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Pierre-Yves HENIN

EÏÏacrodynamique
FLUCTUATIONS ET
1 C R O I S S A N C E

Deuxième ÉDITION

ECONOMICA
49, rue Héricart, 75015 Paris
1981
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@ Ed. ECONOMICA, 1981

Tous droits de reproduction, de traduction, d'adaptation et d'exécution


réservés pour tous pays.
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— AVANT-PROPOS

Cet ouvrage est issu d'un enseignement professé depuis plusieurs


années à l'Université de Paris I en Licence ès Sciences économiques
Il résulte de la conviction qu'il n'est ni possible, ni honnête, d'ensei-
gner la dynamique macroéconomique sans initier les étudiants aux
approches et travaux contemporains. Dès maintenant, ces travaux
sous-tendent le débat politique sur la régulation des économies
industrialisées et sont invoqués pour justifier les décisions.
A tort ou à raison ? Comment le savoir si l'on n'est pas entré
un j o u r dans leur logique d'analyse, si l'on n'a pas fait l'effort de
comprendre le principe, à défaut du détail, de leur méthode.
Pour permettre à l'étudiant cet accès à la macroéconomie con-
temporaine, on s'est efforcé de présenter un ouvrage aussi complet
que possible. De ce fait, il dépassera parfois le programme enseigné
en licence ou maîtrise de sciences économiques et pourra constituer
une référence pour des étudiants plus avancés, de jeunes chercheurs
ou des économistes désireux de compléter leur connaissance d'un
domaine scientifique dont l'intérêt est si actuel.
La seconde édition comporte de très sensibles modifications.
Le traitement des modèles d'équilibre macroéconomiques, classi-
ques et keynésiens, est plus intégré, et leur analyse dynamique plus
développée. L'étude de l'inflation a été approfondie ainsi que la pré-
sentation des thèses des «nouveaux classiques» s'appuyant sur le
concept de prévisions rationnelles. Il est rendu compte des dévelop-
pements de l'analyse en termes de crise, ainsi que de la caractérisa-
tion des déséquilibres contemporaines. Enfin, la théorie moderne
des déséquilibres fait l'objet d'une présentation plus systématique.
L'auteur tient enfin à remercier tous ceux et en particulier le
Professeur R. BODKIN, de l'Université d'Ottawa, qui ont facilité
sa tâche en lui communiquant leurs observations sur la première
édition. Il est clair que, selon la formule consacrée, ils n'ont aucune
part aux erreurs et aux insuffisances qui subsistent.
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— INTRODUCTION

L'objet de ce livre est l'analyse macro-dynamique, c'est-à-dire


l'étude des déterminants des mouvements économiques généraux :
fluctuations et croissance. Ce thème suscite un volume considérable
de travaux et délimite l'un des domaines les plus actifs de la
réflexion économique contemporaine. Les controverses techniques,
scientifiques ou idéologiques qu'il suscite trouvent fréquemment
un écho dans la pensée ou dans le débat politique, ce qui ne va pas
sans simplifications parfois abusives des thèses en présence.
Avant d'aborder le contenu et le plan de cet ouvrage, on en
précisera le champ avec les notions d'analyse dynamique et macro-
économique, d'une part, de croissance de de fluctuations, d'autre
part.

I.- L'ANAL YSE DYNAMIQUE


L'opposition statique-dynamique est relative à la méthode
d'analyse et désigne une propriété des théories ou modèles utilisés.
L'analyse statique considère un état donné d'un système écono-
mique comme résultant à un moment donné de la combinaison
d'un certain nombre de facteurs déterminants. Elle recourt pour ce
faire à des modèles dans lesquels le temps ne figure pas parmi les
variables considérées. Elle s'applique à des états considérés comme
des équilibres, c'est-à-dire des états dans lesquels il y a exacte com-
pensation des diverses forces s'exerçant sur le système et donc
aucune tendance nette, résultante, poussant au changement.
La statique comparative procède par comparaison de situations
virtuelles d'équilibre, et n'introduit aucune référence temporelle.
En toute rigueur, cette analyse n'utilise pas des énoncés du type :
si les impôts baissent, la consommation augmentera, mais
uniquement du type : si les impôts étaient plus bas, la consomma-
tion serait plus élevée.
L'analyse dynamique vise à rendre compte d'une réalité écono-
mique en mouvement qui se modifie de période en période. Elle
utilise donc des théories ou modèles dans lesquels le temps inter-
vient comme une variable essentielle.
La réflexion et l'histoire de l'analyse dynamique, montrent
que la rupture statique-dynamique peut en fait recouvrir deux signi-
fications principales distinctes :
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— ou bien on considère avec Harrod la dynamique comme


l'étude d'une économie en évolution, en croissance sur une
longue période. Cette idée n'exclut pas la possibilité d'une
évolution régulière, d'une croissance équilibrée. On retrouve
alors des théories ou modèles très proches de la statique,
dans lesquels on a seulement substitué au niveau des
variables leur taux de croissance, sans qu'interviennent des
délais ou des décalages,
— ou bien on considère avec Hicks ou Samuelson, la dynami-
que comme l'étude des mouvements, des adaptations nais-
sant du déséquilibre. Alors des délais et décalages doivent
être introduits dans les modèles, mais non nécessairement
l'idée d'une évolution de long terme.
Les deux conceptions se conjuguent évidemment lorsqu'il s'agit
d'étudier les déséquilibres de croissance.

II.- L'ANALYSE MACROECONOMIQUE

Une seconde distinction classique oppose les analyses micro-


économique et macroéconomique. On la présente parfois comme
une opposition d'objets : le premier type d'analyse rendrait compte
des comportements individuels des agents, le second type s'interes-
serait à l'économie dans son ensemble, considérée comme un tout.
Pourtant l'équilibre général de Walras, qui relève incontestablement
de la microéconomie, constitue bien une représentation de l'écono-
mie dans son ensemble.
Les critères de méthode permettent de préciser la distinction.
Schématiquement, la microéconomie décrit les comportements et
agrège ensuite les relations obtenues, tandis que la macroéconomie
agrégerait d'abord et construirait ensuite ses relations explicatives.
Cependant, de nombreuses relations ainsi posées par la macro-
économie se réfèrent en fait à des logiques de comportement indi-
viduel.
Il est clair que la macroéconomie ne saurait se réduire à l'agré-
gation de comportements ou d'effets individuels, comme le montre
le paradoxe de l'épargne évoqué par la théorie keynésienne. Un
individu s'enrichit en épargnant, par définition, mais la collectivité
peut se trouver appauvrie si tous les consommateurs relèvent simul-
tanément leur taux d'épargne : c'est que une hausse générale de
l'épargne entraine des conséquences sur le revenu qui n'existent
pas, ou plutôt qui sont de l'ordre de l'infiniment petit, dans le cas
de la hausse de l'épargne d'un seul consommateur.
A l'opposé, et trop facilement semble-t-il, on a considéré que
l'analyse macro-économique pouvait postuler directement des rela-
tions de comportement directement significatives au niveau agrégé.
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Les comportements globaux seraient de nature sociale et irréduc-


tibles aux comportements individuels.
L'inconvénient de cette conception globaliste de la macro-
économie, fréquente dans les travaux dits keynésiens, est de présen-
ter l'économie comme une mécanique des quantités globales et non
comme un système formé de multiples composantes animées de pro-
jets partiellement coordonnés et partiellement contradictoires.
Dans la perspective globaliste, on considérera que le problème
de la macroéconomie est celui de la coordination de quantités glo-
bales comme l'épargne et l'investissement. Ne vaut-il pas mieux con-
sidérer que le problème est celui de la coordination des comporte-
ments individuels, dont l'ajustement des quantités globales n'est
qu'un symptôme ? Nous retrouverons cette distinction à plusieurs
reprises.
Il semble donc que la macroéconomie n'ait rien à gagner à se
couper des fondements que lui apporte l'examen des comporte-
ments individuels à condition de considérer ces comportements non
pas comme l'expression inconditionnée d'objectifs individuels, mais
comme largement déterminés par un ensemble de contraintes résul-
tant du fonctionnement de l'économie globale : contraintes de res-
sources, certes, mais d'autres également dans une perspective de
déséquilibres où le schéma idéal de fonctionnement des marchés
n'est plus pertinent.
La macroéconomie contemporaine semble s'être engagée dans
cette voie, mais les difficultées rencontrées sont sérieuses et appel-
lent des solutions complexes. Ainsi de nombreux développements
font-ils appel ou bien à des relations globales sans fondements
suffisants ou bien à des transpositions arbitraires de relations cons-
truites au niveau individuel.
En tout état de cause la coupure entre microéconomie et macro-
économie a été exagérée et il n'est plus possible de les enseigner
comme des entités distinctes. Nous verrons ainsi comment la théo-
rie moderne des déséquilibres conduit à intégrer le multiplicateur,
paradigme macroéconomique par excellence, et la théorie des choix
du consommateur, principal paradigme de la microéconomie.
Plus précisémment, au-delà des questions d'objets et de
méthode, la véritable distinction entre microéconomie et macro-
économie relève d'une problématique et d'une pratique. Une pro-
blématique d'allocations de ressources caractérise la micro-
économie, alors qu'une problématique de régulation de l'activité
économique justifie la spécificité de la macroéconomie. Une prati-
que macroéconomique est née des travaux de prévision et de ratio-
nalisation des interventions de politique économique qui définit
le champ de la macroéconomie plus sûrement que le débat sans
cesse recommencé sur l'objet et la méthode.
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III.- LES MO UVEMENTS ECONOMIQ UES :


FLUCTUA TIONS ET CROISSANCE

Les mouvements économiques observables présentent un


profil complexe et une régularité douteuse. Il appartient à l'analyse
de les représenter comme résultant de la combinaison de compo-
sants multiples, de périodicité et d'amplitude distinctes. La réfé-
rence est là encore un résultat mathématique, d'application fré-
quente en physique.
On appelle stationnaire un processus temporel dont les
caractéristiques périodiques sont indépendantes du temps : une
série chronologique peut être rendue stationnaire par élimination d'un
terme de tendance. Or, tout processus temporel stationnaire, observé
sur T périodes peut être exprimé comme la somme de composantes
strictement périodiques, de fréquence et d'amplitude différentes,
en nombre égal au maximum à T : c'est ce que l'on appelle la
décomposition de Fourier. En général une bonne approximation
sera obtenue en retenant seulement un nombre limité de compo-
santes périodiques : tel est le principe de la méthode statistique
appelée analyse spectrale des séries chronologiques.
Sans procéder de l'application directe d'une méthode mathé-
matique, l'analyse des mouvements économiques suit une
démarche semblable en distinguant une composante tendancielle
.et des composantes périodiques.
La composante tendancielle, positive en Occident depuis les
temps modernes, est analysée en termes de croissance. Son examen
fera l'objet de la troisième partie de ce livre. Il convient de remar-
quer qu'à côté de la croissance définie comme élévation tendanciel-
le d'indicateurs du niveau de la production, a été proposé le
concept de développement dont l'objet est de rendre compte des
mutations structurelles et du changement qualitatif qu'exige et
qu'implique un tel mouvement en longue période.
Pendant un siècle environ (1850-1950), on s'est efforcé de
théoriser les mouvements récurrents de l'activité en termes de fluc-
tuations à caractère cyclique et donc proches des composantes
périodiques du raisonnement mathématique. Il en est résulté une
classification en trois types principaux de cycles1 : un cycle moyen,
ou de Juglar, un cycle de courte durée ou de Kitchin et un cycle
long dit de Kondratieff, auxquels il convient d'ajouter le cycle
annuel formé par l'ensemble des facteurs saisonniers et un
hypothétique cycle du bâtiment, dont la période serait d'une ving-
taine d'années.

1. Classification due à J.A. Schumpeter, Business Cycles, 1939.


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Le principal type de fluctuation des économies capitalistes est


observable assez régulièrement de 1815 à 1937 avec une périodi-
cité de l'ordre de 8 ans (cycle de Juglar). Le cycle de Kondratieff
dont la durée serait de l'ordre de 50 ans correspond assez bien
aux données de l'observation de 1790 à 1940, et certains voient
dans la crise actuelle un retournement de tendance au sens
de ce cycle après l'expansion des années 1945-1973. Un cycle plus
fréquent, d'une période d'environ 40 mois, a reçu le nom de
Kitchin.
L'approche en termes de cycles a conduit à des travaux très
complets de morphologie conjoncturelle, dûs notamment aux cher-
cheurs du N.B.E.R., et dont l'ouvrage de J. Shiskin donne une
présentation moderne1. Bien que conservant son intérêt dans le
cadre des méthodes de prévision conjoncturelle2, elle tend cepen-
dant à être abandonnée pour l'analyse théorique, au profit d'appro-
ches s'efforçant plus de rendre compte des sources d'instabilité et
des mécanismes de propagation des déséquilibres que d'en décrire
le profit temporel supposé régulier. Nous ne rencontrons donc
qu'occasionnellement la problématique du cycle.

IV.- PLAN DE L'O UVRA GE

Il nous semble qu'on ne peut comprendre l'effert de la dyna-


mique macroéconomique pour analyser les mouvements économi-
ques sans évoquer une question, subsidiaire formellement, mais en
fait essentielle qui est celle de l'existence éventuelle, niée par les
uns et réaffirmée sans cesse par les libéraux, de mécanismes écono-
miques capable d'assurer la régulation spontanée d'une économie de
marché, qui réaliseraient un degré satisfaisant de coordination des
comportements individuels. L'analyse macroéconomique est née
avec Boisguilbert d'une tentative d'affirmation de cette thèse face
au Colbertisme. Le débat contemporain entre monétaristes et key-
nésiens n'a pas réellement un objet différent.
L'ouvrage comportera quatre parties. La première consacrée
à la formation de la macroéconomique nous verra étudier la «dyna-
mique grandiose» des classiques et de Marx, puis les théories pré-
keynésiennes des fluctuations avant de discuter la révolution key-
nésienne et ses prolongements. La seconde partie traitera de la
dynamique des comportements avec la reformulation des grandes

1. Signaux avertisseurs des récessions et des reprises, Traduction française, Gauthiers-


Villars.
2. Voir dans ce sens l'article de J.C. Ray «Vers un renouveau de l'application de
l'analyse des cycles économiques», Cahiers économiques de Nancy, nO 2 et 3, 1980.1
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fonctions macroéconomiques de consommation, d'investisse-


ment et de demande d'actifs monétaires. Dans la troisième partie,
nous aborderons la croissance, avec sa représentation et ses sources,
le problème de sa stabilité et de sa régulation et enfin les questions
liées à son orientation, à l'optimisation de son rythme ainsi qu'à
ses limites telles qu'elles résultent en particulier de la limitation des
ressources épuisables. La dernière partie du cours s'attachera aux
analyses d'instabilité dans la courte période, à caractère plus con-
joncturel. Après avoir constaté l'apport des modèles de fluctuation,
on y traitera de l'analyse des situations d'inflation et de stagflation,
en présentant notamment les fondements de la théorie moderne des
déséquilibres.
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PREMIÈRE PARTIE

FORMATION
DE LA
MACRODYNAMIQUE
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L'opportunité d'aborder l'étude d'un domaine de l'analyse éco-


nomique par une approche historique peut être discutée. Il est cer-
tain qu'un tel détour ne se justifie pas si l'on considère seulement
les analyses passées comme des exposés anticipés et entachés
d'erreurs des travaux contemporains. A l'opposé, ne voir dans l'évo-
lution de la pensée économique qu'un perpétuel recommencement
des mêmes débats et une reproduction des mêmes clivages relève
d'un pessimisme excessif sur le statut scientifique de l'analyse
économique. Comme toute pensée, la science économique pro-
gresse en faisant alterner structuration progressive et réorganisation
discontinue de ses représentations de la réalité. Ainsi les modèles
actuels peuvent-ils s'étudier tant du point de vue contemporain
—synchronique —de leur structure que dans la perspective diachro-
nique de leur genèse.
La formation de la macrodynamique sera étudiée jusqu'à une
période récente. Trois étapes peuvent être distinguées. Avec les
«grandes dynamiques historiques» apparaissent les systèmes
globaux d'interprétation du mouvement économique de Ricardo
et de Marx. La période pré-keynésienne voit un bouillonnement de
travaux consacrés aux fluctuations et à la croissance dans une pers-
pective de déséquilibre. Avec la révolution keynésienne enfin, et le
double processus de synthèse et de restauration néoclassique qui
la suit, l'analyse macrodynamique prend son visage actuel.
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CHAPITRE 1

LES GRANDES DYNAMIQUES HISTORIQUES

Les premières représentations d'ensemble de l'activité économi-


que ont été construites par Boisguilbert puis les physiocrates, en ter-
mes de circuit. Sans négliger les aspects dynamiques authentiques
de leurs travaux, relatifs aux crises chez le premier, à l'accumula-
tion du capital chez les seconds, on s'attachera plutôt à présenter
les grands systèmes d'interprélation du mouvement économique
proposés par les classiques anglais et particulièrement Ricardo,
puis par K. Marx. Il doit être clair que cet exposé ne vise pas à une
présentation historique complète 'de ces auteurs, telle qu'elle peut
figurer dans un ouvrage spécialisé1.

SECTION I

La dynamique ricardienne

Ecrivant à la fin des guerres napoléoniennes, David Ricardo est


le principal représentant de l'école classique anglaise née quarante
ans auparavant avec «La richesse des nations» de A. Smith. Il
explicite clairement les deux composantes du mouvement écono-
mique pour ces auteurs : une croissance entrainée par
l'accumulation du capital, qui culmine dans un état stationnaire ;
des fluctuations de courte période que les mécanismes du marché
doivent résorber d'eux-mêmes, pour peu qu'on les laisse jouer.

A) MECANISMES ET BLOCA GES DE LA CROISSANCE


Les classiques anglais sont témoins du «décollage» de l'écono-
mie britannique avec la première révolution industrielle. Ils vont
identifier dans l'accumulation du capital le moteur de ce mouve-
ment qui leur parait être d'une durée limitée et destiné à culminer
en un état stationnaire.

1. Voir L'Histoire de la pensée économique de H. Denis, P.U.F., 1966 ou La pensée


économique : origine et développement de M. Blaug, traduction française, Economica
1981.
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P o u r A. S m i t h , l ' a c c u m u l a t i o n d e s r i c h e s s e s est p e r m i s e p a r la
d i v i s i o n d u travail1, m a i s la d i v i s i o n d u t r a v a i l signifie q u ' à la
d i f f é r e n c e de l'artisan t r a d i t i o n n e l , l'ouvrier ne p e u t plus vivre de
la v e n t e d u p r o d u i t d e s o n a c t i v i t é . S o n s a l a i r e d o i t ê t r e a v a n c é
s u r u n f o n d de m o y e n s d e s u b s i s t a n c e q u i , a v e c les i n s t r u m e n t s
e t l e s m a t i è r e s n é c e s s a i r e s , f o r m e le c a p i t a l .
L ' a c c u m u l a t i o n d u c a p i t a l t r o u v e à la fois sa s o u r c e e t s o n
o b j e c t i f d a n s le p r o f i t , d ' o ù l ' a c c e n t m i s s u r la r é p a r t i t i o n d e s r e v e -
n u s d a n s l ' a n a l y s e r i c a r d i e n n e . «Il est aussi i m p o s s i b l e a u f e r m i e r et
au m a n u f a c t u r i e r de vivre sans profits, q u ' à l'ouvrier d'exister
s a n s salaire. L e m o t i f q u i les p o r t e à a c c u m u l e r d i m i n u e r a à c h a q u e
d i m i n u t i o n d e s profits» 2 :
Il n ' e s t p a s p o s s i b l e d ' a b o r d e r l a d y n a m i q u e r i c a r d i e n n e s a n s
é v o q u e r b r i è v e m e n t la p o s i t i o n d e R i c a r d o s u r la v a l e u r . P a r t a n t d e
la r é a f f i r m a t i o n d e l a t h é o r i e d e l a v a l e u r - t r a v a i l s o u s s a f o r m e
s t r i c t e , il p o s e d ' a b o r d q u e l a v a l e u r d ' é c h a n g e o u p r i x n a t u r e l d e s
b i e n s r e p r o d u c t i b l e s est d é t e r m i n é e p a r la q u a n t i t é de travail d i r e c t
e t i n d i r e c t n é c e s s a i r e à la p r o d u c t i o n . M a i s il s i g n a l e e n s u i t e q u e la
d é c o m p o s i t i o n d u c o û t e n salaires et p r o f i t s , liée à la d u r é e
d ' i n v e s t i s s e m e n t m o y e n n e d u c a p i t a l d a n s la p r o d u c t i o n c o n s i d é r é e ,
i n t e r v i e n t é g a l e m e n t . D è s lors, R i c a r d o n e r e t i e n t la v a l e u r - t r a v a i l
q u e c o m m e a p p r o x i m a t i o n . Mais c o n s c i e n t d u c a r a c t è r e p e u satis-
f a i s a n t d e s a r é p o n s e , il c h e r c h e r a t o u t e s a v i e à d é f i n i r u n é t a l o n
i n v a r i a n t d e v a l e u r , q u i , n ' é t a n t p a s l u i - m ê m e a f f e c t é p a r les m o d i -
f i c a t i o n s d e la r é p a r t i t i o n d e s r e v e n u s , p u i s s e f o u r n i r u n e r é f é r e n c e
a b s o l u e p e r m e t t a n t d ' é v a l u e r la v a l e u r d e s a u t r e s b i e n s 3 .
F a u t e d o n c d ' a v o i r r é s o l u ce p r o b l è m e , R i c a r d o p r é s e n t e d ' a b o r d
u n e analyse sous l ' h y p o t h è s e qu'il n ' y a q u ' u n e seule m a r c h a n d i s e
f o n d a m e n t a l e , c ' e s t - à - d i r e s e r v a n t à la p r o d u c t i o n d e t o u t e s les
a u t r e s , e t q u i e s t e n m ê m e t e m p s le p r o d u i t d u s e c t e u r a g r i c o l e e t
u n i q u e m o y e n d e s u b s i s t a n c e d e s t r a v a i l l e u r s : le b l é . C e b i e n e s t
a l o r s r e t e n u c o m m e é t a l o n d e m e s u r e d e t o u t e s les g r a n d e u r s .
L a r é p a r t i t i o n d u p r o d u i t s ' o p è r e e n t r e les p r o p r i é t a i r e s f o n c i e r s q u i
r e ç o i v e n t la r e n t e , l e s t r a v a i l l e u r s s a l a r i é s e t l e s c a p i t a l i s t e s , f e r m i e r s
et manufacturiers qui perçoivent des profits. Ces derniers étant
c o n s i d é r é s c o m m e résiduels, r e n t e s et salaires d o i v e n t être d é t e r m i -
nés «en amont». Ricardo considère que le salaire naturel qui
prévaut à moyen et long terme s'établit au niveau minimal de

1. Illustrée par la description demeurée célèbre d'une manufacture d'épingles de la


Richesse des nations.
2. Principes d'Economie politique et de l'impôt, traduction française, Calmann-
Lévy, p. 92.
3. Recherche qui trouvera son aboutissement au XXe siècle avec la marchandise
étalon de P. Sraffa, voir plus loin au chapitre VII.
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s u b s i s t a n c e , d é t e r m i n é p a r la c o u t u m e p l u s q u e s u r u n e b a s e p h y -
siologique. L ' é l é m e n t s t r a t é g i q u e e s t l ' é v o l u t i o n d e la r e n t e
foncière.
La rente foncière a un c a r a c t è r e d i f f é r e n t i e l e t r é s u l t e d e la
différence de fertilité des diverses catégories de terre. C o m m e tous
l e s c l a s s i q u e s , R i c a r d o a d m e t q u e les r e n d e m e n t s d é c r o i s s a n t s p r é -
valent dans l'agriculture et des r e n d e m e n t s constants dans l'indus-
t r i e . D è s l o r s , la t h é o r i e d e l a v a l e u r - t r a v a i l n e p e u t s ' a p p l i q u e r s t r i c -
t e m e n t a u blé, c a r elle i m p l i q u e d e s r e n d e m e n t s c o n s t a n t s . R i c a r d o
v a l ' a p p l i q u e r à la m a r g e , e n p o s a n t q u e le p r i x n a t u r e l d u b l é e s t le
c o û t e n t r a v a i l d e l a p r o d u c t i o n la p l u s c o û t e u s e , o b t e n u e s u r l a
t e r r e la m o i n s f e r t i l e . S u r t o u t e s l e s a u t r e s t e r r e s a p p a r a i t d o n c u n
é c a r t e n t r e le p r i x d u b l é e t s o n c o û t e n p r o f i t s e t s a l a i r e s , q u i e s t l a
rente.
L o r s q u e la p r o d u c t i o n c r o î t , d e s t e r r e s m o i n s f e r t i l e s s o n t c u l t i -
v é e s , le c o û t d u b l é e n t r a v a i l s ' é l è v e e t d o n c la p r o d u c t i o n t o t a l e
évaluée en blé s'élève m o i n s q u e l'emploi. Q u i plus est, de c e t t e
p r o d u c t i o n t o t a l e u n e p a r t c r o i s s a n t e e s t a c c a p a r é e p a r la r e n t e . U n
s c h é m a c l a s s i q u e , d û à K a l d o r 1 , i l l u s t r e la d y n a m i q u e d e s d é t e r m i -
n a n t s d e la r e n t e e t d e la r é p a r t i t i o n .

Les axes r e p r é s e n t e n t r e s p e c t i v e m e n t l ' e m p l o i direct et indirect


( l e t r a v a i l e t le c a p i t a l d a n s la t e r m i n o l o g i e m o d e r n e ) s u p p o s é v a r i e r
p r o p o r t i o n n e l l e m e n t et la p r o d u c t i o n d u s e c t e u r a g r i c o l e s u p p o s é e
c o n s t i t u é e de blé u n i q u e m e n t . D u fait des r e n d e m e n t s décrois-
s a n t s , la p r o d u c t i v i t é m o y e n n e d u t r a v a i l ( d i r e c t e t i n d i r e c * ) d é c r o î t
e t d o n c la p r o d u c t i v i t é m a r g i n a l e l u i e s t i n f é r i e u r e . P o u r u n n i v e a u
d ' e m p l o i N la p r o d u c t i o n t o t a l e e s t o b t e n u e o u b i e n e n m u l t i -
pliant N p a r la p r o d u c t i v i t é m o y e n n e ( s u r f a c e P D O N ) o u b i e n e n

1. Dans I'article « Alternative Theories of Distribution)), Review o f Economic Studies,


1956.
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i n t é g r a n t la p r o d u c t i v i t é m a r g i n a l e e n t r e 0 e t N ( s u r f a c e O E A N ) ,
ce q u i i m p l i q u e l'égalité des triangles E P C et CDA.
L a r é m u n é r a t i o n , e n salaires et p r o f i t s , d ' u n e u n i t é d e « t r a v a i l »
d i r e c t et i n d i r e c t en p r o p o r t i o n s t a n d a r d est j u s t e égale à sa p r o d u c -
t i v i t é m a r g i n a l e e n N , s o i t le s e g m e n t N A . S i n o n , la t e r r e m a r g i n a l e
ne serait pas e x p l o i t é e , o u ne serait pas marginale. Le c o û t t o t a l
de p r o d u c t i o n d u blé en salaires et p r o f i t s évalués en blé est alors
m e s u r é p a r la s u r f a c e d u r e c t a n g l e O B A N . L a r e n t e f o n c i è r e
e s t p a r d i f f é r e n c e é g a l e à l a s u r f a c e E B A . Il c o n v i e n t d e b i e n r e m a r -
q u e r q u e la r e n t e e s t i c i d é t e r m i n é e p a r l ' é c a r t e n t r e la p r o d u c t i v i t é
d e la t e r r e m a r g i n a l e e t c e l l e d e l a t e r r e la p l u s f e r t i l e , o u e n c o r e p a r
la p e n t e d e l a f o n c t i o n d e p r o d u c t i v i t é m a r g i n a l e , c ' e s t - à - d i r e p a r
des facteurs techniques.
Le p a r t a g e en salaires et p r o f i t s d u c o û t de p r o d u c t i o n O B A N
e s t lui d é t e r m i n é s i m p l e m e n t . L e t a u x d e salaire réel, e n blé, é t a n t
p r é d é t e r m i n é , i m p l i q u e p o u r les salaires u n e v a l e u r t o t a l e é g a l e à
la s u r f a c e O W K N . L e s p r o f i t s s o n t q u a n t à e u x u n e g r a n d e u r
p u r e m e n t résiduelle, soit WBAK. Les salaires é t a n t avancés p o u r u n e
p é r i o d e m o y e n n e s u p p o s é e é g a l e à u n a n , le f l u x a n n u e l d e s s a l a i -
r e s e s t e n m ê m e t e m p s é g a l a u f o n d d e s a l a i r e s d a n s la s o c i é t é . E n
l ' a b s e n c e d e c a p i t a l f i x e , le t a u x d e p r o f i t e s t a l o r s é g a l a u r a p p o r t
des surfaces WBAK/OW KN.
L a d y n a m i q u e d u m o d è l e se c o m p l è t e e n r e m a r q u a n t le d o u b l e
s e n s de l ' é q u a t i o n d e f o n d s de salaires W = wN.
E n c o u r t e p é r i o d e c e t t e é q u a t i o n d é t e r m i n e le t a u x d e salaire.
L ' a c c u m u l a t i o n d u capital e n t r a i n e u n e h a u s s e d u salaire de m a r c h é ,
qui, c o m p t e t e n u d u principe de p o p u l a t i o n de M a l t h u s , va entrai-
n e r u n e c r o i s s a n c e d e la p o p u l a t i o n q u i r a m è n e r a le s a l a i r e à s o n
taux naturel ou de subsistance. E n longue période, l'équation de
f o n d s de salaire f o n c t i o n n e c o m m e f o n c t i o n de d e m a n d e d ' e m p l o i
productif N = W/w. L ' a c c u m u l a t i o n d u c a p i t a l se t r a d u i r a a l o r s
par un accroissement de l'emploi de travail direct et indirect.
L ' é c a r t e n t r e p r o d u c t i v i t é s m a r g i n a l e e t m o y e n n e d u t r a v a i l se
c r e u s e et la r e n t e r e p r é s e n t e d o n c u n p r é l è v e m e n t p r o p o r t i o n n e l l e -
ment croissant. A t a u x réel de salaire i n c h a n g é et à p r o d u c t i v i t é
m a r g i n a l e d u t r a v a i l d é c r o i s s a n t e , il e s t c l a i r q u e l a p a r t d e s p r o f i t s
ne peut que décroître.
U n autre s c h é m a classique, p r é s e n t é par B a u m o l 1 , illustre cette
é v o l u t i o n . O n r e t i e n t m a i n t e n a n t e n a b s c i s s e le p r o d u i t t o t a l . L e
p r o d u i t c r o î t à t a u x d é c r o i s s a n t , mais r é g u l i è r e m e n t plus vite q u e
le c o û t t o t a l d e p r o d u c t i o n ( p r o d u i t - r e n t e , o u e n c o r e s a l a i r e s +
p r o f i t s ) . E x p r i m é s e n blé, les s a l a i r e s s o n t p r o p o r t i o n n e l s à l ' e m p l o i
e t é g a u x à w N . D ' o ù la r e p r é s e n t a t i o n g r a p h i q u e :

1. Dans son ouvrage Economie Dynamics, McMillan, 1959.


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S i F ( N ) e s t la p r o d u c t i o n t o t a l e d e b l é , N d F / d N e n e s t l e c o û t
—y
d e p r o d u c t i o n ( N x N A s u r l e g r a p h i q u e d e K a l d o r ) , d o n c la r e n t e
F dF dF
s'élève à N ( - — ) e t le p r o f i t à ( - w) N. O n

s u p p o s e q u e le p r o f i t est intégralement réinvesti sous f o r m e de


f o n d s de salaire.

et le t a u x d e c r o i s s a n c e d u c a p i t a l et d e l ' e m p l o i est égal à :

L'expression dF/dK est la p r o d u c t i v i t é « a p p a r e n t e » d u capi-


t a l , p u i s q u e l e t r a v a i l e s t le s e u l f a c t e u r d e p r o d u c t i o n . L e t a u x
d e c r o i s s a n c e s ' a n n u l e p o u r le n i v e a u d ' e m p l o i o ù la p r o d u c t i v i t é
m a r g i n a l e d u travail est égale au salaire de s u b s i s t a n c e .
A u n i v e a u i n i t i a l N o , le p r o f i t n 0 e s t d é g a g é ; à l a p é r i o d e s u i -
vante, on enregistre u n emploi N I = No + 7r0/w , dégageant un
p r o f i t 1T1 '
Le p r o c e s s u s se p o u r s u i t j u s q u ' a u n i v e a u d ' e m p l o i m a x i m a l
N o ù s ' a n n u l e le p r o f i t e t d o n c l ' a c c u m u l a t i o n . E n f a i t il p e u t
sembler souhaitable de traduire le f a i t q u e l a c r o i s s a n c e s ' a r r ê t e
a v a n t l ' a n n u l a t i o n d e s p r o f i t s . L a f o r m u l a t i o n la p l u s c o r r e c t e e s t
alors d ' i n t r o d u i r e u n p r o f i t r e q u i s p o u r la c o n s o m m a t i o n c a p i t a -
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liste au taux p, qui serait intégré à la droite des salaires, soit


w( 1 + p )N, l'accumulation devenant :

[(dF/dN) - w ( 1 + p ) ] N .

Cette argumentation a eu une portée considérable pour confor-


ter les classiques dans l'idée que la croissance induite par la révolu-
tion industrielle était un phénomène transitoire.
Sur le plan technique, Ricardo a essayé de lui donner une por-
tée générale, en valeur monétaire, dans une économie à plusieurs
biens. Il en ressort des implications intéressantes mais aussi des
incertitudes. Du fait que le profit est un écart par rapport au coût
salarial et que ce dernier est exogène en volume, seul le coût de
production des biens nécessaires à la consommation ouvrière
intervient dans la détermination du taux de profit, qui n'est pas
affecté par les conditions de production des autres biens (biens de
luxe). Pour que le schéma ricardien tienne, il faut cependant que
tous les biens salariaux soient affectés par les rendements décrois-
sants, sinon le taux de salaire, constant en volume, ne pourrait
s'élever régulièrement en valeur comme le requiert la démonstra-
tion.
Sur le plan de la politique économique et sociale, cette analyse
désigne nettement la rente et ses bénéficiaires comme des adver-
saires potentiels de la croissance industrielle. L'intérêt des manufac-
turiers est d'abaisser le coût des biens de consommation salariale en
important massivement des produits agricoles de pays disposant en
abondance de tenes fertiles. L'analyse ricardienne vient à point
renforcer l'argumentation de ceux qui réclament l'abolition des lois
prohibant l'importation des blés (les «Corn laws») et qui obtien-
dront satisfaction seulement en 1846.
Le libre échange est ainsi perçu comme un moyen de reculer
la perspective de l'état stationnaire. Il convient de rappeler que la
défense du libre échange inspire une autre théorie célèbre de
Ricardo, celle des coûts comparés qui montre, à l'encontre de la
tradition mercantiliste, un gain mutuel dans l'échange.
On peut se demander si le progrès technique est également de
nature à relever la productivité marginale du travail et à autoriser
une croissance permanente : Ricardo lui-même ne le pense pas.
Dans l'agriculture, le progrès technique, qui a pour effet à court
terme de réduire la rente, sera freiné par les propriétaires. Dans
l'industrie il prend la forme du machinisme, c'est-à-dire d'une
substitution du capital au travail, génératrice de chômage technolo-
gique.
Pour comprendre l'argumentation ricardienne, il faut rappeler
que, pour Ricardo, les salaires appartiennent au produit brut, mais
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non au produit net de la société. Le machinisme permet d'élever le


produit net de la société et donc les profits, mais s'accompagne
d'une réduction du fonds de salaires et du produit brut qui le
reconstitue chaque année. «Comme la faculté d'entretenir une
population et d'employer du travail dépend toujours du produit
brut d'une nation et non de son produit net, la demande de bras
diminuera nécessairement, la population deviendra excessive et les
classes ouvrières entreront dans une période de détresse et de pau-
vreté» 1 .
A vrai dire les exemples invoqués par Ricardo paraissent fragi-
les et il est nécessaire de mieux spécifier les hypothèses2 pour
tirer des conclusions solides du raisonnement. La thèse ricardien-
ne relative aux effets du machinisme exerça cependant une forte
influence, en particulier sur Marx.

B) LA REGULATIONAUTOMATIQUE DUSYSTEME
L'analyse ricardienne de la croissance conduisait son auteur à
défendre des solutions libérales, favorables aux intérêts des manu-
facturiers, acteurs de la révolution industrielle. Les thèses libérales
relatives à la régulation automatique de l'économie à court terme
reçoivent également le soutien de l'autorité de Ricardo. Il s'agit
essentiellement de montrer que les mécanismes de marché sont effi-
caces pour résoudre d'éventuels déséquilibres, et qu'il n'y a pas lieu
que l'Etat intervienne. Ricardo intervient dans la défense de cette
thèse par son soutien de la loi des débouchés et de la théorie quan-
titative de la monnaie.
La loi des débouchés, qui avait été exposée par des auteurs pré-
classiques, reçoit de J.B. Say et J. Mill sa formulation définitive.
Chez les premiers, l'affirmation selon laquelle les produits se ser-
vent mutuellement de débouchés ne faisait que traduire la cons-
cience d'une solidarité entre les participants du circuit économique ;
chez les seconds, l'idée que l'offre crée sa propre demande permet
d'affirmer qu'il ne peut y avoir d'excès de l'offre globale, mais
seulement des déséquilibres dus à des disproportions auxquels le
meilleur remède à apporter est de laisser baisser le prix des biens
en surproduction et monter le prix des biens dont la demande
est excédentaire.
Le ralliement de Ricardo est très net3. L'insuffisance de la
demande ne peut en aucun cas constituer une limite à la production

1. Principes. op. cit., p. 316.


2. C o m m e le fait la théorie m o d e r n e de la croissance qui sera étudiée dans la
3e partie.
3. C'est à p r o p o s de son soutien à la loi des d é b o u c h é s q u e K e y n e s écrit «Ricardo
c o n q u i t l'Angleterre aussi c o m p l è t e m e n t q u e la Sainte Inquisition avait conquis l'Espa-
gne», Théorie générale, Payot, p. 56.
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et à l'accumulation du capital que seule vient freiner la hausse du


coût de production des biens salariaux.
A l'époque, Malthus s'oppose à la loi de Say et souligne les
risques permanents de surproduction. Contrairement à Ricardo,
il rejette l'explication de la valeur par le travail1 et mène une
analyse en termes d'offre et de demande qui le conduit à une
vision moins unilatérale des déterminants des prix et de la pro-
duction. Il souligne la double dimension de la demande dite
effective : intention d'achat et disposition de pouvoir d'achat ; il
illustre aussi une illusion commune à bien des théoriciens de la
sous-consommation.
Pour Malthus, l'épargne est génératrice de surproduction, non
pas dans le sens moderne où l'épargne tendrait à excéder l'inves-
tissement, mais au contraire parce qu'elle est intégralement inves-
tie. Il faut dire en effet que l'auteur partage ce principe de
A. Smith «que ce qui est épargné dans l'année est aussi sûrement
consommé que ce qui est dépensé». L'épargne est intégralement
investie, c'est-à-dire intégrée au fonds des salaires et dépensée
comme telle en biens de consommation salariale. Epargner c'est
donc substituer à une consommation improductive, la consomma-
tion d'ouvriers productifs. Le déséquilibre ne provient pas d'une
réduction de la demande — inexistante — mais d'une augmentation
de l'offre due à l'activité des travailleurs productifs supplémentai-
res employés2.
Ce raisonnement est intéressant en ce qu'il dicte une prise de
position directement opposée à celle de Ricardo sur la rente.
Les propriétaires fonciers ont un rôle social utile dans la mesure
justement où ils donnent au surplus macroéconomique une
affectation improductive, où ils ne viennent donc pas gonfler une
offre face à une demande inchangée. Abolir les lois sur les blés
entrainerait l'Angleterre vers des crises générales de surproduction.
Une régulation plus globale existe dans une économie ouverte
sur l'extérieur et pratiquant les règles du jeu libérales. Elle est fon-
dée sur le jeu de la théorie quantitative de la monnaie. Vieille idée,
exposée au XVIe siècle par J. Bodin puis au XVIIIe par
D. Hume, la théorie quantitative de la monnaie reçoit de Ricardo
son exposé traditionnel que J.S. Mill formulera ainsi :

m v = PT.

1. Tout en le retenant comme étalon, selon la théorie du travail commandé de


Smith.
2. Voir les Principes d'Economie Politique de Malthus, traduction française, Cal-
mann-Lévy, 1969, pp. 262-264.
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Cette formule e x p r i m e q u e le p r o d u i t d e la m a s s e m o n é t a i r e
e n c i r c u l a t i o n p a r sa v i t e s s e d e c i r c u l a t i o n est égale a u p r o d u i t d u
n i v e a u g é n é r a l d e s p r i x p a r le v o l u m e d e s t r a n s a c t i o n s . L e v o l u m e
d e l ' a c t i v i t é é t a n t d o n n é p a r ailleurs, ainsi q u e la vitesse d e circula-
t i o n , le n i v e a u g é n é r a l d e s p r i x s e p r o p o r t i o n n e r a à l a m a s s e m o n é -
taire.
M a i s e n r é g i m e d ' é t a l o n - o r , q u i e s t la r è g l e d u j e u l i b é r a l p a r
e x c e l l e n c e , l a m a s s e m o n é t a i r e v a r i e e l l e - m ê m e c o m m e le s o l d e d e la
b a l a n c e c o m m e r c i a l e r é g l é e n o r . S i d o n c les p r i x a n g l a i s e n o r s ' é l è -
v e n t à l ' e x c è s , il e n r é s u l t e r a u n d é f i c i t c o m m e r c i a l , u n e s o r t i e
d'or, u n e r é d u c t i o n de M , et u n e baisse des prix. Q u ' a u contraire
les p r i x anglais s o i e n t t r o p bas, u n e x c é d e n t c o m m e r c i a l s u r v i e n d r a
a c c o m p a g n é d ' u n e e n t r é e d ' o r , d ' u n e a u g m e n t a t i o n d e la m a s s e
m o n é t a i r e i n t e r n e et d ' u n e hausse c o m p e n s a t r i c e des prix.
J a m a i s sans d o u t e o n n ' a p r é s e n t é u n e vision aussi idyllique et
apparemment simple de la* c a p a c i t é d'autorégulation d'une
é c o n o m i e d e c a p i t a l i s m e libéral ; là e n c o r e l ' i n f l u e n c e r i c a r d i e n n e
t r i o m p h e r a l o n g t e m p s et les A c t e s d e P e e l v i e n d r o n t l i m i t e r
s t r i c t e m e n t à u n e s o m m e m o d e s t e l a m a s s e m o n é t a i r e q u e la
B a n q u e d ' A n g l e t e r r e p e u t m e t t r e e n c i r c u l a t i o n a u - d e l à d e la
contrepartie de son encaisse-or.
Le système ricardien n'atteint son apparente rigueur q u ' a u prix
d e s i m p l i f i c a t i o n s a n a l y t i q u e s q u i le r e n d e n t f r a g i l e . M a i s il a e x e r c é
u n e c u r i e u s e f a s c i n a t i o n s u r les é c o n o m i s t e s q u i o n t m u l t i p l i é l e s
a c t e s d ' a l l é g e a n c e verbale e n m ê m e t e m p s q u e les c r i t i q u e s analyti-
ques.

SECTION II

La d y n a m i q u e tendancielle chez Marx

La « d y n a m i q u e g r a n d i o s e » de M a r x dépasse celle de R i c a r d o
p a r s o n a m p l e u r et s u r t o u t p a r s o n i m p a c t c o n t e m p o r a i n . C o m m e
elle s ' i n s c r i t d a n s u n e p e r s p e c t i v e m é t h o d o l o g i q u e t o t a l e m e n t diffé-
r e n t e d e s a u t r e s c o u r a n t s d ' a n a l y s e é c o n o m i q u e , il e s t t o u j o u r s
délicat d ' e n d o n n e r u n e x p o s é et, plus e n c o r e , u n e a p p r é c i a t i o n sur
les m ê m e s bases. C e p e n d a n t , d e r r i è r e d e s c o n c e p t u a l i s a t i o n s diffé-
r e n t e s , ce s o n t s o u v e n t les m ê m e s d é t e r m i n a n t s q u i s o n t a n a l y s é s
et q u e nous retrouverons.
La d y n a m i q u e de M a r x est p r é s e n t é e c o m m e spécifique d u
m o d e de p r o d u c t i o n capitaliste, c'est-à-dire d ' u n e f o r m e d'organisa-
t i o n s o c i a l e o ù le s a l a r i a t e s t le r a p p o r t d e p r o d u c t i o n d o m i -
n a n t . L e m o t e u r d e ce s y s t è m e e s t le p r é l è v e m e n t d e la p l u s - v a l u e ,
sous f o r m e de profit, et son a c c u m u l a t i o n . Le m é c a n i s m e de l'accu-
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mulation du capital sera é t u d i é d'abord ; on s'attardera ensuite


a u x lois t e n d a n c i e l l e s q u i régissent l ' é v o l u t i o n d u s y s t è m e .

A) L'A CCUMULA TION D U CAPITAL

C o m m e p o u r les a u t e u r s c l a s s i q u e s , l ' a c c u m u l a t i o n d u c a p i t a l
est l ' e s s e n c e m ê m e d e la c r o i s s a n c e é c o n o m i q u e c a p i t a l i s t e . M a i s
le c a p i t a l n e d é s i g n e p l u s s e u l e m e n t u n f o n d s d e m o y e n d e p r o -
d u c t i o n e t d e s u b s i s t a n c e d e s t r a v a i l l e u r s , il e s t e n m ê m e t e m p s u n
r a p p o r t social d e p r o d u c t i o n p u i s q u ' i l est la c o n t r e p a r t i e , l ' a u t r e
face, du rapport salarial. A u s s i l ' a c c u m u l a t i o n d u capital est-elle
l i é e à la n o t i o n d e r e p r o d u c t i o n , é t e n d u e d u s e n s p h y s i q u e q u ' e l l e
r e v ê t a i t c h e z les P h y s i o c r a t e s à la r e p r o d u c t i o n d u r a p p o r t d e
p r o d u c t i o n l u i - m ê m e . A v a n t q u ' o n a b o r d e ce p o i n t , u n b r e f r a p p e l
des c o n c e p t s de base p e u t être utile.

1.- L e s c o n c e p t s d e b a s e

L ' é c o n o m i e c a p i t a l i s t e e s t u n e é c o n o m i e m a r c h a n d e , e t les b i e n s
y deviennent marchandises, rapports de valeur dans l'échange
au prix d'une abstraction de leurs valeurs d'usage. La valeur des
marchandises correspond à la quantité de travail abstrait
( h o m o g è n e ) socialement nécessaire à leur production. Mais Marx
se h e u r t e à l ' o b j e c t i o n m ê m e s u r l a q u e l l e avait b u t é R i c a r d o , d e
l ' i n f l u e n c e d e la s t r u c t u r e d e s c o û t s l i é e à la s t r u c t u r e d u c a p i t a l . Il
r é s o u t le p r o b l è m e e n r e n o n ç a n t à l ' i d e n t i f i c a t i o n d e la v a l e u r a u
rapport d'échange normal qu'il appelle prix de production. A u
c o n t r a i r e , il a d m e t q u e le p r i x d e p r o d u c t i o n e x c è d e r a l a v a l e u r
p o u r les f a b r i c a t i o n s d a n s l e s q u e l l e s i n t e r v i e n t u n e p r o p o r t i o n p l u s
faible de travail direct et inversement.
La structure d u capital n'est pas t a n t étudiée en t e r m e s de com-
position technique, combinaison des m o y e n s de p r o d u c t i o n maté-
riels et d u travail, q u ' e n t e r m e s de c o m p o s i t i o n - v a l e u r o u c o m p o -
s i t i o n o r g a n i q u e q u i e s t le r a p p o r t d u c a p i t a l e n g a g é s o u s f o r m e d e
m o y e n s de p r o d u c t i o n m a t é r i e l s o u capital c o n s t a n t et d u capital
e n g a g é s o u s f o r m e d e salaires o u c a p i t a l variable. C ' e s t la c o m p o s i -
t i o n o r g a n i q u e q u i g o u v e r n e le r a p p o r t d e s p r i x d e p r o d u c t i o n a u x
v a l e u r s . E n e f f e t , l a v a l e u r se d é c o m p o s e e n t r a v a i l p a y é ( l e s s a l a i r e s ,
y c o m p r i s c e u x q u i r é m u n è r e n t le t r a v a i l i n d i r e c t ) e t t r a v a i l n o n
p a y é (ou plus-value), p r o p o r t i o n n e l au seul capital variable engagé
a l o r s q u e le p r i x d e p r o d u c t i o n s e d é c o m p o s e e n s a l a i r e s ( p r i x d e
p r o d u c t i o n des m o y e n s d e subsistance) et profits p r o p o r t i o n n e l s
à l'ensemble du capital engagé.
Ainsi est d é v e l o p p é u n d o u b l e n i v e a u d ' a n a l y s e . L a v a l e u r q u i
ne c o ï n c i d e p l u s avec les r a p p o r t s d ' é c h a n g e , a p o u r f o n c t i o n
d ' i d e n t i f i e r la p l u s - v a l u e c o m m e d i f f é r e n c e e n t r e le t r a v a i l f o u r n i
e t le t r a v a i l p a y é , q u i e s t l a v a l e u r d e l a f o r c e d e t r a v a i l e t c o m m e
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telle égale au t e m p s d e t r a v a i l n é c e s s a i r e à sa r e p r o d u c t i o n 1 . C e
niveau est considéré c o m m e f o n d a m e n t a l — essentiel p o u r l'analyse
d u m o d e d e p r o d u c t i o n . E n r e v a n c h e les c a t é g o r i e s d e p r i x d e p r o -
d u c t i o n e t d e p r o f i t n ' i n t e r v i e n n e n t q u ' a u n i v e a u d e la c i r c u l a t i o n ,
comme formes sous lesquelles se réalisent, c'est-à-dire se
t r a n s f o r m e n t e n a r g e n t , v a l e u r et plus-value. Seul ce n i v e a u a p p a r a i t
au capitaliste ou à l'analyste n o n marxiste, qui n ' o n t q u ' u n e repré-
s e n t a t i o n r é i f i é e . U n n o u v e a u p r o b l è m e s u r g i t a l o r s . C a r , si p o u r l e s
m a r x i s t e s l ' o b j e c t i v i t é d e c e s c a t é g o r i e s e s t i l l u s o i r e , il n ' e s t p a s p o s -
sible de nier leur f é c o n d i t é p o u r l'analyse d u f o n c t i o n n e m e n t d u
s y s t è m e , p u i s q u e c ' e s t j u s t e m e n t p a r r a p p o r t à e l l e s q u e les a g e n t s
se d é t e r m i n e n t .

2.- L a r e p r o d u c t i o n
L'analyse fondamentale du fonctionnement du système repose
s u r l ' i d e n t i f i c a t i o n d e s d e u x f o r m e s d e la c i r c u l a t i o n . D a n s la c i r c u -
l a t i o n s i m p l e , l ' é c h a n g e m o n é t a i r e , il y a t r a n s f o r m a t i o n d ' u n e m a r -
chandise en argent ( M — A : Vente) puis de l'argent en marchandi-
s e ( A c h a t : A — M ) . C o m m e l ' é c h a n g e p o r t e s u r d e s é q u i v a l e n t s , il
y a c o n s e r v a t i o n de la v a l e u r d a n s ce p r o c e s s u s . E n r e v a n c h e l o r s q u e
l ' a r g e n t c i r c u l e c o m m e c a p i t a l , il s ' e n g a g e d ' a b o r d s o u s f o r m e d e
m o y e n s d e p r o d u c t i o n et d e f o r c e d e travail ( A M ) , t a n d i s q u e la
v e n t e , la r é a l i s a t i o n d e la v a l e u r d u p r o d u i t p o r t e s u r la v a l e u r d e s
m o y e n s d e p r o d u c t i o n e t d u travail, elle i n c l u t d o n c la p l u s -
valeur, d ' o ù M A ' a v e c A ' > A.
L ' a r t i c u l a t i o n d e s d e u x c y c l e s p e r m e t la r e p r o d u c t i o n d u s y s -
t è m e a v e c le r e n o u v e l l e m e n t d e s m o y e n s d e p r o d u c t i o n et d e
s u b s i s t a n c e d e s t r a v a i l l e u r s , a i n s i q u ' u n p r o f i t . Il y a r e p r o d u c t i o n
s i m p l e l o r s q u e le c a p i t a l e n g a g é e s t i d e n t i q u e d e p é r i o d e e n p é r i o -
d e , t o u t e la p l u s - v a l u e é t a n t c o n s o m m é e . L e s c h é m a suivant2
e x p l i c i t e les q u a t r e p h a s e s d e ce p r o c e s s u s .

1. Ce qui ne va pas sans problème, car les capitalistes paient le prix de production de
la force du travail et non pas sa valeur : conséquence de l'ordre d'exposition suivi dans le
Capital.
2. Proposé dans P.Y. Hénin, «Capital, production et circulation monétaire», Thèse,
Université de Paris I, 1970, p. 51.
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Dans un premier temps, le capital argent est transformé en


capital marchandises c + v, capital constant et variable. Le
processus de production est analysé comme processus de
production de plus-value au taux r = pl/v, d'où la droite de pente
1 + r figurant dans le second quadrant. La vente des marchandises
produites permet la réalisation de la valeur (3) qui est ensuite consa-
crée (4) pour partie à la reconstitution du capital, pour partie à la
consommation des capitalistes.
L'accumulation d'une partie de la plus value permet l'accumu-
lation du capital et autorise une reproduction élargie du système.
Le même schéma représentera ce cas si on pose qu'une part a de la
plus-value est accumulée et ce, pour simplifier la représentation gra-
phique, uniquement sous forme de capital variable.

Cette reproduction, condition de survie du mode de produc-


tion, n'est pas assurée car elle suppose réalisées des conditions
que l'évolution contradictoire du système remet perpétuellement
en cause.

B) LES LOIS TENDANCIELLES


L'évolution générale du système est gouvernée par le principe
général du matérialisme historique, selon lequel l'homme «pro-
duit» la société et son organisation en produisant les conditions
matérielles de son existence. De ce fait, le développement des
forces productives, force de travail et technique de production,
joue un rôle moteur et entre, à un m o m e n t déterminé, en contra-
diction avec les rapports sociaux de production et les superstructu-
res, juridiques et idéologiques de la société. Le mode de produc-
tion capitaliste est soumis à des tendances profondes qui traduisent
la nécessité de ce développement contradictoire et qu'expriment
les «lois tendancielles» de l'évolution capitaliste.
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Le concept de la loi tendancielle illustre bien l'originalité


de la méthodologie marxiste par rapport à la méthode scientifique
usuelle. Une loi scientifique a un intérêt, une valeur explicative, un
contenu théorique et empirique, dit le philosophe Popper1,
d'autant plus grands qu'elle exclut plus de cas possibles, que la
classe des observations possibles susceptibles de la réfuter est plus
vaste. Au contraire, les lois tendancielles ne cherchent pas à être
réfutables empiriquement mais à poser la primauté de tendances
essentielles sur des contre-tendances secondaires, même si leur
influence peut dominer localement ou temporairement l'évolution
historique du système.
Trois lois fondamentales traduisent les tendances du système :
la baisse du taux de profit, la paupérisation croissante et la concen-
tration croissante du capital.

1.- La baisse tendancielle du taux de profit


La perspective classique, justifiée chez Smith par la limitation
des occasions d'investissement, chez Ricardo par la hausse du
coût des biens salariaux, va se trouver chez Marx fondée dans l'évo-
lution technologique elle-même.
Le progrès technique qui prend la forme du machinisme, se
traduit nécessairement, pense Marx, par une évolution de la com-
position organique du capital c Iv. En effet l'évolution de la compo-
sition technique revient à associer sans cesse au travail des moyens
matériels de production accrus, évolution qui va se refléter, bien
que de manière éventuellement atténuée, dans celle de la compo-
sition organique2.
Si on retient l'expression du taux de profit p en termes de taux
de plus-value T et de composition organique,

il ressort qu'une élévation de c/v à taux de plus-value constant


implique une baisse du taux de profit.
Face à cette tendance interviennent diverses contre-tendances :
élévation du taux de plus-value, en particulier par augmentation
de la plus-value relative (diminution du temps de travail nécessaire
à la reproduction de la force de travail et donc payé) et accéléra-
tion de la rotation du capital, d'abord, mais aussi baisse de la valeur
relative des éléments constituant le capital constant par rapport à

1. Dans sa Logique de la découverte scientifique, Popper représente une forme


élargie de l'empirisme logique, que J. Robinson elle-même a longtemps acceptée.
2. Pour des références directes au texte de Marx sur ces points, voir par exemple
J.H. Jacot, Croissance économique et fluctuations conjoncturelles. Une présentation
critique, Presses Universitaires de Lyon, 1976, pp. 380-383.
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la v a l e u r d e l a c o n s o m m a t i o n s a l a r i a l e . M a i s c e s c o n t r e - t e n d a n c e s
sont elles-mêmes limitées en longue période.
U n p o i n t r e s t e à é c l a i r c i r : si le p r o g r è s t e c h n i q u e a b a i s s e le t a u x
d e p r o f i t , p o u r q u o i les c a p i t a l i s t e s le m e t t e n t - i l s e n o e u v r e ? A c a u s e
d e la c o n c u r r e n c e à l a q u e l l e ils s e l i v r e n t e t q u i l e s o b l i g e à i n n o -
v e r , r é p o n d M a r x . L e s p r e m i e r s à m e t t r e e n œ u v r e la n o u v e l l e
t e c h n i q u e e n t i r e r o n t u n p r o f i t a c c r u , m a i s la v a l e u r b a i s s a n t , les
a u t r e s d e v r o n t suivre sous p e i n e d ' ê t r e éliminés. Mais alors t o u s ne
r é a l i s e n t p l u s q u e le t a u x d e p r o f i t r é d u i t c o r r e s p o n d a n t à l a n o u -
v e l l e c o m b i n a i s o n o r g a n i q u e . E n f a i t , l ' a r g u m e n t n é g l i g e le p r o -
g r è s t e c h n i q u e c o n c o m i t t a n t d a n s la f a b r i c a t i o n d e s b i e n s d e
p r o d u c t i o n et qui p e r m e t t r a aux derniers innovateurs de payer
m o i n s cher leurs machines.
L e p o i n t le p l u s d i s c u t é d e la l o i e s t l a f a t a l i t é d e l ' é v o l u t i o n d e
la c o m p o s i t i o n o r g a n i q u e et n o t a m m e n t l ' é v o l u t i o n relative des
v a l e u r s d e s b i e n s d e p r o d u c t i o n et d e c o n s o m m a t i o n . A p p r o f o n d i r
c e t t e d i s c u s s i o n e x i g e d e p r é c i s e r les h y p o t h è s e s r e l a t i v e s a u p r o -
g r è s t e c h n i q u e et à s o n r y t h m e r e l a t i f d a n s les s e c t e u r s d e s b i e n s d e
p r o d u c t i o n et d e c o n s o m m a t i o n . D a n s ce sens, o n p e u t c i t e r la
c o n t r i b u t i o n d e J . R o b i n s o n 1 . U n e t e n t a t i v e d e C. B e t t e l h e i m p r é -
sente l'intérêt de rester p r o c h e des c o n c e p t s marxistes2. Introdui-
s a n t u n e c r o i s s a n c e d e la p r o d u c t i v i t é s e l o n u n e t e n d a n c e e x o g è n e ,
il é t a b l i t q u e le t a u x d e p r o f i t t e n d à s ' a l i g n e r s u r u n e l i m i t e é g a l e
a u q u o t i e n t d u t a u x de c r o i s s a n c e , d o n n é p a r la c r o i s s a n c e d e l ' e m -
p l o i p l u s c e l l e d e la p r o d u c t i v i t é , p a r le t a u x d ' i n v e s t i s s e m e n t d e l a
plus-value.
D e tels r é s u l t a t s sont c r i t i q u é s p a r c e r t a i n s m a r x i s t e s , c a r ils
t e n d r a i e n t à m a s q u e r les c o n t r a d i c t i o n s e n t r e c a p i t a l i s t e s ainsi q u e
la c o n t r a d i c t i o n f o n d a m e n t a l e e n t r e l e c a p i t a l e t les t r a v a i l -
leurs3 .
Quant aux implications actuelles de cette controverse, il
c o n v i e n t d e s o u l i g n e r q u e les a u t e u r s m a r x i s t e s c o n s i d è r e n t q u e l e s
p r i n c i p a u x f a c t e u r s c o m p e n s a t e u r s d e la t e n d a n c e à l a b a i s s e d u
t a u x d e p r o f i t se r a m è n e n t à d e s m o d a l i t é s d e d é v a l o r i s a t i o n d u
c a p i t a l c o n s t a n t . D e ce fait, le c o n c e p t d e d é v a l o r i s a t i o n o c c u p e
u n e p l a c e c e n t r a l e d a n s les t r a v a u x m a r x i s t e s c o n t e m p o r a i n s
et sera a p p r o f o n d i ultérieurement4.

1. Dans son ouvrage, Philosophie économique.


2. «Variations des taux de profit et accroissement de la productivité», Economie
appliquée, 1959.
3. J.H. Jacot, ouvrage cité, p. 408, qu'on pourra lire pour une défense de la loi. En
sens inverse, G. Maarek met en lumière certaines failles de l'argumentation de Marx, en
particulier sur la croissance de la composition organique, Introduction au Capital de
K. Marx, Calmann-Lévy, 1975, pp. 253-258.
Pour J.H. Lorenzi, O. Pastré et J. Tolédano, l'argumentation marxiste serait Ijusti-
fiée en accumulation extensive mais l'évolution du taux de profit indéterminée en crois-
sance intensive, voir La crise du XXème siècle, Economica, 1980, p. 166.
4. Dans la section III, même chapitre et surtout dans le chapitre XII.
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2.- L a p a u p é r i s a t i o n c r o i s s a n t e
A n o u v e a u il e s t p o s s i b l e d e t r o u v e r à c e t t e l o i m a r x i s t e d e s
racines classiques. Le principe de p o p u l a t i o n de Malthus interdi-
sait a u salaire de s'élever d u r a b l e m e n t a u - d e l à d ' u n n i v e a u de sub-
s i s t a n c e q u i , b i e n q u e d é f i n i en t e r m e s d e c o u t u m e plus q u e d e be-
soins p h y s i o l o g i q u e s , avait u n e n e t t e c o n n o t a t i o n d é m o g r a p h i q u e .
L ' a l l e m a n d L a s s a l l e d e v a i t y v o i r la l o i d ' a i r a i n d e s s a l a i r e s i m p o s é e
a u x travailleurs.
La paupérisation ne pouvait revêtir p o u r Marx u n e signification
d é m o g r a p h i q u e d o n c n a t u r e l l e et f a t a l e ; elle d e v a i t a p p a r a î t r e
c o m m e u n e loi s p é c i f i q u e d u s y s t è m e c a p i t a l i s t e . A u s s i s o n p r i n c i p e
m o t e u r n ' e s t p l u s à ses y e u x la s u r p o p u l a t i o n a b s o l u e ( p a r r a p p o r t
a u x ressources) mais u n e s u r p o p u l a t i o n relative (par r a p p o r t au
c a p i t a l v a r i a b l e ) 1 . L ' a r g u m e n t p r o l o n g e ici l ' a n a l y s e d u m a c h i n i s m e
c h e z R i c a r d o . L a c o n c u r r e n c e i n t e r c a p i t a l i s t e d a n s le d é v e l o p p e -
m e n t d e s t e c h n i q u e s e n t r a i n e la s u b s t i t u t i o n d u c a p i t a l c o n s t a n t a u
capital variable, des m a c h i n e s a u x ouvriers, sans q u ' a p p a r a i s s e au-
cune compensation. D ' o ù u n chômage technologique, «l'armée de
réserve industrielle» permettant aux capitalistes de peser sur le
salaire.
O n n ' a p p r o f o n d i r a p a s ici le c a r a c t è r e r e l a t i f o u a b s o l u d e c e t t e
p a u p é r i s a t i o n , d i m i n u t i o n d e l a v a l e u r d e la c o n s o m m a t i o n o u v r i è r e
d a n s le p r e m i e r c a s , d i m i n u t i o n d e s m a r c h a n d i s e s d i s p o n i b l e s p o u r
la s u b s i s t a n c e d e s t r a v a i l l e u r s d a n s le s e c o n d . Il s e m b l e e n e f f e t q u e
les d e u x f o r m e s de la p r o p o s i t i o n s o i e n t p r é s e n t e s d a n s l ' œ u v r e d e
M a r x 2 . E n t o u t é t a t d e c a u s e la p a u p é r i s a t i o n e s t r e n f o r c é e p a r
la p r o l é t a r i s a t i o n , c ' e s t - à - d i r e p a r la c o n c e n t r a t i o n d e s m o y e n s d e
p r o d u c t i o n en u n n o m b r e de plus en plus limité de mains.

3.- L a c o n c e n t r a t i o n c r o i s s a n t e

La troisième tendance f o n d a m e n t a l e du m o d e de production


c a p i t a l i s t e est la c o n c e n t r a t i o n c r o i s s a n t e d u c a p i t a l e n u n n o m b r e
l i m i t é d e c e n t r e s d e d é c i s i o n . D e u x c o n c e p t s s o n t ici e n j e u . D ' u n e
p a r t , la c o n c e n t r a t i o n p r o p r e m e n t d i t e d é s i g n e l ' a c c r o i s s e m e n t d e la
d i m e n s i o n d e s c a p i t a u x i n d i v i d u e l s , c ' e s t - à - d i r e le d é v e l o p p e m e n t
d ' u n i t é s de p r o d u c t i o n de plus en plus grandes. Les exigences d u
d é v e l o p p e m e n t t e c h n i q u e s o n t à l ' o r i g i n e d e ce p r o c e s s u s . Il s ' y
a j o u t e la c e n t r a l i s a t i o n d u c a p i t a l , o b t e n u e p a r f u s i o n des c a p i t a u x
individuels. Le d é v e l o p p e m e n t de la société a n o n y m e a été u n
levier p u i s s a n t d a n s ce sens, c o m m e u l t é r i e u r e m e n t celui des

1. On est alors très proche de la logique du fonds de salaires.


2. Voir H. Denis, Histoire de la pensée économique, P.U.F., 1966, et aussi le Projet
marxiste, par S. Latouche, P.U.F., pp. 185-192.
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g r o u p e s d e s o c i é t é s . P l u s g é n é r a l e m e n t , la c e n t r a l i s a t i o n d e s
c a p i t a u x apparait c o m m e u n e f o n c t i o n essentielle des intermédiai-
res financiers.
L a c e n t r a l i s a t i o n d é p o s s è d e les p e t i t s p r o p r i é t a i r e s d e s m o y e n s
d e p r o d u c t i o n e t les r e j e t t e d a n s l e p r o l é t a r i a t . E l l e r é d u i t a u s s i l a
b a s e s o c i a l e d u c a p i t a l i s m e e t a n t i c i p e la s o c i a l i s a t i o n d e s m o y e n s
d e p r o d u c t i o n . C o m m e le d i t M a r x «les e x p r o p r i a t e u r s s e r o n t
expropriés».
C o n c e n t r a t i o n et centralisation interviennent dans l'analyse
marxiste p o u r caractériser des stades d'évolution du système aux-
q u e l s seraient associés des m o d e s de croissance o u de ..régulation
spécifiques. Ainsi L é n i n e voit-il d a n s l'impérialisme1 le m o d e d e
c r o i s s a n c e d ' u n c a p i t a l i s m e à u n s t a d e d e d é v e l o p p e m e n t o ù il e s t
d o m i n é p a r le c a p i t a l f i n a n c i e r , c o n f o r m é m e n t à l ' a n a l y s e d e
H i l f e r d i n g 2 , t a n d i s q u e p o u r q u a l i f i e r le s t a d e c o n t e m p o r a i n
c a r a c t é r i s é p a r le d e g r é élevé d e m o n o p o l i s a t i o n et l ' i n t e r v e n t i o n
s y s t é m a t i q u e de l ' E t a t a é t é f o r g é le c o n c e p t d e c a p i t a l i s m e m o n o -
poliste d'Etat3 ,

SECTION III

Les crises d u capitalisme

M a r x e s t e n A n g l e t e r r e le t é m o i n d e s p r e m i è r e s c r i s e s é c o n o m i -
q u e s d ' u n t y p e n o u v e a u , e n g e n d r é e s p a r des déséquilibres de l'acti-
vité plus q u e p o u r u n f l é c h i s s e m e n t a c c i d e n t e l d e la p r o d u c t i o n
a g r i c o l e . D e t e l l e s c r i s e s m a n i f e s t e n t à s e s y e u x le d é v e l o p p e -
m e n t c o n t r a d i c t o i r e d u c a p i t a l i s m e . Il a s o u v e n t é t é é c r i t q u e M a r x
n ' a v a i t pas u n e e x p l i c a t i o n unifiée des crises, et cela est exact. D u
m o i n s t r o u v e - t - o n c h e z lui des é t u d e s de c o n d i t i o n s d ' é q u i l i b r e , puis
d e la p o s s i b i l i t é d e s crises q u i p r é s e n t e n t a u t a n t d ' i m p o r t a n c e q u e
l ' a n a l y s e d e la f o r m e m ê m e de ces crises.

A) LES CONDITIONS FORMELLES DE LA REPR OD UCTION

La r e p r o d u c t i o n , simple et élargie, a été illustrée plus h a u t p a r


d e s s c h é m a s m e t t a n t e n é v i d e n c e ses d i v e r s e s p h a s e s e t f a i s a n t a p p a -
r a î t r e la c o m p o s i t i o n o r g a n i q u e . P o u r q u e la r e p r o d u c t i o n s ' o p è r e ,
c e r t a i n e s p r o p o r t i o n s d o i v e n t s ' é t a b l i r e n t r e les c a p i t a u x c o n s a -
c r é s à l a f a b r i c a t i o n d e s m o y e n s d e p r o d u c t i o n ( s e c t i o n I) e t d e

1. Dans L'impérialisme, stade suprême du capitalisme, première édition, 1916.


2. Le Capital financier, 1906, traduction française, Editions de Minuit.
3. Voir Le capitalisme monopoliste d'Etat, Editions sociales, 1971 et P. Boccara,
Etudes sur le C.M.E., Editions sociales.
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m o y e n s d e c o n s o m m a t i o n ( s e c t i o n II) r e s p e c t i v e m e n t . E n e f f e t ,
les v a l e u r s p r o d u i t e s se d é c o m p o s e n t d a n s c h a q u e cas e n c a p i t a l
c o n s t a n t c o n s o m m é , capital variable et plus-value1.

V1 ~ + v1 + Pl1

V2 = C2 + V2 + Pll

E n r e p r o d u c t i o n simple, la valeur affectée a u x biens de c o n s o m -


m a t i o n e s t v1 + v2 + p l 1 + Pl 21 t a n d i s q u e c l + c 2 r e p r é s e n t e l a
v a l e u r d e s u t i l i s a t i o n s d e b i e n s d e p r o d u c t i o n . P o u r q u e les v a l e u r s
produites coincident avec les v a l e u r s d e s b i e n s d e chaque type
u t i l i s é il f a u t d o n c q u e :

V2 = c1 + c2 et V2 = v1 + v2 + Pl 1 + 2'

s o i t q u ' o n a i t la c o n d i t i o n d ' é q u i l i b r e :

C2 = v1 + p/j.

C e l l e - c i c o m m a n d e l a p r o p o r t i o n q u i d o i t s ' é t a b l i r e n t r e les s e c -
tions pour que la reproduction simple soit possible. En
r e p r o d u c t i o n é l a r g i e , le s c h é m a e s t m o d i f i é d u f a i t q u ' u n e p a r t
d e la p l u s v a l u e t o t a l e e s t a c c u m u l é e s o u s f o r m e d e c a p i t a l c o n s -
t a n t , t a n d i s q u e l a p a r t a 2 ' a c c u m u l é e e n c a p i t a l v a r i a b l e 2 , se
traduit par une dépense en bien de consommation, tout
c o m m e la p a r t c o n s o m m é e (1 — al — a2). La condition d'équili-
bre devient :

C2 + alpl2 = vi + (1 - al)pl1

Ces schémas appellent deux commentaires. D'une part,


R . L u x e m b o u r g a p p u i e r a s u r le s e c o n d s a t h é o r i e d e la n é c e s s i t é d e
d é b o u c h é s e x t é r i e u r s p o u r le d é v e l o p p e m e n t c a p i t a l i s t e . S e l o n e l l e ,
il n'y a pas de moyen de paiement pour la d e m a n d e de biens

1. On retient l'hypothèse d'une vitesse de rotation du capital de 1 (Le capital engagé


égale le capital consommé). Par ailleurs il aurait été préférable et non indifférent de mener
le raisonnement en termes de prix de production et non de valeurs, mais ces schémas inter-
viennent au livre II du Capital, alors que le concept de prix de production apparaît au livre
III.
2. Ce terme ne peut prendre de sens qu si les capitalistes achètent les biens de
consommation correspondants, pour les avances des salaires de la période suivante. Voir
la controverse Georgescu-Roegen-Bemard, évoquée dans Analytical Economics du pre-
mier auteur, chapitre non repris dans la traduction française.
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d e p r o d u c t i o n c o r r e s p o n d a n t à la p l u s - v a l u e a c c u m u l é e , c e t t e plus-
value ne p o u v a n t financer u n a c h a t avant d ' ê t r e réalisée, sans
qu'existe une d e m a n d e solvable extérieure au système p o u r u n m o n -
t a n t équivalant 1. L'erreur d u r a i s o n n e m e n t consiste à introduire
u n e n o t i o n d ' a n t é r i o r i t é d a n s u n e c o n d i t i o n d'équilibre relative à
d e s f l u x c o n t e m p o r a i n s , c o m m e il a p p a r a i t l o r s q u ' o n r e m a r q u e
q u ' u n e d e m a n d e e x t e r n e é q u i v a l e n t e i n t r o d u i r a i t u n écart de sens
o p p o s é , la p l u s - v a l u e a c c u m u l é e é t a n t r é a l i s é e d e u x fois.
P a r ailleurs, certains a u t e u r s , en particulier H. Denis2, p e n s e n t
p o u v o i r r a p p r o c h e r ces c o n d i t i o n s de l'égalité épargne-investis-
s e m e n t c h e z K e y n e s . O r o n p e u t r e m a r q u e r q u e la n o n - r é a l i s a t i o n
d e c e s c o n d i t i o n s n ' e s t p a s i n c o m p a t i b l e a v e c la l o i d e s d é b o u c h é s ,
c e q u i n ' e s t p a s le c a s d e l a p r o p o s i t i o n k e y n é s i e n n e . E n f a i t , l a
c o n d i t i o n d ' é q u i l i b r e d e la r e p r o d u c t i o n p e u t ê t r e r a p p r o c h é e p l u -
t ô t d ' u n e a u t r e c o n d i t i o n k e y n é s i e n n e , é n o n c é e d a n s le « T r a i t é
d e la m o n n a i e » 3 , q u i e s t l ' é g a l i t é d e l a d é p e n s e d ' i n v e s t i s s e m e n t
et d u c o û t d e l'investissement ( I = l').

S a n s c o n s t i t u e r d i r e c t e m e n t u n e t h é o r i e d e s c r i s e s , les s c h é m a s
d e la r e p r o d u c t i o n d é g a g e n t d e s c o n d i t i o n s d e d é v e l o p p e m e n t p r o -
p o r t i o n n e l d u s y s t è m e d o n t la v i o l a t i o n r e m e t e n c a u s e l a r e p r o -
d u c t i o n d u c a p i t a l . L e s p r o p o r t i o n s à r e s p e c t e r se r e t o u r n e n t
c o m m e a u t a n t d ' o c c a s i o n d e crises.

B) LA POSSIBILITE DES CRISES

L ' a f f i r m a t i o n d e la p o s s i b i l i t é d e s crises s e m b l e p a r a d o x a l e s'il


s'agit d ' u n j u g e m e n t d ' e x i s t e n c e e m p i r i q u e . Le p r o b l è m e est en
f a i t d e s a v o i r si la c r i s e p e u t s u r v e n i r p o u r d e s r a i s o n s e x o g è n e s
a u f o n c t i o n n e m e n t d u s y s t è m e o u si a u c o n t r a i r e , s a p o s s i b i l i t é
e s t i n s c r i t e d a n s les r è g l e s m ê m e d e c e f o n c t i o n n e m e n t . P o u r M a r x
l ' a f f i r m a t i o n d e la p o s s i b i l i t é d e s c r i s e s p a s s a i t d ' a b o r d p a r le r e j e t
d e la loi d e S a y , p u i s p a r la m i s e e n é v i d e n c e d e c e r t a i n e s p r o p r i é -
t é s d u s y s t è m e c a p i t a l i s t e q u i m a n i f e s t e n t à ses y e u x s o n c a r a c t è r e
fondamentalement contradictoire.
L e r e j e t d e l a l o i d e S a y e s t v i o l e n t , c e q u i s ' e x p l i q u e p a r la vi-
sion a p o l o g é t i q u e d u f o n c t i o n n e m e n t d u c a p i t a l i s m e q u e c e t t e loi
confortait face aux théoriciens de «l'engorgement général des
marchés»4, mais il est aussi analytiquement fondé. La loi d e s
d é b o u c h é s r e p o s e s u r l a d u a l i t é d e s r ô l e s , a s s u m é s p a r c h a c u n , à la

1. L'accumulation du capital, première édition, 1913, voir sur ce point H. Denis, ou-
vrage cité.
2. Idem.
3. Sur cet ouvrage, voir plus loin, chapitre II, section 2.
4. Sur les discussions relatives à la loi de Say, voir T. Sowell, Say's Law, 1975.
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fois p r o d u c t e u r v e n d a n t ses p r o d u i t s o u d u m o i n s ses services e t


c o n s o m m a t e u r s'en p o r t a n t acquéreur. Marx a beau jeu de dénon-
c e r le c a r a c t è r e i l l u s o i r e d e c e t t e s y m é t r i e : si l a c o n s o m m a t i o n e s t
le f a i t , o u t r e d e s c a p i t a l i s t e s , d e l a m a s s e d e s t r a v a i l l e u r s p r o d u c -
t i f s , l a p r o d u c t i o n o u d u m o i n s l e s d é c i s i o n s q u i la c o n c e r n e n t s o n t
le f a i t d ' u n e m i n o r i t é .
S u r t o u t l ' é c h a n g e m o n é t a i r e s e l o n le c y c l e M A M e s t m é d i a t i s é
p a r la m o n n a i e . Il i m p l i q u e la s é p a r a t i o n d u c y c l e d ' é c h a n g e e n
d e u x actes séparés, l'un de vente, l'autre d'achat. Le p r o b l è m e de
la c o o r d i n a t i o n d e ces a c t e s d i s t i n c t s est alors posé. L e s l i b é r a u x
le r é s o l v e n t e n d e u x t e m p s . P u i s q u e t o u t e v e n t e a p o u r b u t l ' é c h a n -
g e , c ' e s t - à - d i r e l ' a c q u i s i t i o n d ' u n a u t r e b i e n , l ' a c h a t s u i v r a la v e n t e
i n é l u c t a b l e m e n t e t p o u r le m ê m e m o n t a n t , d ' u n e p a r t . D ' a u t r e
p a r t la c o o r d i n a t i o n d e s d é c i s i o n s i n d i v i d u e l l e s e s t o p é r é e s p o n t a n é -
m e n t p a r le m a r c h é , « c o m m e p a r u n e m a i n i n v i s i b l e » , d i s a i t A d a m
S m i t h . S u r , l e p r e m i e r p o i n t , M a r x r é t o r q u e q u e la v e n t e p e u t a v o i r
p o u r b u t p l u s la r é a l i s a t i o n d e l a v a l e u r , s a t r a n s f o r m a t i o n e n a r g e n t ,
q u e l ' i n t e n t i o n d ' a c h e t e r . Il n ' y a d o n c p a s c o ï n c i d e n c e e n t r e v e n t e
e t i n t e n t i o n d ' a c h a t . S u r le s e c o n d p o i n t , la v i s i o n c o n t r a d i c t o i r e
du fonctionnement du système s'oppose diamétralement au
p o s t u l a t libéral d ' h a r m o n i e .
« R i e n d e p l u s n i a i s q u e le d o g m e d ' a p r è s l e q u e l l a c i r c u l a t i o n
i m p l i q u e n é c e s s a i r e m e n t l'équilibre des achats et d e s v e n t e s vu q u e
t o u t e v e n t e e s t a c h a t , e t r é c i p r o q u e m e n t . S i c e l a v e u t d i r e q u e le
n o m b r e d e s v e n t e s r é e l l e m e n t e f f e c t u é e s est égal a u m ê m e n o m b r e
d ' a c h a t s , ce n ' e s t q u ' u n e p l a t e t a u t o l o g i e . Mais ce q u ' o n p r é t e n d
p r o u v e r , c ' e s t q u e le v e n d e u r a m è n e a u m a r c h é s o n p r o p r e a c h e -
teur... P e r s o n n e ne p e u t v e n d r e sans q u ' u n a u t r e a c h è t e ; mais per-
s o n n e n ' a b e s o i n d ' a c h e t e r i m m é d i a t e m e n t p a r c e q u ' i l a v e n d u . Si
la s é p a r a t i o n d e s d e u x p h a s e s , c o m p l é m e n t a i r e s l ' u n e d e l ' a u t r e , d e
la c i r c u l a t i o n d e s m a r c h a n d i s e s s e p r o l o n g e , si la s c i s s i o n e n t r e
l ' a c h a t et la v e n t e s ' a c c e n t u e , l e u r liaison i n t i m e s ' a f f i r m e p a r
u n e ... cnse» . 1.
D e la r u p t u r e d u c y c l e M A M à l a c r i s e i n t e r v i e n t u n d o u b l e
p r o c e s s u s d ' e x t e n s i o n . D ' u n e p a r t la d é f a i l l a n c e d ' u n m a i l l o n a c h a t -
v e n t e c o m p r o m e t t o u t e l a c h a i n e q u i c o n s t i t u e le c i r c u i t . D ' a u t r e
p a r t la c r i s e d e la c i r c u l a t i o n r é a g i t s u r le c y c l e A M A ' l u i - m ê m e ,
c ' e s t - à - d i r e s u r le p r o c e s s u s d ' e n g a g e m e n t e t d e r e c o n s t i t u t i o n d u
capital. De crise de la c i r c u l a t i o n , e l l e d e v i e n t c r i s e d e la r e p r o -
duction.

1. Le capital, livre I, tome I, Edition de la Pléiade, pp. 652-653, cité par


J.P. Benassy, in Revue Economique, 1976, pp. 797-798, dans un article sur la théorie
moderne des déséquilibres qui, comme la théorie marxiste des crises, refuse le postulat
de coordination a priori des décisions individuelles.
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C) LES DETERMINANTS DES CRISES

La n o n - c o o r d i n a t i o n a priori des a c t e u r s de l ' é c o n o m i e capita-


l i s t e , a n i m é s d e p r o j e t s c o n t r a d i c t o i r e s , c r é e e n p e r m a n e n c e la p o s -
s i b i l i t é d e crises, m a i s elle n e s u f f i t p a s à les p r o v o q u e r , à f a i r e
d ' u n e p o t e n t i a l i t é u n e réalité. Diverses causes plus directes doivent
intervenir qui d é t e r m i n e n t de manière plus i m m é d i a t e l'occurren-
c e , la f o r m e e t le r ô l e d e s c r i s e s . L ' a r g u m e n t a t i o n p e u t ê t r e i c i re-
g r o u p é e a u t o u r d e t r o i s p ô l e s : la s u r p r o d u c t i o n e t la sous-
consommation, la s u r c a p i t a l i s a t i o n e t l e s p a r t i c u l a r i t é s t e c h n i q u e s
d u capital.

1.- S u r p r o d u c t i o n e t s o u s - c o n s o m m a t i o n

L a t e n d a n c e d u s y s t è m e à la s u r p r o d u c t i o n illustre la c o n t r a -
diction entre son aptitude, r e c o n n u e p a r M a r x , à d é v e l o p p e r les
forces p r o d u c t i v e s et son i n c a p a c i t é à a c c r o î t r e d a n s u n e égale
m e s u r e la c o n s o m m a t i o n . A i n s i s u r p r o d u c t i o n et s o u s - c o n s o m -
m a t i o n s o n t - e l l e s é t r o i t e m e n t liées.
L a s o u s - c o n s o m m a t i o n e s t u n f a c t e u r p e r m a n e n t p e s a n t s u r les
p o s s i b i l i t é s d e r é a l i s a t i o n d e la s e c t i o n 2. E l l e e s t u n c o r o l l a i r e d e
la paupérisation, de la pression à la baisse d e s salaires s o u s le
p o i d s d e l ' a r m é e d e r é s e r v e i n d u s t r i e l l e . D e c e f a i t il y a u n e d i v e r -
g e n c e c r o i s s a n t e e n t r e le p o u v o i r d e c o n s o m m a t i o n a b s o l u d e la
s o c i é t é e t le p o u v o i r r é e l d e c o n s o m m a t i o n d e s m a s s e s 1 . A i n s i la
s u r p r o d u c t i o n n'est-elle en a u c u n cas absolue, s u r p r o d u c t i o n p a r
r a p p o r t a u x besoins, mais essentiellement s u r p r o d u c t i o n relative,
surproduction par rapport aux possibilités de réalisation profita-
bles d a n s l'économie capitaliste.
L a s u r p r o d u c t i o n se m a n i f e s t e p a r u n e b a i s s e d u t a u x d e p r o f i t ,
m a i s ce m o u v e m e n t n ' i n d u i t n u l l e m e n t u n e v a r i a t i o n c o m p e n s a -
trice. Au contraire les c a p i t a l i s t e s peuvent réagir en a u g m e n t a n t
encore leur p r o d u c t i o n de manière à retourner leur profit malgré
des marges unitaires réduites. Ce facteur, nécessairement t e m p o -
r a i r e , c o n t r i b u e à t r a n s f o r m e r e n m o u v e m e n t c y c l i q u e ce q u i e s t
i n i t i a l e m e n t t e n d a n c e à la d é p r e s s i o n p e r m a n e n t e .

2.- S u r c a p i t a l i s a t i o n
Il a é t é v u d a n s le c a d r e d e s s c h é m a s d e l a r e p r o d u c t i o n q u e le
m a i n t i e n d ' u n é q u i l i b r e s u p p o s e la r é a l i s a t i o n d e p r o p o r t i o n s d o n -
n é e s e n t r e p r o d u c t i o n de m o y e n s de p r o d u c t i o n et p r o d u c t i o n de
m o y e n s de c o n s o m m a t i o n . Or, lors de l'expansion capitaliste t o u t

1. «A mesure que la force productive se développe, elle entre en conflit plus aigu
avec les fondements étroits des rapports de consommation» Le capital, Tome III, Livre X,
p. 179 de l'Edition Costes.
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c o n c o u r t à u n d é v e l o p p e m e n t inégal des d e u x sections. L a crois-


s a n c e d e la s e c t i o n 1 t e n d à s ' a c c é l é r e r d u fait d ' u n e a c c u m u l a -
t i o n de c a p i t a l r a p i d e q u i p r e n d l a r g e m e n t la f o r m e d ' u n e é l é v a t i o n
d e la c o m p o s i t i o n o r g a n i q u e . L a s e c t i o n 2 a u c o n t r a i r e v o i t s o n
d é v e l o p p e m e n t f r e i n é p a r la c r o i s s a n c e m o i n s q u e p r o p o r t i o n n e l l e
d u c a p i t a l v a r i a b l e , c ' e s t - à - d i r e q u ' e l l e s u b i t d i r e c t e m e n t la t e n -
d a n c e à la s o u s - c o n s o m m a t i o n .
La surcapitalisation qui en résulte traduit là encore non un
excès absolu dans l'accumulation des m o y e n s de p r o d u c t i o n mais
u n excès du capital p a r r a p p o r t a u x possibilités de mise en valeur.
Le d é v e l o p p e m e n t d i s p r o p o r t i o n n é d o i t avoir u n e fin. L a
crise s u r v i e n t alors q u i , f r e i n a n t l ' a c c u m u l a t i o n d e s m o y e n s d e
p r o d u c t i o n , va r e s t a u r e r la p r o p o r t i o n a l i t é e n t r e le n i v e a u d e déve-
l o p p e m e n t des deux sections.

3.- R i g i d i t é d u c a p i t a l

L a c o r r e c t i o n d e s d i s p r o p o r t i o n s est f r e i n é e p a r la r i g i d i t é d u
capital, « c a p t i f de son é l é m e n t fixe». U n e partie des m o y e n s de
p r o d u c t i o n , le c a p i t a l f i x e , n ' e s t p a s r e n o u v e l é e à c h a q u e c y c l e ,
mais p é r i o d i q u e m e n t sous l'effet d e l'usure. E n fait, à l'usure
normale, p u r e m e n t technique, s'ajoute l'usure morale, l'obsoles-
c e n c e , q u i e n t r a i n e p o u r les m o y e n s d e p r o d u c t i o n « l a n é c e s s i t é
de leur r e m p l a c e m e n t c o n s t a n t , b i e n qu'ils n ' a i e n t pas fait m a t é -
riellement leur temps».
Le r e m p l a c e m e n t d u capital fixe revêt u n caractère cyclique1,
p o u r lequel Marx considère c o m m e représentative une période de
d i x a n s . L ' i m p o r t a n t n ' e s t d ' a i l l e u r s p a s c e t t e d u r é e p r é c i s e m a i s le
fait q u e « c e c y c l e d e r o t a t i o n f o u r n i t u n e b a s e m a t é r i e l l e a u x cri-
ses p é r i o d i q u e s » .

4.- C a r a c t è r e s c o m m u n s

Les divers facteurs d é t e r m i n a n t s é v o q u é s plus h a u t ne consti-


tuent pas des causes alternatives, mais s'articulent p o u r consti-
t u e r d e s p r o c e s s u s c u m u l a t i f s . A i n s i l a c r i s e a f f e c t a n t la s e c t i o n 1
du fait de l'effondrement de l'accumulation provoque une
baisse de capital variable engagé d a n s cette section et d o n c i n d u i t
u n r é t r é c i s s e m e n t d e l ' a c t i v i t é d e l a s e c t i o n 2.
U n a u t r e f a c t e u r c o m m u n des divers d é t e r m i n a n t s est de cons-
t i t u e r d e s m a n i f e s t a t i o n s c o m p l é m e n t a i r e s d e la loi t e n d a n c i e l l e d e
la b a i s s e d u t a u x d e p r o f i t . C ' e s t à c e t i t r e q u e se d é g a g e d e
l ' a n a l y s e m a r x i s t e l e c a r a c t è r e f o n c t i o n n e l d e l a c r i s e p o u r le f o n c -
t i o n n e m e n t d u système capitaliste.

1. Ce phénomène recevra le nom d'effet d'écho dans la théorie moderne et sera parti-
culièrement observé dans la construction navale.
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La crise n ' e s t pas seulement une manifestation coûteuse des


c o n t r a d i c t i o n s capitalistes, elle leur a p p o r t e aussi, a u x y e u x de
M a r x , u n e s o l u t i o n m o m e n t a n é e , elle « r é t a b l i t p o u r u n m o m e n t
l ' é q u i l i b r e t r o u b l é » . E n t e r m e s c o n t e m p o r a i n s , elle est u n é l é m e n t
constitutif du m o d e de régulation d u système.
L e c a r a c t è r e f o n c t i o n n e l d e la crise r e j o i n t l ' e x p l i c a t i o n d e la
r e p r i s e . Il r é s i d e e s s e n t i e l l e m e n t d a n s le r e d r e s s e m e n t d u t a u x d e
profit sous l'effet certes d ' u n e élévation d u t a u x de plus-value q u e
p e r m e t t r a i t le c h ô m a g e m a i s s u r t o u t d e l ' a b a i s s e m e n t d e l a c o m p o -
sition o r g a n i q u e p a r é l i m i n a t i o n d ' u n e partie d u capital c o n s t a n t , et
p l u s e n c o r e p a r la d é v a l o r i s a t i o n . C ' e s t sans d o u t e a u t o u r de t e n d a n -
c e s c o n t r a d i c t o i r e s a f f e c t a n t le t a u x d e p r o f i t q u e p e u t le m i e u x
s ' o r d o n n e r u n e c o m p r é h e n s i o n d e la v i s i o n m a r x i s t e d e la c r i s e . « L a
l i m i t e d u m o d e d e p r o d u c t i o n c a p i t a l i s t e se m a n i f e s t e d a n s le f a i t
q u e le d é v e l o p p e m e n t d e l a f o r c e p r o d u c t i v e d u t r a v a i l p r o d u i t ,
d a n s la b a i s s e d u t a u x d e p r o f i t , u n e l o i q u i s ' o p p o s e d e la f a ç o n
la p l u s h o s t i l e à u n c e r t a i n p o i n t , à s o n p r o p r e d é v e l o p p e m e n t , e t
d o i t d o n c ê t r e c o n s t a m m e n t v a i n c u e p a r d e s crises» 1 .
L a t h é o r i e d e s c r i s e s e s t , d e s a n a l y s e s d e M a r x , c e l l e q u i a le
p l u s i m p r e s s i o n n é et i n f l u e n c é les a u t e u r s ne p a r t a g e a n t p a s s o n
a p p r o c h e . A u d é b u t d u X X e s i è c l e , c ' e s t s u r t o u t l e t h è m e d e la s u r -
capitalisation et d u d é v e l o p p e m e n t d i s p r o p o r t i o n n é qui sera repris.
P u i s l ' i n f l u e n c e m a r x i s t e s u r les a n a l y s e s d e s f l u c t u a t i o n s c o n n a i -
t r a u n e l o n g u e é c l i p s e , a v a n t d e s ' a f f i r m e r à n o u v e a u d a n s la p é r i o d e
contemporaine. Le renouveau des analyses marxistes met
l ' a c c e n t s u r le c o n c e p t d e d é v a l o r i s a t i o n e t l a f o n c t i o n d e r é g u l a -
t i o n des crises2.

Bibliographie

1 S U R LA DYNAMIQUE RICARDIENNE

a) Ouvrages
D. R i c a r d o , P r i n c i p e d e l ' é c o n o m i e p o l i t i q u e et d e l'impôt, E d i t i o n s Calmann-
Lévy, 1970.
M. Blaug, L a p e n s é e é c o n o m i q u e : origine e t d é v e l o p p e m e n t , t r a d u c t i o n
E c o n o m i e a 1 9 8 1 , chapitre 4 .

b) Articles
N. K a l d o r , «Alternative Theories o f D i s t r i b u t i o n s , R e v i e w o f E c o n o m i c Stu-
dies, m a r s 1956.

1. Le Capital, Livre III, tome X, p. 203 de l'Edition Costes.


2. Voir plus loin chapitre XI.
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L. Pasinetti, «A Mathematical Formulation of the Ricardian System»,Review


o f Economics Studies, n° 2, 1960.

2.- SUR LA D DYNAMIQUE MARXISTE

a) Ouvrages
G. A b r a h a m - F r o i s et E. Berrebi, Théorie d e la valeur des p r i x et d e l'accumu-
Jation, E c o n o m i c a , 1976.
S. de B r u n h o f f , L a m o n n a i e chez Marx, Editions sociales, 1967.
M. D e s a i , M a r x i a n E c o n o m i e s , Basil Blackwell, 1 9 7 9 .
J.H. J a c o t , Croissance é c o n o m i q u e et f l u c t u a t i o n s conjoncturelles, Presses Uni-
versitaires de L y o n , 1976.
G. Maarek, I n t r o d u c t i o n au Capital de K. Marx, Calmann-Lévy, 1975.
B. Rosier, Croissance e t crise capitaliste, Presses Universitaires de F r a n c e , 1975.

b) Articles
G. A b r a h a m - F r o i s (articles recueillis par), P r o b l é m a t i q u e d e la croissance,
T o m e II, E c o n o m i c a , 1974.
Ch. B e t t e l h e i m , «Variations des t a u x de p r o f i t et accroissement de la producti-
vité», Eco nom ie A p p l i q u é e , vol. 12, janvier-février 1959.
E. Wright, ((Alternative perspectives in Marxist Theory of Accumulation and
Crises», repris in J. Schwartz, The Subtle Anatomy o f Capitalism, Good-
year Publishing, Santa Monica, 1977.
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CHAPITRE II

De la fin du XVIIIe siècle à la période actuelle, il est possible


d'observer des mouvements récurrents de l'activité économique.
Ces mouvements de caractère cyclique ont connu une régularité
particulière entre 1815 et 1929. Ils ont gagné successivement tous
les pays affectés par la révolution industrielle. En fait, de la fin du
XVIIIe siècle à 1848, les crises conservent leur origine agricole, mais
affectent le secteur industriel en constitution. C'est seulement à
partir de 1860 qu'elles présentent le caractère de crises indus-
trielles.
Les crises de 1787, 1816, 1826, 1847 résultent toutes d'un
fléchissement de la production agricole. Par des mécanismes de
transmission variés, essentiellement la baisse du pouvoir d'achat
rural et le drainage des capitaux, la production industrielle en est
affectée, ce qui entraine faillites et chômage. Toutefois la majorité
des chômeurs est originaire de la campagne et n'a jamais eu
d'emploi industriel. Ces périodes voient se cristalliser l'opposition
des artisans ou ouvriers qualifiés à l'égard du machinisme.
De 1857 à 1940, pas moins de onze crises peuvent être recen-
sées qui affectent l'économie mondiale : 1857, 1864-66, 1873-77,
1882-84, 1890-93, 1900, 1907, 1913, 1920-22, 1929-34, 1937. Les
deux premières affectent essentiellement l'Angleterre, la France et
les Etats-Unis. L'Allemagne et l'Autriche sont par contre concer-
nées à partir de 1873. Jusqu'en 1890, les vagues de la construction
ferroviaire semblent exercer un effet déterminant, puis l'instabilité
financière domine. Ainsi en 1893, une vague de faillites entraine la
fermeture de 600 banques et suscite l'organisation du système ban-
caire américain. La crise de 1900 épargne les Etats-Unis, mais affec-
te pour la première fois la Russie. La crise de 1913 est interrompue
par la guerre mondiale, tandis que celle de 1920 correspond à la
période de reconversion. Pour la première fois, le Japon est
touché par la fluctuation. En octobre 1929, l'effondrement boursier
de Wall Street amorce la crise la plus marquante par son ampleur
et sa durée. Le mouvement de 1937 est surtout observable aux
Etats-Unis, l'Europe s'orientant vers la préparation de la guerre.
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Face à cette récurrence régulière, il n'est pas étonnant que


les économistes aient entrepris de théoriser le cycle. Toutefois,
à une période où l'analyse néo-classique s'organise autour du con-
cept d'équilibre, la théorie des fluctuations ne s'intègre pas sans
difficultés au corpus théorique en plein développement. Des
efforts d'intégration existent cependant, que sous-estiment sans
doute certains exposés contemporains, mais la loi des débouchés
imprègne la pensée de cette période et est à l'origine de bloca-
ges systématiques.
Nous étudierons d'abord les principaux schémas alternatifs
d'explication des fluctuations, avant d'examiner l'état des analyses
au moment de la grande crise. Une place à part sera enfin réservée
à l'analyse de la croissance que domine la personnalité de
Schumpeter.

SECTION I

Les principaux schémas alternatifs d'explication


des fluctuations

En l'absence d'une explication communément admise, les


auteurs ont multiplié les théories faisant référence à des mécanis-
mes différents. Une présentation rapide des principales contribu-
tions peut, semble-t-il, retenir essentiellement trois approches qui
considèrent respectivement la crise comme un phénomène moné-
taire, comme un symptôme de surcapitalisation ou comme une
conséquence de la sous-consommation.

A) LA CRISE ECONOMIQUE, PHENOMENE MONETAIRE

Spéculation et crise financière marquaient les étapes succé-


sives du cycle, aussi n'est-il pas étonnant qu'on ait d'abord assimilé
la crise à un phénomène monétaire. Ce fut d'abord le cas du pre-
mier auteur d'un ouvrage centré sur les fluctuations, le médecin
français, Clément Juglar1.
La variabilité de la masse monétaire est commandée par le
recours au crédit, qui se développe rapidement au XIXe siècle.
Or, l'expansion du crédit s'opère selon un schéma cyclique parce
que, en période d'expansion, il se développe plus rapidement que
l'activité. En particulier l'émission monétaire s'effectuant par
l'escompte d'effets commerciaux, eux-mêmes réescomptés auprès

1. Des crises commerciales et de leur retour périodique, Paris, 1862.


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d e la B a n q u e d e F r a n c e , c e t t e d e r n i è r e v o i t s o n p o r t e f e u i l l e d ' e f f e t s
d é t e n u s se g o n f l e r d e m a n i è r e d i s p r o p o r t i o n n é e à s e s r é s e r v e s d ' o r
e t d o i t d o n c f r e i n e r le m o u v e m e n t . C e q u i m e t e n d i f f i c u l t é les
a g e n t s q u i c o m p t e n t s u r le c r é d i t p o u r a s s u r e r l e u r s é c h é a n c e s ;
les b a n q u e s s o n t e l l e s - m ê m e s a f f e c t é e s p a r l ' i n s o l v a b i l i t é d e c e s
c l i e n t s e t la p y r a m i d e d u c r é d i t s ' e f f o n d r e c o m m e elle s ' é t a i t
é l e v é e . P a r l à s ' o p è r e u n a s s a i n i s s e m e n t f i n a n c i e r q u i e s t la c o n d i -
tion d ' u n e reprise de l'expansion.
L'analyse se p o u r s u i v r a en e x p l i c i t a n t le m é c a n i s m e d e
transmission au d o m a i n e réel des fluctuations d u crédit. Chez
H a w t r e y 1 , les s t o c k s s o n t l a v a r i a b l e p r i v i l é g i é e p a r l a q u e l l e s ' o p è r e
cette transmission. L ' a n a l y s e p a r t d ' u n e a c c e p t a t i o n sans réserve de
l ' é q u a t i o n q u a n t i t a t i v e . C e s o n t les f l u c t u a t i o n s d u m o u v e m e n t d e
l'argent M V , q u i c o m m a n d e n t l ' a l t e r n a n c e de p r o s p é r i t é et de
d é p r e s s i o n . L e s b a n q u e s , e n a b a i s s a n t le t a u x d ' i n t é r ê t , o n t la r e s -
p o n s a b i l i t é d e l ' e x p a n s i o n . S a n s d o u t e l ' e f f e t d i r e c t s u r les e n t r e -
prises est m i n i m e , m a i s l'activité d e s n é g o c i a n t s , i n t e r m é d i a i r e s et
g r o s s i s t e s , y est t r è s s e n s i b l e . Ils r é a g i s s e n t e n a u g m e n t a n t l e u r s
s t o c k s et p o u r ce faire p a s s e r o n t d e s c o m m a n d e s q u i s t i m u l e r o n t la
p r o d u c t i o n . L ' e x p a n s i o n p o u r r a i t se p r o l o n g e r i n d é f i n i m e n t si le
r e s s e r r e m e n t d u c r é d i t n e s u r v e n a i t pas. Mais ce d e r n i e r est inévita-
b l e e n r é g i m e d ' é t a l o n - o r . C o m m e les b e s o i n s d e f i n a n c e m e n t d e s
e n t r e p r i s e s c o n t i n u e n t à c r o î t r e , e n p a r t i c u l i e r d u f a i t d e la c r o i s -
s a n c e r e t a r d é e d e s s a l a i r e s , le f r e i n a g e se t r a n s f o r m e e n r é c e s s i o n .
La c o n t r a c t i o n s ' a c c o m p a g n a n t d ' u n e baisse des prix s'entretient
d ' e l l e - m ê m e . U n e fois o p é r é e la r é d u c t i o n d e s s t o c k s et d e s e n g a g e -
m e n t s , u n e baisse du t a u x d'intérêt p e u t à n o u v e a u être à l'origine
d ' u n e reprise.
D'autres analyses a d m e t t e n t u n e action d u t a u x d'intérêt sur
l ' i n v e s t i s s e m e n t e n c a p i t a l fixe, c o m m e celle d e H a y e k q u e n o u s
é v o q u e r o n s plus loin. P a r m i les é t u d e s des d é t e r m i n a n t s f i n a n c i e r s
d e l ' i n s t a b i l i t é , il f a u t c i t e r p a r a d o x a l e m e n t I. F i s h e r . P a r a d o x a l e -
m e n t , c a r o n r e t i e n t e s s e n t i e l l e m e n t d e s o n o u v r a g e la r e f o r m u l a t i o n
d e la t h é o r i e q u a n t i t a t i v e . C ' e s t o u b l i e r q u e p o u r l u i , c e t t e t h é o r i e
ne retient que les « e f f e t s normaux et définitifs». Mais « c o m m e
les p é r i o d e s d e t r a n s i t i o n s o n t la règle et celles d ' é q u i l i b r e l ' e x c e p -
t i o n » , le m é c a n i s m e d ' é c h a n g e e s t p r e s q u e t o u j o u r s d a n s d e s c o n d i -
tions dynamiques plutôt que statiques . A l o r s la m o n n a i e a f f e c t e
le v o l u m e d u p r o d u i t e t d e s a c h a t s s p é c u l a t i f s i n t e r v i e n n e n t ,
financés en particulier par l'endettement.
La croissance cumulative de l ' e n d e t t e m e n t au cours de l'expan-
s i o n r e n d p o u r l u i s o n p r o l o n g e m e n t i m p e n s a b l e . D e p l u s , le s u r e n -

1. Dans de nombreux ouvrages parus entre 1913 et 1923.


2. I. Fisher, The Purchasing Power o f Money, Macmillan, 1911, p. 71.
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d e t t e m e n t a g g r a v e la d é f l a t i o n , c a r il v i e n t p e s e r sur les d é p e n s e s
d e s a g e n t s e t s u r le p r i x d e s actifs a u c o u r s d e la d é p r e s s i o n ,
t a n d i s q u e les r e m b o u r s e m e n t s auprès du système bancaire entraî-
nent une réduction automatique d e la circulation monétaire. L'his-
t o i r e d e la c r i s e d e 1 9 2 9 c o m m e d e l a p é r i o d e r é c e n t e i l l u s t r e la p e r -
t i n e n c e d e c e t t e a n a l y s e e t la n é c e s s i t é d e s i t u e r l a m o n n a i e a u s e i n
d e la s t r u c t u r e f i n a n c i è r e d e l ' é c o n o m i e .

B) LA S UR CAPITA LISA TION.

L'idée de surcapitalisation tire d i r e c t e m e n t s o n o r i g i n e d e la


l e c t u r e d e M a r x , d u m o i n s en ce q u i c o n c e r n e u n e p r e m i è r e série
de t r a v a u x q u i envisagent u n e ' surcapitalisation relativement à
l ' é p a r g n e d i s p o n i b l e . U n e s e c o n d e série d e t r a v a u x d é g a g e u n phé-
n o m è n e d e s u r c a p i t a l i s a t i o n r e l a t i v e m e n t à la d e m a n d e .

1.- L a s u r c a p i t a l i s a t i o n r e l a t i v e m e n t à l ' é p a r g n e
Le p r e m i e r p r o m o t e u r d ' u n e t h é o r i e des f l u c t u a t i o n s en t e r m e s
d e s u r c a p i t a l i s a t i o n e s t le m a r x i s t e r u s s e M . T u g a n - B a r a n o v s k y 1 .
L'idée de l ' a u t e u r est l ' i n c a p a c i t é d u s y s t è m e capitaliste à réguler
le f l u x d ' é p a r g n e , à le p r o p o r t i o n n e r a u x b e s o i n s d e l ' a c c u m u l a t i o n .
D a n s ce b u t , il r e c o u r t à l ' i m a g e c é l è b r e d u j e u d u p i s t o n , d a n s u n e
l o c o m o t i v e à vapeur. « L ' a c c u m u l a t i o n du capital en q u ê t e de place-
m e n t j o u e le r ô l e d e la v a p e u r d a n s le c y l i n d r e . L o r s q u e l a p r e s s i o n
e x e r c é e s u r la v a p e u r p a r le p i s t o n a t t e i n t u n e c e r t a i n e f o r c e e t s u r -
m o n t e l ' i n e r t i e d u p i s t o n , c e l u i - c i se m e t e n m o u v e m e n t , a v a n c e j u s -
q u ' a u b o u t d u c y l i n d r e e n d é g a g e a n t u n e o u v e r t u r e q u i livre passage
à la v a p e u r , p u i s r e v i e n t à s a p o s i t i o n p r e m i è r e . D e m ê m e , le c a p i t a l
e n q u ê t e d e p l a c e m e n t s ' a c c u m u l e j u s q u ' a u m o m e n t o ù la pres-
s i o n a t t e i n t u n c e r t a i n d e g r é , à c e m o m e n t le c a p i t a l s ' o u v r e u n e
v o i e v e r s l ' i n d u s t r i e q u ' i l m e t e n m o u v e m e n t , p u i s le c a p i t a l u n e
fois d é p e n s é , l ' i n d u s t r i e r e v i e n t à sa p o s i t i o n p r e m i è r e » .
A. S p i e t h o f f et G. Cassell d é v e l o p p e n t la t h é o r i e . P o u r e u x ,
l ' e x p a n s i o n e s t n o n s e u l e m e n t m û e p a r le d é v e l o p p e m e n t d e l a p r o -
d u c t i o n de biens de p r o d u c t i o n , mais p e u t m ê m e s'y résoudre. Tou-
t e f o i s le p r o c e s s u s n e p e u t s e d é v e l o p p e r i n d é f i n i m e n t , n o n p a s d u
f a i t d ' u n e i n s u f f i s a n c e d e la d e m a n d e p e r m e t t a n t d ' e m p l o y e r l e s
n o u v e a u x é q u i p e m e n t s , m a i s b i e n a u c o n t r a i r e d a n s la d i s p o s i t i o n
d e c e r t a i n s m o y e n s d e p r o d u c t i o n . P o u r S p i e t h o f f il y a i n s u f f i s a n c e
d e la p r o d u c t i o n d e b i e n s i n t e r m é d i a i r e s f a c e à u n e s u r p r o d u c t i o n
de biens durables. Pour Cassel, c'est plus clairement
l ' é p a r g n e d i s p o n i b l e q u i d e v i e n t i n s u f f i s a n t e p o u r la p o u r s u i t e de
l ' a c c u m u l a t i o n . « L e b o o m m o d e r n e t y p i q u e n e signifie p a s u n e sur-
p r o d u c t i o n ni u n e s o u s - e s t i m a t i o n de la d e m a n d e des c o n s o m m a -

1. Les crises industrielles en Angleterre, Traduction française, 1913.


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teurs ou des besoins pour les services d u capital fixe, mais u n e


surestimation de l'offre du capital ou du m o n t a n t de l'épargne
d i s p o n i b l e p o u r m e n e r à t e r m e le c a p i t a l p r o d u c t i f p r o d u i t » 1 .
R e t e n o n s les t r a i t s m a r q u a n t s d e c e t t e p e n s é e : d ' a b o r d l ' i d é e
de disproportion entre production et d e m a n d e , e x c l u a n t explici-
t e m e n t u n d é s a j u s t e m e n t global, ensuite l'idée q u e l'expansion
p o u r r a i t ê t r e p r o l o n g é e e n a c c r o i s s a n t l ' é p a r g n e ; o n c o n ç o i t q u e la
théorie k e y n é s i e n n e sera p e r ç u e c o m m e révolutionnaire...

2.- L a s u r c a p i t a l i s a t i o n r e l a t i v e m e n t à la d e m a n d e

D u fait d e r i g i d i t é s et d e délais d a n s la f o r m a t i o n d e capital,


l ' a c c u m u l a t i o n d e c a p i t a l e t d o n c la c r é a t i o n d e c a p a c i t é s d e p r o -
duction ne p e u t être p r o p o r t i o n n é e à l'évolution des besoins.
T e l l e est la t h é o r i e s o u t e n u e p a r A. A f t a l i o n e t J . M . C l a r k e t q u i
conduira à l'accélérateur, p r o t o t y p e des m o d e r n e s fonctions
d'investissement.
P o u r l ' a u t e u r f r a n ç a i s , l ' a l l o n g e m e n t d e la p é r i o d e de p r o d u c -
t i o n c a p i t a l i s t e e s t g é n é r a t r i c e d ' u n d é c a l a g e e n t r e la d é c i s i o n
d ' i n v e s t i s s e m e n t et son effet. L ' i n v e s t i s s e m e n t , décidé en f o n c t i o n
des besoins a p p a r e n t s présents révélés par des prix et des profits
élevés, sera en fait réalisé d a n s des c o n d i t i o n s é c o n o m i q u e s diffé-
rentes. A u cours de l'expansion, «la pénurie de biens de c o n s o m -
mation, le maintien des prix et des profits élevés f o n t
s u p p o s e r ( à l ' e n t r e p r e n e u r ) la p e r s i s t a n c e d e la p é n u r i e d e c a p i t a u x .
Il n e p e u t c o n s t a t e r q u e l ' i n s a t i s f a c t i o n a c t u e l l e d u b e s o i n . Il i g n o r e
q u e sa satisfaction virtuelle est d é j à excessive. C o m m e n t ne
commanderait-il pas toujours plus de capitaux p u i s q u ' o n n'a pas
e n c o r e assez d ' o b j e t s d e c o n s o m m a t i o n ? D a n s c e t t e s i m u l t a n é i t é
d e la s o u s - p r o d u c t i o n d ' o b j e t s d e c o n s o m m a t i o n e t d e s u r c a p i t a l i -
s a t i o n , l a p r e m i è r e m ê m e d é t e r m i n a n t la s e c o n d e , r é s i d e l a
cause d'erreur d u e à l'allongement capitaliste d u procès de pro-
d u c t i o n » 2 . Et l'auteur illustre l ' a r g u m e n t a t i o n du célèbre e x e m p l e
d u p o ê l e , q u ' o n c h a r g e à l ' e x c è s d e c o m b u s t i b l e q u a n d il f a i t f r o i d
m a i s o ù l ' o n n e r e n o u v e l l e p a s le c o m b u s t i b l e s o u s p r é t e x t e
q u ' a c t u e l l e m e n t il f a i t c h a u d d a n s l a p i è c e .
M a i s à c e d é c a l a g e s ' a j o u t e le f a i t q u e le f l u x a n n u e l d ' i n v e s t i s -
s e m e n t n ' e s t p a s f o n c t i o n d u n i v e a u de la p r o d u c t i o n , m a i s d e sa
v a r i a t i o n . L e s c h a n g e m e n t s d a n s le r y t h m e d e l ' a c c u m u l a t i o n t r a d u i -
s e n t d o n c les a c c é l é r a t i o n s d e la d e m a n d e , c o m m e le d é g a g e r a
J .M. C l a r k 3 . L a p o r t é e d e c e p r i n c i p e e s t e s s e n t i e l l e à l a c o m p r é -

1. D'après la traduction anglaise Theory o f Social Economy, Harcourt, 1932.


2. A. Aftalion, «La réalité des surproductions générales. Essai d'une théorie de cri-
ses générales et périodiques», 1909. Texte extrait de H. Denis, La formation de la
science économique, P.U.F., 1973.
3. Dans un article de 1917, «Business Acceleration and the Law of Demand :
A Technical Factor in Economie Cycles», Journal o f Political Economy, mars 1917.
En voir de larges extraits dans H. Denis, ouvrage cité, pp. 275 et ss.
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hension des retournements conjoncturels. Que la demande de biens


de consommation croisse à taux décroissant et la demande de biens
d'équipement décroit. De même et à condition que ne subsistent
pas de capacités oisives, que le rythme de baisse de la production
se ralentisse et le niveau de la production des biens d'équipements
se relève. A l'effet d'accélération proprement dit se joint
d'ailleurs un effet d'amplification, d'autant plus sensible que
l'intensité capitalistique est forte dans le secteur des biens de
consommation.
Ce principe est l'un des seuls de la littérature économique de
cette époque relative aux fluctuations à avoir acquis droit de cité
parmi les instruments de base de l'analyse contemporaine.

C) LA SOUS-CONSOMMATION
La référence marxiste est certes présente également sur ce
point, mais loin d'être exclusive. La thèse de la sous-consomma-
tion remonte en effet à Sismondi, Malthus et Lauderdale. Elle
sera d'ailleurs très contestée. Ainsi G. Haberler dans sa synthèse
écrite en 1936 traduit-il l'opinion commune des économistes ortho-
doxes en concluant que «ces divers arguments, présentés sous le
nom de théorie de la sous-consommation, sont ou bien sans valeur
pour l'explication du cycle économique ou bien déjà exposés dans
d'autres théories»1.
A l'inverse, l'observateur contemporain, du moins keynésien,
apprécie plutôt l'opposition à la loi de Say et le diagnostic d'excès
d'épargne au moment de la crise. De plus, ces travaux ont contri-
bué à poser le problème des relations entre l'épargne, l'investis-
sement et le niveau de l'activité. Sur le plan technique, quelques
contributions se détachent, celles de l'anglais Hobson et des amé-
ricains Johansen et Foster et Catchings. L'argumentation de Hob-
son2 a l'intérêt de justifier l'impact cyclique et non pas régulière-
ment dépressif de l'excès d'épargne. L'inégalité des revenus est
génératrice de taux d'épargne élevés et cette inégalité croît au cours
de l'expansion de manière plus favorable aux profits qu'au salaire.
Or, même si un équilibre est possible avec n'importe quel taux
d'épargne constant, il ne peut être maintenu avec un taux d'épargne
croissant.
Parler d'excès d'épargne suppose la définition d'un critère.
S'agit-il d'un excès d'épargne investie ou au contraire d'une
tendance de l'épargne à excéder l'investissement ? Il semble
qu'Hobson reste prisonnier de la première conception. Le
symptôme de l'excès d'épargne est qu'en dépression, de grandes

1. Prospérité et dépression, S.D.N., 1936, p. 131.


2. Le problème du chômage, 1895, est parmi ses ouvrages le plus spécifiquement
consacré à l'analyse du cycle.
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m a s s e s de c a p i t a l r e s t e n t oisives. L ' e x c è s d ' é p a r g n e s ' a p p r é c i e face


au capital e m p l o y a b l e d a n s u n e é c o n o m i e o ù l'inégalité croissante
d e s r e v e n u s d é p r i m e la d e m a n d e .
L'analyse de F o s t e r et Catchings, p e r s o n n a g e s originaux, est
m e n é e en t e r m e s d e f l u x m o n é t a i r e s e t c h e r c h e à i d e n t i f i e r les
f a c t e u r s m e t t a n t en c a u s e la r é a l i s a t i o n d e « l ' é q u a t i o n c o n s o m m a -
t i o n - p r o d u c t i o n » . O r cette é q u a t i o n n'est pas mise en cause direc-
t e m e n t p a r l ' é p a r g n e , p u i s q u e c e t t e é p a r g n e est e m p l o y é e en inves-
t i s s e m e n t o u f o r m a t i o n d e s t o c k s e t se r a m è n e f i n a l e m e n t à u n e
d é p e n s e e n salaires. Mais u n d é s é q u i l i b r e survient l o r s q u ' a p p a r a î t
s u r le m a r c h é l a p r o d u c t i o n s u p p l é m e n t a i r e . L a v a l e u r d e c e t t e p r o -
d u c t i o n n ' e s t p a s d i s p o n i b l e d a n s la p é r i o d e c o m m e p o u v o i r
d ' a c h a t des c o n s o m m a t e u r s puisqu'elle a été d i s t r i b u é e et d é p e n -
s é e à la p é r i o d e p r é c é d e n t e . A i n s i la d i f f é r e n c e e n t r e l ' a r g e n t
c o n s a c r é à la c o n s o m m a t i o n i m m é d i a t e o u c o u r a n t e e t l ' a r g e n t
i n v e s t i e s t q u e « t a n t ô t il s e r t d ' a b o r d à a c h e t e r d e s b i e n s d e
c o n s o m m a t i o n , t a n t ô t il e s t d ' a b o r d c o n s a c r é à p r o d u i r e d a v a n t a g e
des biens de c o n s o m m a t i o n » ' . O n reconnaîtra l'argumentation
d e M a l t h u s e t les m ê m e s o b j e c t i o n s p e u v e n t l u i ê t r e a d r e s s é e s . O n
a c e p e n d a n t fait valoir q u e F o s t e r et C a t c h i n g s a u r a i e n t dégagé
l'idée q u ' u n e croissance régulière est nécessaire à l'équilibre d ' u n e
é c o n o m i e c a p i t a l i s t e 2 , idée q u i sera reprise avec f o r c e lors des dis-
cussions relatives aux p r e m i e r s m o d è l e s de croissance post-keyné-
siens p a r E. D o m a r et s u r t o u t W. F e l l n e r .
C ' e s t s e u l e m e n t le t r o i s i è m e a u t e u r c i t é , J o h a n s e n 3 q u i é c h a p p e
au d o g m e d e l'investissement q u a s i - a u t o m a t i q u e de l'épargne et
a d m e t q u e l'excès d ' é p a r g n e s'apprécie relativement à l'investisse-
m e n t . L ' é p a r g n e c r é é e u n d é f i c i t d e la d e m a n d e q u i d o i t ê t r e c o m -
blé p a r l'investissement. Or, des trois emplois qui s'offrent à
l ' é p a r g n e : la t h é s a u r i s a t i o n , l ' a c h a t d ' a c t i f s e x i s t a n t s e t l ' a c h a t
d'actifs nouveaux, s e u l le t r o i s i è m e s u s c i t e u n e d e m a n d e . L'argu-
m e n t a t i o n r e s t e d i s c u t a b l e , c a r elle néglige les i m p l i c a t i o n s indi-
r e c t e s d e s p r e m i e r s e m p l o i s : e l l e a le m é r i t e d e s u r m o n t e r u n
o b s t a c l e e s s e n t i e l à la f o r m a t i o n d e l a m a c r o é c o n o m i e m o d e r n e .

1. Money, p. 284, cité par J.M. Delettrez, Les récentes théories des crises fondées sur
les disparités des prix, Pédone, 1940.
2. Keynes exprimera l'idée de Foster et Catchings en disant «chaque fois que nous
assurons l'équilibre d'aujourd'hui en augmentant l'investissement, nous aggravons la
difficulté que nous aurons à assurer l'équilibre de demain», Théorie générale, op. cit.,
p. 123.
3. Dans A Neglected Point Connected to Crises, 1908. Voir par exemple H. Denis,
Histoire de la pensée économique, pp. 536, 538.
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SECTION Il

L ' é t a t d e s a n a l y s e s a u m o m e n t d e la g r a n d e c r i s e

Les principaux types d'explications évoqués p r é c é d e m m e n t


t r o u v e n t l e u r d é f e n s e u r s au m o m e n t m ê m e o ù sévit, à p a r t i r de
1 9 2 9 -la c r i s e la p l u s p r o f o n d e d e p u i s l a r é v o l u t i o n i n d u s t r i e l l e . Il
semble c e p e n d a n t intéressant de privilégier u n e c o n t r i b u t i o n q u i
i l l u s t r e le s t a d e d ' i n t é g r a t i o n e t d e d é v e l o p p e m e n t le p l u s a v a n c é
a t t e i n t p a r la t h é o r i e t r a d i t i o n n e l l e d e s f l u c t u a t i o n s . L ' o e u v r e d e
F . V o n H a y e k a p p a r a i t c o m m e u n d e r n i e r d é v e l o p p e m e n t d e la
« s c i e n c e n o r m a l e » p r é - k e y n é s i e n n e . E n c o n t r e p o i n t , le « t r a i t é
d e la m o n n a i e » d e K e y n e s e s t r e p r é s e n t a t i f d e s t â t o n n e m e n t s q u i
e x p l o r e n t des voies alternatives, de cette « r e c h e r c h e extraordinai-
re» d o n t nait u n e révolution scientifique1.

A) UNE S YNTHESE : HA YEK

L ' a n a l y s e d e s crises p r o p o s é e p a r H a y e k i n t è g r e les f a c t e u r s d e


d i s p r o p o r t i o n n a l i t é , d e s u r c a p i t a l i s a t i o n et d e d é s é q u i l i b r e m o n é -
taire2. Elle p r o c è d e d ' u n a priori t h é o r i q u e anti-globaliste, consi-
d é r a n t qu'il est vain de r e c h e r c h e r des e x p l i c a t i o n s causales d a n s
u n e m é c a n i q u e d e q u a n t i t é s g l o b a l e s . U n e v a r i a b l e c o m m e le
n i v e a u g é n é r a l d e s p r i x e s t a i n s i s a n s s i g n i f i c a t i o n : c ' e s t v e r s la
s t r u c t u r e d e s p r i x e t d e l a p r o d u c t i o n q u ' i l f a u t se t o u r n e r p o u r
trouver une explication des m o u v e m e n t s économiques.
L a c a r a c t é r i s a t i o n d e la s t r u c t u r e p r o d u c t i v e est c o n f o r m e à la
t h é o r i e a u t r i c h i e n n e d u c a p i t a l , t a n d i s q u e la s p é c i f i c a t i o n d e s r e l a -
t i o n s m o n é t a i r e s e m p r u n t e s e s é l é m e n t s à W i c k s e l l . Il e n r é s u l t e
u n e a n a l y s e d u c y c l e q u i c o n f i r m e e t r e n f o r c e les c o n c l u s i o n s
traditionnelles pré-keynésienne s.

1.- L a s t r u c t u r e p r o d u c t i v e
D a n s la p e r s p e c t i v e de la t h é o r i e a u t r i c h i e n n e d u c a p i t a l , la p r o -
duction capitaliste repose sur l'utilisation médiate de m o y e n s
o r i g i n e l s d e la p r o d u c t i o n . P a r l e r d ' u n e p r o d u c t i o n p l u s c a p i t a l i s t i -
que, c'est évoquer u n allongement d u processus de p r o d u c t i o n .
Ainsi le c a p i t a l , qui par son origine est l ' e n s e m b l e des moyens

1. Selon la thèse de T. Kuhn, Structure des révolutions scientifiques, 1962, la scien-


ce normale est l'approfondissement des connaissances mené dans le cadre d'un paradig-
me, accepté par une communauté scientifique. La recherche extraordinaire regroupe les
tentatives en vue de dégager de nouveaux principes dont l'adoption éventuelle provoque
une révolution scientifique.
2. L'accès à la pensée de cet auteur est grandement facilité du fait de la publication
d'une traduction de son ouvrage principal dans ce domaine, Prix et production, Calmann-
Lévy, 1975, lre édition, 1931.
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qui ont acheté les f a c t e u r s originels (généralisation du fonds de


salaires c l a s s i q u e ) , r e v ê t à u n m o m e n t d o n n é la f o r m e d e p r o d u i t s
intermédiaires, «en cours de m a t u r a t i o n » , avant d'achever son
cycle lorsqu'émerge du processus une production de biens de
consommation.
U n e r e p r é s e n t a t i o n g r a p h i q u e , inspirée de J e v o n s , est r e t e n u e
par Hayek p o u r i l l u s t r e r le p r o c e s s u s e t s e s m o d i f i c a t i o n s .
L'investissement progressif de m o y e n s originels de p r o d u c t i o n
c o n d u i t à u n e a u g m e n t a t i o n r é g u l i è r e , d e p é r i o d e en p é r i o d e , d e la
valeur d u capital investi, j u s q u ' a u stade des biens de c o n s o m m a t i o n
finals q u i est r e p r é s e n t é p a r la b a s e d u triangle.

Les t e c h n i q u e s de p r o d u c t i o n plus médiates, plus capitalisti-


q u e s , s o n t plus efficaces et p e r m e t t e n t d o n c d ' o b t e n i r u n e p r o d u c -
tion accrue, mais retardée, des biens de c o n s o m m a t i o n . La pro-
ductivité des processus m é d i a t s autorise u n t a u x de r e n d e m e n t posi-
tif, mais qui décroît c e p e n d a n t avec l'allongement d u d é t o u r de
production. L ' a d o p t i o n d ' u n e technique plus capitalistique n'est
d o n c p r o f i t a b l e q u e d a n s le c a s o ù l e t a u x d ' i n t é r ê t e s t i n f é r i e u r
au t a u x d e r e n d e m e n t ; elle suivra d o n c n o r m a l e m e n t u n e baisse
d u t a u x d ' i n t é r ê t . C e l a e n t r a i n e r a u n e baisse t e m p o r a i r e d e la p r o -
d u c t i o n des biens d e c o n s o m m a t i o n , p u i s q u e m o i n s de processus
a r r i v e r o n t à m a t u r i t é ; elle sera suivie d ' u n e h a u s s e de c e t t e
p r o d u c t i o n , p u i s q u e les p r o c e s s u s s o n t p l u s e f f i c a c e s . Si c e t t e
s u b s t i t u t i o n t e m p o r a i r e d e la p r o d u c t i o n d e s b i e n s d e p r o d u c t i o n
à c e l l e d e s b i e n s d e c o n s o m m a t i o n e s t r a t i f i é e a p r i o r i p a r les c o m -
p o r t e m e n t s , si e l l e r é s u l t e d ' u n e é p a r g n e v o l o n t a i r e , l ' e x p a n s i o n
p e u t s e p o u r s u i v r e s a n s p r o b l è m e . Si e n r e v a n c h e c e t t e s u b s t i t u t i o n
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e s t i m p o s é e p a r l e s e n t r e p r e n e u r s , p a r le r e c o u r s a u c r é d i t ,
engendrant une épargne forcée, un développement déséquilibré
s'amorce. Q u a n d l'augmentation des m o y e n s de paiement atteint
les c o n s o m m a t e u r s , c e s d e r n i e r s s o n t e n m e s u r e d ' e x e r c e r u n e
demande accrue de biens de c o n s o m m a t i o n qui entre en conflit
avec le d é v e l o p p e m e n t d e s p r o c e s s u s c a p i t a l i s t i q u e s e n c o u r s .
D e c e c o n f l i t r é s u l t e l ' a b a n d o n a v a n t t e r m e d e s p r o c e s s u s les
p l u s l o n g s , a v e c l e u r l i q u i d a t i o n c o m m e c a p i t a l . C e q u i e s t la
s u b s t a n c e m ê m e d e l a c r i s e . O n r e m a r q u e q u e c e t t e a n a l y s e se r a t -
t a c h e à la t h è s e d e l ' i n s u f f i s a n c e d e l ' é p a r g n e , p u i s q u e c ' e s t f a u t e
d e d i s p o s e r d e b i e n s d e p r o d u c t i o n s u f f i s a n t s p o u r les a l i m e n t e r ,
d u m o i n s à u n p r i x l e u r c o n s e r v a n t u n e r e n t a b i l i t é , q u e les p r o c e s -
sus les plus d é t o u r n é s d o i v e n t ê t r e a b a n d o n n é s .

2.- L ' é q u i l i b r e m o n é t a i r e

Les fluctuations d a n s l'accumulation d u capital proviennent


d'une rupture de l'équilibre monétaire, selon u n e conception
e m p r u n t é e à K. Wickselli. A l'équilibre m o n é t a i r e en effet, t o u t e
l ' é p a r g n e e s t v o l o n t a i r e , d o n c le t r a n s f e r t d e s r e s s o u r c e s a u p r o f i t
de processus plus d é t o u r n é s est définitif et n'est pas remis en cause.
C ' e s t à p a r t i r d ' u n e c r i t i q u e de la t h é o r i e q u a n t i t a t i v e q u e W i c k -
sell c o n s t r u i t s a t h é o r i e d e l ' é q u i l i b r e m o n é t a i r e d o n t l ' i n f l u e n c e
s e r a d é c i s i v e . Il p e n s e e n e f f e t q u e l a v i t e s s e d e c i r c u l a t i o n d e la
m o n n a i e p r o p r e m e n t dite2 est instable, car, sous certaines condi-
tions d'ordre institutionnel, il e s t en effet possible de démulti-
p l i e r p a r le c r é d i t l ' u s a g e d e la m o n n a i e e t d o n c d ' e n a c c é d e r la c i r -
c u l a t i o n . O r , la d e m a n d e de c r é d i t b a n c a i r e est g o u v e r n é e p a r u n
é c a r t e n t r e d e u x t a u x , le p r i x d ' o f f r e d u c r é d i t b a n c a i r e o u t a u x
m o n é t a i r e et u n e référence q u e Wicksell définit successivement com-
m e t a u x naturel, qui égaliserait épargne et investissement dans
u n e é c o n o m i e sans m o n n a i e , puis c o m m e t a u x n o r m a l , c'est-à-
d i r e c o m m e t a u x d ' é q u i l i b r e s u r le m a r c h é d e s f o n d s p r é t a b l e s
dans une économie monétaire. Dans une économie de crédit
simple, l'offre de crédit est égale à l ' é p a r g n e et d o n c f a i b l e m e n t
élastique au t a u x d ' i n t é r ê t : u n déséquilibre e n t r e t a u x m o n é t a i -
r e e t t a u x n o r m a l se r é s o u d r a p i d e m e n t p a r u n a j u s t e m e n t d u
taux monétaire. E n situation de crédit organisé, une création

1. Intérêt et prix, 1898, édition anglaise, 1936 ; Lectures on Political Economy,


vol. II, Money, édition anglaise, 1935. Pour une présentation en français, on peut
consulter par exemple J. Marchal et J. Lecaillon, Les flux monétaires, Editions Cujas.
2. Ou de la «monnaie banque centrale». Le crédit bancaire sera considéré, suivant
le Banking Principle, comme un moyen d'accélérer la circulation, non d'augmenter le stock
de monnaie. -
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m o n é t a i r e s'ajoute à 1épargne p o u r f o r m e r l'offre de crédit d o n t


l'élasticité se t r o u v e considérablement accrue ; u n a j u s t e m e n t de
t a u x s'accompagne alors d ' u n e variation i m p o r t a n t e des m o y e n s
d e p a i e m e n t m i s à la d i s p o s i t i o n d e s e n t r e p r i s e s , e t d o n c d e l e u r
d e m a n d e d e b i e n s d e p r o d u c t i o n . E n f i n , si les b a n q u e s n e s o n t
tenues par a u c u n e exigence en matière de réserves en m o n n a i e
centrale, ce q u e Wicksell appelle é c o n o m i e de p u r crédit, l'offre de
crédit est p a r f a i t e m e n t é l a s t i q u e au t a u x d ' i n t é r ê t . L e t a u x m o n é -
taire ne remplit plus a u c u n rôle r é g u l a t e u r et u n processus c u m u l a -
t i f p e u t s e d é v e l o p p e r à l a h a u s s e o u à la b a i s s e .
Hayek retient l'idée de disparité des taux c o m m e m o t e u r du
processus d'expansion et de contraction, ainsi que le rôle du
crédit p e r m e t t a n t d'exercer u n e d e m a n d e de biens de production,
o u de facteurs originels, au-delà de l'épargne volontaire. Cette
d e m a n d e s ' e x e r ç a n t a u d e l à d e la v a l e u r d e l ' o f f r e s u s c i t e u n e h a u s s e
des prix et u n r a t i o n n e m e n t des c o n s o m m a t e u r s qui p r o v o q u e n t
u n e épargne forcée. A l'opposé, l'égalité des t a u x caractérise l'équi-
libre m o n é t a i r e .

3.- Une synthèse représentative


L'analyse de H a y e k est particulièrement représentative d ' u n e
p e n s é e p r é - k e y n é s i e n n e , a v e c s e s b l o c a g e s q u e la « t h é o r i e g é n é -
rale» p e r m e t t r a de s u r m o n t e r , m a i s aussi avec l ' a t t e n t i o n a t t a c h é e
a u x p r o b l è m e s de s t r u c t u r e d e s p r i x et de la p r o d u c t i o n , q u ' o c c u l -
t e r a l ' o u v r a g e d e K e y n e s 1 o u d u m o i n s sa l e c t u r e e x c e s s i v e m e n t glo-
baliste.
P o u r H a y e k , il e s t c l a i r q u e le p r i n c i p a l d é t e r m i n a n t d e s v a r i a -
t i o n s d e l a p r o d u c t i o n r é s i d e d a n s l e s m o d i f i c a t i o n s a f f e c t a n t le
m o d e d ' e m p l o i d e s f a c t e u r s — la s t r u c t u r e p r o d u c t i v e — e t n o n p a s
l e u r n i v e a u d ' e m p l o i . Q u e le t a u x d ' i n t é r ê t b a n c a i r e t o m b e a u - d e s -
s o u s d u t a u x d ' é q u i l i b r e , il e n r é s u l t e r a u n d é p l a c e m e n t d e s f a c t e u r s
v e r s le s e c t e u r d e s b i e n s d e p r o d u c t i o n a u d é t r i m e n t d e la
p r o d u c t i o n de biens de c o n s o m m a t i o n , mais pas u n e a u g m e n t a t i o n
de l'emploi des facteurs. R e m a r q u o n s au passage q u ' u n e telle
c o n c e p t i o n n e r e m e t a b s o l u m e n t p a s e n c a u s e la loi d e s d é b o u c h é s .
L e d i a g n o s t i c d ' e x c è s d ' é p a r g n e à l ' o r i g i n e d e la c r i s e c o n d u i t
é v i d e m m e n t à des propositions de politique é c o n o m i q u e diamétra-
lement opposées aux préceptes keynésiens qui ont prévalu depuis
la g u e r r e . A i n s i m e n e r u n e p o l i t i q u e d e t r a v a u x p u b l i c s e n p é r i o d e
de sous-emploi est u n faux remède. L ' e m p r u n t public nécessaire
p o u r l e s f i n a n c e r v i e n d r a p u i s e r d a n s la c a p a c i t é d ' é p a r g n e d o n n é e
de l ' é c o n o m i e , a u d é t r i m e n t d e s i n v e s t i s s e m e n t s privés. L e seul

1. et que s'efforcent de retrouver les analyses contemporaines.


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r é s u l t a t s e r a la s u b s t i t u t i o n à un emploi productif de cette


épargne d'un emploi improductif.
U n e a n e c d o t e r a p p o r t é e p a r J . R o b i n s o n é c l a i r e ce p o i n t d e v u e .
R o b b i n s , désirant c o n t r e r l'influence grandissante de K e y n e s , avait
i n v i t é H a y e k à p r é s e n t e r s a t h é o r i e e n A n g l e t e r r e . A la f i n d e l ' e x p o -
sé, u n c o l l a b o r a t e u r d e K e y n e s , R . F . K a h n lui d e m a n d a : « V o u l e z -
v o u s d i r e q u e si j e m e l è v e et vais m a i n t e n a n t a c h e t e r , p a r
e x e m p l e , u n i m p e r m é a b l e , cela va a g g r a v e r la crise» ? - « O u i » ,
répondit Hayek, «cela prendrait un long développement m a t h é m a -
t i q u e p o u r le d é m o n t r e r , m a i s c ' e s t b i e n ce q u e j e v e u x d i r e » .

B) UNE TENTATIVE .
LE <rTRAITE DE I A MONNAIE» DE KEYNES

E c r i t e n 1 9 3 0 , le « T r a i t é d e l a M o n n a i e » m a r q u e u n e c o u p u r e
d a n s la p e n s é e d e l ' a u t e u r l . O n y t r o u v e , à c ô t é d ' u n e a n a l y s e
m o n é t a i r e p l u s d é v e l o p p é e e t q u i é c l a i r e les c o n c e p t s d e la « t h é o -
rie g é n é r a l e » d e s t r a i t e m e n t s s i g n i f i c a t i f s s u r la d é t e r m i n a t i o n d u
r e v e n u e n v a l e u r e t la r e l a t i o n d e l ' é p a r g n e à l ' i n v e s t i s s e m e n t .
D a n s son e f f o r t p o u r c o n t e s t e r l'égalité a ù t o m a t i q u e de l'inves-
t i s s e m e n t et de l'épargne, K e y n e s p r o p o s e u n e définition particu-
lière de ces d e u x c o n c e p t s . L e r e v e n u ( E ) est égal a u c o û t d e s fac-
t e u r s : salaires et r é m u n é r a t i o n n o r m a l e d e s e n t r e p r e n e u r s . C e t I
é t a n t les d é p e n s e s e f f e c t i v e s r e s p e c t i v e m e n t e n a c h a t s d e b i e n s d e
c o n s o m m a t i o n et d e p r o d u c t i o n , et d o n c les r e c e t t e s c o r r e s p o n d a n -
t e s d e s e n t r e p r e n e u r s , o n a p p e l l e p r o f i t la d i f f é r e n c e e n t r e c e s
r e c e t t e s e t les c o û t s d e p r o d u c t i o n , s o i t r e s p e c t i v e m e n t Q I = C — C '
sur les b i e n s d e c o n s o m m a t i o n et Q 2 = 1 — l ' s u r les b i e n s d ' i n v e s -
tissement.
L ' é p a r g n e S é t a n t d é f i n i e c o m m e le r e v e n u n o n d é p e n s é e n
a c h a t s d e b i e n s d e c o n s o m m a t i o n S = E — C , il y a é g a l i t é n é c e s -
saire e n t r e l ' i n v e s t i s s e m e n t / d ' u n e p a r t et d ' a u t r e p a r t la s o m m e
S + Q de l'épargne et des profits. Ainsi l'égalité de l'investissement
et de l'épargne n'est plus u n e nécessité, mais u n e c o n d i t i o n de
l'équilibre m a c r o é c o n o m i q u e ou selon l'expression de Keynes, de
l'équilibre monétaire.
L ' o b j e t e x p l i c i t e d e l ' o u v r a g e est t o u j o u r s d ' e x p l i q u e r les varia-
t i o n s d e s p r i x , et n o n de la p r o d u c t i o n . A i n s i K e y n e s p r o p o s e - t - i l
des «équations f o n d a m e n t a l e s » destinées dans son esprit à rempla-
c e r la t h é o r i e q u a n t i t a t i v e .

1. Pour un exposé en français, voir J. Marchai et J. Lecaillon, ouvrage cité, ou l'étude


de M.H. Devillers, «Du Traité de la monnaie à la théorie générale», dans l'ouvrage collec-
tif, Controverses sur le système keynésien, Economica, 1975.
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/ + C
S o i t 1T le n i v e a u g é n é r a l d e s p r i x e t 0 = le v o l u m e d u p r o -
n
duit total ; c o m m e I + C = E + Q, c o û t des facteurs plus profits,
o n a l ' e x p r e s s i o n d e 1T :

O n n o t e d e m ê m e P le p r i x d e s b i e n s d e c o n s o m m a t i o n e t R
leur volume C = P R = C' + QI par définition. Par u n e simplifica-
t i o n d ' a i l l e u r s a b u s i v e , K e y n e s c h o i s i t les u n i t é s d e m a n i è r e à éga-
l e r le c o û t m o n é t a i r e d e s b i e n s d e c o n s o m m a t i o n C ' / R à c e l u i d e
la p r o d u c t i o n t o t a l e E / O , d ' o ù l ' é q u a t i o n d e p r i x :

On voit ainsi q u e les p r i x s o n t g o u v e r n é s p a r les c o û t s ( « i n -


c o m e i n f l a t i o n » ) et les p r o f i t s ( « p r o f i t s i n f l a t i o n » ) , ce d e r n i e r t e r m e
é t a n t m e s u r é p a r l ' é c a r t i n v e s t i s s e m e n t - é p a r g n e p o u r le n i v e a u g é n é -
ral des prix, p a r l'écart c o û t de p r o d u c t i o n de l'investissement-
é p a r g n e p o u r les p r i x d e s b i e n s d e c o n s o m m a t i o n .
Les variations de r e v e n u s sont c e p e n d a n t étudiées lorsque K e y -
nes d é v e l o p p e les c o n s é q u e n c e s p a r a d o x a l e s d e s o n a n a l y s e q u i
r e m e t t e n t e n c a u s e les m é c a n i s m e s u s u e l s d e r e t o u r à l ' é q u i l i b r e .
A i n s i , si l e s p r o d u c t e u r s r é d u i s e n t l e u r i n v e s t i s s e m e n t ( I ) p o u r
f a i r e f a c e à u n e p e r t e , ils r é d u i s e n t d ' a u t a n t l a d é p e n s e t o t a l e , d o n c
l e u r r e c e t t e et l e u r p e r t e s ' a c c r o î t d ' a u t a n t : telle e s t la c o n c l u s i o n
d e la p a r a b o l e d e la p l a n t a t i o n d e b a n a n i e r s . S y m é t r i q u e m e n t ,
q u e les e n t r e p r e n e u r s a c c r o i s s e n t l e u r d é p e n s e d ' i n v e s t i s s e m e n t ,
c e f a i s a n t ils a c c r o i t r o n t l e u r s r e c e t t e s e t l e u r p r o f i t e t n ' a u r o n t
pas à réduire leur c o n s o m m a t i o n et K e y n e s é v o q u e l'épisode bibli-
q u e d e l a j a r r e d e la v e u v e ( W i d o w ' s c r u s e ) , q u e K a l e c k i e x p r i m e r a
p a r le p r i n c i p e c é l è b r e : « L e s t r a v a i l l e u r s d é p e n s e n t ce q u ' i l s
g a g n e n t , les c a p i t a l i s t e s g a g n e n t ce q u ' i l s d é p e n s e n t » .
Il e s t i n u t i l e d e s o u l i g n e r c e q u e c e s e x e m p l e s o n t d e s o m m a i r e ,
en particulier q u a n t au traitement des coûts de production. L'essen-
tiel est q u e d a n s l ' a r g u m e n t a t i o n , les a j u s t e m e n t s d e p r i x n ' i n t e r -
v i e n n e n t p l u s s e u l s e t q u e le n i v e a u d u f l u x d e p r o d u i t i n t e r v i e n n e
lui-même c o m m e u n e variable. Cela n ' a p p a r a i t r a q u e progressive-
m e n t à K e y n e s , n o t a m m e n t d a n s le c o m m e n t a i r e d e J o a n R o b i n s o n
a u t i t r e é v o c a t e u r : « T h e o r y o f M o n e y as A n a l y s i s o f O u t p u t » l .
P e n s a n t c o n s t r u i r e u n e t h é o r i e d e la m o n n a i e , K e y n e s avait j e t é
l'ébauche d ' u n e théorie du niveau du produit national.
1. Review o f Economic Studies, 1932.
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SECTION III

La croissance : S c h u m p e t e r

La régularité et l'ampleur des crises p o u v a i t o c c u l t e r la t e n -


d a n c e à l ' é l é v a t i o n e n l o n g u e p é r i o d e d e la p r o d u c t i o n . S a n s
d o u t e est-ce l à u n e r a i s o n d e la r a r e t é d e s a n a l y s e s relatives à la
c r o i s s a n c e . E n f a i t , il e s t f r a p p a n t d e c o n s t a t e r q u e l a c r o i s s a n c e
n'est pas tant absente des réflexions des principaux économistes
d e la p é r i o d e 1 8 7 0 - 1 9 3 0 q u e j u x t a p o s é e e t n o n i n t é g r é e à l e u r s y s -
tème théorique. Joseph Schumpeter propose une construction
t h é o r i q u e q u i o u v r e la voie à u n e c o n c e p t u a l i s a t i o n d e la c r o i s s a n c e
q u i d é b o r d e c e r t e s le s y s t è m e n é o c l a s s i q u e , m a i s le r e t i e n t c o m m e
fondementl. A sa f o r m a t i o n marginaliste, l'auteur joint en effet
u n e c o m p r é h e n s i o n a p p r o f o n d i e des analyses de l'école historique
et du marxisme.
Le p o i n t de d é p a r t de l'analyse est u n e image d u «circuit»,
terme par lequel l'auteur désigne u n e économie fonctionnant dans
des c o n d i t i o n s i n c h a n g é e s de p é r i o d e en p é r i o d e et d ' o ù t o u t profit
serait exclu. L ' é v o l u t i o n 2 s ' o p p o s e a u c i r c u i t e n ce q u ' e l l e s u p p o s e
n o n seulement une croissance quantitative mais également un
c h a n g e m e n t q u a l i t a t i f des b i e n s et des t e c h n i q u e s . Le m o t e u r
de l'évolution est l ' i n n o v a t i o n q u e m e t e n œ u v r e l ' e n t r e p r e n e u r
p a r le m o y e n d u c r é d i t .

A) INNOVATION E T ENTREPRISE

Dans la vision néoclassique statique que l'on rencontre par


e x e m p l e chez Walras, l'entrepreneur est l'agent qui opère des
c o m b i n a i s o n s p r o d u c t i v e s e n a c q u é r a n t les d i v e r s s e r v i c e s p r o d u c -
t e u r s n é c e s s a i r e s à l ' o b t e n t i o n d e s b i e n s . P o u r S c h u m p e t e r , la f o n c -
t i o n d ' e n t r e p r i s e n e c o n s i s t e p a s d a n s la m i s e e n œ u v r e r é p é t i t i v e
d e c o m b i n a i s o n s p r o d u c t i v e s , m a i s e s s e n t i e l l e m e n t d a n s la r é a l i -
sation de c o m b i n a i s o n s nouvelles, ce q u e l'auteur d é n o m m e
l'innovation.
L'innovation n'est pas ici assimilée à l'augmentation du
savoir relatif aux techniques praticables mais recouvre un
c o n t e n u à l a f o i s p l u s é t r o i t e t p l u s l a r g e . P l u s é t r o i t , c a r il n ' e s t
r e l a t i f q u ' a u s t a d e d e l a m i s e e n œ u v r e e f f e c t i v e ; p l u s l a r g e , c a r il
n e se l i m i t e p a s a u x c h a n g e m e n t s a f f e c t a n t les t e c h n i q u e s d e f a b r i -
cation. En fait, cinq catégories d'innovations sont distinguées :

1. Dans sa théorie de l'évolution économique, lre édition, 1912 traduction fran-


çaise précédée d'une présentation de F. Perroux en 1935.
2. D'après la traduction retenue à l'époque du terme «Entwicklung» il serait plus
conforme à la pensée de l'auteur et à la pratique actuelle de parler de développement.
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1. la f a b r i c a t i o n d ' u n p r o d u i t n o u v e a u ,
2. l'introduction d ' u n e m é t h o d e de production nouvelle,
3. l'ouverture d'un nouveau débouché,
4. la c o n q u ê t e d ' u n e n o u v e l l e s o u r c e d e m a t i è r e p r e m i è r e ,
5. la m i s e e n œ u v r e d ' u n e n o u v e l l e m é t h o d e d ' o r g a n i s a t i o n d e
la p r o d u c t i o n .
Le p o i n t c o m m u n à ces cinq m o d a l i t é s réside dans leur carac-
t è r e q u a l i t a t i f , q u i j u s t i f i e à ses y e u x le c a r a c t è r e e s s e n t i e l l e m e n t
d i s c o n t i n u d e l'innovation. « A j o u t e z a u t a n t de chaises de p o s t e q u e
v o u s voulez, v o u s n ' o b t i e n d r e z j a m a i s u n c h e m i n de fer».
S a n s é c a r t e r les f o n c t i o n s t r a d i t i o n n e l l e s d e l ' e n t r e p r e n e u r , rela-
tives à la c o o r d i n a t i o n d e s f a c t e u r s o u à l ' a d a p t a t i o n d e l ' o f f r e à la
d e m a n d e , S c h u m p e t e r r e t i e n t la r é a l i s a t i o n d e l ' i n n o v a t i o n c o m m e
sa f o n c t i o n essentielle. L a d i s c o n t i n u i t é d u p r o c e s s u s s u p p o s e u n e
décision, un personnage doté de pouvoir qu'incarnent les
q u a t r e t y p e s h i s t o r i q u e s d ' e n t r e p r e n e u r s q u e r e c e n s e l ' a u t e u r : le
f a b r i c a n t - c o m m e r ç a n t d e s t e m p s m o d e r n e s , le c a p i t a i n e d ' i n d u s t r i e
d e la r é v o l u t i o n i n d u s t r i e l l e , l e d i r e c t e u r e t le f o n d a t e u r d a n s le
c a p i t a l i s m e d e s s o c i é t é s a n o n y m e s d e la f i n d u X I X e .
A la d i f f é r e n c e d e l ' e n t r e p r e n e u r w a l r a s i e n « q u i n e f a i t n i b é n é -
fice ni p e r t e » , l ' e n t r e p r e n e u r de S c h u m p e t e r réalise u n p r o f i t , r é m u -
n é r a t i o n d e l a f o n c t i o n d ' i n n o v a t i o n e t q u ' a u t o r i s e le m o n o p o l e
temporaire que lui c o n f è r e la c o m b i n a i s o n nouvelle. Cependant
le p r o f i t n ' e s t p a s le m o b i l e u n i q u e d e c e p e r s o n n a g e , m û p a r la
v o l o n t é d e puissance et l'instinct d e création. La c o n c e n t r a t i o n
d u capital t e n d c e p e n d a n t à b u r e a u c r a t i s e r l ' i n n o v a t i o n et à pri-
v e r l a f o n c t i o n d ' e n t r e p r i s e d e s a j u s t i f i c a t i o n la p l u s p r o f o n d e .
L o g i q u e avec son analyse, S c h u m p e t e r y verra u n f a c t e u r m e t t a n t
e n c a u s e la s u r v i e d u c a p i t a l i s m e 1 .

B) LE MECANISME DE L'E VOL UTION

Pas plus q u e l'entrepreneur walrasien, l'innovateur ne dispose a


p r i o r i d e s r e s s o u r c e s n é c e s s a i r e s . Il d o i t s e l e s p r o c u r e r e t à l ' a i d e d e
ressources d ' e m p r u n t , acquérir des facteurs de p r o d u c t i o n antérieu-
rement a f f e c t é s à d e s c o m b i n a i s o n s t r a d i t i o n n e l l e s p o u r les
i n t é g r e r à d e s c o m b i n a i s o n s n o u v e l l e s . P a r u n a c t e d e p o u v o i r , il v a
l e s « d é t a c h e r d u c i r c u i t » a u m o y e n d u c r é d i t . Si l ' é v o l u t i o n e s t e n
c o u r s , le c r é d i t p e u t c o r r e s p o n d r e à l ' u t i l i s a t i o n d ' u n e é p a r g n e a n t é -
r i e u r e . Si a u c o n t r a i r e o n r a i s o n n e s u r le p a s s a g e d u c i r c u i t à
l ' é v o l u t i o n , a l o r s le c r é d i t c o r r e s p o n d à u n e c r é a t i o n p a r les b a n q u e s
d e m o y e n s d e p a i e m e n t n o u v e a u x . L e b a n q u i e r e s t ici l ' i n t e r m é d i a i -

1. Dans son ouvrage Capitalisme, socialisme et démocratie écrit dans le contexte


intellectuel de la grande crise et publié en 1944.
Retrouver ce titre sur Numilog.com

B - Les propagations 484


C - Les caractéristiques de la régulation contemporaine . 487
D - Critique des politiques de régulation globale . . . . . . 491

CONCLUSION 495
INDEX DES AUTEURS CITES ...................................... 496
INDEX ANALYTIQUE 502
TABLE DES MATIERES . 507

Composé par Economica, 49, rue Héricart, 75015 PARIS


Imprimé en France. — Imprimerie JOUVE, 17, rue du Louvre, 75001 PARIS
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