Vous êtes sur la page 1sur 216

L'orientation scolaire et professionnelle

29/1 | 2000
Le conseil en orientation

Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/osp/12822
DOI : 10.4000/osp.12822
ISSN : 2104-3795

Éditeur
Institut national d’étude du travail et d’orientation professionnelle (INETOP)

Édition imprimée
Date de publication : 15 mars 2000
ISSN : 0249-6739

Référence électronique
L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000, « Le conseil en orientation » [En ligne], mis en ligne
le 04 novembre 2020, consulté le 02 juillet 2021. URL : https://journals.openedition.org/osp/12822 ;
DOI : https://doi.org/10.4000/osp.12822

Ce document a été généré automatiquement le 2 juillet 2021.

© Tous droits réservés


1

SOMMAIRE

Le conseil en orientation : introduction


Serge Blanchard

L’acte de Tenir conseil


Alexandre Lhotellier

Que peut apporter la théorie de l’attachement aux psychologues du conseil ?


Pascal Mallet

Pourquoi les praticiens disent-ils que « la théorie n’est pas utile à la pratique » ? une
proposition pour adapter la pratique aux exigences du 21ème siècle
Alison J. Fielding

Conseil et développement de carrière tout au long de la vie


Norman C. Gysbers, Mary J. Heppner et Joseph A. Johnston

Counseling personnel, counseling de carrière et psychothérapie


Conrad Lecomte et Vincent Guillon

Conseils et Limites
Limites du conseil, au-delà des limites. L’appel sans espace, l’espace des appels
Josette Zarka

Contrats de communication et entretiens d’orientation, dispositifs clinique ou psychosocial ?


Claude Chabrol

Cadres et formes identitaires - Vicariantes et pratiques en orientation


Jean Guichard

Analyses bibliographiques

Bailet, J.-M. ‒ L’éducation routière


Francis Danvers

Clot, Y. ‒ Avec Vygotski


Aziz Jellab

Ernould-Dubois, A. ‒ Offre de compétences et mobilité professionnelle. Un projet pour quoi


faire ?
Monique Wach

Larrosa, J. ‒ Apprendre et être. Langage, littérature et expérience de formation.


Jean-Pierre Cartier

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


2

Le conseil en orientation :
introduction
Career counseling : introduction

Serge Blanchard

1 Au cours de ces vingt dernières années, les institutions en charge de l’orientation


scolaire et professionnelle se sont différenciées et le nombre de conseillers a beaucoup
augmenté. Actuellement, les activités de conseil en orientation occupent environ 10 000
conseillers, qui reçoivent surtout des jeunes (public scolaire et jeunes de moins de 25
ans) dans les centres d’information et d’orientation (C.I.O.), les missions locales (M.L.)
et les permanences d’ accueil pour l’information et l’orientation (P.A.I.O.), et environ
20 000 conseillers, qui reçoivent surtout des jeunes sortis du système scolaire et des
adultes dans les agences locales de l’agence nationale pour l’emploi (A.N.P.E.), dans les
centres de l’association pour la formation professionnelle des adultes (A.F.P.A.) et dans
les Centres Interinstitutionnels de Bilan de Compétences (C.I.B.C.). Si l’on ajoute à ces
structures, les services de conseil dispensés par des personnels travaillant dans des
associations, comme par exemple Retravailler (Sullerot, 1996 ; Pegeault & Ber-
Schiavetta, 1997), ou dans des services existant au sein même d’entreprises publiques
(Hurbin, 1997), ou au sein d’entreprises privées (Loss & Parlier, 1996), ce sont plus de
30 000 personnes qui exercent des fonctions de conseil en orientation en France.
2 On sait par ailleurs que le conseil s’est étendu à de nombreux domaines, comme ceux
du conseil conjugal (Lemaire, 1986), de l’animation de divers groupes d’aide à des
personnes qui cherchent, par exemple, à perdre du poids ou à arrêter de fumer, de la
psychologie de la santé (Tourette-Turgis, 1996), de l’aide téléphonique aux candidats au
suicide (Lancry, 2000), etc. De plus, de nombreux professionnels dont ce n’est pas la
fonction principale (médecins généralistes, infirmières, assistantes sociales, etc.) ont
fréquemment l’occasion d’avoir une activité de conseil. Si c’est essentiellement la
question du conseil en orientation qui est traitée dans ce numéro, bien des questions
qui y sont abordées concernent aussi d’autres champs du conseil, d’autant que le
courant nord-américain du counseling tend à élargir le conseil en orientation au

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


3

conseil personnel et même à la thérapie. Les questions abordées dans ce numéro


intéressent donc un large public.
3 Après avoir présenté les principaux thèmes de réflexion qui sont développés dans les
articles de ce numéro, nous aborderons la question des relations entre les théories et
les pratiques du conseil en orientation.

1. Quelques réflexions et propositions sur les théories


et les pratiques du conseil en orientation
4 Dans ce numéro consacré au thème du conseil en orientation, nous avons choisi de
présenter des points de vue divers : cinq articles d’auteurs français, deux articles
d’auteurs anglophones (une anglaise, trois américains des Etats-Unis) et un article d’un
québécois et d’un français. Notons toutefois que tous situent leur réflexion dans le
champ de la psychologie.
5 En premier lieu, il paraît important de s’arrêter sur la définition du mot conseil.
L’activité de conseil en orientation consiste-t-elle uniquement à donner des conseils ?
Rappelons que le mot conseil renvoie à deux sens principaux, comme l’atteste la
définition suivante extraite du Dictionnaire historique de la langue française d’A. Rey (1995,
p. 477).
6 CONSEIL, nom masculin, est issu (v. 980) du latin consilium d’abord employé dans la
langue juridique pour « endroit où l’on délibère » par métonymie « consultation,
délibération », et passé dans la langue commune au sens de « projet, dessein » et
notamment « dessein mûri et réfléchi » d’où « bon avis, sagesse, prévoyance ».
Consilium est dérivé de consulere, « réunir pour une délibération » (consulter).
7 Le mot apparaît avec le sens de « avis que l’on donne à qqn sur ce qu’il doit faire », dont
participe la locution proverbiale la nuit porte conseil (1611) ... Un autre emploi
métonymique, « personne ne qui porte conseil, qui donne des conseils » (fin XIIe s.) a
disparu au profit de conseiller, mais s’est maintenu dans certaines professions
juridiques avec la valeur de « personne qui en assiste une autre dans la direction de ses
affaires » (conseil fiscal et dans des titres, ingénieur-conseil) : cf. consultant. Le sens de
« réunion de gens qui délibèrent, délibération » (1080) connaît depuis l’ancien français
une grande vitalité dans la dénomination d’institutions, héritées pour certaines de
l’Ancien Régime (conseil d’Etat, 1790), apparus plus récemment pour d’autres : conseil
général (1871), conseil régional (1972), propres à l’usage du français en France, ou
conseil de l’Europe (1979).
8 Or, lorsqu’on évoque le mot conseil, c’est plus souvent l’acception « donner un conseil »
qui vient généralement à l’esprit ainsi que les maximes et les proverbes qui en dénient
l’utilité [par exemple : Il est toujours stupide de donner des conseils, mais en donner de bons
est absolument fatal. (Oscar Wilde, Portrait of Mr. W. H.)]. Pourquoi se méfie-t-on
généralement des conseils ? Shaftesbury (1710/1993), philosophe anglais (1671-1713),
propose une explication dans ses Exercices :
9 « En bien des occasions, j’ai entendu dire par des gens de bon sens que "En fait de
conduite privée, un CONSEIL n’a jamais amélioré personne" et j’ai souvent pensé quelle
mauvaise maxime c’est là. Mais à examiner la chose davantage, j’ai conclu qu’on
pouvait accepter cette maxime sans porter grand tort au genre humain. Car si l’on
songe à la manière dont un conseil est généralement donné, il n’y a pas de raison, je

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


4

pense, de s’étonner qu’il soit si mal reçu. Il y a là quelque chose qui renverse
étrangement la situation et fait que celui qui donne est le seul à y gagner. Car, d’après
ce que j’ai pu observer maintes fois dans la vie, ce que nous appelons donner un conseil,
c’est proprement saisir une occasion de montrer notre propre sagesse aux dépens
d’autrui. De l’autre côté, se faire instruire, ou recevoir un conseil dans les conditions
qui nous sont habituellement imposées, ce n’est guère mieux que de docilement donner
à autrui l’occasion de se faire une qualité de nos défauts.
10 En réalité, aussi capable ou désireux de conseiller qu’un homme puisse être, ce n’est pas
chose aisée que de faire d’un CONSEIL un don gratuit. Car pour qu’un don soit vraiment
gratuit, il ne doit rien s’y trouver qui prenne à autrui pour nous apporter à nous-
mêmes. A tous autres égards, donner et dispenser, c’est générosité et bienveillance ;
mais prodiguer de la sagesse, c’est se donner une allure de Maître qu’on ne nous permet
pas si facilement. Les hommes apprennent volontiers toute autre chose qu’on leur
enseigne. Ils peuvent supporter un Maître de mathématiques, de musique, ou de
n’importe quelle autre science ; mais pas d’entendement et de bon sens ».
11 C’est à définir précisément le sens du tenir conseil qu’Alexandre Lhotellier s’attache dans
son article. Tenir conseil, selon lui, doit être entendu comme une délibération en vue
d’agir, démarche impliquant :
• la création d’une relation dialogique ;
• la construction méthodique et plurielle du sens d’une situation-problème,
• un travail sur le temps, c’est à dire une prise en compte du moment et du rythme ;
12 en vue d’élaborer une décision fondatrice d’une action sensée, responsable et
autonomisante.
13 Selon sa conception, tenir conseil ne vise pas seulement une intention, un choix à faire
ou une décision à prendre, mais aussi, fondamentalement, à réaliser un acte. Cet agir en
situation d’une personne en devenir demande, pour qu’il prenne sens :
• une auto-réflexion critique, et les discours produits ne sont pas tous des rationalisations
sommaires, des illusions, des idéologies fausses ;
• une capacité d’action délibérée.
14 La pratique du tenir conseil doit être régulée par une évaluation et il serait
particulièrement important de savoir quelles représentations s’en font les usagers des
institutions de conseil en tous genres. Le tenir conseil renvoie finalement à une
dimension éthique : si l’on veut que le savoir ne se réduise pas à une consommation
futile, mais au contraire se développe dans un vrai travail de soi, il y a bien nécessité de
tenir conseil.
15 Certaines des idées développées par Alexandre Lhotellier à propos du tenir conseil
semblent assez proches de la philosophie stoïcienne de Marc Aurèle, dont les règles de
pensée et d’action invitent à « vivre en pleine conscience, en pleine lucidité, donner
toute son intensité à chacun de ses instants et un sens à sa vie tout entière » (Hadot,
1997, p. 333). La démarche du tenir conseil paraît donc étroitement liée à une pensée
qui relève de la psychologie philosophique. « Pour Paul Ricœur, il y a une psychologie
philosophique qui n’est pas de l’ordre de la connaissance qui, elle, est scientifique, mais
de l’ordre d’une pensée soit déductive, soit réflexive. Elle se pose sur l’homme trois
2D ici, elle cherche à établir ou à
questions : "Que puis-je savoir ‘ ?’’ "Que puis-je faire ?" F0
justifier une éthique 2D et enfin "Que puis-je espérer ?" Question à laquelle ne peut
F0

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


5

répondre qu’une prospective où prédomine la recherche du sens de notre vie »


(Fraisse, 1985, p. 335).
16 Cette démarche du tenir conseil s’appuie également sur les savoirs locaux limités
(opposés aux savoirs sans limites fournis par les systèmes qui proposent une
explication globalisante du monde et qu’on appelle mythes) de la psychologie
scientifique, savoirs non disponibles à l’époque de Marc Aurèle, par exemple des savoirs
sur les aspects émotionnels à prendre en compte au cours de la conduite de l’entretien
de conseil, un thème que l’article suivant aborde.
17 Dans son article, Pascal Mallet se demande ce que la théorie de l’attachement peut
apporter aux psychologues du conseil. Il peut paraître étrange de faire appel à une
théorie de ce type, connue pour décrire la formation des premiers liens entre le bébé et
sa mère, pour rendre compte des relations psychologiques entre un conseiller et un
consultant (parfois même d’âge adulte). Après avoir passé en revue l’évolution des
recherches concernant la théorie de l’attachement, Pascal Mallet envisage deux thèmes
concernant le conseil en orientation
18 Le premier thème consiste à se demander s’il y a des liens entre les attachements
confiants aux parents et la formation chez les adolescents d’intentions d’avenir scolaire
et professionnel. Les adolescents soutenus par des attachements confiants à leurs
parents se disent davantage enclins à poursuivre leur formation et la planifient plus
activement. L’attachement confiant aux parents aurait un effet positif sur l’exploration
des perspectives de formation scolaire et professionnelle, il soutiendrait l’adolescent
dans les prises de risque requises par certaines orientations professionnelles. D’une
façon plus générale, les attachements confiants aux parents apportent un soutien à
l’affirmation de la personnalité des adolescents.
19 Dans la réalité, s’orienter est autant une affaire de deuil et de renoncement que de
choix et de projet (Dumora, 1977). Face au découragement possible du consultant, une
évaluation des soutiens socio-émotionnels dont il dispose, de ceux qu’il pourrait
mobiliser, des moyens pour y parvenir, ne paraît pas relever d’une psychologisation
excessive. De tels effets positifs du soutien socio-émotion nel ont été montrés à propos
de la lutte contre des maladies graves et contre les conséquences de la perte d’emploi.
20 On a décrit des styles de personnalité sociale qui s’appliquent aux adolescents et on
distingue notamment : ceux qui disposent d’attachements confiants ; les anxieux-
ambivalents affectés par un doute obsédant ; les anxieux-évitants qui ont tendance à
ignorer les avis de leurs partenaires d’attachement ou à les éviter. Le conseiller
pourrait moduler son comportement au cours de l’entretien en fonction des styles de
ses consultants.
21 Le second thème abordé par Pascal Mallet consiste précisément à se demander en quoi la
théorie de l’attachement peut aider à décrire les aspects socio-émotionnels en œuvre
dans la conduite de l’entretien et dans l’examen de la situation du consultant. Selon
Bolwby, les implications de la théorie de l’attachement à la conduite de l’entretien
consistent notamment, pour le psychologue, à rechercher à établir une base sûre, une
base de réconfort, à explorer les attachements passés et les difficultés relationnelles
actuelles et à explorer la relation entre le consultant et le psychologue. Ainsi, avec les
sujets anxieux, particulièrement sensibles aux confrontations, le conseiller doit bien
expliciter ses sentiments sur ce qui se passe au cours de l’entretien afin qu’ils ne
risquent pas de percevoir des critiques là où il n’y en a pas.

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


6

22 Des études ont montré que la qualité relationnelle est le meilleur prédicteur de
l’efficacité de la psychologie du conseil, en dehors des facteurs caractérisant le
consultant qui ont encore plus de poids. La théorie de l’attachement conforte le
psychologue du conseil dans l’idée que le soutien qu’il peut apporter à la réflexion et
aux prises de décision du consultant est irremplaçable, par sa dimension socio-
émotionnelle, ce que les programmes informatiques ne peuvent que simuler.
23 Reste à se demander si les théories psychologiques peuvent facilement servir de guide
dans la pratique. Nous avons déjà souligné que les savoirs scientifiques sont des savoirs
locaux et l’on doit toujours se poser la question de leur généralisabilité et de leur
applicabilité aux champs plus larges de pratiques professionnelles. De plus, il
semblerait que beaucoup de conseillers ne croient pas à l’utilité pratique des théories
psychologiques, comme l’a déjà mis en évidence une étude anglaise publiée dans notre
revue (Kidd et al., 1995). Selon Alison Fielding, si l’utilité du discours théorique est mal
perçue par les praticiens du conseil, c’est en partie parce que les modèles théoriques
traditionnels répondent mal aux besoins actuels des conseillers. Il est important de
prendre en compte les évolutions actuelles qui devraient infléchir les conceptions
traditionnelles de l’orientation professionnelle : changements dans les profils d’emploi,
dans les façons d’envisager la vie professionnelle, utilisation des technologies de
l’information, développement de l’apprentissage tout au long de la vie et, enfin,
multiculturalisme. Alison Fielding propose un modèle d’orientation continue qui prend
en compte le fait que, dans nos sociétés, les apprentissages se dérouleront tout au long
de la vie. Ce modèle repose à la fois sur la psychologie et sur la sociologie et intègre
donc à la fois des facteurs internes (différences individuelles, culture et style de vie) et
des facteurs externes (développement du travail flexible, accessibilité des emplois,
caractéristiques de l’environnement comme l’offre de formation, les attentes de son
milieu familial...). Ce modèle n’implique pas une quelconque progression linéaire entre
des étapes fixées d’avance. Il est ouvert et souple et peut être utilisé à tout moment
pour aider le consultant et le praticien à déterminer la base de départ de la procédure
de conseil, à se mettre d’accord sur les moyens à mettre en œuvre, afin de satisfaire au
mieux les besoins manifestés. L’utilisation de ce modèle est illustrée par la présentation
d’un cas. Dans sa conclusion, Alison Fielding s’interroge sur les relations entre théorie
et pratique : les praticiens sont-ils plutôt des déchiffreurs de cartes, des cartographes
ou des joueurs de jazz capables d’improviser sur un thème ? Selon elle, l’essentiel, dans
le conseil en orientation, c’est la compréhension en commun de ce qui doit être réalisé
et de la façon de le réaliser (considérations proches de la notion d’alliance de travail à
instaurer entre le consultant et le conseiller), en réinvestissant la théorie dans l’activité
du praticien.
24 Dans leur article, Norman Gysbers, Mary Heppner et Joseph Johnston présentent une
conception du conseil liée au développement de carrière tout au long de la vie. Pour
eux, la différenciation opérée entre une forme de conseil axée sur le domaine personnel
et émotionnel et une autre axée sur la carrière, est artificielle. En effet, dans la
pratique, de nombreux consultants (« clients » aux Etats-Unis) doivent faire face
simultanément à des problèmes personnels et émotionnels et à des problèmes de
carrière qui sont le plus souvent intriqués. Pour différencier les interventions

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


7

conduites dans le cadre du vaste champ de l’aide au développement de carrière, les


auteurs distinguent :
• le conseil à la carrière, défini comme une interaction de face à face prolongée entre le
conseiller et son consultant, essentiellement focalisée sur les questions de travail et de
carrière ; cette interaction est de nature psychologique et la relation entre le conseiller et le
consultant jouent un rôle important ;
• la guidance de carrière, qui implique toutes les composantes F0
2D en termes de services et
d’activités F0
2D des institutions éducatives, agences et autre organismes qui offrent du conseil
et des programmes de formation en rapport avec la carrière ;
• l’éducation à la carrière, qui tend à privilégier le processus d’enseignement/ apprentissage en
tant que mode d’intervention principal du développement de carrière ; les professeurs et les
éducateurs apparaissent comme les acteurs principaux de cette stratégie d’intervention.
25 Norman Gysbers, Mary Heppner et Joseph Johnston définissent leur modèle de
« développement de carrière tout au long de la vie » comme un modèle qui Intègre la
dimension de croissance et de développement de l’individu, considéré dans sa globalité,
et qui prend en compte toutes les facettes de l’identité individuelle. Ce développement
s’accompagne d’un processus continu d’interaction, et d’intégration des rôles, des
cadres et des événements de la vie de l’individu, qui sont eux-mêmes influencés par des
variables comme le genre, l’origine ethnique, la religion et le statut socio-économique.
26 L’un des objectifs principaux de la démarche de conseil de développement de carrière
tout au long de la vie est d’amener le consultant à identifier, décrire et comprendre ce
développement afin de faire émerger une conscience de carrière, qui repose sur la
notion de sois possibles de Markus et Nurius (Kilhs trom et al., 1988/1992, pp. 235-236),
une capacité à visualiser et à planifier sa carrière tout au long de sa vie. Il s’agit donc
d’aider le consultant à développer cette conscience de carrière et à se projeter dans ses
éventuels futurs rôles, cadres et événements de vie. Cela nécessite que le consultant
auto-analyse ses intérêts, ses valeurs, ses aptitudes et ses compétences et qu’il prenne
la mesure des facteurs de genre, d’origine ethnique, de religion et de statut socio-écono
mique qui interviennent dans son propre développement. Dans une phase ulté rieure, il
devra mettre en relation ses objectifs et sa situation actuelle, qu’il analysera et
intègrera au cours de sa démarche de résolution de problème.
27 La démarche de conseil à la carrière est présentée dans ses grandes étapes :
• L’étape initiale a pour objectifs l’identification des buts ou problèmes du consultant, la
définition et la clarification des relations consultant-conseiller et des rôles impartis à
chacun en vue de l’élaboration d’une alliance de travail (Meara, & Patton, 1994). Au cours de
cette première étape, le conseiller oriente son écoute vers les pensées et sentiments intimes
du consultant (et vers leur dynamique sous-jacente).
• Le recueil de l’information relative au consultant constitue une étape importante. Les procédures
d’évaluation qualitatives F0
2D comme l’interview structurée d’évaluation de carrière présentée
en annexe de l’article, ou le génogramme de carrière (McGoldrick, & Gerson, 1990) F0
2D et
quantitatives sont des moyens qui permettront de réunir cette information, de clarifier et de
spécifier les objectifs ou les problèmes à considérer.
• La compréhension du comportement du consultant en termes de carrière et la formulation
d’hypothèses. A mesure que s’effectue le recueil d’informations, s’enclenche la phase de
compréhension et d’élaboration d’hypothèses. Les consultants ont l’occasion de mettre en
lumière leur histoire personnelle et celle de leur groupe de référence. La prise en compte
des quatre facteurs que sont le genre, l’origine ethnique, la religion et le statut socio-

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


8

économique, amène les consultants à réfléchir aux influences que ces facteurs ont pu
exercer sur leurs représentations d’eux-mêmes, des autres et du monde dans lequel ils
vivent. Au cours de cette étape, l’écoute réactive des résistances possibles du consultant est
importante.
• La mise en œuvre du counseling consiste à assister le consultant dans la réalisation de ses buts
ou la résolution de son problème dans le cadre de l’alliance de travail évoquée plus haut.
• La définition des buts de carrière et des plans d’action. Au cours de cette étape, le conseiller
assiste le consultant.
• L’évaluation des résultats et la clôture de la relation.
28 Gysbers et ses collègues abordent enfin la question de l’efficacité du conseil à la
carrière et ils présentent les premiers résultats d’une enquête conduite par une équipe
de chercheurs de l’université du Missouri à Columbia.
29 Le lecteur français aura noté de fortes ressemblances entre la démarche de bilan de
compétences (Aubret, 1996 ; Taïeb & Blanchard, 1997) et la démarche présentée par
Gysbers et ses collègues. Toutefois, dans leur conception de la démarche de conseil à la
carrière, la dimension psychologique de la relation conseiller-consultant est beaucoup
plus fortement affirmée, Gysbers et ses collègues ne séparant pas le counseling de
carrière et le counseling personnel. Selon leur conception, le développement de
carrière concerne toute la vie et pas seulement la vie professionnelle et il est donc
étroitement lié au développement personnel. Il en résulte que, dans leur optique, le
conseil de carrière inclut l’aide à la résolution de difficultés relevant d’un large champ,
comme les crises personnelles, le manque d’information sur les filières de formation et
le marché du travail, les difficultés relationnelles avec le conjoint, les enfants, les
collègues de travail et les supérieurs hiérarchiques.
30 Dans leur article, Conrad Lecomte et Vincent Guillon traitent de la question des facteurs
communs au counseling personnel, au counseling de carrière et à la psychothérapie. Ils
développent des positions voisines de celles de Gysbers, Heppner et Johnston, positions
qui permettent à leur sens de comprendre un certain nombre d’évolutions, encore
limitées, en France même, évolutions qui leur paraissent nécessaires et souhaitables.
Pour le moment, toutefois, il y a bien, entre la France et l’Amérique du Nord, des
différences de conceptions. Le terme français conseil n’est pas l’équivalent du terme
américain counseling. De même, en France, la psychothérapie concerne
fondamentalement le champ de la pathologie, alors qu’en Amérique du Nord elle
concerne tout autant sinon plus les problèmes ordinaires de changement. En France, la
psychologie du conseil est beaucoup moins développée que la psychologie du
counseling en Amérique du Nord, que ce soit sur le plan de l’enseignement
universitaire ou des pratiques professionnelles. De plus, la conception française
dominante n’in clut pas la thérapie dans la psychologie du conseil en orientation
(Angeville & Bellenger, 1989a, 1989b ; Blanchard, 1996 ; Revuz, 1991 ; Lhotellier, 1996,
Zarka dans ce numéro) et les psychologues du conseil ne reçoivent pas une formation
de thérapeute. Comme le notent Leong et Blustein (2000, p. 8), « il est maintenant tout à
fait clair que le counseling s’inscrit dans un contexte culturel. Pour comprendre quels
sont les aspects du counseling qui sont communs aux différentes cultures et ceux qui
sont spécifiques à telle ou telle culture, nous avons besoin d’entreprendre une étude
comparative globale sur les pratiques de counseling dans le monde ».
31 Ce sont donc essentiellement, comme dans l’article précédent, des conceptions très
développées en Américaine du Nord, du counseling personnel, du counseling de

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


9

carrière, et de la psychothérapie qui sont présentées dans l’article de Conrad Lecomte


et de Vincent Guillon. Ils rappellent d’abord quelques éléments d’histoire de la
psychologie du counseling. Dès ses débuts, la psychologie du counseling s’est appuyée
sur les ressources, sur les points forts de la personne, en réaction aux conceptions
centrées sur la maladie et la pathologie, faisant davantage appel aux travaux de Rogers
qu’aux travaux de Freud. C’est en effet avec les travaux théoriques et les pratiques
initiées par Rogers au début des années 1940 que la psychologie du counseling
disposera d’une conception psychothérapeutique non médicale, non analytique et
centrée sur les ressources de la personne. Après la deuxième guerre mondiale, des
débats s’engagent sur l’importance et la place à accorder aux activités thérapeutiques,
au counseling personnel et au counseling de carrière. Les psychologues américains du
counseling en arrivent à définir trois grandes fonctions du counseling : 1) une fonction
développementale et éducative, 2) une fonction préventive et 3) une fonction
thérapeutique dite remédiative. Toutefois, cela ne permet pas d’éclairer la question de
l’articulation entre counseling vocationnel, counseling personnel et psychothérapie.
32 Beaucoup d’auteurs, nous avons vu que c’est le cas de Gysbers et de ses collègues,
insistent sur les liens existant entre counseling de carrière et counseling personnel. En
ce qui concerne les facteurs communs au counseling de carrière et à la psychothérapie,
Conrad Lecomte et Vincent Guillon mettent en avant l’importance des relations entre
travail et santé mentale : répercussion psychologiques de la perte d’emploi, liens entre
la satisfaction dans la carrière et les facteurs de dépression et d’anxiété... D’où l’intérêt
d’étudier et de conceptualiser dans leur interaction les aspects psychologiques et
vocationnels. Les résultats des recherches sur les facteurs communs au counseling de
carrière et à la psychothérapie, suggèrent que les trois composantes de la relation (le
transfert, le contre-transfert, et surtout l’alliance de travail) entrent pour une part
importante dans les effets des démarches d’aide. On notera à ce sujet qu’en matière de
counseling et de thérapie, existe une tradition américaine ancienne et active de
recherche sur les processus et l’efficacité de la relation d’aide (Hill & Corbett, 1996), ce
qui n’est pas le cas dans le champ de la psychologie clinique en France, même si ces
recherches commencent à se développer (Bourguignon & Bydlowski, 1995 ; Dondé-
Mohseni et al., 1988 ; Masse, Blanchet, & Poitrenaud, 1999 ; Thomassin, 1999). Certaines
recherches laissent à penser que la relation d’aide est aussi importante en counseling
de carrière qu’en thérapie. Le développement, par des psychanalystes américains
comme Bordin, de théories sur la relation d’objet, le soi et le moi, a fourni un cadre
permettant d’intégrer les problèmes vocationnels et non vocationnels. Signalons, pour
la petite histoire, qu’une présentation en français du livre de Bordin, Psychological
counseling, paru en 1955, a été faite dans le Bulletin de Psychologie par D. Super (1959,
pp. 531-536).
33 Conrad Lecomte et Vincent Guillon défendent une approche intégrée de la pratique du
counseling de carrière et de la psychothérapie dans la mesure où :
• intervenir auprès d’une personne, c’est aborder et toucher l’organisation de toute
l’expérience subjective ;
• le changement a un caractère pluridimensionnel ;
• l’efficacité de toute forme d’intervention dépend de la qualité de la relation et en particulier
de la qualité de l’alliance de travail ;
• toute forme d’intervention s’appuie sur la reconnaissance de l’expérience subjective unique
du sujet et de son contexte de vie.

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


10

34 Toutefois, counseling de carrière et psychothérapie ont également des spécificités.


Ainsi, lorsque le processus d’aller-retour entre enjeux vocationnels et personnels est
compromis parce que des conflits intrapsychiques ou interpersonnels prennent une
place prépondérante, un travail thérapeutique à long terme peut alors s’imposer. Cette
conception intégrative des aspects vocationnels, personnels et thérapeutiques nécessite
évidemment que les conseillers soient formés au counseling de carrière et à la
psychothérapie, ce qui est le cas aux Etats-Unis et au Québec mais pas en France.
35 C’est sur les limites du conseil que Josette Zarka porte sa réflexion dans son article.
Depuis plusieurs années, Josette Zarka travaille sur ce thème et contribue ainsi à un
travail d’explicitation des types de difficulté rencontrés par des conseillers
d’orientation-psychologues au cours d’entretiens de conseil. L’article qu’elle a écrit
pour ce numéro s’appuie sur des cas qui lui ont été présentés il y a quelques années par
des conseillers d’orientation-psychologues du centre d’application de l’ I.N.E.T.O.P. Elle
cherche à repérer certaines caractéristiques des situations dans lesquelles le conseil se
révèle inopérant. Elle s’efforce également de clarifier ce qui différencie, de son point de
vue, le conseil en orientation et la psychothérapie.
36 Dans son introduction, Josette Zarka distingue :
• le motif de la demande de conseil, c’est-à-dire la ou les raisons de la venue du consultant
(par exemple, il va être orienté en B.E.P.) ;
• la demande, appréhendable à travers la façon dont le consultant formule sa ou ses questions
en fonction du motif de sa venue ;
• l’appel, défini comme une attente F0
2D infinie parce qu’indéfinie F0
2D non verbalisée dans une
demande.
37 La première partie traite des situations limites et du conseil interminable. Ces situations
se caractérisent par le fait que le consultant utilise le cadre du conseil à contre-courant.
L’activité de conseil se dilue car s’il y a de bons motifs, il n’y a pas de demande et l’appel
reste indifférencié. Les consultants émettent en fait une demande paradoxale
empêchant toute issue, demande du type : « aidez-moi/ne m’aidez pas ».
38 La deuxième partie traite de la question du conseil bref. L’institution offre une structure
d’accueil (dans les cas évoqués, il s’agit de la permanence d’accueil d’un centre
d’information et d’orientation) qui structure d’une certaine manière l’interaction de
conseil. Cette structure est, d’une part, matérielle : c’est l’espace de la permanence
d’accueil qui est organisé d’une certaine manière, lieu soumis à une pression
temporelle dans la mesure où il y a d’autres consultants qui attendent. Cette structure
est, d’autre part, psychologique : il y a mise en forme de l’interaction de conseil à
travers l’activation de « mécanismes de dégagement », permis par la levée des défenses.
« Les opérations défensives s’efforcent de réduire les tensions selon le principe de
déplaisir tandis que les opérations de dégagement du moi ont une structure logique,
font appel à l’intelligence et accroissent la liberté du sujet en favorisant la mobilité de
sa conscience, en le rendant capable de changer de système de référence » (Doron &
Parot, 1991, p. 179). Pour faire entrer le consultant dans cette dynamique de
dégagement, les conseillers font jouer quatre facteurs : ils placent, calment, analysent
et activent. En plaçant spatialement le consultant, on lui notifie métaphoriquement que
l’on tente de le positionner à la fois dans la relation et par rapport à son problème dont
on recherche l’assise. Analyse et activation sont les modalités par excellence du
dégagement. Trois types de conseil sont évoqués : le conseil informateur, le conseil
recadrant et le conseil confrontatif. L’interaction brève à l’accueil est donc une

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


11

interaction de dégagement. Du fait de sa structure, le conseiller n’y reçoit pas ou peu de


demandes paradoxales, condamnées d’avance dans la mesure où les limites (espace et
temps) créent des ouvertures alors que, dans le conseil interminable, l’absence de
limites enferme le consultant dans son problème.
39 Dans la troisième partie, Josette Zarka aborde la question de la demande ambiguë. Alors
que dans la demande paradoxale il y a une absence de demande, dans une demande
ambiguë la demande est équivoque ou à double sens. Dans l’ambiguïté il n’y a pas
d’appel. En revanche, il y a toujours un écart entre un motif et une demande sous-
jacente. Si, dans certains cas, le motif fait écran à une demande latente, dans d’autres
cas le motif est incompatible avec certaines demandes voilées. Selon Josette Zarka,
l’entretien de conseil est le lieu par excellence de l’élaboration, de la formulation et de
la structuration d’une demande (Desbuquois & Gelpe, 1997). Il s’insère dans un
dispositif institué où la demande est co-construite [Grossen (1992), quant à elle,
présente la demande comme le résultat d’une négociation]
40 Les entretiens de conseil et les entretiens psychothérapeutiques diffèrent sur deux
plans : celui des modalités d’écoute et de compréhension du problème et celui des
relations instaurées entre le conseiller et le consultant.
41 En ce qui concerne les modalités d’écoute et de compréhension du problème, une écoute à la
fois Inconditionnelle et orientée ou sélective est indispensable, genre d’écoute
éminemment active qui peut être structurante pour le consultant. On ne saurait
s’interdire aucune interprétation mais doit-on la communiquer ? Si la compréhension/
interprétation renvoie directement aux motifs de la consultation, elle fait partie
intégrante de l’élucidation de la demande. Mais si l’interprétation s’assortit
d’explications éloignées du motif, elle risque soit de renforcer les défenses du
consultant, soit de susciter des attentes thérapeutiques et créer l’illusion que l’on
pourra y répondre.
42 En ce qui concerne les relations instaurées entre le conseiller et le consultant, le regard du
conseiller porte sur le problème que la personne véhicule et qu’ils doivent résoudre
ensemble et non pas sur la personne elle-même du consultant comme c’est le cas dans
une approche thérapeutique. Il en résulte que le conseil porte sur des conduites et qu’il
implique le changement d’une situation donnée et non pas un changement de la
personne ni une réduction de ses troubles comme en psychothérapie. Il s’exerce à
partir d’une nécessité externe (choix, décision, orientation) qui mobilise les instances
du sujet (besoins, désirs, craintes, etc.) à changer. La nature des liens est donc très
différente dans le cadre du conseil, où est en jeu une alliance opératoire ou
conditionnelle qui porte sur un problème déterminé, et dans le cadre de la thérapie, où
est en jeu une alliance inconditionnelle qui porte sur la personne du consultant.
43 Après avoir rappelé que le conseil repose sur un paradoxe fondateur (influencer laisser
libre), Josette Zarka conclut son article en soulignant que, dans l’expression « conseil
en orientation », le terme conseil permet au conseiller de se distinguer de l’orienteur, et
que le terme orientation permet au conseiller de se démarquer du psychothérapeute.
44 Pour sa part, Claude Chabrol ne s’intéresse pas aux cas limites mais aux demandes
banales des consultants, demandes qui sont aussi les plus fréquentes. Il situe sa
réflexion dans une perspective psychosociale et il se propose de clarifier quelques
dimensions constitutives des entretiens d’aide inspirés du modèle clinique et d’en tirer
quelques conséquences pour les démarches d’orientation.

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


12

45 Pour le psychosociologue, les représentations de soi et de la « réalité sociale » sont des


produits de significations qui sont toujours élaborées de façon contextuelle à partir de
schèmes cognitifs et sociaux plus ou moins familiers. Quant aux situations d’entretien,
elles sont à considérer comme des insertions sociales au cours desquelles la personne
fera appel à telle ou telle représentation de soi jugée pertinente par rapport au type de
situation. Le discours produit par la personne dépend donc du contexte dans lequel il se
trouve. Les entretiens de conseil centrés sur la personne ont tous pour objectif de faire
(re)construire des ensembles de connaissance de soi, de profondeur et de formes
discursives différentes en fonction du temps disponible et de la définition contractuelle
de la situation (demande exprimée, objectifs visés, nombre d’entretiens, ...).
46 Claude Chabrol défend le point de vue selon lequel les techniques d’entretien clinique
centrées sur la personne ne sont pas appropriées aux objectifs du conseil en
orientation. Selon lui, ces techniques auraient surtout pour effet, non recherché par les
conseillers, d’amener les sujets à intérioriser les influences qui pèsent sur eux ou, plus
précisément, à les internaliser. Ce type de critique a également été fait au sujet de
« l’orientation individualisée des chômeurs de longue durée qui renferme des risques
de psychologisation du chômage » (Demazière, 1999, p. 237 ; 1995, pp. 77-79), de
certaines pratiques de bilan de compétences (Castra, 1996 ; Dubois, 1996 ; Gangloff,
1999), de la formation à l’entretien d’embauche (Divay, 1998), de la pédagogie du projet
[Boutinet, 1998 ; Lhotellier, 1997 ; Mathey-Pierre (1999, p. 249) note que « parallèlement
à l’internalisation du projet, on constate la naturalisation du terme d’employabilité »]
et des pratiques d’éducation à l’orientation (Guichard, 1997 ; Huteau, 1996).
47 S’appuyant sur l’idée selon laquelle, dans nos sociétés, les processus de socialisation
reposent de plus en plus sur les mécanismes d’appropriation subjective des normes et
des valeurs sociétales, Claude Chabrol fait l’hypothèse que les entretiens d’aide et de
conseil tendent à développer implicitement et involontairement cette appropriation
« interne » par des techniques psychologiques qui mobilisent un investissement
psychique fort de la part du consultant. Or, lorsque le sujet doit faire des choix dans la
carrière de vie, scolaire et professionnelle, il va inévitablement se situer par rapport
aux croyances, attitudes et valeurs de ses groupes d’appartenance et de référence. Pour
diminuer le « biais » de psychologisation, il faudrait sans doute réduire l’usage de
l’entretien centré sur le sujet, d’inspiration clinique. Il faudrait plutôt proposer des
lieux de parole collectifs afin d’inciter les sujets à une métacognition qui les positionne
bien dans leur place sociale et qui leur facilite le repérage des contraintes objectives et
subjectives multiples, économiques, sociales, psycho-sociales et cognitives qui
surdéterminent leur réflexion et cela pour leur permettre de se construire des
stratégies de décision. Pour Claude Chabrol, ce type d’intervention aurait le mérite
d’éloigner les sujets de l’illusion du « bon choix », celui censé correspondre à « ses
besoins et désirs profonds ». Notons à ce sujet que le courant de l’ego-écologie a
développé une technique d’entretien qui invite le sujet à se focaliser sur ses groupes
sociaux d’appartenance (Costalat-Founeau, & Martinez, 1998 ; ZavalIoni, 1998) afin de
l’amener à expliciter les valeurs associées à ces groupes d’appartenance ainsi que son
propre positionnement par rapport à ces valeurs. Les lieux de parole collectifs sont
proposés par Claude Chabrol en tant que dispositif qui permettrait aux acteurs sociaux,
qui se posent la question de leur orientation, de mettre à distance les modes de pensée
habituels qui les conduisent finalement à intérioriser les contraintes sociales et à
reproduire les « choix » et comportements qui conviennent à leurs positions, c’est à

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


13

dire à celles de la majorité de leur groupe d’appartenance. Il y a là l’idée qu’avant de


prendre une certaine distance par rapport aux influences sociales auxquelles nous
sommes exposés, il est d’abord indispensable de reconnaître et d’analyser ces
influences.
48 Claude Chabrol souligne que les contrats de communication F0 2D c’est-à-dire « l’ensemble

des croyances mutuelles des interlocuteurs sur les enjeux et les objectifs du dialogue »
2D à l’œuvre dans les entretiens cliniques, qu’ils soient rogériens
(Blanchet, 1991, p. 149) F0
ou psychanalytiques, sont très éloignés des contrats de communication des
conversations de la vie sociale courante et que, de plus, ils ne sont probablement pas
adéquats aux objectifs du conseil en orientation. Selon lui, l’objectif de l’entretien
d’orientation n’est pas à propre ment parler de développer une connaissance de soi,
mais plutôt une capacité à analyser les informations sur l’environnement et à réguler
ses adhésions groupales en fonction de ses intérêts et de ses possibilités cognitives. Il
s’agit également de favoriser l’élaboration d’une expertise cognitive pour calculer les
ajustements de toutes les dimensions qui entrent dans une prise de décision
d’orientation toujours provisoire, conçue peut-être comme le moins mauvais choix
actuellement possible.
49 Sur le plan des pratiques, Claude Chabrol suggère la mise en place de lieux de parole de
formes variées : intra-groupe (familial, de pairs) ou inter-groupes (différenciés par
leurs positions de genre : rôles professionnels masculins et fémimins ; différenciés par
leur âge : cadet et aînés ; différenciés par leur statut employeurs et recruteurs, etc.).
Dans le domaine de l’éducation à l’orientation, les techniques de groupe (Guichard,
1987 ; Nuoffer, 1987 ; Pelletier et al., 1988 ; Limoges, 1989 ; Sontag, 1996 ; Zerwetz, &
Blanchard, 1998) ont beaucoup été utilisées avec des objectifs variés. Les objectifs visés
par Claude Chabrol, à travers ces lieux de parole, sont de présenter et de confronter des
points de vue différents et, ainsi, d’enrichir les représentations du monde des
participants et de leur permettre de mieux s’ajuster à d’autres milieux que le leur. Ces
lieux de parole sont à compléter par des modules d’apprentissage sociocognitifs. En
effet, l’orientation nécessite un apport d’informations sur les marchés de la formation
et du travail. Il s’agit aussi de favoriser l’apprentissage d’habiletés mentales nécessaires
pour traiter les informations sur l’environnement et sur soi, et pour planifier ses
activités en vue de la prise de décision. Les entretiens cliniques se voient réservés aux
rares cas pour lesquels ils sont utiles, dans la mesure où le conseiller peut disposer d’un
temps suffisant.
50 « En tant que pratique, l’orientation se définit comme une aide apportée à l’individu
pour lui permettre de se déterminer. Elle recouvre des activités aux niveaux des
individus (information, entretiens, bilans, évaluations, conseil, …), des groupes
(information, animation, bilans, évaluations, conseil, ...) et des institutions (mise en
place d’ateliers et de procédures d’aide à l’orientation avec des équipes d’enseignants
[Gysbers & Henderson, 2000] ou de formateurs, mise au point de procédures
d’évaluation que l’ensemble des acteurs d’une institution doivent mettre en œuvre, …).
Le principe qui fonde ces actions est celui du développement de l’autonomie de
l’individu : c’est la personne concernée qui effectue ses propres choix ; l’aide qui lui est
apportée vise à lui permettre de prendre des décisions plus réfléchies » (Guichard et al.,
1993, p. 10). Mais dans quels cadres et dans quelles formes identitaires les personnes
sont-elles amenées à se décrire ? C’est la question du lien entre les cadres et formes
identitaires et les pratiques en orientation que Jean Guichard analyse dans son article.

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


14

Après avoir distingué six grands courants qui ont marqué l’étude du sujet au cours du
vingtième siècle (courants personnaliste, psychanalytique, de la psychologie du soi,
différentialiste, anthropologique culturaliste ou structuraliste, et psycho-sociaux), Jean
Guichard aborde la question de la malléabilité ou de la stabilité de la subjectivité. Selon
lui, pour comprendre la dynamique des constructions identitaires, il faut tenir compte
à la fois des structures et des interactions.
51 Jean Guichard s’intéresse d’abord aux liens existant entre les structures du système
scolaire et la constitution de certaines formes de la subjectivité des jeunes. Il décrit
l’école comme un miroir structuré structurant l’image scolaire de soi des jeunes. La
dimension principale qui organise la vision de soi (et des autres) dans ce miroir est celle
de l’excellence telle qu’elle est scolairement produite et définie. A l’école, comme l’a
montré L. Gottfredson (Guichard, 1993), un adolescent apprend à déterminer la limite
supérieure des positions sociales qu’il peut espérer atteindre. De plus, un système
scolaire constitue toujours un système de classement des disciplines scolaires allant de
pair avec un système de répartition des individus. Ainsi, le système scolaire donne-t-il
une forme à l’image de soi des élèves et à leur manière de se projeter dans l’avenir.
52 Jean Guichard s’intéresse ensuite aux champs sociaux occupés par un adolescent,
champs sociaux qui forment un cosmos social, et à l’interaction dialogique qui jouerait
un rôle fondamental dans la construction de soi. Il fait l’hypothèse d’une double
vicariance des formes identitaires : ces formes identitaires peuvent varier selon le
contexte (se présenter comme supporter d’un club de football dans un certain contexte,
et comme salarié chez Ford dans un autre contexte) et à l’intérieur d’un même contexte
(par exemple, selon la situation, être supporter verbalement violent ou être supporter
physiquement violent). Il présente ensuite plusieurs études montrant l’importance des
formes identitaires sur les projets d’avenir.
53 Quelles sont les implications de ces analyses pour les pratiques de conseil en
orientation ? Elles renvoient à une réflexion sur les fins et les valeurs des pratiques de
conseil qui relèvent des techniques de soi. La question fondamentale du conseil est
donc celle de ses finalités. Doit-il viser à conduire certains individus à se construire
dans quelques formes identitaires aux contours bien définis ou doit-il se proposer de
l’aider à s’interroger sur la pertinence des cadres identitaires dans lesquels il se
construit et perçoit autrui, questions qui ont à voir avec la conservation ou la
transformation de la structure des rap ports sociaux.
54 La question du conseil amène donc Inévitablement à se poser des questions politiques
(Huteau, 1999), philosophiques, et éthiques (Bourguignon, 1994, 2000 Code de
déontologie des psychologues, 1997 ; Facy, 1999 ; Huteau, 2000 ; Puel & Solazzi, 1996 ;
Reuchlin, 1971a, 1971b). Elle amène aussi à s’interroger sur les délimitations de son
champ d’intervention. Lorsque Alexandre Lhotellier définit le conseil comme : « ni
thérapie, ni diagnostic, ni contrôle, ni assistance, ni commerce, ni endoctrinement, ni
manipulation, ni subversion », il précise ce qu’il considère être des dérives du conseil.
Christine Revuz (1991), quant à elle, souligne que le conseiller en bilan de compétences
n’est ni thérapeute ni expert. Or, les auteurs nord-américains défendent, eux, au
contraire, l’idée d’une continuité entre counseling de carrière, counseling personnel et
thérapie. La dérive du conseil en orientation la plus souvent évoquée en France porte
sur les conséquences possibles de l’individualisation de l’orientation (Demazière, 1995,
pp. 77-79), c’est à dire : une psychologisation de problèmes qui sont essentiellement
socio-économiques et, plus précisément, une tendance à faire internaliser par les

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


15

consultants que leur situation dépend essentiellement d’eux. Josette Zarka (1986)
signale l’importance du cadre institutionnel dans lequel l’activité de conseil s’inscrit.
Traqueuse de paradoxes, elle souligne que c’est précisément de son absence de pouvoir
institutionnel en matière d’affectation que le conseiller tire son pouvoir de conseil. Si
ce principe éthique n’est pas respecté, l’activité de conseil se transforme alors en
technique de manipulation.
55 La variété des sois professionnels actuels ou possibles des conseillers est certainement à
lier, pour une bonne part, à leurs choix politiques [Michel Huteau (1999, p. 23) rappelle
que jusqu’à la fin des années 1960, beaucoup de conseillers avaient le sentiment de
contribuer à une plus grande justice sociale, sentiment qui était une composante de
leur identité professionnelle], au cadre institutionnel dans lequel ils travaillent, à leurs
options philosophiques, à leurs choix théoriques et techniques mais aussi aux types de
demandes de leurs consultants. Nous n’aborderons ici que la question des
connaissances théoriques et techniques sur lesquelles les conseillers appuient leurs
pratiques et de leurs liens.
56 Pour les psychologues, selon Le Ny (1999), il y a deux façons de penser la psychologie :
la psychologie clinique sous ses formes professionnelles et académiques et la
psychologie expérimentale-cognitive. À ces psychologies professionnelles s’ajoutent la
psychologie quotidienne de tout un chacun et la psychologie philosophique, déjà
évoquée (Fraisse, 1985). Nous avons vu qu’il y a également plusieurs façons de
concevoir le conseil en orientation, ses différents courants pouvant être rattachés aux
différents types et courants de la psychologie (Angeville & Bellenger, 1989a, 1989b ;
Bujold, 1989). C’est aujourd’hui une prétention déplacée, pour un psychologue (quel
que soit le courant auquel il appartienne), de vouloir expliquer la grande variété des
comportements humains à l’aide d’une théorie unique. On peut d’ailleurs penser que »
c’est en renonçant à leur visée totalisatrice, en acceptant de n’être plus la théorie de
l’homme, mais le dévoilement de certaines dimensions de son comportement que les
sciences humaines pourront, semble-t-il, accéder, en même temps qu’à la modestie, à
une véritable maturité » (Bouveresse, 1998, p. 64). En matière de sciences de
l’éducation, Avanzini (1995, p. 6) note que le passage du singulier (la science de
l’éducation à la fin du XIXe siècle) au pluriel (les sciences de l’éducation à l’époque
actuelle) « est une reconnaissance du fait que l’étude des pratiques éducatives relève
nécessairement de plusieurs points de vue, dont chacun aide à connaître les pratiques
éducatives sous un angle déterminé, sans qu’aucun parvienne à en épuiser l’analyse et à
rendre compte de leur complexité ».
57 Ce sont peut-être des considérations de ce type qui expliquent, pour une part, que les
pratiques des conseillers évoluent vers un certain éclectisme (Zarka, 1987). Aucune
théorie n’apportant un ensemble de réponses satisfaisantes face à la diversité des
demandes et des situations, les conseillers vont avoir recours au cadre théorique jugé le
plus approprié au type de demande du consultant. Ils doivent d’ailleurs se référer à un
champ interdisciplinaire incluant, entre autres, la psychologie de l’orientation, les
conceptions éducatives en orientation (Boursier, 1989 ; Boy et al., 1999), la construction
du projet, le fonctionnement de l’ orientation scolaire et universitaire, l’ orientation et
l’information professionnelle des adultes (Dugué et al., 1999), les aspects sociaux de
l’orientation et notamment ses dimensions sexuées (Vouillot, 1999), la relation
formation-emploi, les difficultés d’insertion professionnelles et sociale des jeunes,

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


16

l’histoire de l’orientation et son évolution en Europe et dans le monde... (Danvers,


1993).
58 En ce qui concerne certains courants classiques du conseil en orientation, on peut
penser qu’ils se sont mutuellement influencés. Ainsi, par exemple, si les conseillers
utilisent des tests ou des questionnaires dans le cadre de la pratique du bilan de
compétences, ils font souvent participer le consultant au choix du type d’épreuve, ils
utilisent les résultats comme des données à confronter à d’autres types d’informations
et ils présentent ces résultats de façon à ce que le consultant puisse bien les
comprendre et se les approprier (Blanchard et al., 1999). On peut reconnaître, dans ce
type de pratique de bilan, une influence mutuelle du courant diagnostic-pronostic, du
courant centré sur le problème de la personne, et du courant éducatif.
59 La diversité des points de vue théoriques, en matière de conseil en orientation, entraîne
évidemment une diversité des techniques utilisées. Dans le seul champ de l’entretien de
conseil, un inventaire non exhaustif des types de théories présentant un intérêt pour la
conduite des entretiens (Kidd et al., 1995, p. 21) fait état d’une dizaine de théories
[méthode centrée sur le client, de Rogers ; méthode de l’ accompagnement, d’Egan
(1987) ; plan en sept points, de Rodger, théorie du développement professionnel, de
Super ; théorie de l’appariement, de Holland ; méthode psychodynamique, de Roe ;
méthode fondée sur la structure des possibilités éducatives et socio-économiques, de
Roberts ; théorie de l’interaction collective, de Law ; théorie de l’ apprentissage social,
de Krumboltz ; théorie des construits personnels, de Kelly ; analyse transactionnelle, de
Berne]. Un autre inventaire (Kidd, 1996), concernant les techniques d’entretien
utilisables en conseil de carrière, présente une dizaine de techniques que l’auteur
regroupe en fonction de quatre grands modèles : modèle d’appariement, modèle
développemental, modèle centré sur la personne, et modèle dirigé vers un but. On
pourrait rajouter à cet inventaire l’entretien de counseling d’emploi de Conrad Lecomte
(Lecomte, & Tremblay, 1987 ; Deleplancque, 1997), l’entretien à partir d’un matériel de
cartes de métiers (Garand, 1978 ; Blanchard et al., 1995 ; Volvey, 1995), l’entretien d’aide
à la décision, dit de « bilan-inventaire » (Wheeler & Janis, 1980), l’entretien d’histoire
de vie (Francequin, 1995), l’entre tien de génogramme de carrière (Gysbers et al. dans ce
numéro, McGoldrick & Gerson, 1990)...
60 La question des théories et des techniques du conseil en orientation et de leur lien,
mérite aussi d’être examinée parce qu’elle est très liée à celle du professionnalisme des
conseillers.

2. Les liens entre théories et pratiques du conseil : la


question du professionnalisme des conseillers
61 L’activité de conseil en orientation justifie-t-elle une professionnalisation de ceux qui
l’exercent ? En France, on a répondu par l’affirmative à cette question depuis
longtemps, puisque le diplôme de conseiller d’orientation a été créé dès 1931 (Prost,
1996).
62 Est-il possible de préciser la nature des liens entre formation théorique et pratiques
professionnelles ? Bourdoncle (1993) a tenté de répondre à cette question dans le cadre
d’une réflexion sur la professionnalisation des enseignants. Il nous semble que les
réponses qu’il a apportées concernent un large ensemble de professions qui inclut les

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


17

conseillers en orientation. Bourdoncle a focalisé sa réflexion autour des trois questions


suivantes.

Quelle est l’importance des savoirs théoriques dans la


reconnaissance sociale d’une profession ?

63 « Les savoirs constituent l’une des caractéristiques centrales des professions. Sans
tomber dans l’idéologie actuelle des professions elles-mêmes, qui les mettent en avant
pour justifier leurs privilèges et oublier l’organisation sociale et les structures de
pouvoir, qui leur sont tout aussi nécessaires, force est de reconnaître que les savoirs
sont essentiels... » (Bourdoncle, pp. 95-96). Aux États-Unis, Drapela (1990, pp. 19-20)
souligne que « le fait de reconnaître l’activité de conseil comme celle d’une profession
socialement légitime a fortement accru le rôle de la théorie dans la formation des
praticiens du conseil. Toutes les professions considèrent que de solides connaissances
théoriques sont des prérequis essentiels pour une activité efficace dans leurs domaines
d’activité respectifs... On peut ajouter qu’un savoir théorique étendu est souvent
considéré comme un indice de professionnalisme véritable à la fois par la communauté
des conseillers et par le grand public. Toutefois, tous les conseillers n’adhèrent pas à ce
point de vue. Pour certains d’entre eux, les connaissances théoriques sont plutôt une
entrave qu’une aide à la pratique professionnelle. Quant aux étudiants, ils préfèrent
souvent la pratique à la théorie ». Alison Fielding donne, dans son article, des
explications à cette désaffection pour la théorie.

Quelle est la nature et la fonction du savoir d’expert ?

64 « Un savoir d’expert est un savoir de haut niveau, à caractère systématique (droit,


théologie...) ou scientifique (médecine, ingénierie...). C’est aussi un savoir efficace, qui
permet d’atteindre le but souhaité... C’est à cause de ce lien fort entre profession et
savoir qu’il y a un lien étroit, souligné par Parsons, entre professions et universités : les
universités sont les principales institutions de production du savoir.
65 Le savoir d’expert est régulièrement mis en œuvre pour résoudre des problèmes
quotidiens, ce qui suppose la croyance dans la rationalité technique selon laquelle il
suffit d’opérer une sélection judicieuse des moyens techniques appropriés aux fins
désirées pour atteindre ces fins et donc pour résoudre le problème... Encore faut-il que
le problème soit bien posé, la finalité claire et non conflictuelle, le savoir solide et
stable. C’est souvent le cas avec ce que Glazer appelle les professions majeures, comme
la médecine ou l’ingénierie. Cela l’est beaucoup moins avec les professions mineures,
dont les finalités sont confuses ou conflictuelles (enseignement, travail social) ou dont
la pratique relève de plusieurs paradigmes concurrents (psychiatrie, enseignement...).
Dans ce dernier cas, il n’y a pas de moyen de choisir les solutions adaptées en l’absence
d’un savoir consensuel auquel avoir recours... ». En ce qui concerne le conseil en
orientation, on a vu que les articles de ce numéro présentent des conceptions
théoriques et des techniques différentes.
66 En réalité, « ces situations problématiques échappant à la rationalité technique, que le
problème soit mal posé, qu’il y ait conflit de valeur ou que le cas soit unique, sont
nombreuses dans toutes les professions, contrairement à ce que postulait Glazer...
Ainsi, en médecine par exemple, 80 % des malades reçus par les praticiens présentent

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


18

des configurations de symptômes différentes de celles qui sont décrites dans les livres
de médecine. Face à l’imprévu, les professionnels mettraient en œuvre une espèce
d’intuition, de talent ou d’art... Cet art de la pratique, Schön le nomme "réflexion en
action". Comment la caractériser ? C’est une pensée à la fois d’exploration, de
construction d’hypothèse et de test qui s’accomplit d’un même mouvement, au cours
même de l’action, et non par réflexion après coup, ou en interrompant
momentanément l’action. C’est une réflexion en action, ou mieux, un agir réflexif,
s’appuyant beaucoup sur le savoir en action, tout ce savoir que nous mettons
quotidienne ment en jeu sans pouvoir cependant bien l’expliciter... Cette épistémologie
de la pratique révèle une pensée syncrétique, non entièrement consciente et délibérée,
mais cependant efficace dans l’instant et bien différente de la rationalité technique,
très analytique et entièrement explicite ».
67 « Cependant, cet art de poser de manière nouvelle les problèmes, de les résoudre en
direct et d’improviser, cette réflexion en action est un exercice de l’intelligence,
rigoureux à sa manière et de toute façon nécessaire pour permettre la mise en œuvre
des savoirs scientifiques et techniques » (Bourdoncle, 1993, PP. 96-97).
68 Drapela (1990, p. 19) pense que « la théorie est, pour un professionnel, semblable au
plan de vol du pilote qui cherche à ne pas perdre sa route Est-ce une conception idéale
ou réelle du fonctionnement d’un conseiller ? Les observations d’une enquête sur les
pratiques de conseillers d’orientation anglais conduites par Kidd, Killeen, Jarvis et Offer
(1995, p. 19) suggèrent que « dans leurs entretiens, les conseillers tendent à appliquer
des principes théoriques généraux plutôt que des éléments spécifiques ». Dans
l’ensemble, les résultats de leur recherche conduisent Kidd et ses collègues « à mettre
en doute l’idée que l’orientation professionnelle serait une science appliquée ». Il reste
toutefois à s’interroger sur le rapport existant entre les savoirs théoriques et les savoirs
pratiques et, en particulier, à discuter la conception d’une pratique comme pure
application de théories apprises en formation. La réalité semble en effet plus complexe.

Quels sont les processus qui contribuent à la construction d’un


savoir d’expert ou savoir en usage ?

69 Les travaux de Tardif et de ses collègues (1991) éclairent la question de l’appropriation


des savoirs théoriques dans le cadre de l’activité pratique : « Pour les enseignants, les
savoirs acquis par l’expérience du métier constituent les fondements de leur
compétence... Les enseignants ne rejettent pas globalement les autres savoirs (ceux non
acquis par l’expérience) : au contraire, ils les incorporent à leur pratique mais en les
retraduisant dans les catégories de leur propre discours. En ce sens, la pratique
apparaît comme un processus d’apprentissage à travers lequel les enseignants
retraduisent leur formation et l’ajustent au métier... Un tel rapport au savoir chez les
enseignants invalide tout programme de formation qui chercherait à transmettre des
savoirs à appliquer tels quels parce qu’ils seraient scientifiquement établis par des
recherches... Cette conception applicationniste du savoir nous semble contradictoire
avec une conception professionnelle de l’activité enseignante, pour autant qu’un
professionnel, c’est non seulement celui qui maîtrise un corps de savoir formel, mais
aussi celui qui l’interprète pour pouvoir l’appliquer à des cas particuliers Tardif,
Lessard et Lahaye (1991) refusent d’ailleurs le rôle de simple interprète du savoir
produit par d’autres... car il leur semble que cette interprétation, "cette retraduction

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


19

sur le terrain des contingences professionnelles est porteuse de savoirs propres qu’il
importe de mieux connaître dans leur émergence et leur structuration" » (cité par
Bourdoncle, 1993, p. 106-108).
70 En ce qui concerne la question de la relation entre la pratique scientifique et la
formation professionnelle des psychologues, Hoshmand et Polkinghorne (1992) pensent
que la recherche universitaire ne devrait pas négliger l’étude de la connaissance
pratique des psychologues praticiens. Ils estiment que les recherches pourraient
notamment se donner pour objectifs
• de clarifier les modèles de compréhension que se fabriquent les psychologues au cours de
leur pratique et d’examiner le processus de réflexion éclairée du psychologue, en ne se
focalisant pas seulement sur le jugement diagnostique ou la prise de décision relative à un
résultat spécifique, comme c’est le plus souvent le cas dans les études sur le jugement
clinique ;
• d’aider à affiner les cartes conceptuelles des psychologues en conduisant des enquêtes sur
leurs pratiques, en cherchant à les lier à la base des connaissances théoriques formelles.
71 Ces recherches sont encore peu nombreuses car elles sont longues et difficiles à
conduire. Nous avons vu que Zarka a fait des enquêtes sur les difficultés rencontrées
par des conseillers d’orientation-psychologues au cours d’entretiens, en vue de préciser
les limites de l’espace du conseil. En Angleterre, des enquêtes ont également été
conduites sur les pratiques de conseillers d’orientation (Kidd et al., 1995). À
I’I.N.E.T.O.P., nous avons engagé des enquêtes sur les représenta tions que des
conseillers d’orientation-psychologues se font de certaines de leurs pratiques
professionnelles. Les entretiens ont été conduits par des conseillers d’orientation-
psychologues stagiaires en formation. Il s’agit d’aider les conseillers, interviewés à
propos d’une de leur pratique, à expliciter (Vermersch, 1990) les éléments importants
de leurs savoir-faire, les courants théoriques auxquels ils se réfèrent et les valeurs qui
les guident. Au cours d’un premier entretien, on se centre sur une description précise
de la pratique. Ce n’est qu’au cours d’un second entretien qu’on se centre sur
l’explicitation des savoir-faire en jeu, des courants théoriques qui inspirent la pratique,
des valeurs qui l’orientent, etc. (Acquier et al., à paraître). Ce travail d’analyse des
pratiques professionnelles semble avoir été bien apprécié par les conseillers qui se sont
engagés dans ce type d’interview, probablement parce que cet exercice d’explicitation
leur a permis de dire et, par là, de construire certaines de leurs compétences
professionnelles. L’analyse des pratiques de conseil peut ainsi contribuer à la fois à
mieux préciser ce que sont ces pratiques et à accroître le professionnalisme des
conseillers.
72 On notera qu’en matière d’analyse du travail, la psychologie du travail a développé des
méthodes applicables à l’analyse des activités des conseillers, comme la démarche mise
en œuvre par Anne Lancry (2000) pour analyser le travail d’écoutants dans une
association qui reçoit des appels téléphoniques de candidats au suicide, ou comme
l’entretien d’auto-confrontation croisée d’Yves Clot (1999), méthode qui est également
applicable en formation. Quant aux méthodes d’analyse des interactions verbales, elles
commencent à être appliquées, en France, aux entretiens thérapeutiques (Masse et al,
1999 ; Thomassin, 1999).
73 Pour conclure, les réflexions sur le conseil en orientation renvoient à la fois à des
questions politiques et économiques, à des conceptions philosophiques de l’homme et
de la société, et à des systèmes de valeurs qui en orientent les objectifs. C’est pourquoi

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


20

le champ de l’orientation suscite tant de débats, souvent vifs parce que passionnés. Les
pratiques de conseil ne peuvent s’appuyer que sur des savoirs scientifiques aux
pouvoirs explicatifs limités et sur des techniques dont la validité n’est jamais absolue,
mais ce sont précisément ces types de savoirs et les interrogations qu’ils ne cessent
d’engendrer qui permettent de différencier les conseillers en orientation des voyants
extra-lucides et d’augmenter l’efficacité de leurs actions. Le développement du
professionnalisme des conseillers en orientation est d’autant plus important que leur
tâche est complexe et que leur action est limitée dans le temps. Ce numéro spécial a
pour objectif de présenter une réflexion sur la question du conseil ainsi que différentes
conceptions théoriques et pratiques. Nous remercions les auteurs pour leurs
contributions et, de façon plus générale, pour leur apport à la psychologie du conseil
qui reste encore à développer en France. Nous espérons que les praticiens liront ces
articles avec intérêt. Pour finir, nous serions tentés de leur suggérer, face aux
difficultés qu’ils rencontrent au cours de leurs pratiques de conseil en orientation, de
toujours garder à l’esprit la belle formule de Mark Twain : « Ils ne savaient pas que
c’était impossible... alors, ils l’ont fait ». Mais, en les engageant dans ce genre d’exercice
spirituel, fréquemment pratiqué à l’époque de Marc-Aurèle, nous leur proposerions une
orientation stoïcienne qu’ils ne partagent probablement pas tous. Enfin, cette
suggestion serait-elle bien utile, dans la mesure où, comme nous le rappelle La
Rochefoucault dans ses Maximes (502), « on donne des conseils, mais on ne donne point la
sagesse d’en profiter ».

BIBLIOGRAPHIE
Acquier, S., Blanchard, S., Guillon, V., Ospital, N., Pellet, F., Pierson, E., & Pietrzyck, C. (à paraître).
Pratiques professionnelles de conseillers d’orientation-psychologues et courants du conseil.
Questions d’Orientation.

Angeville, H., & Bellenger, J. (1989). Quelques courants de la pratique du conseil. Bulletin de
l’A.C.O. F, Numéro Spécial « L’entretien en orientation »,14-41.

Angeville, H., & Bellenger, J. (1989). Réflexions sur une expérience de formation au conseil en
orientation. L’Orientation Scolaire et Professionnelle, 18, 2, 111-125.

Aubret, J. (1996). Bilan de compétences, orientation des adultes et trajectoires de vie. Spirale, 18,
27-38.

Avanzini, G. (1995). Des sciences de l’éducation. Cahiers Binet-Simon, 645, 4, 5-26.

Blanchard, S., Volvey, C., Homps, F., & Prieur, A. (1995). Une technique d’explicitation des
intérêts : l’entretien A.D.V.P. L’Orientation Scolaire et Professionnelle, 24, 4, 425-442.

Blanchard, S. (1996). Introduction à l’article de C. Hill et M. Corbett. L’Orientation Scolaire et


Professionnelle, 25, 2, 211-216.

Blanchard, S., Sontag, J.-C., & Leskow, S. (1999). L’utilisation d’épreuves conatives dans le cadre
du bilan de compétences. L’orientation Scolaire et Professionnelle, 28, 2, 275-297.

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


21

Blanchet, A. (1991). Dire et faire dire. L’entretien. Paris : A. Colin.

Bourdoncle, R. (1993). La professionnalisation des enseignants : les limites d’un mythe. Revue
Française de Pédagogie, 105, 83-119.

Bourguignon, O. (1994). Éthique, déontologie et clinique. L’Orientation Scolaire et Professionnelle, 23,


1, 79-84.

Bourguignon, O. (Dir.), (2000). Numéro spécial « Éthique en psychologie et déontologie des


psychologues. Bulletin de Psychologie, tome 53 (1)/445.

Bourguignon, O., & Bydlowski, M. (Dir.), (1995). La recherche clinique en psychopathologie.


Perspectives critiques. Paris : P.U.F.

Boursier, S. (1989). L’Orientation éducative des adultes. Paris : Éd. Entente.

Boutinet, J.-P. (1998). Pertinence et impertinence du projet en orientation. Cahiers Binet-Simon,


656/657, 3/4, 11-22.

Boy T., Cartier, J.-P., Pépin, P.Y., Guichard, J., Fluteau, M., Guillon, V., & Barbot, A. (1999). Analyse
des méthodes éducatives en orientation. L’orientation Scolaire et Professionnelle, 28, 2, 157-223.

Bujold, C. (1989). Choix professionnel et développement de carrière : théories et recherches. Boucherville,


Québec, Canada : G. Morin.

Castra, D. (1996). Un point de vue socio-cognitif sur les pratiques de bilan. Carriérologie, 6, 2, 37-44.

Clot, Y. (1999). La fonction psychologique du travail. Paris : P.U.F.

Code de déontologie des psychologues (1997). Pratiques Psychologiques, 3, 71-80

Costalat-Founeau, A.-M., & Martinez, N. (1998). Identité et changement : comparaison de deux


situations de réussite d’adolescentes d’origine culturelle différenciée. L’Orientation Scolaire et
Professionnelle, 27, 1, 23-46.

Danvers, F. (1993). L’orientation des jeunes et des adultes : vers la constitution d’un champ
interdisciplinaire. Repères Bibliographiques, 30, 109-136.

Deleplancque, B. (1997). Le counselling d’emploi. Démarche et pratique en orientation professionnelle.


Lomme (59) : A.F.P.A./I.N.I.O.P.

Demazière, D. (1995). La sociologie du chômage. Paris : La Découverte.

Demazière, D. (1999). Les paradoxes des chômeurs de longue durée. In E. Dugué, R. Guerrier, L. Le
Bars, C. Lespessailles, M. Maillebouis, & C. Mathey-Pierre (Dir.), L’orientation professionnelle des
adultes. Contributions de la recherche, état des pratiques, étude bibliographique, (pp. 233-238). Afpa/
Centre Inffo/Cnam. Collection Études no 73. Marseille : C.E.R.E.Q.

Desbuquois, J., & Gelpe, D. (1997). L’entretien psychologique d’analyse initiale de la demande.
Document interne (79 p.). Lomme (59) : A.F.P.A./I.N.I.O.P.

Divay, S. (1998). La recherche d’emploi protocolaire ou de nouvelles pratiques de conseil sur le


marché du travail. Groupe de Recherche Innovations et Sociétés (G.R.I.S., Département de Sociologie,
Université de Rouen), 3, 4-42.

Dondé-Mohseni, S., Vila, G., & Mouren-Simeoni, M.-C. (1998). La thérapie cognitive de
l’adolescent déprimé. L’Orientation Scolaire et Professionnelle, 27, 4, 545-566.

Doron, R., & Parot, F. (1991). Dictionnaire de psychologie. Paris : P.U.F.

Drapela, V.J. (1990). The value of theories for counseling practitioners. International Journal for the
Advancement of counselling, 13, 16-26.

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


22

Drolet, J.-L (1995). L’insertion socio-professionnelle en tant que relation intentionnelle au monde.
Carriérologie, 6, 1, 117-140.

Dubois, N. (1996). Internalité et évaluation. Carriérologie, 6, 2, 145-159.

Dumora, B. (1997). L’évolution des projets d’orientation. Carriérologie, 6, 25-34.

Dugué, E, Guerrier, R., Le Bars, L., Lespessailles, C., Maillebouis, M., & Mathey-Pierre, C. (Dir.).
Afpa/Centre Inffo/Cnam (1999). L’orientation professionnelle des adultes. Contributions de la recherche,
état des pratiques, étude bibliographique. Afpa/Centre Inffo/Cnam. Collection Études no 73.
Marseille : C.E.R.E.Q.

Egan, G. (1987). Communication dans la relation d’aide. Laval, Québec : Editions Etudes Vivantes.

Facy, H. (1999). Responsabilité professionnelle et droit des usagers. Questions d’Orientation, 1,


103-111.

Fraisse, P. (1985). Il y a trois psychologies. In La communication. Symposium de I’A.P.S.L.F., Montréal,


1983. Paris : P.U.F.

Francequin, G. (1995). Histoire de vie et pratiques de l’orientation. L’Orientation Scolaire et


Professionnelle, 24, 2, 301-325.

Gangloff, B. (1999). Le bilan de compétences : une utopie nécessaire à l’anesthésie sociale.


Psychologie et Psychométrie, vol. 20, 4.

Garand, M. (1978). De l’orientation à l’activation. L’Orientation Scolaire et Professionnelle, 7, 4,


299-324.

Grossen, M. (1992). Intersubjectivité et négociation de la demande dans un entretien


thérapeutique. In A.-M. Perret-Clermont (Dire), L’espace thérapeutique (pp. 165-191). Neuchâtel :
Delachaux & Nestlé.

Guichard, J. (1987). Les D.A.P.P. : nouvelle méthode pour aider les lycéens et les étudiants à
construire leurs projets. L’Orientation Scolaire et Professionnelle, 16, 4, 347-355.

Guichard, J. (1993). L’école et les représentations d’avenir des adolescents. Paris : P.U.F.

Guichard, J. (1997). Changements sociaux et pratiques d’orientation : analyse de la notion


d’éducation à l’orientation. Questions d’Orientation, 4, 11-37.

Guichard, J., Forner, Y., & Danvers, F. (1993). Les services d’orientation scolaire et professionnelle en
France. Contribution à l’étude coordonnée par A.G. Watts, J. Guichard, P. Plant, & L. Rodriguez
pour la Commission des Communautés européennes.

Guichard, J., & Huteau, M. (1997). L’école et les intentions d’avenir professionnelles des
adolescents. In H. Rodriguez-Tomé, S. Jackson, & F. Bariaud (Dir.), Regards actuels sur
l’adolescence (pp. 207-234). Paris: P.U.F.

Gysbers, N.C., & Henderson, P. (2000, 3rd ed.). Developing and managing your school guidance
program. Alexandria, V.A.: American Counseling Association.

Hadot, P. (1997, 2c éd.). La citadelle intérieure. Introduction aux pensées de Marc Aurèle. Paris : Fayard.

Hill, C.E., & Corbett, M.M. (1993/trad. 1996). La recherche sur les processus et l’efficacité de la
relation d’aide en psychologie du conseil : Histoire et perspectives. L’Orientation Scolaire et
Professionnelle, 25, 2, 217-265.

Hoshmand, L.T. & Polkinghorne, D.E. (1992). Redefining the science practice relationship and
professionnal training. American Psychologist, 47, 1, 55-66.

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


23

Hurbin, J. (1997). L’orientation professionnelle à E.D.F.-G.D.F. : une fonction en voie de


légitimation. In L’orientation face aux mutations du travail (pp. 173-178). La Découverte & Syros/
Cité des Sciences et de l’Industrie.

Huteau, M. (1996). Les problématiques de l’orientation. Actes du séminaire « Pour le développement


de la culture de l’orientation » (pp. 13-22). Académie de Créteil, 5-6 octobre 1995.

Huteau, M. (1999). Psychologie et société : l’évolution du rôle et des méthodes des conseillers
d’orientation au cours des années 1920 à aujourd’hui. Questions d’Orientation, l, 13-24.

Huteau, M. (2000). Ethique et pratiques de l’orientation en milieu scolaire. Bulletin de Psychologie,


Numéro spécial « Éthique et déontologie », tome 53 (1)/445, 115-121.

Kidd, J.M., Killeen, J., Jarvis, J., & Offer, M. (1995), L’orientation professionnelle est-elle une
science appliquée ? Rôle de la théorie dans la consultation d’orientation professionnelle en
Grande-Bretagne. L’Orientation Scolaire et Professionnelle, 24, 1, 19-37.

Kidd, J.M. (1996). The career counseling interview. In A.G. Watts, B. Law, J. Killeen, J.M. Kidd, & R.
Hawthorn, Rethinking careers education and guidance. Theory, policy and practice (pp. 189-209).
London: Routledge.

Kihlstrom, J.F., Cantor, N., Sumi Albright, J., Chew, B.R., Klein, s.B., & Nedenthal, P.M. (1988/1992).
Traitement de l’information et étude du soi. In M. Piolat, M.-C. Hurtig, & M.F. Pichevin. (1992). Le
soi. Recherches dans le champ de la cognition sociale (pp. 205-247). Lausanne : Delachaux & Niestlé.

Lagache, D. (1962, 5e éd.). La psychanalyse. Que-sais-je ? Paris: P.U.F.

Lancry, A. (2000). L’analyse du travail dans certains emplois de service aux personnes. Séminaire
de I’I.N.E.T.O.P./C.N.A.M., Paris, 28 janvier 2000.

Lecomte, C, & Tremblay, L. (1987). Entrevue d’évaluation en counselling d’emploi. Montréal, Québec :
Institut de Recherches Psychologiques.

Lemaire, J.G. (1986). Le couple, sa vie, sa mort. Paris: Payot.

Leong, F.T.L., & Blustein, D.L. (2000). Toward a global vision of counseling psychology. The
Counseling Psychologist, vol. 28, 1, 5-9.

Le Ny, J.-F. (1999). La psychologie est durablement duale. Bulletin de Psychologie, 52 (2), 440,
273-285.

Lhotellier, A. (1996). La démarche de consultance et la formation des conseillers. Spirale, 18,


139-160.

Lhotellier, A. (1997). La grande illusion du projet préfabriqué. Carriérologie, vol. 6, 3/4, 105-115.
Limoges, J. (1989). L’orientation et les groupes dans une optique carriérologique. Québec :
Université de Sherbrooke.

Loss, I. & Parlier, M. (Dir.), (1996). Mobilité et orientation professionnelles dans les organisations.
L’Orientation Scolaire et Professionnelle, 25, numéro spécial.

Masse, L., Blanchet, A, & Poitrenaud, S. (1999). Construction des univers référentiels en
psychothérapie. Psychologie Française, 44, 4, 349-360.

Mathey-Pierre, C. (1999). Quelle orientation pour les jeunes demandeurs d’emploi ? In E. Dugué,
R. Guerrier, L. Le Bars, C. Lespessailles, M. Maillebouis, & C. Mathey-Pierre (Dir.), L’orientation
professionnelle des adultes. Contributions de la recherche, état des pratiques, étude bibliographique
(pp. 243-251). Afpa/Centre Inffo/Cnam. Collection Études no 73. Marseille : C.E.R.E.Q.

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


24

Meara, N., & Patton, M. (1994). Contribution of the working alliance in the practice of career
counseling. The Career Development Quartely, 43, 161-177.

McGoldrick, M., & Gerson, R. (1990). Génogrammes et entretien familial. Paris : E.S.F.

Nuoffer, J. (1987). L’atelier d’orientation. Association suisse pour l’orientation scolaire et


professionnelle : Zurich & Lausanne.

Pegeault, M., Ber-Schiavetta, A. (1997). Une réponse associative fondée sur l’éthique : l’auto-
orientation. In L’orientation face aux mutations du travail (pp. 179-183). La Découverte & Syros/Cité
des Sciences et de l’Industrie.

Pelletier, D., Noiseux, G., & Pellerano, J. (1988). Éducation des choix (livrets pour les niveaux 6e, 5e,
4e et 3e et guide de l’accompagnateur). Issy-les-Moulineaux : E.A.P. Puel, H., & Solazzi, R. (1996).
Éthique et orientation. Spirale, 18, 129-138.

Prost, A. (1996). Des professions à l’école : jalons pour une histoire de l’orientation en France. Vie
Sociale, 5, 11-24.

Reuchlin, M. (197 la). Limites et portée d’une déontologie professionnelle. In M. Reuchlin (Dir.),
Traité de psychologie appliquée, tome I (pp. 231-238). Paris : P.U.F.

Reuchlin, M. (197 lb). Rôle et responsabilités propres du conseiller d’orientation scolaire et


professionnelle. B.I.N.O.P., 27, 3-20.

Revuz, C. (1991). Ni thérapeute ni expert. L’entretien de bilan-orientation à la recherche de sa


spécificité. Éducation Permanente, 108, 57-76.

Rey, A. (1995). Dictionnaire historique de la langue française. Paris : Ed. Le Robert.

Shaftesbury, A. (1710/1993). Exercices. Paris : Aubier.

Sontag, J.-C. (1996). Une aide à la prise de décision : l’exemple d’un programme d’intervention de
C.I.O. en classe de terminale. L’Orientation Scolaire et Professionnelle, 25, 1, 97-127.

Sullerot, E. (1996). L’orientation professionnelle des adultes : l’expérience de « retravailler ».


Spirale, 18, 9-26.

Super, D.E. (1959). Les techniques du conseil et l’analyse des interviews. Bulletin de Psychologie,
tome XII/10, 162, 524-531

Taïeb, D., & Blanchard, S. (1997). Le bilan de compétences : une démarche d’aide à la décision de
carrière. Connexions, 70, 79-93.

Tardif, M., Lessard, C., & Lahaye, L. (1991). Les enseignants des ordres d’enseignement primaire et
secondaire face aux savoirs. Esquisse d’une problématique du savoir enseignant. Sociologie et
Sociétés, 23, 1, 55-69.

Thomassin, P. (1999). Déconstruction et reconstruction de l’identité narrative au cours d’une


psychothérapie. Psychologie Française, 44, 4, 371-381.

Tourette-Turgis, C. (1996). Le counseling. Que sais-je ? Paris: P.U.F.

Vermersch, P. (1990). Questionner l’action : l’entretien d’explicitation. In A. Blanchet (Dir.),


Anatomie de l’entretien. Psychologie Française, 35, 3, 227-235.

Volvey, C. (1995). Pratique de l’entretien A.D.V-P. L’Orientation Scolaire et Professionnelle, 24, 4,


443-462.

Vouillot F. (Dir.), (1999). Filles et garçons à l’école : une égalité à construire. Collection Autrement Dit.
Paris : C.N.D.P.

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


25

Wheeler, D., & Janis, L. (1980). A practical guide for making decisions. New York : The Free Press.

Zarka, J. (1986). Essai de modélisation de la pratique de conseil en orientation. Texte dactylographié.


Paris : Bibliothèque de I’I.N.ET.O.P.

Zarka, J. (1987). Éclectisme ou pluralisme. Bulletin de l’Acof, 315, 30-52.

Zavalloni, M. (1998). Vers une orientation et une intervention interactive : l’identité comme
hypertexte (imis). L’Orientation Scolaire et Professionnelle, 27, 1, 5-22.

Zerwetz, M., & Blanchard, S. (1998). L’émergence des conceptions éducatives de l’orientation en
France : quelques jalons historiques. Questions d’Orientation, 3, 27-70.

AUTEUR
SERGE BLANCHARD
Chercheur au service de recherche de I’INETOP
Service de Recherche, INETOP-CNAM, 41, rue Gay-Lussac, 75005 Paris. Courrier électronique :
blanchard@cnam.fr

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


26

L’acte de Tenir conseil


Counseling process

Alexandre Lhotellier

1 Présenter un point de vue dans un ensemble sur le conseil peut faire hésiter entre
plusieurs possibilités, forcément limitées par la loi du genre d’un article. « Le point de
vue crée l’objet », comme disait F. de Saussure, et non le contraire. J’ai choisi de
présenter une position/proposition personnelle, pensant que cela pouvait entraîner un
dialogue plus aigu avec d’autres praticiens, chercheurs, théoriciens. Une théorie ne
peut pas se borner à éprouver la cohérence interne d’un système de concepts. La
théorie (et pire encore si elle devient dogme) peut jouer comme une défense contre
l’écoute de la pratique. Il y a en plus le décalage entre la théorie « professée » et la
théorie « pratiquée » (voir Argyris & Schön, 1974 et l’article d’Alison J. Fielding dans ce
numéro). Un paternalisme scientiste est sans doute pire qu’un paternalisme
traditionnel en présentant la science comme une forme d’autorité.
2 L’éventuelle fécondité d’un travail commun d’écriture et de lecture se mesure à la
discussion dialogique qui peut en résulter et aux nouvelles recherches et créations
suscitées, et non pas au silence prudent ou aux autocensures ou aux consommations
passives face aux courants dominants de pensée. Il me paraît utile d’ajouter que je
plaide pour un débat fort entre points de vue différents et non pas pour des guerres de
religion ou des censures ou des autocensures. Chaque langage différent du nôtre peut
être reçu (ou traduit) ou refusé avec des idées préconçues, mais c’est précisément alors
que s’ouvre le travail du dialogue pour que les conditions intellectuelles du respect de
l’autre étant réalisées, une création mutuelle puisse se développer 1.

1. Nécessité de clarification d’une définition du « tenir


conseil »
3 Conseil est un de ces termes que tout le monde croit comprendre sans avoir besoin de
réfléchir, ou mettre en pratique sans avoir besoin d’apprendre.

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


27

4 Il y a malentendu si le conseil est pris en un sens courant (et même au pluriel comme
« donner des conseils ») et non pas en un sens développé par des théoriciens, des
chercheurs et des praticiens depuis plus de 60 ans. Il serait dommageable de prendre un
terme banalisé comme référence de pratique en lieu et place de constructions de
méthodes.
5 Et il y a malentendu encore si on se braque contre une réduction du conseil à une
pratique laxiste issue de contresens sur la non directivité, ou à l’inverse sur le sens
obligatoire que donnait Piéron à ce terme : « Établir un conseil utile, et le faire accepter, car
un conseil dont on aurait la certitude qu’il ne serait pas suivi ne serait pas en réalité un conseil
utile » (Piéron, 1954, p. 367).
6 Mais il y a plus grave encore. Des milliers de conseillers en titre ignorent ou paraissent
ignorer le conseil. Beaucoup le pratiquent sans aucune formation mais sont reconnus
par une institution. On doit s’en inquiéter plutôt que de s’en désintéresser. Il s’agit bien
de penser les contradictions qui surgissent de ce fait et dont tous sont appelés à
souffrir.
7 Ce qui est intéressant, c’est que le conseil n’intéresse pas théoriquement, beaucoup
d’universitaires, mais se pratique beaucoup. Et c’est cet oubli, ce déni, ce refus qui est à
travailler alors même que cette pratique se réalise tous les jours dans des milliers
d’organismes et s’augmente dans la plus belle inconséquence.
8 Alors même que de nombreuses revues anglo-saxonnes scientifiques sont centrées sur
le « counseling », que d’innombrables ouvrages sont parus depuis plus de 50 ans, on
peut vérifier la pauvreté des textes en langue française.
9 Faut-il y voir incompréhension, résistances, différences de cultures ? Si l’histoire du
conseil reste à faire, on peut réfléchir à la visite du Professeur Super, il y a plus de 40
ans (Super, 1958/59, 1960) et à la réponse de Piéron (1961) et au texte de Melle Nepveu
(1961). On peut encore réfléchir à l’accueil mitigé de Rogers (encore très
incomplètement traduit), au succès partiel de l’A.D.V.P. aux missions discrètes de
professeurs étrangers (certains sont invités mais pas d’autres). On peut vérifier
l’ignorance d’auteurs pourtant publiés en langue française : Egan (1987), Lippitt, (1980),
Limoges (1982), Saint-Arnaud (1990).
10 Et comment ne pas souligner toutes ces formations au conseil en dehors des
Universités, ou des D.E.S.S. centrés sur le conseil, qui disparaissent avec le départ à la
retraite de leurs créateurs, comme si cela ne concernait qu’eux.
11 Non seulement le terme conseil n’est guère défini, mais on le remplace par des
équivalences, selon les besoins, les modes, les moments. On a eu ainsi fortement
« aide », souvent remplacé aujourd’hui par « accompagnement ». On utilise ainsi en
voisinage : tutorat, mentorat, médiation, coaching, etc.
12 Un regroupement commode autour de « counseling » permet de rassembler des
pratiques dans des pays de langue différente. Mais il est évident que le conseil en
France n’est pas entendu comme dans le monde anglo-saxon. Le risque est la
glorification idéologique d’un modèle nullement enraciné dans notre culture et nos
institutions. Utiliser le terme anglo-saxon pour avoir l’air d’être plus précis ne clarifie
rien. Qui connaît réellement les théories américaines ? Qui les pratique ? Adopter un
terme commun peut être une facilité mais ne précise pas une unité de conception. Si on
utilisait le terme « soviet » qui indique bien aussi conseil, on voit tout de suite les
connotations historiques, associées à ce mot et les résistances que cela entraînerait. Et

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


28

que dire alors de « consulting » ? Le choix d’un mot n’est jamais innocent, mais laisser
un mot déformé par un usage banal est aussi un souci. « Les mots ont ceci de précieux qu’ils
possèdent des racines étymologiques ; ils ont une histoire : comme les êtres humains, ils doivent
parfois se battre pour affirmer et conserver leur identité » (Winnicott, 1986, p. 123).
13 Si l’on veut sortir le conseil d’un état confusionnel, il s’agit de retourner à l’origine du
terme, et non pas accepter, sans critique, l’usage réducteur d’un mot banalisé, ou le
laisser informe, confondu avec avis, suggestion, recommandation.
14 Conseil est ici considéré comme tenir conseil : délibérer pour agir, ce qui nous donne
l’axe fondateur. Le sens retenu n’a rien à voir avec donner des conseils (c’est plutôt le
conseil sans conseils) et pas davantage avec la mode anglo-saxonne de mélanger
psychothérapie et conseil.
15 Il convient de restituer à ce mot son sens fort originaire. Si l’usage banalisé a privilégié
le sens d’avis, indication donnée à quelqu’un sur ce qu’il doit faire (mais même dans ce cas
peut-on conseiller sans bien délibérer ?), on a oublié les autres sens de délibération,
dessein, projet, résolution mûrement pesée et aussi réunion de personnes qui
délibèrent.
16 On ne peut pas utiliser ce terme en le considérant comme évident, allant de soi, sans
considérer sa dynamique propre, le type de travail qu’il représente.
17 Tenir conseil est une démarche visant :
• à la création d’une relation dialogique (communication-information),
• à la construction méthodique et plurielle du sens d’une situation problème,
• au travail du sens du temps (moment, rythme),
18 pour l’élaboration d’un décision fondatrice d’une action sensée, responsable
autonomisante.
19 Une définition n’est pas faite pour figer un mot mais pour lui donner une dynamique.
La vraie définition du conseil est sa pratique.
20 Cette proposition de définition sera développée tout au long de ce texte.
21 Le conseil est trop longtemps resté coincé entre « situation d’examen psychologique »
ou « psychothérapie au rabais ». Mais il n’est pas davantage simple transmission
d’informations, ou seul travail de la relation interpersonnelle (sans considérer la
situation sociale).
22 Le conseil n’est pas une directive à caractère contraignant, ni une manipulation à effet
indirect, une « persuasion clandestine », à partir d’un savoir-certitude.
23 Le conseil n’est pas une pratique routinière relevant de formalités impersonnelles,
subies dans un cadre de contraintes (violence symbolique) ni une procédure douce pour
faire accepter l’inacceptable (simplement adapter à ce qui est, au modèle dominant
d’une culture).
24 Le conseil n’est pas plus injonction, prescription que laisser faire. Ce n’est pas
davantage se parer d’un cadre théorique « pur » (seulement professé) ou s’autoriser de
quelques articles anglo-saxons pour faire scientifique, puis y ajouter quelques outils, et
bricoler pragmatiquement sur le terrain.
25 Le conseil a une fonction exceptionnelle dans une société. Ce qu’il offre ne se trouve
nulle part ailleurs : la possibilité de travail du sens, du savoir et du jugement personnel
confronté à la réalité sociale, et cela dans un service désintéressé.

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


29

26 Tenir conseil, ce n’est pas libérer l’existence de tout problème, c’est s’occuper
réellement d’un problème quand il a surgi. Mais tant que cette relation est vécue
comme confession, examen, aveu, c’est une pratique culturelle qui ne peut se
développer comme évidente.
27 Tenir conseil est une méthode d’action pour faire face à l’événement, pour fonder une
décision, pour innover face à l’inconnu. Ce n’est pas seulement quand ça va mal que le
conseil a du sens. On tient conseil pour inventer l’avenir. Le recours au conseil n’est pas
l’aveu d’une faiblesse, mais au contraire la construction de l’intelligibilité de la
situation, l’intelligence de l’agir.
28 Tenir conseil pour faire face autant à la créativité qu’à l’adversité, ce qui différencie le
« tenir conseil » du « coping » consistant seulement à faire face à l’adversité.
29 Tenir conseil n’est pas réparation privée de malheurs publics, c’est la construction de la
personne, ancrée dans un vivre ensemble.
30 Tenir conseil n’est pas au-dessus de la mêlée. La société aussi est sens, domaine et
condition du sens. Tenir conseil, c’est construire le pouvoir du sens de la personne (des
groupes, des institutions), donc ( ?) autant résister, critiquer, créer, humaniser
l’inhumain de chacun.
31 Au fond, tenir conseil c’est créer une posture de veille, de vigilance pour la personne en
questionnement, c’est fortifier son propre conseil, c’est s’approprier ses propres actes.
Cela rejoint la conviction socratique qu’une « vie sans examen ne vaut pas d’être vécue ».
32 Tenir conseil, c’est pouvoir prendre appui sur soi-même, demeurer auprès de son
expérience, en maintenant un équilibre entre l’ouverture à ce qui est nouveau, la
confiance en ses compétences, l’appropriation de ses actes, sans devenir étranger à soi-
même en apprenant une langue ésotérique ou abstraite.
33 Tenir conseil, c’est créer, par la connaissance et le jugement, de nouvelles conduites.
Cela n’est possible qui si une relation réelle est créée, dialogique, et si le travail du
temps est respecté.
34 Tenir conseil, c’est construire sa conduite, l’art de se conduire, l’art le plus nécessaire
que nous laissons trop souvent à l’indigente juridiction de nos ignorances. Et pourtant,
impossible d’empêcher chaque conduite de faire sens.
35 Tenir conseil est acte de confrontation avec soi, avec autrui, avec une situation, avec
des institutions au présent. Confrontation n’est pas affrontement mais lutte pour le
sens (dialogue), reconnaissance des différences et un vrai travail de production de soi,
de construction identitaire.
36 La confrontation a une fonction formative dans l’examen critique des points de vue
différents, des langages différents.
37 Tenir conseil est acte d’autonomisation, d’émancipation.
38 L’acte de tenir conseil est aussi un acte politique, démocratique par excellence. Le
terme indique bien tous les groupes, toutes les assemblées qui délibèrent, cherchant
l’orientation, la voie de la décision. Si c’est un acte social fort, c’est pénible de le voir se
dénaturer en certaines formes de conseil d’administration (où les jeux sont faits
d’avance, le conseil devient simple chambre d’enregistrement) ou en conseils
d’affrontements guerriers. On peut songer à ce que peuvent devenir des conseils
municipaux (ou autres), des conseils de classe, des conseils de quartier, à ce que furent
les conseils ouvriers. Il serait dommage de ne pas citer ici « Qui c’est l’conseil ? » de F.

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


30

Oury et C. Pochet (1997). Ce travail de conseil dans la classe de pédagogie


institutionnelle coopérative est à souligner la parole et le pouvoir sont à l’ordre du jour.
39 Une pratique qui n’élabore pas son langage progressivement est condamnée à vivoter
dans les emprunts conceptuels, les extrapolations rapides et abusives.
40 L’absence de formalisation dans ce domaine ramène à l’ordre de l’ésotérisme, du
jargon, au règne de la rumeur, aux condamnations sommaires sans vérification, au
culte de la personnalité, aux succès de modes éphémères, à l’endoctrine ment de
systèmes clos.
41 Il s’agit de régénérer le conseil en son sens fort historique, de pouvoir questionner à
son sujet.
42 La difficulté d’une définition, c’est qu’elle ne prend sens que par la totalisation de ses
éléments, par leur interaction, par leur mise en œuvre. « Toute définition est une
expérience. » souligne Bachelard.
43 En ce sens, on peut noter la définition du counseling par l’Association européenne du
« counseling »
44 « Le counseling est un processus d’apprentissage interactif qui, au terme d’un "accord mutuel",
s’instaure entre un ou plusieurs conseillers (counsellor(s)) et un ou plusieurs "client(s), qu’il
s’agisse d’individus, de familles, de groupes ou d’institutions". Il permet d’appréhender de façon
holistique les problèmes sociaux, culturels, "économiques et émotionnels..." ».

2. La centration du conseil
45 La centration du conseil, c’est : l’agir sensé, en situation, d’une personne (ou de
personnes) en devenir.

2.1. L’agir sensé

46 La définition proposée ici implique une radicalisation sur l’action. Tenir conseil, c’est
travailler à rendre signifiante pour l’acteur, une action efficace. Cet accent sur l’agir
sensé peut seul valider en définitive, la démarche autonomisante d’un individu
responsable. C’est l’action qui est formatrice. La connaissance ne suffit pas. Dévoiler la
réalité ne conduit pas nécessairement à la transformer.
47 Donner la priorité à l’acte, c’est souligner que la conduite est seulement en acte.
L’action n’est pas un discours appliqué, et l’agir produit du savoir non révélé par la
théorie. L’action n’est pas un territoire découpé par la géographie des disciplines
(économie, sociologie, psychologie, histoire...). L’action ne peut être « décomposée » en
facteurs qui seraient chacun tout seul « explicatifs » de l’agir. L’action ne peut être
psychologisée, sociologisée, économique... L’action est un ensemble de conduites. Et
chaque action est structurée en fonction des niveaux de la conduite •
• L’expérience vécue immédiate (moment de subjectivation à explorer, à développer) et
l’inscription corporelle.
• Le comportement comme transformation de l’expérience en objectivation observable,
communicable.
• La praxis, reprise des niveaux, expérience et comportement pour construire le sens de l’agir
au travers des rapports sociaux et de leur transformation historique.

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


31

48 Ces trois moments de conduite sont en interaction permanente.


49 Une action devient sensée par le travail à ces trois niveaux (et pas seulement à un seul
de ces niveaux). Ce qui entraîne le respect d’une approche microsociale autant que
d’une approche macro-sociale.

2.2. En situation

50 Il serait inexact de considérer la personne et la situation comme des réalités séparées,


entrant ensuite en relation. La personne n’existe qu’en situation, dans un réseau
d’interactions. La construction de ce monde situationnel fait partie intégrante du
processus de conduites. C’est par rapport à une situation sensée pour elle que la
personne se conduit. Comme le rappelle H. Wallon : « On ne peut expliquer une conduite en
l’isolant du milieu où elle se déploie ».
51 Mais être en situation sur le mode implicite empirique et écouter une situation sont des
perspectives différentes. Ecouter une situation, c’est apprendre à se situer, à sortir de
l’emprise d’une situation pour passer à une prise sur elle. L’étonnement des situations,
c’est que trop souvent les personnes concernées ne saisissent pas les éléments qui les
composent. Décrire une situation avec certains mots plutôt que d’autres, c’est déjà
engager le jugement sur cette situation. On se souvient de W. I. Thomas : « Si les
situations sont définies comme réelles, elles sont réelles dans leurs conséquences ». « Le nom que
reçoit une situation influe sur notre comportement » (Whorf, 1969).
52 Une situation n’est pas une accumulation d’éléments, mais une articulation dynamique
de ces éléments. Si la situation n’est pas donnée d’avance, c’est qu’elle peut évoluer
avec le projet d’action. Ses éléments peuvent changer de sens. On retient aussi la
capacité de définir une situation en agissant, en prenant des initiatives. Une situation
se construit dans un univers qui n’est ni aseptisé, ni neutralisé.
53 L’approche habituelle de situation, quand elle n’est pas routinière, aveugle, est souvent
partielle, partiale, fragmentaire, incohérente, superficielle confuse, flottante ou fixée
par la fascination de tel élément sans suffisante prise en considération des autres, ou
anesthésiée dans une vision qui se veut rassurante ou clivée par une présentation
« médicale » qui peut arranger tout le monde. Ou encore, il est fréquent que l’on se
contente de rassembler quelques données en fonction d’une solution qu’on désire y
apporter, ce qui réduit et fausse la situation. Cette approche en période de crise,
d’échec, de conflit, de décision importante à prendre accentue encore le risque
d’omission d’éléments ou le risque de réduction du champ de perception ou la fixation
à une perspective unique qui écarte toutes les autres hypothèses possibles dès le
commencement. Et devant une situation difficile, inhabituelle, imprévue, tragique,
incohérente, se crée un recul : on ne sait par quel aspect la saisir. On ne sait pas ce qui
la constitue.
54 Si la situation est un système de contraintes et de ressources, d’appuis et d’obstacles, la
situation n’est pas l’environnement mais la résultante, à un moment donné, des
éléments du contexte retenu par la personne et articulés par elle comme un ensemble
signifiant (par des valeurs, des normes, des projets). Toute une méthodologie de
l’analyse situationnelle est donc à créer intégrant les représentations et les
déterminations de la situation autant que ses valorisations et ses organisations (ou

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


32

désorganisations) actuelles. Le « tenir conseil » ne prend complètement forme que par


ce travail de la situation.
55 C’est à ce souci que répond une définition situationnelle, à chaque fois recommencée,
précisée.
56 C’est la précision du fond sur lequel toute forme de travail se dessine. C’est la
clarification du texte par le contexte.
57 Il y a triple repérage : par la situation entraînant à tenir conseil — par la situation à
venir — et par la situation de tenir conseil (situation peu définie ou déformée par des
représentations, ou des préjugés).

2.3. D’une personne en devenir

58 Mais tout agir sensé est celui d’une personne en devenir (ou d’un ensemble de
personnes en groupe, en institution…).
59 Même si ce n’est pas le moment d’un débat, on ne peut ignorer la diversité des théories
de la personnalité, la multiplicité des concepts particuliers utilisés pour décrire et
expliquer des dimensions de la personnalité. Il suffit d’évoquer des psychologues
comme W. James, Janet, Allport, G.H. Mead, Murray, Lewin, Kelly, Rogers, Gendlin,
Maslow, Cattell, Skinner, Meyerson, Nuttin, Huteau, Moscovici, sans oublier Freud,
Jung, Perls et des philosophes comme Castoriadis, Ricoeur, Taylor, pour se rendre
compte de la difficulté de ce panorama : tour de Babel, marché de modes éphémères, ou
hégémonie de langages dominants. La question demeure ouverte du mérite ou non de
telle ou telle théorie, de l’usage partiel ou total qui peut en être fait.
60 Retenons simplement ici que le cadre de référence théorique du conseiller,
naturellement, n’est pas indifférent au type de travail du conseil, tout comme sa
capacité de dialogue avec d’autres langages que le sien (langage de collègue ou de
client).
61 Mais l’on peut aussi noter les débats que représentent l’adoption ou le refus de tel ou
tel terme : personne (connoté comme trop moral, ou humaniste), sujet, acteur, auteur,
individu, self, soi, moi, mais aussi rôles, statuts. Et cela se complique avec des
appellations comme client, usager, assujetti, patient.

3. Le conseil est mis en œuvre par une démarche


d’action
62 Centrer sur l’agir sensé en situation de la personne suppose que celle-ci ne soit pas dans
ce travail, simple consommateur ou spectateur des processus en cours. Une démarche
est donc à construire par chaque acteur, conseiller et consultant. Une démarche n’est ni
un plan formel rigide, ni une compilation de recettes et encore moins une liste de
consignes (on doit, il faut...). Une démarche n’est pas un schéma abstrait plaqué sur une
réalité concrète, ce n’est pas une procédure entièrement préfabriquée.
63 Une démarche ne peut pas être morcelée. Chaque moment se trouve intégré à
l’ensemble et tire son sens de cette référence à l’ensemble. C’est la nécessité de
l’ensemble qui s’impose à chaque détail. Il y a besoin de démarche parce que « tenir
conseil » n’est pas un travail en miettes, un saupoudrage d’informations ou une

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


33

juxtaposition d’opérations non coordonnées. La démarche est un fil d’Ariane, un fil


rouge qui nous guide à travers la complexité d’une situation, qui garantit la pertinence
et la cohérence de l’ensemble du travail et est suffisamment souple pour pouvoir
évoluer.
64 La consultance (tenir conseil) n’a de sens que par l’unité et la simplicité de cette
démarche qui fonde des pratiques en situation. La démarche active peut se définir en
trois axes :
• une visée de valeurs et une vision globale,
• une écoute des processus en cours,
• un rythme d’opérations de méthodes, de procédures, d’instrumentations, cohérent avec la
visée et les processus.
65 La visée de valeurs et d’images symboliques fondatrices précise un esprit et une éthique.
C’est l’orientation du sens et de la stratégie de l’agir. Ce qui est visé, c’est
l’autonomisation de l’agir sensé. Il s’agit d’être aussi performant dans la signification
(recherche et travail du sens) que dans la réalisation de l’acte (efficacité du résultat).
66 2D veille 2D vigilance), pour éviter de
Par son écoute continue des processus en cours (éveil F0 F0

figer des mouvements, pour éviter une perspective statique, mécanique en coupant les
processus de leurs conditions d’émergence (l’état naissant), pour suivre le
développement ininterrompu des événements. C’est l’écoute des flux, des nœuds, des
crises, des blocages, des résistances au changement. Chacun des processus est une
histoire se faisant et se défaisant. Le temps est rapport fondamental qui traverse toute
réalité, non pas comme une donnée en plus, mais comme une construction
permanente. Les processus sont trop souvent cassés, car ignorés, banalisés, arrêtés ou
enfermés dans des cadres étrangers (découpage a priori).
67 Mais c’est dans la rareté du temps, de son coût, qu’intervient tout le travail de
rythmanalyse. Le temps n’est pas donné, il est construit (Bachelard). L’écoute des
processus vise la flexibilité des actes et leur rigueur contre la rigidité des routines, des
pesanteurs sociales.
68 Un rythme d’opérations de méthodes, de procédures, d’instrumentation en cohérence, en
implication avec la visée de valeur et la vision globale, et avec l’écoute des processus
implicites. Et c’est la multiplicité des temps vécus qui est à chaque fois considérée : une
lutte des temps subis et des temps choisis. Et il y a en plus les temps différents des
méthodes, des procédures, des instruments. Par exemple, la lourdeur de tel ou tel outil
peut créer un retard ou un gaspillage de temps, ou au contraire la pertinence d’un outil
peut accélérer une conscientisation. Bachelard le rappelait dans le « Nouvel esprit
scientifique » : « Les instruments ne sont que des théories matérialisées ». Il s’agit donc de
concevoir des outils suffisamment sensibles aux différences temporelles.
69 La rythmanalyse est l’apprentissage continu de l’appropriation des temps multiples
sociaux et personnels pour créer un rythme efficace d’action. C’est la maîtrise des
« dialectiques de la durée », « la continuité psychique est, non pas une donnée, mais une
œuvre » (Bachelard).
70 La limitation de temps (le temps comme rareté) exige encore plus la construction d’un
rythme personnalisé d’opération (il s’agit bien plus que de gestion du temps). La
perspective rythmanalytique souligne la construction d’une histoire unique à chaque
fois, d’une histoire se faisant avec des vitesses différentes. C’est l’articulation de ces
trois dimensions (visée de valeur, écoute des processus et rythme des opérations de

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


34

méthode) qui donne à la démarche sa force d’action. La démarche du conseil implique


donc à la fois :
• la construction d’une communication dialogique,
• un travail du sens pour rendre signifiants la situation, le projet et l’action,
• l’accompagnement de la mise en œuvre (ou non) de l’agir jusqu’à son terme.
71 Ce travail voudrait élever la rencontre ordinaire au niveau de l’essentiel pour, comme
l’écrit Max Weber : « Être à la hauteur du quotidien ».

4. Le conseil s’inscrit dans une construction globale


72 Une conception du conseil ne peut pas être simplement un discours théorique abstrait,
une vue aérienne sans obstacles. La carte n’est pas le territoire. Tenir conseil se définit
principalement dans une praxis. Cette praxis est fondée par une éthique/politique,
animée par une démarche située dans un développement socio-historique.
73 On a trop longtemps réduit le conseil à une addition de théories disparates ignorant
leur apparition historique, leur ancrage social. Trop souvent les conditions effectives de
réalisation du conseil sont méconnues et non intégrées à sa construction. Une pratique
de conseil ne peut pas être « rationnelle » dans sa conception et « irrationnelle » dans
sa mise en œuvre. Il y a plus. On ne peut pas, sans conséquences négatives, insister sur
la théorie seule (vision panoramique), et négliger les difficultés du terrain
(cheminement pratique). Ces oublis ou ces négligences ou ces rejets ont comme
conséquence que toute approche du conseil, incomplètement pensée, est récupérée,
oblitérée par le système social dominant selon les urgences de l’actualité sociale ou
selon la prégnance des modes intellectuelles. Une pratique de conseil qui ne pense pas
sa structure, son dispositif, est rapidement déviée de son sens.
74 L’erreur est de se centrer principalement sur ce qui est intrinsèque à la méthodologie
du conseil sans prendre en considération sa liaison avec l’ensemble des rapports
sociaux du moment. Quelle est donc la place possible et la fonction du conseil dans
l’ensemble de ces rapports ? Le positionnement du médecin, même repéré par une
longue histoire, est remis en question. On voit tous les conflits que cela soulève. Un
savoir et une pratique issus des sciences humaines, ne sont pas encore reconnus,
clarifiés, assumés par une société. Il y a un grand décalage entre la construction des
savoirs et leur circulation dans la société. Ces pratiques nouvelles sont partiellement
utilisées avec les préjugés dominants du moment. Et ces rapports sociaux sont
fortement marqués par des structures institutionnelles avec leurs traditions, par des
superstructures culturelles (pression des médias…).
75 Mais tenir conseil, c’est tenir ensemble la totalité du processus engagé dans chaque
situation singulière concrète, processus qui se constitue dans et par la praxis de la
personne (ou des ensembles de personnes). Reconnaître cela, c’est accepter de
considérer que le conseil est lui-même en situation. Tenir conseil ne peut ignorer les
formes historiques (communautés, institutions, cultures...) que se donne chaque
société, alors même que les événements historiques conditionnent l’apparition des
formes pratiques de conseil (par exemple, retour des combattants en 1945, question
féminine avec le planning familial, chômage important, épidémie du sida, violences
urbaines…).

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


35

76 Tenir conseil, c’est inventer avec l’ancrage historique, un rapport d’apprentissage des
conditions historiques qui motivent tel ou tel type de conceptualisation. L’histoire
collective et personnelle est ce qui nous sépare de nous-mêmes et ce que nous devons
franchir et traverser pour nous penser nous-mêmes.

5. Le conseil, démarche qui est construction continue


77 Une démarche est aussi une construction continue méthodique. Ce travail par méthode
implique.
• un travail du sens des actions,
• un travail de projet,
• un travail de l’agir,
78 mais aussi une articulation de l’ensemble unique à chaque fois, selon le type de
problème soulevé. Mais pour réaliser cette construction, il y a nécessité d’une relation
dialogique et d’un travail du temps.

5.1. Tenir conseil comme communication dialogique

79 L’insistance contemporaine sur la communication ne peut être acceptée, choisie, sans


critique si l’on veut que cela ne soit pas utopie ou idéologie aliénantes. Une
communication dialogique n’est pas une recherche idéalisée de consensus, mais une
lutte pour le sens à travers les pressions culturelles, politiques, économiques du
moment, une confrontation. Une telle communication ne privilégie pas la relation
interpersonnelle comme seule base de travail, mais prend souci de toute forme de
communication où la personne est en question. La décision de dialogue est
fondamentale et non pas accessoire. Il y a une tradition dialogique (Buber, Bakhtine, F.
Jacques, Todorov...). Le dialogique vise aussi la construction de l’information, de la
connaissance à travers les résistances, les préjugés. Le point de vue du consultant a trop
longtemps été « l’impensé » de tout ce travail. Le mode de raisonnement de chaque
partenaire est un travail réciproque : il est indispensable que tout le travail du conseil
soit vécu en sens partagé par les partenaires en présence.
80 À partir du point de vue dialogique, le sens ne se situe ni dans le locuteur, ni dans
l’auditeur : il se trouve dans l’interaction entre les deux partenaires. Dans le dialogique,
le sens est co-travaillé. Le sens est en travail. Cet agir dialogique est une praxis. C’est la
capacité de confronter des langages différents, des contradictions, etc. et de les
articuler pour construire un sens, sans rester dans le sens unique.

5.2. Le conseil comme travail du temps (moment-rythme)

81 Une des pierres d’achoppement du conseil, mais en même temps un levier, c’est le
temps. Il n’y a jamais assez de temps. Et l’on veut toujours plus du même. On demande
au conseiller d’être producteur de vitesse, mais le temps n’est pas la vitesse (cf. les
ouvrages de Virilio sur la « dromocratie »).
82 Le temps est aussi une rareté que je construis avec un risque de routine. Et en toute
situation, le temps est limité (délais, urgence, etc.) comme l’action est temporelle de
part en part. Le conseiller ne saurait donc se dispenser du travail du temps. Il y a un tel

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


36

choc informationnel dans une pression temporelle de la relation que ce rapport au


temps demande une attention, et une construction particulière dans chaque situation.
Le temps n’est pas donné, il est construit.
83 Il s’agit bien d’une reprise de la temporalité qui n’est pas homogène : chaque personne
vit, subit, assume plusieurs systèmes temporels (éventuellement contradictoires). Le
temps n’est pas une variable en plus. Il informe, donne forme, à toutes les dimensions
de l’action et du conseil. On ne peut pas réduire le temps à un découpage abstrait a
priori, ou le considérer seulement comme chronocentrisme quantitatif de la multiplicité
des temps sociaux.
84 Nous avons à construire des « moments » signifiants pour la personne en situation. Un
moment est un temps fort avec effet de sens (le kaïros). Si le temps est toujours limité,
l’opposition capitale n’est pas entre le bref et long, mais entre sensé ou insensé. La
clarification du sens du temps est nécessaire à la disponibilité entière du moment.
Apprendre l’essentiel du moment, c’est se rendre capable de situer les temps différents
d’une situation, d’une relation, d’une action. Un moment est une ponctuation, une
scansion qui rendent possibles un temps personnalisé, une implication signifiante pour
la personne. Ce n’est donc pas la quantité de temps qui est privilégiée, mais la présence
dans le moment passé ensemble.
85 Avec chaque moment, il s’agit de faire de la durée. Le moment sensé fonde l’efficacité
des étapes nécessaires selon la situation. « Toute durée véritable est essentiellement
polymorphe » rappelait Bachelard (1996, p. 8), qui ajoutait : « La continuité psychique pose
un problème et il y a nécessité de fonder la vie complexe sur une pluralité de durées qui n’ont pas
le même rythme, ni la même solidité d’enchaînement, ni la même puissance de continu... La
continuité psychique est, non pas une donnée, mais une œuvre ».
86 L’acte de conseil est temporaire, volontaire, non hiérarchique.

5.3. Le conseil comme travail de méthode

87 Le travail de méthode c’est la construction du cheminement de la personne (ou des


personnes) dans une situation particulière. Travail indique bien que le résultat n’est
pas antérieur au tenir conseil. Il y a recherche, construction. Tout est en travail, en
gestation. Rien n’est donné par opération magique, ou mécanique. Le conseil ne produit
pas un sens tout fait, a priori, qui attendrait d’être révélé, mais il dégage un sens qui
s’effectue dans le travail des acteurs.
88 Un travail méthodique n’est pas un ensemble de recettes, d’injonctions (il faut, on doit)
qui donneraient d’avance la réponse à tous les cas qui pourraient se présenter. Tout art
dépend de méthodes. Nietzsche le rappelait :
89 « Les méthodes, il faut le dire dix fois, sont l’essentiel, et aussi les choses les plus difficiles, celles
qui ont le plus longtemps contre elles les habitudes et la paresse ».
90 Une méthode, ce n’est pas un guide tout fait, un pense-bête, une check-list. Une
méthode est faite pour nous permettre d’utiliser au mieux notre capacité de réflexion,
d’imagination. Une méthode, c’est le chemin construit pour atteindre les objectifs visés.
C’est un ensemble organisé d’opérations, communicable, renouvelable, vérifiable. Une
méthode, c’est l’anti-habitude, l’anti-routine, mais si une méthode peut (doit) devenir
habitus, c’est seulement un travail répété qui donnera la maîtrise de la maîtrise. Le
spontané est aussi le fruit d’une conquête. Degas cherchait à arriver par le travail à

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


37

effacer le travail. Il s’agit bien d’élever notre niveau d’improvisation. « Nous avons besoin
de ce qui nous aide à penser par nous-mêmes : une méthode » (E. Morin).
91 Il s’agit de travailler par méthode : le sens, le projet, l’agir.

5.3.1. Le travail du sens

92 Le travail du sens, c’est : la limitation du sens, l’ouverture du sens, le discernement du


sens.
93 La limitation du sens
94 C’est une première approche qui donne un premier cadre par une narration et une
description de la situation. Mais achever ce premier cadrage, c’est passer de l’histoire-
récit à l’histoire-problème pour comprendre comment toutes les données sont organisées
par la personne, comment elle problématise sa situation. Il n’est pas indifférent que le
problème soit présenté de telle ou telle façon. Cette première problématisation est déjà
plus que le simple récit brut. Elle peut servir de repérage tout au long du travail.
95 Il s’agit déjà de sensibiliser à l’expression personnelle, de ne pas la réduire à des
schémas antérieurs, mais de déployer des horizons de sens. La limitation n’est pas une
fermeture, mais trop souvent les personnes manquent de mots pour dire. Souvenons-
nous de W. Benjamin qui souligne le déclin de l’art de raconter et le reliait directement
au conseil pratique (Benjamin, 1991, pp. 205-229).
96 L’ouverture du sens
97 Une première phase de l’ouverture du sens, c’est l’exploration, moment heuristique du
travail :
98 C’est l’apparition de nombreuses pistes, d’hypothèses de recherche possible. La tension
dynamisante entre écouter-questionner et exprimer-comprendre permet
d’expériencier le sens à plusieurs niveaux (cognitif, affectif, imaginaire). C’est une
étape active pour préciser le cadre de référence interne de la personne en situation, et
de « comprendre » comment les acteurs sociaux constituent leur « monde ».
99 Deuxième phase : la confrontation
100 Comprendre est un essai de saisir l’ensemble de cette exploration première. Il s’agit
maintenant de commencer à vérifier, compléter ce travail. La confrontation est la mise
à l’épreuve de la compréhension et cette traversée est une rencontre critique pour faire
dialoguer plusieurs langages : explication, information, interprétation. La
confrontation reprend les contradictions, les dissonances, les tensions, les conflits et, à
partir de là, précise un travail d’approfondissement par centrations et décentrations
successives, en alternance. Le travail de la négativité n’est pas un travail négatif, mais
au contraire constructif. La confrontation travaille les écarts, les décalages entre faits,
discours, ressentis et actes en situation. La confrontation repère les contradictions
éventuelles, les obscurités entre expérience, comportement, praxis. La confrontation
travaille les rapports entre les éléments et l’ensemble de la situation. Le travail se fait
autant par la partie que l’effet de l’ensemble. La confrontation travaille également à
détecter les points aveugles face à une situation. Tout cela n’a de chance de se réaliser
que si la démarche dialogique et confrontative de confiance réciproque à travers les
difficultés, soutient continuellement la démarche commune.
101 Dans l’élaboration (troisième moment), le sens est travaillé une troisième fois pour
cerner le sens le plus actif du moment. Il s’agit toujours des reprises des phases I et II.

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


38

Puis par exercices répétés et modulations de l’expression, il s’agit d’arriver à focaliser le


sens, puis à totaliser, c’est-à-dire de le situer par rapport à la totalité de la personne
(identité) et de le re-vérifier par le cadre socio-économique culturel et politique afin de
préciser la conscientisation (prise sur la situation).
102 Un dernier travail d’intégration permet de vérifier le sens acquis par la personne en
situation.
103 Le discernement du sens
104 Il est le travail des processus de valorisation (subjective) et d’évaluation (objective et
sociale) des représentations et des actions des personnes. Dans la mesure où des
critères évidents n’existent pas pour décider, ni des repères pour agir, il s’agit bien de
donner sens à l’action en situation. C’est le fondement éthique de l’agir qui est en
construction avec, pour souci, l’autonomisation, l’autodétermination de la personne
(des personnes). Cet art du discernement est trop négligé malgré son importance
primordiale car, insécurisant, il suppose une remise en question (« penser contre soi »),
une discussion. Le sens de l’agir est l’articulation entre la connaissance des éléments
constitutifs de l’action et l’engagement, l’implication dans une hiérarchie de valeurs,
d’intérêts...

5.3.2. Travail de projet

105 Si la notion de projet a tellement été de mode, c’est peut-être pour manifester le
manque que nous en avons. Si le projet fait difficulté, c’est sans doute parce que la
violence, l’incertitude et la complexité des situations socio-économiques, techniques et
politiques rendent risqué tout projet, surtout pour ceux/celles qui sont le plus
désorientés. Le projet reste alors un défi dans une société sans projet. Mais nous savons
aussi qu’imposer des projets n’est pas très efficace, cela reste « la grande illusion du projet
préfabriqué » (Lhotellier, 1997). Et en même temps, nous savons que toute action est par
principe intentionnelle, que l’homme est un être de projet, « que je suis ce que
j’anticipe » (Kelly, 1955). Il y a nécessité de projet parce qu’on ne peut pas attendre la fin
de l’histoire pour penser qu’alors elle aura un sens.
106 Le projet est élément constitutif de la praxis et ne peut donc être négligé. Mais il se
présente sous une double face : autonomie et action. L’autonomie est le noyau du projet
mais un projet n’a de sens que désigné en temps d’action à accomplir et non pas d’état
futur à atteindre. Un projet, c’est toute l’expérience de sa réalisation. Mais l’autonomie
dont la praxis ouvre le projet ne peut se penser comme fin pré-inscrite dans un plan,
dans un programme défini à l’avance. C’est plutôt un commencement, une
autonomisation, une entrée dans un processus d’émancipation, un travail éthique-
politique, lié au travail de la connaissance. C’est pourquoi nous rejoignons la formule de
Castoriadis : « Nous appelons praxis ce faire dans lequel l’autre ou les autres sont visés comme
être autonomes et considérés comme l’agent essentiel du développement de leur propre
autonomie. La vraie politique, la vraie pédagogie, la vraie médecine, pour autant qu’elles ont
jamais existé, appartiennent à la praxis. » (Castoriadis, 1975, p. 103).
107 Un projet, c’est donc, animé par des finalités, un objectif à réaliser, dans une situation
donnée, dans un délai limité, avec des moyens définis. Le travail de projet ne peut
donc, par exemple, se réduire à celui de projet professionnel isolé, surtout dans un
univers de mobilité sociale dans un monde d’emploi rare et précaire, dans une société
d’incertitude, car il est relié, confronté, aux projets de la personne (projet de société,

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


39

projets d’existence, de famille, de citoyen, etc.). Chaque projet interagit avec les autres,
de même que les divers champs d’activités d’une personne forment un système, comme
l’a montré Curie (Curie, 1993).
108 Ce travail fondamental ne peut être considéré comme secondaire ou évident car il ne
peut rester implicite sans susciter des conflits, des manipulations, des blocages que le
travail de projet prétend justement éviter. L’interrogation continue sur le sens du
projet reste indispensable.
109 Le premier sens du projet, c’est donc que le projet puisse avoir un sens pour la
personne (les personnes, les groupes, les institutions) et que l’horizon d’attente,
l’anticipation, la conscience possible d’un avenir puissent exister. Il s’agit bien d’avoir
une finalité, un objectif, reconnus et pris en considération par soi-même et non pas
vécus comme une contrainte.
110 Le travail fondamental de projet, c’est d’abord de clarifier l’univers de projet de la
personne, son cadre de référence (vision globale et visée de valeurs), image de soi,
niveau d’aspiration, conscience possible de l’avenir, idéologies, illusions, rêves ou
rêveries, reconnaître si un projet fondamental peut (ou non) animer l’action de cette
personne (groupe, institution) ou au contraire entraîner un refus de la situation
actuelle, ou une évasion par des conduites sans prise effective. Mais le travail de projet
n’est pas seulement sensibilisation au projet, clarification formulation, implication, il
est aussi travail méthodique : imaginer, concevoir, évaluer. C’est un travail de
concentration qui va du vague à l’acuité précise d’un ou plusieurs scénarios de projet,
qui va des finalités aux objectifs. Le travail de projet est aussi un travail d’acquisition de
nouvelles perspectives sur une situation ou d’invention radicale dans l’inconnu.
111 L’imaginaire est régulièrement dénoncé, condamné, récusé comme relevant aussi bien
du dérisoire que du pathologique, en tous les cas non mesurable, non fiable. Mais en
même temps, nous savons aussi qu’aucun symbole n’existe sans imaginaire. La
rationalité même n’est pas une forme arrêtée, définitivement fixée, c’est une incessante
conquête. Pour Granger (1993, p. 126) « La raison constitue à chaque époque, une figure
d’équilibre provisoire de l’imagination créatrice ».
112 Un projet porteur trouve son origine dans la motivation de la personne. Mais ni
l’impulsion ni le désir ne réalisent un projet. Le projet suppose la vision du rapport
finalité-objectif-but, fondé sur le rapport désir-besoin-valeur, médiatisé par le
rapport ressources-contraintes-gestion. Mais cette motivation est travaillée par
l’imaginaire. Faire un projet, c’est se donner le pouvoir d’imaginer, d’inventer sa vie.
« On ne veut bien que ce qu’on imagine vraiment vivement, ce qu’on couvre de beautés
projetées » (Bachelard). Encore faut-il apprendre à être à l’écoute de son imagination, et
cela dépend de la vie de mes propres images. Sans images fortes, stimulantes, le projet
risque de ne pas tenir (image de soi, niveau d’aspiration). Face à la pesanteur des
habitudes, aux conditionnements de chaque milieu, nos images sont une force. Une
personne peut aussi se définir par sa capacité d’anticipation. Tous les processus
psychologiques d’une personne sont canalisés par sa manière d’envisager le futur. « À
chaque moment de la vie, on est ce que l’on va être non moins que ce que l’on a été » (O. Wilde).
Si j’ai bien situé la force de mes images, de ma motivation, la rationalité n’est plus
conçue comme étroitesse, carcan logique, mais comme une stimulation, un surplus
pour encore préciser toute mon activité.
113 Le troisième travail de projet, c’est le trajet du projet : le rapport au temps, la capacité
de se fixer des objectifs à court, à moyen terme, avec l’horizon de long terme. Le travail

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


40

du temps, c’est d’équilibrer la vitesse et l’urgence des autres par une implication
temporelle différente dans l’instant (le moment) et la durée (rythme différencié de
chaque personne, groupe, institution) sans être bloqué dans la rigidité de plans,
programmes, etc.
114 Projet et trajet sont indissociables. Le trajet du projet, c’est la construction progressive
d’une démarche intégrative des obstacles extérieurs et/ou des contra dictions
intérieures. On oublie trop qu’un projet est un long parcours et non pas seulement un
résultat final. Le trajet, c’est la construction continue de la claire relation des buts et
des moyens. Le cheminement implique une valorisation de chacun des moments dans
leur singularité, dans leur différence, et dans leur nécessaire articulation. Le pouvoir du
commencement net tranche tous les freinages qui me retiennent. C’est le
commencement qui permet d’affronter les vrais obstacles. Tous les passages, les jalons
n’indiquent pas des étapes nécessairement séquentielles, mais un développement en
spirales autour d’une planification souple pour laisser place à d’éventuelles
réorientations nécessaires. Il s’agit donc, à chaque fois, de tâtonnement expérimental
pour atteindre l’objectif. Mais, par sa finition, chacun découvre que le projet réalisé
apporte encore plus de satisfaction que le projet rêvé, et que les obstacles contournés
apportent encore plus de valeur aux résultats. Chaque trajet de projet est un voyage
unique.

5.3.3. Le travail de l’agir

115 Tenir conseil ne vise pas seulement une intention, un choix à faire ou une décision à
prendre : il s’agit bien de réaliser un acte. Si donc l’agir est le centre du conseil, il s’agit
de s’y concentrer. Ce qui importe, c’est l’effectuation concrète d’une action sensée.
Mais l’acte est un résultat et l’agir n’est pas le récit de l’acte, c’est l’acte se faisant.
L’agir, ce n’est pas l’après coup. Après, d’innombrables interprétations, explications
peuvent tout expliquer sans avoir en rien aidé pendant. L’agir, c’est le cheminement de
l’acte. Ce dont il est question dans l’agir, c’est la naissance de l’acte, son
développement, c’est l’unique, le particulier, le contingent, l’incertain, le
contradictoire, l’imprévu, l’imprévisible, l’inconnu, le risque de la première fois (comme
firent Freud, Rogers, par exemple).
116 On ne peut pas continuer l’empirisme des pratiques, ou un bricolage éclairé, ou une
juxtaposition de disciplines sans articulation des niveaux d’intelligibilité d’une
pratique. On ne peut pas continuer à développer un niveau schizo, cassé, éclairé du
Savoir, absolutisé dans sa pureté de recherche qui se transforme en miettes
d’informations, privées de force germinative, pour coloniser, par des langages
étrangers, des pratiques ordinaires. Après tout, selon un mot célèbre, l’acteur social
n’est pas forcément un idiot culturel. Faut-il toujours plus d’experts pour davantage
d’ignorants ? « Il y a toujours quelqu’un qui sait à ma place ». Est-ce cela la rationalisation,
signe de modernité ?
117 Il ne s’agit pas de valoriser la pratique au détriment de la recherche. Il s’agit de
reconnaissance réciproque, mais de reconnaissance forte, radicale, d’une différence
créatrice ; un dialogue à part entière où personne n’est infériorisé, humilié. Sans penser
qu’à chaque fois, il faudrait une recherche de plus pour éclairer l’action en cours. Cela
n’a rien à voir avec un supposé rejet de recherche fondamentale, mais avec la nécessité
des sciences humaines de ne pas être un discours anonyme à côté des humains, ou
contre eux, pour les manipuler dans une utilisation partielle. Mais il y a aussi crise de la

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


41

formation pour mieux préparer les professionnels aux demandes-commandes de la


pratique.
118 Il s’agit bien de raison vivante, de travail vivant de la rationalité face à la violence
arbitraire à tous niveaux (physique, social, symbolique...), de ne pas voler la parole
d’autrui, de ne pas la réduire à mon code d’informations, de ne pas l’inférioriser ou la
rendre impuissante par le savoir de l’autre. Le tragique n’est pas la mort mais
d’empêcher de vivre tous les jours. L’irruption du tragique quotidien peut-elle nous
enseigner ?
119 Si l’on doit respecter les conditions d’une recherche dite scientifique, il s’agit de même
de respecter les conditions de l’action, sa logique propre : une situation unique, des
circonstances particulières, un temps limité, une décision prise dans une conjoncture
historique, avec des contraintes et des ressources données, des incertitudes et des
risques, pour des projets et des enjeux, avec des conséquences imprévues. La
reconnaissance forte d’une pratique ne résulte pas de la simple application d’un prêt à
penser tout fait, ce n’est pas une simple exécution.
120 Or, le plus souvent, la pratique ne naît pas d’abord d’une théorie, mais d’une question
de vie urgente. La pratique, ce n’est pas seulement ce qui est utile ou commode pour
une action efficace, c’est aussi ce qui a du sens quelque part pour les acteurs (même et
surtout quand il s’agit de non-sens comme souffrance). Mais la pratique, vécue comme
l’ensemble de nos actions, risque sans cesse de devenir routine sclérosée, aliénations à
plusieurs niveaux, bricolage réducteur, empirisme aveugle. Il s’agit de construire sans
cesse le sens de l’agir, il s’agit tout autant de résister à « la dévastation dont sont affectées
toutes les formes connues de l’action humaine ».
121 L’agir en situation d’une personne en devenir demande, pour qu’il prenne sens à la fois
une auto-réflexion critique, c’est-à-dire mise en question du sens et création de sens, et
une capacité d’action délibérée.
122 Une auto-réflexion critique
123 La logique du soupçon (esprit de recherche, de véri-diction, de vérification...) à l’égard
du discours de l’action, n’implique pas une invalidation totale ou continuelle de cette
parole. Les discours produits ne sont pas tous des rationalisa tions sommaires, des
illusions, des idéologies fausses. Même une parole incomplète, pauvre peut être source
de sens. La raison critique est une construction permanente : c’est le sens même du
dialogue. Et aucune action ne peut se priver des ressources symboliques des acteurs en
présence quelle que soit leur culture. Toute action exige une construction du sens de la
réalité sociale.
124 Avec la discussion, il s’agit de replacer au premier plan, la parole ordinaire plutôt que le
langage. C’est donc remettre en honneur la fonction d’échange et de communication
dans le langage, et non pas la simple transmission d’informations d’un sujet vers un
autre. Ainsi, avec les « actes de parole » (Austin, 1970), l’énonciation est une forme
d’activité spécifique par laquelle un sens se construit, des acteurs se définissent
réciproquement. Ce n’est pas un sens unique de représentations qui préexisteraient à
l’échange. Cette interaction trouve dans la recherche de l’accord sa visée intrinsèque,
et contribue ainsi à recréer en permanence le lien social. Il s’agit de (re)valoriser le
rapport au langage parlé/écrit insuffisamment approfondi. Si le langage reste obscur,
faible, sans impact, c’est qu’il n’est pas d’abord reconnu, ni ensuite travaillé. Il ne s’agit
pas ici d’injonction pénible, mais transformation continue du langage-bavardage en un

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


42

langage dévoilement (véri-diction). Ce travail des langages est d’autant plus une
nécessité que tenir conseil est souvent rencontre incohérente de multiples langages.
Les langages organisateurs de l’action sont souvent contradictoires. Les langages
administratifs, économiques, techniques, ne sont peut-être pas neutres par rapport aux
solutions et peuvent même dévaloriser des aspects de la réalité vécue des acteurs.
125 Une capacité d’action délibérée. (Castoriadis, 1990, pp. 189-225).
126 C’est toute la mise en œuvre : « délibération-décision-parcours d’action », qui fait entrer
cette auto-réflexion dans les processus d’actions. Tout ce travail ne peut se réaliser que
par apprentissages différenciés, essais et erreurs, selon l’état de la personne dans la
situation.

6. Le conseil est régulé par une évaluation


127 Sans évaluation permanente par les différents acteurs sociaux, le conseil continuera à
vivoter sans espoir de positionnement fort. On a trop agi comme si tenir conseil n’avait
pas de conséquences à suivre. Trop de conseillers ignorent l’impact de leur travail. Il
serait important de savoir quelles représentations s’en font les usagers des institutions
de conseil en tous genres, non pas seulement au niveau individuel, institutionnel, mais
comme fonction sociale globale. On a même pu proposer la création de groupes
d’usagers (ou crée bien des panels réguliers de consommateurs du marché
économique) pour suivre l’évolution des pratiques. Et ainsi donner sens à l’auto-
évaluation comme exercice de valorisation du jugement et comme entraînement à
l’autonomie. Cet apprentissage paraît nécessaire pour que le sujet social puisse vivre sa
responsabilité en sachant comment se situer avec des critères intériorisés. Et si ce n’est
pas le lieu de redéfinir les trois formes d’évaluation : prédictive, formative et
sommative, il serait au moins justifié de rappeler un critère temporel : une bonne
évaluation devrait être opportune, en fournissant ses conclusions au moment où elles
peuvent être prises en compte (Cardinet, 1989).
128 Et il ne s’agit pas tant ici, d’une évaluation-bilan tournée vers le passé que d’une
évaluation-régulation visant les décisions adaptatives à prendre dans le présent, fonder
une régulation « pro-active » selon l’expression de Allal (Allal, Cardinet, & Perrenoud,
1979).
129 Et se rappeler ici aussi qu’évaluation n’est pas contrôle. L’évaluation recherchée, ce
n’est pas le contrôle avec constat et sanction éventuels, ce n’est pas la mesure de la
conformité à un modèle donné, mais c’est la recherche du sens d’une action, des effets
de sens, par la rétro-action sur les processus en cours et non pas seulement sur les
procédures mises en place. Comment ne pas réfléchir à l’évaluation des politiques qui
assignent aux institutions, leurs missions et leurs moyens ?

7. Le conseil s’insère dans un champ spécifique donné


130 Le champ du conseil n’est pas la démarche. Ainsi, on voit en pratique le conseil
d’orientation, le conseil d’emploi, le conseil conjugal, le conseil de santé (avec des
différences : préventions des maladies, des accidents, soins palliatifs...), le conseil
éducatif (parents-enfants), le conseil pédagogique ou méthodologique (enseignant-
étudiant), le conseil en organisation, le conseil en formation, etc.

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


43

131 Plutôt que de s’ignorer réciproquement, Bourdieu rappelle (1984, p. 113) : « On peut se
servir de ce qu’on apprend sur le fonctionnement de chaque champ particulier pour interroger et
interpréter d’autres champs ». Et même les différents champs de conseil obligent à
s’interroger sur leur interaction plutôt que sur leur séparation. Penser au conseil dans
l’A.N.P.E., l’A.F.P.A., les C.I.B.C., les C.I.O., les P.A.I.O., les Missions locales, etc. On peut
aussi penser aux personnes « visitées » par les conseillers de plusieurs services
différents. Il est bien évident que chaque conseiller, outre sa formation à tenir conseil,
travaille de façon continue les informations et connaissances, les valeurs et intérêts, les
besoins et les demandes, les offres et les commandes qui structurent chaque champ
particulier.
132 Si l’on prend le champ au sens de Bourdieu, comme espace structuré de positions (ou de
postes) dont les propriétés dépendent de leur position dans ces espaces et qui peuvent
être analysées indépendamment des caractéristiques de leurs occupants, en partie
déterminées par elles, on voit que le champ de l’orientation a été peu théorisé. Un
champ se définit par des espaces et des intérêts spécifiques, mais « pour qu’un champ
marche, il faut qu’il y ait des enjeux et des gens prêts à jouer le jeu, dotés de l’habitus
impliquant la connaissance et la reconnaissance des lois immanentes du jeu, des
enjeux, etc. » On peut aussi voir comment ce champ est structuré en marché libéral, en
service public, en association d’aide. Et voir aussi le risque que peut prendre chaque
champ à se transformer en « appareil ». « Un champ devient un appareil lorsque les
dominants ont les moyens d’annuler la résistance et les réactions des dominés » (Bourdieu,
1984, p. 136).

Pour conclure provisoirement


133 Plus il y aura de violence, de souffrance, d’ignorance, d’incommunication, de rareté du
temps, de manque de repères, de nihilisme complaisant, d’insignifiance, plus il y aura
besoin de « tenir conseil ». On ne peut négliger cette nécessité si on ne veut pas d’une
société d’experts qui décident à notre place. Le conseil est confrontation continue à la
contingence brutale, à l’urgence des situations difficiles, où les abstractions ne peuvent
servir d’alibi. Le conseil est inéluctable, indispensable à la construction continue d’une
société. Et maintenant, tout reste à faire. Tenir conseil ne peut exister qu’avec la pensée
forte de conseillers conscients de leur tâche. Nous sommes loin d’avoir développé ce
que le conseil a de spécifique et de décisif.
134 On peut trouver étonnant, malgré tout le développement incessant des pratiques de
conseil, que l’Université ne lui donne pas sa place. Par comparaison, la psychothérapie
et la psychanalyse (qui concernent moins de personnes) ont gagné (mais par des
événements politiques comme 1968) leur place théorique honorifique (alors même que
la formation pratique reste en dehors). À quand une réflexion critique/créative sur tout
cela, alors même que se créent des Institutions Européennes du Conseil ? On ne peut
plus se contenter du rôle de conseiller comme supplétif d’un système sans projet. Face à
des dispositifs de contrôle incessants (et communication instantanée), comment créer
des agencements collectifs de veille et d’éveil des personnes (il y a bien des systèmes de
veille technologique) échappant à la fois aux savoirs constitués, aux pouvoirs
dominants, aux marchés de consommation, aux médias dévorants ?
135 Si une société peut se définir par ses contradictions, ses conflits, elle se définit aussi par
ses fuites, surtout devant la personne. Il ne suffit pas de célébrer les droits de l’homme, il

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


44

manque ce souci de la personne au quotidien des actes. Comment le devenir personne


peut-il exister dans ce monde de contradictions ? La personne a-t-elle un pouvoir
constituant, un pouvoir de résistance ? Et le savoir est-il pouvoir d’émancipation ou de
servitude ? Le conseil, plus que transgressif ou subversif, est intempestif (Nietzsche),
c’est-à-dire pouvoir de créer du nouveau, de créer l’irruption d’un devenir possible.
136 Si l’on veut que le travail des Sciences Humaines ne soit pas un décor éphémère
obligatoire, sans réelle diminution de l’inhumain de chacun d’entre nous, il y a bien
nécessité du travail de tenir conseil. Si l’on veut que le savoir ne se réduise pas à une
consommation futile, mais au contraire se développe dans un vrai travail de soi, il y a
bien nécessité de tenir conseil. Si l’on veut que le savoir ne soit pas réservé à quelques
privilégiés de la culture ou de la finance, il y a bien nécessité de tenir conseil. Tenir
conseil est devenu un acte nécessaire, ordinaire. Serons-nous à la hauteur du parcours
de l’extrême ordinaire ?
137 C’est le plus grand défi lancé aux sciences humaines : la construction du sens des actes
des personnes, des groupes, des institutions. La situation est trop grave pour rester
enfermés dans des langages hermétiques. La rationalité pratique n’a pas gagné à ce
genre de « pathos ». Mais il est urgent que les méthodes puissent se laisser instruire par
la souffrance, par le tragique des violences ordinaires. Alors peut-être le service, issu
d’une éthique de la connaissance pourra contribuer à construire une solidarité de
personnes. « Ce n’est pas ce qui est, mais ce qui pourrait et devrait être, qui a besoin de
nous » (Castoriadis, 1997).

BIBLIOGRAPHIE
Allal, L, Cardinet, J., & Perrenoud, S. (1979). L’évaluation formative dans un enseignement différencié.
Berne: P. Lang.

Argyris, C., & Schön, A., (1974). Theory in practice. San Francisco: Ed. Jossey-Bass.

Austin, J.L. (1970). Quand dire, c’est faire. Paris : Le Seuil. Bachelard, G. (1986). Dialectique de la
durée. Paris : P.U.F.

Benjamin, W. (1991). Écrits français. Paris : Gallimard.

Bourdieu, P. (1984). Questions de sociologie. Paris : Éd. de Minuit.

Cardinet, J. (1989). Choisir la démarche d’évaluation. Qui ? Comment ? In Colomb-Marsenach


(Dir.), L’évaluation en révolution. Paris ; I.N.R.P.

Castoriadis, C. (1975). L’institution imaginaire de la société. Paris : Le Seuil,

Castoriadis, C. (1990). L’état du sujet aujourd’hui. In Le monde morcelé (pp. 189-225).

Castoriadis, C. (1997). Fait et à faire. Paris : Le Seuil.

Curie, J. (1993). Présentation : Faire face au chômage. L’orientation scolaire et professionnelle, 22, 4,
295-303.

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


45

Egan, G. (1987). Communication dans la relation d’aide. Laval (Québec) : Éditions Etudes vivantes.
(Traduction : Françoise Forest).

Granger, G.G. (1993) (loe éd.). La raison. Paris: P.U.F.

Kelly, G.A. (1995). The psychology of personal constructs. New-York: Norton.

Lhotellier, A. (1972). Le conseil en question. I.R.T.A.C. Paris U.N.E.S.CO.

Lhotellier, A. (1973). La question du conseil. Bulletin A.C.O.F., 237.

Lhotellier, A. (1973). La relation de conseil. Le conseil sans conseils. Toulouse : Privat.

Lhotellier, A. (1975). La radicalisation du conseil. Bulletin de la Sorbone, Tome XXIX, 322, 8-13,
Lhotellier, A. (1975). Temps et conseil. Bulletin de la ligue française d’hygiène mentale.

Lhotellier, A. (1986). Le travail méthodique de projet. L’Éducation permanent, 86.

Lhotellier, A, (1986). Des temps de projets. Archives de sciences sociales de la coopération et du


développement.

Lhotellier, A. (1990). La présence de Rogers. Texte et vidéo, groupe rogérien de Paris.

Lhotellier, A. (1993). Des outils peut-être, une démarche théorique et pratique sûrement. Revue de
Carriérologie, vol. 5,

Lhotellier, A. (1997). La grande illusion du projet préfabriqué. Carriérologie, vol. 6, 2-3, 105-115.

Lhotellier, A. (1997). L’approche personnaliste de Rogers et sa nécessité pour le monde de


demain. Mouvance Rogérienne, no spécial mars 1997.

Lhotellier, A. (1997). La démarche de consultance et la formation des conseillers. Spirale, Université


de Lille III.

Lhotellier, A. (1997). Bilan du conseil. Vers la consultance du XXF siècle. Revue L’Indécis, 28.

Lhotellier, A. (à paraître). Tenir conseil. Théorie et méthodologie de la consultance.

Limoges, J. (1982). S’entraider : Montréal : Éd. de l’Homme.

Lippitt, G, & Lippitt, R. (1980). La pratique de la consultation. Victoriaville : Éd. N.H.P.

Nepveu, A. (1961). Les relations interpersonnelles en orientation scolaire et professionnelle. Le


processus de conseil. B.I.N.O.P., 17, 1, 163-176.

Oury, F., & Pochet, C. (1997). Qui c’est l’conseil ? Paris : Ed. Matrice.

Piéron, H. (1954). L’orientation professionnelle : les problèmes généraux. In H. Piéron. (Dir.),


Traité de psychologie appliquée, tome 3, (pp. 341-370). Paris : P.U.F.

Saint-Amaud, Y. (1990). Profession Consultant. Paris : l’Harmattan.

Super, D.E. (1958/59). Les techniques du conseil et l’analyse des interviews. Bulletin de psychologie,
Tome XX, 157, 308-314 ; 162, 524-537 ; 163, 628-632 ; 165, 697-707.

Super, D.E. (1960). Les techniques d’entretien. Bulletin de I’I.N.E.T.O.P., 16, 2, 107-115.

Whorf, B. (1969). Linguistique et anthropologie. Les origines de la sémiologie. Paris. Denoël-Gonthier.

Winnicott, D. (1986). Conversations ordinaires. Paris : Gallimard.

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


46

ANNEXES
Déroulement de la démarche de « Tenir conseil »
Model of counseling
« Ma devise est : Quel est le minimum indispensable ? »

NOTES
1. C’est l’acte de tenir conseil, fondement du métier de conseiller, qui est précisé ici, et non pas
encore le champ entier du conseiller d’orientation.
Ce travail fait partie d’un ensemble qui le situe.
1 L’acte de Tenir conseil,
2 Les dispositifs du conseil (l’institutionnalisation comme processus créateur et ses modalités :
entretien, groupes, communication à distance),
3 La formation des conseillers.
Conclusion : le style d’action du conseiller.
L’auteur, outre de nombreux stages dans des C.I.O. ou des formations à I’I.F.E.P.P. avec des
conseillers, s’est toujours soucié de l’évolution des pratiques d’orientation depuis le congrès de
Montpellier de 1969. Le travail présenté ici paraîtra dans un ouvrage « Tenir Conseil » dans les
premiers mois de l’an 2000.

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


47

RÉSUMÉS
Le conseil, pratique traditionnelle très forte, s’est souvent banalisé en « donner des conseils », le
contraire de « tenir conseil » : délibérer pour agir. Nous avons aussi oublié le sens politique
fondamental du terme, comme dans conseil municipal, gouvernemental, etc. Le conseil est à la
base même de la démocratie. Mais qu’est devenue cette pratique dans le conseil d’administration,
le conseil de classe, le conseil de quartier, etc. ? Des milliers de conseillers travaillent parmi nous.
Est-ce le règne des spécialistes, des experts, ou est-ce un autre phénomène, manifesté sous des
noms différents : aide, accompagnement, tutorat, mentorat, coaching, counseling ? « Tenir
conseil » est une activité qui nous concerne tous, là où nous vivons et travaillons. Il n’y a jamais
eu autant d’urgence et d’importance à tenir conseil pour faire face à l’événement et à
l’urgence pour : s’approprier l’information et le savoir ; fonder les décisions ; créer, innover ;
accompagner les changements ; l’art de se conduire ; l’art de participer (conseil de groupe) ; l’art
de transcender, de donner sens à nos actes, à nos travaux ; créer de l’intelligence collective, une
citoyenneté active.
Mais en même temps, quel est l’espace public du conseil : marché ? Contrainte ? Volontariat ? Si
nous ne voulons ni le conseillisme d’Etat, ni la conseillite libérale, que faire ?

The aim of this paper is to present a point of view on counseling (« tenir conseil ») which is
mainlyfocussed on the action of the person and the building of its meaning, founded on dialogical
communication, in an appropriate rhythm of time

INDEX
Mots-clés : « Tenir conseil », travail du sens, dialogique, délibération, rythmanalyse, action
Keywords : Counseling process, meaning and values, dialogic, deliberation, rythms of time,
action

AUTEUR
ALEXANDRE LHOTELLIER
L’auteur a rempli trois fonctions : Universitaire, Consultant et Formateur.
Intérêts professionnels : Le « tenir conseil » ; La formation d’adultes et l’Autoformation ; La
formation de Formateurs (I.F.E.P.P., Paris) ; La discussion dialogique et démocratique ; La
démarche de Praxis ; Histoires de Vies.
alkairos@club-internet.fr

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


48

Que peut apporter la théorie de


l’attachement aux psychologues du
conseil ?
What is the relevance of attachment theory for counseling?

Pascal Mallet

NOTE DE L’AUTEUR
Cette recherche a bénéficié des moyens mis à notre disposition par le Conservatoire
National des Arts et Métiers (I.N.E.T.O.P., Paris) et l’Université de Reims. Merci aux
deux experts et à Serge Blanchard, pour leurs remarques sur une première version de
l’article.

Introduction
1 Avec la première livraison de L’Orientation Scolaire et Professionnelle 1, le lecteur
francophone avait pu prendre connaissance de la théorie de l’attachement : « une
nouvelle théorie sur les origines de l’affectivité » (Zazzo, 1972, p. 101). Au cours du
quart de siècle suivant, hormis un ouvrage en forme de colloque épistolaire (Anzieux et
al., 1974), peu de publications en langue française ont porté sur cette théorie. Quelques
articles lui sont de temps à autre consacrés (par exemple, Le Camus, 1990 ;
Pierrehumbert et al., 1996). Récemment, un numéro spécial de la revue Enfance a
entrepris de combler ce qui apparaît comme une lacune, si l’on se réfère à la
« littérature » internationale. En effet, dans les revues savantes anglophones, au cours
des années 1990, en moyenne une demi-douzaine d’articles ont paru chaque semaine
sur cette théorie ‒ il est vrai d’origine britannique ‒ et le courant semble encore en
expansion. La théorie de l’attachement (T.A.) n’est pas un filon de recherche marginal.

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


49

2 Toutefois, si l’on se souvient qu’elle concerne la formation des premiers liens, et tout
spécialement celui entre le bébé et la mère, il peut sembler surprenant de s’y référer à
propos de la psychologue du conseil. Certes, on reconnaît volontiers que les relations
entre le jeune enfant et ses parents ont un impact considérable dans la suite de sa vie.
Mais, dans l’entretien psychologique de conseil, on n’analyse pas souvent de façon
approfondie l’histoire de la prime enfance du consultant. Alors comment expliquer
qu’au cours de ces dernières années, des spécialistes de la psychologie du conseil aient
proposé de s’appuyer sur la T.A. ? Une première réponse est qu’en un quart de siècle
cette dernière a évolué, n’est plus autant focalisée sur le jeune enfant, mais porte sur le
développement socio-émotionnel tout au long de la vie. Des raisons plus précises
justifient l’intérêt que des psychologues du conseil, de plus en plus nombreux, portent
à la T.A. Nous essaierons de les faire ressortir.
3 La première partie expose la T.A. dans ses grandes lignes. Nous présentons brièvement
les principaux concepts et propositions de la T.A. Afin de mieux en saisir l’originalité,
nous examinons ensuite ses principales sources d’inspiration, son évolution et les
arguments qui l’ont amenée à prendre distance par rapport à la théorie freudienne de
l’ontogenèse affective. Nous terminons cette première partie en précisant comment la
psychanalyse freudienne se situe par rapport à la T.A. et les principales critiques
auxquelles la T.A. a donné prise. La seconde partie est consacrée aux applications et
implications de la T.A. pour la psychologie du conseil. Nous envisageons l’éclairage
qu’elle peut apporter, d’une part, sur la formation des intentions d’avenir scolaire et
professionnel et, d’autre part, sur la conduite de l’entretien de conseil.

1. La théorie de l’attachement
1.1. Vue d’ensemble à travers les principaux concepts et
propositions

4 L’idée fondamentale de la T.A. est que tout être humain est animé par un besoin
d’attachement génétiquement programmé, sélectionné au cours de la phylogénèse pour
sa fonction adaptative de protection de l’organisme. Ce besoin se manifeste par des
comportements de recherche de proximité et de contact par rapport à un ou quelques
partenaires préférés qui, électivement, renforcent les sentiments de sécurité
personnelle. L’organisme est également animé par un besoin d’exploration F0 2D d’acquérir

de nouvelles connaissances sur son environnement et sur soi 2D qui est régulé
F0

notamment par les possibilités dont il dispose de satisfaire son besoin d’attachement.
Ainsi, une personne est d’autant plus à même de développer ses connaissances qu’elle
dispose d’un ou plusieurs partenaires d’attachement sur qui elle croit pouvoir compter.
Un partenaire qui joue ce rôle d’apporter une sécurité personnelle et de favoriser les
capacités d’exploration constitue une base de réconfort (« a secure base »).
5 Les comportements d’attachement évoluent au cours de la vie, en fonction de la
maturation et des normes culturelles. Ils sont organisés en un système d’attachement,
qui comporte des représentations mentales (les « working models ») qui assurent la
pérennité d’un certain type d’attachement. Ce type d’attachement varie selon les
individus. Il peut aussi varier, pour un même individu, selon les partenaires
d’attachement. Le type d’attachement résulte de l’histoire des interactions avec le
partenaire considéré. Il est déterminé par des caractéristiques tempéramentales et par

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


50

les soins des partenaires d’attachement. Une personne ‒ enfant, adolescent ou adulte ‒
possède en général plusieurs attachements. Ils ne sont pas organisés en une hiérarchie
absolue. Leur importance respective varie avec les situations. Ainsi, le plus souvent,
pour un enfant, l’attachement à la mère est privilégié dans les situations de détresse,
l’attachement au père dans les situations de jeu, Dans les deux cas, la fonction de la
relation est de redonner confiance en soi. La hiérarchie d’activation des sous-systèmes
d’attachements relatifs à des partenaires spécifiques varie selon les individus et selon
les situations.
6 Telle est, résumée en quelques concepts et propositions, la T.A. Pour en saisir plus
précisément la portée et l’originalité, il convient d’examiner sa genèse.

1.2. Une théorie issue de la psychologie clinique et pathologique

7 La formation de la T.A. date des années 50 et 60 (Bowby, 1958, 1969). Elle est en partie
issue de la psychologie clinique pratiquée par Bowlby, psychiatre psychanalyste qui ne
se satisfaisait pas que la cure analytique soit le seul mode de traitement des troubles
psychologiques et l’unique moyen de recherche sur le développement affectif du jeune
enfant.
8 Dans un de ses derniers articles, Bowlby (Ainsworth & Bowlby, 1989) raconte que,
étudiant en médecine, il avait été impressionné par deux jeunes patients, toujours en
quête d’affection, qui n’avaient jamais pu vivre une relation stable avec un adulte qui se
soit occupé d’eux. Le plus grand avait été renvoyé du collège pour des vols répétés et,
même si autrement, écrit Bowlby, « son adaptation sociale était globalement normale, il
n’avait pas d’amis et semblait isolé émotionnellement ‒ des adultes comme de ses
pairs... » Bowlby poursuit : « Je fus ainsi sensibilisé à l’idée d’un rapport possible entre
d’une part une carence affective et d’ autre part le développement d’une personnalité
incapable d’établir des liens affectifs, inaccessible aux compliments comme aux
réprimandes et sujette à des conduites délictueuses à répétition » (Bowlby, 1981, cité in
Holmes, 1993/1995, p. 18). Rétrospectivement, Bowlby considère que ces deux
rencontres décidèrent de son orientation vers la psychiatrie. Mais, devenu
psychanalyste, il eut vite l’impression que « les analystes, préoccupés par la vie
fantasmatique des enfants, accordaient trop peu d’attention aux événements actuels de
la vie réelle de l’enfant » (Ainsworth & Bowlby, 1989, p. 333).
9 Bowlby entreprend alors des recherches quantitatives avec des échantillons mieux
identifiés que l’ensemble hétérogène de ses patients. Il montre que les expériences de
manque de soins maternels sont plus fréquentes dans un groupe d’adolescents voleurs
que dans le groupe contrôle. En observant de jeunes enfants momentanément placés en
institution pour raison de santé physique, il met en évidence que de telles séparations
produisent des effets négatifs, indépendamment de toute autre forme de carence
(alimentaire, hygiénique, etc.). Il en déduit que, dès les premiers jours, l’enfant a besoin
d’une relation stable avec un partenaire privilégié, et que des manques dans ce
domaine ont des conséquences néfastes pouvant se prolonger au-delà de la prime
enfance. Ses observations sont en continuité avec celles de Spitz, autre psychanalyste et
pionnier de l’observation filmée des comportements sociaux des jeunes enfants.
Avancer cette notion d’un besoin d’affection primaire amène Bowlby à remettre en
cause la théorie freudienne de « l’étayage », selon laquelle le bébé apprenait à aimer sa
mère parce qu’elle satisfaisait son besoin de faim ; l’orientation du bébé vers elle

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


51

« s’étayait » sur la satisfaction de ce besoin. Plus globalement, c’est la théorie


freudienne des pulsions qui est rejetée. Elle décrivait le jeune enfant isolé du monde, en
proie à des tensions libidinales relatives à son besoin de faim. En l’absence de la mère,
les pulsions s’accumulaient et généraient une angoisse croissante. Pour Bowlby, le bébé
recherche la proximité et le contact avec sa mère, non pas tant comme un moyen pour
décharger une énergie accumulée en son absence, mais d’abord parce qu’il est animé
d’un système de motivations primaires qui lui fait rechercher cette proximité et ce
contact pour eux-mêmes (Bowlby, 1961). Certes, la T.A. conserve de la conception
freudienne (Freud, 1905/1962) l’accent mis sur le rôle des relations entre les parents et
le jeune enfant dans le développement psychologique ultérieur. Mais les stades
psychosexuels freudiens, avec possibilités de fixations et de régressions, sont eux aussi
rejetés par Bowlby, du fait de la continuité du besoin d’attachement, et du fait de
l’importance accordée aux facteurs actuels du développement : le chemin emprunté par
le développement ne résulte pas uniquement des premières expériences affectives.

1.3. Une théorie psychologique imprégnée d’éthologie

10 À cette origine de la T.A. dans une psychologie clinique et pathologique s’ajoutent deux
autres sources d’influence qui ne relèvent plus de la psychologie. Bowlby s’est appuyé
sur l’observation des phénomènes d’imprégnation dans différentes espèces animales. Il
s’agit d’abord, chez divers oiseaux, de la réaction de poursuite précoce, par laquelle les
oisillons sitôt éclos suivent la première source de stimulation qui se présente à eux. Au
cours de cette poursuite, ils mémorisent très rapidement les caractéristiques
perceptives de l’objet poursuivi, qui devient électivement apaisant. Des phénomènes
analogues sont observés dans d’autres espèces, plus proches de l’humain. Pour
certaines d’entre elles, les nouveau-nés ne sont pas en mesure de poursuivre la source
de stimulation par des déplacements locomoteurs. La poursuite, alors uniquement
perceptive, notamment visuelle, n’en est pas moins source d’imprégnation, de
mémorisation en profondeur du partenaire. D’autres comportements, par exemple de
blotissement et d’agrippement, apparaissent dans des espèces plus évoluées que les
oiseaux.
11 Les expériences réalisées par Harlow et ses collaborateurs (par exemple, Harlow, 1958)
sur des macaques élevés en isolement social ont apporté des arguments
supplémentaires à l’appui de la thèse selon laquelle le nouveau-né a initialement besoin
de s’agripper et de se blottir auprès d’un partenaire qui reste à peu près le même au fil
du temps. En présence de deux substituts maternels, le jeune animal passe une bonne
partie de ses jours et de ses nuits sur le mannequin recouvert de tissu, et il ne grimpe
sur celui nourricier recouvert de grillage que le temps nécessaire pour s’alimenter.
Après quelques semaines d’imprégnation, la seule vue du mannequin en tissu apaise
l’animal. Plus encore, lorsqu’on introduit des objets ou de jeunes congénères inconnus
dans sa cage, il se réfugie sur le mannequin en tissu. Depuis ce refuge, il s’avance
progressivement vers l’inconnu pour en prendre connaissance. En explorant, il se
tourne vers la région faciale de son « partenaire d’attachement », comme pour solliciter
de sa part des conseils... « d’orientation ». Si le jeune singe n’a pas grandi en présence
d’un substitut maternel doté des propriétés nécessaires à la satisfaction du besoin
d’attachement, il reste prostré, incapable d’exploration.

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


52

12 Ces faits d’imprégnation et d’attachement chez l’animal ont été interprétés dans une
perspective évolutionniste. Le jeune animal est considéré comme équipé
génétiquement de comportements qui ont pour effet, en situation naturelle, de le
maintenir à proximité d’un partenaire adulte de son espèce. Ainsi il reçoit de ce dernier
soins et protection. Par là-même, les comportements d’imprégnation et d’attachement
apparaissent nécessaires à la survie, au développement et, par là, à la reproduction de
l’animal. Les travaux de Harlow en particulier, par l’éloquence des situations
expérimentales, ont contribué au succès de la T.A. De tels travaux prêtent à
l’anthropomorphisme autant qu’à la réduction de l’humain à l’animal. Aussi Bowlby
n’a-t-il pas manqué de rappeler que « il n’est jamais permis de déduire d’une espèce à
une autre... L’homme appartient à une espèce présentant certaines caractéristiques
inhabituelles » (1961, p. 623). C’est donc avec prudence que Bowlby a avancé l’idée de
similitudes fonctionnelles entre des comportements du nouveau-né humain et des
comportements observés dans d’autres espèces, Dans un premier temps, il a distingué
cinq comportements servant à maintenir le contact, directement ou par une
communication à distance (succion, cri, sourire, poursuite visuelle, et agrippement).
Bowlby a élargi plus tard la catégorie des comportements d’attachement à tous ceux
« dont le résultat est qu’une personne obtient ou conserve une proximité avec un
individu qu’elle préfère » (1980/1984, p. 58).

1.4. La références à la cybernétique et aux sciences cognitives


1.4.1. Le système de comportements d’attachement

13 Pour rendre compte du déclenchement et de l’arrêt des comportements d’attachement,


Bowlby a emprunté à la cybernétique ses systèmes auto-contrôlés par boucles de
rétroactions maintenant l’homéostasie (Grey-Walter, 1953/1960 Wiener, 1948/1995). Le
système de comportements d’attachement est un système parmi d’autres, et non le
système prédominant qui prétendrait expliquer l’ensemble des conduites. Il n’est pas
activé en permanence et dispose d’une certaine autonomie par rapport aux autres
systèmes. Cette conception laisse moins de place aux conflits, comparativement à la
métapsychologie de Freud, mais l’influence qu’incarne ce dernier réside ici, comme le
note Rutter (1997), dans le rôle accordé aux structures internes de régulation. Elles ne
sont pas seulement mémoire des expériences d’attachement, les répercutant
inchangées dans les relations ultérieures, mais des moyens pour la personne d’influer
sur le cours de sa vie. Bowlby ne simule pas sur ordinateur le système de
comportements d’attachement et son développement, mais sa conceptualisation fait
appel aux modèles d’automates des sciences cognitives alors toutes nouvelles. Il
n’hésite pas certains rapprochements hardis : « Les bébés cessent de crier quand on les
prend dans les bras ; le cheval emballé se calme en arrivant à l’écurie. Dans chaque cas
une activité quelquefois très intense cesse en présence d’une situation où elle
rencontre un stimulus externe, de la même façon qu’un jeu de football est interrompu
quand l’arbitre siffle, et que l’auto s’arrête devant un feu rouge » (1959/1961, p. 624).
14 La position de Bowlby dans le champ de la psychologie reflète celle du biologiste Hinde
(1982) dans son domaine. Hinde préférait la vision cybernétique de la régulation des
comportements des animaux, à celle proposée par Lorenz, de réservoirs d’énergie
nécessitant des décharges lorsque certains seuils étaient atteints (modèle
hydrodynamique identique à celui des pulsions chez Freud). En fait, comme l’a souligné

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


53

Reuchlin (1977/1991), ces deux visions ne sont pas exclusives, les systèmes de contrôle
cybernétiques, en maintenant entre certaines normes les paramètres sous leur
contrôle, opèrent en sorte de réduire les tensions.
15 Le système d’attachement se différencie et se complexifie au cours du développement,
toujours orienté vers le même but général de recherche de proximité et de contact
auprès de partenaires sécurisants. Certains comportements d’attachement se
prolongent tout au long de la vie, d’autres apparaissent. En particulier, les moyens de
satisfaire le besoin de sécurité personnelle laissent de plus en plus de place à des
régulations utilisant la pensée symbolique et abstraite. La nature des conduites
d’attachement dépend largement des conditions de vie sociale. Tout
phylogénétiquement sélectionné qu’il soit, le besoin d’attachement se manifeste donc
par des conduites dont le développement emprunte des voies balisées par la culture.

1.4.2. Les modèles internes et évolutifs des attachements

16 Invoquer des structures internes vise en particulier à rendre compte des effets à long
terme des expériences précoces. Le concept central dans ce domaine est celui des
« internal working models »2 d’attachement, que l’on peut traduire par « modèles
internes et évolutifs » d’attachement. Ces représentations men tales, comparativement
à celles conceptualisées dans la perspective freudienne3, ont l’avantage de « permettre
une plus grande précision de description et de fournir un cadre théorique qui se prête
mieux à la planification et l’exécu tion d’une recherche empirique » (Bowlby, 1981, cité
par Holmes, p. 78). Ce sont des structures à la fois cognitives et affectives, qui se
développent en fonction des interactions de l’enfant avec ses partenaires privilégiés.
D’abord mémoire des régularités que l’enfant est capable d’extraire de ses expériences
socio-émotionnelles, ces représentations se différencient progressivement, en
particulier selon qu’elles portent sur tel partenaire ou sur soi. Toutefois, « même
lorsque les modèles de soi et de l’autre sont devenus distincts, ils représentent les deux
faces d’une même relation et ne peuvent pas être compris sans référence l’un à l’autre »
(Bretherton, 1985). On voit qu’à un siècle de distance la conceptualisation est proche de
celle de James Mark Baldwin (1895/1897).
17 Bowlby insiste sur l’impact de ces représentations sur le développement individuel au-
delà même des conduites d’attachement. Plus l’enfant aura fait l’expérience de
partenaires qui répondent vite et efficacement à ses appels, plus il sera animé par la
confiance que ses partenaires privilégiés le secourront en cas de besoin. Il se sentira
d’autant plus en sécurité, sûr de lui et enclin à explorer l’inconnu. A partir de son
attente d’être secouru, l’enfant élaborerait une représentation de soi comme
secourable, digne d’être soutenu, protégé, et en fin de compte aimé. C’est ainsi que la
représentation de soi, qui contribue à réguler les relations intimes, aurait aussi un
impact sur le développement des connaissances. Si ces régulations psychologiques sont
appelées des « working models », c’est pour marquer leur plasticité en fonction des
nouvelles expériences d’attachement et des élaborations sociocognitives.
18 Baldwin (1992) a proposé une définition de ces représentations en termes de schémas
relationnels. Ces derniers incluent un script d’interactions, un schéma de soi et un
schéma du partenaire en situation interpersonnelle. Cet auteur s’appuie donc sur les
concepts développés dans les approches sociocognitives de la perception des
personnes, de soi, des situations et des relations interpersonnelles. Outre les notions de
schémas de soi et d’attentes interpersonnelles, on retrouve celles de formation

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


54

d’impression ou de traitement automatique, et les techniques expérimentales qui


permettent de les opérationnaliser. Ainsi, par exemple, Baldwin, Fehr, Keedian, Seidel
et Thomson (1993) ont étudié les rapports entre les styles personnels d’attachement de
jeunes adultes et leurs systèmes d’attentes concernant les interactions avec les
partenaires de relations amoureuses. Les auteurs montrent que, dans une tâche de
décision lexicale, les sujets se conduisent différemment selon leur style d’attachement.
Lorsque leurs réponses à un questionnaire indiquent qu’ils ont globalement confiance
dans la disponibilité et le soutien que pourraient leur apporter leurs partenaires
d’attachement, ils identifient plus vite des mots représentant un résultat
interpersonnel positif, comparativement aux autres sujets. Inversement, ces derniers ‒
qui ont un style d’attachement « anxieux » ‒ identifient plus rapidement les mots
référant à des résultats négatifs.

1.5. Extension de la T.A. au-delà de la formation des premiers


attachements

19 Après avoir porté sur la formation des premiers attachements au cours de la première
année de vie, la T.A. a servi de cadre à des recherches sur des enfants plus grands, des
adolescents, puis des adultes. Dans l’ensemble, les faits nombreux et diversifiés ainsi
recueillis apportent un soutien empirique à l’appui des idées ‒ certes assez générales ‒
d’Ainsworth et Bowlby sur la nature des régulations internes des attachements. Ces
faits concernent d’une part les rapports entre la nature des expériences socio-
émotionnelles avec la mère au cours de la première année et le type d’organisation des
conduites d’attachement à la mère à partir de cette période. Ils portent d’autre part sur
les rapports entre le type d’attachement à la mère et divers aspects du développement
intellectuel et social en dehors des relations d’attachement.
20 Beaucoup de ces recherches ont consisté à attribuer à l’enfant, observé entre un et
deux ans et demi, un type d’attachement à la mère, et à mettre en rapport cette
caractéristique individuelle avec d’autres caractéristiques, antérieures ou ultérieures.
Pour ce faire l’enfant est le plus souvent observé dans une situation standardisée
pendant une vingtaine de minutes ; c’est la fameuse « situation étrange » (Ainsworth,
Blehar, Waters, & Walls, 1978). Elle fait en général intervenir la mère, mais elle peut
aussi être utilisée pour évaluer l’attachement avec un autre adulte privilégié. On
analyse en particulier :
• les réactions de l’enfant aux départs et retours du partenaire ,
• dans quelle mesure il utilise les jouets qui sont à sa disposition
• s’il se sert du partenaire comme « base de réconfort », c’est-à-dire s’il maintient avec lui un
contact à distance qui renforce ses comportements d’exploration.
21 L’attribution d’un type d’attachement se fonde tout spécialement sur les
comportements lors des épisodes de réunion, au retour du partenaire :
• ignore-t-il ce dernier, évitant ostensiblement de croiser son regard, continuant comme si de
rien n’était à s’occuper avec les jouets (type d’attachement « anxieux-évitant ») ?
• ou bien reste-t-il agrippé au partenaire retrouvé, sans pourtant être apaisé par sa présence
(attachement « anxieux-ambivalent ») ?
• ou bien encore, l’ accueille-t-il joyeusement en recherchant sa proximité et son contact,
pour mieux reprendre ses explorations, et lui faire partager dans des interactions à distance
ses découvertes (attachement « confiant ») ?

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


55

22 Une quatrième catégorie a été proposée par Main et Solomon (1986). Elle comprend en
fait les enfants qui ne correspondaient exactement à aucun des trois principaux modes
de réaction, et à qui on attribuait celui qui leur convenait le moins mal. Ces deux
auteurs ont essayé de repérer parmi ces enfants une ou plusieurs organisations
comportementales qui spécifient un nouveau mode de relation. En fait, ce qui
caractérise ces enfants, c’est le caractère contradictoire de leurs réactions dans la
« situation étrange » ; on ne parvient pas à saisir une organisation ayant un minimum
de cohérence, qui paraisse orientée vers un but. Concrètement, ce peut être
l’immobilité complète tout au long de la procédure d’observation, ou bien des
stéréotypies nombreuses, ou encore des manifestations de confusion. Il s’agit de
réactions atypiques, qui montrent l’enfant à la fois désemparé et n’adaptant
aucunement ses comportements à la personne qui était supposée être l’un de ses
partenaires d’attachement. Ce n’est donc pas à proprement parler un quatrième type
d’attachement, puisque ces comportements ne visent pas à maintenir le contact avec le
partenaire. C’est pourquoi ce quatrième type est qualifié de « désorganisé-désorienté ».
Un peu plus de la moitié des enfants entrant dans cette catégorie étaient auparavant
considérés comme « anxieux-évitant
23 La « situation étrange » et la typologie qu’elle permet de mettre en évidence, dont les
quatre profils ci-dessus ne sont que les principaux, ont connu un grand succès. Les
prédicteurs du type d’attachement à la mère ont été recherchés principalement au
niveau des interactions mère-enfant et du tempérament de l’enfant. Par exemple,
Isabella, Belsky et von Eye (1989) ont précisé en quoi un ajustement réciproque bien
synchronisé contribue à la formation d’un attachement confiant, et Izard, Porges,
Simons, Haynes et Cohen (1991) ont montré pour leur part qu’une faible variabilité du
rythme cardiaque chez l’enfant de trois mois au repos va également dans ce sens. Quant
à ce que le type d’attachement confiant à la mère permet de prédire, c’est par exemple
la popularité de l’enfant parmi ses pairs à l’école maternelle (Cohn, 1990), ou encore
une relation amicale dyadique plus joyeuse, harmonieuse (Park & Waters, 1989). De
nombreuses recherches ont porté et continuent de porter sur cette question des
rapports entre attachement à la mère et adaptation parmi les pairs (voir par exemple le
numéro spécial de Social Development, 3, 3, 1995). Mais on a également montré qu’un
attachement confiant à la mère est associé à :
• un développement plus précoce des premières connaissances de l’enfant sur lui et sur sa
mère (être capable de se désigner par son prénom, de dire son sexe, etc.) (Pipp-Siegel,
Easterbrooks, Brown, & Harmon, 1995) ;
• des jeux symboliques plus longs et plus complexes (Slade, 1987) ;
• des conduites de résolution de problème plus performantes (Frankel & Bates, 1992).
24 C’est le même modèle, selon lequel l’autonomie est d’autant plus développée que la
personne a confiance en ses partenaires d’attachement, qui sert de cadre à l’étude des
attachements chez l’adolescent et l’ adulte. A l’adolescence, les attachements à la mère
et au père (conceptualisés de la même façon), sont le plus souvent évalués sur un
continuum à l’aide de questionnaires (par exemple, Armsden & Greenberg, 1987). Chez
l’adulte, Hazan et Shaver, également à l’aide de questionnaires, ont retrouvé les trois
principaux types d’attachement, qu’ils traitent — comme c’est souvent le cas chez
l’adulte — en tant que styles généraux de personnalité sociale. Pour l’adolescent comme
pour l’adulte, de nombreuses recherches ont montré que le fait d’avoir un ou plusieurs
attachements confiants est associé à une adaptation plus favorable. Par exemple, les

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


56

adultes dont le style d’attachement est confiant s’ajustent mieux à leur travail que ceux
qui ont un style d’attachement anxieux (Hazan & Shaver, 1987).

1.6. Position de la psychanalyse freudienne par rapport à la T.A.

25 Les avancées réalisées par la T.A. dans le domaine de la psychogenèse sont reconnues
par les psychanalystes du développement. Ainsi, pour Lebovici (1991), tirant les
conséquences des travaux de Bowlby sur l’attachement, « il n’est certainement plus
possible de rester aujourd’hui fidèle à la métapsychologie freudienne concernant la
naissance de l’objet » (p. 335). Mais la reconnaissance des apports de la T.A. n’implique
aucunement pour cet auteur le rejet de l’expérience psychanalytique, car les données
qui en sont issues, en particulier au cours des consultations du bébé avec ses parents,
montrent la place de l’enfant dans l’histoire personnelle et originale de chacun des
parents et dans l’histoire de leur couple ; plus largement, « dans l’arbre de vie de la
famille », selon les termes de Lebovici (1991), qui poursuit à ce propos : « ainsi se
dessine la filiation et les fantasmes qu’elle impose pour donner sens aux circonstances
qui deviennent des événements après coup et entretiennent un scénario narré qui fait
la base de notre travail clinique et thérapeutique : ce travail sur la filiation des
fantasmes permet l’affiliation de l’enfant à sa culture, à celle de ses parents » (p. 336).
26 La rectification de la conception freudienne de la psychogenèse ne rend donc pas
périmée la situation thérapeutique héritée de la théorie psychanalytique freudienne.
Pour Duyckaerts (1974), psychanalyste, la remise en question des théories de l’étayage
et des pulsions, et la relativisation des motivations libidinales (la sexualité n’étant plus
qu’un « système de comportements » parmi d’autres), tout cela n’entraîne aucun
changement pour la pratique clinique. Il suffit d’élargir la notion de libido, « de
manière à lui attribuer aussi la possibilité de se fonder sur d’autres systèmes
comportementaux que ceux qui interviennent dans l’alimentation, la défécation, la
miction ou la copulation » (p. 163). Duyckaerts souscrit volontiers à l’idée que, d’un
point de vue théorique, le modèle de tension-décharge peut être utilement abandonné
au profit d’un modèle cybernétique. Nous avons vu plus haut avec Reuchlin (1977/1991)
que les modèles d’homéostasie et de réduction de tension ne sont au fond pas
incompatibles. Mais, pour conserver la notion de pulsion, Duyckaerts propose d’en
étendre la signification jusqu’à une extrême généralité : c’est « un vouloir, au sens
large... Le concept de pulsion garde sa valeur ‒ non pas théorique mais opératoire ‒
pour fonder le travail de l’interprétation » (p. 165).
27 Ainsi étendue, la notion de pulsion perd les spécificités qui étaient les siennes dans la
théorie freudienne, dont elle était un élément fondamental, en particulier quant au
primat accordé aux motivations sexuelles. Il importe de souligner que si le
psychanalyste tient à garder la notion freudienne de pulsion, ce n’est aucunement pour
des raisons théoriques. C’est uniquement pour son pouvoir d’évocation et son rapport
avec le modèle de tension-décharge, lui aussi plus à même d’exprimer les images et
impressions émotionnelles des consultants tout au moins dans les années soixante-dix.
Ainsi, Duyckaerts donne-t-il l’impression que des faits publics et vérifiables, remettant
en cause certains aspects de la théorie freudienne, s’y intégrent sans difficulté et donc
sans que son utilisation dans le domaine de l’entretien psychologique n’en soit affectée
l’important, pour la théorie psychanalytique, est que le consultant et le psychologue
parlent le même langage, partagent les mêmes images.

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


57

28 Par là, Duyckaerts prolonge la position épistémologique de Freud. Certes, dans la


première partie de sa carrière, son étude de la vie mentale reposait sur des données
physico-chimiques vérifiables (Hellenberger, 1974 ; Sulluway, 1998). Mais, avec la
psychanalyse, il a élaboré une théorie moins soucieuse de se fonder sur des faits publics
vérifiables et davantage tournée vers l’action psychothérapique. C’est précisément
pour fonder sa conception de l’ontogenèse affective sur des faits psychologiques publics
et vérifiables, que Bowlby a élaboré des énoncés plus formels et plus réfutables que
ceux de la métapsychologie freudienne.

1.7. Critiques adressées à la T.A.

29 Outre les critiques adressées à Bowlby, dans les années cinquante et soixante, par les
psychanalystes défendant la métapsychologie freudienne, les principales critiques ont
porté sur l’explication « biologisante » des conduites affectives du jeune enfant. Tout le
destin de l’enfant se jouerait dans le lien dyadique avec la mère biologique et
uniquement avec ce partenaire. Bowlby insistait, il est vrai, sur l’importance du
premier lien avec une personne et une seule (la « monotropie » du jeune enfant). Cela,
afin de souligner le caractère non interchangeable des personnes accompagnant le
développement de l’enfant. Depuis cette époque, et en particulier à la suite de l’étude
classique de Schaffer et Emerson (1964), on reconnait que la plupart des jeunes enfants
établissent plusieurs attachements en même temps (à la mère, au père, aux grands
parents, etc.).
30 Le travail de Bowlby (1951/1953), avant même qu’il formalise la T.A., avait également
donné prise à une récupération politique prônant « la femme au foyer Comme le note
Hayes (1994), le contexte historique de l’Après-guerre, avec les hommes de retour du
front et trouvant souvent leurs emplois occupés par des femmes, explique que des
groupes de pression se soient alors formés pour réclamer la présence des femmes au
foyer. Absentes de la maison, elles faisaient subir à leurs jeunes enfants des « carences
maternelles », affirmait-on, en se référant de façon spécieuse aux travaux de Bowlby
sur la question. Après des années de polémique, les mises au point de Rutter (1979) en
particulier ont contribué à asseoir l’idée selon laquelle un emploi à plein temps
n’empêche pas nécessairement la mère d’établir et maintenir un lien de bonne qualité
avec son enfant. Ce sont les conditions de vie plus générale de la famille — et en
particulier les conditions de travail — qui doivent être considérées. Cette exploita tion
politique était d’autant plus injuste que Bowlby, dès les premières pages de son célèbre
rapport Soins maternels et santé mentale (1951/1953), précisait sans ambiguïté que la
mère n’est pas la seule concernée par les soins à donner à l’enfant : « le nourrisson et le
jeune enfant devront avoir été élevés dans une atmosphère chaleureuse et avoir été
unis à leur mère (ou à la personne faisant fonction de mère) par un lien affectif intime
et constant, source pour tous les deux de satisfaction et de joie » (p. 11).
31 D’autres critiques sont venues de spécialistes de l’apprentissage. En particulier, depuis
plusieurs décennies, Gewirtz (1976 ; Gewirtz & Pelaez-Nogueras, 1991) rappelle que
l’usage du terme « attachement » dans le cadre de la T.A. fait souvent appel à des
« abstractions métaphoriques floues « Attachement » recouvre alors le processus en
lui-même, ses effets, ses déterminants ou les trois à la fois. A force d’être répétées, ces
remarques ont contribué à ce que s’instaure une plus grande clarté conceptuelle dans la
T.A. D’autres critiques plus spécifiques portent sur les mécanismes et facteurs en jeu

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


58

dans la formation des réactions du jeune enfant à l’égard de ses partenaires. Le but est
ici de relativiser le poids des préprogrammations des comportements d’attachement.
En mettant en évidence le rôle du conditionnement opérant dans la genèse des
attachements, des auteurs comme Gewirtz contribuent à identifier de plus près
« comment certains signaux émis par les personnes qui s’occupent de l’enfant
pourraient intervenir dans le contrôle des réponses du répertoire du jeune enfant
humain (en particulier les cris) » (Gewirtz, 1976, p. 147). De même que les critiques au
niveau conceptuel ont porté leurs fruits, celles au niveau de la méthode expérimentale
(par exemple, Gewirtz & Boyd, 1977) ont contribué à ce que les recherches se référant à
la T.A. gagnent en rigueur.

2. Implications et applications pour la profession de


psychologue du conseil
32 Que peut apporter à la psychologie du conseil celle qui était il y a un quart de siècle
« une nouvelle théorie sur les origines de l’affectivité » ? Nous envisagerons dans un
premier temps les implications de la T.A. pour l’orientation scolaire et professionnelle,
puis pour l’entretien de conseil d’une manière plus générale.

2.1. Attachement et formation des intentions d’avenir scolaire et


professionnel

33 Les auteurs qui ont tenté de mettre en évidence l’éclairage que la T.A. pouvait apporter
à la formation des intentions d’avenir scolaire et professionnel se sont intéressés au
rapport qu’elle établit entre besoin de sécurité personnelle et besoin d’exploration.
Grottevant et Cooper (1988) ont ainsi avancé l’idée que les attachements de l’adolescent
à ses parents pourraient soutenir ses explorations dans le domaine des perspectives de
formation et d’emploi. Quelques rares études mentionnées par Blustein, Prezioso et
Schultheiss (1995) montrent que les adolescents soutenus par des attachements
confiants à leurs parents se disent davantage enclins à poursuivre leur formation et la
planifient plus activement. Kracke (1997) rapporte en ce sens que le soutien émotionnel
apporté par les parents à l’adolescent, fait de franchise et de respect de l’autonomie de
chacun, favorise la recherche d’informations sur les filières de formation. Ketterson et
Blustein (1997) ont eux aussi apporté des arguments empiriques en ce sens, montrant
que le caractère plus ou moins confiant des attachements de l’adolescent à ses parents
est corrélé positivement à l’exploration. Dans ces études, l’exploration des perspectives
de formation scolaire et professionnelle est évaluée par un questionnaire invitant les
sujets à indiquer dans quelle mesure au cours des mois précédents ils ont cherché des
renseignements sur les professions et les formations. Dans l’ensemble, les résultats
suggèrent que l’attachement confiant a un effet positif sur l’exploration, même si les
effets sont tout juste significatifs.
34 Blustein, Prezioso et Schultheiss (1995) font en outre l’hypothèse que les attachements
confiants aux parents soutiennent l’adolescent dans les prises de risques requises par
certaines orientations professionnelles. Les attachements confiants aideraient
l’adolescent à s’engager fermement dans une formation, en renonçant à d’autres voies
possibles. En l’absence de soutien socio-émotionnel, l’adolescent préférerait ne pas trop
s’engager, pour préserver une pluralité de perspectives par crainte de ne pas réussir

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


59

dans l’orientation envisagée. Ce soutien particulier est une manifestation du soutien


plus général que les attachements confiants aux parents apportent à l’affirmation de la
personnalité. Mais il convient de compléter cette hypothèse en notant que la guidance
pratique, instrumentale, de l’adolescent par ses parents dans le processus d’orientation
et de formation est à même de rendre encore plus confiants les attachements qu’il a
pour eux. Par là, en effet, ils manifestent l’importance qu’a pour eux sa vie d’adulte.
35 Au vu de ces faits et de cette hypothèse, il semble donc qu’il y ait intérêt, pour les
psychologues du conseil qui accompagnent l’exploration des perspectives d’avenir d’un
adolescent, à s’informer sur le caractère plus ou moins soutenant des attachements
dont il bénéficie pour s’engager dans cette exploration. En outre, à l’adolescence, les
attachements peuvent aussi être tissés dans les relations amicales et amoureuses, qui
offrent des possibilités de discussion approfondie. Des questionnaires permettent
d’évaluer les attachements des adolescents (par exemple, Lopez & Gover, 1993) ou des
adultes (par exemple, Pierrehumbert et al., 1996), bien que l’on ne dispose pas
d’étalonnage.
36 La T.A. place en son centre le besoin de sécurité. Or, le domaine de la formation scolaire
et professionnelle, comme celui de l’emploi, est marqué par des solidarités entre pairs
mais aussi par la compétition. Il faut veiller à obtenir la meilleure place possible. En
somme, c’est un univers qui peut normalement susciter des inquiétudes. On ne sait pas
grand-chose sur ces dernières. Il semble toutefois que l’anxiété face à son avenir
scolaire et professionnel soit présente et même augmente au cours de l’adolescence
(Mallet, à paraître). Faire des études et avoir des perspectives de formation en
conformité avec ses aspirations, être assuré de trouver un emploi rémunérateur et
intéressant, réunir tout cela n’est pas courant. S’orienter, remarque Dumora (1997), est
« autant une affaire de deuil et de renoncement que de choix et de projet... Les
intentions d’orientation des étudiants de premier cycle, déjà effet de processus d’auto-
sélection en amont, se conforment progressivement à l’espace des probables entrevus »
(pp. 28-29). Le psychologue qui reçoit un élève à propos de son orientation scolaire et
professionnelle traite d’un sujet potentiellement anxiogène. Face au découragement
possible du consultant, une évaluation des soutiens socio-émotionnels dont il dispose,
de ceux qu’il pourrait mobiliser, des moyens pour y parvenir, ne paraît pas relever
d’une « psychologisation » superflue. L’adolescent peut avoir besoin de surmonter les
atteintes à l’estime de soi endurées au cours du cursus scolaire (Bourcet, 1997), car
« l’école est aussi une source permanente de valorisation ou de dévalorisation qui
contribue massivement à la détermination du sentiment d’estime de soi » (Huteau,
1982, p. 118). Le psychologue du conseil peut s’avancer dans ce domaine privé, pour
autant qu’il y a là des facteurs de dynamisme à solliciter ; par exemple, pour surmonter
les apathies et apraxies consécutives aux échecs essuyés par le consultant. Les effets
mobilisateurs pourraient porter sur des idées de formation non encore envisagées sous
tel ou tel aspects, lui permettant d’utiliser au mieux ses marges de manœuvre. De tels
effets positifs du soutien socio-émotionnel, et en particulier des relations
émotionnellement intimes, celles qui laissent place à la confidence, ont été montrés à
propos de la lutte contre des maladies graves et contre les conséquences de la perte
d’emploi (par exemple, Pennebaker, Colder, & Sharp, 1990).
37 Si l’on se réfère aux quatre types d’attachement définis plus haut, en les considérant
comme des styles généraux de personnalité sociale, on peut extrapoIer pour chacun
d’eux la conduite d’exploration et d’engagement des adolescents dans le domaine des

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


60

formations. Après tout, il s’agit d’un domaine qui ne leur est en général pas mieux
connu que ne l’est la « situation étrange » pour l’enfant entre 12 et 18 mois. De plus, il
s’agit là-aussi de prendre son autonomie, en s’éloignant des rôles d’enfants et, bientôt,
de ceux d’adolescents.
38 Théoriquement et en accord avec les données qui viennent d’être mentionnées, les
adolescents disposant d’attachements confiants, comparativement aux autres,
devraient être davantage portés à des explorations diversifiées, à s’informer sur des
domaines d’étude et professionnels non seulement inconnus, mais aussi atypiques. Ils
devraient en outre avoir une meilleure connaissance de soi, et être plus à même
d’intégrer dans leurs réflexions le point de vue de leurs parents et de discuter de tout
cela avec eux.
39 La démarche des adolescents anxieux-ambivalents devrait laisser place au doute
obsédant. On a affaire ici à ce fonctionnement décrit depuis des décennies en
psychologie pathologique, où la personne est en proie à des préoccupations anxieuses,
les prises de décisions étant annulées tout aussitôt par les remords qu’elles entraînent.
La conduite d’exploration se traduirait, non par des choix et des rejets réfléchis, mais
par une rumination stérile. Cette indécision, qui ne constitue qu’un aspect des
difficultés plus générales dans l’affirmation d’une personnalité autonome, serait
notamment en rapport avec les relations actuelles de l’adolescent avec ses partenaires
d’attachement. Dans ces relations, les adolescents anxieux-ambivalents exprimeraient
leurs inquiétudes quant à leur avenir, cherchant à être rassurés par leurs partenaires.
Ces échanges ne seraient pourtant ni rassurants ni constructifs, du fait des confusions
établies par les adolescents entre leurs propres intentions et celles prêtées à leurs
partenaires d’attachement.
40 Quant aux adolescents anxieux-évitants, on peut penser que leurs explorations
devraient se faire indépendamment des sources d’information dont la valeur est
reconnue. S’ils font intervenir dans leurs réflexions les points de vue de leurs
partenaires d’attachement, ce serait plutôt pour adopter des positions contraires. Dans
les éventuelles discussions avec eux, ils auraient tendance à ignorer leurs avis et
suggestions.
41 Concernant le style d’attachement désorganisé-désorienté, compte tenu qu’il n’a pas
encore fait l’objet d’études à l’adolescence, et que chez l’enfant les corrélats sont
encore mal connus, on se bornera à supposer que les adolescents dans ce cas devraient
avoir plus de difficultés que les autres pour s’orienter scolairement et
professionnellement.

2.2. La conduite de l’entretien de conseil


2.2.1. Recommandations pratiques

42 Bowlby a fait le point sur les implications de la T.A. pour l’entretien psychologique et le
changement thérapeutique. L’ancien élève de l’Ecole navale royale, et ancien officier
britannique psychiatre des armées, qui avait « le goût de la systématisation » (Rayner,
1996, p. 65), a proposé en 1988 une sorte de checklist en cinq points. Le psychologue (ou
le psychiatre) doit toujours les garder présents à l’esprit. Ce sont :
• établir une base sûre, une base de réconfort,
• explorer les attachements passés et les difficultés relationnelles actuelles,

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


61

• explorer la relation entre le consultant et le psychologue,


• établir des liens entre le passé et le présent,
• réviser les modèles internes et évolutifs d’attachement.
43 Ces cinq points valent pour l’entretien individuel, aussi bien que pour le travail avec
une famille, ou avec n’importe quel groupe.
44 Pour affiner ces recommandations, des psychologues du conseil ont proposé d’adapter
l’entretien en fonction des trois principaux styles d’attachement distingués par
Ainsworth. La situation d’entretien avec un psychologue est alors considérée comme
une « situation étrange » à la mesure des capacités d’exploration et d’autonomie des
adolescents. Comme nous l’avons fait plus haut à propos de l’exploration et de
l’engagement, la démarche consiste à extrapoler les différences de conduites du
consultant dans cette situation, selon son style général d’attachement, et à proposer
des conduites appropriées de la part du psychologue. Krause et Haverkamp (1996) se
fondent également sur les faits suivants, étudiés chez des adultes : « Les consultants
présentant un attachement confiant rapportent que leurs parents étaient chaleureux et
non rejetants, alors que les consultant dont l’attachement est anxieux décrivent leurs
parents comme incohérents et froids (Collins & Read, 1990) ... On a noté que les adultes
évitants manquaient particulièrement de cohérence lorsqu’ils parlaient de leur
enfance, idéalisant leurs relations avec leurs parents (Hazan & Shaver, 1987) » (p. 87).
45 Krause et Haverkamp (1996) suggèrent de procurer aux consultants ayant un style
d’attachement anxieux un environnement calme et cohérent. Comme ces consultants
sont particulièrement sensibles aux confrontations, le conseiller doit bien expliciter ses
sentiments sur ce qui se passe dans leurs interactions, afin qu’ils ne risquent pas de
percevoir des critiques là où il n’y en a pas. Krause et Haverkamp font en effet état des
travaux de Collins et Read (1990) et Feeney et Noller (1990) montrant que les adultes au
style d’attachement anxieux ont tendance à interpréter négativement les conduites
d’autrui. Compte tenu qu’ils ont en général une mauvaise image de soi, il ne faut pas
hésiter à les revaloriser en soulignant leurs compétences.
46 (a) Considérons plus précisément les personnes présentant un style d’attache ment
anxieux-ambivalent. Elles cherchent à apaiser leur anxiété en établissant avec le
partenaire un contact étroit mais mal ajusté à ses attentes. Elles n’en finissent pas de
chercher en vain à se rassurer, et de ce fait peinent à prendre leur autonomie. Au-delà
de la prime enfance, ce style d’attachement est d’ailleurs qualifié de « dépendant ». Il
semble que le psychologue ait intérêt, dans ce cas, à cadrer précisément l’entretien, en
rappelant ses limites, les rôles distincts de chacun et la nature du problème qu’ils
entendent traiter. De même que l’enfant qui a établi un attachement ambivalent à sa
mère est continûment aux prises avec elle, le consultant qui a un tel style socio-
émotionnel devrait interagir de façon asynchrone avec le psychologue, induisant dans
la relation une certaine confusion interpersonnelle. En premier lieu, il peut s’agir d’un
manque de distinction entre, d’une part les représentations que le consultant a de sa
personne et des professions et, d’autre part, les représentations analogues qu’il attribue
au psychologue.
47 En conséquence, dans les entretiens avec les consultants ayant ce style d’attachement,
il peut être utile de souligner, en tant que tels, les idées et sentiments exprimés par le
consultant, afin qu’il ne les attribue pas, par la suite, au psychologue. Il peut également
être bienvenu d’aider le consultant à identifier, dans sa conception de soi et des
professions, dans ses préférences, etc., ce qui lui appartient et ce qu’il sait être les

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


62

attentes à son égard de tel ou tel partenaire significatif. Toujours pour réduire les
risques de projection et de confusion, il peut y avoir intérêt à prendre note
explicitement des explorations effectuées par le consultant.
48 Pour mener à bien ce travail délicat, le psychologue peut opportunément recourir à des
techniques précisément conçues pour objectiver matériellement les choix. En
particulier, l’entretien avec des cartes de métiers, dit entretien A.D.V.P. (Blanchard,
Volvey, Homps, & Prieur, 1995 ; Garand, 1978) constitue, à cet égard, une méthode
adéquate. Elle repose sur une analyse des processus de catégorisation des professions
par le consultant, les catégories étant envisagées dans leur contenu et dans leur
structure (Huteau, 1982). Au cours d’une première phase, le consultant exclut d’une
centaine de fiches portant chacune le nom d’une profession celles qui ne l’intéressent
pas. Après cette phase d’exploration, il réunit par sous-ensembles les professions qui
ont à ses yeux des similitudes. Il explicite la nature de ces dernières et les écrit sur une
feuille ; c’est la phase de cristallisation. Au cours de la dernière phase, de spécification,
il revient sur les dimensions qu’il a ainsi lui-même extraites, pour les hiérarchiser selon
un gradient de préférence personnelle. On voit que cette procédure offre un cadre pour
aider le consultant à identifier sa représentation des professions et ses préférences
dans ce domaine. Elle permet d’établir une mémoire de ce processus d’identification,
particulièrement adaptée avec des consultants au style socio-émotionnel ambivalent.
49 (b) Quant aux personnes au style anxieux-évitant, elles devraient manifester dans
l’entretien un retrait prudent, allant de la simple réserve à l’évitement social qui
empêche toute avancée. On sait que les enfants présentant ce mode de fonctionnement
socio-émotionnel ont moins accès que les autres à leurs réactions émotionnelles
organiques (telles qu’attestées par divers indices physiologiques). Dans la « situation
étrange », en particulier, leurs réactions de détresse lors des départs de leur mère ne
sont pas exprimées comportementalement (par exemple, Spangler & Grossmann, 1994).
D’une manière générale les personnes au style anxieux-évitants ont du mal à demander
de l’aide quand ça ne va pas, et souvent n’ont même pas accès à leurs sentiments de
détresse (Bartholomew, 1990 ; Bowlby, 1988). C’est pourquoi, suggèrent Krause et
Haverkamp (1996), il importe de leur laisser l’impression de contrôler ce qui se passe
dans l’entretien, et de n’être pas trop chaleureux afin qu’ils ne ressentent pas cela
comme un risque d’entrer dans une relation de dépendance. Avec ces consultants,
certains psychologues ont même proposé d’utiliser le téléphone, comme moyen de
maintenir la distance (Biringen, 1994).
50 De même que les enfants anxieux-évitants n’expriment pas d’inquiétude dans la
situation étrange, les consultants ayant ce style d’attachement devraient se présenter
comme capables de se débrouiller tout seul, déclarant ne pas se faire de souci pour leur
orientation scolaire et professionnelle. Il paraît opportun, dans ce cas, de ne pas
imposer une technique stricte, qui prétendrait apprendre au consultant qui il est
vraiment. Des techniques structurées comme celle évoquée à l’instant peuvent
toutefois aussi être proposées. La médiation d’un instrument évite une communication
émotionnelle étroite. La passation de certaines épreuves laisse la possibilité de discuter
de façon relativement ouverte, en parallèle à l’activité d’évaluation programmée.
Prévisible dans son cours, celle-ci peut être rassurante. Il importera alors de bien
expliquer le fonctionnement de l’instrument utilisé, en sorte que le consultant ait le
sentiment de participer à la régulation de la procédure d’évaluation. A cet égard,
« l’entretien A.D.V P. engage bien le consultant dans un rôle actif, en l’amenant à

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


63

mettre en œuvre des processus de catégorisation de groupes de professions et en le


poussant à expliciter les éléments qui sont, selon lui, communs à ces groupes de
professions » (Blanchard, Volvey, Homps, & Prieur, 1995, p. 430).
51 (c) Avec les consultants au style d’attachement confiant, le psychologue devrait pouvoir
proposer plus directement des invitations à l’exploration des représentations
professionnelles et de soi. Ces consultants ont théoriquement formé leurs attachements
dans des interactions bien synchronisées. Ils devraient donc pouvoir dialoguer
aisément avec le psychologue, qui pourra proposer les évaluations instrumentales qui
lui paraissent les plus éclairantes. Comme ils sont capables de trouver du réconfort,
précisent Krause et Haverkamp (1996), et comme ils sont à l’aise pour parler de leurs
attachements, dont ils distinguent les bons et les mauvais côtés, le psychologue peut
manifester chaleur et empathie, et proposer des interprétations directes.
52 (d) Quant aux consultants désorganisés-désorientés, on peut craindre avec eux plus
difficultés dans l’entretien. Par définition leurs conduites d’interaction sociale sont plus
difficiles à prévoir et, par là même, celles du psychologue du conseil sont aussi plus
difficiles à esquisser.

2.2.2. Rapports avec d’autres cadres de référence de la psychologie du conseil

53 Ces conseils simples peuvent paraître normatifs par leur classement strict des individus
en trois catégories. Ils peuvent toutefois constituer des points de repère pour améliorer
la qualité de la relation entre le consultant et le psychologue du conseil. En effet,
suivant la revue de question de Lambert et Cattani-Thompson (1996), la qualité
relationnelle est le meilleur prédicteur de l’efficacité de la psychologie du conseil, en
dehors des facteurs caractérisant le consultant, qui ont encore plus de poids (pour une
discussion plus complexe des facteurs en jeu dans l’efficacité de l’entretien de conseil,
voir Hill & Corbett, 1996). En outre, en dépit des effets positifs avérés de la psychologie
du conseil, on n’a pas encore pu démontrer que certaines techniques ou théories
seraient plus efficaces que d’autres (Lambert & Cattani-Thompson, 1996) ; l’efficacité
d’une procédure dépend du moment où elle intervient dans l’entretien et dans
l’histoire de la relation avec le consultant, ainsi que de facteurs de personnalité et
autres caractéristiques individuelles, des problèmes à traiter, etc. Dans ces conditions,
les recommandations tirées de la T.A. ne peuvent qu’enrichir la réflexion.
54 Comme le note Holmes (1993), le concept de « modèles internes et évolutifs »
d’attachement est proche de ceux employés en thérapie cognitive. Par sa manière
d’aborder les processus cognitifs, la T.A. est ainsi en prise avec les techniques
d’entraînement aux habiletés sociales, de gestion de l’anxiété, d’élaboration de
stratégies pour surmonter l’adversité (« coping »), et autres méthodes ayant chacune
son étiquette propre. Ces approches sont compatibles avec le mode d’intervention
brève qui prévaut dans la plupart des centres de psychologie du conseil nord-
américains, indiquent Kenny et Rice (1995). Ces auteurs précisent que lorsque de telles
interventions ne sont pas fructueuses, « c’est peut-être qu’il convient d’accorder
davantage d’attention aux questions relatives aux attachements et de mettre en place
une relation thérapeutique qui prenne en compte les émotions (p. 448) ». Ces auteurs
ajoutent « qu’en dépit de leur intérêt, les conceptualisations cognitives des traitements,
par exemple, de la dépression, accordent en général peu de poids aux facteurs
relationnels, et en particulier aux attachements, qui peuvent pourtant nous aider à
comprendre le développement des dysfonctionnements cognitifs » (p. 450). C’est cette

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


64

lacune que l’on cherche à combler en se tournant vers la T.A., même si la psychologie
du conseil n’a jamais complètement négligé les émotions.

2.2.3. Images véhiculées par la T.A.

55 Si nous avons rappelé les origines de la T.A. dans l’observation des animaux et dans la
cybernétique, c’est aussi pour clarifier les images qui ont accompagné son
développement et qu’elle continue de véhiculer. Elles sont en effet susceptibles
d’intervenir dans l’interprétation des conduites du consultant. Ainsi, la « situation
étrange » a joué un rôle de premier plan dans le succès de la T.A. Avec elle, on se centre
sur la façon dont l’individu utilise son partenaire pour accroître son autonomie
d’exploration. Les comportements observés chez l’enfant sont du même ordre que ceux
observés par Harlow et ses collaborateurs chez les jeunes singes. L’image de la « base de
réconfort » est centrale, et il n’est pas étonnant que les psychologues du conseil qui se
réfèrent à la T.A. proposent de concevoir la relation de conseil sur ce mode. Le
consultant utilise la relation qu’il a établie avec le psychologue du conseil comme une
base de réconfort, à partir de laquelle il explore et développe ses possibilités
adaptatives. Et cela, d’autant plus que s’est instaurée une relation de confiance
chaleureuse. Cet aspect de l’entretien de conseil est donc posé comme fondamental,
quand bien même le consultant vient pour un unique entretien centré sur des
problèmes d’orientation scolaire et professionnelle spécifiques.
56 Une autre caractéristique de la T.A. tient à sa focalisation sur la relation dyadique (en
décalage avec le « triangle œdipien » mis en avant dans la théorie freudienne). On peut
voir dans le succès d’une conception du développement ainsi centrée sur la dyade un
reflet de l’évolution socio-historique qui fait de la dyade parent-enfant (et spécialement
mère-enfant) un couple dont l’espérance de vie dépasse de plus en plus fréquemment
celle du couple parental. La fixation sur cette dyade va de pair avec la mise à distance
des pulsions libidinales. Les images du besoin d’attachement, de tendresse, sont en effet
celles des comportements de blotissement de l’enfant tout contre le partenaire adulte,
et du jeune macaque contre son mannequin en tissu. Et, dans le même ordre d’idée, on
peut noter que ce n’est pas seulement la prééminence des motivations sexuelles qui est
récusée par la T.A. ‒ qui en fait de la sexualité un système de comportements parmi
d’autres, activé dans certaines situations. Le fait même de la différence des sexes a eu
peu d’incidence jusqu’à présent sur les concepts et les observations de la T.A., hormis le
fait que c’est en général l’attachement à la mère qui est étudié chez le jeune enfant,
plutôt que l’attachement au père (toutefois, des travaux existent sur la question ; par
exemple, Lamb, 1997).
57 Par ailleurs, le besoin d’attachement est régulé par un système de traitement de
l’information. Certes, le système de régulation homéostatique des comportements ne
propose pas une explication en contradiction majeure avec le modèle hydrodynamique
d’accumulation et de décharge des pulsions. Toutefois, le fait est qu’avec la T.A. on
n’évoque plus la notion de décharge de pulsions de vie ou de mort, rendues nécessaires
par l’accumulation de tensions et de conflits. Désormais, des systèmes sont activés et
des procédures déclenchées par tel ou tel stimulus. Avec la T.A., tout en faisant des
comportements d’attachement les manifestations d’un besoin biologique, on perd en
vitalisme au profit d’une vision plus mécaniste de ces conduites. La T.A. promeut des
métaphores en termes de traitement ou gestion d’information, de feed-back, de
chargement de programme, d’activation de réseaux et de systèmes, etc. Ces

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


65

représentations sont sans doute en train de remplacer, dans les conceptions de sens
commun du fonctionnement psychologique, les métaphores relatives aux pulsions, aux
conflits, aux instances chargées du refoulement, aux efforts pour établir des
compromis, etc. Le développement de notre connaissance des structures
sociocognitives et cognitivo-émotionnelles régulant les attachements, l’intérêt accru
des psychologues du conseil pour la T.A., et la diffusion à grande échelle des outils
informatiques, cette triple évolution semble aller dans le sens d’une modification des
concepts et des images employés dans l’entretien de conseil psychologique.

2.2.4. Les émotions dans l’entretien

58 La T.A. apporte des arguments théoriques et empiriques en faveur des effets positifs des
soutiens socio-émotionnels passés et actuels du consultant. Elle met l’accent sur leur
fonction de ressource mobilisable pour résoudre les problèmes. Tout ne se joue pas au
niveau fantasmatique ou cognitif intra-individuel, et tout ne s’est pas joué avant cinq
ans. Aussi limitée dans le temps que puisse être la relation entre le consultant et le
psychologue, la T.A. conduit à insister sur le fait que cette relation constitue une
nouvelle expérience socio-émotionnelle qui, en tant que telle, peut faciliter la réflexion
et les prises de décision. Dans cette perspective, l’attention portée aux sentiments et
émotions manifestés dans l’entretien ne vise pas seulement à analyser ce qu’ils
traduisent des expériences passées. Elle vise aussi à faire en sorte que les échanges
d’information se produisent dans des interactions synchrones, et que l’examen du
problème posé par le consultant prenne en compte les caractéristiques socio-
émotionnelles de la personnalité du sujet, en particulier celles relatives à la sécurité
versus anxiété personnelle.
59 Blustein, Prezioso, et Schultheiss (1995) suggèrent que, pour les consultants qui ont du
mal à avancer dans leurs processus d’exploration et d’engagement dans une filière de
formation, il peut être utile que l’entretien ne se limite pas à ce seul domaine, mais
aborde des problèmes relatifs aux relations d’attachement, pour autant que « le
manque de sécurité peut entraver les activités anxiogènes telles que l’exploration de
soi et du monde du travail, la prise de décision et l’engagement » (p. 428). L’objectif est
de considérer le consultant non comme une pure organisation socio-cognitive
rationnelle, mais comme une personne dont les conduites sont largement régulées par
des processus qui lui échappent. Les recommandations que ces auteurs tirent de la T.A.,
visant à une meilleure prise en compte des anxiétés et des sources de réconfort
caractérisant le consultant, rejoignent sur ce point des préoccupations valorisées par la
psychologie clinique classique. Dans cette perspective, certains auteurs ont en effet
porté une grande attention aux composantes non-verbalisées des émotions, telles
qu’elles apparaissent en particulier dans les postures et l’expressivité du corps. C’est
faire en sorte que l’émotion ne soit pas une composante accessoire, un vague facteur
contextuel, mais une des données du problème, au même titre que les performances
réalisées au cours du cursus scolaire et les inventaires de compétences. « Si l’émotion
ne paraît communément capable de causer que des troubles imaginaires, c’est que
chacun ne connaît immédiatement d’elle qu’un état de conscience ; et son importance
est mise en suspicion par ceux-là même qui, faisant profession de tout rapporter à des
conditions objectivement vérifiables, devraient prendre à tâche de ne rien laisser, fût-
ce de simples faits psychiques, en dehors de leurs explications. Mais elle n’est pas
simple objet d’introspection, à l’observation extérieure aussi elle se révèle par des

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


66

réactions et modifications organiques de l’intensité la plus apparente » (Wallon, 1920,


p. 145).
60 Appliquer la T.A. à l’entretien de conseil peut en ce sens stimuler les recherches sur les
rapports entre structures socio-cognitives et socio-émotionnelles, en intégrant dans
cette problématique traditionnelle de la psychologie scientifique les variables relatives
au corps tel qu’il est perçu dans la situation d’entretien. Ce serait accorder plus de
poids qu’on ne l’a fait ces derniers temps au rôle de la perception du partenaire dans le
fonctionnement socio-cognitif en situation d’interaction sociale. Il s’agirait ici de
préciser les rapports entre les inférences sur la personnalité du partenaire, ses
intentions et ses sentiments et, d’une part, les états émotionnels induits par ces
inférences, et d’autre part l’activité cognitive de résolution de problèmes sociaux.
Mieux documenter ces questions aiderait le psychologue du conseil à intégrer, dans
l’analyse du problème posé par le consultant, ce que celui-ci éprouve lorsqu’il réfléchit
à des décisions pouvant avoir des effets à long terme sur le cours de sa vie. Une telle
perspective va dans le sens d’une conception aussi « incarnée » que possible de
l’entretien psychologique de conseil... et de la T.A. Cette dernière, dans ses extensions
au-delà de la prime enfance, a en effet perdu de vue les aspects émotionnels se
manifestant à des niveaux « inférieurs ».
61 D’une manière plus générale, on sait qu’un état émotionnel positif, de même qu’un
tempérament portant à être de bonne humeur, facilitent ou même permettent
certaines opérations cognitives, telles que l’établissement de similitudes entre des
catégories qu’une humeur plus sombre amènerait à concevoir comme ne se recouvrant
en rien (pour un aperçu de ce champ de recherche, voir par exemple Strongman, 1996).
L’intervention de tels facteurs conatifs sur le fonctionnement cognitif a des
conséquences pour l’entretien de conseil. Les effets combinés du tempérament du
consultant et du climat émotionnel de la situation d’entretien peuvent être
déterminants pour l’élaboration des stratégies de formation et d’insertion socio-
professionnelle du consultant. Leur poids, qu’il conviendrait d’évaluer, n’est sans doute
pas inférieur, dans bien des cas, à celui que l’on attribue aux connaissances apportées
au consultant sur les filières de formation, les mutations du travail, les mécanismes du
marché de l’emploi, les spécificités locales à cet égard, etc. Et sans doute d’autant plus
que la situation du consultant est périlleuse et ses marges de manœuvre étroites. Des
conditions socio-émotionnelles favorables sont ainsi susceptibles d’amener le
consultant, par exemple, à se découvrir des perspectives de développement personnel
et professionnel auxquelles il n’avait pas songé, notamment en prenant distance par
rapport aux représentations stéréotypées des métiers (Guichard, 1995).

Conclusion
62 Après vingt-cinq années de recherches en psychologie du développement, la T.A. est
invitée par des psychologues du conseil à apporter un éclairage sur leur pratique. Les
anglo-saxons ont considéré à plusieurs reprises les « clinical implications » de la T.A.
(par exemple, Belsky & Netzworki, 1988). Ces « implications cliniques » concernent-
elles la psychologie du conseil ? On peut le supposer, si l’on considère que le
psychologue du conseil, dans sa conduite de l’entretien, est amené à pratiquer une
psychologie clinique, c’est-à-dire une psychologie qui, rappelle Reuchlin (1969/1979),
vise à étudier de façon prolongée des cas individuels, le plus souvent en prenant

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


67

« l’individu lui-même comme cadre de référence... (et avec) le souci de sauvegarder


l’unité de la personne humaine » (pp. 109-110). Toutefois, on bute ici sur un
contresens : ce qui est traité en anglais sous les termes « implications cliniques »
(« clinical implications ») porte le plus souvent sur des implications
psychopathologiques. Clinique (« Clinical ne réfère pas à la psychologie clinique en
général, mais à sa pratique avec des personnes consultant pour troubles
psychologiques. Certaines, au moins, de ces implications peuvent être supposées
s’appliquer aux psychologues du conseil.
63 Dans un chapitre sur les « implications cliniques » (« clinical implications ») des
concepts de la T.A., Rutter (1997) passe en revue une douzaine de problèmes
nécessitant davantage de recherches, puis il en arrive aux « implications cliniques de la
théorie et des découvertes sur l’attachement » (p. 30). L’auteur rappelle que la
conception psychogénétique freudienne est périmée et avance trois idées sur
l’entretien clinique. La première est l’importance, dans les entretiens avec parents et
enfant de considérer les moments de réunion, plus encore que ceux de séparation, et
dans quelle mesure les enfants tirent profit de la présence de leurs parents pour
pouvoir explorer. Il s’agit ainsi d’observer ce qui fait l’objet de la « situation étrange ».
La seconde idée est qu’il convient d’être attentif aux aspects actuels de la vie des
consultants. La troisième est que la relation entre le psychothérapeute et le consultant,
tout comme celle entre le parent et l’enfant, doit « reposer sur une confiance, un
respect et une chaleur mutuels, et qu’un recours excessif à une interprétation des
défenses avec une tonalité neutre et sans implication ne saurait constituer la meilleure
façon de progresser » (p. 35). Pour ce qui est de la psychothérapie, écrit encore Rutter,
« il n’y a pas pour l’instant d’accord général sur les implications psychothérapiques des
concepts de l’attachement » (p. 35).
64 Quelques années plus tôt, dans le chapitre de présentation de leur ouvrage sur les
« implications cliniques de l’attachement » (« clinical implications of attachment »),
Belsky et Nezworski (1988) prévenaient déjà : « Si l’on peut infléchir le cours des voies
de développement, et si cela, au moins en théorie, peut être fait en intervenant sur
l’environnement socio-éducatif de l’enfant et ses modèles internes et évolutifs
d’attachement, alors les buts des interventions deviennent évidents. Mais on a beau
être au clair sur les buts, on est loin de l’être sur les moyens » (p. 14). Ce sont pourtant
bien des moyens que l’on est en droit d’attendre que nous fournissent les recherches
scientifiques : « La science n’est pas par elle-même et par ses seuls moyens capable de
régler la conduite et d’exercer par suite une action morale ou sociale directe. Elle dit ce
qui est, elle dit ce qui se passera si certaines conditions sont remplies. Entre les
différentes choses qu’il est possible de faire, elle nous indique celle qu’il faut faire, si
nous la prévenons de ce que nous voulons, si, par conséquent, nous l’interrogeons sur
les moyens après avoir choisi notre but » (Blondel, 1938, p. 366).
65 La T.A., courant de recherche en psychologie du développement, permet de mieux
connaître les mécanismes et les fonctions des attachements dans l’adaptation et le
développement. Par là, elle permet de mieux connaître les effets d’un type
d’attachement sur le devenir d’une personne, et les causes de ce type d’attachement.
Ces connaissances peuvent servir à guider certaines conduites de soins et d’éducation.
Mais, la T.A. n’a encore guère servi de cadre à l’étude des processus en jeu dans la
relation psychothérapique ou de conseil. De telles recherches commencent à voir le
jour. Ainsi, Searle et Meara (1999) ont-ils examiné, au moyen de questionnaires remplis

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


68

par de jeunes adultes, les rapports existant entre leurs styles d’attachement et leurs
« patrons de fonctionnement émotionnels pertinents pour la situation de conseil » (p.
147). Par exemple, il est apparu que, chez celles et ceux qui avaient un style
d’attachement confiant, les émotions étaient éprouvées modérément mais clairement
exprimées. Alors que chez les sujets présentant un style anxieux-évitant, les
expériences émotionnelles étaient à la fois peu intenses et faiblement exprimées. Ces
données, indiquent les auteurs, « aident le psychologue du conseil à contextualiser la
présentation affective du consultant » (p. 155), car elles lui permettent d’inférer plus
sûrement, à partir des manifestations émotionnelles, les processus internes, et en
particulier les modèles de soi et de l’autre.
66 Ces recherches se développent dans le cadre de la psychologie du conseil car, écrivent
Searle et Meara (1999), « les psychologues du conseil sont peut-être les mieux placés
pour conduire des recherches fondamentales qui contiennent les germes de la
pertinence pratique » (p. 147). Ils rejoignent l’analyse de Hill et Corbett (1996), pour qui
les progrès dans l’efficacité de la psychologie du conseil exigent de partir des
problèmes posés par la pratique clinique et de se réfèrer à plusieur théories. La T.A.
apparaît ainsi comme une théorie parmi d’autres, spécialement appropriée pour
analyser les émotions dans les situations interpersonnelles.
67 En attendant les nouvelles avancées dans ce sens, si la T.A. peut favorablement
influencer la psychologie du conseil, c’est par l’idée selon laquelle le système
d’attachement intervient tout au long de la vie comme un aspect normal des conduites,
dont la plasticité réside pour partie dans les rapports du consultant avec son milieu.
Elle rejoint par là les théories systémiques (Wynne, 1984) et l’optimisme pragmatique
de la psychologie du conseil, qui cherche à permettre au consultant de mobiliser non
seulement en lui mais aussi dans son environnement des ressources actuelles qui lui
échappent. Bowlby ne propose toutefois pas d’utopie thérapeutique : « Au fur et à
mesure qu’un enfant grandit... l’expérience clinique montre que aussi bien les patrons
d’attachement que les traits de personnalité appartiennent de plus en plus à l’enfant et
résistent aux changements » (1991, p. 311). Et le théoricien d’une psychologie
scientifique du développement socio-émotionnel semble alors s’en remettre au « sens
clinique » des psychologues et psychiatres, lorsqu’il poursuit en indiquant que la T.A.
consiste en « la reformulation de questions anciennes (celles de la psychanalyse) sous
des formes qui se prêtent à la recherche et en nouvelles méthodes pour y répondre...
Maintenant, les cliniciens commencent à appliquer de telles connaissances fiables
lorsqu’elles existent et, inévitablement, ils extrapolent pour le domaine immense où ce
n’est pas le cas » (p. 311). Ces extrapolations, qu’il serait utile de soutenir par des
instruments psychométriques plus diversifiés, se fondent sur la conception de l’homme
et de son développement dont dispose le psychologue du conseil. La T.A., à cet égard, le
conforte dans l’idée que le soutien qu’il peut apporter à la réflexion et aux prises de
décisions du consultant est irremplaçable, par sa dimension socio-émotionnelle, que le
plus expert des systèmes informatiques ne saurait que simuler.

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


69

BIBLIOGRAPHIE
Ainsworth, M.S., & Bowlby, J. (1989). An ethological approach to personality development.
American Psychologist, 46, 333-341.

Ainsworth, M.D.S., Blehar, M.C., Waters, E., & walis, S. (1978). Patterns of attachment. Hillsdale, N.J.:
Erlbaum.

Anzieu, D., Bowlby, J., Chauvin, R., Duyckaerts, F., Harlow, H.H., Koupernik, C., Lebovici, S.,
Lorenz, K., Malrieux, P., Spitz, R.A., Widlöcher, D., & Zazzo, R. (1974). Le colloque sur l’attachement.
Neufchâtel : Delachaux et Niestlé.

Armsden, G.C., & Greenberg, M.T. (1987). The inventory of parent and peer attachment.
Individual differences and their relationship to psychological well-being in adolescence. Journal of
Youth and Adolescence, 16, 427-454.

Baldwin, J.M. (1897). Le développement mental chez l’enfant et dans la race. Paris: Alcan. (Première
édition en 1895.)

Baldwin, M.W. (1992). Relational schemas and the processing of social information. Psychological
Bulletin, 112, 461-484.

Baldwin, M.W., Fehr, B., Keedian, E, Seidel, M., & Thomson, D.W. (1993). An exploration of the
relational schemata underlying attachment styles: self-report and lexical decision approaches.
Personality and Social Psychology Bulletin, 19, 746-754.

Bartholomew, K. (1990). Avoidance of intimacy: An attachment perspective. Journal of Social and


Personal Relationships, 7, 147-178,

Belsky, J., & Nezworski, T. (1988). Clinical implications of attachment. In J. Belsky & T. Netzworski
(Eds.), Clinical implications of attachement (pp. 3-17). Hillsdale, NJ: Erlbaum.

Biringen, Z. (1994). Attachment theory and research: Application to clinical practice. American
Journal of Orthopsychiatry, 64, 404-420.

Blanchard, S., Volvey, C., Homps, E, & Prieur, A. (1995). Une technique d’explication des intérêts :
l’entretien A.D.V.P. L’orientation scolaire et professionnelle, 24, 425-442.

Blondel, C. (1938). Intelligence et techniques. Journal de Psychologie Normale et Pathologique, 35,


325-367.

Blustein, D.L., Prezioso, M.S., & Schultheiss, D.P. (1995). Attachment theory and career
development: current status and future directions. The Counseling Psychologist, 23, 416-432.

Bourcet, C. (1997). Valorisation et dévalorisation de soi en milieu scolaire : Pour une approche
psychopédagogique humaniste. L’Orientation Scolaire et Professionnelle, 26, 315-333.

Bowlby, J. (1953). Soins maternels et santé mentale. Paris : Masson. (Première édition en 1951).

Bowlby, J. (1958). The nature of the child’s tie to his mother. International Journal of Psycho-analysis,
39, 350-373.

Bowlby, J. (1961). L’éthologie et l’évolution des relations objectales. Revue Française de


Psychanalyse, 25, 623-631.

Bowlby, J. (1978). Attachement et perte. vol. I : L’attachement. Paris : P.U.F. (Première édition en
1969.)

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


70

Bowlby, J. (1981). Perspective: a contribution by John Bowlby. Bulletin of the Royal College of
Psychiatrists, 5.

Bowlby, J. (1988). A secure base: Parent-child attachment and healthy human development. London:
Routledge.

Bretherton, I. (1985). Attachment theory: Retrospect and prospect. In I. Bretherton & E. Waters
(Eds.), Growing points of attachement theory and research. Monographs of the Society for the Research in
Child Development, 50, serial N° 209, 3-35.

Collins, N.L., & Read, S.J. (1990). Adult attachment, working models, and relationship quality in
dating couples. Journal of Personality and Social Psychology, 58, 644-663.

Cohn, D.A. (1990). Child-mother attachment of six-year-olds and social competence at school.
Child Development, 61, 152-162.

Dumora, B. (1997). L’évolution des projets d’orientation. Carriérologie, 6, 25-34.

Duyckaerts, F. (1974). Métapsychologie et psychologie. In D. Anzieu et al. (Dir.), Le colloque sur


l’attachement (pp. 155-184). Neuchâtel : Delachaux et Nieslé.

Feeney, J.A., & Noller, P. (1990). Attachment style as a predictor of adult romantic relationship.
Journal of Personality and Social Psychology, 58, 281-291.

Frankel, K.A., & Bates, J.E. (1990). Mother-toddler problem solving: Antecedents in attachment,
home behavior, and temperament. Child Development, 61, 810-819.

Freud, S. (1962). Trois essais sur la théorie de la sexualité. Paris : Gallimard. (Première édition en
1905.)

Garand, M. (1978). De l’orientation à l’activation. L’orientation scolaire et professionnelle, 7,


299-324.

Gewirtz, J.L (1976). The attachment acquisition process as evidenced in the maternal conditioning
cued infant responding (particularly crying). Human Development, 19, 143-155.

Gewirtz, J.L. (1977). Does maternal responsivity imply reduced infant crying. A critique of the
1972 Bell & Ainsworth report. Child Development, 48, 1200-1207.

Gewirtz, J.L., & Pelaez-Nogueras, M. (1991). The attachment metaphor and the conditioning of
infant separation protests. In JL. Gewirtz & W.M. Kurtines (Eds.), Intersections with attachment
(pp. 123-144). Hillsdale, N.J.: Erlbaum.

Grotevant, H.D., & Cooper, C.R. (1988). The role of family experience in career exploration. A life-
span perspective. In P. Baltes, R.H. Lerner, & D. Featherman (Eds.), Life-span development and
behavior (Vol. 8, pp. 231-258). Hillsdale, N.J. : Erlbaum.

Grey-Walter, W. (1960). Discussion du sixième entretien, sur les stades du développement


psychologique de l’enfant. In J.M. Tanner, & B. Inhelder (Éds.), Entretiens sur le développement
psycho-biologique de l’enfant (pp. 175-196). Neufchâtel : Delachaux et Niestlé. (Actes du colloque
tenu en 1953.)

Guichard, J. (1995). Quels cadres conceptuels pour quelle orientation à l’aube du XXF siècle ?
L’Orientation Scolaire et Professionnelle, 24, 55-67.

Harlow, H. (1958). The nature of love. American Psychologist, 13, 673-685.

Hazan, C., & Shaver, P. (1987). Romantic love conceptualized as an attachment process. Journal of
Personality and Social Psychology, 52, 511-524.

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


71

Hayes, N. (1994). Foundations of psychology. Londres: Routledge.

Hinde, R.A. (1982). Attachment: Some conceptual and biological issues. In CM. Parkes & J.
Stevenson-Hinde (Eds.), The place of attachment in human behavior (pp. 60-76). Londres : Tavistock.

Hellenberger, H.F. (1974). À la découverte de l’inconscient : histoire de la psychiatrie dynamique. Paris :


Simep.

Hill, C.E., & Corbett, M.M. (1996). La recherche sur les processus et l’efficacité de la relation d’aide
en psychologie du conseil : histoire et perspective. L’Orientation Scolaire et Professionnelle, 25,
217-265.

Holmes, J. (1995). John Bowlby and attachment theory. Londres : Routledge. (Première édition en
1993.)

Huteau, M. (1982). Les mécanismes psychologiques de l’évolution des attitudes et des préférences
vis-à-vis des activités professionnelles. L’Orientation Scolaire et Professionnelle, 11, 107-125.

Isabella, R.A., Belsky, J., & von Eye, A. (1989). Origins of infant-mother attachment: An
examination of interactional synchrony during the infant’s first year. Developmental Psychology, 25,
12-21.

Izard, C.E., Porges, S.W., Simons, R.F., Haynes, O.M., & Cohen, B. (1991). Infant cardiac activity:
Developmental changes and relations with attachment. Developmental Psychology, 27, 432-439.

Kenny, ME., & Rice, K.G. (1995). Attachment to parents and adjustment in late adolescent college
students: Current status, applications, and future considerations. The Counseling Psychologist, 23,
433-456.

Ketterson, T.U., & Bluestein, D.L. (1997). Attachment relationships and the career exploration
process. The Career Development Quarterly, 46, 167-178.

Kracke, B. (1997). Parental behaviors and adolescents’ career exploration. The Carrer Development
Quarterly, 45, 341-350.

Krause, A.M., Haverkamp, B.E. (1996). Attachment in adult child-older parent relationships
Research, theory, and practice. Journal of Counseling and Development, 75, 83-92.

Lamb, M.E (1997). L’influence du père sur le développement de l’enfant. Enfance, 51, 337-349.

Lambert, M.J., & Cattani-Thompson, K. (1996). Current findings regarding the effectiveness of
counseling: Implications for practice. Journal of Counseling and Development, 74, 601-608.

Lebovici, S. (1991). La théorie de l’attachement et la psychanalyse contemporaine. Psychiatrie de


l’enfant, 34, 309-339.

Le Camus, J. (1992). Attachement et détachement. Examen critique de la théorie de Bowlby


(1907-1990). Enfance, 46, 201-212.

Lopez, F.G., & Gover, M.R. (1993). Self-report measures of parent-adolescent attachment and
separation-individuation: A selective review. Journal of Counseling & Development, 71, 560-569.

Main, M., & Solomon, J. (1986). Discovery of an insecure-disorganized/disoriented attachment


pattern. In T.J, Brazelton & M.W. Yogman (Eds.), Affective development in infancy (pp. 95124).
Norwood, N.J. : Ablex.

Mallet, P. (à paraître). L’anxiété suscitée par l’avenir scolaire et professionnel au cours de


l’adolescence : la formation d’une anxiété sociale majeure. Carriérologie.

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


72

Nelson, D.L., & Quick, J.C. (1991). Social support and newcomer adjustment in organizations
Attachment theory at work? Journal of Organizational Behavior, 12, 543-554.

Park, K.A., & Waters, E. (1989). Security of attachment and preschool friendships. Child
Development, 60, 1076-1081.

Pennebaker, J.W., Colder, M., & Sharp, L.K. (1990). Accelerating the coping process. Journal of
Personality and Social Psychology, 58, 781-793.

Pierrehumbert, B., Karmaniola, A., Sieye, A., Meister, C., Miljkovitch, C, & Halfon, O. (1996). Les
modèles de relations. Développement d’un autoquestionnaire d’attachement pour adultes. La
Psychiatrie de l’Enfant, 39, 161-206.

Pipp-Siegel, S., Easterbrooks, M.A., Brown, S.R., & Harmon, R.J. (1995). The relation between
infants’ self/mother knowledge and three attachment categories. Infant Mental Health Journal, 16,
221-232.

Rayner, E. (1996). Deux pionniers de l’histoire de la santé mentale : Winnicott et Bowlby. Devenir,
8, 53-66.

Reuchlin, M. (1979). Les méthodes en psychologie. Paris : P.U.F. (Première édition en 1969.)

Reuchlin, M. (1991). Psychologie. Paris : Presses universitaires de France. (Première édition en


1977.)

Rutter, M. (1979). Maternal deprivation 1972-1978 : new findings, new concepts, new approaches.
Child Development, 50, 283-305.

Rutter, M. (1997). Clinical implications of attachment concepts : Retrospect and prospect. In L.


Atkinson & K.J. Zucker (Eds.), Attachment and psychopathology (pp. 17-46). New York Guilford Press.

Searle, B., & Meara, N.M. (1999). Affective dimensions of attachment styles: Exploring self-
reported attachment style, gender, and emotional experiences among college student. Journal of
Counseling Psychology, 46, 147-158.

Slade, A. (1987). Quality of attachment and early symbolic play. Developmental Psychology, 23,
78-85.

Spangler, G., & Grossmann, K.E. (1994). Biobehavioral organization in securely and insecurely
attached infants. Child Development, 64, 1439-1450.

Strongman, K.T. (1996). Emotion and memory. In C. Magai & S.H. McFadden (Eds.), Handbook of
emotion, adult development, and aging (pp. 133-147). San Diego, C.A.: Academic Press.

Sulluway, F. (1998). Freud, biologiste de l’esprit. Paris : Fayard.

Wallon, H. (1920). Les réactions motrices dans les crises dues à l’émotion. L’Année Psychologique,
22, 143-166.

Wiener, N. (1995). La cybernétique ou le contrôle et la communication chez l’animal et la


machine. Introduction. In A. Pélicier & A. Tête (Éds.), Sciences cognitives. Textes fondateurs
(1943-1950) (pp. 1-37). Paris : P.U.F. (Première édition en 1948.)

Wynne, L.C. (1984). The epigenesis of relational systems: A model for understanding family
development. Family Process, 23, 297-318.

Zazzo, R. (1972). L’attachement. Une nouvelle théorie sur les origines de l’affectivité. L’Orientation
Scolaire et Professionnelle, 1, 101-128.

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


73

NOTES
1. Succédant au Bulletin de l'Institut National d'Orientation Professionnelle.
2. Ce concept provient de Craik (1943, p. 61, cité in Bretherton & Waters, p. 11), auteur d’un
ouvrage alors influent : La nature de l’explication.
3. Et tout spécialement comparativement à ceux de Klein, dont Riviere, l’élève, fut l’analyste de
Bowlby.

RÉSUMÉS
Cet article examine l’intérêt que la théorie de l’attachement (T.A.) pourrait présenter pour la
psychologie du conseil. Dans une première partie, on rappelle comment la T.A. a été inspirée par
trois sources : psychologie clinique et pathologique, éthologie, et cybernétique. L’évolution des
recherches sur la T.A. est exposée, en particulier son intérêt croissant pour les différences
interindividuelles de développement socio-émotionnel au-delà de la prime enfance. Dans une
deuxième partie, on commence par envisager les effets favorables que pourraient avoir des
attachements confiants aux parents sur la découverte des formations scolaires et
professionnelles par les adolescents, et sur leur engagement dans celles-ci. On rapporte ensuite
les recommandations que des psychologues du conseil ont tirées de la T.A. pour la conduite de
l’entretien, en explicitant certaines des métaphores qui lui sont empruntées en cette occasion.
On termine en soulignant combien la prise en compte des aspects socio-émotionnels dans la
conduite de l’entretien et dans l’examen de la situation du consultant accroît la possibilité de
mobiliser chez lui les stratégies de formation les plus pertinentes.

In this article, we examine the relevance of attachment theory (A.T.) for counseling psychology.
First, we present the three sources of AT.: (a) clinical psychology and psychopathology, (b)
ethology, and (c) cybernetics. We overview the development of research on A.T., with a special
focus on interindividual differences regarding the socio-emotional development beyond infancy.
In the second part, we analyse the extent to which secure attachments to parents could support
adolescents’ exploration and commitment regarding career development. We report the
recommendations formulated by counselors who rely on A.T., regarding the management of
clinical interviews, and we specify the content of the metaphors related to this framework.
Finaly, we underscore that the attention devoted by the counselor to the socio-emotional factors
when examining an individual case increases the likelihood of elicitating the most relevant
career development strategies.

INDEX
Mots-clés : Théorie de l’attachement, psychologie du conseil, orientation scolaire
Keywords : Attachment Theory, counseling, career guidance

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


74

AUTEUR
PASCAL MALLET
Professeur de Psychologie à l’université Paris X. Membre du service de recherches de
I’I.N.E.T.O.P. Thèmes de Recherche : le développement des relations entre pairs et de la
personnalité sociale chez l’enfant d’âge scolaire et l’adolescent.

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


75

Pourquoi les praticiens disent-ils


que « la théorie n’est pas utile à la
pratique » ? une proposition pour
adapter la pratique aux exigences
du 21ème siècle
Theory is no use to practice: why practitioners say this, and a response to take
practice into the 21st century

Alison J. Fielding
Traduction : Denis Bonora

NOTE DE L’AUTEUR
Cet article reprend le contenu d’un séminaire organisé dans le cadre du Congrès de
l’Association Internationale d’Orientation Scolaire et Professionnelle d’août 1999,
Warwick, England, intitulé « L’Orientation professionnelle tout au long de la vie : pour
un développement de carrière sur toute la durée de la vie » (Lifelong careers Guidance
for Lifetime Career Development).

Introduction
1 Il existe de nombreuses raisons pour lesquelles une exploration des relations entre
théorie et pratique se justifie à l’heure actuelle. Parmi celles-ci, l’attitude critique des
étudiants comme des praticiens arrive en bonne place. Ceux d’entre nous qui se
préoccupent de la formation des futurs praticiens savent bien que nos étudiants ont le
sentiment qu’il existe un abîme entre la théorie et la pratique, et que ceux-ci
considèrent la théorie comme « dépassée » car elle ne prend pas en compte les

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


76

évolutions actuelles en matière d’orientation. L’avènement imminent du 21 e siècle


nous fournit l’occasion de reconsidérer la théorie existante et de manifester le vif
espoir de nouvelles approches, mieux adaptées au prochain millénaire.

1. Critiques de la théorie
2 À partir de discussions menées avec les étudiants et avec les praticiens, un petit
nombre de critiques à l’égard de la théorie s’expriment fréquemment, qui pourront
servir de base à la discussion :
• la théorie est déconnectée de la « vie réelle » : l’opinion généralement répandue semble être
que la théorie ne porte pas sur ce qui an-ive réellement dans les pratiques d’orientation, et
particulièrement dans l’entretien,
• la recherche universitaire se déroule dans un monde à part : une « tour d’ivoire », que la
plupart des universitaires et théoriciens ne reconnaîtront pas comme leur milieu de vie
quotidienne !
• les modèles théoriques sont trop contraignants : les praticiens font état d’un souhait de
flexibilité, qui puisse répondre aux besoins individuels de leurs consultants,
• les modèles catégorisent les gens de façon simpliste, et ne prennent pas en compte les
différences individuelles, ce qui fait écho à une opinion selon laquelle la théorie « classique »
se base sur des échantillons d’individus blancs, de sexe masculin, et appartenant à la classe
moyenne américaine des années 50,
• les modèles ne sont que le simple reflet du sens commun : ce commentaire, qui constitue
peut-être la base de toutes ces critiques, transparaîtra dans toute la suite de cet article.
3 Ces critiques se trouvent, dans une certaine mesure, confirmées par les recherches
menées au Royaume-Uni sur un échantillon de praticiens du conseil. La Gro et Cavadino
(1992) ont trouvé que « une proportion significative de conseillers d’orientation
utilisent dans leurs techniques d’entretien, des modèles ou des théories, alors même
qu’ils se réclament d’une flexibilité dans leur pratique. Ils tendent à adapter les
théories en fonction des besoins de leurs consultants, en se basant sur l’expérience
qu’ils ont acquise dans le domaine ». Il semble que de nombreux praticiens ne soient
pas même conscients du fait que leur pratique répond à une théorie, et qu’ils ne
puissent probablement pas identifier les modèles sous-jacents, peut-être parce que
ceux-ci sont profondément enfouis.
4 « La plupart des conseillers d’orientation ne veulent pas reconnaître qu’ils utilisent un
modèle particulier d’entretien. Le terme même de modèle est rejeté par certains car il
semble suggérer l’absence de flexibilité... » (Kidd, Killeen, Jarvis, & Offer, 1993). Les
praticiens sont souvent peu au fait des théories, et commettent souvent la confusion,
commune au Royaume-Uni, entre la théorie de la carrière professionnelle (en anglais :
career) et la théorie de l’orientation (en anglais : guidance), probablement en raison du
fait qu’historiquement, les services d’orientation officiels ont quasi-invariablement été
associés à la notion de carrière professionnelle.
5 La théorie de la carrière professionnelle, qui vise à expliquer comment les personnes
parviennent à une décision quant à leurs choix professionnels, peut être envisagée
comme un point de départ : il est indispensable de comprendre et de décrire les
démarches et les situations qui amènent différentes personnes à sélectionner ou à
éliminer les diverses ouvertures de carrière qui leur sont accessibles.

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


77

6 Ces descriptions constituent la base de modèles devant permettre aux praticiens


d’appliquer les principes d’une approche théorique particulière. Il s’agit alors de
théorie de l’orientation, qui explique les processus par lesquels on peut aider les
individus à faire passer leurs choix dans les faits.
7 Comme le précise Killeen (1996) : « la théorie de la carrière professionnelle est une
source d’information sur les stratégies et les techniques d’orientation... ». Au Royaume-
Uni, la conscience de cette relation semble peu répandue : « la plupart sont familiers
avec la théorie rogerienne du conseil non-directif, et avec la théorie du développement
de carrière de Super. Le Plan en Sept Points de Rodger 1est largement connu mais n’est
pas considéré comme très pertinent par rapport à la pratique de l’entretien. Un peu
plus de la moitié seulement des praticiens examinés étaient familiers avec l’approche
"assistant-expert" d’Egan D’autres types de théories du conseil et de théories de la
carrière apparaissent comme moins bien connus » (Kidd, Killeen, Jarvis, & Offer, 1993).
Alors même que les praticiens rejettent parfois la théorie comme étant non pertinente
par rapport à leur pratique, les faits suggèrent donc qu’en réalité ils utilisent au cours
de leur pratique un ancrage théorique assez solide, sans toutefois en demeurer
conscients du fait de son intégration progressive. De plus en plus, on convient que la
situation est en fait plus complexe qu’elle n’apparaissait dans le passé, et que, en dépit
de son ancrage dans la structure conceptuelle de la théorie de la carrière
professionnelle, l’orientation se déroule toujours dans un contexte déterminé, aux
plans économique, social, et technique (Guichard, 1999). C’est dans le contexte d’un
monde sans cesse plus complexe que les praticiens entreprennent de satisfaire les
besoins de leurs consultants.
8 Il est intéressant de constater que, dans le cadre de la formation continue destinée aux
praticiens confirmés, la demande de formation sur les thèmes en rapport avec la
théorie prend de l’ampleur (et cette demande émane des praticiens eux-mêmes !). On
prend conscience, de plus en plus, de la place de la théorie comme fondement de la
pratique, et on souhaite l’intégrer dans la démarche. Pourtant, si l’on veut qu’à l’avenir
les modèles de guidance puissent satisfaire les besoins des conseillers comme de leurs
consultants il faudra qu’ils donnent suite aux critiques dont ils sont l’objet, et qu’ils
deviennent capables de répondre à la demande des praticiens. Bien que les bases
théoriques de tout modèle soient nécessaires pour assurer sa légitimité et démontrer sa
valeur, elles sont moins importantes pour les praticiens, qui, confrontés au défi
quotidien du travail avec le consultant, ont besoin d’une approche concrète répondant
aux besoins de la situation.

2. Que veulent les praticiens ?


9 Les discussions avec les conseillers permettent de constater que la plupart d’entre eux
voient clairement ce qu’ils attendent des théories et des modèles, et, ici encore, on peut
résumer leurs attentes en quelques points :
• « quelque chose de pratique que je puisse utiliser pour aider les consultants » ,
• « quelque chose qui soit adapté à la grande diversité des consultants que je reçois » ;
• « quelque chose qui prenne en compte les situations actuelles — et qui ne soit pas
simplement basé sur les vieilles théories habituelles ».

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


78

10 Ainsi, tout modèle doit pouvoir se prolonger directement dans la pratique, et avoir une
flexibilité suffisante pour rester applicable à une grande diversité d’individus. Le défi à
relever est la création d’un tel modèle !

3. Un modèle d’orientation pour le 21e siècle


11 Le modèle que nous présentons ici (figure 1) a été conçu pour offrir une structure
souple, permettant d’instrumenter une grande diversité d’interventions, en fonction
des besoins du consultant à un moment donné. Cette structure n’est pas dépendante de
l’âge du consultant, et elle prend en charge les nombreux facteurs qui affecteront la
progression. C’est un modèle conçu pour la pratique, mais il est construit sur une large
base théorique. Nous allons le commenter en détail. Le concept de base est celui
d’« apprentissage tout au long de la vie » (DfEE, 1998), qui implique la prise en charge
de tous, aussi bien les jeunes, groupe d’utilisateurs traditionnels des services
d’orientation au Royaume-Uni, que les adultes, public en expansion des services
d’information, de conseil et d’orientation. La diversité des activités de conseil s’accroît.
Le travail dans le cadre scolaire commence à une phase plus précoce de la scolarité ; et
des initiatives telles que 1’« apprentissage en direct » des services d’assistance
téléphonique donnent accès aux consultations d’orientation pour de nombreux
individus qui ne pourraient en bénéficier autrement.

Figure 1 : Apprentissage tout au long de la vie - Situations individuelles


Lifelong Learning - Individual situations

12 Corrélativement, chaque consultant engagera le processus à partir de sa propre


situation spécifique, déterminée par son environnement et son propre parcours de vie,
ce que Roberts (1997) décrit comme les situations individuelles : « en fait il n’y a jamais
eu un village ou une ville où tous les garçons descendaient au fond de la mine, et où
toutes les filles allaient à la filature, mais en de nombreux lieux de Grande-Bretagne on
trouvait ordinairement des types dominants d’activité, dans lesquels la plupart des
jeunes, année après année, étaient embauchés ». Cette prévisibilité n’a plus cours
aujourd’hui, et de plus, la mobilité géographique a encore développé l’individualisation.
Roberts signale également qu’il ne s’agit pas là d’une tendance spécifique à la Grande-
Bretagne, mais qu’on la rencontre partout en Europe et dans le reste du monde
développé. La nécessité, impliquée par cette individualisation, d’établir ainsi la base de

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


79

départ du consultant et de travailler à partir de là, s’inscrit bien dans la pratique


actuelle de la non-directivité, telle que Rogers (1951) puis Egan (1998) l’ont définie.
13 Le modèle fait intervenir de façon équilibrée des facteurs externes et internes, que le
consultant devra prendre en compte dans sa démarche. Il repose à la fois sur la
psychologie et la sociologie, et vise à rendre complémentaires ces deux domaines dans
la perception de l’individu par lui-même, de sa situation, et de l’harmonie ‒ ou de
l’absence d’harmonie ‒ entre les deux. Ce modèle tente donc de concilier ce que Derr et
Laurent (1989) ont décrit comme « deux courants de pensée dominants, indépendants
et parfois conflictuels au cours des 50 dernières années ».
14 Les facteurs internes se regroupent en trois catégories : Les différences individuelles, la
culture et le style de vie. Nous allons préciser maintenant la signification de ces
termes :
• les différences individuelles concernent les caractéristiques physiques, intellectuelles,
psychologiques et sociales des individus. Ce sont en particulier les capacités, intérêts,
besoins et valeurs personnelles, qui font de chacun un être unique (Betz, Fitzgerald, & Hill,
1989). Ces différents aspects ont constitué la base de l’approche factorialiste et typologique
en orientation, qui a été décrite comme la pierre angulaire de la théorie traditionnelle de
l’orientation (Betz, Fitzgerald, & Hill, 1989). Celle-ci influence encore la pratique par l’usage
des tests, des questionnaires et des systèmes d’appariement basés sur l’utilisation de
l’informatique. On considère parfois cette approche comme disqualifiée, mais c’est à nos
risques et périls qu’on l’abandonnerait complètement : elle offre en effet au consultant les
moyens de constater ses propres caractéristiques personnelles, et de se percevoir comme un
individu dans sa singularité ;
• la culture réfère aux hypothèses et aux valeurs, sous-jacentes par exemple à l’activité
professionnelle, qui imprègnent l’individu à partir du groupe humain auquel il appartient, et
qui influencent la façon dont il se voit lui-même, en relation avec le monde extérieur (Derr,
& Laurent, 1989). Dans une société où le multiculturalisme se développe, il est indispensable
de prendre conscience que certaines de nos valeurs peuvent apparaître comme des concepts
étranges pour d’autres groupes humains. Par exemple, l’éthique protestante du travail
imprègne de nombreux aspects des attitudes à l’égard du travail dans les populations
occidentales, mais on ne doit pas considérer a priori que tous les autres partagent ces
mêmes valeurs, et si l’on souhaite être efficace il faut être capable de prendre en compte
d’autres options (Seligman, 1994) ;
• le style de vie : les facteurs motivationnels, souvent en rapport avec la vie extra-
professionnelle, et tels que la famille et les amis, ou les préférences en matière de loisirs.
Cette notion est tirée des travaux de Schein (1990) sur les « ancrages professionnels », bien
que cette catégorie ne soit apparue qu’après inclusion, dans l’échantillon étudié, d’individus
de sexe féminin. Il semble en effet qu’après avoir été évoquée, elle ait exercé une attraction
croissante aussi bien auprès des hommes que des femmes, la plupart des décisions ne
pouvant être prises indépendamment les unes des autres, et la plupart des gens souhaitant
— et ayant besoin de — prendre en considération l’impact de leurs propres choix sur les
autres gens et sur leurs activités de loisirs.
15 Ces variables qui singularisent le consultant ne doivent plus simplement être traitées
en termes de catégories professionnelles ou de noms de métiers. Il apparaît plus
approprié d’avoir recours à l’histoire professionnelle de l’individu (Collin & Watts,
1996), et de recenser ses activités professionnelles antérieures en vue de produire un
document vivant dans lequel les apprentissages et les progressions sont enregistrés.

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


80

16 Les facteurs externes forment également trois catégories, le travail flexible et basé sur
portefeuille (de compétences), les ouvertures, et l’environnement. Nous allons
maintenant les passer en revue :
• Le développement du travail flexible et basé sur portefeuille (de compétences) (Handy, 1991) : le fait
de plus en plus vraisemblable que les individus n’auront pas une vie professionnelle unique,
mais passeront par un certain nombre de « mutations » au cours de leur vie, a eu un énorme
impact sur notre représentation du travail. Pour les anciennes générations, le manque de
certitudes, aspect qui était étranger à la situation antérieure, peut s’avérer déstabilisant. Au
contraire, on peut constater qu’il perturbe moins les jeunes générations (Roberts, 1997). Le
besoin épisodique de conseils d’orientation est très lié au changement de nature du travail.
• Les ouvertures : ce terme réfère aux perspectives d’emploi et de carrière qui sont — en toute
objectivité — disponibles pour chaque individu particulier (Robert, 1997). L’idée selon
laquelle « tout est possible » peut être très attrayante, mais elle peut aussi être déroutante
pour l’individu, confronté à l’éventail des ouvertures potentielles entre lesquelles il faudra
arbitrer. Il est important que les gens puissent évaluer le réalisme des différentes options,
afin d’éliminer celles qui sont irréalistes, mais aussi de découvrir, parfois, que certaines
ouvertures considérées initialement comme déraisonnables sont en fait envisageables. Le
conseiller a ici un rôle décisif à jouer, en aidant la personne à analyser, comprendre et
choisir de façon pertinente parmi l’éventail des perspectives offertes.
• L’environnement comprend des facteurs tels que la catégorie sociale, l’offre de formation, la
localisation géographique et la mobilité, qui jouent un rôle dans l’accessibilité aux
ouvertures pour l’individu. La catégorie sociale et les attentes parentales constituent encore,
pour la plupart des jeunes, des déterminants majeurs des choix professionnels (Roberts,
1997).
17 Ces différents aspects rendent nécessaire une orientation continue (Roberts, 1997),
accessible à tous, à chaque fois que le besoin s’en fait sentir au long de la vie
professionnelle (Collin & Watts, 1996). Il ne s’agit pas d’un modèle de développement,
qui décrirait une série d’étapes, ou de phases, par lesquelles l’individu devra passer,
chacune devant avoir été menée à bien avant que celui-ci ne puisse s’engager dans la
suivante, et qui comporterait la prévision des expériences à acquérir et des
comportements spécifiques de chaque étape. Ce modèle n’implique pas une quelconque
progression linéaire entre des étapes fixées d’avance (Roberts, 1997). Il est au contraire
ouvert et souple, et peut être utilisé à tout moment pour aider le consultant et le
praticien à déterminer la base de départ de la procédure de conseil, et à se mettre
d’accord sur les moyens à mettre en œuvre, qui permettront de satisfaire au mieux les
besoins manifestés. Il peut fournir la base d’une multiplicité d’interventions, incluant
l’entretien classique d’orientation professionnelle mais n’excluant pas pour autant
l’usage des épreuves psychométriques, l’utilisation de logiciels informatiques
d’orientation, les séances de groupe, l’expérience de la vie professionnelle, le choix de
ces outils étant lié aux besoins de l’individu dans le moment considéré. Un tel modèle,
intégrant l’orientation continue, doit absolument, pour fonctionner de façon
satisfaisante, faire sa place à un processus de planification efficace de l’action, et sa
prise en compte en tant que cycle d’apprentissage (Law, 1996).
18 Bien que, pour des raisons de clarté et d’accessibilité, le schéma présente les différents
facteurs comme étant tous équivalents quant à leur taille et à leur impact sur l’individu,
on observera en réalité des fluctuations considérables selon les individus, en ce qui

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


81

concerne tant l’importance de chaque domaine que l’échelle de temps le long de l’axe
central figurant l’apprentissage au long de la vie.

3.1. Application du modèle en situation concrète

19 Utilisé dans la pratique de l’orientation, ce modèle fournit une structure qui permettra
de représenter l’ensemble des variables complexes contribuant aux choix
professionnels de l’individu. Il offre au consultant et au praticien la possibilité de
partager un vocabulaire commun pour décrire cet univers, en vue d’optimiser la
compréhension par le consultant de ses besoins en matière d’orientation, et des
objectifs à atteindre dans la perspective de sa vie professionnelle. Il ne comprend pas
de composante prescriptive quant aux moyens dont disposerait le consultant pour
atteindre ces objectifs : sa flexibilité permet en effet au consultant de choisir sa propre
démarche, et au conseiller de mettre en œuvre ses savoir-faire et son expertise.
Cependant, il s’inscrit d’emblée dans la mouvance actuelle de l’orientation non-
directive, dans la mesure où il ancre le processus d’orientation sur la situation
singulière de l’individu. Ainsi, consultant et conseiller, en association, ont la possibilité
d’évaluer l’importance relative de chaque facteur. Ils pourront alors s’en servir pour
aborder les problèmes du consultant de façon à gérer les difficultés ou les obstacles au
cours de sa progression vers la réalisation de ses objectifs. Une telle mise en œuvre du
modèle peut aussi permettre l’identification d’objectifs intermédiaires plus concrets.
Par exemple, le consultant pourra s’aviser qu’il a besoin d’informations
complémentaires dans un domaine donné, avant de pouvoir progresser.
20 La brève étude de cas que nous rapporterons ici vise à illustrer la démarche :
21 Madame E. est une archiviste qualifiée et expérimentée qui travaille à temps partiel pour le
compte des autorités locales. La plus grande partie de son travail consiste à informer les gens
concernés sur différents aspects de leurs recherches, qui visent le plus souvent à construire des
arbres généalogiques. Cependant, ses préférences professionnelles la portent à travailler sur des
documents d’archive, et elle a animé plusieurs cycles de formation du département de la
formation des adultes, destinés à des personnes qui souhaitent développer leurs propres
recherches généalogiques. On lui a proposé de prendre en charge un plus grand nombre de ces
sessions de formation, et dans le même temps, son patron lui a demandé si elle accepterait un
accroissement de ses heures de travail. Dans le passé, elle a déjà tenté de travailler à plein temps,
ce qui, pense-t-elle, a provoqué une réapparition de sa maladie : il y a 10 ans, on lui a
diagnostiqué un syndrome de fatigue chronique (encéphalomyélite myalgique), et il se pourrait
qu’un alourdissement important de sa charge de travail lui soit préjudiciable.
22 Elle souhaite continuer à travailler, mais ignore s’il sera facilement admis qu’elle refuse ces
heures supplémentaires. Son mari lui est d’un grand soutien, et déclare qu’ils pourraient se
passer de son salaire si nécessaire, malgré les difficultés qui s’ensuivraient. Il tient à ce qu’elle ne
fasse pas davantage que ce qu’elle peut effectivement supporter, car il ne veut pas qu’elle se
rende malade à nouveau. En dehors de son activité professionnelle, elle aime s’occuper de son
jardin, et faire des travaux d’amélioration dans la petite maison qu’ils ont achetée, en très
mauvais état, il y a 3 ans.
23 Au cours de l’entretien avec un conseiller d’orientation, Madame E. prit conscience du
fait que son problème de santé était lié au facteur de style de vie, et que si aucun autre
facteur n’intervenait, il n’y aurait pas en fait de réel problème. Cependant, elle se rendit
compte d’un antagonisme entre ce facteur et son emploi, qu’elle perçut comme lié au

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


82

facteur « ouvertures Elle ne voulait pas abandonner complètement son travail, mais se
sentait plus ou moins contrainte d’accepter les heures supplémentaires. Son problème
principal tenait au fait que la possibilité de conserver son emploi pourrait lui être
enlevée si elle refusait. On discuta de quelques autres options possibles, par exemple
celle de travailler à son propre compte sur l’analyse ou la traduction de documents, ou
des actions de formation qui, d’après Madame E., pourraient permettre la flexibilité
dont elle avait besoin (cf. « travail flexible/sur portefeuille de compétences »), et dont
jusque-là elle n’avait pu bénéficier. Cependant, l’absence de structure d’encadrement
aurait pu avoir pour conséquence un stress supplémentaire. Elle avait le sentiment
qu’elle avait besoin de travailler, et de « contri buer », besoin qu’elle reliait au facteur
de « culture ». Elle pensait que son emploi, qui faisait appel à ses capacités et à ses
qualifications (« différences individuelles ») pouvait être, moyennant quelques
ajustements, plus approprié à sa situation.
24 A l’issue de cette discussion, Madame E. réalisa qu’elle avait réussi à clarifier sa
situation, et à identifier les points de tension. Cette élucidation la conduisit à son plan
d’action : ménager un entretien informel avec son employeur afin d’explorer la
possibilité d’une organisation plus souple dans le cadre de son emploi en cours.
25 Un tel exemple suggère que le modèle peut s’avérer utile. Cependant, il sera nécessaire
de l’utiliser de façon plus extensive avant de pouvoir en juger plus sûrement.

3.2. Relations entre théorie et pratique

26 Le modèle présenté ici vise à répondre à la demande des praticiens, dans le cadre d’une
application qui puisse satisfaire une large diversité de consultants. Cependant, il puise
ses sources dans la théorie, dont il regroupe et synthétise différents courants, d’une
façon un peu similaire ‒ bien que plus explicite ‒ à celle opérée par les praticiens. Ce
regroupement de composantes issues de différents modèles, qui semble efficace, a été
caractérisé comme une approche « éclectique ». Jennifer Kidd (1996) qualifie cette
démarche d’« éclectisme technique », et la cite comme l’une des démarches
d’utilisation de la théorie par les praticiens. Ce fait est confirmé par l’étude citée plus
haut sur les conseillers d’orientation (La Gro & Cavadino, 1992). En outre, Kidd identifie
une approche basée sur des « facteurs communs dans laquelle le praticien extrait les
caractéristiques communes à différents modèles, démarche qui semble permettre une
avancée à l’avantage du consultant. Il fait aussi état d’une approche par 1’« intégration
théorique », dans laquelle les praticiens produisent leur propre modèle à partir des
éléments qui se sont avérés efficaces dans leur pratique. Ces différentes démarches sont
intéressantes pour les praticiens, car nous avons vu que le facteur le plus important
pour eux, semble-t-il, est l’applicabilité sur le terrain. Ce qui manque toutefois, en
l’absence d’une base théorique fiable, c’est la disponibilité d’un dispositif permettant
d’évaluer l’efficacité de modèles ou de démarches qui ne dépassent pas l’idiosyncrasie
individuelle du praticien.
27 Cette question devient plus pertinente à mesure que le champ de l’orientation s’étend.
On s’éloigne en effet de la conceptualisation classique selon laquelle, une fois que le
jeune de 15 ou 16 ans a fait en quelque sorte le choix d’une profession, on peut le laisser
faire seul son chemin dans la vie. On tend au contraire à prendre en charge les besoins
des consultants de tous âges et à toutes les étapes, ce qui implique des situations très
diverses et des problèmes nombreux et plus larges — familiaux, financiers, en rapport

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


83

avec les loisirs, etc. qui vont affecter la capacité de ces individus à atteindre leurs
objectifs professionnels (Seligman, 1994 ; Collin & Watts, 1996).
28 Pour le futur on a donc besoin, semble-t-il, de cadres conceptuels pour lesquels
apparaîtrait clairement l’intégration entre théorie et pratique, ce qui rendrait caduque
la distinction entre théoriciens et praticiens. On a déjà commencé l’exploration du
changement dans la relation entre ces deux entités. Audrey Collin (1996), par exemple,
suggère que « les problèmes d’intégration de la théorie et de la pratique se fassent jour
au cours de la formation, et puissent perdurer, mais que les praticiens expérimentés
réalisent la "fusion" entre les deux, et deviennent ainsi des "théoriciens pratiques". La
pratique est faite d’improvisations, et elle s’affine grâce à des cadres conceptuels
fournis par la théorie, la pensée critique et la réflexion sur la pratique. Cependant, les
théories sont souvent retardataires ou inappropriées, et les praticiens ont, eux aussi,
besoin de mener leurs propres recherches, notamment des recherches-actions. Ce fait a
des conséquences quant aux relations entre chercheurs, théoriciens et praticiens ».
29 La citation qui vient d’être énoncée est tirée d’un article intitulé : « repenser la relation
entre théorie et pratique : les praticiens comme déchiffreurs de cartes, cartographes ou
joueurs de jazz », et l’idée d’une parenté entre le travail du conseiller et celui du joueur
de jazz est non seulement puissante, mais également, plaisante. Cependant, la clé de la
réussite, pour le jazz comme pour le conseil en orientation, est la compréhension en
commun de ce qui doit être réalisé, et de la façon de le réaliser, en réinvestissant la
théorie dans l’activité du praticien.

3.3. Quelle est en fait l’utilité de la théorie ?

30 Quand on fait appel à la théorie en vue d’obtenir un modèle utilisable dans la pratique,
on aboutit à des conclusions claires, non seulement quant à la fonction de la théorie en
regard de la pratique, mais aussi quant à l’évolution de la relation entre ces deux
entités. Cette relation doit être réciproque : la théorie doit apporter des informations à
la pratique en vue de l’améliorer, alors que les faits tirés de la pratique doivent
apporter des informations à la théorie pour lui permettre de s’ajuster. Le
développement actuel des coopérations de recherche entre chercheurs et praticiens
semble aller dans ce sens. Cependant il y a encore un rôle à jouer pour ceux d’entre
nous qui demeurent dans leur « tour d’ivoire » : il s’agit d’accéder à une
conceptualisation plus objective de la pratique, qui soit dégagée des contingences
politiques.
31 La théorie fournit un cadre de référence et une terminologie qui faciliteront la
transmission des idées, et permettront d’accéder à une compréhension consensuelle.
Au début de cet article, lorsque nous avons cité les critiques adressées le plus souvent
par les praticiens à la théorie, figurait la phrase : « les modèles ne sont rien d’autre que
l’expression du sens commun ». Cela suggère qu’il existe déjà, à la base, une certaine
forme de compréhension consensuelle, car ce qui fait partie du « sens commun » a dû
d’abord être remarqué et reconnu par tous comme utile.
32 Afin que la pratique demeure efficace ‒ et continue à être utile au consultant ‒ elle doit
se développer dans le sens d’une prise en compte de certaines tendances identifiées
dans la recherche et la littérature contemporaines (Seligman, 1994 ; Collin & Watts,
1996 ; Roberts, 1997). Et la théorie doit contribuer à ce que ce phénomène se produise.

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


84

BIBLIOGRAPHIE
Betz, N.E., Fitzgerald, L.F., & Hill, R.E. (1989). « Trait-factor theories: traditional cornerstone of
career theory ». In M.B. Arthur, D.T. Hall, & B.S. Lawrence (Eds.), Handbook of Career Theory.
Cambridge: Cambridge University Press.

Collin, A, (1996). « Rethinking the relationship between theory and practice: practitioners as
map-readers, map-makers or jazz players? ». British Journal of Guidance & Counselling, 24, l.

Collin, A., & Watts A.G. (1996). « The death and transfiguration of career — and of career guidance
». British Journal of Guidance & Counselling, 24, 3.

Department for Education and Employment (1998). The Learning Age: A Renaissance for a New
Britain. London, Department for Education and Employment.

Derr, C., Brooklyn, & Laurent, A. (1989). « The internal and external career: a theoretical and
cross-cultural perspective ». In M.B. Arthur, D.T. Hall, & B.S. Lawrence (Eds.), Handbook of Career
Theory. Cambridge: Cambridge University Press.

Egan, G. (1998). The Skilled Helper: A Problem-Management Approach to Helping (6th ed). Pacific Grove
C.A, Brooks/Cole Publishing Company.

Guichard, J. (1999). « Counselling individuals and society models: Contexts, goals and guidance
practices ». International Journal for the Advancement of Counselling 1-13.

Handy, C. (1991). The Age of Unreason. London: Arrow Business Books.

Kidd, J. (1996). The career counselling interview ». In A.G. Watts, B. Law, K. Killeen, J.M. John, & R.
Hawthorn (Eds.), Rethinking careers education and guidance: Theory, policy and practice. London and
New York: Routledge.

Kidd, J., Killeen, J., Jarvis, J., & Offer, M. (1993). Working Models of Careers Guidance: The interview.
Department of Employment Careers Service Branch.

Killeen, J. (1996). Career theory ». In A.G. Watts, B. Law, K. Killeen, J.M. John, & R. Hawthorn
(Eds.), Rethinking careers education and guidance: Theory, policy and practice. London and New York:
Routledge.

LaGro, N., & Cavadino, C. (1992). Careers Service Interviews: Policy and Practice. The changing role of
the interview in the guidance process. Department of Employment Careers Service Branch.

Law, B. (1996). Recording Achievement and Action Planning ». In A.G. Watts, B. Law, K. Killeen,
J.M. John, and R. Hawthorn (Eds.), Rethinking careers education and guidance: Theory, policy and
practice. London and New York: Routledge.

Roberts K. (1997). Prolonged transitions to uncertain destinations: the implications for careers
guidance ». British Journal of Guidance & Counselling, 25, 3.

Rogers, C.R. (1951). Client-centred therapy: Its current practice, implications and theory. London:
Constable.

Schein, E. (1990). Career Anchors: Discovering Your Real Values. San Diego: Pfeiffer and Company.

Seligman, L. (1994). Developmental Career Counseling and Assessment. London: Sage Publications.

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


85

NOTES
1. L’entretien est considéré par Rodger comme un processus de collecte d’informations et d’offre
d’informations et de recommandations. L’information concernant le consultant doit couvrir sept
domaines : présentation physique ; connaissances ; intelligence générale ; aptitudes spéciales ;
intérêts ; caractère et circonstances.

RÉSUMÉS
Les liens entre théorie et pratique dans l’orientation professionnelle posent de nombreux
problèmes aux praticiens, en ce qui concerne l’utilité perçue du discours théorique pour ceux qui
ont la charge du public. Cet article vise à engager une réflexion critique sur les approches
« traditionnelles » de l’orientation professionnelle, et à évoquer quelques-unes des évolutions
actuelles qui infléchiront notre approche dans les années à venir : changements dans les profils
d’emploi, et dans les conceptions de la vie professionnelle, utilisation des technologies de
l’information, développement de l’apprentissage tout au long de la vie, et surtout
multiculturalisme.
On discutera du besoin actuel de modèles d’orientation qui intégreraient ces changements, et on
évoquera les innovations en cours dans ce domaine. On abordera les façons possibles d’utiliser les
modèles, et on suggèrera une approche éclectique et intégrée pour répondre à la diversité des
besoins du public, en relation avec l’environnement de chaque individu. Ce modèle, fraîchement
élaboré sur la base des recherches en cours, pourra figurer comme un outil puissant, et
cependant souple, dans le répertoire du praticien de l’orientation professionnelle.

The relationship between theory and practice in Careers Guidance poses many dilemmas for
practitioners, in terms of the perceived usefulness of academic thought for work with clients.
This paper will begin to reflect critically on the traditional » approaches to Careers Guidance, and
to consider some of the current trends which must influence our work in the future: changes in
patterns of work and in conceptions of» career use of Information Technology, developments in
Lifelong Learning, and particularly Multiculturalism.
The need for models of guidance to encompass these changes will be discussed, and current
developments in this area will be considered. Ways of using models will be considered, and an
eclectic and integrated approach will be suggested as a possible way of meeting the diverse needs
of clients, whatever their background. The newly developed model, which draws on current
research, will be presented as a powerful, yet flexible tool in the Careers Guidance Practitioner’s
repertoire.

INDEX
Keywords : Career counseling, relationship between theory and practice
Mots-clés : Conseil en carrière, relation théorie-pratique

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


86

AUTEURS
ALISON J. FIELDING
Maître de conférence au College of Guidance Studies, Kent, Angleterre.
Email : enquiries@cogs.ac.uk

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


87

Conseil et développement de
carrière tout au long de la vie
Career counseling: a life career perspective

Norman C. Gysbers, Mary J. Heppner et Joseph A. Johnston


Traduction : Denis Bonora

NOTE DE L’ÉDITEUR
N.d.T. : En Américain, « career counseling » : Dans ce cadre, le sens du terme
« carrière » découle du type de pratiques dénotées aux Etats-Unis par le « career
counseling », pratiques d’accompagnement psychologique de l’ensemble des choix
importants, notamment (mais pas seulement) professionnels dans la vie du sujet, par
contraste avec la perspective « diagnostic-pronostic-prescription », par exemple. Les
termes « career guidance » et « career education », définis un peu plus loin dans le
texte, s’en démarquent également, comme on le verra.

NOTE DE L’AUTEUR
Cet article présente des conceptions développées dans : Gysbers, N.C., Heppner, M.J., &
Johnston, J.A. (1998). Career Counseling: Problems, Issues and Techniques. Needham
Heights, M.A.: Allyn & Bacon.

1. La nature du conseil en carrière


1 « Historiquement, le conseil en carrière et le conseil vocationnel ont été les pierres
angulaires à partir desquelles la profession de conseiller s’est construite » (Dorn, 1992,
p. 176). Malheureusement, aux États-Unis, au cours des années, cette profession s’est
peu à peu figée en une conception stéréotypée. Dans l’esprit de nombreuses personnes
elle est devenue une activité limitée dans le temps, elle a été amputée des processus

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


88

psychologiques, et elle s’est focalisée sur les performances des personnes et sur les
méthodes utilisées pour les évaluer (Osipow, 1982). Swanson (1995), paraphrasant le
travail de Manuele-Adkins (1992), caractérise ce phénomène de la façon suivante :
« Manuele-Adkins (1992) a décrit cette conception stéréotypée du conseil en carière
qui néglige sa composante psychologique, et affecte la qualité des services du
conseil en carrière. Selon cette conception stéréotypée, le conseil en carrière est un
processus rationnel, qui met l’accent sur la transmission d’informations, l’examen
par test et les systèmes utilisant l’informatique. Il fonctionne à court terme,
limitant ainsi l’éventail des stratégies possibles d’inter vention, et laissant à
l’arrière-plan les processus psychologiques en jeu, tels que ceux sous-jacents à
l’indécision. Enfin, il se démarque du conseil personnalisé en ce sens qu’il minimise
la valeur perçue du conseil en carrière, et qu’il maximise une fallacieuse disjonction
entre travail et non-travail » (p. 222).
2 Les conseillers qui travaillent dans le cadre du conseil en carrière sont assez souvent
considérés comme actifs et directifs, comme dispensateurs de conseils, parce qu’ils
utilisent des évaluations et des informations qualitatives et quantitatives. Par contre,
les conseillers qui pratiquent le conseil personnel-émotionnel sont le plus souvent
considérés comme facilitateurs et explorateurs, dans la mesure où ils se focalisent sur
les processus psychologiques, et sur les interactions conseiller-consultant 1 (Imbindo,
1994). Cette perception dichotomique a conduit à forger le stéréotype classique du
conseil en carrière exprimé par la formule : « trois entretiens et un nuage de fumée »
(Crites, 1981, pp. 49-52). Il n’est donc pas étonnant qu’aux Etats-Unis le conseil en
carrière soit nettement moins bien considéré par certains praticiens que l’approche
personnelle-émotionnelle du conseil.
3 Pour aller à l’encontre de cette conception stéréotypée du conseil en carrière, nous
défendons l’idée qu’il implique une activité de conseil à part entière dans la mesure où
il présente les mêmes caractéristiques et qualités intrinsèques que les autres formes de
conseil. Il s’en démarque pourtant, dans la mesure où les problèmes envisagés
concernent souvent le travail et les questions liées à la carrière professionnelle, et où
les procédures d’évaluation quantitative et qualitative et l’information sont utilisées
plus souvent.
4 Swanson (1995), pour sa part, a caractérisé le conseil en carrière comme « ... une
interaction installée dans la durée, née du face-à-face entre le conseiller et son
consultant, et focalisée essentiellement sur les questions liées au travail ou à la
carrière ; cette interaction est de nature psychologique, la relation qui se construit
entre le conseiller et son consultant jouant un rôle important » (p. 245).
5 Les praticiens du conseil savent que les problèmes évoqués par le consultant
constituent le plus souvent un point de départ, et que, à mesure que se déroule la
démarche, d’autres problèmes vont émerger. Les problèmes de carrière deviennent
alors souvent des problèmes personnels-émotionnels et des problèmes familiaux, puis à
nouveau des problèmes de carrière. Les pensées, émotions et sentiments se trouvent
alors tous impliqués, comme l’évoque Figler de façon éloquente :
« Les émotions sont le démon dans la bouteille du développement vocationnel, les
vents tournoyant dans le for intérieur du consultant, alors même que celui (celle)-ci
porte le masque poli du raisonnable. Pour être pleinement efficace, le conseiller en
carrière a le devoir de faire sortir de cette bouteille les émotions qui accompagnent
souvent les tourments de leur consultant à la recherche de ses objectifs de
carrière » (Figler, 1989, p. 1).

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


89

6 La différenciation opérée de façon stéréotypée entre ces deux catégories de conseils ‒


l’un axé sur le personnel-émotionnel, et l’autre sur la carrière ‒ est artificielle, et ne
peut résister dans la pratique, car de nombreux consultants doivent faire face
simultanément à des problèmes personnels-émotionnels et à des problèmes de carrière,
le plus souvent intriqués.
7 Si le conseil en carrière appartient à la même catégorie que les autres formes de
conseil, alors pourquoi utiliser une expression spécifique pour l’évoquer ? Nous
pensons que son emploi se justifie partiellement par des raisons historiques. Comme il
a déjà été dit, l’usage du terme « vocationnel » ‒ remplacé maintenant par « en
carrière » ‒ est une partie de l’héritage de la pratique du conseil aux États-Unis.
8 Cependant, l’histoire ne peut pas justifier à elle seule l’emploi de l’expression « conseil
en carrière ». Il y a une autre raison à cela, qui tient au besoin de focaliser l’attention
sur les problèmes de travail et de carrière du consultant, nécessitant le recours à des
concepts théoriques, et à des interventions basées sur la théorie du développement
vocationnel, la recherche et la pratique. Or, ces concepts théoriques et ces types
d’interventions nécessaires ne se rencontrent pas habituellement dans la littérature
concernant les autres formes de conseil. Dans le même temps, les concepts théoriques
et les interventions qui proviennent du contexte du conseil personnel-émotionnel ‒ et
le sous-tendent ‒ ne se rencontrent pas habituellement dans la littérature concernant le
conseil en carrière.
9 À l’époque actuelle, les concepts théoriques et les pratiques qui émergent aussi bien du
courant « carrière » que du courant « personnel-émotionnel » deviennent nécessaires
pour travailler efficacement avec de nombreux consultants, et le demeureront demain.
Notre point de départ doit être le consultant, et non pas des distinguos a priori quant à
l’activité de conseil. L’importance attribuée, dans la conduite du travail, aux difficultés
vécues par le consultant, a été soulignée par Blustein et Spangler (1995) dans leur
conception « sensible au terrain » :
« En fait, toute conception attentive au terrain se caractérise chez le conseiller, par
l’intérêt réfléchi pour — et la prise de conscience de — toutes les ramifications
possibles de l’expérience psychologique du consultant, et leurs manifestations
comportementales. Dans ce cadre, le conseiller valorise clairement aussi bien les
domaines vocationnels que non-vocationnels de l’expérience du consultant. Le
conseiller ancrera toute décision quant à son intervention, sur des jugements
qualifiés concernant l’origine du problème et le point de son évolution le plus
propice à cette intervention » (p. 317).
10 Dans l’approche sensible au terrain, les problèmes de carrière du consultant ne sont pas
automatiquement convertis en problèmes personnels-émotionnels et vice-versa.
« L’avantage inhérent à l’approche sensible au terrain tient au fait que les interventions
ne découlent pas de distinction floues ou arbitraires entre des modalités de traitement,
mais sont déterminées par les seules caractéristiques de l’histoire du consultant et du
problème à traiter » (Blustein & Spangler, 1995, p. 318). L’utilisation des termes
« conseil en carrière » et « guidance personnelle-émotionnelle » doit être limitée au
rôle de cadres organisateurs de la théorie et de la recherche ; ces termes ne doivent pas
être utilisés pour appauvrir notre représentation du consultant ou notre travail auprès
d’eux. Hackett (1993) suggérait la même idée quand elle déclarait : « je considère que
notre tâche la plus urgente consiste à définir comment intégrer ou coordonner plus
efficacement le conseil en carrière et la thérapie sans perdre de vue les préoccupations
d’avenir professionnel » (p. 112).

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


90

11 La suite de cet article est consacrée à une présentation d’un modèle de conseil en
carrière qui vise précisément à cela. Nous présenterons d’abord une description de ce
que nous entendons par l’expression « développement d’une carrière tout au long de la vie ».
Puis nous discuterons de la nécessité pour le consultant de développer ce que nous
appellerons une conscience de carrière. Enfin nous décrirons un modèle de conseil en
carrière et présenterons quelques-unes des premières recherches utilisant le modèle
basé sur le processus et les résultats du conseil en carrière.
12 Cependant, il importe d’abord de bien distinguer le conseil en carrière par rapport à deux
autres types d’intervention, la guidance de carrière et l’éducation à la carrière.
13 Nous rejoignons Swanson (1995) qui définit le conseil en carrière comme une
« interaction de face à face prolongée entre le conseiller et son consultant, axée
fondamentalement sur les questions de travail ou de carrière de vie ; cette interaction
est de nature psychologique, la relation entre le conseiller et le consultant jouant un
rôle important » (p. 245).
14 Au contraire, la guidance de carrière « implique toutes les composantes ‒ en termes de
services et d’activités ‒ des institutions éducatives, agences, et autres organismes qui
offrent du conseil et des programmes de formation en rapport avec la carrière »
(Zunker, 1998, p. 7).
15 Par ailleurs, l’éducation à la carrière « a pour but principal d’améliorer les relations
entre éducation et travail professionnel. L’éducation à la carrière tend à privilégier le
processus d’enseignement/apprentissage en tant que mode d’intervention principal du
développement de carrière, et les professeurs et instructeurs apparaissent comme les
acteurs principaux de cette stratégie d’intervention » (Herr & Cramer, 1984, p. 436).

2. Une perspective holistique : le développement de


carrière tout au long de la vie
16 En matière de théorie de développement de carrière comme en matière de pratique, il
paraît nécessaire de considérer l’individu dans sa globalité en prenant en compte
toutes les sphères d’activité et toutes les facettes de l’identité individuelle (Hall, 1996,
p. 7). C’est pourquoi nous avons proposé une perspective holistique de la croissance et
du développement humains que nous appelons « développement de carrière tout au
long de la vie » (Gysbers, Heppner, & Johnston, 1998). Tel qu’il a été défini d’abord par
Gysbers et Moore (1973), et précisé ensuite par McDaniels et Gysbers (1992), le
développement de carrière tout au long de la vie s’appuie sur les étapes du cycle de vie
de la personne considérée dans sa globalité. Ce parcours s’accompagne d’un processus
continu d’interaction et d’intégration des rôles, des cadres et des événements de la vie
de l’individu, ceux-ci étant eux-mêmes influencés par les variables de sexe (genre),
d’origine ethnique, de religion, et de statut socio-économique.

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


91

FIGURE 1 : Développement de carrière tout au long de la vie


Life-career development

Adapté de McDaniels, C. & Gysbers, N.C. (1992). Counseling for career development. San Francisco,
C.A. . Josey-Bass (autorisation de reproduction obtenue).

17 La figure 1 rend compte de cette conception de la croissance et de la maturation


humaines. On remarquera, en haut de la figure, les rubriques « rôles au cours de la
vie », « cadres de vie » et « événements de vie ». Les mots encerclés figurant au-dessous
sont des exemples de ces différents rôles (parent, conjoint, etc.), de ces cadres de vie (la
maison, l’école, le travail), et de ces événements (mariage, retraite, emploi initial,
divorce). Ils sont placés dans la figure 1 de façon à suggérer qu’une interaction
dynamique s’exerce tout au long de la vie, entre ces différents éléments. Par exemple, il
se peut que certains consultants aient à gérer un changement d’emploi consécutif à un
divorce. Tel autre devra tenter d’équilibrer son rôle de parent d’enfants en bas âge en
relation avec un nouvel emploi. Ainsi, ces différents rôles, cadres de vie et événements
contribuent-ils à la complexité du conseil en carrière.
18 En bas de la figure sont placés les mots « genre, origine ethnique, religion, et statut
socio-économique » : ce sont des éléments du contexte socio-culturel qui aident à
définir l’identité du consultant et les aspects importants de son environnement. La
prise en compte de ces variables est décisive pour la compréhension mutuelle du
conseiller et du consultant au cours du processus de conseil en carrière. Ces variables
apportent des informations complémentaires qui aident à comprendre comment les
événements de vie, les rôles et les cadres de vie peuvent marquer l’individu. Nous
sommes convaincus que les conseillers doivent disposer d’une expertise dans les
domaines du développement des rôles en fonction du genre, de la formation de
l’identité ethnique et de l’influence de la catégorie sociale sur les prises de décision
relatives à la carrière. Ce ne peut être que si le conseiller en carrière considère son

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


92

consultant de façon globale, resitué dans son contexte socio-culturel spécifique, qu’il
pourra le comprendre et travailler efficacement avec lui.

3. Susciter une conscience de carrière


19 L’un des objectifs principaux de la démarche consistant à amener le consultant à
utiliser son développement de carrière comme un verre grossissant pour identifier,
décrire et comprendre la dynamique de ce développement (passé, présent et futur),
réside dans l’aide à l’émergence d’une conscience de carrière, ou capacité à visualiser et
à planifier sa carrière tout au long de sa vie : « on trouve, intégrés à l’idée de conscience
de la personne, son environnement son éducation, sa gestion de vie, son intuition, ses
valeurs, ses émotions et sa philosophie » (Reich, 1971, p. 15). Mais selon Reich, la
conscience est encore davantage que cela : c’est la personne dans sa totalité ; c’est sa
façon de créer sa propre vie. Le défi à relever, alors, consiste à aider le consultant à
devenir conscient de sa propre carrière, à se projeter dans ses éventuels futurs rôle,
cadres et événements de vie. Pour ce faire, le consultant devra s’auto-analyser aux
plans des intérêts, valeurs, aptitudes et compétences, et prendre la mesure de
l’importance des facteurs de genre, origine ethnique, religion, et statut socio-
économique qui interviennent dans son propre développement. Dans une phase
ultérieure, il devra mettre en relation ses objectifs et sa situation actuelle, qu’il
analysera et intègrera au cours de sa démarche de résolution de son problème.
20 Le concept de conscience de carrière repose sur la notion de « soi possibles » telle
qu’elle est décrite par Markus et Nurius (1986). De quoi s’agit-il ? « Les soi possibles
représentent les idées de l’individu relatives à ce qu’il pourrait devenir plus tard, à ce
qu’il aimerait devenir, à ce qu’il craint de devenir, mettant ainsi à la fois en jeu la
cognition et la motivation » (Markus & Nurius 1986, p. 954). En quoi ces soi possibles
sont-ils importants ? « Ces soi possibles sont importants, d’abord parce qu’ils
fonctionnent comme des stimulants du comportement à venir (dans la mesure où ce
sont des sois qu’on va chercher à assumer ou, au contraire, à éviter) ; ensuite parce
qu’ils offrent un contexte évaluatif et interprétatif aux représentations de sa propre
identité actuelle » (Markus & Nurius, 1986, p. 54). Parfois, lorsque le consultant vient
prendre conseil, il dispose déjà d’un bon niveau de conscience de carrière et de sois
possibles pertinents. Le plus souvent, cependant, il devra d’abord progresser dans le
processus de conseil en carrière avant de trouver des parcours de vie signifiants. C’est
ce processus de conseil en carrière que nous allons maintenant décrire.

4. La démarche de conseil en carrière


21 Voyons comment s’organisent les principales étapes du conseil en carrière.
22 Aux Etats-Unis, à partir des travaux de Parsons (1909), de nombreux auteurs ont décrit
différentes façons possibles de structurer le conseil en carrière (Brooks, 1984 ; Crites,
1981 ; Kinnier & Krumboltz, 1984 ; Krumboltz, 1983 ; Isaacson & Brown, 1997; McDaniels
& Gysbers, 1992; Seligman, 1994; Super, 1983, 1984; Walsh & Osipow, 1990; Williamson,
1939, p. 65). Après de nombreuses années de pratique professionnelle et d’observation
systématique du processus de conseil en carrière et de ses résultats (Heppner, Multon et
al., 1998) nous proposons le modèle suivant qui comporte six étapes.

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


93

4.1. Étape initiale

23 Les principaux objectifs de la première étape sont les suivants :


• identification initiale des buts ou problèmes du consultant ;
• écoute orientée vers les pensées et sentiments intimes et leur dynamique sous-jacente ,
• définition et clarification des relations consultant-conseiller, et des rôles impartis à chacun ;
• élaboration d’une alliance de travail.
24 Selon nous, l’établissement d’une solide alliance de travail est une condition nécessaire
à la mise en œuvre du conseil en carrière. La meilleure définition de ce concept a été
donnée par Bordin (1979). Pour lui, l’alliance de travail repose en particulier sur trois
aspects
• le consultant et le conseiller doivent s’accorder sur les buts à atteindre ;
• ils doivent aussi se mettre d’accord sur les moyens les plus aptes à atteindre ces buts ;
• ils doivent montrer l’un et l’autre qu’ils accordent de l’importance à ces buts et ils doivent
être au clair sur le rôle de chacun pour les atteindre.
25 Les résultats de recherches récentes (Gelso & Carter, 1985) valident cette façon de
concevoir la relation entre le conseiller et le consultant ; ils montrent aussi
l’importance de sa mise en œuvre, dès le début de la démarche. Les effets du conseil en
carrière pourront être très dépendants non seulement d’un démarrage précoce de cette
collaboration, mais aussi de son maintien tout au long du travail entrepris avec le
consultant. Si cela ne tenait qu’à nous (les conseillers), nous pourrions aisément établir
ce lien, mais il est clair qu’il s’agit d’une interaction dynamique dépendant à la fois de
ce que nous disons et faisons et aussi de ce que le consultant dit et fait. Meara et Patton
(1994) ont décrit cette alliance de travail en soulignant l’importance des processus de
collaboration, de mutualité, et de coopération entre conseiller et consultant. C’est cette
interdépendance qui rend la démarche à la fois compliquée et stimulante. Comme dans
toute relation de bonne qualité, cela exige un travail de la part des deux parties
concernées.

4.2. Recueillir de l’information relative au consultant

26 Il s’agit pour le conseiller de se donner les moyens de comprendre le consultant. Pour


cela, il va chercher à recueillir des informations et explorer une variété de domaines et
notamment :
• les intérêts, valeurs, aptitudes et compétences du consultant ;
• les représentations que le consultant a de lui-même, des autres et de ses environnements ;
• le langage utilisé par le consultant pour exprimer ses représentations , les thèmes à partir
desquels il organise et dirige son comportement ;
• son statut identitaire aux plans de l’origine ethnique et du genre (sexe) ;
• les moyens utilisés par le consultant pour rendre signifiants ses rôles, cadres et évènements
de vie, passés, présents et à venir ;
• les barrières et contraintes possibles, qu’elles soient de nature personnelle ou liées à
l’environnement ,
• les styles de décision du consultant.
27 La collecte d’informations pertinentes relatives à un consultant constitue une partie
importante du travail de conseil en carrière. Les initiatives du conseiller, les procédures

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


94

qualitatives, et les instruments de mesure quantitative sont autant de moyens qui


permettront de réunir cette information, de clarifier et de spécifier les objectifs ou les
problèmes à considérer.
28 Les procédures d’évaluation qualitative sont particulièrement utiles au cours de la
phase de recueil d’informations du conseil en carrière parce que, comme le suggère
Goldman (1990), elles « ménagent un rôle actif au consultant » (p. 205), « mettent
l’accent sur une approche holistique de l’individu », et « sur les concepts de
l’apprentissage sur soi-même » (p. 206). L’Évaluation de Carrière tout au Long de la
Vie (« Life Career Assessment »), procédure d’évaluation qualitative, est une interview
structurée qui peut être mise en place au cours de la phase de recueil d’informations du
conseil en carrière. Elle est particulièrement utile quand on aborde des problèmes
d’inaptitude, avec des consultants de tous âges et de milieux culturels et ethniques
variés car, alors, la vision du monde du consultant, les contraintes dues à son milieu, le
statut de son identité ethnique et son niveau d’acculturation peuvent être traités de
façon directe et naturelle (l’Annexe A présente succinctement la démarche d’évaluation
de carrière tout au long de la vie).
29 Une autre technique d’évaluation, le Génogramme de Carrière, peut être utilisée au
cours de cette phase de recueil d’informations (voir l’Annexe B pour une brève
présentation du génogramme de carrière). Cette technique d’évaluation fournit un
cadre et une démarche pour construire une image de la famille du consultant sur trois
générations. Le génogramme de carrière présente « sous une forme graphique, une
information sur la famille, d’une façon telle qu’on dispose ainsi rapidement de
configurations familiales complexes » (McGoldrick & Gerson, 1985, p. 1). Le
génogramme de carrière est une adaptation du travail de Bowen (1980) sur le conseil
familial. Dans le cadre du conseil familial, le terme « carrière » n’est pas accolé à celui
de génogramme, car on s’intéresse plutôt à des questions et des problèmes liés à la
famille. En y accolant le terme de carrière, on ouvre ici de nouvelles voies d’exploration
pour le conseiller et ses consultants, au cours de la phase du conseil en carrière
consacrée au recueil d’informations (Brown & Brooks, 1991 ; Dagley, 1984 ; Gysbers &
Moore, 1987 ; Isaacson & Brown, 1997 ; Okiishi, 1987).

4.3. Comprendre la problématique du consultant et formuler des


hypothèses prospectives

30 Au cours de cette étape, il s’agit :


• de formuler des hypothèses sur les buts et les problèmes du consultant. Celles-ci seront
fondées sur la théorie, la littérature spécialisée, et les résultats de l’évaluation, et guideront
le choix d’une procédure d’intervention ;
• de s’intéresser aux variables liées à la culture et au genre (sexe) qui pourront influencer le
consultant ,
• d’être à l’écoute des éventuelles résistances du consultant, et d’en tenir compte.
31 À mesure que s’effectue le recueil d’informations, s’enclenche la phase de
compréhension et de formulation d’hypothèses. Les conceptions puisées à la fois dans
les théories de la carrière, du conseil et de la personnalité, ainsi que dans la littérature
sur la perspective interculturelle et le genre sont alors utilisées pour comprendre et
interpréter les informations relatives au consultant et à son comportement, perçues à
travers l’exposé des buts et des problèmes, présents ou à venir. Lors de cette étape,

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


95

comme au cours des autres phases du conseil en carrière, l’écoute réactive des
résistances possibles du consultant est importante.
32 Pour certains consultants, les changements à prévoir sont réduits au minimum, si bien
qu’aucune résistance ne se manifeste, Mais pour de nombreux autres, chez qui des
changements devront intervenir, on observera des phénomènes de résistance ‒
consciente ou non ‒ dans le cadre du conseil en carrière, à un moment ou l’autre. La
dynamique de la personnalité, les croyances irrationnelles, les motivations, les
préoccupations en rapport avec le milieu et les distorsions mentales du consultant
peuvent influer sur son image du moi, des autres et du monde et dévoyer souvent les
effets des outils et techniques utilisés dans le cadre du conseil en carrière. Yost et
Corbishley (1987) signalent que ces résistances se manifestent souvent le plus
nettement par le fait que « le consultant échoue dans la réalisation des tâches
spécifiques de cette étape, à savoir : fournir des informations, définir des buts, ou
effectuer les travaux personnels requis » (p. 52).

4.4. Mise en œuvre

33 La phase de mise en œuvre au cours du conseil en carrière consiste à assister le


consultant dans la réalisation de ses buts ou la résolution de son problème. Cette
activité s’effectue dans le cadre de l’alliance de travail définie plus haut, Le conseiller
s’appuie pour cela sur les techniques d’intervention dérivées de la théorie et des
recherches antérieures, techniques qui englobent les démarches de conseil,
d’évaluation quantitative et qualitative (intérêts, valeurs, aptitudes et compétences), et
d’information.

4.5. Définir des buts de carrière et des plans d’action

34 Au cours de cette étape, on assiste le consultant dans l’élaboration de ses buts de


carrière et de ses plans d’action, dans la résolution de ses problèmes, ainsi que dans le
dépassement des contraintes liées à l’environnement et aux biais éventuels de toute
nature.

4.6. Evaluer les résultats et clore la relation

35 C’est souvent une tâche très difficile pour le conseiller de mettre fin à la relation de
conseil. Il y a de nombreuses raisons à cela, et d’abord, peut-être, la difficulté
qu’éprouvent de nombreux individus à terminer quoi que ce soit. Des exemples de ce
phénomène abondent dans la vie quotidienne : par exemple, dans les comportements
observés au moment de prendre congé de ses amis ou parents auxquels on a rendu
visite. Les adieux se prolongent souvent, comportements qui semblent viser à nier le
fait que la visite touche à sa fin. Des moments d’échanges importants et sincères
peuvent être compromis au dernier instant d’une longue visite par une parole
malheureuse. Les dénouements nous mettent mal à l’aise. Ainsi, dans une relation de
conseil, il est possible que se manifeste aussi bien chez le conseiller que chez le
consultant une résistance au processus de fin. Il se peut que ceux-ci poursuivent la
relation au-delà du moment où elle a cessé d’être utile, afin d’éviter les sentiments
associés à la fin de cette relation.

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


96

5. Quelques considérations finales sur la démarche


36 Il faut garder à l’esprit que les différentes phases du conseil en carrière peuvent se
dérouler dans le cadre d’une seule session mais, dans la plupart des cas, elles se
dérouleront sur plusieurs séances. Au sein de certaines agences ou institutions, le
nombre de sessions possibles est dicté par des règles, établies en fonction, par exemple,
du temps ou des ressources limitées qu’il est possible de consacrer à chaque consultant.
Il peut donc arriver que le service fourni soit très focalisé et limité en temps. Dans de
tels cas, il est important que conseillers et consultants assument ces contraintes de
temps et adaptent la démarche en fonction de ce qu’il sera possible de faire dans le
temps imparti. Ils peuvent également convenir dès le début qu’au terme de leur
relation, le problème n’aura pas été traité dans son ensemble.
37 Il faut aussi garder à l’esprit que si les différentes phases évoquées se succèdent
logiquement sur le papier, il peut en être autrement dans une situation concrète.
Souvent la démarche n’est pas linéaire, en ce sens qu’il peut être parfois nécessaire de
revenir à des phases antérieures avant de progresser de nouveau. Parfois, au cours de la
phase de mise en œuvre, on se limite à constater que des interventions d’un autre type,
non prévu, seront nécessaires, et qu’il faut donc revenir à la phase de recueil
d’information relative au consultant. Pour illustrer ce point, les différentes phases du
conseil en carrière présentées plus haut sous une forme linéaire ont été réorganisées en
une structure circulaire dans la figure 2. Cette disposition spatiale met en évidence le
rôle central de l’alliance de travail au sein de la structure du conseil en carrière.
38 Il faut enfin garder à l’esprit que les personnes en quête d’aide n’ont pas toutes envie
ou besoin de parcourir l’intégralité du processus de conseil en carrière.
39 Certaines n’auront besoin ou envie que d’une assistance limitée, concernant par
exemple la rédaction d’un résumé, ou les réponses à un formulaire de candidature à un
emploi, ou la préparation à un entretien d’embauche, ou encore l’obtention
d’informations sur les emplois dans le marché du travail au plan local. Dans de tels cas,
il n’est évidemment pas nécessaire de mettre en œuvre le processus de conseil en
carrière dans son intégralité.

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


97

Figure 2 : la structure du conseil en carrière


Structure of Career counseling

6. Place du développement de carrière tout au long de


la vie dans le cadre du conseil à la carrière
40 Le développement de carrière tout au long de la vie peut être utilisé comme un objectif
« grand angle », capable de permettre la visualisation d’un panorama du
développement de carrière de l’individu. Il fournit à celui-ci une représentation réaliste
et imagée des principales possibilités et responsabilités de la vie, en même temps qu’un
système de description de ses virtualités. Toutefois, il est difficile d’accéder à une vision
de ces sois possibles si cet objectif manque d’ouverture pour saisir l’ensemble de son
développement de carrière tout au long de la vie, et si l’écran sur lequel elles sont
projetées n’est pas assez vaste pour contenir leurs différentes dimensions, dynamiques
et inter-relationnelles. Les aspects non envisagés ne peuvent être intégrés dans les sois
possibles de l’individu : « les éléments d’information non identifiés ne peuvent être pris
en compte, et ne peuvent donc pas faire partie des données nécessaires à la
construction d’un soi possible » (Cornfold, 1995, p. 41).
41 La perspective offerte par le développement de carrière tout au long de la vie, permet
également d’analyser et de comprendre le développement et le comportement des
individus en termes de carrière ; elle permet d’élargir la vision de leur carrière, en
passant d’une focalisation exclusive sur le travail à un panorama incluant les rôles, les
cadres et les événements de vie en interaction sur toute la durée de vie. L’individu peut
alors se concentrer sur un rôle de vie spécifique, tout en le resituant dans le cadre des
autres rôles de vie (Gouws, 1995), afin d’apprécier l’influence que peuvent avoir
différents cadres de vie sur ce rôle de vie, et d’anticiper l’effet possible d’événements
non planifiés sur les projets de carrière et sur les prises de décision. Si l’on ajoute à cela
les quatre facteurs que sont le genre, l’origine ethnique, la religion, et le statut socio-
économique, le point de vue s’enrichit encore. Alors, les individus ont la faculté de
mettre en lumière leur histoire personnelle, ainsi que celle de leur groupe de référence.
Ils peuvent voir de quelle façon ces faits les ont, directement ou indirectement,
influencés, de même que leur représentation d’eux-mêmes, des autres, et du monde

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


98

dans lequel ils vivent. Ils disposent de ces quatre facteurs supplémentaires pour mieux
comprendre et faire face à leurs problèmes professionnels et familiaux. En outre, il est
important d’aider le consultant à comprendre comment le monde en évolution rapide
peut affecter leur démarche de planification de carrière. Dans un tel monde, de
nombreux « sois possibles encore aujourd’hui, pourraient devenir obsolètes, alors
qu’inversement, certains autres, inimaginables actuellement, pourraient devenir
prochainement probables. Le fait de rester ouvert et attentif à la façon dont les
changements externes (par exemple, l’internationalisation de l’économie et du travail)
peuvent affecter les choix, constitue une compétence critique en matière de
planification de vie.

7. Conséquences pour le conseil en carrière


42 La conception du développement de carrière tout au long de la vie fait apparaître la
nécessité de répondre aux besoins développementaux des personnes, mais aussi à leurs
besoins au cours des phases critiques. A l’évidence, dans la vie des individus, ces phases
critiques doivent être prises en charge, mais elles ne constituent pas la seule priorité
dans le conseil en carrière. Une telle conception a de nombreuses conséquences. En
voici deux :

7.1. Prédiction et développement

43 La première conséquence implique les deux concepts de prédiction et de


développement. Les pratiques traditionnelles du conseil en carrière aux Etats-Unis ont
privilégié l’évaluation des capacités, des aptitudes, de la personnalité, des valeurs et des
intérêts, en vue d’aider au choix du cursus le plus approprié, ou d’une activité
professionnelle. Ces évaluations, bien qu’utiles, ne sont pas suffisantes. Il faut en outre
porter attention au développement de carrière tout au long de la vie, de telle sorte que
l’atteinte des buts et la résolution du problème puissent être fondées sur une
perspective la plus large et la mieux informée possible. Comme Tennyson (1970) le
souligne, « en se concentrant sur l’évaluation des capacités qui sont présumées liées au
résultat du choix, les conseillers ont négligé de prendre en compte le développement des
capacités et des aptitudes. Alors qu’il est généralement reconnu que les capacités d’une
personne dépendent dans une large mesure de ce qu’elle a appris ou pratiqué
antérieurement, les personnels d’orientation ont eu tendance à se référer aux aptitudes
déjà développées, plutôt que de cultiver de nouveaux talents » (p. 262).

7.2. Déficiences, habiletés et compétences

44 La seconde conséquence est liée à la question des déficiences, habiletés et compétences.


L’un des objectifs majeurs du conseil en carrière est l’aide à la personne dans le
traitement de ses problèmes. Parmi les difficultés à la résolution desquelles le
conseiller est souvent appelé à prêter son concours, on peut mentionner les crises
personnelles, le manque d’information sur les filières de formation et le marché du
travail, et les difficultés relationnelles avec le conjoint, les enfants, les collègues de
travail et les supérieurs hiérarchiques. Ce type d’aide curative doit être poursuivi, et
son efficacité doit être améliorée. En outre, au plan de la prévention, il importe

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


99

également d’aider les personnes à développer leurs talents et leurs compétences en vue
de créer un monde meilleur pour eux-mêmes et pour la société.
45 Cette visée préventive n’est pas nouvelle. Elle a imprégné le discours et la littérature
sur le conseil en carrière depuis le début du siècle. Ce qui est nouveau, c’est la notion
d’urgence qui s’attache à l’objectif d’aide apportée à la personne dans le développement
de ses compétences, plutôt que dans la seule lutte contre ses déficiences. Bolles (1981) a
créé une technique d’évaluation qui vise à identifier ce qu’il appelle les capacités
fonctionnelles/transférables. Même si certains individus se considèrent comme
dépourvus de toute capacité, ils possèdent en réalité un certain nombre de capacités, et
leur identification constitue un atout important pour une croissance et un
développement positifs.
46 Tyler (1978) note que notre façon de percevoir les gens serait différente s’ils étaient mis
en mesure de développer le plus grand nombre possible de compétences :
« L’approche par les compétences représente une façon complètement différente de
structurer notre perception des autres. Plus ceux-ci disposent de compétences et
mieux cela vaut pour chacun de nous, et il est essentiel pour le fonctionnement
d’une société complexe que les individus développent différents répertoires de
compétences. La durée de vie de chaque individu étant limitée, il lui est impossible
d’acquérir une compétence universelle. On a besoin les uns des autres »
(pp. 104-105).
47 Wolfe et Kolb (1980) ont caractérisé la conception dynamique de la carrière tout au
long de la vie, qui s’est dégagée au cours des dernières décennies, comme suit :
« Le développement de carrière concerne toute la vie, et pas seulement la vie
professionnelle. Comme tel, il implique la personne toute entière, ses besoins et
désirs, ses capacités et ses potentialités, ses enthousiasmes et ses anxiétés, ses
intuitions et ses aveuglements, sans aucune complaisance. Plus encore, il l’implique
dans le contexte mouvant de son existence. Les pressions et contraintes de
l’environnement, les liens qui la rattachent à ses proches, ses responsabilités à
l’égard de ses enfants et de ses aînés, la structure totale de ses conditions de vie
sont autant de facteurs qu’il faut intégrer et avec lesquels il faut compter. Vu sous
cet angle, le développement de carrière est étroitement lié au développement
personnel. Le soi et les circonstances ‒ tous deux évoluant, changeant, sous l’effet
d’une interaction mutuelle ‒ constituent le foyer et la scène du développement de
carrière » (pp. 1-2).
48 On remarque que Wolfe et Kolb emploient pour définir le développement de carrière
une métaphore théâtrale. Nous appelons cette scène, « scène de la vie quotidienne »,
parce qu’elle se déroule et évolue jour après jour. Et comme elle participe du quotidien,
elle n’est pas souvent perçue ni évaluée par l’individu. Elle est masquée par cette
quotidienneté et sa nature dynamique pourra échapper à sa compréhension. Avec la
conception plus globale de développement de carrière tout au long de la vie,
conception qui tente de rendre compte des aspects de la croissance et du
développement humains qui sont à l’œuvre au cours de la carrière humaine, nous
visons à faire de la scène du développement de carrière, la scène de l’extraordinaire.

8. L’efficacité du conseil en carrière


49 La conception du conseil en carrière que nous venons d’exposer constitue le cadre
théorique de la recherche en cours, intitulée « processus et résultats du conseil en
carrière » (Missouri Career Counseling Process and Outcome), conduite par l’équipe de

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


100

chercheurs du département « carrière professionnelle » (Career Center) de l’université


du Missouri à Columbia. Au sein de ce projet, un groupe d’universitaires et d’étudiants
s’est livré à une série de recherches exploratoires visant à mieux appréhender les
variables qui contribuent aux processus et aux effets du conseil en carrière. Nous allons
en décrire brièvement les étapes-clés et les conclusions en son état actuel
d’avancement.
50 Ce travail de recherche en commun a démarré à la suite de notre revue de la littérature
dans le domaine des procédures et résultats du conseil en carrière.
51 À l’issue de cette étude, nous avions conclu que, en dépit de la quantité des recherches
portant sur l’efficacité de divers types d’interventions en rapport avec la carrière (sur
des groupes, ou en distribuant l’information par ordinateur, ou dans les classes, etc.),
on sait peu de choses sur les effets des procédures réelles de conseil en carrière, mises
en place sur le terrain. En outre, bien qu’il existe de nombreuses études sur les
procédures utilisées en psychothérapie, on ne sait pratiquement rien sur les aspects du
conseil en carrière qui sont efficaces. Nous avons donc mis en place un plan de
recherche basé sur notre conceptualisation du conseil en carrière. Ce plan est structuré
en vue de recueillir des informations sur les processus et les résultats du conseil en
carrière.
52 Alors que nous commencions à élaborer cet ensemble de recherches, il devint vite
évident que nous aurions besoin de nouveaux instruments pour mesurer aussi bien les
caractéristiques des conseillers que les résultats des consultants. Certains membres de
notre équipe, auxquels s’étaient joints d’autres chercheurs, de l’université du Missouri
notamment, ont construit deux échelles : l’Inventaire des Transitions de Carrière 2 (the
Career Transitions Inventory, Heppner, 1991 ; Heppner, Multon, & Johnston, 1994), et
l’Échelle de Sentiment d’Efficacité Personnelle pour le conseil en carrière (the Career
Counseling Self-Efficacy scale, O’Brien & Heppner, 1995 ; O’Brien, Heppner, Flores, &
Bikos, 1997).
53 L’inventaire des transitions de carrière a été construit spécifiquement pour évaluer les
ressources internes (et également les obstacles) d’adultes en phase de transition de
carrière. L’échelle a été initialement construite en utilisant des procédures d’analyse
factorielle. Une analyse en composantes principales suivie d’une rotation Varimax a
fait émerger cinq facteurs :
a. le niveau de préparation ;
b. la confiance (en soi) ;
c. la perception du soutien ;
d. le contrôle ;
e. l’indépendance dans la décision.

54 L’inventaire des transitions de carrière est une échelle construite selon la méthode de
Likert. Elle comprend 40 items, avec des réponses possibles allant de 1 (« pas du tout
d’accord »), jusqu’à 6 (« tout à fait d’accord »). Des scores élevés révèlent un niveau
supérieur de ressources et, de ce fait, moins d’obstacles. La consistance interne a été
estimée à .87, et la fidélité au retest mesurée après trois semaines est de .84. La validité
de construction a également été étudiée. Par exemple, on a constaté que les adultes qui
se trouvent en phase de transition de carrière depuis plus longtemps et qui sont plus
âgés, tendent à se considérer comme disposant de moindres ressources psychologiques.
L’inventaire des transitions de carrière s’est également révélé comme lié positivement

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


101

aux échelles d’identité vocationnelle de l’épreuve « Ma situation professionnelle » (My


Vocational Situation) (Holland, Daiger, & Power, 1980) et au sous-test de niveau
d’internalisation de l’échelle d’attentes (Flope Scale) (Snyder et al., 1991). On a pu
montrer que l’inventaire des transitions de carrière est corrélé avec l’inventaire de cinq
facteurs N.E.O. (N.E.O. Five Factor Inventory) (Costa & McRae, 1992) lorsque les données
sont intégrées dans un modèle en variables latentes • le névrosisme et l’ouverture à
l’expérience expliquent tous deux une part significative de la variance de l’inventaire
des transitions de carrière, et le niveau de confiance s’avère prédictible par quatre des
cinq facteurs de personnalité (Heppner, Fuller & Multon, 1998).
55 L’échelle du sentiment d’efficacité personnelle pour le conseil en carrière (O’brien &
Heppner, 1995 ; O’brien et al., 1997) est un questionnaire de 25 items qui permet
d’évaluer la confiance des conseillers dans leur capacité à mettre en œuvre un large
éventail de compétences dans le domaine du conseil en carrière. Les items sont cotés
sur une échelle de LIKERT en 5 points, depuis « non confiant en soi » (0), jusqu’à « très
confiant » (4). Un score élevé témoigne d’une grande confiance dans ses propres
capacités d’intervention en conseil en carrière. Des analyses factorielles ont fait
émerger quatre facteurs :
a. démarche thérapeutique et capacités à élaborer une alliance de travail ;
b. évaluation vocationnelle et capacités d’interprétation ;
c. compétences multiculturelles ;
d. connaissances actuelles dans les domaines du travail, de l’éthique, et de la recherche en
carrière.

56 Les scores factoriels obtenus sont respectivement de .93, .94, .92, et .76, et le coefficient
alpha global est de .94. La fidélité test-retest mesurée avec un intervalle de deux
semaines est de .86. La validité concourante a été confirmée par l’expérience de
nombreuses années de pratique du conseil en carrière, et par quelques échelles de la
batterie d’auto-estimation en intervention de conseil (Counseling Self-Estimate Scale en
anglais) (Larson, Suzak, Gillepie, Potenza, Bechtel, & Toulouse, 1992). La validité
discriminante a été confortée par le fait que le score à l’échelle de sentiment
d’efficacité personnelle pour le conseil en carrière n’est pas dépendant de la durée de
pratique antérieure du conseil « socio-émotionnel », indépendance attestée par les
faibles corrélations avec la durée de cette pratique, son efficacité, et avec le sentiment
de compétence dans ce domaine de recherche. La validité de construction a été
confirmée par le constat de scores plus élevés à l’échelle de sentiment d’efficacité
personnelle pour le conseil en carrière obtenus à la suite d’une formation à la carrière,
et par la co-variation avec les niveaux d’efficacité découlant du statut des sujets (par
exemple, les psychologues praticiens présentaient des scores de sentiment d’efficacité
supérieurs à ceux de jeunes diplômés).
57 À la suite de ces analyses internes, nous avons entrepris une série d’études visant à
élucider différents aspects de la démarche du conseil en carrière. Dans la première,
intitulée « Relation entre sentiment d’efficacité de l’apprenant et procédures et
résultats du conseil en carrière » (Heppner, Multon, Gysbers, Ellis, & Zook, 1998), nous
avons utilisé ces deux instruments pour étudier l’effet du sentiment d’efficacité du
conseiller en cours de formation, sur les évaluations des procédures du conseil en
carrière (par exemple, l’Alliance de travail), sur les résultats ‒ avec un r minuscule 3 ‒
(par exemple, l’indécision-décision, l’ atteinte des objectifs), et sur les résultats (par
exemple, les scores de l’inventaire des transitions de carrière). Vingt-quatre conseillers

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


102

en formation ont suivi 55 consultants au cours de 3 à 12 sessions individuelles. Les


données recueillies ont montré que :
a. le sentiment d’efficacité du conseiller en cours de formation s’accroît d’un écart-type entre
l’avant et l’après ;
b. les scores des consultants augmentent significativement du pré-test au post test sur de
multiples mesures, incluant l’inventaire des transitions de carrière ;
c. d’une session à l’autre, l’alliance de travail, l’atteinte des objectifs et le niveau de décision
s’améliorent de façon significative ;
d. l’amélioration significative sur la variable de démarche et sur celle de résultat ‒ avec un r
minuscule ‒ n’apparaît pas comme étant liée au score de Sentiment d’Efficacité Personnelle
pour le conseil en carrière ;
e. le sentiment d’efficacité du conseiller est lié aux résultats du conseil en carrière d’une façon
qui suggère une beaucoup plus grande complexité que ne le laisse entendre la philosophie
du « plus on se sent efficace, mieux c’est ».

58 Dans une autre étude, nous avons exploré certains aspects de l’ajustement
psychologique en tant que résultante du conseil en carrière, et ses liens avec l’Alliance
de Travail (Multon, Heppner, Gysbers, Zook, & Ellis, 1998). Vingt et un conseillers en
cours de formation ont suivi 42 consultants au cours de 3 à 12 sessions sur le terrain.
Les données recueillies montrent que :
• 60 % des consultants étaient classés, à partir de l’inventaire de symptômes de perturbation
psychologique (Brief Symptom Inventory en anglais) (Derogatis, 1993), comme
psychologiquement perturbés ;
• les scores des consultants sur toute une série de variables de perturbation psychologique, se
réduisaient de façon significative du pré-test au post-test ;
• la perception de l’Alliance de travail, mesurée tout au long des sessions de conseil, évoluait
positivement et linéairement.
59 Par ailleurs, nous menons actuellement deux études, dont l’une utilise le plan de
codage de Hill, en vue d’analyser les intentions du conseiller et les réactions du
consultant au cours de sessions individuelles de conseil en carrière (Ellis, Multon,
Heppner, & Gysbers, 1998). L’autre étude utilise la technique d’analyse en grappes
(clusters) pour caractériser sur des variables multiples de personnalité et de carrière,
des sous-types de consultants adultes d’une consultation de conseil en carrière. Nous
contrôlons également si la démarche ou les résultats du conseil sont influencés par
l’appartenance à un type particulier. Nous pensons que ces différentes études, et celles
qui suivront, devraient nous permettre de fournir enfin une information plus
substantielle sur les processus et les résultats de la démarche de conseil en carrière.

BIBLIOGRAPHIE
Anderson, W., & Niles, S.G. (1995). Career and personal concerns expressed by career counseling
clients. The Career Development Quarterly, 43, 3, 240-245.

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


103

Bachiochi, P.D. (1993). Effects of work arid Icisurc-rolc salience on career development. In J.
Demick & P.M. Miller (Eds.), Development in tile workplace (pp. 139-138). Hillsdale, N.J.: Lawrence
Erlbauni Associates, Publishers.

Blustein, D.L., & Spengler, P.M. (1995). Personal adjustment: Career counseling and
psychotherapy. In W.B. Walsh & S.H. Osipow (Eds.), Handbook of vocational psychology: theory,
research, and practice (pp. 295-329). Hillsdale, N.J.: Lawrence Erlbaum Associates, Publishers.

Bolles, R. (1981). The three boxes of the life. Berkeley, C.A.: Ten Speed Press.

Bordin, E.S. (1979). The generalizability of the psychoanalytic concept of the working, alliance.
Psychotherapy: Theory, Research, and Practice, 16, 252-260.

Bowen, M. (1980). Key to the genogram. Washington, D.C.: Georgetown University Hospital.

Brief, A.P., & Nord, W.R. (1990). Work and non work connections. In AP. Brief & W.R. Nords (Eds.),
Meanings of occupational work: A collection of essays (pp. 171-199). Lexington, MA: Lexington Books.

Brooks, L. (1984). Career counseling methods and practice. In D. Brown, L. Brooks, and Asso ciates
(Eds.), Career choice and development. San Francisco: Jossey-Bass, Publishers.

Brown, D, & Brooks, L. (1991). Career Counseling Techniques. Boston: Allyn & Bacon.

Comford, I. (1995). Career counseling, possible selves and changing occupational skill
requirements. Australian Journal of Career Development, 4, 2, 40-42.

Costa, pm, Jr., & McCrae, R.R. (1992). Revised N.E.O personality Invento,y (N.E.O.-P.I.R.) and NEO. Five-
Factor (N.E.a-F.F.1.) professional Manual. Odessa, FL. Psychological Assessment Resource.

Crites. J.O. (1981). Career counseling: Models, methods, and materials. New York: McGraw-Hill

Dagley, J. (1984). A Vocational Genogram (mimeograph). Athens, G.A.: University of Georgia.

Derogatis, L.R. (1993). The Brief Sympton Inventory (B.S.I.): Administration Scoring and
Procedures Manual - Ill. Minneapolis: M.N.: National Computer Systems.

Dorn, F.J. (1992). Occupational wellness: The integration of career identity and personal identity.
Journal of Counseling & Development, 71, 176-178.

Ellis, C., Multon, K.D., Heppiler, M.J., & Gysbers, N.C. (April, 1998). Counselor verbal response
modes and the working alliance in career counseling. Symposium presented at the annual
meeting of the American Educational Research Association, San Diego, C.A.

Figler, H. (1989). The emotional dimension of career counseling. Career Waves, 2, 2, 1 -11.

Gelso, C.J., & Carter, J.A. (1985). The relationship in counseling and psychotherapy: components,
consequences, and theoretical antecedents. The Counseling Psychologist, 13, 155-243.

Goldman, L. (1990). Qualitative assessment. The Counseling Psychologist, 18, 205-213.

Gouws, D.J. (1995). The role concept in career development. In DE. Super & B. Sverko (Eds.), Life
roles, values, and career: International findings of the work importance study. San Francisco: Jossey-
Bass, Publishers.

Greenberg. L.S., & Pinsof, W.M. (1986). Process research: Current trends and future perspectives.
In L.S. Greenberg & W.M. Pinsof (Eds.), The psychotherapeutic process: A research handhook
(pp. 3-20). New York: Guilford Press.

Gysbers. N.C., Heppner, M.J., & Johnston, J.A. (1998). Career counseling: Process, issues, and
techniques. Needham Hills, M.A.: Allyn & Bacon.

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


104

Gysbers, N.C., & Moore, E.J. (1973). Life career development: A model. Columbia. N.I.O. University of
Missouri.

Gysbers, N.C., & Moore, E.J. (1987). Career Counseling: Skills & Techniques for practitioners. Englewood
Cliffs, NJ.: Prentice-Hall.

Hackett, G. (1993). Career counseling and psychotherapy: False dichotomies and recommended
remedies. Journal of Career Assessment, 12, 105-117.

Hall, D.T. (1996). Long live the career. In D.T. Hall and Associates (Eds.), The career is deadlong live
the career. San Francisco: Jossey-Bass Publishers.

Heppner, M.J. (1991). The Career Transitions Inventory. (Available from M.J. Heppner,
Department of Educational and Counseling Psychology, 16 Hill Hall, University of Missouri,
Columbia, M.O. 65211).

Heppner, M.J., Fuller, B., & Multon, K.D. (1998). Adults in involuntary career transition: An
analysis of the relationships between the psychological and career domains. Journal of Career
Assessment, 6, 329-346.

Heppner, M.J., Multon, K.D., Gysbers, N.C., Ellis, C., & zook, C.E. (1998). Examining the relationship
of counselor self-efficacy and selected client process and outcome measures in career counseling.
Journal of Counseling Psychology, 45, 393-402.

Heppner, M.J„ Multon, K.D., & Johnston, J.A. (1994). Assessing psychological resources during
career change: Development of the Career Transitions Inventory. Journal of Vocational Behavior, 44,
55-74.

Herr, EL., & Cramer, S.H. (1984). Career guidance and counseling through the life span (2nd ed.).
Boston: Little, Brown & Company.

Hill, AL., & Spokane. AR. (1995). Career counseling and possible selves: A case Study. The Career
Development Quarterly, 43, 3, 221-232.

Holland. JL., Dawer, D.C., & Power, P.G. (1990). My Vocational Situation. Palo Alto, C.A. Consulting
Psychologists Press.

Imbimbo, P.V. (1994). Integrating personal and career counseling: A challenge for counselors.
Journal of Employment Counseling, 31, 50-59.

Isaacson, L.E., & Brown, D. (1997). Career information, career counseling, and career development (6th
ed.). Boston: Allyn & Bacon.

Kinnier, R.T., & Krumboltz, J.D. (1984). Procedures for successful counseling. In N.C. Gysbers &
Associates (Eds.), Designing careers: counseling to enhance education, work, and leisure (pp. 307-335).
San Francisco: Jossey-Bass, Publishers.

Krumboltz, J.D. (1983). Private rules in career decision making. Columbus, 0.1-1.: National Center for
Research in Vocational Education.

Larson, L.M., Suzuki, L.A., Gillespie, KN., Potenza, M.T., Bechtel, M.A., & Toulouse, AL. (1992).
Development and validation of the Career Self-Estimate Inventory. Journal of Counse ling
Psychology, 39, 105-120.

Manuele-Adkins, C. (1992). Career counseling is personal counseling. Career Development Quarteriy,


40, 3, 13-323.

Markus, H., & Nurius, P. (1986). Possible selves. American Psychologist, 41, 9, 954-969.

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


105

McDaniels, C., & Gysbers, N.C. (1992). Counseling for career development: Theories, resources, and
practice. San Francisco: Jossey-Bass, Publishers.

McGoldrick, M., & Gerson, R. (1985). Genograms in family assessment. New York : W.W Norton.
(traduction française : (1990) Génogrammes et entretien familial. Paris: E.S.F.).

Meara, M.W., Day, J.D., Chalk, L.M., & Phelps, RE. (1995). Possible selves: Applications for career
counseling. Journal of Career Assessment, 3, 3, 259-277.

Meara. M.W., & Patton, M.J. (1994). Contributions of the working alliance in the practice of career
counseling. The Career Development Quaterly, 43, 161-177.

Multon, K.D., Heppner, M.J., Gysbers, N.C., Zook. c.E., & Ellis, C.A. (1998, august). Relationship of
personal adjustment outcomes to process in career counseling. In D.A. Luzzo (Chair), Career
counseling process and outcome research. Symposium presented at annual meeting of the American
Psychological Association, San Francisco.

O’Brien, K.M„ & Heppner, M.J. (1995). The Career Counseling Self-Efficacy Scale. (Available from
KM. O’Brien, Psychology Department, University of Maryland, College Park, M.D. 20742).

O’Brien, K.M., Heppner, M.J., Flores, LN., & Bikos, L.H. (1997). The Career Counseling SelfEfficacy
Scale: Instrument development and training applications. Journal of Counseling Psychology, 44,
20-31.

Okiishi, R.W. (1987). The genogram as a tool in career counseling. Journal of Counseling
Development, 66, 3, 139-143.

Osipow, S.H. (1982). Research in career counseling: An analysis of issues and problems, The
Counseling Psychologist, 10, 27-34.

Parsons, F. (1909). Choosing a vocation. Boston: Houghton Mifflin.

Rak, C.F., & O’Dell, F.L. (1994). Career treatment strategy model: A blend of career and traditional
counseling approaches. Journal of Career Development, 20, 3, 227-238.

Reich, C.A. (1971). The greening of America. New York: Bantam Books.

Seligman, L. (1994). Developmental career counseling and assessment (2nd ed.). Thousand Oaks, C.A.:
Sage Publications, Inc.

Snyder, C.R., Harris, C., Anderson, JR., Holleren, S.A., Irving, L.M., Sigmon, S.T., Yoshinobu, L,
Gibb, J., Lancrelle, C., & Henley, P. (1991). The will and the ways: Development and validation of
an individual differences measure of hope. Journal of Personality and Social Psychology, 60, 570-58.

Super, DE. (1983). Assessment in career guidance: Towards truly developmental counseling. The
Personnel and Guidance Journal, 61, 555-562.

Super, DE. (1984). Career and life development. In D. Brown, L. Brooks, & Associates, (Eds.), Career
choice and development (pp. 192-234). San Francisco: Jossey-Bass, Publishers.

Swanson, JL. (1995). The process and outcome of career counseling. In W.B. Walsh & S.A Osipow
(Eds.), Handbook of vocational psychology: Theory, research, and practice (pp. 217259). Hillsdale, N.J.:
Lawrence Erlbaum Associates, Publishers.

Tennyson, W. (1970). Comment. Vocational Guidance Quarterly, 18, 261-263.

Tyler, L. (1978). Individuality, human possibilities and personal choice in the psychological
development of men and women. San Francisco: Jossey-Bass, Publishers.

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


106

Walsh, W.B., & Osipow, S.W. (1990). Career Counseling. Hillsdale, N.J.: Lawrence Erlbaum Associates,
Publishers.

Walsh, W.B., & Srsic, C. (1995). Annual reviews: Vocational behavior and career development1994.
The Career Development Quarterly, 44, 2, 98-145.

Williamson, E.G. (1939), How to counsel students. New York: McGraw-Hill.

Williamson, E.G. (1965). Vocational counseling. New York: McGraw-Hill.

Wolfe, D.M., & Kolb, D.A. (1980). Career development, personal growth, and experimental
learning. In J.W. Springer (Ed.), Issues in career and human resource development. Madison, W.I.:
American Society for Training and Development.

Yost, E.B., & Corbishley, M.A. (1987). Career counseling: A psychological approach. San Francisco:
Jossey-Bass.

Zunker, V.G. (1998). Career counseling: Applied concepts of life planning (5th ed.). Pacific Grove, CA:
Brooks/Cole Publishing Company.

ANNEXES
Annexe A
La démarche d’Évaluation de Carrière tout au Long de la Vie (E.C.L.V.) 4
Nous présentons la démarche sous une forme schématique. Comme on le verra, elle se
compose de trois parties principales suivies d’un Résumé : l’Evaluation de Carrière, la
Journée Typique, les Points Forts et les Faiblesses. En suivant ce schéma, vous pouvez
recueillir différents types d’informations relatives à vos consultants. L’une de ces
catégories est relativement objective et factuelle : elle concerne leurs expériences de
travail et leurs résultats scolaires ; une autre, l’auto-évaluation de leurs habiletés et
compétences ; une troisième, les inférences que vous avez pu faire quant aux intérêts,
valeurs, aptitudes et compétences de vos consultants. Ces inférences sont basées sur les
thèmes de la carrière tout au long de la vie, et découlent des types d’activités
professionnelles, domestiques, scolaires ou de loisirs dans lesquelles vos consultants
sont impliqués. Un dernier type d’information à recueillir concerne les opinions de vos
consultants sur leur valeur en tant que personne et sur leur conscience de soi.
Bien que la démarche d’évaluation de carrière tout au long de la vie puisse être
facilement suivie dans l’ordre de présentation des rubriques, rien ne vous y oblige.
Chacun doit trouver son propre style d’utilisation de cette démarche. En fait, il paraît
préférable que chacun l’adapte à son propre style de conseiller ainsi qu’au style de
fonctionnement de son consultant, afin d’éviter que cette procédure devienne
mécanique, et afin que cette phase de recueil d’informations prenne tout son sens pour
le consultant.
Evaluation de Carrière
1. Expériences de travail (temps plein ou partiel, salarié ou non)
• Dernier emploi
• Préférences Rejets
• Même procédure avec tout autre emploi

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


107

2. Education ou procédure de formation et conditions


• Appréciation générale
• Préférences
• Rejets
• Même procédure pour chaque type de formation
3. Activités extra-professionnelles
• Activités de loisir
• Vie sociale (en contexte de loisirs)
• Amis (en contexte de loisirs)
Journée typique
1. Dépendant-indépendant
• Dépend des autres
• Tient à ce que les décisions soient prises par autrui
2. Systématique-spontané
• Stable et routinier
• Persévérant et attentif
Points forts et faiblesses
1. Les trois principaux points forts
• Ressources à disposition
• Utilité de ces ressources pour le consultant
2. Les trois principales faiblesses
• En relation avec les points forts
• En relation avec les thèmes
Résumé
a) Manifester son accord sur les thèmes de vie
b) Utiliser le même vocabulaire que le consultant
c) Établir des liens avec la définition d’objectifs et la résolution de problèmes
Annexe B
Le Génogramme de carrière5
Il y a trois étapes successives dans l’utilisation du génogramme de carrière avec un
consultant. A l’étape 1, on échange avec le consultant sur les objectifs du génogramme
de carrière. A l’étape 2, on lui explique comment il va construire son propre ‒ et unique
‒ génogramme de carrière. Et à l’étape 3, on se centre sur l’analyse et la signification du
génogramme de carrière du consultant, à partir d’une série de questions qu’on lui pose,
et de l’interaction dans la discussion qui s’ensuit.
Étape 1 : présentation des objectifs
Au cours de la première étape du génogramme de carrière, on échange avec le
consultant sur les objectifs du génogramme de carrière. On peut le faire en expliquant
que cette technique va fournir un éclairage sur la dynamique de sa famille d’origine,
incluant ses grands-parents. On peut expliquer qu’elle va lui permettre de saisir des
aspects tels que la carrière, le travail, le genre, la socialisation culturelle, dans le

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


108

contexte desquels il a grandi, quelles étaient les barrières éventuelles dans


l’environnement, et comment il a intégré et assumé différents rôles et évènements de
vie. De nombreux autres aspects en rapport avec la situation du consultant peuvent
être explorés à mesure que la démarche de génogramme de carrière se déroule. Ces
aspects varieront en fonction des préoccupations du consultant, et notamment de sa
vision du monde et du statut de son identité ethnique : comment et pourquoi sa vision
actuelle du monde et le statut de son identité ethnique se sont constitués au cours du
processus de sa socialisation dans sa famille et sa communauté ? Ce sont là, en effet, des
questions qui peuvent se poser de façon pressante au cours de la construction et de
l’analyse du génogramme de carrière.
Étape 2 : explication de la construction
À l’étape 2, on explique au consultant comment il va construire son propre
génogramme de carrière. Les consignes suivantes peuvent être utilisées :
Le génogramme de carrière peut vous aider à vous mieux comprendre vous-même, ainsi que
votre famille, en remontant jusqu’à vos grands-parents. Vous allez dessiner votre famille, en
commençant par votre mère et votre père. Dessinez sur la feuille en face de vous, sur la table (un
tableau ou tout autre support pourrait également être utilisé).
À ce moment de la construction du génogramme de carrière par votre consultant, il est
important de se souvenir qu’il existe actuellement de nombreuses formes différentes de
familles (les familles monoparentales, les familles mixtes, les familles résultants d’un
remariage, les familles classiques). Le divorce, la mort, la maladie, le remariage, le
célibat des mères, sont à la source d’une pluralité de modèles familiaux.
Étape 3 : analyse
Une fois que le génogramme de carrière de votre consultant a été construit et que les
informations (date de naissance, décès, divorce, emploi, etc.) au sujet des membres de
la famille (frères, sœurs, parents et grands-parents) ont été recueillies, l’étape suivante
consiste à utiliser ce dispositif pour explorer avec votre consultant ce qu’a été pour lui
son parcours antérieur. Les questions qui sont posées au cours de ce processus
d’exploration dépendent en partie des problèmes que se pose le consultant, de ses
pensées et de ses sentiments. Le génogramme de carrière n’étant pas une procédure
standardisée, les questions seront posées en fonction des décisions, que vous prendrez
de concert avec le consultant relatives au choix des aspects les plus utiles à explorer et
à discuter. Voici à titre d’exemple quelques questions par lesquelles vous pourriez
commencer :
• Comment décririez-vous la famille dans laquelle vous avez grandi ?
• Si vous avez grandi avec vos deux parents, quel était le métier de votre père ? Celui
de votre mère ? (posez aussi des questions sur les autres expériences de travail des
parents, leur éducation ou formation, leurs satisfactions professionnelles, leurs
rêves inassouvis).
• A quoi ressemble votre père ou votre mère ? Quels adjectifs utiliseriez-vous pour
les décrire ? Quelle a été la nature de leur relation (responsabilités) conjugale(s) ?
• Quels sont les emplois occupés par vos frères et sœurs ? Quels sont les aspirations
professionnelles de vos plus jeunes frères et sœurs ? Où vos frères et/ou sœurs
vivent-ils ? Décrivez le style de vie de chacun (demandez aussi si les cousins vivent

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


109

dans le voisinage et explorez leurs relations, telles que leur concurrence pour
obtenir l’approbation des grands-parents).
• Quel est/était le métier de votre grand-mère ? de votre grand-père ?
• Que font vos tantes et vos oncles ?
• Quel est/était votre rôle dans la famille (maintenant et quand vous étiez plus
jeune) ?
• Quel est/était votre relation avec votre mère ? Avec votre père ? (demandez quels
étaient leurs aspirations quant à votre carrière).

NOTES
1. N.d.T. : En anglais : « client ». La traduction littérale ne paraît pas utilisable dans le contexte
français, compte tenu de sa connotation de rapport marchand. Celle adoptée ici est celle
proposée par le Glossaire d’I.O.S.P./I.P. élaboré par I’A.I.O.S.P. (édition 1987).
2. Pour une information sur l’Inventaire des Transitions de Carrière et sur l’Échelle de Sentiment
d’Efficacité Personnelle pour le conseil en carrière, contacter Mary J. Heppner, Ph.D. à : 305
Noyes, Univ. Of Missouri, Columbia, M.O. 65211. HeppnerM@missouri.edu
3. L’expression « résultats — avec un r minuscule » est utilisée ici pour caractériser les mesures
qui sont apparentées à celles visant la démarche de conseil en ce sens qu’elles sont recueillies
régulièrement à chaque session, mais qui en diffèrent en ce sens qu’elles évaluent les progrès
vers le résultat et non les éléments du processus de conseil lui-même (Greenberg & Pinsof, 1986).
4. Pour une description complète de I’E.C.L.V., voir le chapitre 6 in : Gysbers, N.C., Heppner, M.J.
& Johnston, J.A. (1998). Career Counseling: Problems, Issues And Techniques. Needham Heights,
M.A. : Allyn & Bacon.
5. Pour une description complète du génogramme de carrière voir le chapitre 9 in : Gysbers, N.C.,
Heppner, M.J. & Johnston, J.A. (1998). Career Counseling: Problems, Issues And Techniques.
Needham Heights, M.A.: Allyn & Bacon.

RÉSUMÉS
Cet article analyse la nature et la démarche du conseil en carrière. En outre, il décrit un schéma
de développement humain défini comme « développement de carrière tout au long de la vie »,
qui sert de base au conseil en carrière. Il présente alors un modèle théorique du conseil en
carrière construit à partir de cette perspective, puis un travail de recherche utilisant ce modèle,
et focalisé sur le processus et sur les effets du conseil en carrière.
Qu’est-ce que le conseil en carrière ? Est-il différent des autres formes de conseil individualisé ?
Est-il identique ? Existe-t-il des recouvrements avec d’autres formes de conseil ? Ces questions se
trouvent posées de plus en plus souvent à l’heure actuelle aux Etats-Unis alors même que des
tentatives de clarification du conseil en carrière se manifestent (Anderson & Niles, 1995
Bluesmen & Spengler, 1995 ; Hackett, 1993 ; Rak & O’Dell, 1994 ; Swanson, 1995 ; Walsh & Srsic,
1995). Trois problèmes apparaissent comme centraux dans le cadre de cette discussion sur le
conseil en carrière. Le premier problème est celui de la nature du conseil en carrière : quelles
sont ses caractéristiques et qualités intrinsèques ? Quels processus psychologiques implique-t-il ?

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


110

En second lieu, se pose le problème de sa structure : quelle est sa configuration, dans quel ordre
se succèdent les différentes étapes et sous-étapes, et quelles relations entretiennent-elles entre
elles ? Le troisième problème est celui des effets du conseil en carrière : quelles sont les données
dont on dispose sur les effets du conseil en carrière ? Quelles sont les relations entre la démarche
du conseil en carrière et ses résultats ? Cet article aborde successivement chacun de ces
problèmes.

The nature and structure of career counseling are explored. In addition, a perspective of human
development called life career development is discribed that serves as a foundation for career
counseling. Then a model for career counseling based on this perspective is presented followed
by a presentation of research using the model that focuses on career counseling process and
outcomes.

INDEX
Keywords : Career counseling, career development, theories, resources, practice
Mots-clés : Conseil en carrière, développement de carrière, théories, moyens, pratique

AUTEURS
NORMAN C. GYSBERS
Ph. D., Professeur à l’Université de Missouri-Columbia, CO., États-Unis

MARY J. HEPPNER
Ph. D., Professeur Associée à l’Université de Missouri-Columbia, CO., États-Unis.
HeppnerM@missouri.edu

JOSEPH A. JOHNSTON
Ph. D., Professeur à l’Université de Missouri-Columbia, CO., États-Unis

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


111

Counseling personnel, counseling de


carrière et psychothérapie
Personal counseling, career counseling and psychotherapy

Conrad Lecomte et Vincent Guillon

Introduction
1 Depuis quelques années, une polémique s’est installée dans le champ de la relation
d’aide aux personnes. Elle concerne les différences et les ressemblances qu’il y a lieu
d’établir entre psychothérapie et counseling. Si pour certains auteurs celles-ci sont
claires et évidentes, pour d’autres auteurs les frontières paraissent moins nettes quand
d’autres, enfin, préfèrent aborder cette question sous l’angle des convergences et des
divergences. Cet article cherche à faire le point sur la question.
2 Nous pensons en effet qu’évoquer cette polémique, pour l’essentiel sous la forme
qu’elle revêt dans le contexte nord-américain (où elle est particulièrement saillante)
peut être utile, en France même, par l’intérêt des questions qu’elle suscite au sujet des
pratiques actuelles de la relation d’aide, notamment dans le domaine de l’orientation.
La communauté scientifique française n’ignore d’ailleurs pas ce qui se passe outre-
Atlantique dans les différents champs de la psychologie (sociale, différentielle,
cognitive, du développement pour n’en prendre que quelques domaines) ‒ une
consultation rapide des bibliographies proposées dans les articles des revues
scientifiques de psychologie en langue française en convainc facilement ‒, aussi bien
que dans le champ de la psychothérapie (qu’on songe par exemple aux thérapies
cognitives, à l’analyse systémique ou encore à la thérapie centrée sur le client).
3 Mais, il est utile de pointer, dans les champs mêmes du conseil et de la psychothérapie,
certains des éléments qui font difficulté.
4 1) Si certains auteurs français (Lemaire, 1971, 1986, 1998 ; Lhotellier, 1970, 1975-1976,
1997 ; 2000a, 2000b ; Zarka, 1977, 1979-1980, 1988, 1998, 2000) ont eu une influence non
négligeable sur la pratique du conseil (voir à ce sujet, Angeville & Bellenger, 1989a,
1989b ; Blanchard, 1996) il n’y a pas, en France, une psychologie du conseil équivalente

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


112

à la psychologie du counseling (pour une présentation synthétique du counseling en


France, de ses origines, de son développement, de ses courants, des obstacles qu’il
rencontre, de ses applications, voir Tourette-Turgis, 1996). D’autre part, la pratique du
conseil est mal identifiée, alors même qu’il y a, par exemple chez les conseillers
d’orientation psychologues, une quasi équivalence entre entretien et conseil (Guichard,
1999) et qu’une part très importante des travaux de recherche sur le counseling publiés
dans les grandes revues du counseling (par ex. Journal of Counseling Psychology, The
Counseling Psychologist, British Journal of Guidance and Counsel ling) portent sur l’entretien
de conseil. Corrélativement, la psychologie du conseil est très peu enseignée en France.
5 2) Une autre série de différences tient à la définition de la psychothérapie. Les
représentations que l’on s’en fait des deux côtés de l’Atlantique ne se superposent pas.
En effet, dans le contexte nord-américain on a rendu depuis longtemps équivalents (et
c’est de cette équivalence dont il sera question par la suite) les appellations de
psychothérapeute et de conseiller, et de psychothérapie et de counseling (Hill &
Corbett, 1993), avec pour objectif « d’aider les personnes à résoudre les problèmes et à
faire face aux difficultés de la vie, ou en d’autres termes, d’aider les gens à changer »
(Fretz, 1982, et Heppner, 1978, cités par Heppner & Clairborn, 1988). Hill (1993) propose
ainsi une définition du conseil psychologique (et donc de la psychothérapie) en
décrivant ses trois principaux objectifs et ses cinq caractéristiques :
« Les principaux objectifs sont :
1/ la remédiation (aide à la résolution de problèmes, prise de décision) ;
2/ la prévention (anticiper, prévenir et devancer les difficultés futures) ;
3/ l’éducation et le développement (découvrir et développer les potentialités).
Quant aux caractéristiques majeures de l’activité de conseil, elles sont les
suivantes :
1/ une centration sur les personnes normales plutôt que sur les personnes
gravement perturbées ;
[à ce sujet, Hill et Corbett, 1993, p. 252, précisent que par personnes normales il faut
comprendre "fonctionnement sain des personnes", ou encore "comportement
sain", par différence avec le fonctionnement "des individus perturbés"]
2/ une focalisation sur les atouts, les forces, et les aspects positifs de l’état mental
de la personne, quelle que soit l’importance du problème présenté ;
3/ un accent sur des interventions relativement brèves ;
4/ une prise en compte des interactions personne-environnement plutôt qu’une
centration exclusive soit sur la personne soit sur l’environnement ;
5/ un accent sur les processus de développement dans les domaines de l’éducation
et des orientations personnelles. »
6 On a donc une définition de la psychothérapie qui ne s’adosse pas à la notion de gravité
des troubles présentés, ce qu’un auteur comme Garfield (1992, p. 185) énonce
clairement lorsqu’il affirme : « En même temps, je reconnais aussi que la psychothérapie n’est
pas une panacée pour les troubles psychologiques sévères ». Il y a là un décalage certain avec
les représentations courantes et les définitions de la psychothérapie en France, dont
Tourrette-Turgis (1996, p. 26) cherche l’explication dans le rôle de la psychanalyse :
« Il est plus facile pour les Français de distinguer le counseling et la psychothérapie
que pour les auteurs anglo-saxons dont certains utilisent d’ailleurs indifféremment
les deux termes comme des synonymes. En France, exceptés les courants de la
thérapie nouvelle, la psychothérapie est largement dominée par l’influence
psychanalytique. A priori le counseling est loin de la psychanalyse de par son cadre,
sa technique et ses méthodes. Si la psychanalyse se veut une méthode de traitement
des névroses, le counseling se veut plutôt une démarche de résolution des

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


113

problèmes, à l’intention de toute personne confrontée à une situation à laquelle elle


doit faire face ».
7 3) Garfield (1992) laisse entrevoir une troisième source de problèmes qui n’est pas sans
lien avec ce qui précède. Ils tiennent à des conceptions de l’évaluation probablement
très différentes selon les approches et les orientations théoriques concernées. Là
encore, ce qu’il dit de certains psychothérapeutes américains trouverait sans nul doute
une résonance importante en France : « […] il m’est apparu qu’au moins certains
psychologues, d’orientation dynamique, envisageaient la psychothérapie comme un art, qui ne
pouvait donc être soumis à la recherche empirique » (p. 179). Selon Garfield, cette opinion
reste toujours d’actualité, alors même que la culture du counseling et de la
psychothérapie a très fortement été marquée outre-Atlantique, à la suite de Carl
Rogers, par « l’engagement de la psychologie américaine, et notamment de la psychologie du
conseil, en faveur d’une recherche opérationnalisée et quantifiée » (Hill & Corbett, 1993,
p. 222). Cette différence, constatée au sein même de la psychothérapie nord-
américaine, entre une tradition plutôt marquée par l’interprétation et l’herméneutique
et une culture conduite, pour l’essentiel, par le souci de l’opérationnalisation et de la
quantification, est une différence qui oppose plus globalement les deux côtés de
l’Atlantique. La tradition française s’inscrit, en effet, et sans conteste, dans le courant
de l’interprétation et dans la difficulté à emprunter les voies devenues classiques outre-
Atlantique de l’évaluation quantitative ou même de l’évaluation qualitative formalisée
(Hill, Thomson, & NuttWilliams, 1997), même si l’on assiste à des efforts en ce sens par
exemple dans le domaine des thérapies cognitives (Samuel-Lajeunesse, Mirabel-Sarron
et al., 1993 ; Dondé-Mohseni, Vila, & Mouren-Simeoni, 1998), ou encore, mais dans une
moindre mesure, dans le domaine de la psychanalyse comme le relate Blanchet (1999).
8 4) Enfin, qu’il s’agisse de conseil ou de psychothérapie, un problème crucial pour les
conseillers d’orientation-psychologues, seuls psychologues du conseil ayant une
formation structurée en France, tient aux éléments suivants :
• une formation initiale dans le domaine de la relation d’aide qui nécessite d’être très
largement amplifiée et approfondie car elle s’en remet, pour beaucoup, à la seule formation
continue ultérieure des praticiens ; il en va, certes, de même pour la formation initiale des
psychologues cliniciens probablement encore moins armés par une formation plus classique
dans le cadre des diplômes universitaires (ce qui n’est pas sans lien avec le financement de
ces formations : l’étudiant de psychologie est, en effet, de tous les étudiants, celui qui coûte
le moins cher à la collectivité publique) ; mais que ce travers soit ainsi bien hexagonal ne
saurait servir de justification à une telle situation ;
• une formation continue, dans ce même domaine de la relation d’ aide (entretien de conseil,
autosupervision, groupes de type Balint, animation de groupes, travail sur cas réels, etc.)
souvent inexistante au plan institutionnel, ou qui a du mal à se structurer et à durer, avec
pour seule issue une prise en charge complète par les praticiens de ses modalités et de son
financement : cela ne facilite pas la permanence d’une véritable formation personnelle et
professionnelle ;
• un contexte institutionnel qui n’est pas favorable, dans le système éducatif français, au
développement d’un counseling s’ appuyant sur un nombre minimum de séances : il y a, de
fait, une norme implicite d’un fonctionnement de l’entretien de conseil dans le cadre d’une
séance unique, comprise entre une demi-heure et une heure ; pour le regard étranger, cette
unique séance relève souvent de l’incompréhensible, tout au moins dans des pays comme le
Québec ou de tradition anglo-américaine ; sans doute, d’ailleurs, et sans entrer dans le détail
d’une analyse approfondie, une partie des raisons de ce phénomène serait-elle à rechercher

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


114

dans la polysémie et l’ambiguïté du mot orientation, tout à la fois, en France, aide aux
personnes et décision sur les personnes, ou encore « conseil à la carrière » et « orientation-
répartition », selon la distinction introduite par Guichard (1998) ; on conçoit facilement que
le nombre d’entretiens puisse être beaucoup moins élevé dans une optique d’« orientation
répartition » s’inscrivant dans la perspective du constat de situations arrêtées, ou cherchant
à les figer, que dans une optique d’orientation « conseil à la carrière » s’inscrivant, elle, dans
une perspective beaucoup plus constructiviste et développementale ; le travail des
conseillers d’orientation-psychologues, en France, pourrait ainsi porter la marque de cette
ambiguïté, une ambiguïté par contre beaucoup moins prononcée outre-Atlantique et dans
les pays anglo-saxons, puisque les conseillers y sont clairement situés du côté de l’ aide aux
personnes.
9 Ces éléments, qui font difficulté, constituent donc la toile de fond dans laquelle s’insère
le questionnement sur les ressemblances et les différences entre conseil personnel,
conseil vocationnel, et psychothérapie, un questionnement qui se fait jour, en
particulier, là où le counseling est clairement identifié (c’est le cas en Amérique du
Nord) mais dont il serait surprenant qu’il soit sans signification pour les autres
praticiens du conseil. Les frontières sont, en effet, de moins en moins étanches et, pas
plus que dans l’assujettissement pur et simple d’une culture à une autre, ce n’est dans
la méconnaissance réciproque ou l’isolement qu’on trouvera les évolutions les plus
bénéfiques aux consultants ; il y a tout lieu, au contraire, de penser que c’est dans une
telle méconnaissance que des modèles pourraient s’imposer insidieusement, sous l’effet
des seuls rapports de force économiques.
10 Le débat sur les différences et les ressemblances entre psychothérapie et counseling
s’est amplifié récemment au Québec lorsque les psychologues et les conseillers
d’orientation furent appelés, parmi d’autres, à définir la psychothérapie en vue d’en
réserver la pratique à certaines professions et de la réglementer. Si, dans ce débat, les
essais de distinctions théoriques et pratiques sont bien réels, ils s’inscrivent cependant
dans un ensemble d’enjeux économiques [voir par exemple, pour une illustration de ces
enjeux et de leur influence sur la pratique psychothérapeutique, J.A. Talbott, 1999 :
« Ainsi, les patients sont dissuadés d’avoir recours aux traitements dont le coût et la
durée peuvent être plus difficilement prévus, telle la psychothérapie en cure longue
p. 504], mais aussi de pouvoir et de prestige dont on ne saurait occulter l’importance.
Là, comme ailleurs, s’approprier les mots porteurs, se les voir réserver est une
motivation puissante pour les groupes constitués et les corporations : qui possède
l’appellation peut espérer se voir réserver les pratiques qui y sont associées. Ces enjeux
tendent, par conséquent, à porter un fort accent sur les distinctions et, probablement, à
en exagérer l’acuité. En sens inverse, diverses propositions établissant des
rapprochements entre le counseling vocationnel, le counseling personnel et la
psychothérapie ont vu le jour. Elles sont soumises, elles aussi, à la réflexion des
praticiens et des formateurs (Herr, 1997). Il n’est donc pas surprenant, en définitive,
que la pratique professionnelle soit actuellement marquée du sceau de la complexité et
que s’y côtoient paradoxes et contradictions. Au Québec, quatre conceptions théoriques
majeures inspirent la pratique des conseillers d’orientation (Duval, 1995). Il y a tout
d’abord la conception utilitariste qui cherche à établir une adéquation entre les intérêts
de l’individu, ses besoins (sur le plan professionnel), et ceux de la société. La
méthodologie est alors centrée principalement sur l’étude des professions et des
tendances du marché du travail. La conception psychométrique est, elle, fondée sur la

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


115

théorie des différences individuelles et elle tente d’évaluer le potentiel de l’individu.


Ces deux premières approches ont pour préoccupation centrale la mise en
correspondance des intérêts et aptitudes de l’individu avec les besoins de la société en
main-d’œuvre. Une troisième conception fait référence au « counseling ». L’orientation
des individus y est essentiellement considérée comme un problème psychologique
d’adaptation au présent en fonction de leurs projets d’avenir. Cette conception s’appuie
sur l’idée que l’on doit aider l’individu en le considérant comme un tout et que son
degré de maturation conditionne son adaptation professionnelle future. Enfin,
l’approche développementale, conçoit l’orientation des individus comme un processus
continu et cumulatif mettant l’accent sur la connaissance de soi, le développement du
moi, et l’autonomie de la personne ; elle vise à l’autodétermination. Guichard et Fluteau
(1997) présentent les contributions à ce courant d’auteurs comme Krumboltz, qui
développe le modèle de l’apprentissage social dans le champ de l’orientation,
Gottfredson, qui présente le modèle de la carte cognitive des professions, et enfin
Vondracek, Lerner, et Schulenberg, qui sont à l’origine du modèle de la genèse en
contexte de la carrière personnelle. Ils différencient les points de vue de ces auteurs en
fonction notamment du degré de « liberté » qu’ils accordent, de fait, au sujet dans la
construction de ses choix.
11 En matière de pratique, on voit émerger une tendance forte dans le domaine de
l’orientation scolaire et professionnelle : procéder dans le cadre d’une démarche
spécifique, circonscrite à des activités bien définies, avec des objectifs ciblés. Elle se
définit alors souvent comme un processus de prise de décision plutôt cognitif et
linéaire se déployant dans un temps limité. Il existe, cependant, d’autres conceptions
pratiques. Pour certains auteurs, l’orientation doit ainsi s’inscrire préférentiellement
dans un projet éducatif recouvrant l’ensemble du développement identitaire. D’autres
auteurs, enfin, ont commencé à définir le processus d’orientation scolaire et
professionnelle dans le cadre d’une perspective unifiée et holistique, tenant compte de
la dynamique et du fonctionnement global de la personne (Crites, 1981 ; Sprengler,
Blustein, & Strohmer, 1990).
12 Plus généralement, l’orientation scolaire et professionnelle est souvent considérée, aux
États-Unis et en grande partie au Canada, comme un champ de pratiques participant
d’une perspective plus large, celle de la psychologie du counseling. Celle-ci a connu son
essor lorsqu’il s’est agi de faire face à certaines conséquences de la 2e guerre mondiale,
comme le rappellent Hill et Corbett (1993, p. 221) :
« Dans le même temps, les efforts de l’administration des Anciens Combattants pour
réintégrer les vétérans dans la vie civile font naître une énorme demande de
services psychologiques (Pepinsky et al., 1978). Le mouvement de l’orientation
professionnelle ["vocational guidance "], en marche depuis le début du siècle, et
plus particulièrement depuis la Grande Dépression (Shertzer & Stone, 1974),
connaît une très forte poussée d’activité, lorsque l’administration des Anciens
Combattants se met à passer des contrats avec les établissements d’enseignement
supérieur, collèges et universités, pour constituer des services de conseil
professionnel et scolaire. En 1946, l’Association Américaine de Psychologie [A.P.A.,
"American Psychological Association"] crée en son sein la Division des
Psychologues Personnels qui sera rebaptisée plus tard Division des Psychologues
Personnels et de l’Orientation, puis Division du Conseil et de l’Orientation, et enfin
Division de la Psychologie du Conseil, son appellation actuelle (Whiteley, 1984). Le
Journal of Counseling Psychology [Le Journal de Psychologie du Conseil] naît en
1954 ».

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


116

13 La psychologie du counseling s’est alors inscrite dans le cadre d’objectifs généraux


d’amélioration de la santé psychique, de prévention de la maladie mentale, et de
remédiation thérapeutique. Conçue et développée pour prendre en compte les
interactions complexes de la personne avec son environnement, la psychologie du
counseling a, dès ses origines, donné une place prépondérante à l’orientation. Mais,
sous l’effet d’enjeux socio-économiques, de pouvoir et d’influence professionnelle, ses
objectifs ont évolué vers des activités de psychothérapie et de counseling personnel (cf.
infra). Elle a ainsi accordé moins d’importance aux dimensions vocationnelles et aux
activités de prévention de la maladie mentale et de promotion de la santé psychique. Il
en est résulté une quasi impossibilité à distinguer clairement les fonctions du
counseling de celles de la psychothérapie. On observe ainsi, dans la pratique actuelle,
un recouvrement très important entre les activités de la psychologie du counseling et
celles de la psychologie clinique (lorsqu’elles font référence à la psychothérapie). Dans
une grande mesure, c’est l’orientation scolaire et professionnelle, comme champ
spécifique, qui est sortie perdante de ces luttes d’influence, de ces paradoxes et de ces
contradictions. Sa pratique a connu une baisse importante, une perte de crédibilité
sensible et un manque de visibilité inquiétant, alors que, dans le même temps, la
psychothérapie était en pleine expansion et que le nombre de psychologues croissait
sans cesse au Québec et aux États-Unis.
14 D’un autre côté, l’expansion de l’activité psychothérapeutique n’a pas pour autant
rendu le champ de la psychothérapie plus unifié. N’ayant pas encore été réglementée
de façon définitive, elle fait l’objet de convoitises multiples tant de la part des médecins
que de celle des psychologues, des conseillers d’orientation, des travailleurs sociaux,
des infirmiers, des sexologues et des psychoéducateurs. De surcroît, il existe de
multiples définitions de la psychothérapie, au plan théorique comme au plan pratique,
qui la situent sur un continuum allant des conceptions les plus scientifiques aux
conceptions les plus « artistiques ». Dans ces conditions est-il vraiment possible de
parler de pratiques comparables en psychothérapie à partir, par exemple, de
perspectives différentes comme celles du service social, de la santé, ou encore de
l’orientation scolaire et professionnelle ? Comment le consultant peut-il s’y retrouver ?
15 Enfin, les choses auraient été trop simples si une pratique dite de « counseling »,
correspondant au seul volet de la remédiation (aide à la résolution de problèmes, prise
de décision) de la psychologie du counseling, ne s’était rapidement développée,
parallèlement à la psychothérapie. Ce type de counseling a pris des formes diverses:
counseling personnel, counseling pastoral, counseling familial, counseling marital,
counseling vocationnel, counseling de carrière, counseling d’emploi, counseling
scolaire enfin. Ces multiples applications ont souvent pris pour objet des problèmes qui
n’exigeaient pas un travail thérapeutique touchant aux structures de la personnalité ou
concernant des déficits pathologiques importants. On retrouve fréquemment sous cette
rubrique des interventions à court terme caractérisées par l’utilisation de procédures
et de techniques. Mais cette apparente distinction entre psychothérapie et counseling,
fondée sur la notion de durée et de perspective temporelle, n’a pas résisté à l’évolution
des pratiques. On a, en effet, assisté d’une part au développement de plusieurs formes
brèves de psychothérapie, souvent centrées sur des changements symptomatiques, et,
d’autre part et dans le même temps, à la mise en place de certaines modalités du
counseling à partir d’indications conduisant à des interventions à moyen, voire à long
terme.

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


117

16 C’est cette évolution vers une dilution des limites du counseling et de la


psychothérapie, avec les questions qu’elle fait surgir, que nous nous proposons
d’aborder plus en détail. Après un retour sur l’histoire de la psychologie du counseling,
nous exposerons les critères à partir desquels on a tenté de distinguer, souvent
radicalement, le counseling personnel, la psychothérapie et le counseling de carrière.
Nous nous intéresserons ensuite aux essais empiriques, théoriques et pratiques qui
témoignent d’un renversement en la matière, renversement orienté vers la recherche
de facteurs communs tout autant que spécifiques. Enfin, en dernier lieu, nous
examinerons comment une perspective unifiée de l’expérience subjective humaine et
du changement pourrait contribuer à une pratique intégrée de ces activités.

1. Quelques éléments d’histoire concernant la


psychologie du counseling
17 Sans prétendre à une revue exhaustive de l’histoire de la psychologie du counseling, de
l’orientation scolaire et professionnelle et de la psychothérapie, on peut l’éclairer par
quelques éléments utiles à la compréhension du débat actuel et de ses enjeux.
18 Il faut donc rappeler, et on l’oublie trop souvent, que la psychologie du counseling s’est
largement développée en réaction à des approches centrées sur la pathologie et la
maladie. Dès ses débuts, elle s’est appuyée sur les ressources de la personne. Ce n’est
d’ailleurs pas un hasard si la psychologie du counseling a fait un si large appel aux
travaux de Carl Rogers alors que la psychologie clinique s’inspirait essentiellement de
la contribution de Sigmund Freud. Cette première dichotomisation de l’expérience
humaine entre deux modèles théoriques et pratiques, l’un qui se focalise sur la maladie,
et l’autre qui s’intéresse à la santé, est et reste d’importance dans l’évolution des
sciences humaines, et en particulier dans celle de la psychologie.
19 La psychologie du counseling s’est développée tout d’abord, et simultanément, dans les
premiers services d’orientation professionnelle créés par Frank Parsons (1909) et dans
le mouvement d’hygiène mentale fondé par Clifford Beers en 1908 (Whiteley, 1984). Ses
premières formalisations y trouvent leur coloration et traduisent ce double ancrage. La
perspective interactionniste (personne et monde du travail ; malade et environnement
hospitalier) est immédiatement présente, et elle correspond bien aux efforts que
déploie Parsons pour favoriser l’adaptation professionnelle face à une société
nouvellement industrialisée. En ce sens, l’accent mis par la psychométrie [qui se
développe en France où elle a trouvé son élan initial dans les premiers travaux d’Alfred
Binet sur la mesure de l’intelligence (Huteau & Lautrey, 1999 ; Whiteley, 1999) et aux
États-Unis] sur l’étude des différences individuelles amplifie l’exigence d’une prise en
compte de la personne, premier terme de l’interaction, mais contribue aussi à lui
conférer un caractère statique qu’elle n’avait pas initialement. Beers, de son côté, en
dénonçant les conditions d’hospitalisation des malades mentaux, met au premier plan
les préoccupations environnementales. Ces préoccupations ont donné lieu aux
premières actions organisées et concrètes en faveur de la promotion de la santé
mentale aux États-Unis. En mettant l’accent sur le deuxième terme de l’interaction,
cette approche contribuera, ainsi, à établir également les fondements conceptuels et
pratiques de la psychologie du counseling.

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


118

20 Cet effort pour développer une approche interactionniste, mettant en évidence


environnement et personne, différencie les premiers services de psychologie du
counseling d’un ensemble de services s’inspirant, eux, d’un modèle médical de la santé
qui place la maladie en son centre.
21 Mais, c’est avec les pratiques initiées par Carl Rogers et l’effort théorique qui les
accompagne, dont son ouvrage Counseling and Psychotherapy (1942) rend compte, que
la psychologie du counseling disposera réellement d’une approche psychothérapique
non médicale, non analytique, et centrée sur les ressources de la personne. Cette
conception sera appliquée tant dans le domaine du counseling de carrière, que dans
ceux du counseling personnel et de la psychothérapie, des domaines dont Rogers juge
dès cette époque les frontières plutôt arbitraires.
22 À la fin de la 2ème guerre mondiale, le tableau est le suivant :
• malgré une perspective tenant compte des transactions personne-environnement,
l’orientation est devenue une démarche plutôt linéaire et cognitive, centrée sur la prise de
décision ponctuelle ;
• la psychothérapie est de plus en plus dominée par l’ approche psychanalytique ;
• le counseling et la psychothérapie d’inspiration rogérienne n’en sont qu’à leurs premières
applications systématiques, alors même que certains s’empressent déjà de conclure aux
limites d’une approche centrée sur les ressources des personnes qu’il conviendrait, selon
eux, de réserver aux seuls problèmes légers d’adaptation.
23 Au sortir de la guerre, les besoins considérables dans les domaines de la réadaptation
psychologique et professionnelle viennent bouleverser la pratique de l’orientation
scolaire et professionnelle, de la psychothérapie et de la psychologie du counseling.
Alors que, jusqu’ici, le travail en milieu hospitalier, et en particulier celui de
réadaptation psychologique, était réservé aux psychologues cliniciens d’orientation
principalement analytique, l’ampleur des besoins des anciens combattants implique de
recourir aux psychologues du counseling et à ceux des services d’orientation scolaire et
professionnelle. Confrontés aux besoins de psychothérapie autant que de réadaptation
professionnelle, les conseillers apprennent de façon progressive à offrir des services
d’orientation intégrés à une demande thérapeutique. Pour les psychologues du
counseling, tenter de traiter séparément les problèmes de réadaptation vocationnelle
et ceux liés aux difficultés personnelles sous-jacentes apparaît très vite arbitraire et
même nuisible.
24 Pour la psychologie du counseling et pour l’orientation scolaire et professionnelle,
cette période de l’après-guerre marque un véritable tournant qui constitue à la fois une
quête et une crise d’identité. Les succès professionnels de la psychologie du counseling,
et en particulier ceux du counseling vocationnel, auprès des anciens combattants
provoquent alors des tensions importantes avec la psychologie clinique qui se sent
menacée sur son propre territoire. De plus, au sein même de la psychologie du
counseling, ces succès provoquent de fortes dissensions entre tenants de diverses
positions. S’engagent alors de vifs débats sur l’importance et la place à accorder aux
activités thérapeutiques ou de counseling personnel par rapport aux activités de
counseling de carrière. Les oppositions sont fermes et polarisées, le débat est houleux,
il témoigne de la difficulté de la psychologie du counseling à intégrer les apports de
l’orientation et de la psychothérapie.

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


119

25 Pour résoudre cette impasse, la psychologie du counseling tente de clarifier son


identité en se définissant, on l’a vu plus avant, trois fonctions complémentaires :
• une fonction développementale et éducative ;
• une fonction préventive ;
• une fonction thérapeutique dite remédiative.
26 Si l’on dresse un bilan de cet effort de clarification conceptuelle, on constate qu’il a
rendu possible la catégorisation des activités de la psychologie du counseling, mais qu’il
n’a en rien solutionné les problèmes d’articulation entre psychothérapie, counseling
personnel et counseling de carrière. On observe d’ailleurs que la fonction remédiative
domine largement les autres pratiques. Faut-il alors en conclure que la psychologie du
counseling est surtout orientée vers la psychothérapie et le counseling personnel. Si
c’est le cas, que devient le counseling de carrière ?
27 De nombreux auteurs se démarquent de cette évolution. Pour les tenants de
l’orientation scolaire et professionnelle (Brown & Brooks, 1985), il est tout simplement
scandaleux et inacceptable que le counseling de carrière ne soit pas reconnu et défini
comme l’activité prédominante de la psychologie du counseling. Ils estiment qu’il y a là
une dérive, et ils remettent en cause cette fonction thérapeutique et de counseling
personnel, qu’ils considèrent comme un vestige du modèle pathologique-médical, à ne
prendre en compte tout au plus que comme fonction secondaire.
28 Toutefois, ce rejet à la marge du counseling personnel et de sa fonction remédiative ne
fait pas non plus l’unanimité. Rappelons, en effet, que le counseling de carrière est
passé d’une conception (dans les années trente) visant à aider ponctuellement
l’individu à choisir une carrière ou une profession et à s’y préparer pour y progresser, à
une conception (vers la fin des années cinquante) dans laquelle l’orientation est conçue
comme un processus pour aider le sujet à développer et accepter une image de sa
personne comme un ensemble intégré de dimensions adaptatives, en relation
potentiellement satisfaisante avec la société et en particulier avec le monde du travail
(Herr, 1997), avec les corrélats suivants :
• le counseling de carrière s’appuie de plus en plus sur des notions de concept de soi (Super,
1957) et sur des processus psychologiques qui ne sont guère différents de ceux du counseling
personnel,
• les tentatives pour le différencier du counseling personnel deviennent, de ce fait, toujours
plus complexes.
29 C’est ainsi qu’après plusieurs années de tensions internes et externes, plusieurs auteurs
ont présenté des conceptions théoriques et pratiques prenant en compte les liens
finalement indissociables entre dimensions vocationnelles et non vocationnelles de la
personne (Osipow, 1979 ; Crites, 1981 ; Bordin, 1980).

2. Distinguer l’indissociable, où en est-on ?


30 À l’inverse et de manière récurrente, d’autres auteurs ont tenté, sur la même période
de 30 ans, de distinguer le counseling personnel, le counseling de carrière et la
psychothérapie.

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


120

Counseling de carrière et psychothérapie

31 On a d’abord observé une séparation, de fait, presque radicale entre le counseling de


carrière, ou vocationnel, et la psychothérapie (cf. supra). Alors que Freud (1930)
définissait la santé mentale comme résultant de la capacité à aimer et à travailler, ces
deux domaines ont essentiellement été étudiés et traités de façon dissociée, sous
l’angle, d’une part, du counseling de carrière et, d’autre part, sous celui de la
psychothérapie. Il n’est donc pas étonnant de constater qu’il y ait eu si peu de réflexion
théorique et pratique visant à mettre en évidence leur interaction, et qu’il y en ait eu
encore moins tendant à leur intégration.

Counseling personnel et psychothérapie

32 D’autres auteurs ont tenté de distinguer le travail dit de « counseling » du travail


« psychothérapeutique ». C’est ainsi qu’on en est arrivé à définir le counseling comme
une démarche à court terme, centrée sur la résolution de problèmes, pour aider des
individus dits normaux et venant consulter pour des difficultés situationnelles, en
opposition à une démarche de psychothérapie à long terme, touchant à la structure de
la personnalité. On notera que cela fait écho, en France, à une tradition théorique
fortement marquée, illustrée, par exemple, par les distinctions conceptuelles proposées
par Lévine et Zarka quant aux différences afférentes aux niveaux des problèmes traités
(Blanchard, 1996).
33 De toute évidence, il y a lieu sur cette question de faire une enquête approfondie sur les
pratiques en France pour déterminer en quoi ces pratiques sont, ou seraient,
fondamentalement différentes (par exemple en fonction d’une tradition culturelle
spécifique) de celles qu’on peut observer dans les pays anglo-saxons ou influencés par
la tradition anglo-saxonne, ou bien pour déterminer en quoi les pratiques anglo-
saxonnes et latines tendent à s’harmoniser.
34 Quoi qu’il en soit, on peut, d’ores et déjà, faire observer que prendre en compte, de
façon absolue, des distinctions telles que court terme ou long terme, zone de résolution de
problèmes ou zone de la relation de la personne avec elle-même, difficultés situationnelles ou
problèmes relatifs à la structure de la personnalité, conduit à de profondes interrogations.
En effet, on suggère alors qu’en opposition à une approche intrapsychique profonde,
qui relèverait du domaine de la psychothérapie, le counseling relèverait, lui, d’une
approche interpersonnelle de surface, à court terme, pour des individus à personnalités
dites intactes, et pour lesquels une telle approche, « légère », suffirait à l’élaboration de
leurs choix de vie ou de carrière. On peut s’interroger sur la pertinence et le caractère
absolu d’une distinction aussi tranchée.
35 En effet, au plan de la pratique tout d’abord, on constate :
36 ‒d’une part, et en se limitant à des exemples français pris dans le champ de
l’orientation, que certains praticiens du counseling ne marquent plus cette distinction
aussi fortement,
• soit qu’ils n’en parlent pas mais qu’ils déploient, dans le même temps, un appareillage
conceptuel inspiré de théories largement utilisées, voir dominantes, dans le champ
psychothérapeutique ainsi qu’on l’observe, par exemple, chez Roux (1998) dans le cadre d’un
travail de counseling d’origine clairement psychanalytique,

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


121

• soit, encore, chez Baudouin (1998) et Combase (1997) chez lesquelles l’approche
psychanalytique très présente est modulée par l’approche humaniste (en particulier dans les
préoccupations apportées à la conduite de l’entretien d’orientation et à la mise à distance de
l’interprétation),
• soit encore que leurs conceptualisations marquent tout autant les liens qui existent entre
psychothérapie et counseling que les différences qu’ elles cherchent à mettre en évidence,
comme on peut le voir, par exemple, dans la réflexion élaborée par Leu (1995) à propos de la
tentation thérapeutique et de la relation de conseil ,
37 ‒ et d’autre part, que, dans les faits, la psychothérapie s’est elle-même installée dans le
domaine du court terme puisque plusieurs formes de psychothérapie brève se sont
développées au fil des années, et que bon nombre d’entre elles se sont définies comme
centrées sur la dimension symptomatique.
38 Plus encore, sur le plan théorique, les recherches sur les processus du changement
thérapeutique soulignent la contribution indissociable des dimensions intrapsychiques
et interpersonnelles (Lichtenberg, 1989).
39 Quant à l’évolution des champs et des activités de la pratique actuelle, elle rend pour
ainsi dire impossible la distinction entre counseling et psychothérapie, de façon
évidente en Amérique du Nord. Cela a conduit certains à se demander si cette double
appellation était toujours nécessaire et si elle correspondait encore à un besoin réel.

Counseling de carrière et counseling personnel

40 Enfin, c’est peut-être en vue de distinguer le counseling personnel du counseling de


carrière que les efforts les plus considérables ont été déployés (Hackett, 1993).
41 Pour certains auteurs, l’immense majorité des difficultés d’orientation scolaire et
professionnelle peut être résolue par une démarche ponctuelle d’information et de
connaissance de soi, et le counseling de carrière peut et doit se limiter aux seuls aspects
vocationnels. C’est d’ailleurs bien en fonction de ce postulat que nombre de techniques,
de stratégies et de méthodologies ont été élaborées.
42 Parallèlement cependant, et avec tout autant de vigueur, plusieurs défenseurs du
counseling personnel ont été amenés à considérer le counseling de carrière, ainsi
défini, comme secondaire, voire superficiel (Sprengler et al., 1990).
43 On peut, en définitive, considérer que la tentative visant à établir une distinction
radicale entre counseling de carrière et counseling personnel s’est avérée en grande
partie stérile (Osipow, Cohen, Jenkins, & Dostal, 1979). C’est ce que Gysbers et al. (2000)
énoncent clairement :
« La différenciation opérée de façon stéréotypique entre ces deux catégories de
conseil — l’un axé sur le personnel-émotionnel, et l’autre sur la carrière est
artificielle, et ne peut résister dans la pratique, car de nombreux consultants
doivent faire face simultanément à des problèmes personnels émotionnels et à des
problèmes de carrière, le plus souvent intriqués ».
44 C’est ce que Lhotellier (1970, 2000a, 2000b) a toujours avancé en ne distinguant jamais
le conseil en orientation du conseil personnel, et en se centrant sur le développement
d’une psychologie du conseil fondée sur les sources, les processus, et les perspectives
du « tenir conseil avec ».

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


122

45 Sont, désormais, sur le devant de la scène, des modèles d’intervention intégrant et


différenciant, de manière pertinente et moins caricaturale, le counseling de carrière et
le counseling personnel (Gysbers et al., 1998 ; 2000), à l’image de ce qui s’ observe déjà
dans d’ autres champs du conseil comme celui du counseling d’emploi et d’orientation
professionnelle au Québec (Lecomte & Tremblay, 1987) ou en France dans le cadre de 1’
Association pour la Formation Profession nelle des Adultes (Deleplancque, 1997).
46 Cette émergence semble prometteuse. On a, en effet, tellement voulu évacuer de la
démarche d’orientation toute perspective de changement personnel et tout processus
touchant à la « résistance au changement » qu’elle s’est retrouvée sans âme, desséchée,
loin de sa véritable vocation qui est d’être en prise, de façon dynamique, avec les
interactions complexes d’un environnement et d’une personne en quête, tout au long
de sa vie, d’identité et d’actualisation (Crites, 1981). Les efforts entrepris nous
paraissent donc être de nature à redonner sens à une orientation scolaire et
professionnelle ainsi devenue vaine, trop linéaire et trop ponctuelle, alors même
qu’elle avait présidé à la naissance d’une psychologie du counseling vivante et forte.
47 Si Freud, on l’a vu, avait suggéré de définir la santé mentale comme la capacité à
travailler et à aimer, c’est peut-être seulement maintenant qu’on réalise la signification
profonde de cette proposition. Il y a bien là deux facettes fondamentales de la condition
humaine (Dejours, 1998). En ce sens, il serait donc souhaitable que le counseling de
carrière, le counseling personnel et la psychothérapie soient reliés. Les lignes suivantes
attestent de l’émergence d’un tel besoin « Sur les objectifs du conseil les professionnels ne
sont pas toujours d’accord. Certains disent que cela sert à l’intéressé à se construire une
représentation de la tâche, à se poser des questions, à s’approprier des informations. D’autres
pensent que l’objectif de l’entretien est d’aider une personne à restructurer son identité. Certains
enfin pensent que ces deux objectifs sont inséparables » (Guichard, 1999). Encore faudrait-il
être capable de traiter le counseling de carrière, le counseling personnel, et la
psychothérapie dans leur interdépendance et leurs interactions complexes, encore
faudrait-il, par conséquent, disposer d’un cadre conceptuel permettant cette approche
unifiée et intégrée. Les lignes qui suivent dressent l’état de la question.

3. Les processus de changement en counseling et en


psychothérapie
48 Depuis quelques années nous assistons à l’émergence d’une nouvelle culture théorique,
pratique et scientifique fondée sur des postulats de relativisme et de perspectives
multiples. Hill et Corbett (1993) dressent un tableau historique et prospectif, pour la
psychothérapie et le counseling, de cette évolution dans les domaines relatifs à la
recherche sur les processus et l’efficacité de la relation d’aide. Plusieurs auteurs
considèrent ce courant comme post-moderne. Il se manifeste, en particulier, par des
conceptualisations plus dynamiques et moins linéaires. Les frontières entre les
disciplines tendent à disparaître pour donner une place croissante à des contributions
interdisciplinaires. Les théories de la personnalité évoluent des concepts
intrapsychiques vers la reconnaissance de l’importance de la relation interpersonnelle
(Eagle & Wolitzky, 1995). Des recherches sur les interactions mère-enfant, à l’aide de
méthodologies renouvelées, permettent, par exemple, de mieux cerner et de mieux se
représenter les expériences complexes de régulation mutuelle, elles ouvrent des
perspectives nouvelles pour comprendre l’organisation et l’équilibrage des expériences

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


123

subjective et intersubjective (Beebe & Lachmann, 1988). Ce nouveau courant invite à


reconceptualiser le counseling personnel, le counseling de carrière et la psychothérapie
sur la base de processus dynamiques, interactifs et fluides remettant en question les
frontières arbitraires érigées pour les distinguer. La question devient : sur quels
fondements pouvons-nous préciser ce qui est commun et ce qui est spécifique au
counseling de carrière et à la psychothérapie ?

3.1. Les bases empiriques des facteurs communs du counseling de


carrière et de la psychothérapie

49 Certains résultats de recherche indiquent l’influence des expériences familiales et de


certaines dimensions de la personnalité sur les attitudes et sur les difficultés
d’adaptation au travail (Staw & Ross, 1985 ; Firth-Cozens, 1992).
50 Plusieurs recherches confirment l’importance des relations entre travail et santé
mentale. Les répercussions psychologiques de la perte d’un emploi ou du chômage de
longue durée ont été clairement établies (Osipow & Fitzgerald, 1993). De même, les liens
étroits entre la satisfaction dans la carrière et les facteurs de dépression et d’anxiété,
les symptômes somatiques et l’estime de soi sont maintenant reconnus (Lofquist &
Dawis, 1984 ; Dejours, 1998).
51 D’autres recherches tendent à démontrer que les difficultés vocationnelles sont
intimement liées au fonctionnement psychologique global. Ainsi, plusieurs
questionnements relatifs au choix de carrière se déploient en fonction de problèmes
d’indécision, d’estime de soi, d’anxiété, de performance, de sentiment d’efficacité
personnelle, et de quête d’identité (Spokane, 1989). Près du tiers des recherches
analysées par Oliver et Spokane (1988), dans le cadre d’une méta-analyse portant sur 58
recherches, indiquent des changements qui dépassent largement les seules variables
directement liées à la carrière. Ces changements se manifestent dans des domaines
comme ceux de l’estime de soi, de la compétence interpersonnelle et de l’anxiété, ils
touchent ainsi aux domaines du fonctionnement intrapsychique et interpersonnel.
52 Il est vrai, cependant, que les aspects vocationnels demeurent encore aujourd’hui
largement ignorés par les chercheurs s’intéressant à l’impact de la psychothérapie
(Lambert et al., 1992). Mais, certaines recherches commencent à faire exception à cette
tendance. On trouve ainsi des travaux de chercheurs anglais comparant deux
approches thérapeutiques dans le traitement du stress et de la satisfaction au travail
(Firth & Shapiro, 1986 ; Barkam & Shapiro, 1990). Leurs résultats indiquent que
l’application d’une psychothérapie à court terme, soit 8 séances, contribue à améliorer
plusieurs dimensions vocationnelles comme celles de la satisfaction et des attitudes au
travail. Suite à l’analyse poussée de 4 000 études, examinant l’effet de traitements
thérapeutiques de la dépression sur la capacité fonctionnelle à travailler, Mintz et al.
(1992) ont établi que des modifications négatives de la satisfaction au travail avaient
précédé, de façon systématique, la manifestation de désordres dépressifs pour 50 % des
patients. Dans une perspective de prévention de désordres affectifs tels que la
dépression, ces résultats ont des implications importantes.
53 Ces recherches ‒ qui témoignent des recouvrements existant entre adaptation
personnelle, adaptation vocationnelle, et adaptation au travail ‒ soulignent forte ment
l’intérêt qu’il y a à étudier et conceptualiser dans une perspective interdépendante,
voire unifiée, les processus du fonctionnement psychologique et les aspects

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


124

vocationnels. Elles invitent à une remise en question des distinctions arbitraires entre
le travail, la carrière, et les aspects psychosociaux.
54 Les différences et les ressemblances entre le counseling de carrière et la
psychothérapie peuvent aussi être considérées sous l’angle des processus de
changement. En psychothérapie, les études comparatives entre des approches
d’horizons distincts démontrent que leur efficacité est équivalente, malgré les
différences théoriques qu’elles présentent (Bergin & Garfield, 1994). Cette
problématique a suscité un important courant de recherches portant sur les processus
de changement. Plusieurs chercheurs (pour des revues de question, voir : Lecomte &
Castonguay, 1987 ; Garfield, 1992) se sont penchés sur l’identification de facteurs
communs à toutes les approches. Goldfried, Castonguay, et Safran (1992) les résument
ainsi :
« Une structure de base. La thérapie se déroule dans un cadre relativement tracé, avec des
étapes ou des phases distinctes.
La fonction. Son but principal est de diminuer le découragement et d’augmenter le sens et
la maîtrise de soi, par l’acquisition de nouvelles manières de penser, de ressentir et d’agir.
La nature de l’interaction thérapeutique. Il y a un processus d’influence
interpersonnelle, caractérisé par l’intérêt et l’implication du thérapeute, ainsi qu’une
alliance de travail basée sur une communication ouverte, des buts partagés et un accord sur
les méthodes.
Des stratégies cliniques communes. Le thérapeute donne du feed-back à son patient pour
accroître son niveau de conscience, l’encourage à prendre des risques et facilite la
confrontation progressive avec la réalité ».
55 Ils font de ces facteurs communs une source d’explication importante de l’équi valence
des résultats obtenus par les différentes approches thérapeutiques. Par exemple, les
recherches suggèrent que, quelle que soit l’approche préconisée, la relation (dissociée
par Gelso & Carter, 1985, en trois composantes le transfert et le contre-transfert, la
relation réelle, et l’ alliance de travail) et tout particulière ment sa composante
d’alliance de travail, c’est-à-dire l’engagement réciproque du psychothérapeute et du
consultant dans l’activité de psychothérapie, peut expliquer jusqu’à 45 % de la variance
des résultats obtenus (Horwath & Symonds, 1991). Ce type d’interrogation et
d’investigation commence à prendre forme dans l’étude du counseling de carrière.
Ainsi, récemment, des chercheurs s’intéressant à cette problématique ont mis à l’étude
certains processus de changement, susceptibles d’expliquer l’efficacité du counseling
de carrière quelle que soit l’approche théorique utilisée (Hackett, 1993).
56 La relation d’aide est-elle aussi centrale et déterminante en counseling de carrière
qu’en psychothérapie ? La question est désormais posée. L’analyse des recherches déjà
réalisées incite à répondre par l’affirmative à cette interrogation. Plus encore, elle
invite à considérer que les mêmes facteurs et processus expliquent le changement en
counseling de carrière et en psychothérapie, ainsi qu’en témoigne, par exemple, la
recherche de Kirschner et al. (1994). En particulier, la qualité de la relation et
l’expérience affective sont considérées comme prédominantes par les consultants
(Kivlighan et al., 1987). Ces résultats tendent à expliquer pourquoi ‒ même lorsque le
counseling de carrière est pratiqué, comme il l’a souvent été, sous la forme d’un
processus directif, logique et linéaire ‒ des résultats positifs peuvent être obtenus par
des conseillers lorsqu’ils accordent en même temps une importance centrale à la
qualité de la relation et à l’expérience affective du consultant. Par-delà ces deux
facteurs fondamentaux, le counseling de carrière s’articule, tout comme la
psychothérapie, en termes de processus d’influence interpersonnelle dans lesquels se

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


125

formulent des attentes, un schème conceptuel donnant un sens aux difficultés, des
expériences de maîtrise et de vérification de la réalité (Strong, 1968 ; Holland et al., 1981
Strong, S.R., Welsh, J.A., Corcoran, J.L., & Hoyt, W.T., 1992).
57 Si l’analyse empirique conduit ainsi à reconnaître des dimensions communes et
similaires entre les processus de counseling de carrière et de psychothérapie, d’autres
résultats de recherche permettent également, comme on va le voir, de souligner le
caractère indissociable des aspects vocationnels et du fonctionnement psychologique.

3.2. Les bases théoriques et pratiques des facteurs communs

58 Pendant plusieurs années, les théories spécifiques du counseling de carrière ont eu


tendance à dissocier les problèmes d’orientation des problèmes psychologiques
« personnels ». Les théories interactionnistes dans leurs formulations récentes, qui
élargissent considérablement leur champ d’application, permettent de dépasser cette
vision (Holland, 1985 ; Lofquist & Dawis, 1991). Rounds et Tracey (1990) vont même
jusqu’à proposer que le counseling de carrière soit considéré comme une forme de
psychothérapie.
59 Récemment, Krumboltz (1993) a développé un processus d’intervention intégrant les
difficultés d’orientation, les préoccupations de carrière, et les problèmes personnels. De
leur côté, les auteurs qui développent l’approche cognitivo-affective (Richman, 1988)
ont proposé des stratégies intégrant les perspectives de carrière et les difficultés
psychologiques.
60 Par ailleurs, Super (1955) a sans doute été l’un des premiers à situer le counseling de
carrière dans une perspective développementale, l’intervention vocationnelle se
situant à un bout d’un continuum dont le counseling personnel constitue l’autre
extrémité (Super, -1993). Pour les développementalistes, le développement de la
carrière se déploie, ainsi, dans un cadre comportant des facteurs « distaux » et
« proximaux » comme la famille, les influences sociales, et économiques et le
fonctionnement psychologique (Vondracek et al., 1986).
61 Enfin, il faut souligner l’évolution considérable des théories psychanalytiques
américaines. L’approche orthodoxe centrée sur les pulsions s’est enrichie d’une
multitude de formulations prenant la forme de théories sur la relation d’objet, sur le soi
et sur le moi. Cette évolution a permis à Bordin (1990) de proposer une théorie
intégrant les problèmes vocationnels et non vocationnels.
62 Cette présentation sélective de quelques théories fait apparaître une tendance
importante chez les théoriciens à vouloir reconsidérer leurs approches pour arriver à
une conceptualisation intégrée du counseling de carrière et de la psychothérapie. Mais
de tels efforts demandent à être davantage articulés et opérationnalisés.

4. Proposition d’un cadre conceptuel pour l’intégration


des facteurs communs et spécifiques
63 L’analyse des données empiriques et l’évolution convergente des approches théoriques
et pratiques incitent à une reconnaissance significative des interactions entre
comportements vocationnels et fonctionnement psychologique de la personne. Plus
encore, les processus de changement mis en œuvre présentent plusieurs ressemblances

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


126

fondamentales. Dans ces conditions, une approche intégrée de la pratique du


counseling de carrière et de la psychothérapie, tenant compte de leur spécificité et de
leur similarité, devient envisageable, c’est ce que nous développerons, à partir des
propositions suivantes :
• intervenir auprès d’une personne, quelle que soit sa difficulté, c’est aborder et toucher
l’organisation de toute l’expérience subjective ; il en découle la nécessité de définir et de
situer toute forme d’intervention dans une perspective bio-psychosociale (Blustein, 1987) ;
• le changement a un caractère pluridimensionnel, c’est ce que les résultats de recherche
indiquent, autant en counseling de carrière qu’en psychothérapie ; ces résultats peuvent
s’expliquer par la tendance de tout comportement humain à s’organiser comme un tout
cohérent (Lichtenberg, 1989) l’efficacité de toute forme d’intervention de counseling de
carrière ou de psychothérapie dépend, en grande partie, de la qualité de la relation
thérapeutique, en particulier de l’alliance de travail ; ce constat est impliqué par la
reconnaissance que le développement de tout système intrapsychique se construit au cœur
de transactions intersubjectives (Stolorow et Atwood, 1992) ; dans ce creuset intersubjectif,
tout individu a besoin d’être reconnu, validé et apaisé , ces expériences relationnelles sont
vitales pour le développement personnel et vocationnel ,
• toute forme d’intervention s’appuie sur la reconnaissance de l’expérience subjective unique
du sujet et de son contexte de vie.
64 Malgré leur caractère fondamental, ces quatre postulats n’épuisent évidemment pas la
question des rapports entre le counseling de carrière et la psychothérapie. D’autres
observations doivent être faites. En particulier, il faut reconnaître clairement que les
difficultés d’adaptation au travail ont des répercussions psychologiques même si nos
pratiques conventionnelles l’ignorent trop souvent. Des difficultés d’adaptation à un
travail (ou dans le choix d’une carrière) peuvent faire écho à des situations semblables,
ou parallèles, dans d’autres domaines de la vie d’un individu. En ce sens, tenter de
dissocier carrière et vie psychologique, conscient et inconscient, raison et émotion,
comportement de surface et de profondeur relève de l’illusion, voire de l’aberration :
c’est ignorer les interactions dynamiques et fluides qui les relient.
65 Pour tenir compte de la complexité de l’expérience subjective humaine et du
changement, peut-être avons-nous besoin d’un « paradigme de la complexité » tel que
celui qui est proposé par Edgar Morin (1982) pour situer l’interaction des parties et du
tout, du sujet et de l’objet, de l’individu et de l’environnement.
66 Dans ce cadre, une pratique intégrée, associant les aspects personnels et vocationnels,
ne signifie pas pour autant que toute intervention de counseling de carrière exige un
travail thérapeutique. La décision de donner une direction et un sens au processus
d’intervention doit se faire en collaboration avec le sujet à partir de critères personnels
et contextuels. Si, par exemple, suite à un désir exprimé de changer de carrière en
raison de conflits interpersonnels au travail, le conseiller découvre, avec le consultant,
une relation conflictuelle ancienne aux parents et à toute figure d’autorité, alors
l’exploration et la compréhension de cette configuration pourraient bien être du plus
haut intérêt pour la résolution du problème. Ne pas prendre en compte cet enjeu
développemental, en ne s’en tenant qu’aux aspects formels du counseling de carrière,
ou encore en recommandant une psychothérapie avant même d’avoir tenté une
exploration contextuelle, semble à tout le moins peu judicieux. Une approche intégrée
donne, par contre, au conseiller la possibilité d’engager son travail dans cette direction.

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


127

Elle permet alors au consultant de se sentir accompagné et validé dans sa quête de sens
et d’intégration des diverses facettes de son expérience.
67 Au-delà des dimensions communes, le counseling de carrière et la psychothérapie ont
des spécificités qu’il importe de relever. Soulignons donc que le processus du
counseling de carière vise des objectifs vocationnels touchant aussi bien à l’adaptation
et à l’insertion professionnelles, qu’au choix d’une profession, et aux ajustements et
changements possibles tout au long de la vie. En donnant du sens à des difficultés
d’adaptation au travail ou à des problématiques de choix de carrière, le counseling
vocationnel, dans le cadre d’une pratique inté grée, permet de mettre en place un
processus fluide et cohérent d’aller-retour entre enjeux vocationnels et personnels.
Mais, lorsque ce processus d’aller-retour est compromis parce que des enjeux
intrapsychiques ou interpersonnels prennent une place prépondérante de façon rigide
et généralisée, un travail thérapeutique à plus long terme peut alors s’imposer. Certes,
les distinctions entre phases relevant du counseling de carrière et de la psychothérapie
sont d’autant moins claires que, pour nombre de consultants, les difficultés
vocationnelles sont intimement liées à des enjeux intrapsychiques et interpersonnels.
Mais, pour autant, on ne peut pas conclure que toute démarche de counseling de
carrière implique nécessairement de recourir à des considérations thérapeutiques. Une
distinction existe dont le conseiller peut tenir compte, avec pertinence et flexibilité,
dès lors qu’il travaille dans le contexte d’une approche intégrée, attentive aux
caractéristiques spécifiques de chaque consultant.
68 On l’a vu : cette approche intégrant aux plans théoriques et pratiques les aspects
vocationnels et personnels, nombre de théoriciens, chercheurs et praticiens en
reconnaissent de façon croissante l’importance et l’intérêt (Fretz & Simon, 1992 ;
Hackett, 1993). Mais, malgré cette reconnaissance, son développement est encore
limité. Au-delà des conceptualisations définissant le counseling de carrière et le
counseling personnel sur un continuum linéaire (Herr, 1997), ou les réunissant plus
étroitement (Gysbers et al., 1998 ; 2000), les propositions intégratives portant à la fois
sur le conseil personnel, le conseil en orientation et la psychothérapie sont quasiment
inexistantes. Ce déficit est particulièrement sensible pour les intervenants, conseillers
ou psychothérapeutes, qui travaillent à la réadaptation psychologique et
professionnelle de toxicomanes, d’accidentés du travail, d’ex-détenus ou de personnes
psychiatrisées. Trop souvent le psychothérapeute ne possède pas, ou peu, de
connaissances touchant les processus vocationnels et de réinsertion professionnelle,
alors que de son côté le conseiller est peu formé à saisir les enjeux psychologiques des
problèmes vocationnels. Avec un corollaire inévitable : il en résulte une pratique
morcelée pour le consultant et pour l’intervenant.
69 En 1981, Crites plaidait pour une formation en counseling de carrière et en
psychothérapie, si l’on avait comme objectif de travailler auprès de personnes
présentant des difficultés vocationnelles. Récemment, ces recommandations,
largement ignorées pendant plusieurs années, ont été reprises par d’autres auteurs et
chercheurs (Hackett, 1993 ; Niles & Pate, 1989). Ces derniers ont même été jusqu’à
conclure qu’il était essentiel et nécessaire de posséder des compétences dans ces deux
domaines — le counseling de carrière et la psychothérapie — si, tout simplement, l’on
voulait intervenir de façon efficace et pertinente dans les champs complexes du
développement vocationnel et des problèmes liés à la carrière, sans même qu’il soit
question de celui des difficultés vocationnelles. Peut-être n’est-il pas inutile de redire,

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


128

en conclusion, que les distinctions imposées à la pratique du counseling de carrière, du


counseling personnel, et de la psychothérapie se sont révélées en grande partie
arbitraires et qu’elles ont engendré de multiples ambiguïtés, avec pour résultat
fréquent l’offre de services morcelés, voire inadéquats. Que le consultant soit pourtant
assuré, au minimum, que le conseiller ou le psychothérapeute ‒ avec lequel il s’engage
dans une relation ‒ est bien capable de comprendre l’ensemble de son expérience
subjective face à une difficulté de choix de carrière ou de travail, reste encore un
objectif rarement atteint. En ce sens, l’évolution récente des théories de la
psychothérapie et du counseling, en ouvrant de nouvelles perspectives pour une
meilleure compréhension des processus fondamentaux du changement, paraît porteuse
d’espoir. Si l’on dépasse les caractères spécifiques de ces théories, et si l’on met à jour
leurs dimensions communes, peut-être deviendra-t-il alors possible de reconnaître
réellement, et à plus grande échelle, le caractère éminemment personnel de toute
problématique vocationnelle. C’est dans cette direction qu’il nous paraît souhaitable
que se développent des propositions et théorisations reconnaissant l’indissociable
inscription du travail dans l’expérience subjective et intersubjective.

BIBLIOGRAPHIE
Angeville, H., & Bellenger, J. (1989a). Quelques courants de la pratique du conseil. Bulletin de
I’A.C.O.F., numéro spécial : I’entretien en orientation, 14-41

Angeville, I-1., & Bellenger, J. (1989b). Réflexions sur une expérience de formation au conseil en
orientation. L’Orientation Scolaire et Professionnelle, 18, 2, 111-125.

Barkham, M., & Shapiro, D.A. (1990). Brief psychotherapeutic interventions for job-related
distress: A pilot study of prescriptive and exploratory therapy. Counselling Psychology Quartely, 3,
133-147.

Baudoin, N. (1998). L’entretien, espace d’appropriation de son orientation. Questions d’Orientation,


61, 4, 21-28.

Beebe, B., & Lachmann, F. (1988). The contribution of mother-infant mutual influence to the
origins of self and object representations. Psychoanalytic Psychology, 5, 305-337.

Bergin, A.E., & Garfield, S.L. (1994). Handboook of psychotherapy and behavior change. New York :
Wiley.

Blanchard, S. (1996). Introduction à l’article de C.E. Hill & M.M. Corbett. L’Orientation Scolaire et
Professionnelle, 25, 2, 211-216.

Blanchet, A.M. (1999). La psychanalyse au banc d’essai. Editions Exergue.

Blustein, D.L. (1987). Integrating career counseling and psychotherapy: A comprehensive


treatment strategy. Psychotherapy, 24, 794-799.

Bordin, E.S. (1980). A psychodynamic view of counseling psychology. Counseling Psychologist, 9 (1),
62-70.

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


129

Bordin, E.S. (1990). Psychodynamic models of career choice and satisfaction. In D. Brown & L.
Brooks (Eds.), Career choice and development: Applying contemporary theories to practice. San
Francisco: Jossey-Bass.

Brown, D, & Brooks, L. (1985). Career counseling as a mental health intervention. Professional
Psychology, 16, 860-867.

Combase, C. (1997). Entretien familial et orientation. Questions d’orientation, 60, 2, 69-82.

Crites, J. (1981). Career counseling. New York: McGraw-Hill.

Dejours, C, (1998). Souffrance en France. La banalisation de l’injustice sociale. Paris : Editions du Seuil,
collection « L’histoire immédiate ».

Dejours, C. (1998). Nouvelles formes d’organisation du travail, souffrance au travail et


orientation. Questions d’Orientation, 62, 1, 51-66.

Deleplancque, B. (1997). Le counselling d’emploi. Démarches et pratiques en orientation


professionnelles. Association pour la Formation Professionnelle des Adultes/lnstitut National de
l’Orientation et de I’lnsertion Professionnelles, document interne, pp. 1-63.

Dondé-Mohseni, S., Vila, G., & Mouren-Simeoni, M.C. (1998). La thérapie cognitive de l’adolescent
déprimé. L’Orientation Scolaire et Professionnelle, 1998, 27, 4, 545-566.

Duval, R. (1995). Les cheminements éducatifs de l’orientation et de la pédagogie de 1943 à 1993 la Faculté
des Sciences de l’Education de l’Université Laval. Laval, Québec : Editions Hors série.

Eagle, M.N., & Wolitzky, P.L. (1995). Psychoanalytic theories of psychotherapy. In T.K. Freedheim
(Ed.), History of psychotherapy: A century of change. Washington, D.C.: American psychological
association.

Firth, J., & Shapiro, D.A. (1986). An evaluation of psychotherapy for job-related distress. Journal of
Occupational Psychology, 59, 111-119.

Firth-Cozens, J. (1992). The role of early family experiences in the perception of organizational
stress: Fusing clinical and organizational perspectives. Journal of Occupational and Organizational
Psychology, 65, 81-88.

Fretz, B.R. (1982). Perspectives and definitions. The Counseling Psychologist, 10 (2), 15-19.

Fretz, B.R., & Simon, W.P. (1992). Professional issues in counseling psychology: Continuity,
change nd and challenge. In S.D. Brown & R. W. Lent (Eds.), Handbook of counseling psychology,
(2nd). New York: Wiley.

Freud, S. (1930). Civilization and its discontents. London: Hogarth.

Garfield, S.L. (1992). La psychothérapie éclectique : des facteurs communs. In J.C. Norcross & M.R.
Goldfried (1998), Psychothérapie intégrative. Paris : Desclée de Brouwer.

Gelso, CJ., & Carter, J. (1985). The relationship in counseling and psychotherapy. The Counseling
Psychologist, 13, 155-243.

Goldfried, MR., Castonguay, L.J., & Safran, J.D. (1992). Questions fondamentales et perspectives
d’avenir de l’intégration en psychothérapie. In J.C. Norcross & MR. Goldfried (1998),
Psychothérapie intégrative. Paris : Desclée de Brouwer, I’O.N.I.S.E.P. et publié conjointement par
Hachette Livre et le C.N.D.P.

Guichard, J. (1998). Psychologies et psychopédagogies de l’autodétermination. In L’éducation à


l’orientation au collège. F. Grobras. (coordinatrice). Ouvrage collectif produit par

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


130

Guichard, J. (1999). La question des nouveaux débouchés dans le champ de l’orientation scolaire
et professionnelle. Pratiques Psychologiques, 1999, 3, 93-95.

Guichard, J., & Huteau, M. (1997). L’école et les intentions d’avenir professionnelles des
adolescents. In H. Rodriguez-Tomé, S. Jackson, & F. Bariaud (Éds.), Regards actuels sur I’adolescence.
Paris: P.U.F.

Gysbers, N.C., Heppner, M.J., & Johnston, J.A. (1998). Career counseling: problems, issues and
techniques. Needham Heights, M.A.: Allyn & Bacon.

Gysbers, N.C., Heppner, M.J., & Johnston, J.A. (2000). Le conseil à la carrière : une perspective « au
long de la vie ». L’Orientation Scolaire et Professionnelle, 29, 1, 91-115.

Hackett, G. (1993). Career counseling and psychotherapy: False dichotomies and recommended
remedies. Journal of Career Assessment, 1, 105-117.

Heppner, P.P. (1978). A review of the problem solving litterature and its relationship to the
couseling process. Journal of Counseling Psychology, 25, 366-375.

Heppner, P.P., & Clairborn, CD. (1989). Social influence research in couseling: a review and
critique. Journal of Counseling Psychology, 36, 365-387.

Herr, EL. (1997). Career counseling: A process in process. British Journal of Guidance and Counselling,
25 (1), 81-93.

Hill, C.E. (1993). Éditorial. Journal of Counseling Psychology, 40, 2, p. 252.

Hill, C.E., & Corbett, M.M. (1993). La recherche sur les processus et l’efficacité de la relation d’aide
en psychologie du conseil. Histoire et perspectives. L’Orientation Scolaire et Professionnelle, 1996, 25,
2, 217-265.

Hill, C.E., Thomson, B.J., & Nutt-Williams, E. (1997). A guide to conducting consensual qualitative
research. The Counseling Psychologist, 25, 4, 517-572.

Holland, J.L. (1985). Making vocational choices: A theory of vocational personalities and work
environments. (2e éd.). Englewood Cliffs, N.J.: Prentice-Hall.

Holland, J.L., Magoon, T.M., & Spokane, A.R. (1981). Counseling psychology: Career interventions,
research, and theory. Annual Review of Psychology, 32, 279-305.

Horwath, A.O., & Symonds, B.D. (1991). Relation between working alliance and outcome in
psychotherapy: A meta-analysis. Journal of Counseling Psychology, 38, 139-149.

Huteau, M., & Lautrey, J. (1999). Évaluer l’intelligence. Psychométrie cognitive. Paris : P.U.F.

Kirschner, T., Hoffman, M.A., & Hill, C.E (1994). A case study of the process and outcome of career
counseling. Journal of Counseling Psychology, 48, 15-26.

Kivlighan, D.M., Johnson, B., & Fretz, B. (1987). Participants’ perception of change mechanisms in
career counseling groups: The role of emotional components in career problem solving. Journal of
Career Development, 14, 35-44.

Krumboltz, J.D. (1993). Integrating career and personal counseling. Career Development Quartely, 42,
143-148.

Lambert, M.J., Ogles, B.M., & Masters, K S. (1992). Choosing assessment devices: An organizational
and conceptual theme. Journal of Counseling and Development, 70, 527-532.

Lecomte, C., & Tremblay, L. (1987). Entrevue d’évaluation en counselling d’emploi. Institut de
Recherches Psychologiques, Inc. & Centre d’Édition du Gouvernement du Canada.

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


131

Lecomte, C, & Castonguay, LG. (Éds) (1987). Rapprochement et intégration en psychothérapie :


Psychanalyse, humanisme, behaviorisme. Montréal : Gaëtan Morin.

Lemaire, J.G. (1971). Les thérapies du couple. Paris : Payot.

Lemaire, J.G. (1986). Le couple, sa vie, sa mort. Paris : Payot.

Lemaire, J.G. (1998). Les mots du couple. Paris : Payot.

Leu, A. (1995). L’entretien de conseil : un travail de relation. Questions d’orientation, 58, 4, 5-22.

Lhotellier, A. (1970). La psychologie du conseil. Bulletin de l’A.C.O.F., no spécial, fév.-mai.

Lhotellier, A. (1975-76). La radicalisation du conseil psychologique. Bulletin de Psychologie, tome


XXIX, 597-605.

Lhotellier, A. (1997). Bilan du conseil ‒ Vers la consultance du XXI e siècle. L’lndécis, 1997, 28.

Lhotellier, A. (200th). L’acte de tenir conseil. L’Orientation Scolaire et Professionnelle, 29, 1, 27-50.

Lhotellier, A. (à paraître), Tenir conseil ‒ Théorie et Méthodologie de la consultance. Manuscrit en cours


de publication.

Lichtenberg, J. (1989). Psychoanalysis and motivation. Hillsdale, N.J.: The Analytic Press.

Lofquist, L.H., & Dawis, R.V. (1984). Research on work adjustment and satisfaction: Implications
for career counseling. In S.D. Brown & R.W. Lent (Eds). Handbook of counseling psychology. New
York: Wiley.

Lofquist, L.H., & Dawis, R. V. (1991). Essentials of person-environment correspondence counseling.


Minneapolis: University of Minnesota Press.

Mintz, J., Mintz, L.L., Arruda, J.A., & Hwang, S.S. (1992). Treatments of depression and the
functional capacity to work. Archives of General Psychiatry, 49, 712-768.

Morin, E. (1982). Science et conscience. Paris: Fayard.

Niles, S.G., & Pate, R.N. (1989). Competency and training issues related to integration of career
counseling and mental health counseling. Journal of Career Development, 16, 63-72.

Oliver, L.W., & Spokane, A.R. (1988). Career intervention outcome: What contributes to client
gain. Journal of Counseling Psychology, 35, 447-463.

Osipow, S.H. (1979). Occupational mental health: Another role for counseling psychologists.
Counseling Psychologist, 8 (1), 65-70.

Osipow, S.H., & Fitzgerald, L.F. (1993). Unemployment and mental health: A neglected relations
hip. Applied and Preventive Psychology, 2, 59-63.

Osipow, S.H., Cohen, W., Jenkins, J., & Dostal, J. (1979). Clinical versus counseling psychology Is
there a difference? Professional Psychology, 10, 148-153.

Parsons, F. (1909). Choosing a vocation. Boston: Houghton Miflin.

Richman, DR. (1988). Cognitive psychotherapy through the career cycle. In W. Dryden & P.
Trower (Eds.). Developments in cognitive psychotherapy. London: Sage.

Rogers, C. (1942). Counseling and psychotherapy. Boston: Houghton Miflin.

Rounds, J.B., & Tracey, T.J. (1990). From trait-and-factor to person-environment fit counseling
Theory and process. In W.B. Walsh & S.H. Osipow (Eds.). Career counseling: Contemporary topics in
vocational psychology. Hillsdale, N.J. : Laurence Erlbaum Associates.

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


132

Roux, P. (1999). Le malaise dans l’École. L’orientation-symptôme. Questions d’orientation, 62, 1,


75-83.

Samuel-Lajeunesse, B., & Mirabel-Sarron, C., (Éds.) (1993). Thérapies cognitives. Pyschologie
française, 38, 3-4.

Spokane, AR. (1989). Are there psychological and mental health consequences of difficult career
decisions? A reaction to Herr. Journal of Career Development, 16, 19-24.

Sprengler, P.M., Blustein, D.L., & Strohmer, D.C. (1990). Diagnostic and treatment overshadowing
of vocational problems by personal problems. Journal of Counseling Psychology, 37, 372-381.

Staw, B.M., & Ross, J. (1985). Stability in the midst of change: A dispositional approach to job
attitudes. Journal of Applied Psychology, 70, 469-480.

Stolorow, R.D., & Atwood, G.E. (1992). Contexts of being: The intersubjective foundation of psychological
life. Hillsdale, N.J.: The Analytic Press.

Strong, S.R. (1968). Counseling: An interpersonal influence process. Journal of Counseling


Psychology, 15, 215-224.

Strong, S.R., Welsh, J.A., Corcoran, JL., & Hoyt, W.T. (1992). Social psychology and counseling
psychology: The history, products, and promise of an interface. Journal of Counseling Psychology, 39,
139-157.

Super, DE. (1955). Personality integration through vocational counseling. Journal of Counseling
Psychology, 2, 217-226.

Super, DE (1993). The two faces of counseling: Or is it three? Career Development Quartely, 42,
132-136.

Talbott, J.A. (1999). Le managed care en France : comment ce qui est survenu en Amérique peut
aussi balayer la France, si on n’analyse pas ce changement à temps pour y faire face. Évolution
Psychiatrique, 64, 495-510.

Tourette-Turgis, C. (1996). Le counseling. Paris : P.U.F.

Vondracek, F.W., Lerner, R.M., & Schulenberg, J.E. (1986). Career development: A life-span
developmental model. Hillsdale, N.J.: Lawrence Erlbaum Associates.

Whiteley, J.M. (1984). An historical perspective on the development of counseling psychology as a


profession. In S.D. Brown & R. W. Lent (Eds). Handbook of counseling psychology. New-York: Wiley.

Whiteley, J.M. (1999). The paradigms of counseling psychology. The Counseling Psychologist, 27, 1,
14-31.

Zarka, J. (1977). Conseil psychologique et psychologie du conseil : quelques propositions.


L’Orientation Scolaire et Professionnelle, 6, 1, 21-51.

Zarka, J. (1979-80). Psychologie vocationnelle et psychologie du conseil. Bulletin de Psychologie,


tome XXXIII, 889-894.

Zarka, J. (1988). Les stratégies de la confiance et les paradoxes du conseil. In J. Cosnier, N. Gelas, &
C Kerbrat-Orecchioni (Eds.), Échanges sur la conversation. Paris, Éditions du C.N.R.S.

Zarka, J. (1998). Conseil en orientation et identité originaire. L’Orientation Scolaire et Professionnelle,


1998, 27, 1, 123-146.

Zarka, J. (2000). Conseils et limites. Limites du conseil au-delà des limites. L’Orientation Scolaire et
Professionnelle, 29, 1, 141-168.

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


133

RÉSUMÉS
Une évolution sensible se fait jour dans les rapports qu’entretiennent counseling personnel,
counseling de carrière et psychothérapie. Cette évolution est particulièrement marquée dans le
contexte nord-américain. S’agissant des processus fondamentaux de changement qui sont à
l’œuvre dans ces différentes approches de la relation d’aide, elle met en évidence l’importance de
leurs facteurs communs. Elle conduit à proposer un cadre conceptuel intégrant les facteurs qui
leur sont spécifiques et ces facteurs communs. Ce qui émerge, en effet, c’est le caractère
éminemment personnel de toute problématique d’orientation, c’est l’indissociable inscription du
travail dans l’expérience subjective et intersubjective, c’est l’intrication profonde de deux
facettes fondamentales de la condition humaine, aimer et travailler. L’histoire de ces
rapprochements est rapportée aux conditions de naissance et de développement du counseling
de carrière, de la psychothérapie, et du counseling personnel qui ont conduit, si longtemps et
actuellement encore, à essayer de les distinguer radicalement, en vain. Elle est l’occasion
d’examiner en quoi le contexte d’un pays comme la France peut rendre difficile la perception de
tels changements, alors même qu’ils se produisent déjà.

As a response to the perceived fragmentation, a significant evolution has characterized the


relationships between personal counseling, career counseling and psychotherapy. This evolution
is most noticeable in North America. At the heart of this perspective is the major contribution of
common factors that appear across different approaches accounting for most of the gains that
result from psychological interventions. Based on a conceptual analyse of basic processes
operating in personal counseling, career counseling and psychotherapy, an integrative
conceptual framework is proposed. To the extent that practitioners are able to arrive at a
common set of principles. What will emerge will be robust and efficacious interventions in that
they have survived the distortions imposed by specific approaches. Love and work are described
as two indissoluble facets of the subjective and intersubjective processes of career counseling,
personal counselling and psychotherapy. Historical milestones of career counseling,
psychotherapy and personal counseling contains many paradoxes. One relating to definition of
specialities has been arbitrary and radical distinctions between career counseling, personal
counseling and psychotherapy. One consequence is the formalization of the helping process. A
fluid integrative perspective, might facilitate fruitlfull analysis of these professional practices in
France

INDEX
Mots-clés : Counseling de carrière, psychothérapie, counseling personnel, histoire du conseil,
processus de changement
Keywords : Career counseling, psychotherapy, personal counseling, historical perspectives,
change processes

AUTEURS
CONRAD LECOMTE
Ph.D., professeur de psychologie à l’Université de Montréal. Ses principaux thèmes de recherche
concernent l’étude des processus et des résultats en counseling et en psychothérapie, et en
particulier l’étude des facteurs qui leur sont communs. Il s’intéresse aux processus, aux

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


134

méthodes, et à l’évaluation de la formation et de la supervision en counseling et en


psychothérapie.

VINCENT GUILLON
Chercheur au service de recherche de I’ I.N.E.T.O.P. Ses thèmes de recherche portent sur
l’entretien de conseil en orientation, sur la recherche active d’information, et sur l’éducation à
l’orientation.

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


135

Conseils et Limites
Limites du conseil, au-delà des limites. L’appel sans espace, l’espace des
appels
Limits of career counseling

Josette Zarka

NOTE DE L’AUTEUR
Je remercie les conseillères et conseillers du centre d’application de I’I.N.E.T.O.P. qui
m’ont rapporté, il y a quelques années, de façon anonyme, les 50 cas d’entretiens de
conseil en orientation, sur lesquels portent les analyses présentées dans cet article.

1 Après des années de réflexions sur le conseil, j’ai un peu l’impression d’avoir déjà dit
tout ce que j’avais à dire et en même temps je suis convaincue que cette question du
conseil est inépuisable. Je trouve donc logique de m’interroger sur le conseil et sur ses
limites, d’autant que la vocation du conseil est de tracer des limites et de les dépasser.
Je ne quitte donc pas les paradoxes.
2 J’aborderai trois grandes questions dans cet article :
• La première partie sera consacrée au « conseil interminable », cas où le consultant utilise le
plus souvent le cadre du conseil à contre-courant.
• La deuxième partie a pour objet le « conseil bref », tel qu’il peut se dérouler dans le cadre de
la permanence d’accueil d’un centre d’information et d’orientation. Cette structure d’accueil
est à la fois matérielle (espace de la permanence d’accueil) et psychologique (elle permet
l’activation de mécanismes de dégagement chez le consultant).
• La troisième partie porte sur la « délimitation du conseil et la gestion de l’ambiguïté ». Bien
que le conseil ne traite pas très souvent de démarches ambiguës, j’ai choisi des cas de
démarches ambiguës, entreprises par l’intéressé(e) ou par une tierce personne, pour
marquer certaines différences entre conseil et psychothérapie (individuelle et familiale).
C’est en effet à travers la gestion de l’ambiguïté de certaines demandes que la problématique
de la délimitation de l’espace conseil apparaît avec le plus de relief.

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


136

3 Ce travail s’appuie sur l’analyse de 50 cas que je dois à l’obligeance de conseil1ères et de


conseillers du centre d’application de l’I.N.E.T.O.P., cas anonymés recueillis auprès
d’eux il y a plusieurs années. Quatre cas s’appliquent à la première partie (le conseil
interminable), douze à la seconde (le conseil bref) et, enfin, six cas sur trente-deux à la
problématique de l’ambiguïté dans le conseil courant. J’ai retenu les cas qui me
paraissaient particulièrement illustratifs de chaque rubrique.

Préalable à propos du motif, de la demande et de


l’appel
4 Je suis partie de l’idée que la finalité du conseil est de répondre à la demande qui lui est
adressée. L’une de ses fonctions (et non des moindres) est donc de la repérer et, si elle
n’est pas claire, de l’élucider. Cela suppose qu’un motif explicite ne soit pas toujours en
parfaite concordance avec une demande sous-jacente, et c’est dans ce rapport motif/
demande que se joue la délimitation de l’espace du conseil où l’intervention pourra se
réaliser. Quant à l’appel, il correspond à une attente vague ‒ infinie parce qu’indéfinie ‒
qui ne s’explicite pas verbalement.
5 D’emblée, il me paraît indispensable de revenir sur ces trois notions.

Le motif

6 Ce terme désigne couramment la ou les raisons pour laquelle ou pour lesquelles on


vient consulter. Le motif peut-être très précis et bien localisé (s’informer, trouver une
école) ou plus large (incertitude quant à son orientation, difficulté ou échec scolaire). Il
se présente comme la cause de la démarche. Cependant, une démarche est rarement
univoque, elle obéit le plus souvent à plusieurs motifs. Les uns explicites, et d’autres
moins visibles. Un motif peut être dominant et ou en cacher un ou des autres.

La demande

7 Elle renvoie aux modalités de la démarche. Ce serait le « comment du pourquoi ». Le


« comment » on vient à la consultation correspond à des attentes plus ou moins
précises, plus ou moins intenses, à des motivations plus ou moins fortes, plus ou moins
ambiguës, plus ou moins conscientes. Attentes et motivations qui dénotent l’état
d’esprit du sujet, définissent la manière d’investir la démarche.
8 La demande s’institue autour du ou des motifs dont elle représente l’enveloppe. Elle
gouverne l’implication du sujet dans son problème et sa participation, sa coopération
pour le résoudre. Quand la consultation est instituée par un tiers, il existe souvent un
écart entre motif et demande. Par exemple, un sujet envoyé par son établissement
scolaire aurait parfois tendance à venir à reculons (notamment quand une tierce
personne investit la situation de manière ambiguë). L’évaluation de la distance entre
motifs et demande et la réduction éventuelle de cette distance font partie intégrante du
conseil.

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


137

L’appel

9 Ce « construit » (« construct » au sens de Lewin), élaboré à partir d’observations,


d’interactions continues, correspond à un degré de plus dans l’ordre des besoins et un
degré de moins dans la possibilité de les formaliser, de les verbaliser. Bien davantage
qu’une demande élaborée, un appel indifférencié sollicite directement l’implication et
l’investissement de l’interlocuteur en même temps qu’un élan irraisonné et l’illusion de
pouvoir y répondre.
10 Je définirai ici l’appel comme une modalité d’expression non verbalisée et non
verbalisable qui se profère faute de pouvoir structurer, cerner sa propre démarche.
Alors que l’on peut considérer la demande comme l’enveloppe du motif en aucun cas
l’appel ne saurait figurer comme une enveloppe de l’enveloppe. Par définition, il n’a pas
de contour et résonne ici dans un espace totalement ouvert sinon béant.

Première partie - « Situations limites » et conseil


interminable
11 Dans la pratique, l’acte du conseil peut être entendu comme une tentative de ponctuation.
Toute décision représente un passage à quelque chose d’autre. Tout choix suivi d’une
décision effective implique un Avant et un Après.
12 La notion de limite comporte donc une dimension temporelle et une dimension
spatiale. Etant donnée la complexité du conseil, il me semble opportun de revenir sur
ces deux dimensions et surtout sur celle d’espace (au propre et au figuré) pour dégager
sa singularité et ses rapports à d’autres approches (l’orientation et les psychothérapies
notamment). Je suis partie de l’idée que la finalité du conseil est de répondre à la
demande qui lui est adressée.
13 L’une de ses fonctions (et non des moindres) est donc de la repérer et, si elle n’est pas
claire, de l’élucider. Cela suppose qu’un motif explicite ne soit pas toujours en parfaite
concordance avec une demande sous-jacente, et c’est dans ce rapport motif/demande que
se joue la délimitation de l’espace du conseil où l’intervention pourra se réaliser.
14 La prise en compte du temps n’est pas du tout négligeable. Un « suivi » par exemple
requiert plusieurs entretiens (dont le nombre et la durée varient), alors que, dans la
plupart des cas, un seul entretien suffit, et parfois deux.
15 Dans le cas d’un suivi, des distinctions s’imposent avec la psychothérapie et, dans le cas
de l’entretien unique, avec l’orientation prescriptive dans son sens le plus strict. La
durée est fonction de la nature de la demande.
16 Avec des demandes incernables on se trouve devant les limites du conseil : À l’opposé,
la consistance et la force de certaines demandes font reculer ces limites.

1. L’appel sans espace

17 Ce genre de situations se rencontre là où les sujets utilisent le cadre du conseil


(institution, notion et personne du conseiller) à contre-courant. Le motif invoqué est
tout à fait pertinent et « colle » à la finalité de l’institution, mais il recouvre à cet égard
une demande totalement inadéquate. J’ai retenu deux exemples (sur 4). Ils se

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


138

caractérisent par des motifs solides et très crédibles, par l’extrême gravité de la
situation et, enfin, par un refus quasi automatique de toute solution.

1.1 Le Motif

18 Il est analogue dans les deux exemples :


19 a) Victor (17 ans en seconde) est envoyé par l’établissement pour difficultés scolaires
(absentéisme, résultats déplorables, etc.). Il vient très volontiers et semble coopérer.
Toutefois, au bout de quelques semaines, le motif change. Il est renvoyé. Il faut donc lui
trouver une nouvelle école. Il continue à venir de très bonne grâce, mais ne fait
absolument rien de ce que le conseiller lui suggère.
20 b) Philomène consulte pour les mêmes raisons. Elle ne souhaite pas rester dans sa S.E.S.
De toute façon personne n’en veut plus, elle sème le désordre et ne fait strictement
rien. Il faut chercher une formation qui lui convienne. Ses parents adoptifs
l’accompagnent presque toujours.

1.2. Gravité de la situation

21 a) La conseillère apprend par la mère de Victor que celui-ci se drogue. Etant données
ses fréquentations plutôt douteuses, elle le soupçonne de « trafic ». De toute façon elle
s’alarme à l’idée qu’il devienne un « dealer ». Les rapports mère/fils sont exécrables. À
bout de nerfs, elle déclare par téléphone qu’elle souhaite qu’il finisse dans le « trou », ce
terme signifiant dans son esprit à la fois la prison et une issue fatale. La famille a
consulté un psychiatre et celuici recommande qu’il n’abandonne pas ses études. Il
téléphone à la conseillère pour qu’elle lui indique une école.
22 b) Les parents adoptifs de Philomène (15 ans 1/2) ont également consulté un psychiatre
qui insiste lui aussi pour qu’on l’oriente vers une formation adéquate. L’histoire de
Philomène est très compliquée. Ses parents biologiques sont des délinquants. Elle a été
ballottée de mains en mains et la conseillère la croit psychotique ou au mieux
fortement caractérielle. Ses parents adoptifs (assez âgés) sont malades. La mère a des
lésions à la face et aux cordes vocales et le père est infirme. Ils prétendent qu’ils ne
peuvent plus la garder. Apparemment, ils ont très peur d’elle (elle est parfois assez
violente) et ils ont aussi très peur pour elle. Ils craignent qu’il lui arrive un accident
(elle a failli se faire renverser par une voiture). Ils ont surtout peur qu’elle se prostitue.
De toute façon, les entretiens sont souvent incohérents et toujours très houleux. Ils
s’agressent en permanence et la conseillère pense qu’ils pourraient facilement en venir
aux mains.
23 Dans les deux cas l’école n’est pas, bien sûr, un remède mais peut présenter une
ouverture.

1.3. Pressions sur le conseiller

24 Elles sont multiples et variées ; directes et indirectes, délibérées et involontaires. Elles


arrivent de toutes parts.
25 L’établissement, le psychiatre, l’éducateur1. La gravité de la situation est en elle-même
une pression. Les conseillers savent bien que si l’on n’arrête pas la chute, on court au
désastre. Les parents inquiets téléphonent à la moindre occasion. Les sujets viennent
sans prévenir. Mais la pression sans doute la plus forte est l’apparente confiance

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


139

inconditionnelle qu’ils accordent aux conseillers. Ils se disent absolument sûrs qu’elle
pourra dénouer la situation et suscitent ainsi la croyance chez leurs interlocuteurs,
qu’ils pourront le faire.
26 D’un autre côté, les sujets exercent une sorte de fascination. Victor visiblement très
doué est charmant et séducteur. Philomène et ses parents intriguent la conseillère par
leur histoire tellement compliquée. Elle estime qu’il est touchant d’avoir adopté à leur
âge une enfant qui initialement devait l’être par leur propre fille. Ils apparaissent à la
fois mystérieux et repoussants. Ils sont physiquement très délabrés, ils semblent
toujours cacher quelque chose et leurs propos sont parfois très confus. Ils véhiculent
une espèce d’étrangeté qui attire et éloigne à la fois. Les conseillers sont ainsi pris dans
une forme d’interactions oppressantes qui entraînent « un engrenage dans l’écoute ». Ils
ont le sentiment d’être captés dans une relation malsaine avec des entretiens qui n’en
finissent plus. Aussi vont-ils dépenser une énergie considérable pour leur apporter une
réponse satisfaisante.

1.4. L’inanité des solutions et la prévention du pire

27 D’emblée toute proposition est apparemment bien acceptée. Cependant, le sujet et/ou
sa famille s’arrangent toujours pour faire machine arrière avec des arguments plus ou
moins spécieux tendant à montrer que la solution n’est pas valable ; ou bien qu’ils en
ont découvert une autre. Cette fin de non-recevoir n’épuise pas leurs attentes, non
seulement ils réitèrent inlassablement leur confiance au conseiller, mais ils le coincent
en ajoutant qu’il est le seul capable de les sauver du pire. Ainsi le confinent-ils dans une
impasse. Le conseiller sait qu’il ne pourra pas arrêter la chute et en même temps il ne
peut pas ne pas le tenter.

1.5. Demande paradoxale et relations parasitaires

28 On pourrait s’interroger à l’infini sur les raisons pour lesquelles ces sujets et leur
famille reviennent ainsi à la charge. Malgré leur détresse, ils ne sont en mesure ni de
recevoir ni d’accepter une quelconque solution. On peut soupçonner une démarche
paradoxale dont la structure est « aidez-moi/ne m’aidez pas ». Une telle demande qui
s’annule elle-même, va bien au-delà de la problématique dépendance/contre-
dépendance, fréquente à l’adolescence. On aurait affaire au registre bien plus archaïque
d’une dépendance vitale.
29 Des requêtes de ce type laissent supposer des rapports parasitaires dans la double
acception du mot. Il se produit « un brouillage » dans la communication (cf. la famille de
Philomène dont les propos sont souvent incohérents et inaudibles). D’un autre côté le
parasite se définit « comme un être (animal ou plante) qui survit aux dépens d’un autre
dont il se nourrit Chez les humains l’image qui vient à l’esprit est celle d’un nourrisson
affamé : il crie, il pleure. Il ne demande pas, il émet un appel.
30 On peut considérer la démarche de Victor, analogue à celle de beaucoup de drogués,
comme un appel sans demande cernable où le jeune homme se repaît de son propre
écho.

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


140

1.6. L’appel

31 Je l’ai défini plus haut comme une modalité d’expression non verbalisée et non
verbalisable qui se profère faute de pouvoir structurer, cerner sa propre démarche.
32 Il s’émet de manière indifférenciée comme un fond sonore ; dans le meilleur des cas,
comme une musique de fond et, dans les pires, comme une cacophonie (cf. la famille de
Philomène). Il correspond à une force non canalisée, non canalisable pour le moment.
Dans tous les cas où il y a motif sans demande, l’appel s’apparenterait au cri de secours
de quelqu’un qui se noie et qui, malgré lui, enfonce celui qui tente de le sauver.
Cependant, il ne se profère pas de la même manière selon les situations. Quand il
s’intègre à une demande élucidable, il peut en constituer la force 2.
33 En bref, sans prétendre généraliser sur le conseil et sur l’illusion paradoxale, à partir de
ces cas, on peut retenir deux points : une circulation d’interactions mortifères et un défi
à la loi. Les sujets jouent avec la transgression.
34 L’un risque de graves ennuis avec la justice (dealer), les autres ont flirté et flirtent
encore avec la délinquance. L’une des caractéristiques de la transgression est de
détruire toutes les barrières, ou, à un moindre degré, d’abolir les limites.
35 Quand les limites n’existent pas chez l’un, il y aurait une tendance à envahir le
territoire de l’autre. Ainsi parasité celui-ci éprouvera des sentiments d’irréalité. Une
conseillère épuisée par ces entrevues où les sujets s’étaient montrés insatiables, raconte
une anecdote qu’elle trouve significative à cet égard. Elle se souvient de sa stupéfaction
à la vue de la paire de chaussures d’une unijambiste (l’humour ne perd pas ses droits)
qu’elle rencontrait chaque jour sur son chemin et qui la remplissait de malaise et de
compassion. Elle fit immédiatement le rapprochement avec les parents de Philomène.
Cette analogie qui lui permettait de saisir la duplicité involontaire et sans doute
inconsciente de ces gens, la libéra de cette espèce d’irréalité dans laquelle ils la
plongeaient. Ainsi parvint-elle à mettre un point final au conseil interminable.
36 De tels cas sont fort heureusement exceptionnels. Je les ai cités à titre d’amplificateurs
de phénomènes qui peuvent se produire chez certains sujets qui s’acharnent sur leurs
motifs pour consulter aux mauvais endroits.
37 Les limites du conseil se rencontrent là où il y a de bons motifs mais sans demande et avec
un appel strident car indifférencié. Le conseil se dilue dans un espace sans limite.

Deuxième partie - Au-delà des limites : le conseil bref


2. L’espace des appels

38 Cette deuxième partie porte sur des entretiens réalisés au service de l’Accueil du centre
d’information et d’orientation où les conseillers interviennent à tour de rôles.
39 J’ai retenu 12 exemples, décrits par 4 conseillers qui les trouvaient typiques de cette
situation inhabituelle. Elle leur offrait une occasion de prendre une distance par
rapport à leur pratique courante. En raison du cadre dans lequel la consultation se
déroule, elle met pourtant en relief certains processus que l’on rencontre dans le
conseil au quotidien.
40 Le cadre « physique » crée un cadre psychologique favorisant certains phénomènes de
dégagement en œuvre, quelle que soit la méthode utilisée.

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


141

2.1. Cadre matériel et cadre psychologique

2.1.1. Cadre matériel

41 L’accueil occupe un espace constitué d’une pièce où l’on reçoit les sujets et de plusieurs
autres pièces minuscules consacrées à la passation éventuelle de divers questionnaires
ou tests papier-crayon. Une salle de documentation se trouve à proximité. L’ensemble
est précédé d’un vestibule où les personnes attendent d’être reçues3.
42 La finalité de ce service est inscrite dans sa topologie. Les lieux en tant que tels ont une
fonction de rappel constant à une double réalité. L’exigence interne, qui pousse chacun à
trouver une solution à son problème, est indissociable de la considération des
contraintes de la réalité externe.
43 Ici, les gens viennent d’eux-mêmes et sans rendez-vous. On peut considérer les
exemples présentés comme des « cas uniques » dans le sens plein du terme. En un seul
entretien (unique en son genre) la singularité du sujet et la spécificité de son problème
sont révélées et respectées en un temps record et en vertu de ce temps record.
44 Il m’est apparu utile de distinguer les entretiens réalisés à l’Accueil et ceux qui ont lieu
une seule fois ailleurs, dans les conditions habituelles de la consultation. A l’accueil, on
sait d’emblée que l’entretien sera unique. On ne le sait pas forcément dans le conseil
courant. Le peu de temps imparti oblige les interlocuteurs à aller droit à l’essentiel et
pousse le sujet à clarifier rapidement sa demande.
45 Les deux dimensions du cadre matériel (espace et temps) vont faciliter, et précipiter les
mécanismes de dégagement à l’œuvre dans le « conseil informateur ». L’Accueil
représente le lieu par excellence du conseil informateur où le souci d’obtenir des
informations s’assortit d’une demande de conseil et où le conseil s’accompagne bien
entendu d’apports d’informations pertinentes. Les deux termes « conseil et
information » renvoient nécessairement l’un à l’autre et pourtant la consultation à
l’Accueil va bien au-delà des limites assignées au conseil informateur, et met en relief
d’autres stratégies (conseil recadrant et conseil de confrontation) articulant conseils et
informations, susceptibles, elles aussi, de mobiliser rapidement des procédures de
dégagement.

2.2. Cadre psychologique et processus de dégagement

2.2.1. Le dégagement : définition et commentaires

46 D. Lagache (1962) oppose les mécanismes de dégagement aux mécanismes de défense.


« Alors que les mécanismes de défense n’ont pour fin que la réduction urgente des
tensions internes conformément au principe de "déplaisir-plaisir" les mécanismes de
dégagement tendent à la réalisation des possibilités fût-ce au prix d’une augmentation de
tension. Cette opposition tient à ce que les mécanismes de défense sont automatiques et
inconscients. Ils restent sous l’emprise des processus primaires, alors que les
mécanismes de dégagement obéissent au principe de "l’identité de pensée (processus
secondaire)" » (voc. Laplanche). « Les opérations défensives s’efforcent de réduire les
tensions selon le principe de déplaisir tandis que les opérations de dégagement du moi
ont une structure logique, font appel à l’intelligence et accroissent la liberté du sujet en
favorisant la mobilité de sa conscience, en le rendant capable de changer de système de
référence » (Doron & Parot, 1991, p. 179)4.

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


142

47 Les conseillers considèrent qu’une crise, des sentiments d’urgence, un état de stress de
certains sujets à la consultation de l’Accueil peuvent parfois favoriser l’émergence de
solutions positives, sous réserve de canaliser autrement l’énergie déployée afin de la
rendre productive.
48 Comment donc gérer les tensions inhérentes à la démarche ? Le modèle de l’équilibre
quasi stationnaire cher à Lewin peut nous éclairer à cet égard. Un équilibre « quasi
stationnaire » existe quand il y a opposition entre deux pôles de force égale mais de
direction contraire. Dans le langage psychanalytique, on pourrait traduire cet état en
termes de conflits ou ambivalence entre le désir de résoudre un problème par exemple,
ou de prendre une décision et la crainte de ne pas y arriver.
49 A un moment ou à un autre, l’équilibre doit basculer. Si l’on augmente les forces
positives, le sujet risque de se précipiter dans une « fuite en avant » où les processus
primaires peuvent l’emporter. En diminuant les forces négatives, on laisse le champ
libre aux processus secondaires, c’est-à-dire à la mentalisation, la réflexion et la
maturation.
50 A l’Accueil, avec des sujets parfois survoltés, il serait totalement inapproprié
d’augmenter les forces positives (creuser ses motivations par exemple) avant d’avoir
soumis les forces négatives. A cet égard, on ne procède pas de manière artificielle en
essayant de le rassurer, mais en le mettant tout de suite en face de la réalité en incitant à
travailler activement sur son problème en l’installant au propre et au figuré dans la
recherche de solutions concrètes et actualisables.

2.2.2. Les marges de manœuvre dans le dégagement

51 L’analyse des entretiens relatés a mis en évidence plusieurs facteurs interférant dans la
dynamique du dégagement. On peut les regrouper en 4 verbes : placer, calmer,
analyser, activer. Il ne s’agit pas d’une chronologie en 4 temps. Ces différents
mouvements sont indissociables et peuvent se produire simultanément. Par exemple,
en analysant on se calme et l’analyse est une forme d’activation. Cependant, on peut
considérer les deux premiers termes (placer/calmer) comme un préalable aux suivants
(analyser/activer) qui constituent le dégagement proprement dit.
52 ‒ Placer
53 La manière de « placer » concrètement un sujet s’inscrit déjà dans une interaction
signifiante.
54 Par exemple, en restant soi-même debout quand il l’est ou en le priant de s’asseoir et en
attendant qu’il s’exprime, puis en l’installant dans une salle à côté (épreuves écrites ou
documentation), on lui témoigne qu’en dépit du manque de temps, on va lui accorder
l’attention nécessaire à sa requête.
55 En le plaçant spatialement on lui notifie métaphoriquement que l’on tente de le
« positionner » à la fois dans la relation et, par rapport à son problème dont on cherche
« l’assise ».
56 En dehors de tout souci de politesse, la moindre marque de considération l’invite à se
placer en tant que sujet, c’est-à-dire ici comme une personne en mesure de progresser
dans la maîtrise de son problème.
57 ‒ Calmer

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


143

58 Déjà en l’installant concrètement et métaphoriquement on tend à assouplir ses


résistances, à diminuer leur force et, ainsi, on aide un sujet agité à s’apaiser. Cette idée
de calmer peut paraître contradictoire avec une utilisation positive du « stress ». On ne
réduit pas l’émotion avec des bonnes paroles, (à moins de croire qu’elles puissent agir
comme des tranquillisants en étouffant son expression). La gestion de l’émotion ne se
limite pas à en accuser réception ou au contraire à sembler l’ignorer. Elle requiert une
sollicitation des processus secondaires, c’est-à-dire de détourner sa force au profit de la
réflexion.
59 Les sujets parviennent à « décompresser » quand ils avancent dans l’analyse de leur
problème. On se calme parce qu’on y voit plus clair et on y voit plus clair parce que l’on
se calme.
60 La présence attentive du conseiller est nécessaire mais pas suffisante pour tranquilliser
le sujet. Encore faut-il qu’il progresse dans sa recherche de solutions. Finalement en
installant le sujet dans cette recherche, on réveille son désir d’avancer.
61 ‒ Analyser
62 On peut évidemment considérer une pluralité de modes d’analyses. Je retiens les deux
principaux : l’analyse par approfondissement et l’analyse par extension.
63 ‒ Activer
64 L’activation se produit à un double niveau : celle de la réflexion et celui de la recherche
d’informations.
65 Je reviendrai sur les modes d’analyse et d’activation qui représentent, à mon avis, les
modalités par excellence du dégagement.

2.2. Dégagement et types de conseil

66 Une fois que les sujets sont parvenus à se ressaisir, le désir d’avancer émerge (il va
progresser à mesure que la réflexion suit son cours). Les stratégies diffèrent selon les
cas et la nature de la démarche. On peut distinguer les procédures plutôt classiques
proches du conseil informateur, des procédures moins courantes du conseil confrontatif
où il est nécessaire de recadrer le problème à travers une confrontation du sujet avec
lui-même.
67 De toute façon, le mouvement dialectique entre analyse et information apparaît de
manière encore plus évidente à l’Accueil, quelle que soit la formule retenue, étant
entendu que l’écoute, la disponibilité et l’accrochage au réel appartiennent à toutes les
formes de conseil.
68 L’accrochage du sujet à la réalité, composante majeure du conseil se produit d’ailleurs
en fonction de la qualité de l’écoute accordée. L’exemple le plus probant à cet égard est
celui d’une mère paniquée à l’idée que son fils, actuellement en 1 ère S, puisse
abandonner ses études. Elle demande à être reçue sur le champ. La conseillère voyant
son angoisse lui montre l’affluence en lui disant de revenir après l’horaire. L’entrevue
fut brève mais suffisante pour convaincre la mère qu’il n’y avait aucune urgence. La
bienveillance et la disponibilité de la conseillère créent un apaisement, qui, semble-t-il
a pu résonner sur ses relations avec son fils que la conseillère reçoit ultérieurement
dans sa consultation habituelle.

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


144

69 À l’Accueil, les personnes sont encore plus sensibles à l’attention particulière que leur
accordent les conseillers malgré la foule. Les problèmes reprennent leurs justes
proportions dans cette ambiance « dédramatisante ».

2.2.1. Le conseil informateur

70 Le conseil informateur procède, c’est bien connu, par la mise en rapport des
dispositions des sujets avec les données de la réalité extérieure. Les motivations des
sujets les poussent à s’informer et, en retour, les informations peuvent s’avérer
motivantes. Ce double mouvement s’amplifie à l’Accueil dont l’originalité se traduit par
des aller et retour constants entre investigation de soi et recherches d’informations.
71 L’exemple d’Adélaïde est tout à fait illustratif à cet égard. Cette jeune personne
consulte juste après son échec au bac. Elle est en même temps effondrée et paniquée.
Ses parents insistent pour qu’elle redouble et elle ne le veut absolument pas. Son
trouble s’apaise dès que la conseillère réceptive à son désarroi, l’installe dans une pièce
voisine pour répondre à des questionnaires. Après quoi, compte tenu des résultats
révélant des intérêts marqués pour le commercial, Adélaïde va dans la salle de
documentation consulter des brochures indiquant diverses formations.
72 Parmi les institutions possibles, elle en retient une qui l’attire particulièrement. Elle
revient rayonnante. La conseillère pense que son effervescence initiale lui avait permis
de mobiliser toute son énergie pour parvenir à une solution adéquate. En une après-
midi dit-elle Adélaïde avait « mûri ». Stimulée par le regard positif de la conseillère qui
la recevait dans des marges de temps relativement étroites, Adélaïde s’était beaucoup
dépensée. Malgré leur brièveté, les séquences d’entretien s’étaient avérées
extrêmement fructueuses dans l’activation à la fois de l’analyse et de la recherche
d’informations.
73 La pression qui s’exerce à deux niveaux : (Adélaïde est pressée et « sous pression
contribue à épurer le problème, à écarter les parasites (par exemple, l’apparition des
sentiments d’échec) pour se centrer exclusivement sur ses possibles.
74 Ainsi Adélaïde parvient-elle non à un compromis mais à une solution qui lui convient
parfaitement. Elle revient plusieurs mois après pour dire à la conseillère combien elle
était satisfaite de son école, et pour la remercier.
75 Cet exemple relativement simple montre les étapes du conseil à l’Accueil. Le sujet
expose d’abord ses attentes ou l’objet de sa démarche, il répond ensuite à des épreuves
écrites (examen d’évaluation) après quoi il discute avec le conseiller qui lui
recommande de consulter certains documents pour finalement débattre de la(des)
solution(s) retenue(s).
76 Il se produit un phénomène d’auto-orientation progressive soutenue par la présence
vigilante du conseiller. Ici, il y a adéquation parfaite entre les deux termes : orientation
et conseil qui finissent par n’en faire qu’un seul. Le schéma est à peu près le même que
dans la consultation courante mais en accéléré. Comme au théâtre, l’accueil fonctionne
selon la règle des trois unités5 (temps, lieu, unicité du problème).

2.2.2. Le conseil recadrant

77 Cette formule s’apparente à la précédente sous certains aspects mais en diffère


notablement dans les modalités d’analyse de la demande que le conseiller ne prend pas

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


145

à la lettre, surtout quand elle apparaît dissonante. Il s’efforce alors de la considérer


comme une énigme à déchiffrer6. Gontran vient s’informer pour s’inscrire en D.E.U.G. de
géologie par correspondance. Le conseiller intrigué par cette idée du terrain « hors de
tout terrain » (par correspondance) ne lui indique pas de brochure avant d’avoir
« décortiqué » les différentes composantes de cette requête. Après avoir échoué à un
D.E.U.G. littéraire, Gontran avait trouvé une sorte de compromis. La géologie
représentait pour lui « le terrain » (sans jeu de mot). Il ne voulait pas aller à
l’université, mais faire des études courtes (ce qui ne correspondait pas à la géologie). Il
découvre enfin que Gontran appréciait les ambiances viriles. A partir de ces trois
composantes (terrain, études courtes, milieu masculin), il lui propose une formation de
« conducteur de travaux » (dans le bâtiment par exemple). Cette perspective séduit
beaucoup Gontran qui renonce à compulser la documentation relative aux D.E.U.G. par
correspondance.
78 Le conseiller ne « creuse » pas la motivation et ne s’appesantit pas sur l’orientation
antérieure. Il déplie les constituants de la demande actuelle pour, éventuellement en
retenir certains dans une autre direction. Il procède ainsi par extension plutôt que par
approfondissement.
79 L’exemple d’André est à peu près analogue. Il avait connu des déboires dans son
orientation antérieure vers des domaines artistiques. En dépliant comme précédemment
la demande, tous deux avaient retenu trois critères : pas d’université, études courtes et
formation professionnelle. Après avoir consulté un catalogue des B.T.S., André revient
au bout de deux heures, fort content. Il avait enfin trouvé quelque chose qui lui
convenait très bien. A la surprise du conseiller, il avait opté pour un B.T.S. de
« physique des matériaux » rarement choisi.
80 Le conseil recadrant s’inscrit dans une totale discontinuité avec l’orientation antérieure
qui représentait une sorte de « compromis fragile » entre différentes instances. Le
conseiller et le sujet reprennent les éléments les plus signifiants de ce compromis
antérieur pour parvenir à un choix mieux étayé. Le conseiller estime que ces sujets
avaient déjà dans une certaine mesure « mûri » leur problème mais en leur donnant
une réponse inadéquate (tous deux avaient subi de graves échecs sur lesquels il semble
inutile de revenir).
81 Impossible de panser des plaies à l’Accueil, ni de faire le deuil d’une orientation passée.
On en retient les seules composantes, permettant de redémarrer dans une voie
radicalement autre. L’élimination des parasites s’opère ainsi d’elle-même. Il faut encore
souligner, que certains attraits apparaissant dominants, dissimulent parfois des
intérêts plus discrets et pourtant bien ancrés.

2.2.3. Le conseil confrontatif

82 Le conseil est toujours confrontatif. Face à une décision ou à un choix on doit le plus
souvent envisager aussi des arguments contre. J’ai retenu cette formule qui, par
certains côtés s’apparente à la précédente, pour désigner des situations où le conseiller
refuse (parfois carrément) la requête du sujet.
83 Le cas de Roselyne est intermédiaire entre une approche recadrante et une approche
confrontative. Cette jeune personne déclare d’emblée « je veux voir un conseiller
d’orientation pas un psychologue En répondant à la lettre le conseiller met son
interlocutrice face à sa dénégation. Finalement après avoir été confrontée une situation

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


146

de stricte orientation, elle renonce d’elle-même à sa demande initiale (pour s’informer


de l’adresse d’un psychothérapeute). En semblant y accéder, le conseiller l’avait mise en
demeure de la réviser.
84 La confrontation tend à démystifier immédiatement une demande que l’on juge
inappropriée. Dans le cas de Gontran aussi, le refus qu’il se documente avant toute
discussion a un aspect confrontatif.
85 Le conseil confrontatif s’applique néanmoins à une démarche fondée sur une opposition
radicale à une orientation apparemment souhaitée par le sujet.
86 Conrad vient à l’accueil pour se renseigner sur les concours administratifs et veut
consulter la documentation les concernant. Avant de répondre sur ce point, le
conseiller s’enquiert de son parcours. Il apprend que Conrad avait obtenu sa maîtrise de
géographie avec la mention très bien, qu’il adorait la recherche et que l’un des
professeurs les plus cotés en la matière, avait accepté sa candidature pour un D.E.A. Le
conseiller va droit au but : « pourquoi reculez-vous au moment où vous allez atteindre
vos objectifs ? ». Conrad qui venait d’un B.E.P. avoue qu’il appréhendait un échec. Le
conseiller très catégorique ne le laisse pas tergiverser. « Non, vous n’irez pas à la
documentation ; vous êtes bien orienté ; vous allez poursuivre votre projet ». Sans
approfondir davantage, le conseiller casse la demande. Sa fermeté délivre peut-être
Conrad de ses doutes.
87 Ici encore la demande est apparue dissonante. La dissuasion est relativement aisée
quand on a perçu des dissonances. Il suffit de les dévoiler pour les éluder. À la
différence de la persuasion, la dissuasion ne nécessite pas de long discours.
88 Le cas de Benoîte est beaucoup plus délicat. Elle ne consulte pas à l’Accueil mais il s’agit
d’un seul entretien où l’on ne disposait pas de beaucoup de temps. Benoîte a abandonné
ses études en S pour des difficultés psychologiques. Elle a passé plusieurs mois en
hôpital de jour où elle a pu bénéficier d’un soutien en mathématiques et en physique à
la M.G.E.N. Elle vient, avant de passer un oral de puéricultrice auxiliaire. La conseillère
convaincue de la non pertinence de ce choix, craint que Benoîte « ne trouve pas ce
travail bien drôle ». Après lui avoir suggéré de ne pas évoquer à cet oral l’hôpital de
jour, elle n’y va pas par quatre chemins. Il faudrait savoir si cette profession est
dangereuse pour vous ou pour le bébé (j’avais, me dit-elle, l’impression que je pouvais
employer le mot « dangereux »). Elle poursuit : « Vous n’allez pas jeter les bébés dans la
Seine L’humour est contagieux et Benoîte réplique : « non par la fenêtre ». La confiance
réciproque est désormais acquise. L’humour ici tient lieu de dissuasion directe. Il
constitue un « raccourci » mettant le sujet devant ses responsabilités sans les voiler et
devant certaines réalités qu’il rend acceptables. La conseillère ajoute très finement
« vous n’êtes pas obligée de faire cela ».
89 Benoîte rétorque qu’on lui avait suggéré de s’inscrire à un B.E.P. de secrétariat mais que
cela ne la tente pas. Plutôt que d’argumenter longuement, la conseillère lui déclare
qu’elle voyait le problème sous un autre angle. « Vous pourriez utiliser ce temps
(formation de secrétariat) pour vous remettre d’aplomb et apprendre des techniques
qui vous permettraient de poursuivre des études. Quand on est arrivée en 1 ère S, on peut
espérer mieux que de devenir auxiliaire Elle conclut : « pas la peine de prendre le B.E.P.
bureau comme une condamnation ». Ce conseil n’a rien de réducteur. Il est proposé
dans une perspective provisoire (le temps de se remettre) et comme une ouverture vers
autre chose (poursuivre des études) ; il apparaît valorisant puisqu’il se réfère à ses

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


147

acquis et capacités. Ce cas m’est apparu exemplaire d’un langage de réalité par ses côtés
incisifs et de bon sens.
90 L’humour véhicule l’essentiel à propos de son choix présent. Après quoi on peut débattre
d’autres alternatives. Et le bon sens quant à son orientation possible apporte un nouvel
éclairage sur la réalité actuelle.

2.3. Brève rencontre, paradoxes et appel

2.3.1. Brève rencontre

91 Le conseil à l’Accueil s’inscrit dans une « brève rencontre ». Comparable à un « coup de


foudre », il abolit le temps, et permet aux sujets de se penser autrement qu’à l’habitude.
Je serais tentée de définir l’interaction à l’accueil comme un échange où l’un exprime
directement l’essentiel que l’autre reçoit immédiatement. On peut penser que la
conjonction exprimer/saisir n’est pas une affaire de temps mais de dispositions
mutuelles. L’essentiel est dit/perçu dès les premières minutes de l’entrevue. Le sujet
tourné vers la solution est au départ moins défensif, moins parasité. De son côté, le
conseiller intéressé par cette situation un peu en marge de son travail habituel est
obligé d’aller tout de suite au cœur du problème.
92 L’analyse d’une « brève rencontre » met en relief certaines composantes
interactionnelles facilitant des mécanismes de dégagement individuels. On pourrait
parler d’interactions de dégagement.

2.3.2. Interactions de dégagement et paradoxes

93 La consistance de part et d’autre, et la volonté commune d’avancer malgré les limites


du cadre matériel, créent un cadre psychologique propice à fonctionner vite et de façon
optima.
94 Les relations immédiatement privilégiées qui définissent ce cadre, ne s’instituent pas à
partir de la personnalité des interlocuteurs mais en vertu, je le répète, de leur
investissement du problème à traiter. L’urgence partagée d’aboutir à une solution
viable n’entraîne aucune précipitation, mais focalise chacun sur la manière d’y parvenir.
Cette focalisation sur le comment les oblige à se centrer sur ce qui va et non sur ce qui
ne va pas. On observe alors un phénomène de « durée paradoxale ». Chacun prend son
temps, alors qu’il en a très peu. La disponibilité du conseiller augmente la disponibilité
du sujet à son propre problème. L’un et l’autre disposent de leur temps plein.
L’accélération des processus pallie le manque de temps et le compense. Ainsi peut-on
s’attacher à la formulation du problème pour éventuellement lui en trouver une
nouvelle. L’activation se maintient dans l’ensemble du déroulement de l’interview.
95 Les moments d’analyse avec le conseiller, suivis de synthèses partielles orientant la
recherche d’informations complémentaires, elles-mêmes suivies d’autres séquences
d’analyse, incitent le sujet à porter sur lui-même et sur son problème un regard
différent. Il distingue mieux ce qui est possible de ce qui ne l’est pas. Le possible et le
réel se rejoignent. Le possible devient le réel et inversement.
96 Ainsi, l’activation de la fonction du réel7, grâce à cette brève rencontre, met le sujet en
prise directe avec ses possibles. Il parviendra alors, soit à trouver sa solution, soit à
mieux accepter/intégrer celle que le conseiller lui propose.

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


148

97 Cette formule où les sujets se dépensent beaucoup apparaît assez économique dans la
mesure où ils mûrissent très vite leur problème (cf. « Adélaïde en l’espace de 2 heures,
je l’ai vue grandir »).
98 La question de la maturation d’un problème en accéléré m’est apparue fondamentale
dans la vocation de l’Accueil parce que les deux termes maturation et accéléré sont
contradictoires. Le conseil à l’Accueil se différencie notablement des courants
prescriptifs qui tendaient à édicter des mesures à partir des seuls résultats aux tests.
Ici, malgré la courte durée de la consultation il y a une concertation qui donne leur
plein sens à ces résultats. Il ne s’agit absolument pas d’une orientation au sens strict
mais d’un vrai conseil en orientation.

2.3.3. Paradoxes et appel

99 La gestion des paradoxes et des bipolarités constitue un des facteurs puissants de


dégagement entre le conseiller et son interlocuteur. Par exemple, quand le conseiller
différencie et singularise chacun dans/malgré une foule de personnes, et quand aussi il
utilise un langage contrasté à la fois direct et délicat à travers lequel il montre qu’il ne
ménage pas son interlocuteur et en même temps qu’il le ménage, etc. La démarche en
état de crise ou d’urgence contient un « appel » ponctuel et localisé à une problématique
présente qu’il faut, coûte que coûte, éclaircir et résoudre. L’appel relève de la nécessité
de se décider vite et bien sans laisser ni les circonstances ni personne le faire à sa place.
100 À la différence des cas figurant dans la première partie, les sujets n’émettent pas ici de
demande paradoxale coincée et coinçante (« aidez-moi/ne m’aidez pas ») mais une
demande elle aussi à caractère paradoxal mais formalisable et ouverte : « aidez-moi et
laissez-moi libre » que l’on peut assimiler à une quête d’« aide-autonomie ». C’est une
demande bien finalisée : « influencez-moi pour que je sois mieux en mesure de me
décider ». La structure de la réponse conforme à celle de la demande nous renvoie au
paradoxe fondateur du conseil : « influencer/laisser libre ».
101 À l’opposé du conseil interminable s’évertuant à satisfaire un appel indifférencié dans
un espace sans limite, le conseil « bref » défie les limites assignées par son cadre et
s’institue dans une coexistence parfaite entre motif, demande et appel.
102 En définitive, l’espace du conseil à l’Accueil, où les paradoxes fourmillent, est un espace
paradoxal. Curieusement, il semblerait que cet espace ne reçoive pas (ou peu) de
demande paradoxale condamnée d’avance ou ambigüe, alors que l’espace habituel du
conseil en recevrait davantage. On aurait ainsi affaire à un ultime paradoxe. Dans le
conseil bref les limites créent des ouvertures et dans le conseil interminable l’absence
de limite enferme le sujet dans son problème.

Troisième partie - Délimitation de l’espace du conseil


et gestion de l’ambiguïté
103 La question de la délimitation de son espace s’intègre automatiquement dans la
pratique courante du conseil. J’ai retenu des exemples de démarches ambiguës car elles
mettent en relief des processus habituels et se prêtent mieux que les autres
consultations à une comparaison avec des thérapies individuelles ou de famille. Alors
que l’on peut considérer qu’il y a une absence de demande dans une démarche

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


149

paradoxale, des demandes existent bel et bien dans les démarches ambiguës ; leur
élucidation permet de poser des jalons pour la suite.
104 Le qualificatif « ambiguë » désigne une demande dont le sens est équivoque ou qui a un
double sens. Dans la pratique courante, l’ambiguïté appartient plutôt au sujet lui-même
qu’à une tierce personne ayant pris l’initiative de la consultation, mais cette occurrence
n’est pas rare. Je me suis donc appuyée sur une comparaison de deux cas assez proches
dans les deux situations.

3. L’ambiguïté du sujet

105 Dans les deux exemples retenus, les motifs sont les mêmes, les procédures aussi et les
réactions assez voisines mais l’issue est radicalement différente. Boulette (25 ans) avait
abandonné ses études de vétérinaire après plusieurs échecs. Elle souffrait alors, dit-elle,
d’un surmenage intellectuel qui avait entraîné une petite dépression. Elle s’accorde une
année de répit pour réfléchir et vient consulter durant cette période. La conseillère lui
fait passer diverses épreuves et lui suggère quelques pistes. Boulette s’emballe, court
partout puis renonce. « Quand elle avance d’un pas elle recule de deux » estime la
conseillère qui la décrit comme une personne brillante, hyperactive et ayant de
nombreux intérêts. Elle se comporterait ajoute-t-elle comme une « boulimique qui
engloutit ses provisions (informations et suggestions) pour ensuite les rejeter. Pour la
pousser à se décider, la conseillère lui déclare qu’elle pouvait réussir quoi qu’elle
entreprenne ». Depuis, Boulette n’est jamais revenue.
106 Irène, architecte âgée de 30 ans, consulte pour une reconversion éventuelle. Elle vivait
à l’étranger et son diplôme n’est pas reconnu en France, mais elle pourrait aisément
obtenir une équivalence. Irène n’est pas sûre de vouloir poursuivre dans cette voie qui,
pourtant, la passionne, mais qu’elle trouve trop éprouvante. Comme dans le cas
précédent, la conseillère (qui n’est pas la même) déclare qu’à chaque fois que « quelque
chose se construisait, Irène le défaisait automatiquement » jusqu’au jour où elle lui
prête ses propres intentions : « vous pensez que je dois voir un psychothérapeute ? ».
107 Analyse et commentaires
108 Dans ces deux cas, la demande ne correspond pas au motif explicite. L’orientation
antérieure de Boulette apparaît quand même assez suspecte. Boulette avait choisi des
études de vétérinaire et se tuait au travail, alors qu’elle n’aimait pas les animaux. Elle ne
parvient pas à faire le deuil d’une orientation qui pourtant ne lui convenait pas du tout.
Irène de son côté aime beaucoup son travail et veut en changer. On peut vraiment
s’interroger sur les raisons de demandes aussi dissonantes. La conseillère de Boulette
apprend incidemment qu’elle avait entrepris une psychothérapie à la suite de sa
dépression et qu’elle venait juste de l’interrompre. La conseillère d’Irène avait
l’impression que cette personne qui insistait après chaque entretien pour revenir,
préférait évoquer les conflits de son enfance plutôt que ses choix professionnels.
109 Visiblement, l’incertitude de ces deux personnes ne provenait pas de leur orientation
mais de problèmes d’un autre ordre et qui semblaient affecter leurs attitudes actuelles
par rapport à cette orientation. La conseillère de Boulette réalise après un certain
temps que Boulette n’avait aucun besoin d’orientation, quant à celle d’Irène elle gardait
le sentiment que celle-ci « l’avait utilisée comme un chemin détourné ». Dans ce second

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


150

cas, la démarche est associée à des attentes thérapeutiques et dans le premier à une
résistance par rapport à une thérapie en cours.
110 Les procédures mises en place : évaluation (à base d’épreuves de raisonnement
intellectuel) et entretiens (d’exploration et de restitution) d’une part, et les
prescriptions (démarches suggérées) d’autre part, ont des effets inverses. Boulette
piétine et son problème demeure inchangé, celui d’Irène avance puisque, en fin de
compte elle trouve une solution. Irène vient pour mûrir sa décision et Boulette pour ne
pas le faire. Dans un cas, l’écoute est nécessaire, pas dans l’autre. Dans les deux cas, le
motif est un prétexte pour consulter. L’une et l’autre avaient tendance à utiliser le
champ du conseil (procédure et label) comme un espace thérapeutique. Mais au bout de
quelques semaines Irène s’aperçoit qu’elle fait fausse route.
111 Dans un cas, les procédures servent à la délimitation de l’espace conseil, et dans l’autre
elles la desservent. Grâce aux diverses épreuves objectives, aux démarches qu’elle a
effectuées et dont elle réalise l’inutilité grâce aussi à l’attention bienveillante de la
conseillère, Irène parvient à se rendre compte que son incertitude ne relève pas de son
orientation mais vient d’ailleurs. Ici, le motif fait écran à la demande.
112 En revanche, Boulette se repaît des résultats obtenus aux tests, des démarches
effectuées, et de l’écoute qui lui est accordée pour renforcer son motif prétexte.
113 L’intervention dès lors cautionne une démarche dissonante où le motif est en
antagonisme avec des attentes implicites et un peu obscures.
114 La personne, une fois encore, se trompe de porte mais il n’y a pas ici paradoxalité car,
derrière le motif, se profile des motivations assez contradictoires et qui ne donnent lieu
à aucun appel. Dans l’ambiguïté, il n’existe pas d’appel sinon elle n’aurait pas de raison
d’être. En revanche, il y a toujours un écart entre motif et demande sous-jacente. Il
apparaît nécessaire de différencier les situations où le motif fait écran à une demande
latente et les situations où le motif est incompatible avec certaines attentes voilées. On
peut penser que dans un cas la situation est gérable mais pas dans l’autre.
115 Rapports entre conseil et psychothérapie
116 L’ambiguïté d’une demande associée à une psychothérapie se prête mieux que toute
autre, je le pense, pour rappeler comment la délimitation de l’espace du conseil se
produit. Une comparaison entre les deux champs montre des différences que l’on
pourrait dessiner comme des figures de démarcation ou des contours, alors que leurs
convergences se trouveraient dans un espace commun.

3.1. Contours et différences

117 Il ne me paraît pas inutile de rappeler certaines différences apparemment évidentes et


qui sont d’emblée notifiées par le cadre matériel. L’espace physique du conseil n’a rien à
voir avec celui d’une consultation dans le privé ou en institution clinique. Le conseil
s’exerce à partir d’informations pertinentes et le plus souvent à l’aide d’outils appropriés
(tests, questionnaires ou autres techniques) aux motifs de la consultation. Cette
instrumentalisation fait partie du cadre et s’intègre dans ce que l’on pourrait
considérer comme l’espace institutionnel du conseil. L’appellation « conseil en
orientation scolaire et professionnelle » où la spécificité du conseil est clairement
indiquée, impose la distinction entre les deux domaines. Et pourtant l’ambiguïté de

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


151

certaines demandes consiste souvent à utiliser cet espace autrement que pour son
orientation.

3.2. Les limites dans l’espace commun

118 Il paraît ambitieux et périlleux d’essayer de dégager des différences là où les processus
sont très proches. Il s’agit évidemment de nuances parfois subtiles qui, pourtant, sont
essentielles dans la conduite des entretiens de conseil. Les entretiens de conseil se
démarquent des entretiens thérapeutiques par les modalités d’écoute et de
compréhension du problème, et par les relations instaurées entre le conseiller et le
consultant.
119 ‒ Les modalités d’écoute et de compréhension du problème
120 L’entretien de conseil est le lieu par excellence de l’élaboration, de la formulation et de
la structuration d’une demande. L’exploration/approfondissement des motifs permet
de les renforcer ou bien de rectifier le tir (s’il existe une ambiguïté). La qualité de
l’écoute est là irremplaçable et il serait aberrant de « fixer des normes » à cet égard.
Pourtant, une écoute à la fois inconditionnelle et orientée ou sélective apparaît
indispensable. La compréhension du problème requiert en effet une écoute hors
censure et en même temps « filtrée » pour saisir les éléments signifiants du problème.
Ce genre d’écoute éminemment active peut s’avérer, en elle-même, structurante pour
l’interlocuteur. C’est ce qui est arrivé dans le cas d’Irène où la conseillère n’a pas eu
besoin de reformuler sa compréhension. L’ambiguïté s’est levée d’elle-même.
Néanmoins, si la plupart du temps, l’écoute active se manifeste dans des propos qui
traduisent notre compréhension du problème et de la situation, l’ambiguïté ne se
dissipe pas toujours et seules les réactions des interlocuteurs peuvent révéler la
pertinence de ce style d’intervention.
121 Visiblement, Boulette supporte mal l’idée qu’elle peut réussir dans tout, donc qu’elle
n’a nul besoin d’être orientée. Cette affirmation pourtant très prudente et qui témoigne
d’une compréhension positive du problème fait office d’interprétation « sauvage » c’est-à-
dire de propos que l’interlocuteur n’a pas envie d’entendre. Il est fort probable que le
dénouement un peu en « queue de poisson » était inéluctable dans le cas de Boulette, à
partir duquel on peut soulever la question des différences entre compréhension et
interprétation. L’élucidation qui dévoile un aspect d’un problème qu’on ne veut pas
voir, ne s’apparente-t-elle pas à une interprétation ?
122 À la différence du cas de Boulette, celui (très proche) d’Anasthasie montre les effets
dynamisants d’une compréhension/interprétation. Cette personne consulte pour savoir
si elle est bien orientée. Après des études d’Histoire, elle voudrait faire de
l’anthropologie mais elle redoute un échec. En commentant ses résultats aux tests la
conseillère répond qu’elle a tout pour réussir mais qu’elle ne « s’en accorde pas le droit ».
Ces propos déclenchent un sursaut : « comment l’avez-vous deviné ? ». Elle ajoute
qu’elle suivait une psychothérapie et que, depuis un certain temps déjà, elle s’enlisait
dans ce problème qui n’entrait pas dans les cordes de son psychothérapeute. Elle
consulte au centre pour avoir un avis autorisé. On peut penser que l’interprétation ici
porte ses fruits dans la mesure où le motif est tout à fait concordant avec la demande
dont elle avait masqué un des aspects. Il n’empêche qu’à la différence de Boulette, qui
cherche à confondre les deux espaces, Anasthasie les démarque bien. Dans les cas où la
« compréhension/interprétation » renvoie directement aux motifs de la consultation,

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


152

elle fait partie intégrante de l’élucidation de la demande et apparaît donc


incontournable.
123 Cependant, si l’ « interprétation » s’assortit d’explications éloignées du motif (pas le
droit de réussir, par exemple, « parce que vos parents vous l’interdisaient »), on entre
dans une toute autre procédure. Presque toutes les difficultés scolaires et d’orientation
s’inscrivent dans des problèmes (ou conflits) d’ordre personnel ou/et familial. Est-il
besoin de s’y référer directement, pour les traiter ? Dans l’élucidation d’une demande,
il s’agit moins de discriminer entre les modalités de compréhension et d’interprétation
(encore que cela constitue un véritable débat pour la conduite de l’entretien) que de
considérer l’objet ou la sphère de l’interprétation.
124 On ne saurait s’interdire aucune interprétation mais doit-on forcément les
communiquer ? Cette importante question des interprétations est la pierre de touche
dans la distinction entre conseil et psychothérapie. On ne peut pas la régler une fois
pour toutes. Elle relève du « cas par cas » et presque du bon sens. Des interprétations
sur la vie privée ou sur des aspects personnels et intimes relèvent de l’intrusion. En
revanche, d’autres formes « d’interprétations » dans un entretien de restitution
peuvent compléter, ou éclairer certains des résultats énoncés.
125 Cette question se pose avec une grande acuité dans la gestion des demandes ambiguës
associées à une thérapie. L’interprétation « profonde » risque soit de renforcer les
défenses du sujet, soit de susciter des attentes thérapeutiques et créer l’illusion que l’on
pourra y répondre. Ce genre d’intervention instaure des « relations thérapeutiques »
qui font basculer le conseil dans une « pré-thérapie ». L’indication thérapeutique fait
pourtant partie du conseil en orientation (le mot étant pris au sens large). Cependant ce
genre d’indication n’est pas fréquente. L’initiative appartient en général à la personne,
comme dans le cas d’Irène. Les entretiens servent ce cheminement et ne tiennent pas
lieu de « pré-thérapie » c’est-à-dire d’amorce ou de début d’une thérapie ; sinon les deux
espaces seraient totalement confondus.
126 ‒ Les relations instaurées entre le conseiller et le consultant
127 Elles sont inséparables de la qualité de l’écoute et de la progression du problème. Il ne
suffit pas de les caractériser en termes de relation de confiance, encore faut-il revenir
sur la signification de cette expression. Dans une approche thérapeutique de style
« Rogérien la confiance mutuelle se développe à partir de la « considération
inconditionnelle » du praticien à l’endroit de son « client ». Il n’en va pas de même dans
le conseil en orientation où le regard du conseiller porte sur le problème que la personne
véhicule et qu’ils doivent résoudre ensemble.
128 La confiance étant rarement unilatérale, celle que le sujet accorde à son conseiller est
liée à la façon dont le conseiller lui fait confiance. Mais les relations de conseil sont
médiatisées, nous l’avons vu, et les compétences du conseiller, son habileté à connaître
certains aspects du fonctionnement de son interlocuteur appellent la confiance de
celui-ci. Des deux côtés, la confiance est conditionnelle. Elle serait fondée sur les « savoir-
faire » de l’un et de l’autre ; donc sur une meilleure approche de la singularité de
l’interlocuteur. Un certain regard sur cette singularité permet d’instaurer des relations
privilégiées.
129 La relation de confiance ne se limite donc pas à un bon contact interpersonnel, elle
requiert aussi une implication commune dans la recherche de solution (s) et se développe
à mesure que le problème avance. Il se crée un espace relationnel où le face à face est

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


153

protégé en même temps qu’il s’alimente des apports externes, ainsi le sujet pourra-t-il
mieux conquérir son propre territoire et, à l’occasion, le défendre. Cela ne pourra se
produire sans la garantie d’une discrétion absolue de la part du conseiller. Cette
discrétion ne se manifeste pas seulement au niveau de la confidentialité mais surtout
dans les modes d’exploration du problème qui respectent les limites de ce que le sujet
veut/peut exprimer. On retrouve la problématique des interprétations et des questions
intrusives. Quoi qu’il en soit, la discrétion fait partie des compétences du conseiller,
grâce auxquelles une espèce « d’alliance » peut se constituer. Ce genre d’alliance centrée
sur l’opération de conseil est bien différente d’une « alliance thérapeutique » qui s’étaye
sur une « relation continue » et assez durable. À cet égard il faudrait établir une double
distinction. D’une part, entre relations permanentes et régulières où la durée reste
indéterminée, et relations temporaires dont les limites sont à peu près fixées, et d’autre
part entre relations et interactions séquentielles (quelle que soit sa durée une relation
peut s’entendre comme une série ou un ensemble d’interactions). Une alliance
« thérapeutique » stipule que la relation, en elle-même, a un caractère thérapeutique.
Alors qu’une « alliance opératoire » dans le conseil s’ancre sur des interactions
ponctuelles et positives dont les emprunts à diverses méthodes thérapeutiques sont
assez fréquents. Une relation privilégiée dans le conseil est évidemment moins
impliquante et moins impliquée qu’en thérapie. Cette relation privilégiée est un moyen ou
une condition pour avancer et ne suffirait pas à elle seule à répondre à une demande
quelle qu’elle soit.
130 Autrement dit, dans la problématique conseil/psychothérapie, une distinction s’impose
au niveau des relations instituées mais pas au niveau des interactions ponctuelles. Un
entretien de conseil peut s’apparenter, séquence par séquence, à un entretien de
psychothérapie, mais ce voisinage n’est que de surface, compte tenu des objectifs et de
la nature des liens fondamentalement différents dans les deux situations. À propos des
démarches particulièrement ambiguës, les différences objectives, quantitatives et
contextuelles (durée, fréquence et régularité des entretiens) pèsent beaucoup sur les
relations et restent les meilleurs repères des limites de l’intervention.
131 En bref, l’espace commun à l’entretien de conseil et à l’entretien de psychothérapie
relève d’une considération du sujet comme une personne dont on doit saisir avec le
plus grand respect toutes les dimensions du problème qu’elle véhicule et cela nécessite
d’établir de solides rapports de confiance. Les différences majeures qui infiltrent cet
espace commun sont :
• le maniement des interprétations,
• l’absence de liens durables (malgré des interactions parfois fortes), et inutiles dans le
traitement du problème.
132 Je ne saurais clore ce chapitre sans affirmer que la « professionnalisation » du
conseiller est le meilleur rempart pour empêcher l’interlocuteur de dériver et pour le
maintenir dans le conseil.

4. L’ambiguïté dans la démarche d’un tiers

133 L’ambiguïté est encore plus difficilement repérable, quand la démarche appartient à un
tiers. Quoi de plus naturel pour des parents que de s’inquiéter des résultats scolaires de
leur (s) enfant(s) et de les inciter à consulter quand ils laissent à désirer ! On peut

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


154

néanmoins rencontrer, ici aussi, un écart entre les motifs explicites et des demandes
latentes.
134 J’ai retenu deux cas superposables. Le motif, quoique fort large, est très clair (difficultés
scolaires. La démarche s’effectue dans une espèce de crise. Son caractère aigu
(avertissement de l’établissement scolaire) masque l’ambiguïté d’une tierce personne.
Les deux garçons suivent un cheminement opposé. Dans le premier, le conseil aboutit
au blocage. Il est lent, laborieux et efficient dans le second.
135 Sostène
136 L’exemple de Sostène est tout à fait illustratif d’une démarche à laquelle on se soumet
sans réussir à la (re)prendre à son propre compte. L’établissement scolaire demande un
bilan pour le garçon qui, déjà, redouble, ne travaille pas, et dont les résultats sont
encore plus mauvais que l’année précédente (on ne sait pas quoi en faire et il est
fortement question d’un renvoi). Sa mère le pousse à aller consulter. Il ne vient pas à
contre cœur mais ne semble pas du tout concerné. Dans une attitude assez « je m’en
foutiste », il fait comme s’il ne s’agissait absolument pas de lui. Après une mise en route
très laborieuse, l’enfant devient plus coopérant, puis la situation s’enlise et
l’intervention connaît une interruption brusque et inattendue.
137 Ses résultats aux tests sont tout à fait corrects. Il reste d’abord complètement
insensible aux encouragements. Pour structurer l’entretien et tenter de l’intéresser à
son propre avenir, la conseillère lui fait passer un entretien avec support de cartes
métiers (entretien dit A.D.V.P.), à la suite de quoi il se réveille un peu. La conseillère,
bien consciente qu’il ne faut pas exiger trop de lui ni le secouer, lui propose un contrat
où il s’engage à travailler une demi-heure par jour durant un certain temps. Sostène
respecte ce contrat et commence à s’intéresser à ses études, ses professeurs
remarquent qu’il est plus présent, mais cela ne dure pas deux mois. Son « apathie »
reprend le dessus. Il continue à venir, acquiesce à toutes les suggestions mais ne les suit
pas et retrouve ses « airs indifférents ». Un beau jour, la mère de Sostène qui n’avait
cessé de critiquer le « maigre contrat » prévient qu’elle met fin au conseil. Pour l’obliger
à travailler, elle le boucle dans sa chambre pendant 4 heures d’affilée, supprime la télé
et les sorties. Sostène « trafique » ses notes, et ses absences sans excuse se multiplient.
Aux dernières nouvelles, le garçon semblait de plus en plus démotivé.
138 Sostène consulte de manière passive, en se pliant à la volonté de sa mère. La conseillère
a le sentiment qu’elle aurait pu secouer son apathie, faire émerger et gérer une
demande de sa part si la mère ne s’était pas interposée. Apparemment elle l’envoie
pour que ses résultats progressent et aussitôt que l’enfant se réveille, elle fait machine
arrière et serre davantage la vis. On peut supposer qu’elle attendait de la conseillère
qu’elle intervienne dans le sens qu’elle-même désirait. Elle lui confiait une sorte de
délégation de pouvoir. L’incertitude de Sostène semble directement liée à ses rapports
avec sa mère. Il faudrait, je le suppose, les modifier quelque peu pour qu’il puisse se re-
motiver mais cela entre-t-il dans le cadre du conseil ? Appartient-il au conseil de
modifier la cellule familiale ? La conseillère de Sostène ne parvient pas à neutraliser
l’influence de la mère alors que celle de Théo - Simon y parvient sans agir directement
sur les rapports mère/fils et en restant dans l’espace conseil.
139 Théo-Simon
140 Il consulte lui aussi à l’instigation de l’établissement scolaire pour mauvais résultats et
comportements inadaptés. Alors que Sostène apparaît passif voire inerte, Théo-Simon

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


155

est inattentif, agité et arrogant. Il met, disent ses professeurs, une ambiance
épouvantable dans la classe. Il vient, prétend-il, contre son gré et sous la pression de sa
mère qui ne le quitte pas dans le bureau de la conseillère. Tandis qu’il hurle, la
conseillère enjoint la mère d’attendre son fils dehors pour avoir un premier entretien
un peu tranquille. À la suite de quoi elle la convoque toute seule. Elle se décommande à
plusieurs reprises. La conseillère la met en demeure en lui disant qu’elle ne s’occupera
pas de l’enfant tant qu’elle ne sera pas venue. Je ne présenterai pas ce cas en détails
quoi qu’il soit (à mon avis) un modèle du genre. L’intervention s’effectue sur plusieurs
tableaux. Avec la mère, avec les professeurs et bien sûr avec l’enfant.
141 a) Avec la mère
142 La conseillère tient à garder ses distances. Elle la reçoit un peu froidement. Elle
l’informe d’abord de l’avis des professeurs, des résultats aux tests, puis s’enquiert de la
situation familiale. La mère, d’abord très défensive, répond à peine, puis d’un coup se
relâche et déverse tous ses déboires. La conseillère la recentre sur les difficultés
scolaires de son fils mais n’en écoute pas moins le reste.
143 Théo-Simon représente apparemment le lien le plus fort entre les parents qui ne
parlent entre eux que de lui. Le père dominateur et intransigeant rend la mère
responsable de toutes les difficultés de l’enfant. Cette mère apparaît assez confuse et
plutôt ambivalente. Elle a peur que sa démarche entérine l’échec de son fils et elle
espère en même temps prouver à son mari qu’elle s’en occupe bien. Mais, quels que
soient les résultats (meilleurs ou pires) la mère appréhende qu’ils creusent encore
davantage la faille dans ses rapports avec son mari. Visiblement, l’enjeu de la consultation
ne se trouve pas dans la scolarité de Théo-Simon ; il est ailleurs. La conseillère, suffisamment
avertie de la situation familiale, met fin à l’entretien en lui disant qu’elle l’informera de
la suite par courrier ou par téléphone.
144 b) Avec le jeune
145 Elle est tout aussi ferme qu’avec sa mère. Elle lui propose un suivi pédagogique pour
améliorer ses méthodes de travail. Devant ses réticences, elle n’insiste pas et lui tend sa
carte en disant qu’il pourra la prévenir quand il sera décidé. Théo-Simon fait
immédiatement machine arrière. La conseillère ne rentre d’ailleurs jamais dans son jeu
quand il prétend « faire son caïd » avec les autres. Elle le « tance » de sorte qu’à un
moment il « fond » et convient qu’il « est paniqué face à une copie blanche et que
malgré tous ses efforts il n’arrive pas à se concentrer ». Depuis cet « aveu » la partie est
gagnée. L’enfant l’écoute avec confiance. Les progrès ont beau être lents, ils n’en
existent pas moins et le garçon est enfin content de lui. Quand la conseillère lui suggère
une psychothérapie, il refuse catégoriquement. Il ne veut pas, pense-t-elle, endosser le
chapeau de problèmes qui ne sont pas les siens. Cette fois-ci, c’est lui qui trace des
limites.
146 c) Avec les professeurs
147 Elle prend contact avec certains d’entre eux pour les inciter à accorder à l’enfant une
attention particulière tout en convenant qu’en classe il doit être parfaitement
« imbuvable Elle les informe des résultats obtenus, et en même temps recueille des
renseignements précieux sur ses comportements. L’un d’entre eux, qui suspecte des
violences dans cette famille, lui suggère de voir l’assistante sociale. Le regard de la
conseillère sur l’enfant se transforme quand elle apprend qu’il est sévèrement battu.
Elle devient alors encore plus disponible.

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


156

148 Analyse et commentaires


149 Avec la mère, la conseillère procède par exclusion/inclusion de celle-ci dans le champ du
conseil. En la renvoyant de son bureau, elle délimite un espace physique où c’est elle qui
décide. Elle va ensuite l’impliquer directement. En la convoquant, elle la remet dans le
circuit. Elle lui assigne alors un nouveau rôle quelque peu ambigu : « ne pas se mêler des
résultats scolaires, ni de la consultation mais rester vigilante quant à l’accomplissement
du travail ». Cette prescription rétablit le « sens » de la démarche en la recentrant
exclusivement sur le motif indépendamment de tous conflits avec le mari. La
conseillère notifie ainsi qu’elle va tenter de résorber les difficultés scolaires en tant que
telles et sans s’attarder sur leurs causes. L’exclusion/inclusion à la fois physique et
métaphorique garantit à l’enfant la possibilité de développer avec lui des relations
privilégiées.
150 On peut figurer ce genre de relation comme une espèce de « bulle » étanche à l’intérieur
(le jeune peut s’exprimer en toute sécurité) et ouverte sur l’extérieur (apports
d’informations, de suggestions, démarche, etc.). Cet espace relationnel, préservé et
perméable, évoque « l’aire transitionnelle » que Winnicott (1976) décrit comme le
passage d’une réalité à une autre. Dans le cas qui nous occupe, cette enclave
permettrait d’accéder à la réalité scolaire.
151 La place de l’enfant entre son père et sa mère ne change pas mais leurs conflits pèsent
moins sur ses difficultés à l’école. Théo-Simon devient en effet plus disponible en
classe. Les petits progrès dont il se réjouit avec la conseillère l’incitent à vouloir en
faire davantage. La conseillère parvient ainsi à neutraliser l’influence de la famille sans
intervenir directement sur son fonctionnement.
152 Dans le cas de Sostène, la situation est complètement bloquée. Malgré ses réactions
initiales, l’enfant ne parvient pas à intérioriser le motif de la consultation ni à accéder à
sa propre demande. Pour qu’il y parvienne, il aurait fallu modifier ses rapports avec sa
mère et donc déplacer la cible du conseil. Avec une mère qui reste apparemment hors
circuit tout en voulant garder la main mise sur la consultation, les stratégies
d’inclusion/exclusion s’avèrent impraticables. La formation d’une « bulle » sera dès lors
totalement illusoire.
153 En résumé, l’ambiguïté créée par une tierce personne entrave l’accès de l’intéressé à son
propre problème. Cette ambiguïté relève toujours d’un enjeu derrière lequel l’intérêt de
l’enfant et l’intérêt pour l’enfant disparaissent. Le préalable est donc de reconnaître cet
enjeu afin de pouvoir le contourner. On ne peut le faire que dans l’instauration d’un
espace privé, construit sur l’exclusion/inclusion du tiers gênant et sans aucun
empiétement sur l’espace familial auquel cas on entrerait dans des processus
thérapeutiques.
154 Les distinctions qui s’imposent entre conseil individuel et psychothérapie s’inscrivent
sur un registre relationnel. Le conseil a beau emprunter ses méthodes à différents
courants thérapeutiques, les rapports avec les sujets ne sont absolument pas les mêmes.
Et pourtant, j’insiste, les modes de communications sont parfois identiques. Ces
différences relèvent donc de la DISTANCE qui existe entre « relations privilégiées » et
relations « thérapeutiques ».
155 Les distinctions entre conseil et thérapies de la famille sont bien plus évidentes. Le
conseil ne concerne directement que l’intéressé et pas les autres membres même s’il
faut en tenir compte. Dans les deux cas que j’ai présentés le motif correspond à un

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


157

dysfonctionnement de la famille. La démarche du tiers n’est donc pas comparable aux


précédentes. L’ambiguïté de la mère révèle, dans le cas de Sostène, du désir de garder
son emprise sur son fils et, dans celui de Théo-Simon, du désir de maintenir intactes ses
relations avec son mari. Comme leur enfant ces mères se sentiraient en quelque sorte,
elles aussi forcées de consentir à la consultation (NÉCESSITÉ OBLIGE). Toute leur
ambiguïté tient à leur ambivalence relative aux progrès de l’enfant qui remettrait le
système en question.
156 Même s’il est indispensable de repérer l’ambiguïté, mieux vaut ne pas tenter de la
gérer et advienne que pourra ! Indépendamment du conseil individuel à l’enfant, seules
les stratégies d’inclusion / exclusion permettent de traiter ce genre de situations. Le
conseiller inclut le tiers uniquement en tant qu’informateur privilégié. Il l’exclut
totalement du champ de sa relation avec l’enfant. Il n’en gère pas moins, le cas échéant
les représentations de celui-ci.
157 Le travail du conseil avec les parents pourrait être considéré comme l’exercice d’un
pouvoir sur un pouvoir qu’il convient de neutraliser en dehors de toute action directe
sur ce pouvoir. La délimitation du conseil s’opère à travers la défense de son
territoire, effectif et symbolique. L’espace conseil, je le répète, se définit par son cadre
matériel indissociable de son cadre psychologique (dans un contexte institutionnel et
interactionnel).

Conclusion générale
158 Le paradoxe fondateur du conseil (influencer-laisser libre) entraîne un tourbillon de
paradoxes. Celui de ses limites n’est pas le moindre. Il pourrait s’énoncer ainsi « le
conseil ne peut dépasser ses limites qu’en les respectant ».
159 Etant donné le caractère inépuisable de ce paradoxe, j’ai du mal à conclure. Je ne peux le
faire qu’en entrant une fois de plus dans le paradoxe. Je vais donc revenir sur la notion
d’appel, qui représente un « Construit » difficile à définir mais qui correspond à une
réalité concrète, même si elle est exceptionnelle. L’appel, semble-t-il, ne se rencontre pas
dans la pratique courante. Nous l’avons suspecté dans les cas dits « limites » et dans
certains cas dits « uniques ». Il relève d’une réaction paradoxale à la situation de conseil.
160 Le conseil porte, rappelons-le, sur des conduites. Il implique donc le changement d’une situation
donnée et non un changement de la personne ni une réduction de ses troubles comme
en psychothérapie. Il s’exerce à partir d’une nécessité externe (choix, décision,
orientation) qui mobilise les instances du sujet (besoin, désirs, craintes, etc.) à changer.
161 En présence de conflits personnels ou en état de crise, l’accroissement des désirs, des
craintes et/ou des deux associés peut entraîner des « réactions paradoxales ». Il se
produit un excès de tension qui se manifeste par un appel, soit pour aboutir au
changement, soit pour le freiner. Dans le cas du changement, les sujets jouent le jeu des
limites effectives à l’intérieur desquelles leur appel rebondit. Les pressions externes
stimulent leur désir d’aboutir, donc de spécifier leur demande. Ils entrent alors dans le
paradoxe de l’indépendance : « influencez-moi, mais laissez-moi libre ».
162 Inversement, dans le cas du blocage, où les sujets dénient l’existence de limite, leur
appel signale leur impuissance à savoir ce qu’ils veulent. Ils se piègent dans une
dépendance paradoxale : « aidez-moi, mais je ne vous le permettrai pas ».

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


158

163 Le conseil, c’est évident, ne peut résonner qu’à des appels pour des aides tangibles et
non pour des aides indéterminées. D’ailleurs, il est opérant quand le sujet est prêt à
entendre et à s’entendre et non quand le sujet s’assourdit lui-même. La durée et la
fréquence des entretiens dans les cas dits « limites » ont montré que malgré la solidité
des motifs et en dépit de l’urgence de trouver une solution concrète le conseil n’était pas
opportun. En revanche à l’Accueil, les sujets témoignent d’une disponibilité et d’une
volonté qui défient la courte durée et le caractère unique de l’entretien. Dans la
première occurrence les sujets n’étaient pas prêts et dans la seconde ils l’étaient.
164 J’ai beaucoup insisté dans ce travail sur la métaphore de l’espace. Cette métaphore ne
suffit pas pour délimiter le champ du conseil. Il ne faut pas oublier celle du temps.
165 Avec l’idée de « durée paradoxale » je n’avais retenu qu’une seule dimension
temporelle, à laquelle il serait utile d’adjoindre celle du moment. Le conseil ne s’exerce
pas n’importe quand, le moment choisi par le sujet (ou un tiers) n’est pas arbitraire. La
pression de 1’« ici maintenant » est parfois un ferment de l’élaboration, la
formalisation et la structuration d’une demande.
166 Un appel focalisé sur un point précis pourrait se comparer au cri d’un voyageur égaré qui
cherche désespérément quelqu’un pour l’informer sur la route à suivre et, au besoin,
faire un bout de chemin avec lui. Même si, au départ, il n’est pas encore bien fixé sur sa
destination, il sait que son intérêt croîtra avec les renseignements obtenus. Un guide
qui répondrait dans ce sens lui rendrait un fier service, et pas seulement dans
l’immédiat mais pour la suite de son périple. J’en viens à mon propos de base. Le conseil
le plus prescriptif-informatif peut avoir des retombées incalculables s’il vient à point. Alors
que des entretiens approfondis et judicieux peuvent avoir des effets contraires
(stagnation/régression).
167 À la différence de la psychothérapie, le conseil s’impose à un moment donné compte
tenu de la rencontre des exigences du milieu et des besoins individuels. Il est localisé et
localisable. Une réponse adéquate au moment voulu peut ainsi correspondre à un
tournant dans la vie de quelqu’un. Le conseil, je le redis, ne se propose pas de changer
les individus ni la famille ni même les relations entre ses membres. Toutefois, en
agissant sur une situation locale au moment idoine il peut transformer le
fonctionnement d’un ensemble (individu ou système).
168 Le conseil peut avoir des effets thérapeutiques (au sens large) à condition de rester
conseil. Pour plagier une formule célèbre, on pourrait prétendre que, dans le respect de
ses limites, le conseil qui aide l’autre à faire un petit pas lui permet parfois d’accomplir
un bond en avant. Le conseil dit « thérapeutique » se définirait ni par sa finalité, ni par
ses méthodes, mais par des retombées parfois totalement inattendues.
169 Pour le mot de la fin, je retiens que dans l’expression conseil en orientation, le terme
orientation permet au conseiller de se démarquer du psychothérapeute et celui de conseil
le distingue de l’orienteur.

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


159

BIBLIOGRAPHIE
Doron, R., & Parot, F. (1991). Dictionnaire de psychologie. Paris : P.U.F.

Ionescu, S. (1993). Bases de la psychopathologie. In R. Ghiglione & J.-F. Richard (éds.), Cours de
psychologie IL Bases, méthodes, épistémologie. Paris : Dunod.

Ionescu, S. (1999). Des mécanismes de défense en psychologie de la santé. Pratiques Psychologiques,


4, 45-52.

Lagache, D. (1962, 5e éd.). La psychanalyse. Que-sais-je ? Paris: P.U.F.

Lewin, K. (1959). Psychologie dynamique, les relations humaines. Paris : P.U.F.

Selvini-Palazzoli, M. (1979). Paradoxe et contre-paradoxe : un nouveau mode thérapeutique face aux


familles à transaction schizophrénique. Paris : E.S.F.

Winnicott, D.W. (1976). Jeu et réalité : l’espace potentiel. Paris : Gallimard.

Note de l’éditeur : Sur le thème du conseil, Josette Zarka a publié les articles suivants :

Zarka, J. (1977). Conseil psychologique et psychologie du conseil : quelques propositions.


L’Orientation Scolaire et Professionnelle, 6, 1, 21-51.

Zarka, J. (1979-80). Psychologie vocationnelle et psychologie du conseil. Bulletin de Psychologie,


XXXIII, 889-894.

Zarka, J. (1983). Au-delà des conflits : les paradoxes. In P. Benedetto, et al. (Dir.), Les lycéens face à
l’enseignement supérieur (pp. 195-202). Issy-les-Moulineaux : E.A.P.

Zarka, J. (1985). Psychologie paradoxale : paradoxe de la psychologie ou paradoxe en


psychologie ? Bulletin de Psychologie, Tome XXXVIII, 372, 859-864.

Zarka, J. (1986). Essai de modélisation de la pratique de conseil en orientation. Texte dactylographié.


Paris : Bibliothèque de l’I.N.E.T.O.P.

Zarka, J. (1986). Les conseils aux enfants : apprentissage de la confusion ou tolérance aux
paradoxes. Le Groupe Familial, 110, 100-108.

Zarka, J. (1987). Éclectisme ou pluralisme. Bulletin de l’Acof ; 315, 30-52.

Zarka, J. (1988). Les stratégies de la confiance et les paradoxes du conseil. In J. Cosnier, N. Gelas, &
C. Kerbrat-Orecchioni (Dir.), Échanges sur la conversation (pp. 221-235). Paris Éd. C.N.R.S.

Zarka, J, (1998). Conseil en orientation et identité originaire, L’Orientation Scolaire et Professionnelle,


27, 1, 123-46.

NOTES
1. Le juge alerté avait en effet prescrit une mesure éducative pour Philomène.
2. Cf. le « conseil bref ».
3. Le(la) conseiller(ère) en reçoit plusieurs en une demie journée et il y a parfois un vrai défilé.
4. Note de l’éditeur : Ionescu (1993), en proposant une nouvelle séméiologie, suggère de
« s’intéresser à des aspects pouvant être qualifiés de fonctionnels en raison de leur but :
réduction de la tension pulsionnelle et de l’angoisse qui en résulte (comme c’est le cas dans les
mécanismes de défense) et, respectivement, adaptation au changement, aux conditions externes

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


160

(comme lorsqu’on considère les mécanismes de dégagement et le coping). Cette approche de la


séméiologie met l’accent sur l’aspect processus du fonctionnement psychique et suggère, en
même temps, un continuum des mécanismes d’adaptation allant de la défense au dégagement
puis au coping » (Ionescu, 1999).
5. Qu’en un jour, en un lieu, un seul fait accompli tienne jusqu’à la fin le théâtre rempli.
6. Cette expression est de lui pas de moi.
7. J’entends par « fonction du réel » la possibilité pour un sujet de mobiliser ses forces à un
moment donné pour reconnaître, découvrir parfois certains de ses intérêts, de leur donner corps,
de les activer de sorte qu’ils puissent concorder avec certaines de ses compétences afin de
pouvoir trouver des solutions adaptées à son problème actuel. Elle ne se confond pas avec le
« réalisme » en tant que trait de caractère ; elle se distingue aussi du principe de réalité au sens
Freudien. En bref je définirais cette fonction comme la capacité d’un sujet d’accéder à des
moments de vérité sur lui-même quand c’est nécessaire.

RÉSUMÉS
Trois grandes questions relatives aux entretiens de conseil en orientation sont abordées, en
s’appuyant sur des présentations de cas. La première partie traite des situations limites et du
conseil interminable. La deuxième partie concerne le conseil bref, tel qu’il peut se dérouler dans
le cadre d’une permanence d’accueil. La troisième partie aborde la question des demandes
ambiguës. Les différences entre entretien de conseil et entretien psychothérapeutique sont
analysées.

INDEX
Keywords : Counseling
Mots-clés : Conseil en orientation, conseil interminable, conseil bref, motif, demande ambiguë,
appel, écoute, relation, différences entre conseil et thérapie

AUTEUR
JOSETTE ZARKA
Professeur Emérite de psychologie. Université Paris X Nanterre. Ses recherches portent sur le
conseil (sa thèse s’intitule « Conseils et paradoxes ») et sur les effets des violences sociales.

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


161

Contrats de communication et
entretiens d’orientation, dispositifs
clinique ou psychosocial ?
Communication contract and career counseling interview. Clinical either social
psychological set?

Claude Chabrol

1. Préalables : intentions et références


1 On se propose dans ce qui suit de clarifier quelques dimensions constitutives des
entretiens d’aide inspirés du modèle clinique, d’évoquer quelques conséquences
problématiques pour les démarches d’orientation puis de présenter une option
psychosociale qui situe les questions d’orientation dans leur champ, celui des
communications, et de la pensée, sociales !
2 Avec J.M. Monteil (1993), on posera que « la psychosociologie conçoit l’homme comme
participant au contexte social en exerçant sur lui une influence et qu’elle envisage
l’expérience individuelle comme produit social, c’est-à-dire comme le produit de
l’action et de la pensée humaine.
3 Les représentations de soi et de la « réalité sociale » sont, pour elle, des produits de
significations élaborées toujours de façon contextuelle à partir de schèmes cognitifs et
sociaux plus ou moins familiers, acquis lors d’interactions qui positionnent le sujet dans
des situations d’insertions sociales spécifiques.
4 Les situations d’entretien en général et, en particulier celles orientées vers l’aide ou le
conseil, doivent donc être considérées en elles-mêmes comme des insertions sociales qui
spécifient les représentations et qui activent ou inhibent la manifestation de certains
schèmes disponibles en mémoire et peut-être leur (ré)élaboration à la suite d’un long
travail.

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


162

5 Il faudrait donc repenser les dimensions structurantes de ces situations de


communication et en particulier leurs modes de constitution de l’arrière-plan ou des
connaissances supposées nécessaires et partagées comme des contrats de
communication qu’elles proposent.

2. Quelles connaissances, pour quels discours, pour


quelles fins ?
6 2.1. Il est banal de souligner que les entretiens centrés sur le sujet sont producteurs de
formes de connaissances de soi, (auto)biographiques, quelles que soient leurs finalités :
thérapeutique, aide, conseil, ou recrutement.
7 Tous proposent des dispositifs de description de soi, modulés par une insistance
différente sur l’articulation des éléments du passé plus ou moins lointain avec ceux du
présent et/ou de l’avenir et surtout par des enjeux très différents pour les sujets.
8 On sait bien maintenant que la mémoire auto-biographique n’est pas une simple base
d’archives mais qu’elle contient des ensembles de cognitions plus ou moins chargés
émotionnellement et très liés aux types de processus de remémoration engagés. Elle
dépendrait de schémas de soi (Markus, 1977), qui agissent comme des filtres et des
catégories visant à orienter et à organiser le traitement des informations relatives à soi.
Il semble que ces schémas soient beaucoup moins stables qu’on aurait pu le penser et
qu’en tout cas ils puissent évoluer selon les significations positives ou surtout négatives
(échecs, drames, accidents...) attribuées aux événements vécus.
9 De plus, ces schémas seront sensibles aux formes de discours par lesquelles ils sont
déclenchés. Un « récit de vie par exemple, ne les convoquera pas de la même façon
qu’un questionnaire, un exercice, un « jeu » ou une série d’associations libres. Seule la
première permet par exemple de se représenter soi-même rapidement comme doté
d’une « identité narrative » cohérente, tandis qu’a contrario la dernière par « l’attention
portée aux idées subites entraîne une forme de métacommunication » d’emblée
(Widlöcher & Hardy-Baylé, 1990). Ces connaissances de soi ont aussi des liens forts avec
les états émotionnels provoqués par les contradictions ou divergences entre ce que le
sujet souhaiterait ou considère qu’il faut être et son concept de soi. (Higgins, 1987).
C’est dire que la production de ces connaissances activera en même temps un processus
d’auto-évaluation qui réfère à une comparaison sociale, chargée affectivement.
10 Communiquer sur soi conduit donc à s’évaluer en tenant compte du point de vue
explicite et surtout implicite du destinataire du discours et donc de son système supposé
de comparaison sociale.
11 On ajoutera enfin que si des états émotionnels négatifs sont prévisibles, ces expériences
sont aussi censées permettre au sujet une (auto)régulation de son comportement,
initiée de l’extérieur, en lui fournissant des informations sur les divergences entre ses
comportements et « ses » standards personnels (Scheir & Carver, 1988).
12 On peut maintenant saisir les enjeux des dispositifs de communication proposés par ces
entretiens. Ils tendent tous à faire (re)construire plus ou moins explicitement des
ensembles de connaissances sur soi, mais de profondeur et de forme discursive très
différentes. Le temps et le nombre de rencontres, comme la définition
contractuelle de la situation et de ses buts vont exercer des contraintes très fortes
sur les représentations de soi, car ce ne sont pas les mêmes schémas qui seront activés

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


163

et renforcés. De même, ces dispositifs ne mobilisent pas de la même façon la régulation


des comportements par l’autoévaluation, et la comparaison sociale.
13 Quoi qu’il en soit, il s’agit toujours de parvenir à faire rassembler des cognitions autour
des questions : qui suis-je, qu’est-ce que je vaux et que puis-je faire, qu’est-ce que je
désire, de quoi ai-je besoin, que devrais-je demander ?
14 Pour faire travailler ces pensées, les cliniciens font référence à des modèles variés et
même opposés. De façon très simplifiée, l’on peut dire qu’ils utilisent soit des modèles
« harmonieux » (par exemple Rogers ou les thérapies comportementales), soit des
modèles « conflictuels » (Freud et Lacan). Les premiers les conduisent à croire à la
possibilité d’une résolution rapide des tensions et problèmes, une fois dépassés les
blocages liés aux rigidités sociales et aux contraintes superficielles entraînées par les
rôles et statuts traditionnels. Ils adhérent ainsi à une conception équilibrée de la personne
qui privilégie l’hypothèse d’un Moi psychologique fort seulement perturbé,
affectivement et cognitivement par des interactions sociales inadéquates. Dans cette
perspective, on doit pouvoir aisément concilier : besoins, capacités, valeurs, attitudes et
désirs. Les seconds orientent vers une conception de la personne « divisée » entre des
instances psychiques (ça, moi et sur-moi) articulées mais bien distinctes et orientées de
façon divergente dans l’adaptation à l’environnement physique et social et la recherche
du plaisir et l’évitement du déplaisir. A priori, rien n’assure ici qu’un équilibre ou une
convergence soit facilement trouvée entre les systèmes de l’inconscient et du
conscient.
15 On se souviendra en ce point des propos paradoxaux de Lacan
16 « L’homme ne demande pas ce qu’il désire, ne désire pas ce qu’il veut et ne veut pas ce
dont il a besoin ». C’est dire qu’entre le désir inconscient, le vouloir conscient et
personnel, la demande publique et sociale et le besoin fonctionnel, il ne peut y avoir
que des compromis et des arbitrages provisoires et instables.
17 Si l’on accorde comme nous, plus de crédit à cette dernière hypothèse, on est conduit à
chercher ailleurs que dans des modèles cliniques cette « cohérence » psychique
introuvable, entre « besoins », « capacités », « désirs » et « demandes ». Elle est liée à
l’élaboration de l’identité sociale du sujet et l’on peut considérer qu’elle découle des
modes de pensée sociale, qui rassemblent tous les raisonnements et stratégies
cognitives développés par les sujets sous « le regard d’autrui » (Guimelli, 1999).
18 De nombreuses observations et expérimentations suggèrent que, dans nos sociétés, les
processus de socialisation reposent de plus en plus sur des mécanismes d’appropriation
subjective des normes et valeurs sociétales. L’internalité, comme processus et comme
norme (Beauvois, 1994 ; Dubois, 1994), entraîne la valorisation actuelle des explications
en termes d’attributions dispositionnelles, donc internes et psychologisantes, au
détriment des explications par des facteurs situationnels, sociaux ou naturels.
19 C’est un mode de pensée socialement utile puisqu’il permet, parmi d’autres, cette
appropriation. On fera l’hypothèse que les entretiens d’aide et de conseil qui
participent à ces procès de socialisation tendent à développer implicitement et
involontairement cette appropriation « interne » par des techniques psychologiques
qui mobilisent un investissement psychique fort de la part du sujet.
20 Or, dès qu’il est question de déterminer des « changements » dans sa conduite sociale,
des « choix » dans la carrière de vie, scolaire ou professionnelle, le sujet ne peut pas ne
pas se situer par rapport aux croyances, attitudes et valeurs de ses groupes

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


164

d’appartenance et de référence. Tout dépendra alors des trajectoires professionnelles


favorisées par ceux-ci : reproduction à l’identique ou mobilités ascendantes (orientées
vers les gains de prestige et/ou financiers) ou descendantes (marginalisation dans la
délinquance, le retrait dans le travail au noir et les allocations sociales) et plus
largement des orientations conformistes, critiques ou innovatrices qui caractérisent la
culture de ces groupes au regard des normes sociétales dominantes.
21 Celles-ci en interaction avec les normes de groupes, orientent les raisonnements qui
déterminent « le niveau d’ambition », « l’auto-handicap » qu’il peut s’infliger, le calcul
des gains et des risques liés aux conséquences des actions. Elles infiltrent la
détermination des « goûts » et des « attraits » comme de l’estime de soi.
22 Certes, les dispositifs d’entretien offrent généralement la possibilité de méta-
communiquer et donc d’élaborer à propos de ces objets de pensée mais en les situant
rarement explicitement dans leur contexte social ou plutôt en ne permettant au sujet
de le faire, que de façon psychologisante. Pour diminuer le « biais » de psychologisation
il faudrait sans doute réduire l’usage de l’entretien centré sur le sujet, d’inspiration
clinique et proposer des lieux de parole collectifs !
23 La question est en effet :
24 « Comment inciter à une métacommunication qui positionne bien le sujet dans sa place
sociale et facilite le repérage des contraintes objectives et subjectives multiples,
économiques, sociales, psychosociales et cognitives qui surdéterminent sa réflexion
pour lui permettre de se construire des stratégies de décision ? »
25 Celles-ci peuvent être conçues comme les manifestations d’habiletés mentales à gérer la
compatibilisation de nombreuses dimensions très distinctes si ce n ‘est contradictoires dans
l’environnement complexe des marchés du travail et de la formation. Cette orientation
éloignerait en tout cas le sujet de l’illusion du « bon choix celui censé correspondre à
« ses besoins et désirs profonds Du point de vue de la psychologie sociale, il y a aura
toujours une pluralité de compromis possibles, selon la hiérarchisation des dimensions
opérées par les sujets à la suite d’un travail en groupe(s).
26 Ce qui importe surtout est de donner la possibilité aux acteurs sociaux de mettre à
distance les modes de pensée habituels qui les conduisent finalement à intérioriser les
contraintes sociales et à (re)produire les « choix » et comportements qui conviennent à
leurs positions, c’est-à-dire à celles de la majorité des membres de leur groupe
d’appartenance.
27 2.2. Les entretiens centrés sur le sujet ont un second point commun : Ils suspendent un
certain nombre de règles et de normes de la conversation, comme l’ont remarqué
Trognon et Widlocher. Ils proposent des contrats de communication « extraordinaires »
avec toutes les conséquences qui en découlent.
28 Les communications ordinaires font référence à des connaissances d’arrière-plan
supposées partagées qui permettent aux participants d’anticiper les buts et les enjeux
des rencontres et donc de répondre aux questions cruciales : « on est là pour quoi faire,
quoi dire et comment ? » (Charaudeau, 1989 ; Chabrol, 1994). Cela leur permet de
sélectionner les routines ou schémas normés de communication 1 pour déterminer à
l’avance comment parler à propos, ici et maintenant, selon ce qui est attendu d’eux
dans cette situation, et ce qu’ils peuvent en retour attendre de leur partenaire
(expectation croisée).

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


165

29 Les compétences de communication, acquises souvent depuis l’enfance dans les


interactions sociales, permettent de mettre en œuvre le principe de coopération et les
maximes de Grice : soit pouvoir et devoir contribuer à la discussion selon ce qui est exigé au
stade atteint par celle-ci en fonction du but ou de la direction acceptés de l’échange dans lequel
on est engagé, en fournissant la quantité d’informations requise, ni plus ni moins, en veillant à sa
qualité (rapport à la vérité et véracité du dit), en parlant de façon pertinente, et en évitant
l’ambiguïté.
30 On le voit, ces communications ordinaires reposent toutes sur un jeu d’attentes croisées
qui permet de produire les formats de communication souhaités, d’élaborer les
inférences attendues et de calculer les effets de sens les plus cohérents au sens de
Sperber et Wilson (1989).
31 Les consultations chez les spécialistes (médecins, avocats...), malgré leurs
particularités, ont fait l’objet dans le savoir partagé de nos contemporains de
schématisations et de scripts très disponibles, même s’ils demandent un apprentissage
spécifique. En un sens, une conception du conseil comme expertise fondée sur un savoir
psychotechnique est « plus proche » des sujets. En effet tous ces spécialistes sont
supposés développer des séquences connues, même si elles ne sont pas toujours bien
supportées : diagnostic, pronostic, préconisation.
32 Si les situations sont « équivoques », ou relativement nouvelles, les sujets, si du moins
l’enjeu est assez important, tentent de négocier le cadre comme leur contribution et
réduisent « l’étrange au familier » par des procédures analogiques.
33 Or, les entretiens, thérapeutiques et d’aide ou conseil, inspirés du modèle clinique,
imposent en général des dispositifs communicationnels pas ou peu négociables. Le
« client » doit s’y soumettre puis y adhérer, même s’il a beaucoup de mal au départ à
participer selon ce qui est idéalement attendu de lui, parce qu’il ne s’agit ni d’une
variété de conversation ni d’une consultation auprès d’un expert.
34 Si l’on suit Widlocher et al. (1990), c’est justement la suspension des règles de la
conversation qui permet le travail prévu par Freud dans la cure de parole. Du point de
vue de Rogers et Porter la suspension des « rôles communicationnels tel qu’évaluer,
interpréter, conseiller et questionner, instaure aussi une forme extraordinaire de
dialogue.
35 L’hypothèse évidente et démontrée par la pratique clinique est que cette suspension
favorise le travail du sujet mais il s’agit de savoir si celui-ci est bien conforme à ce que
l’on en est en droit d’attendre ici. Les formes de métacommunications thérapeutiques
sont-elles les plus adéquates pour développer un travail sur la formation et la
consolidation de l’identité sociale et l’acquisition des habiletés nécessaires pour mettre
en place des stratégies de décision ?2
36 En tout cas elles semblent déclencher pendant un temps assez long (plusieurs années
parfois) une déconstruction identitaire problématique (Thomassin, 1999). Sans doute ce
type de démarches favorise-t-il, à long terme, la disparition de comportements
personnels inadéquats ou de croyances irrationnelles ou encore la prise de conscience
de conflits refoulés et la correction de patterns émotionnels et interpersonnels
gênants3, mais les croyances, les attitudes et les représentations sociales ne sont ni
irrationnelles, ni refoulées, ni gênantes normalement dans les relations interpersonnelles à
l’intérieur du groupe, au contraire et là est justement le problème !

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


166

37 On remarquera encore que pour entrer dans ce monde de la communication clinique


« difficile » il faut faire confiance. C’est un pacte de foi, plus ou moins intense qui est
demandé et qui tend à instaurer une relation de croyance qui constitue celui qui mène
ces entretiens en sujet supposé savoir. Il en découle des effets souvent soulignés, en
termes d’influence non directive (Blanchet et al., 1990) et même de suggestion
(Roustang) ou de dépendance.
38 On devrait à nouveau s’interroger sur la pertinence de ce phénomène au regard des
buts. Il ne s’agit pas à proprement parler de développer ici une connaissance sur soi, mais
plus vraisemblablement une intelligence des situations, un art de jouer des
circonstances, une capacité à analyser les informations sur l’environnement et réguler
ses adhésions groupales en fonction de ses intérêts et de ses possibilités cognitives. Il
faudra encore permettre une distanciation relative, ni rupture ni adhérence
fusionnelle, vis-à-vis des représentations, croyances et valeurs des groupes sociaux et
des normes sociétales dominantes.
39 Enfin, il faudrait favoriser l’élaboration d’une expertise cognitive pour calculer les
ajustements de toutes les dimensions qui entrent dans une prise de décision
d’orientation toujours provisoire, conçue peut-être comme le moins mauvais choix
actuellement possible ou celui qui semble du moins les compatibiliser au mieux.
40 Il est probable que « l’emprise » unique qu’instaure le contrat « clinique même adapté,
n’est pas adéquate au regard de ces objectifs. On peut poser au contraire la nécessité de
dispositifs pluriels qui situent le sujet du conseil dans une multiplicité de références, de
pratiques et de relations dont il pourrait négocier l’usage et la temporalité et même le
format, c’est-à-dire une adaptation des règles du jeu et des contrats.
41 Lui offrir « un réseau social » artefactuel pour contribuer à l’élaboration d’un élément
central de son identification sociale, suppose de déployer les formes typiques de
communication sociale. Celles-ci devraient lui permettre un travail réflexif sur son
appartenance communautaire, plus ou moins valorisée, et sa position sociale dans les
réseaux attestés.
42 M.L. Rouquette (1998) rappelle à la suite de Tarde, l’importance des conversations, car
grâce à elles « les individus co-construisent le monde qu’ils partagent » (op. cit. p. 95)
sans scotomiser leurs statuts et leurs enjeux et les conditions socio-historiques qui les
sous-tendent. On pressent le paradoxe comment réintroduire, dans l’espace épuré et
artefactuel du conseil, la matière riche des conversations ; peut-on « converser sur des
conversations » à propos des formations et des métiers que l’on envisage pour soi ?

3. Quelques pistes pour conclure


43 L’expérience de la psychologie sociale fondamentale ou appliquée, en démontre la
possibilité. Toutes les formes de travail dirigé : intra-groupe, (familial, de pairs) ou
inter-groupes (différenciés par leurs positions de genre : rôles professionnels masculins/
féminins, d’âge : aînés/cadets, ou opposés par leurs positions de pouvoir : employeurs,
recruteurs/demandeurs de travail, formateurs/formés ou en confrontation comme les
mouvements sociaux), ont permis une métacommunication « sociale » pertinente, en
sociologie comme en psychologie sociale (cf. la postérité de Lewin dans l’intervention
et la recherche action).

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


167

44 Dans ce type de démarches, la tâche du psychosociologue consiste à rendre possible un


savoir des savoirs sociaux, en favorisant la mise en place d’un contrat de discussion sur le
contrat de conversation.
45 Les dispositifs de la « discussion » sont caractérisés en effet par la possibilité de
prendre pour objets discursifs ou « propos » les pré-requis et les présupposés des
conversations en négociant plus explicitement les « règles du jeu » soit les définitions
des thèmes et des manières de dire comme du temps pour le faire. Ce faisant, l’arrière-
plan des connaissances qui sous-tendent les conversations vient progressivement au
premier plan et avec lui et le soutien de l’animateur une légitimation des paroles qui
explicitent les différences ou divergences des points de vue liés aux positions sociales.
46 Si ces lieux de parole constituent le centre d’un dispositif éventuel de « conseil en
orientation psychosociologique », ils ne suffisent pas pour atteindre les objectifs
évoqués. Il faut envisager de les compléter par des modules d’apprentissage socio-cognitifs
qui prolongent et alimentent le travail développé dans ces lieux de parole.
47 L’orientation implique d’abord, on le sait, une diffusion d’informations sur les marchés
de la formation (initiale et continue) et du travail, dans toutes leurs dimensions. La
recherche et l’exploitation de ces informations supposent des capacités de traitement
qui peuvent donner lieu à des formations et être facilitées par des outils informatiques
plus adaptés.
48 Cette « matière » suscite ensuite la mobilisation des systèmes de catégorisation sociale
dépendants des représentations sociales du sujet. L’issue de ces catégorisations
apparaît sous la forme d’échelles de prestige et d’intérêts pour des études et des
métiers et informe en partie ses attentes. Tous les questionnaires, échelles, entretiens
focalisés (comme l’entretien avec des cartons de métiers ; Garand, 1976 ; Blanchard et
al., 1995 ; Volvey, 1995), qui permettent au sujet de commencer à prendre conscience de
ses points de référence personnels, sont positifs car ils prolongent les discussions
groupales sur les mêmes objets.
49 L’orientation demande aussi un élargissement et une maîtrise de l’information sur soi. Il
s’agit d’abord de rassembler les éléments « objectivants » : tests d’intelligence,
épreuves psychotechniques, bilans de compétences, au-delà des résultats scolaires mais
en les situant vis-à-vis des explorations « subjectivantes » : échelles d’estime de soi,
questionnaire d’identité, échelles d’internalité...
50 Enfin, il faut bien apprendre à monter des schèmes de planification des actions en vue
d’un but social, tel pourrait être, selon nous, la fonction des « projets de vie » souvent
évoqués (Guichard, 1993). Pour préparer des décisions, il faut évaluer la pertinence des
moyens vis-à-vis des finalités, ordonner dans le temps les étapes de l’action avec leurs
buts intermédiaires. C’est par rapport à cela que des décisions stratégiques et tactiques
peuvent être prises. De tels schèmes constituent les cadres nécessaires à l’acquisition
des capacités d’arbitrage et de compatibilisation entre des dimensions souvent
opposées. Des études de cas, illustrant des trajectoires ou des carrières sociales variées
seraient sans doute utiles pour alimenter les discussions sans exclure des jeux où les
sujets apprendraient à maximiser leurs gains selon des buts pré-déterminés en fonction
de circonstances et de contraintes imposées et d’attributions de capacités de départ. On
peut résumer ces propositions comme suit :
51 ‒ resituer les questions d’orientation scolaire professionnelle dans le champ
psychosocial des communications sociales grâce à l’instauration de lieux de parole

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


168

groupale, fondés sur un double contrat hiérarchisé de discussion « conversationnelle »


pour permettre une réflexion sur les croyances des groupes de référence et
d’appartenance évoquées ;
52 ‒ installer autour de ce pôle central des modules didactiques complémentaires pour
favoriser l’acquisition personnelle d’habiletés mentales pour traiter les informations
sur l’environnement et sur soi et déployer des schèmes de planification pour calculer
les éléments de la combinatoire des dimensions qui sous-tendent les prises de décision.
53 Il va de soi que cela n’exclût pas de recourir à de véritables entretiens cliniques quand
les problèmes se posent véritablement et exceptionnellement à ce niveau car il s’agit
plutôt en réalité de rompre avec une illusion avantageuse.
54 Enfin si le conseil ne consiste qu’en une brève rencontre unique, il n’y a ni travail
clinique ni élaboration psychosociale possibles. On peut seulement diffuser quelques
informations supposées utiles. Toute la question réside dans l’offre que l’on fait pour
continuer. L’option psychosociale nous semble la plus adéquate sans se dissimuler ce
qu’elle implique comme changements dans les pratiques, les formations requises et
aussi les représentations de la profession.

BIBLIOGRAPHIE
Beauvois, J.L. (1994). Traité de la servitude libérale. Analyse de la soumission. Paris : Dunod.

Blanchard, S., Volvey, C., Homps, F., & Prieur, A. (1995). Une technique d’explicitation des
intérêts : l’entretien A.D.V.P. L’orientation Scolaire et professionnelle, 24, 4, 425-442.

Blanchet, A., Bromberg, M., & Urdapilleta, (1990). L’influence non directive. Psychologie Française, 35,
3, 217-226.

Chabrol, C. (1988). Un dinosaure de compromis : l’entretien non directif de recherche, Connexions, 52, 59-66.

Chabrol, C. (1994). Discours du travail social et pragmatique. Paris : P.U.F.

Charaudeau, P. (1989). La conversation entre le situationnel et le linguistique. Connexions 53, 9-22.

Dubois, N. (1994). La norme d’internalité et le libéralisme. Grenoble : Pug.

Garand, M. (1978). De l’orientation à l’activation. L’Orientation Scolaire et Professionnelle, 7, 4,


299-324

Guichard, J. (1993). L’école et les représentations d’avenir des adolescents. Paris : P.U.F.

Guichard, J. (1998). Conceptions de la qualification professionnelle, organisation scolaire et


pratiques en orientation. Cahiers Binet-Simon, 656, 117-139.

Guimelli, C. (1994). Structures et transformations de représentations sociales. Neuchâtel : Delachaux &


Niestlé.

Guimelli, C. (1999). La pensée sociale, Que sais-je ? Paris: P.U.F.

Higgins, E.T. (1987). Self-discrepancy: a theory relating self and affect. Psychological review, 94,
319-340.

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


169

Houdé, O. (1998). Constructivisme. In Vocabulaire de sciences cognitives (pp. 110-111). Paris: P.U.F.

Markus, H.R. (1977). Self-schemata and processing information about the self. Journal of
Personality and Social Psychology, 35, 63-78.

Monteil, J.M. (1993). Soi & le Contexte. Paris : Armand Colin.

Rouquette, M.L. (1998). La communication sociale. Paris : Dunod.

Rouquette, M.L, (1996). Représentations et idéologie. In J.C. Deschamps et J.L. Beauvois (Eds.), Des
attitudes aux attributions. Grenoble: P.U.G.

Scheier, M.F., & Carver, C.S. (1988). A model of behavioral self-regulation: Translation intention
into action. In L. Berkowitz (Ed.), Advances in Exprimental Social Psychology, 21. New York: Academic
Press.

Sperber, D, & Wilson, D. (1989). La pertinence. Paris : Seuil.

Thomassin, P. (1999). Déconstruction et reconstruction du récit de soi au cours d’une


psychothéra pie de groupe. In Psychologie Française, 44, 4, 371-381.

Volvey, C. (1995). Pratique de l’entretien A.D.V.P. L’Orientation Scolaire et Professionnelle, 24, 4,


443-462.

Widdlöcher, D, & Hardy-Baylé, M.C. (1990). L’entretien Psychanalytique. Psychologie Française, 35,
3, 175-184.

NOTES
1. Nous avons développé cette notion avec Georget, P. dans un article à propos du traitement de
discours publicitaires. Elle précise la dimension de pré-programmation des contrats de
communication. (cf. numéro spécial de la revue internationale de psychologie sociale. (A paraître
au cours de l’année 2000).
2. Dans un numéro de Connexions consacré à l’entretien en 1988, nous avions attiré l’attention
sur les difficultés liées à l’exportation du modèle Rogerien en recherche comme en intervention.
3. L. Masse dans une thèse récente soutenue à Paris 8, souligne ces résultats à partir de l’analyse
de psychothérapies comportementales et d’inspiration psychanalytique (voir Masse et al., 1999).

RÉSUMÉS
Cet article aborde la question de l’entretien d’orientation dans une perspective psycho-
sociologie. On y défend le point de vue selon lequel les techniques d’entretien clinique, centrées
sur la personne, ne sont pas appropriées aux objectifs du conseil en orientation. On suggère
plutôt la mise en place de lieux de parole intra-groupe et inter-groupes, complété par des
modules d’apprentissage socio-cognitifs pour développer les habiletés mentales et les stratégies
de décision requises.

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


170

Career interview is examined from social psychological perspective. According to the author, the
person-centered clinical interview is not suitable to career counseling aims. Training groups (in
and out) are recommended in order to develop social cognitive skills and decision strategies.

INDEX
Mots-clés : Contrat de communication, entretien d’orientation
Keywords : Communication contract, career counseling interview

AUTEUR
CLAUDE CHABROL
Professeur à l’Université de Paris 3. U.F.R. de Communication.
cchabrol@aol.com ou Claude.Chabrol@univ-paris3.fr

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


171

Cadres et formes identitaires -


Vicariantes et pratiques en
orientation
Vicariant identity frames and forms and guidance practices

Jean Guichard

Introduction : Société des individus et vocation


personnelle
1 Dira-t-on du 20ème siècle qu’il fut, comme le suggère Yrjö Paavo Häyrynen (1995), le
siècle de « l’individualité » et de la « vocation personnelle » ? On peut le penser si l’on
en juge d’après les titres de quelques ouvrages qui le marquèrent, soit par les pratiques
sociales qu’ils contribuèrent à formaliser (« Choosing avocation », Parsons, 1909), soit par
la place qu’ils tinrent dans le débat scientifique (« Die Gesellschaft der Individuen », Elias,
1991 ; « Le souci de soi », Foucault, 1984 ; « La vocation », Schlanger, 1997).

Foisonnement théorique et conceptuel

2 Dans un tel contexte, nombreux furent les modèles théoriques qui se proposèrent
d’analyser et de comprendre la formation de « la subjectivité » 1 (1) de l’individu. Ces
réflexions conduisirent à une véritable explosion notionnelle et conceptuelle. Ainsi,
aujourd’hui, parle-t-on de moi (Ich, ego), d’ego, de sur-moi (Über-ich, super-ego), de moi-
idéal (Ideal-ich, ego ideal), d’idéal du moi (Ich-ideal, ideal ego), de soi (self), de concept de
soi (self-concept), d’image de soi (self-image), d’estime de soi (self-esteem), de soi idéal
(ideal-self), de schéma de soi (selfschema), de soi de travail (working self-concept), de souci
de soi (selbstsorge), de personne (person), de personnalité (personality), de personnalité
de base (basic personality structure), d’identité (identity), d’identification (identification),
d’identité sociale (social identity), d’identité personnelle (personal identity), d’identité
professionnelle (vocational identity), de stratégie identitaire (identity strategy), etc. A ces

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


172

termes, il conviendrait d’ajouter différents concepts issus de modèles théoriques


majeurs dont l’objectif primordial n’est pas la compréhension de la construction de la
subjectivité. Parmi ceux-ci, on peut citer, à titre d’exemples, l’analyse existentiale du
Dasein de Martin Heidegger et la théorie de l’habitus et des champs (fields) de Pierre
Bourdieu.
3 Tenter de mettre de l’ordre dans ce foisonnement notionnel peut conduire, semble-t-il,
à distinguer au minimum six grands courants qui marquèrent l’approche du sujet en
tant que tel au cours de ce 20ème siècle.
4 Le courant personnaliste trouve une bonne part de son inspiration dans la théologie
chrétienne. La notion fondamentale est celle de personne qui, dans cette théologie, est
définie comme « un principe libre et responsable d’activités (il y a trois personnes
en Dieu) ». Cette substance unitaire accomplit des actes intentionnels (effectués en
fonction de ses valeurs). L’idée de vocation (Beruf, vocation) est fondamentale. Parmi les
auteurs marquant de ce courant, on peut citer Charles Renouvier (qui publie, en 1902,
Le Personnalisme), Max Scheler (« Der Formalismus in der Ethik », 1913), Gabriel Marcel,
Emmanuel Mounier, Maurice Nedoncelle.
5 Le courant psychanalytique s’est développé à partir des concepts fondamentaux,
forgés par Freud, de libido, de ça (es, id), de moi, d’ego, de sur-moi, de moi-idéal, d’idéal
du moi et d’identification (Identifizierung), etc.
6 Le courant psychologique du soi (self) a pour père fondateur William James dont
l’ouvrage majeur « The Principles of Psychology » fut publié en 1890. Les approches
cognitives actuelles s’inscrivent dans cette perspective. Les vocables centraux sont ceux
de concept de soi (self-concept), d’image de soi (self-image), d’estime de soi (self-esteem), de sois
possibles (possible selves), de soi idéal (idealized-self), de schéma de soi (self-schema), de soi de
travail (working self concept), etc. Les considérations de Kenneth Gergen sur « Le soi
saturé » (1991) constituent un développement actuel de l’approche de James.
7 Le courant psychologique différentialiste s’organise autour de la notion de
personnalité. Celle-ci est caractérisée par un certain nombre d’attributs ( aptitudes,
intérêts, valeurs, etc.). Différents traits conduisent généralement à distinguer des types
de personnalités (le modèle aujourd’hui dominant est celui des « big five » proposé par
Warren T. Norman en 1963). Dans la suite de Francis Galton, parmi les auteurs ayant
marqué cette approche, on peut citer Paul Vernon, Raymond Cattell, Hans Eysenck, etc.
8 Les courants anthropologiques culturaliste ou structuraliste ont élaboré des
concepts tels que ceux d’identité culturelle ou sociale, de personnalité de base, de
Gemeinschaft (communauté, comme ensemble de rapports nécessaires entre individus
dépendants les uns des autres), de Gesellschaft (société comme ensemble d’individus
séparés reliés entre eux de manière institutionnelle et conventionnelle), de structures
élémentaires, d’habitus, de champs etc. Les théoriciens majeurs sont Ferdinand
Tönnies, Max Weber, Ralph Linton, Abraham Kardiner, Claude Lévi-Strauss, Pierre
Bourdieu, etc. Certes, les modèles de ces différents auteurs diffèrent sensiblement. Leur
point commun est de considérer que les structures de la société organisent la
subjectivité même de l’individu, celle-ci se construisant par l’intériorisation des
manières d’être, des valeurs, des normes, etc., des groupes socialement situés,
auxquels l’individu appartient.
9 Les courants psychosociaux, tout en tenant compte des ancrages sociaux des sujets
(on parle alors d’identité psychosociale : psychosocial identity) insistent sur les

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


173

dynamiques et stratégies identitaires (identity dynamic, identity strategy). Ces courants se


différencient des précédents en ce qu’ils considèrent l’identité comme une construction
jamais achevée où les interactions (de sujets visant certains buts) inter-
individuelles et/ou inter-groupes sont fondamentales. Les principaux théoriciens
que l’on peut ranger dans cette classe sont Georges Herbert Mead, Henry Tajfel,
Howard Becker, Erving Goffman, Marisa Zavalloni et Erik Erikson, (qui se rattache aussi
au courant psychanalytique). L’insistance sur les interactions et sur l’intentionnalité
permet de rapprocher de ces courants psychosociaux les théories sociologiques de
l’acteur social (Alain Touraine, Michel Crozier et Ehrard Friedberg, Raymond Boudon)
qui insistent sur les stratégies individuelles et celles de la production dialogique de la
subjectivité (Ludwig Wittgenstein, Mickael Bakhtine, Lev Vygotski, Francis Jacques, etc.)
qui mettent l’accent sur l’interlocution et le récit.
10 Une telle classification est certainement discutable. Son avantage est de permettre de
repérer quelques-unes des questions qui structurèrent les débats sur la subjectivité au
cours du siècle qui s’achève. On peut les énoncer ainsi :
• déterminisme et liberté individuelle ;
• processus conscients et inconscients ;
• flux de la conscience et persistance du soi ;
• dispositions individuelles et contextes ;
• individu et société ;
• subjectivité, interactions et interlocutions.

Malléabilité ou stabilité de la subjectivité ?

11 Parmi ces débats, l’un de ceux qui partagea (et partage) les psychologues fut celui de la
stabilité ou de la malléabilité de la subjectivité. Dès 1903, Edward Lee Thorndike mettait
en doute la consistance de la personnalité. Gordon Willard Allport ou Hans Jürgen
Eysenck défendirent un point de vue inverse. La question était de savoir si, par
exemple, un enfant pouvait être honnête dans un certain contexte et, malhonnête dans
un autre. Cette controverse traversa tout le siècle (voir Huteau, 1985 ; 1995,
pp. 118-122).
12 Plus près de nous, Michel Foucault, changeant les termes de la discussion, remit en
cause une vue essentialiste de la subjectivité, Considérant que le sujet « n’est pas une
substance », il souligne : « C’est une forme, et cette forme n’est pas partout ni
toujours identique à elle-même. Vous n’avez pas vous-même le même type de rapport
lorsque vous vous constituez comme sujet politique qui va voter ou lorsque vous
cherchez à réaliser votre désir dans une relation sexuelle. Il y a sans doute des
rapports et des interférences entre ces différentes formes du sujet, mais on n’est
pas en présence du même type de sujet. Dans chaque cas, on joue, on établit à soi-
même des formes de rapport différentes » (Foucault, 1984, 1994-IV, p. 719).
13 Les tendances aujourd’hui dominantes en psychologie vont dans le sens d’une
conception dynamique des processus identitaires. Par exemple, observe Michel
Fluteau (1995, p. 122) : « certains auteurs ont abandonné la notion de traits. Ils pensent
(Cantor & Kihlstrom, 1987, par exemple) qu’il existe bien des différences stables entre
les individus, mais celles-ci étant de leur point de vue étroitement associées à des
situations spécifiques, ils considèrent qu’il n’y a guère de sens à les conceptualiser sous
forme de traits inférés à partir de comportements qui covarient. Dans cette

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


174

perspective, l’unité d’analyse de la personnalité n’est plus le trait mais le bloc formé
par les cognitions, affects et activités de la personne qui se manifestent dans une
situation particulière
14 Les analyses que l’on va développer s’accordent avec cette vue. Elles considèrent
néanmoins que ce « dynamisme de l’identité » ou cette « malléabilité de la
personnalité » ne peuvent être compris sans tenir compte de la stabilité et de la
diversité relatives des structures des rapports sociaux. C’est en effet au sein de telles
structures que l’individu déploie certains jeux en fonction des interactions qu’il vit.
Autrement dit, comprendre la dynamique des constructions identitaires, c’est à la fois
tenir compte des structures et des interactions. C’est le rôle de celles-ci dans la
construction ‒ notamment ‒ de la « subjectivité » des jeunes et dans la « mise en
forme » de leurs intentions d’avenir qu’on se propose d’examiner ici.

Le siècle de l’école

15 Dans un premier temps, on s’intéressera aux liens existant entre les structures du
système scolaire et la constitution de certaines formes de la subjectivité des jeunes.
16 Dans les pays industrialisés, le siècle des individus et du souci de soi fut aussi le siècle
de l’école, c’est-à-dire celui du développement d’institutions spécialisées qui séparent
les jeunes des adultes. Comme l’observe Norbert Elias, « même dans la société
médiévale européenne, le jeune individu se formait et recevait son enseignement le
plus souvent au service d’un maître adulte avec qui il était en contact direct. Le page
servait le chevalier. L’apprenti, le maître de sa corporation. (...) Avec la spécialisation
croissante et la complication de plus en plus grande des professions des adultes, les
jeunes de couches de plus en plus larges de la population reçoivent, au lieu de la
préparation directe qui prévalait jadis, une préparation indirecte dans des instituts
spécialisés d’un genre ou d’un autre » (Élias, 1997, p. 171). Cette préparation indirecte
est devenue de plus en plus longue : ainsi, en France aujourd’hui, la majorité des jeunes
fréquentent l’école pendant une période d’environ 20 années.
17 Ces deux caractéristiques (socialisation indirecte et longue durée) font certainement de
l’école un lieu privilégié ‒ et très particulier ‒ de la construction de la « subjectivité »
des enfants, adolescents et jeunes adultes.
18 L’extraordinaire développement de l’école au cours du siècle qui s’achève est selon
toute vraisemblance corrélatif de celui des sociétés industrialisées que caractérisent la
complexité et la rapidité de leur évolution. Dans de telles sociétés, la socialisation ne
peut plus avoir pour fin d’amener les individus à se construire rapidement des
identités sociales et professionnelles bien circonscrites leur permettant de s’insérer
dans des contextes sociaux aux contours bien définis. Elle vise plutôt, à les conduire à
anticiper globalement des trajectoires sociales et personnelles probables dans des
environnements personnels, sociaux et professionnels relativement mouvants.
19 Ce sont par conséquent des visions particulières de soi et d’autrui que l’école conduit
les élèves à construire. La théorie des champs et de l’habitus de Pierre Bourdieu
suggère l’hypothèse suivante : la fréquentation par le jeune d’un système scolaire
(organisé d’une certaine manière) l’amène à former dans son esprit un système
représentatif de soi-même, d’autrui, des formations et des professions, organisé selon
les dimensions fondamentales qui structurent ce système, telles que cet adolescent les
perçoit de la position qu’il y occupe.

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


175

Interlocutions, cadres et formes identitaires

20 Une telle conceptualisation laisse néanmoins deux questions dans l’ombre. Il s’agit,
d’une part, de l’analyse des médiations par lesquelles ces structures « objectives »
deviennent des structures mentales et, d’autre part, du problème de l’intégration en un
système relativement unifié des « construits » représentatifs suscités à l’occasion de
l’ensemble des expériences qu’effectue le jeune. L’adolescent n’est en effet pas qu’un
élève : il vit aussi (et dans certains cas : surtout !) hors de l’école. Quelles dimensions
cognitives construit-il à l’occasion de ces différentes catégories d’activités ? Comment
les combinent-ils entre elles ? Quels sont les processus constitutifs de leur intégration ?
21 Deux hypothèses sont proposées pour répondre à ces questions. La première est dérivée
du courant de l’interactionnisme symbolique et de la philosophie pragmatique
dialogique. Elle pose que l’ensemble des interactions et des interlocutions présentes
joue un rôle essentiel dans la construction et l’intégration des dimensions
représentatives, qui, à la fois, sont constitutives de la subjectivité et déterminent la
formation des représentations d’avenir.
22 La seconde de ces hypothèses est née d’un rapprochement de modèles sociologiques et
du concept de « cadre » tel qu’il fut élaboré en intelligence artificielle. Cette hypothèse
conduit à concevoir la subjectivité comme un système (relativement) unifié et structuré
de « formes identitaires » substituables, dans lesquelles l’individu se construit et se
représente (lui-même et autrui). Ces formes identitaires sont élaborées à partir de
cadres cognitifs « identitaires », c’est-à-dire de schémas structurés relatifs aux
catégories de personnes telles que l’organisation sociale les détermine.
23 Comme on le verra, ce modèle des cadres et formes identitaires vicariantes permet à la
fois d’intégrer différentes approches relatives à la « construction de soi » et aux
stratégies identitaires » et d’analyser les processus complexes de la formation des
intentions d’avenir à l’adolescence. Il conduit enfin à s’interroger sur les pratiques en
orientation pertinentes avec les adolescents (et adultes d’aujourd’hui).

1 Organisation scolaire et processus de formation de


la subjectivité des jeunes
1.1. Champs et Habitus

24 La théorie de Bourdieu constitue une reprise et un développement des travaux de Émile


Durkheim et de Marcel Mauss et, en particulier, de « Quelques formes primitives de
classification » (1902). L’idée centrale en est que « il existe une correspondance entre
les structures sociales et les structures mentales, entre les divisions objectives du
monde social ‒notamment en dominants et dominés dans les différents champs ‒ et les
principes de vision et de division que les agents leur appliquent » (Bourdieu, 1989, p. 7).
S’il existe une telle correspondance entre structures sociales et structures cognitives,
« si les divisions sociales et les schèmes mentaux sont structuralement homologues,
c’est parce qu’ils sont génétiquement liés, les seconds résultant de l’incorporation des
premiers » (Bourdieu & Wacquant, 1992, p. 21). Deux concepts permettent de penser
cette genèse : le champ et l’habitus.

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


176

25 Comme le note Willem Doise, le champ est la notion clef. « Elle désigne un ensemble
d’objets sociaux ayant entre eux des relations de hiérarchie et d’opposition qui
structurent précisément la répartition, entre ces objets, d’un capital spécifique de
valeur sociale » (Doise, 1990, p. 125). Ce système de relations situe les uns par rapport
aux autres, non seulement ces objets, mais aussi les sujets qui s’y intéressent d’une
certaine manière, ces différentes manières comprenant l’indifférence ou le rejet. Ces
relations sont toujours « évaluatives Chaque champ est doté d’une « gravité
spécifique » qui y détermine la valeur. « Dans les sociétés hautement différenciées, le
cosmos social est constitué de l’ensemble de ces microcosmes sociaux relativement
autonomes (...). Par exemple, le champ artistique, le champ religieux ou le champ
économique obéissent à des logiques différentes » (Bourdieu & Wacquant, 1992, p. 73).
Ces champs sont néanmoins organisés de manière analogue : des individus socialement
semblables y occupent généralement des positions homologues. En effet, « les relations
à l’intérieur d’un champ spécifique sont de même nature que les relations entre les
classes du champ des rapports de production » (Doise, 1990, p. 125).
26 Éduquer un individu, c’est l’immerger dans une pluralité de champs. Cette immersion
se situe nécessairement en un point donné de chaque champ. Cela a une conséquence
fondamentale : le sujet apprend à percevoir l’ensemble du champ, c’est-à-dire les
éléments qui le constituent et, surtout, les relations qu’ils entretiennent entre eux du
point de vue qui est le sien. Ce point de vue sur le champ produit à partir des
expériences — des pratiques — liées à cette position dans le champ est un élément
constitutif de l’habitus du sujet dans le champ considéré. Cet habitus consiste en un
certain nombre de schèmes de perception, d’appréciation et d’action qui continueront
à le guider dans ses représentations, ses jugements et ses actes bien après la période de
formation. La position sociale dans chaque champ est donc fondamentale : elle
détermine la nature des expériences d’apprentissage, qui conduisent elles-mêmes à la
formation de systèmes de classement et de perception (et de pratiques). Ceux-ci ne se
transformeront que lorsque le sujet fera des expériences différentes de celles qu’il fit :
ce qui est peu fréquent, puisqu’il est rare qu’un individu soit amené à occuper une
position différente dans un champ.
27 Dans un champ donné et à un moment donné, tous ces points de vue n’ont pas la même
valeur : l’habitus dominant (la manière socialement valorisée à époque donnée de voir
les choses dans ce domaine) est celui des groupes en position socialement dominante.

1.2. Le champ scolaire

28 Parmi tous les champs que fréquente un enfant, l’un joue un rôle particulièrement
important dans la production de structures mentales homologues aux structures
sociales : il s’agit du système scolaire. Son organisation est en effet particulièrement
saillante : les différentes formations y entretiennent des relations précises les unes avec
les autres et des règles en régissent le fonctionnement.
29 Certaines filières sont plus prestigieuses que d’autres : elles permettent de continuer
des études longues dans des voies socialement valorisées. Ainsi, les filières aujourd’hui
valorisées en France sont celles où l’accent est mis sur les sciences pures, la physique
mathématique ou les humanités classiques : c’est en effet le degré d’abstraction des
études qui détermine la valeur dans ce champ scolaire (qui constitue sa « gravité
spécifique »). Les formations se différencient aussi en fonction des types d’élèves qui y

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


177

sont scolarisés : certaines sont sexuellement et/ou socialement mixtes, d’autres


accueillent plutôt des garçons ou plutôt des filles, des jeunes de milieux privilégié ou
défavorisé, etc.
30 Bien qu’il existe d’importantes différences d’un système scolaire à l’autre, quant à leur
« prégnance », toute organisation scolaire fonctionne selon des règles. Certaines sont
explicites alors que d’autres sont moins claires aux yeux des acteurs — professeurs,
élèves et parents — qui, pourtant, s’y réfèrent. On entend ainsi parfois des affirmations
telles que : « ce jeune, je le vois bien faire cela » son habitus est perçu comme semblable
à celui ordinaire dans la formation considérée. Dans une filière spécifique, prévaut en
effet un « habitus culturel dominant » (Voir Guichard et al., 1994a).

1.3. L’école : un miroir structuré structurant l’image scolaire de soi


des jeunes

31 Cette organisation de socialisation, ainsi structurée, définit des dimensions


fondamentales dans lesquelles l’adolescent apprend à se percevoir (et à percevoir
autrui). L’école peut ainsi être décrite comme un miroir structuré proposant à
l’adolescent un certain reflet de lui-même dans lequel il se reconnaît d’une certaine
manière. En ce sens, ce miroir structuré devient fréquemment un miroir structurant
(Guichard, 1993, 1996).
32 La dimension principale qui organise la vision de soi (et des autres) dans ce miroir est
celle de l’excellence telle qu’elle est scolairement produite et définie.
33 Cette dimension se met en place dès les premiers mois de la scolarisation, comme ont
pu le montrer Hannu Räty, Leila Snellman et Kati Kasanen (1999). Ces chercheurs
proposèrent, à des enfants entrant à l’école élémentaire (c’est à-dire, âgés de 7 ans, en
Finlande), la tâche suivante : choisir parmi les photographies de l’ensemble de leurs
camarades de classe, celle de l’un d’entre eux qu’ils sélectionneraient comme
partenaire pour former une équipe de deux devant participer à une compétition de
mathématiques. Il leur fallait ensuite donner les raisons de leurs choix. Ils devaient
faire de même pour une compétition de lecture, de dessin et de course. Les mêmes
enfants furent interrogés à trois reprises : un mois et demi après la rentrée, après trois
mois et demi d’école et en fin d’année scolaire. Les auteurs concluent : « dès le tout
début de l’année scolaire, les élèves entrant à l’école procèdent à des évaluations
comparatives, notamment pour évaluer les capacités à la course. Les changements de
critères d’évaluation, allant dans le sens d’un renforcement des dimensions scolaires,
concernent les disciplines théoriques, c’est-à-dire les mathématiques et la lecture, pour
lesquelles la proportion de critères relatifs à la qualité de la performance (qualité,
vitesse et exactitude) augmente tandis que l’utilisation de critères de sociabilité ["je
l’aime bien", "c’est mon ami", "on s’intéresse aux mêmes choses"] disparaît
complètement. En fait, à la fin de la première année d’école, les enfants ne paraissent se
référer à des critères de sociabilité que dans des tâches non compétitives, c’est-à-dire
lorsqu’on leur demande de choisir un camarade de jeux ou dans une épreuve de
jugements de similarité » (Räty, Snellman, & Kasanen, 1999, p. 234).
34 De nombreuses études ont montré le rôle fondamental de la réussite ou de l’échec
scolaire dans la construction d’une certaine image de soi. Parmi cellesci, on peut citer
celle déjà ancienne de Michel Gilly, Michel Lacour et Roger Meyer (1972). Ces
chercheurs mirent en évidence une forte dévaluation — liée à l’échec scolaire — des

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


178

images propres et sociales de l’intelligence, de la persévérance et de l’attention. Les


élèves faibles se jugent (image propre de soi) moins intelligents, moins persévérants,
moins attentifs que ceux qui réussissent en classe. Par ailleurs, ils estiment que les
autres (images sociales de soi) les jugent aussi de cette manière. De plus, Gilly et al.
observèrent, chez ces élèves faibles, des dysharmonies marquées entre leur image
propre et leurs images sociales de soi (ils estiment que les autres les jugent plus
négativement encore qu’ils ne se jugent eux-mêmes). On pourrait citer d’autres travaux
conduisant à des résultats semblables et, notamment, ceux de sociologues qui ont
étudié la question de l’insertion des jeunes sortis de l’école en échec (Dubar (Éd.), 1987,
Nizet & Hiernaux 1984 ; Laks, 1983). Ces différentes études mettent en évidence que ces
adolescents ont fréquemment construit des images de soi d’hommes sans qualité Ces
travaux valident, dans ses grandes lignes, l’hypothèse de Linda Gottfredson (1981) selon
laquelle, à l’école, un adolescent apprend à déterminer la limite supérieure des
positions sociales qu’il peut espérer atteindre.
35 Cette dimension fondamentale de l’excellence scolaire n’est pas la seule selon laquelle
s’organise ce miroir structuré qu’est le système scolaire. Un système scolaire, comme
on l’a noté, constitue toujours un système de classement des disciplines scolaires
allant de pair avec un système de répartition des individus. Cela a une conséquence
en termes cognitifs : un adolescent, plongé dans un système scolaire déterminé, y
apprend (de manière implicite, compte tenu de l’organisation de ce système) :
• premièrement, que certaines disciplines vont plutôt ensemble et qu’elles se distinguent d’
autres ;
• et, deuxièmement, que ces catégories de disciplines correspondent plutôt à des types
d’élèves.
36 Par exemple, dans le système scolaire français, un élève apprend que les langues
vivantes et le français, cela va plutôt ensemble. Il observe aussi que ces disciplines
littéraires s’opposent aux disciplines scientifiques. En même temps, il remarque que
« littéraire » est concrètement associé à « féminin » et que « scientifique » l’est à
« masculin ».
37 Ces systèmes objectifs de classement des savoirs et des personnes devenus
schèmes cognitifs jouent un rôle fondamental dans la représentation de la tâche
« faire des choix » pour son orientation. C’est ce que Alain Kokosowski (1983) a mis en
évidence à la fin des années 70. Il a observé que les représentations d’avenir des lycéens
français formaient deux sous-ensembles. Le premier fait référence à la situation
scolaire actuelle de l’élève : le jeune s’estime « bien » ou « mal » orienté, il se juge « fort
« moyen » ou « faible » dans les différentes matières, etc. Le second sous-ensemble
comprend, d’une part, des traits permettant d’évaluer les filières de formation
supérieure (longues ou courtes, masculines ou féminines, comportant ou non certaines
matières, faciles ou difficiles, etc.) et, d’autre part, des dimensions relatives aux
professions (conception — exécution, sédentaire — mobile, relationnel — bureau, etc.).
Le poids de la vision scolaire actuelle de soi est ainsi déterminant dans la
représentation du futur.
38 Plus récemment, on a montré qu’un élève ne se représente pas les professions de la
même manière, selon la position qu’il occupe dans le système scolaire. On observe en
effet de notables différences dans la perception de la structure professionnelle selon le
sexe de l’élève, selon sa filière d’étude (Guichard & Cassar, 1998) et aussi probablement
selon sa trajectoire sociale et scolaire (Guichard et al., 1994a ; 1994b, Guichard, 1996).

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


179

Par exemple, un garçon préparant un baccalauréat scientifique tend à décrire le


médecin et l’ingénieur de manière semblable et à les différencier nettement des
professions d’assistance à autrui. Une jeune fille se préparant à un baccalauréat
médico-social tend au contraire à percevoir comme proches les professions de médecin,
d’infirmier et d’instituteur et à les différencier de l’ingénieur.
39 Ces observations conduisent à invalider l’hypothèse de Linda Gottfredson (1981) d’une
carte cognitive unique des professions : bien que tous les adolescents privilégient dans
leur évaluation des professions les dimensions « prestige » et « masculinité-féminité »
(comme le postule Gottfredson), ils ne se réfèrent pas pour autant à une même carte
cognitive décrivant la structure professionnelle. Au contraire, la structure des relations
entre les professions apparaît déterminée par la position qu’occupe l’adolescent dans le
système de formations.
40 De ces approches, on peut donc retenir que le système scolaire informe ‒ au sens de
donner une forme ‒ à la fois l’image de soi des élèves et leur manière de se projeter
dans l’avenir. Le reflet scolaire de soi formé dans le miroir structuré qu’est le système
scolaire est ainsi un puissant adjuvant à la « formation des vocations ».
41 Mais, à quelles conditions un élève se reconnaît-il dans ce reflet ? A quelles conditions
intériorise-t-il cette image de soi que lui propose l’école ? A quelles conditions le miroir
structuré se fait-il miroir structurant ? Ou, pour le formuler d’une manière plus imagée,
en reprenant la question posée par Jean-Paul Sartre (1952, p. 56) à propos de Jean
Genet, à quelles conditions celui à qui l’on dit « je te vois comme un voleur » se dit-il :
« je deviendrai le voleur que tu vois en moi » ?

2. Cosmos social, interactions, dialogue et subjectivité


2.1. Homologies structurales

42 Le modèle de Pierre Bourdieu fournit un élément de réponse intéressant, mais


insuffisant à lui seul pour comprendre cette reconnaissance de soi. La conception de la
société comme un ensemble de champs formant un cosmos social (cf. supra) conduit en
effet à poser l’hypothèse selon laquelle plus les positions occupées par un adolescent
dans les différents champs qu’il fréquente seront analogues, plus il se reconnaîtra
immédiatement dans le reflet scolaire de soi. Ainsi, le garçon bourgeois, habitant un
quartier bourgeois, bon élève d’une filière scientifique, sera tout prêt à se percevoir
comme doué d’une intelligence abstraite. Réciproquement, la jeune fille d’origine
modeste, résidant dans une banlieue ouvrière, ayant des difficultés à préparer un
diplôme administratif, se percevra aisément comme plutôt dotée d’un sens pratique
développé.
43 La situation est plus complexe dans les cas de dysharmonie des positions 2 (2). En
s’inspirant des observations de Howard Becker (1985) sur la constitution des identités
déviantes, on peut cependant poser que les interactions avec autrui jouent alors un
rôle fondamental. Dans une perspective plus directement dialogique, on peut même
postuler que c’est par la médiation du discours avec l’autre que « je » se définit, se
redéfinit et se construit. L’interaction dialogique jouerait ainsi un rôle fondamental
dans la construction de soi. Dans l’interaction dialogique avec autrui, « je » me
reconnais et me construis ainsi.

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


180

2.2. Transaction relationnelle et transaction biographique

44 Dans son approche de la construction identitaire, Claude Dubar (1992, 1998a)


différencie deux types de processus. Il distingue, d’une part, une transaction
relationnelle et, d’autre part, une transaction biographique. La transaction
relationnelle (ou objective) est un processus de mise en relation des identités
attribuées ou proposées et des identités assumées ou incorporées. La transaction
biographique (ou subjective) est une mise en relation des identités héritées et des
identités visées.
45 La première transaction pourrait donc être dite synchronique et la seconde
diachronique. La construction identitaire serait ainsi le fruit d’une double
transaction : une négociation relative à l’offre identitaire institutionnelle et une
délibération intime (1998b).
46 Ce modèle peut être traduit dans le langage de la psychologie du soi. En effet, la
première transaction renvoie au problème de l’articulation entre les images sociales
de soi et les images propres de soi. La seconde désigne la question des liens entre soi
passé, soi actuel et soi possible. Deux différences majeures conduisent néanmoins à
distinguer la psychologie du soi et le modèle de Dubar.
47 D’une part, ce dernier insiste sur le rôle des étiquetages sociaux et de ce qu’il nomme
l’offre identitaire, c’est-à-dire les identités proposées dans lesquelles le sujet peut se
reconnaître ou non. Cet étiquetage et cette offre constituent l’une des origines des
formes identitaires. Ces formes, dans lesquelles le sujet s’identifie au moins
momentanément, sont définies comme « des produits instables de ces transactions
biographiques et relationnelles dans un contexte de fortes incitations au
changement » (Dubar, 1998b, p. 100). D’autre part, Dubar insiste sur le rôle de la « mise
en récit », sur le rôle de l’argumentation à propos de soi, dans la genèse de ces formes
identitaires.
48 Pour un psychologue, cet intéressant modèle de Dubar demande à être précisé. En
particulier, le rôle du récit dans la construction de soi et la notion de forme identitaire
doivent être analysés et éclaircis.

2.3. Formes d’interlocutions et formes identitaires

49 Un récit a toujours un destinataire. Ce peut être un autre réel, proche dans un des
champs que fréquente l’individu. Ce peut-être un autre intériorisé : un autre qui est en
soi. Le récit est pour autrui. Dans tous les cas, le récit renvoie à un dialogue : c’est ce
que je m’entends dire à la personne à laquelle je l’adresse. Le récit présuppose un autre
à qui on l’adresse en réponse à une interrogation, une assertion, un signe, etc., perçu ou
imaginé de lui. L’interaction dialogique est au principe même du récit.
50 Or, cet autre (réel ou imaginaire) à qui je m’adresse dépend de mes interactions
actuelles ou passées. J’entre en dialogue avec un individu — ou je construis ce récit pour
des destinataires — avec lequel ou lesquels j’entretiens ou j’ai entretenu certaines
relations. Les interactions communautaires qu’évoque Bill Law (1981) ou les
microsystèmes de Fred Vondracek et al. (1986) apparaissent ainsi jouer des rôles
cruciaux dans la construction de soi. On peut penser qu’au cours de ces interactions
dialogiques effectives ou imaginaires ‒ ou à l’occasion de ces récits ‒ tel soi possible

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


181

m’apparaît être un soi probable alors que d’autres sois possibles deviennent
improbables.
51 L’interaction dialogique n’est certainement pas le seul élément intervenant dans ce
passage d’un soi possible à un soi probable : les expériences effectives de l’individu (et
notamment ses activités, ses succès et ses échecs, ses rencontres, etc.), jointes à la
manière dont il se les représente, y tiennent une place majeure. Il est en effet difficile
d’ignorer le rôle fondamental de l’activité (tätigkeit) dans la construction de soi. Comme
le rappelle Andrey Brushlinsky, citant Sergei Rubinstein (1986, 1922), « le sujet fait plus
que se révéler et se manifester dans ses actions et dans les actes de son activité
créatrice indépendante : il est créé et déterminé par eux. C’est pourquoi l’on peut
utiliser les choses qu’il fait pour déterminer ce qu’il est : la direction de son activité
peut être utilisée pour déterminer et mouler son caractère « Par là ‒ poursuit Andrey
Brushlinsky ‒ la psyché humaine ne se manifeste pas seulement dans l’activité
(professionnelle, universitaire, cognitive, ludique, etc.) mais se trouve formulée par
celle-ci. » (Brushlinsky, 1990, p. 67).
52 Mais, parmi ces activités, celles — spécifiques — d’interlocution avec autrui jouent très
vraisemblablement un rôle majeur dans la construction de la subjectivité de l’individu.
En effet, pour faire siennes l’ensemble de ses expériences et de ses représentations, le
sujet doit se les dire et se les entendre dire. Or, un tel dialogue intime ne peut avoir
pour origine que l’interaction et l’interlocution avec autrui.
53 La distinction opérée par Dubar entre processus synchronique et processus
diachronique est heuristique. Mais, la transaction biographique (diachronique) ne peut
être analysée comme une simple délibération intime. Cette délibération même est
d’essence dialogique. On peut postuler que c’est précisément la mise en récit de soi
pour autrui qui permet ce passage de l’offre identitaire à l’identification dans cette
forme identitaire-là. Comme le note Francis Jacques (1979, p. 384) (dans une
perspective ontologique) : « en fait la question n’est pas tant de savoir si le moi ne se
définit que par rapport à l’autre, mais de savoir si la relation à l’autre l’aide vraiment à
se définir (...). Toi, c’est l’autre en tant qu’il entre en moi dans une communauté de
communication. (...L La donnée philosophique première est le fait de la parole échangée
qui circule entre eux dans son espace institué ». « Chacun s’entend en l’autre, comme
l’autre parle en lui » souligne Francis Jacques (1979, p. 385).
54 Mais, ajouterait Mickael Bakhtine (1981), cet autre qui parle en nous, parle dans des
formes déterminées. Ces voix (pour reprendre la terminologie de Bakhtine) des autres
en nous utilisent des langues nationales (russe, allemand, français, etc.). Elles sont
constituées de types de paroles sociales (dialectes sociaux, jargons professionnels,
langages de groupes d’âges et d’autorités divers) et de genres de parole
(commandement militaire, manière de se saluer, conversations de salon sur la vie
quotidienne, échanges à tables, récits quotidiens, etc.). « Ces énoncés pré-construits et
stabilisés retiennent la mémoire impersonnelle d’un milieu social dans lequel ils font
autorité, et ils donnent le ton. Ils trahissent les sous-entendus qui règlent les rapports
aux objets et entre les personnes, traditions acquises qui s’expriment et se préservent
sous l’enveloppe des mots. Ils prémunissent le sujet contre un usage déplacé des signes
dans une situation donnée. Un genre est toujours attaché à une situation dans le monde
social » (Clot, 1999, p. 169). Ma voix ‒ c’est-à-dire mon énoncé proféré, dans cette
intention-là, avec ce timbre et cet accent-là ‒ se fonde sur l’appropriation (la
« ventriloquie ») de la voix d’autres personnes dans d’autres contextes

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


182

55 Le mot dans le langage est à moitié celui de quelqu’un d’autre. Il ne devient « un mot
propre » que quand celui qui parle l’investit de sa propre intention, de son propre
accent, quand il s’approprie le mot, l’adaptant à sa propre intention sémantique et
expressive. Avant ce moment d’appropriation, le mot n’existe pas dans une langue
neutre et impersonnelle (après tout, ce n’est pas dans le dictionnaire que celui qui parle
trouve ses mots !), mais celui-ci existe plutôt dans les bouches d’autres personnes, dans
les contextes d’autres personnes, et au service des intentions d’autres personnes ; c’est
là qu’on doit prendre le mot pour le faire sien. (Bakhtine, 1981, pp. 293-294, cité par
Wertsch, 1990, p. 117).
56 Notre propre discours se construit ainsi dans des formes sociales de paroles, dans ce
que l’on pourrait nommer, en reprenant la terminologie de Roger Schank et Bob
Abelson (1977, 1995), des « scripts », mais des scripts dont il faut souligner qu’ils
varient selon les contextes sociaux fréquentés par l’individu. Il semble donc qu’on
puisse poser l’hypothèse conclusive suivante : les formes socialement déterminées
d’interlocutions (cf. Erving Goffman, 1974) semblent constituer un élément
essentiel de la construction de soi dans une forme identitaire déterminée (c’est-à-
dire dans l’appropriation de telle offre identitaire).
57 À l’adolescence, ces formes d’interactions et d’interlocutions ‒ notamment avec des
pairs ‒ pourraient jouer un rôle essentiel dans les essais de formes identitaires que
certains auteurs considèrent comme caractéristiques de cette période (cf. l’adolescence
comme moratoire psychosocial de Erik Erikson et la période des choix à l’essai
(« tentative choices de Eli Ginzberg et al., 1951).

3. Cadres et formes identitaires vicariantes


58 Pour le psychologue, la notion de « forme identitaire » est ambigüe. Cette terminologie
suggère l’existence de dimensions sous-jacentes et relativement intégrées. Mais quelles
sont ces dimensions ? Comment s’intègrent-elles ? Et comment concevoir la relative
instabilité de l’identité que le concept de forme identitaire vise à saisir ? Ces différentes
questions renvoient à une interrogation essentielle pour le psychologue : quelle est la
nature des représentations mentales en jeu ?
59 En psychologie, le concept sémantiquement le plus proche de celui de forme est celui
de cadre. Il fut défini, dans le domaine de l’intelligence artificielle par Marvin Minsky,
en 1975. Le cadre désigne un schéma mental relatif à la structure d’une situation
ou d’un objet familier. Cette structure mentale comprend des « cases » (slots) qui ont
généralement des valeurs par défaut (Barsalou, 1992, p. 160). Par exemple, le cadre
« pièce » comprend les éléments « murs « plancher », « plafond », « porte » et
« fenêtre ». Ces éléments sont dans des rapports définis les uns par rapport aux autres :
le plafond et le plancher sont horizontaux, le premier se situe à une certaine hauteur
au-dessus du second. Selon cette perspective cognitive, notre esprit est formé —
notamment — d’un système de cadres. Comprendre une information ou une situation
ou reconnaître un objet, c’est déterminer le cadre ou la configuration de cadres qui
permet le mieux de la (ou de le) saisir.

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


183

3.1. Cadres identitaires

60 Le cadre cognitif n’est pas une représentation immédiatement présente à la conscience.


C’est une structure qui permet à l’individu de saisir immédiatement un « objet » (réel,
social, une situation, etc.) du monde qui l’entoure. Dans cette perspective, on proposera
la définition suivante : un cadre identitaire est un schéma (cognitif) structuré
relatif aux principales caractéristiques des individus appartenant à l’une des
catégories de personnes que notre expérience sociale nous conduit à concevoir.
On peut citer à titre d’exemples : femme, catholique, « gay », employé Ford, supporter
d’une équipe de football, du signe du scorpion, routier, allemand, immigré, etc. Les
caractéristiques que le cadre identitaire prend en compte sont en particulier : des traits
physiques, des traits « psychologiques » (caractère, tempérament, aptitudes, etc.), des
manières de se présenter, de se comporter, d’interagir, de parler, d’agir, etc. Certaines
de ces caractéristiques sont dans des rapports définis les unes avec les autres : par
exemple, certains éléments sont immédiatement perceptibles alors que d’autres
renvoient à une intériorité du sujet, des éléments perceptibles peuvent être indicatifs
de traits de caractère, etc.
61 3.2. Système de cadres identitaires
62 Les cadres identitaires constituent des représentations cognitives (non immédiatement
conscientes) permettant de situer autrui et de se situer par rapport à autrui. Certains
de ces cadres sont plus généraux que d’autres, ou formés plus précocement, ou plus
centraux, ou plus universels peut-être certains sont prestigieux, certains désignent des
minorités, certains font référence à des groupes sociaux stigmatisés, etc. Les cadres
identitaires forment un système dans l’esprit de celui qui se les représente. Le système
des cadres identitaires désigne l’ensemble structuré des relations entre cadres
identitaires, dans l’esprit d’un individu socialement situé. Ces relations peuvent être
des inclusions, des exclusions, des complémentarités. Elles renvoient souvent à des
évaluations, notamment en termes de prestige et de légitimité.
63 Le système des cadres identitaires constitue le substrat de la représentation de la
structure des rapports entre les catégories sociales (les « groupes sociaux » de tous
types) telle qu’elle s’organise dans l’esprit d’un individu objectivement et
subjectivement situé dans son « cosmos social Le système des cadres identitaires est
donc ce qui organise la vision des rapports entre « groupes sociaux » d’un individu. Le
système des cadres identitaires constitue l’offre identitaire en notre esprit.

3.3. Formes identitaires

64 Le système de cadres identitaires est une structure de structures sous-jacentes à la fois


à la représentation de soi et des autres et à la construction de soi. Dans une telle
perspective, la forme identitaire est une représentation consciente de soi (ou d’un
autrui déterminé) selon la structure d’un cadre identitaire défini.
65 La prise en compte des recherches sur l’identité et les groupes conduit cependant à
distinguer, parmi les formes identitaires, les formes identitaires subjectives. Celles-ci
ne constituent pas une activation en mémoire de travail de cadres identitaires dans
lesquels le sujet se reconnaîtrait. Autant quelques dimensions stéréotypées peuvent
permettre de situer autrui dans un cadre identitaire défini, autant la forme identitaire
subjective constitue une véritable construction de soi dans un cadre identitaire où

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


184

entrent en jeu des phénomènes « d’identisation » (Tap, 1980), de « primus inter pares »
(Codol, 1989), de subjectivation (Foucault, 1982, 1994-1V) etc. (D’un point de vue
cognitif, cela signifie que le sujet attribue des valeurs spécifiques à certaines « cases »
du cadre quand il se construit dans une forme correspondant à ce cadre).

3.4. Double vicariance des formes identitaires

66 Les observations relatives à la stabilité ou à la malléabilité du soi et la conception de


Michel Foucault du sujet comme une forme (qui « n’est pas partout ni toujours
identique à elle-même » ; cf. supra) conduisent à postuler que cette construction de soi
(dans cette forme identitaire subjective-là) dépend à la fois de caractéristiques
relativement stables du sujet (il se reconnaît selon ces dimensions de ces cadres
identitaires-là) et des contextes d’actualisation de soi.
67 En se fondant sur la notion de « processus vicariants » proposée par Maurice Reuchlin
(1978, 1999), l’hypothèse d’une double vicariance des formes identitaires peut être
posée. Dans un certain contexte, le sujet se constituerait dans ce cadre identitaire-là
(par exemple : supporter du club de football « Paris-Saint-Germain »). Cette
construction de soi dans ce cadre identitaire se ferait sous une forme identitaire
caractéristique de l’individu considéré : une forme identitaire subjective (où les
cases du cadre prendraient une valeur propre). Dans un autre contexte, ce même
individu pourrait se construire sous une autre forme identitaire subjective (par
exemple : « salarié Ford »). Telle serait la première vicariance des formes identitaires.
La seconde renverrait aux variations de la construction d’une même forme
identitaire subjective liée au contexte d’actualisation. La valeur « propre » donnée à
telle ou telle case du cadre serait susceptible de certaines variations. Par exemple, la
caractéristique « comportement » du cadre identitaire « supporter du Paris-Saint-
Germain » pourrait prendre la valeur propre « violent envers autrui » pour un individu
donné. Cette valeur serait celle de la « case » comportement de sa forme identitaire
subjective. Celle-ci, dans le cadre d’un certain match, pourrait le conduire à se
constituer dans une forme identitaire subjective actuelle d’individu verbalement
violent et, lors d’un autre, dans celle d’un sujet physiquement violent.

3.5. Système des formes identitaires et subjectivité

68 Cette double vicariance des formes identitaires n’a pas pour conséquence que l’unité du
sujet disparaîtrait. Le sentiment d’être le même et que les autres sont les mêmes sont
en effet très forts. Ces deux types de représentations se fondent sur l’unicité du
système de cadres identitaires. Le sentiment d’être le même repose sur le sentiment
que les différentes formes identitaires personnelles ‒ dans lesquelles nous nous
identifions ‒ vont ensemble, qu’elles sont toutes miennes. Elles forment pour le sujet le
système subjectif de ses formes identitaires (subjectives). La subjectivité est ainsi le
système unifié et structuré des formes identitaires dans lesquelles l’individu se
construit et se représente. C’est la représentation consciente des relations entre
formes identitaires subjectives. Cette représentation est évidemment susceptible
d’évolution. Elle est aussi sensible aux contextes sociaux : dans une organisation sociale
très structurée, où les rapports sociaux entre individus sont à la fois simples, clairs et
prégnants, le sentiment d’être le même, d’être toujours identique à soi-même est

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


185

beaucoup plus fort que dans une société où le sujet a l’occasion de se construire dans
différents cadres identitaires.

3.6. Portée du modèle des cadres et formes identitaires vicariantes

69 Le modèle dont on vient d’esquisser les grandes lignes, offre l’avantage de permettre
d’intégrer différentes approches actuelles de la « subjectivité » en psychologie
cognitive, en psychologie sociale et en sociologie. Les concepts de cadre et de formes
identitaires, de vicariance et de système des formes identitaires mettent en effet en
relations les problématiques de l’identité psycho sociale, des schémas de soi, des
théories implicites de la personnalité, de 1’« ego écologie des mots identitaires », de
stratégies identitaires, etc. Ne pouvant examiner ici l’ensemble de ces problématiques,
on s’arrêtera à trois d’entre elles celles des « schémas de soi des « théories implicites de
la personnalité », et des « stratégies identitaires ».
70 Les « cadres identitaires » dans lesquels un individu se construit dans une certaine
forme renvoient aux schémas de soi de la psychologie du soi. Cette notion de cadres
identitaires y ajoute cependant des considérations à la fois cognitives (quant à la
structure de ces schémas) et sociales. Dans la psychologie du soi, le « social » se réduit
généralement à la prise en compte d’interactions locales avec autrui, en faisant comme
si celles-ci se déroulaient dans un vide social, indépendamment, d’une part, de
structures locales (c’est-à-dire de chacun des champs) et, d’autre part, du cosmos social
(de l’ensemble des champs et de leurs relations). Dans le modèle proposé ici, les
dimensions centrales de soi renvoient à la représentation de la structure des relations
entre groupes d’individus.
71 D’un point de vue cognitif, les cadres identitaires sont définis comme des structures
mentales qui permettent à chacun de saisir globalement les caractéristiques sociales et
personnelles d’autrui et de soi-même. Cette notion de cadre identitaire rejoint d’une
certaine manière les théories implicites de la personnalité (T.I.P.) de Jérôme Bruner
et Renato Tagiuri (1954). Mais, deux différences doivent être soulignées :
• la première est relative à la coexistence de plusieurs cadres identitaires et à la vicariance des
formes identitaires. Les T.I.P. désignent des structures (d’ordre fondamentalement
sémantiques) sous-jacentes à la représentation d’autrui et de soi-même : elles apparaissent
particulièrement stables et peu sensibles aux contextes. Le modèle de la vicariance des
formes identitaires considère non seulement que le sujet puisse se construire dans des
formes identitaires subjectives différentes, mais il postule aussi que la constitution de soi
dans une forme identitaire déterminée conduit en même temps à se représenter autrui en
privilégiant les dimensions de cette forme subjective. (Par exemple : la dimension
« français » — « immigrés » est certainement fondamentale dans la représentation de soi et
d’autrui d’un individu qui participe à un meeting d’un parti national populiste. Si ce même
individu est agent de production chez Renault, sur le lieu de travail, un collègue de travail
immigré peut être perçu comme « un brave type comme moi » par opposition à « ceux de la
maîtrise »)
• la seconde différence entre T.I.P. et les cadres identitaires touche à la nature des éléments :
les T.I.P. désignent l’intégration de descripteurs de la personnalité. L’idée de cadre
identitaire est plus générale. En plus de ces traits de caractère, elle comprend l’idée de
manières d’être, de parler, de se comporter, etc. Par ailleurs, elle renvoie à la structure des
rapports sociaux entre groupes d’individus.

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


186

72 Ce modèle de la double vicariance des formes identitaires permet, par ailleurs,


d’analyser les changements et les stratégies identitaires. Ceux-ci peuvent y être
conçus comme étant notamment déterminés par les actualisations contextualisées des
formes identitaires. La forme identitaire subjective d’un sujet dans un cadre identitaire
déterminé serait le produit des différentes actualisations contextualisées dans cette
forme. Ces actualisations seraient à la source de son évolution. Les interactions
interindividuelles joueraient de ce fait un rôle majeur elles conduiraient à des
« ajustements opérés, au jour le jour, en fonction des variations des situations et des
enjeux qu’elles suscitent ‒c’est-à-dire des finalités exprimées par les acteurs ‒ et des
ressources de ceux-ci » (TaboadaLeonetti, 1990).
73 Dans ces stratégies individuelles (et interindividuelles), la place des cadres identitaires
socialement valorisés ne peut être ignorée. Ceux-ci peuvent être pensés comme étant à
l’origine de formes idéales de soi et de formes de soi possibles : ces formes étant
elles-mêmes liées à certaines insertions sociales (à des positions) dans des contextes
sociaux déterminés (dans des champs).

4. Formes identitaires et projets d’avenir


74 Seule la réalisation d’un programme systématique d’études empiriques permet trait de
valider le modèle des cadres et formes identitaires vicariantes. Une telle étude pourrait
consister à repérer les différents cadres identitaires dans lesquels des lycéens (par
exemple) se constituent dans des formes identitaires définies. Elle porterait également
sur la structure de chacun de ces cadres et sur le système qu’ils forment. Elle devrait
aussi vérifier le rôle des interactions interindividuelles dans la construction de soi dans
certaines formes identitaires.
75 Bien qu’un tel programme de recherche ne soit aujourd’hui qu’à l’état d’ébauche,
diverses études empiriques peuvent être considérées comme des vérifications
indirectes de certaines des hypothèses proposées. On en citera cinq. Deux d’entre elles
sont relatives au rôle des interactions effectives dans la construction de soi. Les deux
suivantes portent sur la construction des formes identitaires professionnelles
subjectives à l’adolescence. La cinquième s’intéresse à la dialectique entre formes
scolaires et professionnelles de l’identité.

4.1. Performances scolaires, dialogues familiaux et images de soi

76 La question du rôle des interactions et interlocutions dans la formation d’une image de


soi a (notamment) été abordée à l’occasion d’une reprise, par Roger Meyer en
1986-1987, des travaux de Michel Gilly, Michel Lacour et Roger Meyer (1972).
L’intention fondamentale de 1986 est la même que celle de 1972 décrire la liaison entre
les résultats scolaires et la manière dont l’adolescent se perçoit. Mais, cette fois, des
variables médiatrices sont prises en compte. Parmi celles-ci, l’intérêt que la famille
porte au travail scolaire de l’enfant. Un tel intérêt renvoie aux dialogues familiaux à
propos du travail scolaire. Les résultats mettent en évidence le poids de cette variable.
Certes, les bons élèves ont une image scolaire de soi plus positive que les mauvais. Mais,
pour les bons élèves, comme pour les mauvais, cette image est aussi plus positive quand
les parents dialoguent avec eux sur cette question3.

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


187

4.2. Interactions entre pairs et image de soi

77 Une autre recherche (Guichard & Falbierski, 1994 ; Guichard & Dosnon, 2000) manifeste
plus directement le rôle des interactions dialogiques dans la formation de certaines
images de soi. Cette recherche s’inspire également (pour une part) de la problématique
de Gilly, Lacour et Meyer. Cette fois, le public est plus âgé : il s’agit de jeunes (de 17 ans
en moyenne) qui ont quitté l’école en échec et se trouvent au chômage et dans une
situation sociale précaire. Deux groupes équivalents (expérimental et témoin) de 12
jeunes furent constitués. Chacun répondit à cinq semaines d’intervalle à deux
questionnaires (utilisant notamment des échelles de Likert) relatifs à ses images
propres et sociales de soi, à ses compétences, à ses représentations des professions, etc.
78 Au cours de ces cinq semaines, le groupe expérimental participa à un stage de quatre
demi-journées. Pendant les stages de ce type (D.A.P.P.I., voir Guichard, 1989 et 1992),
chacun dresse (notamment) la liste des habiletés et des compétences qu’il a pu se forger
à l’occasion de ses expériences les plus diverses. Dans ce repérage, le dialogue avec
autrui est fondamental : c’est à l’occasion d’interactions (en petits groupes de trois) que
chacun énonce (à ses deux camarades qui l’interrogent, acquiescent, lui demandent des
précisions, lui font des suggestions, etc.) ses habiletés et compétences et détermine des
activités nouvelles dans lesquelles s’engager pour en développer certaines.
79 Les résultats de cette étude sont tranchés : les descriptions de soi des jeunes du groupe
expérimental sont nettement plus positives au second questionnaire qu’au premier (on
n’observe pas d’évolution notable dans le groupe témoin). Le modèle des cadres et
formes identitaires vicariantes suggère la lecture suivante de ces données : l’évolution
observée dans le groupe expérimental traduirait les changements ‒ dans les formes
identitaires personnelles de chacun ‒ consécutifs aux activités dialogiques du stage. Ces
jeunes marqués par l’échec scolaire se seraient ainsi découverts dans des formes de
sujets porteurs de compétences professionnelles (dans divers métiers). Ils se seraient
vus dans le prisme inhabituel pour eux ‒ de formes identitaires professionnelles. Le
dispositif expérimental ne permet malheureusement pas de vérifier si cette
transformation est durable plusieurs questionnements auraient été nécessaires pour
s’assurer de la stabilité de cette évolution. (Observons que la méthodologie employée
présuppose que les sujets se perçoivent dans le cadre identitaire que le questionnaire
leur impose).
80 4.3. La construction des formes identitaires subjectives professionnelles (des
« vocations » professionnelles)

4.3.1. Le développement des formes identitaires vocationnelles dans le contexte


scolaire

81 L’une des « tâches développementales » (Havighurst, 1953) que nos sociétés exigent des
adolescents est qu’ils se construisent des représentations de soi dans certaines formes
identitaires subjectives correspondant à des professions qu’ils pourraient exercer. De
nombreux travaux ont décrit les étapes de cette formation. Parmi ceux-ci, les études de
Bernadette Dumora auprès de populations de collégiens sont d’un intérêt majeur. Cette
dernière repère deux processus dont la conjonction détermine les attentes relatives à
l’avenir. Le premier consiste en une réflexion comparative où le jeune établit des
relations entre lui-même et une ou plusieurs professions. Le second désigne une

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


188

réflexion probabiliste par laquelle l’élève évalue ses chances de réussite dans telle ou
telle formation. De la sixième à la troisième, chacune de ces réflexions évolue. Ainsi, la
réflexion comparative, qui était d’abord syncrétique, globale et s’étayait sur la figure
d’un professionnel, s’organise « progressivement en une confrontation et une
objectivation de traits descripteurs du soi et des professions » (Dumora, 1990 p. 118). Le
progrès observé va ainsi d’une liaison « tautologique » entre une représentation d’un
professionnel et de soi (où aucune qualité du sujet ou de la profession n’est évoquée) à
des « comparaisons tensionnelles » (qui reposent sur des dimensions clairement
définies). Par exemple, tel élève de 6e qui se rêve comme footballeur professionnel
(c’est-à-dire : qui se projette métaphoriquement dans cette profession) déclare :
« quelquefois je me fais des images dans ma tête, (rires) ... bien sûr c’est bête, mais je
me vois comme Platini ou Giresse, dans les grands matches ». Telle autre, en troisième,
dont les processus de mise en relation entre soi et la profession sont plus élaborés,
puisqu’il s’agit de comparaisons tensionnelles dit : « parce que j’aime les contacts, (...)
parce que j’aime les études, ( ... ) parce que je veux réussir ma vie, (...) parce que je me
rends compte que dans la vie le métier, c’est une des choses les plus importantes alors
j’hésite moi parce que je veux un bon métier mais je veux faire des études bien ... par
exemple médecine (...) c’est un métier qui me plairait métier pas les études ...
professeur, (...) ça c’est plus dur comme étude, c’est mieux, mais le métier il est moins
bien » (Dumora, 1990, pp. 116-117).
82 Ces observations peuvent être rapprochées de ce que Dubar (1992, 1998a et b) nomme la
transaction relationnelle. Elles correspondent, en effet, à la description de la formation
progressive, chez des adolescents scolarisés, d’anticipations de soi dans des formes
identitaires subjectives professionnelles. Il s’agit donc d’une mise à jour de la
construction des processus de mise en relation entre les formes identitaires proposées
et les formes identitaires assumées.
83 Le second processus décrit par Dumora ‒ la réflexion probabiliste ‒ constitue, pour sa
part, un sorte d’équivalent, dans la logique du champ scolaire, des transactions
biographiques de Dubar. Il s’agit en effet d’un « calcul subjectif dans lequel le sujet
prend la mesure de la coïncidence ou de la différence entre l’espace des possibles et
l’espace des probables » (Dumora, 1990, p. 118). La question à laquelle le collégien doit
répondre est relative au choix d’une formation censée lui assurer le meilleur avenir
possible tout en lui garantissant des chances raisonnables de succès. Dumora observe
que de l’entrée à la sortie du collège, cette réflexion évolue « de la prédiction (certitude
quasi-absolue positive ou négative), à la conjecture (incertitude) et enfin à une stratégie
raisonnée et ordonnée des possibles » (Dumora, 1990, p. 118).

4.3.2. L’anticipation de formes identitaires professionnelles à l’adolescence

84 Si le contexte scolaire joue un rôle majeur dans l’anticipation de soi dans certaines
formes identitaires professionnelles subjectives, il n’est évidemment pas le seul cadre
social dans lequel un adolescent interagit. Le contexte « communautaire » et le
contexte familial jouent aussi un rôle majeur dans les transactions biographiques
qu’effectue le jeune. C’est notamment ce que montrent les travaux que Paul Willis
(1978) effectua dans les Midlands à la fin des années soixante-dix.
85 Willis observa alors la transition de l’école à la vie active d’adolescents ‒ en échec
scolaire ‒ dont les pères travaillaient dans la sidérurgie lourde. Pour cela, il a dépeint
les manières d’être, de parler, d’interagir avec autrui, les valeurs, certaines

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


189

représentations sociales, etc. de ces jeunes et de leurs pères. Cela conduisit Willis à
décrire ce qu’il nomme, d’une part, une « culture » anti école, et, d’autre part, une
culture d’atelier. Ces deux « cultures » sont très similaires. Par exemple, à l’atelier, les
pères de ces adolescents, se répartissent le travail sans respecter les consignes des
chefs d’atelier. De même, à l’école, les jeunes organisent des chahuts visant à
désorganiser les emplois du temps. À l’atelier, comme à l’école, la représentation de soi
et d’autrui se structure selon une opposition fondamentale entre « nous » (« les mecs »,
« ceux qui sont dans le coup », qui font partie du groupe) et « eux » (les « fayots »,
« ceux qui veulent réussir les autres).
86 La principale conclusion de Willis est que la culture anti-école constitue pour ces
adolescents une préparation active à l’entrée dans le monde de l’atelier. Elle peut être
considérée comme manifestant des processus de construction de soi dans une forme
identitaire actuelle anticipant un forme identitaire personnelle probable et
valorisée. Ces processus seraient les suivants.
87 L’organisation de la production et du travail dans la sidérurgie déterminait alors un
puissant cadre identitaire permettant aux ouvriers sidérurgistes d’élaborer une
représentation d’eux-mêmes dans une forme identitaire professionnelle fortement
structurée, particulièrement stable et valorisante à leurs yeux. Par la médiation des
récits familiaux de la vie à l’atelier, les fils de ces ouvriers sidérurgistes se forgeaient
des représentations très précises de soi dans ce cadre identitaire. La culture anti-école
apparaît ainsi comme une sorte de jeu au cours duquel les jeunes apprenaient par
anticipation les manières de faire, d’être, de parler, etc. constitutives de la forme
identitaire professionnelle qui serait la leur quelques mois plus tard dans le cadre
identitaire « ouvrier dans la sidérurgie
88 On peut donc considérer que ces jeux de la culture anti-école constituent des stratégies
identitaires (Camilleri et al., 1990) collectives. Ils conduisent ces adolescents à anticiper
leur position sociale future. Se construisant activement dans ces formes identitaires-là,
ces jeunes ‒ conformément à l’hypothèse de Michel Foucault ‒ acceptent leur lot : ils
participent au maintien de la structure des relations de pouvoir entre groupes sociaux.

4.4. Dialectique entre formes scolaires et formes professionnelles


de l’identité

89 Les adolescents qu’observe Paul Willis déploient des jeux leur permettant de se
construire dans des formes identitaires subjectives les préparant à leur insertion
professionnelle. Les travaux de Odile Piriou et Charles Gadéa (1999) en constituent une
sorte de complément. Ils montrent en effet comment l’anticipation de soi dans une
certaine forme identitaire professionnelle affecte, de manière réciproque, la forme
identitaire professionnelle subjective effective d’un certain nombre de jeunes
travailleurs.
90 Odile Piriou et Charles Gadéa ont étudié les liens entre les formations, les emplois et les
identités de diplômés en sociologie. Quelques-uns d’entre eux sont devenus des
« sociologues » au sens universitaire de ce mot : ce sont des spécialistes de l’étude des
faits sociaux qui travaillent dans des équipes de recherche. D’autres exercent des
emplois divers, notamment dans le secteur du travail social.

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


190

91 Malgré cette différence, les uns et les autres se définissent comme « sociologues
Cependant, aux yeux des auteurs, ces deux identités doivent être distinguées : « il nous
paraît donc nécessaire de ne pas confondre deux manières différentes de s’identifier
comme sociologue : l’une, que nous appellerons professionnelle, consiste à établir entre
son activité et l’image qu’on se fait de la profession un rapport de correspondance. Dire
"je suis sociologue" peut s’interpréter alors comme "mon activité et mon travail sont
semblables à ceux habituellement remplis à ma connaissance par les sociologues".
L’autre forme d’identification, que nous appellerons "culturelle", peut s’interpréter
comme l’affirmation ou la revendication d’une identité de sociologue, en dépit du fait
que dans la vie professionnelle, on n’est pas reconnu comme tel, ou qu’on n’exerce pas
des fonctions correspondant à l’image qu’on se fait de l’exercice professionnel de la
sociologie » (Piriou & Gadéa, 1999, p. 460).
92 Le modèle des cadres et formes identitaires conduit à interpréter un peu différemment
ces mêmes observations. Tous les diplômés de sociologie se sont construits, au cours de
leurs études, un cadre identitaire leur permettant de se représenter « Le Sociologue ».
Les éléments centraux de ce cadre renvoient (si l’on en juge d’après les analyses de
Piriou et Gadéa) à l’image d’un savant effectuant des recherches fondamentales dans
des grands organismes publics et intervenant éventuellement dans le jeu politique pour
dénoncer les systèmes de domination (à la manière de Pierre Bourdieu). On y trouve
également l’idée d’un expert dont l’action vise, soit à éclairer les pouvoirs publics, soit à
résoudre des problèmes dans les institutions et organisations.
93 En se référant à ce cadre identitaire, chaque étudiant s’est construit dans une certaine
forme identitaire subjective anticipant une forme identitaire professionnelle de
sociologue. Certains d’entre eux sont parvenus à une insertion professionnelle
correspondant assez bien à cette anticipation : maîtres de conférence en sociologie, par
exemple.
94 D’autres, en revanche, exercent des emplois éloignés d’une telle forme identitaire :
éducateurs spécialisés, par exemple. La forme identitaire subjective anticipée de
sociologue dans laquelle ils s’apercevaient ne s’est pas effacée pour autant. Cela a une
conséquence : ils se différencient de leurs collègues ‒ éducateurs ‒ en affirmant, par
exemple, qu’ils approchent et traitent de manière différentes ‒ en sociologue ‒ les
questions dont ils ont professionnellement la charge. Autrement dit, ils donnent des
valeurs tout à fait particulières aux éléments du cadre identitaire « éducateurs
spécialisés » quand ils se perçoivent dans une telle forme.
95 Les jeux dialectiques entre cette forme identitaire subjective anticipée (sociologue) et
cette forme identitaire subjective actuelle (éducateur spécialisé) ne seront
certainement pas sans effet sur la carrière professionnelle ultérieure de ces diplômés
en sociologie : le concept de transaction biographique de Dubar suggère une telle
hypothèse.

Conclusion : subjectivité, société et « conseils » aux


individus
96 Quatre propositions peuvent résumer les observations et hypothèses qui viennent
d’être formulées

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


191

97 ‒ la première souligne le lien entre les structures des champs sociaux et certaines
dimensions des images de soi du sujet (c’est-à-dire des formes identitaires dans
lesquelles celui-ci se construit ou perçoit les autres). S’agissant plus particulièrement
des jeunes, l’organisation du système scolaire apparaît jouer un rôle fondamental dans
la construction de certains cadres et de certaines formes identitaires. Cette
organisation structure notamment la manière de se représenter la tâche « faire des
choix pour son avenir » ;
98 ‒ la seconde insiste sur le rôle des interactions et des dialogues avec autrui dans la
construction de ces formes identitaires actuelles ou anticipées. Elle souligne que ces
interactions et dialogues se déroulent dans des contextes et cadres sociaux (au sens de
Erving Goffman) ;
99 ‒ la troisième postule que toute société détermine une « offre identitaire » qui
s’organise dans l’esprit de chacun sous la forme d’un système de cadres (cognitifs)
identitaires. Dans un contexte donné et à un moment donné, un individu se construit
dans une forme identitaire subjective déterminée. Ces formes identitaires apparaissent,
de ce fait, doublement susceptibles de vicariance ;
100 ‒ la quatrième considère la « subjectivité » comme relativement malléable. Plus
précisément, la « stabilité » ou la « malléabilité » du soi semblent dépendre d’un
ensemble de facteurs : le développement de la société (l’offre identitaire est plus ou
moins diversifiée selon les sociétés), le degré d’intégration des différents domaines du
cosmos social (et, par là, des différents cadres identitaires) et la variété des interactions
contextualisées dans lequel le sujet s’engage.
101 Dans nos sociétés complexes (et démocratiques) où coexistent une multiplicité de
champs sociaux ayant chacun une « logique propre » et où les individus peuvent
s’engager dans des interactions de diverses natures, la « subjectivité » est certainement
moins stable que dans des sociétés moins différenciées ou plus coercitives. En revanche,
dans des sociétés où la temporalité et l’espace sont structurés par les rythmes d’une
religion dominante en harmonie avec un Etat fort (et souvent coercitif), les formes
identitaires (que ce soit celles du révolution naire ou de l’administrateur) sont
vraisemblablement peu susceptibles de vicariance.
102 Le constat de cette malléabilité de la subjectivité de l’individu des sociétés industrielles
de la fin du 20ème siècle conduit certains auteurs à aller jusqu’à parler de « l’immaturité
de l’âge adulte » (Boutinet, 1998). Ce dernier observe que l’âge adulte, auparavant âge
des perspectives devient celui des problèmes : « celui d’une immaturité engendrée par
des circonstances frustrantes qui rendent vulnérables et risqués les itinéraires de vie
adulte » (Boutinet, 1998, p. 11). Au développement personnel succède le « chaos
vocationnel » (entendu dans un sens différent de Riverin-Simard, 1996) : « si nous
entendons par chaos vocationnel une extrême sensibilité des trajectoires existentielles
à certaines conditions extérieures faites de fractures, ruptures, déstabilisations,
interdisant pour l’ avenir toute prédiction, alors nous dirons que l’adulte ne semble
plus à même de gérer une série d’étapes, de transitions, de crises au sein d’un itinéraire
qu’il voudrait orienté. Il se trouve confronté à une suite d’événements déstabilisateurs
qui vont désorganiser les cadres au sein desquels il évoluait » (Boutinet, 1998, p. 76).
103 Vicariance des formes identitaires et conseil en orientation
104 Cette plus grande malléabilité de la subjectivité est certainement l’une des raisons pour
lesquelles le siècle du souci de soi, le siècle de l’école 4 est aussi celui du conseil

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


192

(« counselling ») et des conseillers. Dans les principaux pays industrialisés, ces


derniers se constituèrent en profession, dès le début du siècle, dans le but d’aider les
jeunes dans leur transition de l’école au travail. Depuis, le champ du conseil s’est
considérablement étendu. D’une part, l’orienta tion professionnelle est devenue un
« développement de carrière tout au long de la vie » (« life span career development »)
auquel on se prépare dès l’école et qui se poursuit jusqu’à la retraite incluse (Cf.
notamment Gysbers, 1990). D’autre part, le conseil s’applique désormais à une
multiplicité de problèmes de l’existence (« life space career development allant de la
perte de poids à l’aide aux mourants, en passant par les relations sexuelles.
105 Les modèles théoriques sur lesquels s’appuient ces activités de conseil dans les
domaines de l’orientation scolaire et du développement de carrière correspondent
généralement à une conception d’une plus grande stabilité de la subjectivité que celle
entrevue ici. Le modèle dominant est celui d’un sujet qui se construit progressivement
à la fois une image relativement unifiée de soi (de ses compé tences, de ses traits de
caractère, de ses manières d’être) et une image des professions liée à cette image de soi.
Dans cette optique, la « socialisation vocationnelle » est conçue comme un processus au
cours duquel les jeunes élaborent graduellement une image de soi et des
représentations des professions comprenant des dimensions communes (« j’aime
bouger », « c’est un métier où l’on bouge La détermination des préférences
professionnelles se fonde sur une évaluation globale de chaque métier sur ces
dimensions communes (Huteau, 1982).
106 Le modèle de la vicariance des formes identitaires complexifie cette question de la
construction des préférences professionnelles. Il considère en effet que c’est dans le
cadre d’une forme identitaire déterminée que se constitue, d’une manière définie,
la représentation des différentes professions (comme le montrent, par exemple, les
travaux de Piriou et Gadéa, 1999, évoqués ci-dessus). Les préférences professionnelles
sont celles de l’individu dans ce cadre identitaire-là.
107 Une telle conception ne signifie pas que tous les traits caractérisant un individu
seraient susceptibles d’infinies fluctuations. Il est par exemple hautement improbable
que celui qui n’a pas développé des talents de pianiste dans sa jeunesse devienne un
grand interprète à l’âge adulte. Le développement de certaines habiletés semble lié à
des apprentissages précoces. D’autres ne peuvent être formées qu’à la suite d’un long
apprentissage. De telles habiletés socialement valorisées et rares jouent certainement
un rôle déterminant dans la construction de soi dans des formes identitaires
correspondantes.
108 Cependant, dans les systèmes de travail actuels (Touraine, 1955), et malgré la
spécialisation croissante de la production, nombre de fonctions professionnelles sont
telles que les agents qui les effectuent sont relativement interchangeables. Des études
ont été conduites à ce sujet. On a ainsi pu observer qu’une équipe d’un atelier de
production d’automobiles peut permuter avec un groupe de travailleurs de l’industrie
alimentaire, sans que cela n’affecte significativement la production de l’une ou de
l’autre. Pour autant, les agents de production engagés dans cet échange ne se perçurent
pas comme interchangeables. « Agent de production de l’alimentaire » ou « agent de
production de l’automobile » seraient ainsi des formes identitaires subjectives très
prégnantes. Une telle cristallisation de soi dans des formes identitaires personnelles de
cette nature (« le métier constitue évidemment un sérieux obstacle à la flexibilité que
les employeurs rêvent de développer5.

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


193

109 Il semble qu’à l’adolescence, ce soit la situation inverse qui prévale. Erikson considère
cette période comme un moratoire psychosocial au cours duquel l’adolescent doit
intégrer des sentiments d’identité propres aux stades de l’enfance. Il note « dans leur
quête d’un nouveau sentiment de continuité et d’unité vécue (sameness) qui doit
inclure désormais la maturité sexuelle, certains adolescents doivent encore une fois se
colleter aux crises des premières années, avant de pouvoir installer des idoles et des
idéaux durables comme gardiens d’une identité finale. Ils ont besoin avant tout d’un
moratoire pour intégrer des éléments d’identité assignés (u..) aux stades de l’enfance »
(Erikson, 1972, p. 125).
110 Dans nos sociétés, l’adolescence (et la jeunesse adulte) constituent des phases où
l’individu fait l’essai de formes identitaires transitoires. Ces expérimentations lui
permettent d’accélérer la construction de son système subjectif de formes identitaires
(dont l’évolution est souvent plus lente par la suite). Les formations transitoires et la
diversité des subcultures juvéniles constitueraient ainsi des moyens de cette
construction. On connaît les deux dangers qui, d’après Erikson, menacent alors
l’adolescent : la confusion d’identité, d’une part, et la forclusion, d’autre part. Dans le
modèle esquissé ici, la première désigne l’incapacité de se reconnaître de manière
stable dans un système subjectif de formes identitaires. La seconde fait référence à
l’enfermement dans quelques formes identitaires, enfermement qui peut être lié à une
pression de la famille ou déterminé par des événements plus directement politiques
(comme des conflits inter-ethniques).
111 Ces considérations ne sont pas sans conséquence s’agissant des pratiques de conseil en
développement de carrière. Elles conduisent en effet à définir une première ligne de
partage entre elles. Certaines de ces pratiques peuvent avoir pour finalité d’amener
l’adolescent à se stabiliser dans une forme identitaire déterminée. D’autres
peuvent poursuivre l’objectif inverse.
112 Toutes les activités visant à aider le consultant à se décider relèvent du premier type
d’interventions. Se déterminer, c’est en effet se disposer à se construire dans une forme
ou quelques formes identitaires déterminées. C’est prendre le parti de faire
progressivement de cette (ou ces) forme(s), une (ou des) forme(s) identitaire(s)
subjective(s) (« c’est comme ça que je me vois dans l’avenir »). L’engagement effectif
dans l’activité (de formation, professionnelle, collective, personnelle, etc.) constitue
évidemment une étape indispensable dans ce processus de stabilisation.
113 Les pratiques d’orientation visant à aider le consultant à s’engager dans un processus
de transition poursuivent l’objectif inverse. Il peut s’agir d’aider la personne à se
« déprendre » de certaines formes identitaires : c’est souvent ce que signifie
l’expression « développer la flexibilité ». Certaines interventions se proposent d’aider
chaque adolescent à construire un système subjectif de formes identitaires qui soit à la
fois riche, diversifié et articulé. On favorisera alors « l’exploration ». C’était l’objectif du
« tour d’Europe » que faisait le jeune bourgeois aux 18ème et 19 ème siècles. Aujourd’hui,
c’est l’un des objectifs des méthodes telles que D.A.P.P. (brièvement résumées ci-dessus,
voir Guichard & Dosnon, 2000. Ces méthodes ne peuvent cependant faire plus que de
stimuler le jeune à s’engager dans les activités nécessaires à la diversification des
formes identitaires dans lesquelles il se construit).
114 Les fins d’une activité sont toujours définies en fonction de certaines valeurs. C’est bien
entendu le cas des pratiques de conseil. Elles relèvent des techniques de soi, dont on
connaît l’analyse qu’en fit Michel Foucault. Pour ce dernier (1988), il s’agit de

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


194

techniques de pouvoir où l’enjeu est celui de la « gouvernementalité ». Elles désignent


des « procédures qui sont proposées ou prescrites aux individus pour fixer leur
identité, la maintenir ou la transformer en fonction d’un certain nombre de fins, et
cela grâce à des rapports de maîtrise de soi sur soi ou de connaissance de soi par soi »
(Foucault, 1981, 1994 (IV), p. 213).
115 Dans la conception de Foucault, les formes de subjectivité dans lesquelles l’individu se
reconnaît sont ainsi le produit de relations stratégiques entre groupes dont l’enjeu est
le gouvernement de chacun. Le maintien de l’ordre social passe par la reconnaissance ‒
par chacun ‒ de soi et des autres dans ces formes. Autrement dit, les questions de
l’identité de chacun ou celle de l’anticipation de soi dans des « sois possibles » ne sont
pas de nature strictement personnelles ou interindividuelles. Elles renvoient ‒ de
manière essentielle ‒ à l’organisation sociale dans son ensemble et aux relations de
pouvoir qui assurent sa cohésion. La question fondamentale du conseil est donc celle de
ses finalités. Doit-il viser, comme le suggère certains auteurs, à conduire l’individu à se
construire dans quelques formes identitaires aux contours bien définis ou doit-il se
proposer, dans une perspective proche de celles de Foucault, de l’aider à s’interroger
sur la pertinence des cadres identitaires dans lesquels il se construit et perçoit autrui ?
À l’horizon d’une telle interrogation se profile, bien entendu, celle de la conservation
ou de la transformation de la structure des rapports sociaux. Cette seconde ligne de
partage des pratiques de conseil en orientation apparaît relativement indépendante de
la première. C’est pourquoi celles-ci peuvent être présentées sur un graphique les
opposant selon ces deux dimensions (voir tableau 1)6.
116 Tableau 1 : Finalités des pratiques en orientation
Table 1 : Ends of vocational guidance activities

117 Aide à la lecture : Dans les domaines de l’éducation et du conseil en orientation,


l’objectif de certaines pratiques peut être d’aider les consultants à diversifier le système

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


195

de leurs formes identitaires. Par exemple, elles stimulent l’engagement dans des
activités exploratoires. D’autres pratiques peuvent viser l’objectif opposé : celui d’aider
l’individu à se stabiliser dans une forme identitaire professionnelle en vue de s’engager
dans une carrière professionnelle définie. Cette opposition est représentée sur la
dimension est-ouest de la figure 1. La seconde dimension (nord-sud) distingue les
pratiques quant à leurs finalités politiques et sociales (implicites ou explicites) : visent-
elles à réduire les inégalités sociales (par exemple : en allant vers des publics
prioritaires) ou, au contraire, à les maintenir, voire à les accroître (par exemple, en se
contentant de répondre aux demandes d’une certaine clientèle) ? Aux quatre coins de
la figure sont indiqués des exemples de pratiques que l’on peut considérer comme
caractéristiques de chacun des deux pôles les plus proches. Ainsi, l’approche
psychotechnique des conseillers d’orientation professionnelle du début du siècle se
proposait explicitement de construire une société plus juste (fondée sur une exacte
détermination des aptitudes de chacun plutôt que sur l’héritage) et visait la
stabilisation de l’individu dans une forme identitaire professionnelle définie,
correspondant à ses aptitudes (conçues comme stables). L’éducation à l’orientation des
professeurs (au sud-ouest) tout en poursuivant un but semblable de stabilisation dans
une forme identitaire semble plutôt aller dans le sens de la conservation de la structure
sociale.

BIBLIOGRAPHIE
Bakhtin, M.M. (1981) The dialogic imagination (M. Holquist Éd.). Austin: University of Texas Press.

Barsalou, L. (1992). Cognitive Psychology: an overview for cognitive scientists. Hillsdale (New Jersey):
Lawrence Erlbaum Associates.

Becker, H.s. (1985). Outsiders. Paris : Editions A.M. Métailié.

Bourdieu, P., & Wacquant, L. (1992). Réponses. Paris : Éditions du Seuil.

Boutinet, J.P. (1998). L’immaturité de la vie adulte. Paris : P.U.F.

Bruner, J.S., & Tagiuri, R. (1954). The perception of people. In G. Lindsey (Ed.), Handbook of social
psychology. (vol. 2). Cambridge (Massachussets): Addison-Wesley.

Brushlinsky, A.V. (1990). The activity of the subject and Psychic activity. In VA. Lektorsky (Ed.),
Activity: Theories, Methodology and Problems. Orlando (Fl.): Paul M, Deutsch Press, Inc.

Camilleri, C, et al. (1990). Les stratégies identitaires. Paris : P.U.F.

Cantor, N., & Kilhstrom, J.F. (1987). Personnality and Social Intelligence. Englewood Cliffs (New
Jersey): Prentice-Hall.

Clot, Y. (1999). De Vygotski à Léontiev via Bakhtine. In Y. Clot (Éd.), Avec Vygotski (pp. 165 185).
Paris: La Dispute.

Codol, J.P. (1975). On the so-called superior conformity of the self » behaviour: twenty
experimental investigations. European Journal of Social Psychology, 5, 390, 457-501.

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


196

Doise, W. (1990). Les représentations sociales. In R. Ghiglione, Cl. Bonnet, & J.F. Richard (Éds),
Traité de psychologie cognitive (tome 3, pp. 111-172). Paris : Dunod.

Dubar, Cl. (Éd.) (1987). L’autre jeunesse. Lille : P.U.L.

Dubar, C. (1992). Formes identitaires et socialisation professionnelle. Revue Française de Sociologie,


33, 505-530.

Dubar, C. (1998a). La socialisation. Construction des identités sociales et professionnelles (Y édition


revue). Paris : Armand Colin.

Dubar, C. (1998b). Identité professionnelle et récits d’insertion. Pour une approche socio-
sémantique des constructions identitaires. L’Orientation Scolaire et Professionnelle, 27, 1, 95-104.

Dumora, B. (1990). La dynamique vocationnelle chez l’adolescent de collège : continuité et


rupture. L’Orientation Scolaire et Professionnelle, 19, 2, 111-127.

Durkheim, E, & Mauss, M. (1901-1902). Essai sur quelques formes primitives de classification.
L’Année Sociologique, 6, 1-71.

Elias, N. (1991). La société des individus. Paris : Arthème Fayard.

Erikson, E. (1972). Adolescence et crise. Paris: Flammarion.

Foucault, M. (1982). The Subject and Power. In H. Dreyfus & P. Rabinow (Éds.), Michel Foucault:
Beyond Structuralism and Hermeneutics. Chicago : University Press. Traduction française (1994), Dits
et écrits, volume 4, 222-243.

Foucault, M. (1984). Le souci de soi (Histoire de la sexualité, tome 3). Paris : Gallimard.

Foucault, M. (1984). L’éthique du souci de soi comme pratique de la liberté. Concordia. Revista
internacional defilosofia, 6, 99-116. Repris dans : M. Foucault (1994). Dits et écrits, volume 4, 708-729.

Foucault, M. (1988). Technologies of the self. In P.H. Hutton, H. Gutman, & L.H. Martin (Eds.),
Technologies of the Self: a seminar with Michel Foucault (pp. 16-49). Anherst: the University of
Massachusetts Press. Traduction française (1994), Dits et écrits, volume 4, 783-813.

Foucault, M. (1994). Dits et écrits, 4 volumes. Paris: Gallimard.

Gergen, K. (1991). The Satured Self; Dilemmas of Identity in Contemporary Life. New York: Basic Books
(Harper Collins Publishers).

Gilly, M., Lacour, M., & Meyer, R. (1972). Image propre, images sociales et statut scolaire étude
comparative chez des élèves de C.M.2. Bulletin de Psychologie, 25, 792-806.

Ginzberg, E, Ginsburg, S., Axelrad, S., & Herma, J. (1951). Occupational choice: an approach to a
general theory. New York: Columbia University Press.

Goffman, E. (1974). Les rites d’interaction. Paris : Éditions de Minuit.

Gottfredson, L.S. (1981). Circumscription and compromise: A developmental theory of


occupational aspirations. Journal of Counseling Psychology Monograph, 28, 6, 545-579.

Guichard, J. (1989). Career education in France: new objectives and new methods. British Journal of
Guidance and Counselling, 17, 2, 166-178.

Guichard, J. (1992). Comparative evaluation of several educational methods used in orientation:


tools, results and methodological problems. European Journal of Psychology of Education, 7, 1, 73-90.

Guichard, J. (1993). L’école et les représentations d’avenir des adolescents. Paris: P.U.F.

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


197

Guichard, J. (1996). Cultural habitus, school experiences and the formation of future intentions in
adolescence. Revista Portuguesa de Psychologia, 31, 9-36.

Guichard, J., Devos, P., Bernard, H., Chevalier, G., Devaux, M., Faure, A., Jellab, Ma, & Vanesse, V.
(1994a). Diversité et similarité des représentations professionnelles d’adolescents scolarisés dans
des formations différentes. L’Orientation Scolaire et Professionnelle, 23, 4, 409-437.

Guichard, J., Devos, P., Bernard, H., Chevalier, G., Devaux, M., Faure, A., Jellab, M., & Vanesse, V.
(1994b). Habitus culturels des adolescents et schèmes représentatifs des professions. L ‘Orientation
Scolaire et Professionnelle, 23, 4, 439-464.

Guichard, J., & Falbierski, E. (1994). Compétences et projets : mots vides ou concepts pertinents
pour l’insertion des jeunes en difficulté ? Carriérologie, 5, 3, 131-157.

Guichard, J., & Cassar, O. (1998). Social fields, habitus, and cognitive schemes. Study stream and
the categorisation of occupations. Revue Internationale de Psychologie Sociale, 11, 1, 123-145.

Guichard, J., & Dosnon, O. (2000). Cognitive and social relevance of psycho-pedagogical methods
in guidance. Journal of Career Development, 26, sous presse.

Havighurst, R.J. (1953). Human development and education. White Plains (New York): Longman.

Häyrynen, Y.P. (1995). Le concept de soi : un bien personnel, une norme ou une entité légitime ?
L’Orientation Scolaire et Professionnelle, 24, 1, 5-17.

Huteau, M. (1982). Les mécanismes psychologiques de l’évolution des attitudes et des préférences
vis-à-vis des activités professionnelles. L’Orientation Scolaire et Professionnelle, 11, 2, 107-125.

Huteau, M. (1985). Les conceptions cognitives de la personnalité. Paris : P.U.F.

Huteau, M. (1995). Manuel de psychologie différentielle. Paris : Dunod.

Jacques, F. (1979). Dialogiques, recherches logiques sur le dialogue. Paris : P.U.F.

Kokosowski, A. (1983). Déterminants socio-scolaires, rationalisations et orientation des lycéens et


étudiants. In A. Kokosowski (Éd.), Les lycéens face à l’enseignement supérieur. Issy-Les-Moulineaux :
E.A.P., 127-170.

Laks, B. (1983). Langage et pratiques sociales, étude sociolinguistique d’un groupe d’adolescents.
Actes de la Recherche en Sciences Sociales, 46, 73-97.

Law, B. (1981). Community Interaction: a Mid-Range Focus for Theories of Career Development in
Young Adults ». British Journal of Guidance and Counselling, 9, 2, 142-158,

Meyer, R. (1986-1987). Image de soi et statut scolaire. Influence des déterminants familiaux et
scolaires chez des élèves du cours moyen. Bulletin de Psychologie, 49, 382, 933-942.

Minsky, M. (1975). A framework for representing knowledge. In P.H. Winston (Ed.), The Psychology
of Computer Vision. New York : MacGraw-Hill.

Monteil, J.M. (1988). Comparaison sociale. Stratégies individuelles et médiations socio-cognitives,


Un effet de différenciations comportementales dans le champ scolaire. European Journal of
Psychology of Education, 3, 1, 3-18.

Monteil, J.M. (1990). Éduquer et former : perspectives psychosociales. Grenoble : Presses de


l’Université de Grenoble.

Nizet, J., & Hiernaux, J.P. (1984). Violence et ennui. Paris : P.U.F.

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


198

Norman, W.T. (1963). Toward an adequate taxonomy of personality attributes: replicated factor
structure in peer nomination personality ratings. Journal of Abnormal and Social Psychology, 66,
574-583.

Parsons, F. (1909). Choosing a vocation. Boston: Houghton Mifflin.

Piriou, O., & Gadéa, Ch. (1999). Devenir sociologue. Formations emplois et identités des diplômés
en sociologie. L’Orientation Scolaire et Professionnelle, 28, 3, 447-474.

Räty, H., Snellman, L., & Kasanen, K. (1999). Children’s representations of ability and their
changes during the first school year. Scandinavian Journal of Educational Research, 43, 2, 227-236.

Reuchlin, M. (1978). Processus vicariants et différences individuelles. Journal de psychologie


normale et pathologique, 75, 138-145.

Reuchlin, M. (1999). Évolution de la Psychologie différentielle. Paris : P.U.F.

Riverin-Simard, D. (1996). Le concept de chaos vocationnel : un pas théorique à l’aube du XXIC


siècle ? L’Orientation scolaire et professionnelle, 25, 4, 467-487.

Rubinstein, S.L. (1986). [The Principle of Creative Independant Activity] (première publication :
1922). Voprosy Psikhologii, 4, 101-107.

Sainsaulieu, R. (1998). Identité au travail d’hier à aujourd’hui. L’Orientation Scolaire et


Professionnelle, 27, 1, 77-93.

Sartre, J.P. (1952). Saint Genet, comédien et martyr. Paris: Gallimard.

Schank, R.C., & Abelson, R.P. (1977). Scripts, plans, goals and understanding. Hillsdale (New Jersey) :
Lawrence Erlbaum.

Schank, R.C. (1995). De la mémoire humaine à la mémoire artificielle. La Recherche, 26, 273,
150-155.

Schlanger, J. (1997). La Vocation. Paris : Éditions du Seuil.

Taboada-Leonetti, I. (1990). Stratégies identitaires et minorités : le point de vue du sociologue. In


C. Camilleri, et al., (Éds.), Les stratégies identitaires (pp. 43-83). Paris : P.U.F.

Tap, P. (Éd.) (1980). Identité individuelle et personnalisation. Toulouse : Privat.

Vondracek, F.W., Lerner, RM., & Schulenberg, J.E. (1986). Career development: a life span
developmental approach. Hillsdale (New Jersey): Lawrence Erlbaum.

Wertsch, L.V. (1990). The voice of rationality in a sociocultural approach to mind. In L.C. Moll
(Ed.), Vygotsky and Education. Instructional Implications and Applications of Sociohistorical Psychology.
New York : Cambridge University Press.

Willis, P. (1978). L’école des ouvriers. Actes de la Recherche en Sciences Sociales, 24, 50-61

Zarka, J. (2000). Conseils et limites : limites du conseil au-delà des limites. L’Orientation Scolaire et
Professionnelle, 29, l.

Zavalloni, M., & Louis-Guérin, C. (1984). Identité sociale et introduction à l’ego-écologie. Montréal:
P.U.M.

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


199

NOTES
1. « Subjectivité », dans ce texte, est un mot « fourre-tout » renvoyant à ce qu’approche, chacun
dans son cadre théorique, des concepts comme « ego », « self », « person », « identity », « basic
personality structure », « habitus », etc.
2. La dysharmonie des positions dans différents champs marque les représentations des
professions. Dans l’étude évoquée plus haut (Guichard et al., 1994), on s’est intéressé notamment
aux « cartes cognitives » des professions de certains adolescents qui occupent des positions
contrastées dans différents champs (par exemple : des lycéens se trouvant dans une formation
prestigieuse, mais ayant des pratiques culturelles « populaires » qui les distinguent de la grande
majorité de leurs condisciples ou encore des apprentis-mécaniciens dont les pratiques culturelles
« distinguées » les différencient des autres apprentis). De tels sujets sont très minoritaires. Il est
donc difficile de tirer des conclusions fermes de ces observations. Néanmoins, dans tous les cas,
les cartes cognitives des professions de ces adolescents se distinguent de celles de leurs
camarades. Par exemple, les lycéens occupant une position privilégiée dans le système scolaire
mais dont les pratiques culturelles sont populaires se représentent les professions valorisées à la
manière des jeunes aux goûts populaires (ce qui les différencie de leurs camarades de classe)
alors qu’ils perçoivent les professions moins valorisées de la même manière que leurs camarades.
3. Notons que, d’un point de vue pédagogique, un tel résultat est capital : on sait que l’image de
soi comme bon ou mauvais élève n’est pas simplement un produit des résultats scolaires. Cette
image (de bon ou mauvais élève) joue un rôle dans la production de ces (bons ou moins bons)
résultats : elle détermine un certain fonctionnement cognitif (Monteil, 1988, 1990).
4. La question de la pertinence de l’école en tant qu’institution de socialisation semble se poser
aujourd’hui avec de plus en plus d’acuité.
5. Soulignons que, dans le modèle de la vicariance des formes identitaires, la force d’une telle
forme identitaire n’a pas pour conséquence que le sujet, dans un autre contexte, ne puisse se
construire dans une autre forme identitaire (par exemple : militant syndical). Sainsaulieu (1998)
souligne ainsi qu’avec la fin du plein emploi garanti à vie, « la socialisation des adultes tend à
reposer sur plusieurs dynamiques sociales adjacentes : l’entreprise, l’association, la formation
permanente ». La question reste cependant ouverte du système des formes identitaires, c’est-à-
dire des liens qui les relient de manière essentielle ou non : la transformation d’une forme
identitaire affecte-t-elle certaines autres ou toutes les autres ?
6. Ce tableau — qui porte sur les objectifs et finalités des pratiques en orientation — ne vise pas à
décrire des types de demandes adressées au conseiller d’orientation-psychologue. On sait que
certaines correspondent soit à une simple recherche d’information, soit à la définition d’une
stratégie relative à un but scolaire ou professionnel explicite (par exemple, pour un élève
raisonnant selon une « logique d’excellence » (Dumora, 1990) : « quels sont les investissements
scolaires les plus rentables dans sa situation ? »). D’autres demandes sont plus ambiguës, voir
même paradoxales (pour reprendre la terminologie proposée par Zarka, 2000). C’est le cas, par
exemple, de ceux qui se trouvent (si l’on reprend les analyses de Dumora, 1990) dans une
situation « d’expectative » ou adoptent une « logique de résignation ». Leur question
fondamentale est en effet la suivante : leur faut-il (ou leur faudra-t-il) faire ou non le deuil de
certaines formes identitaires scolaires, professionnelles (ou même personnelles) dans lesquelles
ils anticipaient de se construire ? L’enjeu de l’interaction de conseil est à leurs yeux majeurs. Il
est par conséquent vraisemblable que ces jeunes soient prêts à s’engager dans une réflexion avec
le conseiller d’orientation-psychologue relative aux formes identitaires qu’ils pourraient faire
leurs. En revanche, ceux dont la logique est celle, soit de l’excellence, soit de la rationalisation,
soit de l’illusion n’y sont certainement pas prêts. Ils peuvent même y être hostiles. Quelle sera
l’attitude du conseiller ? Peut-il les stimuler à s’y engager ? Le doit-il ?

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


200

RÉSUMÉS
Le vingtième siècle a été marqué par un foisonnement conceptuel relatif à l’individu, au « soi », à
« l’identité », etc. Au moins six grands courants de pensée peuvent être distingués. Certains
d’entre eux relèvent le rôle des structures sociales ou des interactions ou d’interlocutions dans la
formation de la « subjectivité » alors que d’autres se centrent beaucoup plus sur le « sujet » en
tant que tel. Le modèle des cadres et des formes identitaires vicariantes se propose d’intégrer ces
différentes approches. Il distingue les cadres identitaires (schémas cognitifs relatifs aux
catégories de personnes que l’expérience sociale conduit les membres d’une société à concevoir)
et les formes identitaires (dans lesquelles ceux-ci perçoivent autrui et se construisent). Ce modèle
postule que ces cadres forment un système cognitif. Il pose que les formes identitaires subjectives
(dans lesquelles les individus se construisent) sont susceptibles de vicariance : elles dépendent
notamment des contextes où l’individu interagit (de ses interactions et interlocutions). La
subjectivité (l’identité) est ainsi conçue comme le système unifié et structuré des formes
identitaires dans lesquels l’individu se construit et se représente. La stabilité ou la malléabilité du
soi dépendent ainsi des degrés (l) de développement de la société et (2) d’intégration des
différents domaines du cosmos social ainsi que de la variété des interactions contextualisées dans
lesquelles le sujet s’engage. Plusieurs validations indirectes de ces hypothèses sont proposées.
Elles permettent de comprendre le rôle que les interlocutions jouent dans la construction de soi,
lors d’interactions de conseil. Elles conduisent à s’interroger sur les finalités et les objectifs des
pratiques en orientation.

The twentieth century has been marked by a conceptual proliferation relating to the individual,
to the self », to identity etc. A least six broad streams of thought can be differentiated. Some of
them relate to the role of social structures or of interactions or dialogues in the formation of
subjectivity whereas others are more focused on the subject him or herself. The model of
vicariant identity frames and forms aims at integrating these different approaches, It
distinguishes identity frames » (cognitive schemata relative to the main characteristics of
individuals belonging to one of the categories of people which our social experience leads us to
identify and identity forms (in which one constructs him/herself and perceives others). This
model postulates that these frames are organised in a cognitive system. It proposes that that the
subjective identity forms (in which individuals construct themselves) are susceptible to
vicariance (in particular, they depend on the context in which the individual interacts (of his/her
interactions or dialogues). Subjectivity (identity) is then conceived as a unified and structured
system of identity forms in which individuals construct and represent themselves. The stability
or malleability of the self depends upon degrees (1) of development of society and (2) of
integration of different domains of the social cosmos, as well as the variety of interactions in
contexts in which subjects become involved. Different indirect validations of these hypotheses
are proposed. This approach allows use to understand the role of dialogues in self-construction
during counselling interactions. It leads to questions on the ends and objectives of guidance
practices.

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


201

INDEX
Keywords : Identity, self, subjectivity, field, habitus, frame, vicariance, governmentality,
counselling
Mots-clés : Identité, soi, subjectivité, champs, habitus, cadre, vicariance, gouvernementalité,
conseil

AUTEUR
JEAN GUICHARD
Professeur de Psychologie, directeur de l’I.N.E.T.O.P. guichard@cnam.fr

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


202

Analyses bibliographiques

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


203

Bailet, J.-M. ‒ L’éducation routière


Francis Danvers

RÉFÉRENCE
Bailet, J.M. (1999). L’éducation routière. Paris : P.U.F. Que sais-je ? N°3522

1 La célèbre collection encyclopédique des Presses universitaires de France accueille un


titre nouveau consacré à un phénomène de société : la sécurité routière. L’auteur,
codirecteur du Centre régional d’information et de coordination routière Nord est un
expert en sécurité, prévention et éducation routière. Il a bénéficié des conseils de J.
Aubret dans le cadre de l’École doctorale de l’université de Lille III.
2 L’introduction plante le décor sans détour : la route tue chaque jour en moyenne 22
personnes et génère près de 500 blessés, soit l’équivalent, depuis que l’automobile
existe, des morts de la Grande-Guerre ou des épidémies du Moyen-Âge.
3 L’homme au volant est-il éducable ? Définir l’éducation routière revient à faire
converger bon nombre d’attitudes et de comportements envers les autres usagers en
s’attachant sans cesse à ne pas mettre en danger la vie d’autrui et également à ne pas
courir soi-même de risques inutiles. Une éducation qui se fonde sur la reconnaissance
de la valeur humaine et sur l’importance de l’intersubjectivité est à privilégier car elle
devient le pôle structurant du système d’éducation routière (véhicule/environnement).
4 Conduire un véhicule est une tâche complexe qui justifie une vision globale de la route
comme « terrain d’échanges psychosociaux », où s’entrecroisent la réglementation
routière mais aussi la réglementation sociale. L’ouvrage présente des modélisations de
« l’homme dans la tâche de conduite » : l’Homme-réflexe ; l’Homme-social ; l’Homme-
cognitif, et du « système d’éducation routière » pour éduquer et former l’homme
motorisé.
5 Des apports de la psychologie cognitive sont mobilisés pour comprendre comment
l’homme se trompe et transgresse au volant, évaluer le « stress routier » et analyser les
dysfonctionnements du système de circulation. Les avancées technologiques des
véhicules ne sont pas négligées dans la mesure où elles participent à l’avenir des aides à

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


204

la conduite automobile. Les recherches en accidentologie montrent que « le conducteur


analyse la situation de conduite en fonction de ses expériences routières... et, ce qui est
un paradoxe, c’est qu’il décidera ensuite de mettre en œuvre une action adaptative en
fonction de sa personnalité sociale ! Le concept de « culture en éducation routière » est
proposé, en y intégrant le facteur social de manière à valoriser une conception positive
de l’éducation routière tout au long de la vie.
6 Un chapitre terminal fait le bilan des pratiques d’éducation routière dans le monde,
présente les recommandations européennes pour l’éducation routière, notamment en
milieu scolaire et s’interroge sur la manière d’organiser de manière cohérente la
politique d’éducation routière. Voilà un bel ouvrage de salubrité publique à faire
découvrir aux formateurs et aux jeunes en particulier, qui payent le plus lourd tribut à
la violence routière.

AUTEURS
FRANCIS DANVERS
Professeur, Université de Lille

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


205

Clot, Y. ‒ Avec Vygotski


Aziz Jellab

RÉFÉRENCE
Clot Y. (dir) (1999). Avec Vygotski. Paris : La Dispute, 304 pages.

1 La redécouverte des travaux et des idées de Vygotski, comme les interrogations laissées
en suspens par ce psychologue russe du début du Siècle, ont encouragé des chercheurs
d’horizons intellectuels variés à organiser un colloque consacré à ce penseur, colloque
dont est issue cette publication.
2 Un point focalisera la plupart des contributions : celui des rapports complexes existant
entre la Pensée et le Langage, (c’est également le titre de l’ouvrage de référence de L.
Vygotski). Mais l’enjeu de cette pensée réside également dans sa « fluidité », eu égard
aux découpages disciplinaires, en particulier pour ce qui est des rapports entre la
socialisation et les apprentissages. « La lecture de Vygotski ouvre sur une conception
non strictement génétique, et pour tout dire historique du développement individuel.
Nous n’avons pas affaire, avec le sujet humain, à un développement sans histoires, à
une trajectoire sans surprises », écrit Yves Clot (p. 10).
3 Traitant du statut de la conscience chez Piaget et Vygotski, Jean-Paul Bronckart met
l’accent sur les différences opposant ces deux auteurs : c’est la posture à l’égard du
langage et son rôle dans le développement cognitif qui différencie Piaget et Vygotski.
Dans son ouvrage La formation du symbole, « Piaget ne semble y prendre au sérieux ni
le statut des signes langagiers, ni le rôle des interventions de l’entourage humain ; et ce
faisant, les processus par lesquels l’organisme humain accède à la maîtrise de son
propre fonctionnement psychique demeurent, comme les lecteurs attentifs de Piaget
l’auront constaté, largement mystérieux » (p. 22). Or c’est précisément cette maîtrise de
son fonctionnement psychique qui définit la conscience aux yeux de Vygotski.
L’histoire de chaque sujet est l’histoire d’une relation dialectique entre son
développement cognitif et affectif dans leur rapport avec la socialisation qui passe par
l’internalisation du langage, des signes et des mots. Ainsi, « la prise de conscience se
manifeste aussi comme réaction à une stimulation (en l’occurrence à une stimulation

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


206

sociale), et il convient dès lors de l’étudier dans le cadre plus général de l’ensemble des
réactions constitutives du comportement humain » (p. 29). Ces différences ‒ et bien
d’autres ‒ entre Piaget et Vygotski tiennent essentiellement à des a priori
philosophiques que J-P. Bronckart exprime ainsi « Si Piaget est le descendant de
Descartes et de Kant, Vygotski se situe quant à lui clairement dans la continuité des
positions de Spinoza, de Hegel et du marxisme, et sa thèse de la double origine
(biologique et socio-sémiotique) de la pensée consciente humaine peut être considérée
comme un équivalent, au plan ontogénétique, de la thèse de l’hominisation formulée
par Engels dans La Dialectique de la nature » (p. 32).
4 Pour Gérard Vergnaud, les différences entre Piaget et Vygotski ne doivent pas
escamoter la convergence entre leurs pensées. « Tous deux ont pour ambition
d’élaborer une théorie de la représentation et, s’ils n’en ont pas la même vision, ils sont
autant l’un que l’autre attentifs à analyser les processus de représentation le plus
soigneusement possible, en avançant des définitions et des thèses précises » (p. 46).
Pour autant, là où Piaget voyait dans le monologue infantile l’expression d’une forme
égocentrique de rapport à la langue, Vygotski pose d’emblée que le langage est d’abord
socialisé et ce n’est qu’à posteriori qu’il devient subjectif suite au processus
d’internalisation.
5 Contemporain de S. Freud, Vygotski ne pouvait rester insensible à la théorie
psychanalytique avec laquelle il partage l’hypothèse de l’existence d’une vie psychique
dépassant le seul cadre de la conscience. Bernard Doray analyse les rapports
historiques et idéologiques ayant contribué au développement de la psychanalyse en
U.R.S.S. et partant, à susciter l’intérêt de Vygotski pour cette pensée naissante. Si
Vygotski reconnaît à la psychanalyse un apport pour ce qui est de la connaissance des
mobiles de l’action, des rapports existant entre la pensée et l’ordre symbolique, il
s’interroge sur son efficacité sociale et individuelle. La vision « enfantine et pansexuelle
de l’humain » (importance du complexe d’Œdipe) est des plus critiquables à ses yeux.
Ainsi, le désir n’est pas appréciable en dehors des conditions sociales vécues par le
sujet.
6 Wallon et Vygotski : à bien des égards, et même si ces deux auteurs ne se sont jamais
rencontrés, leurs conceptions relatives au psychisme et au développement humains
sont très proches, notamment pour ce qui est de l’importance des conditions sociale et
intersubjectives à travers lesquelles l’individu agit et se « représente le monde ». Gaby
Netchine-Grynberg et Serge Netchine se proposent d’interroger leurs pensées à travers
la notion de « mondes communs » : Comment Wallon et Vygotski ont « cherché à
donner au "fait" psychologique, compris comme unité qui fait sens dans l’activité
fonctionnelle et relationnelle, une détermination qui l’inscrive dans des "mondes
communs" et surtout qu’apporte leur œuvre psychologique à la compréhension de la
formation de ces "mondes communs" ? » (p. 82). C’est l’importance de la dialectique
entre action et développement qui rapprochera ces deux auteurs, dialectique
socialement située : ainsi, l’individu ne peut être sans partager avec autrui des
significations et des références communes, partage qui passe par la dynamique des
rapports intersubjectifs et langagiers.
7 Vygotski et Wallon accorderont un statut princeps à la pensée. C’est l’objet de la
contribution de Michel Deleau qui précise que « Pour l’un comme pour l’autre,
l’organisation psychologique est construite de façon médiate par la culture d’une
communauté. [Par ailleurs] pour analyser la constitution d’un plan proprement

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


207

psychologique de la vie mentale, il convient de prendre en compte les contraintes


biologiques et les contraintes sociales » (p. 102). Ainsi, l’individu est « l’aboutissement
provisoire d’une relation à la communauté culturelle » (p. 103). Deleau développera
plus loin la question des rapports entre la fonction sémiotique et communicative du
langage (en particulier le fait que, pour Vygostki, la signification objective et la
signification subjective des « mots » ne coïncident pas, ce qui atteste du fait que le
langage n’a pas seulement valeur d’instrument de communication mais également
d’instrument psychologique de pensée, et que son internalisation ne s’identifie pas à
son incorporation puisque les énoncés comme l’écriture expriment toujours les effets
d’un travail d’élaboration subjectif).
8 L’apport de Vygotski et de Wallon relatif aux rapports entre pensée et affect est traité
par Jean-Yves Rochex. Rochex observe que « le souci commun à Wallon et à Vygotski
[était] de promouvoir une approche qualitative et dynamique du psychisme et de son
développement [qui] interdit au psychologue de séparer pensée et affect, de les penser
comme résultant de deux processus de développement indépendants, et le contraint au
contraire à penser leurs rapports » (p. 121). L’affect fait référence aussi bien aux
« mobiles » de l’action chez Vygotski qu’aux « émotions » chez Wallon (le premier
s’étant moins occupé du statut de l’émotion dans le développement de l’individu).
Rochex rapporte une citation de Vygotski qui livre toute la mesure de ce rapport
complexe entre pensée et affect : « ...celui qui dès le début a séparé pensée et affect
s’est ôté à jamais la possibilité d’expliquer les causes de la pensée elle-même car une
analyse déterministe de la pensée suppose nécessairement la découverte des mobiles de
la pensée, des besoins et des intérêts, des impulsions et des tendances qui dirigent le
mouvement de la pensée dans un sens ou dans un autre. De même, celui qui a séparé la
pensée de l’affect a rendu d’avance impossible l’étude de l’influence que la pensée
exerce en retour sur le caractère affectif, volitif de la vie psychique car l’analyse
déterministe de la vie psychique exclut aussi bien l’attribution à la pensée d’une force
magique capable de définir le comportement de l’homme par son seul système propre
que la transformation de la pensée en un inutile appendice du comportement, en son
ombre impuissante et vaine » (p. 127).
9 Les travaux de Vygotski, surtout à partir du moment où il s’intéressera aux problèmes
de la déficience mentale, portent la marque d’une collaboration avec A. N. Léontiev.
C’est l’objet du propos de Janette Friedrich. Hormis l’opposition pensée par ces deux
auteurs entre les « fonctions psychiques supérieures » et les « fonctions psychiques
inférieures », c’est le statut reconnu à l’activité qui rapprochera autant qu’il éloignera
leurs points de vue. Là où Vygotski s’interrogera sur la relation langage/pensée,
Léontiev partira du lien activité/conscience.
10 L’apport de Vygotski relatif aux théories de la signification et de l’activité a laissé des
interrogations en suspens. Ce sont ces problèmes qu’Yves Clot se propose d’éclaircir à
travers la lecture des travaux de M. Bakhtine. Clot souligne que pour Vygotski, pensée
et langage (ou « mots ») ne s’identifient pas, mais s’élaborent de manière dialectique et
évolutive : si « la pensée se réalise dans le mot », elle ne s’exprime pas à travers lui et
« le développement psychologique n’est internalisation des instruments sociaux que
parce qu’il est, en même temps, externalisation de la pensée personnelle vivante » (p.
167). C’est ce point qui rapproche Vygotski de Bakhtine pour lequel « la recherche du
mot personnel c’est en fait une recherche du mot non personnel ». Cette perspective
permet de postuler que l’usage des mots, comme leur signification, est constamment

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


208

soumis à l’univers des mots d’autrui dans lesquels le locuteur cherche appui. Bakhtine
ira plus loin que Vygotski dans l’exploration des rapports subjectifs aux mots et du
statut de la signification, en particulier à travers son concept de « genre » qui lui
permet de mieux penser l’expérience de l’intersignification dans son rapport avec les
contextes sociaux concrets.
11 Frédéric François poursuit le débat en s’interrogeant sur le statut des mot et dialogue
chez Vygotski et Bakhtine. Vygotski différencie sens et signification du mot. « Vygotski
met l’accent sur la différence entre l’écrit d’une part et le dialogue oral et le discours
intérieur fondés sur le primat du sens, la référence partagée et non explicitée » (p. 194).
Mais la question qui se pose est bien de savoir comment l’enfant en vient, via « la zone
proximale de développement » à recevoir les mots de l’autre qu’est l’adulte. Bakhtine
observe que la compréhension du mot est de nature dialogique puisqu’elle oppose « à la
parole du locuteur une contre-parole » (p. 198).
12 C’est à la psychologie du développement que Vygotski semble avoir le plus contribué.
Michel Brossard traite de la relation apprentissage et développement, notamment à
travers le concept de « zone proximale ». Deux périodes caractérisent l’apprentissage :
une période interpsychique, au cours de laquelle l’adulte met à la disposition de
l’enfant des contenus culturels ; une période intrapsychique, en particulier au moment
de l’apprentissage scolaire qui génère progressivement un travail d’appropriation
interne. « La zone proximale de développement se transformerait au cours d’un
apprentissage, passant d’une forme interpsychologique à une forme
intrapsychologique » (p. 211). L’apprentissage conduit au développement de nouvelles
ressources qui ne manquent pas de retentir sur les connaissances que l’individu s’est
appropriées antérieurement (ainsi en est-il de l’apprentissage d’une langue étrangère
qui « va transformer les rapports que le sujet entretient avec sa langue maternelle »,
p. 213),
13 Vygotski posait d’emblée que tout développement affectif et cognitif s’opère dans des
rapports contradictoires engageant l’individu et autrui. Ce sont ces contradictions que
Lucien Sève tente de mettre à jour à la lumière des conceptions de Piaget, Vygotski et
Marx. Après avoir souligné que Piaget n’a pas pensé la contradiction mais plutôt
l’opposition à l’action individuelle, Sève considère que Vygotski a été à l’origine d’une
théorie nouvelle : « l’externe "le milieu social" n’est pas ici vraiment autre chose que
l’interne — le psychisme individuel- L...] dans le développement culturel de l’enfant, il y
a au fond identité de ces deux pôles contraires d’une même réalité, le psychisme
humain, lequel existe et se développe à la fois dans les individus et hors de chacun pris
à part, passant de façon incessante du dehors au dedans et réciproquement » (p. 230).
Ainsi, le développement psychologique est social avant d’être subjectif ; il s’ensuit qu’à
la différence de Piaget, Vygotski postule que « Le développement des formes
psychiques n’est pas génétique mais appropriatif d’un psychisme historiquement
accumulé sous forme de rapports sociaux entre les humains » (pp. 233-234). L’influence
marxiste est tangible dans cette perspective (« L’Homme, c’est le monde de l’homme »
disait l’auteur du Capital).
14 La contribution de Pierre Rabardel revient sur le statut du langage chez Vygotski et des
ouvertures théoriques qu’une telle conception apporte à la méthode instrumentale en
psycho logie. Comme l’outil, le signe contribue à l’activité médiatisée. Ce point est
fondamental puisqu’il fait accéder le langage à un statut d’instrument ayant une
existence en soi et participant du développement cognitif ainsi que de la réalisation de

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


209

la pensée de l’individu. Bernard Schneuwly conclut l’ouvrage en interrogeant le


concept de développement chez Vygotski. Il montre ainsi comment ce concept a connu
des acceptions différentes le long de la courte carrière de Vygostki. Pour celui-ci, le
développement n’est pas linéaire mais sinueux et repose sur des transformations
continues. Par ailleurs, « la construction sociale des fonctions psychiques supérieures,
consiste dans le fait que le développement ne peut plus être conçu comme
endogénique, mais comme rapport interne et externe » (p. 272). Pour Schneuwly,
Vygotski ne parvenait pas à trancher la question des rapports entre développement et
apprentissage (tantôt, celui-ci apparaît comme déterminant celui-là, tantôt, c’est
l’inverse qui est postulé).
15 On l’aura compris : les différents thèmes abordés par Vygotski sont d’une portée
heuristique significative pour qui veut comprendre le difficile rapport existant entre
pensée et langage, entre signification subjective et sens social, entre l’affectif et le
cognitif, etc. Pour notre part, nous pensons que la sociologie a beaucoup à apprendre
d’une telle approche — dommage que les auteurs de cet ouvrage ne comptent pas de
sociologue — qui permet d’aller au-delà des certitudes théoriques et, à l’heure où l’on
redécouvre 1’« acteur » ou le « sujet », de réfléchir à la question de la régularité et de la
singularité des expériences socio-subjectives. Certaines recherches ont déjà su tirer
profit d’une telle pensée. Citons les travaux de Jean-Yves Rochex sur Le sens de
l’expérience scolaire (1995, P.U.F.) et ceux de Yves Clot relatifs aux conditions de travail
et au rapport entre activité et psychologie de l’individu (Cf. Le travail sans l’homme ? La
Découverte, 1995).

AUTEURS
AZIZ JELLAB
Université de Paris VIII- E.S.C.O.L.

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


210

Ernould-Dubois, A. ‒ Offre de
compétences et mobilité
professionnelle. Un projet pour quoi
faire ?
Monique Wach

RÉFÉRENCE
Ernould-Dubois, A. (1999). Offre de compétences et mobilité professionnelle. Un projet
pour quoi faire ? Collection acteurs sociaux. Levallois Perret : Éditions Yves Michel.

1 Parmi les nombreux ouvrages sur les compétences et le projet professionnel cet
ouvrage d’Anne Ernould-Dubois se distingue par sa façon de conjuguer un témoignage
vivant et des pistes de réflexion bien structurées. Cette nouvelle collection « Acteurs
sociaux » dirigée par Odile Martin Saint Léon donne la parole à des praticiens qui
proposent une vision sociale où tous les acteurs sociaux pourraient avoir leur place.
2 Dans l’introduction l’auteure précise son objectif. « Quel nouveau souffle apporter à
cette mobilité des têtes et des cœurs pour retrouver plus de lien social, pour réduire les
écarts entre ces deux catégories d’exclus : ceux qui n’ont plus le temps de vivre à cause
d’une surpression au travail et ceux qui n’ont plus l’espace de vivre à cause de leur
exclusion du monde de l’emploi ? ». Tout au long de l’ouvrage elle pointe, interroge les
injonctions paradoxales auxquelles sont soumis de nombreux individus aux parcours
non linéaires.
3 Pour fonder son propos, Anne Ernould-Dubois retrace son propre parcours
professionnel en utilisant la méthode de l’histoire de vie « D’un parcours singulier, il
s’agit de repérer les liens et les évolutions et d’utiliser cette connaissance pour mieux
gérer "l’à-venir". Selon Jean-Paul Sartre, l’homme se caractérise avant tout par le
dépassement d’une situation, par ce qu’il parvient à faire de ce que l’on a fait de lui ». Par là elle

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


211

indique le lien privilégié entre méthode biographique et compétences. Cette façon de


rendre compte du projet, de la formation et de la mobilité en faisant part de son propre
vécu, rend l’ouvrage extrêmement vivant. Cette mère de famille nombreuse, sans
activité rémunérée, « sur les rails » comme elle dit, a repris une formation et a su saisir
les opportunités pour offrir ses compétences en conseil et formation des adultes. Bilan
de compétences, analyse des pratiques et formation sont les atouts de sa formation
professionnelle réussie.
4 Elle essaie toujours de préciser les éléments qui étayent ses pratiques ; après avoir
donné les informations sur son travail d’accompagnement pour permettre à la
personne de dire avec pertinence ses compétences, elle affronte l’autre versant :
comment contribuer à la contractualisation du projet individuel avec une structure.
Elle pose les questions d’une analyse stratégique du marché. Le pouvoir, les espaces de
liberté doivent être étudiés par une analyse stratégique : « le candidat saura désormais
prendre les lunettes nécessaires pour analyser, anticiper et saisir les opportunités, pour
gérer la mobilité nécessaire à ses objectifs ». Elle insiste sur le fait que la mobilité est
une réalité plurielle dont l’incertitude fait partie. « La mobilité met en jeu les règles du
système organisationnel mais aussi les règles de vie, le système de valeurs de
l’individu ». On voudrait pouvoir souscrire aux affirmations d’Anne Ernould-Dubois. « À
une forte prédominance de la carrière professionnelle des hommes succèdent
aujourd’hui un souci d’équité et, si possible, de respect de la carrière professionnelle de
chacun. C’est l’univers privé de la famille qui détermine pour elle-même et par elle-
même ce qui vaut la peine... Le travail n’est plus le seul vecteur de reconnaissance
sociale L’auteure propose une autre relation homme/travail qui conjuguerait deux
objectifs apprendre et entreprendre. Elle lance un appel aux compétences collectives
(la solidarité, la citoyenneté) qui se mobilisent contre la fracture sociale. Elle suggère
de multiplier « les espaces et les moments où des inclus de l’emploi consacrent un peu
de temps à ceux qui en sont exclus ou, qui risquent de l’être, pour parler de ce qu’ils
font, de leur relation au travail, des évolutions de leurs activités. Cela permettrait à
ceux qui sont dans des emplois dont la précarité se précise ou qui font le pari de la
mobilité d’appréhender des réalités nouvelles... de construire leur stratégie en ce
sens ».
5 Cet ouvrage pose les grandes questions actuelles de l’emploi et du lien social et propose
de nouvelles logiques de négociation sociale, dans le cadre d’une psychologie
humaniste des acteurs sociaux dans la lignée de Rogers et Super et d’une sociologie
stratégique au sens de Crozier et Friedberg. En rendant compte de sa propre trajectoire
et de dix années de travail auprès d’adultes contraints ou enclins à la mobilité
professionnelle, à affronter aux lourdeurs sociales (où, le fonctionnement de
l’université n’est pas épargné) Anne Ernould-Dubois veut nous montrer que le défi de
l’emploi peut être relevé à condition de proposer un accompagnement individuel et
social.

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


212

AUTEURS
MONIQUE WACH
Chercheur en sciences sociales à l'Institut national d'étude du travail et d'orientation
professionnelle, INETOP-CNAM

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


213

Larrosa, J. ‒ Apprendre et être.


Langage, littérature et expérience
de formation.
Jean-Pierre Cartier

RÉFÉRENCE
Larrosa, J. (1998). Apprendre et être. Langage, littérature et expérience de formation.
Paris, E.S.F : Collection Pédagogies/Essais (p. 169).

1 Apprendre et être. Langage, littérature et expérience de formation.


2 Cet ouvrage a été traduit et adapté de l’espagnol par N. Véran à partir de deux ouvrages
de J. Larrosa publiés aux éditions Laertes de Barcelone entre 1994 et 1997. L’auteur est
professeur de philosophie de l’éducation à l’université de Barcelone. Son approche est
très originale car elle marie : pédagogie, littérature et philosophie. Ainsi la littérature, à
travers les œuvres autobiographiques de Rousseau, les textes de l’autrichien P. Handke,
les écrits du cubain J. Lezama Lima, questionne une pédagogie trop souvent sûre d’elle-
même. « Je pense que le danger majeur pour la pédagogie d’aujourd’hui réside dans
l’orgueil et l’arrogance de ceux qui savent, dans la bonne conscience des moralistes de
toute espèce, dans les certitudes de ceux qui savent ce qu’il faut dire ou ne pas dire,
faire ou ne pas faire, ainsi que dans la tranquillité des spécialistes en réponses et en
solutions ». (pp. 9-10).
3 Plusieurs thèmes de ce livre ont attiré notre attention : le paradoxe de la connaissance
de soi, la littérature comme moyen de dissonance, l’éducation comme processus de
libération. Pour l’auteur, « le moi » comme le destin est plus à créer qu’à connaître, à
inventer qu’à explorer. « Par ailleurs il n’y a pas de moi réel et caché à découvrir. Sous
un voile, il y a toujours un autre voile, sous un masque un autre masque, sous une peau
une autre peau. Ce qui importe, c’est le moi qui réside toujours au-delà de ce que l’on
pense habituellement être soi-même » (p. 11). Dans les Confessions, J.-J. Rousseau prend
conscience qu’il n’est pas ce qu’il pensait être, comme s’il était victime d’une «

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


214

autotromperie » ; en recherchant son identité à travers l’écriture sur soi, il ne découvre


ni permanence, ni continuité, ni stabilité : « ... le moi ne cesse de se faire, de se défaire
et de se refaire. A la fin, il n’y a pas un moi substantiel à découvrir et à qui être fidèle,
mais bien un ensemble de mots, de paroles à composer et recomposer » (pp. 38-39). En
fait, s’écrire pour se décrire en se faisant mots, fait que « les mots ne me disent pas »
(p. 25). En effet, « la fidélité aux mots c’est être fidèle à ce qui arrache le moi à lui-
même, à ce qui amène à un nouveau rapport entre le moi qui est lui-même et le moi qui
est autre. La fidélité aux mots consiste à maintenir la contradiction, à laisser arriver
l’imprévu et ce qui est étranger, ce qui vient du dehors, ce qui déstabilise et met en
question le sens établi de ce que l’on est » (p. 39). J. Larrosa propose de renverser la
célèbre formule nietzschéenne « deviens ce que tu es » par celle « ne sois jamais
quelqu’un qui ne pourrait être autre » (p. 40) ; l’intérêt du « qui suis-je ? » n’est donc
pas dans la réponse de soi ou de l’autre, mais dans la question elle-même, « sois toi-
même la question » (p. 40).
4 Alors comment porter notre attention à ce que nous sommes ? Par la lecture, la
littérature, le roman, le récit. Il faut concevoir à la fois la lecture comme formation et la
formation comme lecture, et « concevoir la lecture comme formation implique qu’il
faut la penser comme activité qui a à voir avec la subjectivité du lecteur : non
seulement avec ce que le lecteur sait, mais avec ce qu’il est. Il s’agit de penser la lecture
comme quelque chose qui nous forme (ou nous dé-forme ou nous trans-forme), comme
quelque chose qui nous constitue ou nous met en question dans ce que nous sommes »
(p. 87). La lecture est plus qu’un décodage et un simple déchiffrement de sens ; « lire ne
signifie pas s’approprier ce qui est dit, mais recueillir dans l’intimité de ce qui amène le
dire à se dire. Et y demeurer » (p. 127). En d’autres termes, la lecture, en permettant
d’échapper au moi contribue cependant à « nous faire être ce que nous sommes » (p. 8)
; dans la lecture ce qui importe n’est pas le texte, mais notre rapport au texte, notre
expérience dans le sens de M. Heidegger c’est à dire ce qui atteint, renverse, interpelle.
5 Le roman, parce qu’il est narration, semble être la forme d’écriture la plus appropriée
pour ce travail sur soi, car « la vie humaine ressemble à un roman » (p. 95). Le moi se
constitue sous forme d’une histoire car le temps humain s’organise comme un récit. «
La forme de notre vie... est celle d’une histoire qui se déroule. Ainsi, le fait de vouloir
répondre à la question de savoir qui nous sommes implique que nous ayons une
interprétation narrative de nous-mêmes, ce qui est finalement analogue à la
construction d’un caractère dans un roman... C’est comme si l’identité d’une personne,
le sens de qui elle est et de ce qui lui arrive, la forme d’une vie humaine concrète, ne
pouvait se faire tangible que dans son histoire » (p. 95).
6 Le roman a donc des vertus pédagogiques, mais celles-ci résident plus dans la façon de
le lire que dans le roman lui-même. Il convient de distinguer roman pédagogique et
pédagogisation du roman ; le roman pédagogique conçu comme un récit consciemment
rédigé pour être porteur d’enseignement, n’est en fait qu’un moyen insidieux de
persuasion, alors que le roman peut-être bien plus que cela. « La littérature qui a le
pouvoir de faire changer n’est pas celle qui s’adresse directement au lecteur en lui
disant comment il doit voir le monde et ce qu’il doit faire... La fonction de la littérature
consiste à violenter et à questionner le langage trivial et fossilisé, violenter et
questionner les conventions qui nous représentent le monde comme quelque chose de
déjà pensé, de déjà dit, comme quelque chose d’évident que l’on nous impose en
écartant toute réflexion » (p. 114).

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000


215

7 L’éducation, en effet, ne saurait consister en un simple processus qui permettrait à


l’éducateur de réaliser son projet sur l’éduqué, il « peut résister à ce projet, affirmant
son altérité et s’affirmant comme quelqu’un qui ne s’accommode pas des visées que l’on
peut avoir sur lui, comme quelqu’un qui n’accepte pas la mesure de notre savoir et de
notre pouvoir, comme celui qui met en question la façon, avec laquelle nous définissons
ce qu’il est, ce qu’il veut et ce dont il a besoin... » (p. 16). Si éduquer c’est recevoir ceux
qui naissent, leur faire une place dans le monde, ouvrir un espace et un futur possibles,
ce peut être aussi présenter un ordre stable et stabilisé, un imprévu capturé. II y a en
effet deux sens du possible : le possible probable dépendant de notre savoir et le
possible réel dépendant de notre pouvoir. La pédagogie consisterait donc à faire « du
réel à partir du possible. L’action pédagogique dépend de la manière avec laquelle nos
savoirs déterminent le possible et de la manière avec laquelle nos pratiques produisent
du réel. L’éducation, donc, ne serait que la réalisation du possible » (p. 157). L’éducation
en voulant par son pouvoir fait de calculs, de techniques, passer du possible au réel
oublie le caractère « impossible » de toute naissance. « Le fait que ce qui naît a pour
point de départ l’impossible signifie alors que la naissance a la possibilité d’échapper au
possible, ou pour dire autrement, qu’elle n’est pas déterminée par ce que nous savons
et ce que nous pouvons » (p. 158).
8 Le livre de J. Larrosa est extrêmement riche en réflexions, tant sur l’éducation, la
lecture, la connaissance de soi. Les sources théoriques citées sont variées : F. Nietzsche,
H. Arendt, G. Deleuze, M. Foucault... Les pensées de J.-P. Sartre et P. Ricœur, bien que
non évoquées semblent cependant aussi proches des références énoncées par l’auteur.
Si pour l’enseignant en Lettres et le philosophe, ce livre présente un intérêt majeur, il
interpelle aussi le psychologue et le professionnel de l’orientation.
9 Pour le psychologue, il semble que ce livre s’inscrit parfaitement dans la perspective
d’une psychologie culturelle, telle que la développe J. Bruner (L’éducation, entrée dans
la culture le problème de l’école à la lumière de la psychologie culturelle. Paris, Retz,
1996) en se référant aux travaux déjà anciens de I. Meyerson (Les fonctions
psychologiques et les œuvres. Paris, Vrin, 1948). L’importance des œuvres, des récits,
de la culture dans la construction des personnes, dans l’élaboration des images de soi,
dans la formation constituent aussi leurs préoccupations majeures.
10 À propos de l’orientation, ce livre, en montrant à partir de l’analyse d’écrits littéraires,
romans, autobiographies, histoires de vie, récits, comment peut aussi « s’écrire » le
destin du lecteur, peut enrichir la réflexion des praticiens qui travaillent sur le thème
de l’éducation en orientation à travers les disciplines scolaires.

AUTEURS
JEAN-PIERRE CARTIER
I.N.E.T.O.P./C.N.A.M.

L'orientation scolaire et professionnelle, 29/1 | 2000

Vous aimerez peut-être aussi