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29/1 | 2000
Le conseil en orientation
Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/osp/12822
DOI : 10.4000/osp.12822
ISSN : 2104-3795
Éditeur
Institut national d’étude du travail et d’orientation professionnelle (INETOP)
Édition imprimée
Date de publication : 15 mars 2000
ISSN : 0249-6739
Référence électronique
L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000, « Le conseil en orientation » [En ligne], mis en ligne
le 04 novembre 2020, consulté le 02 juillet 2021. URL : https://journals.openedition.org/osp/12822 ;
DOI : https://doi.org/10.4000/osp.12822
SOMMAIRE
Pourquoi les praticiens disent-ils que « la théorie n’est pas utile à la pratique » ? une
proposition pour adapter la pratique aux exigences du 21ème siècle
Alison J. Fielding
Conseils et Limites
Limites du conseil, au-delà des limites. L’appel sans espace, l’espace des appels
Josette Zarka
Analyses bibliographiques
Le conseil en orientation :
introduction
Career counseling : introduction
Serge Blanchard
pense, de s’étonner qu’il soit si mal reçu. Il y a là quelque chose qui renverse
étrangement la situation et fait que celui qui donne est le seul à y gagner. Car, d’après
ce que j’ai pu observer maintes fois dans la vie, ce que nous appelons donner un conseil,
c’est proprement saisir une occasion de montrer notre propre sagesse aux dépens
d’autrui. De l’autre côté, se faire instruire, ou recevoir un conseil dans les conditions
qui nous sont habituellement imposées, ce n’est guère mieux que de docilement donner
à autrui l’occasion de se faire une qualité de nos défauts.
10 En réalité, aussi capable ou désireux de conseiller qu’un homme puisse être, ce n’est pas
chose aisée que de faire d’un CONSEIL un don gratuit. Car pour qu’un don soit vraiment
gratuit, il ne doit rien s’y trouver qui prenne à autrui pour nous apporter à nous-
mêmes. A tous autres égards, donner et dispenser, c’est générosité et bienveillance ;
mais prodiguer de la sagesse, c’est se donner une allure de Maître qu’on ne nous permet
pas si facilement. Les hommes apprennent volontiers toute autre chose qu’on leur
enseigne. Ils peuvent supporter un Maître de mathématiques, de musique, ou de
n’importe quelle autre science ; mais pas d’entendement et de bon sens ».
11 C’est à définir précisément le sens du tenir conseil qu’Alexandre Lhotellier s’attache dans
son article. Tenir conseil, selon lui, doit être entendu comme une délibération en vue
d’agir, démarche impliquant :
• la création d’une relation dialogique ;
• la construction méthodique et plurielle du sens d’une situation-problème,
• un travail sur le temps, c’est à dire une prise en compte du moment et du rythme ;
12 en vue d’élaborer une décision fondatrice d’une action sensée, responsable et
autonomisante.
13 Selon sa conception, tenir conseil ne vise pas seulement une intention, un choix à faire
ou une décision à prendre, mais aussi, fondamentalement, à réaliser un acte. Cet agir en
situation d’une personne en devenir demande, pour qu’il prenne sens :
• une auto-réflexion critique, et les discours produits ne sont pas tous des rationalisations
sommaires, des illusions, des idéologies fausses ;
• une capacité d’action délibérée.
14 La pratique du tenir conseil doit être régulée par une évaluation et il serait
particulièrement important de savoir quelles représentations s’en font les usagers des
institutions de conseil en tous genres. Le tenir conseil renvoie finalement à une
dimension éthique : si l’on veut que le savoir ne se réduise pas à une consommation
futile, mais au contraire se développe dans un vrai travail de soi, il y a bien nécessité de
tenir conseil.
15 Certaines des idées développées par Alexandre Lhotellier à propos du tenir conseil
semblent assez proches de la philosophie stoïcienne de Marc Aurèle, dont les règles de
pensée et d’action invitent à « vivre en pleine conscience, en pleine lucidité, donner
toute son intensité à chacun de ses instants et un sens à sa vie tout entière » (Hadot,
1997, p. 333). La démarche du tenir conseil paraît donc étroitement liée à une pensée
qui relève de la psychologie philosophique. « Pour Paul Ricœur, il y a une psychologie
philosophique qui n’est pas de l’ordre de la connaissance qui, elle, est scientifique, mais
de l’ordre d’une pensée soit déductive, soit réflexive. Elle se pose sur l’homme trois
2D ici, elle cherche à établir ou à
questions : "Que puis-je savoir ‘ ?’’ "Que puis-je faire ?" F0
justifier une éthique 2D et enfin "Que puis-je espérer ?" Question à laquelle ne peut
F0
22 Des études ont montré que la qualité relationnelle est le meilleur prédicteur de
l’efficacité de la psychologie du conseil, en dehors des facteurs caractérisant le
consultant qui ont encore plus de poids. La théorie de l’attachement conforte le
psychologue du conseil dans l’idée que le soutien qu’il peut apporter à la réflexion et
aux prises de décision du consultant est irremplaçable, par sa dimension socio-
émotionnelle, ce que les programmes informatiques ne peuvent que simuler.
23 Reste à se demander si les théories psychologiques peuvent facilement servir de guide
dans la pratique. Nous avons déjà souligné que les savoirs scientifiques sont des savoirs
locaux et l’on doit toujours se poser la question de leur généralisabilité et de leur
applicabilité aux champs plus larges de pratiques professionnelles. De plus, il
semblerait que beaucoup de conseillers ne croient pas à l’utilité pratique des théories
psychologiques, comme l’a déjà mis en évidence une étude anglaise publiée dans notre
revue (Kidd et al., 1995). Selon Alison Fielding, si l’utilité du discours théorique est mal
perçue par les praticiens du conseil, c’est en partie parce que les modèles théoriques
traditionnels répondent mal aux besoins actuels des conseillers. Il est important de
prendre en compte les évolutions actuelles qui devraient infléchir les conceptions
traditionnelles de l’orientation professionnelle : changements dans les profils d’emploi,
dans les façons d’envisager la vie professionnelle, utilisation des technologies de
l’information, développement de l’apprentissage tout au long de la vie et, enfin,
multiculturalisme. Alison Fielding propose un modèle d’orientation continue qui prend
en compte le fait que, dans nos sociétés, les apprentissages se dérouleront tout au long
de la vie. Ce modèle repose à la fois sur la psychologie et sur la sociologie et intègre
donc à la fois des facteurs internes (différences individuelles, culture et style de vie) et
des facteurs externes (développement du travail flexible, accessibilité des emplois,
caractéristiques de l’environnement comme l’offre de formation, les attentes de son
milieu familial...). Ce modèle n’implique pas une quelconque progression linéaire entre
des étapes fixées d’avance. Il est ouvert et souple et peut être utilisé à tout moment
pour aider le consultant et le praticien à déterminer la base de départ de la procédure
de conseil, à se mettre d’accord sur les moyens à mettre en œuvre, afin de satisfaire au
mieux les besoins manifestés. L’utilisation de ce modèle est illustrée par la présentation
d’un cas. Dans sa conclusion, Alison Fielding s’interroge sur les relations entre théorie
et pratique : les praticiens sont-ils plutôt des déchiffreurs de cartes, des cartographes
ou des joueurs de jazz capables d’improviser sur un thème ? Selon elle, l’essentiel, dans
le conseil en orientation, c’est la compréhension en commun de ce qui doit être réalisé
et de la façon de le réaliser (considérations proches de la notion d’alliance de travail à
instaurer entre le consultant et le conseiller), en réinvestissant la théorie dans l’activité
du praticien.
24 Dans leur article, Norman Gysbers, Mary Heppner et Joseph Johnston présentent une
conception du conseil liée au développement de carrière tout au long de la vie. Pour
eux, la différenciation opérée entre une forme de conseil axée sur le domaine personnel
et émotionnel et une autre axée sur la carrière, est artificielle. En effet, dans la
pratique, de nombreux consultants (« clients » aux Etats-Unis) doivent faire face
simultanément à des problèmes personnels et émotionnels et à des problèmes de
carrière qui sont le plus souvent intriqués. Pour différencier les interventions
économique, amène les consultants à réfléchir aux influences que ces facteurs ont pu
exercer sur leurs représentations d’eux-mêmes, des autres et du monde dans lequel ils
vivent. Au cours de cette étape, l’écoute réactive des résistances possibles du consultant est
importante.
• La mise en œuvre du counseling consiste à assister le consultant dans la réalisation de ses buts
ou la résolution de son problème dans le cadre de l’alliance de travail évoquée plus haut.
• La définition des buts de carrière et des plans d’action. Au cours de cette étape, le conseiller
assiste le consultant.
• L’évaluation des résultats et la clôture de la relation.
28 Gysbers et ses collègues abordent enfin la question de l’efficacité du conseil à la
carrière et ils présentent les premiers résultats d’une enquête conduite par une équipe
de chercheurs de l’université du Missouri à Columbia.
29 Le lecteur français aura noté de fortes ressemblances entre la démarche de bilan de
compétences (Aubret, 1996 ; Taïeb & Blanchard, 1997) et la démarche présentée par
Gysbers et ses collègues. Toutefois, dans leur conception de la démarche de conseil à la
carrière, la dimension psychologique de la relation conseiller-consultant est beaucoup
plus fortement affirmée, Gysbers et ses collègues ne séparant pas le counseling de
carrière et le counseling personnel. Selon leur conception, le développement de
carrière concerne toute la vie et pas seulement la vie professionnelle et il est donc
étroitement lié au développement personnel. Il en résulte que, dans leur optique, le
conseil de carrière inclut l’aide à la résolution de difficultés relevant d’un large champ,
comme les crises personnelles, le manque d’information sur les filières de formation et
le marché du travail, les difficultés relationnelles avec le conjoint, les enfants, les
collègues de travail et les supérieurs hiérarchiques.
30 Dans leur article, Conrad Lecomte et Vincent Guillon traitent de la question des facteurs
communs au counseling personnel, au counseling de carrière et à la psychothérapie. Ils
développent des positions voisines de celles de Gysbers, Heppner et Johnston, positions
qui permettent à leur sens de comprendre un certain nombre d’évolutions, encore
limitées, en France même, évolutions qui leur paraissent nécessaires et souhaitables.
Pour le moment, toutefois, il y a bien, entre la France et l’Amérique du Nord, des
différences de conceptions. Le terme français conseil n’est pas l’équivalent du terme
américain counseling. De même, en France, la psychothérapie concerne
fondamentalement le champ de la pathologie, alors qu’en Amérique du Nord elle
concerne tout autant sinon plus les problèmes ordinaires de changement. En France, la
psychologie du conseil est beaucoup moins développée que la psychologie du
counseling en Amérique du Nord, que ce soit sur le plan de l’enseignement
universitaire ou des pratiques professionnelles. De plus, la conception française
dominante n’in clut pas la thérapie dans la psychologie du conseil en orientation
(Angeville & Bellenger, 1989a, 1989b ; Blanchard, 1996 ; Revuz, 1991 ; Lhotellier, 1996,
Zarka dans ce numéro) et les psychologues du conseil ne reçoivent pas une formation
de thérapeute. Comme le notent Leong et Blustein (2000, p. 8), « il est maintenant tout à
fait clair que le counseling s’inscrit dans un contexte culturel. Pour comprendre quels
sont les aspects du counseling qui sont communs aux différentes cultures et ceux qui
sont spécifiques à telle ou telle culture, nous avons besoin d’entreprendre une étude
comparative globale sur les pratiques de counseling dans le monde ».
31 Ce sont donc essentiellement, comme dans l’article précédent, des conceptions très
développées en Américaine du Nord, du counseling personnel, du counseling de
des croyances mutuelles des interlocuteurs sur les enjeux et les objectifs du dialogue »
2D à l’œuvre dans les entretiens cliniques, qu’ils soient rogériens
(Blanchet, 1991, p. 149) F0
ou psychanalytiques, sont très éloignés des contrats de communication des
conversations de la vie sociale courante et que, de plus, ils ne sont probablement pas
adéquats aux objectifs du conseil en orientation. Selon lui, l’objectif de l’entretien
d’orientation n’est pas à propre ment parler de développer une connaissance de soi,
mais plutôt une capacité à analyser les informations sur l’environnement et à réguler
ses adhésions groupales en fonction de ses intérêts et de ses possibilités cognitives. Il
s’agit également de favoriser l’élaboration d’une expertise cognitive pour calculer les
ajustements de toutes les dimensions qui entrent dans une prise de décision
d’orientation toujours provisoire, conçue peut-être comme le moins mauvais choix
actuellement possible.
49 Sur le plan des pratiques, Claude Chabrol suggère la mise en place de lieux de parole de
formes variées : intra-groupe (familial, de pairs) ou inter-groupes (différenciés par
leurs positions de genre : rôles professionnels masculins et fémimins ; différenciés par
leur âge : cadet et aînés ; différenciés par leur statut employeurs et recruteurs, etc.).
Dans le domaine de l’éducation à l’orientation, les techniques de groupe (Guichard,
1987 ; Nuoffer, 1987 ; Pelletier et al., 1988 ; Limoges, 1989 ; Sontag, 1996 ; Zerwetz, &
Blanchard, 1998) ont beaucoup été utilisées avec des objectifs variés. Les objectifs visés
par Claude Chabrol, à travers ces lieux de parole, sont de présenter et de confronter des
points de vue différents et, ainsi, d’enrichir les représentations du monde des
participants et de leur permettre de mieux s’ajuster à d’autres milieux que le leur. Ces
lieux de parole sont à compléter par des modules d’apprentissage sociocognitifs. En
effet, l’orientation nécessite un apport d’informations sur les marchés de la formation
et du travail. Il s’agit aussi de favoriser l’apprentissage d’habiletés mentales nécessaires
pour traiter les informations sur l’environnement et sur soi, et pour planifier ses
activités en vue de la prise de décision. Les entretiens cliniques se voient réservés aux
rares cas pour lesquels ils sont utiles, dans la mesure où le conseiller peut disposer d’un
temps suffisant.
50 « En tant que pratique, l’orientation se définit comme une aide apportée à l’individu
pour lui permettre de se déterminer. Elle recouvre des activités aux niveaux des
individus (information, entretiens, bilans, évaluations, conseil, …), des groupes
(information, animation, bilans, évaluations, conseil, ...) et des institutions (mise en
place d’ateliers et de procédures d’aide à l’orientation avec des équipes d’enseignants
[Gysbers & Henderson, 2000] ou de formateurs, mise au point de procédures
d’évaluation que l’ensemble des acteurs d’une institution doivent mettre en œuvre, …).
Le principe qui fonde ces actions est celui du développement de l’autonomie de
l’individu : c’est la personne concernée qui effectue ses propres choix ; l’aide qui lui est
apportée vise à lui permettre de prendre des décisions plus réfléchies » (Guichard et al.,
1993, p. 10). Mais dans quels cadres et dans quelles formes identitaires les personnes
sont-elles amenées à se décrire ? C’est la question du lien entre les cadres et formes
identitaires et les pratiques en orientation que Jean Guichard analyse dans son article.
Après avoir distingué six grands courants qui ont marqué l’étude du sujet au cours du
vingtième siècle (courants personnaliste, psychanalytique, de la psychologie du soi,
différentialiste, anthropologique culturaliste ou structuraliste, et psycho-sociaux), Jean
Guichard aborde la question de la malléabilité ou de la stabilité de la subjectivité. Selon
lui, pour comprendre la dynamique des constructions identitaires, il faut tenir compte
à la fois des structures et des interactions.
51 Jean Guichard s’intéresse d’abord aux liens existant entre les structures du système
scolaire et la constitution de certaines formes de la subjectivité des jeunes. Il décrit
l’école comme un miroir structuré structurant l’image scolaire de soi des jeunes. La
dimension principale qui organise la vision de soi (et des autres) dans ce miroir est celle
de l’excellence telle qu’elle est scolairement produite et définie. A l’école, comme l’a
montré L. Gottfredson (Guichard, 1993), un adolescent apprend à déterminer la limite
supérieure des positions sociales qu’il peut espérer atteindre. De plus, un système
scolaire constitue toujours un système de classement des disciplines scolaires allant de
pair avec un système de répartition des individus. Ainsi, le système scolaire donne-t-il
une forme à l’image de soi des élèves et à leur manière de se projeter dans l’avenir.
52 Jean Guichard s’intéresse ensuite aux champs sociaux occupés par un adolescent,
champs sociaux qui forment un cosmos social, et à l’interaction dialogique qui jouerait
un rôle fondamental dans la construction de soi. Il fait l’hypothèse d’une double
vicariance des formes identitaires : ces formes identitaires peuvent varier selon le
contexte (se présenter comme supporter d’un club de football dans un certain contexte,
et comme salarié chez Ford dans un autre contexte) et à l’intérieur d’un même contexte
(par exemple, selon la situation, être supporter verbalement violent ou être supporter
physiquement violent). Il présente ensuite plusieurs études montrant l’importance des
formes identitaires sur les projets d’avenir.
53 Quelles sont les implications de ces analyses pour les pratiques de conseil en
orientation ? Elles renvoient à une réflexion sur les fins et les valeurs des pratiques de
conseil qui relèvent des techniques de soi. La question fondamentale du conseil est
donc celle de ses finalités. Doit-il viser à conduire certains individus à se construire
dans quelques formes identitaires aux contours bien définis ou doit-il se proposer de
l’aider à s’interroger sur la pertinence des cadres identitaires dans lesquels il se
construit et perçoit autrui, questions qui ont à voir avec la conservation ou la
transformation de la structure des rap ports sociaux.
54 La question du conseil amène donc Inévitablement à se poser des questions politiques
(Huteau, 1999), philosophiques, et éthiques (Bourguignon, 1994, 2000 Code de
déontologie des psychologues, 1997 ; Facy, 1999 ; Huteau, 2000 ; Puel & Solazzi, 1996 ;
Reuchlin, 1971a, 1971b). Elle amène aussi à s’interroger sur les délimitations de son
champ d’intervention. Lorsque Alexandre Lhotellier définit le conseil comme : « ni
thérapie, ni diagnostic, ni contrôle, ni assistance, ni commerce, ni endoctrinement, ni
manipulation, ni subversion », il précise ce qu’il considère être des dérives du conseil.
Christine Revuz (1991), quant à elle, souligne que le conseiller en bilan de compétences
n’est ni thérapeute ni expert. Or, les auteurs nord-américains défendent, eux, au
contraire, l’idée d’une continuité entre counseling de carrière, counseling personnel et
thérapie. La dérive du conseil en orientation la plus souvent évoquée en France porte
sur les conséquences possibles de l’individualisation de l’orientation (Demazière, 1995,
pp. 77-79), c’est à dire : une psychologisation de problèmes qui sont essentiellement
socio-économiques et, plus précisément, une tendance à faire internaliser par les
consultants que leur situation dépend essentiellement d’eux. Josette Zarka (1986)
signale l’importance du cadre institutionnel dans lequel l’activité de conseil s’inscrit.
Traqueuse de paradoxes, elle souligne que c’est précisément de son absence de pouvoir
institutionnel en matière d’affectation que le conseiller tire son pouvoir de conseil. Si
ce principe éthique n’est pas respecté, l’activité de conseil se transforme alors en
technique de manipulation.
55 La variété des sois professionnels actuels ou possibles des conseillers est certainement à
lier, pour une bonne part, à leurs choix politiques [Michel Huteau (1999, p. 23) rappelle
que jusqu’à la fin des années 1960, beaucoup de conseillers avaient le sentiment de
contribuer à une plus grande justice sociale, sentiment qui était une composante de
leur identité professionnelle], au cadre institutionnel dans lequel ils travaillent, à leurs
options philosophiques, à leurs choix théoriques et techniques mais aussi aux types de
demandes de leurs consultants. Nous n’aborderons ici que la question des
connaissances théoriques et techniques sur lesquelles les conseillers appuient leurs
pratiques et de leurs liens.
56 Pour les psychologues, selon Le Ny (1999), il y a deux façons de penser la psychologie :
la psychologie clinique sous ses formes professionnelles et académiques et la
psychologie expérimentale-cognitive. À ces psychologies professionnelles s’ajoutent la
psychologie quotidienne de tout un chacun et la psychologie philosophique, déjà
évoquée (Fraisse, 1985). Nous avons vu qu’il y a également plusieurs façons de
concevoir le conseil en orientation, ses différents courants pouvant être rattachés aux
différents types et courants de la psychologie (Angeville & Bellenger, 1989a, 1989b ;
Bujold, 1989). C’est aujourd’hui une prétention déplacée, pour un psychologue (quel
que soit le courant auquel il appartienne), de vouloir expliquer la grande variété des
comportements humains à l’aide d’une théorie unique. On peut d’ailleurs penser que »
c’est en renonçant à leur visée totalisatrice, en acceptant de n’être plus la théorie de
l’homme, mais le dévoilement de certaines dimensions de son comportement que les
sciences humaines pourront, semble-t-il, accéder, en même temps qu’à la modestie, à
une véritable maturité » (Bouveresse, 1998, p. 64). En matière de sciences de
l’éducation, Avanzini (1995, p. 6) note que le passage du singulier (la science de
l’éducation à la fin du XIXe siècle) au pluriel (les sciences de l’éducation à l’époque
actuelle) « est une reconnaissance du fait que l’étude des pratiques éducatives relève
nécessairement de plusieurs points de vue, dont chacun aide à connaître les pratiques
éducatives sous un angle déterminé, sans qu’aucun parvienne à en épuiser l’analyse et à
rendre compte de leur complexité ».
57 Ce sont peut-être des considérations de ce type qui expliquent, pour une part, que les
pratiques des conseillers évoluent vers un certain éclectisme (Zarka, 1987). Aucune
théorie n’apportant un ensemble de réponses satisfaisantes face à la diversité des
demandes et des situations, les conseillers vont avoir recours au cadre théorique jugé le
plus approprié au type de demande du consultant. Ils doivent d’ailleurs se référer à un
champ interdisciplinaire incluant, entre autres, la psychologie de l’orientation, les
conceptions éducatives en orientation (Boursier, 1989 ; Boy et al., 1999), la construction
du projet, le fonctionnement de l’ orientation scolaire et universitaire, l’ orientation et
l’information professionnelle des adultes (Dugué et al., 1999), les aspects sociaux de
l’orientation et notamment ses dimensions sexuées (Vouillot, 1999), la relation
formation-emploi, les difficultés d’insertion professionnelles et sociale des jeunes,
63 « Les savoirs constituent l’une des caractéristiques centrales des professions. Sans
tomber dans l’idéologie actuelle des professions elles-mêmes, qui les mettent en avant
pour justifier leurs privilèges et oublier l’organisation sociale et les structures de
pouvoir, qui leur sont tout aussi nécessaires, force est de reconnaître que les savoirs
sont essentiels... » (Bourdoncle, pp. 95-96). Aux États-Unis, Drapela (1990, pp. 19-20)
souligne que « le fait de reconnaître l’activité de conseil comme celle d’une profession
socialement légitime a fortement accru le rôle de la théorie dans la formation des
praticiens du conseil. Toutes les professions considèrent que de solides connaissances
théoriques sont des prérequis essentiels pour une activité efficace dans leurs domaines
d’activité respectifs... On peut ajouter qu’un savoir théorique étendu est souvent
considéré comme un indice de professionnalisme véritable à la fois par la communauté
des conseillers et par le grand public. Toutefois, tous les conseillers n’adhèrent pas à ce
point de vue. Pour certains d’entre eux, les connaissances théoriques sont plutôt une
entrave qu’une aide à la pratique professionnelle. Quant aux étudiants, ils préfèrent
souvent la pratique à la théorie ». Alison Fielding donne, dans son article, des
explications à cette désaffection pour la théorie.
des configurations de symptômes différentes de celles qui sont décrites dans les livres
de médecine. Face à l’imprévu, les professionnels mettraient en œuvre une espèce
d’intuition, de talent ou d’art... Cet art de la pratique, Schön le nomme "réflexion en
action". Comment la caractériser ? C’est une pensée à la fois d’exploration, de
construction d’hypothèse et de test qui s’accomplit d’un même mouvement, au cours
même de l’action, et non par réflexion après coup, ou en interrompant
momentanément l’action. C’est une réflexion en action, ou mieux, un agir réflexif,
s’appuyant beaucoup sur le savoir en action, tout ce savoir que nous mettons
quotidienne ment en jeu sans pouvoir cependant bien l’expliciter... Cette épistémologie
de la pratique révèle une pensée syncrétique, non entièrement consciente et délibérée,
mais cependant efficace dans l’instant et bien différente de la rationalité technique,
très analytique et entièrement explicite ».
67 « Cependant, cet art de poser de manière nouvelle les problèmes, de les résoudre en
direct et d’improviser, cette réflexion en action est un exercice de l’intelligence,
rigoureux à sa manière et de toute façon nécessaire pour permettre la mise en œuvre
des savoirs scientifiques et techniques » (Bourdoncle, 1993, PP. 96-97).
68 Drapela (1990, p. 19) pense que « la théorie est, pour un professionnel, semblable au
plan de vol du pilote qui cherche à ne pas perdre sa route Est-ce une conception idéale
ou réelle du fonctionnement d’un conseiller ? Les observations d’une enquête sur les
pratiques de conseillers d’orientation anglais conduites par Kidd, Killeen, Jarvis et Offer
(1995, p. 19) suggèrent que « dans leurs entretiens, les conseillers tendent à appliquer
des principes théoriques généraux plutôt que des éléments spécifiques ». Dans
l’ensemble, les résultats de leur recherche conduisent Kidd et ses collègues « à mettre
en doute l’idée que l’orientation professionnelle serait une science appliquée ». Il reste
toutefois à s’interroger sur le rapport existant entre les savoirs théoriques et les savoirs
pratiques et, en particulier, à discuter la conception d’une pratique comme pure
application de théories apprises en formation. La réalité semble en effet plus complexe.
sur le terrain des contingences professionnelles est porteuse de savoirs propres qu’il
importe de mieux connaître dans leur émergence et leur structuration" » (cité par
Bourdoncle, 1993, p. 106-108).
70 En ce qui concerne la question de la relation entre la pratique scientifique et la
formation professionnelle des psychologues, Hoshmand et Polkinghorne (1992) pensent
que la recherche universitaire ne devrait pas négliger l’étude de la connaissance
pratique des psychologues praticiens. Ils estiment que les recherches pourraient
notamment se donner pour objectifs
• de clarifier les modèles de compréhension que se fabriquent les psychologues au cours de
leur pratique et d’examiner le processus de réflexion éclairée du psychologue, en ne se
focalisant pas seulement sur le jugement diagnostique ou la prise de décision relative à un
résultat spécifique, comme c’est le plus souvent le cas dans les études sur le jugement
clinique ;
• d’aider à affiner les cartes conceptuelles des psychologues en conduisant des enquêtes sur
leurs pratiques, en cherchant à les lier à la base des connaissances théoriques formelles.
71 Ces recherches sont encore peu nombreuses car elles sont longues et difficiles à
conduire. Nous avons vu que Zarka a fait des enquêtes sur les difficultés rencontrées
par des conseillers d’orientation-psychologues au cours d’entretiens, en vue de préciser
les limites de l’espace du conseil. En Angleterre, des enquêtes ont également été
conduites sur les pratiques de conseillers d’orientation (Kidd et al., 1995). À
I’I.N.E.T.O.P., nous avons engagé des enquêtes sur les représenta tions que des
conseillers d’orientation-psychologues se font de certaines de leurs pratiques
professionnelles. Les entretiens ont été conduits par des conseillers d’orientation-
psychologues stagiaires en formation. Il s’agit d’aider les conseillers, interviewés à
propos d’une de leur pratique, à expliciter (Vermersch, 1990) les éléments importants
de leurs savoir-faire, les courants théoriques auxquels ils se réfèrent et les valeurs qui
les guident. Au cours d’un premier entretien, on se centre sur une description précise
de la pratique. Ce n’est qu’au cours d’un second entretien qu’on se centre sur
l’explicitation des savoir-faire en jeu, des courants théoriques qui inspirent la pratique,
des valeurs qui l’orientent, etc. (Acquier et al., à paraître). Ce travail d’analyse des
pratiques professionnelles semble avoir été bien apprécié par les conseillers qui se sont
engagés dans ce type d’interview, probablement parce que cet exercice d’explicitation
leur a permis de dire et, par là, de construire certaines de leurs compétences
professionnelles. L’analyse des pratiques de conseil peut ainsi contribuer à la fois à
mieux préciser ce que sont ces pratiques et à accroître le professionnalisme des
conseillers.
72 On notera qu’en matière d’analyse du travail, la psychologie du travail a développé des
méthodes applicables à l’analyse des activités des conseillers, comme la démarche mise
en œuvre par Anne Lancry (2000) pour analyser le travail d’écoutants dans une
association qui reçoit des appels téléphoniques de candidats au suicide, ou comme
l’entretien d’auto-confrontation croisée d’Yves Clot (1999), méthode qui est également
applicable en formation. Quant aux méthodes d’analyse des interactions verbales, elles
commencent à être appliquées, en France, aux entretiens thérapeutiques (Masse et al,
1999 ; Thomassin, 1999).
73 Pour conclure, les réflexions sur le conseil en orientation renvoient à la fois à des
questions politiques et économiques, à des conceptions philosophiques de l’homme et
de la société, et à des systèmes de valeurs qui en orientent les objectifs. C’est pourquoi
le champ de l’orientation suscite tant de débats, souvent vifs parce que passionnés. Les
pratiques de conseil ne peuvent s’appuyer que sur des savoirs scientifiques aux
pouvoirs explicatifs limités et sur des techniques dont la validité n’est jamais absolue,
mais ce sont précisément ces types de savoirs et les interrogations qu’ils ne cessent
d’engendrer qui permettent de différencier les conseillers en orientation des voyants
extra-lucides et d’augmenter l’efficacité de leurs actions. Le développement du
professionnalisme des conseillers en orientation est d’autant plus important que leur
tâche est complexe et que leur action est limitée dans le temps. Ce numéro spécial a
pour objectif de présenter une réflexion sur la question du conseil ainsi que différentes
conceptions théoriques et pratiques. Nous remercions les auteurs pour leurs
contributions et, de façon plus générale, pour leur apport à la psychologie du conseil
qui reste encore à développer en France. Nous espérons que les praticiens liront ces
articles avec intérêt. Pour finir, nous serions tentés de leur suggérer, face aux
difficultés qu’ils rencontrent au cours de leurs pratiques de conseil en orientation, de
toujours garder à l’esprit la belle formule de Mark Twain : « Ils ne savaient pas que
c’était impossible... alors, ils l’ont fait ». Mais, en les engageant dans ce genre d’exercice
spirituel, fréquemment pratiqué à l’époque de Marc-Aurèle, nous leur proposerions une
orientation stoïcienne qu’ils ne partagent probablement pas tous. Enfin, cette
suggestion serait-elle bien utile, dans la mesure où, comme nous le rappelle La
Rochefoucault dans ses Maximes (502), « on donne des conseils, mais on ne donne point la
sagesse d’en profiter ».
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AUTEUR
SERGE BLANCHARD
Chercheur au service de recherche de I’INETOP
Service de Recherche, INETOP-CNAM, 41, rue Gay-Lussac, 75005 Paris. Courrier électronique :
blanchard@cnam.fr
Alexandre Lhotellier
1 Présenter un point de vue dans un ensemble sur le conseil peut faire hésiter entre
plusieurs possibilités, forcément limitées par la loi du genre d’un article. « Le point de
vue crée l’objet », comme disait F. de Saussure, et non le contraire. J’ai choisi de
présenter une position/proposition personnelle, pensant que cela pouvait entraîner un
dialogue plus aigu avec d’autres praticiens, chercheurs, théoriciens. Une théorie ne
peut pas se borner à éprouver la cohérence interne d’un système de concepts. La
théorie (et pire encore si elle devient dogme) peut jouer comme une défense contre
l’écoute de la pratique. Il y a en plus le décalage entre la théorie « professée » et la
théorie « pratiquée » (voir Argyris & Schön, 1974 et l’article d’Alison J. Fielding dans ce
numéro). Un paternalisme scientiste est sans doute pire qu’un paternalisme
traditionnel en présentant la science comme une forme d’autorité.
2 L’éventuelle fécondité d’un travail commun d’écriture et de lecture se mesure à la
discussion dialogique qui peut en résulter et aux nouvelles recherches et créations
suscitées, et non pas au silence prudent ou aux autocensures ou aux consommations
passives face aux courants dominants de pensée. Il me paraît utile d’ajouter que je
plaide pour un débat fort entre points de vue différents et non pas pour des guerres de
religion ou des censures ou des autocensures. Chaque langage différent du nôtre peut
être reçu (ou traduit) ou refusé avec des idées préconçues, mais c’est précisément alors
que s’ouvre le travail du dialogue pour que les conditions intellectuelles du respect de
l’autre étant réalisées, une création mutuelle puisse se développer 1.
4 Il y a malentendu si le conseil est pris en un sens courant (et même au pluriel comme
« donner des conseils ») et non pas en un sens développé par des théoriciens, des
chercheurs et des praticiens depuis plus de 60 ans. Il serait dommageable de prendre un
terme banalisé comme référence de pratique en lieu et place de constructions de
méthodes.
5 Et il y a malentendu encore si on se braque contre une réduction du conseil à une
pratique laxiste issue de contresens sur la non directivité, ou à l’inverse sur le sens
obligatoire que donnait Piéron à ce terme : « Établir un conseil utile, et le faire accepter, car
un conseil dont on aurait la certitude qu’il ne serait pas suivi ne serait pas en réalité un conseil
utile » (Piéron, 1954, p. 367).
6 Mais il y a plus grave encore. Des milliers de conseillers en titre ignorent ou paraissent
ignorer le conseil. Beaucoup le pratiquent sans aucune formation mais sont reconnus
par une institution. On doit s’en inquiéter plutôt que de s’en désintéresser. Il s’agit bien
de penser les contradictions qui surgissent de ce fait et dont tous sont appelés à
souffrir.
7 Ce qui est intéressant, c’est que le conseil n’intéresse pas théoriquement, beaucoup
d’universitaires, mais se pratique beaucoup. Et c’est cet oubli, ce déni, ce refus qui est à
travailler alors même que cette pratique se réalise tous les jours dans des milliers
d’organismes et s’augmente dans la plus belle inconséquence.
8 Alors même que de nombreuses revues anglo-saxonnes scientifiques sont centrées sur
le « counseling », que d’innombrables ouvrages sont parus depuis plus de 50 ans, on
peut vérifier la pauvreté des textes en langue française.
9 Faut-il y voir incompréhension, résistances, différences de cultures ? Si l’histoire du
conseil reste à faire, on peut réfléchir à la visite du Professeur Super, il y a plus de 40
ans (Super, 1958/59, 1960) et à la réponse de Piéron (1961) et au texte de Melle Nepveu
(1961). On peut encore réfléchir à l’accueil mitigé de Rogers (encore très
incomplètement traduit), au succès partiel de l’A.D.V.P. aux missions discrètes de
professeurs étrangers (certains sont invités mais pas d’autres). On peut vérifier
l’ignorance d’auteurs pourtant publiés en langue française : Egan (1987), Lippitt, (1980),
Limoges (1982), Saint-Arnaud (1990).
10 Et comment ne pas souligner toutes ces formations au conseil en dehors des
Universités, ou des D.E.S.S. centrés sur le conseil, qui disparaissent avec le départ à la
retraite de leurs créateurs, comme si cela ne concernait qu’eux.
11 Non seulement le terme conseil n’est guère défini, mais on le remplace par des
équivalences, selon les besoins, les modes, les moments. On a eu ainsi fortement
« aide », souvent remplacé aujourd’hui par « accompagnement ». On utilise ainsi en
voisinage : tutorat, mentorat, médiation, coaching, etc.
12 Un regroupement commode autour de « counseling » permet de rassembler des
pratiques dans des pays de langue différente. Mais il est évident que le conseil en
France n’est pas entendu comme dans le monde anglo-saxon. Le risque est la
glorification idéologique d’un modèle nullement enraciné dans notre culture et nos
institutions. Utiliser le terme anglo-saxon pour avoir l’air d’être plus précis ne clarifie
rien. Qui connaît réellement les théories américaines ? Qui les pratique ? Adopter un
terme commun peut être une facilité mais ne précise pas une unité de conception. Si on
utilisait le terme « soviet » qui indique bien aussi conseil, on voit tout de suite les
connotations historiques, associées à ce mot et les résistances que cela entraînerait. Et
que dire alors de « consulting » ? Le choix d’un mot n’est jamais innocent, mais laisser
un mot déformé par un usage banal est aussi un souci. « Les mots ont ceci de précieux qu’ils
possèdent des racines étymologiques ; ils ont une histoire : comme les êtres humains, ils doivent
parfois se battre pour affirmer et conserver leur identité » (Winnicott, 1986, p. 123).
13 Si l’on veut sortir le conseil d’un état confusionnel, il s’agit de retourner à l’origine du
terme, et non pas accepter, sans critique, l’usage réducteur d’un mot banalisé, ou le
laisser informe, confondu avec avis, suggestion, recommandation.
14 Conseil est ici considéré comme tenir conseil : délibérer pour agir, ce qui nous donne
l’axe fondateur. Le sens retenu n’a rien à voir avec donner des conseils (c’est plutôt le
conseil sans conseils) et pas davantage avec la mode anglo-saxonne de mélanger
psychothérapie et conseil.
15 Il convient de restituer à ce mot son sens fort originaire. Si l’usage banalisé a privilégié
le sens d’avis, indication donnée à quelqu’un sur ce qu’il doit faire (mais même dans ce cas
peut-on conseiller sans bien délibérer ?), on a oublié les autres sens de délibération,
dessein, projet, résolution mûrement pesée et aussi réunion de personnes qui
délibèrent.
16 On ne peut pas utiliser ce terme en le considérant comme évident, allant de soi, sans
considérer sa dynamique propre, le type de travail qu’il représente.
17 Tenir conseil est une démarche visant :
• à la création d’une relation dialogique (communication-information),
• à la construction méthodique et plurielle du sens d’une situation problème,
• au travail du sens du temps (moment, rythme),
18 pour l’élaboration d’un décision fondatrice d’une action sensée, responsable
autonomisante.
19 Une définition n’est pas faite pour figer un mot mais pour lui donner une dynamique.
La vraie définition du conseil est sa pratique.
20 Cette proposition de définition sera développée tout au long de ce texte.
21 Le conseil est trop longtemps resté coincé entre « situation d’examen psychologique »
ou « psychothérapie au rabais ». Mais il n’est pas davantage simple transmission
d’informations, ou seul travail de la relation interpersonnelle (sans considérer la
situation sociale).
22 Le conseil n’est pas une directive à caractère contraignant, ni une manipulation à effet
indirect, une « persuasion clandestine », à partir d’un savoir-certitude.
23 Le conseil n’est pas une pratique routinière relevant de formalités impersonnelles,
subies dans un cadre de contraintes (violence symbolique) ni une procédure douce pour
faire accepter l’inacceptable (simplement adapter à ce qui est, au modèle dominant
d’une culture).
24 Le conseil n’est pas plus injonction, prescription que laisser faire. Ce n’est pas
davantage se parer d’un cadre théorique « pur » (seulement professé) ou s’autoriser de
quelques articles anglo-saxons pour faire scientifique, puis y ajouter quelques outils, et
bricoler pragmatiquement sur le terrain.
25 Le conseil a une fonction exceptionnelle dans une société. Ce qu’il offre ne se trouve
nulle part ailleurs : la possibilité de travail du sens, du savoir et du jugement personnel
confronté à la réalité sociale, et cela dans un service désintéressé.
26 Tenir conseil, ce n’est pas libérer l’existence de tout problème, c’est s’occuper
réellement d’un problème quand il a surgi. Mais tant que cette relation est vécue
comme confession, examen, aveu, c’est une pratique culturelle qui ne peut se
développer comme évidente.
27 Tenir conseil est une méthode d’action pour faire face à l’événement, pour fonder une
décision, pour innover face à l’inconnu. Ce n’est pas seulement quand ça va mal que le
conseil a du sens. On tient conseil pour inventer l’avenir. Le recours au conseil n’est pas
l’aveu d’une faiblesse, mais au contraire la construction de l’intelligibilité de la
situation, l’intelligence de l’agir.
28 Tenir conseil pour faire face autant à la créativité qu’à l’adversité, ce qui différencie le
« tenir conseil » du « coping » consistant seulement à faire face à l’adversité.
29 Tenir conseil n’est pas réparation privée de malheurs publics, c’est la construction de la
personne, ancrée dans un vivre ensemble.
30 Tenir conseil n’est pas au-dessus de la mêlée. La société aussi est sens, domaine et
condition du sens. Tenir conseil, c’est construire le pouvoir du sens de la personne (des
groupes, des institutions), donc ( ?) autant résister, critiquer, créer, humaniser
l’inhumain de chacun.
31 Au fond, tenir conseil c’est créer une posture de veille, de vigilance pour la personne en
questionnement, c’est fortifier son propre conseil, c’est s’approprier ses propres actes.
Cela rejoint la conviction socratique qu’une « vie sans examen ne vaut pas d’être vécue ».
32 Tenir conseil, c’est pouvoir prendre appui sur soi-même, demeurer auprès de son
expérience, en maintenant un équilibre entre l’ouverture à ce qui est nouveau, la
confiance en ses compétences, l’appropriation de ses actes, sans devenir étranger à soi-
même en apprenant une langue ésotérique ou abstraite.
33 Tenir conseil, c’est créer, par la connaissance et le jugement, de nouvelles conduites.
Cela n’est possible qui si une relation réelle est créée, dialogique, et si le travail du
temps est respecté.
34 Tenir conseil, c’est construire sa conduite, l’art de se conduire, l’art le plus nécessaire
que nous laissons trop souvent à l’indigente juridiction de nos ignorances. Et pourtant,
impossible d’empêcher chaque conduite de faire sens.
35 Tenir conseil est acte de confrontation avec soi, avec autrui, avec une situation, avec
des institutions au présent. Confrontation n’est pas affrontement mais lutte pour le
sens (dialogue), reconnaissance des différences et un vrai travail de production de soi,
de construction identitaire.
36 La confrontation a une fonction formative dans l’examen critique des points de vue
différents, des langages différents.
37 Tenir conseil est acte d’autonomisation, d’émancipation.
38 L’acte de tenir conseil est aussi un acte politique, démocratique par excellence. Le
terme indique bien tous les groupes, toutes les assemblées qui délibèrent, cherchant
l’orientation, la voie de la décision. Si c’est un acte social fort, c’est pénible de le voir se
dénaturer en certaines formes de conseil d’administration (où les jeux sont faits
d’avance, le conseil devient simple chambre d’enregistrement) ou en conseils
d’affrontements guerriers. On peut songer à ce que peuvent devenir des conseils
municipaux (ou autres), des conseils de classe, des conseils de quartier, à ce que furent
les conseils ouvriers. Il serait dommage de ne pas citer ici « Qui c’est l’conseil ? » de F.
2. La centration du conseil
45 La centration du conseil, c’est : l’agir sensé, en situation, d’une personne (ou de
personnes) en devenir.
46 La définition proposée ici implique une radicalisation sur l’action. Tenir conseil, c’est
travailler à rendre signifiante pour l’acteur, une action efficace. Cet accent sur l’agir
sensé peut seul valider en définitive, la démarche autonomisante d’un individu
responsable. C’est l’action qui est formatrice. La connaissance ne suffit pas. Dévoiler la
réalité ne conduit pas nécessairement à la transformer.
47 Donner la priorité à l’acte, c’est souligner que la conduite est seulement en acte.
L’action n’est pas un discours appliqué, et l’agir produit du savoir non révélé par la
théorie. L’action n’est pas un territoire découpé par la géographie des disciplines
(économie, sociologie, psychologie, histoire...). L’action ne peut être « décomposée » en
facteurs qui seraient chacun tout seul « explicatifs » de l’agir. L’action ne peut être
psychologisée, sociologisée, économique... L’action est un ensemble de conduites. Et
chaque action est structurée en fonction des niveaux de la conduite •
• L’expérience vécue immédiate (moment de subjectivation à explorer, à développer) et
l’inscription corporelle.
• Le comportement comme transformation de l’expérience en objectivation observable,
communicable.
• La praxis, reprise des niveaux, expérience et comportement pour construire le sens de l’agir
au travers des rapports sociaux et de leur transformation historique.
2.2. En situation
58 Mais tout agir sensé est celui d’une personne en devenir (ou d’un ensemble de
personnes en groupe, en institution…).
59 Même si ce n’est pas le moment d’un débat, on ne peut ignorer la diversité des théories
de la personnalité, la multiplicité des concepts particuliers utilisés pour décrire et
expliquer des dimensions de la personnalité. Il suffit d’évoquer des psychologues
comme W. James, Janet, Allport, G.H. Mead, Murray, Lewin, Kelly, Rogers, Gendlin,
Maslow, Cattell, Skinner, Meyerson, Nuttin, Huteau, Moscovici, sans oublier Freud,
Jung, Perls et des philosophes comme Castoriadis, Ricoeur, Taylor, pour se rendre
compte de la difficulté de ce panorama : tour de Babel, marché de modes éphémères, ou
hégémonie de langages dominants. La question demeure ouverte du mérite ou non de
telle ou telle théorie, de l’usage partiel ou total qui peut en être fait.
60 Retenons simplement ici que le cadre de référence théorique du conseiller,
naturellement, n’est pas indifférent au type de travail du conseil, tout comme sa
capacité de dialogue avec d’autres langages que le sien (langage de collègue ou de
client).
61 Mais l’on peut aussi noter les débats que représentent l’adoption ou le refus de tel ou
tel terme : personne (connoté comme trop moral, ou humaniste), sujet, acteur, auteur,
individu, self, soi, moi, mais aussi rôles, statuts. Et cela se complique avec des
appellations comme client, usager, assujetti, patient.
figer des mouvements, pour éviter une perspective statique, mécanique en coupant les
processus de leurs conditions d’émergence (l’état naissant), pour suivre le
développement ininterrompu des événements. C’est l’écoute des flux, des nœuds, des
crises, des blocages, des résistances au changement. Chacun des processus est une
histoire se faisant et se défaisant. Le temps est rapport fondamental qui traverse toute
réalité, non pas comme une donnée en plus, mais comme une construction
permanente. Les processus sont trop souvent cassés, car ignorés, banalisés, arrêtés ou
enfermés dans des cadres étrangers (découpage a priori).
67 Mais c’est dans la rareté du temps, de son coût, qu’intervient tout le travail de
rythmanalyse. Le temps n’est pas donné, il est construit (Bachelard). L’écoute des
processus vise la flexibilité des actes et leur rigueur contre la rigidité des routines, des
pesanteurs sociales.
68 Un rythme d’opérations de méthodes, de procédures, d’instrumentation en cohérence, en
implication avec la visée de valeur et la vision globale, et avec l’écoute des processus
implicites. Et c’est la multiplicité des temps vécus qui est à chaque fois considérée : une
lutte des temps subis et des temps choisis. Et il y a en plus les temps différents des
méthodes, des procédures, des instruments. Par exemple, la lourdeur de tel ou tel outil
peut créer un retard ou un gaspillage de temps, ou au contraire la pertinence d’un outil
peut accélérer une conscientisation. Bachelard le rappelait dans le « Nouvel esprit
scientifique » : « Les instruments ne sont que des théories matérialisées ». Il s’agit donc de
concevoir des outils suffisamment sensibles aux différences temporelles.
69 La rythmanalyse est l’apprentissage continu de l’appropriation des temps multiples
sociaux et personnels pour créer un rythme efficace d’action. C’est la maîtrise des
« dialectiques de la durée », « la continuité psychique est, non pas une donnée, mais une
œuvre » (Bachelard).
70 La limitation de temps (le temps comme rareté) exige encore plus la construction d’un
rythme personnalisé d’opération (il s’agit bien plus que de gestion du temps). La
perspective rythmanalytique souligne la construction d’une histoire unique à chaque
fois, d’une histoire se faisant avec des vitesses différentes. C’est l’articulation de ces
trois dimensions (visée de valeur, écoute des processus et rythme des opérations de
76 Tenir conseil, c’est inventer avec l’ancrage historique, un rapport d’apprentissage des
conditions historiques qui motivent tel ou tel type de conceptualisation. L’histoire
collective et personnelle est ce qui nous sépare de nous-mêmes et ce que nous devons
franchir et traverser pour nous penser nous-mêmes.
81 Une des pierres d’achoppement du conseil, mais en même temps un levier, c’est le
temps. Il n’y a jamais assez de temps. Et l’on veut toujours plus du même. On demande
au conseiller d’être producteur de vitesse, mais le temps n’est pas la vitesse (cf. les
ouvrages de Virilio sur la « dromocratie »).
82 Le temps est aussi une rareté que je construis avec un risque de routine. Et en toute
situation, le temps est limité (délais, urgence, etc.) comme l’action est temporelle de
part en part. Le conseiller ne saurait donc se dispenser du travail du temps. Il y a un tel
effacer le travail. Il s’agit bien d’élever notre niveau d’improvisation. « Nous avons besoin
de ce qui nous aide à penser par nous-mêmes : une méthode » (E. Morin).
91 Il s’agit de travailler par méthode : le sens, le projet, l’agir.
105 Si la notion de projet a tellement été de mode, c’est peut-être pour manifester le
manque que nous en avons. Si le projet fait difficulté, c’est sans doute parce que la
violence, l’incertitude et la complexité des situations socio-économiques, techniques et
politiques rendent risqué tout projet, surtout pour ceux/celles qui sont le plus
désorientés. Le projet reste alors un défi dans une société sans projet. Mais nous savons
aussi qu’imposer des projets n’est pas très efficace, cela reste « la grande illusion du projet
préfabriqué » (Lhotellier, 1997). Et en même temps, nous savons que toute action est par
principe intentionnelle, que l’homme est un être de projet, « que je suis ce que
j’anticipe » (Kelly, 1955). Il y a nécessité de projet parce qu’on ne peut pas attendre la fin
de l’histoire pour penser qu’alors elle aura un sens.
106 Le projet est élément constitutif de la praxis et ne peut donc être négligé. Mais il se
présente sous une double face : autonomie et action. L’autonomie est le noyau du projet
mais un projet n’a de sens que désigné en temps d’action à accomplir et non pas d’état
futur à atteindre. Un projet, c’est toute l’expérience de sa réalisation. Mais l’autonomie
dont la praxis ouvre le projet ne peut se penser comme fin pré-inscrite dans un plan,
dans un programme défini à l’avance. C’est plutôt un commencement, une
autonomisation, une entrée dans un processus d’émancipation, un travail éthique-
politique, lié au travail de la connaissance. C’est pourquoi nous rejoignons la formule de
Castoriadis : « Nous appelons praxis ce faire dans lequel l’autre ou les autres sont visés comme
être autonomes et considérés comme l’agent essentiel du développement de leur propre
autonomie. La vraie politique, la vraie pédagogie, la vraie médecine, pour autant qu’elles ont
jamais existé, appartiennent à la praxis. » (Castoriadis, 1975, p. 103).
107 Un projet, c’est donc, animé par des finalités, un objectif à réaliser, dans une situation
donnée, dans un délai limité, avec des moyens définis. Le travail de projet ne peut
donc, par exemple, se réduire à celui de projet professionnel isolé, surtout dans un
univers de mobilité sociale dans un monde d’emploi rare et précaire, dans une société
d’incertitude, car il est relié, confronté, aux projets de la personne (projet de société,
projets d’existence, de famille, de citoyen, etc.). Chaque projet interagit avec les autres,
de même que les divers champs d’activités d’une personne forment un système, comme
l’a montré Curie (Curie, 1993).
108 Ce travail fondamental ne peut être considéré comme secondaire ou évident car il ne
peut rester implicite sans susciter des conflits, des manipulations, des blocages que le
travail de projet prétend justement éviter. L’interrogation continue sur le sens du
projet reste indispensable.
109 Le premier sens du projet, c’est donc que le projet puisse avoir un sens pour la
personne (les personnes, les groupes, les institutions) et que l’horizon d’attente,
l’anticipation, la conscience possible d’un avenir puissent exister. Il s’agit bien d’avoir
une finalité, un objectif, reconnus et pris en considération par soi-même et non pas
vécus comme une contrainte.
110 Le travail fondamental de projet, c’est d’abord de clarifier l’univers de projet de la
personne, son cadre de référence (vision globale et visée de valeurs), image de soi,
niveau d’aspiration, conscience possible de l’avenir, idéologies, illusions, rêves ou
rêveries, reconnaître si un projet fondamental peut (ou non) animer l’action de cette
personne (groupe, institution) ou au contraire entraîner un refus de la situation
actuelle, ou une évasion par des conduites sans prise effective. Mais le travail de projet
n’est pas seulement sensibilisation au projet, clarification formulation, implication, il
est aussi travail méthodique : imaginer, concevoir, évaluer. C’est un travail de
concentration qui va du vague à l’acuité précise d’un ou plusieurs scénarios de projet,
qui va des finalités aux objectifs. Le travail de projet est aussi un travail d’acquisition de
nouvelles perspectives sur une situation ou d’invention radicale dans l’inconnu.
111 L’imaginaire est régulièrement dénoncé, condamné, récusé comme relevant aussi bien
du dérisoire que du pathologique, en tous les cas non mesurable, non fiable. Mais en
même temps, nous savons aussi qu’aucun symbole n’existe sans imaginaire. La
rationalité même n’est pas une forme arrêtée, définitivement fixée, c’est une incessante
conquête. Pour Granger (1993, p. 126) « La raison constitue à chaque époque, une figure
d’équilibre provisoire de l’imagination créatrice ».
112 Un projet porteur trouve son origine dans la motivation de la personne. Mais ni
l’impulsion ni le désir ne réalisent un projet. Le projet suppose la vision du rapport
finalité-objectif-but, fondé sur le rapport désir-besoin-valeur, médiatisé par le
rapport ressources-contraintes-gestion. Mais cette motivation est travaillée par
l’imaginaire. Faire un projet, c’est se donner le pouvoir d’imaginer, d’inventer sa vie.
« On ne veut bien que ce qu’on imagine vraiment vivement, ce qu’on couvre de beautés
projetées » (Bachelard). Encore faut-il apprendre à être à l’écoute de son imagination, et
cela dépend de la vie de mes propres images. Sans images fortes, stimulantes, le projet
risque de ne pas tenir (image de soi, niveau d’aspiration). Face à la pesanteur des
habitudes, aux conditionnements de chaque milieu, nos images sont une force. Une
personne peut aussi se définir par sa capacité d’anticipation. Tous les processus
psychologiques d’une personne sont canalisés par sa manière d’envisager le futur. « À
chaque moment de la vie, on est ce que l’on va être non moins que ce que l’on a été » (O. Wilde).
Si j’ai bien situé la force de mes images, de ma motivation, la rationalité n’est plus
conçue comme étroitesse, carcan logique, mais comme une stimulation, un surplus
pour encore préciser toute mon activité.
113 Le troisième travail de projet, c’est le trajet du projet : le rapport au temps, la capacité
de se fixer des objectifs à court, à moyen terme, avec l’horizon de long terme. Le travail
du temps, c’est d’équilibrer la vitesse et l’urgence des autres par une implication
temporelle différente dans l’instant (le moment) et la durée (rythme différencié de
chaque personne, groupe, institution) sans être bloqué dans la rigidité de plans,
programmes, etc.
114 Projet et trajet sont indissociables. Le trajet du projet, c’est la construction progressive
d’une démarche intégrative des obstacles extérieurs et/ou des contra dictions
intérieures. On oublie trop qu’un projet est un long parcours et non pas seulement un
résultat final. Le trajet, c’est la construction continue de la claire relation des buts et
des moyens. Le cheminement implique une valorisation de chacun des moments dans
leur singularité, dans leur différence, et dans leur nécessaire articulation. Le pouvoir du
commencement net tranche tous les freinages qui me retiennent. C’est le
commencement qui permet d’affronter les vrais obstacles. Tous les passages, les jalons
n’indiquent pas des étapes nécessairement séquentielles, mais un développement en
spirales autour d’une planification souple pour laisser place à d’éventuelles
réorientations nécessaires. Il s’agit donc, à chaque fois, de tâtonnement expérimental
pour atteindre l’objectif. Mais, par sa finition, chacun découvre que le projet réalisé
apporte encore plus de satisfaction que le projet rêvé, et que les obstacles contournés
apportent encore plus de valeur aux résultats. Chaque trajet de projet est un voyage
unique.
115 Tenir conseil ne vise pas seulement une intention, un choix à faire ou une décision à
prendre : il s’agit bien de réaliser un acte. Si donc l’agir est le centre du conseil, il s’agit
de s’y concentrer. Ce qui importe, c’est l’effectuation concrète d’une action sensée.
Mais l’acte est un résultat et l’agir n’est pas le récit de l’acte, c’est l’acte se faisant.
L’agir, ce n’est pas l’après coup. Après, d’innombrables interprétations, explications
peuvent tout expliquer sans avoir en rien aidé pendant. L’agir, c’est le cheminement de
l’acte. Ce dont il est question dans l’agir, c’est la naissance de l’acte, son
développement, c’est l’unique, le particulier, le contingent, l’incertain, le
contradictoire, l’imprévu, l’imprévisible, l’inconnu, le risque de la première fois (comme
firent Freud, Rogers, par exemple).
116 On ne peut pas continuer l’empirisme des pratiques, ou un bricolage éclairé, ou une
juxtaposition de disciplines sans articulation des niveaux d’intelligibilité d’une
pratique. On ne peut pas continuer à développer un niveau schizo, cassé, éclairé du
Savoir, absolutisé dans sa pureté de recherche qui se transforme en miettes
d’informations, privées de force germinative, pour coloniser, par des langages
étrangers, des pratiques ordinaires. Après tout, selon un mot célèbre, l’acteur social
n’est pas forcément un idiot culturel. Faut-il toujours plus d’experts pour davantage
d’ignorants ? « Il y a toujours quelqu’un qui sait à ma place ». Est-ce cela la rationalisation,
signe de modernité ?
117 Il ne s’agit pas de valoriser la pratique au détriment de la recherche. Il s’agit de
reconnaissance réciproque, mais de reconnaissance forte, radicale, d’une différence
créatrice ; un dialogue à part entière où personne n’est infériorisé, humilié. Sans penser
qu’à chaque fois, il faudrait une recherche de plus pour éclairer l’action en cours. Cela
n’a rien à voir avec un supposé rejet de recherche fondamentale, mais avec la nécessité
des sciences humaines de ne pas être un discours anonyme à côté des humains, ou
contre eux, pour les manipuler dans une utilisation partielle. Mais il y a aussi crise de la
langage dévoilement (véri-diction). Ce travail des langages est d’autant plus une
nécessité que tenir conseil est souvent rencontre incohérente de multiples langages.
Les langages organisateurs de l’action sont souvent contradictoires. Les langages
administratifs, économiques, techniques, ne sont peut-être pas neutres par rapport aux
solutions et peuvent même dévaloriser des aspects de la réalité vécue des acteurs.
125 Une capacité d’action délibérée. (Castoriadis, 1990, pp. 189-225).
126 C’est toute la mise en œuvre : « délibération-décision-parcours d’action », qui fait entrer
cette auto-réflexion dans les processus d’actions. Tout ce travail ne peut se réaliser que
par apprentissages différenciés, essais et erreurs, selon l’état de la personne dans la
situation.
131 Plutôt que de s’ignorer réciproquement, Bourdieu rappelle (1984, p. 113) : « On peut se
servir de ce qu’on apprend sur le fonctionnement de chaque champ particulier pour interroger et
interpréter d’autres champs ». Et même les différents champs de conseil obligent à
s’interroger sur leur interaction plutôt que sur leur séparation. Penser au conseil dans
l’A.N.P.E., l’A.F.P.A., les C.I.B.C., les C.I.O., les P.A.I.O., les Missions locales, etc. On peut
aussi penser aux personnes « visitées » par les conseillers de plusieurs services
différents. Il est bien évident que chaque conseiller, outre sa formation à tenir conseil,
travaille de façon continue les informations et connaissances, les valeurs et intérêts, les
besoins et les demandes, les offres et les commandes qui structurent chaque champ
particulier.
132 Si l’on prend le champ au sens de Bourdieu, comme espace structuré de positions (ou de
postes) dont les propriétés dépendent de leur position dans ces espaces et qui peuvent
être analysées indépendamment des caractéristiques de leurs occupants, en partie
déterminées par elles, on voit que le champ de l’orientation a été peu théorisé. Un
champ se définit par des espaces et des intérêts spécifiques, mais « pour qu’un champ
marche, il faut qu’il y ait des enjeux et des gens prêts à jouer le jeu, dotés de l’habitus
impliquant la connaissance et la reconnaissance des lois immanentes du jeu, des
enjeux, etc. » On peut aussi voir comment ce champ est structuré en marché libéral, en
service public, en association d’aide. Et voir aussi le risque que peut prendre chaque
champ à se transformer en « appareil ». « Un champ devient un appareil lorsque les
dominants ont les moyens d’annuler la résistance et les réactions des dominés » (Bourdieu,
1984, p. 136).
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ANNEXES
Déroulement de la démarche de « Tenir conseil »
Model of counseling
« Ma devise est : Quel est le minimum indispensable ? »
NOTES
1. C’est l’acte de tenir conseil, fondement du métier de conseiller, qui est précisé ici, et non pas
encore le champ entier du conseiller d’orientation.
Ce travail fait partie d’un ensemble qui le situe.
1 L’acte de Tenir conseil,
2 Les dispositifs du conseil (l’institutionnalisation comme processus créateur et ses modalités :
entretien, groupes, communication à distance),
3 La formation des conseillers.
Conclusion : le style d’action du conseiller.
L’auteur, outre de nombreux stages dans des C.I.O. ou des formations à I’I.F.E.P.P. avec des
conseillers, s’est toujours soucié de l’évolution des pratiques d’orientation depuis le congrès de
Montpellier de 1969. Le travail présenté ici paraîtra dans un ouvrage « Tenir Conseil » dans les
premiers mois de l’an 2000.
RÉSUMÉS
Le conseil, pratique traditionnelle très forte, s’est souvent banalisé en « donner des conseils », le
contraire de « tenir conseil » : délibérer pour agir. Nous avons aussi oublié le sens politique
fondamental du terme, comme dans conseil municipal, gouvernemental, etc. Le conseil est à la
base même de la démocratie. Mais qu’est devenue cette pratique dans le conseil d’administration,
le conseil de classe, le conseil de quartier, etc. ? Des milliers de conseillers travaillent parmi nous.
Est-ce le règne des spécialistes, des experts, ou est-ce un autre phénomène, manifesté sous des
noms différents : aide, accompagnement, tutorat, mentorat, coaching, counseling ? « Tenir
conseil » est une activité qui nous concerne tous, là où nous vivons et travaillons. Il n’y a jamais
eu autant d’urgence et d’importance à tenir conseil pour faire face à l’événement et à
l’urgence pour : s’approprier l’information et le savoir ; fonder les décisions ; créer, innover ;
accompagner les changements ; l’art de se conduire ; l’art de participer (conseil de groupe) ; l’art
de transcender, de donner sens à nos actes, à nos travaux ; créer de l’intelligence collective, une
citoyenneté active.
Mais en même temps, quel est l’espace public du conseil : marché ? Contrainte ? Volontariat ? Si
nous ne voulons ni le conseillisme d’Etat, ni la conseillite libérale, que faire ?
The aim of this paper is to present a point of view on counseling (« tenir conseil ») which is
mainlyfocussed on the action of the person and the building of its meaning, founded on dialogical
communication, in an appropriate rhythm of time
INDEX
Mots-clés : « Tenir conseil », travail du sens, dialogique, délibération, rythmanalyse, action
Keywords : Counseling process, meaning and values, dialogic, deliberation, rythms of time,
action
AUTEUR
ALEXANDRE LHOTELLIER
L’auteur a rempli trois fonctions : Universitaire, Consultant et Formateur.
Intérêts professionnels : Le « tenir conseil » ; La formation d’adultes et l’Autoformation ; La
formation de Formateurs (I.F.E.P.P., Paris) ; La discussion dialogique et démocratique ; La
démarche de Praxis ; Histoires de Vies.
alkairos@club-internet.fr
Pascal Mallet
NOTE DE L’AUTEUR
Cette recherche a bénéficié des moyens mis à notre disposition par le Conservatoire
National des Arts et Métiers (I.N.E.T.O.P., Paris) et l’Université de Reims. Merci aux
deux experts et à Serge Blanchard, pour leurs remarques sur une première version de
l’article.
Introduction
1 Avec la première livraison de L’Orientation Scolaire et Professionnelle 1, le lecteur
francophone avait pu prendre connaissance de la théorie de l’attachement : « une
nouvelle théorie sur les origines de l’affectivité » (Zazzo, 1972, p. 101). Au cours du
quart de siècle suivant, hormis un ouvrage en forme de colloque épistolaire (Anzieux et
al., 1974), peu de publications en langue française ont porté sur cette théorie. Quelques
articles lui sont de temps à autre consacrés (par exemple, Le Camus, 1990 ;
Pierrehumbert et al., 1996). Récemment, un numéro spécial de la revue Enfance a
entrepris de combler ce qui apparaît comme une lacune, si l’on se réfère à la
« littérature » internationale. En effet, dans les revues savantes anglophones, au cours
des années 1990, en moyenne une demi-douzaine d’articles ont paru chaque semaine
sur cette théorie ‒ il est vrai d’origine britannique ‒ et le courant semble encore en
expansion. La théorie de l’attachement (T.A.) n’est pas un filon de recherche marginal.
2 Toutefois, si l’on se souvient qu’elle concerne la formation des premiers liens, et tout
spécialement celui entre le bébé et la mère, il peut sembler surprenant de s’y référer à
propos de la psychologue du conseil. Certes, on reconnaît volontiers que les relations
entre le jeune enfant et ses parents ont un impact considérable dans la suite de sa vie.
Mais, dans l’entretien psychologique de conseil, on n’analyse pas souvent de façon
approfondie l’histoire de la prime enfance du consultant. Alors comment expliquer
qu’au cours de ces dernières années, des spécialistes de la psychologie du conseil aient
proposé de s’appuyer sur la T.A. ? Une première réponse est qu’en un quart de siècle
cette dernière a évolué, n’est plus autant focalisée sur le jeune enfant, mais porte sur le
développement socio-émotionnel tout au long de la vie. Des raisons plus précises
justifient l’intérêt que des psychologues du conseil, de plus en plus nombreux, portent
à la T.A. Nous essaierons de les faire ressortir.
3 La première partie expose la T.A. dans ses grandes lignes. Nous présentons brièvement
les principaux concepts et propositions de la T.A. Afin de mieux en saisir l’originalité,
nous examinons ensuite ses principales sources d’inspiration, son évolution et les
arguments qui l’ont amenée à prendre distance par rapport à la théorie freudienne de
l’ontogenèse affective. Nous terminons cette première partie en précisant comment la
psychanalyse freudienne se situe par rapport à la T.A. et les principales critiques
auxquelles la T.A. a donné prise. La seconde partie est consacrée aux applications et
implications de la T.A. pour la psychologie du conseil. Nous envisageons l’éclairage
qu’elle peut apporter, d’une part, sur la formation des intentions d’avenir scolaire et
professionnel et, d’autre part, sur la conduite de l’entretien de conseil.
1. La théorie de l’attachement
1.1. Vue d’ensemble à travers les principaux concepts et
propositions
4 L’idée fondamentale de la T.A. est que tout être humain est animé par un besoin
d’attachement génétiquement programmé, sélectionné au cours de la phylogénèse pour
sa fonction adaptative de protection de l’organisme. Ce besoin se manifeste par des
comportements de recherche de proximité et de contact par rapport à un ou quelques
partenaires préférés qui, électivement, renforcent les sentiments de sécurité
personnelle. L’organisme est également animé par un besoin d’exploration F0 2D d’acquérir
de nouvelles connaissances sur son environnement et sur soi 2D qui est régulé
F0
notamment par les possibilités dont il dispose de satisfaire son besoin d’attachement.
Ainsi, une personne est d’autant plus à même de développer ses connaissances qu’elle
dispose d’un ou plusieurs partenaires d’attachement sur qui elle croit pouvoir compter.
Un partenaire qui joue ce rôle d’apporter une sécurité personnelle et de favoriser les
capacités d’exploration constitue une base de réconfort (« a secure base »).
5 Les comportements d’attachement évoluent au cours de la vie, en fonction de la
maturation et des normes culturelles. Ils sont organisés en un système d’attachement,
qui comporte des représentations mentales (les « working models ») qui assurent la
pérennité d’un certain type d’attachement. Ce type d’attachement varie selon les
individus. Il peut aussi varier, pour un même individu, selon les partenaires
d’attachement. Le type d’attachement résulte de l’histoire des interactions avec le
partenaire considéré. Il est déterminé par des caractéristiques tempéramentales et par
les soins des partenaires d’attachement. Une personne ‒ enfant, adolescent ou adulte ‒
possède en général plusieurs attachements. Ils ne sont pas organisés en une hiérarchie
absolue. Leur importance respective varie avec les situations. Ainsi, le plus souvent,
pour un enfant, l’attachement à la mère est privilégié dans les situations de détresse,
l’attachement au père dans les situations de jeu, Dans les deux cas, la fonction de la
relation est de redonner confiance en soi. La hiérarchie d’activation des sous-systèmes
d’attachements relatifs à des partenaires spécifiques varie selon les individus et selon
les situations.
6 Telle est, résumée en quelques concepts et propositions, la T.A. Pour en saisir plus
précisément la portée et l’originalité, il convient d’examiner sa genèse.
7 La formation de la T.A. date des années 50 et 60 (Bowby, 1958, 1969). Elle est en partie
issue de la psychologie clinique pratiquée par Bowlby, psychiatre psychanalyste qui ne
se satisfaisait pas que la cure analytique soit le seul mode de traitement des troubles
psychologiques et l’unique moyen de recherche sur le développement affectif du jeune
enfant.
8 Dans un de ses derniers articles, Bowlby (Ainsworth & Bowlby, 1989) raconte que,
étudiant en médecine, il avait été impressionné par deux jeunes patients, toujours en
quête d’affection, qui n’avaient jamais pu vivre une relation stable avec un adulte qui se
soit occupé d’eux. Le plus grand avait été renvoyé du collège pour des vols répétés et,
même si autrement, écrit Bowlby, « son adaptation sociale était globalement normale, il
n’avait pas d’amis et semblait isolé émotionnellement ‒ des adultes comme de ses
pairs... » Bowlby poursuit : « Je fus ainsi sensibilisé à l’idée d’un rapport possible entre
d’une part une carence affective et d’ autre part le développement d’une personnalité
incapable d’établir des liens affectifs, inaccessible aux compliments comme aux
réprimandes et sujette à des conduites délictueuses à répétition » (Bowlby, 1981, cité in
Holmes, 1993/1995, p. 18). Rétrospectivement, Bowlby considère que ces deux
rencontres décidèrent de son orientation vers la psychiatrie. Mais, devenu
psychanalyste, il eut vite l’impression que « les analystes, préoccupés par la vie
fantasmatique des enfants, accordaient trop peu d’attention aux événements actuels de
la vie réelle de l’enfant » (Ainsworth & Bowlby, 1989, p. 333).
9 Bowlby entreprend alors des recherches quantitatives avec des échantillons mieux
identifiés que l’ensemble hétérogène de ses patients. Il montre que les expériences de
manque de soins maternels sont plus fréquentes dans un groupe d’adolescents voleurs
que dans le groupe contrôle. En observant de jeunes enfants momentanément placés en
institution pour raison de santé physique, il met en évidence que de telles séparations
produisent des effets négatifs, indépendamment de toute autre forme de carence
(alimentaire, hygiénique, etc.). Il en déduit que, dès les premiers jours, l’enfant a besoin
d’une relation stable avec un partenaire privilégié, et que des manques dans ce
domaine ont des conséquences néfastes pouvant se prolonger au-delà de la prime
enfance. Ses observations sont en continuité avec celles de Spitz, autre psychanalyste et
pionnier de l’observation filmée des comportements sociaux des jeunes enfants.
Avancer cette notion d’un besoin d’affection primaire amène Bowlby à remettre en
cause la théorie freudienne de « l’étayage », selon laquelle le bébé apprenait à aimer sa
mère parce qu’elle satisfaisait son besoin de faim ; l’orientation du bébé vers elle
10 À cette origine de la T.A. dans une psychologie clinique et pathologique s’ajoutent deux
autres sources d’influence qui ne relèvent plus de la psychologie. Bowlby s’est appuyé
sur l’observation des phénomènes d’imprégnation dans différentes espèces animales. Il
s’agit d’abord, chez divers oiseaux, de la réaction de poursuite précoce, par laquelle les
oisillons sitôt éclos suivent la première source de stimulation qui se présente à eux. Au
cours de cette poursuite, ils mémorisent très rapidement les caractéristiques
perceptives de l’objet poursuivi, qui devient électivement apaisant. Des phénomènes
analogues sont observés dans d’autres espèces, plus proches de l’humain. Pour
certaines d’entre elles, les nouveau-nés ne sont pas en mesure de poursuivre la source
de stimulation par des déplacements locomoteurs. La poursuite, alors uniquement
perceptive, notamment visuelle, n’en est pas moins source d’imprégnation, de
mémorisation en profondeur du partenaire. D’autres comportements, par exemple de
blotissement et d’agrippement, apparaissent dans des espèces plus évoluées que les
oiseaux.
11 Les expériences réalisées par Harlow et ses collaborateurs (par exemple, Harlow, 1958)
sur des macaques élevés en isolement social ont apporté des arguments
supplémentaires à l’appui de la thèse selon laquelle le nouveau-né a initialement besoin
de s’agripper et de se blottir auprès d’un partenaire qui reste à peu près le même au fil
du temps. En présence de deux substituts maternels, le jeune animal passe une bonne
partie de ses jours et de ses nuits sur le mannequin recouvert de tissu, et il ne grimpe
sur celui nourricier recouvert de grillage que le temps nécessaire pour s’alimenter.
Après quelques semaines d’imprégnation, la seule vue du mannequin en tissu apaise
l’animal. Plus encore, lorsqu’on introduit des objets ou de jeunes congénères inconnus
dans sa cage, il se réfugie sur le mannequin en tissu. Depuis ce refuge, il s’avance
progressivement vers l’inconnu pour en prendre connaissance. En explorant, il se
tourne vers la région faciale de son « partenaire d’attachement », comme pour solliciter
de sa part des conseils... « d’orientation ». Si le jeune singe n’a pas grandi en présence
d’un substitut maternel doté des propriétés nécessaires à la satisfaction du besoin
d’attachement, il reste prostré, incapable d’exploration.
12 Ces faits d’imprégnation et d’attachement chez l’animal ont été interprétés dans une
perspective évolutionniste. Le jeune animal est considéré comme équipé
génétiquement de comportements qui ont pour effet, en situation naturelle, de le
maintenir à proximité d’un partenaire adulte de son espèce. Ainsi il reçoit de ce dernier
soins et protection. Par là-même, les comportements d’imprégnation et d’attachement
apparaissent nécessaires à la survie, au développement et, par là, à la reproduction de
l’animal. Les travaux de Harlow en particulier, par l’éloquence des situations
expérimentales, ont contribué au succès de la T.A. De tels travaux prêtent à
l’anthropomorphisme autant qu’à la réduction de l’humain à l’animal. Aussi Bowlby
n’a-t-il pas manqué de rappeler que « il n’est jamais permis de déduire d’une espèce à
une autre... L’homme appartient à une espèce présentant certaines caractéristiques
inhabituelles » (1961, p. 623). C’est donc avec prudence que Bowlby a avancé l’idée de
similitudes fonctionnelles entre des comportements du nouveau-né humain et des
comportements observés dans d’autres espèces, Dans un premier temps, il a distingué
cinq comportements servant à maintenir le contact, directement ou par une
communication à distance (succion, cri, sourire, poursuite visuelle, et agrippement).
Bowlby a élargi plus tard la catégorie des comportements d’attachement à tous ceux
« dont le résultat est qu’une personne obtient ou conserve une proximité avec un
individu qu’elle préfère » (1980/1984, p. 58).
Reuchlin (1977/1991), ces deux visions ne sont pas exclusives, les systèmes de contrôle
cybernétiques, en maintenant entre certaines normes les paramètres sous leur
contrôle, opèrent en sorte de réduire les tensions.
15 Le système d’attachement se différencie et se complexifie au cours du développement,
toujours orienté vers le même but général de recherche de proximité et de contact
auprès de partenaires sécurisants. Certains comportements d’attachement se
prolongent tout au long de la vie, d’autres apparaissent. En particulier, les moyens de
satisfaire le besoin de sécurité personnelle laissent de plus en plus de place à des
régulations utilisant la pensée symbolique et abstraite. La nature des conduites
d’attachement dépend largement des conditions de vie sociale. Tout
phylogénétiquement sélectionné qu’il soit, le besoin d’attachement se manifeste donc
par des conduites dont le développement emprunte des voies balisées par la culture.
16 Invoquer des structures internes vise en particulier à rendre compte des effets à long
terme des expériences précoces. Le concept central dans ce domaine est celui des
« internal working models »2 d’attachement, que l’on peut traduire par « modèles
internes et évolutifs » d’attachement. Ces représentations men tales, comparativement
à celles conceptualisées dans la perspective freudienne3, ont l’avantage de « permettre
une plus grande précision de description et de fournir un cadre théorique qui se prête
mieux à la planification et l’exécu tion d’une recherche empirique » (Bowlby, 1981, cité
par Holmes, p. 78). Ce sont des structures à la fois cognitives et affectives, qui se
développent en fonction des interactions de l’enfant avec ses partenaires privilégiés.
D’abord mémoire des régularités que l’enfant est capable d’extraire de ses expériences
socio-émotionnelles, ces représentations se différencient progressivement, en
particulier selon qu’elles portent sur tel partenaire ou sur soi. Toutefois, « même
lorsque les modèles de soi et de l’autre sont devenus distincts, ils représentent les deux
faces d’une même relation et ne peuvent pas être compris sans référence l’un à l’autre »
(Bretherton, 1985). On voit qu’à un siècle de distance la conceptualisation est proche de
celle de James Mark Baldwin (1895/1897).
17 Bowlby insiste sur l’impact de ces représentations sur le développement individuel au-
delà même des conduites d’attachement. Plus l’enfant aura fait l’expérience de
partenaires qui répondent vite et efficacement à ses appels, plus il sera animé par la
confiance que ses partenaires privilégiés le secourront en cas de besoin. Il se sentira
d’autant plus en sécurité, sûr de lui et enclin à explorer l’inconnu. A partir de son
attente d’être secouru, l’enfant élaborerait une représentation de soi comme
secourable, digne d’être soutenu, protégé, et en fin de compte aimé. C’est ainsi que la
représentation de soi, qui contribue à réguler les relations intimes, aurait aussi un
impact sur le développement des connaissances. Si ces régulations psychologiques sont
appelées des « working models », c’est pour marquer leur plasticité en fonction des
nouvelles expériences d’attachement et des élaborations sociocognitives.
18 Baldwin (1992) a proposé une définition de ces représentations en termes de schémas
relationnels. Ces derniers incluent un script d’interactions, un schéma de soi et un
schéma du partenaire en situation interpersonnelle. Cet auteur s’appuie donc sur les
concepts développés dans les approches sociocognitives de la perception des
personnes, de soi, des situations et des relations interpersonnelles. Outre les notions de
schémas de soi et d’attentes interpersonnelles, on retrouve celles de formation
19 Après avoir porté sur la formation des premiers attachements au cours de la première
année de vie, la T.A. a servi de cadre à des recherches sur des enfants plus grands, des
adolescents, puis des adultes. Dans l’ensemble, les faits nombreux et diversifiés ainsi
recueillis apportent un soutien empirique à l’appui des idées ‒ certes assez générales ‒
d’Ainsworth et Bowlby sur la nature des régulations internes des attachements. Ces
faits concernent d’une part les rapports entre la nature des expériences socio-
émotionnelles avec la mère au cours de la première année et le type d’organisation des
conduites d’attachement à la mère à partir de cette période. Ils portent d’autre part sur
les rapports entre le type d’attachement à la mère et divers aspects du développement
intellectuel et social en dehors des relations d’attachement.
20 Beaucoup de ces recherches ont consisté à attribuer à l’enfant, observé entre un et
deux ans et demi, un type d’attachement à la mère, et à mettre en rapport cette
caractéristique individuelle avec d’autres caractéristiques, antérieures ou ultérieures.
Pour ce faire l’enfant est le plus souvent observé dans une situation standardisée
pendant une vingtaine de minutes ; c’est la fameuse « situation étrange » (Ainsworth,
Blehar, Waters, & Walls, 1978). Elle fait en général intervenir la mère, mais elle peut
aussi être utilisée pour évaluer l’attachement avec un autre adulte privilégié. On
analyse en particulier :
• les réactions de l’enfant aux départs et retours du partenaire ,
• dans quelle mesure il utilise les jouets qui sont à sa disposition
• s’il se sert du partenaire comme « base de réconfort », c’est-à-dire s’il maintient avec lui un
contact à distance qui renforce ses comportements d’exploration.
21 L’attribution d’un type d’attachement se fonde tout spécialement sur les
comportements lors des épisodes de réunion, au retour du partenaire :
• ignore-t-il ce dernier, évitant ostensiblement de croiser son regard, continuant comme si de
rien n’était à s’occuper avec les jouets (type d’attachement « anxieux-évitant ») ?
• ou bien reste-t-il agrippé au partenaire retrouvé, sans pourtant être apaisé par sa présence
(attachement « anxieux-ambivalent ») ?
• ou bien encore, l’ accueille-t-il joyeusement en recherchant sa proximité et son contact,
pour mieux reprendre ses explorations, et lui faire partager dans des interactions à distance
ses découvertes (attachement « confiant ») ?
22 Une quatrième catégorie a été proposée par Main et Solomon (1986). Elle comprend en
fait les enfants qui ne correspondaient exactement à aucun des trois principaux modes
de réaction, et à qui on attribuait celui qui leur convenait le moins mal. Ces deux
auteurs ont essayé de repérer parmi ces enfants une ou plusieurs organisations
comportementales qui spécifient un nouveau mode de relation. En fait, ce qui
caractérise ces enfants, c’est le caractère contradictoire de leurs réactions dans la
« situation étrange » ; on ne parvient pas à saisir une organisation ayant un minimum
de cohérence, qui paraisse orientée vers un but. Concrètement, ce peut être
l’immobilité complète tout au long de la procédure d’observation, ou bien des
stéréotypies nombreuses, ou encore des manifestations de confusion. Il s’agit de
réactions atypiques, qui montrent l’enfant à la fois désemparé et n’adaptant
aucunement ses comportements à la personne qui était supposée être l’un de ses
partenaires d’attachement. Ce n’est donc pas à proprement parler un quatrième type
d’attachement, puisque ces comportements ne visent pas à maintenir le contact avec le
partenaire. C’est pourquoi ce quatrième type est qualifié de « désorganisé-désorienté ».
Un peu plus de la moitié des enfants entrant dans cette catégorie étaient auparavant
considérés comme « anxieux-évitant
23 La « situation étrange » et la typologie qu’elle permet de mettre en évidence, dont les
quatre profils ci-dessus ne sont que les principaux, ont connu un grand succès. Les
prédicteurs du type d’attachement à la mère ont été recherchés principalement au
niveau des interactions mère-enfant et du tempérament de l’enfant. Par exemple,
Isabella, Belsky et von Eye (1989) ont précisé en quoi un ajustement réciproque bien
synchronisé contribue à la formation d’un attachement confiant, et Izard, Porges,
Simons, Haynes et Cohen (1991) ont montré pour leur part qu’une faible variabilité du
rythme cardiaque chez l’enfant de trois mois au repos va également dans ce sens. Quant
à ce que le type d’attachement confiant à la mère permet de prédire, c’est par exemple
la popularité de l’enfant parmi ses pairs à l’école maternelle (Cohn, 1990), ou encore
une relation amicale dyadique plus joyeuse, harmonieuse (Park & Waters, 1989). De
nombreuses recherches ont porté et continuent de porter sur cette question des
rapports entre attachement à la mère et adaptation parmi les pairs (voir par exemple le
numéro spécial de Social Development, 3, 3, 1995). Mais on a également montré qu’un
attachement confiant à la mère est associé à :
• un développement plus précoce des premières connaissances de l’enfant sur lui et sur sa
mère (être capable de se désigner par son prénom, de dire son sexe, etc.) (Pipp-Siegel,
Easterbrooks, Brown, & Harmon, 1995) ;
• des jeux symboliques plus longs et plus complexes (Slade, 1987) ;
• des conduites de résolution de problème plus performantes (Frankel & Bates, 1992).
24 C’est le même modèle, selon lequel l’autonomie est d’autant plus développée que la
personne a confiance en ses partenaires d’attachement, qui sert de cadre à l’étude des
attachements chez l’adolescent et l’ adulte. A l’adolescence, les attachements à la mère
et au père (conceptualisés de la même façon), sont le plus souvent évalués sur un
continuum à l’aide de questionnaires (par exemple, Armsden & Greenberg, 1987). Chez
l’adulte, Hazan et Shaver, également à l’aide de questionnaires, ont retrouvé les trois
principaux types d’attachement, qu’ils traitent — comme c’est souvent le cas chez
l’adulte — en tant que styles généraux de personnalité sociale. Pour l’adolescent comme
pour l’adulte, de nombreuses recherches ont montré que le fait d’avoir un ou plusieurs
attachements confiants est associé à une adaptation plus favorable. Par exemple, les
adultes dont le style d’attachement est confiant s’ajustent mieux à leur travail que ceux
qui ont un style d’attachement anxieux (Hazan & Shaver, 1987).
25 Les avancées réalisées par la T.A. dans le domaine de la psychogenèse sont reconnues
par les psychanalystes du développement. Ainsi, pour Lebovici (1991), tirant les
conséquences des travaux de Bowlby sur l’attachement, « il n’est certainement plus
possible de rester aujourd’hui fidèle à la métapsychologie freudienne concernant la
naissance de l’objet » (p. 335). Mais la reconnaissance des apports de la T.A. n’implique
aucunement pour cet auteur le rejet de l’expérience psychanalytique, car les données
qui en sont issues, en particulier au cours des consultations du bébé avec ses parents,
montrent la place de l’enfant dans l’histoire personnelle et originale de chacun des
parents et dans l’histoire de leur couple ; plus largement, « dans l’arbre de vie de la
famille », selon les termes de Lebovici (1991), qui poursuit à ce propos : « ainsi se
dessine la filiation et les fantasmes qu’elle impose pour donner sens aux circonstances
qui deviennent des événements après coup et entretiennent un scénario narré qui fait
la base de notre travail clinique et thérapeutique : ce travail sur la filiation des
fantasmes permet l’affiliation de l’enfant à sa culture, à celle de ses parents » (p. 336).
26 La rectification de la conception freudienne de la psychogenèse ne rend donc pas
périmée la situation thérapeutique héritée de la théorie psychanalytique freudienne.
Pour Duyckaerts (1974), psychanalyste, la remise en question des théories de l’étayage
et des pulsions, et la relativisation des motivations libidinales (la sexualité n’étant plus
qu’un « système de comportements » parmi d’autres), tout cela n’entraîne aucun
changement pour la pratique clinique. Il suffit d’élargir la notion de libido, « de
manière à lui attribuer aussi la possibilité de se fonder sur d’autres systèmes
comportementaux que ceux qui interviennent dans l’alimentation, la défécation, la
miction ou la copulation » (p. 163). Duyckaerts souscrit volontiers à l’idée que, d’un
point de vue théorique, le modèle de tension-décharge peut être utilement abandonné
au profit d’un modèle cybernétique. Nous avons vu plus haut avec Reuchlin (1977/1991)
que les modèles d’homéostasie et de réduction de tension ne sont au fond pas
incompatibles. Mais, pour conserver la notion de pulsion, Duyckaerts propose d’en
étendre la signification jusqu’à une extrême généralité : c’est « un vouloir, au sens
large... Le concept de pulsion garde sa valeur ‒ non pas théorique mais opératoire ‒
pour fonder le travail de l’interprétation » (p. 165).
27 Ainsi étendue, la notion de pulsion perd les spécificités qui étaient les siennes dans la
théorie freudienne, dont elle était un élément fondamental, en particulier quant au
primat accordé aux motivations sexuelles. Il importe de souligner que si le
psychanalyste tient à garder la notion freudienne de pulsion, ce n’est aucunement pour
des raisons théoriques. C’est uniquement pour son pouvoir d’évocation et son rapport
avec le modèle de tension-décharge, lui aussi plus à même d’exprimer les images et
impressions émotionnelles des consultants tout au moins dans les années soixante-dix.
Ainsi, Duyckaerts donne-t-il l’impression que des faits publics et vérifiables, remettant
en cause certains aspects de la théorie freudienne, s’y intégrent sans difficulté et donc
sans que son utilisation dans le domaine de l’entretien psychologique n’en soit affectée
l’important, pour la théorie psychanalytique, est que le consultant et le psychologue
parlent le même langage, partagent les mêmes images.
29 Outre les critiques adressées à Bowlby, dans les années cinquante et soixante, par les
psychanalystes défendant la métapsychologie freudienne, les principales critiques ont
porté sur l’explication « biologisante » des conduites affectives du jeune enfant. Tout le
destin de l’enfant se jouerait dans le lien dyadique avec la mère biologique et
uniquement avec ce partenaire. Bowlby insistait, il est vrai, sur l’importance du
premier lien avec une personne et une seule (la « monotropie » du jeune enfant). Cela,
afin de souligner le caractère non interchangeable des personnes accompagnant le
développement de l’enfant. Depuis cette époque, et en particulier à la suite de l’étude
classique de Schaffer et Emerson (1964), on reconnait que la plupart des jeunes enfants
établissent plusieurs attachements en même temps (à la mère, au père, aux grands
parents, etc.).
30 Le travail de Bowlby (1951/1953), avant même qu’il formalise la T.A., avait également
donné prise à une récupération politique prônant « la femme au foyer Comme le note
Hayes (1994), le contexte historique de l’Après-guerre, avec les hommes de retour du
front et trouvant souvent leurs emplois occupés par des femmes, explique que des
groupes de pression se soient alors formés pour réclamer la présence des femmes au
foyer. Absentes de la maison, elles faisaient subir à leurs jeunes enfants des « carences
maternelles », affirmait-on, en se référant de façon spécieuse aux travaux de Bowlby
sur la question. Après des années de polémique, les mises au point de Rutter (1979) en
particulier ont contribué à asseoir l’idée selon laquelle un emploi à plein temps
n’empêche pas nécessairement la mère d’établir et maintenir un lien de bonne qualité
avec son enfant. Ce sont les conditions de vie plus générale de la famille — et en
particulier les conditions de travail — qui doivent être considérées. Cette exploita tion
politique était d’autant plus injuste que Bowlby, dès les premières pages de son célèbre
rapport Soins maternels et santé mentale (1951/1953), précisait sans ambiguïté que la
mère n’est pas la seule concernée par les soins à donner à l’enfant : « le nourrisson et le
jeune enfant devront avoir été élevés dans une atmosphère chaleureuse et avoir été
unis à leur mère (ou à la personne faisant fonction de mère) par un lien affectif intime
et constant, source pour tous les deux de satisfaction et de joie » (p. 11).
31 D’autres critiques sont venues de spécialistes de l’apprentissage. En particulier, depuis
plusieurs décennies, Gewirtz (1976 ; Gewirtz & Pelaez-Nogueras, 1991) rappelle que
l’usage du terme « attachement » dans le cadre de la T.A. fait souvent appel à des
« abstractions métaphoriques floues « Attachement » recouvre alors le processus en
lui-même, ses effets, ses déterminants ou les trois à la fois. A force d’être répétées, ces
remarques ont contribué à ce que s’instaure une plus grande clarté conceptuelle dans la
T.A. D’autres critiques plus spécifiques portent sur les mécanismes et facteurs en jeu
dans la formation des réactions du jeune enfant à l’égard de ses partenaires. Le but est
ici de relativiser le poids des préprogrammations des comportements d’attachement.
En mettant en évidence le rôle du conditionnement opérant dans la genèse des
attachements, des auteurs comme Gewirtz contribuent à identifier de plus près
« comment certains signaux émis par les personnes qui s’occupent de l’enfant
pourraient intervenir dans le contrôle des réponses du répertoire du jeune enfant
humain (en particulier les cris) » (Gewirtz, 1976, p. 147). De même que les critiques au
niveau conceptuel ont porté leurs fruits, celles au niveau de la méthode expérimentale
(par exemple, Gewirtz & Boyd, 1977) ont contribué à ce que les recherches se référant à
la T.A. gagnent en rigueur.
33 Les auteurs qui ont tenté de mettre en évidence l’éclairage que la T.A. pouvait apporter
à la formation des intentions d’avenir scolaire et professionnel se sont intéressés au
rapport qu’elle établit entre besoin de sécurité personnelle et besoin d’exploration.
Grottevant et Cooper (1988) ont ainsi avancé l’idée que les attachements de l’adolescent
à ses parents pourraient soutenir ses explorations dans le domaine des perspectives de
formation et d’emploi. Quelques rares études mentionnées par Blustein, Prezioso et
Schultheiss (1995) montrent que les adolescents soutenus par des attachements
confiants à leurs parents se disent davantage enclins à poursuivre leur formation et la
planifient plus activement. Kracke (1997) rapporte en ce sens que le soutien émotionnel
apporté par les parents à l’adolescent, fait de franchise et de respect de l’autonomie de
chacun, favorise la recherche d’informations sur les filières de formation. Ketterson et
Blustein (1997) ont eux aussi apporté des arguments empiriques en ce sens, montrant
que le caractère plus ou moins confiant des attachements de l’adolescent à ses parents
est corrélé positivement à l’exploration. Dans ces études, l’exploration des perspectives
de formation scolaire et professionnelle est évaluée par un questionnaire invitant les
sujets à indiquer dans quelle mesure au cours des mois précédents ils ont cherché des
renseignements sur les professions et les formations. Dans l’ensemble, les résultats
suggèrent que l’attachement confiant a un effet positif sur l’exploration, même si les
effets sont tout juste significatifs.
34 Blustein, Prezioso et Schultheiss (1995) font en outre l’hypothèse que les attachements
confiants aux parents soutiennent l’adolescent dans les prises de risques requises par
certaines orientations professionnelles. Les attachements confiants aideraient
l’adolescent à s’engager fermement dans une formation, en renonçant à d’autres voies
possibles. En l’absence de soutien socio-émotionnel, l’adolescent préférerait ne pas trop
s’engager, pour préserver une pluralité de perspectives par crainte de ne pas réussir
formations. Après tout, il s’agit d’un domaine qui ne leur est en général pas mieux
connu que ne l’est la « situation étrange » pour l’enfant entre 12 et 18 mois. De plus, il
s’agit là-aussi de prendre son autonomie, en s’éloignant des rôles d’enfants et, bientôt,
de ceux d’adolescents.
38 Théoriquement et en accord avec les données qui viennent d’être mentionnées, les
adolescents disposant d’attachements confiants, comparativement aux autres,
devraient être davantage portés à des explorations diversifiées, à s’informer sur des
domaines d’étude et professionnels non seulement inconnus, mais aussi atypiques. Ils
devraient en outre avoir une meilleure connaissance de soi, et être plus à même
d’intégrer dans leurs réflexions le point de vue de leurs parents et de discuter de tout
cela avec eux.
39 La démarche des adolescents anxieux-ambivalents devrait laisser place au doute
obsédant. On a affaire ici à ce fonctionnement décrit depuis des décennies en
psychologie pathologique, où la personne est en proie à des préoccupations anxieuses,
les prises de décisions étant annulées tout aussitôt par les remords qu’elles entraînent.
La conduite d’exploration se traduirait, non par des choix et des rejets réfléchis, mais
par une rumination stérile. Cette indécision, qui ne constitue qu’un aspect des
difficultés plus générales dans l’affirmation d’une personnalité autonome, serait
notamment en rapport avec les relations actuelles de l’adolescent avec ses partenaires
d’attachement. Dans ces relations, les adolescents anxieux-ambivalents exprimeraient
leurs inquiétudes quant à leur avenir, cherchant à être rassurés par leurs partenaires.
Ces échanges ne seraient pourtant ni rassurants ni constructifs, du fait des confusions
établies par les adolescents entre leurs propres intentions et celles prêtées à leurs
partenaires d’attachement.
40 Quant aux adolescents anxieux-évitants, on peut penser que leurs explorations
devraient se faire indépendamment des sources d’information dont la valeur est
reconnue. S’ils font intervenir dans leurs réflexions les points de vue de leurs
partenaires d’attachement, ce serait plutôt pour adopter des positions contraires. Dans
les éventuelles discussions avec eux, ils auraient tendance à ignorer leurs avis et
suggestions.
41 Concernant le style d’attachement désorganisé-désorienté, compte tenu qu’il n’a pas
encore fait l’objet d’études à l’adolescence, et que chez l’enfant les corrélats sont
encore mal connus, on se bornera à supposer que les adolescents dans ce cas devraient
avoir plus de difficultés que les autres pour s’orienter scolairement et
professionnellement.
42 Bowlby a fait le point sur les implications de la T.A. pour l’entretien psychologique et le
changement thérapeutique. L’ancien élève de l’Ecole navale royale, et ancien officier
britannique psychiatre des armées, qui avait « le goût de la systématisation » (Rayner,
1996, p. 65), a proposé en 1988 une sorte de checklist en cinq points. Le psychologue (ou
le psychiatre) doit toujours les garder présents à l’esprit. Ce sont :
• établir une base sûre, une base de réconfort,
• explorer les attachements passés et les difficultés relationnelles actuelles,
attentes à son égard de tel ou tel partenaire significatif. Toujours pour réduire les
risques de projection et de confusion, il peut y avoir intérêt à prendre note
explicitement des explorations effectuées par le consultant.
48 Pour mener à bien ce travail délicat, le psychologue peut opportunément recourir à des
techniques précisément conçues pour objectiver matériellement les choix. En
particulier, l’entretien avec des cartes de métiers, dit entretien A.D.V.P. (Blanchard,
Volvey, Homps, & Prieur, 1995 ; Garand, 1978) constitue, à cet égard, une méthode
adéquate. Elle repose sur une analyse des processus de catégorisation des professions
par le consultant, les catégories étant envisagées dans leur contenu et dans leur
structure (Huteau, 1982). Au cours d’une première phase, le consultant exclut d’une
centaine de fiches portant chacune le nom d’une profession celles qui ne l’intéressent
pas. Après cette phase d’exploration, il réunit par sous-ensembles les professions qui
ont à ses yeux des similitudes. Il explicite la nature de ces dernières et les écrit sur une
feuille ; c’est la phase de cristallisation. Au cours de la dernière phase, de spécification,
il revient sur les dimensions qu’il a ainsi lui-même extraites, pour les hiérarchiser selon
un gradient de préférence personnelle. On voit que cette procédure offre un cadre pour
aider le consultant à identifier sa représentation des professions et ses préférences
dans ce domaine. Elle permet d’établir une mémoire de ce processus d’identification,
particulièrement adaptée avec des consultants au style socio-émotionnel ambivalent.
49 (b) Quant aux personnes au style anxieux-évitant, elles devraient manifester dans
l’entretien un retrait prudent, allant de la simple réserve à l’évitement social qui
empêche toute avancée. On sait que les enfants présentant ce mode de fonctionnement
socio-émotionnel ont moins accès que les autres à leurs réactions émotionnelles
organiques (telles qu’attestées par divers indices physiologiques). Dans la « situation
étrange », en particulier, leurs réactions de détresse lors des départs de leur mère ne
sont pas exprimées comportementalement (par exemple, Spangler & Grossmann, 1994).
D’une manière générale les personnes au style anxieux-évitants ont du mal à demander
de l’aide quand ça ne va pas, et souvent n’ont même pas accès à leurs sentiments de
détresse (Bartholomew, 1990 ; Bowlby, 1988). C’est pourquoi, suggèrent Krause et
Haverkamp (1996), il importe de leur laisser l’impression de contrôler ce qui se passe
dans l’entretien, et de n’être pas trop chaleureux afin qu’ils ne ressentent pas cela
comme un risque d’entrer dans une relation de dépendance. Avec ces consultants,
certains psychologues ont même proposé d’utiliser le téléphone, comme moyen de
maintenir la distance (Biringen, 1994).
50 De même que les enfants anxieux-évitants n’expriment pas d’inquiétude dans la
situation étrange, les consultants ayant ce style d’attachement devraient se présenter
comme capables de se débrouiller tout seul, déclarant ne pas se faire de souci pour leur
orientation scolaire et professionnelle. Il paraît opportun, dans ce cas, de ne pas
imposer une technique stricte, qui prétendrait apprendre au consultant qui il est
vraiment. Des techniques structurées comme celle évoquée à l’instant peuvent
toutefois aussi être proposées. La médiation d’un instrument évite une communication
émotionnelle étroite. La passation de certaines épreuves laisse la possibilité de discuter
de façon relativement ouverte, en parallèle à l’activité d’évaluation programmée.
Prévisible dans son cours, celle-ci peut être rassurante. Il importera alors de bien
expliquer le fonctionnement de l’instrument utilisé, en sorte que le consultant ait le
sentiment de participer à la régulation de la procédure d’évaluation. A cet égard,
« l’entretien A.D.V P. engage bien le consultant dans un rôle actif, en l’amenant à
53 Ces conseils simples peuvent paraître normatifs par leur classement strict des individus
en trois catégories. Ils peuvent toutefois constituer des points de repère pour améliorer
la qualité de la relation entre le consultant et le psychologue du conseil. En effet,
suivant la revue de question de Lambert et Cattani-Thompson (1996), la qualité
relationnelle est le meilleur prédicteur de l’efficacité de la psychologie du conseil, en
dehors des facteurs caractérisant le consultant, qui ont encore plus de poids (pour une
discussion plus complexe des facteurs en jeu dans l’efficacité de l’entretien de conseil,
voir Hill & Corbett, 1996). En outre, en dépit des effets positifs avérés de la psychologie
du conseil, on n’a pas encore pu démontrer que certaines techniques ou théories
seraient plus efficaces que d’autres (Lambert & Cattani-Thompson, 1996) ; l’efficacité
d’une procédure dépend du moment où elle intervient dans l’entretien et dans
l’histoire de la relation avec le consultant, ainsi que de facteurs de personnalité et
autres caractéristiques individuelles, des problèmes à traiter, etc. Dans ces conditions,
les recommandations tirées de la T.A. ne peuvent qu’enrichir la réflexion.
54 Comme le note Holmes (1993), le concept de « modèles internes et évolutifs »
d’attachement est proche de ceux employés en thérapie cognitive. Par sa manière
d’aborder les processus cognitifs, la T.A. est ainsi en prise avec les techniques
d’entraînement aux habiletés sociales, de gestion de l’anxiété, d’élaboration de
stratégies pour surmonter l’adversité (« coping »), et autres méthodes ayant chacune
son étiquette propre. Ces approches sont compatibles avec le mode d’intervention
brève qui prévaut dans la plupart des centres de psychologie du conseil nord-
américains, indiquent Kenny et Rice (1995). Ces auteurs précisent que lorsque de telles
interventions ne sont pas fructueuses, « c’est peut-être qu’il convient d’accorder
davantage d’attention aux questions relatives aux attachements et de mettre en place
une relation thérapeutique qui prenne en compte les émotions (p. 448) ». Ces auteurs
ajoutent « qu’en dépit de leur intérêt, les conceptualisations cognitives des traitements,
par exemple, de la dépression, accordent en général peu de poids aux facteurs
relationnels, et en particulier aux attachements, qui peuvent pourtant nous aider à
comprendre le développement des dysfonctionnements cognitifs » (p. 450). C’est cette
lacune que l’on cherche à combler en se tournant vers la T.A., même si la psychologie
du conseil n’a jamais complètement négligé les émotions.
55 Si nous avons rappelé les origines de la T.A. dans l’observation des animaux et dans la
cybernétique, c’est aussi pour clarifier les images qui ont accompagné son
développement et qu’elle continue de véhiculer. Elles sont en effet susceptibles
d’intervenir dans l’interprétation des conduites du consultant. Ainsi, la « situation
étrange » a joué un rôle de premier plan dans le succès de la T.A. Avec elle, on se centre
sur la façon dont l’individu utilise son partenaire pour accroître son autonomie
d’exploration. Les comportements observés chez l’enfant sont du même ordre que ceux
observés par Harlow et ses collaborateurs chez les jeunes singes. L’image de la « base de
réconfort » est centrale, et il n’est pas étonnant que les psychologues du conseil qui se
réfèrent à la T.A. proposent de concevoir la relation de conseil sur ce mode. Le
consultant utilise la relation qu’il a établie avec le psychologue du conseil comme une
base de réconfort, à partir de laquelle il explore et développe ses possibilités
adaptatives. Et cela, d’autant plus que s’est instaurée une relation de confiance
chaleureuse. Cet aspect de l’entretien de conseil est donc posé comme fondamental,
quand bien même le consultant vient pour un unique entretien centré sur des
problèmes d’orientation scolaire et professionnelle spécifiques.
56 Une autre caractéristique de la T.A. tient à sa focalisation sur la relation dyadique (en
décalage avec le « triangle œdipien » mis en avant dans la théorie freudienne). On peut
voir dans le succès d’une conception du développement ainsi centrée sur la dyade un
reflet de l’évolution socio-historique qui fait de la dyade parent-enfant (et spécialement
mère-enfant) un couple dont l’espérance de vie dépasse de plus en plus fréquemment
celle du couple parental. La fixation sur cette dyade va de pair avec la mise à distance
des pulsions libidinales. Les images du besoin d’attachement, de tendresse, sont en effet
celles des comportements de blotissement de l’enfant tout contre le partenaire adulte,
et du jeune macaque contre son mannequin en tissu. Et, dans le même ordre d’idée, on
peut noter que ce n’est pas seulement la prééminence des motivations sexuelles qui est
récusée par la T.A. ‒ qui en fait de la sexualité un système de comportements parmi
d’autres, activé dans certaines situations. Le fait même de la différence des sexes a eu
peu d’incidence jusqu’à présent sur les concepts et les observations de la T.A., hormis le
fait que c’est en général l’attachement à la mère qui est étudié chez le jeune enfant,
plutôt que l’attachement au père (toutefois, des travaux existent sur la question ; par
exemple, Lamb, 1997).
57 Par ailleurs, le besoin d’attachement est régulé par un système de traitement de
l’information. Certes, le système de régulation homéostatique des comportements ne
propose pas une explication en contradiction majeure avec le modèle hydrodynamique
d’accumulation et de décharge des pulsions. Toutefois, le fait est qu’avec la T.A. on
n’évoque plus la notion de décharge de pulsions de vie ou de mort, rendues nécessaires
par l’accumulation de tensions et de conflits. Désormais, des systèmes sont activés et
des procédures déclenchées par tel ou tel stimulus. Avec la T.A., tout en faisant des
comportements d’attachement les manifestations d’un besoin biologique, on perd en
vitalisme au profit d’une vision plus mécaniste de ces conduites. La T.A. promeut des
métaphores en termes de traitement ou gestion d’information, de feed-back, de
chargement de programme, d’activation de réseaux et de systèmes, etc. Ces
représentations sont sans doute en train de remplacer, dans les conceptions de sens
commun du fonctionnement psychologique, les métaphores relatives aux pulsions, aux
conflits, aux instances chargées du refoulement, aux efforts pour établir des
compromis, etc. Le développement de notre connaissance des structures
sociocognitives et cognitivo-émotionnelles régulant les attachements, l’intérêt accru
des psychologues du conseil pour la T.A., et la diffusion à grande échelle des outils
informatiques, cette triple évolution semble aller dans le sens d’une modification des
concepts et des images employés dans l’entretien de conseil psychologique.
58 La T.A. apporte des arguments théoriques et empiriques en faveur des effets positifs des
soutiens socio-émotionnels passés et actuels du consultant. Elle met l’accent sur leur
fonction de ressource mobilisable pour résoudre les problèmes. Tout ne se joue pas au
niveau fantasmatique ou cognitif intra-individuel, et tout ne s’est pas joué avant cinq
ans. Aussi limitée dans le temps que puisse être la relation entre le consultant et le
psychologue, la T.A. conduit à insister sur le fait que cette relation constitue une
nouvelle expérience socio-émotionnelle qui, en tant que telle, peut faciliter la réflexion
et les prises de décision. Dans cette perspective, l’attention portée aux sentiments et
émotions manifestés dans l’entretien ne vise pas seulement à analyser ce qu’ils
traduisent des expériences passées. Elle vise aussi à faire en sorte que les échanges
d’information se produisent dans des interactions synchrones, et que l’examen du
problème posé par le consultant prenne en compte les caractéristiques socio-
émotionnelles de la personnalité du sujet, en particulier celles relatives à la sécurité
versus anxiété personnelle.
59 Blustein, Prezioso, et Schultheiss (1995) suggèrent que, pour les consultants qui ont du
mal à avancer dans leurs processus d’exploration et d’engagement dans une filière de
formation, il peut être utile que l’entretien ne se limite pas à ce seul domaine, mais
aborde des problèmes relatifs aux relations d’attachement, pour autant que « le
manque de sécurité peut entraver les activités anxiogènes telles que l’exploration de
soi et du monde du travail, la prise de décision et l’engagement » (p. 428). L’objectif est
de considérer le consultant non comme une pure organisation socio-cognitive
rationnelle, mais comme une personne dont les conduites sont largement régulées par
des processus qui lui échappent. Les recommandations que ces auteurs tirent de la T.A.,
visant à une meilleure prise en compte des anxiétés et des sources de réconfort
caractérisant le consultant, rejoignent sur ce point des préoccupations valorisées par la
psychologie clinique classique. Dans cette perspective, certains auteurs ont en effet
porté une grande attention aux composantes non-verbalisées des émotions, telles
qu’elles apparaissent en particulier dans les postures et l’expressivité du corps. C’est
faire en sorte que l’émotion ne soit pas une composante accessoire, un vague facteur
contextuel, mais une des données du problème, au même titre que les performances
réalisées au cours du cursus scolaire et les inventaires de compétences. « Si l’émotion
ne paraît communément capable de causer que des troubles imaginaires, c’est que
chacun ne connaît immédiatement d’elle qu’un état de conscience ; et son importance
est mise en suspicion par ceux-là même qui, faisant profession de tout rapporter à des
conditions objectivement vérifiables, devraient prendre à tâche de ne rien laisser, fût-
ce de simples faits psychiques, en dehors de leurs explications. Mais elle n’est pas
simple objet d’introspection, à l’observation extérieure aussi elle se révèle par des
Conclusion
62 Après vingt-cinq années de recherches en psychologie du développement, la T.A. est
invitée par des psychologues du conseil à apporter un éclairage sur leur pratique. Les
anglo-saxons ont considéré à plusieurs reprises les « clinical implications » de la T.A.
(par exemple, Belsky & Netzworki, 1988). Ces « implications cliniques » concernent-
elles la psychologie du conseil ? On peut le supposer, si l’on considère que le
psychologue du conseil, dans sa conduite de l’entretien, est amené à pratiquer une
psychologie clinique, c’est-à-dire une psychologie qui, rappelle Reuchlin (1969/1979),
vise à étudier de façon prolongée des cas individuels, le plus souvent en prenant
par de jeunes adultes, les rapports existant entre leurs styles d’attachement et leurs
« patrons de fonctionnement émotionnels pertinents pour la situation de conseil » (p.
147). Par exemple, il est apparu que, chez celles et ceux qui avaient un style
d’attachement confiant, les émotions étaient éprouvées modérément mais clairement
exprimées. Alors que chez les sujets présentant un style anxieux-évitant, les
expériences émotionnelles étaient à la fois peu intenses et faiblement exprimées. Ces
données, indiquent les auteurs, « aident le psychologue du conseil à contextualiser la
présentation affective du consultant » (p. 155), car elles lui permettent d’inférer plus
sûrement, à partir des manifestations émotionnelles, les processus internes, et en
particulier les modèles de soi et de l’autre.
66 Ces recherches se développent dans le cadre de la psychologie du conseil car, écrivent
Searle et Meara (1999), « les psychologues du conseil sont peut-être les mieux placés
pour conduire des recherches fondamentales qui contiennent les germes de la
pertinence pratique » (p. 147). Ils rejoignent l’analyse de Hill et Corbett (1996), pour qui
les progrès dans l’efficacité de la psychologie du conseil exigent de partir des
problèmes posés par la pratique clinique et de se réfèrer à plusieur théories. La T.A.
apparaît ainsi comme une théorie parmi d’autres, spécialement appropriée pour
analyser les émotions dans les situations interpersonnelles.
67 En attendant les nouvelles avancées dans ce sens, si la T.A. peut favorablement
influencer la psychologie du conseil, c’est par l’idée selon laquelle le système
d’attachement intervient tout au long de la vie comme un aspect normal des conduites,
dont la plasticité réside pour partie dans les rapports du consultant avec son milieu.
Elle rejoint par là les théories systémiques (Wynne, 1984) et l’optimisme pragmatique
de la psychologie du conseil, qui cherche à permettre au consultant de mobiliser non
seulement en lui mais aussi dans son environnement des ressources actuelles qui lui
échappent. Bowlby ne propose toutefois pas d’utopie thérapeutique : « Au fur et à
mesure qu’un enfant grandit... l’expérience clinique montre que aussi bien les patrons
d’attachement que les traits de personnalité appartiennent de plus en plus à l’enfant et
résistent aux changements » (1991, p. 311). Et le théoricien d’une psychologie
scientifique du développement socio-émotionnel semble alors s’en remettre au « sens
clinique » des psychologues et psychiatres, lorsqu’il poursuit en indiquant que la T.A.
consiste en « la reformulation de questions anciennes (celles de la psychanalyse) sous
des formes qui se prêtent à la recherche et en nouvelles méthodes pour y répondre...
Maintenant, les cliniciens commencent à appliquer de telles connaissances fiables
lorsqu’elles existent et, inévitablement, ils extrapolent pour le domaine immense où ce
n’est pas le cas » (p. 311). Ces extrapolations, qu’il serait utile de soutenir par des
instruments psychométriques plus diversifiés, se fondent sur la conception de l’homme
et de son développement dont dispose le psychologue du conseil. La T.A., à cet égard, le
conforte dans l’idée que le soutien qu’il peut apporter à la réflexion et aux prises de
décisions du consultant est irremplaçable, par sa dimension socio-émotionnelle, que le
plus expert des systèmes informatiques ne saurait que simuler.
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NOTES
1. Succédant au Bulletin de l'Institut National d'Orientation Professionnelle.
2. Ce concept provient de Craik (1943, p. 61, cité in Bretherton & Waters, p. 11), auteur d’un
ouvrage alors influent : La nature de l’explication.
3. Et tout spécialement comparativement à ceux de Klein, dont Riviere, l’élève, fut l’analyste de
Bowlby.
RÉSUMÉS
Cet article examine l’intérêt que la théorie de l’attachement (T.A.) pourrait présenter pour la
psychologie du conseil. Dans une première partie, on rappelle comment la T.A. a été inspirée par
trois sources : psychologie clinique et pathologique, éthologie, et cybernétique. L’évolution des
recherches sur la T.A. est exposée, en particulier son intérêt croissant pour les différences
interindividuelles de développement socio-émotionnel au-delà de la prime enfance. Dans une
deuxième partie, on commence par envisager les effets favorables que pourraient avoir des
attachements confiants aux parents sur la découverte des formations scolaires et
professionnelles par les adolescents, et sur leur engagement dans celles-ci. On rapporte ensuite
les recommandations que des psychologues du conseil ont tirées de la T.A. pour la conduite de
l’entretien, en explicitant certaines des métaphores qui lui sont empruntées en cette occasion.
On termine en soulignant combien la prise en compte des aspects socio-émotionnels dans la
conduite de l’entretien et dans l’examen de la situation du consultant accroît la possibilité de
mobiliser chez lui les stratégies de formation les plus pertinentes.
In this article, we examine the relevance of attachment theory (A.T.) for counseling psychology.
First, we present the three sources of AT.: (a) clinical psychology and psychopathology, (b)
ethology, and (c) cybernetics. We overview the development of research on A.T., with a special
focus on interindividual differences regarding the socio-emotional development beyond infancy.
In the second part, we analyse the extent to which secure attachments to parents could support
adolescents’ exploration and commitment regarding career development. We report the
recommendations formulated by counselors who rely on A.T., regarding the management of
clinical interviews, and we specify the content of the metaphors related to this framework.
Finaly, we underscore that the attention devoted by the counselor to the socio-emotional factors
when examining an individual case increases the likelihood of elicitating the most relevant
career development strategies.
INDEX
Mots-clés : Théorie de l’attachement, psychologie du conseil, orientation scolaire
Keywords : Attachment Theory, counseling, career guidance
AUTEUR
PASCAL MALLET
Professeur de Psychologie à l’université Paris X. Membre du service de recherches de
I’I.N.E.T.O.P. Thèmes de Recherche : le développement des relations entre pairs et de la
personnalité sociale chez l’enfant d’âge scolaire et l’adolescent.
Alison J. Fielding
Traduction : Denis Bonora
NOTE DE L’AUTEUR
Cet article reprend le contenu d’un séminaire organisé dans le cadre du Congrès de
l’Association Internationale d’Orientation Scolaire et Professionnelle d’août 1999,
Warwick, England, intitulé « L’Orientation professionnelle tout au long de la vie : pour
un développement de carrière sur toute la durée de la vie » (Lifelong careers Guidance
for Lifetime Career Development).
Introduction
1 Il existe de nombreuses raisons pour lesquelles une exploration des relations entre
théorie et pratique se justifie à l’heure actuelle. Parmi celles-ci, l’attitude critique des
étudiants comme des praticiens arrive en bonne place. Ceux d’entre nous qui se
préoccupent de la formation des futurs praticiens savent bien que nos étudiants ont le
sentiment qu’il existe un abîme entre la théorie et la pratique, et que ceux-ci
considèrent la théorie comme « dépassée » car elle ne prend pas en compte les
1. Critiques de la théorie
2 À partir de discussions menées avec les étudiants et avec les praticiens, un petit
nombre de critiques à l’égard de la théorie s’expriment fréquemment, qui pourront
servir de base à la discussion :
• la théorie est déconnectée de la « vie réelle » : l’opinion généralement répandue semble être
que la théorie ne porte pas sur ce qui an-ive réellement dans les pratiques d’orientation, et
particulièrement dans l’entretien,
• la recherche universitaire se déroule dans un monde à part : une « tour d’ivoire », que la
plupart des universitaires et théoriciens ne reconnaîtront pas comme leur milieu de vie
quotidienne !
• les modèles théoriques sont trop contraignants : les praticiens font état d’un souhait de
flexibilité, qui puisse répondre aux besoins individuels de leurs consultants,
• les modèles catégorisent les gens de façon simpliste, et ne prennent pas en compte les
différences individuelles, ce qui fait écho à une opinion selon laquelle la théorie « classique »
se base sur des échantillons d’individus blancs, de sexe masculin, et appartenant à la classe
moyenne américaine des années 50,
• les modèles ne sont que le simple reflet du sens commun : ce commentaire, qui constitue
peut-être la base de toutes ces critiques, transparaîtra dans toute la suite de cet article.
3 Ces critiques se trouvent, dans une certaine mesure, confirmées par les recherches
menées au Royaume-Uni sur un échantillon de praticiens du conseil. La Gro et Cavadino
(1992) ont trouvé que « une proportion significative de conseillers d’orientation
utilisent dans leurs techniques d’entretien, des modèles ou des théories, alors même
qu’ils se réclament d’une flexibilité dans leur pratique. Ils tendent à adapter les
théories en fonction des besoins de leurs consultants, en se basant sur l’expérience
qu’ils ont acquise dans le domaine ». Il semble que de nombreux praticiens ne soient
pas même conscients du fait que leur pratique répond à une théorie, et qu’ils ne
puissent probablement pas identifier les modèles sous-jacents, peut-être parce que
ceux-ci sont profondément enfouis.
4 « La plupart des conseillers d’orientation ne veulent pas reconnaître qu’ils utilisent un
modèle particulier d’entretien. Le terme même de modèle est rejeté par certains car il
semble suggérer l’absence de flexibilité... » (Kidd, Killeen, Jarvis, & Offer, 1993). Les
praticiens sont souvent peu au fait des théories, et commettent souvent la confusion,
commune au Royaume-Uni, entre la théorie de la carrière professionnelle (en anglais :
career) et la théorie de l’orientation (en anglais : guidance), probablement en raison du
fait qu’historiquement, les services d’orientation officiels ont quasi-invariablement été
associés à la notion de carrière professionnelle.
5 La théorie de la carrière professionnelle, qui vise à expliquer comment les personnes
parviennent à une décision quant à leurs choix professionnels, peut être envisagée
comme un point de départ : il est indispensable de comprendre et de décrire les
démarches et les situations qui amènent différentes personnes à sélectionner ou à
éliminer les diverses ouvertures de carrière qui leur sont accessibles.
10 Ainsi, tout modèle doit pouvoir se prolonger directement dans la pratique, et avoir une
flexibilité suffisante pour rester applicable à une grande diversité d’individus. Le défi à
relever est la création d’un tel modèle !
16 Les facteurs externes forment également trois catégories, le travail flexible et basé sur
portefeuille (de compétences), les ouvertures, et l’environnement. Nous allons
maintenant les passer en revue :
• Le développement du travail flexible et basé sur portefeuille (de compétences) (Handy, 1991) : le fait
de plus en plus vraisemblable que les individus n’auront pas une vie professionnelle unique,
mais passeront par un certain nombre de « mutations » au cours de leur vie, a eu un énorme
impact sur notre représentation du travail. Pour les anciennes générations, le manque de
certitudes, aspect qui était étranger à la situation antérieure, peut s’avérer déstabilisant. Au
contraire, on peut constater qu’il perturbe moins les jeunes générations (Roberts, 1997). Le
besoin épisodique de conseils d’orientation est très lié au changement de nature du travail.
• Les ouvertures : ce terme réfère aux perspectives d’emploi et de carrière qui sont — en toute
objectivité — disponibles pour chaque individu particulier (Robert, 1997). L’idée selon
laquelle « tout est possible » peut être très attrayante, mais elle peut aussi être déroutante
pour l’individu, confronté à l’éventail des ouvertures potentielles entre lesquelles il faudra
arbitrer. Il est important que les gens puissent évaluer le réalisme des différentes options,
afin d’éliminer celles qui sont irréalistes, mais aussi de découvrir, parfois, que certaines
ouvertures considérées initialement comme déraisonnables sont en fait envisageables. Le
conseiller a ici un rôle décisif à jouer, en aidant la personne à analyser, comprendre et
choisir de façon pertinente parmi l’éventail des perspectives offertes.
• L’environnement comprend des facteurs tels que la catégorie sociale, l’offre de formation, la
localisation géographique et la mobilité, qui jouent un rôle dans l’accessibilité aux
ouvertures pour l’individu. La catégorie sociale et les attentes parentales constituent encore,
pour la plupart des jeunes, des déterminants majeurs des choix professionnels (Roberts,
1997).
17 Ces différents aspects rendent nécessaire une orientation continue (Roberts, 1997),
accessible à tous, à chaque fois que le besoin s’en fait sentir au long de la vie
professionnelle (Collin & Watts, 1996). Il ne s’agit pas d’un modèle de développement,
qui décrirait une série d’étapes, ou de phases, par lesquelles l’individu devra passer,
chacune devant avoir été menée à bien avant que celui-ci ne puisse s’engager dans la
suivante, et qui comporterait la prévision des expériences à acquérir et des
comportements spécifiques de chaque étape. Ce modèle n’implique pas une quelconque
progression linéaire entre des étapes fixées d’avance (Roberts, 1997). Il est au contraire
ouvert et souple, et peut être utilisé à tout moment pour aider le consultant et le
praticien à déterminer la base de départ de la procédure de conseil, et à se mettre
d’accord sur les moyens à mettre en œuvre, qui permettront de satisfaire au mieux les
besoins manifestés. Il peut fournir la base d’une multiplicité d’interventions, incluant
l’entretien classique d’orientation professionnelle mais n’excluant pas pour autant
l’usage des épreuves psychométriques, l’utilisation de logiciels informatiques
d’orientation, les séances de groupe, l’expérience de la vie professionnelle, le choix de
ces outils étant lié aux besoins de l’individu dans le moment considéré. Un tel modèle,
intégrant l’orientation continue, doit absolument, pour fonctionner de façon
satisfaisante, faire sa place à un processus de planification efficace de l’action, et sa
prise en compte en tant que cycle d’apprentissage (Law, 1996).
18 Bien que, pour des raisons de clarté et d’accessibilité, le schéma présente les différents
facteurs comme étant tous équivalents quant à leur taille et à leur impact sur l’individu,
on observera en réalité des fluctuations considérables selon les individus, en ce qui
concerne tant l’importance de chaque domaine que l’échelle de temps le long de l’axe
central figurant l’apprentissage au long de la vie.
19 Utilisé dans la pratique de l’orientation, ce modèle fournit une structure qui permettra
de représenter l’ensemble des variables complexes contribuant aux choix
professionnels de l’individu. Il offre au consultant et au praticien la possibilité de
partager un vocabulaire commun pour décrire cet univers, en vue d’optimiser la
compréhension par le consultant de ses besoins en matière d’orientation, et des
objectifs à atteindre dans la perspective de sa vie professionnelle. Il ne comprend pas
de composante prescriptive quant aux moyens dont disposerait le consultant pour
atteindre ces objectifs : sa flexibilité permet en effet au consultant de choisir sa propre
démarche, et au conseiller de mettre en œuvre ses savoir-faire et son expertise.
Cependant, il s’inscrit d’emblée dans la mouvance actuelle de l’orientation non-
directive, dans la mesure où il ancre le processus d’orientation sur la situation
singulière de l’individu. Ainsi, consultant et conseiller, en association, ont la possibilité
d’évaluer l’importance relative de chaque facteur. Ils pourront alors s’en servir pour
aborder les problèmes du consultant de façon à gérer les difficultés ou les obstacles au
cours de sa progression vers la réalisation de ses objectifs. Une telle mise en œuvre du
modèle peut aussi permettre l’identification d’objectifs intermédiaires plus concrets.
Par exemple, le consultant pourra s’aviser qu’il a besoin d’informations
complémentaires dans un domaine donné, avant de pouvoir progresser.
20 La brève étude de cas que nous rapporterons ici vise à illustrer la démarche :
21 Madame E. est une archiviste qualifiée et expérimentée qui travaille à temps partiel pour le
compte des autorités locales. La plus grande partie de son travail consiste à informer les gens
concernés sur différents aspects de leurs recherches, qui visent le plus souvent à construire des
arbres généalogiques. Cependant, ses préférences professionnelles la portent à travailler sur des
documents d’archive, et elle a animé plusieurs cycles de formation du département de la
formation des adultes, destinés à des personnes qui souhaitent développer leurs propres
recherches généalogiques. On lui a proposé de prendre en charge un plus grand nombre de ces
sessions de formation, et dans le même temps, son patron lui a demandé si elle accepterait un
accroissement de ses heures de travail. Dans le passé, elle a déjà tenté de travailler à plein temps,
ce qui, pense-t-elle, a provoqué une réapparition de sa maladie : il y a 10 ans, on lui a
diagnostiqué un syndrome de fatigue chronique (encéphalomyélite myalgique), et il se pourrait
qu’un alourdissement important de sa charge de travail lui soit préjudiciable.
22 Elle souhaite continuer à travailler, mais ignore s’il sera facilement admis qu’elle refuse ces
heures supplémentaires. Son mari lui est d’un grand soutien, et déclare qu’ils pourraient se
passer de son salaire si nécessaire, malgré les difficultés qui s’ensuivraient. Il tient à ce qu’elle ne
fasse pas davantage que ce qu’elle peut effectivement supporter, car il ne veut pas qu’elle se
rende malade à nouveau. En dehors de son activité professionnelle, elle aime s’occuper de son
jardin, et faire des travaux d’amélioration dans la petite maison qu’ils ont achetée, en très
mauvais état, il y a 3 ans.
23 Au cours de l’entretien avec un conseiller d’orientation, Madame E. prit conscience du
fait que son problème de santé était lié au facteur de style de vie, et que si aucun autre
facteur n’intervenait, il n’y aurait pas en fait de réel problème. Cependant, elle se rendit
compte d’un antagonisme entre ce facteur et son emploi, qu’elle perçut comme lié au
facteur « ouvertures Elle ne voulait pas abandonner complètement son travail, mais se
sentait plus ou moins contrainte d’accepter les heures supplémentaires. Son problème
principal tenait au fait que la possibilité de conserver son emploi pourrait lui être
enlevée si elle refusait. On discuta de quelques autres options possibles, par exemple
celle de travailler à son propre compte sur l’analyse ou la traduction de documents, ou
des actions de formation qui, d’après Madame E., pourraient permettre la flexibilité
dont elle avait besoin (cf. « travail flexible/sur portefeuille de compétences »), et dont
jusque-là elle n’avait pu bénéficier. Cependant, l’absence de structure d’encadrement
aurait pu avoir pour conséquence un stress supplémentaire. Elle avait le sentiment
qu’elle avait besoin de travailler, et de « contri buer », besoin qu’elle reliait au facteur
de « culture ». Elle pensait que son emploi, qui faisait appel à ses capacités et à ses
qualifications (« différences individuelles ») pouvait être, moyennant quelques
ajustements, plus approprié à sa situation.
24 A l’issue de cette discussion, Madame E. réalisa qu’elle avait réussi à clarifier sa
situation, et à identifier les points de tension. Cette élucidation la conduisit à son plan
d’action : ménager un entretien informel avec son employeur afin d’explorer la
possibilité d’une organisation plus souple dans le cadre de son emploi en cours.
25 Un tel exemple suggère que le modèle peut s’avérer utile. Cependant, il sera nécessaire
de l’utiliser de façon plus extensive avant de pouvoir en juger plus sûrement.
26 Le modèle présenté ici vise à répondre à la demande des praticiens, dans le cadre d’une
application qui puisse satisfaire une large diversité de consultants. Cependant, il puise
ses sources dans la théorie, dont il regroupe et synthétise différents courants, d’une
façon un peu similaire ‒ bien que plus explicite ‒ à celle opérée par les praticiens. Ce
regroupement de composantes issues de différents modèles, qui semble efficace, a été
caractérisé comme une approche « éclectique ». Jennifer Kidd (1996) qualifie cette
démarche d’« éclectisme technique », et la cite comme l’une des démarches
d’utilisation de la théorie par les praticiens. Ce fait est confirmé par l’étude citée plus
haut sur les conseillers d’orientation (La Gro & Cavadino, 1992). En outre, Kidd identifie
une approche basée sur des « facteurs communs dans laquelle le praticien extrait les
caractéristiques communes à différents modèles, démarche qui semble permettre une
avancée à l’avantage du consultant. Il fait aussi état d’une approche par 1’« intégration
théorique », dans laquelle les praticiens produisent leur propre modèle à partir des
éléments qui se sont avérés efficaces dans leur pratique. Ces différentes démarches sont
intéressantes pour les praticiens, car nous avons vu que le facteur le plus important
pour eux, semble-t-il, est l’applicabilité sur le terrain. Ce qui manque toutefois, en
l’absence d’une base théorique fiable, c’est la disponibilité d’un dispositif permettant
d’évaluer l’efficacité de modèles ou de démarches qui ne dépassent pas l’idiosyncrasie
individuelle du praticien.
27 Cette question devient plus pertinente à mesure que le champ de l’orientation s’étend.
On s’éloigne en effet de la conceptualisation classique selon laquelle, une fois que le
jeune de 15 ou 16 ans a fait en quelque sorte le choix d’une profession, on peut le laisser
faire seul son chemin dans la vie. On tend au contraire à prendre en charge les besoins
des consultants de tous âges et à toutes les étapes, ce qui implique des situations très
diverses et des problèmes nombreux et plus larges — familiaux, financiers, en rapport
avec les loisirs, etc. qui vont affecter la capacité de ces individus à atteindre leurs
objectifs professionnels (Seligman, 1994 ; Collin & Watts, 1996).
28 Pour le futur on a donc besoin, semble-t-il, de cadres conceptuels pour lesquels
apparaîtrait clairement l’intégration entre théorie et pratique, ce qui rendrait caduque
la distinction entre théoriciens et praticiens. On a déjà commencé l’exploration du
changement dans la relation entre ces deux entités. Audrey Collin (1996), par exemple,
suggère que « les problèmes d’intégration de la théorie et de la pratique se fassent jour
au cours de la formation, et puissent perdurer, mais que les praticiens expérimentés
réalisent la "fusion" entre les deux, et deviennent ainsi des "théoriciens pratiques". La
pratique est faite d’improvisations, et elle s’affine grâce à des cadres conceptuels
fournis par la théorie, la pensée critique et la réflexion sur la pratique. Cependant, les
théories sont souvent retardataires ou inappropriées, et les praticiens ont, eux aussi,
besoin de mener leurs propres recherches, notamment des recherches-actions. Ce fait a
des conséquences quant aux relations entre chercheurs, théoriciens et praticiens ».
29 La citation qui vient d’être énoncée est tirée d’un article intitulé : « repenser la relation
entre théorie et pratique : les praticiens comme déchiffreurs de cartes, cartographes ou
joueurs de jazz », et l’idée d’une parenté entre le travail du conseiller et celui du joueur
de jazz est non seulement puissante, mais également, plaisante. Cependant, la clé de la
réussite, pour le jazz comme pour le conseil en orientation, est la compréhension en
commun de ce qui doit être réalisé, et de la façon de le réaliser, en réinvestissant la
théorie dans l’activité du praticien.
30 Quand on fait appel à la théorie en vue d’obtenir un modèle utilisable dans la pratique,
on aboutit à des conclusions claires, non seulement quant à la fonction de la théorie en
regard de la pratique, mais aussi quant à l’évolution de la relation entre ces deux
entités. Cette relation doit être réciproque : la théorie doit apporter des informations à
la pratique en vue de l’améliorer, alors que les faits tirés de la pratique doivent
apporter des informations à la théorie pour lui permettre de s’ajuster. Le
développement actuel des coopérations de recherche entre chercheurs et praticiens
semble aller dans ce sens. Cependant il y a encore un rôle à jouer pour ceux d’entre
nous qui demeurent dans leur « tour d’ivoire » : il s’agit d’accéder à une
conceptualisation plus objective de la pratique, qui soit dégagée des contingences
politiques.
31 La théorie fournit un cadre de référence et une terminologie qui faciliteront la
transmission des idées, et permettront d’accéder à une compréhension consensuelle.
Au début de cet article, lorsque nous avons cité les critiques adressées le plus souvent
par les praticiens à la théorie, figurait la phrase : « les modèles ne sont rien d’autre que
l’expression du sens commun ». Cela suggère qu’il existe déjà, à la base, une certaine
forme de compréhension consensuelle, car ce qui fait partie du « sens commun » a dû
d’abord être remarqué et reconnu par tous comme utile.
32 Afin que la pratique demeure efficace ‒ et continue à être utile au consultant ‒ elle doit
se développer dans le sens d’une prise en compte de certaines tendances identifiées
dans la recherche et la littérature contemporaines (Seligman, 1994 ; Collin & Watts,
1996 ; Roberts, 1997). Et la théorie doit contribuer à ce que ce phénomène se produise.
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NOTES
1. L’entretien est considéré par Rodger comme un processus de collecte d’informations et d’offre
d’informations et de recommandations. L’information concernant le consultant doit couvrir sept
domaines : présentation physique ; connaissances ; intelligence générale ; aptitudes spéciales ;
intérêts ; caractère et circonstances.
RÉSUMÉS
Les liens entre théorie et pratique dans l’orientation professionnelle posent de nombreux
problèmes aux praticiens, en ce qui concerne l’utilité perçue du discours théorique pour ceux qui
ont la charge du public. Cet article vise à engager une réflexion critique sur les approches
« traditionnelles » de l’orientation professionnelle, et à évoquer quelques-unes des évolutions
actuelles qui infléchiront notre approche dans les années à venir : changements dans les profils
d’emploi, et dans les conceptions de la vie professionnelle, utilisation des technologies de
l’information, développement de l’apprentissage tout au long de la vie, et surtout
multiculturalisme.
On discutera du besoin actuel de modèles d’orientation qui intégreraient ces changements, et on
évoquera les innovations en cours dans ce domaine. On abordera les façons possibles d’utiliser les
modèles, et on suggèrera une approche éclectique et intégrée pour répondre à la diversité des
besoins du public, en relation avec l’environnement de chaque individu. Ce modèle, fraîchement
élaboré sur la base des recherches en cours, pourra figurer comme un outil puissant, et
cependant souple, dans le répertoire du praticien de l’orientation professionnelle.
The relationship between theory and practice in Careers Guidance poses many dilemmas for
practitioners, in terms of the perceived usefulness of academic thought for work with clients.
This paper will begin to reflect critically on the traditional » approaches to Careers Guidance, and
to consider some of the current trends which must influence our work in the future: changes in
patterns of work and in conceptions of» career use of Information Technology, developments in
Lifelong Learning, and particularly Multiculturalism.
The need for models of guidance to encompass these changes will be discussed, and current
developments in this area will be considered. Ways of using models will be considered, and an
eclectic and integrated approach will be suggested as a possible way of meeting the diverse needs
of clients, whatever their background. The newly developed model, which draws on current
research, will be presented as a powerful, yet flexible tool in the Careers Guidance Practitioner’s
repertoire.
INDEX
Keywords : Career counseling, relationship between theory and practice
Mots-clés : Conseil en carrière, relation théorie-pratique
AUTEURS
ALISON J. FIELDING
Maître de conférence au College of Guidance Studies, Kent, Angleterre.
Email : enquiries@cogs.ac.uk
Conseil et développement de
carrière tout au long de la vie
Career counseling: a life career perspective
NOTE DE L’ÉDITEUR
N.d.T. : En Américain, « career counseling » : Dans ce cadre, le sens du terme
« carrière » découle du type de pratiques dénotées aux Etats-Unis par le « career
counseling », pratiques d’accompagnement psychologique de l’ensemble des choix
importants, notamment (mais pas seulement) professionnels dans la vie du sujet, par
contraste avec la perspective « diagnostic-pronostic-prescription », par exemple. Les
termes « career guidance » et « career education », définis un peu plus loin dans le
texte, s’en démarquent également, comme on le verra.
NOTE DE L’AUTEUR
Cet article présente des conceptions développées dans : Gysbers, N.C., Heppner, M.J., &
Johnston, J.A. (1998). Career Counseling: Problems, Issues and Techniques. Needham
Heights, M.A.: Allyn & Bacon.
psychologiques, et elle s’est focalisée sur les performances des personnes et sur les
méthodes utilisées pour les évaluer (Osipow, 1982). Swanson (1995), paraphrasant le
travail de Manuele-Adkins (1992), caractérise ce phénomène de la façon suivante :
« Manuele-Adkins (1992) a décrit cette conception stéréotypée du conseil en carière
qui néglige sa composante psychologique, et affecte la qualité des services du
conseil en carrière. Selon cette conception stéréotypée, le conseil en carrière est un
processus rationnel, qui met l’accent sur la transmission d’informations, l’examen
par test et les systèmes utilisant l’informatique. Il fonctionne à court terme,
limitant ainsi l’éventail des stratégies possibles d’inter vention, et laissant à
l’arrière-plan les processus psychologiques en jeu, tels que ceux sous-jacents à
l’indécision. Enfin, il se démarque du conseil personnalisé en ce sens qu’il minimise
la valeur perçue du conseil en carrière, et qu’il maximise une fallacieuse disjonction
entre travail et non-travail » (p. 222).
2 Les conseillers qui travaillent dans le cadre du conseil en carrière sont assez souvent
considérés comme actifs et directifs, comme dispensateurs de conseils, parce qu’ils
utilisent des évaluations et des informations qualitatives et quantitatives. Par contre,
les conseillers qui pratiquent le conseil personnel-émotionnel sont le plus souvent
considérés comme facilitateurs et explorateurs, dans la mesure où ils se focalisent sur
les processus psychologiques, et sur les interactions conseiller-consultant 1 (Imbindo,
1994). Cette perception dichotomique a conduit à forger le stéréotype classique du
conseil en carrière exprimé par la formule : « trois entretiens et un nuage de fumée »
(Crites, 1981, pp. 49-52). Il n’est donc pas étonnant qu’aux Etats-Unis le conseil en
carrière soit nettement moins bien considéré par certains praticiens que l’approche
personnelle-émotionnelle du conseil.
3 Pour aller à l’encontre de cette conception stéréotypée du conseil en carrière, nous
défendons l’idée qu’il implique une activité de conseil à part entière dans la mesure où
il présente les mêmes caractéristiques et qualités intrinsèques que les autres formes de
conseil. Il s’en démarque pourtant, dans la mesure où les problèmes envisagés
concernent souvent le travail et les questions liées à la carrière professionnelle, et où
les procédures d’évaluation quantitative et qualitative et l’information sont utilisées
plus souvent.
4 Swanson (1995), pour sa part, a caractérisé le conseil en carrière comme « ... une
interaction installée dans la durée, née du face-à-face entre le conseiller et son
consultant, et focalisée essentiellement sur les questions liées au travail ou à la
carrière ; cette interaction est de nature psychologique, la relation qui se construit
entre le conseiller et son consultant jouant un rôle important » (p. 245).
5 Les praticiens du conseil savent que les problèmes évoqués par le consultant
constituent le plus souvent un point de départ, et que, à mesure que se déroule la
démarche, d’autres problèmes vont émerger. Les problèmes de carrière deviennent
alors souvent des problèmes personnels-émotionnels et des problèmes familiaux, puis à
nouveau des problèmes de carrière. Les pensées, émotions et sentiments se trouvent
alors tous impliqués, comme l’évoque Figler de façon éloquente :
« Les émotions sont le démon dans la bouteille du développement vocationnel, les
vents tournoyant dans le for intérieur du consultant, alors même que celui (celle)-ci
porte le masque poli du raisonnable. Pour être pleinement efficace, le conseiller en
carrière a le devoir de faire sortir de cette bouteille les émotions qui accompagnent
souvent les tourments de leur consultant à la recherche de ses objectifs de
carrière » (Figler, 1989, p. 1).
11 La suite de cet article est consacrée à une présentation d’un modèle de conseil en
carrière qui vise précisément à cela. Nous présenterons d’abord une description de ce
que nous entendons par l’expression « développement d’une carrière tout au long de la vie ».
Puis nous discuterons de la nécessité pour le consultant de développer ce que nous
appellerons une conscience de carrière. Enfin nous décrirons un modèle de conseil en
carrière et présenterons quelques-unes des premières recherches utilisant le modèle
basé sur le processus et les résultats du conseil en carrière.
12 Cependant, il importe d’abord de bien distinguer le conseil en carrière par rapport à deux
autres types d’intervention, la guidance de carrière et l’éducation à la carrière.
13 Nous rejoignons Swanson (1995) qui définit le conseil en carrière comme une
« interaction de face à face prolongée entre le conseiller et son consultant, axée
fondamentalement sur les questions de travail ou de carrière de vie ; cette interaction
est de nature psychologique, la relation entre le conseiller et le consultant jouant un
rôle important » (p. 245).
14 Au contraire, la guidance de carrière « implique toutes les composantes ‒ en termes de
services et d’activités ‒ des institutions éducatives, agences, et autres organismes qui
offrent du conseil et des programmes de formation en rapport avec la carrière »
(Zunker, 1998, p. 7).
15 Par ailleurs, l’éducation à la carrière « a pour but principal d’améliorer les relations
entre éducation et travail professionnel. L’éducation à la carrière tend à privilégier le
processus d’enseignement/apprentissage en tant que mode d’intervention principal du
développement de carrière, et les professeurs et instructeurs apparaissent comme les
acteurs principaux de cette stratégie d’intervention » (Herr & Cramer, 1984, p. 436).
Adapté de McDaniels, C. & Gysbers, N.C. (1992). Counseling for career development. San Francisco,
C.A. . Josey-Bass (autorisation de reproduction obtenue).
consultant de façon globale, resitué dans son contexte socio-culturel spécifique, qu’il
pourra le comprendre et travailler efficacement avec lui.
comme au cours des autres phases du conseil en carrière, l’écoute réactive des
résistances possibles du consultant est importante.
32 Pour certains consultants, les changements à prévoir sont réduits au minimum, si bien
qu’aucune résistance ne se manifeste, Mais pour de nombreux autres, chez qui des
changements devront intervenir, on observera des phénomènes de résistance ‒
consciente ou non ‒ dans le cadre du conseil en carrière, à un moment ou l’autre. La
dynamique de la personnalité, les croyances irrationnelles, les motivations, les
préoccupations en rapport avec le milieu et les distorsions mentales du consultant
peuvent influer sur son image du moi, des autres et du monde et dévoyer souvent les
effets des outils et techniques utilisés dans le cadre du conseil en carrière. Yost et
Corbishley (1987) signalent que ces résistances se manifestent souvent le plus
nettement par le fait que « le consultant échoue dans la réalisation des tâches
spécifiques de cette étape, à savoir : fournir des informations, définir des buts, ou
effectuer les travaux personnels requis » (p. 52).
35 C’est souvent une tâche très difficile pour le conseiller de mettre fin à la relation de
conseil. Il y a de nombreuses raisons à cela, et d’abord, peut-être, la difficulté
qu’éprouvent de nombreux individus à terminer quoi que ce soit. Des exemples de ce
phénomène abondent dans la vie quotidienne : par exemple, dans les comportements
observés au moment de prendre congé de ses amis ou parents auxquels on a rendu
visite. Les adieux se prolongent souvent, comportements qui semblent viser à nier le
fait que la visite touche à sa fin. Des moments d’échanges importants et sincères
peuvent être compromis au dernier instant d’une longue visite par une parole
malheureuse. Les dénouements nous mettent mal à l’aise. Ainsi, dans une relation de
conseil, il est possible que se manifeste aussi bien chez le conseiller que chez le
consultant une résistance au processus de fin. Il se peut que ceux-ci poursuivent la
relation au-delà du moment où elle a cessé d’être utile, afin d’éviter les sentiments
associés à la fin de cette relation.
dans lequel ils vivent. Ils disposent de ces quatre facteurs supplémentaires pour mieux
comprendre et faire face à leurs problèmes professionnels et familiaux. En outre, il est
important d’aider le consultant à comprendre comment le monde en évolution rapide
peut affecter leur démarche de planification de carrière. Dans un tel monde, de
nombreux « sois possibles encore aujourd’hui, pourraient devenir obsolètes, alors
qu’inversement, certains autres, inimaginables actuellement, pourraient devenir
prochainement probables. Le fait de rester ouvert et attentif à la façon dont les
changements externes (par exemple, l’internationalisation de l’économie et du travail)
peuvent affecter les choix, constitue une compétence critique en matière de
planification de vie.
également d’aider les personnes à développer leurs talents et leurs compétences en vue
de créer un monde meilleur pour eux-mêmes et pour la société.
45 Cette visée préventive n’est pas nouvelle. Elle a imprégné le discours et la littérature
sur le conseil en carrière depuis le début du siècle. Ce qui est nouveau, c’est la notion
d’urgence qui s’attache à l’objectif d’aide apportée à la personne dans le développement
de ses compétences, plutôt que dans la seule lutte contre ses déficiences. Bolles (1981) a
créé une technique d’évaluation qui vise à identifier ce qu’il appelle les capacités
fonctionnelles/transférables. Même si certains individus se considèrent comme
dépourvus de toute capacité, ils possèdent en réalité un certain nombre de capacités, et
leur identification constitue un atout important pour une croissance et un
développement positifs.
46 Tyler (1978) note que notre façon de percevoir les gens serait différente s’ils étaient mis
en mesure de développer le plus grand nombre possible de compétences :
« L’approche par les compétences représente une façon complètement différente de
structurer notre perception des autres. Plus ceux-ci disposent de compétences et
mieux cela vaut pour chacun de nous, et il est essentiel pour le fonctionnement
d’une société complexe que les individus développent différents répertoires de
compétences. La durée de vie de chaque individu étant limitée, il lui est impossible
d’acquérir une compétence universelle. On a besoin les uns des autres »
(pp. 104-105).
47 Wolfe et Kolb (1980) ont caractérisé la conception dynamique de la carrière tout au
long de la vie, qui s’est dégagée au cours des dernières décennies, comme suit :
« Le développement de carrière concerne toute la vie, et pas seulement la vie
professionnelle. Comme tel, il implique la personne toute entière, ses besoins et
désirs, ses capacités et ses potentialités, ses enthousiasmes et ses anxiétés, ses
intuitions et ses aveuglements, sans aucune complaisance. Plus encore, il l’implique
dans le contexte mouvant de son existence. Les pressions et contraintes de
l’environnement, les liens qui la rattachent à ses proches, ses responsabilités à
l’égard de ses enfants et de ses aînés, la structure totale de ses conditions de vie
sont autant de facteurs qu’il faut intégrer et avec lesquels il faut compter. Vu sous
cet angle, le développement de carrière est étroitement lié au développement
personnel. Le soi et les circonstances ‒ tous deux évoluant, changeant, sous l’effet
d’une interaction mutuelle ‒ constituent le foyer et la scène du développement de
carrière » (pp. 1-2).
48 On remarque que Wolfe et Kolb emploient pour définir le développement de carrière
une métaphore théâtrale. Nous appelons cette scène, « scène de la vie quotidienne »,
parce qu’elle se déroule et évolue jour après jour. Et comme elle participe du quotidien,
elle n’est pas souvent perçue ni évaluée par l’individu. Elle est masquée par cette
quotidienneté et sa nature dynamique pourra échapper à sa compréhension. Avec la
conception plus globale de développement de carrière tout au long de la vie,
conception qui tente de rendre compte des aspects de la croissance et du
développement humains qui sont à l’œuvre au cours de la carrière humaine, nous
visons à faire de la scène du développement de carrière, la scène de l’extraordinaire.
54 L’inventaire des transitions de carrière est une échelle construite selon la méthode de
Likert. Elle comprend 40 items, avec des réponses possibles allant de 1 (« pas du tout
d’accord »), jusqu’à 6 (« tout à fait d’accord »). Des scores élevés révèlent un niveau
supérieur de ressources et, de ce fait, moins d’obstacles. La consistance interne a été
estimée à .87, et la fidélité au retest mesurée après trois semaines est de .84. La validité
de construction a également été étudiée. Par exemple, on a constaté que les adultes qui
se trouvent en phase de transition de carrière depuis plus longtemps et qui sont plus
âgés, tendent à se considérer comme disposant de moindres ressources psychologiques.
L’inventaire des transitions de carrière s’est également révélé comme lié positivement
56 Les scores factoriels obtenus sont respectivement de .93, .94, .92, et .76, et le coefficient
alpha global est de .94. La fidélité test-retest mesurée avec un intervalle de deux
semaines est de .86. La validité concourante a été confirmée par l’expérience de
nombreuses années de pratique du conseil en carrière, et par quelques échelles de la
batterie d’auto-estimation en intervention de conseil (Counseling Self-Estimate Scale en
anglais) (Larson, Suzak, Gillepie, Potenza, Bechtel, & Toulouse, 1992). La validité
discriminante a été confortée par le fait que le score à l’échelle de sentiment
d’efficacité personnelle pour le conseil en carrière n’est pas dépendant de la durée de
pratique antérieure du conseil « socio-émotionnel », indépendance attestée par les
faibles corrélations avec la durée de cette pratique, son efficacité, et avec le sentiment
de compétence dans ce domaine de recherche. La validité de construction a été
confirmée par le constat de scores plus élevés à l’échelle de sentiment d’efficacité
personnelle pour le conseil en carrière obtenus à la suite d’une formation à la carrière,
et par la co-variation avec les niveaux d’efficacité découlant du statut des sujets (par
exemple, les psychologues praticiens présentaient des scores de sentiment d’efficacité
supérieurs à ceux de jeunes diplômés).
57 À la suite de ces analyses internes, nous avons entrepris une série d’études visant à
élucider différents aspects de la démarche du conseil en carrière. Dans la première,
intitulée « Relation entre sentiment d’efficacité de l’apprenant et procédures et
résultats du conseil en carrière » (Heppner, Multon, Gysbers, Ellis, & Zook, 1998), nous
avons utilisé ces deux instruments pour étudier l’effet du sentiment d’efficacité du
conseiller en cours de formation, sur les évaluations des procédures du conseil en
carrière (par exemple, l’Alliance de travail), sur les résultats ‒ avec un r minuscule 3 ‒
(par exemple, l’indécision-décision, l’ atteinte des objectifs), et sur les résultats (par
exemple, les scores de l’inventaire des transitions de carrière). Vingt-quatre conseillers
58 Dans une autre étude, nous avons exploré certains aspects de l’ajustement
psychologique en tant que résultante du conseil en carrière, et ses liens avec l’Alliance
de Travail (Multon, Heppner, Gysbers, Zook, & Ellis, 1998). Vingt et un conseillers en
cours de formation ont suivi 42 consultants au cours de 3 à 12 sessions sur le terrain.
Les données recueillies montrent que :
• 60 % des consultants étaient classés, à partir de l’inventaire de symptômes de perturbation
psychologique (Brief Symptom Inventory en anglais) (Derogatis, 1993), comme
psychologiquement perturbés ;
• les scores des consultants sur toute une série de variables de perturbation psychologique, se
réduisaient de façon significative du pré-test au post-test ;
• la perception de l’Alliance de travail, mesurée tout au long des sessions de conseil, évoluait
positivement et linéairement.
59 Par ailleurs, nous menons actuellement deux études, dont l’une utilise le plan de
codage de Hill, en vue d’analyser les intentions du conseiller et les réactions du
consultant au cours de sessions individuelles de conseil en carrière (Ellis, Multon,
Heppner, & Gysbers, 1998). L’autre étude utilise la technique d’analyse en grappes
(clusters) pour caractériser sur des variables multiples de personnalité et de carrière,
des sous-types de consultants adultes d’une consultation de conseil en carrière. Nous
contrôlons également si la démarche ou les résultats du conseil sont influencés par
l’appartenance à un type particulier. Nous pensons que ces différentes études, et celles
qui suivront, devraient nous permettre de fournir enfin une information plus
substantielle sur les processus et les résultats de la démarche de conseil en carrière.
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ANNEXES
Annexe A
La démarche d’Évaluation de Carrière tout au Long de la Vie (E.C.L.V.) 4
Nous présentons la démarche sous une forme schématique. Comme on le verra, elle se
compose de trois parties principales suivies d’un Résumé : l’Evaluation de Carrière, la
Journée Typique, les Points Forts et les Faiblesses. En suivant ce schéma, vous pouvez
recueillir différents types d’informations relatives à vos consultants. L’une de ces
catégories est relativement objective et factuelle : elle concerne leurs expériences de
travail et leurs résultats scolaires ; une autre, l’auto-évaluation de leurs habiletés et
compétences ; une troisième, les inférences que vous avez pu faire quant aux intérêts,
valeurs, aptitudes et compétences de vos consultants. Ces inférences sont basées sur les
thèmes de la carrière tout au long de la vie, et découlent des types d’activités
professionnelles, domestiques, scolaires ou de loisirs dans lesquelles vos consultants
sont impliqués. Un dernier type d’information à recueillir concerne les opinions de vos
consultants sur leur valeur en tant que personne et sur leur conscience de soi.
Bien que la démarche d’évaluation de carrière tout au long de la vie puisse être
facilement suivie dans l’ordre de présentation des rubriques, rien ne vous y oblige.
Chacun doit trouver son propre style d’utilisation de cette démarche. En fait, il paraît
préférable que chacun l’adapte à son propre style de conseiller ainsi qu’au style de
fonctionnement de son consultant, afin d’éviter que cette procédure devienne
mécanique, et afin que cette phase de recueil d’informations prenne tout son sens pour
le consultant.
Evaluation de Carrière
1. Expériences de travail (temps plein ou partiel, salarié ou non)
• Dernier emploi
• Préférences Rejets
• Même procédure avec tout autre emploi
dans le voisinage et explorez leurs relations, telles que leur concurrence pour
obtenir l’approbation des grands-parents).
• Quel est/était le métier de votre grand-mère ? de votre grand-père ?
• Que font vos tantes et vos oncles ?
• Quel est/était votre rôle dans la famille (maintenant et quand vous étiez plus
jeune) ?
• Quel est/était votre relation avec votre mère ? Avec votre père ? (demandez quels
étaient leurs aspirations quant à votre carrière).
NOTES
1. N.d.T. : En anglais : « client ». La traduction littérale ne paraît pas utilisable dans le contexte
français, compte tenu de sa connotation de rapport marchand. Celle adoptée ici est celle
proposée par le Glossaire d’I.O.S.P./I.P. élaboré par I’A.I.O.S.P. (édition 1987).
2. Pour une information sur l’Inventaire des Transitions de Carrière et sur l’Échelle de Sentiment
d’Efficacité Personnelle pour le conseil en carrière, contacter Mary J. Heppner, Ph.D. à : 305
Noyes, Univ. Of Missouri, Columbia, M.O. 65211. HeppnerM@missouri.edu
3. L’expression « résultats — avec un r minuscule » est utilisée ici pour caractériser les mesures
qui sont apparentées à celles visant la démarche de conseil en ce sens qu’elles sont recueillies
régulièrement à chaque session, mais qui en diffèrent en ce sens qu’elles évaluent les progrès
vers le résultat et non les éléments du processus de conseil lui-même (Greenberg & Pinsof, 1986).
4. Pour une description complète de I’E.C.L.V., voir le chapitre 6 in : Gysbers, N.C., Heppner, M.J.
& Johnston, J.A. (1998). Career Counseling: Problems, Issues And Techniques. Needham Heights,
M.A. : Allyn & Bacon.
5. Pour une description complète du génogramme de carrière voir le chapitre 9 in : Gysbers, N.C.,
Heppner, M.J. & Johnston, J.A. (1998). Career Counseling: Problems, Issues And Techniques.
Needham Heights, M.A.: Allyn & Bacon.
RÉSUMÉS
Cet article analyse la nature et la démarche du conseil en carrière. En outre, il décrit un schéma
de développement humain défini comme « développement de carrière tout au long de la vie »,
qui sert de base au conseil en carrière. Il présente alors un modèle théorique du conseil en
carrière construit à partir de cette perspective, puis un travail de recherche utilisant ce modèle,
et focalisé sur le processus et sur les effets du conseil en carrière.
Qu’est-ce que le conseil en carrière ? Est-il différent des autres formes de conseil individualisé ?
Est-il identique ? Existe-t-il des recouvrements avec d’autres formes de conseil ? Ces questions se
trouvent posées de plus en plus souvent à l’heure actuelle aux Etats-Unis alors même que des
tentatives de clarification du conseil en carrière se manifestent (Anderson & Niles, 1995
Bluesmen & Spengler, 1995 ; Hackett, 1993 ; Rak & O’Dell, 1994 ; Swanson, 1995 ; Walsh & Srsic,
1995). Trois problèmes apparaissent comme centraux dans le cadre de cette discussion sur le
conseil en carrière. Le premier problème est celui de la nature du conseil en carrière : quelles
sont ses caractéristiques et qualités intrinsèques ? Quels processus psychologiques implique-t-il ?
En second lieu, se pose le problème de sa structure : quelle est sa configuration, dans quel ordre
se succèdent les différentes étapes et sous-étapes, et quelles relations entretiennent-elles entre
elles ? Le troisième problème est celui des effets du conseil en carrière : quelles sont les données
dont on dispose sur les effets du conseil en carrière ? Quelles sont les relations entre la démarche
du conseil en carrière et ses résultats ? Cet article aborde successivement chacun de ces
problèmes.
The nature and structure of career counseling are explored. In addition, a perspective of human
development called life career development is discribed that serves as a foundation for career
counseling. Then a model for career counseling based on this perspective is presented followed
by a presentation of research using the model that focuses on career counseling process and
outcomes.
INDEX
Keywords : Career counseling, career development, theories, resources, practice
Mots-clés : Conseil en carrière, développement de carrière, théories, moyens, pratique
AUTEURS
NORMAN C. GYSBERS
Ph. D., Professeur à l’Université de Missouri-Columbia, CO., États-Unis
MARY J. HEPPNER
Ph. D., Professeur Associée à l’Université de Missouri-Columbia, CO., États-Unis.
HeppnerM@missouri.edu
JOSEPH A. JOHNSTON
Ph. D., Professeur à l’Université de Missouri-Columbia, CO., États-Unis
Introduction
1 Depuis quelques années, une polémique s’est installée dans le champ de la relation
d’aide aux personnes. Elle concerne les différences et les ressemblances qu’il y a lieu
d’établir entre psychothérapie et counseling. Si pour certains auteurs celles-ci sont
claires et évidentes, pour d’autres auteurs les frontières paraissent moins nettes quand
d’autres, enfin, préfèrent aborder cette question sous l’angle des convergences et des
divergences. Cet article cherche à faire le point sur la question.
2 Nous pensons en effet qu’évoquer cette polémique, pour l’essentiel sous la forme
qu’elle revêt dans le contexte nord-américain (où elle est particulièrement saillante)
peut être utile, en France même, par l’intérêt des questions qu’elle suscite au sujet des
pratiques actuelles de la relation d’aide, notamment dans le domaine de l’orientation.
La communauté scientifique française n’ignore d’ailleurs pas ce qui se passe outre-
Atlantique dans les différents champs de la psychologie (sociale, différentielle,
cognitive, du développement pour n’en prendre que quelques domaines) ‒ une
consultation rapide des bibliographies proposées dans les articles des revues
scientifiques de psychologie en langue française en convainc facilement ‒, aussi bien
que dans le champ de la psychothérapie (qu’on songe par exemple aux thérapies
cognitives, à l’analyse systémique ou encore à la thérapie centrée sur le client).
3 Mais, il est utile de pointer, dans les champs mêmes du conseil et de la psychothérapie,
certains des éléments qui font difficulté.
4 1) Si certains auteurs français (Lemaire, 1971, 1986, 1998 ; Lhotellier, 1970, 1975-1976,
1997 ; 2000a, 2000b ; Zarka, 1977, 1979-1980, 1988, 1998, 2000) ont eu une influence non
négligeable sur la pratique du conseil (voir à ce sujet, Angeville & Bellenger, 1989a,
1989b ; Blanchard, 1996) il n’y a pas, en France, une psychologie du conseil équivalente
dans la polysémie et l’ambiguïté du mot orientation, tout à la fois, en France, aide aux
personnes et décision sur les personnes, ou encore « conseil à la carrière » et « orientation-
répartition », selon la distinction introduite par Guichard (1998) ; on conçoit facilement que
le nombre d’entretiens puisse être beaucoup moins élevé dans une optique d’« orientation
répartition » s’inscrivant dans la perspective du constat de situations arrêtées, ou cherchant
à les figer, que dans une optique d’orientation « conseil à la carrière » s’inscrivant, elle, dans
une perspective beaucoup plus constructiviste et développementale ; le travail des
conseillers d’orientation-psychologues, en France, pourrait ainsi porter la marque de cette
ambiguïté, une ambiguïté par contre beaucoup moins prononcée outre-Atlantique et dans
les pays anglo-saxons, puisque les conseillers y sont clairement situés du côté de l’ aide aux
personnes.
9 Ces éléments, qui font difficulté, constituent donc la toile de fond dans laquelle s’insère
le questionnement sur les ressemblances et les différences entre conseil personnel,
conseil vocationnel, et psychothérapie, un questionnement qui se fait jour, en
particulier, là où le counseling est clairement identifié (c’est le cas en Amérique du
Nord) mais dont il serait surprenant qu’il soit sans signification pour les autres
praticiens du conseil. Les frontières sont, en effet, de moins en moins étanches et, pas
plus que dans l’assujettissement pur et simple d’une culture à une autre, ce n’est dans
la méconnaissance réciproque ou l’isolement qu’on trouvera les évolutions les plus
bénéfiques aux consultants ; il y a tout lieu, au contraire, de penser que c’est dans une
telle méconnaissance que des modèles pourraient s’imposer insidieusement, sous l’effet
des seuls rapports de force économiques.
10 Le débat sur les différences et les ressemblances entre psychothérapie et counseling
s’est amplifié récemment au Québec lorsque les psychologues et les conseillers
d’orientation furent appelés, parmi d’autres, à définir la psychothérapie en vue d’en
réserver la pratique à certaines professions et de la réglementer. Si, dans ce débat, les
essais de distinctions théoriques et pratiques sont bien réels, ils s’inscrivent cependant
dans un ensemble d’enjeux économiques [voir par exemple, pour une illustration de ces
enjeux et de leur influence sur la pratique psychothérapeutique, J.A. Talbott, 1999 :
« Ainsi, les patients sont dissuadés d’avoir recours aux traitements dont le coût et la
durée peuvent être plus difficilement prévus, telle la psychothérapie en cure longue
p. 504], mais aussi de pouvoir et de prestige dont on ne saurait occulter l’importance.
Là, comme ailleurs, s’approprier les mots porteurs, se les voir réserver est une
motivation puissante pour les groupes constitués et les corporations : qui possède
l’appellation peut espérer se voir réserver les pratiques qui y sont associées. Ces enjeux
tendent, par conséquent, à porter un fort accent sur les distinctions et, probablement, à
en exagérer l’acuité. En sens inverse, diverses propositions établissant des
rapprochements entre le counseling vocationnel, le counseling personnel et la
psychothérapie ont vu le jour. Elles sont soumises, elles aussi, à la réflexion des
praticiens et des formateurs (Herr, 1997). Il n’est donc pas surprenant, en définitive,
que la pratique professionnelle soit actuellement marquée du sceau de la complexité et
que s’y côtoient paradoxes et contradictions. Au Québec, quatre conceptions théoriques
majeures inspirent la pratique des conseillers d’orientation (Duval, 1995). Il y a tout
d’abord la conception utilitariste qui cherche à établir une adéquation entre les intérêts
de l’individu, ses besoins (sur le plan professionnel), et ceux de la société. La
méthodologie est alors centrée principalement sur l’étude des professions et des
tendances du marché du travail. La conception psychométrique est, elle, fondée sur la
• soit, encore, chez Baudouin (1998) et Combase (1997) chez lesquelles l’approche
psychanalytique très présente est modulée par l’approche humaniste (en particulier dans les
préoccupations apportées à la conduite de l’entretien d’orientation et à la mise à distance de
l’interprétation),
• soit encore que leurs conceptualisations marquent tout autant les liens qui existent entre
psychothérapie et counseling que les différences qu’ elles cherchent à mettre en évidence,
comme on peut le voir, par exemple, dans la réflexion élaborée par Leu (1995) à propos de la
tentation thérapeutique et de la relation de conseil ,
37 ‒ et d’autre part, que, dans les faits, la psychothérapie s’est elle-même installée dans le
domaine du court terme puisque plusieurs formes de psychothérapie brève se sont
développées au fil des années, et que bon nombre d’entre elles se sont définies comme
centrées sur la dimension symptomatique.
38 Plus encore, sur le plan théorique, les recherches sur les processus du changement
thérapeutique soulignent la contribution indissociable des dimensions intrapsychiques
et interpersonnelles (Lichtenberg, 1989).
39 Quant à l’évolution des champs et des activités de la pratique actuelle, elle rend pour
ainsi dire impossible la distinction entre counseling et psychothérapie, de façon
évidente en Amérique du Nord. Cela a conduit certains à se demander si cette double
appellation était toujours nécessaire et si elle correspondait encore à un besoin réel.
vocationnels. Elles invitent à une remise en question des distinctions arbitraires entre
le travail, la carrière, et les aspects psychosociaux.
54 Les différences et les ressemblances entre le counseling de carrière et la
psychothérapie peuvent aussi être considérées sous l’angle des processus de
changement. En psychothérapie, les études comparatives entre des approches
d’horizons distincts démontrent que leur efficacité est équivalente, malgré les
différences théoriques qu’elles présentent (Bergin & Garfield, 1994). Cette
problématique a suscité un important courant de recherches portant sur les processus
de changement. Plusieurs chercheurs (pour des revues de question, voir : Lecomte &
Castonguay, 1987 ; Garfield, 1992) se sont penchés sur l’identification de facteurs
communs à toutes les approches. Goldfried, Castonguay, et Safran (1992) les résument
ainsi :
« Une structure de base. La thérapie se déroule dans un cadre relativement tracé, avec des
étapes ou des phases distinctes.
La fonction. Son but principal est de diminuer le découragement et d’augmenter le sens et
la maîtrise de soi, par l’acquisition de nouvelles manières de penser, de ressentir et d’agir.
La nature de l’interaction thérapeutique. Il y a un processus d’influence
interpersonnelle, caractérisé par l’intérêt et l’implication du thérapeute, ainsi qu’une
alliance de travail basée sur une communication ouverte, des buts partagés et un accord sur
les méthodes.
Des stratégies cliniques communes. Le thérapeute donne du feed-back à son patient pour
accroître son niveau de conscience, l’encourage à prendre des risques et facilite la
confrontation progressive avec la réalité ».
55 Ils font de ces facteurs communs une source d’explication importante de l’équi valence
des résultats obtenus par les différentes approches thérapeutiques. Par exemple, les
recherches suggèrent que, quelle que soit l’approche préconisée, la relation (dissociée
par Gelso & Carter, 1985, en trois composantes le transfert et le contre-transfert, la
relation réelle, et l’ alliance de travail) et tout particulière ment sa composante
d’alliance de travail, c’est-à-dire l’engagement réciproque du psychothérapeute et du
consultant dans l’activité de psychothérapie, peut expliquer jusqu’à 45 % de la variance
des résultats obtenus (Horwath & Symonds, 1991). Ce type d’interrogation et
d’investigation commence à prendre forme dans l’étude du counseling de carrière.
Ainsi, récemment, des chercheurs s’intéressant à cette problématique ont mis à l’étude
certains processus de changement, susceptibles d’expliquer l’efficacité du counseling
de carrière quelle que soit l’approche théorique utilisée (Hackett, 1993).
56 La relation d’aide est-elle aussi centrale et déterminante en counseling de carrière
qu’en psychothérapie ? La question est désormais posée. L’analyse des recherches déjà
réalisées incite à répondre par l’affirmative à cette interrogation. Plus encore, elle
invite à considérer que les mêmes facteurs et processus expliquent le changement en
counseling de carrière et en psychothérapie, ainsi qu’en témoigne, par exemple, la
recherche de Kirschner et al. (1994). En particulier, la qualité de la relation et
l’expérience affective sont considérées comme prédominantes par les consultants
(Kivlighan et al., 1987). Ces résultats tendent à expliquer pourquoi ‒ même lorsque le
counseling de carrière est pratiqué, comme il l’a souvent été, sous la forme d’un
processus directif, logique et linéaire ‒ des résultats positifs peuvent être obtenus par
des conseillers lorsqu’ils accordent en même temps une importance centrale à la
qualité de la relation et à l’expérience affective du consultant. Par-delà ces deux
facteurs fondamentaux, le counseling de carrière s’articule, tout comme la
psychothérapie, en termes de processus d’influence interpersonnelle dans lesquels se
formulent des attentes, un schème conceptuel donnant un sens aux difficultés, des
expériences de maîtrise et de vérification de la réalité (Strong, 1968 ; Holland et al., 1981
Strong, S.R., Welsh, J.A., Corcoran, J.L., & Hoyt, W.T., 1992).
57 Si l’analyse empirique conduit ainsi à reconnaître des dimensions communes et
similaires entre les processus de counseling de carrière et de psychothérapie, d’autres
résultats de recherche permettent également, comme on va le voir, de souligner le
caractère indissociable des aspects vocationnels et du fonctionnement psychologique.
Elle permet alors au consultant de se sentir accompagné et validé dans sa quête de sens
et d’intégration des diverses facettes de son expérience.
67 Au-delà des dimensions communes, le counseling de carrière et la psychothérapie ont
des spécificités qu’il importe de relever. Soulignons donc que le processus du
counseling de carière vise des objectifs vocationnels touchant aussi bien à l’adaptation
et à l’insertion professionnelles, qu’au choix d’une profession, et aux ajustements et
changements possibles tout au long de la vie. En donnant du sens à des difficultés
d’adaptation au travail ou à des problématiques de choix de carrière, le counseling
vocationnel, dans le cadre d’une pratique inté grée, permet de mettre en place un
processus fluide et cohérent d’aller-retour entre enjeux vocationnels et personnels.
Mais, lorsque ce processus d’aller-retour est compromis parce que des enjeux
intrapsychiques ou interpersonnels prennent une place prépondérante de façon rigide
et généralisée, un travail thérapeutique à plus long terme peut alors s’imposer. Certes,
les distinctions entre phases relevant du counseling de carrière et de la psychothérapie
sont d’autant moins claires que, pour nombre de consultants, les difficultés
vocationnelles sont intimement liées à des enjeux intrapsychiques et interpersonnels.
Mais, pour autant, on ne peut pas conclure que toute démarche de counseling de
carrière implique nécessairement de recourir à des considérations thérapeutiques. Une
distinction existe dont le conseiller peut tenir compte, avec pertinence et flexibilité,
dès lors qu’il travaille dans le contexte d’une approche intégrée, attentive aux
caractéristiques spécifiques de chaque consultant.
68 On l’a vu : cette approche intégrant aux plans théoriques et pratiques les aspects
vocationnels et personnels, nombre de théoriciens, chercheurs et praticiens en
reconnaissent de façon croissante l’importance et l’intérêt (Fretz & Simon, 1992 ;
Hackett, 1993). Mais, malgré cette reconnaissance, son développement est encore
limité. Au-delà des conceptualisations définissant le counseling de carrière et le
counseling personnel sur un continuum linéaire (Herr, 1997), ou les réunissant plus
étroitement (Gysbers et al., 1998 ; 2000), les propositions intégratives portant à la fois
sur le conseil personnel, le conseil en orientation et la psychothérapie sont quasiment
inexistantes. Ce déficit est particulièrement sensible pour les intervenants, conseillers
ou psychothérapeutes, qui travaillent à la réadaptation psychologique et
professionnelle de toxicomanes, d’accidentés du travail, d’ex-détenus ou de personnes
psychiatrisées. Trop souvent le psychothérapeute ne possède pas, ou peu, de
connaissances touchant les processus vocationnels et de réinsertion professionnelle,
alors que de son côté le conseiller est peu formé à saisir les enjeux psychologiques des
problèmes vocationnels. Avec un corollaire inévitable : il en résulte une pratique
morcelée pour le consultant et pour l’intervenant.
69 En 1981, Crites plaidait pour une formation en counseling de carrière et en
psychothérapie, si l’on avait comme objectif de travailler auprès de personnes
présentant des difficultés vocationnelles. Récemment, ces recommandations,
largement ignorées pendant plusieurs années, ont été reprises par d’autres auteurs et
chercheurs (Hackett, 1993 ; Niles & Pate, 1989). Ces derniers ont même été jusqu’à
conclure qu’il était essentiel et nécessaire de posséder des compétences dans ces deux
domaines — le counseling de carrière et la psychothérapie — si, tout simplement, l’on
voulait intervenir de façon efficace et pertinente dans les champs complexes du
développement vocationnel et des problèmes liés à la carrière, sans même qu’il soit
question de celui des difficultés vocationnelles. Peut-être n’est-il pas inutile de redire,
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RÉSUMÉS
Une évolution sensible se fait jour dans les rapports qu’entretiennent counseling personnel,
counseling de carrière et psychothérapie. Cette évolution est particulièrement marquée dans le
contexte nord-américain. S’agissant des processus fondamentaux de changement qui sont à
l’œuvre dans ces différentes approches de la relation d’aide, elle met en évidence l’importance de
leurs facteurs communs. Elle conduit à proposer un cadre conceptuel intégrant les facteurs qui
leur sont spécifiques et ces facteurs communs. Ce qui émerge, en effet, c’est le caractère
éminemment personnel de toute problématique d’orientation, c’est l’indissociable inscription du
travail dans l’expérience subjective et intersubjective, c’est l’intrication profonde de deux
facettes fondamentales de la condition humaine, aimer et travailler. L’histoire de ces
rapprochements est rapportée aux conditions de naissance et de développement du counseling
de carrière, de la psychothérapie, et du counseling personnel qui ont conduit, si longtemps et
actuellement encore, à essayer de les distinguer radicalement, en vain. Elle est l’occasion
d’examiner en quoi le contexte d’un pays comme la France peut rendre difficile la perception de
tels changements, alors même qu’ils se produisent déjà.
INDEX
Mots-clés : Counseling de carrière, psychothérapie, counseling personnel, histoire du conseil,
processus de changement
Keywords : Career counseling, psychotherapy, personal counseling, historical perspectives,
change processes
AUTEURS
CONRAD LECOMTE
Ph.D., professeur de psychologie à l’Université de Montréal. Ses principaux thèmes de recherche
concernent l’étude des processus et des résultats en counseling et en psychothérapie, et en
particulier l’étude des facteurs qui leur sont communs. Il s’intéresse aux processus, aux
VINCENT GUILLON
Chercheur au service de recherche de I’ I.N.E.T.O.P. Ses thèmes de recherche portent sur
l’entretien de conseil en orientation, sur la recherche active d’information, et sur l’éducation à
l’orientation.
Conseils et Limites
Limites du conseil, au-delà des limites. L’appel sans espace, l’espace des
appels
Limits of career counseling
Josette Zarka
NOTE DE L’AUTEUR
Je remercie les conseillères et conseillers du centre d’application de I’I.N.E.T.O.P. qui
m’ont rapporté, il y a quelques années, de façon anonyme, les 50 cas d’entretiens de
conseil en orientation, sur lesquels portent les analyses présentées dans cet article.
1 Après des années de réflexions sur le conseil, j’ai un peu l’impression d’avoir déjà dit
tout ce que j’avais à dire et en même temps je suis convaincue que cette question du
conseil est inépuisable. Je trouve donc logique de m’interroger sur le conseil et sur ses
limites, d’autant que la vocation du conseil est de tracer des limites et de les dépasser.
Je ne quitte donc pas les paradoxes.
2 J’aborderai trois grandes questions dans cet article :
• La première partie sera consacrée au « conseil interminable », cas où le consultant utilise le
plus souvent le cadre du conseil à contre-courant.
• La deuxième partie a pour objet le « conseil bref », tel qu’il peut se dérouler dans le cadre de
la permanence d’accueil d’un centre d’information et d’orientation. Cette structure d’accueil
est à la fois matérielle (espace de la permanence d’accueil) et psychologique (elle permet
l’activation de mécanismes de dégagement chez le consultant).
• La troisième partie porte sur la « délimitation du conseil et la gestion de l’ambiguïté ». Bien
que le conseil ne traite pas très souvent de démarches ambiguës, j’ai choisi des cas de
démarches ambiguës, entreprises par l’intéressé(e) ou par une tierce personne, pour
marquer certaines différences entre conseil et psychothérapie (individuelle et familiale).
C’est en effet à travers la gestion de l’ambiguïté de certaines demandes que la problématique
de la délimitation de l’espace conseil apparaît avec le plus de relief.
Le motif
La demande
L’appel
caractérisent par des motifs solides et très crédibles, par l’extrême gravité de la
situation et, enfin, par un refus quasi automatique de toute solution.
1.1 Le Motif
21 a) La conseillère apprend par la mère de Victor que celui-ci se drogue. Etant données
ses fréquentations plutôt douteuses, elle le soupçonne de « trafic ». De toute façon elle
s’alarme à l’idée qu’il devienne un « dealer ». Les rapports mère/fils sont exécrables. À
bout de nerfs, elle déclare par téléphone qu’elle souhaite qu’il finisse dans le « trou », ce
terme signifiant dans son esprit à la fois la prison et une issue fatale. La famille a
consulté un psychiatre et celuici recommande qu’il n’abandonne pas ses études. Il
téléphone à la conseillère pour qu’elle lui indique une école.
22 b) Les parents adoptifs de Philomène (15 ans 1/2) ont également consulté un psychiatre
qui insiste lui aussi pour qu’on l’oriente vers une formation adéquate. L’histoire de
Philomène est très compliquée. Ses parents biologiques sont des délinquants. Elle a été
ballottée de mains en mains et la conseillère la croit psychotique ou au mieux
fortement caractérielle. Ses parents adoptifs (assez âgés) sont malades. La mère a des
lésions à la face et aux cordes vocales et le père est infirme. Ils prétendent qu’ils ne
peuvent plus la garder. Apparemment, ils ont très peur d’elle (elle est parfois assez
violente) et ils ont aussi très peur pour elle. Ils craignent qu’il lui arrive un accident
(elle a failli se faire renverser par une voiture). Ils ont surtout peur qu’elle se prostitue.
De toute façon, les entretiens sont souvent incohérents et toujours très houleux. Ils
s’agressent en permanence et la conseillère pense qu’ils pourraient facilement en venir
aux mains.
23 Dans les deux cas l’école n’est pas, bien sûr, un remède mais peut présenter une
ouverture.
inconditionnelle qu’ils accordent aux conseillers. Ils se disent absolument sûrs qu’elle
pourra dénouer la situation et suscitent ainsi la croyance chez leurs interlocuteurs,
qu’ils pourront le faire.
26 D’un autre côté, les sujets exercent une sorte de fascination. Victor visiblement très
doué est charmant et séducteur. Philomène et ses parents intriguent la conseillère par
leur histoire tellement compliquée. Elle estime qu’il est touchant d’avoir adopté à leur
âge une enfant qui initialement devait l’être par leur propre fille. Ils apparaissent à la
fois mystérieux et repoussants. Ils sont physiquement très délabrés, ils semblent
toujours cacher quelque chose et leurs propos sont parfois très confus. Ils véhiculent
une espèce d’étrangeté qui attire et éloigne à la fois. Les conseillers sont ainsi pris dans
une forme d’interactions oppressantes qui entraînent « un engrenage dans l’écoute ». Ils
ont le sentiment d’être captés dans une relation malsaine avec des entretiens qui n’en
finissent plus. Aussi vont-ils dépenser une énergie considérable pour leur apporter une
réponse satisfaisante.
27 D’emblée toute proposition est apparemment bien acceptée. Cependant, le sujet et/ou
sa famille s’arrangent toujours pour faire machine arrière avec des arguments plus ou
moins spécieux tendant à montrer que la solution n’est pas valable ; ou bien qu’ils en
ont découvert une autre. Cette fin de non-recevoir n’épuise pas leurs attentes, non
seulement ils réitèrent inlassablement leur confiance au conseiller, mais ils le coincent
en ajoutant qu’il est le seul capable de les sauver du pire. Ainsi le confinent-ils dans une
impasse. Le conseiller sait qu’il ne pourra pas arrêter la chute et en même temps il ne
peut pas ne pas le tenter.
28 On pourrait s’interroger à l’infini sur les raisons pour lesquelles ces sujets et leur
famille reviennent ainsi à la charge. Malgré leur détresse, ils ne sont en mesure ni de
recevoir ni d’accepter une quelconque solution. On peut soupçonner une démarche
paradoxale dont la structure est « aidez-moi/ne m’aidez pas ». Une telle demande qui
s’annule elle-même, va bien au-delà de la problématique dépendance/contre-
dépendance, fréquente à l’adolescence. On aurait affaire au registre bien plus archaïque
d’une dépendance vitale.
29 Des requêtes de ce type laissent supposer des rapports parasitaires dans la double
acception du mot. Il se produit « un brouillage » dans la communication (cf. la famille de
Philomène dont les propos sont souvent incohérents et inaudibles). D’un autre côté le
parasite se définit « comme un être (animal ou plante) qui survit aux dépens d’un autre
dont il se nourrit Chez les humains l’image qui vient à l’esprit est celle d’un nourrisson
affamé : il crie, il pleure. Il ne demande pas, il émet un appel.
30 On peut considérer la démarche de Victor, analogue à celle de beaucoup de drogués,
comme un appel sans demande cernable où le jeune homme se repaît de son propre
écho.
1.6. L’appel
31 Je l’ai défini plus haut comme une modalité d’expression non verbalisée et non
verbalisable qui se profère faute de pouvoir structurer, cerner sa propre démarche.
32 Il s’émet de manière indifférenciée comme un fond sonore ; dans le meilleur des cas,
comme une musique de fond et, dans les pires, comme une cacophonie (cf. la famille de
Philomène). Il correspond à une force non canalisée, non canalisable pour le moment.
Dans tous les cas où il y a motif sans demande, l’appel s’apparenterait au cri de secours
de quelqu’un qui se noie et qui, malgré lui, enfonce celui qui tente de le sauver.
Cependant, il ne se profère pas de la même manière selon les situations. Quand il
s’intègre à une demande élucidable, il peut en constituer la force 2.
33 En bref, sans prétendre généraliser sur le conseil et sur l’illusion paradoxale, à partir de
ces cas, on peut retenir deux points : une circulation d’interactions mortifères et un défi
à la loi. Les sujets jouent avec la transgression.
34 L’un risque de graves ennuis avec la justice (dealer), les autres ont flirté et flirtent
encore avec la délinquance. L’une des caractéristiques de la transgression est de
détruire toutes les barrières, ou, à un moindre degré, d’abolir les limites.
35 Quand les limites n’existent pas chez l’un, il y aurait une tendance à envahir le
territoire de l’autre. Ainsi parasité celui-ci éprouvera des sentiments d’irréalité. Une
conseillère épuisée par ces entrevues où les sujets s’étaient montrés insatiables, raconte
une anecdote qu’elle trouve significative à cet égard. Elle se souvient de sa stupéfaction
à la vue de la paire de chaussures d’une unijambiste (l’humour ne perd pas ses droits)
qu’elle rencontrait chaque jour sur son chemin et qui la remplissait de malaise et de
compassion. Elle fit immédiatement le rapprochement avec les parents de Philomène.
Cette analogie qui lui permettait de saisir la duplicité involontaire et sans doute
inconsciente de ces gens, la libéra de cette espèce d’irréalité dans laquelle ils la
plongeaient. Ainsi parvint-elle à mettre un point final au conseil interminable.
36 De tels cas sont fort heureusement exceptionnels. Je les ai cités à titre d’amplificateurs
de phénomènes qui peuvent se produire chez certains sujets qui s’acharnent sur leurs
motifs pour consulter aux mauvais endroits.
37 Les limites du conseil se rencontrent là où il y a de bons motifs mais sans demande et avec
un appel strident car indifférencié. Le conseil se dilue dans un espace sans limite.
38 Cette deuxième partie porte sur des entretiens réalisés au service de l’Accueil du centre
d’information et d’orientation où les conseillers interviennent à tour de rôles.
39 J’ai retenu 12 exemples, décrits par 4 conseillers qui les trouvaient typiques de cette
situation inhabituelle. Elle leur offrait une occasion de prendre une distance par
rapport à leur pratique courante. En raison du cadre dans lequel la consultation se
déroule, elle met pourtant en relief certains processus que l’on rencontre dans le
conseil au quotidien.
40 Le cadre « physique » crée un cadre psychologique favorisant certains phénomènes de
dégagement en œuvre, quelle que soit la méthode utilisée.
41 L’accueil occupe un espace constitué d’une pièce où l’on reçoit les sujets et de plusieurs
autres pièces minuscules consacrées à la passation éventuelle de divers questionnaires
ou tests papier-crayon. Une salle de documentation se trouve à proximité. L’ensemble
est précédé d’un vestibule où les personnes attendent d’être reçues3.
42 La finalité de ce service est inscrite dans sa topologie. Les lieux en tant que tels ont une
fonction de rappel constant à une double réalité. L’exigence interne, qui pousse chacun à
trouver une solution à son problème, est indissociable de la considération des
contraintes de la réalité externe.
43 Ici, les gens viennent d’eux-mêmes et sans rendez-vous. On peut considérer les
exemples présentés comme des « cas uniques » dans le sens plein du terme. En un seul
entretien (unique en son genre) la singularité du sujet et la spécificité de son problème
sont révélées et respectées en un temps record et en vertu de ce temps record.
44 Il m’est apparu utile de distinguer les entretiens réalisés à l’Accueil et ceux qui ont lieu
une seule fois ailleurs, dans les conditions habituelles de la consultation. A l’accueil, on
sait d’emblée que l’entretien sera unique. On ne le sait pas forcément dans le conseil
courant. Le peu de temps imparti oblige les interlocuteurs à aller droit à l’essentiel et
pousse le sujet à clarifier rapidement sa demande.
45 Les deux dimensions du cadre matériel (espace et temps) vont faciliter, et précipiter les
mécanismes de dégagement à l’œuvre dans le « conseil informateur ». L’Accueil
représente le lieu par excellence du conseil informateur où le souci d’obtenir des
informations s’assortit d’une demande de conseil et où le conseil s’accompagne bien
entendu d’apports d’informations pertinentes. Les deux termes « conseil et
information » renvoient nécessairement l’un à l’autre et pourtant la consultation à
l’Accueil va bien au-delà des limites assignées au conseil informateur, et met en relief
d’autres stratégies (conseil recadrant et conseil de confrontation) articulant conseils et
informations, susceptibles, elles aussi, de mobiliser rapidement des procédures de
dégagement.
47 Les conseillers considèrent qu’une crise, des sentiments d’urgence, un état de stress de
certains sujets à la consultation de l’Accueil peuvent parfois favoriser l’émergence de
solutions positives, sous réserve de canaliser autrement l’énergie déployée afin de la
rendre productive.
48 Comment donc gérer les tensions inhérentes à la démarche ? Le modèle de l’équilibre
quasi stationnaire cher à Lewin peut nous éclairer à cet égard. Un équilibre « quasi
stationnaire » existe quand il y a opposition entre deux pôles de force égale mais de
direction contraire. Dans le langage psychanalytique, on pourrait traduire cet état en
termes de conflits ou ambivalence entre le désir de résoudre un problème par exemple,
ou de prendre une décision et la crainte de ne pas y arriver.
49 A un moment ou à un autre, l’équilibre doit basculer. Si l’on augmente les forces
positives, le sujet risque de se précipiter dans une « fuite en avant » où les processus
primaires peuvent l’emporter. En diminuant les forces négatives, on laisse le champ
libre aux processus secondaires, c’est-à-dire à la mentalisation, la réflexion et la
maturation.
50 A l’Accueil, avec des sujets parfois survoltés, il serait totalement inapproprié
d’augmenter les forces positives (creuser ses motivations par exemple) avant d’avoir
soumis les forces négatives. A cet égard, on ne procède pas de manière artificielle en
essayant de le rassurer, mais en le mettant tout de suite en face de la réalité en incitant à
travailler activement sur son problème en l’installant au propre et au figuré dans la
recherche de solutions concrètes et actualisables.
51 L’analyse des entretiens relatés a mis en évidence plusieurs facteurs interférant dans la
dynamique du dégagement. On peut les regrouper en 4 verbes : placer, calmer,
analyser, activer. Il ne s’agit pas d’une chronologie en 4 temps. Ces différents
mouvements sont indissociables et peuvent se produire simultanément. Par exemple,
en analysant on se calme et l’analyse est une forme d’activation. Cependant, on peut
considérer les deux premiers termes (placer/calmer) comme un préalable aux suivants
(analyser/activer) qui constituent le dégagement proprement dit.
52 ‒ Placer
53 La manière de « placer » concrètement un sujet s’inscrit déjà dans une interaction
signifiante.
54 Par exemple, en restant soi-même debout quand il l’est ou en le priant de s’asseoir et en
attendant qu’il s’exprime, puis en l’installant dans une salle à côté (épreuves écrites ou
documentation), on lui témoigne qu’en dépit du manque de temps, on va lui accorder
l’attention nécessaire à sa requête.
55 En le plaçant spatialement on lui notifie métaphoriquement que l’on tente de le
« positionner » à la fois dans la relation et, par rapport à son problème dont on cherche
« l’assise ».
56 En dehors de tout souci de politesse, la moindre marque de considération l’invite à se
placer en tant que sujet, c’est-à-dire ici comme une personne en mesure de progresser
dans la maîtrise de son problème.
57 ‒ Calmer
66 Une fois que les sujets sont parvenus à se ressaisir, le désir d’avancer émerge (il va
progresser à mesure que la réflexion suit son cours). Les stratégies diffèrent selon les
cas et la nature de la démarche. On peut distinguer les procédures plutôt classiques
proches du conseil informateur, des procédures moins courantes du conseil confrontatif
où il est nécessaire de recadrer le problème à travers une confrontation du sujet avec
lui-même.
67 De toute façon, le mouvement dialectique entre analyse et information apparaît de
manière encore plus évidente à l’Accueil, quelle que soit la formule retenue, étant
entendu que l’écoute, la disponibilité et l’accrochage au réel appartiennent à toutes les
formes de conseil.
68 L’accrochage du sujet à la réalité, composante majeure du conseil se produit d’ailleurs
en fonction de la qualité de l’écoute accordée. L’exemple le plus probant à cet égard est
celui d’une mère paniquée à l’idée que son fils, actuellement en 1 ère S, puisse
abandonner ses études. Elle demande à être reçue sur le champ. La conseillère voyant
son angoisse lui montre l’affluence en lui disant de revenir après l’horaire. L’entrevue
fut brève mais suffisante pour convaincre la mère qu’il n’y avait aucune urgence. La
bienveillance et la disponibilité de la conseillère créent un apaisement, qui, semble-t-il
a pu résonner sur ses relations avec son fils que la conseillère reçoit ultérieurement
dans sa consultation habituelle.
69 À l’Accueil, les personnes sont encore plus sensibles à l’attention particulière que leur
accordent les conseillers malgré la foule. Les problèmes reprennent leurs justes
proportions dans cette ambiance « dédramatisante ».
70 Le conseil informateur procède, c’est bien connu, par la mise en rapport des
dispositions des sujets avec les données de la réalité extérieure. Les motivations des
sujets les poussent à s’informer et, en retour, les informations peuvent s’avérer
motivantes. Ce double mouvement s’amplifie à l’Accueil dont l’originalité se traduit par
des aller et retour constants entre investigation de soi et recherches d’informations.
71 L’exemple d’Adélaïde est tout à fait illustratif à cet égard. Cette jeune personne
consulte juste après son échec au bac. Elle est en même temps effondrée et paniquée.
Ses parents insistent pour qu’elle redouble et elle ne le veut absolument pas. Son
trouble s’apaise dès que la conseillère réceptive à son désarroi, l’installe dans une pièce
voisine pour répondre à des questionnaires. Après quoi, compte tenu des résultats
révélant des intérêts marqués pour le commercial, Adélaïde va dans la salle de
documentation consulter des brochures indiquant diverses formations.
72 Parmi les institutions possibles, elle en retient une qui l’attire particulièrement. Elle
revient rayonnante. La conseillère pense que son effervescence initiale lui avait permis
de mobiliser toute son énergie pour parvenir à une solution adéquate. En une après-
midi dit-elle Adélaïde avait « mûri ». Stimulée par le regard positif de la conseillère qui
la recevait dans des marges de temps relativement étroites, Adélaïde s’était beaucoup
dépensée. Malgré leur brièveté, les séquences d’entretien s’étaient avérées
extrêmement fructueuses dans l’activation à la fois de l’analyse et de la recherche
d’informations.
73 La pression qui s’exerce à deux niveaux : (Adélaïde est pressée et « sous pression
contribue à épurer le problème, à écarter les parasites (par exemple, l’apparition des
sentiments d’échec) pour se centrer exclusivement sur ses possibles.
74 Ainsi Adélaïde parvient-elle non à un compromis mais à une solution qui lui convient
parfaitement. Elle revient plusieurs mois après pour dire à la conseillère combien elle
était satisfaite de son école, et pour la remercier.
75 Cet exemple relativement simple montre les étapes du conseil à l’Accueil. Le sujet
expose d’abord ses attentes ou l’objet de sa démarche, il répond ensuite à des épreuves
écrites (examen d’évaluation) après quoi il discute avec le conseiller qui lui
recommande de consulter certains documents pour finalement débattre de la(des)
solution(s) retenue(s).
76 Il se produit un phénomène d’auto-orientation progressive soutenue par la présence
vigilante du conseiller. Ici, il y a adéquation parfaite entre les deux termes : orientation
et conseil qui finissent par n’en faire qu’un seul. Le schéma est à peu près le même que
dans la consultation courante mais en accéléré. Comme au théâtre, l’accueil fonctionne
selon la règle des trois unités5 (temps, lieu, unicité du problème).
82 Le conseil est toujours confrontatif. Face à une décision ou à un choix on doit le plus
souvent envisager aussi des arguments contre. J’ai retenu cette formule qui, par
certains côtés s’apparente à la précédente, pour désigner des situations où le conseiller
refuse (parfois carrément) la requête du sujet.
83 Le cas de Roselyne est intermédiaire entre une approche recadrante et une approche
confrontative. Cette jeune personne déclare d’emblée « je veux voir un conseiller
d’orientation pas un psychologue En répondant à la lettre le conseiller met son
interlocutrice face à sa dénégation. Finalement après avoir été confrontée une situation
acquis et capacités. Ce cas m’est apparu exemplaire d’un langage de réalité par ses côtés
incisifs et de bon sens.
90 L’humour véhicule l’essentiel à propos de son choix présent. Après quoi on peut débattre
d’autres alternatives. Et le bon sens quant à son orientation possible apporte un nouvel
éclairage sur la réalité actuelle.
97 Cette formule où les sujets se dépensent beaucoup apparaît assez économique dans la
mesure où ils mûrissent très vite leur problème (cf. « Adélaïde en l’espace de 2 heures,
je l’ai vue grandir »).
98 La question de la maturation d’un problème en accéléré m’est apparue fondamentale
dans la vocation de l’Accueil parce que les deux termes maturation et accéléré sont
contradictoires. Le conseil à l’Accueil se différencie notablement des courants
prescriptifs qui tendaient à édicter des mesures à partir des seuls résultats aux tests.
Ici, malgré la courte durée de la consultation il y a une concertation qui donne leur
plein sens à ces résultats. Il ne s’agit absolument pas d’une orientation au sens strict
mais d’un vrai conseil en orientation.
paradoxale, des demandes existent bel et bien dans les démarches ambiguës ; leur
élucidation permet de poser des jalons pour la suite.
104 Le qualificatif « ambiguë » désigne une demande dont le sens est équivoque ou qui a un
double sens. Dans la pratique courante, l’ambiguïté appartient plutôt au sujet lui-même
qu’à une tierce personne ayant pris l’initiative de la consultation, mais cette occurrence
n’est pas rare. Je me suis donc appuyée sur une comparaison de deux cas assez proches
dans les deux situations.
3. L’ambiguïté du sujet
105 Dans les deux exemples retenus, les motifs sont les mêmes, les procédures aussi et les
réactions assez voisines mais l’issue est radicalement différente. Boulette (25 ans) avait
abandonné ses études de vétérinaire après plusieurs échecs. Elle souffrait alors, dit-elle,
d’un surmenage intellectuel qui avait entraîné une petite dépression. Elle s’accorde une
année de répit pour réfléchir et vient consulter durant cette période. La conseillère lui
fait passer diverses épreuves et lui suggère quelques pistes. Boulette s’emballe, court
partout puis renonce. « Quand elle avance d’un pas elle recule de deux » estime la
conseillère qui la décrit comme une personne brillante, hyperactive et ayant de
nombreux intérêts. Elle se comporterait ajoute-t-elle comme une « boulimique qui
engloutit ses provisions (informations et suggestions) pour ensuite les rejeter. Pour la
pousser à se décider, la conseillère lui déclare qu’elle pouvait réussir quoi qu’elle
entreprenne ». Depuis, Boulette n’est jamais revenue.
106 Irène, architecte âgée de 30 ans, consulte pour une reconversion éventuelle. Elle vivait
à l’étranger et son diplôme n’est pas reconnu en France, mais elle pourrait aisément
obtenir une équivalence. Irène n’est pas sûre de vouloir poursuivre dans cette voie qui,
pourtant, la passionne, mais qu’elle trouve trop éprouvante. Comme dans le cas
précédent, la conseillère (qui n’est pas la même) déclare qu’à chaque fois que « quelque
chose se construisait, Irène le défaisait automatiquement » jusqu’au jour où elle lui
prête ses propres intentions : « vous pensez que je dois voir un psychothérapeute ? ».
107 Analyse et commentaires
108 Dans ces deux cas, la demande ne correspond pas au motif explicite. L’orientation
antérieure de Boulette apparaît quand même assez suspecte. Boulette avait choisi des
études de vétérinaire et se tuait au travail, alors qu’elle n’aimait pas les animaux. Elle ne
parvient pas à faire le deuil d’une orientation qui pourtant ne lui convenait pas du tout.
Irène de son côté aime beaucoup son travail et veut en changer. On peut vraiment
s’interroger sur les raisons de demandes aussi dissonantes. La conseillère de Boulette
apprend incidemment qu’elle avait entrepris une psychothérapie à la suite de sa
dépression et qu’elle venait juste de l’interrompre. La conseillère d’Irène avait
l’impression que cette personne qui insistait après chaque entretien pour revenir,
préférait évoquer les conflits de son enfance plutôt que ses choix professionnels.
109 Visiblement, l’incertitude de ces deux personnes ne provenait pas de leur orientation
mais de problèmes d’un autre ordre et qui semblaient affecter leurs attitudes actuelles
par rapport à cette orientation. La conseillère de Boulette réalise après un certain
temps que Boulette n’avait aucun besoin d’orientation, quant à celle d’Irène elle gardait
le sentiment que celle-ci « l’avait utilisée comme un chemin détourné ». Dans ce second
cas, la démarche est associée à des attentes thérapeutiques et dans le premier à une
résistance par rapport à une thérapie en cours.
110 Les procédures mises en place : évaluation (à base d’épreuves de raisonnement
intellectuel) et entretiens (d’exploration et de restitution) d’une part, et les
prescriptions (démarches suggérées) d’autre part, ont des effets inverses. Boulette
piétine et son problème demeure inchangé, celui d’Irène avance puisque, en fin de
compte elle trouve une solution. Irène vient pour mûrir sa décision et Boulette pour ne
pas le faire. Dans un cas, l’écoute est nécessaire, pas dans l’autre. Dans les deux cas, le
motif est un prétexte pour consulter. L’une et l’autre avaient tendance à utiliser le
champ du conseil (procédure et label) comme un espace thérapeutique. Mais au bout de
quelques semaines Irène s’aperçoit qu’elle fait fausse route.
111 Dans un cas, les procédures servent à la délimitation de l’espace conseil, et dans l’autre
elles la desservent. Grâce aux diverses épreuves objectives, aux démarches qu’elle a
effectuées et dont elle réalise l’inutilité grâce aussi à l’attention bienveillante de la
conseillère, Irène parvient à se rendre compte que son incertitude ne relève pas de son
orientation mais vient d’ailleurs. Ici, le motif fait écran à la demande.
112 En revanche, Boulette se repaît des résultats obtenus aux tests, des démarches
effectuées, et de l’écoute qui lui est accordée pour renforcer son motif prétexte.
113 L’intervention dès lors cautionne une démarche dissonante où le motif est en
antagonisme avec des attentes implicites et un peu obscures.
114 La personne, une fois encore, se trompe de porte mais il n’y a pas ici paradoxalité car,
derrière le motif, se profile des motivations assez contradictoires et qui ne donnent lieu
à aucun appel. Dans l’ambiguïté, il n’existe pas d’appel sinon elle n’aurait pas de raison
d’être. En revanche, il y a toujours un écart entre motif et demande sous-jacente. Il
apparaît nécessaire de différencier les situations où le motif fait écran à une demande
latente et les situations où le motif est incompatible avec certaines attentes voilées. On
peut penser que dans un cas la situation est gérable mais pas dans l’autre.
115 Rapports entre conseil et psychothérapie
116 L’ambiguïté d’une demande associée à une psychothérapie se prête mieux que toute
autre, je le pense, pour rappeler comment la délimitation de l’espace du conseil se
produit. Une comparaison entre les deux champs montre des différences que l’on
pourrait dessiner comme des figures de démarcation ou des contours, alors que leurs
convergences se trouveraient dans un espace commun.
certaines demandes consiste souvent à utiliser cet espace autrement que pour son
orientation.
118 Il paraît ambitieux et périlleux d’essayer de dégager des différences là où les processus
sont très proches. Il s’agit évidemment de nuances parfois subtiles qui, pourtant, sont
essentielles dans la conduite des entretiens de conseil. Les entretiens de conseil se
démarquent des entretiens thérapeutiques par les modalités d’écoute et de
compréhension du problème, et par les relations instaurées entre le conseiller et le
consultant.
119 ‒ Les modalités d’écoute et de compréhension du problème
120 L’entretien de conseil est le lieu par excellence de l’élaboration, de la formulation et de
la structuration d’une demande. L’exploration/approfondissement des motifs permet
de les renforcer ou bien de rectifier le tir (s’il existe une ambiguïté). La qualité de
l’écoute est là irremplaçable et il serait aberrant de « fixer des normes » à cet égard.
Pourtant, une écoute à la fois inconditionnelle et orientée ou sélective apparaît
indispensable. La compréhension du problème requiert en effet une écoute hors
censure et en même temps « filtrée » pour saisir les éléments signifiants du problème.
Ce genre d’écoute éminemment active peut s’avérer, en elle-même, structurante pour
l’interlocuteur. C’est ce qui est arrivé dans le cas d’Irène où la conseillère n’a pas eu
besoin de reformuler sa compréhension. L’ambiguïté s’est levée d’elle-même.
Néanmoins, si la plupart du temps, l’écoute active se manifeste dans des propos qui
traduisent notre compréhension du problème et de la situation, l’ambiguïté ne se
dissipe pas toujours et seules les réactions des interlocuteurs peuvent révéler la
pertinence de ce style d’intervention.
121 Visiblement, Boulette supporte mal l’idée qu’elle peut réussir dans tout, donc qu’elle
n’a nul besoin d’être orientée. Cette affirmation pourtant très prudente et qui témoigne
d’une compréhension positive du problème fait office d’interprétation « sauvage » c’est-à-
dire de propos que l’interlocuteur n’a pas envie d’entendre. Il est fort probable que le
dénouement un peu en « queue de poisson » était inéluctable dans le cas de Boulette, à
partir duquel on peut soulever la question des différences entre compréhension et
interprétation. L’élucidation qui dévoile un aspect d’un problème qu’on ne veut pas
voir, ne s’apparente-t-elle pas à une interprétation ?
122 À la différence du cas de Boulette, celui (très proche) d’Anasthasie montre les effets
dynamisants d’une compréhension/interprétation. Cette personne consulte pour savoir
si elle est bien orientée. Après des études d’Histoire, elle voudrait faire de
l’anthropologie mais elle redoute un échec. En commentant ses résultats aux tests la
conseillère répond qu’elle a tout pour réussir mais qu’elle ne « s’en accorde pas le droit ».
Ces propos déclenchent un sursaut : « comment l’avez-vous deviné ? ». Elle ajoute
qu’elle suivait une psychothérapie et que, depuis un certain temps déjà, elle s’enlisait
dans ce problème qui n’entrait pas dans les cordes de son psychothérapeute. Elle
consulte au centre pour avoir un avis autorisé. On peut penser que l’interprétation ici
porte ses fruits dans la mesure où le motif est tout à fait concordant avec la demande
dont elle avait masqué un des aspects. Il n’empêche qu’à la différence de Boulette, qui
cherche à confondre les deux espaces, Anasthasie les démarque bien. Dans les cas où la
« compréhension/interprétation » renvoie directement aux motifs de la consultation,
protégé en même temps qu’il s’alimente des apports externes, ainsi le sujet pourra-t-il
mieux conquérir son propre territoire et, à l’occasion, le défendre. Cela ne pourra se
produire sans la garantie d’une discrétion absolue de la part du conseiller. Cette
discrétion ne se manifeste pas seulement au niveau de la confidentialité mais surtout
dans les modes d’exploration du problème qui respectent les limites de ce que le sujet
veut/peut exprimer. On retrouve la problématique des interprétations et des questions
intrusives. Quoi qu’il en soit, la discrétion fait partie des compétences du conseiller,
grâce auxquelles une espèce « d’alliance » peut se constituer. Ce genre d’alliance centrée
sur l’opération de conseil est bien différente d’une « alliance thérapeutique » qui s’étaye
sur une « relation continue » et assez durable. À cet égard il faudrait établir une double
distinction. D’une part, entre relations permanentes et régulières où la durée reste
indéterminée, et relations temporaires dont les limites sont à peu près fixées, et d’autre
part entre relations et interactions séquentielles (quelle que soit sa durée une relation
peut s’entendre comme une série ou un ensemble d’interactions). Une alliance
« thérapeutique » stipule que la relation, en elle-même, a un caractère thérapeutique.
Alors qu’une « alliance opératoire » dans le conseil s’ancre sur des interactions
ponctuelles et positives dont les emprunts à diverses méthodes thérapeutiques sont
assez fréquents. Une relation privilégiée dans le conseil est évidemment moins
impliquante et moins impliquée qu’en thérapie. Cette relation privilégiée est un moyen ou
une condition pour avancer et ne suffirait pas à elle seule à répondre à une demande
quelle qu’elle soit.
130 Autrement dit, dans la problématique conseil/psychothérapie, une distinction s’impose
au niveau des relations instituées mais pas au niveau des interactions ponctuelles. Un
entretien de conseil peut s’apparenter, séquence par séquence, à un entretien de
psychothérapie, mais ce voisinage n’est que de surface, compte tenu des objectifs et de
la nature des liens fondamentalement différents dans les deux situations. À propos des
démarches particulièrement ambiguës, les différences objectives, quantitatives et
contextuelles (durée, fréquence et régularité des entretiens) pèsent beaucoup sur les
relations et restent les meilleurs repères des limites de l’intervention.
131 En bref, l’espace commun à l’entretien de conseil et à l’entretien de psychothérapie
relève d’une considération du sujet comme une personne dont on doit saisir avec le
plus grand respect toutes les dimensions du problème qu’elle véhicule et cela nécessite
d’établir de solides rapports de confiance. Les différences majeures qui infiltrent cet
espace commun sont :
• le maniement des interprétations,
• l’absence de liens durables (malgré des interactions parfois fortes), et inutiles dans le
traitement du problème.
132 Je ne saurais clore ce chapitre sans affirmer que la « professionnalisation » du
conseiller est le meilleur rempart pour empêcher l’interlocuteur de dériver et pour le
maintenir dans le conseil.
133 L’ambiguïté est encore plus difficilement repérable, quand la démarche appartient à un
tiers. Quoi de plus naturel pour des parents que de s’inquiéter des résultats scolaires de
leur (s) enfant(s) et de les inciter à consulter quand ils laissent à désirer ! On peut
néanmoins rencontrer, ici aussi, un écart entre les motifs explicites et des demandes
latentes.
134 J’ai retenu deux cas superposables. Le motif, quoique fort large, est très clair (difficultés
scolaires. La démarche s’effectue dans une espèce de crise. Son caractère aigu
(avertissement de l’établissement scolaire) masque l’ambiguïté d’une tierce personne.
Les deux garçons suivent un cheminement opposé. Dans le premier, le conseil aboutit
au blocage. Il est lent, laborieux et efficient dans le second.
135 Sostène
136 L’exemple de Sostène est tout à fait illustratif d’une démarche à laquelle on se soumet
sans réussir à la (re)prendre à son propre compte. L’établissement scolaire demande un
bilan pour le garçon qui, déjà, redouble, ne travaille pas, et dont les résultats sont
encore plus mauvais que l’année précédente (on ne sait pas quoi en faire et il est
fortement question d’un renvoi). Sa mère le pousse à aller consulter. Il ne vient pas à
contre cœur mais ne semble pas du tout concerné. Dans une attitude assez « je m’en
foutiste », il fait comme s’il ne s’agissait absolument pas de lui. Après une mise en route
très laborieuse, l’enfant devient plus coopérant, puis la situation s’enlise et
l’intervention connaît une interruption brusque et inattendue.
137 Ses résultats aux tests sont tout à fait corrects. Il reste d’abord complètement
insensible aux encouragements. Pour structurer l’entretien et tenter de l’intéresser à
son propre avenir, la conseillère lui fait passer un entretien avec support de cartes
métiers (entretien dit A.D.V.P.), à la suite de quoi il se réveille un peu. La conseillère,
bien consciente qu’il ne faut pas exiger trop de lui ni le secouer, lui propose un contrat
où il s’engage à travailler une demi-heure par jour durant un certain temps. Sostène
respecte ce contrat et commence à s’intéresser à ses études, ses professeurs
remarquent qu’il est plus présent, mais cela ne dure pas deux mois. Son « apathie »
reprend le dessus. Il continue à venir, acquiesce à toutes les suggestions mais ne les suit
pas et retrouve ses « airs indifférents ». Un beau jour, la mère de Sostène qui n’avait
cessé de critiquer le « maigre contrat » prévient qu’elle met fin au conseil. Pour l’obliger
à travailler, elle le boucle dans sa chambre pendant 4 heures d’affilée, supprime la télé
et les sorties. Sostène « trafique » ses notes, et ses absences sans excuse se multiplient.
Aux dernières nouvelles, le garçon semblait de plus en plus démotivé.
138 Sostène consulte de manière passive, en se pliant à la volonté de sa mère. La conseillère
a le sentiment qu’elle aurait pu secouer son apathie, faire émerger et gérer une
demande de sa part si la mère ne s’était pas interposée. Apparemment elle l’envoie
pour que ses résultats progressent et aussitôt que l’enfant se réveille, elle fait machine
arrière et serre davantage la vis. On peut supposer qu’elle attendait de la conseillère
qu’elle intervienne dans le sens qu’elle-même désirait. Elle lui confiait une sorte de
délégation de pouvoir. L’incertitude de Sostène semble directement liée à ses rapports
avec sa mère. Il faudrait, je le suppose, les modifier quelque peu pour qu’il puisse se re-
motiver mais cela entre-t-il dans le cadre du conseil ? Appartient-il au conseil de
modifier la cellule familiale ? La conseillère de Sostène ne parvient pas à neutraliser
l’influence de la mère alors que celle de Théo - Simon y parvient sans agir directement
sur les rapports mère/fils et en restant dans l’espace conseil.
139 Théo-Simon
140 Il consulte lui aussi à l’instigation de l’établissement scolaire pour mauvais résultats et
comportements inadaptés. Alors que Sostène apparaît passif voire inerte, Théo-Simon
est inattentif, agité et arrogant. Il met, disent ses professeurs, une ambiance
épouvantable dans la classe. Il vient, prétend-il, contre son gré et sous la pression de sa
mère qui ne le quitte pas dans le bureau de la conseillère. Tandis qu’il hurle, la
conseillère enjoint la mère d’attendre son fils dehors pour avoir un premier entretien
un peu tranquille. À la suite de quoi elle la convoque toute seule. Elle se décommande à
plusieurs reprises. La conseillère la met en demeure en lui disant qu’elle ne s’occupera
pas de l’enfant tant qu’elle ne sera pas venue. Je ne présenterai pas ce cas en détails
quoi qu’il soit (à mon avis) un modèle du genre. L’intervention s’effectue sur plusieurs
tableaux. Avec la mère, avec les professeurs et bien sûr avec l’enfant.
141 a) Avec la mère
142 La conseillère tient à garder ses distances. Elle la reçoit un peu froidement. Elle
l’informe d’abord de l’avis des professeurs, des résultats aux tests, puis s’enquiert de la
situation familiale. La mère, d’abord très défensive, répond à peine, puis d’un coup se
relâche et déverse tous ses déboires. La conseillère la recentre sur les difficultés
scolaires de son fils mais n’en écoute pas moins le reste.
143 Théo-Simon représente apparemment le lien le plus fort entre les parents qui ne
parlent entre eux que de lui. Le père dominateur et intransigeant rend la mère
responsable de toutes les difficultés de l’enfant. Cette mère apparaît assez confuse et
plutôt ambivalente. Elle a peur que sa démarche entérine l’échec de son fils et elle
espère en même temps prouver à son mari qu’elle s’en occupe bien. Mais, quels que
soient les résultats (meilleurs ou pires) la mère appréhende qu’ils creusent encore
davantage la faille dans ses rapports avec son mari. Visiblement, l’enjeu de la consultation
ne se trouve pas dans la scolarité de Théo-Simon ; il est ailleurs. La conseillère, suffisamment
avertie de la situation familiale, met fin à l’entretien en lui disant qu’elle l’informera de
la suite par courrier ou par téléphone.
144 b) Avec le jeune
145 Elle est tout aussi ferme qu’avec sa mère. Elle lui propose un suivi pédagogique pour
améliorer ses méthodes de travail. Devant ses réticences, elle n’insiste pas et lui tend sa
carte en disant qu’il pourra la prévenir quand il sera décidé. Théo-Simon fait
immédiatement machine arrière. La conseillère ne rentre d’ailleurs jamais dans son jeu
quand il prétend « faire son caïd » avec les autres. Elle le « tance » de sorte qu’à un
moment il « fond » et convient qu’il « est paniqué face à une copie blanche et que
malgré tous ses efforts il n’arrive pas à se concentrer ». Depuis cet « aveu » la partie est
gagnée. L’enfant l’écoute avec confiance. Les progrès ont beau être lents, ils n’en
existent pas moins et le garçon est enfin content de lui. Quand la conseillère lui suggère
une psychothérapie, il refuse catégoriquement. Il ne veut pas, pense-t-elle, endosser le
chapeau de problèmes qui ne sont pas les siens. Cette fois-ci, c’est lui qui trace des
limites.
146 c) Avec les professeurs
147 Elle prend contact avec certains d’entre eux pour les inciter à accorder à l’enfant une
attention particulière tout en convenant qu’en classe il doit être parfaitement
« imbuvable Elle les informe des résultats obtenus, et en même temps recueille des
renseignements précieux sur ses comportements. L’un d’entre eux, qui suspecte des
violences dans cette famille, lui suggère de voir l’assistante sociale. Le regard de la
conseillère sur l’enfant se transforme quand elle apprend qu’il est sévèrement battu.
Elle devient alors encore plus disponible.
Conclusion générale
158 Le paradoxe fondateur du conseil (influencer-laisser libre) entraîne un tourbillon de
paradoxes. Celui de ses limites n’est pas le moindre. Il pourrait s’énoncer ainsi « le
conseil ne peut dépasser ses limites qu’en les respectant ».
159 Etant donné le caractère inépuisable de ce paradoxe, j’ai du mal à conclure. Je ne peux le
faire qu’en entrant une fois de plus dans le paradoxe. Je vais donc revenir sur la notion
d’appel, qui représente un « Construit » difficile à définir mais qui correspond à une
réalité concrète, même si elle est exceptionnelle. L’appel, semble-t-il, ne se rencontre pas
dans la pratique courante. Nous l’avons suspecté dans les cas dits « limites » et dans
certains cas dits « uniques ». Il relève d’une réaction paradoxale à la situation de conseil.
160 Le conseil porte, rappelons-le, sur des conduites. Il implique donc le changement d’une situation
donnée et non un changement de la personne ni une réduction de ses troubles comme
en psychothérapie. Il s’exerce à partir d’une nécessité externe (choix, décision,
orientation) qui mobilise les instances du sujet (besoin, désirs, craintes, etc.) à changer.
161 En présence de conflits personnels ou en état de crise, l’accroissement des désirs, des
craintes et/ou des deux associés peut entraîner des « réactions paradoxales ». Il se
produit un excès de tension qui se manifeste par un appel, soit pour aboutir au
changement, soit pour le freiner. Dans le cas du changement, les sujets jouent le jeu des
limites effectives à l’intérieur desquelles leur appel rebondit. Les pressions externes
stimulent leur désir d’aboutir, donc de spécifier leur demande. Ils entrent alors dans le
paradoxe de l’indépendance : « influencez-moi, mais laissez-moi libre ».
162 Inversement, dans le cas du blocage, où les sujets dénient l’existence de limite, leur
appel signale leur impuissance à savoir ce qu’ils veulent. Ils se piègent dans une
dépendance paradoxale : « aidez-moi, mais je ne vous le permettrai pas ».
163 Le conseil, c’est évident, ne peut résonner qu’à des appels pour des aides tangibles et
non pour des aides indéterminées. D’ailleurs, il est opérant quand le sujet est prêt à
entendre et à s’entendre et non quand le sujet s’assourdit lui-même. La durée et la
fréquence des entretiens dans les cas dits « limites » ont montré que malgré la solidité
des motifs et en dépit de l’urgence de trouver une solution concrète le conseil n’était pas
opportun. En revanche à l’Accueil, les sujets témoignent d’une disponibilité et d’une
volonté qui défient la courte durée et le caractère unique de l’entretien. Dans la
première occurrence les sujets n’étaient pas prêts et dans la seconde ils l’étaient.
164 J’ai beaucoup insisté dans ce travail sur la métaphore de l’espace. Cette métaphore ne
suffit pas pour délimiter le champ du conseil. Il ne faut pas oublier celle du temps.
165 Avec l’idée de « durée paradoxale » je n’avais retenu qu’une seule dimension
temporelle, à laquelle il serait utile d’adjoindre celle du moment. Le conseil ne s’exerce
pas n’importe quand, le moment choisi par le sujet (ou un tiers) n’est pas arbitraire. La
pression de 1’« ici maintenant » est parfois un ferment de l’élaboration, la
formalisation et la structuration d’une demande.
166 Un appel focalisé sur un point précis pourrait se comparer au cri d’un voyageur égaré qui
cherche désespérément quelqu’un pour l’informer sur la route à suivre et, au besoin,
faire un bout de chemin avec lui. Même si, au départ, il n’est pas encore bien fixé sur sa
destination, il sait que son intérêt croîtra avec les renseignements obtenus. Un guide
qui répondrait dans ce sens lui rendrait un fier service, et pas seulement dans
l’immédiat mais pour la suite de son périple. J’en viens à mon propos de base. Le conseil
le plus prescriptif-informatif peut avoir des retombées incalculables s’il vient à point. Alors
que des entretiens approfondis et judicieux peuvent avoir des effets contraires
(stagnation/régression).
167 À la différence de la psychothérapie, le conseil s’impose à un moment donné compte
tenu de la rencontre des exigences du milieu et des besoins individuels. Il est localisé et
localisable. Une réponse adéquate au moment voulu peut ainsi correspondre à un
tournant dans la vie de quelqu’un. Le conseil, je le redis, ne se propose pas de changer
les individus ni la famille ni même les relations entre ses membres. Toutefois, en
agissant sur une situation locale au moment idoine il peut transformer le
fonctionnement d’un ensemble (individu ou système).
168 Le conseil peut avoir des effets thérapeutiques (au sens large) à condition de rester
conseil. Pour plagier une formule célèbre, on pourrait prétendre que, dans le respect de
ses limites, le conseil qui aide l’autre à faire un petit pas lui permet parfois d’accomplir
un bond en avant. Le conseil dit « thérapeutique » se définirait ni par sa finalité, ni par
ses méthodes, mais par des retombées parfois totalement inattendues.
169 Pour le mot de la fin, je retiens que dans l’expression conseil en orientation, le terme
orientation permet au conseiller de se démarquer du psychothérapeute et celui de conseil
le distingue de l’orienteur.
BIBLIOGRAPHIE
Doron, R., & Parot, F. (1991). Dictionnaire de psychologie. Paris : P.U.F.
Ionescu, S. (1993). Bases de la psychopathologie. In R. Ghiglione & J.-F. Richard (éds.), Cours de
psychologie IL Bases, méthodes, épistémologie. Paris : Dunod.
Note de l’éditeur : Sur le thème du conseil, Josette Zarka a publié les articles suivants :
Zarka, J. (1983). Au-delà des conflits : les paradoxes. In P. Benedetto, et al. (Dir.), Les lycéens face à
l’enseignement supérieur (pp. 195-202). Issy-les-Moulineaux : E.A.P.
Zarka, J. (1986). Les conseils aux enfants : apprentissage de la confusion ou tolérance aux
paradoxes. Le Groupe Familial, 110, 100-108.
Zarka, J. (1988). Les stratégies de la confiance et les paradoxes du conseil. In J. Cosnier, N. Gelas, &
C. Kerbrat-Orecchioni (Dir.), Échanges sur la conversation (pp. 221-235). Paris Éd. C.N.R.S.
NOTES
1. Le juge alerté avait en effet prescrit une mesure éducative pour Philomène.
2. Cf. le « conseil bref ».
3. Le(la) conseiller(ère) en reçoit plusieurs en une demie journée et il y a parfois un vrai défilé.
4. Note de l’éditeur : Ionescu (1993), en proposant une nouvelle séméiologie, suggère de
« s’intéresser à des aspects pouvant être qualifiés de fonctionnels en raison de leur but :
réduction de la tension pulsionnelle et de l’angoisse qui en résulte (comme c’est le cas dans les
mécanismes de défense) et, respectivement, adaptation au changement, aux conditions externes
RÉSUMÉS
Trois grandes questions relatives aux entretiens de conseil en orientation sont abordées, en
s’appuyant sur des présentations de cas. La première partie traite des situations limites et du
conseil interminable. La deuxième partie concerne le conseil bref, tel qu’il peut se dérouler dans
le cadre d’une permanence d’accueil. La troisième partie aborde la question des demandes
ambiguës. Les différences entre entretien de conseil et entretien psychothérapeutique sont
analysées.
INDEX
Keywords : Counseling
Mots-clés : Conseil en orientation, conseil interminable, conseil bref, motif, demande ambiguë,
appel, écoute, relation, différences entre conseil et thérapie
AUTEUR
JOSETTE ZARKA
Professeur Emérite de psychologie. Université Paris X Nanterre. Ses recherches portent sur le
conseil (sa thèse s’intitule « Conseils et paradoxes ») et sur les effets des violences sociales.
Contrats de communication et
entretiens d’orientation, dispositifs
clinique ou psychosocial ?
Communication contract and career counseling interview. Clinical either social
psychological set?
Claude Chabrol
BIBLIOGRAPHIE
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3, 175-184.
NOTES
1. Nous avons développé cette notion avec Georget, P. dans un article à propos du traitement de
discours publicitaires. Elle précise la dimension de pré-programmation des contrats de
communication. (cf. numéro spécial de la revue internationale de psychologie sociale. (A paraître
au cours de l’année 2000).
2. Dans un numéro de Connexions consacré à l’entretien en 1988, nous avions attiré l’attention
sur les difficultés liées à l’exportation du modèle Rogerien en recherche comme en intervention.
3. L. Masse dans une thèse récente soutenue à Paris 8, souligne ces résultats à partir de l’analyse
de psychothérapies comportementales et d’inspiration psychanalytique (voir Masse et al., 1999).
RÉSUMÉS
Cet article aborde la question de l’entretien d’orientation dans une perspective psycho-
sociologie. On y défend le point de vue selon lequel les techniques d’entretien clinique, centrées
sur la personne, ne sont pas appropriées aux objectifs du conseil en orientation. On suggère
plutôt la mise en place de lieux de parole intra-groupe et inter-groupes, complété par des
modules d’apprentissage socio-cognitifs pour développer les habiletés mentales et les stratégies
de décision requises.
Career interview is examined from social psychological perspective. According to the author, the
person-centered clinical interview is not suitable to career counseling aims. Training groups (in
and out) are recommended in order to develop social cognitive skills and decision strategies.
INDEX
Mots-clés : Contrat de communication, entretien d’orientation
Keywords : Communication contract, career counseling interview
AUTEUR
CLAUDE CHABROL
Professeur à l’Université de Paris 3. U.F.R. de Communication.
cchabrol@aol.com ou Claude.Chabrol@univ-paris3.fr
Jean Guichard
2 Dans un tel contexte, nombreux furent les modèles théoriques qui se proposèrent
d’analyser et de comprendre la formation de « la subjectivité » 1 (1) de l’individu. Ces
réflexions conduisirent à une véritable explosion notionnelle et conceptuelle. Ainsi,
aujourd’hui, parle-t-on de moi (Ich, ego), d’ego, de sur-moi (Über-ich, super-ego), de moi-
idéal (Ideal-ich, ego ideal), d’idéal du moi (Ich-ideal, ideal ego), de soi (self), de concept de
soi (self-concept), d’image de soi (self-image), d’estime de soi (self-esteem), de soi idéal
(ideal-self), de schéma de soi (selfschema), de soi de travail (working self-concept), de souci
de soi (selbstsorge), de personne (person), de personnalité (personality), de personnalité
de base (basic personality structure), d’identité (identity), d’identification (identification),
d’identité sociale (social identity), d’identité personnelle (personal identity), d’identité
professionnelle (vocational identity), de stratégie identitaire (identity strategy), etc. A ces
11 Parmi ces débats, l’un de ceux qui partagea (et partage) les psychologues fut celui de la
stabilité ou de la malléabilité de la subjectivité. Dès 1903, Edward Lee Thorndike mettait
en doute la consistance de la personnalité. Gordon Willard Allport ou Hans Jürgen
Eysenck défendirent un point de vue inverse. La question était de savoir si, par
exemple, un enfant pouvait être honnête dans un certain contexte et, malhonnête dans
un autre. Cette controverse traversa tout le siècle (voir Huteau, 1985 ; 1995,
pp. 118-122).
12 Plus près de nous, Michel Foucault, changeant les termes de la discussion, remit en
cause une vue essentialiste de la subjectivité, Considérant que le sujet « n’est pas une
substance », il souligne : « C’est une forme, et cette forme n’est pas partout ni
toujours identique à elle-même. Vous n’avez pas vous-même le même type de rapport
lorsque vous vous constituez comme sujet politique qui va voter ou lorsque vous
cherchez à réaliser votre désir dans une relation sexuelle. Il y a sans doute des
rapports et des interférences entre ces différentes formes du sujet, mais on n’est
pas en présence du même type de sujet. Dans chaque cas, on joue, on établit à soi-
même des formes de rapport différentes » (Foucault, 1984, 1994-IV, p. 719).
13 Les tendances aujourd’hui dominantes en psychologie vont dans le sens d’une
conception dynamique des processus identitaires. Par exemple, observe Michel
Fluteau (1995, p. 122) : « certains auteurs ont abandonné la notion de traits. Ils pensent
(Cantor & Kihlstrom, 1987, par exemple) qu’il existe bien des différences stables entre
les individus, mais celles-ci étant de leur point de vue étroitement associées à des
situations spécifiques, ils considèrent qu’il n’y a guère de sens à les conceptualiser sous
forme de traits inférés à partir de comportements qui covarient. Dans cette
perspective, l’unité d’analyse de la personnalité n’est plus le trait mais le bloc formé
par les cognitions, affects et activités de la personne qui se manifestent dans une
situation particulière
14 Les analyses que l’on va développer s’accordent avec cette vue. Elles considèrent
néanmoins que ce « dynamisme de l’identité » ou cette « malléabilité de la
personnalité » ne peuvent être compris sans tenir compte de la stabilité et de la
diversité relatives des structures des rapports sociaux. C’est en effet au sein de telles
structures que l’individu déploie certains jeux en fonction des interactions qu’il vit.
Autrement dit, comprendre la dynamique des constructions identitaires, c’est à la fois
tenir compte des structures et des interactions. C’est le rôle de celles-ci dans la
construction ‒ notamment ‒ de la « subjectivité » des jeunes et dans la « mise en
forme » de leurs intentions d’avenir qu’on se propose d’examiner ici.
Le siècle de l’école
15 Dans un premier temps, on s’intéressera aux liens existant entre les structures du
système scolaire et la constitution de certaines formes de la subjectivité des jeunes.
16 Dans les pays industrialisés, le siècle des individus et du souci de soi fut aussi le siècle
de l’école, c’est-à-dire celui du développement d’institutions spécialisées qui séparent
les jeunes des adultes. Comme l’observe Norbert Elias, « même dans la société
médiévale européenne, le jeune individu se formait et recevait son enseignement le
plus souvent au service d’un maître adulte avec qui il était en contact direct. Le page
servait le chevalier. L’apprenti, le maître de sa corporation. (...) Avec la spécialisation
croissante et la complication de plus en plus grande des professions des adultes, les
jeunes de couches de plus en plus larges de la population reçoivent, au lieu de la
préparation directe qui prévalait jadis, une préparation indirecte dans des instituts
spécialisés d’un genre ou d’un autre » (Élias, 1997, p. 171). Cette préparation indirecte
est devenue de plus en plus longue : ainsi, en France aujourd’hui, la majorité des jeunes
fréquentent l’école pendant une période d’environ 20 années.
17 Ces deux caractéristiques (socialisation indirecte et longue durée) font certainement de
l’école un lieu privilégié ‒ et très particulier ‒ de la construction de la « subjectivité »
des enfants, adolescents et jeunes adultes.
18 L’extraordinaire développement de l’école au cours du siècle qui s’achève est selon
toute vraisemblance corrélatif de celui des sociétés industrialisées que caractérisent la
complexité et la rapidité de leur évolution. Dans de telles sociétés, la socialisation ne
peut plus avoir pour fin d’amener les individus à se construire rapidement des
identités sociales et professionnelles bien circonscrites leur permettant de s’insérer
dans des contextes sociaux aux contours bien définis. Elle vise plutôt, à les conduire à
anticiper globalement des trajectoires sociales et personnelles probables dans des
environnements personnels, sociaux et professionnels relativement mouvants.
19 Ce sont par conséquent des visions particulières de soi et d’autrui que l’école conduit
les élèves à construire. La théorie des champs et de l’habitus de Pierre Bourdieu
suggère l’hypothèse suivante : la fréquentation par le jeune d’un système scolaire
(organisé d’une certaine manière) l’amène à former dans son esprit un système
représentatif de soi-même, d’autrui, des formations et des professions, organisé selon
les dimensions fondamentales qui structurent ce système, telles que cet adolescent les
perçoit de la position qu’il y occupe.
20 Une telle conceptualisation laisse néanmoins deux questions dans l’ombre. Il s’agit,
d’une part, de l’analyse des médiations par lesquelles ces structures « objectives »
deviennent des structures mentales et, d’autre part, du problème de l’intégration en un
système relativement unifié des « construits » représentatifs suscités à l’occasion de
l’ensemble des expériences qu’effectue le jeune. L’adolescent n’est en effet pas qu’un
élève : il vit aussi (et dans certains cas : surtout !) hors de l’école. Quelles dimensions
cognitives construit-il à l’occasion de ces différentes catégories d’activités ? Comment
les combinent-ils entre elles ? Quels sont les processus constitutifs de leur intégration ?
21 Deux hypothèses sont proposées pour répondre à ces questions. La première est dérivée
du courant de l’interactionnisme symbolique et de la philosophie pragmatique
dialogique. Elle pose que l’ensemble des interactions et des interlocutions présentes
joue un rôle essentiel dans la construction et l’intégration des dimensions
représentatives, qui, à la fois, sont constitutives de la subjectivité et déterminent la
formation des représentations d’avenir.
22 La seconde de ces hypothèses est née d’un rapprochement de modèles sociologiques et
du concept de « cadre » tel qu’il fut élaboré en intelligence artificielle. Cette hypothèse
conduit à concevoir la subjectivité comme un système (relativement) unifié et structuré
de « formes identitaires » substituables, dans lesquelles l’individu se construit et se
représente (lui-même et autrui). Ces formes identitaires sont élaborées à partir de
cadres cognitifs « identitaires », c’est-à-dire de schémas structurés relatifs aux
catégories de personnes telles que l’organisation sociale les détermine.
23 Comme on le verra, ce modèle des cadres et formes identitaires vicariantes permet à la
fois d’intégrer différentes approches relatives à la « construction de soi » et aux
stratégies identitaires » et d’analyser les processus complexes de la formation des
intentions d’avenir à l’adolescence. Il conduit enfin à s’interroger sur les pratiques en
orientation pertinentes avec les adolescents (et adultes d’aujourd’hui).
25 Comme le note Willem Doise, le champ est la notion clef. « Elle désigne un ensemble
d’objets sociaux ayant entre eux des relations de hiérarchie et d’opposition qui
structurent précisément la répartition, entre ces objets, d’un capital spécifique de
valeur sociale » (Doise, 1990, p. 125). Ce système de relations situe les uns par rapport
aux autres, non seulement ces objets, mais aussi les sujets qui s’y intéressent d’une
certaine manière, ces différentes manières comprenant l’indifférence ou le rejet. Ces
relations sont toujours « évaluatives Chaque champ est doté d’une « gravité
spécifique » qui y détermine la valeur. « Dans les sociétés hautement différenciées, le
cosmos social est constitué de l’ensemble de ces microcosmes sociaux relativement
autonomes (...). Par exemple, le champ artistique, le champ religieux ou le champ
économique obéissent à des logiques différentes » (Bourdieu & Wacquant, 1992, p. 73).
Ces champs sont néanmoins organisés de manière analogue : des individus socialement
semblables y occupent généralement des positions homologues. En effet, « les relations
à l’intérieur d’un champ spécifique sont de même nature que les relations entre les
classes du champ des rapports de production » (Doise, 1990, p. 125).
26 Éduquer un individu, c’est l’immerger dans une pluralité de champs. Cette immersion
se situe nécessairement en un point donné de chaque champ. Cela a une conséquence
fondamentale : le sujet apprend à percevoir l’ensemble du champ, c’est-à-dire les
éléments qui le constituent et, surtout, les relations qu’ils entretiennent entre eux du
point de vue qui est le sien. Ce point de vue sur le champ produit à partir des
expériences — des pratiques — liées à cette position dans le champ est un élément
constitutif de l’habitus du sujet dans le champ considéré. Cet habitus consiste en un
certain nombre de schèmes de perception, d’appréciation et d’action qui continueront
à le guider dans ses représentations, ses jugements et ses actes bien après la période de
formation. La position sociale dans chaque champ est donc fondamentale : elle
détermine la nature des expériences d’apprentissage, qui conduisent elles-mêmes à la
formation de systèmes de classement et de perception (et de pratiques). Ceux-ci ne se
transformeront que lorsque le sujet fera des expériences différentes de celles qu’il fit :
ce qui est peu fréquent, puisqu’il est rare qu’un individu soit amené à occuper une
position différente dans un champ.
27 Dans un champ donné et à un moment donné, tous ces points de vue n’ont pas la même
valeur : l’habitus dominant (la manière socialement valorisée à époque donnée de voir
les choses dans ce domaine) est celui des groupes en position socialement dominante.
28 Parmi tous les champs que fréquente un enfant, l’un joue un rôle particulièrement
important dans la production de structures mentales homologues aux structures
sociales : il s’agit du système scolaire. Son organisation est en effet particulièrement
saillante : les différentes formations y entretiennent des relations précises les unes avec
les autres et des règles en régissent le fonctionnement.
29 Certaines filières sont plus prestigieuses que d’autres : elles permettent de continuer
des études longues dans des voies socialement valorisées. Ainsi, les filières aujourd’hui
valorisées en France sont celles où l’accent est mis sur les sciences pures, la physique
mathématique ou les humanités classiques : c’est en effet le degré d’abstraction des
études qui détermine la valeur dans ce champ scolaire (qui constitue sa « gravité
spécifique »). Les formations se différencient aussi en fonction des types d’élèves qui y
49 Un récit a toujours un destinataire. Ce peut être un autre réel, proche dans un des
champs que fréquente l’individu. Ce peut-être un autre intériorisé : un autre qui est en
soi. Le récit est pour autrui. Dans tous les cas, le récit renvoie à un dialogue : c’est ce
que je m’entends dire à la personne à laquelle je l’adresse. Le récit présuppose un autre
à qui on l’adresse en réponse à une interrogation, une assertion, un signe, etc., perçu ou
imaginé de lui. L’interaction dialogique est au principe même du récit.
50 Or, cet autre (réel ou imaginaire) à qui je m’adresse dépend de mes interactions
actuelles ou passées. J’entre en dialogue avec un individu — ou je construis ce récit pour
des destinataires — avec lequel ou lesquels j’entretiens ou j’ai entretenu certaines
relations. Les interactions communautaires qu’évoque Bill Law (1981) ou les
microsystèmes de Fred Vondracek et al. (1986) apparaissent ainsi jouer des rôles
cruciaux dans la construction de soi. On peut penser qu’au cours de ces interactions
dialogiques effectives ou imaginaires ‒ ou à l’occasion de ces récits ‒ tel soi possible
m’apparaît être un soi probable alors que d’autres sois possibles deviennent
improbables.
51 L’interaction dialogique n’est certainement pas le seul élément intervenant dans ce
passage d’un soi possible à un soi probable : les expériences effectives de l’individu (et
notamment ses activités, ses succès et ses échecs, ses rencontres, etc.), jointes à la
manière dont il se les représente, y tiennent une place majeure. Il est en effet difficile
d’ignorer le rôle fondamental de l’activité (tätigkeit) dans la construction de soi. Comme
le rappelle Andrey Brushlinsky, citant Sergei Rubinstein (1986, 1922), « le sujet fait plus
que se révéler et se manifester dans ses actions et dans les actes de son activité
créatrice indépendante : il est créé et déterminé par eux. C’est pourquoi l’on peut
utiliser les choses qu’il fait pour déterminer ce qu’il est : la direction de son activité
peut être utilisée pour déterminer et mouler son caractère « Par là ‒ poursuit Andrey
Brushlinsky ‒ la psyché humaine ne se manifeste pas seulement dans l’activité
(professionnelle, universitaire, cognitive, ludique, etc.) mais se trouve formulée par
celle-ci. » (Brushlinsky, 1990, p. 67).
52 Mais, parmi ces activités, celles — spécifiques — d’interlocution avec autrui jouent très
vraisemblablement un rôle majeur dans la construction de la subjectivité de l’individu.
En effet, pour faire siennes l’ensemble de ses expériences et de ses représentations, le
sujet doit se les dire et se les entendre dire. Or, un tel dialogue intime ne peut avoir
pour origine que l’interaction et l’interlocution avec autrui.
53 La distinction opérée par Dubar entre processus synchronique et processus
diachronique est heuristique. Mais, la transaction biographique (diachronique) ne peut
être analysée comme une simple délibération intime. Cette délibération même est
d’essence dialogique. On peut postuler que c’est précisément la mise en récit de soi
pour autrui qui permet ce passage de l’offre identitaire à l’identification dans cette
forme identitaire-là. Comme le note Francis Jacques (1979, p. 384) (dans une
perspective ontologique) : « en fait la question n’est pas tant de savoir si le moi ne se
définit que par rapport à l’autre, mais de savoir si la relation à l’autre l’aide vraiment à
se définir (...). Toi, c’est l’autre en tant qu’il entre en moi dans une communauté de
communication. (...L La donnée philosophique première est le fait de la parole échangée
qui circule entre eux dans son espace institué ». « Chacun s’entend en l’autre, comme
l’autre parle en lui » souligne Francis Jacques (1979, p. 385).
54 Mais, ajouterait Mickael Bakhtine (1981), cet autre qui parle en nous, parle dans des
formes déterminées. Ces voix (pour reprendre la terminologie de Bakhtine) des autres
en nous utilisent des langues nationales (russe, allemand, français, etc.). Elles sont
constituées de types de paroles sociales (dialectes sociaux, jargons professionnels,
langages de groupes d’âges et d’autorités divers) et de genres de parole
(commandement militaire, manière de se saluer, conversations de salon sur la vie
quotidienne, échanges à tables, récits quotidiens, etc.). « Ces énoncés pré-construits et
stabilisés retiennent la mémoire impersonnelle d’un milieu social dans lequel ils font
autorité, et ils donnent le ton. Ils trahissent les sous-entendus qui règlent les rapports
aux objets et entre les personnes, traditions acquises qui s’expriment et se préservent
sous l’enveloppe des mots. Ils prémunissent le sujet contre un usage déplacé des signes
dans une situation donnée. Un genre est toujours attaché à une situation dans le monde
social » (Clot, 1999, p. 169). Ma voix ‒ c’est-à-dire mon énoncé proféré, dans cette
intention-là, avec ce timbre et cet accent-là ‒ se fonde sur l’appropriation (la
« ventriloquie ») de la voix d’autres personnes dans d’autres contextes
55 Le mot dans le langage est à moitié celui de quelqu’un d’autre. Il ne devient « un mot
propre » que quand celui qui parle l’investit de sa propre intention, de son propre
accent, quand il s’approprie le mot, l’adaptant à sa propre intention sémantique et
expressive. Avant ce moment d’appropriation, le mot n’existe pas dans une langue
neutre et impersonnelle (après tout, ce n’est pas dans le dictionnaire que celui qui parle
trouve ses mots !), mais celui-ci existe plutôt dans les bouches d’autres personnes, dans
les contextes d’autres personnes, et au service des intentions d’autres personnes ; c’est
là qu’on doit prendre le mot pour le faire sien. (Bakhtine, 1981, pp. 293-294, cité par
Wertsch, 1990, p. 117).
56 Notre propre discours se construit ainsi dans des formes sociales de paroles, dans ce
que l’on pourrait nommer, en reprenant la terminologie de Roger Schank et Bob
Abelson (1977, 1995), des « scripts », mais des scripts dont il faut souligner qu’ils
varient selon les contextes sociaux fréquentés par l’individu. Il semble donc qu’on
puisse poser l’hypothèse conclusive suivante : les formes socialement déterminées
d’interlocutions (cf. Erving Goffman, 1974) semblent constituer un élément
essentiel de la construction de soi dans une forme identitaire déterminée (c’est-à-
dire dans l’appropriation de telle offre identitaire).
57 À l’adolescence, ces formes d’interactions et d’interlocutions ‒ notamment avec des
pairs ‒ pourraient jouer un rôle essentiel dans les essais de formes identitaires que
certains auteurs considèrent comme caractéristiques de cette période (cf. l’adolescence
comme moratoire psychosocial de Erik Erikson et la période des choix à l’essai
(« tentative choices de Eli Ginzberg et al., 1951).
entrent en jeu des phénomènes « d’identisation » (Tap, 1980), de « primus inter pares »
(Codol, 1989), de subjectivation (Foucault, 1982, 1994-1V) etc. (D’un point de vue
cognitif, cela signifie que le sujet attribue des valeurs spécifiques à certaines « cases »
du cadre quand il se construit dans une forme correspondant à ce cadre).
68 Cette double vicariance des formes identitaires n’a pas pour conséquence que l’unité du
sujet disparaîtrait. Le sentiment d’être le même et que les autres sont les mêmes sont
en effet très forts. Ces deux types de représentations se fondent sur l’unicité du
système de cadres identitaires. Le sentiment d’être le même repose sur le sentiment
que les différentes formes identitaires personnelles ‒ dans lesquelles nous nous
identifions ‒ vont ensemble, qu’elles sont toutes miennes. Elles forment pour le sujet le
système subjectif de ses formes identitaires (subjectives). La subjectivité est ainsi le
système unifié et structuré des formes identitaires dans lesquelles l’individu se
construit et se représente. C’est la représentation consciente des relations entre
formes identitaires subjectives. Cette représentation est évidemment susceptible
d’évolution. Elle est aussi sensible aux contextes sociaux : dans une organisation sociale
très structurée, où les rapports sociaux entre individus sont à la fois simples, clairs et
prégnants, le sentiment d’être le même, d’être toujours identique à soi-même est
beaucoup plus fort que dans une société où le sujet a l’occasion de se construire dans
différents cadres identitaires.
69 Le modèle dont on vient d’esquisser les grandes lignes, offre l’avantage de permettre
d’intégrer différentes approches actuelles de la « subjectivité » en psychologie
cognitive, en psychologie sociale et en sociologie. Les concepts de cadre et de formes
identitaires, de vicariance et de système des formes identitaires mettent en effet en
relations les problématiques de l’identité psycho sociale, des schémas de soi, des
théories implicites de la personnalité, de 1’« ego écologie des mots identitaires », de
stratégies identitaires, etc. Ne pouvant examiner ici l’ensemble de ces problématiques,
on s’arrêtera à trois d’entre elles celles des « schémas de soi des « théories implicites de
la personnalité », et des « stratégies identitaires ».
70 Les « cadres identitaires » dans lesquels un individu se construit dans une certaine
forme renvoient aux schémas de soi de la psychologie du soi. Cette notion de cadres
identitaires y ajoute cependant des considérations à la fois cognitives (quant à la
structure de ces schémas) et sociales. Dans la psychologie du soi, le « social » se réduit
généralement à la prise en compte d’interactions locales avec autrui, en faisant comme
si celles-ci se déroulaient dans un vide social, indépendamment, d’une part, de
structures locales (c’est-à-dire de chacun des champs) et, d’autre part, du cosmos social
(de l’ensemble des champs et de leurs relations). Dans le modèle proposé ici, les
dimensions centrales de soi renvoient à la représentation de la structure des relations
entre groupes d’individus.
71 D’un point de vue cognitif, les cadres identitaires sont définis comme des structures
mentales qui permettent à chacun de saisir globalement les caractéristiques sociales et
personnelles d’autrui et de soi-même. Cette notion de cadre identitaire rejoint d’une
certaine manière les théories implicites de la personnalité (T.I.P.) de Jérôme Bruner
et Renato Tagiuri (1954). Mais, deux différences doivent être soulignées :
• la première est relative à la coexistence de plusieurs cadres identitaires et à la vicariance des
formes identitaires. Les T.I.P. désignent des structures (d’ordre fondamentalement
sémantiques) sous-jacentes à la représentation d’autrui et de soi-même : elles apparaissent
particulièrement stables et peu sensibles aux contextes. Le modèle de la vicariance des
formes identitaires considère non seulement que le sujet puisse se construire dans des
formes identitaires subjectives différentes, mais il postule aussi que la constitution de soi
dans une forme identitaire déterminée conduit en même temps à se représenter autrui en
privilégiant les dimensions de cette forme subjective. (Par exemple : la dimension
« français » — « immigrés » est certainement fondamentale dans la représentation de soi et
d’autrui d’un individu qui participe à un meeting d’un parti national populiste. Si ce même
individu est agent de production chez Renault, sur le lieu de travail, un collègue de travail
immigré peut être perçu comme « un brave type comme moi » par opposition à « ceux de la
maîtrise »)
• la seconde différence entre T.I.P. et les cadres identitaires touche à la nature des éléments :
les T.I.P. désignent l’intégration de descripteurs de la personnalité. L’idée de cadre
identitaire est plus générale. En plus de ces traits de caractère, elle comprend l’idée de
manières d’être, de parler, de se comporter, etc. Par ailleurs, elle renvoie à la structure des
rapports sociaux entre groupes d’individus.
77 Une autre recherche (Guichard & Falbierski, 1994 ; Guichard & Dosnon, 2000) manifeste
plus directement le rôle des interactions dialogiques dans la formation de certaines
images de soi. Cette recherche s’inspire également (pour une part) de la problématique
de Gilly, Lacour et Meyer. Cette fois, le public est plus âgé : il s’agit de jeunes (de 17 ans
en moyenne) qui ont quitté l’école en échec et se trouvent au chômage et dans une
situation sociale précaire. Deux groupes équivalents (expérimental et témoin) de 12
jeunes furent constitués. Chacun répondit à cinq semaines d’intervalle à deux
questionnaires (utilisant notamment des échelles de Likert) relatifs à ses images
propres et sociales de soi, à ses compétences, à ses représentations des professions, etc.
78 Au cours de ces cinq semaines, le groupe expérimental participa à un stage de quatre
demi-journées. Pendant les stages de ce type (D.A.P.P.I., voir Guichard, 1989 et 1992),
chacun dresse (notamment) la liste des habiletés et des compétences qu’il a pu se forger
à l’occasion de ses expériences les plus diverses. Dans ce repérage, le dialogue avec
autrui est fondamental : c’est à l’occasion d’interactions (en petits groupes de trois) que
chacun énonce (à ses deux camarades qui l’interrogent, acquiescent, lui demandent des
précisions, lui font des suggestions, etc.) ses habiletés et compétences et détermine des
activités nouvelles dans lesquelles s’engager pour en développer certaines.
79 Les résultats de cette étude sont tranchés : les descriptions de soi des jeunes du groupe
expérimental sont nettement plus positives au second questionnaire qu’au premier (on
n’observe pas d’évolution notable dans le groupe témoin). Le modèle des cadres et
formes identitaires vicariantes suggère la lecture suivante de ces données : l’évolution
observée dans le groupe expérimental traduirait les changements ‒ dans les formes
identitaires personnelles de chacun ‒ consécutifs aux activités dialogiques du stage. Ces
jeunes marqués par l’échec scolaire se seraient ainsi découverts dans des formes de
sujets porteurs de compétences professionnelles (dans divers métiers). Ils se seraient
vus dans le prisme inhabituel pour eux ‒ de formes identitaires professionnelles. Le
dispositif expérimental ne permet malheureusement pas de vérifier si cette
transformation est durable plusieurs questionnements auraient été nécessaires pour
s’assurer de la stabilité de cette évolution. (Observons que la méthodologie employée
présuppose que les sujets se perçoivent dans le cadre identitaire que le questionnaire
leur impose).
80 4.3. La construction des formes identitaires subjectives professionnelles (des
« vocations » professionnelles)
81 L’une des « tâches développementales » (Havighurst, 1953) que nos sociétés exigent des
adolescents est qu’ils se construisent des représentations de soi dans certaines formes
identitaires subjectives correspondant à des professions qu’ils pourraient exercer. De
nombreux travaux ont décrit les étapes de cette formation. Parmi ceux-ci, les études de
Bernadette Dumora auprès de populations de collégiens sont d’un intérêt majeur. Cette
dernière repère deux processus dont la conjonction détermine les attentes relatives à
l’avenir. Le premier consiste en une réflexion comparative où le jeune établit des
relations entre lui-même et une ou plusieurs professions. Le second désigne une
réflexion probabiliste par laquelle l’élève évalue ses chances de réussite dans telle ou
telle formation. De la sixième à la troisième, chacune de ces réflexions évolue. Ainsi, la
réflexion comparative, qui était d’abord syncrétique, globale et s’étayait sur la figure
d’un professionnel, s’organise « progressivement en une confrontation et une
objectivation de traits descripteurs du soi et des professions » (Dumora, 1990 p. 118). Le
progrès observé va ainsi d’une liaison « tautologique » entre une représentation d’un
professionnel et de soi (où aucune qualité du sujet ou de la profession n’est évoquée) à
des « comparaisons tensionnelles » (qui reposent sur des dimensions clairement
définies). Par exemple, tel élève de 6e qui se rêve comme footballeur professionnel
(c’est-à-dire : qui se projette métaphoriquement dans cette profession) déclare :
« quelquefois je me fais des images dans ma tête, (rires) ... bien sûr c’est bête, mais je
me vois comme Platini ou Giresse, dans les grands matches ». Telle autre, en troisième,
dont les processus de mise en relation entre soi et la profession sont plus élaborés,
puisqu’il s’agit de comparaisons tensionnelles dit : « parce que j’aime les contacts, (...)
parce que j’aime les études, ( ... ) parce que je veux réussir ma vie, (...) parce que je me
rends compte que dans la vie le métier, c’est une des choses les plus importantes alors
j’hésite moi parce que je veux un bon métier mais je veux faire des études bien ... par
exemple médecine (...) c’est un métier qui me plairait métier pas les études ...
professeur, (...) ça c’est plus dur comme étude, c’est mieux, mais le métier il est moins
bien » (Dumora, 1990, pp. 116-117).
82 Ces observations peuvent être rapprochées de ce que Dubar (1992, 1998a et b) nomme la
transaction relationnelle. Elles correspondent, en effet, à la description de la formation
progressive, chez des adolescents scolarisés, d’anticipations de soi dans des formes
identitaires subjectives professionnelles. Il s’agit donc d’une mise à jour de la
construction des processus de mise en relation entre les formes identitaires proposées
et les formes identitaires assumées.
83 Le second processus décrit par Dumora ‒ la réflexion probabiliste ‒ constitue, pour sa
part, un sorte d’équivalent, dans la logique du champ scolaire, des transactions
biographiques de Dubar. Il s’agit en effet d’un « calcul subjectif dans lequel le sujet
prend la mesure de la coïncidence ou de la différence entre l’espace des possibles et
l’espace des probables » (Dumora, 1990, p. 118). La question à laquelle le collégien doit
répondre est relative au choix d’une formation censée lui assurer le meilleur avenir
possible tout en lui garantissant des chances raisonnables de succès. Dumora observe
que de l’entrée à la sortie du collège, cette réflexion évolue « de la prédiction (certitude
quasi-absolue positive ou négative), à la conjecture (incertitude) et enfin à une stratégie
raisonnée et ordonnée des possibles » (Dumora, 1990, p. 118).
84 Si le contexte scolaire joue un rôle majeur dans l’anticipation de soi dans certaines
formes identitaires professionnelles subjectives, il n’est évidemment pas le seul cadre
social dans lequel un adolescent interagit. Le contexte « communautaire » et le
contexte familial jouent aussi un rôle majeur dans les transactions biographiques
qu’effectue le jeune. C’est notamment ce que montrent les travaux que Paul Willis
(1978) effectua dans les Midlands à la fin des années soixante-dix.
85 Willis observa alors la transition de l’école à la vie active d’adolescents ‒ en échec
scolaire ‒ dont les pères travaillaient dans la sidérurgie lourde. Pour cela, il a dépeint
les manières d’être, de parler, d’interagir avec autrui, les valeurs, certaines
représentations sociales, etc. de ces jeunes et de leurs pères. Cela conduisit Willis à
décrire ce qu’il nomme, d’une part, une « culture » anti école, et, d’autre part, une
culture d’atelier. Ces deux « cultures » sont très similaires. Par exemple, à l’atelier, les
pères de ces adolescents, se répartissent le travail sans respecter les consignes des
chefs d’atelier. De même, à l’école, les jeunes organisent des chahuts visant à
désorganiser les emplois du temps. À l’atelier, comme à l’école, la représentation de soi
et d’autrui se structure selon une opposition fondamentale entre « nous » (« les mecs »,
« ceux qui sont dans le coup », qui font partie du groupe) et « eux » (les « fayots »,
« ceux qui veulent réussir les autres).
86 La principale conclusion de Willis est que la culture anti-école constitue pour ces
adolescents une préparation active à l’entrée dans le monde de l’atelier. Elle peut être
considérée comme manifestant des processus de construction de soi dans une forme
identitaire actuelle anticipant un forme identitaire personnelle probable et
valorisée. Ces processus seraient les suivants.
87 L’organisation de la production et du travail dans la sidérurgie déterminait alors un
puissant cadre identitaire permettant aux ouvriers sidérurgistes d’élaborer une
représentation d’eux-mêmes dans une forme identitaire professionnelle fortement
structurée, particulièrement stable et valorisante à leurs yeux. Par la médiation des
récits familiaux de la vie à l’atelier, les fils de ces ouvriers sidérurgistes se forgeaient
des représentations très précises de soi dans ce cadre identitaire. La culture anti-école
apparaît ainsi comme une sorte de jeu au cours duquel les jeunes apprenaient par
anticipation les manières de faire, d’être, de parler, etc. constitutives de la forme
identitaire professionnelle qui serait la leur quelques mois plus tard dans le cadre
identitaire « ouvrier dans la sidérurgie
88 On peut donc considérer que ces jeux de la culture anti-école constituent des stratégies
identitaires (Camilleri et al., 1990) collectives. Ils conduisent ces adolescents à anticiper
leur position sociale future. Se construisant activement dans ces formes identitaires-là,
ces jeunes ‒ conformément à l’hypothèse de Michel Foucault ‒ acceptent leur lot : ils
participent au maintien de la structure des relations de pouvoir entre groupes sociaux.
89 Les adolescents qu’observe Paul Willis déploient des jeux leur permettant de se
construire dans des formes identitaires subjectives les préparant à leur insertion
professionnelle. Les travaux de Odile Piriou et Charles Gadéa (1999) en constituent une
sorte de complément. Ils montrent en effet comment l’anticipation de soi dans une
certaine forme identitaire professionnelle affecte, de manière réciproque, la forme
identitaire professionnelle subjective effective d’un certain nombre de jeunes
travailleurs.
90 Odile Piriou et Charles Gadéa ont étudié les liens entre les formations, les emplois et les
identités de diplômés en sociologie. Quelques-uns d’entre eux sont devenus des
« sociologues » au sens universitaire de ce mot : ce sont des spécialistes de l’étude des
faits sociaux qui travaillent dans des équipes de recherche. D’autres exercent des
emplois divers, notamment dans le secteur du travail social.
91 Malgré cette différence, les uns et les autres se définissent comme « sociologues
Cependant, aux yeux des auteurs, ces deux identités doivent être distinguées : « il nous
paraît donc nécessaire de ne pas confondre deux manières différentes de s’identifier
comme sociologue : l’une, que nous appellerons professionnelle, consiste à établir entre
son activité et l’image qu’on se fait de la profession un rapport de correspondance. Dire
"je suis sociologue" peut s’interpréter alors comme "mon activité et mon travail sont
semblables à ceux habituellement remplis à ma connaissance par les sociologues".
L’autre forme d’identification, que nous appellerons "culturelle", peut s’interpréter
comme l’affirmation ou la revendication d’une identité de sociologue, en dépit du fait
que dans la vie professionnelle, on n’est pas reconnu comme tel, ou qu’on n’exerce pas
des fonctions correspondant à l’image qu’on se fait de l’exercice professionnel de la
sociologie » (Piriou & Gadéa, 1999, p. 460).
92 Le modèle des cadres et formes identitaires conduit à interpréter un peu différemment
ces mêmes observations. Tous les diplômés de sociologie se sont construits, au cours de
leurs études, un cadre identitaire leur permettant de se représenter « Le Sociologue ».
Les éléments centraux de ce cadre renvoient (si l’on en juge d’après les analyses de
Piriou et Gadéa) à l’image d’un savant effectuant des recherches fondamentales dans
des grands organismes publics et intervenant éventuellement dans le jeu politique pour
dénoncer les systèmes de domination (à la manière de Pierre Bourdieu). On y trouve
également l’idée d’un expert dont l’action vise, soit à éclairer les pouvoirs publics, soit à
résoudre des problèmes dans les institutions et organisations.
93 En se référant à ce cadre identitaire, chaque étudiant s’est construit dans une certaine
forme identitaire subjective anticipant une forme identitaire professionnelle de
sociologue. Certains d’entre eux sont parvenus à une insertion professionnelle
correspondant assez bien à cette anticipation : maîtres de conférence en sociologie, par
exemple.
94 D’autres, en revanche, exercent des emplois éloignés d’une telle forme identitaire :
éducateurs spécialisés, par exemple. La forme identitaire subjective anticipée de
sociologue dans laquelle ils s’apercevaient ne s’est pas effacée pour autant. Cela a une
conséquence : ils se différencient de leurs collègues ‒ éducateurs ‒ en affirmant, par
exemple, qu’ils approchent et traitent de manière différentes ‒ en sociologue ‒ les
questions dont ils ont professionnellement la charge. Autrement dit, ils donnent des
valeurs tout à fait particulières aux éléments du cadre identitaire « éducateurs
spécialisés » quand ils se perçoivent dans une telle forme.
95 Les jeux dialectiques entre cette forme identitaire subjective anticipée (sociologue) et
cette forme identitaire subjective actuelle (éducateur spécialisé) ne seront
certainement pas sans effet sur la carrière professionnelle ultérieure de ces diplômés
en sociologie : le concept de transaction biographique de Dubar suggère une telle
hypothèse.
97 ‒ la première souligne le lien entre les structures des champs sociaux et certaines
dimensions des images de soi du sujet (c’est-à-dire des formes identitaires dans
lesquelles celui-ci se construit ou perçoit les autres). S’agissant plus particulièrement
des jeunes, l’organisation du système scolaire apparaît jouer un rôle fondamental dans
la construction de certains cadres et de certaines formes identitaires. Cette
organisation structure notamment la manière de se représenter la tâche « faire des
choix pour son avenir » ;
98 ‒ la seconde insiste sur le rôle des interactions et des dialogues avec autrui dans la
construction de ces formes identitaires actuelles ou anticipées. Elle souligne que ces
interactions et dialogues se déroulent dans des contextes et cadres sociaux (au sens de
Erving Goffman) ;
99 ‒ la troisième postule que toute société détermine une « offre identitaire » qui
s’organise dans l’esprit de chacun sous la forme d’un système de cadres (cognitifs)
identitaires. Dans un contexte donné et à un moment donné, un individu se construit
dans une forme identitaire subjective déterminée. Ces formes identitaires apparaissent,
de ce fait, doublement susceptibles de vicariance ;
100 ‒ la quatrième considère la « subjectivité » comme relativement malléable. Plus
précisément, la « stabilité » ou la « malléabilité » du soi semblent dépendre d’un
ensemble de facteurs : le développement de la société (l’offre identitaire est plus ou
moins diversifiée selon les sociétés), le degré d’intégration des différents domaines du
cosmos social (et, par là, des différents cadres identitaires) et la variété des interactions
contextualisées dans lequel le sujet s’engage.
101 Dans nos sociétés complexes (et démocratiques) où coexistent une multiplicité de
champs sociaux ayant chacun une « logique propre » et où les individus peuvent
s’engager dans des interactions de diverses natures, la « subjectivité » est certainement
moins stable que dans des sociétés moins différenciées ou plus coercitives. En revanche,
dans des sociétés où la temporalité et l’espace sont structurés par les rythmes d’une
religion dominante en harmonie avec un Etat fort (et souvent coercitif), les formes
identitaires (que ce soit celles du révolution naire ou de l’administrateur) sont
vraisemblablement peu susceptibles de vicariance.
102 Le constat de cette malléabilité de la subjectivité de l’individu des sociétés industrielles
de la fin du 20ème siècle conduit certains auteurs à aller jusqu’à parler de « l’immaturité
de l’âge adulte » (Boutinet, 1998). Ce dernier observe que l’âge adulte, auparavant âge
des perspectives devient celui des problèmes : « celui d’une immaturité engendrée par
des circonstances frustrantes qui rendent vulnérables et risqués les itinéraires de vie
adulte » (Boutinet, 1998, p. 11). Au développement personnel succède le « chaos
vocationnel » (entendu dans un sens différent de Riverin-Simard, 1996) : « si nous
entendons par chaos vocationnel une extrême sensibilité des trajectoires existentielles
à certaines conditions extérieures faites de fractures, ruptures, déstabilisations,
interdisant pour l’ avenir toute prédiction, alors nous dirons que l’adulte ne semble
plus à même de gérer une série d’étapes, de transitions, de crises au sein d’un itinéraire
qu’il voudrait orienté. Il se trouve confronté à une suite d’événements déstabilisateurs
qui vont désorganiser les cadres au sein desquels il évoluait » (Boutinet, 1998, p. 76).
103 Vicariance des formes identitaires et conseil en orientation
104 Cette plus grande malléabilité de la subjectivité est certainement l’une des raisons pour
lesquelles le siècle du souci de soi, le siècle de l’école 4 est aussi celui du conseil
109 Il semble qu’à l’adolescence, ce soit la situation inverse qui prévale. Erikson considère
cette période comme un moratoire psychosocial au cours duquel l’adolescent doit
intégrer des sentiments d’identité propres aux stades de l’enfance. Il note « dans leur
quête d’un nouveau sentiment de continuité et d’unité vécue (sameness) qui doit
inclure désormais la maturité sexuelle, certains adolescents doivent encore une fois se
colleter aux crises des premières années, avant de pouvoir installer des idoles et des
idéaux durables comme gardiens d’une identité finale. Ils ont besoin avant tout d’un
moratoire pour intégrer des éléments d’identité assignés (u..) aux stades de l’enfance »
(Erikson, 1972, p. 125).
110 Dans nos sociétés, l’adolescence (et la jeunesse adulte) constituent des phases où
l’individu fait l’essai de formes identitaires transitoires. Ces expérimentations lui
permettent d’accélérer la construction de son système subjectif de formes identitaires
(dont l’évolution est souvent plus lente par la suite). Les formations transitoires et la
diversité des subcultures juvéniles constitueraient ainsi des moyens de cette
construction. On connaît les deux dangers qui, d’après Erikson, menacent alors
l’adolescent : la confusion d’identité, d’une part, et la forclusion, d’autre part. Dans le
modèle esquissé ici, la première désigne l’incapacité de se reconnaître de manière
stable dans un système subjectif de formes identitaires. La seconde fait référence à
l’enfermement dans quelques formes identitaires, enfermement qui peut être lié à une
pression de la famille ou déterminé par des événements plus directement politiques
(comme des conflits inter-ethniques).
111 Ces considérations ne sont pas sans conséquence s’agissant des pratiques de conseil en
développement de carrière. Elles conduisent en effet à définir une première ligne de
partage entre elles. Certaines de ces pratiques peuvent avoir pour finalité d’amener
l’adolescent à se stabiliser dans une forme identitaire déterminée. D’autres
peuvent poursuivre l’objectif inverse.
112 Toutes les activités visant à aider le consultant à se décider relèvent du premier type
d’interventions. Se déterminer, c’est en effet se disposer à se construire dans une forme
ou quelques formes identitaires déterminées. C’est prendre le parti de faire
progressivement de cette (ou ces) forme(s), une (ou des) forme(s) identitaire(s)
subjective(s) (« c’est comme ça que je me vois dans l’avenir »). L’engagement effectif
dans l’activité (de formation, professionnelle, collective, personnelle, etc.) constitue
évidemment une étape indispensable dans ce processus de stabilisation.
113 Les pratiques d’orientation visant à aider le consultant à s’engager dans un processus
de transition poursuivent l’objectif inverse. Il peut s’agir d’aider la personne à se
« déprendre » de certaines formes identitaires : c’est souvent ce que signifie
l’expression « développer la flexibilité ». Certaines interventions se proposent d’aider
chaque adolescent à construire un système subjectif de formes identitaires qui soit à la
fois riche, diversifié et articulé. On favorisera alors « l’exploration ». C’était l’objectif du
« tour d’Europe » que faisait le jeune bourgeois aux 18ème et 19 ème siècles. Aujourd’hui,
c’est l’un des objectifs des méthodes telles que D.A.P.P. (brièvement résumées ci-dessus,
voir Guichard & Dosnon, 2000. Ces méthodes ne peuvent cependant faire plus que de
stimuler le jeune à s’engager dans les activités nécessaires à la diversification des
formes identitaires dans lesquelles il se construit).
114 Les fins d’une activité sont toujours définies en fonction de certaines valeurs. C’est bien
entendu le cas des pratiques de conseil. Elles relèvent des techniques de soi, dont on
connaît l’analyse qu’en fit Michel Foucault. Pour ce dernier (1988), il s’agit de
de leurs formes identitaires. Par exemple, elles stimulent l’engagement dans des
activités exploratoires. D’autres pratiques peuvent viser l’objectif opposé : celui d’aider
l’individu à se stabiliser dans une forme identitaire professionnelle en vue de s’engager
dans une carrière professionnelle définie. Cette opposition est représentée sur la
dimension est-ouest de la figure 1. La seconde dimension (nord-sud) distingue les
pratiques quant à leurs finalités politiques et sociales (implicites ou explicites) : visent-
elles à réduire les inégalités sociales (par exemple : en allant vers des publics
prioritaires) ou, au contraire, à les maintenir, voire à les accroître (par exemple, en se
contentant de répondre aux demandes d’une certaine clientèle) ? Aux quatre coins de
la figure sont indiqués des exemples de pratiques que l’on peut considérer comme
caractéristiques de chacun des deux pôles les plus proches. Ainsi, l’approche
psychotechnique des conseillers d’orientation professionnelle du début du siècle se
proposait explicitement de construire une société plus juste (fondée sur une exacte
détermination des aptitudes de chacun plutôt que sur l’héritage) et visait la
stabilisation de l’individu dans une forme identitaire professionnelle définie,
correspondant à ses aptitudes (conçues comme stables). L’éducation à l’orientation des
professeurs (au sud-ouest) tout en poursuivant un but semblable de stabilisation dans
une forme identitaire semble plutôt aller dans le sens de la conservation de la structure
sociale.
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NOTES
1. « Subjectivité », dans ce texte, est un mot « fourre-tout » renvoyant à ce qu’approche, chacun
dans son cadre théorique, des concepts comme « ego », « self », « person », « identity », « basic
personality structure », « habitus », etc.
2. La dysharmonie des positions dans différents champs marque les représentations des
professions. Dans l’étude évoquée plus haut (Guichard et al., 1994), on s’est intéressé notamment
aux « cartes cognitives » des professions de certains adolescents qui occupent des positions
contrastées dans différents champs (par exemple : des lycéens se trouvant dans une formation
prestigieuse, mais ayant des pratiques culturelles « populaires » qui les distinguent de la grande
majorité de leurs condisciples ou encore des apprentis-mécaniciens dont les pratiques culturelles
« distinguées » les différencient des autres apprentis). De tels sujets sont très minoritaires. Il est
donc difficile de tirer des conclusions fermes de ces observations. Néanmoins, dans tous les cas,
les cartes cognitives des professions de ces adolescents se distinguent de celles de leurs
camarades. Par exemple, les lycéens occupant une position privilégiée dans le système scolaire
mais dont les pratiques culturelles sont populaires se représentent les professions valorisées à la
manière des jeunes aux goûts populaires (ce qui les différencie de leurs camarades de classe)
alors qu’ils perçoivent les professions moins valorisées de la même manière que leurs camarades.
3. Notons que, d’un point de vue pédagogique, un tel résultat est capital : on sait que l’image de
soi comme bon ou mauvais élève n’est pas simplement un produit des résultats scolaires. Cette
image (de bon ou mauvais élève) joue un rôle dans la production de ces (bons ou moins bons)
résultats : elle détermine un certain fonctionnement cognitif (Monteil, 1988, 1990).
4. La question de la pertinence de l’école en tant qu’institution de socialisation semble se poser
aujourd’hui avec de plus en plus d’acuité.
5. Soulignons que, dans le modèle de la vicariance des formes identitaires, la force d’une telle
forme identitaire n’a pas pour conséquence que le sujet, dans un autre contexte, ne puisse se
construire dans une autre forme identitaire (par exemple : militant syndical). Sainsaulieu (1998)
souligne ainsi qu’avec la fin du plein emploi garanti à vie, « la socialisation des adultes tend à
reposer sur plusieurs dynamiques sociales adjacentes : l’entreprise, l’association, la formation
permanente ». La question reste cependant ouverte du système des formes identitaires, c’est-à-
dire des liens qui les relient de manière essentielle ou non : la transformation d’une forme
identitaire affecte-t-elle certaines autres ou toutes les autres ?
6. Ce tableau — qui porte sur les objectifs et finalités des pratiques en orientation — ne vise pas à
décrire des types de demandes adressées au conseiller d’orientation-psychologue. On sait que
certaines correspondent soit à une simple recherche d’information, soit à la définition d’une
stratégie relative à un but scolaire ou professionnel explicite (par exemple, pour un élève
raisonnant selon une « logique d’excellence » (Dumora, 1990) : « quels sont les investissements
scolaires les plus rentables dans sa situation ? »). D’autres demandes sont plus ambiguës, voir
même paradoxales (pour reprendre la terminologie proposée par Zarka, 2000). C’est le cas, par
exemple, de ceux qui se trouvent (si l’on reprend les analyses de Dumora, 1990) dans une
situation « d’expectative » ou adoptent une « logique de résignation ». Leur question
fondamentale est en effet la suivante : leur faut-il (ou leur faudra-t-il) faire ou non le deuil de
certaines formes identitaires scolaires, professionnelles (ou même personnelles) dans lesquelles
ils anticipaient de se construire ? L’enjeu de l’interaction de conseil est à leurs yeux majeurs. Il
est par conséquent vraisemblable que ces jeunes soient prêts à s’engager dans une réflexion avec
le conseiller d’orientation-psychologue relative aux formes identitaires qu’ils pourraient faire
leurs. En revanche, ceux dont la logique est celle, soit de l’excellence, soit de la rationalisation,
soit de l’illusion n’y sont certainement pas prêts. Ils peuvent même y être hostiles. Quelle sera
l’attitude du conseiller ? Peut-il les stimuler à s’y engager ? Le doit-il ?
RÉSUMÉS
Le vingtième siècle a été marqué par un foisonnement conceptuel relatif à l’individu, au « soi », à
« l’identité », etc. Au moins six grands courants de pensée peuvent être distingués. Certains
d’entre eux relèvent le rôle des structures sociales ou des interactions ou d’interlocutions dans la
formation de la « subjectivité » alors que d’autres se centrent beaucoup plus sur le « sujet » en
tant que tel. Le modèle des cadres et des formes identitaires vicariantes se propose d’intégrer ces
différentes approches. Il distingue les cadres identitaires (schémas cognitifs relatifs aux
catégories de personnes que l’expérience sociale conduit les membres d’une société à concevoir)
et les formes identitaires (dans lesquelles ceux-ci perçoivent autrui et se construisent). Ce modèle
postule que ces cadres forment un système cognitif. Il pose que les formes identitaires subjectives
(dans lesquelles les individus se construisent) sont susceptibles de vicariance : elles dépendent
notamment des contextes où l’individu interagit (de ses interactions et interlocutions). La
subjectivité (l’identité) est ainsi conçue comme le système unifié et structuré des formes
identitaires dans lesquels l’individu se construit et se représente. La stabilité ou la malléabilité du
soi dépendent ainsi des degrés (l) de développement de la société et (2) d’intégration des
différents domaines du cosmos social ainsi que de la variété des interactions contextualisées dans
lesquelles le sujet s’engage. Plusieurs validations indirectes de ces hypothèses sont proposées.
Elles permettent de comprendre le rôle que les interlocutions jouent dans la construction de soi,
lors d’interactions de conseil. Elles conduisent à s’interroger sur les finalités et les objectifs des
pratiques en orientation.
The twentieth century has been marked by a conceptual proliferation relating to the individual,
to the self », to identity etc. A least six broad streams of thought can be differentiated. Some of
them relate to the role of social structures or of interactions or dialogues in the formation of
subjectivity whereas others are more focused on the subject him or herself. The model of
vicariant identity frames and forms aims at integrating these different approaches, It
distinguishes identity frames » (cognitive schemata relative to the main characteristics of
individuals belonging to one of the categories of people which our social experience leads us to
identify and identity forms (in which one constructs him/herself and perceives others). This
model postulates that these frames are organised in a cognitive system. It proposes that that the
subjective identity forms (in which individuals construct themselves) are susceptible to
vicariance (in particular, they depend on the context in which the individual interacts (of his/her
interactions or dialogues). Subjectivity (identity) is then conceived as a unified and structured
system of identity forms in which individuals construct and represent themselves. The stability
or malleability of the self depends upon degrees (1) of development of society and (2) of
integration of different domains of the social cosmos, as well as the variety of interactions in
contexts in which subjects become involved. Different indirect validations of these hypotheses
are proposed. This approach allows use to understand the role of dialogues in self-construction
during counselling interactions. It leads to questions on the ends and objectives of guidance
practices.
INDEX
Keywords : Identity, self, subjectivity, field, habitus, frame, vicariance, governmentality,
counselling
Mots-clés : Identité, soi, subjectivité, champs, habitus, cadre, vicariance, gouvernementalité,
conseil
AUTEUR
JEAN GUICHARD
Professeur de Psychologie, directeur de l’I.N.E.T.O.P. guichard@cnam.fr
Analyses bibliographiques
RÉFÉRENCE
Bailet, J.M. (1999). L’éducation routière. Paris : P.U.F. Que sais-je ? N°3522
AUTEURS
FRANCIS DANVERS
Professeur, Université de Lille
RÉFÉRENCE
Clot Y. (dir) (1999). Avec Vygotski. Paris : La Dispute, 304 pages.
1 La redécouverte des travaux et des idées de Vygotski, comme les interrogations laissées
en suspens par ce psychologue russe du début du Siècle, ont encouragé des chercheurs
d’horizons intellectuels variés à organiser un colloque consacré à ce penseur, colloque
dont est issue cette publication.
2 Un point focalisera la plupart des contributions : celui des rapports complexes existant
entre la Pensée et le Langage, (c’est également le titre de l’ouvrage de référence de L.
Vygotski). Mais l’enjeu de cette pensée réside également dans sa « fluidité », eu égard
aux découpages disciplinaires, en particulier pour ce qui est des rapports entre la
socialisation et les apprentissages. « La lecture de Vygotski ouvre sur une conception
non strictement génétique, et pour tout dire historique du développement individuel.
Nous n’avons pas affaire, avec le sujet humain, à un développement sans histoires, à
une trajectoire sans surprises », écrit Yves Clot (p. 10).
3 Traitant du statut de la conscience chez Piaget et Vygotski, Jean-Paul Bronckart met
l’accent sur les différences opposant ces deux auteurs : c’est la posture à l’égard du
langage et son rôle dans le développement cognitif qui différencie Piaget et Vygotski.
Dans son ouvrage La formation du symbole, « Piaget ne semble y prendre au sérieux ni
le statut des signes langagiers, ni le rôle des interventions de l’entourage humain ; et ce
faisant, les processus par lesquels l’organisme humain accède à la maîtrise de son
propre fonctionnement psychique demeurent, comme les lecteurs attentifs de Piaget
l’auront constaté, largement mystérieux » (p. 22). Or c’est précisément cette maîtrise de
son fonctionnement psychique qui définit la conscience aux yeux de Vygotski.
L’histoire de chaque sujet est l’histoire d’une relation dialectique entre son
développement cognitif et affectif dans leur rapport avec la socialisation qui passe par
l’internalisation du langage, des signes et des mots. Ainsi, « la prise de conscience se
manifeste aussi comme réaction à une stimulation (en l’occurrence à une stimulation
sociale), et il convient dès lors de l’étudier dans le cadre plus général de l’ensemble des
réactions constitutives du comportement humain » (p. 29). Ces différences ‒ et bien
d’autres ‒ entre Piaget et Vygotski tiennent essentiellement à des a priori
philosophiques que J-P. Bronckart exprime ainsi « Si Piaget est le descendant de
Descartes et de Kant, Vygotski se situe quant à lui clairement dans la continuité des
positions de Spinoza, de Hegel et du marxisme, et sa thèse de la double origine
(biologique et socio-sémiotique) de la pensée consciente humaine peut être considérée
comme un équivalent, au plan ontogénétique, de la thèse de l’hominisation formulée
par Engels dans La Dialectique de la nature » (p. 32).
4 Pour Gérard Vergnaud, les différences entre Piaget et Vygotski ne doivent pas
escamoter la convergence entre leurs pensées. « Tous deux ont pour ambition
d’élaborer une théorie de la représentation et, s’ils n’en ont pas la même vision, ils sont
autant l’un que l’autre attentifs à analyser les processus de représentation le plus
soigneusement possible, en avançant des définitions et des thèses précises » (p. 46).
Pour autant, là où Piaget voyait dans le monologue infantile l’expression d’une forme
égocentrique de rapport à la langue, Vygotski pose d’emblée que le langage est d’abord
socialisé et ce n’est qu’à posteriori qu’il devient subjectif suite au processus
d’internalisation.
5 Contemporain de S. Freud, Vygotski ne pouvait rester insensible à la théorie
psychanalytique avec laquelle il partage l’hypothèse de l’existence d’une vie psychique
dépassant le seul cadre de la conscience. Bernard Doray analyse les rapports
historiques et idéologiques ayant contribué au développement de la psychanalyse en
U.R.S.S. et partant, à susciter l’intérêt de Vygotski pour cette pensée naissante. Si
Vygotski reconnaît à la psychanalyse un apport pour ce qui est de la connaissance des
mobiles de l’action, des rapports existant entre la pensée et l’ordre symbolique, il
s’interroge sur son efficacité sociale et individuelle. La vision « enfantine et pansexuelle
de l’humain » (importance du complexe d’Œdipe) est des plus critiquables à ses yeux.
Ainsi, le désir n’est pas appréciable en dehors des conditions sociales vécues par le
sujet.
6 Wallon et Vygotski : à bien des égards, et même si ces deux auteurs ne se sont jamais
rencontrés, leurs conceptions relatives au psychisme et au développement humains
sont très proches, notamment pour ce qui est de l’importance des conditions sociale et
intersubjectives à travers lesquelles l’individu agit et se « représente le monde ». Gaby
Netchine-Grynberg et Serge Netchine se proposent d’interroger leurs pensées à travers
la notion de « mondes communs » : Comment Wallon et Vygotski ont « cherché à
donner au "fait" psychologique, compris comme unité qui fait sens dans l’activité
fonctionnelle et relationnelle, une détermination qui l’inscrive dans des "mondes
communs" et surtout qu’apporte leur œuvre psychologique à la compréhension de la
formation de ces "mondes communs" ? » (p. 82). C’est l’importance de la dialectique
entre action et développement qui rapprochera ces deux auteurs, dialectique
socialement située : ainsi, l’individu ne peut être sans partager avec autrui des
significations et des références communes, partage qui passe par la dynamique des
rapports intersubjectifs et langagiers.
7 Vygotski et Wallon accorderont un statut princeps à la pensée. C’est l’objet de la
contribution de Michel Deleau qui précise que « Pour l’un comme pour l’autre,
l’organisation psychologique est construite de façon médiate par la culture d’une
communauté. [Par ailleurs] pour analyser la constitution d’un plan proprement
soumis à l’univers des mots d’autrui dans lesquels le locuteur cherche appui. Bakhtine
ira plus loin que Vygotski dans l’exploration des rapports subjectifs aux mots et du
statut de la signification, en particulier à travers son concept de « genre » qui lui
permet de mieux penser l’expérience de l’intersignification dans son rapport avec les
contextes sociaux concrets.
11 Frédéric François poursuit le débat en s’interrogeant sur le statut des mot et dialogue
chez Vygotski et Bakhtine. Vygotski différencie sens et signification du mot. « Vygotski
met l’accent sur la différence entre l’écrit d’une part et le dialogue oral et le discours
intérieur fondés sur le primat du sens, la référence partagée et non explicitée » (p. 194).
Mais la question qui se pose est bien de savoir comment l’enfant en vient, via « la zone
proximale de développement » à recevoir les mots de l’autre qu’est l’adulte. Bakhtine
observe que la compréhension du mot est de nature dialogique puisqu’elle oppose « à la
parole du locuteur une contre-parole » (p. 198).
12 C’est à la psychologie du développement que Vygotski semble avoir le plus contribué.
Michel Brossard traite de la relation apprentissage et développement, notamment à
travers le concept de « zone proximale ». Deux périodes caractérisent l’apprentissage :
une période interpsychique, au cours de laquelle l’adulte met à la disposition de
l’enfant des contenus culturels ; une période intrapsychique, en particulier au moment
de l’apprentissage scolaire qui génère progressivement un travail d’appropriation
interne. « La zone proximale de développement se transformerait au cours d’un
apprentissage, passant d’une forme interpsychologique à une forme
intrapsychologique » (p. 211). L’apprentissage conduit au développement de nouvelles
ressources qui ne manquent pas de retentir sur les connaissances que l’individu s’est
appropriées antérieurement (ainsi en est-il de l’apprentissage d’une langue étrangère
qui « va transformer les rapports que le sujet entretient avec sa langue maternelle »,
p. 213),
13 Vygotski posait d’emblée que tout développement affectif et cognitif s’opère dans des
rapports contradictoires engageant l’individu et autrui. Ce sont ces contradictions que
Lucien Sève tente de mettre à jour à la lumière des conceptions de Piaget, Vygotski et
Marx. Après avoir souligné que Piaget n’a pas pensé la contradiction mais plutôt
l’opposition à l’action individuelle, Sève considère que Vygotski a été à l’origine d’une
théorie nouvelle : « l’externe "le milieu social" n’est pas ici vraiment autre chose que
l’interne — le psychisme individuel- L...] dans le développement culturel de l’enfant, il y
a au fond identité de ces deux pôles contraires d’une même réalité, le psychisme
humain, lequel existe et se développe à la fois dans les individus et hors de chacun pris
à part, passant de façon incessante du dehors au dedans et réciproquement » (p. 230).
Ainsi, le développement psychologique est social avant d’être subjectif ; il s’ensuit qu’à
la différence de Piaget, Vygotski postule que « Le développement des formes
psychiques n’est pas génétique mais appropriatif d’un psychisme historiquement
accumulé sous forme de rapports sociaux entre les humains » (pp. 233-234). L’influence
marxiste est tangible dans cette perspective (« L’Homme, c’est le monde de l’homme »
disait l’auteur du Capital).
14 La contribution de Pierre Rabardel revient sur le statut du langage chez Vygotski et des
ouvertures théoriques qu’une telle conception apporte à la méthode instrumentale en
psycho logie. Comme l’outil, le signe contribue à l’activité médiatisée. Ce point est
fondamental puisqu’il fait accéder le langage à un statut d’instrument ayant une
existence en soi et participant du développement cognitif ainsi que de la réalisation de
AUTEURS
AZIZ JELLAB
Université de Paris VIII- E.S.C.O.L.
Ernould-Dubois, A. ‒ Offre de
compétences et mobilité
professionnelle. Un projet pour quoi
faire ?
Monique Wach
RÉFÉRENCE
Ernould-Dubois, A. (1999). Offre de compétences et mobilité professionnelle. Un projet
pour quoi faire ? Collection acteurs sociaux. Levallois Perret : Éditions Yves Michel.
1 Parmi les nombreux ouvrages sur les compétences et le projet professionnel cet
ouvrage d’Anne Ernould-Dubois se distingue par sa façon de conjuguer un témoignage
vivant et des pistes de réflexion bien structurées. Cette nouvelle collection « Acteurs
sociaux » dirigée par Odile Martin Saint Léon donne la parole à des praticiens qui
proposent une vision sociale où tous les acteurs sociaux pourraient avoir leur place.
2 Dans l’introduction l’auteure précise son objectif. « Quel nouveau souffle apporter à
cette mobilité des têtes et des cœurs pour retrouver plus de lien social, pour réduire les
écarts entre ces deux catégories d’exclus : ceux qui n’ont plus le temps de vivre à cause
d’une surpression au travail et ceux qui n’ont plus l’espace de vivre à cause de leur
exclusion du monde de l’emploi ? ». Tout au long de l’ouvrage elle pointe, interroge les
injonctions paradoxales auxquelles sont soumis de nombreux individus aux parcours
non linéaires.
3 Pour fonder son propos, Anne Ernould-Dubois retrace son propre parcours
professionnel en utilisant la méthode de l’histoire de vie « D’un parcours singulier, il
s’agit de repérer les liens et les évolutions et d’utiliser cette connaissance pour mieux
gérer "l’à-venir". Selon Jean-Paul Sartre, l’homme se caractérise avant tout par le
dépassement d’une situation, par ce qu’il parvient à faire de ce que l’on a fait de lui ». Par là elle
AUTEURS
MONIQUE WACH
Chercheur en sciences sociales à l'Institut national d'étude du travail et d'orientation
professionnelle, INETOP-CNAM
RÉFÉRENCE
Larrosa, J. (1998). Apprendre et être. Langage, littérature et expérience de formation.
Paris, E.S.F : Collection Pédagogies/Essais (p. 169).
AUTEURS
JEAN-PIERRE CARTIER
I.N.E.T.O.P./C.N.A.M.