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Editions Belin

Les économistes russes entre orthodoxie marxiste et radicalisme libéral


Author(s): Natalia Chmatko
Source: Genèses, No. 47, L'Individu social (juin 2002), pp. 123-139
Published by: Editions Belin
Stable URL: https://www.jstor.org/stable/26202728
Accessed: 10-07-2020 15:13 UTC

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ont été proposés par différents


De multiples programmes
groupes de réformes
d'économistes soviétiques
entre 1989 et 1992. Ceci nous invite à analyser
les conditions d'élaboration de ces pro

Les économistes
grammes et à étudier les facteurs qui ont
déterminé les choix finaux qui ont été faits.
C'est en effet à travers la participation des
russes entre économistes à la construction de ces pro
grammes qu'on peut le mieux saisir les oppo
sitions qui existent entre eux, en particulier à
orthodoxie un moment où toutes les variantes possibles
étaient (théoriquement) envisageables et où

marxiste chacun de ces groupes d'économistes luttait


pour imposer son modèle. Ce moment de la
réforme a pour vertu de pouvoir mettre au
et radicalisme jour le système de leurs positions tel qu'il
existe au sein de la discipline et à l'intérieur

libéral des institutions économiques mises en place


en Russie vers la fin des années quatre
vingts1. Par ailleurs, la polarisation politique
de cette période a joué un rôle de catalyseur
Natalia Chmatko dans le creusement des positions entre ces
groupes d'économistes en incitant ces derniers
à dévoiler leurs options politiques et théo
riques ; elle a aussi bouleversé les rapports au
sein de la discipline et renversé la hiérarchie
statutaire en son sein. Ainsi, l'analyse des
enjeux politiques et économiques des diffé
► ►► rents modèles de réforme radicale proposés
1. Plusieurs sources ont été mises à contribution
par des équipes d'économistes, liés à des par
pour notre analyse : les textes des programmes tis politiques de bords opposés, permet de
de réformes; les articles analytiques des économistes; révéler la nature des rapports entre le système
la documentation de l'Académie des sciences de l'URSS;
les bases de données biographiques de la Bibliothèque
politique et le domaine de la science écono
nationale électronique (http://www.nns.ru), mique, propre à une période de transition.
ainsi que les dictionnaires Akademia nauk SSSR.
Dans le cadre de cet article, nous ne pou
Spravotchik 'Kto est kto' (L'Académie des sciences
de l'URSS. Collection «Qui est qui»), Moscou, 1990; vons pas répertorier toutes les positions exis
l'annuaire biographique Kto est kto ν politike tantes dans la discipline de la science écono
(Qui est qui en politique), Moscou, Ves' mir, volumes
de 1992-1996. Une base importante pour notre analyse
mique pendant une période étudiée. Notre
est constituée par les références bibliographiques tâche sera plus modeste : il s'agira de montrer
dans les publications d'économistes-réformateurs
comment des pôles opposés se sont constitués
dans les revues générales Novii mir, Ogoniek,
Droujba narodov, Kommunist, Vek XX i mir, à l'occasion de la réforme économique. Le
Otkritaja politika et les revues académiques de l'économie second objectif que nous visons consiste à exa
Voprosi ekonomiki, Problemi prognozirovania,
Ekonomila i matematitcheskie metodi, miner les effets qu'exerce l'ouverture politique
ECO entre 1988 et 1995. dans le domaine des sciences économiques. À

Genèses 47, juin 2002, p. 123-139 123

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partir des trois modèles pr


élaborés par trois équipes d'économistes
russes, à savoir celle de Léonide Abalkine,
celle de Stanislav Chataline et Grigori
Iavlinski et celle de Egor Gaïdar, on peut faire
apparaître trois pôles dans l'espace de l'éco
nomie russe en mutation, qui correspondent à
des options théoriques et idéologiques, à des
expériences professionnelles et à des trajec
toires personnelles bien distinctes. Les pro
grammes correspondant aux positions de ces
économistes découlent de prises de position
qui sont à la fois politiques, idéologiques et
scientifiques ; ils permettent ainsi d'opérer une
objectivation des représentations de l'ordre
social souhaitable par ces différents groupes
d'économistes. En conséquence, le fait que tel
ou tel programme ait été appliqué ou non
n'est pas le facteur le plus important pour
notre analyse même si on peut dire, d'une cer
taine manière, qu'ils ont tous été réalisés dans
la mesure où ils ont, pour chacun, contribué
non seulement à des transformations écono
miques mais aussi à des changements du sys
tème politique et social, notamment par la
► ► ►
participation directe de leurs auteurs à des
2. Il y a, dans la littératureinstances du pouvoir. russe,
économique
deux approches de l'analyse des réformes en URSS :
la première date de 1987, la seconde de 1991.
Ces positions reposent sur des conceptions différentes
Les grandes lignes d'opposition
de l'histoire du temps présent : ainsi les premiers insistent
sur la continuité et incluent entre
la les réformateurs
période soviétique,
tandis que les seconds soulignent la rupture,
faisant commencer l'histoire de la Russie en 1991
La comparaison entre la version originelle
(autre manifestation de cette conception,
de la réforme,
une nouvelle fête de la « Russie libre telle
» a que
étéle Parti communiste
instituée
d'Union soviétique
le jour anniversaire de l'élection de Boris (PCUS) l'avait envisagée
Eltsine
à la présidence).
en 1987, au début du gouvernement de
Mikhaïl Gorbatchev, et la version de 1992
3. Il s'agit surtout de cinq experts-conseillers
de B. Eltsine : Jeffrey Sachs, Anders Aslund,
Andrei Schleifer, Richard montre
Layard,l'étendue des changements
Marek Dombrovski,de l'idéo
Jacek Rostovski. Leur devoir consistait en l'élaboration
logie dominante au cours de cette période2. Si,
de projet des réformes économiques, notamment,
au début, en 1987, il ne s'agissait que de
de la privatisation, en consultations des hauts
«purifier» leprésidentielle
fonctionnaires de l'administration socialisme des déviations entraî
et du gouvernement. Le financement de cette
nées par le stalinisme, activité
de trouver les moyens
a été effectué par l'Agence américaine
pour intensifier la (USAID)
pour le développement international production etqui
accélérer la
a payé
croissance
trois cents millions de dollars. Lessans «trahir»
seules la pensée marxiste,
consultations
de J. Sachs ont coûté quarante millions de dollars.
en 1992, le marché est admis comme la seule
Les activités de tous ces experts sont de telle ou telle
manière liées à l'université solution possible aux difficultés économiques,
d'Harvard.

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la privatisation des entreprises


position étant
en faveur de tel ou tel groupe de réfor le n
objectif de la réforme ; l'abandon du mateurs russes : ainsi, les économistes améri
marxisme-léninisme et le tournant vers la pen
cains tenants du courant socioéconomique ou du
sée économique «bourgeoise» deviennent des
keynésianisme (Wassily Leontieff, John K.
faits évidents. Les transformations effectuées Galbraith, Lawrens R. Klein) ont accordé leur
pendant cette période ont constitué les condi
soutien à l'équipe de L. Abalkine ou à celle de
tions sociales nécessaires au démantèlement
S. Chataline, tandis que les tenants du moné
postérieur du système soviétique, souvent tarisme comme Milton Friedman ou du
contre la volonté des auteurs de ces projets.
néo keynésianisme comme Jeffrey Sachs se
L'année 1991 est non seulement la date de sont rangés du côté d'E. Gaïdar. Les positions
disparition de l'Union soviétique, mais théoriques
égale et politiques des experts du Fonds
ment l'année de la grande rupture idéolo
monétaire international (FMI) et de la
gique qui a abouti au rejet des idées commu
Banque mondiale, qui en 1991-1992 étaient
nistes et de l'économie planifiée au profitconsultants
des auprès du gouvernement de
principes démocratiques et de l'économie de Eltsine3, sont homologues des disposi
Boris
marché ( voir encadré pp. 138-139). Le modèle
tions «révolutionnaires» des jeunes réforma
de réformes pour lequel a opté le nouveau
teurs russes dont l'objectif était de rompre
gouvernement russe était d'abord un choix
avec l'ancien système.
idéologique avant d'être un choix de dévelop
Dans un premier temps, deux programmes
pement économique. Le programme retenu de réforme économique et, corrélativement,
deux modèles de passage vers le marché,
n'envisageait pas la transformation progressive
des mécanismes établis, mais leur destruction
avaient été élaborés presque simultanément
et, au-delà, celle du système tout entier. La
parcri
deux équipes d'économistes : celle nom
tique dominante des réformes économiques méeenpar le gouvernement en accord avec le
Soviet suprême de l'URSS (avec à sa tête
Russie dénonce l'influence des théories anglo
saxonnes sur les jeunes réformateurs aul'académicien
pou L. Abalkine) et celle engagée
voir; elle insiste sur leur dépendance par
parrap
le président M. Gorbatchev et son «com
port aux conseils des experts occidentaux. La de route» B. Eltsine, équipe composée
pagnon
thèse de la «contradiction éternelle» entre sla des académiciens S. Chataline et Evgueni
vophiles et occidentalistes, qui règne en RussieIassin avec la participation de G. Iavlinski.
depuis des siècles, est au fondement d'une Ainsi, dès le début du travail sur les contours
telle critique. Pourtant, il nous semble qu'une de la future réforme économique, l'opposition
telle approche ne permet pas de répondre à la était manifeste entre, d'un côté, les dirigeants
question de savoir pourquoi, parmi la multi de l'URSS et de la République fédérale de la
tude de modèles existants et de théories occi
Russie et, de l'autre, les fractions «techno
dentales, c'est le modèle libéral qui a étécrate» (le cabinet ministériel) et «partocrate»
retenu. L'essentiel, de notre point de vue, n'est (les dirigeants du PCUS) du pouvoir.
pas tant que les économistes russes aient Durant la période 1989-1991, l'opposition
adopté la pensée économique occidentale maiss'est durcie entre les partitocrates (Comité cen
que les uns aient opté pour les nouveaux clastral et Bureau politique du PCUS) et les tech
siques, les autres pour les néokeynésiens ou nocrates (Conseil des ministres) au sujet de
pour le monétarisme. modèles de réformes politiques et écono
Les économistes occidentaux qui ont pris miques. Il est significatif que le programme
part à l'élaboration des réformes en Russieplus radical de S. Chataline, intitulé «500 jours»
ont également, d'une façon indirecte, pris ait reçu le soutien d'une aile partocrate (sous le

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patronage de Β. Eltsine), tandis que le pro


gramme plus modéré de L. Abalkine obtenait
le soutien des «technocrates» (le président du
Conseil des ministres de l'URSS Nikolaï Ryj
kov, notamment). La position de M. Gorbat
chev était assez ambivalente : d'un côté, il
cherchait à renforcer son pouvoir grâce à un
soutien extérieur au Comité central du PCUS
et, de l'autre, il avait besoin de consolider sa
position à l'intérieur du parti communiste face
aux tendances fractionnistes de certains diri
geants du parti, en particulier l'aile démocra
tique dirigée par B. Eltsine. Cette double dis
position poussait M. Gorbatchev à soutenir les
deux parties à la fois : ne pas abandonner le
programme du cabinet ministériel et ne pas
avoir non plus B. Eltsine et les nouveaux
démocrates contre lui, ce qui l'a conduit à don
ner le feu vert à leur programme.
Ces programmes étaient fortement oppo
sés quant à la place respective à accorder au
pouvoir central et aux pouvoirs régionaux : si
le programme de L. Abalkine maintenait un
rôle dominant au pouvoir central et affirmait
sa primauté face aux pouvoirs républicains et
régionaux, le projet «500 jours» établissait la
souveraineté économique des républiques
► ►► membres de l'Union. Il ne faut pas alors sous
4. Il faut noter que le soutien de B. Eltsine au programme
estimer la force des tendances «centrifuges»
« 500 jours » est en accord parfait avec ses options qui étaient caractéristiques de plusieurs répu
politiques, et notamment la recherche de la souverainetébliques et régions de l'URSS à ce moment-là
de la Russie. En outre, l'opposition entre le gouvernement
central de l'URSS et celui de la Russie s'est manifestée (phénomène taxé de «parade de souveraine
dans leur approbation de programmes différents tés»4 par les politologues). Le projet de
de réformes.
S. Chataline conduisait à un remplacement de
5. Goszakaz, c'est-à-dire la réquisition par l'État l'union politique entre les républiques par
d'une part de production en échange de fonds.
une union économique. Le degré de «radica
6. Suite à la conclusion du Traité d'union
lisme » différait tant en ce qui concerne
(Belovegskie soglachenia) entre trois républiques
de l'Union soviétique le 8 décembre 1991, l'intervention de l'État qu'en matière de
alors que le président de l'URSS n'était même pas réforme des prix, etc. : L. Abalkine proposait
au courant. La Communauté des États indépendants a été
de cette façon constituée. Plus tard, le 21 décembre, le maintien du contrôle des prix par l'État
huit ex-républiques devenues États indépendants pour certaines catégories de produits, notam
ont rejoint la Communauté.
ment les moyens de production ; le pro
7. « Programma uglublenia economitcheskikh reform » gramme adverse proposait la libération des
(Programme d'approfondissement des réformes
économiques), Voprosi ekonomiki prix pour tous les produits des entreprises qui
(Questions d'économie), n° 8,1992, p. 11. auraient dû jouer un rôle clé dans leur fixation.

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Les positions concernant la répartition


mépris des transformations progressives et de d
fond. Il a donc fallu
impôts sur les entreprises et, élaborer
par en conséquen
urgence un
la formation du budget nouveau programmecentralde réformes,etadapté à
des bu
gets locaux, étaient une nouvelle position géopolitique
également de la
opposées :
L. Abalkine était favorable à un maintien de Russie. Ce travail a été confié à l'équipe de
la proportion 75 % pour le budget central Guennadi
et Bourboulis et E. Gaïdar, qui sont
25 % pour les budgets locaux ; S. Chataline alors entrés dans le nouveau gouvernement de
proposait d'inverser cette proportion en Le premier, très proche de B. Eltsine,
Russie.
était responsable de sa campagne électorale
arguant du fait que les républiques devaient
être « entièrement maîtresses de la gestionende1991 avant de devenir secrétaire du
leur propre budget». La continuité et le Conseil d'État auprès du président de la
maintien des liens établis entre les entre
Fédération de Russie et premier président
adjoint du gouvernement de la Russie ; le
prises, la préservation des commandes d'État
deuxième,
dans la production industrielle et économique5 après avoir travaillé dans un
et une progression «en douceur» vers le groupe
mar d'économistes chargé des questions de
réformes sous la direction de G. Bourboulis, a
ché étaient au cœur du projet de L. Abalkine.
obtenu un poste de président-adjoint respon
La rupture, la déréglementation de la gestion
économique, les privatisations massives sable
et des questions de politique économique
du gouvernement de la Russie.
par conséquent le passage rapide au marché
Le projet intitulé «Programme d'approfon
(en «500 jours») constituaient l'enjeu majeur
du programme de S. Chataline. Pourtant, dissement des réformes économiques» a été
très vite ces deux programmes ontélaboré
été vers février 1992 ; il proposait comme
abandonnés: ni l'un ni l'autre n'étant assez mesures d'urgence : la stabilisation de l'écono
mie et la rationalisation de sa gestion sur le
radicaux dans une nouvelle conjoncture
politique. fondement de l'économie de marché; la libé
L'accession peu légitime de B. Eltsine au ralisation des prix et une politique financière
pouvoir6 (accord tenu secret jusqu'à sa signa restrictive ; le contrôle strict de la croissance
ture avec les dirigeants de Biélorussie et de la masse monétaire, etc., ensemble de
d'Ukraine) ainsi que la liquidation inopinée mesures résumées sous le nom de «thérapie
de l'Union soviétique - malgré un référendum de choc» (précisons que ce terme n'a jamais
où les électeurs s'étaient prononcés, en été prononcé officiellement). La distance
mars 1991, pour la conservation de l'URSS et entre les objectifs formulés dans ce pro
alors que se préparait une nouvelle conven gramme et les méthodes mises en œuvre pour
tion d'union élaborée par les gouvernements sa réalisation est frappante. Il n'est que de
fédéral et républicain - ont mis le nouveauciter ces objectifs tels qu'ils apparaissent dans
gouvernement russe dans la nécessité de justi le texte du programme :
fier rapidement ces actes exceptionnels. Ce
«Les buts finaux des réformes sont la renais
dernier est parti de l'hypothèse que le crédit
sance économique, sociopolitique et spirituelle
que la population lui avait accordé était un de la Russie, la croissance et la prospérité de
crédit à court terme : l'impératif vital, pour ce l'économie nationale, la consolidation, sur
gouvernement, était de trouver les moyens de cette base, du bien-être et de la liberté de ses
changer d'une manière significative la situa citoyens, le développement de la démocratie
et le renforcement de l'État. [...] Dans la nou
tion économique et de prouver ainsi sa légiti
velle économie russe, l'équilibre entre l'effica
mité. Dans ces conditions, la priorité a été cité économique et la justice sociale doit être
donnée aux actions à effet immédiat, au atteint7. »

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On peut ainsi constater que rien dans ce


discours ne ressemble à de l'idéologie néoli
bérale ou à des méthodes de réforme écono
mique brutales et douloureuses pour la
population comme celles qui ont été par
suite mises en œuvre (à la différence de la
Pologne où la thérapie de choc a été annon
cée ouvertement par le gouvernement
Balsterowitch). Le bilan des quelques pre
miers mois d'application de ce programme a
alors mis en évidence la discordance com

plète entre, d'une part les buts et les


méthodes d'application proclamés et, d'autre
part, les résultats obtenus: effondrement de
► ►►
l'économie, inflation galopante, appauvrisse
8. Les experts du FMI, de la BMRD et BERD ment absolu de la population.
(Banque européenne de reconstruction
Derrière chacun de ces programmes de
et de développement) ont présenté, au début 1991,
leur propre rapport sur l'état des lieux de l'économie réforme économique, on trouve une équipe
de l'URSS, où ils ont analysé entre autres plus ou moins homogène d'auteurs qui se
les programmes de réformes de Ryjkov-Abalkine
et de Chataline-Iavlinski. La commission d'experts sont regroupés autour du responsable du
occidentaux s'est prononcée pour une réforme projet. Certains ont été cooptés suivant la
plus radicale et plus rapide, en estimant le programme
«Grandes orientations» assez flou et indécis. procédure de nomination officielle, comme
Voir «Ekonomika SSSR: vivodi i recomendatsii » membres de commission, d'autres y ont par
(Économie en URSS : conclusions et recommandations), ticipé d'une façon informelle. Ainsi, le pro
Voprosi ekonomiki (Questions d'économie), n° 3,1991,
pp. 6-72. gramme de L. Abalkine est avant tout le
9. Michael EUman, «Potchemu schokovaya terapia
programme de l'Institut d'économie de
ν Rossii poterpela proval » (Pourquoi la thérapie l'Académie des sciences (IE) ; celui de
de choc a échoué en Russie), ECO, n° 9,1992, p. 11. Chataline-Iavlinski peut être attribué à l'Ins
10. Le terme marxiste de «reproduction élargie » signifie titut d'économie et de prévision du progrès
«croissance» et s'oppose à la reproduction simple.
technique et scientifique, ainsi qu'à l'Institut
11. Les tentatives des économistes de l'IE
central d'économie et de mathématique
pour se détacher de l'orthodoxie marxiste pendant
leur travail sur la réforme d'Alekseï Kossyguine (CEMI) de l'Académie des sciences; le pro
et, plus tard, dans les années 1970, les idées gramme d'E. Gaïdar est le fruit du travail des
qu'ils ont défendues en ce qui concerne le changement économistes des nouveaux instituts de
du système de la planification et l'introduction
des éléments de «marché socialiste», ont abouti recherche et d'expertise, créés principale
à un échec. Les marxistes purs et durs, et surtout
ment par des anciens chercheurs du CEMI :
les économistes du plan, leur ont reproché sévèrement
l'abandon des principes socialistes. La résolution l'Institut d'analyse économique (Institut des
« Sur l'augmentation du rôle de l'Institut d'économie problèmes économique de période de transi
de l'Académie des sciences de l'URSS dans l'élaboration
des questions cruciales de la théorie économique
tion), l'Institut de prospective économique,
du socialisme développé » a été adoptée le 7 février 1984. l'Institut d'expertise de l'Union des entrepre
Dans cette résolution, l'activité scientifique de l'institut neurs et des industriels de Russie. L'antenne
a reçu de rudes critiques l'accusant de « désaffection
de la pratique», de «superficialité et pointillisme moscovite de la Banque mondiale de recons
des thèmes de recherche », de « faiblesse de la critique truction et de développement (BMRD) a
des théories anti-marxistes du socialisme». Conformément
à la décision du Comité central l'IE a été réorganisé. aussi participé à ce programme, mais sa
Léonide Abalkine est devenu son directeur en 1985. contribution à ce programme n'est pas

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importante8. chie : l'économie


Comme le note politique
ledu socialisme,
professeur en
l'université d'Amsterdam Michael Ellman effet, était perçue par les scientifiques sovié
dans son analyse de l'échec du programme tiques comme une discipline liée à l'idéologie,
d'E. Gaïdar: au marxisme, donc très proche de la politique;
«Le programme, c'est un "produit maison": elle occupait
il une position dominée par rapport
n'était pas élaboré en coopération étroiteà avec
l'économie politique du capitalisme, jugée
les spécialistes du FMI, il ne contient pas desscientifique, ou à l'économie mathéma
plus
propositions détaillées de mesures à prendre
tique. Dans la hiérarchie bureaucratique, par
[...] Les conseillers étrangers n'avaient pas
contre, cet institut était bien placé, entretenant
joué de rôle important dans son élaboration9. »
de bons rapports, jusqu'au début des années
Le rôle des experts économiques occiden1980, avec le Comité central du PCUS11. La
taux est devenu plus fondamental plus direction
tard, de L. Abalkine, ancien responsable
lorsque la gestion de crise a été mise en œuvre
du département d'économie politique à l'Aca
et lorsque les négociations des conditionsdémie des sciences sociales auprès du Comité
d'accréditation du prêt par le FMI se sontcentral du PCUS, a renforcé sa position poli
mises à peser d'un grand poids. tique et bureaucratique. En tant que directeur
de cet institut, il a été appelé à élaborer des
propositions concernant l'amélioration des
L'économie politique: une tentative
réformes économiques, suivant les termes de
de rompre des liens historiques l'arrêté du Présidium du Conseil des ministres.
L. Abalkine a réussi à réunir pour ce travail
L'histoire de chacune de ces institutions
ainsi que leur réputation scientifique et une
poliéquipe composée à la fois d'économistes
soviétiques
tique sont des facteurs importants pour analy renommés comme Abel Aganbe
ser la lutte pour l'imposition d'un modèleguian, Gheorguï Arbatov, Oleg Bogomolov,
donné. Ainsi, l'Institut d'économie est leStephan pre Sitarian et de membres du Présidium
mier institut soviétique de recherche fonda du Conseil des ministres. Le rapport remis n'a
mentale en économie. Créé en 1930, après pas eu de diffusion publique, mais c'est grâce à
l'abandon de la Nouvelle politique écono ce travail que l'Institut d'économie est devenu
mique (NEP) et pendant la réalisation du pre un support scientifique des réformes écono
mier plan quinquennal, il avait pour objectifs miques. L. Abalkine a été reçu par M. Gorbat
principaux le développement de la théorie de chev en mai 1989, a été nommé président
l'économie politique du socialisme, la adjoint du Conseil des ministres (président
recherche des régularités économiques du Ryjkov) et mis à la tête de la Commission
N.
socialisme et des conditions de sa transforma de la réforme économique. Son passage au
tion en communisme, l'élaboration de théories gouvernement s'est accompagné d'une dégra
sectorielles et intersectorielles. Dans les années dation économique qui était principalement
1960-1970, la problématique de cet institut étaithéritée des problèmes de la période précé
centrée sur les aspects économiques du progrèsdente: montée du déficit budgétaire, accroisse
technique et scientifique et la théorie de la ment incontrôlable de la masse monétaire,
reproduction élargie10. Bien que des éconochute de la productivité, etc. L'équipe de
mistes reconnus comme Konstantin Octrovitia L. Abalkine était donc chargée d'assainir l'éco
nov, Stanislas Stroumiline, Vassily Nemtshinov nomie nationale et d'élaborer les mesures pour
aient travaillé à l'Institut d'économie, ses objetssa restructuration. La position politique et éco
de recherche en sciences économiques occunomique de L. Abalkine et de ses collabora
paient une position peu élevée dans la hiérarteurs peut être définie comme centriste

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► ►► puisqu'elle conjuguait les méthodes centrali


sées de la régulation économique et la gestion
12. Bien que les théoriciens de la réforme
d'A. Kossyguine, particulièrement, Vassily Nemtshinov, démocratique de l'entreprise (autogestion,
Victor Novojilov, aient travaillé principalement au CEMI,directeur élu par le personnel, autonomie
leurs idées n'ont pas trouvé de soutien chez les membres
de cet institut car, pour leur plus grande part, comptable), en reconnaissant les formes
ses recherches étaient concentrées sur la planification diverses de propriété (étatique, municipale,
et les aspects pratiques de régulation des processus
productifs. Les tenants du marché («libéraux»)
coopérative, privée) ; en bref, une combinaison
étaient surtout regroupés à l'Institut d'économie du marché et de la régulation étatique.
(au CEMI, il n'y avait que Nikolai Petrakov pour prôner Les économistes de l'équipe de L. Abalkine
l'économie de marché dans les années 1960-1970
et en particulier la réhabilitation de la loi de la valeur; ont été orientés théoriquement par les idées
N. Petrakov a critiqué la position de Léonide Kantorovitch, de la construction du marché socialiste,
V. Novojilov, V. Nemtshinov dans la question
de formulation de prix; il a failli être licencié
s'appuyant notamment sur les travaux des
à cause de sa conception, jugée alors trop « libérale »). économistes dits «libéraux» (c'est-à-dire les
13. Bien que cet institut n'ait pas été désigné défenseurs de l'idée de marché qui se sont
comme responsable du projet, les auteurs de «500 jours», opposés aux partisans de l'économie centrali
Stanislav Chataline et Evgueni Iassin, y ont travaillé
plusieurs années. S. Chataline a occupé le poste
sée et planifiée) des années 1920 et 1930, ainsi
de responsable de laboratoire entre 1965 et 1976, que sur ceux de Lénine concernant la NEP et
avant d'être muté à l'Institut d'analyse systémique des auteurs de la réforme d'Alekseï Kossy
de l'Académie des sciences, puis, en 1986, à l'Institut
d'économie et de prévisions du progrès technique guine dans les années i96012. Leurs soubasse
et scientifique, pour devenir finalement académicien ments théoriques, surtout au début, n'excé
secrétaire du département d'économie de l'Académie;
E. Iassin était directeur de laboratoire au CEMI daient pas le cadre du marxisme, bien qu'un
entre 1973 et 1989, avant d'obtenir le poste du responsable certain recul par rapport à ses principes se
du département de Commission d'État du Conseil fasse sentir à travers leurs publications et leur
des ministres de l'URSS pour la réforme économique
(1989-1991). programme de réformes. Sous la pression des
14. Il est révélateur que la biographie de V. Nemtshinov,
économistes des courants plus radicaux et plus
dans la présentation historique concernant la création du modernes de la pensée occidentale, ils ont
CEMI sur le site web de l'institut, passe sous silence son
glissé vers un néomarxisme, introduisant timi
activité à l'IE (voir http://www.cemi.ras.ru/).
dement des éléments de théories occidentales
15. Ainsi, les chercheurs du CEMI ont effectué un travail
très important sur l'élaboration et la mise en pratique
dans leurs travaux (surtout les auteurs traduits
des balances intersectorielles (prix d'État 1968). en russe). Ainsi, les néokeynésiens et les
Cette balance, qui visait à introduire le modèle socioéconomistes comme J. K. Galbraith,
input-output dans l'économie soviétique
ainsi que les éléments de la théorie SOFE Albert Hirschmann, Joseph Schumpeter,
(Système optimal de fonctionnement économique) Joseph Stiglitz sont devenus des auteurs de
qui était élaboré pendant plusieurs décennies
(à partir de 1924) par les économistes soviétiques
référence de même que les auteurs classiques
(au début Evgueni Sloutski et V. Nemtshinov). comme John S. Mill ou John M. Keynes.
16. Ainsi, Vitali Naïchoul' a présenté aux séminaires L'analyse des références bibliographiques
du CEMI et aux réunions du club ses théories dans les travaux de ce groupe d'auteurs per
de la privatisation par « voucher» (1985)
et du marché administratif (1989).
met de conclure que, sur le plan quantitatif, ils
ont un appareil scientifique beaucoup moins
17. Mikhaïl Zadornov (né en 1964), est sorti en 1984
de la même école supérieure en économie développé que celui d'auteurs appartenant au
que Grigori Iavlinski; il a ensuite poursuivi ses études courant de l'économie mathématique ou de la
doctorales à l'Institut d'économie de l'Académie
des sciences, où il était chercheur en même temps
macroéconomie. Si, dans les articles publiés
qu'il était étudiant ; il était également membre dans la revue Questions d'économie, on ne
de la commission d'État dans l'équipe de L. Abalkine
au moment où G. Iavlinski lui proposa de participer
trouve en moyenne que deux à trois réfé
à l'élaboration d'un programme alternatif de réforme. rences par article, chaque article dans la revue

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Économie et des pointsmathématiques


méthodes de vue assez radicaux mais qui luicom
en moyenne cinq à étaient
six propres, notamment sur la nécessité de
références.
conserver «l'empire soviétique» ou sur la pri
vatisation des entreprises16. Ce club est devenu
Une chance pour l'économie
non seulement un bastion de la démocratie
mathématique
pour les intellectuels soviétiques mais aussi
une véritable école des réformateurs.
Le deuxième projet de réformes, «500 jour
est lié aux noms du CEMI et de l'Institut La réforme des «500 jours» était à l'origine
d'économie et de prévision du progrèsle projet
tech de G. Iavlinski. Il avait d'abord
nique et scientifique, ancienne division du à l'élaboration du projet de réforme
contribué
de Abalkine-Ryjkov, ce qui ne l'empêchait pas
CEMI séparée de l'institution mère en 198613,
les deux dépendant de l'Académie des de travailler en parallèle sur un autre versant
sciences de l'URSS. Ces instituts de recherche de la réforme, avec ses jeunes collègues écono
mistes Mikhaïl Zadornov17 et Alexeï Mikhaï
ont un profil qui se distingue nettement de
lov. Le travail sur ce projet alternatif de libéra
celui de l'Institut d'économie, tant du point de
vue de la discipline que du point de vue histo lisation de l'économie soviétique, intitulé
rique. Le CEMI est beaucoup plus récent; sa «400 jours», a été achevé au printemps 1990,
création, en 1963, à partir du laboratoire desépoque où il a été présenté à B. Eltsine. Par la
méthodes mathématiques d'économie (créé en suite, ce projet est devenu un enjeu politique
1958 par V. Nemtshinov), était liée avant toutet un point de partage des courants politico
au développement de l'économie mathémaéconomiques, dans la mesure où ses idées,
tique en URSS dans les années 1950-196014. approuvées par B. Eltsine et soutenues par
On lui avait fixé comme objectif principal M. Gorbatchev, ont servi de base à un autre
programme, «500 jours», dont la préparation
l'application des méthodes mathématiques et
du calcul informatique à la gestion et à la pla avait été confiée à l'académicien S. Chataline.
nification, par l'élaboration d'une théorie de
Aussi G. Iavlinski a-t-il changé de camp, pas
gestion économique optimale. Son activité de sant de l'équipe de L. Abalkine à celle de
recherche, appliquée surtout (modélisation,S. Chatahne, mais en perdant progressivement
économétrie), se développait principalement le contrôle de son projet. Plusieurs de ses pro
dans le cadre de l'économie planifiée. La positions ont en effet été modifiées: alors que
renommée du CEMI reposait sur l'autorité de son projet visait l'économie de toute l'URSS,
l'économie mathématique incarnée par le projet «500 jours» ne concerne plus que la
Léonide Kantorovitch et ses collègues et dis seule Russie (le Soviet suprême de l'URSS
ciples (Victor Novojilov, Lev Mints, Alexandre ayant rejeté ce programme, tandis que le
Lourié, Nikolaï Fedorenko15). L'institut, qui Soviet suprême de la Russie l'adoptait), ce qui
avait des relations assez développées avec les en faisait un des facteurs de l'opposition entre
chercheurs occidentaux, jouissait d'une recon les deux gouvernements.
naissance internationale. Pendant la peres
troïka, le CEMI a développé une activité poli Les principes au fondement de ce pro
tique importante, en créant le Club gramme correspondaient grosso modo aux
« Perestroïka », lieu de nombreux débats conceptions de l'économie néoclassique, sans
autour des modèles économiques et politiques
que toutefois il y soit fait explicitement réfé
envisageables pour le pays avec des personna
rence : agents économiques rationnels, cher
lités extérieures connues comme «progreschant à optimiser leurs gains, à qui il suffit de
sistes» ou «démocrates» ; on y développaitlaisser la liberté d'agir, «main invisible du

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marché » assurant la réalisation de l'intérêt


général. Le modèle de l'équilibre général était
considéré comme un fait établi par les écono
mistes contribuant à ce programme. Les évé
nements ultérieurs, en particulier la réduction
de la production et l'augmentation des prix
par les entreprises libérées de l'exécution obli
gatoire du plan et de la tutelle étatique, ont
permis de mesurer les conséquences de cette
application «mécanique» des théories néo
classiques à une économie postsoviétique.
E. Iassin, a écrit en 1993 à propos du projet
des «500 jours» :
«Ce qui a été fait à ce moment-là est à la fois
le triomphe et la faillite des idées les plus pro
gressistes de la science économique soviétique.
Leur triomphe, puisque les dirigeants du parti
et de l'État ont avalisé toutes les propositions
des économistes-"libéraux" ; leur faillite
puisque la mise en pratique de ces idées a
montré leur inconsistance et l'incapacité com
plète de ces économistes à résoudre un quel
conque problème de l'économie russe18. »

L'économie mathématique, l'économétrie


et la modélisation étaient reconnues en URSS
comme la science «noble» par opposition à
l'économie politique; elles ont connu un fort
développement qui leur a permis d'atteindre
le niveau de la science occidentale. L'école

► ► ► soviétique avait sa spécificité: le langage uti


lisé se distinguait de celui qui avait cours dans
Dès 1993, il est entré en politique, en devenant
les écoles concurrentes, de telle sorte que les
d'abord député du Parlement de la Russie puis, en 19
ministre des Finances. mêmes phénomènes portaient des noms diffé
18. E. Iassin, «Soud'ba ekonomitcheskoi reformi ν rents. Cette divergence terminologique frei
Rossii» (Destin de la réforme économique en Russie), nait la communication effective même si les
Voprosi ekonomiki (Questions d'économie), n° 2,1993,
pp. 125-126.
échanges avec les collègues étrangers étaient
assez développés, tant au CEMI qu'à l'Institut
19. Parmi les jeunes économistes qui constituent l'équipe
d'Egor Gaïdar, on trouve nombre d'hommes politiques d'économie et de prévision du progrès tech
connus ainsi que de grands entrepreneurs. La majorité nique et scientifique. Pourtant, en général, les
des membres de cette équipe était d'une manière
ou d'une autre liée à S. Chataline et au CEMI. chercheurs de ces instituts étaient plus prédis
Ainsi, Alexandre Chokhine, Serguei Glaziev, posés à comprendre et à s'approprier les théo
Anton Danilov-Danilian, Victor Lopoukhine,
ries occidentales que leurs collègues, tenants
Andrei Netchaev, Boris Saltikov ont soutenu leur thèse
au CEMI, Piotr Aven a été l'étudiant de S. Chataline de l'économie politique. Les spécialistes
et a soutenu sa thèse à MGU ; V. Naïchoul' russes de la statistique appliquée et du margi
et A. Chokhine travaillaient au CEMI ; A. Netchaev
travaillait avec S. Chataline à l'Institut d'économie nalisme continuent aujourd'hui de construire
et de prévision du progrès technique et scientifique. des modèles des flux et des échanges, en se

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tournant vers l'institutionnalisme et le néo neurs et des industriels de Russie, 1991),


classicisme, courants de pensée en affinité Vitali Naïchoul' (Institut du modèle national de
l'économie, 1992), Constantin Kagalovski
avec leur position au sein de la discipline éco
nomique. Les références aux auteurs étran (Centre international de recherches des réformes
économiques, 1989); Anatoli Tchoubaïs (Centre
gers, autrefois très rares - non seulement du
de recherches socioéconomiques - Leontieff
fait de la mauvaise connaissance de leurs tra
vaux mais aussi en raison de l'orientation
Centre, 1991), appartiennent à peu près à la
dominante des travaux soviétiques - sontmême classe d'âge (née dans les années 1950
aujourd'hui devenues la règle académique.
et 1960) et donc à la même génération d'étu
diants qui, dans les années 1970, ont étudié à
Ainsi, Gérard Debreu, Stanley Fisher, Herman
Gossen, John R. Hicks, Stanley Jevons, la faculté d'économie de l'université Lomo
Vilfredo Pareto, Paul Samuelson, Léon Walras nossov de Moscou (MGU) avant de faire,
sont les auteurs les plus fréquemment cités, dans les années 1980, leur doctorat au CEMI19
souvent à côté d'auteurs appartenant à des ; disciples de S. Chataline et de Gavriil Popov,
courants aujourd'hui désuets. Par ailleurs, les ils ont rompu les liens avec leurs maîtres à la
recherches actuelles, comme le montre l'ana fin de 1991 en raison de divergences théo
lyse des travaux du CEMI, s'orientent vers le riques et idéologiques. Ainsi, E. Gaïdar a tra
perfectionnement de la théorie de l'équilibre vaillé pendant plusieurs années auprès de
général en tenant compte des conditions de S. Chatahne dont il a suivi le passage d'un ins
diversité des paramètres des instituts mar titut de recherche à l'autre, d'abord à l'Institut
chands, et la modélisation de nouveaux pro d'études systémiques de l'Académie des
cessus dans l'économie postsoviétique tels que sciences de l'URSS (1980-1986), ensuite à
le modèle de la stabilisation économique, le l'Institut d'économie et de prévisions du pro
modèle de la qualité de vie de la population grès scientifique et technique (1986-1987),
ainsi que des modèles dynamiques de déve participant activement aux séminaires du club
loppement des régions. «Perestroïka» au CEMI. C'est l'opportunité
d'entrer dans la commission gouvernementale
auprès de B. Eltsine (grâce à un soutien de
Nouveaux instituts d'expertise:
G. Bourboulis) qui le conduit à rompre avec
entre l'économie et la politique
S. Chataline. Plus tard, pour justifier cette
Le troisième projet, celui de l'équipe rupture, E. Gaïdar évoquera les divergences
d'E. Gaïdar, intitulé «Programme d'approfonprofondes entre son approche et celle du pro
dissement des réformes économiques», étaitgramme «500 jours». Ces jeunes réformateurs
principalement défendu par les nouveaux insne jouissaient pas personnellement d'une
tituts, définis comme «commerciaux» dans le grande renommée scientifique mais ils en
vocabulaire de la perestroïka, par oppositionbénéficiaient en quelque sorte «par procura
aux instituts d'État et en référence à leurstion» : grâce à leurs diplômes d'écoles presti
commanditaires. Ces instituts, créés par les gieuses et à leur appartenance passée à
jeunes chercheurs en économie, sont apparusdes institutions de recherche réputées. Par
en nombre au début des années 1990. Les diri ailleurs, ces jeunes économistes ont conquis
une notoriété grâce à leur connaissance
geants de ces petites institutions d'expertise
politique et économique, comme E. Gaïdar(souvent superficielle) des théories occiden
(Institut des problèmes économique de la tales, qui leur permettait de bénéficier indi
période de transition, 1992), Andrei Netchadin
rectement du prestige dont jouit l'économie
(Institut d'expertise de l'Union des entrepreoccidentale en Russie. Mais le capital

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politique des directeurs de ces instituts, qui


faisaient partie de différents comités auprès
du président ou du gouvernement de Russie,
a été bien plus important que leur renommée
scientifique.
C'est particulièrement vrai en ce qui
concerne E. Gaïdar qui occupait, au début de
la perestroïka (1987-1990), un poste de rédac
teur à la revue Communiste, puis de respon
sable du département économique à la
Pravda, en 1990, c'est-à-dire dans les deux
organes principaux du parti communiste ratta
chés au Comité central. Durant ces années, il
publie de façon régulière ses analyses de la
situation économique en URSS, comme les
résultats de l'application du XIIe plan quin
quennal, travaux qui ne s'écartent pas de
l'orthodoxie marxiste. En 1990 encore, il
publie La réforme économique et les structures
hiérarchiques, ouvrage dans lequel il fait l'apo
logie du socialisme et critique sévèrement le
capitalisme, en usant d'un lexique purement
idéologique et en résumant ses réflexions de la
façon suivante: «La forme ultime de résolu
tion des contradictions de la société capitaliste
est la révolution qui la renverse. » Son discours
change du tout au tout à la fin de 1991 lorsqu'il
quitte le Parti après la publication du décret de
B. Eltsine abolissant les organisations du parti
communiste dans les entreprises et l'armée de
la République fédérale de Russie (août
1991)20. Moins de deux ans plus tard, il conclut
► ►► sa critique de l'incapacité du gouvernement à
mener une politique monétaire efficace par ces
20. S. Chataline, quant à lui, démissionne du PCUS
en mars 1991, quittant le Comité central mots: «La crise financière est presque toujours
dont il était membre depuis 1990. le signe avant-coureur de l'effondrement des
21. E. Gaïdar, «Loguika reform» régimes totalitaires21.» Sa connaissance des
(La logique des réformes), Voprosi ekonomiki
théories occidentales était quasi nulle lors de
(Questions d'économie), 1993, n° 2, p. 13.
son entrée dans le gouvernement de Russie ;
22. « Zestkim kursom. Analititcheskya zapiska
po conceptsii perekhoda k rinotcnoi ekonomike »
elle se réduisait à quelques auteurs classiques
(En course de fer. Notes pour la conception du passage de divers courants, mais sa maîtrise de l'anglais
vers l'économie du marché), Vek XX i mir
lui a permis de combler peu à peu ce manque.
(XXe siècle et monde), 1990, n° 6, pp. 15-19.
E. Gaïdar s'est d'abord référé aux modèles
23. Anatoli Tchoubaïs, Vengerski opit reformirovania
khoziajstvennogo mekhanisma (L'expérience hongroise est-européens du marché, notamment le sys
de la réforme de l'économie), Moscou, Znanie, 1990. tème hongrois, puis sa position s'est radicalisée;

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le système chilien sont


etémaillées de citations d'Oliver Williamson
le général Augusto P
chet sont alors et Ronald Coase
devenus pour (à qui ils
luiempruntent la
des figur
référence. A. théorie des «coûts
Tchoubaïs a deeu
transaction»),
un rôle de im
tant dans la radicalisation d'E.
George Stigler, Reah Gaïdar,
Kauffman, J. Sachs pour nota
ment et en les aspects
particulier monétaires
par son de l'équilibrage
article du prog
matique «En course marché,
de ainsi
fer»22
que d'autreset son
auteurs prochespetit
du l
dans lequel il néo-institutionnalisme
critique Janos et du monétarisme.
Kornai Par et le
tème économique hongrois23.
ailleurs, E. Gaïd
l'expérience des pays d'Amérique
aussi été influencé par beaucoup
Latine intéresse les V. experts
Maü qui éc
miques du FMI et de la
accorde, Banque
entre mondiale
autres, une grande importance do
il avait fait la connaissance, notamment, au modèle du «cycle économico-politique»
J. Sachs et Anders Aslund. L'un de ses objec (William Nordhaus, Torsten Persson,
tifs au gouvernement de B. Eltsine était en Guido Tabellini) pour éclairer l'enchaînement
effet l'adhésion de la Russie au FMI et à la des deux périodes de la politique gouverne
Banque internationale pour la reconstruction mentale : celle de la politique sociale active
et le développement - BIRD - (où la Russie d'avant les élections et celle des restrictions
n'était présente qu'à titre d'observateur). quiEnlui succède. Enfin, les économistes libé
avril 1992, à Washington, E. Gaïdar, alors raux russes puisent dans les travaux d'auteurs
président-adjoint du gouvernement de la Rus appartenant à l'école de Vienne comme
sie pour les questions de politique économique,
Friedrich von Hayek, Ludwig von Mises, pour
a présenté les projets de réformes et de budget
critiquer les interventions de l'État dans l'acti
à la session du FMI et de la BIRD. À l'issue deéconomique.
vité
cette session, la Russie et d'autres pays deL'analyse
la des références bibliographiques
Communauté des États indépendants (CEI) montre qu'en général les citations et réfé
ont été admis comme membres du Fonds. rences, notamment aux travaux occidentaux
Comme le note G. Popov dans son livre, ne sont pas nombreuses dans les publications
B. Eltsine a opté «pour Gaïdar avec le FMI». traitant des réformes économiques. Ce fait
On peut donc conclure que l'adhésion au peut être expliqué, de notre point de vue, par
monétarisme et au néolibéralisme n'a pas été deux traits caractéristiques de la science
un choix théorique d'E. Gaïdar, mais qu'elle économique, liés à l'histoire de l'économie
correspondait plutôt à un choix politique qu'il soviétique. Celle-ci avait surtout cherché à
a transformé ensuite en position scientifique en s'autonomiser et à s'isoler de l'économie
vue de justifier sa politique économique. «bourgeoise» de telle sorte qu'elle avait éla
Les théoriciens de l'équipe d'E. Gaïdar, boré et appliqué son propre langage ; les phé
Vladimir Maü (Institut des problèmes de la nomènes économiques alors étudiés ont été
période de transition) et Andrei Illarionov analysés en d'autres termes. Ensuite, les tra
(Institut d'analyse experte), qui partagent les vaux anglo-saxons, hormis les auteurs clas
mêmes options libérales en politique, adhè siques ou marxistes, étaient accessibles aux
rent, dans leurs analyses économiques, au seuls spécialistes qui travaillaient sur le pro
courant de pensée institutionnaliste. Leurs blème correspondant (il existait des «fonds
études sont centrées sur le rôle d'institutions spéciaux» dans les bibliothèques universi
comme les banques, les administrations ou taires et académiques). La plupart des étu
l'État, qu'ils définissent comme les «éléments diants ont fait connaissance des travaux occi
principaux» de la régulation économique. Les dentaux à partir de manuels soviétiques et
publications des jeunes réformateurs russes d'ouvrages critiques, de «seconde main».

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L'autre raison importante de cette quasi


absence de références dans les publications
d'économistes qui ont contribué à la réforme
économique tient au fait qu'ils ont tenté de
résoudre la question politique plus que la
question économique. Ils ont été amenés à
légitimer par la science des solutions poli
tiques. Les économistes-réformateurs se
sont donc prononcés davantage en tant
qu'hommes politiques qu'en tant que savants,
aussi bien dans les articles « académiques »
que dans les articles «grand public» publiés
dans la presse générale. L'absence des réfé
rences à des auteurs soviétiques (à l'exception
des grands auteurs des années vingt, celles de
l'avant-garde économique soviétique) consti
tue une véritable rupture avec le passé. Même
► ►► les données statistiques, qui prévalent dans les
24. C'est le cas, notamment, de N. Chmelev et V. Popov publications, sont traitées d'une nouvelle
qui ont repris une large base de données statistiques façon afin d'invalider l'ancien système d'affir
concernant la production de PIB (produit intérieur brut)
et de PMN (produit matériel brut), les plans
mations et de constats24. Le premier mouve
et les résultats factuels pour la période entre 1960 et 1985 ment des réformateurs, fait d'une volonté de
pour démontrer le mythe de l'efficacité de l'économie
révision et de destruction, était largement sou
planifiée. Voir V. Popov, Nikolaï Chmelev, Velikii
planovij eksperiment (La grande expérimentation tenu par la presse intellectuelle parce qu'il
de plan), en Pogrujenie ν triassinu (Immersion visait à repenser les origines de l'histoire
dans le gouffre), Moscou, Progrès, 1991, pp. 101-135.
On trouve la même idée dans les articles d'E. Gaïdar soviétique et l'époque stalinienne. Le
ou d'Andreï Illarionov qui, dans les années 1980, deuxième mouvement des réformateurs prô
se sont beaucoup servi des statistiques économiques nait une démarche vers le bon sens, vantait le
étatiques. Notamment, il s'agit d'articles d'E. Gaïdar
publiés, en 1988 et 1989, dans l'organe de presse cours «naturel» des choses, avec l'idée sous
du PCUS, revue Communiste. jacente que le marché est la forme naturelle
25. Il est évident que tous les économistes académiquesdu fonctionnement de l'économie. Les
ne sont pas convertis. Ceux qui sont restés fidèles
modèles de réformes ont été présentés d
aux positions académiques, étant éloignés de la politique
effective, continuent malgré tout les débats publics même façon que les doctrines religieuses
autour du modèle économique, en particulier, il s'agit «Faites comme ça et vous trouverez le salu
des économistes du groupe de L. Abalkine qui publient
leurs « manifestes », leurs propositions pour battre la crise,
Par la suite, l'élargissement du marché du tr
etc. Ils n'ont pas abandonné l'espace public vail des économistes russes et la plus for
des débats politiques et économiques.
assise politique des économistes au pouvo
26. On trouve des oppositions similaires dans l'article ont poussé les économistes-réformateu
de Frédéric Lebaron, « La dénégation du pouvoir »,
Actes de la recherche en sciences sociales, n°119,1997, oppositionnels ainsi que d'autres économis
pp. 3-26. Cependant notre analyse montre qu'en Russieuniversitaires à approfondir les justification
plusieurs oppositions sont inversées par rapport
théoriques de leur position. Le monétarism
à celles décrites par F. Lebaron; par exemple, la position
dominante de l'économie mathématique dans le champet le néolibéralisme sont progressivement de
économique et relativement dominée des monétaristesnus des points de repère à partir desquels se so
en France ; monétaristes dominants, économistes
mathématiques dominés en Russie ; il en va de même cristallisées les positions dans l'espace nation
pour les théoriciens et les militants. des sciences économiques (l'attribution

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d'étiquettes comme logiescelles


structurellesde
entre«monétarist
« partitocrates » et
ou de «néolibéral» «technocrates» dans le pouvoir politique,
a alors constitué un en
d'un côté, et entre «théoriciens»
dans les luttes politiques.) L'apparition, da et «prati
ciens» parmi les économistes,
les années quatre-vingt-dix, de l'autre. Les
de plusieurs t
ductions en russe des travaux occidentaux rapports entre ces principes d'opposition sont
(Maurice Allais, Ulrich Beck, Louis Dumont,
complexes et ne se réduisent pas à la seule
conjoncture
M. Friedman, J. Kornai, L. von Mises, J. Stiglitz, particulière du processus de
etc.) a beaucoup contribué à «l'accumulation
réforme. M. Gorbatchev a fait entrer en poli
primitive» de la connaissance des théories
tique la première vague des économistes qui
contemporaines. Cette nouvelle conjoncture
est parvenue à casser l'ancien rapport entre
au sein de la discipline économique a conduit
pouvoir et science académique, en faisant un
à des transformations structurelles des usage
posi politique de leurs savoirs économiques,
tions des économistes russes. en définissant un nouvel enjeu dans le champ
* politique et dans le champ scientifique, celui
* de la compétence économique. Cette
nomenklatura d'économistes a transformé la
La recherche sur le rôle des économistes hiérarchie des disciplines au sein de la science
dans le développement national et surtout économique : désormais, les économistes
dans la constitution des structures mondiales impliqués dans la politique sont au plus haut
se développe en Russie. Ce sujet est parvenu àde l'échelle professionnelle tandis que les
se faire une place dans les domaines traditionéconomistes universitaires se retrouvent au
nels des sciences humaines. La sociologie, en bas26. Cette tendance, qui trouve son origine
particulier, s'est retrouvée engagée dans cettesous M. Gorbatchev, s'est beaucoup renfor
réflexion. La spécificité de l'économie, tant parcée sous B. Eltsine, lorsque l'usage politique
sa rupture avec le passé soviétique que par sesde la science économique est devenu en
tentatives avortées de construction d'une quelque sorte cynique. On peut ainsi consta
« nouvelle » économie, constitue un ter objetque, dans les années 1990, le paradigme
d'analyse idéal pour (re)penser la place desdesciences
la économiques en Russie a radica
science économique et ses usages dans lementles prachangé. Les sciences économiques y
tiques. Les économistes universitaires ont ontpris
subi un processus de «technocratisation»:
une part considérable dans les débats on sur assiste
les au remplacement de l'économie
réformes structurelles de l'économie sovié théorique par les études pratiques et le mana
tique durant la deuxième moitié des années gement, à l'implantation progressive du
modèle néolibéral dans l'économie nationale.
1980: ils ont été nombreux à entrer au gouver
nement et au Parlement sous M. Gorbatchev La particularité de l'usage des sciences éco
nomiques
et sous B. Eltsine, ils ont été à l'origine de la en Russie d'aujourd'hui tient au
privatisation et, après avoir réussi leur recon
fait que les économistes font cause commune
avec les partis politiques, cherchant à substi
version libérale, plusieurs d'entre eux restent
au centre de la vie politique actuelle25. tuer aux questions sociales et politiques celles
Nous pouvons dégager quatre axes selon de l'économie, sans pour autant abandonner
lesquels se structurent les positions des leurs
éco positions dans le champ scientifique. La
nomistes-réformateurs, à savoir: les opposi
participation massive des économistes aux
tions intradisciplinaires (scientifiques) structures
; les du pouvoir contribue à «l'écholo
oppositions statutaires ou institutionnelles;
calisation» du politique et à «la politisation»
les oppositions politiques et enfin, les homo
de l'économique.

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Ν Ε Τ R

ENCADRE

Chronologie des événements politiques, économiques et intellectuels

1987 : a) Trois Plénums du Comité central Révision de l'époque stalinienne dans la litté
du PCUS: janvier «De la perestroïkarature et la historique et sociale.
politique de cadre du parti» ; juin «Des
1989 : a) Réforme politique donnant plus de
tâches du parti dans la perestroïka radicale
pouvoir aux soviets. Deux niveaux: Congrès
de la gestion économique», b) Objectif
des députés et Soviet suprême. Constitution
d'amélioration de la qualité de la production
du poste du président du Soviet. Réforme du
(Commissions de contrôle d'État de la qua
système électoral des députés de l'URSS.
lité). Éléments de la démocratie dans l'entre
Léonide Abalkine nommé président-adjoint
prise (élection des cadres dirigeants. Premiers
du Conseil des ministres, dirige le Comité de
pas vers la restauration du secteur privé,
la réforme économique, b) L'entreprise sort
c) Publications critiques dans la presse des
de la tutelle de l'organe de gestion étatique
méthodes de gestion socialiste ; critique de la
ou sectoriel et peut contester la commande
planification administrative. Idées de révision
de l'État sur la livraison de sa production.
du modèle du socialisme qu'on a construit et
Libre choix des formes de gestion écono
de sa «purification». Orientation sur la per
mique. Réforme bancaire; organisation du
estroïka, glasnost', démocratisation.
système de banques de branche ; création des
banques commerciales, c) Grâce au nouveau
1988 : a) Suppression du système de gestion
«commando-administrative». Résolutions de
système électoral parmi les députés, augmen
tation du nombre des scientifiques, des intel
réorganisation de l'appareil du Parti; de par
lectuels. Publication du livre d'Egor Gaïdar
tition des compétences entre le Parti et les
et Stanislav Chataline Réforme économique:
soviets; reconstruction des institutions de
origines, orientations, problèmes, où les
soviets. Mikhaïl Gorbatchev élu président du
positions des auteurs sont en parfaite
Présidium du Soviet suprême. Constitutionconcordance.
de la Commission des réformes économiques,
b) Processus de « désétatisation » (bail,1990
lea : a) « Guerre des lois » entre l'URSS et
sing), début d'application de la Loi sur les républiques. Loi visant à garantir les fon
dements économiques de la souveraineté de
l'entreprise, Autorisation de l'activité écono
mique individuelle. Adoption des lois sur la Fédération
la russe et prenant le contrôle
des ressources et infrastructures situées sur
coopération et les entreprises mixtes (jusqu'à
40% du capital étranger). «Émission son
desterritoire. M. Gorbatchev élu président
valeurs par des entreprises et des de l'URSS. Adoption par le Soviet suprême
institutions» au fondement de la constitution du programme «500 jours». Débat sur l'uni
du marché des valeurs. Problèmes: l'approvi fication des deux programmes. Adoption,
sionnement, montée de l'inflation, la chute par le Soviet suprême de l'URSS, du pro
du pouvoir d'achat en rouble ; hausse du défigramme de réformes - Les Grandes orienta
cit budgétaire, c) Retour aux idées de tions.la b) Aggravation de la conjoncture éco
NEP: réédition et publication d'inédits des nomique, chute du volume de production,
travaux d'économistes russes du début de accélération de l'inflation. Le commerce
extérieur de l'URSS avec les pays membres
xxe siècle. Recherches sur les nouvelles
du CAEM
formes de la planification, l'association du se fera en devise sur la base des
prix mondiaux. Formation d'un marché
plan et du marché, la décentralisation de la
national
gestion économique. Élaboration du Pro des devises. Tendance à la «dollari
gramme complexe de progrès techniquesation»
et de l'économie. Constitution d'un
fonds du patrimoine d'État de l'URSS
scientifique du pays en 1991-2010 (CEMI).

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Ν Ε Τ R

chargé de la désétatisation. Mesures


économique du cabinet d'E. Gaïdar, mais p
taires permettant reconnaît son coût social très
le passage à élevé.
une Entréeécono
de marché :application
au gouvernement des de industriels
prix (dontde gr
contractuels. Les V. Tchernomirdine).
prix de détail Adoptionpour
du Pro cert
groupes de biens gramme de de consommation
privatisation en 1992 par le Soviet on
libérés plus tard,suprême c) Refus
de la Russie. E. de
Gaïdar,l'idée
président du
ché socialiste, épuisement du capital de du gouvernement limogé. V. Tchernomirdine
confiance du gouvernement. Congrès consti Premier ministre, b) Grande libération des
tutif du mouvement « Russie démocratique » prix, spoliation des épargnes des comptes
(Gavriil Popov, S. Chataline) dans l'opposi bancaires, hausse des prix sur les produits de
tion au PCIJS avec pour objectifs : la démis consommation. La Russie admise comme
sion du gouvernement Ryjkov; le transfert membre du FMI. Loi instaurant une période
au peuple du patrimoine du PCUS ; l'élec de transition. Création du système de com
tion rapide au suffrage universel du prési tés du patrimoine de la Russie. Prêt du FMI
dent de Russie et le soutien de la réforme en soutien du programme de privatisation
économique radicale. (90 millions des dollars). Début de crise de
l'endettement interentreprises et du troc, c)
1991 : a) Référendum sur la question de Nombreuses
la manifestations contre le mémo
conservation de l'Union soviétique. Élabora
randum adressé par le gouvernement
tion d'un nouveau pacte d'Union. Boris
Eltsine, Président de la Fédération russe. de Russie au FMI, contre la privatisation
nomenklaturiste, les réductions d'effectifs.
Coup d'État d'août. Nomination du gouver
nement de réformes de Russie. Démantèle Lettre ouverte au président de la Russie,
signée par le groupe d'économistes opposi
ment de l'URSS, démission de M. Gorbatchev,
tionnels.
b) Libération partielle des prix de détail
(réforme Pavlov). Les républiques et les
1993 : a) Référendum de confiance au prési
régions déclarent leurs droits sur toutes les
ressources et les biens sur leur territoire dent
; et au Parlement. Accord entre le gouver
nement russe et le FMI concernant l'assistance
l'appropriation quasi illégale du patrimoine
aux transformations structurelles. Retour
de l'URSS. Arrivée des experts économiques
d'E. Gaïdar au gouvernement au poste de Pre
à Moscou (Jeffrey Sachs, etc.). c) Un groupe
comprenant des économistes américaines mier adjoint du Premier ministre et du
ministre de l'Économie. B. Eltsine annonce
(Stanley Fisher) et russes (Grigori Iavlinski)
une dissolution du Parlement, assaut de la
élabore le programme de réforme macroéco
Maison Blanche par des chars et des forces
nomique « Accord pour une chance » qui a
militaires intérieures. Élections au nouveau
supposé l'aide financière de l'Ouest.
Parlement, le référendum d'une nouvelle
Anders Aslund assure le cycle de séminaires
Constitution de la Russie, b) Réforme moné
à l'Institut des problèmes économiques
taire liée à la formation d'une nouvelle zone
de la période de transition. Rencontre de
de rouble, l'échange restrictif des billets; nou
B. Eltsine, Guennadi Bourboulis et E. Gaïdar
velle réquisition des épargnes individuelles.
avec les sept conseillers économiques occi
Début de la pratique systématique des non
dentaux. L'intervention de J. Sachs: réforme
de la Banque centrale; privatisation immé paiements de la part de l'État, c) Forum des
diate, hausse considérable de la taxe inté forces démocratiques de Russie, avec la parti
rieure sur le pétrole ; proposition d'aide occicipation des représentants des organisations
dentale à des réformes. sociales, de la culture, des mouvements poli
tiques, des dirigeants d'entreprise, des entre
1992 : a) Signature du Programme écono preneurs, des hommes politiques afin d'élabo
mique avec le FMI. Décret de lutte contre larer les mesures de correction du cours de
corruption; B. Eltsine soutient la politiqueréformes et atteindre l'adhésion civile.

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