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Université Paul Sabatier Toulouse III Master 1 BEE

Écologie Évolutive
Examen session 1 – Janvier 2021

1 Evolution de la longévité post-reproductive (15 points)


Nous vous recommandons de passer 1h10 maximum sur cette partie de
l’examen.
Comme toutes les autres, l’espèce humaine évolue au fil des générations, notamment
par le biais des mutations et de la sélection naturelle. Cette partie de l’examen, inspirée
de l’article de Moorad & Walling (2017 ; Nature Ecol Evol, 1, 1773–1781) s’intéresse à
la sénescence, c’est-à-dire au vieillissement conduisant finalement à la mort. La théorie
de la sénescence de Medawar postule que la sénescence est due à l’accumulation dans
la population de mutations ayant un effet délétère s’exprimant tardivement dans la vie
des individus. Ces allèles responsables du vieillissement sont appelés gérontogènes et
peuvent se fixer dans la population par dérive génétique car leur expression tardive
empêche de les contre-sélectionner fortement.
Dans ce qui suit, nous nous intéresserons plus particulièrement à l’évolution de
la longévité post-reproductive dans l’espèce humaine, c’est-à-dire à l’existence d’une
période au cours de laquelle les individus vivent mais ne se reproduisent plus. On s’at-
tend à ce que la sélection naturelle favorise une plus grande durée de vie si cela permet de
produire plus de descendants. Chez les hommes, au-delà d’un certain âge la probabilité
de reproduction décline avec l’âge, mais elle n’est jamais nulle, ce qui laisse la possibilité
d’une sélection en direction d’une durée de vie accrue. En revanche, chez les femmes,
la ménopause marque l’arrêt de toute possibilité de reproduction. La sélection ne peut
donc pas favoriser directement une augmentation de la durée de vie après ménopause.
La longévité post-reproductive des femmes étant significative, on peut se demander si
la sélection pourrait favoriser indirectement une longévité post-reproductive accrue.
Nous nous intéresserons à deux des hypothèses étudiées par Moorad & Walling
(2017) :
— La corrélation inter-sexes, qui suppose que des gènes dont les allèles peuvent favo-
riser une survie tardive sont partagés entre hommes et femmes. Ces allèles seraient
sélectionnés chez les hommes, et donc présents chez les femmes bien que non di-
rectement sélectionnés.
— L’effet grand-mère, qui suppose qu’une longévité post-reproductive accrue permet
de prodiguer des soins aux petits enfants, ce qui améliore leur probabilité de survie,
produisant indirectement une augmentation de la fitness des grand-mères.
Pour évaluer ces hypothèses, Moorad & Walling (2017) ont étudié la population qui a
colonisé le territoire de l’Utah (USA) à partir de 1847. Les données contiennent les dates
de naissance et mort de tous les individus de 1860 à 1889 (soit 128 129 individus) ainsi
que toutes les relations de parenté entre ces individus. La longévité post-reproductive
a été estimée par la durée de vie après 50 ans (qui correspond à l’âge moyen de la
ménopause), un phénotype noté LS50.

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Vos réponses à toutes les questions ci-dessous doivent être synthétiques et
soigneusement argumentées. Les questions sont pour la plupart indépendantes
les unes des autres : passez à la question suivante en cas de blocage.
1. Expliquez pourquoi il est indispensable de se placer dans le cadre de la théorie
du gène égoı̈ste pour comprendre l’hypothèse de l’effet grand-mère. Pourquoi un
“effet voisine” (i.e. une femme ménopausée qui s’occuperait des enfants de ses
voisins ; on suppose que les voisins ne sont pas les enfants de la grand-mère) ne
pourrait-il pas expliquer la sélection vers une longévité post-reproductive accrue ?
(1 point)
L’héritabilité (au sens étroit) du phénotype LS50 a été estimée à 0.232 chez les
hommes et à 0.176 chez les femmes de la population de colons de l’Utah.
2. Rappelez ce qu’est l’héritabilité. Que vous indiquent les valeurs estimées ? (1 point)
Dans une autre population de la même époque que celle de l’Utah, au Danemark,
l’héritabilité de LS50 a été estimée à 0.33 chez les hommes et 0.26 chez les femmes.
3. Expliquez pourquoi il est possible que deux populations différentes n’aient pas la
même héritabilité pour un même phénotype. (1 point)
Des données génétiques ont pu être récoltées à partir de restes humains des popu-
lations Américaine et Danoise. A un locus neutre, 3 allèles notés A1, A2 et A3 ont
été identifiés. Le tableau ci-dessous donne les fréquences alléliques et génotypiques à ce
locus dans les deux populations.
Population fA1 fA2 fA3 fA1A1 fA1A2 fA1A3 fA2A2 fA2A3 fA3A3
Utah 0.4 0.4 0.2 0.22 0.26 0.1 0.17 0.2 0.05
Danemark 0.1 0.3 0.6 0.01 0.06 0.12 0.09 0.36 0.36

4. Calculez un indice vous permettant de déterminer le niveau de différenciation


entre les deux populations. Interprétez la valeur trouvée. En quoi cela est-il infor-
matif quant aux différences d’héritabilité du phénotype LS50 pour les populations
Américaine et Danoise ? (2 points)
5. Calculez un indice vous permettant d’estimer le niveau moyen de consanguinité
dans la population de l’Utah. Interprétez la valeur trouvée. Qu’implique le résultat
trouvé quant à la contre-sélection d’un gérontogène récessif (c’est-à-dire un allèle
récessif à expression tardive qui limiterait la durée de vie et donc la longévité
post-reproductive) ? (2 points)
Dans la population de l’Utah, l’intensité de la sélection sur LS50 a été estimée à 0.138
an par génération chez les hommes, et à 0 chez les femmes. Ces estimations incluent
aussi bien la sélection directe que la sélection indirecte sur LS50. En 1860, LS50 est
estimée à 18 ans chez les hommes et à 21 ans chez les femmes.
6. En ignorant les changements de société récents ayant pu influer sur LS50 (par
exemple les progrès en médecine) ainsi que l’effet Bulmer, à combien devrait
s’élever la longévité post-reproductive aujourd’hui (c’est-à-dire en 2020) chez les
hommes et chez les femmes de la population de l’Utah ? On considérera qu’une
génération correspond à 20 ans. (2 points)
7. Qu’impliquent ces résultats vis-à-vis des deux hypothèses proposées pour expliquer
l’existence d’une longévité post-reproductive non nulle chez les femmes ? chez les
hommes ? (1 point)

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Figure 1 – Taux de croissance de la population de l’Utah au cours du temps.

dN
dt
rK
4

0 K K N
2

Figure 2 – Taux de croissance de la population en fonction de la taille de population


dans un modèle de croissance logistique.

Parmi les pistes envisagées par Moorad & Walling (2017) pour expliquer leurs
résultats figure une spécificité de la population de l’Utah vis-à-vis des paramètres
démographiques. La figure 1 montre le taux de croissance de la population de l’Utah
au cours du temps. On admet que le modèle de croissance logistique est adéquat pour
décrire la dynamique de cette population. On rappelle (figure 2) le graphe, pour un
modèle de croissance logistique, du taux de croissance de la population en fonction de
la taille de la population.
8. En vous basant sur les informations contenues dans les figures 1 et 2, déterminez
si la taille de la population de l’Utah entre 1860 et 1890 est (i) entre 0 et la moitié
de la capacité de charge, (ii) entre la moitié de la capacité de charge et la capacité
de charge, ou (iii) au-delà de la capacité de charge. Donnez un argument pour
chaque tranche de taille proposée expliquant pourquoi la taille de la population
de l’Utah se trouve ou non dans la tranche considérée. (2 points)
Les auteurs notent que la population étudiée n’avait pas accès à la contraception, ce
qui pourrait contribuer à expliquer la forte fertilité dans cette population (en moyenne,
7 enfants viables par femme).
9. En admettant que rien d’autre ne change lorsque la contraception devient ac-
cessible (notamment progrès de la médecine, croissance économique, travail sa-
larié des femmes, âge de première reproduction, etc.), quel(s) paramètre(s) du
modèle de croissance logistique devrai(en)t changer lorsque la contraception de-
vient accessible ? La contraception devrait-elle changer l’effectif à l’équilibre ? La

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contraception devrait-elle changer la vitesse à laquelle l’équilibre serait atteint ?
Argumentez vos réponses à partir de la figure 2. (2 points)
10. Cette population de l’Utah au 19eme siècle était relativement petite et donc poten-
tiellement soumise à des fluctuations démographiques stochastiques indépendantes
de l’environnement. Le modèle de croissance logistique tel qu’exprimé dans la
figure 2 tient-il compte de ce type de processus ? En prenant un exemple très
simple de 100 individus soumis à une probabilité de mortalité par individu fixe
de 10%, expliquez comment on peut donner le nombre d’individus survivants à
la génération suivante de manière déterministe ou, au contraire, en intégrant une
certaine stochasticité. (1 point)

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