Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide
range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and
facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact support@jstor.org.
Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at
https://about.jstor.org/terms
is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Revue d'économie
politique
D'ÉCONOMIE POLITIQUE
STRUCTURES SOCIALES
ET CROISSANCE ECONOMIQUE
SU Ri LES LIMITES
D'UNE THÉORIE ÉCONOMIQUE
DE LA CROISSANCE *
(1) Il convient de préciser ici notre terminologie. Nous appelons évolution les
transformations à long terme d'un ensemble économique et social. Nous distinguons
trois types d'évolution : la croissance, la stagnation, la régression, qui se définissent
par le changement des dimensions des unités économiques, le changement des struc
tures et des systèmes, et par des progrès. (On rencontre parfois une distinction sup
plémentaire entre croissance et développement, le développement étant une crois
sance avec des modifications de structure ; elle ne nous paraît pas décisive, car il est
difficile d'envisager une croissance qui ne soit pas accompagnée d'une modification
des structures). Nous distinguerons enfin croissance et progrès : comme l'a montré
F. Perroux, une économie est progressive, quand les effets de l'innovation s'y pro
pagent au plus vite et aux moindres coûts sociaux, dans un réseau d'institutions
économiques dont le sens s'universalise ; sur les trois « moments » du progrès :
création, propagation, signification, cf. F. Perroux : Théorie Générale du Progrès
Economique, Cahiers de l'ISEA. 1956-1957 et Prise de vues sur la Croissance de
l'Economie Française, 1780-1950, dans Income and Wealth (I. A. R. I. W.). Séries V,
p. 41 sqq.
(10) J'ai présenté pour la première lois cette notion dans « Etudes Economique
Mir le Moyen-Orient », dans les Cahiers de Tunisie, n° 1,1953. Pour une application d
eette notion, cf. mon article : Développement Economique et Biologie Sociale, da
Critique, déc. 1954 et le Développement Economique, Cahiers de l'ISEA, série
(à paraître).
Sur la dynamique des structures, on consultera A. Marchai : Méthode Scientifiqu
et Science Economique, t. II, p. 212 sqq. M. A. Piettre a présenté d'intéressant
suggestions pour l'élaboration d'une telle dynamique dans les Deux Aspects de
Dynamique des Structures, Revue d'Economie politique, mars-avr. 1957.
listes ne sont pas inutiles, mais il est clair que le problème est de
dépasser le stade du puzzle et de coordonner dans un schéma
théorique les facteurs nécessaires et suffisants de la croissance ;
3) Des cadres souples d'intégration des facteurs économiques
et sociaux de la croissance : le plus intéressant est celui de
W. W. Rostow, qui groupe six propensions « résumant la réponse
effective d'une société à son environnement, dans une certaine
période, à travers ses institutions existantes et ses groupes
sodaux dirigeants » (12) : la propension à développer la science
fondamentale (physique et sociale) ; la propension à appliquer
la science à des fins économiques ; la propension à accepter les
innovations ; la propension à rechercher le progrès matériel ; la
propetision à consommer ; la propension à avoir des enfants.
L'essai de Rostow est habile, mais cette habileté ne suffit pas à
masquer le caractère incertain des propensions, l'absence d'une
classification des stimulants qui mettent en action ces propen
sions, l'insuffisance des relations causales entre les variables
choisies (13).
L'échêc relatif de ces diverses tentatives est peu douteux ; il
tient essentiellement à la nature de la question qu'il fallait maî
triser. Trois difficultés principales se présentent en effet :
a) il a été difficile jusqu'ici, en raison de l'insuffisance de nos
connaissances historiques, de lier de façon plausible certaines
caractéristiques sociales à l'efficacité économique ;
b) ni la science économique, ni les disciplines voisines ne dis
posent encore de schémas théoriques relativement sûrs ;
c) on peut enfin se demander si l'on peut espérer obtenir dans
l'étude de la croissance économique et sociale davantage qu'une
« histoire raisonnée » ; la détermination de lois ou de régularités
suppose que l'on parvienne à mettre à jour des caractéristiques
structurelles relativement stables ; or la croissance à long terme
constitue « un processus de changements cumulatifs plutôt que
de changements répétés » (14).
Il n'entrera pas par conséquent dans mon propos de rechercher
une synthèse nouvelle et supplémentaire. Une autre démarche
me paraît mériter davantage d'être suivie. Nous disposons sur
— L'Etat est le siège d'un conflit entre les autorités qui fon
dent leur pouvoir sur la tradition et le renforcement des intérêts
acquis au sein de l'ordre établi et celles qui désirent prendre
appui sur la minorité économique et sociale agissante ; le plus
souvent les premières constituent principalement le gouverne
ment ; les secondes sont plus nombreuses dans l'administration.
Cette analyse peiit être illustrée par des exemples très diffé
rents. Elle ne convient point seulement aux sociétés d'Europe
Occidentale au xvn" et au xviii" siècle, à propos desquelles on a
coutume d'évoquer les transformations intellectuelles de la
Renaissance et de la Reforme, les transformations sociales qui
se traduisent par l'apparition de ces groupes divers que l'on ras
semble sous le nom de «bourgeoisie», et les transformations
politiques apportées par une rationalisation du pouvoir, qui pré
cèdent la Révolution Industrielle de la fin du xvm* siècle (19).
Elle convient tout autant à éclairer la lente évolution de la
(24) S. Kuznets : Sur la croissance économique des nations modernes, op. cit.,
p. 241.
des titres d'Etat qui leur serviront soit à fonder des Banques,
soit à acheter à partir de 1880 les usines que l'Etat avait créées.
Il substitue en 1872 à l'impôt foncier en nature, un impôt en
argent qui constituera jusqu'en 1880 la plus grande part des
ressources budgétaires affectées au financement des investisse
ments publics.
L'accroissement du taux d'investissement — de 5 % à 10 %
ou plus du revenu national (25) —, lié à la réalisation d'inno
vations majeures, s'accompagne en outre d'une modification de
la structure de la population active (migrations des campagnes
vers les villes et des emplois agricoles vers les emplois non agri
coles) ainsi que d'un accroissement de l'inégalité des revenus.
Le succès de cette « phase de décollage » apparaît cependant
devoir être fonction à la fois de la réceptivité du milieu à la crois
sance — qui dépend des transformations de la période précé
dente — et du contrôle des tensions sociales que suscitent les
transformations rapides de la période de transition. Les pro
blèmes soulevés à l'heure actuelle par le développement des pays
sous-développés renforçent ces conclusions. Les difficultés que
rencontrent ces pays, en dépit de leurs efforts d'investissement,
de leur politique souvent courageuse, du dévouement d'une élite
politique et intellectuelle soucieuse de progrès, tiennent en pre
mier lieu à l'inadaptation du milieu social. La grande masse de
la population reste, dans la plupart de ces pays, fidèle à ses
valeurs traditionnelles, à ses tabous, à ses croyances religieuses
qui dominent toutes les activités.
Poussée en même temps à réclamer le niveau de vie des peu
ples développés, que lui font entrevoir les moyens modernes de
diffusion de l'information, elle croit pouvoir dériver directement
le bien-être de la pauvreté. Le conflit des valeurs traditionnelles
et de l'idéal occidental de productivité est aggravé par l'explosion
des passions politiques et des idéologies, que la minorité diri
geante parvient mal à maîtriser ; celle-ci, qui est principalement
une intelligentsia, ne peut prendre appui sur une bourgeoisie ou
une classe moyenne capable de fournir des cadres économiques
ou administratifs (26).
(25) W. W. Rostow : article cité, p. 33. A. Lewis, dans The Theory of Economic
Growth indique le même ordre de grandeur pour le taux d'investissement (p. 225).
(26) Rapprocher de J. Ben David, la Nouvelle Classe des pays sous-développés,
Esprit, février 1958, p. 201 et suiv.
(30) J'ai procédé à cette comparaison dans mon article des Cahiers de Tunisie,
op. cit., 1953.
(31) The Economic Journal, déc. 1957, p. 591, et plus particulièrement p. 618.
C'est dans les économies évoluées que les liens entre l'accu
mulation et l'innovation sont décisifs. Mais ici encore, le montant
de l'innovation et la propagation de l'innovation sont liés aux
structures sociales :
II
(34) Ce point a été justement souligné par Talcott Parsons : Some Reflections on
the institutional Framework of Economic Development, dans The Challenge of
Development : A Symposium (Jérusalem, 26-27 juin 1957) miméographié. On se repor
tera également aux cours de sociologie consacrés par R. Azon au développe
ment de la société industrielle (SEDES. Paris).
(35) Outre l'ouvrage cité au texte et Economy and Society, précédemment cité,
on se reportera à « Eléments pour une sociologie de l'Action » (Pion, 1955), avec une
remarquable introduction de M. François Bourricaud. Nous avons adopté, pour les
termes techniques, la traduction proposée par M. Bourricaud. Cf. aussi B. F. Hoze
litz : Social Structure and Economic Growth ; Economia Internazionale, août 1953.
Enfin, l'Etat est développé, mais son rôle est limité par la fai
blesse des buts collectifs spécifiques à promouvoir : la société
est individualiste et anti-autoritaire.
(36) Sur la résistance des structures sociales, cf. J. Lhomme, * Structures Econo
miques et structures sociales ». Revue Economique, sept. 1956.
(37) La citation de Domar est extraite des Essays, op. cit., p. 12. Le texte de
Keynes est tiré des « Perspectives Economiques pour nos petits enfants », dan
Essais de Persuasion (trad, française, Gallimard, p. 274).