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Parmi les grandes préoccupations actuelles, nombreuses sont celles qui sont liées, directement
ou indirectement, à l'évolution de la fécondité. Ses conséquences sur la situation économique
ne sont certes pas négligeables mais il convient également de développer l'analyse théorique
de ses déterminants, non seulement pour apprécier les perspectives en la matière, mais aussi
pour orienter la politique économique.
Dans cette perspective, il est nécessaire de commencer par évoquer la nature des relations
démoéconomiques telles qu'elles sont habituellement envisagées, et d'apprécier leur
pertinence tant sur le plan théorique qu'empirique ; cela permet d'obtenir quelques points de
repères utiles pour l'analyse. La liaison ressource-fécondité qui est à la base du principe de
population de Malthus d'une part, la notion de transition démographique d'autre part,
apparaissent ainsi comme des références majeures.
Pour la période post-transitionnelle qui nous intéresse plus particulièrement, la liaison revenu-
fécondité peut alors être étudiée selon deux grandes modalités : dans une première acception,
la référence au revenu relatif permet de lier la fécondité à l'évolution générale de l'économie ;
dans une seconde, l'analyse est plus statique et consacrée à l'approfondissement des
comportements individuels.
Après avoir donné un aperçu de la place accordée aux relations démo-économiques dans
l'histoire de la pensée, nous envisageons la dimension empirique de la question pour terminer
par l'évocation de faits qui ont modifié profondément les données du problème.
Si les mercantilistes apparaissent populationnistes tandis que les physiocrates réservent leur
réponse en fonction des possibilités offertes par l'agriculture, ces deux courants de pensée ne
proposent pas de véritable théorie en matière démographique.
Par la suite, ni les néo-classiques ni les marxistes n'ont véritablement traité des déterminants
de la fécondité. Les premiers se contentent de souligner les effets éventuellement bénéfiques
d'une augmentation de la population, tandis qu'en fondant leur optimisme sur un changement
radical du système, les seconds réduisent largement l'importance des phénomènes
démographiques2. Quant aux théoriciens stagnationnistes (Keynes [1937], Hansen [1939],
Reddaway [1939]), ils montrent bien qu'une population croissante stimule la formation du
capital tandis qu'un déclin démographique provoque une contraction du volume des
investissements (Duvaux [1958], Sempé [1964]) ; mais ils n'approfondissent pas les raisons
de ces mouvements de population.
En définitive, pendant longtemps, c'est surtout ponctuellement que les liaisons démo-
économiques ont été abordées3, et cela principalement à propos de l'étude des conséquences
de la croissance démographique4. C'est ainsi qu'au cours de la période contemporaine,
différents modèles ont été élaborés pour appuyer les politiques de limitation des naissances
dans le tiers-monde, Bourcier de Carbon [1983]) et permettre de cette façon aux pays pauvres
de se sortir des menaces de la trappe malthusienne.
Dans tout ce contexte, l'analyse de Malthus demeure à plus d'un titre la référence privilégiée :
le principe d'une exclusion entre population et richesse domine la pensée démo-économique.
La thèse selon laquelle c'est la pression de la population qui induit une augmentation des
ressources en provoquant l'innovation technologique est le plus souvent traitée comme
l'exception qui confirme la règle.
De nombreuses études empiriques ont d'ailleurs été effectuées pour tenter de préciser la nature
de ces effets et en mesurer l'importance.
La première correspond à une situation d'équilibre caractérisée par une fécondité et une
mortalité élevée, puis l'amélioration de l'état sanitaire est à l'origine d'un accroissement de
l'espérance de vie sans que la natalité en soit modifiée, d'où un fort accroissement naturel ce
n'est que dans un troisième temps que la fécondité s'ajuste à la mortalité ce qui permet
d'atteindre une nouvelle situation d'équilibre. On constate dans ce schéma que c'est l'évolution
de la mortalité qui joue le rôle moteur. La notion de remplacement permet de comprendre
pourquoi celle-ci recouvre non seulement un effet direct selon lequel les couples fixent leur
fécondité en fonction du nombre de leurs enfants survivants et éventuellement des
anticipations qu'ils font à ce sujet, mais aussi un effet indirect selon lequel la mortalité
infantile réduit l'intervalle entre deux naissances, imposé par les spécificités physiologiques
de l'espèce humaine. On dispose de cette façon d'arguments supplémentaires pour expliquer
l'évolution de la fécondité tandis que l'accroissement démographique apparaît comme un
symptôme de progrès économique.
Construit sur l'expérience des pays actuellement développés, la question majeure est
évidemment celle de la validité du modèle pour les pays en voie de développement. Dans
l'affirmative, la forte poussée démographique qui y est actuellement observée serait
exceptionnelle et ponctuelle ; c'est sur cette base que sont fondées les principales projections
des Nations-Unies tablant sur la stabilisation plus ou moins rapide, en fonction de la date à
laquelle tous les pays auront effectué leur transition, de l'effectif de la population mondiale. Il
apparaît en effet que le mouvement séculaire de baisse de la fécondité est entamé sur presque
toute la surface de la terre, même si dans le monde en développement l'évolution en est à des
stades très variables.
Une seconde révolution s'est produite il y a plus de trente ans avec la diffusion de moyens
chimiques de contrôle des naissances, au risque de remettre en cause l'équilibre post-
transitionnel. Les conséquences sur la fécondité peuvent en effet être très marquées dans la
mesure où désormais pour avoir un enfant il faut positivement le vouloir alors qu'avec les
modes traditionnels de régulation des naissances l'affirmation de la volonté intervient dans
l'hypothèse d'un refus d'une maternité supplémentaire. Or, les périodes au cours desquelles
l'affirmation de la volonté est nette étant le plus souvent séparées par une phase d'incertitude,
il est facile de comprendre comment on est passé d'une situation dans laquelle les couples ont
le nombre d'enfants souhaité sans que les naissances se produisent au moment désiré, à une
situation dans laquelle la possibilité de n'avoir que des enfants désirés se paye d'une
descendance finale inférieure aux aspirations profondes.
Trois situations bien différentes peuvent finalement être distinguées en fonction de tout ce qui
précède :
En d'autres termes, la fécondité a peu varié pendant des siècles, sinon de façon mineure ; elle
reste à une hauteur suffisante pour garantir la reproduction biologique de la société,
l'accroissement démographique résultant de l'abaissement de la mortalité :
Dans ces conditions, le véritable défi auquel les chercheurs se trouvent confrontés n'est pas de
savoir si la fécondité va fléchir ; le modèle de la transition démographique, intégrant les
conséquences de la modernisation et de l'instruction, apporte une réponse positive à cette
interrogation. S'il s'agit encore de déterminer quand et à quel rythme cette évolution se fera
dans les pays en voie de développement, il convient surtout de savoir jusqu'où elle se fera; la
seconde révolution est alors importante puisqu'il semble qu'elle ne permette plus aux couples
d'avoir le nombre d'enfants désiré.
La question des déterminants de la fécondité se trouve ainsi posée avec une acuité renforcée,
toutes les études relatives aux conséquences de la croissance démographique supposent
d'ailleurs implicitement qu'il est possible d'agir efficacement pour modifier cette fécondité.