteurs
les plus emblématiques du Cyberpunk, comme William Gibson et Bruce
Sterling, s’y sont essayés dans un roman commun, La Machine à différences.
C’est aussi un genre qui a inspiré un grand nombre d’auteurs français de
premier plan.
Un autre signe certain de la vitalité et du succès du genre est le nombre de
dérivés ou de sous-genres auxquels il a donné naissance : en effet, certains se
sont demandé pourquoi des Terres uchroniques caractérisées par une science
rétrofuturiste (en avance sur son époque théorique d’apparition) devaient
forcément situer le point de divergence et/ou l’époque à laquelle se déroule le
récit à l’ère victorienne, comme le Steampunk. Dès lors, d’autres sous-genres
sont apparus, et certains continuent encore à apparaître, comme le prouve le
récent L’Empire électrique de Victor Fleury, qui s’autoclassifie dans le
Voltapunk (ce fix-up est centré sur une utilisation très futuriste –par rapport à
l’époque napoléonienne à laquelle il se situe– de l’énergie électrique –et pas
de la vapeur). D’autres auteurs se sont demandé si l’esthétique et certains
codes du Steampunk pouvaient être appliqués à autre chose, par exemple à la
Fantasy.

Clockpunk
Le Clockpunk, c’est du rétrofuturisme avec une technologie non pas
basée sur la vapeur, mais sur les engrenages et les ressorts, de type
Renaissance. Certains y classent L’Alchimie de la pierre d’Ekaterina Sedia, et
on pourrait aussi y ajouter L’Automate de Nuremberg de Thomas Day. Les
autres romans considérés comme emblématiques de ce sous-genre sont trop
obscurs ou ont reçu des critiques trop mitigées pour avoir attiré l’attention du
grand public. Si l’on prend en compte l’aspect « révolution industrielle à la
Renaissance », on peut enfin citer Les Conjurés de Florence de Paul McAuley.

Dieselpunk
Alors que le Steampunk s’inscrit dans l’ère victorienne et celle de la
vapeur, le Dieselpunk (terme apparu en 2001) couvre la période allant de la
Première Guerre mondiale au début des années 50, mais toujours avec un
aspect à la fois rétrofuturiste et uchronique. Certains placent même le curseur
à la seule période de l’entre-deux-guerres, mais l’abondance d’uchronies liées
à la Seconde Guerre mondiale dans ce sous-genre rend cette approche peu
pertinente.
Le ton des livres concernés se place quelque part entre le Rétrofuturisme,
l’Uchronie, le roman noir et le pulp, avec parfois une touche d’horreur ou de
magie / surnaturel. Certains classent d’ailleurs le cycle des Chroniques du
Grimnoir de Larry Correia dans le Dieselpunk. Qui est d’ailleurs lui-même
divisé par certains en deux sous-sous-genres, un dystopique et un autre plus
utopique. On peut aussi citer la trilogie Young Adult, Léviathan de Scott
Westerfeld (bien que lui-même ne soit pas d’accord et classe plus volontiers
sa série dans le Steampunk mainstream).

Atompunk
L’Atompunk concerne, lui, la période comprise entre 1945 et 1965, celle
du communisme, de la guerre froide, de la course aux armements et à
l’espace. Sauf qu’avec des rayons de la mort, c’est encore plus rigolo. Ce n’est,
pour l’instant, pas un genre particulièrement prolifique ou ayant attiré / fait
émerger des auteurs connus, mais il est, logiquement, destiné à se développer
au fur et à mesure qu’une certaine lassitude se fera sentir par rapport au
Rétrofuturisme victorien.

Gaslamp Fantasy
La Gaslamp est, comme son nom l’indique, à la fois un dérivé du
Steampunk et un sous-genre de la Fantasy. Elle adopte ce que l’on pourrait
appeler une esthétique steampunk (et victorienne / edwardienne, ou parfois
liée à la Régence) sans que l’action se déroule forcément dans notre monde
(mais plutôt dans un univers imaginaire), sans qu’il y ait toujours un aspect
uchronique, ni obligatoirement de science rétrofuturiste. Par contre, les
aspects fantastiques (magie, créatures et races extraordinaires, etc.) sont
beaucoup plus présents que dans le Steampunk. La difficulté à distinguer,
parfois, les deux vient du fait que bien des précurseurs du Steampunk
laissaient une place beaucoup plus importante au surnaturel que les livres
modernes relevant de ce genre ne le font (le plus souvent). Certains
distinguent les deux par le fait que les livres de Gaslamp Fantasy ne
comprennent pas (ou très peu) d’élément « punk », à savoir nihiliste, cynique,
dystopique, lugubre, etc. Enfin, ce sous-genre présente des caractéristiques
communes avec le roman gothique.

En résumé, la Gaslamp Fantasy est :

Un sous-genre de la Fantasy à esthétique steampunk.

Se déroule plutôt dans un monde secondaire (imaginaire).

Ne présente donc pas toujours un caractère uchronique comme le


Steampunk.
Ne montre pas toujours de science rétrofuturiste (c’est le cas dans Le
Sang du dragon d’Anthony Ryan, par exemple).

Est beaucoup plus riche en magie et en créatures fantastiques que le


Steampunk, sauf à la rigueur le plus ancien.

Quelques auteurs ou œuvres emblématiques : Brother’s Ruin


d’Emma Newman, L’Alchimie de la pierre d’Ekaterina Sedia, le cycle
de Téméraire de Naomi Novik, celui de Lady Trent de Marie
Brennan, Le Sang du dragon d’Anthony Ryan.

Silkpunk
Ce terme, et ce sous-genre dérivé du Steampunk, a été créé par Ken Liu
dans le cadre de son premier roman proprement dit, La Grâce des rois.
Pour résumer, le Silkpunk reprend la logique de la Gaslamp Fantasy, à
savoir le recyclage de certains codes du Steampunk dans un monde
secondaire / une variation uchronique du nôtre et dans une optique Fantasy,
avec magie et/ou créatures –races fantastiques PLUS de la science
(rétrofuturiste ou pas). Le Silkpunk, cependant, substitue à l’inspiration
victorienne de la Gaslamp un cadre sinisant (d’où le silk – soie en anglais). De
plus, comme l’explique Liu, alors que les autres sous-genres en -punk dérivés
du Steampunk sont tous basés sur une source d’énergie particulière (vapeur,
diesel, atomique, etc.), le Silkpunk, lui, est basé sur une esthétique, des
matériaux (le bambou ou la soie, par exemple, associés aux civilisations
asiatiques).
Pour l’instant, le Silkpunk est un sous-genre encore balbutiant,
principalement incarné par les romans de Fantasy de Ken Liu, même si
d’autres auteurs commencent timidement à pointer le bout de leur nez. On
peut douter de son essor (la Fantasy asiatique n’est, notamment, pas populaire
en France, encore moins que l’arabisante), mais le Silkpunk pourrait
constituer une alternative à la très dynamique Gaslamp Fantasy une fois
qu’auteurs, éditeurs et lecteurs se seront lassés du cadre victorien. De plus, il
est tout à fait possible que le Silkpunk ouvre la porte à d’autres sous-genres
mélangeant certains codes du Steampunk à ceux de la Fantasy dans des
cadres exotiques (= non inspirés par l’Europe médiévale) : imaginez, par
exemple, le potentiel d’une Fantasy maya / inca / aztèque mêlant magie,
technologie à vapeur, gadgets rétrofuturistes et armes à feu…

Donc, histoire de synthétiser, le Silkpunk est :

Un dérivé du Steampunk, ou plus précisément d’une de ses variantes, la


Gaslamp Fantasy.

Pour autant, dans la taxonomie des littératures de l’imaginaire, il est plus


proche de la Fantasy que du Steampunk proprement dit (qui, selon les
conceptions, dérive de la SF ou est un genre à part entière –c’est notre
approche).

Il reprend les mêmes codes que la Gaslamp, à deux différences près :


l’inspiration n’est pas victorienne mais chinoise, et la technologie n’est
pas forcément ou entièrement basée sur la vapeur.

Quelques auteurs ou œuvres emblématiques : Ken Liu (cycle The


Dandelion Dynasty, dont le premier tome est La Grâce des rois), Jy
Yang (cycle Tensorate), Zhang Ran (The Snow of Jinyang), Richard
Garfinkle (Celestial matters).
SEPTIÈME PARTIE
Sous-genres majeurs de la
Science-Fiction

Comme la Fantasy, la Science-Fiction (SF) est divisée en nombreux sous-


genres. Là encore on rencontre des différences de conception entre les divers
spécialistes qui ont essayé d’établir une taxonomie, ainsi qu’entre Français et
Anglo-Saxons (qui mettent par exemple l’Uchronie, l’Anticipation et le
Steampunk dans le même sac que la SF). Nous avons choisi le système qui
paraît le plus simple et direct, c’est-à-dire celui qui consiste à subdiviser le
genre en sous-catégories basées sur les thématiques abordées / le but
recherché (divertissement, réflexion, ou les deux à la fois), l’emphase mise
(ou non) sur les sciences « dures » ou les sciences sociales, l’ampleur spatiale
et temporelle couverte (du futur proche au plus lointain, de la seule Terre à la
galaxie entière, voire l’univers –ou même plusieurs !) et la complexité de
l’écriture / de la psychologie des personnages/ le réalisme de l’univers/ la
noirceur du ton.
Comme celle des sous-genres majeurs de la Fantasy, cette taxonomie a
été établie en tenant compte à la fois de l’importance du sous-genre en
question dans l’histoire de la SF, du nombre de livres, de cycles ou
d’auteur(e)s marquant(e)s généré(e)s, ainsi (il faut bien le dire) que du succès
commercial associé à ce style de romans. Il est préférable de lire les rubriques
dans l’ordre, tant un sous-genre donné peut avoir été conçu en réaction à un
autre, d’émergence antérieure.

SF d’anticipation
On a tendance à placer toute l’Anticipation au sein de la SF ; pourtant
certains romans d’Anticipation qui se déroulent, par définition, dans le futur,
ne donnent aucun rôle à la science. Un exemple : Soumission de Michel
Houellebecq relève de l’Anticipation, mais de la politique-fiction et pas de la
SF. Nous nous concentrerons ici sur la SF d’anticipation, l’Anticipation étant
un genre à part entière et pas (seulement) un sous-genre de la SF. Remarquez
d’ailleurs que si toute l’Anticipation n’est pas de la SF, inversement toute la
Science-fiction n’est pas de l’anticipation, puisqu’elle peut se dérouler dans le
présent (et pas dans le futur), voire le passé, et/ou abandonner toute
prétention à décrire de façon plausible ce qui pourrait arriver pour au
contraire s’axer sur l’épique ou le merveilleux.
De même, grande est la tentation de mettre dans
le même sac SF d’anticipation et dystopique (voire
post-apocalyptique), mais tous les livres relevant de
la première ne sont pas dystopiques (certains
présentent même des utopies) ou ne décrivent pas
des écosystèmes ou des sociétés ravagées. On
considérera que les SF dystopique et post-
apocalyptique sont des sous-genres ou des variantes
de la SF d’anticipation, même si cette position peut
être contestée, au moins sur des exemples
spécifiques (si on ne connaît pas la cause de
l’apocalypse et qu’on nous décrit un monde où la technologie n’est plus
présente ou en décrépitude, peut-on vraiment parler de SF ou juste
d’anticipation ?).
L’Anticipation en général consiste à extrapoler certaines tendances
(sociales, politiques, économiques, technologiques, etc.) présentes au moment
où le roman est écrit et de les appliquer à un futur plus ou moins lointain. La
SF d’anticipation se concentre spécifiquement sur tout ce qui est lié à la
science et à la technique ou en tout cas qui met en jeu un contexte dans lequel
la science joue un rôle de premier plan (comme la vie sur un satellite ou une
autre planète du système solaire, par exemple).

En résumé, la SF d’anticipation c’est :

Une SF qui tente d’extrapoler les tendances actuelles dans un futur plus
ou moins lointain, soit celles de la science, soit d’autres domaines,
mais dans un cadre fortement influencé par la science.

But : susciter de la réflexion.

Types de sciences : toutes, mais avec une présence systématique de


sciences dures.

Ampleur spatiale et temporelle couverte : en général réduite (Terre ou


système solaire, futur proche en général –quelques décennies au
maximum), même si des exceptions existent.

Complexité d’écriture / psychologie des personnages : moyenne à


importante / moyenne à importante.

Réalisme de l’univers / noirceur du ton : au moment de l’écriture de son


roman, l’auteur tente en général de proposer quelque chose d’aussi
réaliste que possible, même s’il peut parfois forcer le trait
intentionnellement. Dans le cas d’une anticipation purement
scientifique, sans message idéologique à faire passer ou réflexion à
proposer, il peut parfois être très rapidement dépassé (en quelques
années) par les évolutions de la science réelle. Le ton peut varier du
tout au tout, de l’exaltation d’une science triomphante à la noirceur de
la plus glaçante des dystopies.
Quelques auteurs ou œuvres emblématiques : Jules Verne (De la
Terre à la Lune, Vingt mille lieues sous les mers), Hugo Gernsback,
Vernor Vinge (Rainbows End), de Greg Egan, Terre de David Brin, La
Maison des derviches de Ian McDonald, Days de James Lovegrove,
Demain les chiens de Clifford D. Simak, Jack Barron et l’éternité de
Norman Spinrad, La Parabole du semeur d’Octavia Butler.

Space Opera
Au commencement de l’histoire moderne de la SF, à l’ère des Pulps
(magazines américains imprimés sur du papier bon marché), était le Space
Opera. Celui-ci a été créé / formalisé par deux auteurs, E.E. « Doc » Smith et
Edmond Hamilton (le créateur du Capitaine Flam, appelé Capitaine Futur
dans l’édition française des romans). À l’origine, le terme est péjoratif, et
employé par les détracteurs de cette littérature par analogie avec le fameux
Soap Opera. Héritier direct des romans d’aventures, du western, des récits
d’exploration de continents exotiques et inconnus et de la littérature navale, le
Space Opera en reprend l’ADN, sinon certains des codes : aventure est le
maître mot, les étendues inexplorées de la galaxie remplacent celles de
l’Afrique ou de l’Amérique du Sud, le blaster remplace le six-coups et le
vaisseau spatial le navire ou le chariot bâché.
Ce qu’il faut bien retenir dans le Space Opera de l’âge d’or de la SF (avant
les années 60), c’est qu’il s’agit d’une littérature hautement épique et
héroïque : les protagonistes sont des surhommes et des parangons du bien, de
la vertu et de la morale, l’échelle (notamment de taille et de nombre de
vaisseaux, de puissance des armes et d’étendue spatiale couverte) démesurée,
l’antagoniste est complètement mauvais et inimaginablement puissant, et c’est
le sort du monde, voire de la galaxie ou de l’univers, qui est en jeu, rien de
moins. On remarquera d’ailleurs les convergences avec l’univers des
superhéros (sa démesure, son manichéisme), ce qui n’est guère étonnant
connaissant le parcours professionnel de pionniers du genre comme Edmond
Hamilton. La forte présence de pouvoirs psi dans ce genre de SF est d’ailleurs
un facteur de rapprochement supplémentaire.
La guerre, les combats et l’action y sont très présents, mais il ne faudrait
pas pour autant confondre le Space Op’avec la SF militaire : on est adepte des
armes, certes, on se bat (souvent), mais on est et on reste un aventurier (un
civil, un paramilitaire tout au plus), libre de ses mouvements, et non un soldat
d’une armée officielle soumis à des supérieurs. De plus, certains livres de SF
militaire se passent sur Terre / une seule planète, et n’impliquent pas les
combats spatiaux ou les contextes multiplanétaires qui caractérisent le Space
Opera. Enfin, certains livres de SF militaire (tendance Joe Haldeman /
antimilitariste) proposent une réflexion morale sur la guerre qui va bien au-
delà du simple aspect aventure galactique et de l’aspect épique des titanesques
batailles décrites.
Histoire de donner des points de comparaison à ceux qui lisent peu de SF,
mais connaissent en revanche un minimum la Fantasy, le Space Opera « old
school » (par opposition au New Space Opera, postérieur) ressemble à une SF
qui aurait la démesure de la épique, l’absence d’ambiguïté morale et de la
nette polarisation méchants / gentils de la High Fantasy et une psychologie
des personnages brossée à grands traits archétypaux et immuables dans la
veine de l’Heroic Fantasy.
Un point capital à retenir est la notion de sense of wonder, ce sentiment
d’émerveillement (parfois d’effroi, de sidération) et/ou d’épiphanie créé par
les vastes échelles spatiales et temporelles, les merveilles de l’univers, les
miracles technologiques ou le côté épique des grandes conflagrations
militaires étroitement associé au Space Opera, sous-genre de la SF mettant le
plus en avant l’exploration spatiale et les contextes multi-planétaires.

En résumé, le Space Opera c’est :


Une SF à grand spectacle, mettant en scène de vaillants héros et
aventuriers de l’espace devant sauver, les armes à la main, le monde,
la galaxie ou l’univers de races extraterrestres ou de méchants très très
méchants.

But : divertissement avant tout. Ce qui n’exclut pas toujours la réflexion,


parfois relativement pointue (notamment chez Asimov ou Stapledon).
En tout cas plus que ce que prétendait la Nouvelle Vague de la SF
(voir plus loin), qui dénonçait la pauvreté du fond dans le Space
Opera et en proposait une antithèse.

Types de sciences : très variable : cela va de l’absolument pas réaliste / la


pseudoscience à la quasi-Hard SF (voir plus loin), parfois dans deux
œuvres différentes du même auteur ! (cf La Curée des astres vs La
Patrouille galactique de « Doc » Smith).

Ampleur spatiale et temporelle couverte : l’espace couvert est très grand


(au minimum plusieurs systèmes solaires, en général beaucoup plus –
de la galaxie à l’univers tout entier), et le contexte est en général situé
dans un futur lointain. L’ampleur temporelle couverte peut être très
importante (deux milliards d’années dans le cycle du Fulgur, par
exemple).

Complexité d’écriture / psychologie des personnages : l’écriture est en


général simple et directe, même s’il y a des exceptions. Il en va de
même pour la psychologie des personnages.

Réalisme de l’univers / noirceur du ton : l’univers peut aller de la quasi-


Fantasy de l’espace à une SF qui tente d’être en accord avec les
connaissances scientifiques (astronomiques notamment) disponibles à
son époque. Le ton est soit ultra-optimiste et manichéen (c’est hé-ro-ï-
que, on vous dit), soit mélodramatique.

Quelques auteurs ou œuvres emblématiques : E.E. « Doc » Smith


(Le cycle du Fulgur, particulièrement Triplanétaire), Edmond
Hamilton (cycle de Capitaine Futur), A.E. Van Vogt, Olaf Stapledon,
Leigh Brackett, Catherine Moore, Jack Williamson, Isaac Asimov,
Grand Central Arena (Ryk E. Spoor ; une tentative récente de faire
revivre l’esprit du Space Opera de l’âge d’or de la SF).

Planet Opera
Le Planet Opera est une variante du Space
Opera qui se concentre sur une seule planète et son
exploration complète par le lecteur. En général, elle
possède au moins une caractéristique très
inhabituelle qui en fait tout l’intérêt et lui donne une
importance cruciale dans l’univers du roman (on
pensera bien entendu à Arrakis et à son épice en
lisant ces lignes). Planète est d’ailleurs un terme un
peu abusif, puisque l’objet en question peut tout
aussi bien être une structure artificielle de taille
planétaire (voire même plus grand), comme
l’Anneau-monde de Larry Niven, par exemple (certains classifient ce genre de
livre à part, dans une catégorie appelée SF à BDO –Big Dumb Objects). Notez
que les Anglo-Saxons, qui appellent plutôt ce genre Planetary Romance, en
font un fourre-tout bien plus large, qui comprend des livres que nous
classifierions plutôt en Science fantasy, voire en Fantasy tout court.
Le Planet Opera est moins inspiré par les romans d’aventures, de
littérature navale ou militaire que par les ouvrages centrés sur l’exploration de
continents encore largement inconnus et toujours hautement mystérieux.

En résumé, le Planet Opera c’est :

Une variante du Space Opera non centrée sur l’espace profond ou un


contexte multiplanétaire, mais plutôt sur un seul monde.

But : aventure / divertissement et/ou réflexion.

Types de sciences : très variable, peut aller de la quasi-Fantasy à la Hard


SF.

Ampleur spatiale et temporelle couverte : une seule planète en général, et


une étendue temporelle dans la plupart des cas très élevée (on suit
souvent la destinée de la ou des civilisations de la planète sur des
siècles, voire des millénaires).

Complexité écriture / psychologie des personnages : la complexité de


l’écriture est variable, mais elle est le plus souvent solide. Même chose
pour la psychologie des personnages.

Réalisme de l’univers / noirceur du ton : très variable, allant de la quasi-


Fantasy au ton héroïque et centrée sur l’aventure à quelque chose de
beaucoup plus sombre et réaliste, mettant en jeu des notions
complexes comme l’écologie, l’anthropologie, la sociologie, le
colonialisme, etc.

Quelques auteurs ou œuvres emblématiques : il y en a tellement


qu’il est impossible de citer tous les cycles emblématiques. Nous
nous bornerons donc à évoquer une sélection personnelle
composée du cycle de Dune de Frank Herbert, de la Trilogie
martienne de Kim Stanley Robinson, du cycle d’Helliconia de Brian
Aldiss, (certainement un des plus beaux exemples du sous-genre,
avec les deux précédents), du cycle d’Hypérion de Dan Simmons, du
Monde du fleuve de Philip José Farmer, de l’Anneau-monde de Larry
Niven, de Deathworld de Harry Harrison, BIOS de Robert Charles
Wilson, Saison de gloire de David Brin, du cycle de Tschai ou de La
Planète géante de Jack Vance, de celui de Ténébreuse de Marion
Zimmer Bradley, de La Main gauche de la nuit / Le Dit d’Aka / Le
nom du monde est forêt d’Ursula Le Guin, du cycle de Tiamat de
Joan D. Vinge ou encore Les Profondeurs de la Terre de Robert
Silverberg.

Nouvelle Vague de la SF
Dans les années soixante émerge une nouvelle génération d’écrivains qui
rejette en bloc tout ce qui caractérise (à leurs yeux) le Space Opera de l’âge
d’or : la pauvreté de l’écriture, le divertissement pour le divertissement, le
culte des armes et la glorification de la guerre, les personnages
monodimensionnels, l’emphase mise sur les sciences dures, etc.
Issu de la contre-culture, ce courant littéraire (surnommé « Nouvelle
Vague », par analogie avec celle du cinéma français) avait pour ambition de
proposer une Science-fiction plus littéraire (en appliquant à la SF les
techniques d’écriture de la littérature générale, contribuant ainsi à affaiblir les
barrières entre les deux mondes), plus raffinée et audacieuse (voire
expérimentale) dans son écriture, mettant plus l’emphase sur les sciences
humaines que sur les sciences dures (dans une continuité de la Soft-SF
apparue une décennie avant), sur des thématiques plus « adultes » (les pulps
et leur Space Opera étant considérés comme une littérature pour ados ;
remarquez que ces thématiques s’étendent très souvent aux drogues et au sexe,
ce dernier étant jusque là quasi complètement absent de la SF), et surtout,
dans l’Ailleurs et Demain, de faire une allégorie critique de nos sociétés
d’aujourd’hui, au lieu de glorifier béatement un futur forcément merveilleux
grâce aux prodiges d’une science triomphante. Il s’agit enfin d’un courant
littéraire fortement antimilitariste, ne parlant de la guerre et de l’armée que
pour mieux la dénoncer (notamment celle du Vietnam, particulièrement chez
Joe Haldeman).
Ce sont ainsi tous les codes du Space Opera qui
sont cassés, et ce de façon délibérée. La Nouvelle
Vague ne se perçoit pas comme une évolution du
Space Opera (s’il faut définir une filiation, elle se
fera avec la Soft SF), mais comme une antithèse
créée en réaction à son hégémonie. Pourtant, il ne
s’agit pas d’un mouvement concerté, coordonné (ou à
la rigueur plus en Angleterre qu’aux USA), mais
plutôt d’une prise de conscience collective,
commençant vers 1960, d’une volonté d’élargir les
thèmes de la SF à autre chose que l’espace, les
robots et les vaisseaux (et la guerre…), de proposer une écriture plus raffinée,
d’impulser une conscience politique plus grande. Notez cependant que
certains historiens de la SF pensent que, comme l’émergence d’autres
nouveaux courants postérieurs, celle de la Nouvelle Vague était en fait due à
des changements de paradigme technologique (dans le monde réel, bien
entendu) et à des fluctuations du marché littéraire. Tout comme le point de
départ exact du mouvement, son père (mère) fondateur (fondatrice) ne fait
pas non plus consensus : certains parlent d’Alfred Bester, d’autres de Michael
Moorcock (l’intéressé rejetant la responsabilité de l’affaire sur Leigh
Brackett !), d’autres encore de J.G. Ballard ou Brian Aldiss.
Mais le changement ne s’est pas fait qu’en matière de codes : une plus
grande variété d’écrivains a émergé, qu’il s’agisse de femmes (la plus
emblématique étant incontestablement Ursula Le Guin), d’Afro-Américains
(Samuel Delany) ou (surtout) de jeunes (comme Christopher Priest). En effet,
il est intéressant de constater que la moyenne d’âge de ces nouveaux auteurs
était significativement moins élevée que celle de leurs prédécesseurs.
On considère que la Nouvelle Vague s’est éteinte au début des années 80
(avec l’émergence du Cyberpunk et du New Space Opera). Néanmoins son
héritage demeure, sous la forme d’une SF aux thématiques plus larges, aux
personnages plus solides, à l’écriture plus raffinée.

En résumé, la Nouvelle Vague de la SF c’est :

Un courant qui émerge en réaction à la simplicité (perçue) du Space


Opera, dont elle casse tous les codes. Plus solide et audacieuse sur le
plan littéraire, plus ancrée dans une allégorie du présent que dans le
sense of wonder et l’espace profond, moins militarisée, elle met plus
en avant les sciences humaines que les sciences dures (physique, etc.).

But : réflexion.

Types de sciences : humaines / sociales.

Ampleur spatiale et temporelle couverte : variable, mais l’emphase est


moins mise sur les grands empires galactiques et l’exploration spatiale.

Complexité écriture / psychologie des personnages : élevée / évoluée.

Réalisme de l’univers / noirceur du ton : important / variable.


Quelques auteurs ou œuvres emblématiques : J.G. Ballard, Brian
Aldiss, Michael Moorcock, Alfred Bester, Ursula Le Guin, Philip K.
Dick, Christopher Priest, Norman Spinrad, Roger Zelazny, John
Brunner, Samuel Delany, Theodore Sturgeon, Robert Silverberg
(notamment pour L’Oreille interne), Philip José Farmer, Kurt
Vonnegut, Thomas Disch.

New Space Opera (NSO)


À compter de 1975, certains écrivains
commencent à écrire un nouveau type de Space
Opera, qui en garde la démesure spatiale et
temporelle, le Sense of wonder, mais conserve aussi
le meilleur de la Nouvelle Vague de la SF, à savoir
des personnages à la psychologie plus développée,
une écriture moins basique et un certain degré de
réflexion en plus du divertissement. Influencé par le
Cyberpunk, qui se développe également en parallèle,
ce genre se montre moins héroïque ou optimiste
dans la marche en avant triomphale de la science et
de l’humanité vers les étoiles. Et puisqu’on parle de science, ce NSO est
beaucoup plus pointu que son ancêtre, et plus orienté sciences dures que la
Nouvelle Vague. Au contraire de cette dernière, il redéfinit certains codes du
vieux Space Opera, mais ne les rejette pas forcément en bloc en tentant d’en
proposer une parfaite antithèse.
Les Britanniques sont à la pointe de ce mouvement, lui ont donné la
plupart de ses plus prestigieux représentants (voir plus loin).

En résumé, le New Space Opera (NSO) c’est :


Le Space Opera classique, mais en plus sombre, plus réaliste (surtout sur
le plan scientifique), mieux écrit et avec des personnages plus solides,
tout en conservant la démesure spatiale et temporelle de son glorieux
aîné.

But : aventure / divertissement ET réflexion.

Types de sciences : forte emphase sur les sciences dures.

Ampleur spatiale et temporelle couverte : très importante, surtout sur le


plan spatial (bien que assez souvent moins que dans le Space Opera
classique).

Complexité écriture / psychologie des personnages : écriture solide (plus


que dans le Space Opera classique), psychologie des personnages
complexe et développée (idem).

Réalisme de l’univers / noirceur du ton : important / variable mais plutôt


importante en général (plus que dans le Space Opera classique).

Quelques auteurs ou œuvres emblématiques : Iain Banks, Peter


Hamilton, Reynolds, James S.A. Corey, Dan Simmons, Vernor Vinge,
Stephen Baxter, Lois McMaster Bujold, Fred Saberhagen, Robert
Reed, Greg Bear, Gregory Benford, Ken McLeod, Paul McAuley,
Charles Stross, Neal Asher.

SF transhumaniste
La SF transhumaniste s’intéresse à la
transformation de l’humanité sous l’impulsion de la
science, qu’elle soit génétique, cybernétique,
nanotechnologique ou autre (téléchargement de
consciences humaines dans une réalité simulée,
transfert de la conscience dans un corps formé
d’énergie / de champs de force / dans une bulle
d’espace-temps, etc.), voire même de la simple
évolution naturelle (chez Greg Bear ou Stephen
Baxter), pour atteindre un nouveau stade appelé
posthumanité. Par extension, elle peut aussi
concerner l’évolution de la conscience ou de la forme animale et/ou celle
d’intelligences artificielles informatiques.
Il s’agit souvent d’une étiquette apposée par-dessus un sous-genre plus
fondamental, que ce soit le NSO ou la Hard SF.

En résumé, la SF transhumaniste c’est :

La SF transhumaniste s’intéresse à la façon dont la science ou l’évolution


modifiera le corps ou l’esprit humain pour faire atteindre à l’humanité
(ou à certaines espèces animales, aux ordinateurs, etc.) un nouveau
stade appelé posthumanité.

But : réflexion essentiellement.

Types de sciences : dures pour l’essentiel.

Ampleur spatiale et temporelle couverte : très variable, mais en général


importante dans les deux cas (sauf si l’action se passe essentiellement
en réalité simulée), voire très importante chez certains auteurs traitant
d’évolution naturelle (plusieurs dizaines de millions d’années dans
Évolution de Stephen Baxter, par exemple).

Complexité écriture / psychologie des personnages : importante / variable


(chez Greg Egan par exemple, la caractérisation est plutôt faible, les
personnages sont rarement au centre du récit).

Réalisme de l’univers / noirceur du ton : important / variable, mais


pouvant être très sombre (révolte des IA, etc.).

Quelques auteurs ou œuvres emblématiques : Greg Egan


(particulièrement Diaspora, La Cité des permutants), Vernor Vinge
(Un feu sur l’abîme), Iain Banks (cycle de la Culture), Peter F.
Hamilton (L’Aube de la nuit, cycle du Vide), Bruce Sterling
(Schismatrice), David Brin, Peter Watts (Vision aveugle), Greg Bear
(L’Échelle de Darwin, Les Enfants de Darwin), Charles Stross
(Accelerando), Neal Asher (Voyageurs), Nancy Kress, Alastair
Reynolds, Dan Simmons, Frederik Pohl (Homme-plus). Ann
McCaffrey (Le vaisseau qui chantait), Stephen Baxter (Évolution),
James Blish (Semailles humaines), John C. Wright (L’Œcumène d’or),
Brian Aldiss (Le Monde vert), John Varley (Persistance de la vision).

Hard SF
Il y a une terrible confusion à propos de la Hard SF : les gens qui ne lisent
que du Young Adult, voire pas de SF du tout, confondent souvent Hard SF et
SF adulte tout court. Or, bien évidemment, ce n’est pas le cas : toute la SF ne
met pas autant l’emphase sur la science et la technique que ce sous-genre bien
particulier. Autre confusion : ces ouvrages seraient illisibles pour quelqu’un
qui ne serait pas issu d’une filière universitaire scientifique. Or là aussi, c’est
faux, ou du moins, ce n’est pas toujours vrai : tous
les auteurs de Hard SF ne se ressemblent pas, et si
Greg Egan (du moins, là encore, certains de ses
romans / nouvelles, mais pas tous / toutes) est
souvent très exigeant (on citera la trilogie Orthogonal
ou pire, le formidablement pointu Schild’s Ladder),
quelqu’un comme Stephen Baxter ou Alastair
Reynolds sera beaucoup plus lisible. Peter Watts
emploie des concepts pointus, mais il les explique
parfaitement, ce qui ne sera pas le cas d’autres
écrivains, qui feront comme s’ils étaient connus du
lecteur. Enfin, un Alastair Reynolds proposera un univers qui se conforme
globalement aux lois de la physique, mais n’entrera pas dans des détails
techniques : il se conforme à une des définitions de la Hard SF, mais n’est pas
pour autant illisible.
Avant de voir précisément ce qui définit ce sous-genre, donnons-en une
définition par l’exemple : dans Hypérion de Dan Simmons (non Hard SF), on
va vous dire que les vaisseaux-torche ont des propulseurs laissant une longue
traînée de plasma derrière eux (d’où le nom). Et… c’est tout. Dans un roman
de Hard SF, on va vous expliquer que le vaisseau est doté d’une propulsion
magnétoplasmique à impulsion spécifique variable VASIMR, utilisant de
l’argon comme propergol et une centrale à fusion nucléaire inertielle type
Tokamak comme source d’énergie.
Ce qui caractérise avant tout la Hard SF est le respect des lois
scientifiques telles qu’elles sont connues au moment de la rédaction du roman
concerné (une intéressante conséquence étant que ledit livre peut continuer à
être considéré comme de la Hard SF même si des découvertes ultérieures ont
invalidé le phénomène décrit : tout est affaire de cohérence interne). En gros,
que ce soit sur le plan scientifique ou technique, en première intention rien ne
doit être impossible, ne serait-ce que théoriquement, dans le cadre des lois de
la physique, chimie, génétique, etc. Ça, ce sont les Tables de la Loi. En
pratique, certains peuvent opérer de menus arrangements pour permettre à
l’histoire de se dérouler : ce sera par exemple le cas avec une propulsion
supraluminique permettant d’établir une nation interstellaire. Pour un vrai
écrivain (ou lecteur) puriste de Hard SF, en revanche, toute propulsion
hyperluminique sortira immédiatement le livre concerné du sous-genre.
Alastair Reynolds, par exemple, ne propose, dans ses cycles phares, que des
vaisseaux respectant la théorie de la Relativité et ne dépassant pas la vitesse
de la lumière.
La Hard SF est aussi caractérisée par son intérêt pour d’amples détails
scientifiques et techniques : la plupart des auteurs exerçant dans ce sous-genre
décrivent par le menu les théories, les phénomènes et les appareillages mis en
jeu. Et non, ce n’est pas forcément ennuyeux même pour quelqu’un qui n’est
pas un adepte du genre. Regardez Seul sur Mars par exemple. De même,
qu’un livre estampillé Hard SF utilise une propulsion plus rapide que la
lumière ou pas, les mondes décrits le seront de façon réaliste.
La Hard SF est certes un sous-genre globalement plus exigeant que les
autres, mais c’est aussi le pinacle de la Science-Fiction. On sous-estime
l’émerveillement, le vertige que peuvent apporter les plus grands noms de la
Hard SF, de Arthur C. Clarke à Greg Egan en passant par Peter Watts ou
Stephen Baxter.

En résumé, la Hard SF c’est :

Une SF qui tente de rester aussi réaliste que possible par rapport aux lois
de la nature connues au moment de sa rédaction, et/ou qui met une
forte emphase sur les détails scientifiques ou techniques.

But : réflexion.
Types de sciences : sciences dures.

Ampleur spatiale et temporelle couverte : variable, mais peut être très


importante (notamment chez Stephen Baxter).

Complexité écriture / psychologie des personnages : se entre élevée et


extrêmement élevée. Le degré de développement de la psychologie
des personnages est très variable d’un auteur à l’autre, mais peut être
vraiment basique, comme chez Egan par exemple. Contrairement à la
Soft SF, les personnages ne sont que rarement au centre du récit. Il
existe cependant des exceptions (Peter Watts).

Réalisme de l’univers / noirceur du ton : le réalisme de l’univers est la


définition même de la Hard SF, que ce soit la concordance avec les
lois de la physique ou même la cohérence interne. Le ton est très
variable, mais peut être extrêmement noir chez certains (Watts, là
encore).

Quelques auteurs ou œuvres emblématiques : Greg Egan, Peter


Watts (dont Au-delà du gouffre), Stephen Baxter, Kim Stanley
Robinson (la Trilogie martienne), Arthur C.Clarke, Poul Anderson
(Tau Zéro), Alastair Reynolds, Andy Weir (Seul sur Mars), Tom
Godwin (The Cold Equations), Hal Clement (Mission gravité), Robert
Forward (L’Œuf du dragon), Ben Bova (cycle du Grand Tour), David
Brin (Existence), Cixin Liu (Le Problème à trois corps).

Soft SF
La Soft SF, c’est le contraire de la Hard SF, c’est à dire que soit elle se
concentre exclusivement sur les sciences humaines (les sciences classiques
n’ont aucun rôle dans l’histoire / la science utilisée
est crédible, mais n’est pas le point focal de l’intrigue
ou de la construction de l’univers –ce qui fait qu’on
n’entre pas dans les détails), soit elle parle bel et bien
de sciences dures, mais sans chercher à être crédible
/ à respecter les lois physiques connues, soit elle fait
les deux à la fois. Certains considèrent la présence
de pouvoirs psi, voire celle d’une propulsion
supraluminique, comme un marqueur
d’appartenance à la Soft SF plutôt qu’à la Hard.
Certains autres considèrent qu’une forte emphase sur
la description d’une technologie, même imaginaire, permet de classifier un
texte comme de la Hard SF.
En clair, la Soft SF se fiche de la quincaillerie, mais se concentre plutôt
sur les personnages et surtout sur les sociétés futures dans lesquelles ils vivent.
Elle est moins concernée par la technique que par l’humain. Elle a connu son
apogée dans les années cinquante, et la Nouvelle Vague des deux décennies
suivantes en est dérivée (en plus radical). Quel intérêt, alors, de faire deux
sous-genres séparés ? Il est multiple : toute la Soft SF (dont celle postérieure
aux années 80) ne peut pas être classée dans la Nouvelle Vague, d’une part, et
d’autre part cette dernière a des spécificités que ne partagent pas forcément
tous les romans de Soft SF (dont la couleur politique, l’antimilitarisme
radical, la tendance à ne pas utiliser de contexte spatial ou multiplanétaire, les
expérimentations dans la construction ou le style, etc.).

En résumé, la Soft SF c’est :

Une SF qui soit se concentre sur les sciences humaines, soit ne cherche
pas le réalisme en matière de sciences physiques / n’entre pas dans les
détails et se concentre sur autre chose que la machinerie, soit fait les
deux à la fois.

But : réflexion.

Types de sciences : sociales / humaines.

Ampleur spatiale et temporelle couverte : variable, du futur proche à celui


plus lointain, et de la seule planète Terre à des contextes
multiplanétaires (comme les Dix mille mondes dans Poumon vert, par
exemple).

Complexité écriture / psychologie des personnages : l’écriture est solide,


et les personnages, étant un des points focaux des romans, sont en
général très soignés.

Réalisme de l’univers / noirceur du ton : en termes de sciences physiques,


l’univers peut être peu réaliste, mais il en va tout autrement sur le plan
des sciences sociales. Le ton est extrêmement variable, allant du très
optimiste au particulièrement noir.

Quelques auteurs ou œuvres emblématiques : Frank Herbert


(Dune), Alfred Bester, James Blish, Ray Bradbury, Fritz Leiber, Ursula
Le Guin, Jack Vance (Les Langages de Pao), Samuel Delany (Babel-
17), Daniel Keyes (Des fleurs pour Algernon), Philip K.Dick, Theodore
Sturgeon, Robert Heinlein (En terre étrangère), Philip José Farmer
(Le Monde du fleuve), Michael Flynn (Eifelheim), Becky Chambers
(L’Espace d’un an), Vandana Singh (Infinités), Ian McLeod (Poumon
vert).
SF Apocalyptique et Post-apocalyptique
Une remarque préliminaire : nous avons choisi
de ranger sous la même bannière la SF qui montre la
catastrophe et celle qui choisit plutôt de montrer ses
conséquences (ainsi que celle qui fait les deux), ce
qui n’est pas forcément la position des spécialistes
anglo-saxons, qui distinguent la SF
(pré-)apocalyptique de celle post-apocalyptique. On
pourrait aussi ranger dans cette catégorie les romans
où on tente d’empêcher la fin du monde, comme Le
Marteau de Dieu d’ C.Clarke par exemple.
Comme son nom l’indique, ce type de SF se
concentre sur la fin du monde, et surtout sur ce qui se passe après, que cela
concerne simplement la survie ou les tentatives de reconstruction d’un monde
nouveau (de préférence en tentant d’éviter les éventuelles erreurs ayant
conduit à la catastrophe). Cette dernière peut être de cause et de nature
pratiquement infinie : pandémie (naturelle, propagée par un groupe terroriste
ou une secte apocalyptique, issue d’une guerre bactériologique, d’un accident
dans un laboratoire scientifique, etc.), guerre ou frappe terroriste nucléaire (la
série Jericho), réveil du super-volcan du Yellowstone, Naine brune / trou noir
/ étoile à neutrons errante, accident ou guerre nanotechnologique, sursaut
gamma (énorme émission de rayons gamma –des rayons X, mais en beaucoup
plus énergétiques– produite par la mort d’une étoile, et capable, selon sa
proximité, de stériliser toute la surface de la planète en une seconde ou, au
minimum, de souffler sa couche d’ozone), effondrement écologique, collision
de la Terre avec un astéroïde géant, impulsion électromagnétique, et ainsi de
suite. Notez que parfois, la nature du cataclysme reste inconnue du lecteur,
seules ses conséquences sont visibles. C’est par exemple le cas dans La Route
de Cormac McCarthy.
Le but est bien entendu de vous faire réfléchir
sur la façon d’éviter certains de ces désastres (par
exemple en éveillant votre sensibilité écologique), de
vous montrer d’autres modèles de société possibles
dans « le monde d’après », ou simplement de vous
montrer les péripéties d’intrépides aventuriers (les
Plissken et autres Mad Max) dans une société où
règne l’anarchie et la loi du plus fort.
Malgré certains éléments (voire livres) en
commun, la SF post-apocalyptique ne doit pas être
confondue avec celle d’horreur, qui peut exploiter bien d’autres thèmes que la
fin du monde. De même, certains livres de post-apo ne cherchent pas
forcément à horrifier le lecteur, surtout s’ils se déroulent très longtemps après
la catastrophe : le sentiment dominant peut alors être la nostalgie pour le
monde perdu et l’espoir de le reconstruire, ou bien d’en reconstruire un,
encore meilleur.

En résumé :

Le Post-apocalyptique montre les conséquences (le monde d’après) d’une


apocalypse d’une nature quelconque (guerre nucléaire, pandémie
mortelle, réchauffement climatique, etc.), tandis que l’apocalyptique
montre le déroulement de cette dernière.

But : surtout réflexion, mais l’aspect aventure / survie a aussi une large
place dans ce sous-genre.

Types de sciences : surtout sciences dures pour ce qui concerne la


catastrophe proprement dite, et principalement sciences sociales pour
le monde d’après.
Ampleur spatiale et temporelle couverte : en général, futur proche et
Terre uniquement, même si de notables exceptions existent
(Fondation, c’est en un sens du Post-apocalyptique, des dizaines de
millénaires dans le futur et à l’échelle de la galaxie).

Complexité écriture / psychologie des personnages : en général, l’écriture


est assez solide, et la psychologie des personnages développée (le
lecteur doit s’attacher à leur combat pour la survie).

Réalisme de l’univers / noirceur du ton : important / importante.

Quelques auteurs ou œuvres emblématiques : Anatèm (Neal


Stephenson), Je suis une légende (Richard Matheson), Un cantique
pour Leibowitz (Walter M. Miller), Le Facteur (David Brin), Le Fléau
(Stephen King), La Route (Cormac McCarthy), Fondation (Isaac
Asimov), Le Troupeau aveugle (John Brunner), Lucifer’s hammer
(Larry Niven / Jerry Pournelle), Le Jour des Triffides (John
Wyndham), Une seconde après (William R. Forstchen), Le Monde
englouti (J.G. Ballard), La Musique du sang (Greg Bear), La Mort
blanche (Frank Herbert), Le Rivage oublié (Kim Stanley Robinson),
Les Culbuteurs de l’enfer / Route 666 (Roger Zelazny ; une des
sources d’inspiration de Mad Max).

SF dystopique
La SF dystopique est un dérivé de la SF d’anticipation (bien que la SF
dystopique cherche moins à prédire ce qui pourrait arriver qu’à tout faire pour
que ça n’arrive justement pas) décrivant un contexte de futur proche dans
lequel les choses ont horriblement mal tourné, générant ainsi une contre-
utopie. Déshumanisées, totalitaires, polluées ou dévastées par des
dérèglements climatiques ou un effondrement des
écosystèmes, surpeuplées, ravagées par la guerre, en
proie à la haine et l’intolérance, ces sociétés de
cauchemar ont pour but d’interpeller le lecteur sur
certains problèmes sociaux, politiques,
environnementaux, économiques, éthiques, religieux,
technologiques, etc., et de servir d’avertissement sur
ce qui pourrait arriver si rien n’est fait.
Ce sous-genre a eu un succès considérable ces
dernières années, particulièrement dans le domaine
du Young Adult, avec les sagas du type Divergente
ou Hunger Games. On conseillera plutôt au lecteur de YA de se tourner vers
Uglies de Scott Westerfeld, tout de même un peu plus solide, ou vers les
auteurs et livres cités un peu plus bas.

En résumé, la SF dystopique c’est :

La SF dystopique nous montre une société future qui a mal tourné afin de
mieux nous interpeller sur les problèmes de la nôtre.

But : réflexion.

Types de sciences : essentiellement humaines, même si la technologie


peut jouer un rôle plus ou moins important dans certains cas (et
invariablement sinistre).

Ampleur spatiale et temporelle couverte : en général, Terre et futur


proche, même s’il existe des exceptions (Uglies, par exemple).

Complexité écriture / psychologie des personnages : de très élevée dans


les deux cas à abyssalement bas (et plus c’est mauvais, plus ça se
vend…).

Réalisme de l’univers / noirceur du ton : important (sauf en dystopique


YA, où c’est parfois du grand n’importe quoi), même si le trait est
souvent plus ou moins forcé histoire de renforcer l’impact du message
/ en général particulièrement noir, sauf dans quelques cas où la satire
est utilisée (par exemple dans Pauvre surhomme, par Kurt Vonnegut).

Quelques auteurs ou œuvres emblématiques : 1984 (George Orwell),


Fahrenheit 451 (Ray Bradbury), Le Meilleur des mondes (Aldous
Huxley), La Servante écarlate (Margaret Atwood), Tous à Zanzibar
(John Brunner), Soleil vert (Harry Harrison), L’Orange mécanique
(Anthony Burgess), Kallocaïne (Karin Boye), Nous autres (Ievgueni ),
Les Monades urbaines (Robert Silverberg), Silo (Hugh Howey ;
également post-apocalyptique), Running man (Stephen King), Water
Knife (Paolo Bacigalupi), plus tous les romans majeurs du
Cyberpunk ou quasiment.

SF militaire
Tout d’abord, une précision très importante : nous ne faisons aucune
distinction entre SF « militariste » (supposée exalter les valeurs militaires
ainsi que l’institution elle-même) et SF « antimilitariste » (dont l’objectif est à
l’opposé). Nous préférons, comme les Anglo-Saxons, le terme de SF militaire
qui décrit de façon factuelle le cadre dans lequel évoluent les personnages et
autour duquel se concentre l’intrigue : l’armée. Cette approche est d’autant
plus pertinente que toute SF antimilitariste ne met pas forcément en scène des
militaires en tant que protagonistes : cf.Abattoir 5 de Kurt Vonnegut, par
exemple.
Certains considèrent cette SF comme une variante encore plus militarisée
(et / ou mettant en scène des personnages soldats et non de simples
aventuriers, mercenaires ou paramilitaires) du Space Op’, parlant alors de
Space Opera militaire. Mais la SF militaire présente trop de particularités
pour qu’on en fasse un simple sous-genre. De plus, toute SF militaire n’utilise
pas les contextes multiplanétaires et de futur éloigné qui sont quasiment
cardinaux en Space Opera : des romans comme The Last Good Man (Linda )
ou Dogs of War (Adrian Tchaikovsky), par exemple, se déroulent
exclusivement sur Terre et dans un futur distant d’une poignée de décennies,
pas plus.
Si la SF militaire est peu publiée (et encore moins écrite…) en France,
elle est en revanche extrêmement populaire dans le monde anglo-saxon.
Souvent, elle donne naissance à des cycles au nombre de tomes très supérieur
à la moyenne.

En résumé, la SF militaire c’est :

Une SF centrée sur les forces armées et mettant en scène des militaires.

But : aventure le plus souvent, même si une réflexion sur les horreurs de
la guerre et le militarisme est présente chez certains auteurs
(particulièrement Joe Haldeman).

Types de sciences : très forte emphase sur les sciences dures.

Ampleur spatiale et temporelle couverte : très variable : de la seule Terre


du futur proche à une portion significative de la galaxie, dans un futur
lointain.

Complexité écriture / psychologie des personnages : contrairement à une


croyance répandue chez ses détracteurs, la SF militaire peut proposer
un niveau d’écriture tout à fait correct, et la psychologie de ses
personnages peut aller au-delà du « moi vois, moi tue ».

Réalisme de l’univers / noirceur du ton : l’univers est en général solide, et


vu le sujet (la guerre), le ton est assez rarement digne d’une chanson
de la Compagnie Créole. Bien qu’il existe des exceptions, comme la
nouvelle Supériorité par Arthur C. Clarke, par exemple.

Quelques auteurs ou œuvres emblématiques : Starship Troopers de


Robert Heinlein, La Guerre éternelle de Joe Haldeman, La Stratégie
Ender d’Orson Scott Card, cycle d’Honor Harrington de David Weber,
cycle de La Flotte perdue de Jack Campbell, cycle Vorkosigan par
Lois McMaster Bujold, Hammer’s slammers par David Drake, cycle
de la Confédération par Tanya Huff, cycle Star Carrier par Ian
Douglas, cycle Le Vieil Homme et la guerre par John Scalzi, cycle
Lazare en guerre par Jamie Sawyer, cycle Frontlines par Marko
Kloos, Armor par John Steakley, cycle De haut bord par H. Paul
Honsinger.

SF horrifique
La SF et l’Horreur sont des genres qui vont remarquablement bien
ensemble : en effet, les contextes futurs et spatiaux, ainsi que les avancées
technologiques associées, créent tout un tas de situations ou d’opportunités au
fort potentiel anxiogène. Invasions extraterrestres, expérience scientifique qui
tourne horriblement mal, choc du futur et changements de paradigme que
l’homme de la rue ne sait pas affronter, révolte des robots ou des IA,
prédateur extraterrestre lâché dans votre camion de l’espace, ou tout
simplement noirceur, froideur, vastitude, silence et côté profondément hostile
de ce dernier, les exemples sont innombrables. De
plus, un élément commun des histoires d’horreur
consiste à être coincé quelque part (sur une île
déserte, une base en pleine tempête de neige en
Arctique, etc.) avec une chose qui veut votre peau
(ou qui rend fous vos petits camarades qui veulent à
leur tour votre peau, peu importe, on n’est pas
racistes) : de ce point de vue, le vaisseau à des
lustres de sa destination, la station spatiale isolée ou
même la planète-prison (Alien 3) en sont une
magistrale déclinaison.
Ce sous-genre a eu un spectaculaire succès au cinéma, mais les exemples
purement littéraires (sans parler des novélisations ou des livres qui sont à la
base des films concernés) existent aussi.

En résumé, la SF horrifique c’est :

C’est une littérature qui cherche à horrifier le lecteur dans un cadre ou à


l’aide de technologies / créatures issues de la Science-fiction.

But : variable, divertissement (si on peut dire) et/ou réflexion (sur les
dangers de la science, par exemple).

Types de sciences : sciences dures.

Ampleur spatiale et temporelle couverte : l’ampleur spatiale est variable


(elle peut se limiter à la Terre), mais peut être assez importante ;
l’ampleur temporelle peut aller du futur très proche à un autre plus
lointain, mais est en général assez limitée.
Complexité écriture / psychologie des personnages : un livre d’Horreur,
s’il veut être efficace, nécessite une plume un minimum solide. La
psychologie des personnages (et celle du lecteur, d’ailleurs…) est au
centre du récit et se doit donc d’être également un tant soit peu solide.

Réalisme de l’univers / noirceur du ton : plus l’univers est réaliste, et plus


le lecteur aura tendance à frissonner plutôt que se tordre de rire
devant une série Z littéraire finalement plus (involontairement)
comique qu’autre chose. Et puisqu’on parle d’horreur, le ton est en
général très noir, les happy ends étant souvent (mais pas toujours)
écartées au profit d’une révélation finale aussi vertigineuse que
glaçante.

Quelques auteurs ou œuvres emblématiques : Je suis une légende


(Richard ), L’Invasion des profanateurs (Jack Finney), Marionnettes
humaines (Robert Heinlein), La Couleur tombée du ciel (H.P.
Lovecraft), Dreamcatcher (Stephen King), La Musique du sang (Greg
Bear), 2001 (Arthur C. Clarke), La Guerre des mondes (H.G. Wells),
World War Z (Max Brooks).

Voyages dans le temps, Mondes parallèles


Nul besoin de longues explications à propos du Time Opera / des voyages
dans le temps, tout le monde sait ce que c’est : aller en arrière ou en avant
dans le temps. Bien souvent, le voyage provoque une modification des
événements qui aboutit à une uchronie, qu’elle soit « personnelle » (seule la
vie du voyageur temporel est affectée) ou non (le monde entier peut changer).
Dans ce type de fiction, deux cas peuvent se présenter : soit le monde
uchronique créé est le seul qui existe, soit un deuxième univers, existant de
façon indépendante et parallèle au premier, est créé par le Point de
divergence. Dans le premier cas, en retournant en arrière / en avant dans le
temps et en remettant les choses dans leur état initial, la variation uchronique
est corrigée et un seul univers, celui que nous connaissons, existe ; dans le
second cas, les deux univers continueront à coexister en parallèle.
Dans la SF à mondes parallèles, notre univers /
notre Terre n’est pas la seule, il existe, dans des
« dimensions » (le terme n’est pas correct dans le
cadre de la cosmologie, mais il est traditionnel en
SFFF) parallèles, d’autres cosmos. Dans le cadre des
littératures de l’imaginaire, ils sont en général (mais
pas toujours) strictement identiques à celui qui abrite
la Terre (mêmes lois physiques, même tracé des
continents, etc.), du moins jusqu’au Point de
divergence. Dans quelques cas, c’est justement une
variation dans les lois physiques qui peut faire tout
l’intérêt de l’histoire (cf. le cycle Orthogonal de Greg Egan).
Mais restons dans le cas où tout est identique : pour reprendre la formule
d’une célèbre série dédiée aux mondes parallèles (Sliders), c’est « la même
Terre au même moment, mais dans des dimensions différentes ». Remarquez
cependant que le « au même moment » n’est pas une constante dans la SF à
mondes parallèles : certains contextes (dont celui du jeu de rôle GURPS)
utilisent la notion de « présent local », c’est-à-dire que notre Terre peut être
en 2018 tandis que le monde parallèle 1 est en 1947, le 2 en 1453, le 3 en
1066, etc. (un exemple spectaculaire de monde parallèle à présent local est la
série Terra Nova, où la Terre d’origine est en 2149 tandis que la Terre
alternative visitée correspond à la fin du crétacé, soit… 85 millions d’années
en arrière !). Tout l’intérêt d’un multivers est qu’il est possible, via une
machine, un pouvoir mental, une faille spatio-temporelle ou quoi que ce soit
d’autre, de passer d’un univers à l’autre. L’intérêt est multiple : études
historiques, donner un coup de main à ses potes locaux (exemple : les
Américains de notre univers aident ceux d’une Terre parallèle dominée par les
nazis à vaincre ce régime), rapatrier des ressources naturelles ou des œuvres
d’art perdues, voire inconnues sur notre Terre (Hendrix vit jusqu’à 80 ans, la
vente de ses albums jamais parus chez nous rapporte une fortune), comme
dans Mozart en verres miroirs, et ainsi de suite.
Retenez la chose suivante : il existe, en parallèle, plusieurs univers, le
nôtre et une ou plusieurs (parfois BEAUCOUP de) variations uchroniques, et
il est possible de passer de l’un à l’autre (parfois avec certaines limitations : il
existe par exemple des notions de niveaux d’énergie dans lesquels se trouvent
les univers, comme les électrons autour d’un noyau atomique, ce qui fait que
les lois de la physique n’autorisent pas les sauts directs entre univers de
« niveaux » éloignés).
Une autre notion à retenir est que les Terres
parallèles ne sont pas forcément créées parce que
quelqu’un a voyagé dans le temps et semé le chaos
dans la ligne temporelle : il peut s’agir (et c’est
souvent le cas) d’un événement naturel, d’un
mécanisme cosmique lié aux lois de la physique.
Sachez aussi qu’il faut envisager la structure du
Multivers (ensemble des univers) comme une
arborescence : le monde 1 peut être une variation
uchronique du nôtre, mais le monde 2, 17 ou 132
peut être une variation uchronique… du monde 1 et
pas de notre Terre. Un exemple : la Terre 1 est une variation uchronique de
notre Terre dans laquelle la peste noire fait disparaître les cultures
européennes, donnant le monde aux musulmans, aux Amérindiens, aux
Aztèques, Incas, Russes, Japonais et Chinois (La Porte des mondes de Robert
Silverberg, Chroniques des années noires de Kim Stanley Robinson) : la Terre
11 est à son tour une variation de ce monde (et pas du nôtre) dominée par les
Aztèques, la 12 par les Ottomans, la 13 par les Chinois, et ainsi de suite.
J’attire votre attention sur le fait que cette section ne traite pas d’ouvrages
uchroniques, à moins qu’ils n’impliquent également le voyage temporel.

En résumé, la SF centrée sur les voyages dans le temps et les univers


parallèles c’est :

Une littérature centrée, comme son nom, l’indique soit sur le voyage dans
le temps, soit sur celui vers des mondes parallèles (et parfois même
sur les deux en même temps).

But : divertissement (aventure) et/ou réflexion (cette dernière est souvent


présente).

Types de sciences : toutes, aussi bien les sciences dures que les sciences
sociales.

Ampleur spatiale et temporelle couverte : le contexte peut s’étendre sur


des dizaines d’univers parallèles et faire voyager les personnages sur
des milliers, des millions, voire même des milliards d’années (dans
Voyageurs de Neal Asher, par exemple) à partir de leur époque de
départ.

Complexité écriture / psychologie des personnages : variable, mais en


général c’est plutôt solide.

Réalisme de l’univers / noirceur du ton : sur le plan scientifique, ça tient


souvent la route, tandis que la psychologie des personnages (et le ton)
peut balayer pas mal de registres, de la pure aventure sans complexes
à quelque chose de nettement plus solide, complexe et nuancé.
Quelques auteurs ou œuvres emblématiques : (sont incluses là-
dedans les histoires de police temporelle, de modification
temporelle délibérée, les boucles temporelles et autres Tombeaux
du temps, maladie de Merlin, etc.) Anatèm de Neal , La Cité du futur
de Robert Charles Wilson (voyage dans le temps ET dans un univers
parallèle), Hypérion de Dan Simmons, Une affaire de famille par
Charles Stross, Mémoire par Mike McQuay, Extinction Game de Gary
Gibson, Le Grand Jeu du temps de Fritz Leiber, cycle de La Patrouille
du temps de Poul Anderson, La Rédemption de Christophe Colomb
d’Orson Scott Card, Replay de Ken Grimwood, Transition de Iain
Banks, Vous les zombies par Robert Heinlein, Un coup de tonnerre
par Ray Bradbury, La Machine à explorer le temps de H.G. Wells et
sa « suite » Les Vaisseaux du temps par Stephen Baxter, Le Grand
Livre par Connie Willis, Les Déportés du Cambrien par Robert
Silverberg, le cycle Crosstime traffic par Harry Turtledove, cycle de
la Tour sombre par Stephen King, Palimpseste de Charles Stross, La
Fin de l’éternité par Isaac Asimov, A Matter of Time par Glen Cook,
En attendant l’année dernière et Glissement de temps sur Mars par
Philip K. Dick, Voici l’homme par Michael Moorcock, La Captive du
temps perdu de Vernor Vinge, cycle Paratime par H. Beam Piper,
cycle Éon / Éternité / Héritage par Greg Bear, Autant en emporte le
temps de Ward Moore, De peur que les ténèbres par L. Sprague de
Camp.

Cyberpunk, Postcyberpunk et dérivés


Je vous invite à vous reporter à la sixième partie de ce guide pour des
définitions et un historique de ces sous-genres.
En résumé, le Cyberpunk et ses dérivés sont :

Une SF de futur proche centrée sur les technologies émergentes (implants


cybernétiques, IA, réseaux, nanotechnologie, génétique), avec souvent
(mais pas toujours) un cadre dystopique dans lequel le capitalisme et
les corporations règnent en maîtres suprêmes.

But : essentiellement réflexion.

Types de sciences : ces sous-genres sont surtout centrés sur les sciences
« dures ».

Ampleur spatiale et temporelle couverte : en général faible, même s’il y a


des exceptions (cycle de Takeshi Kovacs). Dans l’écrasante majorité
des cas, l’univers du roman se limite à la Terre, au maximum au
système solaire, et le futur décrit l’est presque toujours à l’échelle de
e
quelques décennies, et dépasse rarement le (sauf par exemple
dans le cycle Câblé de Walter Jon Williams).

Complexité écriture / psychologie des personnages : l’écriture est en


général solide, tandis que la psychologie des personnages est
complexe. Le Cyberpunk, par rapport au Space Opera, correspond
presque à la Dark Fantasy par rapport à la High : une tentative d’avoir
un univers plus sombre, réaliste, et une psychologie des personnages
plus nuancée, complexe, ambivalente, etc.

Réalisme de l’univers / noirceur du ton : l’univers est, du fait de son aspect


anticipation et du grossissement des traits les plus sombres de nos
sociétés actuelles, douloureusement réaliste. Le ton est très noir dans
le Cyberpunk classique, parfois nettement moins dans le
Postcyberpunk, voire au contraire totalement optimiste dans le
Solarpunk !

Quelques auteurs ou œuvres emblématiques : Cyberpunk : William


Gibson, Bruce Sterling, Walter Jon Williams, K.W. Jeter, George Alec
Effinger (ou le « cyberpunk thé à la menthe »), Pat Cadigan ;
Biopunk : La Musique du sang de Greg Bear, Les Diables blancs de
Paul McAuley, La Fille automate de Paolo Bacigalupi, le cycle
Rifteurs de Watts, Le Lait de la chimère de Robert Reed, L’une rêve
l’autre pas ou Les Hommes dénaturés de Nancy Kress, BIOS de
Robert Charles Wilson (hybride de Biopunk et de Planet Opera très,
très noir), et surtout Féerie de Paul McAuley et Ribofunk de Paul Di
Filippo (nettement moins noir et nihiliste que le Cyberpunk ou
même le Biopunk standard) ; Nanopunk : Les deux références en
matière de Nanopunk sont L’Âge de diamant de Neal Stephenson
ainsi que la majorité de l’œuvre de Linda Nagata (dont Aux marges
de la vision), mais on peut aussi citer La Proie de Michael Crichton,
La maison des derviches de Ian McDonald ou encore Bloom (en VO)
de Wil McCarthy ; Solarpunk : cycle Les Enfants de Poséidon par
Alastair Reynolds.
HUITIÈME PARTIE
Sous-genres mineurs et
thématiques de la Science-
fiction

Après avoir examiné dans la partie précédente les sous-genres majeurs de


la Science-Fiction (SF), voici maintenant une sélection (à prendre comme
telle) de ses sous-genres mineurs. Il n’est évidemment pas question
d’examiner chacun d’entre eux, parce qu’il y en a des dizaines et parce qu’il
n’est pratiquement pas une année ou même un mois sans qu’une nouvelle
sous-classification émerge (ou une variante / redéfinition de la classification
précédente…) chez les spécialistes.

SF humoristique
Comme son nom l’indique, il s’agit d’une SF au ton humoristique
(étonnant non ?). Les Anglo-Saxons appellent ce sous-genre Comic Science-
fiction. Sachant qu’il y a différentes nuances dans ce registre, de la satire
(Planète à gogos de Frederik Pohl et Cyril M. Kornbluth) au détournement
des codes et des clichés du genre (L’Univers en folie de Frederic Brown) en
passant par la parodie (Bill le héros galactique de Harry Harrison, Redshirts de
John Scalzi), l’ironie et l’humour noir, d’un univers délirant (La Dimension
des miracles de Robert Sheckley) à un autre plus réaliste, d’un ton mordant à
un autre plus léger.
La SF humoristique trouve sans doute sa plus belle expression dans la
forme courte, particulièrement dans les nouvelles à chute (le maître absolu de
ce registre restant sans doute Fredric Brown). Malgré ce que l’on pourrait
penser de prime abord, ce sous-genre est particulièrement pessimiste (voire
nihiliste) sur le plan de la vision qu’il donne de l’humanité, de l’existence et de
l’univers en général (c’est très visible dans Les Sirènes de Titan de Kurt
Vonnegut).

En résumé, la SF humoristique, c’est :

Un sous-genre qui exploite les codes de l’humour pour mieux détourner


ou parodier ceux de la SF.

But : divertissement ET réflexion.

Types de sciences : sociales / humaines.

Ampleur spatiale et temporelle couverte : variable.

Complexité écriture / psychologie des personnages : variable : si l’écriture


de Kurt Vonnegut est relativement directe, celles d’autres auteurs
peuvent être beaucoup plus subtiles. La psychologie des personnages
est souvent polarisée sur un ou plusieurs traits de caractère saillants
participant à l’effet comique.

Réalisme de l’univers / noirceur du ton : les univers délirants sont bien


plus fréquents que les « normaux », même si ces derniers existent
aussi. En ce qui concerne la noirceur du ton, je vous renvoie à
l’introduction de cette section.

Quelques auteurs ou œuvres emblématiques : Douglas Adams (Le


Guide du voyageur galactique), Fredric Brown (L’Univers en folie,
Martiens Go Home), Harry Harrison (Bill le héros galactique, cycle
Le Rat en acier inox), Robert Sheckley (La Dimension des miracles),
John Scalzi (Redshirts), Kurt Vonnegut (Les Sirènes de Titan),
Frederick Pohl (Planète à gogos).

SF d’enquête
Les Anglo-Saxons distinguent deux sous-genres de SF mettant en scène
des enquêtes policières (ou assimilé) : la Detective Science Fiction (SF
policière « standard ») et la Hard Boiled SF (qui ajoute à la précédente les
codes du roman noir, et peut faire du protagoniste autre chose qu’un policier :
un détective privé, une victime, un suspect, le meurtrier, etc.). Nous avons
choisi de les ranger sous le même terme fourre-tout de SF d’enquête.

En résumé, la SF d’enquête, c’est :

Une SF qui met en jeu policiers, détectives privés, victimes, suspects ou


meurtriers dans un cadre futuriste.

But : divertissement principalement, avec une dimension critique sur la


société en plus.

Types de sciences : variable, mais les sciences dures ont toujours une
certaine place dans ce type de roman, du fait que les techniques
d’enquête futures sont quasiment toujours décrites ou que la
technologie plus avancée ouvre aux criminels des possibilités qui
n’existent pas aujourd’hui.

Ampleur spatiale et temporelle couverte : variable, mais en général futur


proche et Terre (ou faible expansion spatiale), même s’il y a de
notables exceptions (comme dans le cas de Paula Myo chez Peter F.
Hamilton).
Complexité écriture / psychologie des personnages : l’écriture est en
général solide, et les personnages complexes (et torturés, surtout en
hard boiled).

Réalisme de l’univers / noirceur du ton : l’univers, même s’il est futuriste,


se veut réaliste. Le ton est variable (il est nettement plus noir, voire
dystopique, en Hard boiled), même si les sujets traités (des crimes) ne
tendent pas forcément vers l’ambiance du dernier tube de Zouk
Machine.

Quelques auteurs ou œuvres emblématiques :


Philip K. Dick (Les androïdes rêvent-ils de
moutons électriques ?), Isaac Asimov (Les
Cavernes d’acier), Richard Morgan (Carbone
modifié), George Alec Effinger (Gravité à la
manque), Alfred Bester (L’Homme démoli),
Alastair Reynolds (La Pluie du siècle), Michael
Chabon (Le Club des policiers yiddish), James
S.A. Corey (L’éveil du Leviathan), Peter Hamilton
(Mindstar, cycles de Pandore / du Vide, La
Grande Route du Nord), Charles Stross (Halting
state), David Brin (Le Peuple d’argile), Pat Cadigan (Vous avez dit
virtuel ?), Vernor Vinge (La Captive du temps perdu), Ken Liu (Le
Regard), John Scalzi (Les Enfermés), Dan Simmons (Hyperion,
Flashback), James Lovegrove (World of Fire).

SF sous-marine
Vous serez peut-être surpris d’apprendre qu’en
2017, 95 % des abysses océaniques restent
inexplorés, qu’on a cartographié avec plus de
précision la plupart des planètes et satellites majeurs
du système solaire et que les astronautes sont plus
nombreux que les hommes pouvant se vanter d’être
allés contempler le point le plus profond sur Terre, la
fosse des Mariannes. Et pourtant… L’océan
représente 70 % de la surface de la planète. Sa sous-
exploitation en SF n’en est donc que plus étonnante :
l’écrasante majorité des auteurs a tourné le dos à la
noirceur des profondeurs pour celle de l’espace interplanétaire, interstellaire
ou intergalactique. La majorité, certes, mais pas tous : certains ont centré un
de leurs romans, voire un cycle tout entier, sur le milieu aquatique. De plus,
les océans terrestres ne sont pas les seuls mis en jeu : certains laissent une
large place, dans leur worldbuilding ou leur intrigue, à des océans situés sur
de lointaines planètes (plusieurs livres récents, dont Dans le sillage de
Poséidon et Latium 2, se passent en partie dans les mers d’Europe, un des
quatre satellites principaux de Jupiter).
Les thèmes exploités peuvent être multiples : horreur, mystère, guerre,
exploitation de gisements minéraux, mise au point de variantes de l’humain
de base adaptées aux profondeurs, écologie, etc.

En résumé, la SF sous-marine, c’est :

Une SF centrée non sur les profondeurs de l’espace, mais sur celles de
l’océan, qu’il soit terrestre ou extraterrestre.

But : réflexion et/ou aventure.


Types de sciences : en général les sciences dures ont une place de choix
dans ce type de SF.

Ampleur spatiale et temporelle couverte : variable ; peut se limiter aux


océans terrestres et au futur proche, ou au contraire concerner ceux de
lointaines planètes dans un futur éloigné.

Complexité écriture / psychologie des personnages : variable.

Réalisme de l’univers / noirceur du ton : en général, le réalisme de


l’univers (et de la description des opérations sous-marines) est
important ; le ton est très variable : d’héroïque, aventureux et exaltant
les merveilles de la science et des profondeurs, il peut au contraire,
dans d’autres romans, mettre en avant le côté hostile du milieu, des
créatures qui y habitent et l’impact négatif qu’il a sur les humains qui
y travaillent (Peter Watts, Frank Herbert).

Quelques auteurs ou œuvres emblématiques : Jules Verne (Vingt


mille lieues sous les mers), Peter Watts (trilogie Rifteurs), Frank
Herbert (Le dragon sous la mer), Arthur C. (Les Prairies bleues, Le
fantôme venu des profondeurs), Michael Crichton (Sphère), David
Brin (Marée stellaire), Alastair Reynolds (La Terre bleue de nos
souvenirs), James Lovegrove (World of Water), Stanislas Lem
(Solaris), Henry Kuttner (Vénus et le titan), David Zindell
(Inexistence), Charles Stross (Neptune’s Brood), Neal Stephenson
(Seveneves), Dan Simmons (Mare Infinitus et Alliance-Maui dans les
cycles Hypérion / Endymion), Robert Silverberg (La Face des eaux),
James Blish (Semailles humaines), Gordon R. Dickson, Kenneth
Bulmer (City under the Sea), Steele (Oceanspace), Kurt Vonnegut
(Galapagos).
Space western
Il ne faut pas confondre le Space Western, qui
est une SF qui reprend certains des codes, des
thèmes, voire une partie de l’esthétique du western
dans un cadre futuriste et spatial, avec le Weird
West, qui est un genre mêlant un cadre historique
western avec d’autres éléments : SF, Fantasy,
Fantastique, Horreur, etc. Bref, pour prendre deux
exemples cinématographiques parlants, il ne faut pas
mélanger Outland (Space Western) avec Cow-boys et
envahisseurs (Weird West).
Le genre est né au sein des Pulps, dans les
années trente, sous la plume de Catherine Moore. Ces publications mettant
côte à côte westerns et Space Opera, et ce dernier recyclant déjà lourdement
certains de leurs codes, un réel genre hybride était quasiment inévitable. Il
connut son apogée dans les années cinquante, avant de décliner une décennie
plus tard, notamment en raison d’une écriture jugée très mauvaise et d’une
image de « fausse » SF. Il fallut attendre Star Wars (lourdement influencé par
le western), Outland, donc, ainsi que les Galaxy Rangers (un dessin animé),
Firefly et Serenity pour que le Space Western connaisse une nouvelle période
faste.
Le Space Western se montre souvent (mais pas toujours, cf. les Galaxy
Rangers) plus subtil que des cow-boys armés de pistolets à rayons et montant
des chevaux robotiques sur une planète étrangère (si vous voulez voir un
excellent exemple en comics –avec un aspect uchronique en plus–, nous vous
conseillons de vous tourner vers les épisodes 152 et 153 des Quatre
Fantastiques) : il va impliquer l’esprit du Far West, pas la lettre. Nous aurons
ainsi des mondes-frontière, récemment colonisés ou terraformés, sans loi bien
définie, et une intrigue basée sur leur exploration. Une exploration de la
dernière frontière ? Ça vous titille les neurones ? C’est normal. Gene
Roddenberry en personne parlait de Star Trek comme d’un Space Western !

En résumé, le Space western, c’est :

Une SF exploitant les codes et les thèmes du western sur l’ultime


frontière : l’espace.

But : aventure.

Types de sciences : principalement dures.

Ampleur spatiale et temporelle couverte : l’ampleur spatiale est forcément


importante, puisque par définition l’action se passe à la frontière d’un
vaste espace. Il existe cependant des exceptions, comme Outland, qui
se cantonne au système solaire. Le même raisonnement s’applique au
point du futur dans lequel l’action a lieu.

Complexité écriture / psychologie des personnages : les Space Westerns


sont en général mieux écrits que certains ne l’ont prétendu,
particulièrement les plus récents.

Réalisme de l’univers / noirceur du ton : plutôt solide / à tendance à être


relativement noir (on est sur une frontière sans foi ni loi, après tout),
même si des exceptions existent, là encore (Star Trek).

Quelques auteurs ou œuvres emblématiques : Catherine L. Moore,


Andre Norton, H. Beam Piper, Mike Resnick (Santiago), Robert
Heinlein (Pommiers dans le ciel), Jack Vance (La Geste des princes-
démons), Ian McDonald (Desolation Road), Hugues Douriaux (Galax-
Western).
SF de la fin des temps / de la Terre mourante
Il y a beaucoup à dire sur ce sous-genre, qui se situe au carrefour de la SF
et de la Science fantasy dans notre conception de l’imaginaire (mais comme
de nombreuses personnes font de la Science fantasy un sous-genre de la SF,
cela ne pose en réalité pas tant de problèmes de classification que ça). Il traite
tout simplement de la Terre ou de l’humanité du très, très, très lointain futur,
que ce soit à l’échelle de plusieurs millions d’années, lorsque le Soleil sera sur
le point de se transformer en naine blanche (dans quelque chose comme six
milliards d’années) ou même dans l’avenir encore plus inimaginablement
lointain de la mort thermique de l’univers.
Attention à ne pas confondre ce sous-genre avec la SF apocalyptique : ici,
nulle catastrophe, juste l’effet de l’entropie (le concept roi dans ce sous-genre)
et de l’évolution normale des étoiles et du cosmos en général. Il tire son nom
de certaines de ses œuvres les plus célèbres, dont le cycle de La Terre
mourante de Jack Vance ou celui des Danseurs de la fin des temps de Michael
Moorcock.
Notez que l’« érosion » décrite sous les effets du
temps et de l’entropie peut ne pas concerner que la
volonté et l’énergie de l’homme (qui devient
hédoniste, blasé, décadent, etc.), la géologie, la
civilisation, etc., mais aussi jusqu’aux lois mêmes de
l’univers : la magie peut apparaître, les frontières
entre différentes « dimensions » peuvent s’affaiblir
ou disparaître (permettant à diverses créatures de
fouler le sol de notre planète), les lois physiques
peuvent s’altérer, et ainsi de suite. Notez aussi que la
plupart de ces contextes de Science fantasy obéissent
scrupuleusement à la troisième Loi d’Arthur C. Clarke, qui veut que toute
technologie suffisamment avancée soit indiscernable de la magie : de fait,
chez Vance par exemple, les « sorts » utilisés par Cugel sont en réalité le
produit d’une science oubliée, pas d’une sorcellerie irrationnelle.
Il existe toutefois des ouvrages (et pas des moindres, Zothique de C.A.
Smith notamment) dans lesquels les pouvoirs surnaturels n’ont pas
d’explication aussi rationnelle. Même si ces livres appartiennent au sous-genre
« Terre mourante », c’est, techniquement, plus dans la Fantasy que dans la SF
et/ou la Science fantasy qu’il faudrait les classer (ce que certains font). Notez
aussi que dans de rares cas, ce n’est pas la (lente) mort de notre monde dont il
est question, mais de celle d’une planète étrangère sur laquelle l’homme s’est
installé (L’Agonie de la lumière, la trilogie Confluence).

En résumé, la SF de la fin des temps / de la Terre mourante, c’est :

Une SF qui décrit le destin ultime de l’homme et/ou de la Terre / de


l’univers dans un futur inimaginablement lointain.

But : réflexion (sur la fatalité, la nature de la fin, la signification du


temps), qui n’exclut cependant pas, chez certains (particulièrement
Vance), l’aventure.

Types de sciences : voir plus haut ; la plus hard des sciences peut en venir
à se confondre avec la magie.

Ampleur spatiale et temporelle couverte : l’ampleur temporelle est par


définition extrême (d’autant plus dans les livres, comme ceux de
Moorcock, où les voyages dans le temps sont également communs) ;
l’ampleur spatiale est variable, mais se limite dans l’écrasante majorité
des cas à la Terre seule (même s’il peut être expliqué que dans le
passé, l’homme a voyagé dans –voire colonisé ou dominé– toute la
galaxie, avant de se replier sur son monde d’origine pour y vivre sa
sénescence –en tant qu’espèce- et y mourir).

Complexité écriture / psychologie des personnages : en général,


importante dans les deux cas.

Réalisme de l’univers / noirceur du ton : l’univers, surtout s’il mélange


allègrement science et magie, peut être assez décalé, ce qui ne doit
pas être confondu avec un ton humoristique : l’ambiance est au
contraire au nihilisme, ou dans les meilleurs cas à la nostalgie et la
mélancolie.

Quelques auteurs ou œuvres emblématiques : H.G. Wells (La


Machine à explorer le temps), Clark Ashton Smith (Zothique), Jack
Vance (cycle de la Terre mourante), Michael Moorcock (cycle des
Danseurs de la fin des temps), Arthur Clarke (La Cité et les astres),
M. John Harrison (cycle Viriconium), Greg Bear (La Cité à la fin des
temps), Stephen Baxter (Évolution tome 2), Poul Anderson (Dark is
the Sun), Gene Wolfe (Le Livre du nouveau soleil), G.R.R. Martin
(L’Agonie de la lumière), Paul McAuley (cycle Confluence), Robert
Silverberg (Les Ailes de la nuit).

SF de rencontre extraterrestre
Pour terminer cette partie, nous allons parler de livres qui ne relèvent pas
tant d’un seul sous-genre, défini par certains codes précis, mais plutôt d’une
thématique pouvant s’inscrire dans plusieurs sous-genres différents. Nous
avons choisi le thème de la rencontre avec les extraterrestres, qu’elle soit
violente, pacifique, ou qu’elle résulte de la découverte qu’ILS sont en fait déjà
parmi nous depuis longtemps. Notez que nous aurions tout aussi bien pu
choisir les robots, les intelligences artificielles, les vaisseaux à génération /
congélation, les BDO (Big Dumb Objects), la panthropie, la colonisation de
mondes extrasolaires ou les pouvoirs psi, entre autres (ceux qui sont intéressés
trouveront des articles consacrés à certains de ces sujets sur Le culte
d’Apophis).
Avant tout, il faut dissiper certains malentendus : les gens qui connaissent
mal la SF ont tendance à associer automatiquement les extraterrestres au
genre, ce qui est une lourde erreur. Certains sous-genres entiers ne laissent
aucune place aux aliens, ou seulement à titre de roman isolé faisant office de
curiosité : c’est par exemple le cas du Cyberpunk. D’autre part, même en
Space et Planet Opera, on connaît des exemples de grandes sagas qui ne
comprennent pas une seule espèce étrangère. Et ces exemples sont très, mais
alors très loin d’être anecdotiques : songez que deux des cycles les plus
emblématiques de la Science-fiction, Fondation et Dune, ne mettent pas en
scène d’aliens, alors que le premier implique la totalité de la Voie lactée et
que le second montre un empire comprenant près de 18 000 planètes (et donc
un nombre de mondes explorés encore plus grand). Enfin, d’autres grandes
sagas, comme celle d’Honor Harrington, comprennent quelques races
extraterrestres, mais ne leur donnent qu’un rôle de troisième plan, les intrigues
politiques et militaires ayant lieu entre humains (qui plus est nettement plus
avancés sur le plan technologique).
À partir de ce point, nous allons distinguer trois « sous-catégories » : la
première rencontre, l’invasion, et la découverte de leur présence parmi nous.
Sachant, bien entendu, que la SF mettant en jeu des extraterrestres ne se
résume pas à ces trois angles d’approche : il y en a bien d’autres, mais les
examiner tous en détail dépasse très largement le cadre de ce guide.
Clairement, il y aurait un livre entier à écrire sur le sujet.

Premier contact extraterrestre


Comme son nom le suggère, cette SF décrit le
premier contact entre les humains (qui se croyaient
jusque là seuls dans l’univers, en général, même si
dans certains cas, le livre peut décrire la rencontre
initiale entre l’humanité et une espèce encore
inconnue dans un univers déjà peuplé de nombreuses
autres civilisations alien connues –c’est un thème
commun dans la saga Star Trek, qu’on retrouve aussi
dans Excession de Iain Banks–, ou même inverser le
point de vue et faire rencontrer à une race
extraterrestre qui se croyait seule dans le cosmos des
humains qui sont déjà des vieux routards de l’espace –là encore, Banks est un
spécialiste du domaine) et une race extraterrestre (ou ses agents robotiques –
Clarke–, ses plantes –Thomas Disch–, ses installations, etc.). Si cette
rencontre peut être plus ou moins non violente, elle n’implique en tout cas pas
une invasion en bonne et due forme (c’est ce que recouvre la sous-catégorie
suivante), ni la découverte qu’en fait, les bestioles ont infiltré la société
terrienne depuis des lustres (ce qui correspond à la troisième et dernière sous-
catégorie).
Notez que ladite rencontre ne se passe pas forcément dans le présent ou le
futur : elle peut très bien avoir lieu dans le passé, comme dans Eifelheim de
Michael Flynn par exemple. De plus, l’espèce étrangère peut venir non pas
d’une autre planète, mais d’un autre univers (Excession, là encore), surtout
dans les contextes où l’espèce humaine a exploré une partie significative de la
galaxie. Enfin, la prétendue espèce alien peut s’avérer… ne pas en être une !
(comme dans L’Ultime Rencontre de Harry Harrison).
Ce type de SF est souvent l’occasion de développements très profonds sur
les notions de xénophobie (notez que ce ne sont pas toujours les humains qui
s’avèrent xénophobes : parfois, c’est l’alien qui a une peur panique de l’Autre,
comme dans Plus vaste qu’un empire d’Ursula Le Guin) et de
communication ; y sont mises en valeur les différentes voies évolutives, que
ce soit au niveau de la biologie, de la psychologie ou des bases qui sous-
tendent des civilisations ou des technologies autres.

Quelques auteurs ou œuvres emblématiques : La Paille dans l’œil


de Dieu (Larry Niven / Jerry Pournelle), Vision aveugle (Peter Watts),
Contact (Carl Sagan), 2001, Rendez-vous avec Rama et Les Enfants
d’Icare (Arthur C. Clarke), Solaris (Stanislas Lem), La Grande Porte
(Frederik Pohl), L’Œuf du dragon (Robert Forward), Excession,
L’Homme des jeux et Le Sens du vent (Iain Banks).

Invasion alien !
Pas besoin de longues explications, tout est dans
le titre : les extraterrestres débarquent, ils cassent
(souvent, mais pas toujours) tout (ou nous piquent
nos ressources naturelles, les salauds !), et soit ils
sont vaincus par les héros (américains ou bactériens
:D), soit ils mettent la planète en coupe réglée et le
récit bascule dans un mode « le monde d’après »
typique du post-apocalyptique (cf. les séries Colony
ou Falling Skies, pour prendre deux exemples
récents). Notez que l’invasion peut aussi avoir lieu
dans un futur où l’homme s’est déjà répandu dans les
étoiles, elle n’est pas confinée à la Terre d’aujourd’hui ou de l’avenir très
proche : c’est par exemple le cas dans le cycle de Pandore / La Saga du
Commonwealth de Peter Hamilton. Il peut même arriver qu’elle ait lieu dans
le passé : Harry Turtledove a décrit un débarquement alien en pleine Seconde
Guerre mondiale, et David Weber une expédition de reconnaissance se
déroulant au e siècle.
Notez aussi qu’invasion ne signifie pas automatiquement vaisseaux
spatiaux et rayons de la mort qui font pew pew : voyez par exemple Passagers
de Robert Silverberg ou Le Village des damnés de John Wyndham…
D’ailleurs, puisqu’on parle de ce dernier auteur, un autre de ses romans, Le
péril vient de la mer, est un hybride entre l’invasion brutale et le « ils sont
parmi nous », puisqu’il montre une attaque « par phases » qui fait que lors des
étapes les plus précoces, la plupart des humains n’ont même pas conscience
d’être envahis ! (Ce qui change de façon spectaculaire par la suite.) De même,
dans Génocides de Thomas Disch, les extraterrestres arrivent, transforment la
Terre en champ pour leurs cultures, repartent sans jamais prêter aucune
attention à l’humanité, et ce sont leurs robots, chargés de protéger les cultures
des nuisibles, qui traiteront les humains comme tels !
Un intéressant twist (générateur de l’exploitation de profondes
thématiques, comme le colonialisme, entre autres) a lieu lorsque l’envahisseur
est l’humain et que c’est l’extraterrestre qui se retrouve militairement écrasé,
économiquement exploité ou même traité comme un animal (cf., notamment,
Le nom du monde est forêt d’Ursula Le Guin, Les Profondeurs de la Terre de
Robert Silverberg ou le recueil The Dark Light Years par Brian Aldiss).

Quelques auteurs ou œuvres emblématiques : La Guerre des


mondes (H.G. Wells), Starship troopers (Robert Heinlein), La
Stratégie Ender (Orson scott Card), Anatèm (Neal Stephenson), cycle
The Forge of God (Greg Bear), cycle Berserker (Fred Saberhagen),
Footfall (Larry Niven / Jerry Pournelle), Passagers (Robert
Silverberg), Le Village des damnés et Le péril vient de la mer (John
Wyndham), Génocides (Thomas Disch), cycle du Centre galactique
(Gregory Benford).
ILS sont parmi nous
Finalement, Fox Mulder avait raison, les extraterrestres (ou leurs agents)
sont déjà parmi nous, parfois depuis la nuit des temps. Le roman concerné
tourne alors autour de la révélation de leur existence et/ou du fait que le
gouvernement était au courant et a menti au public. Notez qu’il y a même des
situations plus subtiles : par exemple, dans la deuxième déclinaison de V, les
extraterrestres sont arrivés parmi nous sans se cacher… du moins en
apparence. Les héros découvriront qu’en réalité, ils nous ont infiltrés depuis
des années. Autre variation possible : l’alien n’est pas parmi nous, mais au
contraire c’est l’humain qui s’est introduit, incognito, dans sa société. Vous
trouverez plusieurs exemples de ce renversement de situation dans la saga Star
Trek, ainsi que dans l’épisode « Des visiteurs indésirables » de la série 2267
Ultime croisade (le spin-off de Babylon 5). Troisième variante possible : les
aliens (ou leur vaisseau) étaient là depuis longtemps, mais en sommeil ou
blessés / endommagés. Seule une circonstance favorable leur permet d’exercer
à nouveau leur influence aujourd’hui (Les Tommyknockers, tout ce qui
concerne Cthulhu et les Grands Anciens chez Lovecraft).
Les humains peuvent aussi devenir des
extraterrestres : dans Ils avaient la peau brune et les
yeux dorés de Ray , des colons humains installés sur
Mars se transforment sous la pression de
l’environnement, et partent s’installer dans les cités
des « vrais » Martiens depuis longtemps disparus. Il
se passe quasiment la même chose dans Le Village
enchanté de A.E. Van Vogt, où un astronaute
naufragé, nourri et abrité par les systèmes
automatiques d’une antique cité de la planète rouge,
finit par devenir une réplique de ses habitants originels. Mais le plus bel
exemple de ce twist bien particulier est probablement Homme Plus de
Frederik Pohl, où un astronaute est chirurgicalement et cybernétiquement
altéré pour vivre sans assistance sur Mars. Une fois sur place, il ressent une
distance psychologique de plus en plus grande envers le contrôle de mission,
son épouse, son ancienne vie, la Terre et l’humanité en général : il est devenu
martien.
Notez que si, spontanément, on a tendance à associer ce type de romans à
la Terre d’aujourd’hui, il existe certains contre-exemples qui peuvent se situer
dans une galaxie largement explorée par l’homme et dans un futur assez
lointain : citons notamment le 25e épisode de la saison 1 de Star Trek : La
nouvelle génération, « Conspiration ».

Quelques auteurs ou œuvres emblématiques : Marionnettes


humaines (Robert Heinlein), L’Invasion des profanateurs (Jack
Finney), American Elsewhere (Robert Jackson Bennett), The Earth
Owners (Edmond Hamilton), Cixin Liu, Existence (David Brin), Les
Tommyknockers (Stephen King), Celui qui chuchotait dans les
ténèbres (H.P. Lovecraft), La Cabane de l’aiguilleur (Robert Charles
Wilson).
À propos de l’auteur

Lorsqu’il a sept ans, le petit Apophis reçoit en cadeau Images de la


science-fiction. À dix, sa maîtresse de CM2 lui fait lire un « Livre dont vous
êtes le héros », et il découvre Asimov et Clarke. À onze, un camarade lui fait
découvrir Le Seigneur des anneaux, puis un autre L’Appel de Cthulhu. Dès
lors, il est facile de comprendre qu’il soit devenu légèrement obsédé sur les
bords par les littératures de l’imaginaire, une passion qui ne le quittera plus
jamais. Après trente ans de lectures-tout-seul-dans-son-coin, il décide, sur la
suggestion d’un professionnel de l’édition, d’ouvrir son blog, Le culte
d’Apophis (https ://lecultedapophis.com/), afin de partager ses analyses et
impressions sur les romans de Science-Fiction, Fantasy et Fantastique, qu’il
dévore avec toujours autant de plaisir. Très intéressé par la taxonomie et la
phylogénie de cette littérature, il commence l’écriture d’une série d’articles sur
le sujet, qui formeront la base du présent guide. Marseillais d’origine, jadis
exilé dans l’Est brumeux (mais humainement chaleureux), il vit désormais sur
la planète Hypérion. Ah non, c’est pas ça…
Remerciements

L’auteur remercie Gilles Dumay et toute l’équipe d’Albin Imaginaire pour


leur confiance.
L’éditeur tient à remercier Marie-Pierre Coste-Billon, Alexis Esmenard,
David Queffélec, Louis Marle, Audrey Petit et Chloé Martinez du Livre de
Poche, Anaïs Rubis, sans qui ce petit guide gratuit n’aurait jamais pu voir le
jour.
Table
Avant-propos

PREMIÈRE PARTIE : Science-Fiction, Fantasy et Fantastique

SF, Fantasy et Fantastique : définition « stéréotypée », méthode de


l’analogie
SF, Fantasy et Fantastique : méthode du Chat
SF, Fantasy et Fantastique : la conception anglo-saxonne, ou « SF,
Fantasy, et… rien du tout »
Notre définition
Un mot sur le Fantastique

DEUXIÈME PARTIE : autres Genres des Littératures de


l’imaginaire, différences entre sous-genres et simples
étiquettes marketing

Mélange des genres, complexe de supériorité : Science fantasy et


Steampunk, avec un petit détour par l’Uchronie et le Weird
Science fantasy
L’Uchronie
Le Steampunk
Je m’appelle Jack V., Roger Z., China M. ou Howard Phillips L., j’aime
bien brouiller les codes, créer le doute, rendre floues les frontières :
mélange des genres, Weird et New Weird
Conceptions venues d’ailleurs : absence de Fantastique, Urban Fantasy,
Low Fantasy et Réalisme Magique
Urban Fantasy : une définition finalement très proche… du
Fantastique
Low Fantasy
Réalisme magique
Monde imaginaire ou monde réel : une des conceptions pour définir
Fantastique, Fantasy, Low Fantasy et High Fantasy
Une petite synthèse
Sous-genre ou simple étiquette marketing?
Bit-Lit, Young Adult et Grimdark : étiquettes, sous-genres, catégories
de livres?
Fantasy politique, Fantasy militaire, Fantasy de crapules : sous-genres ou
tons / thématiques?
Sous-genre ou étiquette marketing : comment les différencier? Qui
décide?

TROISIÈME PARTIE : Sous-genres majeursde la Fantasy

Heroic Fantasy et Sword & Sorcery


High Fantasy
Dark Fantasy
Urban Fantasy / Fantasy urbaine
Portal Fantasy (et Crossworlds Fantasy)
Fantasy politique
Fantasy militaire

QUATRIÈME PARTIE : La fantasy de demain

La Révolution de la Fantasy est en marche


Les causes de la Révolution
Fantasy à poudre et armes à feu
Pourquoi c’est excitant?
Pourquoi ça ne marche pas en France?
Autres fantasy postmédiévales
Gaslamp Fantasy
Arcanepunk
Fantasy « exotique »
La Fantasy inspirée par la SF, et son récent et principal représentant :
la Fantasy post-apocalyptique
Genres mineurs… mais plus pour très longtemps?
Fantasy historique
Fantasy criminelle

CINQUIÈME PARTIE : Sous-genres mineursde la Fantasy

Light Fantasy
Colonial Fantasy
Fantasy Arthurienne
Fantasy érotique
Fantasy mythique
Fantasy of manners
Space Fantasy
Swashbuckling Fantasy
Hard Fantasy

SIXIÈME PARTIE : Genres et sous-genres en –punk

Le point de départ : le Cyberpunk


Postcyberpunk
Biopunk
Nanopunk
Solarpunk
Le Steampunk, ou le choc du Futur… dans le passé!
Clockpunk
Dieselpunk
Atompunk
Gaslamp Fantasy
Silkpunk

SEPTIÈME PARTIE : Sous-genres majeurs de la Science-Fiction

SF d’anticipation
Space Opera
Planet Opera
Nouvelle Vague de la SF
New Space Opera (NSO)
SF transhumaniste
Hard SF
Soft SF
SF Apocalyptique et Post-apocalyptique
SF dystopique
SF militaire
SF horrifique
Voyages dans le temps, Mondes parallèles
Cyberpunk, Postcyberpunk et dérivés
HUITIÈME PARTIE : Sous-genres mineurs et thématiques de la
Science-fiction

SF humoristique
SF d’enquête
SF sous-marine
Space western
SF de la fin des temps / de la Terre mourante
SF de rencontre extraterrestre
Premier contact extraterrestre
Invasion alien!
ILS sont parmi nous

À propos de l’auteur

Remerciements

Table

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