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Théories des Organisations

Plan de cours

Chapitre introductif p2
Chapitre 1 : Une variété de courants p7
Chapitre 2 : Les courants fondateurs p9
Chapitre 3 : Les théoriciens entre 1960 et 1974 p30
Chapitre 4 : Les théoriciens entre 1975 et 1984 p62
Chapitre 5 : Les courants contemporains p79
Chapitre 6 : Les dynamiques des courants théoriques p85

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Chapitre introductif
Comparativement à d’autres objets d’étude scientifique, les organisations n’ont retenu
l’attention que de façon relativement récente puisque leur analyse émerge au tournant des 19e
et 20e siècle.
Lorsque l’on s’intéresse aux organisations en tant qu’entités, on s’interroge naturellement sur
leur nature et les motifs de leur existence, leur diversité et la possibilité de l’ordonner au moyen
de typologies faisant ressortir points communs et spécificités, ce qui sous-tend leur dynamique
ou leur trajectoire d’évolution. Le mode d’agencement de l’organisation pose essentiellement
le problème des formes et des déterminants de sa structuration et des choix qu’il convient de
faire à cet égard pour atteindre un certain degré d’efficacité de l’action collective. Quant à
l’approche processuelle, elle s’intéresse à la façon dont les acteurs construisent leur univers
organisationnel, interprètent les situations, instruisent leurs décisions, posent leurs actes et
interagissent.
Ces différentes questions sont traitées par de multiples disciplines des sciences humaines et
sociales (économie, gestion, psychologie individuelle, psychologie sociale, sociologie,
anthropologie…) avec des finalités relevant à la fois d’un souci de compréhension
fondamentale des phénomènes organisationnels et d’une volonté de maitriser ou d’améliorer le
fonctionnement des organisations.
En un peu plus d’un siècle, ces disciplines ont accumulé un ensemble de connaissances qui se
caractérise par son aspect composite, la diversité des points de vue et la concurrence des
interprétations. Qu’il s’agisse de comprendre les phénomènes organisationnels ou de proposer
des modes et des outils de management pertinents, on ne peut dire que les efforts d’analyse ont
produits un corps homogène d’énoncés explicatifs et prescriptifs. Parler d’une théorie ou d’une
science des organisations serait de ce fait excessif et occulterait ce qui fait la richesse d’un
ensemble d’études dont la diversité des points de vue et le caractère souvent conflictuel sont à
la mesure de complexité du monde des organisations.
La discipline théorie des organisations
La théorie des organisations peut être considérée comme une sorte de discipline « ressource »
intéressant différentes catégories d’utilisateurs qui ont besoin d’apprécier les attributs et les
propriétés de ce qu’ils s’approprient :
-les spécialistes des différents langages fonctionnels de la gestion, qui trouveront dans les
théories des organisations les cadres théoriques qui utiles à leurs propres questionnements, ou
qui développent ces cadres sur la base d’une référence implicite à tel ou tel courant d’analyse
de l’organisation ;
-des praticiens qui, même s’ils s’en défendent parfois, ne sont pas insensibles à l’apport
potentiel des théories des organisations à la résolution de leurs problèmes. Pour eux, l’accès à
la discipline est sans doute plus souvent indirect et l’usage d’avantage bricolé, cela dit dans
connotation péjorative.
Un peu plus d’un siècle sépare l’impulsion initiale et ce qui peut être qualifié désormais de
discipline établie si l’on se fie aux attributs académiques que l’on associe d’ordinaire à un tel
statut.

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-présence dans de nombreux cursus de formation relevant des sciences humaines et
sociales, mais aussi des formations d’ingénieurs.
-existence de revues dédiées
-existence de manuels, d’encyclopédie
-existence de congrès académiques dédiés ou de rubriques dans des congrès généraux
consacrés aux questions de management.
Un siècle donc pour le moins, d’accumulation de connaissances dont il ne faut pas cacher le
caractère hétéroclite du contenu ni les conflits voire les polémiques qu’il nourrit.
L’histoire de la pensée en théorie des organisations est riche de l’émergence de différents
courants selon un processus quasi dialectique, au sens où une école donnée se développe
souvent en réaction à celles qui l’ont précédée. Cette histoire ne peut se lire indépendamment
du contexte, c’est-à-dire du monde réel des organisations qui offre à l’analyste des objets à la
fois multiformes et protéiformes.
1.Les finalités de la discipline
Définie en termes simples, une théorie est un ensemble de connaissance donnant l’explication
d’un certain ordre de faits, ou un ensemble d’énoncés permettant d’expliquer, de comprendre,
voire de maitriser des phénomènes réels. Les phénomènes qui intéressent les théoriciens des
organisations sont tous ceux relatifs au comportement des groupes sociaux constitués à des fins
d’action collective.
Les premiers écrits en théorie des organisations, ceux que l’on rangera sous l’étiquette de
« théorie classique », possèdent une finalité essentiellement pragmatique. Il s’agit d’aider les
dirigeants ou responsables d’organisations, à commencer par les entreprises qui constituent une
catégorie particulièrement importante pour les sociétés entrées dans une logique de
développement industriel, à améliorer l’efficience de leur fonctionnement en le rationalisant.
Les premiers auteurs considérés comme des théoriciens des organisations, sans que les titres de
leurs ouvrages fassent nécessairement usage de cette expression, sont d’ailleurs pour la plupart
d’entre eux des hommes d’action exerçant ou autant exercé des responsabilités dans la conduite
d’entreprises et tirant des leçons de leur expérience. Les propositions en ce sens prennent la
forme de préceptes, de conseils, de principes fondamentaux volontiers considérés comme
d’application universelle.
S’il est légitime de s’interroger sur l’adéquation entre le travail de théorisation et les
préoccupations des hommes d’action, on peut le faire en examinant le degré de recouvrement
des centres d’intérêts des uns et des autres, mais il est difficile de tirer une conclusion à partir
du seul constat d’une divergence de leurs préoccupations respectives à moins d’ériger en norme
l’une ou l’autre des versions en présence ce qui revient à considérer a priori le problème comme
résolu. On peut le faire également en définissant des critères de pertinence auxquels les
productions des chercheurs devraient satisfaire, par exemple :
-pertinence descriptive : capacité à saisir les phénomènes vécus par les praticiens dans leur
contexte organisationnel ;

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-pertinence de but : correspondance entre les variables de résultat ou les variables dépendantes
d’une théorie et les éléments que le praticien veut influencer ;
-validité opérationnelle : capacité à mettre en œuvre les actions impliquées par la théorie ;
-non-évidence : degré auquel une théorie dépasse le simple bon sens déjà maitrisé par le
praticien ;
-à propos temporel : disponibilité de la théorie au bon moment.
Le respect de tels critères peut certes entrer en phase avec l’attente légitime de praticiens en
quête de solutions relativement immédiates aux problèmes qu’ils rencontrent et, de fait, une
bonne partie de la recherche sur les phénomènes organisationnels consiste à interpréter et
évaluer des pratiques managériales dans différents contextes et à en tirer des énoncés descriptifs
pour différentes situations.
Cependant, le rôle des théoriciens des organisations ne se réduit pas à proposer une sorte
d’ingénierie de l’organisation faite de conseils techniques adaptés à la conduite des opérations
quotidiennes. Il consiste plus fondamentalement à fournir le langage conceptuel et symbolique
permettant de comprendre les phénomènes organisationnels, d’abstraire, de codifier, d’évaluer
les réalités empiriques et de permettre ainsi leur interprétation, voire de porter un regard
critique.
2.Le contenu des théories des organisations, ou les questions traitées
« La théorie des organisations veut rassembler tout ce qui tend à une meilleure compréhension
du phénomène de l’organisation » Rojot (2015).
Considéré de cette façon, le champ de la discipline est vaste. En première analyse, cette diversité
peut s’ordonner en quelques grandes thématiques liées aux questionnements qui viennent assez
naturellement à l’esprit quand on aborde le monde de l’organisation ; de quoi s’agit-il ? Qu’est-
ce qui la caractérise ? Comment cela fonctionne-t-il ? Pourquoi cela existe-t-il ?
Dans cette perspective, on trouvera dans les théories des organisations cinq grandes catégories
de développements, non totalement indépendants, correspondants à différents types de curiosité
qu’éveillent les organisations :
A.Les organisations comme objets à caractériser et à catégoriser (ce que sont les organisations)
La question posée est celle de la nature ou de l’essence de l’organisation que l’on cherche à
définir de façon générale, sans pour autant ignorer le fait que le monde des organisations
manifeste une grande variété qui justifie des essais de classement. Ceux-ci peuvent, le cas
échéant, constituer le prélude d’essais théoriques spécifiques ou de moyenne portée.
B.Les organisations comme objets à analyser ou dont on veut comprendre le fonctionnement
(comment les organisations fonctionnent-elles ?)
L’interrogation est double puisqu’elle porte sur le fonctionnement interne de l’organisation (ce
qui se passe au sein de ses frontières, à supposer qu’on puisse vraiment les délimiter) et sur les
relations de l’organisation avec son univers extérieur. La première perspective conduit à
s’intéresser à un ensemble de processus dont l’inventaire sert souvent de fil conducteur aux
ouvrages généraux d’analyse des organisations. Certains de ces processus sont étudiés de
longue date, comme les processus de décision, de communication, de leadership, de fixation
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des buts, de résolution de conflits, etc… ; d’autres sont associés à la mobilisation plus récente
de certaines métaphores comme le processus d’apprentissage ou les processus cognitifs. La
seconde perspective correspond notamment à l’analyse des facteurs et processus qui
conditionnent la survie et le développement de l’organisation, et de façon générale, son
adaptation à un univers en changement plus ou moins rapide. Bien entendu, ces deux
perspectives ne sont pas véritablement dissociables.
C. Les organisations comme objets à évaluer (ce que produisent les organisations)
Ici, c’est la question de l’efficacité ou de la performance de l’organisation qui est au cœur des
réflexions, la notion elle-même n’étant pas aisée à défini. Elle peut renvoyer des jugements
autoréférents, au sens où l’organisation est appréciée dans sa capacité à accomplir la mission et
à atteindre les buts qu’elle s’est fixés ; elle peut correspondre à une évaluation hétéroréférente
qui pose le problème de la responsabilité de l’organisation vis-à-vis de ses parties prenantes, et
plus généralement, des acteurs de son univers extérieur.
D. Les organisations comme objets protéiformes (comment les organisations évoluent-elles ?)
Les phénomènes de changement et tout ce qui se rapporte à la dynamique des organisations
constituent une autre thématique fondamentale qui ressortit à différents niveaux d’analyse. On
peut aussi s’intéresser au destin de l’organisation considérée comme une entité individuelle,
possédant une identité et une histoire propres, voire développer un essai théorique de type
ontogénétique. Un bon nombre de modélisations, se voulant de portée générale, exploitent la
métaphore du cycle de vie et proposent une théorie des phases de développement par lesquelles
passerait toute organisation. On peut également raisonner à des niveaux d’analyse collectifs ou
macro et considérer les processus qui sous-tendent l’évolution des populations, de catégories
ou d’espèces d’organisations, dans une perspective cette fois phylogénétique. À ces analyses
processuelles s’ajoutent les réflexions sur l’existence et le sens de tendances générales dans la
transformation des dispositifs organisationnels, tendances qui caractériseraient des périodes
successives de l’histoire des organisations et, au-delà, des sociétés.
E. Les organisations comme objets dont il faut expliquer l’existence (pourquoi les organisations
existent-elles ?)
L’organisation n’est pas un objet naturel, qui va de soi. Même si nos sociétés sont peuplées
d’organisations en tout genre et si leur omniprésence tend à en faire des réalités d’évidence, la
question de l’apparition de l’organisation et de ce qu’elle représente en termes de processus
coopératif constitue un problème fondamental pour la théorie des organisations. À cet égard,
on peut s’intéresser à la justification de l’existence des organisations en tant qu’objet générique
(et se demander par exemple pourquoi il existe des entreprises), mais aussi à la création d’une
organisation en quelque sorte nommément désignée.
Avec ces différentes questions, l’organisation fait bien figure d’objet doté de caractéristiques,
de propriétés, voire de lois de fonctionnement, qu’un observateur extérieur serait en mesure de
découvrir et d’analyser. Cependant, le champ d’investigation des théories des organisations
s’élargit encore si l’on prend en considération le caractère polysémique du mot organisation.
Ce terme est en effet couramment utilisé pour désigner tout à la fois une entité constituée à des
fins d’action collective, sont mode d’agencement et les processus ou les actions qui les
produisent. Ou bien encore, en simplifiant, le même mot vaut pour parler d’une action (l’action

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d’organiser ou ce que font les individus quand ils s’organisent) et ce qu’elle produit ou ce qui
en résulte.
Ces deux sens sont dynamiquement liés ; l’action d’organiser produit un certain état qui, en se
maintenant, peut être regardé comme une entité dotée d’une certaine structure, laquelle
constitue la base de l’action subséquente d’organisation
Il existe cependant une différence fondamentale de vision entre l’approche objet et l’approche
processuelle. La première cherche à mettre au jour des principes et des propriétés durables
quand la seconde explore davantage les pratiques, sans postuler une nature ou une essence de
l’organisation de façon absolue, et attire volontiers l’attention sur l’instabilité des organisations.
D’où les débats désormais très présents entre représentants des deux approches.
3-La notion de théorie en théories des organisations :
En matière de théorie des organisations, il faut d’abord souligner que le mot « théorie » peut en
fait recouvrir une variété d’énoncés ou de discours. Il est possible de trouver des énoncés
correspondant à la définition générale du mot théorie, c’est-à-dire en fait un modèle agençant
un ensemble de variables permettant d’expliquer un phénomène donné, mais comme le
remarque P.Cossette, partisan d’une approche cognitiviste des phénomènes organisationnels,
on a aussi tendance à utiliser le mot « théorie » pour désigner des énoncés beaucoup plus flous.
Il peut s’agir :
-d’une façon très générale de voir les choses, d’une conception du monde des organisations ;
-d’une conviction tenue pour acquise sur un élément précis ;
-d’une simple hypothèse qui a plus ou moins été mise à l’épreuve ou dont on ne peut affirmer
la validité expérimentale ;
-de l’explication d’un événement singulier, chacun pouvant avoir sa « théorie » pour en rendre
compte.
Une bonne partie des réflexions et des recherches sur les organisations s’inscrit dans un projet
nomothétique visant à découvrir des lois et appliquant des méthodes d’investigation
(considérées comme) scientifiques.

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Chapitre 1 : Une variété de courants

La variété des courants en théorie des organisations


Le premier contact avec les théories des organisations a de quoi dérouter dans la mesure où ce
champ disciplinaire est loin d’être unifié. Il donne plutôt l’impression d’un kaléidoscope de
courants, de discours plus ou moins discordants sur une large variété de sujets.
La très grande variété de courants théorique provient de la diversité des disciplines qui se sont
saisies des phénomènes organisationnels ainsi que des différentes localisations des écoles de
pensée. A cet égard, si nombre de travaux relèvent de traditions anglophones et plus
particulièrement américaines, les pays francophones sont également à l’origine d’une
production importante et tout à fait originale. (Voir les références sur site internet Cairn par
exemple).
Chaque courant de théorie des organisations mérite une attention spécifique, une étude
particulière des points de vue qu’il développe et des apports qu’il réalise pour la compréhension
des phénomènes organisationnels. Mais il n’est guère possible d’en apprécier la portée et
l’originalité sans points de repères généraux et sans d’interprétation de ce champ disciplinaire.
1.La saga des théories des organisations ou l’histoire d’une orthodoxie contestée
L’histoire de la pensée en matière d’analyse des organisations est riche de l’émergence de
différents courants selon un processus quasi-dialectique, au sens où une école donnée se
développe souvent en réaction à celles qui l’ont précédée. Cette histoire ne peut se lire
indépendamment du contexte, c’est-à-dire du monde réel des organisations qui offre à l’analyste
des objets à la fois multiformes et protéiformes : la théorisation s’appuie bien évidemment sur
les manifestations concrètes du monde des organisations que les observateurs ont à portée de
regard.
Le schéma suivant propose un inventaire de ces courants ainsi que leur chronologie en retenant
les dates de publication des travaux les plus marquants de chacun d’entre eux. Cet ordre ne peut
bien entendu être considéré de façon stricte puisque d’une part, certains courants apparaissent
de façon quasi simultanée et que, d’autre part, les différents courants tendent à se perpétuer au
cours du temps et à nourrir les traditions de recherche. Ce mode de développement ne va pas
sans une certaine balkanisation du domaine des études organisationnelles, avec l’existence de
sous-disciplines indépendantes (économie des organisations, approche institutionnelle, théorie
critique, thème de l’apprentissage, etc.), phénomène que limite cependant une certaine tradition
d’ouverture intellectuelle propre à sa discipline. Ce schéma indique également les noms d’un
certain nombre d’auteurs qui, sans nécessairement être considérés comme des théoriciens des
organisations ou être clairement affiliés à tel ou tel courant, n’en sont pas moins des sources
d’inspiration pour la discipline.

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Chronologie des écoles en théorie des organisations

Ecole socio-
technique
Théorie des
configurations
Weber
Approche
Théorie systémique Théorie de la TNI
classique contingence économique Network Théorie de la
Théorie de la
bureaucratie theory complexité
Théorie néo-
classique Ecole des
Ecole Courant
populations
Carnegie évolutionniste

10 20 30 40 50 60 70 80 90
2000
1900 TDR
Ecole ASO
mathématique
Courant TNI
Approches Courants
RH sociologique
interactionnistes critique et
Mouvement post-
des RH moderniste
Courant
culturaliste

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Chapitre 2 : Les courants fondateurs
Théorie classique
Le Taylorisme
Taylor est un précurseur dans la présentation d’une théorie de l’organisation, et pas uniquement
dans l’organisation du travail. Taylor va, en fait, bien au-delà de la description d’une méthode
d’exécution du travail. Il propose une théorie beaucoup plus générale de l’organisation. Le
terme d’OST attaché à son œuvre est trompeur et il est victime d’une part des sens multiples,
en langue française du mot « organisation ».
Cela dit, il développe ses travaux tout au long de sa carrière passant de salarié, à consultant puis
à théoricien. De ce fait, ses écrits ne s’adressent pas toujours au même public, ils peuvent être
interprétés de différentes manières et parfois même sembler contradictoires.
Taylor, comme chacun, est partiellement le résultat de l’aboutissement de son histoire
personnelle. Il s’intéresse au travail manuel. Il a en effet reçu une formation sur le tas, de
mécanicien par apprentissage, puis d’ingénieur par correspondance. Cette formation influence
sans nul doute le fait que sa théorie de l’organisation soit centrée sur l’aspect spécifique de
l’atelier et sur le processus physique de production. Elle est contenue dans deux de ses ouvrages
essentiels publiés en 1904 et 1911 (Shop Management et Scientific Management). Cette théorie
part d’un certain nombre de postulats qu’il a formés, d’une part au plan pratique sur le tas, et
d’autre part au terme d’une analyse qui reflète les acquis et les préjugés de son époque.
Le premier de ces postulats est le scientisme, la foi dans la science en général et en la méthode
expérimentale en particulier. Celle-ci entraine la certitude qui doit permettre d’arriver à une
méthode de management « scientifique » et donc acceptable par tous ou plutôt s’imposant à
tous par sa rationalité « indiscutable » et incontestable.
Le second est que la gestion de la production sur le terrain telle qu’elle a lieu de son temps est
inefficace, et ceci pour quatre raisons :
-l’encadrement est incompétent ou mal formé, mais en tout cas ignorant du travail réel à
accomplir.
-Les salariés restreignent volontairement leur production et emploient toutes sortes de méthode
de freinage pour travailler le moins possible. Pour Taylor ils n’ont pas tort, car quand leur
production augmente, s’ils sont payés aux pièces, l’encadrement réduira le taux payé par pièce,
et les fera donc travailler plus pour moins d’argent.
-Les salariés sont persuadés que l’accroissement de la production par leurs efforts accroitrait
leurs chances de chômage par diminution de l’emploi disponible. Taylor n’est pas d’accord
avec cette idée.
-Les méthodes de travail en usage, empiriques, sont inefficaces et gâchent les efforts, chacun
travaillant à sa manière.
La méthode proposée pour remédier à cet état de fait est simple : remplacer la gestion inefficace
courant par un système nouveau qui comporte plusieurs éléments :

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-L’organisation scientifique du travail : consacré par la division du travail, il consiste à élaborer
une nouvelle méthode, scientifique de travail. Il convient d’étudier, enregistrer, classer les
connaissances traditionnelles et empiriques des ouvriers qualifiés, tout en mesurant les temps
nécessaires à chaque opération. L’on va ensuite les systématiser et les enrichir par les
connaissances théoriques et les observations sur le tas des ingénieurs du bureau des méthodes.
Ceux-ci vont ainsi élaborer les méthodes les ^plus efficaces et rapides d’exécution du travail de
production. Cette élaboration de nouvelles méthodes comprend l’étude des temps et des
mouvements. Le procédé consiste à définir les éléments de la séquence des opérations
auxquelles procèdent les salariés pour effectuer leur travail. Ensuite, les gestes qui ne
contribuent pas directement à l’exécution de la tâche sont éliminés. Pour chaque élément, la
méthode d’exécution la plus rapide observée est sélectionnée avec l’assemblage perfectionné
des gestes les plus efficaces et les plus simples. Une nouvelle séquence d’opérations est ainsi
construite. Les temps sont observés, puis calculés, puis additionnés pour donner la durée de
l’opération et fixer les standards de performances. Cette méthode est la meilleure et la plus
rapide pour exécuter la tâche doit être exposée et suivie sans déviation par tous les salariés qui
auront à l’exécuter et ceci dans le temps fixé. Des études additionnelles sont menées pour placer
les périodes de repos et améliorer les outils. Ainsi est justifiée et consacrée la division
horizontale du travail. Chacun accomplira une tâche strictement définie, de la façon précise
dont elle définit et cette tâche seulement.
-Le système d’organisation du travail est complété par un système de sélection et de
motivation :
a) Le recrutement est fondamental, les hommes doivent être adaptés à leur tâche. Pour
Taylor la formation est très importante, car il estime que tout salarié pouvait soit être
naturellement de « première qualité » pour une des taches disponibles dans l’entreprise,
soit devenir de « première qualité » si on lui trouvait un travail adapté à ses potentialités
après formation adéquate.
b) Taylor plaide également pour un salaire équitable pour une journée de travail
équitable est fixé avec un taux à la pièce « suffisant » et invariable tant qu’était atteint
le niveau prescrit scientifiquement.
c)Au-delà de la production de la journée de travail équitable, un système à taux
différentiel est établi qui peut permettre au salarié de dépasser 30 à 100% de son salaire
de base en fonction du nombre des pièces supplémentaires produites. Ce système crée
la coopération salarié-encadrement sur le lieu de travail puisqu’il supprime tant le
recours à l’arbitrage du chef que le besoin du salarié de recourir au freinage. Ce qui doit
par conséquent supprimer les conflits et régler la question sociale.
d)Un système de contrôle étroit est instauré. L’organisation est complétée par un
encadrement qui comprend deux éléments :
-La supervision par fonctions avec 4 contremaitres opérationnels, chacun chargé d’une
tâche fonctionnelle spécifique et opérant couramment avec les trois autres sur une
supervision conjointe de chaque salarié. Ils sont respectivement chargés de la
préparation du travail, de la mise en œuvre, de la qualité, de l’entretien et de la réparation
des machines.

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-Leur rôle est complété par quatre contremaitres fonctionnels, en charge de
l’ordonnancement des travaux, des fiches d’instructions, de l’enregistrement des temps
et des coûts de la discipline. Ces quatre contremaitres constituent le premier étage d’un
département centralisé et puissant, qui est chargé de « penser ». Il a pour mission tout le
travail d’organisation et de conception. Il doit préparer le travail et son exécution, ainsi
que l’approvisionnement, la gestion des stocks et la circulation des produits et des
matériaux. S’y ajoutent la gestion du personnel (salaires, embauches, paie, et discipline),
la comptabilité, l’administration générale et l’organisation au sens de l’entretien et du
perfectionnement.
La conséquence de ce choix organisationnel est double. Elle a pour effet d’une part un contrôle
étroit des exécutants, et d’autre part d’établir encore plus avant et de formellement consacrer, à
côté de la division horizontale déjà soulignée plus haut, la division verticale du travail entre
conception, par les ingénieurs des méthodes et le département « pensant », et exécution, par les
exécutants déchargés de toute responsabilité et de toute autonomie, à qui il est même prescrit
de ne pas penser.
Le Taylorisme a dans un premier temps connu un succès majeur. On peut expliquer son succès
de la manière suivante. La courbe d’apprentissage d’un travail élémentaire et répété est
considérablement plus rapide que celle d’un travail complexe et à cycle long. Plus l’on répète
une opération simple, mieux on la fait et plus un travail est simple et plus on l’apprend vite.
D’autre part, étant donné la décomposition du travail en tâches élémentaires, un contrôle plus
étroit est facilité. Il devient possible de manière plus précise et plus efficace avec l’usage
d’instruments de mesure statistiques simples.
Le Taylorisme a été, avec le perfectionnement du travail à la chaine, une des conditions de
réalisation de la production de masse, qui elle-même a permis la civilisation de consommation.
Il faut bien constater qu’à l’heure actuelle, la grande majorité du travail industriel dans le monde
entier est exécuté suivant des méthodes mises au point par les successeurs de Taylor.
Lénine favorable au Taylorisme comme un des outils du communisme, jusqu’au
Stakhanovisme « Héros du Travail ».
Le Taylorisme a également subi plusieurs critiques :
- Sur un plan pratique, son extension et ses résultats ont été considérés comme entrainant une
forme de travail déshumanisant, traitant l’homme comme une machine (Les temps modernes,
Voyage au bout de la nuit). Son application combinée au principe de chaine de montage (qui
n’est pas de Taylor) a conduit à créer des postes de travail industriel où les tâches à accomplir
sont des cycles ultracourts de quelques secondes répétés toute la journée. La double division du
travail, horizontale et verticale créée des tâches répétitives, monotones et sans intérêt
-Sur le théorique les critiques sont les mêmes que celles adressées à l’ensemble des théories
classiques. Une critique spécifique à Taylor tout de même est d’avoir considéré que la seule
motivation pour l’homme était l’argent.

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Le Fayolisme
Comme Taylor, Fayol est avant tout un praticien, ingénieur des mines puis dirigeant. Ainsi, ses
travaux se concentrent sur le travail des dirigeants. En 1916, il publie l’ouvrage : Administration
industrielle et générale.
Pour Fayol les activités de l’entreprise se répartissent entre 6 catégories :
-technique : les activités de production, transformation, fabrication ;
-commercial : achat, vente et échange ;
-financière : recherche et usage optimal (gérance) des capitaux ;
-sécurité : protection des personnes et des biens ;
-comptable (incluant la tenue de statistique) ;
-administrative.
Cette dernière comporte elle-même cinq composants :
-organisation,
-coordination,
-contrôle,
-commandement,
-prévoyance (planification).
Pour Fayol la prévoyance est d’ailleurs le principal rôle du dirigeant. Il s’agit d’estimer ce que
sera le futur et de s’y préparer. Les prévisions (capital, production, coûts, vente, prix, etc.) sont
faites à un an et dix ans.
Chaque poste dans l’entreprise comporte l’exercice d’activités contenues dans chacune des six
catégories. Cela dit, Fayol remarque que ce sont les cinq premières catégories qui ont retenu
l’attention générale alors que c’est la sixième qui est la plus importante. En effet, elle seule doit
être accomplie par le dirigeant lui –même, alors que toutes les autres pourraient être déléguées
à des spécialistes (de la technique, la vente, la finance…). Certes l’exercice de la fonction
administrative requiert un certain nombre de qualités intrinsèques :
-physiques (santé, vigueur et adresse) ;
-mentales (la capacité de comprendre et d’apprendre, le jugement, la vigueur mentale et
l’adaptabilité) ;
-morales (énergie, fermeté, volonté d’accepter des responsabilités, initiative, loyauté, tact,
dignité) ;
-d’éducation (connaissances générales sur des sujets n’appartenant pas exclusivement aux
fonctions exercées) ;
-techniques (spécifiques à la fonction exercée) ;
-d’expérience (provenant du travail exercé en lui-même).

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Fayol regrette ainsi que l’enseignement des capacités administratives (on dirait aujourd’hui de
gestion) n’ait pas sa place, car celles-ci peuvent et doivent s’apprendre au même titre que les
capacités techniques, d’abord en théorie et ensuite sur le terrain. Il attribue cette lacune pour
une large part à l’absence d’un corps de théorie de l’administration bien développé et
généralement accepté. Il s’attache donc à établir et procède à l’élaboration d’une telle théorie
qui se résume sous forme de ses 14 principes.
Il ne recommande cependant pas leur application rigide, admet qu’il en existe d’autres et que
leur usage dépend des circonstances. Ces caractères pragmatiques rendent d’ailleurs
l’application de sa théorie plus flexible et beaucoup moins rigide que celle de la méthode de
Taylor.
Ces 14 principes se résument ainsi :
-division du travail : au sens de la spécialisation pour accroitre l’efficience et qui doit
s’appliquer aussi bien au travail administratif que technique ;
-autorité : corollaire à la responsabilité exercée et née de celle-ci. L’autorité dérive de la
fonction du dirigeant, mais aussi de ses qualités personnelles ;
-discipline : qui requiert de bons supérieurs à tous niveaux ;
-unité de commandement : chaque employé ne doit relever que d’un supérieur (contrairement
aux deux groupes de quatre contremaitres fonctionnels de Taylor) ;
-unité de direction : chaque groupe d’activités dirigé vers un même but doit avoir un seul
dirigeant et un seul plan ;
-subordination des intérêts individuels à l’intérêt général (de l’entreprise). Le rôle du dirigeant
est de réconcilier les deux ;
-rémunération et méthodes de paiement équitables qui apportent le plus de satisfaction possible
au salarié et à l’employeur ;
-centralisation de l’autorité suivant les circonstances pour apporter le meilleur retour en
fonction des décentralisations nécessaires. Cependant, le dirigeant qui conserve un maximum
d’autorité évite les divergences d’intérêts qui tendent à se produire automatiquement quand les
échelons hiérarchiques se multiplient ;
-hiérarchie matérialisée dans une chaine scalaire de supérieurs (de commandement et
d’autorité). Chaine qui doit être suivie en principe, mais peut être « court-circuitée » si les
circonstances l’exigent et si respecter la chaine scrupuleusement devient dommageable pour
l’ensemble de l’entreprise ;
-ordre matériel et moral : une place pour chacun et chacun à sa place : une place pour chaque
chose et chaque chose à sa place ;
-équité : les supérieurs dans leurs rapports avec leurs subordonnés devront faire preuve d’une
combinaison de justice et de bonté qui suscite à leur égard loyauté et dévouement ;
-stabilité du personnel afin d’éviter les coûts et les dangers d’un roulement trop rapide du
personnel qui résulte et crée à la fois la mauvaise gestion ;

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-initiative dans la conception et l’exécution d’un plan. Fayol note de façon très intéressante que
c’est une des satisfactions les plus aigües qu’un homme intelligent puisse expérimenter et que
les supérieurs doivent sacrifier leur vanité personnelle pour permettre à leurs subordonnés de le
connaitre ;
-union du personnel ou esprit de corps : d’une part c’est le rappel que l’union fait la force et
que tous les efforts doivent tendre vers un seul but, mais c’est aussi en un sens beaucoup plus
moderne la mise en avant de l’importance du travail d’équipe et de la communication.
Il convient de répéter que pour Fayol cette liste n’est pas exhaustive ni obligatoire. Cette place
laissée à la souplesse dans l’énumération et l’application des principes permet de présager les
apports des théories de la contingence que nous analyserons plus tard.
Pour Fayol, ses idées s’appliquent aux entreprises et aux autres organisations (organisations
étatiques, organisation à but non lucratif, etc.). Le caractère actuel des concepts qu’il a
développés, seul et sur une seule réflexion basée sur sa seule expérience, est frappant. Ce sont
ceux qu’à l’heure actuelle la grande entreprise moderne emploie.
Fayol est sans doute le père de la gestion en tant que discipline et métier. Il est en fait le créateur
de l’idée de séparation de l’activité de gestion de celle de la production technique d’un bien ou
d’un service déterminé. Sa fonction administrative définit l’activité du gestionnaire et du
manager, applicable à toutes les organisations indifféremment en tant que science autonome et
indépendante.

14
Conclusion sur la théorie classique
Curieusement, les travaux de Fayol ont particulièrement été étudiés dans les pays anglo-saxons
et très peu en France, là où les travaux de Taylor seront majeurs. Fayol est à l’origine de l’école
dite classique fondée sur l’observation des organisations existantes qui semblent prospérer
économiquement et consistant à en tirer des règles d’actions et principes d’application générale.
Les successeurs sont : Gulick & Urwick (1937), Mooney & Reiley (1931) qui vont chercher à
affiner les principes.
La théorie classique veut présenter un système cohérent de règles d’application générale dans
la structuration et la gestion des organisations. Elle offre notamment trois catégories de
prescriptions et d’outils : des principes, des fonctions, des instruments. Quelques exemples :
Principes : division du travail ; établissement de prévisions ; unité de commandement ;
communication formelle…
Fonctions : planifier et prévoir, organiser, diriger, coordonner…
Instruments (outils) : descriptions des postes, organigramme, contrôle de gestion, tableau de
bord…
Critiques et évaluation sur la théorie classique
On peut soutenir l’idée que l’application des théories traditionnelles, en général, a créé des
emplois simplifiés, ennuyeux, répétitifs où la hiérarchie pèse d’un poids sans appel.
Une critique d’ordre conceptuel : un principe implicite sous-entend l’application de ces
théories, l’idée qu’il est possible de trouver la bonne organisation, meilleure en toute
circonstance, et qu’il est possible de supprimer toutes contradictions et tous conflits entre les
parties prenantes. Ce principe implicite repose sur trois postulats :
-le « bon modèle » implique qu’il y a une bonne façon et une seule bonne façon de faire les
choses.
-Les individus sont interchangeables dans une bonne organisation, une fois qu’ils ont été
formés, qu’ils sont appris les tâches qui leur incombent et qu’ils sont placés à leurs postes.
-On considère que le poste, la fonction, c’est l’homme. Non seulement l’homme est
interchangeable, mais dans l’organigramme il se réduit à sa fonction.
Ces trois postulats implicites, indémontrables par définition, sont amplement contestables et
sont amplement contestés comme nous le verrons dans plusieurs théories suivantes.

15
La théorie des relations humaines
Follett, précurseur :
Dans les années 1920, période où elle écrit Mary Parker Follett est précurseur, dans le sens où
elle anticipe les conclusions de l’école des relations humaines. Elle s’intéresse aux notions de
pouvoir et de conflit dans l’organisation, auxquelles les auteurs nord-américains vont rester
longtemps étrangers.
Elle considère le conflit comme normal. C’est une réalité permanente qui ne doit pas être évitée,
mais utilisée. Il comporte trois modes de résolution :
-la domination, une partie impose sa loi à l’autre ;
-le compromis, marchandage où l’on échange des compromis ;
-l’intégration des points de vue en conflit en une situation nouvelle et innovante et implique
que chacun dévoile ses véritables intérêts afin de mettre les différences en évidence.
C’est cette troisième solution qui est satisfaisante à long terme.
Elle fait par ailleurs un travail d’analyse visant à préciser les notions d’autorité, de contrôle et
de pouvoir.
Enfin, Follett considère qu’en termes de management il ne faut pas considérer l’individu, mais
la relation. Individu et situation se créent réciproquement en relation dans une dialectique
évolutive de façon permanente.
Les expériences de l’Usine de Hawthorne
Les expériences ont été réalisées à partir de 1924 à l’usine de Hawthorne de la Compagnie
Western Electric dont le siège était à Chicago, et qui se poursuivent sous la direction d’Elton
Mayo.
Les expériences commencent en 1924 dans cette usine qui occupe plusieurs milliers de salariés
sous les auspices de la « National Academy of Science », mais conduites par la hiérarchie de
l’usine, avec l’objectif initial d’étudier le lien entre l’illumination de l’atelier et la productivité
des salariés. Dans une logique Taylorienne, il s’agit de créer les meilleures conditions
matérielles de travail.
Expérience 1
Donc un meilleur éclairage est présumé causer une productivité accrue. Initialement des
changements dans l’éclairage artificiel sont comparés avec la productivité dans trois ateliers
dans que des résultats concluants soient atteints. Ensuite, des salariés dont la productivité était
équivalente sont séparés en deux groupes physiquement localisés dans des emplacements
différents. Pour le groupe expérimental on fait varier les conditions d’éclairage alors qu’elles
restent stables pour le groupe témoin. Or malgré cette différence d’expérimentation, la
productivité augmente dans les deux groupes. Puis, la productivité augmente toujours même
quand on fait baisser la lumière dans le groupe expérimental jusqu’à un niveau d’éclairage de
pleine lune. Le même phénomène se reproduit quand les deux groupes sont placés ensuite en
lumière naturelle. Par ailleurs, les interviews des ouvrières donnaient des résultats paradoxaux.

16
La première conclusion tirée fut donc qu’un facteur autre que les conditions physiques
d’éclairage intervenait dans les variations de productivité.
Expérience 2
C’est l’expérience de la première salle d’assemblage des relais. Les chercheurs sélectionnent
deux ouvrières qui elles-mêmes en choisissent quatre autres constituant un groupe de six, avec
cinq opératrices et une ouvrière chargée de l’approvisionnement qui montent des relais
téléphoniques à partir de 40 pièces détachées. Elles sont soumises à des examens médicaux
réguliers. Leur productivité précédente était connue et elle est ensuite mesurée par période de
temps. Un observateur est présent dans la salle, notant ce qui se passe et examinant les attitudes
des ouvrières. L’expérience s’étend entre 1927 et 1932, mais seuls les 13 premiers cycles
jusqu’en 1929 feront l’objet de résultats publiés. Les conditions de travail sont alors
progressivement changées, les ouvrières sont d’abord soumises à un régime de travail aux
pièces avec bonus, puis des périodes de repos de durée et de périodicité variées sont introduites,
un repos gratuit est accordé, la journée de travail est raccourcie ; le samedi devient jour de
congé, enfin pendant un cycle toutes les améliorations et incitations sont supprimées, puis
restaurées à la période suivante. En juin 1929, la productivité a augmenté de plus de 30%. Elle
a augmenté durant la plupart des 13 cycles. Elle est restée plus élevée qu’initialement dans celle
où tous les avantages ont été supprimés. Elle n’a cependant pas monté dans un cycle où les
ouvrières se sont plaintes de ce que la périodicité choisie pour les pauses brisait le rythme du
travail.
L’observateur avait noté une atmosphère amicale entre les ouvrières. Très tôt, deux des
sélectionnées initiales qui n’avaient pas coopéré avaient été remplacées. Par ailleurs, le rôle de
l’observateur avait changé. De simple témoin, il avait développé des relations de conseil,
d’information avec les ouvrières dont il recevait aussi les plaintes, les commentaires et dont il
demandait l’opinion sur les changements. Son rôle original avait été « de conserver des notes
précises sur tout ce qui s’était passé » et « de créer et maintenir une atmosphère amicale dans
la salle ». En fait, lui et les expérimentateurs avaient remplacé la maitrise en prenant en charge
une partie de ses fonctions et avaient établi un climat de supervision plus souple, beaucoup
moins autoritaire où les ouvrières communiquaient beaucoup plus facilement et librement.
D’autre part, elles se voyaient accorder beaucoup plus d’attention individuelle et personnalisée
que dans leurs conditions de travail habituelles.
C’est sur ces bases que les principales conclusions de la théorie des relations humaines vont
être formées.
Expérience 3
Un second group d’assemblage des relais est établi en septembre 1928 qui comporte le même
système de primes que le premier groupe, mais où les ouvrières restent physiquement à
l’intérieur de leur département. Parallèlement, dans l’expérience de la salle de clivage les
ouvrières sont à nouveau séparées de leur département habituel et voient leurs conditions
matérielles de travail changer. Les chercheurs mènent en parallèle des interviews non directifs
qui vont conduire à la mise en place d’une nouvelle expérimentation, la « Bank Wiring Room ».
Un groupe de 14 ouvriers qui montent des équipements électriques plus complexes est
sélectionné. Ils travaillent normalement, mais sous observation. Cette fois-ci l’observateur
n’intervient en aucun cas et se rend aussi invisible que possible.

17
La crise de 1929 met un terme progressif aux expériences.
Les conclusions tirées des expériences
Les conclusions de ces expériences posent plusieurs questions notamment en termes de
reconstruction a posteriori qui peuvent être discutables. Cela dit, nous pouvons avancer quatre
conclusions importantes :
-La simple connaissance par un individu du fait qu’il est sujet d’observation modifie son
comportement ;
-La deuxième se manifeste dans le fait que c’est l’intérêt de la direction pour les ouvrières qui
fait que leur productivité augmente. C’est une réaction positive de leur part au fait que l’on
s’intéresse à leur sort et cela n’a rien à voir avec les conditions matérielles de production et le
contenu physique de leur travail puisque la production augmente quoique l’on fasse, que l’on
baisse ou que l’on augmente la lumière, que l’on augmente ou diminue la durée des pauses, etc.
Cette constatation heurte totalement les postulats de la théorie classique. Toutefois se pose le
problème de la durabilité de cet effet.
-Le troisième s’attaque à l’organisation du travail selon l’école classique. Il prend sa source
dans l’importance que recouvrent les relations interpersonnelles à l’intérieur du groupe illustré
par le rôle de l’observateur dans la première expérience de la salle d’assemblage des relais. Il
consiste dans le fait que ce qui est important pour la productivité se sont les relations à l’intérieur
de l’unité de travail, la cohésion et les bonnes relations entre des salariés qui s’entendent bien,
en fait donc le moral du groupe. Le personnage clé pour établir un tel climat c’est le leader du
groupe. La cohésion se produit et les bonnes relations s’établissent quand le système classique
de supervision, basé sur le contrôle et la contrainte, fait place à un système de supervision plus
souple.
La théorie traditionnelle est attaquée, car ce ne sont pas le lien scalaire, le lien d’autorité et de
responsabilité supérieur-subordonné qui comptent, mais l’aspect émotionnel des relations entre
individus. De même la méthode Taylorienne est attaquée, ce qui compte est l’entente interne et
le leadership de chaque unité de travail. L’organisation formelle est bien sans importance
comparée à l’organisation informelle.
-La quatrième conclusion découle de la dernière expérience. Dans le groupe des 14 salariés
s’étaient créées des relations informelles fortes. Des leaders informels qui ne coïncidaient par
avec les contremaitres ou inspecteurs étaient apparus spontanément. Bien que les salariées
soient payées suivant un système de bonus aux pièces, ils paraissaient totalement indifférents
aux stimulants financiers, car jamais plus d’un certain nombre de pièces n’étaient produites par
jour alors qu’ils apparaissaient clairement à l’observation que les salariés auraient pu sans effort
et sans la plus petite difficulté, en produire 15 à 20% de surplus. Tout salarié cependant qui
avait des cadences de production supérieures à celles du groupe se voyait rappelé à l’ordre. Si
certains produisaient plus que la norme quotidienne, ils déclaraient un chiffre inférieur et
ralentissaient le jour suivant pour se remettre au niveau adopté par le groupe.
Le code informel de comportement faisait appliquer les règles suivantes sanctionnées par des
rappels à l’ordre, des mises en quarantaine ou des sanctions plus immédiates :
-il ne fallait pas produire trop : c’était être un casseur de cadence

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-il ne fallait pas produire toujours insuffisamment : c’était être un profiteur
-il ne fallait jamais dire à un supérieur quoi que ce soit au détriment d’un membre du groupe :
c’était être un mouchard
-il ne fallait pas essayer de maintenir une distance sociale à l’égard de ses pairs ou agir
strictement dans le cadre de ses fonctions si elles distinguaient d’eux.
Cette conclusion confirme l’existence et l’importance des groupes informels dans
l’organisation.
Ces résultats, il faut le noter, infirment aussi le postulat taylorien de l’argent comme seule
motivation de l’homme : la motivation réelle, d’après toutes ces expériences, c’est l’affectivité,
les bonnes relations entre membres du groupe, l’attitude confiante et détendue à l’égard du
leader respecté et écouté, mais compréhensif et positif, qui aide et soutient.
La critique des expériences et des conclusions
Plusieurs critiques sur la manière dont ont été montées les études, l’absence de sélection
rigoureuse des ouvriers, le double rôle des observateurs…
Les relations employeur-salarié ne sont pas prises en compte, par exemple pour le phénomène
syndical et les relations collectives du travail, mais c’est tout aussi vrai pour l’ensemble social
dans lequel prend place l’organisation industrielle.
Les économistes libéraux ridiculisent dans des termes virulents l’abandon du stimulant matériel
qu’est l’argent et du rôle des choix individuels et du marché, en particulier l’abandon de
l’hypothèse du comportement économique rationnel au profit de l’intégration social.
Par ailleurs, au-delà de ce bilan, il est permis de formuler une constatation : comme la théorie
traditionnelle, la théorie des relations humaines, du moins à l’étape où nous l’analysons, est une
théorie du « one best way ». Elle repose aussi sur l’hypothèse qu’il y a une bonne organisation
et une seule. Seulement celle-ci n’est plus matérielle. Ce n’est plus l’organisation formelle, ou
du travail, c’est celle de l’aspect informel, du climat affectif qui règne dans le groupe de travail.

19
Théorie de la bureaucratie
Weber, la rationalisation de l’organisation et le travail d’employé
Contrairement à Taylor ou Fayol, Weber est un pur intellectuel, Professeur d’Université et ceci
dans le cadre de l’Allemagne du début du 20e siècle, titulaire d’une Chaire de Philosophie et de
Droit. Au lieu de poser le problème banal et quotidien de savoir pourquoi les individus
désobéissent parfois aux instructions, il inverse la perspective et s’interroge sur les raisons
générales de l’obéissance des individus.
Il en distingue trois types : le modèle charismatique (1) où l’organisation fonctionne par
dévouement de ses membres à un héros ; le modèle traditionnel (2) où elle fonctionne soit par
obéissance des membres aux croyances et au caractère sacré de ceux qui gouvernent, soit par
soumission de ces membres aux coutumes, usages et précédents et le modèle rationnel-légal ou
bureaucratique (3), basé sur la règle et établi par un but, institution dominante de la société
moderne.
(1) Dans l’organisation charismatique c’est la croyance des membres en les qualités
exceptionnelles de leur héros qui assure le fonctionnement de l’organisation en basant ainsi son
autorité sans limites. Chefs de guerre, politiciens…Le leader charismatique galvanise les
énergies et assume le pouvoir, puis à son tour, la dévotion de ses subordonnés prend un aspect
routinier permettant à ses successeurs de recourir au modèle traditionnel d’autorité.
(2) Le modèle traditionnel est celui où l’autorité du dirigeant en fin de compte est légitimée par
la croyance en la nature inviolable de la routine quotidienne héritée des anciens et la certitude
que le passé doit se reproduire. Bien entendu les dirigeants ont tout intérêt à entretenir ce
modèle.
(3) La Bureaucratie définie par Weber consiste dans le règne de la règle opposée à celui du bon
vouloir d’un individu. Il propose, comme étant plus efficace et plus adapté à la société moderne
le modèle rationnel de l’organisation du travail d’employé. Il s’intéresse en fait aux « bureaux »
chargés des fonctions administratives sur la base de l’exemple de l’armée prussienne. Analysant
la structuration de l’organisation en Bureaux, il qualifiera donc son modèle de
« Bureaucratique » par opposition aux systèmes anciens. Cependant, ce modèle basé sur le
travail d’employé est de conception plus large que celui de Taylor, initialement restreint au
travail ouvrier et à l’industrie, et est applicable à toutes organisations.
Le modèle bureaucratique ou rationnel légal repose sur les idées suivantes qui sont
mutuellement interdépendantes :
-l’établissement de normes ou de règles sur les membres du groupe par accord mutuel ou par
application de la rationalité ;
-un corps de règles abstraites établies intentionnellement et écrites ;
-ceux en position d’autorité occupent une « fonction » dans l’exercice de laquelle ils sont sujets
à un ordre impersonnel ;
-celui qui obéit à l’autorité ne le fait qu’en tant que membre du groupe et seulement dans
l’obéissance aux règles ;

20
-cette obéissance n’est pas due à la personne qui individuellement occupe une fonction, mais à
la position qu’il occupe dans un ordre impersonnel.
Il en résulte donc une organisation continue de fonctions liées par des règles. Les fonctions
délimitent des sphères de compétences spécifiques et d’autorité qui incluent une obligation
d’accomplir certaines tâches, définie en fonction d’une division systématique du travail et de
l’octroi de l’autorité suffisante à son occupant pour accomplir ses tâches avec des moyens de
coercition strictement définis et dont l’usage est soumis à des conditions précises. Cet ensemble
constitue une unité administrative. Il s’y ajoute l’organisation hiérarchique des fonctions, une
formation spécialisée aux règles qui les régissent qu’elles soient techniques ou normatives, et
la démonstration d’une qualification suffisante pour les assumer ; la séparation de l’exercice
des fonctions et de la propriété des moyens de production, ainsi que de la propriété privée du
titulaire ; la non appropriation de sa fonction par le titulaire (non vénalité des charges) différente
de la titularisation qui garantit l’indépendance ; la formulation par écrit de toutes les règles de
décisions et actes administratifs, même s’ils ont été initialement établis oralement.
Hors le chef suprême de l’organisation qui peut être élu, mais dispose cependant d’une sphère
de compétences limitées, tous les employés du système bureaucratique sont :
-personnellement libres et sujets uniquement à leurs obligations officielles et aux règles
impersonnelles qui régissent leur travail ;
-organisés en une hiérarchie de fonctions cl arment définies ;
-situés dans des fonctions avec une sphère de compétence légalement définie, occupant cette
fonction par contrat en vertu d’une sélection objective ;
-sélectionnés sur la base de leurs qualifications techniques et nommés et non élus (la plupart du
temps après une sélection par examen ou sur diplôme) ;
-payés en salaires fixes avec des retraites en fonction de leurs rangs et statut et pouvant toujours
démissionner, mais licenciables seulement pour des causes graves prévues à l’avance ;
-occupant leur fonction comme unique ou principale occupation ;
-y faisant carrière, promus par leurs supérieurs en raison de l’ancienneté ou des résultats, ou des
deux, par appréciation des supérieurs ;
-sans s’approprier leurs fonctions, séparées de la propriété des moyens d’administration ;
-sujets à une discipline stricte et systématique et au contrôle de leur conduite dans leurs
fonctions. Ce dernier point l’avantage d’ailleurs d’éliminer aussi bien l’arbitraire du chef sur le
subordonné que celui du bureaucrate sur le public.
Il est à noter que Weber qualifie ses modèles de types purs d’autorité légitime. En particulier le
modèle rationnel bureaucratique est qualifié « type idéal ». Ainsi que l’a noté Aron ce concept
utilisé par Weber à plusieurs fins, « à la fois pour désigner tous les concepts des sciences de la
culture et pour puiser quelques espèces déterminées de concepts ». Dans le cas du modèle
bureaucratique rationnel, il s’agit de la combinaison d’éléments abstraits de la réalité qui se
retrouvent à divers moments de l’histoire. Donc ce modèle qui ne se retrouve pas
obligatoirement comme pur dans la nature et absolu à l’état réel dans la vie des organisations
peut cependant servir comme standard et comme idéal. Les survivances dans le domaine présent

21
de l’empire du rationnel-légal des modèles charismatique et traditionnel qui viennent d’être
évoqués témoignent de ce point. En effet, le modèle bureaucratique, idéal type, ne va pas
complètement les effacer et certains de leurs traits vont persister à côté, et au moins
partiellement, même à l’intérieur d’organisations bureaucratiques.
Avantages du modèle Wébérien :
-il remplace la faveur ou le népotisme par la règle et protège les salariés contre l’arbitraire et
les discriminations.
-il garantit autant que possible la compétence de ceux qui sont employés.
Historiquement la rationalité de ce système vient s’opposer à une tradition aristocratique ou
naissance et privilège tenaient lieu de loi. C’est le modèle répandu dans toutes les organisations
dès qu’elles dépassent une certaine taille.
Weber d’ailleurs avait pleinement conscience de la puissance du modèle qu’il avait dévoilé et
décrit, comparant la bureaucratie à une cage de fer dans laquelle l’humanité pouvait être
enfermée jusqu’à ce que la dernière tonne de charbon fossile ait été consumée sur cette terre.
Cependant l’attaque contre la forme d’organisation bureaucratique est permanente.
« Bureaucratique » a pris aujourd’hui un sens péjoratif, là où Weber pensait un progrès certain
sur le passé. Le principal reproche que l’on fait aux bureaucraties, c’est de ne pas fonctionner
comme des bureaucraties le devraient (Perrow). C’est bien là où l’on constate que le modèle
rationnel légal est un idéal type et non une réalité : la discrimination à raison de l’origine ou du
sexe a-t-elle vraiment disparu ? Le népotisme d’école, sinon familial, moins visible, n’a-t-il
aucune part dans le choix des hauts dirigeants ? Enfin, quand nous avons affaire à une
organisation, nous plaignons nous plus souvent de la hiérarchie écrasante qui y règne ou de ne
pas trouver de responsables capables de nous répondre ?

22
L’école Carnegie
La théorie de la décision
Les théories traditionnelles postulaient une rationalité absolue. La théorie économique néo-
classique traduit cette rationalité en termes de maximisation. L’homme économique maximise
en toute occasion et choisit logiquement la branche de l’alternative devant laquelle il est placé
qui lui est la plus profitable, au sens où elle est optimale, et elle maximise ses gains et minimise
ses coûts. L’apport fondamental des théories de la décision a été de remettre en cause ce postulat
et de montrer les limites dans lesquelles il s’inscrit.
Simon définit le processus de prise de décision comme ayant tout ou partie des éléments
suivants :
-reconnaissance de l’existence d’un problème ;
-recherche de solutions possibles existantes, « toutes faites »
-élaboration de solutions possibles innovantes,
-choix d’une solution ;
-application et mise en place de cette solution.
Pour simplifier une décision requiert une occasion de choix, quand plusieurs branches
d’alternative sont ouvertes, une d’entre elles est sectionnée, qui entraine une action ou
comportement, y compris bien sur celle qui consiste à ne rien faire.
Simon définit trois étapes dans le processus de la décision :
-établissement de la liste de toutes les branches d’alternative, avec tous les comportements ou
actions possibles ;
-détermination des conséquences de chacune ;
-évaluation séparée de ces ensembles de conséquences.
Par la suite plusieurs auteurs (Mintzberg) vont raffiner ces étapes.
-Première phase, l’identification. Elle comporte deux étapes, la reconnaissance du besoin d’une
décision, le constat qu’une occasion de choix est ouverte.
-Phase de développement. D’abord une étape de recherche de solutions, puis une étape de
conception de modifications de solutions. Entre les deux étapes, processus itératif d’essais-
erreurs.
-Phase de la sélection à appliquer, elle doit être conçue en termes d’éléments interactifs de tri
des solutions à écarter, évaluation/choix (avec trois modes : jugement, négociation, analyse).
Une fois le processus de décision caractérisé, il est important de distinguer entre catégories de
décision. Une division importante est celle qui sépare grandes et petites décisions. Les grandes
décisions sont des occasions de choix reconnues et isolées. Elles ont un caractère unique,
discontinu et impliquent une attention soutenue. Les petites sont de routine, répétitives,
additives et marginales.

23
Finalement, nous noterons qu’une partie des problèmes liés à la théorie de la décision résulte
du fait que le terme implique deux significations qui ne se recouvrent par complètement : le
résultat d’un processus (une décision est ou a été prise) et le processus qui conduit à ce résultat
(une décision est en cours).
La rationalité limitée
Le concept de rationalité : dans les termes les plus simples, la rationalité implique que, quand
il est placé dans une situation de choix en face de plusieurs branches d’alternative, l’acteur
rationnel choisit celle qu’il croit aboutir au meilleur résultat global. La rationalité est donc
définie comme étant relative à la sélection d’un comportement préféré en face d’une alternative,
un choix étant ouvert, fait en termes d’un système de valeurs quelconques à travers lequel les
conséquences de ce comportement peuvent être évaluées.
Simon établit une série de distinctions :
Une décision est objectivement rationnelle si en fait elle correspond au comportement correct
pour maximiser des valeurs données dans une situation donnée.
Elle est subjectivement rationnelle si elle maximise le résultat relativement aux connaissances
réelles de celui qui la prend, qui peuvent être exactes ou erronées.
Elle est consciemment rationnelle dans la mesure où l’ajustement des moyens aux fins est un
processus conscient, recherché ou non.
Elle est délibérément rationnelle dans la mesure où l’ajustement des moyens aux fins a été
recherché et appliqué délibérément.
Le modèle de la rationalité absolue
Il comporte un certain nombre de conditions et un résultat qu’il est possible de résumer ainsi
-Il existe un seul décideur, qu’il soit individuel ou collectif. S’il existe plusieurs décideurs, ils
partagent des objectifs identiques et ont un système de préférence similaire.
-Ce décideur dispose d’un système de préférences (ou dit aussi de valeurs) ordonné qui lui
permet de dégager des objectifs qui sont :
-clairement définis et explicites ;
-stables dans le temps (ce qui est préféré aujourd’hui était préféré hier et sera préféré
demain, toutes choses égales entre elles) ;
-mutuellement exclusifs (A est préféré à B ou B à A et l’un est l’autre sont clairement
distincts, ils ne peuvent être atteints en même temps ou préférés simultanément) ;
-extérieurs à la situation de choix, qui ne les influence pas et qu’ils n’influencent pas.
-Le décideur dispose d’une connaissance exhaustive des branches d’alternative ouvertes par
l’occasion de choix et de leurs conséquences. Il connait toutes les actions et tous les
comportements possibles et considère toutes leurs conséquences dans le futur.

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-Le décideur établit et applique un critère de choix objectif, connu et partagé par tous, à toutes
les branches d’alternative qui permet de les évaluer dans les termes de son système de
préférences par rapport à leur adéquation à ses objectifs.
Pour qu’une décision soit absolument rationnelle, il faudrait que le décideur unique devant une
occasion de choix voie toutes les actions et tous les comportements possibles et envisageables
qu’elle comporte, à l’avance ; considère et prenne en compte la complexité de toutes les
conséquences possibles qui découleront de chaque action et comportement ; les considère
synoptiquement (c’est-à-dire dans leur ensemble et non séparément) ainsi que simultanément ;
applique son système de préférences à cet ensemble total de conséquences de chaque action et
comportement possible ; dispose d’un critère qui lui permet d’isoler une action ou un
comportement maximisateur dans les termes de ce système.
Le modèle de rationalité limitée
Simon note que le comportement des individus est bien en grande partie orienté vers des buts.
Chaque décision est la sélection d’un but qui est lui-même un intermédiaire ver un but plus
éloigné et ainsi de suite jusqu’à ce que le but final soit atteint. En principe, toutes les décisions
qui conduisent à la sélection d’un but final sont des jugements de valeur. Il est donc impossible
de savoir si elles sont correctes ou non.
Par ailleurs, la rationalité est liée à la construction d’une hiérarchie de fins et de moyens. Les
moyens servant à atteindre des fins, elles-mêmes intermédiaires vers d’autres fins. Cela
implique la comparaison des moyens pour atteindre une même fin, en termes d’efficience.
Cependant la séparation totale fins moyens est impossible.
D’une part, le lien entre moyens vers des fins intermédiaires et fins ultimes est souvent soit ténu
et peu évident, soit incomplètement formulé à cette étape.
D’autre part, les moyens alternatifs potentiellement utilisables ne sont pas de valeur neutre et
sans importance sur les fins. Par exemple, aux fins de l’équilibre financier du système de
sécurité sociale, le contrôle des dépenses de santé peut se faire par la fermeture d’hôpitaux, ou
de lits d’hôpitaux, la fixation des honoraires ou du nombre d’actes des professions de santé, le
non-remboursement de produits pharmaceutiques, etc…Suivant les moyens employés, il en
résultera un système de sécurité sociale différent avec un mode très différent de mutualisation
des risques santé.
De plus, un élément de temps vient jouer. Si une fin est un état ou une condition quelconque à
réaliser, alors un seul tel état peut être réalisé à un moment donné, mais plusieurs fins
constituant des étapes peuvent se succéder sur une période de temps, et le choix est influencé
non seulement par une fin donnée, mais aussi par les attentes des fins à réaliser à différents
moments dans le temps.
Par ailleurs, si une fin donnée doit être réalisée à un moment donné, quelles autres fins doivent
être négligées ou abandonnées à ce même moment ? Et si cette même fin donnée doit être
réalisée à ce moment donné comment cela limite-t-il les fins à réaliser à d’autres moments à
venir ?

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Limites tenant aux conditions de décision
Pour qu’une décision soit objectivement rationnelle, ce qui correspond à la rationalité de
« l’homme économique », il faudrait que le sujet confronté à une occasion de choix, donc
devant prendre une décision et confronté à une alternative :
-voie à l’avance toutes les branches d’alternative ouvertes et les actions et tous les
comportements possibles et envisageables qui en découlent, chacune avec leurs conséquences ;
-considère globalement et simultanément l’ensemble total, dans toute sa complexité, des
conséquences dans le temps qui suivraient chaque branche d’alternative ;
-applique son système de préférences valeur ou d’utilité à cet ensemble total des conséquences
de chaque choix possible toujours considéré synoptiquement, c’est-à-dire en même temps et
côte à côte ;
-ait établi un critère de choix objectif qui lui permette d’isoler la branche alternative qui
maximise sa satisfaction en termes de son système de valeurs.
Or cela ne peut se réaliser en pratique. Ceci provient des limites physiques et intellectuelles des
individus. Par ailleurs, les éléments suivants entrent en jeu :
-la connaissance complète de toutes les branches d’alternative ouvertes avec les actions et
comportements possibles est le plus souvent très difficile, sinon impossible. La connaissance
des situations complexes est presque toujours fragmentaire et incomplète. Le monde est trop
compliqué. L’éventail des possibles est trop vaste ;
-l’anticipation de la réalisation de toutes les conséquences qui suivraient chaque branche
d’alternative est-elle certainement impossible, le futur est trop complexe et obscur ;
-ces conséquences se produisant dans le futur, leur survenance est imprévisible, le futur est
aussi incertain ;
-même si toutes les conséquences pouvaient être décrites, elles ne pourraient être anticipées
exactement. La réalité est toujours différente des attentes. Donc, par ailleurs, l’imagination doit
suppléer au manque de connaissances expérimentales des sentiments perçus en fonction de ce
qui se produira peut-être dans le futur, en attachant des valeurs à celles qui sont connues. De
plus, les valeurs ne peuvent qu’être imparfaitement anticipées.
Cependant, l’individu reste rationnel. La rationalité exige un choix préféré entre toutes ces
branches d’alternatives aux conséquences complexes, imprévisibles et incertaines. En fait,
donc, seul un très faible nombre des actions et comportements possibles qui en découlent
viendront à l’esprit. La plupart ne sont jamais évoquées et donc jamais évaluées. Donc dans la
plupart des cas, confronté à un choix, l’individu construit un modèle simplifié de la réalité, une
définition de la situation à son échelle et avec ses moyens.
Le comportement restera de nature de tendance maximisatrice, mais dans le cadre limité de son
niveau minimum de satisfaction et non absolument maximisateur. Une étape suivante complète
ce modèle. Si l’individu ne trouve pas à ce point de branche d’alternative qui satisfasse son
critère, il va ajuster son minimum de satisfaction à la baisse et réitérer le processus avec un
critère un peu plus exigeant. Si par contre il trouve trop vite ou trop facilement, il va procéder
de même, mais à la hausse.

26
Cet homme administratif s’oppose donc ainsi à l’homme économique de la rationalité absolue.
Une bonne partie de la littérature s’arrête ici et se borne à constater cette opposition.
La théorie comportementale de la firme
Cyert et March se penchent sur le problème de la prise des décisions importantes dans les
entreprises. Ils partent du constat que seuls les individus ont des objectifs et que les collectivités
d’individus n’en ont pas. Néanmoins les organisations progressent vers l’équivalent d’objectifs
et exercent des contraintes sur leurs membres à cet effet.
Les organisations sont définies comme des coalitions d’individus dont certains sont organisés
en sous-coalitions et dont les frontières sont fluctuantes, dans le temps et
fonctionnemennellement. L’organisation ainsi conçue est à surface variable. Un supermarché
par exemple pour un certain type de décision pour une décision liée au tissu social urbain,
comprendra les clients dans ses frontières en tant que membres. Pour une décision sur la
rentabilité, il se limitera à la définition juridique de salarié.
Pour un type de décision donné, à un moment donné, parmi les membres inclus par la
configuration qu’elle entraine, des coalitions vont se former, dont l’une sera dominante. Il est
impossible de décrire une coalition une fois pour toutes.
À cette étape dire qu’une organisation a un but signifierait, soir que seuls les buts du dirigeant
comptent, soit que tous les membres de l’organisation sont réunis dans une coalition unique et
partageant les mêmes buts. En fait donc l’équivalent des buts de l’organisation est constitué des
buts que s’est assignés une coalition qui se retrouve dans une position majoritaire et dominante.
Les objectifs de ces coalitions d’individus et de groupes et sous-coalitions sont formés à travers
des négociations entre eux.
Slack organisationnel
Cependant chaque membre des coalitions a donc ses propres buts au prisme de sa rationalité,
des informations dont ils disposent. Chaque participant a plusieurs objectifs, pas
obligatoirement clairement ordonnés en une fonction de préférence.
L’apprentissage organisationnel
L’organisation apprend de ses expériences. Les procédures opératoires standard sont en quelque
sorte la mémoire de l’organisation, qui comme la mémoire, changent, mais lentement et à des
vitesses différentes.
Deux niveaux sont distingués :
 Les procédures générales de choix. Typiquement les organisations prennent des décisions en
résolvant des séries de problèmes. Elles passent d’une crise à l’autre et utilisent massivement
des procédures de décisions qui :
-cherchent à fuir l’incertitude et la nécessité d’avoir à prédire des événements futurs incertains.
Elles réagissent un feedback plus qu’elles ne prévoient ;
-maintiennent tant que possible les règles existantes et évitent les changements ;
-utilisent des règles simples et se reposent sur le « jugement » individuel pour introduire une
certaine flexibilité dans l’application de ces règles.
 Ces procédures générales sont mises en place par l’intermédiaire de procédures opératoires
standard spécifiques :
27
-les règles d’exécution du travail qui contiennent l’apprentissage du passé ;
-des rapports et des enregistrements d’activités continues, qui permettent des prédictions ;
-des règles de traitement de l’information qui permettent sa transmission et son filtrage ;
-des plans qui matérialisent les objectifs, leurs schémas d’implantation et jouent le rôle de
théories et de précédents.
À court terme, ces procédures dominent les décisions qui sont prises. Elles ont un impact sur
les objectifs, les désirs et les attentes des individus dans l’organisation.

28
L’école mathématique
Principaux représentants Contenu, apports
Raiffa & Luce (1947) Mouvement qui mobilise les méthodes mathématiques pour les
Churchman (1957) appliquer à la résolution des problèmes dans les organisations.
La manifestation la plus évidente se trouve dans le
développement de la recherche opérationnelle et ses multiples
applications (problèmes d’ordonnancement et de planification,
de gestion des stocks, d’investissement, etc…) Ce mouvement
auquel s’attache une idée de préparation scientifique des
décisions trouve rapidement ses limites dans un réductionnisme
quantitatif.

29
Chapitre 3 : Les théoriciens entre 1960 et 1974

L’école socio-technique
L’interaction des systèmes sociaux et techniques dans l’entreprise
Expérience de la mine avec le changement des pratiques de travail avec l’apparition des
machines. Les chercheurs Emery et Trist observent la production dans des mines de charbon en
Angleterre. Dans une partie des équipes d’ouvriers, l’organisation est de type taylorienne et il
est introduit de nouvelles machines capables de doubler la productivité. Dans les autres équipes
d’ouvriers, une organisation autonome et souple est conservée. Les résultats de l’étude sont
contre-intuitifs.
L’introduction de la méthode brisait la polyvalence des mineurs, les confinait à une seule tâche,
rompait la coordination du cycle de travail précédent entre équipes, distinguait des statuts et
séparait le paiement de chacun de la performance collective. De plus, globalement, la forte
intégration sociale qui avait caractérisé les petites équipes précédentes disparaissait
complètement.
La productivité déclina, des rivalités et conflits entre groupes et entre qualifications dans les
groupes se développèrent, l’absentéisme augmenta pour certaines catégories de personnel,
chaque équipe montante en vint à rejeter la responsabilité des erreurs et faute sur l’équipe
descendante, car les responsabilités étaient devenues diffuses, etc.
Cependant, les chercheurs découvrirent que certains puits n’avaient pas adopté la nouvelle
organisation travail malgré l’implantation de la nouvelle technologie d’extraction. Les résultats
de la comparaison étaient frappants : les équipes qui ont conservé leur autonomie montrèrent
une productivité accrue, un meilleur moral, une diminution considérable de l’absentéisme, etc.
Les conclusions tirées des expériences
Elles établissent que l’organisation peut faire l’objet de choix et n’est pas dictée par des
considérations techniques. Pour une technologie donnée, il existe bien un choix large du mode
d’organisation.
L’organisation ne dépend ni de la technologie seule, comme l’ont soutenu certains théoriciens
de la contingence, ni de la situation psychologique et sociale seule des hommes au travail
comme l’ont soutenu certains théoriciens des relations humaines. Elle dépend en fait des deux :
c’est un système socio-technique, organisation sociale et organisation technique interagissent
dans ce système et s’influencent réciproquement.
Par ailleurs, c’est un système ouvert et l’entreprise doit sélectionner ses tâches prioritaires en
s’adaptant à l’environnement. Ceci fait que la technologie définit un cadre, qui pose les limites
au type d’organisation possible, mais il reste une marge de choix et ce choix de l’organisation
sociale du travail a des conséquences sociales et psychologiques qui sont indépendantes de la
technologie.

30
Les contraintes techniques et sociales réagissent les unes sur les autres. Il est aberrant de tenter
d’optimiser l’une sans adapter l’autre, car elles auront des conséquences l’une sur l’autre.
Par ailleurs, l’organisation socio-technique doit aussi être économiquement viable, ce qui
entraine une série additionnelle de contraintes et va amener à parler de système socio-
économico-technique. Là aussi cependant, il s’agit bien de contraintes à partir et à l’intérieur
desquelles divers choix technologiques et sociaux sont possibles.
Pour certains théoriciens, il y a aussi le poids de la variable individuelle et le bien-être
psychologique des individus impliqués dans le système. Il s’agit alors de l’optimisation de
systèmes socio-technico-économico-psychologiques.
L’analyse socio-technique
Elle a été développée à partir des années 1950 par Emery, Trist et Rice.
Triste décrit ainsi les caractéristiques de l’approche socio-technique par opposition aux
conceptions de l’organisation qui l’ont précédée :
Conception ancienne Conception socio-technique
-Impératif technologique -Optimisation conjointe
-L’Homme conçu comme extension de la -L’Homme conçu comme un complément de
machine la machine
-L’Homme considéré comme pièce de -L’Homme considéré comme une ressource
rechange, à remplacer quand il est usé qui doit être développée
-Division maximum du travail en tâches -Regroupement optimum des tâches
élémentaires demandant des qualifications demandant des qualifications multipliées et
simplifiées et étroites larges
-Contrôles externes (contremaîtres, -Contrôles internes, à base de systèmes auto-
procédures, fonctions spécialisées) régulés
-Organigramme haut et étroit -Organigramme plat
-Style autocratique -Style participatif
-Concurrence, intrigue -Collaboration, collégial
-Seuls les buts de l’organisation comptent -Les buts des membres de l’organisation
-Aliénation comptent
-Faible prise de risques -Engagement
-Innovation

À partir des éléments que nous avons évoqués, l’analyse socio-technique a évolué vers un
certain nombre de caractéristiques :
1-La recherche d’une analyse multi-disciplinaire mais tournée fondamentalement vers l’homme
et son comportement. Ce sont les besoins de l’homme qui doivent être satisfaits dans son travail
et qui doivent guider la conception des tâches.
2-L’importance de la nature des interrelations et des transactions à la frontière du groupe.
3-L’autonomie ouvrière permet de libérer la capacité des salariés à s’organiser spontanément
en groupe qui ont eux-mêmes les ressources spontanées de s’auto-réguler et sont susceptibles
de prendre en compte à la fois les besoins des individus qui les composent et les impératifs de
production.

31
4-Cette méthode considère qu’il faut prendre en compte chaque organisation comme un cas
unique et qu’il est donc impossible de généraliser à partir de diagnostics de chaque cas
individuel et des propositions faites à cette occasion.
5-On constate la volonté de ne pas fournir un simple diagnostic de l’organisation avec
proposition de solutions, mais d’effectuer une intervention en commun avec les salariés
concernés qui débouchera sur des stades concrets de réorganisation en équilibre successif et
non de simple proposition de nouvelle structure.

32
La théorie générale des systèmes
Elle a été proposée à l’origine par von Bertalanffy. Son but est de permettre d’analyser, avec la
rigueur scientifique qui y fait habituellement défaut, des domaines qui échappent au type
d’explication en vigueur dans les sciences physiques.
Cela conduit à l’analyse de phénomènes complexes dont les composantes sont reliées entre elles
et dont les comportements sont orientés dans un but ou une direction. Un système se définit se
très simplement à ce niveau comme « un complexe d’éléments en interaction ». Un système est
tel que ses caractéristiques constitutives ne peuvent s’expliquer à partir des caractéristiques de
ses parties pris isolément. En quelque sort le tout est plus que la somme des parties.
Sur ces bases théoriques apparemment simples, la théorie générale des systèmes essaie de
dégager des lois générales et des hypothèses applicables à tous les systèmes physiques,
mécaniques, sociaux et même abstraits.
Il existe plusieurs niveaux de systèmes qui éventuellement devront être intégrés au fur et à
mesure que la théorie progresse :
-la structure statique : le niveau du cadre, l’anatomie du système ;
-le système dynamique simple : le niveau du mécanisme d’horlogerie qui est constitué de
mouvements nécessairement prédéterminés ;
-le système cybernétique : le niveau de thermostat avec rétroaction et circuit de contrôle destiné
à permettre à un système de maintenir un état d’équilibre pré-établi ;
-le système ouvert : le niveau des systèmes qui s’auto-entretiennent et qui présentent des
capacités de croissance et de renouvellement. Ceci inclut le niveau des organismes vivants ;
-le système génétique sociétal : le niveau de la société de cellules, caractérisé par une division
du travail entre cellules ;
-les systèmes animaux : niveau de la mobilité avec apparition du comportement orienté vers un
but ;
-les systèmes humains : niveau de l’interprétation symbolique et de la communication des
idées ;
-les systèmes sociaux : niveau des organisations humaines ;
-les systèmes transcendantaux : niveau des ultimes et des absolus qui présentent des structures
de systèmes, mais sont par essence inconnaissables.
L’approche systémique
Un certain nombre d’idées fondamentales sont à préciser :
-il faut dépasser l’idée de « la somme des parties ». À l’idée de système, doit être associée la
notion de globalité et non d’agrégats. L’analyse systémique envisage les tonalités complexes,
et non leurs éléments, même s’ils sont additionnés.
-ce qui est considéré comme essentiel c’est les relations entre les éléments et non les éléments
eux-mêmes.

33
-une distinction fondamentale, par ailleurs, passe entre systèmes fermés et systèmes ouverts.
Ces derniers interagissent avec leur environnement, importent des entrées et en particulier de
l’énergie, et exportent des sorties. Cela leur permet de se maintenir, alors que les systèmes
fermés passent par des phases d’effondrement. Ceci implique en outre d’établir les limites du
système.
-les systèmes sont finalisés, ils ont un but, qu’au niveau le plus simple peut être simplement de
se maintenir en équilibre.
Une méthode systémique : c’est l’approche qui a été proposée par de Rosnay. Les définitions
étant trop vagues, il est beaucoup plus opérationnel de décrire les propriétés des systèmes, dont
des principes d’action découleront :
Il s’agit de systèmes ouverts, complexes, c’est-à-dire contenant une multitude d’éléments
variés, de niveaux différents, avec des interactions elles aussi multiples et complexes. Par
ailleurs, le temps est pris en compte sous deux aspects : d’une part, sous celui de la durée et
d’autre part, sous celui de l’irréversibilité. C’est-à-dire d’une part, des effets de délai sont à
prendre en compte, et d’autre part, certains phénomènes qui se produisent sont non réversibles.
Il n’y a pas de retour possible au point de départ par transformation renversée dans tous les cas.
Deux approches sont donc nécessaires : structurelle et fonctionnelle. L’aspect structurel dans
l’espace établit les limites qui séparent système et monde extérieur ; les éléments et leurs
catégories ; les réservoirs où sont stockés éléments, énergie, information, matériaux ; un réseau
de communication qui permet les échanges entre éléments et réservoirs. L’aspect fonctionnel,
dans le temps, comporte des flux d’énergie, d’informations, d’éléments, de matériaux (qui
servent de base aux décisions) ; des vannes qui contrôlent les débits des flux (décisions) ; des
délais, fonctions des intensités et vitesses différentes des flux ; et des boucles de rétroaction
(feed-back) positives ou négatives.
Un certain nombre de règles systémiques peuvent être isolées sur cette base :
-conserver la variété pour maintenir la stabilité. Les simplifications sont dangereuses, car
appauvrissantes et sources de déséquilibres par rétroaction positive. Le principe de variété
requise d’Ashby expose ailleurs qu’un système ne peut être contrôlé que par un système plus
complexe ;
-maintenir des boucles de rétroaction et ne pas les couper par des actions ponctuelles,
apparemment utiles à court terme, mais profondément contre-productive à long terme ;
-rechercher les points sensibles, d’amplification ou d’inhibition, car le système recherchant son
équilibre résiste aux actions ponctuelles ou séquentielles ;
-faciliter le rétablissement des équilibres par une décentralisation qui permet de détecter les
écarts au mieux, là et quand où ils se produisent ;
-maintenir sélectivement les contraintes qui équilibrent les fonctionnements préférés ;
-différencier préalablement à une véritable intégration qui respecte antagonismes et conflits
productifs, et les intègre à un niveau accru d’organisation, plus complexe, mais ni paralysant,
ni artificiel ;

34
-évoluer par agressions de l’extérieur (permanentes) tolérées et maitrisées, qui oblige au
renouvellement, à la mobilité et qui permettent de faire face aux grands changements quand ils
se produisent, en éliminant la rigidité. Un système homéostatique n’évolue que s’il est agressé
et si des réadaptations efficaces suivent des désorganisations passagères. Sion la résistance
simple et forcée aux agressions, même si temporairement réussie, conduira vers des
caractéristiques de système fermé, et à plus long terme, à l’effondrement ;
-privilégier la définition d’objectifs avec attribution de moyens, échéances et contrôles
rigoureux plutôt que la programmation détaillée, paralysante ;
-savoir utiliser l’énergie de commande (information) pour améliorer l’utilisation de l’énergie
de puissance. Faciliter le retour de l’information vers les centres de décision ;
-prendre en compte les temps de réponse et délais, qui sont inévitables et suppressibles sans
danger. Le « timing » correct est préférable à la rapidité forcée.
Applications aux organisations :
Katz et Khan développent la notion de système social ouvert. Ils distinguent un certain nombre
de composants organisationnels ou sous-systèmes qui permettent un fonctionnement efficace :
un composant technique ou de production ; un composant de soutien (achats et ventes) ; un
composant d’entretien qui préserve la capacité productive du personnel et de l’équipement ; un
composant adaptatif aux changements ; un composant institutionnel qui recherche légitimité et
soutien social et un composant managérial qui coordonne activités internes et externes et résout
les conflits.
L’idée de système social situe le niveau de complexité et l’idée de système ouvert signifie que
l’organisation interagit avec son environnement. Ceci contrairement aux systèmes fermés qui
comme tournent sur eux-mêmes.
L’organisation présente en outre toutes les caractéristiques des systèmes : elles plus que la
somme de ses composantes, ne se résume pas à leur agrégat, et présente donc des propriétés
nouvelles qui ne peuvent se découvrir par la seule analyse de ses éléments constitutifs. De plus,
ces mêmes éléments sont en interaction, et l’accent est mis sur ces interactions. Donc si une
relation et modifiée, les autres peuvent l’être aussi, certaines des autres le sont obligatoirement
et ainsi l’ensemble de l’organisation.
Pour ces auteurs, les organisations, comme tous les systèmes sociaux consistent en des activités
structurées (patterned) d’un certain nombre d’individus, complémentaires ou interdépendantes
en regard d’un but ou objectif commun. Elles sont répétitives, d’une certaine durée et limitées
dans le temps et dans l’espace. La stabilité ou la récurrence des activités est une condition
indispensable à l’existence d’une organisation. Celle-ci peut être aussi examinée en relation
avec, d’une part, les entrées (input) d’énergie dans le système, leur transformation et le produit
ou énergie en résultant (output) et, d’autre part, le renouvellement de l’énergie ou du produit
des entrées.
Les organisations présentent donc les caractéristiques spécifiques des systèmes ouverts, et en
particulier, les suivantes :

35
1.L’importation d’énergie : les systèmes ouverts importent entre autres une forme quelconque
d’énergie de leur environnement externe. Aucune structure sociale (ni personne) n’est auto-
suffisante ni auto-continue.
2.Le transformé (through-put) : les systèmes ouverts transforment l’énergie qu’ils importent et
réorganisent les entrées. Ils accomplissent un travail.
3.L’output : les systèmes ouverts exportent un produit dans l’environnement sous forme
d’énergie ou autre.
4.La vie cyclique : les systèmes sociaux sont des cycles d’événements. Le produit exporté dans
l’environnement fournit les sources d’énergie pour la répétition du cycle d’activité. Ce sont les
événements et non les choses qui sont structurés et qui constituent l’organisation.
5.L’entropie négative : Les systèmes sociaux présentent une entropie négative c’est-à-dire que
pour survivre ils devront arrêter la loi universelle de la nature du processus d’entropie. C’est
cette loi qui fait que les systèmes physiques complexes tendent vers la distribution aléatoire de
leurs éléments et la désorganisation et que les organismes biologiques s’usent et meurent. Le
système social cependant, en important plus d’énergie qu’il n’en dépense survit en stockant de
l’énergie.
6.La rétroaction : les systèmes sociaux présentent la caractéristique de rétroaction (feed-back).
Les entrées, outre de l’énergie, sont aussi porteuses d’information. La rétroaction négative est
le traitement de cette information par le système sous la forme la plus simple. Elle lui permet
de corriger les déviations quand l’information nouvelle qu’il assimile indique qu’il a dévié. Elle
est stabilisatrice. À l’inverse, la rétroaction positive engage la dynamique du changement.
7.L’homéostasie : les systèmes sociaux tendent vers un état homéostatique, c’est-à-dire
d’équilibre dynamique entre entrées et sorties d’énergie. Toutefois, ce principe ne va pas
s’appliquer littéralement à leurs cas comme il le fait au niveau des systèmes plus simples. Les
systèmes sociaux par l’entropie négative non seulement maintiennent un état stable, mais
tendent à accumuler plus d’énergie qu’ils n’en usent. Ils peuvent donc croitre et s’étendre.
Cependant, ce qui est maintenu est la préservation du caractère du système bien qu’il modifie
généralement sa forme, quantitativement et parfois qualitativement, pour s’adapter aux
changements dans l’environnement.
8.La différenciation : ces systèmes ouverts tendent vers la différenciation et l’élaboration. Des
formes diffuses sont remplacées par des fonctions spécialisées.
9.L’équifinalité : les systèmes ouverts présentent la caractéristique d’équifinalité. C’est-à-dire
qu’ils peuvent atteindre le même état, à partir de conditions initiales différentes et à travers une
multitude de chemins différents.
La psychologie sociale des organisations (Katz et Khan)
Katz et Khan proposent un modèle de « psychologie sociale des organisations » qui a été très
influent. Le système organisation se décompose en sous-systèmes comme indiqués ci-dessus.
Les organisations sont considérées comme des systèmes de rôles prévus et sanctionnés par des
normes, elles-mêmes prenant leurs sources dans les valeurs. Ces deux derniers concepts
constituent l’idéologie du système.

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Dans toute organisation, un individu a une « place » (office) définie comme un point donné
dans l’espace organisationnel qui est lui-même l’ensemble des places, en relation avec toutes
les autres et avec le jeu des activités. Chaque place est associée à un ensemble d’activités ou de
comportements attendus. Ces activités ou comportements constituent le rôle qui doit être rempli
approximativement par tout occupant de la place. Chaque rôle est en relation avec un certain
nombre d’autres rôles en fonction de sa disposition dans le processus technique de production,
fonction lui-même de la technologie utilisée, du flot de travail à accomplir, de la structure
d’autorité dans l’entreprise, etc. Ces autres rôles en interrelation constituent « l’ensemble du
rôle » sur l’organisation duquel on se focalise.
Le comportement dans le rôle est constitué des actions répétitives d’un individu interreliées
avec les actions répétitives d’autres afin qu’un résultat prévisible soit obtenu. La totalité des
comportements de rôles interdépendants constitue un système, ou un sous-système social. Les
attentes des titulaires de rôles que compose « l’ensemble du rôle » sont transmises à celui qui
l’occupe en termes du comportement que l’on attend de lui (par information, inférence,
influence, sanctions, etc.), bien sûr en ce qui concerne sa performance, mais aussi en ce qui
concerne sa personnalité, son attitude, son comportement, etc. De sa place, dans ce qui lui est
transmis, le titulaire du rôle perçoit et comprend plus ou moins le contenu intentionnel de ce
que l’on souhaitait lui transmettre. Ce qu’il reçoit dépend de la représentation qu’il s’en fait
psychologiquement. C’est ce rôle reçu et non pas seulement le rôle transmis qui va influencer
son comportement dans l’accomplissement des activités du rôle. Le degré auquel les deux
correspondent dépend de chaque individu et de son « ensemble du rôle ». C’est par le rôle
transmis que l’organisation communique à ses membres ce qu’il faut et ne faut pas faire dans
leur place. C’est le rôle perçu cependant qui influence le comportement et la performance du
titulaire de la place. Chaque attente transmise va influencer le comportement, dans une direction
ou dans l’autre d’ailleurs, celui voulu ou non, et avec une force variable. Par exemple un ordre
peut être reçu comme coercitif ou illégitime et entrainer une résistance et un effet contraire au
comportement attendu par le membre de « l’ensemble du rôle » qui le transmet. En retour, le
rôle transmis va être altéré par le comportement perçu.
De plus, il faut prendre en compte les propriétés objectives, impersonnelles, matérielles de la
situation elle-même. Il faut considérer les satisfactions intrinsèques psychologiques ; le rôle que
le titulaire s’assigne à lui-même en tant « qu’auto-transmetteur », les valeurs et attentes qu’il a
formées sur ses propres capacités et comportements et sur les conditions d’appartenance à
l’organisation.
Par ailleurs, un seul rôle peut contenir plusieurs activités, une seule « place » dans
l’organisation peut comprendre des rôles multiples. Des places multiples peuvent être tenues
par un seul individu.
Les apports de la théorie des systèmes et de son application psychosociale
La théorie des systèmes appliquée aux systèmes sociaux apporte incontestablement une avance
sérieuse pour l’analyse., l’étude et la compréhension des organisations. Elle présente en outre
des éléments méthodologiques nouveaux.
1-Il faut relever l’intérêt du caractère systémique ou holistique. C’est-à-dire que l’organisation
d’une part ne se réduit pas à la somme de ses composantes et, d’autre part peut être traitée

37
comme une globalité. Ce n’est donc pas en divisant l’organisation à l’infini que cela sera
suffisant pour comprendre son fonctionnement.
2-Le concept de système permet avec l’équifinalité de prendre en compte la diversité des
organisations cas par cas tout en maintenant l’unité de leur catégorie. À différentes étapes d’un
nombre incalculable d’interactions correspondent différents états, ce qui est compatible avec
l’idée qu’il existe des règles applicables à toutes les organisations.
3-La notion de système permet de distinguer des niveaux, de découper des ensembles d’analyse
pertinents.
4-La notion de système ouvert nous permet d’attirer l’attention sur le fait qu’une organisation
n’existe pas dans un vide. Elle ne fonctionne ni ne tourne sur elle-même, mais elle est placée
dans un environnement, qui agit sur elle, car elle en tire des entrées et sur lequel elle agit, car
elle exporte des sorties.
5-Le concept de système ouvert attire aussi l’attention sur la notion de limites ou de frontières
de l’organisation et nous permet de le rendre plus opérationnel.

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L’école des ressources humaines
Mac Gregor et la théorie Y
Cette analyse oppose deux styles de gestion par le supérieur hiérarchique. La vie traditionnelle
dite théorie X repose sur les postulats suivants :
-l’homme est paresseux, n’aime pas travailler et essaiera de l’éviter.
-l’homme doit être contrôlé, dirigé, soumis à un système de sanctions pour le forcer à œuvrer
dans le sens des objectifs de l’organisation.
-l’homme préfère être dirigé, et évite les responsabilités, il a peu d’ambition et il préfère avant
tout sa sécurité.
La théorie Y défendue par McGregor, au contraire avance les postulats suivants :
-la dépense physique ou mentale dans le travail est aussi naturelle que le jeu ou le repos pour
l’homme. Le système de sanction et de contrôle externe ne sont pas les seuls moyens d’amener
l’homme à satisfaire les besoins et les objectifs d’une organisation.
-l’homme peut s’auto-diriger, et s’auto-contrôler.
-l’engagement personnel est le fait des récompenses qui proviennent de la satisfaction des
besoins intrinsèques. L’homme apprend sous certaines conditions sous certaines conditions à
accepter et aussi à rechercher les responsabilités.
-la capacité d’exercer son imagination, sa créativité au service d’une organisation est largement
répandue parmi les hommes.
-Dans les conditions de travail actuelles, les possibilités intellectuelles des individus sont
largement inutilisées.
Des deux styles de gestion qui s’inspirent de ces points de vue, le style Y est beaucoup plus
efficace. Le style X ou de type « carotte-bâton » peut cependant parfois l’être plus en apparence
quand les salariés sont privés de satisfaire leurs besoins individuels et sociaux. Cependant, c’est
prendre l’effet pour la cause. Les moyens de contrôle sont inadéquats. Les méthodes de sanction
et de récompense qui découlent la théorie X sont peu efficace et inadaptées, car elles reposent
sur des motivations peu importantes. La nature humaine est mal saisie, l’homme est considéré
comme un enfant. La théorie Y et le style de gestion qui en découle sont mieux adaptés, car ils
reposent sur des motivations plus profondes et permettent d’intégrer les buts de l’individu et de
l’organisation. Le salarié doit pouvoir remplir ses propres besoins en accomplissant les objectifs
de l’organisation. Les méthodes d’organisation et de contrôle pour être adaptées doivent reposer
sur l’intégration et l’auto-contrôle.
Le modèle de Likert
Successeur de Lewin, chercheur à l’Université du Michigan, Likert va partir des mêmes
constatations que Mc Gregor. Il liste 51 traits caractéristiques des organisations sur chacun
desquels se différencient quatre styles de gestion.
Ces 51 traits se répartissent en 8 groupes :
-style de direction

39
-caractéristiques des forces de motivation
-processus de communication
-processus d’interaction et d’influence
-processus de prise de décisions
-établissement des objectifs et des directives
-processus de contrôle
-objectifs de performance et formation
De ces 51 traits découlent donc 4 styles de gestion :
1-le système exploiteur-autoritaire, qui repose sur la crainte, les menaces et sanctions.
2-le système autoritaire-bienveillant, qui repose sur ce que l’on pourrait appeler le paternalisme.
3-le système consultatif, qui cherche à impliquer les salariés sans qu’ils aient d’influence.
4-le système participatif de groupe.
Dans ce dernier la prise de décision se fait vraiment par les groupes de travail. Les travaux de
Likert ont démontré la supériorité du système 4, qui crée des rapports coopératifs entre tous les
salariés, aboutit à des objectifs plus élevés pour l’entreprise et les individus et bénéficie des
avantages de la prise de décision en groupe.
Cependant, Likert explique que malgré la supériorité du système 4, la plupart des entreprises
utilisent le système 2 et 3, qui peuvent apparaitre parfois plus efficaces à court terme et surtout
ils sont beaucoup plus faciles à mettre en place.
Un autre aspect important de ses travaux est aussi centré sur le groupe qui est fondamental dans
son modèle. Supérieur et subordonnés ne doivent pas interagir séparément, mais être considérés
comme un groupe interdépendant.
Les théories des besoins
C’est une autre forme de retour sur les postulats des théories traditionnelles qui attribuaient à
l’individu un comportement mécaniste. Elles placent au contraire ses besoins au centre de
l’organisation. En particulier, elles sont à l’origine d’une partie du mouvement pour
l’amélioration de la qualité de vie au travail. Cependant, si elles sont eu un impact important, il
fut bref et ces théories sont aujourd’hui dépassée.
1.La hiérarchie des besoins :
Issue des travaux du psychologue Maslow (1947), elle lie implicitement satisfaction et
motivation et repose sur les idées suivantes :
-l’individu agit en fonction d’une série de besoins ;
-ces besoins sont hiérarchisés en une suite de niveaux ;
-quand les besoins sont satisfaits, des besoins de niveau supérieur apparaissent.

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L’impact sur la structure et les méthodes de gestion des organisations de cette théorie est
évident, au moins en ce qui concerne la gestion des ressources humaines. En effet, elle met en
évidence les limites du stimulant financier et l’impact du contenu du travail en tant que tel,
indépendamment des conditions l’entourent pour motiver les salariés.
2. La théorie Bi-factorielle de Herzberg :
Cette théorie part du constat que les réponses sont réellement différentes selon que l’on
demande aux individus ce qui cause leur satisfaction ou leur insatisfaction au travail. Herzberg
utilise la méthode dite des incidents critiques qui consiste à demander aux individus interviewés
de relater des événements concrets dans le passé au cours desquels ils se sont sentis
exceptionnellement satisfaits ou insatisfaits de leur travail. Une analyse de ces incidents en
dégage ensuite les thèmes principaux. Sur la base de cette façon de procéder, initialement
appliqué à un échantillon comptables, Herzberg constate que ce ne sont en fait pas les mêmes
facteurs qui causent les souvenirs agréables et les souvenirs désagréables en sens inverse.
Il formule la théorie suivante : certains facteurs sont des motivateurs, c’est-à-dire que ce sont
des facteurs qui amènent à une satisfaction intrinsèque tirée du travail. Ce sont la réalisation de
soi, la reconnaissance du travail, le travail en soi-même, son contenu, les responsabilités et les
opportunités d’avancement. D’autres facteurs dits facteurs d’hygiène peuvent créer
l’insatisfaction dans le travail, s’ils ne sont pas traités de façon satisfaisante. Il s’agit des
conditions de travail, de la politique de l’entreprise et de son système administratif, des relations
interpersonnelles entre salariés, du salaire et du système administratif, des relations
interpersonnelles entre salariés, du salaire et du système de supervision. Toutefois, ils ne sont
pas des motivateurs. Donc les deux sentiments satisfaction et insatisfaction ne sont pas deux

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points opposés sur un même continuum. L’opposé de l’insatisfaction au travail n’est pas la
satisfaction, mais l’absence d’insatisfaction, c’est-à-dire l’amélioration des facteurs d’hygiène
puisqu’ils sont sans impact sur la satisfaction. De même, l’opposé de la motivation n’est pas
l’insatisfaction, mais l’absence de motivation, donc la motivation proviendra de
l’accroissement des facteurs de motivation.
Limites : en vogue jusque dans les années 1970, la théorie a été depuis vivement critiquée sur
un plan méthodologique et conceptuel.
Le conflit organisation-individu
Il est exprimé par Chris Argyris. Cet auteur part du postulat que dans les organisations gérées
suivant les principes traditionnels, il existe un conflit de base entre exigences du développement
de ces organisations elles-mêmes et les exigences du développement de la personnalité de leurs
membres, qui peut cependant être résolu positivement pour les deux. Ce conflit provient de la
mise en parallèle de deux séries de données :
D’une part, un individu qui passe de l’immaturité à la maturité voit sa personnalité se
développer suivant les continua suivant, du bébé à l’adulte, du stade de l’inactivité à l’activité
déployée, de la dépendance sur les autres à une indépendance relative, du choix limité entre
quelques comportements de base à un registre diversifié de comportements multiples, d’une
perspective de temps court, limitée au présent à une perspective à long terme qui inclut passé
et futur, de l’absence d’une conscience de soi-même à la prise de conscience et du contrôle sur
soi-même.
D’autre part, les principes de l’organisation formelle tels que la spécialisation des tâches, la
ligne scalaire de commandement, l’unité de direction, et la limite d’étendue du contrôle sont
incompatibles avec les tendances à la croissance et à la maturité de la personnalité des individus.
Au contraire, tels que ces principes sont définis dans l’absolu, ils ont les conséquences
suivantes : les salariés n’ont qu’un contrôle minimal sur leur monde quotidien au travail, l’on
attend d’eux qu’ils se placent en position passive, dépendance et subordonnée ; ils sont
supposés avoir une perspective de temps court, ils sont amenés à perfectionner et valoriser
l’usage fréquent et répété d’un faible nombre de capacités superficielles ; et l’on attend deux
qu’ils produisent dans des conditions qui les conduisent à « l’échec psychologique ».
Les individus et groupes s’adaptent. Se trouvant en situation de conflit, de frustration, d’échec,
ou de perspective de temps raccourcie, ils réagissent à ces situations. Ces réactions se combinent
en aboutissant à une ou plusieurs des situations suivantes :
-l’individu quitte l’organisation (mais où aller ?)
-il travaille plus pour escalader l’échelle hiérarchique au sein de laquelle plus l’on est situé haut,
plus le conflit ressenti est faible
-il peut défendre son concept de soi-même et s’adapter par l’usage de mécanismes de défense :
agression, culpabilité, continuation sur l’adoption d’un « second choix » ; prise de décision
continuellement balbutiante en pesant et soupesant le pour et le contre ; négation de ce qui cause
conflit ; répression ; surcompensation…

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-il fait pression sur lui-même afin de rester dans l’organisation et en dépit du conflit à s’adapter
autant que possible en abaissant son niveau de travail et il devient apathique, dépourvu d’intérêt
et de loyauté envers l’organisation.
Si le diagnostic de Argyris est très pertinent, les solutions qu’ils développent pour trouver une
issue à ce conflit sont beaucoup plus floues.
La critique de la théorie des relations humaines
Si l’ensemble de ces théories a eu l’avantage de remettre en question nombre des hypothèses
de bases simplifiées de la théorie classique, en replaçant l’individu, l’homme au centre de
l’organisation. Elle fait l’objet de multiples critiques :
-généralisation et simplification abusive résultant de l’hypothèse sous-jacente, implicite, mais
omniprésente que le contexte constitué par l’organisation, par l’entreprise le plus souvent, est
celui qui est le plus important pour l’individu et en fait peut-être même le seul qui compte.
-le principe du « one best way » s’applique tout autant aux successeurs qu’aux premiers
théoriciens.
-un certain nombre d’autres postulats implicites de la théorie peuvent être remis en question.
En particulier il n’est nullement démontré que la résolution du conflit, la recherche de niveaux
élevés de conscience, l’élimination des tensions et le désir de participation soient des réalités
indiscutables et des valeurs qui devraient être recherchées, car souhaitables en elles-mêmes.
-l’emphase est mise délibérément sur l’aspect motivationnel ou affectif des individus et gomme
complètement l’aspect cognitif. Il s’agit là aussi d’une simplification très artificielle.

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L’école néo-classique
Principaux représentants Contenu, apports
Drucker (1964) Cette école, comme la théorie classique, se caractérise par la
Dale (1971) volonté d’énoncer des principes d’organisation ou des règles
Sloan (1965) d’action garantissant une certaine efficacité. Ce message
Gélinier (1966) normatif, qui prend en compte les apports du mouvement des
relations humaines et l’approche des systèmes sociaux, valorise
essentiellement les idées de décentralisation, de direction par
les objectifs, de gestion par exception, de motivation par la
compétitivité et de jugement des résultats. L’approche se veut
pragmatique et empirique et prend largement appui sur des
études de cas, au point, chez certains, de récuser toute
possibilité de généralisation et de contester l’intérêt de la
formalisation théorique. Une telle position extrême porte en
elle des contradictions évidentes.

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L’analyse stratégique des organisations (ASO)
Elle est intégralement due aux travaux de Crozier et son équipe.
Théorie d’application très générale et elle constitue un instrument précieux de compréhension,
d’analyse et même de conception des méthodes de contrôle opérationnel des organisations.
Les principaux concepts
1)L’acteur
D’abord rappelé que les acteurs se trouvent dans une situation organisée.
Contrairement à l’analyse traditionnelle, les rôles des acteurs ne sont pas rigides. Ils sont
partiellement définis, et sujets à interprétation.
Mais les acteurs en interaction cherchent à en profiter pour définir et interpréter leur rôle de la
manière la plus conforme à ce qu’ils perçoivent être leurs intérêts création de conflits autour
de ces intérêts.
Dans une situation organisationnelle, un certain nombre d’acteurs sont ainsi impliqués. Les
acteurs peuvent être des individus ou des groupes dans une situation donnée (ex : la direction
dans un conflit social).
Tout collectif ne fait pas un groupe, un acteur. Il leur faut une opportunité qui les rassemble et
la capacité d’agir en commun.
2)Les objectifs
De nature similaire à celui proposé par Simon, mais plus élaboré.
Postulat de départ : les acteurs ont toujours des objectifs, le comportement organisationnel est
toujours orienté vers des buts.
Cela ne veut pas dire que chacun n’ait des objectifs clairs ni des idées nettes sur la façon de les
atteindre.
D’autre part les buts peuvent exister sans être en rien formulés, même implicitement, au-delà
du conscient et inspirer des actions très immédiates.
De plus, une action n’est pas toujours explicite.
Enfin, les objectifs sont multiples, différents, non ordonnés, voire contradictoires.
Les objectifs s’expriment plus en termes de réactions possibles à des opportunités perçues que
comme des cibles définies vers lesquelles progresser. Cependant, quand ils vont se matérialiser
pour orienter le comportement, ces objectifs vont se réaliser sous forme de préférences très
concrètes, et très à court terme, et non pas par des valeurs ou des idéaux abstraits à long terme
ou théoriques.
Les interactions et les dépendances mutuelles au sein des organisations font que dans une
situation organisationnelle, il faut qu’un acteur agisse pour qu’un autre puisse lui-même le faire,
qu’un autre acteur fasse quelque chose pour qu’il puisse agir.

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Ce que chaque acteur cherche à obtenir dans le nœud de relations créées à l’occasion d’une
situation organisationnelle constitue ses enjeux. Pour chaque acteur impliqué dans une
situation, ces enjeux constituent ses objectifs concrets. Les objectifs sont donc ce que vise
l’acteur dans la situation immédiate.
Les objectifs sont fonction du contexte, mais aussi construits au fur et à mesure que la situation
organisationnelle évolue. Donc les objectifs sont changeants, ils varient en fonction des niveaux
d’aspiration des acteurs et du déroulement des situations organisationnelles.
Cependant, bien entendu, les objectifs concrets peuvent parfaitement être rationalisés,
consciemment ou inconsciemment sous forme d’objectifs abstraits à long terme. Ce qui ne veut
pas dire que les objectifs à long terme n’existent pas, c’est juste qu’ils ne sont pas pertinents
pour expliquer un comportement dans une situation donnée. Ceux qui le sont, eux, sont
immédiats.
Exemple d’une relation entre un délégué du personnel et le dirigeant d’une entreprise.
3)Les ressources et les contraintes
Dans une situation organisationnelle donnée, un acteur en fonction de ses objectifs se trouvera
face à des éléments qui vont être favorables ou défavorables à la progression de ses objectifs.
(Les ressources et les contraintes)
Certaines d’entre elles sont inhérentes à l’acteur et à qui il est. Elles proviennent de ses
caractéristiques individuelles, ses capacités psychologiques, intellectuelles, culturelles. Mais
d’autres proviennent aussi de ses capacités sociales de mobilisation ou non d’atouts extérieurs.
Exemple de l’ingénieur et contremaitre.
D’autres ressources et contraintes sont extérieures à l’acteur. La situation dans laquelle il se
trouve est bien sûr structurée par l’organisation à laquelle il appartient : l’organigramme, le
règlement intérieur, la tâche à accomplir sont sources de ressources et de contraintes.
Ces contraintes et ressources varient en fonction des individus concernés. Plus on s’élève dans
la hiérarchie, plus le nombre de contraintes semble s’abaisser et plus les ressources semblent
s’accroitre.
En plus de la force de chacune des ressources et contraintes, il faut également prendre en
considération leur pertinence à la situation dans laquelle se trouve l’acteur.
Contraintes et ressources n’existent pas en elles-mêmes. Elles ne sont pertinentes qu’en
fonction des objectifs et ne sont jamais abstraites, mais toujours très concrètes. N’ayant pas les
mêmes objectifs latents ni les mêmes capacités, dans une situation concrète identique, deux
individus ne verront pas les mêmes contraintes et ressources.
Contraintes et ressources dépendent non seulement des éléments favorables et défavorables
perçus par un individu dans une situation organisationnelle relativement à ses objectifs, mais
aussi de ses capacités à découvrir et éventuellement créer des opportunités. Ces opportunités
sont associées à des risques. La capacité de l’individu à soutenir ces risques dans ses relations
nouvelles avec les autres impliquées par l’opportunité devient aussi déterminante.

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4)La stratégie
Comme nous l’avons expliqué, les objectifs des acteurs peuvent être latent, inconscient etc. Il
en va de même pour la stratégie. À voir une stratégie ne veut pas forcément dire avoir
conscience de sa stratégie, aussi du fait du jeu de phénomènes de mauvaise foi. L’on se persuade
soi-même de ses objectifs manifestes et l’on justifie son propre comportement vers ses objectifs
latents en le rationalisant comme une démarche vers ce dont on s’est persuadé. Par contre la
compréhension du cadre constitué par les ressources et contraintes qu’affronte autrui et de ses
stratégies pour les gérer permettra de reconstruire ex-post ses objectifs latents et donc réels.
Ici, les individus ne sont pas conditionnés ou totalement déterminables, ce qui va à l’encontre
des théories traditionnelles. Si les individus ne peuvent pas totalement être déterminés à
l’avance soit par l’action sur les structures de l’organisation, soit par l’action sur les structures
de leur personnalité, cela signifie bien en effet qu’il ne peut y avoir de « one best way ».
Donc, quelle que soit la décomposition du travail, dans l’affinage de l’organigramme, dans la
manipulation des émotions, les individus restent libres de choisir, d’agir ou non dans le sens
« indiqué » en quelque sorte par l’organisation. L’idée qu’il est possible de presser tel bouton,
physique ou psychologique, monétaire ou émotionnel et d’obtenir tel comportement est donc
erronée. Les individus sont (presque) toujours actifs et (presque) jamais pré-déterminés. Certes,
dans la plupart des cas les individus agissent dans le cadre des contraintes posées par
l’organisation, ses structures et ses règles, donc dans certaines limites, plus ou moins étroites.
Mais à l’intérieur de ces limites, ils restent libres. Ils ont presque toujours le choix entre
plusieurs conduites ou attitudes pour progresser vers leurs objectifs, avec des coûts variables et
des probabilités de succès variables attachés à chaque conduite.
Les individus élaborent une stratégie en fonction des ressources et contraintes qu’ils perçoivent
dans la situation, progressant vers leurs objectifs, et qui est adaptée à leurs propres actions et à
celles des autres acteurs pertinents impliqués dans la situation.
Ces stratégies sont rationnelles, mais elles ne sont pas prévisibles pour deux raisons :
-les perceptions de chaque individu lui sont uniques en raison de sa vision individuelle de la
situation en fonction de ses objectifs plus ou moins conscients.
-cette rationalité est la rationalité limitée de Simon.
Il découle de ce raisonnement une remarque importante. Si l’on réfléchit dans le cadre des
théories traditionnelles et/ou d’une rationalité absolue et que l’on observe la conduite d’un
individu, l’on risque de commettre des erreurs d’interprétation qui vont fausser dramatiquement
les conséquences que l’on en tire.
Exemple de l’acteur qui ne suit pas la conduite attendue et en adopte une autre.
Ces stratégies peuvent être à la fois offensives et défensives, c’est-à-dire que les conduites des
individus tendent à réaliser les objectifs et aussi à échapper aux conséquences des objectifs
recherchés par les autres dans la mesure où ils constituent des contraintes. Ils cherchent
activement à saisir des opportunités pour améliorer leur situation et ils cherchent aussi à
protéger et maintenir leur capacité à agir librement.

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L’intégration des stratégies
À un étage supérieur de la théorie, en quelque sorte, ces concepts s’articulent entre eux pour
expliquer le fonctionnement des organisations.
Les stratégies qui tendent vers les objectifs individuels des acteurs s’intègrent entre elles dans
des jeux entre les acteurs. Ceux-ci mobilisent leurs atouts, risquent des enjeux, relatifs à leurs
objectifs, dans chaque situation que constitue un jeu pour un certain nombre d’acteurs
pertinents, qui, tous, cherchent à satisfaire leurs objectifs. Chaque acteur dans le jeu est libre,
mais veut avancer ses intérêts, gagner, satisfaire ses objectifs, défendre ses ressources. Toute
organisation est donc un jeu de coopération à un certain degré tant que les membres veulent
pouvoir continuer à jouer, et le produit du jeu est le résultat commun, l’objectif de
l’organisation. Une organisation est donc un ensemble de jeux, qui sont eux-mêmes un
ensemble de stratégies rationnelles des acteurs (à caractère de rationalité limitée).
D’autre part, maintenir les avantages d’un acter dépend du maintien de ceux des autres, pour
qu’ils continuent à collaborer. Par ailleurs, la reconnaissance d’un minimum d’efficacité
s’impose à tous pour la survie de l’organisation, les relations entre acteurs se stabilisent dans le
temps. C’est le rôle de la direction de l’organisation d’avoir la capacité d’influencer la survie
de l’ensemble des jeux, et la stabilité et la régulation de chaque jeu dont dépendent les capacités
de jouer des autres membres de l’organisation.
Le pouvoir
À un étage encore supérieur, la dynamique du système, son mode de fonctionnement, sont
fournis par le concept de pouvoir. C’est ce qui anime les structures immobiles que nous venons
de décrire et qui crée l’articulation des jeux.
Les relations entre acteurs sont toujours des relations de pouvoir.
1)Définition du pouvoir :
Le concept de pouvoir est une donnée difficile à saisir. Avant de le définir dans l’ASO,
regardons les autres analyses qui en sont faites. À l’extrême certaines théories nient l’existence
et le rôle du pouvoir. Pour elles, le pouvoir n’existe pas, car tout est prédéterminé à l’avance
par un ensemble donné de forces surhumaines. Ces dernières peuvent être de nature variable :
la volonté d’un être suprême ou le matérialisme dialectique. À l’opposé d’autres théories voient
le jeu du pouvoir partout. Entre ces deux extrêmes, plusieurs définitions ont été données.
-la probabilité qu’un acteur dans une relation sociale sera en position d’exécuter sa volonté en
dépit de résistances ;
-la capacité d’une personne à influencer une ou plusieurs autres personnes à exécuter ses
ordres ;
-le pouvoir d’une personne A sur une personne B est la capacité de A d’obtenir de B qu’il fasse
quelque chose qu’il n’aurait pas fait autrement ;
-l’importance que les conséquences des actions ont dans une relation sociale. Si les
conséquences d’un acte sont de grande importance pour tous ceux impliqués dans une action,
alors l’auteur de l’acte a du pouvoir ;

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-la capacité d’un acteur de produire des résultats consonants avec ses propres intérêts…Le
pouvoir de l’acteur A sur l’acteur B est la quantité de résistance de la part de B qui peut être
surmontée par A ;
-toute force qui résulte en un comportement qui n’aurait pas eu lieu si cette force n’avait pas
été présente ;
-la capacité d’exercer de l’influence ;
-la capacité d’une partie d’obtenir l’accord de l’autre partie sur ses propres termes, elle-même
dépendante de la comparaison des coûts encourus en refusant l’accord sur les termes offerts par
rapport aux coûts d’accepter les termes offerts.
Cette série de définitions démontre le caractère complexe de la notion de pouvoir. Mais elles
ont l’avantage de nous aider à mettre en évidence les caractéristiques importantes du pouvoir.
2)Les caractéristiques du pouvoir :
On observe cinq caractéristiques majeures du pouvoir
a-Le pouvoir n’est pas un attribut. Il n’existe pas en lui-même. Il n’est pas conservable,
stockable et utilisable indifféremment à tout moment ou dans toute situation à l’égard de qui
que ce soit et envers et contre tous. C’est une donnée relationnelle.
Pour exister, un leader doit avoir des « suiveurs ».
b-Le pouvoir est relatif. Il est d’une part fonction de la situation dans laquelle se trouvent les
acteurs, car c’est dans cette situation que se trouvent leurs sources de pouvoir. Elle détermine
par ses caractéristiques les ressources et contraintes de chaque acteur (exemples de la relation
garagiste/client). Il est relatif aux enjeux : si un enjeu est faible pour un acteur et fort pour un
autre, la relation de pouvoir va s’en trouver modifié (exemple relation acheteur).
c-Par ailleurs le pouvoir de négociation de chaque partie s’établit de manière indépendante par
rapport à celui de l’autre partie. Ce qui signifie qu’un pouvoir de négociation fort pour l’une
des parties n’implique pas obligatoirement que celui de l’autre partie soit faible ou fort.
d-Le pouvoir est subjectif, il est de nature cognitive. Ce qui veut dire qu’il n’existe réellement
que s’il est perçu comme tel. Une situation donnée peut contenir de multiples ressources pour
un acteur. Si elles ne sont pas perçues, son pouvoir n’existera pas ou peu.
Le pouvoir d’un acteur n’est pas fonction des ressources et contraintes qu’il perçoit lui-même,
mais de la façon dont l’autre acteur perçoit ses ressources et contraintes. (Quelqu’un qui est
considéré puissant est puissant quelles que soient ses ressources réelles).
e-Le pouvoir est intransitif : ce n’est pas parce que A a du pouvoir sur B, dans sa relation avec
B, que B a du pouvoir sur C dans sa propre relation avec C, que A aura du pouvoir sur C. Ceci
découle automatiquement du caractère relationnel du pouvoir. Tout dépend de qui sont A, B et
C et quel réseau de relations les unit.
3)Les mécanismes opérationnels du pouvoir
Là deux approches théoriques sont importantes. La première avance l’idée que le pouvoir
fonctionne implicitement de par la dépendance d’un acteur sur l’autre. Si la dépendance est

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mutuelle, les deux acteurs ont réciproquement du pouvoir l’un sur l’autre. Le degré de pouvoir
de chacun est fonction de la dépendance de l’autre sur lui.
Le pouvoir d’un acteur est donc basé sur la dépendance de l’autre acteur sur lui. Un acteur
obtiendra d’un autre la conduite qu’il souhaite de lui si ce dernier, à son tour, dépend de lui
pour obtenir ce qu’il souhaite. Plus un acteur (B) dépend d’un autre acteur (A) pour obtenir ce
qu’il souhaite, ou ce dont il a besoin, plus (B) sera prêt à adopter les conduites souhaitées par
celui dont il dépend (A), donc le plus élevé est le pouvoir de A.
À son tour la dépendance est fonction d’un certain nombre de conditions :
a) B est dépendant de A et si A contrôle des ressources dont B a besoin (ou croit avoir besoin).
Le pouvoir de A est donc fonction d’une part du besoin B pour ce que A contrôle (et peut
donner) et de la force de ce besoin. Quand le besoin de B pour les ressources que A contrôle
existe, plus ce besoin est élevé plus le pouvoir de A est élevé.
b) Le pouvoir de A dépend aussi du degré auquel B peut avoir accès à des sources autres que A
lui-même pour ce dont il a besoin. Même si ce besoin est élevé, si B peut se fournir ailleurs de
cette ressource, le pouvoir de A est décru d’autant.
c)La capacité d’user d’un pouvoir est coercitive. C’est-à-dire pour B d’arracher de force, ou de
se faire remettre par un processus juridique, ce que A contrôle, baisse aussi le pouvoir de A. En
résumé, A a du pouvoir sur B dans la mesure où B a besoin ou croit avoir besoin d’une ressource
que A contrôle, qu’il ne peut ou qu’il ne sait se la procurer ailleurs, qu’il ne peut ou ne croit
pouvoir l’arracher de force à A.
Une seconde approche théorique complémentaire est celle mise en évidence par Crozier sur les
bases de la précédente qu’elle rend encore plus opérationnelle. Dans les organisations de ce
point de vue, la source essentielle, unique de la dépendance, c’est l’incertitude. Une incertitude
se définit comme un élément important pour un acteur, mais dont le contrôle lui échappe. Celui
qui a le pouvoir de maitriser cette incertitude a du pouvoir sur l’acteur pour qui elle est
importante.
Or une organisation est caractérisée par une multitude d’incertitudes et leurs interactions. Dans
toute organisation les individus sont interdépendants. L’exécution satisfaisante des tâches de
chacun dépend toujours soit d’une action directe, soit d’une information transmise par d’autres.
Le pouvoir est lié à l’impossibilité d’éliminer l’incertitude du fonctionnement de l’organisation,
elle-même découlant de l’incertitude de l’impossibilité de tout prévoir, c’est-à-dire de la
conséquence directe de la rationalité limitée des acteurs en présence dans toute situation
organisationnelle. Le pouvoir de chacun c’est la capacité de faire régner l’incertitude sur le fait
de savoir s’il va exécuter cette action ou fournir cette information dont a besoin l’autre pour
agir avec succès à son tour, et s’il le fait, de le faire correctement. Ce pouvoir de chacun c’est
l’incertitude qui existe chez les autres, sur l’exercice, qu’il fera de sa propre liberté d’agir ou de
ne pas agir conformément à ce que les autres attendent, donc de leur dépendance ou de leur
indépendance. Plus un individu est, ou est perçu, comme libre de faire ou de ne pas faire ce que
les autres attendent de lui, plus il est libre, et plus il peut obtenir des autres des conduites
conformes à ses objectifs, car ils vont ainsi en espérant qu’il va satisfaire leurs attentes, donc
plus il a de pouvoir. Plus un individu est libre d’agir ou non comme d’autres ont besoin qu’il
agisse et plus son action est imprévisible, plus il a le pouvoir de faire se conformer à ses propres

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attentes ceux qui dépendent de son action afin d’obtenir de lui cette action conforme à leurs
besoins.
D’autre part, plus l’incertitude qu’il fait régner est importante, pertinente au bon
fonctionnement de l’organisation plus il a de pouvoir. Le pouvoir maximum va à ceux qui
contrôlent les incertitudes les plus cruciales pour l’organisation. Mais tout le monde a du
pouvoir. Chacun agissant suivant sa rationalité limitée, mais librement et délibérément a une
zone d’autonomie qu’il cherche à protéger (défensivement) et à étendre (offensivement).
Cependant, chacun n’a pas le même pouvoir : plus l’incertitude que représente cette zone
d’autonomie est importante pour un autre acteur, plus on a du pouvoir sur lui. Plus elle est
importante pour la survie de l’organisation qui existe dans un environnement incertain, plus elle
est importante aux autres pour la réalisation de leurs propres buts, plus l’acteur a de pouvoir
dans l’organisation. Cela bien entendu n’est pas forcément lié à la hiérarchie et à la position ;
ou du moins cela n’y est lié que dans une certaine mesure. Hiérarchie et positions créées par la
structure formelle de l’organisation structurent un certain nombre de jeux, mais d’autres jeux
multiples se déroulent autour d’elle.
On peut recenser deux types de facteurs d’incertitude, ceux découlant de la tâche à exécuter
elle-même et ceux découlant des règles qui ont été établies pour l’accomplir.
L’étendue du pouvoir de l’individu dans une organisation donc dans ses relations avec les autres
membres de l’organisation dépend du type de zone d’incertitude de contrôle. Crozier en
distingue quatre catégories, ainsi que nous l’expliciterons plus bas : la maitrise d’une
compétence particulière, la maitrise du lien entre l’organisation et une partie pertinente de son
environnement (pouvoir à la frontière du marginale sécant), la maitrise de la communication et
de l’information, la maitrise des zones d’incertitudes qui découlent de l’existence des règles
organisationnelles, qui elles-mêmes créées pour réduire une incertitude en créent en retour
automatiquement d’autres par leur seule existence et le jeu qui se crée autour de leur application
stricte ou flexible.
Le but des stratégies des acteurs va donc être de manipuler la relation des dépendances et la
prévisibilité de leur comportement propre, et de celui de l’adversaire directement ou
indirectement, en modifiant les conditions de la situation et les règles qui régissent les rapports
des acteurs entre eux. Ceci modifie la distribution des ressources et contraintes. Les stratégies
vont tendre pour chaque acteur à élargir sa propre marge de liberté et de comportement arbitraire
possible et à réduire celle des autres. Ceci aura pour résultat de le placer en situation de garder
le choix entre des comportements variés en limitant autant que possible cette possibilité autour
de lui.

51
Les théories de la contingence structurelle
Les théories de la contingence structurelle vont introduire formellement un élément nouveau
décisif par rapport au paradigme dominant qui traverse à la fois les théories traditionnelles et
l’école des relations humaines. Il s’agit du préalable tacite du one best way : l’idée qu’il y a une
et une seule bonne façon de faire les choses.
Elles sont dites théories de la contingence, car leurs prescriptions, ou leurs découvertes sont
contingentes. De ce fait, il peut exister plusieurs cas de figure optimaux et non un seul. Cette
contingence est dite contingence structurelle, car les changements dans les variables vont
essentiellement affecter la structure de l’organisation.
L’analyse de la littérature amène à distinguer grossièrement deux types de théories de la
contingence structurelle : celles qui relient certains traits de la structure des organisations à des
variables internes et celles qui les relient à des caractéristiques de variables externes.
Les variables internes
Nous retenons ici quatre variables internes : la taille, l’âge, la technologie, la stratégie.
1.La taille
C’est probablement sur ce point que les études sont les plus nombreuses. Dans une étude assez
ancienne Dale (1952) avait constaté que, à des tailles différentes d’entreprise correspondaient
des problèmes d’organisation différents. C’est ainsi que pour une petite entreprise, division du
travail et relations interpersonnelles sont des facteurs plus importants, alors que dans une très
grande entreprise la coordination des fonctions la coordination des fonctions, la prise collective
de décision et la décentralisation deviennent essentielles et les plus préoccupantes.
La recherche de Blau est la plus notable dans les domaines. Ses conclusions peuvent s’énoncer
en une série de propositions :
a) La taille croissante d’une organisation entraîne la différenciation de sa structure suivant
plusieurs dimensions, mais à un taux décroissant :
-1a. Une grande taille entraine la différenciation de la structure.
-1b. Une grande taille entraine une différenciation sur plusieurs dimensions : horizontalement,
spécialisation des postes, nombre de niveaux hiérarchiques, structure droite et haute ; et
verticalement, nombre de composantes horizontales (branches, sections, divisions)
-1c. Le taux de différenciation décline quand la taille continue de s’accroitre.
-1d. Les segments en lesquels une organisation est différenciée se différencient eux-mêmes
parallèlement de l’intérieur.
Il est dérivé de 1 :
-1.1L’influence marginale de la taille décroit au fur et à mesure qu’elle-même croît.
-1.2Plus grande est une organisation, plus grande est la taille moyenne des composants de sa
structure de toute espèce (ainsi d’ailleurs que leur nombre).

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-1.3La taille relative du composant moyen de la structure, et non sa taille absolue, décroît quand
la taille de l’organisation croît (en proportion à celle de l’organisation).
-1.4Plus grande est l’organisation, plus large est l’étendue du contrôle.
-1.5Les organisations présentent des économies d’échelles en encadrement.
-1.6,Mais ces économies d’échelle en encadrement déclinent elles-mêmes avec la croissance
additionnelle de l’organisation.
En d’autres termes, la taille croissante entraîne une division extensive des responsabilités pour
faciliter l’exercice du travail et réduire le besoin de supervision. Cependant, ce mouvement crée
des problèmes de communication et de coordination entre segments qui s’opposent au
mouvement continu de différenciation.
2.La différenciation dans la structure des organisations crée une demande accrue du
personnel d’encadrement à cause de ces problèmes qui rendent l’organisation plus complexe.
-2.1La grande taille d’une organisation augmente indirectement la demande du personnel
d’encadrement à travers la différenciation qu’elle entraîne.
-2.2L’effet direct de la grande taille d’une organisation qui produit des économies d’échelle en
personnel d’encadrement (établi en 1.5) excède son effet indirect de faire croître la demande en
ce même personnel d’encadrement (du fait de la complexité accrue de ses structures (établi en
2.1).
-2.3La différenciation d’une grande organisation en segments arrête le déclin des économies
d’échelles en encadrement qui résulte de la taille croissante.
Cette dernière proposition est plus complexe. Elle résulte du fait que le taux d’économie
d’échelle en encadrement croissant avec la taille de l’organisation va tendre à décroitre avec la
taille croissante des composants différenciés. En d’autres termes, le taux d’économie
d’encadrement variant avec la taille croissante est plus élevé dans des composantes
différenciées relativement petites que dans des composantes relativement grandes, sans doute
parce qu’il existe des capacités d’encadrement en excès, inutilisées dans les petites
composantes.
Le modèle de Blau même si critiqué par la suite met en évidence qu’avec la taille la
diversification, la différenciation, la spécialisation sont inévitables, mais que le « composant
administratif », l’encadrement, doit croître aussi pour maintenir dans les domaines
fondamentaux un degré de contrôle suffisant.
2.L’âge
Une théorie (Gleiner, 1972) rappelle celle de Dale pour la taille. Il est postulé d’abord que l’âge
implique le passage d’une série de phases, avec une double caractéristique de ce mouvement.
D’une part, chaque phase intermédiaire est à la fois un effet de la phase précédente et une cause
de la phase suivante. D’autre part, le processus constitue un mécanisme de fuite en avant. Pour
passer d’une phase à l’autre, l’entreprise doit traverser des crises, mais la croissance doit se
poursuivre. Après chaque crise, si elle est surmontée, l’entreprise doit passer à la phase suivante
et ne saurait sans risque ni stagner ni revenir à une phase précédente.

53
La première phase est celle de la créativité. Elle consiste en la mise sur orbite d’une petite
organisation entrepreneuriale, caractérisée par des liens informels, et forts entre ceux qui
participent à son essor. Si elle décolle avec succès, alors se produira une crise de leadership. À
un moment, se faire sentir la nécessité de capacités managériales, souvent absentes chez les
fondateurs, car elles demandent des qualités différentes. Si cette crise se résout, ce qui n’est pas
sûr, car les fondateurs n’aiment guère laisser la place ni les commandes à d’autres, alors s’ouvre
une phase de direction caractérisée par l’efficacité de la gestion. Cependant, avec le temps il en
résultera une organisation plus formalisée, plus hiérarchisée, plus standardisée. Si la croissance
se poursuit, elle débouchera sur une crise d’autonomie. La hiérarchie centralisatrice et lourde
n’étant plus adaptée à une organisation devenue différenciée, diversifiée et complexe. Les
règles établies du sommet gênent ceux qui sont au contact du terrain et qui ne peuvent plus
prendre d’initiatives, devenues plus nécessaires. Si la crise d’autonomie se résout à son tour, ce
qui n’est pas sûr non plus, car, d’une part, il est difficile pour ceux qui détiennent l’autorité
totale d’abandonner une large part de leurs responsabilités, et d’autre part, il est tout aussi
difficile à ceux qui n’en avaient pas l’habitude et qui n’en ont peut-être pas, ou plus, le goût de
les assumer et de prendre des décisions eux-mêmes, alors s’ouvre une phase de délégation. Si
dans celle-ci l’expansion se poursuit, alors les managers des divisions décentralisées, sujets à
des contrôles uniquement financiers et au management par exception, deviendront très, puis
trop autonomes.

54
Les approches interactionnistes
Les théories que nous avons vues jusqu’à maintenant (théories traditionnelles, théorie des
relations humaines, théorie des systèmes socio-techniques, théorie de l’analyse stratégique) ont
toutes en commun un postulat implicite identique que l’on peut exprimer ainsi :
D’un côté, nous situons un monde qui constitue un environnement dans lequel, de l’autre côté
nous plaçons un décideur qui s’y inscrit. Les deux sont bien circonscrits, même si les
raffinements de la théorie de la décision et de la rationalité limitée démontrent que leurs
interactions sont complexes et évoluées. Par ailleurs, certes le décideur agit sur le monde et
essaie de le transformer, c’est d’ailleurs essentiellement ce qui le distingue des autres êtres
vivants, car il est le seul parmi eux à vouloir délibérément chercher à altérer son environnement,
social tant que matériel, mais les deux sont bien séparés et indépendants, même s’ils
interagissent.
Les théories dites critiques et/ou radicales reposent sur un postulat : la structure du monde, de
l’environnement détermine et même, à l’extrême, « agit » l’homme. Le point de vue est holiste.
Le tout englobe, dépasse et détermine les parties. Des exemples s’inscrivent dans plusieurs
traditions. La première est probablement la sociologie de Durkheim. Il faut y ajouter les
approches inspirées du structuralisme, où l’homme est condamné à répéter des comportements
inscrits dans des structures qui le dépassent et qu’il est réduit à incarner répétitivement et
inexorablement.
À l’inverse l’individualisme méthodologique repose sur le postulat Wébérien que pour
expliquer un phénomène social quelconque, il faut reconstruire les bonnes raisons qu’ont les
individus concernés d’agir (fondées ou non, peu importe) et l’appréhender comme le résultat
de l’agrégation des comportements individuels.
Des théories nouvelles et plus récentes reposent sur un autre postulat : celui d’une interaction
complexe et mutuelle de l’individu et de l’environnement. Elles ne vont plus s’intéresser
seulement au comportement d’un individu comme unité élémentaire d’analyse, celui-ci pouvant
et devant se combiner en unités organisationnelles. L’objet de l’attention maintenant est
l’interaction entre individus. La différence est d’importance. Toute proportion gardée, elles
franchissent dans un domaine différent un pas identique à celui qu’avait proposé Commons
dans son apport économique sur les organisations et qu’avait repris Williamson en faisant
passer l’unité économique de base de l’action individuelle à la transaction. Ce sont maintenant
les interactions réciproques d’individus en présence qui constituent le tissu social, et donc
organisationnel.
L’interactionnisme symbolique
Les fondements théoriques de cette approche ont été mis en évidence par Mead. Le monde n’est
pas considéré comme une réalité extérieure à l’individu et qui serait quelque part, « là-bas »,
ailleurs immuable et attendant d’être découverte par lui. Certes, il est une réalité, mais celle-ci
est créée activement quand l’individu agit dans et envers ce monde. Environnement et individu
sont en interaction, ils se déterminent l’un l’autre.
L’environnement comprend bien évidemment des choses, d’autres individus, mais aussi des
symboles, signes arbitraires, conventionnels façonnés collectivement par les individus qui les
utilisent, dont une catégorie essentielle est le langage. Ceux-ci permettent donc des interactions

55
symboliques entre individus. De plus l’utilisation des symboles est instrumentale dans la
création de la conscience de soi par l’individu. En créant un symbole qui le représente (à ses
yeux propres et aussi collectivement, aux yeux des autres), l’individu acquiert alors la capacité
de penser à lui-même de « l’extérieur ». Il peut, cette condition remplie, alors se projeter dans
l’environnement.
Mead introduit ensuite la notion « d’objet », en un sens différent de celui qui est donné
habituellement. Il ne s’agit plus uniquement d’une des « choses » qui sont physiquement
présentes dans l’environnement, il inclut la catégorie générale de symboles qui peuplent
l’environnement et à travers lesquels celui-ci est perçu : choses, idées, individus, activités et
buts. Un objet ainsi conçu, au sens objet de la pensée, est à la fois créé par l’individu et but de
ses actions. En d’autres termes, les individus agissent envers les objets sur la base de la
signification que ces objets ont pour eux.
Les objets sociaux, matériels ou non, sont créés par des actes sociaux. Il en découle deux
conséquences importantes pour cette approche théorique : d’une part les individus vivent dans
un monde qui est peuplé d’objets, et des seuls objets qu’ils reconnaissant et auxquels ils portent
attention. Ceux-ci consistent essentiellement en symboles, et non en choses et stimuli. D’autre
part, leur conduite est orientée vers des buts et des objectifs. De ce fait, ce sont les objets qui
orientent les conduites. Le langage constitue un répertoire d’objets disponibles et permet aussi
d’en créer de nouveaux. Il est donc reproducteur, mais aussi créateur de la réalité.
Des objets sociaux sont créés quand les individus d’engagent dans des actes sociaux. Ils
coordonnent ainsi leurs activités et orientent leur conduite les uns sur les autres anticipant leurs
réponses à leurs actes individuels et estimant qu’ils feront de même, puis chacun interprétant
les significations en assignant des intentions aux autres.
La création consciente d’objets sociaux à travers des actes sociaux ne se produit qu’en cas de
situation, d’événement ou d’acte initial problématique et/ou ambigu. Cela n’est pas toujours le
cas. Beaucoup de nos activités quotidiennes sont routinières et répétitives et s’expliquent plus
simplement en termes d’habitudes, plus ou moins complexes, telles que monter à bicyclette,
mais aussi conduire au travail, préparer un repas, etc. Cependant, une routine de la rupture exige
un retour à l’interprétation pour conduire l’action vers son but.
Un concept additionnel est introduit ici, celui du « self ». Le self est à la fois un objet au sens
meadien défini plus haut et le processus par lequel cet objet est créé. Il implique l’idée qu’un
individu peut être un objet à lui-même, qu’il peut alors conceptualiser et à l’égard duquel il peut
agir. Il peut éprouver des sentiments à son propre égard, positifs ou négatifs, s’imaginer dans
des situations diverses, être parti de sa propre expérience ou de son propre environnement. Ici
encore le rôle du langage est fondamental. La réponse caractéristique de l’individu confronté à
une situation est de retenir sa réponse impulsive jusqu’à ce qu’un acte (au sens ci-dessus) puisse
être construit qui paraisse correspondre à la situation. Ce qui rend possible l’anticipation de ses
propres actes par l’individu et la capacité de les placer en perspective par rapport à ceux des
autres est la désignation symbolique des autres et de soi-même, la capacité de nommer les
objets, les autres et soi-même. Muni de symboles pour lui-même et pour les autres, l’individu
peut se représenter comme impliqué dans leurs actes et donc imaginer de décrire l’activité du
groupe comme d’un ensemble. Il peut imaginer des scénarios, ajuster son comportement à ce
qu’il pense que les autres feront et interagir avec lui-même. Se donner soi-même le nom que
les autres nous donnent fait de nous un objet dans notre propre monde.

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L’esprit ou la conscience nait de ce processus d’incorporation du processus social dans
l’organisme individuel. Les individus ont un « esprit » parce qu’ils ont la capacité d’agir à
l’égard d’eux-mêmes, de se parler à eux-mêmes, d’eux-mêmes et de se prendre en compte dans
leurs actions. L’esprit n’est donc pas une entité distincte et séparée du corps, mais un
comportement social comme les autres dépendant de la capacité symbolique des humains qui
leur permet de se considérer eux-mêmes comme un objet, le self, créé et recrée quand l’individu
agit à son égard.
Ce processus passe par deux phases, celle du « je » où l’individu répond en sujet agissant envers
des objets ou des autres, suivie par celle du « moi » où l’individu s’imagine en tant qu’objet
dans une situation. Le « je » est le début de l’action en tant que réaction impulsive, spontanée
à un changement perçu, une modification de situation. Cette réponse inorganisée et sans
direction à ce qui n’est alors qu’un stimulus amène l’individu à prendre conscience qu’il est
(spontanément) devenu actif et déclenche la prise en compte du « moi » dans la situation. « Je »
et « moi » alternent ainsi continuellement. Implicite dans cette analyse est l’idée que les
individus n’ont aucune idée de ce qu’ils vont faire avant d’avoir commencé à agir. Le self est
ainsi un processus : impulsion à agir, réponses imaginées à l’acte envisagé, actes
potentiellement différents possibles imaginés et cours d’action finalement résultant du dialogue
entre les deux du « je » et du « moi », lui-même permis par la capacité de l’individu de se
considérer comme un objet à ses yeux et à ceux des autres. Ceci n’implique nullement d’ailleurs
qu’il se conforme à leurs attentes : le « je » impulsif peut l’emporter, le « moi » être inadapté
ou erroné, l’acte modifié par défiance ou opposition.
La construction de rôle est le processus par lequel, dans une situation, un individu élabore son
activité afin qu’elle se conforme à la définition qu’il en a donnée, son rôle conçu par lui et les
actes des autres. La prise de rôle est le processus par lequel l’individu se place au point de vue
d’un autre et regarde alors tant la situation que lui-même afin de construire son rôle en
coordination avec la situation. Cette première activité est construite sur la base de la seconde
avec laquelle elle est intimement liée et s’exerce avec pleine conscience de soi.
Cette conception de la prise de rôle implique que l’individu puisse imaginer ou se représenter
une situation depuis une vue perspective différente de celle qui lui est assignée par le rôle qu’il
y tient. Ceci peut se faire du point de vue du rôle des autres qui y sont impliqués, mais aussi,
plus généralement, du point de vue de la situation elle-même ou d’actes sociaux dans cette
situation et par ce que Mead appelle « l’autrui généralisé », des groupes, communautés et
société auxquels nous appartenons, ou aspirons à appartenir.
Le self comprend trois parties. En premier lieu, l’identité constitue la localisation d’un individu
dans la vie sociale. On distingue l’identité située, dans une situation sociale donnée, de l’identité
sociale, dépendant des appartenances aux communautés et collectivités diverses et de l’identité
personnelle, qui, alors que la précédente est fondée sur l’appartenance et la similitude avec les
autres, se base elle-même sur la différence et l’autonomie de l’individu. En second lieu,
l’individu s’attribue une image de soi, en termes de qualités, attributs et caractéristiques divers,
par rapport aux rôles situés valorisés par la société où il se trouve. Ceci constitue une influence
puissante. Enfin, l’estime de soi est l’aspect affectif du self. L’individu a envers lui-même des
sentiments plus ou moins favorables.
Dans ce cadre, la conduite des individus ne doit se comprendre ni comme un calcul individuel
de rationalité plus ou moins limitée, ni comme le résultat de contraintes sociales, mais comme

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le produit d’interactions situées socialement. En d’autres termes, ici aussi non seulement les
individus agissent envers les objets sur la base de la signification que ces objets ont pour eux,
mais la signification des objets dérive ou émane des interactions sociales qu’un individu a avec
les autres.
Dans la terminologie de Mead notée plus haut, société et organisations sont des objets sociaux,
constitués en tant que tels par ceux qui y participent, avec les propriétés notées plus haut. Un
élément essentiel, mais non le seul de la constitution de ces objets est le langage qui permet les
conversations sur les événements, situations, problèmes présents et passés. C’est ainsi que les
« explications » « d’incidents » problématiques sont construites, les « comptes rendus » de nos
propres activités fournis aux autres, les solutions que chacun a à proposer bâties en théories, les
actes ambigus, étranges ou provocants remis en ligne par des « reniements » ou « dénégations ».
Comme la réalité sociale et les organisations, les problèmes sociaux, les communautés sont
construits.
Bien sûr ils sont construits dans la répétition des interactions et non modifiables à volonté par
un individu. Une fois constitués, les objets sociaux certes peuvent être cependant modifiés dans
le moyen ou long terme tout comme ils ont été créés, mais à court terme, ils s’imposent aux
individus. Ils constituent des modèles (ou des « patrons » au sens employé par les couturières)
pour la coordination des actes des individus en activités sociales conjointes. Tout comme d’un
« patron » de couturière, il est possible d’en dévier. Cela se fait par exemple, sous l’influence,
soit involontaire d’une erreur, soit volontaire d’un jeu, d’une délibération plus ou moins
perverse de « faire autre chose » ou du génie créateur. Un événement problématique est alors
constitué. Dans la plupart des cas, cependant cette question ne se pose pas. Les problèmes sont
réglés par l’application des typifications communes pour résoudre ce qui pourrait apparaitre
comme un problème. Des collectivités, des organisations se constituent avec ceux qui sont
engagés de façon répétitive dans les mêmes activités sociales conjointes.
Silverman et une théorie d’organisation
Le point de départ est une critique des insuffisantes approches fonctionnalistes, systémiques et
socio-techniques pour la compréhension des organisations et l’appréhension de leur mode de
fonctionnement. Son cadre de référence se présente ainsi :
D’une part, dans les sciences de la nature l’objet d’observation ne comprend pas son propre
comportement, il est dépourvu de sens jusqu’à ce que l’observateur y applique son cadre de
référence. La logique du comportement n’est perceptible que par l’observation. Dans les
sciences sociales, au contraire, les actions des individus ont un sens pour eux-mêmes. Ils
définissent leur situation et agissent de certaines manières vers certaines fins, et ce faisant
construisent un monde social. La vie sociale a donc une logique interne qui être comprise par
l’observateur alors qu’il impose une logique externe sur ses données.
L’observateur ne peut expérimenter ce que ressent un autre, mais il peut comprendre
subjectivement les actions des autres.
Par ailleurs, l’observation du comportement n’est pas suffisante, car il peut recouvrir des sens
différents dans des environnements différents et des définitions de la situation différente. Les
actions des hommes sont issues d’un réseau de significations qu’ils construisent eux-mêmes et
dont ils sont conscients.

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De plus, l’action est issue des significations que les individus attribuent aux situations et aux
actions des autres et auxquelles ils réagissent en termes des interprétations suggérées par ces
interprétations.
Ces significations, qui entrainent l’action, proviennent de la société et des états de la société qui
l’ont précédée. Nous sommes placés sur une carte sociale et internalisons les attentes à travers
les autres envers notre comportement « naturel » auquel nous en venons à être attachés pour
lui-même et que nous valorisons.
Elles sont par ailleurs socialement maintenues : la société équivaut à des contraintes ajoutées
au sentiment d’agir naturellement. Mais comment est-ce que les membres d’une société en
viennent à percevoir le monde social comme factuel, externe, routinier et non-problématique ?
Il en est ainsi, car l’homme « connait » le monde social à travers un stock de connaissances
partagé et le caractère correct de cette connaissance est continuellement rendu apparent par les
actions des autres. Le stock social de connaissances est une série d’hypothèses sur le
comportement approprié dans des contextes différents. Nous confirmons réciproquement nos
conceptions de nous-mêmes. De cette façon, des typifications réciproques se développent à
partir des interactions, des attentes deviennent institutionnalisées, des rôles sociaux sont
objectivés et rendus parties de l’ordre nécessaire des choses.
Cependant, ainsi, pour être crédible, la réalité du « monde tenu pour acquis » devra être
continuellement réaffirmée dans les actions des hommes. Les significations ne sont pas
seulement données par la société, elles sont aussi soutenues socialement. L’ordre social repose
sur les actes de coopération des individus en soutien d’une particulière version de la « vérité ».
Dans une conversation, nous trouvons commode d’accepter la définition du monde qui prévaut
dans un groupe et de ne pas remettre en question les aspects principaux des vues de soi qui y
sont présentées. L’homme crée le monde social, qui dépend pour son existence de sa
confirmation continuelle dans les actions de ses membres. La structure sociale n’a donc d’autre
réalité qu’humaine et pas d’existence séparée en dehors des individus.
D’autre part, les significations sont changées socialement. En effet, si la réalité du monde social
est socialement soutenue, elle est aussi socialement changée, par l’interaction des individus. Par
exemple, des évènements dérangeants se produisent qui viennent remettre en question un aspect
donné de la réalité. Cela peut être le cas pour un rôle. À l’inverse, des définitions du monde
peuvent être imposées par certains sur les autres, elles n’impliquent pas obligatoirement de
« valeurs partagées » à la façon des fonctionnalistes.
L’explication se fait en termes de signification, d’état d’esprit subjectif des acteurs. Les
individus agissent d’une façon donnée, d’une part pour atteindre certaines fins, mais aussi parce
qu’ils se voient comme le type de personne qui accomplit de tels actes. Cependant, leurs actions
ne sont pas causées par des caractéristiques internes que seul un observateur perçoit.
Cette analyse rejette un point de vue positiviste. C’est-à-dire qu’elle tient que le comportement
humain ne s’explique par en termes de forces psychologiques universelles, de facteurs non
sociaux ou de construits sociaux réifiés, mais des significations que les individus attachent à
leurs actions et à celles des autres.
L’homme est donc contraint par la façon dont il construit socialement sa réalité. Il est capable
de produire un monde qu’il expérimentera cependant comme autre chose qu’un produit humain.

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Par ailleurs, son comportement n’est la conséquence de sa constitution psychologique ou
biologique (autres forces non cognitives), mais de relations interpersonnelles.
Dans ce cadre, les organisations sont des institutions sociales, mais avec des caractéristiques
particulières.
Elles sont créées consciemment à un point déterminable dans le temps, leurs fondateurs leur
ont donné des buts qui sont importants essentiellement en tant que symboles de légitimation.
Les relations entre membres et la source d’autorité légitime sont clairement définies, bien que
fréquemment discutées et susceptibles de changement planifié. Plus qu’une théorie des
organisations, l’approche de Silverman, dans sa formulation même propose une méthode
d’analyse des relations sociales dans les organisations basées sur des principes interactionnistes.
L’origine des organisations est à recherche dans leur création par quelqu’un de spécifique, avec
des buts et une définition de la situation qui impliquent une relation biunivoque entre
organisation et structures sociales générales situées historiquement.
L’action dans les organisations est le résultat d’interactions complexes. Le mode d’interaction
entre les acteurs et les significations y attachées qui se construisent dans l’organisation
réfléchissent tant les conséquences de leur comportement que les stocks de connaissances
institutionnalisées qu’ils importent de l’extérieur de l’organisation sur le modèle suivant :

Stock de connaissances
institutionnalisées hors
l’organisation

Mode d’interaction Degré varié


et significations y d’implication, fins et Action
attachées (rôles) définitions de la
dans l’organisation situation

Le changement peut s’analyser tant en termes des modes d’interaction que l’implication en eux,
reliés, de source tant interne qu’externe.
Cette perspective va s’attacher à six éléments interreliés pour comprendre les organisations :
-la nature du système de rôles et les « patrons » (au sens défini plus haut) d’interaction qui se
sont construits dans l’organisation en particulier son développement historique et le degré
auquel il représente les valeurs partagées de tout ou partie des acteurs ;
-la nature de l’implication des acteurs et la hiérarchie des fins qu’ils poursuivent, et le degré
auquel elles proviennent de leur vie hors l’organisation et de leur expérience dans
l’organisation ;
-la définition actuelle de l’organisation par les acteurs et leurs attentes du comportement des
autres en référence aux ressources stratégiques et à leur répartition ;
-les actions types des différents acteurs et les significations qu’ils y attachent ;

60
-la nature et la source des conséquences attendues et inattendues des actions avec référence à
leur implication et l’institutionnalisation des attentes dans le système des rôles ;
-les changements dans l’implication, les fins des acteurs et le système de rôles et leurs sources
dans les résultats des interactions des acteurs et dans le stock des connaissances changeant hors
l’organisation.
Elle préconise comme seule fructueuse l’analyse comparative des organisations.

61
Chapitre 4 : Les théoriciens entre 1975 et 1984

Le néo-institutionnalisme (TNI)
Le néo-institutionnalisme en théorie des organisations
De manière très générale, le néo-institutionnalisme conçoit les organisations comme
compréhensibles seulement s’il est tenu compte du fait qu’elles sont, d’une part connectées
entre elles, et d’autre part, construites par leur environnement. Cet environnement exerce ainsi
des pressions qui influencent leurs structures et auxquelles elles cherchent à s’adapter. Bien
entend,u différents environnements créent des pressions différentes. Les environnements sont
aussi conçus comme des systèmes culturels, qui, en définissant et en légitimant des structures
organisationnelles, participent à leur création et leur maintien.
Certains des travaux initiaux et les plus souvent cités en référence s’intéressent aux institutions
d’éducation : Meyer et Rowan constatent que celles-ci, au cours de leur histoire se sont
développées à une large échelle et ont acquis une légitimité généralisée. Non seulement le
processus d’éducation s’est formalisé, mais il se déroule dans des bureaucraties de tailles de
plus en plus importantes, gérées, aux USA directement par des systèmes politiques. Dans tous
les cas cependant la bureaucratisation du système a de très loin dépassé le simple échange local
entre familles et précepteurs qui avait été sa phase initiale.
Ces organisations d’éducation sont couplées de façon relâchée, et ceci doublement. D’une part,
en effet, la structure est déconnectée du processus de l’activité technique qui s’y déroule, c’est-
à-dire le travail qui y est accompli. D’autre part, cette activité est elle-même déconnectée de ses
effets, c’est-à-dire des résultats de ce travail. L’explication de ce double découplage réside, au
sens des auteurs, dans le fait que les bureaucraties éducatives émergent et sont formées non pas
tant pour éduquer les enfants qui leur sont confiés que surtout comme agences de certification
et de catégorisation du personnel dans la société moderne. Elles utilisent des curriculums
standards pour produire des diplômés standard qui sont ensuite répartis ainsi dans les strates du
système économique et social. Telle catégorie de diplômes donne alors accès à telle catégorie
sociale. Il en est par exemple aussi en France, dans des domaines différents, les écoles
d’ingénieurs les plus connues et l’enseignement secondaire technique. Contrairement aux
apparences, elles n’ont pas pour but réel éducation et formation qui n’ont qu’un rôle secondaire,
si tant est à la limite qu’il existe encore partout.
Les classifications rituelles sont, elles, étroitement réglementées et contrôlées. Notamment en
particulier dans la définition de ce qu’est une école primaire, secondaire, une université ; qui
enseigne quoi, qui peut enseigner quoi, quel élève a accès à quel programme. Il n’y a place pour
aucun doute sur ces points, et ceci est le cas sans que l’on sache d’ailleurs exactement ce qui se
déroule dans les composantes de ce programme. Ce sont donc ces catégories standardisées de
programmes, d’enseignants et d’élèves qui donnent leur définition et leur signification aux
activités internes des écoles, car elles sont institutionnalisées dans les règles normatives de la
société. Elles composent les éléments des théories de l’éducation dans les sociétés modernes,
et elles en tirent d’énormes ressources en s’y conformant, en les incorporant et en les contrôlant.
La sélection et la certification des enseignants, la répartition des élèves dans les classes de
niveau, l’emploi du temps, le choix des sujets sont très réglementés, décidés de manière
centralisée et étroitement contrôlée. Quand ces catégories sont correctement assemblées,
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l’éducation est supposée prendre place, quoiqu’il se passe en fait dans les salles de classe. Leur
agencement correct reflète les rites socialement décidés et incorporés dans les mythes sociaux
ou règles institutionnelles de l’éducation.
Mais il n’y a pas que l’éducation qui témoigne de l’institutionnalisation, les autres organisations
également. Ainsi, les produits, services, techniques et politiques qui ont été institutionnalisés
fonctionnent comme des mythes puissants omniprésents dans l’environnement et beaucoup
d’organisations les adoptent cérémonieusement afin de marquer ainsi clairement leur statut de
« bonnes organisations ». Cependant, la conformité aux éléments ainsi institutionnalisés entre
parfois et même souvent, en conflit plus ou moins aigu avec des critères d’efficience ou
d’efficacité. Chacun peut constater quotidiennement l’existence de méthodes de
comptabilisation ou de gestion des commandes qui retardent la production ou les ventes, de
sélection inefficace, de règles de promotion affichées inapplicables et inappliquées, de
pourcentage du chiffre d’affaires consacré à la recherche irréaliste, de formation inutile, etc.
« A contrario », l’application de contrôles et de modes de coordination des activités ayant pour
but l’efficience peut amener à constater que ces procédures adoptées sont inutiles ou même
nuisibles, mais leur élimination affaiblit la conformité cérémonielle d’une organisation et met
en péril ses soutiens et sa légitimité. Pour maintenir ceux-ci, les organisations vont avoir à
conserver les règles institutionnalisées reflétées dans leurs structures formelles et, pour faire
face à leur incompatibilité avec l’efficience et notamment avec le règlement des incertitudes
inhérentes au jeu des activités techniques, elles vont relâcher le couplage de leurs éléments
composants et introduire des écarts volontaires (découplage) entre le jeu de leurs structures
formelles (à usage externe) et les activités de travail réelles telles qu’elles se produisent.
L’analyse précise de ce que sont les règles institutionnalisées et les distingue très nettement de
simples comportements sociaux prévalant. Elles sont des classifications construites dans la
société en tant qu’interprétations ou typifications réciproques au sens de Berger et Luckman.
De telles règles peuvent simplement être tenues pour acquises ou bien être vivement soutenues
par l’opinion publique ou même avoir force de loi. Les comportements sociaux prévalant sont
beaucoup moins stables, beaucoup moins profondément ancrés, beaucoup plus susceptibles
d’exceptions et moins intégrés en routines.
Aussi, les institutions impliquent inévitablement des obligations normatives, mais elles entrent
souvent aussi dans la vie sociale et en premier lieu comme des faits qui s’imposent et doivent
être pris en compte par les acteurs.
L’institutionnalisation est le processus par lequel les processus sociaux, les obligations ou le
présent en viennent à prendre un statut de règle dans la pensée et l’action sociales et « aller de
soi ». Ces processus sont tenus pour acquis et se répétant d’eux-mêmes. Ils acquièrent le statut
de faits sociaux. C’est à la fois un processus et une propriété. Bien qu’issus des relations entre
acteurs, ils deviennent perçus comme objectifs et extérieurs. Par exemple le statut social de
quelqu’un appartenant à une profession (médecin, avocat) est une règle hautement
institutionnalisée, sur les plans à la fois normatifs et cognitifs (pour gérer la maladie, faire
appliquer le droit), aussi bien et tout autant qu’un rôle social composé de comportements,
relations et attentes particulières.
Les auteurs relèvent qu’il est fondamental de noter que les règles institutionnalisées peuvent
avoir des effets sur les structures organisationnelles et une implantation dans les activités
techniques de travail réelles qui sont très différents des effets générés par les réseaux de

63
comportement social et de relations qui, dans tous les cas, composent et entourent une
organisation donnée.
L’impact de ces éléments rationalisés et institutionnalisés est énorme. Ces règles définissent et
redéfinissent des situations organisationnelles et les moyens de les traiter rationnellement. Elles
permettent et souvent exigent d’organiser suivant les lignes prescrites, et elles se répandent très
rapidement dans la société moderne. De nouveaux domaines sont codifiés en professions,
programmes et techniques institutionnalisés et les organisations incorporent les codes ainsi
« pré-packagés », comme peuvent l’illustrer les exemples de l’historique du développement des
fonctions personnel, recherche et développement, du travail social….Ces structures
institutionnalisées disponibles dans le paysage social rendent les organisations formelles à la
fois plus communes et plus élaborées, plus faciles à créer, sur la base de ce « mécano ». Elles
sont plus nécessaires, puisqu’elles sont considérées adéquates, convenables, rationnelles et les
organisations doivent les incorporer pour éviter l’accusation d’illégitimité. Ainsi, les mythes
qui sont bâtis en éléments institutionnels rationalisés créent à la fois la nécessité, l’opportunité
et l’impulsion d’organiser rationnellement, indépendamment et en plus des pressions nées de la
complexité de la gestion de réseaux de relations, qui existe par elle-même. Ils définissent de
nouveaux domaines d’activité rationalisée où de nouvelles organisations formelles émergent et
où les organisations les adoptent. Plus la société se modernise plus les domaines se rationalisent
et s’institutionnalisent et plus ces domaines se multiplient.
Les causes de l’institutionnalisation
La vraie question en fait n’est pas pourquoi il y a tant de catégories d’organisation, mais en fait
pourquoi celles-ci sont aussi homogènes. La raison en est des champs organisationnels
émergents et se structurent sous l’impact d’un ensemble d’organisations, et ensuite
homogénéisent les organisations qui y sont incluses. Ces champs constituent une zone reconnue
de la vie institutionnelle. Ils comprennent tous les acteurs pertinents et non seulement ceux en
concurrence, comme le fait l’écologie des populations d’organisations, ou ceux qui
interagissent, comme le fait l’analyse en réseau. Y appartiennent aussi les fournisseurs
essentiels, les consommateurs de produit et de ressource clé, les organismes de régulation et les
autres organisations qui fournissent produits et services militaires.
Le champ inclut les idées de connectivité et d’équivalence structurelle. Il se définit, se structure,
en quatre étapes : l’augmentation des interactions entre les organisations comprises dans le
champ, l’émergence de structures interorganisationnelles de domination et de mouvements de
coalition nettement définis, une augmentation de la charge d’information avec laquelle les
organisations doivent traiter et le développement d’une conscience mutuelle d’être inclus dans
une entreprise commune parmi les participants dans un ensemble d’organisations.
Une fois le champ structuré, des forces puissantes s’exercent sur les organisations qui y sont
incluses pour les rendre plus similaires. Les organisations présentes peuvent changer leurs buts
et/ou introduire de nouvelles pratiques et de nouvelles organisations peuvent entrer dans le
champ. Cependant, à long terme, les acteurs organisationnels construisent autour d’eux un
environnement qui limite leur capacité à changer plus, plus tard, dans le futur. Les premiers à
adopter des innovations organisationnelles sont conduits souvent d’abord par l’amélioration de
l’efficacité, mais ensuite, ces innovations sont « infusées avec une valeur qui dépasse les aspects
techniques de la tâche à accomplir » et deviennent source de légitimité, ainsi que nous l’avons
analysé ci-dessus. Les organisations dans un champ structuré répondent à un environnement

64
composé d’organisations répondant à un environnement de réponses organisationnelles. L’effet
agrégé des efforts de changement individuel devient une diminution de la diversité dans le
champ. L’isomorphisme en résulte, processus contraignant qui force une unité dans une
population à ressembler à toutes les autres unités qui font face au même ensemble de conditions
environnementales.
On peut en distinguer trois types : l’isomorphisme coercitif, semblable à celui décrit dans
l’écologie des populations d’organisations, consiste en pressions formelles et informelles des
autres organisations situées dans l’environnement conduisant à un rituel de conformité.
Il peut aussi être de nature mimétique. Quand les technologies sont obscures, les buts sont
ambigus et l’environnement crée une incertitude symbolique, les organisations vont se modeler
sur les autres organisations qui s’y trouvent en réponse à cette incertitude, comme le montrent
les exemples de l’époque Meiji de la modernisation japonaise ou la diffusion des cercles de
qualité en France. L’adoption de certaines pratiques est aussi une façon de faire passer un
message à l’environnement. Par exemple, l’administration se « modernise », en employant
certains des procédés et des méthodes de gestion « modernes » en usage dans le secteur privé.
Les organisations tendent ainsi à se modeler sur d’autres organisations dans leur champ,
qu’elles considèrent comme plus légitime ou ayant du succès. L’ubiquité de certaines pratiques
ou structures en résulte ainsi, plus que de l’efficacité concrète de ces pratiques.
Une troisième source du changement organisationnel isomorphique se trouve dans les pressions
normatives qu’exerce la professionnalisation. Celle-ci est la lutte collective des membres d’une
occupation quelconque pour définir les méthodes et conditions de l’exercice de leur travail, en
contrôler la « production de producteurs », c’est-à-dire la formation et l’accès à l’exercice de la
profession, et établir ainsi une base cognitive et une légitimité pour leur autonomie
occupationnelle. Deux aspects en sont particulièrement pertinents : le rôle des institutions
d’enseignement supérieur dans l’élaboration des deuxième et troisième de ces aspects et celui
des réseaux professionnels qui sont transversaux aux organisations et qui diffusent très
rapidement les règles relatives au premier.
Ces mécanismes créent des viviers d’individus quasiment interchangeables qui occupent des
positions similaires dans de multiples organisations et partagent une similitude d’orientations
et de dispositions qui peut prendre le pas sur les variations en traditions et contrôle qui,
autrement, formeraient l’essentiel du comportement organisationnel.
Un mécanisme important de renforcement de l’isomorphisme normatif est le filtrage du
personnel dans les champs organisationnels : recrutant dans une gamme réduite d’institutions
de formation, promouvant les mêmes « backgrounds » avec les mêmes méthodes et recherchant
les mêmes qualifications, les organisations dans champ rendent les carrières professionnelles si
étroitement délimitées que ceux qui parviennent au sommet sont virtuellement
indifférenciables.

65
Ecoles du contrôle externe
L’écologie des populations d’organisations
1.Ecologie des populations d’organisations et écologie organisationnelle
Conceptuellement, l’écologie des populations d’organisations prend place dans le cadre
théorique plus large de l’écologie organisationnelle. Elle en représente cependant la partie la
plus évoluée, celle qui a donné lieu au plus grand nombre de développements et c’est sur elle
que nous concentrons l’analyse.
Au point de départ de ces analyses se trouvent deux constats. D’une part, et posé celui que les
principes de l’écologie humaine peuvent s’appliquer fructueusement à l’étude des
organisations. D’autre part, on constate que le niveau d’analyse retenu le plus souvent, sinon
toujours, par la théorie de l’organisation conventionnelle est, généralement, implicitement,
celui de l’organisation elle-même, seule unité en face de l’environnement, même si parfois,
celui de ses composantes est envisagé. Il semble de même tout aussi implicitement admis qu’il
n’y ait pas d’autres niveaux possibles et que la question n’ait pas à être posée. La seule
exception est la prise en compte, essentiellement dans le comportement organisationnel, des
individus et des groupes actifs dans l’organisation. Aucun autre niveau n’est envisagé. Or, en
fait, le problème du niveau d’analyse se révèle crucial. Il y en a cinq possibles et non pas un
seul : ceux des membres de l’organisation (individus), des sous-unités (les groupes), des
organisations en tant que telles, des populations d’organisations et des communautés de
populations d’organisations.
L’écologie organisationnelle ne s’intéresse qu’aux trois derniers niveaux. Au niveau de
l’organisation, qui lui est commun avec la théorie traditionnelle, elle en diffère cependant par
la prise en compte explicite ou non des concepts de l’écologie. L’organisation est perçue dans
son contexte environnemental dont elle dépend pour sa subsistance et qui contraint et forme sa
structure. Elle s’adapte à ces stimuli auxquels dans certaines conceptions peuvent s’ajouter des
stimuli internes, tels ceux de la contingence structurelle interne. Cette adaptation se fait de façon
non cognitive et déterministe par symbiose avec l’environnement et par équilibres successifs
temporaires irréversibles.
Au niveau le plus élevé, l’écologie organisationnelle utilise une approche macro-évolutionniste
qui étudie la collection de toutes les populations (d’organisations) qui vivent dans une région
donnée.
Le niveau d’analyse pertinent proposé pour l’étude des organisations, par la théorie de
l’écologie des populations d’organisations, dans le cadre de l’écologie organisationnelle est le
niveau intermédiaire. C’est celui de la population d’organisations. Le terme population ne doit
pas être entendu au sens population de l’organisation, c’est-à-dire de la collectivité de ses
membres ou même des membres de la communauté qu’elle sert, mais de la population
composée d’organisation, de la collectivité des organisations qui constituent une population.
C’est sur cette approche que nous allons maintenant concentrer l’analyse ; car elle est sans doute
la plus originale et la plus productive. Par ailleurs, ainsi qu’il l’est précisé plus bas, elle n’exclut
aucunement d’appliquer les instruments de l’écologie aux organisations individuelles. Quand
cela est fait explicitement nous nous intéresserons aussi aux résultats obtenus à ce niveau.
2.Les principes généraux de la théorie de l’écologie des populations d’organisations

66
2.1 Les contraintes sur les organisations
Le point de départ, une fois le niveau d’analyse pertinent retenu, est le constat qu’il y a un très
grand nombre de limitations évidentes à la capacité des organisations à s’adapter à
l’environnement et qu’elles n’ont pas été suffisamment reconnues précédemment. Un nombre
important de pressions s’exercent pour le maintien d’un état d’inertie structurelle dans chaque
organisation.
Leur source peut se trouver dans les facteurs internes ou externes de l’organisation.
Parmi les premiers il convient de relever :
-les « coûts enfouis » de l’organisation sous forme des investissements existants en
installations, matériel, équipement, personnel spécialisé qui sont faciles à transférer vers des
tâches ou des fonctions différentes ;
-l’information, qui parvient aux décideurs dans l’organisation sur les activités et les
contingences de l’environnement et auxquelles les sous-unités sont confrontées, qui est
restreinte et déformée ;
-les contraintes de la politique interne qui font que les sous-unités au moins pour partie résistent
aux restructurations internes, qui par définition impliquent une redistribution des ressources et
du système d’échanges entre sous-unités. Les coûts à court terme de cette résistance sont
suffisamment élevés pour que les dirigeants abandonnent toute idée de réorganisation réelle ;
-les organisations elles-mêmes ont à faire face à d’autres contraintes issues de leur propre
histoire. Quand les accords normatifs plus ou moins formalisés règlent les procédures
opératoires standard et l’attribution des tâches et de l’autorité, les coûts et la difficulté du
changement s’élèvent considérablement : en effet ces accords fournissent une justification et
un principe d’organisation pour les divers éléments ou sous-unités qui souhaitent résister à la
réorganisation. D’autre part, leur existence même empêche d’examiner sérieusement des
solutions alternatives radicalement divergentes de l’état présent, quelle que soit leur valeur
intrinsèque.
Les pressions externes sont au moins aussi fortes, elles incluent :
-les nombreuses barrières juridiques et fiscales qui s’opposent à l’entrée sur les marchés et qui
sont bien connues (monopoles, oligopoles, autorisation d’exercice par l’état, réglementation des
professions, etc.) et aussi celles, moins connues, à la sortie des marchés et à l’abandon par
l’entreprise de certaines activités (pressions politiques locales, syndicats, etc.)
-l’acquisition de l’information sur les activités et marchés alternatifs est coûteuse et difficile
(car rare) surtout en environnement turbulent où elle est d’autant plus essentielle. De plus, le
type et les catégories de spécialistes déjà employés par l’organisation renseignent à la fois la
nature de l’information qu’elle est susceptible d’obtenir (celle seule qu’ils sont capables de
reconnaitre) et le genre d’information spécialisée qu’elle peut traiter (celle seule qu’ils savent
utiliser) ;
-l’environnement impose aussi des contraintes de légitimité. Une organisation qui a été capable
de se créer une légitimité bénéficie d’un atout vis-à-vis de son environnement ;

67
-enfin le problème de la rationalité collective implique qu’une solution qui serait optimale ou
du moins satisfaisante pour une organisation dans un marché devienne catastrophique si toutes,
ou la majorité des organisations sur ce marché l’adoptent en même temps.
Ces deux ensembles de lourdes contraintes font donc que l’optique théorique prédominante,
celle de l’adaptation de l’organisation à l’environnement par choix stratégique est irréaliste et
n’est probablement pas suffisante comme explication du comportement des organisations et/ou
dans les organisations.
2.2 Les populations d’organisations
Le choix d’une méthode d’application des principes de l’écologie humaine aux organisations
pose alors le problème de l’identification des populations parmi la totalité des organisations
existantes et de la définition du caractère partagé ou unitaire qui isole une population de celles
des organisations qui n’y appartiennent pas L’approche écologique suggère de retenir comme
critère d’appartenance à une population le sort commun en face des variations dans
l’environnement. Certes toutes les organisations étant distinctes il n’y en a pas deux qui seront
affectées exactement à l’identique par un choc exogène quelconque. Cependant, il est possible
d’identifier des classes d’organisations relativement homogènes en termes de vulnérabilité à
l’environnement. Ces populations ainsi définies ne sont d’ailleurs pas immuables, mais peuvent
varier en fonction de l’objet de l’observation.
Il faut ensuite définir l’équivalent des espèces biologiques. Ce sera les « formes »
d’organisation, chaque forme est un plan (blueprint), au sens d’un « bleu » d’architecte, pour
que l’action organisationnelle, pour la transformation « d’entrées » en « sorties » (input-
output). L’existence de ce « bleu », commun à l’espèce, peut être inféré de l’observation de la
structure formelle de l’organisation (l’organigramme, les règles et les procédures écrites), ou
bien des modèles d’activités dans l’organisation (qui fait, en fait, quoi), ou enfin de l’ordre
normatif (les façons d’organiser qui sont définies comme correct et acceptables à la fois par les
membres et par les secteurs pertinents de l’environnement). Structure formelle et ordre
normatif, en particulier, établissent des différences qualitatives entre les espèces d’organisation.
La professionnalisation par exemple isole ceux qu’elle promeut socialement, mais singularise
comme certifiés dans la profession nouvellement créée. Nous verrons plus bas que ce point
constitue l’un des aspects les plus critiques, et critiqué de la théorie.
Opérationnellement donc le concept de population d’organisation est défini par l’ensemble des
organisations ayant une forme commune à l’intérieur des frontières d’un système donné (défini
par le marché, la politique, la géographie, le produit, etc.). S’inspirant encore des bio-
écologistes, l’écologie des populations d’organisations s’assigne comme tâches de chercher à
comprendre les distributions d’organisations à travers les états de l’environnement et les limites
qui s’imposent sur les structures organisationnelles dans différents environnements et plus
généralement de répondre à la question : « Pourquoi y a-t-il autant d’espèces
d’organisations ? ».
2.3 L’application du modèle de l’écologie des populations à l’étude des organisations
La réponse spécialisée de l’écologie humaine à la question précédente tient dans le principe
d’isomorphisme : la diversité des formes d’organisations est isomorphe à la diversité des
environnements. En d’autres termes dans chaque configuration de l’environnement qu’il est
possible d’isoler de façon distincte, en fonction de caractéristiques qui permettent de le définir,

68
ne se trouvera, en équilibre, que la forme d’organisation adaptée de façon optimale à l’état de
cet environnement. Chaque organisation unité appartenant à cette forme est l’objet des
contraintes qui l’obligent à ressembler aux autres unités objets des mêmes contraintes.
Cependant deux éléments doivent venir s’ajouter à ce principe d’isomorphisme et le modifier.
Le premier d’entre eux est le mécanisme par lequel l’équilibre est atteint, le processus
d’optimisation duquel résulte l’isomorphisme. Deux processus sont concevables. L’un est
l’adaptation par apprentissage, où les décideurs apprennent les réponses optimales et ajustent
le comportement de l’organisation en fonction de cet apprentissage. La théorie tient que ce
mécanisme ne peut jouer un rôle primordial, ni même important, du fait des contraintes poussant
à l’inertie structurelle définie plus haut. Le mécanisme essentiel est donc le second de ceux qui
étaient possibles, celui de la sélection. La question qui se pose est alors comment se fait la
sélection ?
Dans ce cadre qui optimiser et qui est-ce qui est optimisé ? Du point de vue de l’écologie de la
population, c’est l’environnement qui est optimisateur. Ce que fait une organisation dans la
population, les efforts des décideurs pour l’adapter sont sans intérêt ni influence. Quoi que
l’organisation fasse, quoi que les décideurs décident, c’est l’environnement qui sélectionne
positivement les combinaisons optimales d’organisation par l’état dans lequel il se trouve. Si
l’on veut faire intervenir une rationalité, seule compte la « rationalité » de la sélection naturelle.
Un mécanisme de sélection implique l’emphase sur la concurrence. Certaines formes
d’organisations ne parviendront pas à prospérer dans certains types d’environnements, car
d’autres formes sont en concurrence avec elles et l’emportent sur elles en termes d’obtention
des ressources essentielles existant en quantité limitée dans le segment d’environnement
considéré. Tant que les ressources qui soutiennent les organisations existent en quantités finies
et que les populations ont des capacités illimitées à s’étendre, la concurrence s’ensuit
obligatoirement.
Si deux populations d’organisations sont soutenues par des ressources identiques dans un
environnement donné, et que leur croissance n’est limitée que par la disponibilité des ressources
présentes, il n’y a pas d’équilibre stable. Puisqu’il y a deux populations, par définition elles
diffèrent sur une ou plusieurs caractéristiques organisationnelles données. La concurrence pour
les ressources due à la croissance illimitée va entrainer le fait que la population d’organisations
avec la caractéristique la moins adaptée aux contingences de cet environnement va tendre à être
éliminée.
Donc les changements dans l’environnement qui font varier le nombre de ressources distinctes
et les contraintes sur la croissance des formes d’organisation affectent directement la limite
supérieure du nombre de formes d’organisation qui peuvent exister dans cet environnement.
L’intervention de l’État est un exemple type, soit de la multiplication de contraintes qui
s’ajoutent aux contraintes locales déjà existantes, soit de la suppression de contraintes par la
substituons de quelques règles d’ordre général à la multiplicité de réglementations locales. Elle
va donc accentuer ou réduire la diversité des formes d’organisations présentes.
Ici, à la différence de la bio-écologie, l’écologie des organisations doit prendre en compte aussi
la capacité des unités dans une population, et non plus de populations seulement, à croitre sans
limites. Le problème se résout si l’on admet que la croissance importante d’une organisation
altère sa structure et donc la forme de population à laquelle elle appartient, et donc dans le type

69
des ressources de l’environnement sur lesquelles elle dépend. Sa croissance correspond alors à
son changement de forme.
Le deuxième élément qui vient compléter le principe de l’isomorphisme organisation-
environnement est le fait que l’environnement va changer de configuration que ce soit de
manière prédictible ou imprédictible. Le principe implique que dans un environnement donné,
les organisations en équilibre présenteront des caractéristiques structurelles spécialisées en
fonction des traits saillants des ressources fournies par l’environnement.
3. Le modèle généralisé de l’écologie des populations d’organisations
Le modèle original proposé par Hannan et Freeman a généré tout un courant d’analyses proches.
Il a déjà été noté que Weick introduira les éléments originaux de sa recherche dans un tel cadre.
Une formulation d’un modèle général mettant en évidence les caractéristiques essentielles de
l’écologie des populations d’organisations est présentée clairement par Aldrich.
Le modèle est en principe applicable au niveau des populations d’organisations ainsi qu’il a été
précisé ci-dessus. Cependant, il est généralement admis qu’il peut être appliqué avec succès à
l’étude d’organisations elles-mêmes, d’unités, avec peu de réduction de ses capacités de
généralisation. Il cherche à expliquer le processus de changement parmi les organisations, et
particulièrement le changement à long terme.
Il se décrit dans un schéma à trois étapes : variation, sélection, rétention.
Les variations peuvent se produire dans et entre les organisations et dans et à travers
l’environnement. Il n’est pas exclu et se peut très bien que certaines d’entre elles soient dues
aux activités des membres et des dirigeants de l’organisation cherchant plus ou moins
rationnellement à apporter des solutions aux problèmes auxquels ils ont à faire face et à générer
des branches alternatives entre lesquelles ils choisissent.
Cependant, le présent schéma estime que l’importance de ce type de variation a été
considérablement surestime dans toute la littérature, étant donné, d’une part les contraintes
d’inertie structurelle décrites par Hannan et Freeman, et d’autre part, qu’en fait, la source des
variations est pratiquement peu identifiable, et théoriquement indifférente et sans aucune
importance.
L’élément fondamental est que des variations se produisent, d’où qu’elles viennent. Elles se
produisent dans et hors les organisations. En premier lieu, dans les organisations, elles peuvent
apparaître sous deux formes : d’une part entre formes d’organisations ou par forme
d’organisations entières, par d’industrie à industrie, à l’intérieur d’une industrie, entre secteur
public et privé, etc. D’autre part, elles peuvent aussi se produire à l’intérieur d’une organisation
ce qui peut l’amener à se transformer, par exemple par croissance, diversification ou
spécialisation. Ce dernier point différencie l’écologie des populations d’organisations de la bio-
écologie, dans laquelle les variations de population se font par apparition ou disparition
d’individus membres de la population qui ne peuvent se transformer eux-mêmes ou être l’objet
d’une transformation de source externe, et qui sont forcément mortels. En second lieu, ces
variations peuvent se produire dans des environnements qui peuvent présenter une capacité plus
ou moins grande à soutenir les organisations, être plus ou moins stables, être plus ou moins
homogènes dans leurs états successifs.

70
La deuxième étape est la sélection. Du fait des variations, des formes nouvelles ou modifiées
d’organisations apparaissent. Ces formes nouvelles, si elles sont bien adaptées aux pressions
exercées par l’environnement tel qu’il se présente au moment de leur apparition sont
sélectionnées positivement et survivent, alors que si elles sont mal adaptées, elles disparaissent.
Des variations se produisent aussi dans l’environnement, sans arrêt ; pour des causes toujours
dues au hasard, pour quelque raison que ce soit, à la chance, par essai et erreur, etc.
L’environnement changeant, des variations existantes sont sélectionnées négativement et
certaines des variations nouvelles sélectionnées positivement.
La troisième étape est la rétention. Un mécanisme de rétention, enregistre, retient et reproduit
la variation sélectionnée positivement. Il convient de noter que celle-ci peut très bien devenir
obsolète quand l’environnement changera à nouveau. La rétention dans ce sens peut devenir
défavorable à l’évolution en face de nouvelles variations et en sens différent de
l’environnement.
Ce modèle est étroitement basé sur la théorie de l’évolution. Il ne doit cependant pas être
confondu avec le « darwinisme social » et la simple survie des mieux adaptés. D’une part, le
présent modèle ne prétend nullement que le changement social doive suivre son propre cours
naturel pour le meilleur et le bien général sans aucune intervention extérieure. D’autre part, le
changement n’est pas forcément considéré comme étant automatiquement dans le bon sens, ou
positif ou équivalent à un progrès. Les variations ne sont pas produites parce qu’elles sont utiles,
simplement elles apparaissent, car le changement est une des caractéristiques du système.
Certainement, en quelque sorte, l’évolution conduit à un ordre nouveau des choses puisque les
variations qui accroissent les chances de survie d’une forme d’organisations seront
sélectionnées positivement, retenues et reproduites à de fortes probabilités. Cela ne veut
cependant pas dire que cet ordre nouveau soit meilleur que ce qui précédait et que les variations
retenues soient un progrès sur l’état précédent, à moins que l’observateur n’ait pris une décision
arbitraire implicite préalable sur ce qui constitue un progrès ou non. Par exemple, il est
parfaitement concevable que de la part d’un observateur ayant une conception donnée de la
moralité des affaires, ou de la distribution du revenu dans la population, des formes régressives
d’entreprises soient sélectionnées positivement. Cela sera seulement à cause de sa pré-
conception implicite de ce qui est bon ou mauvais, souhaitable ou non.
Enfin, cela ne veut surtout pas dire que l’évolution va vers un but pré-établi, qu’il soit
souhaitable, ou préféré ou non. Le modèle n’admet ni objectif final, téléologique, ni « grand
maitre plan », ni guidage externe. De même qu’une variation sélectionnée positivement en
signifie par un progrès par rapport à l’état précédent, elle ne signifie pas non plus un pas vers
un objectif final quelconque. Il s’agit simplement d’un changement. Ceci ne veut pas dire non
plus que les variations soient sélectionnées positivement ou négativement totalement au hasard.
Sont sélectionnées celles correspondant à une meilleure adaptation à l’environnement, mais non
en fonction d’un deus ex machina. Bien entendu, l’environnent lui-même varie dans une mesure
tout aussi exempte de valeurs ou d’objectifs.
La dépendance sur les ressources (TDR)
Bien que mettant aussi l’emphase sur le rôle essentiel et l’impact de l’environnement, cette
théorie est moins extrême et plus nuancée dans ses conclusions que celle de, l’écologie des
populations d’organisations. Elle part cependant des mêmes constatations.

71
1.Les éléments de base de la théorie
Le premier de ces éléments est de considérer que les organisations sont inévitablement liées à
l’état de leur environnement. Pour comprendre une organisation, il est indispensable de
comprendre son écologie.
Les organisations ne survivent que si elles sont efficaces, c’est à dire que dans la mesure où
elles gèrent les exigences des groupes d’intérêts dont elles dépendent pour leurs ressources et
leurs soutiens. Cette gestion peut d’ailleurs parfaitement inclure de céder à ces exigences. Les
organisations doivent en effet acquérir et entretenir des ressources dont elles n’ont pas le
contrôle total et pour l’obtention desquelles elles dépendent d’autres organisations qui
constituent leur environnement.
En second lieu, il est constaté que la plus grande partie de la théorie des organisations accorde
une place excessive à l’attribution des résultats à l’action individuelle et aux causes des actions
des individus, privilégiant ainsi la motivation au détriment de l’importance des facteurs
déterminants de nature situationnelle. En fait, il est constaté que les décideurs individuels ont
peu d’effet sur une organisation, et, en tout état de cause bien moins que le contexte de
l’environnement. Ceci est le cas pour des raisons tant internes qu’externes. D’une part, les
processus de sélection par les organisations et d’autosélection par les individus tendent à
produire des dirigeants présentant une gamme de caractéristiques, comportements et méthodes
tout à fait similaires. D’autre part, même un dirigeant dispose souvent de très peu de liberté
dans les choix qu’il peut être amené à faire du fait de l’influence sociale des autres individus
dans l’organisation, en termes d’information, de pressions, d’agréments, d’accords passés ; etc.
Enfin un trop grand nombre des choses qui influencent directement les résultats de
l’organisation sont tout simplement hors du contrôle de ceux qui y appartiennent et les dirigent.
En troisième lieu, l’efficacité est définie comme la capacité à créer des résultats et des actions
acceptables. L’efficience ne concerne plus le produit, mais la façon dont il est produit, qui ne
regarde plus ce qui est fait, mais comment cela est fait. Elle est définie par le ratio input/output
et s’attache au point de savoir comment faire mieux, à moindre effort ou moindre coût, que ce
que l’organisation fait déjà. Elle ne remet pas en question ce qui est produit. C’est cependant
l’efficacité qui est critique pour le succès. Par exemple un système scolaire à qui l’on reproche
son inefficacité (à produire des diplômés employables) ne réglera pas la situation même s’il
accroit son efficience à continuer à produire des diplômés inemployables en plus grand nombre
et à moindre coût.
Cet exemple illustre bien que l’efficacité est un standard de performance externe contrôlé, jugé
et décidé par ceux extérieurs à l’organisation, ainsi que l’avait déjà noté Thompson, alors que
l’efficience est un standard interne contrôlé par les membres de l’organisation.
En quatrième lieu, l’environnement est donc un concept essentiel puisque l’efficacité de
l’organisation sera jugée de l’extérieur. Or, la définition de l’environnement est élusive. Il
comprend tous les éléments qui affectent les organisations, y compris bien sûr les autres
organisations. Cependant, tous les événements auxquels elle est confrontée n’ont pas
nécessairement un impact sur elle.
Il existe des barrières entre l’organisation et l’environnement : par exemple certains éléments
ne sont pas perçus, d’autres sont filtrés et imparfaitement perçus. Donc l’environnement est
créé par l’organisation, il est « agi », mais au sens restreint de la définition. En effet, il est à la

72
base autonome dans la mesure où il existe en lui-même et il est « agi » dans la mesure où
l’organisation s’attache à certains de ses aspects seulement, et à certains plus qu’à d’autres.
Ceci vient de la façon dont elle choisit et établit ses systèmes d’information et dont elle les
localise à différents points de sa structure ainsi que des connexions qu’elle établit dans cet
environnement. Elle construit ainsi sa perception de la réalité, de ce qu’elle considère important
et des significations qu’elle y attache. Mais cette réalité existe par elle-même en dehors de sa
construction par l’organisation.
En cinquième lieu, des contraintes sont présentes. Une contrainte se définit par le fait qu’une
réponse dans une situation donnée n’est pas aléatoire, qu’elle est plus probable que n’importe
quelle autre, quelle que soit l’action à laquelle elle répond. Les contraintes sont souvent
considérées comme restrictives. Cependant, dans la plupart des cas l’action ne serait pas
possible sans leur existence qui facilite les choix et guide le processus de décision.
Les comportements sont presque inévitablement sujets à contraintes : par les réalités physiques,
par l’influence sociale, par l’information et les capacités cognitives, aussi bien que sujets aux
préférences personnelles. Les contraintes peuvent être manipulées pour promouvoir certains
comportements. Leur existence explique pourquoi il y a si peu de variances dans la performance
de l’activité des organisations dues aux différences entre individus. Tous les individus opèrent
sous contraintes y compris les dirigeants de l’organisation.
En dernier lieu, la théorie conserve un rôle pour le dirigeant. Les individus aspirent à un
sentiment de contrôle sur leur environnement social. De ce fait, le rôle du dirigeant est d’abord
celui de symbole. Il personnifie l’organisation et ses résultats. Il prétend et fait croire qu’il
contrôle l’environnement et remplit ainsi les aspirations. De ce fait, il est tenu pour responsable
des performances de l’organisation sur lesquelles il n’a en fait pas de contrôle réel.
Cependant, que le dirigeant n’ait aucun contrôle sur le contexte social ne signifie pas que son
rôle autre que symbolique soit vide, car les contraintes qui existent ne sont ni prédestinées ni
irréversibles. La plupart de celles qui existent à un moment donné sont le résultat de décisions
antérieures ou de résolutions préalables de conflit entre groupes d’intérêts. Beaucoup dérivent
des actions des autres. Le rôle des dirigeants est donc double, au-delà de celui de symbole.
D’une part, dans les limites où cela est possible, car l’organisation dont ils sont à la tête fait
aussi partie de l’environnement pour les autres organisations, ils peuvent chercher à influencer
les actions des autres en manipulant le processus par lequel leur organisation influe sur celles-
ci. D’autre part, en tout cas, et même dans l’impossibilité de jouer efficacement ce premier rôle,
ils doivent identifier correctement le contexte social et les contraintes dans lesquels leur
organisation opère et essayer de l’y ajuster.
2.Définition des organisations et de leur environnement, ou contexte social
Contrairement au point de vue classique instrumental, articulé en particulier par Parsons qui
définit les organisations comme des instruments rationnels pour arriver à des buts ou ensemble
de buts, et suivant March et Yert elles sont ici considérées comme des coalitions. Elles altèrent
leurs buts et leurs domaines pour accommoder des intérêts nouveaux, se scindent pour échapper
à certaines pressions, et quand cela est nécessaire, s’attachent à des activités très éloignées de
leur but central avoué.
Parsons avait déjà remarqué que les organisations, puisqu’elles consomment des ressources
sociales, sont continuellement évaluées en termes de leur légitimité et de l’utilité de leurs

73
activités. De ce fait les organisations ne sont pas tant des entités sociales concrètes que des
processus d’organisation de soutiens suffisants pour continuer à exister. Leur activité principale
et la plus critique est d’établir une coalition suffisamment importante pour assurer leur survie.
March et Simon avait établi le mécanisme rétribution-contribution qui réglait la participation à
une organisation. L’organisation est le cadre dans lequel ces échanges se produisent. Conçues
ainsi, les organisations sont des marchés sur lesquels s’échangent influence et contrôle. Elles
n’ont ni intérêts acquis, ni buts généraux partagés de tous les participants, simplement ceux-ci
participent si leur rétribution est suffisante.
Elles sont cependant différentes des marchés économiques, car elles sont plus stables, les modes
d’interaction, activités et comportements sont répétitifs dans le temps. Bien entendu,
contribution et rétribution sont inégales parmi les participants à ce marché. De plus chaque
participant actif ou potentiel peut avoir des critères différents pour évaluer l’organisation. Ceux-
ci peuvent même être en conflit, ou incompatibles, ce qui oblige l’organisation à décider quel
individu ou groupe satisfaire et lequel ignorer. De plus, quand une organisation satisfait une
série de demandes cela réduit sa capacité potentielle à en satisfaire d’autres, différentes sinon
incompatibles. Au fur et à mesure que l’organisation croit, elle est donc amenée à établir des
coalitions de plus en plus hétérogènes.
Les limites de l’organisation sont définies en considérant, suivant Weick, que ce sont les
comportements et non les individus qui sont interstructurés en organisations. Bien évidemment,
un individu peut appartenir et appartient en fait à plusieurs de ces systèmes comportementaux.
En fait un individu peut parfaitement appartenir à une organisation et à son environnement,
adoptant différents comportements à différents moments. Ce concept d’inclusion partielle de
l’individu dans un groupe par son comportement à plusieurs conséquences importantes. D’une
part, les individus peuvent être remplacés, et leurs activités remplacées par d’autres. Puisque
ces activités sont interstructurées, la capacité de l’organisation à agir ne dépend pas d’individus
donnés, mais de sa propre capacité à localiser des individus qui peuvent mener à bien ces
activités, à les initier et à les contrôler. D’autre part, il éclaire l’acceptation du pouvoir légitime
et de l’autorité par ceux qui appartiennent à l’organisation : celui-ci est défini comme celui, et
seulement celui, qui porte sur les comportements inclus dans l’organisation. Par ailleurs, une
organisation survit dans la mesure où les activités qu’elle inclut sont suffisantes pour qu’elle
puisse se maintenir elle-même. C’est donc l’ensemble total des activités interstructurées dans
laquelle elle est engagée à un moment donné et au sujet de laquelle elle a la discrétion d’initier,
maintenir et terminer des comportements. Enfin, il établit les limites de l’organisation : elle finit
là où la force de sa décision de contrôler une activité est moindre que celle d’une autre.
La distinction faite par Barnard entre efficacité et efficience est précisée. L’efficacité est bien
un critère externe standard par lequel chacun des participants potentiels ou actifs évalue le
produit et les actions de l’organisation. Ces standards sont différents, donc l’efficacité est un
concept à autant de facettes qu’il y a de groupes d’intérêts, individus et organisations avec elle.
L’efficience est simplement la mesure de comment l’organisation fait ce qu’elle fait, que ce
qu’elle fasse soit efficace ou non. C’est bien un standard interne. Efficacité et efficience sont
parfois similaires (par exemple un chauffage plus efficient produit plus de chaleur et une
réfrigération opère inversement), mais cela est rare. Ils sont le plus souvent séparés comme dans
l’exemple que nous avions donné plus haut.

74
En raison des données exposées à la section précédente, il est clair que les activités des
organisations sont considérées comme le résultat du contexte dans lequel les organisations sont
enchâssées. Ce contexte, lui-même, cet environnement est largement composé d’organisations,
donc les organisations cherchent aussi à contrôler d’autres organisations.
La première caractéristique du contrôle social des organisations par leur environnement est
l’interdépendance qui est la raison qui fait que rien ne se passe exactement de la façon dont
nous le voulons. Cet état existe dès qu’un acteur ne contrôle pas seul toutes les conditions
nécessaires à une action.
Il existe plusieurs formes d’interdépendance ; de résultat, opposées à celle du comportement ;
compétitive, opposée à symbiotique ; à somme nulle ou à somme variable ; symétrique ou
asymétrique. L’interdépendance varie avec les ressources disponibles relativement aux
demandes, caractérise des individus opérant dans un même environnement et crée l’incertitude
en chaine. Chaque tentative d’une organisation de réduire celles auxquelles elle fait face en crée
d’autres pour les autres organisations et incite à une interdépendance accrue. C’est une
conséquence de la nature de système ouvert des organisations.
L’organisation nous l’avons vu, pour satisfaire à ses besoins, doit obtenir le soutien des groupes
externes ou d’autres organisations dans son environnement. En échange de ce soutien, ces
groupes exigent des actions de sa part. Cependant, leur contrôle n’est pas total. L’organisation
répondra ou non en fonction d’une série de données proches de celles que nous avons définies
en analysant le pouvoir. Elle le fera donc si un certain nombre des conditions suivantes sont
remplies :
-elle a conscience des demandes faites sur elle ;
-elle obtient une ressource de l’auteur de la demande ;
-cette ressource est importante ou critique pour ses opérations :
-l’auteur de la demande contrôle l’allocation, l’accès ou l’usage de la ressource ;
-il n’y a pas de source alternative disponible pour cette ressource ;
-elle ne contrôle pas elle-même l’allocation, l’accès ou l’usage d’une ressource importante pour
l’auteur de la demande ;
-la demande faite à l’organisation n’est pas en conflit avec d’autres demandes, émanant d’autres
composantes de l’environnement ;
-l’organisation ne contrôle pas la détermination, la formulation ou l’expression de la demande ;
-l’organisation est capable de développer des produits ou actions qui satisferont la demande
externe ;
-l’organisation désire survivre.
Plus ces conditions sont remplies, plus le contrôle externe devient fort.
L’organisation étant une coalition de soutiens, le facteur important déterminant son
comportement est sa dépendance sur les participants à la coalition. Les tentatives pour satisfaire
les demandes d’un groupe donné sont fonction de sa dépendance sur ce groupe relativement

75
aux autres groupes et du degré auquel les demandes de ce groupe sont en conflit avec les
demandes des autres groupes.
Cette dépendance est elle-même fonction de l’importance comparée de la ressource pour
l’organisation, la discrétion sur l’usage et l’allocation de la ressource et la concentration du
contrôle de cette ressource.
Cette dépendance est inévitable et la concentration du pouvoir est inévitable. Cependant des
contre-pouvoirs existent en termes d’autres ressources et contre dépendances. Mais le plus
souvent les interdépendances sont asymétriques et le comportement des organisations se forme
ainsi, en conséquence de ces influences externes, il n’est pas autodirigé.

76
La théorie des configurations organisationnelles
La première caractéristique de cette théorie dans laquelle ses tenants incluent d’ailleurs
généralement l’apport de Mintzberg qui vient d’être exposé, qu’elle considère l’organisation de
façon holiste, comme « une constellation multidimensionnelle de caractéristiques, dimensions
ou composantes, sans doute conceptuellement distinctes, mais qui se manifestent ensemble…et
ne peuvent être comprises isolément », en « ensembles cohérents », suite à « une sorte de
tendance naturelle à la formation d’agencements harmonieux ».
Un des plus connus de ces agencements est celui proposé par Miles et Snow qui décrivent quatre
configurations conduisant les organisations à quatre stratégies d’adaptation différentes. Les
« défenseurs » ont un domaine de produit et marché extrêmement réduit. Leurs dirigeants sont
des experts dans ces limites dont ils ne cherchent pas à sortir pour trouver de nouvelles
opportunités. De ce fait, elles procèdent rarement à des ajustements importants de leurs
technologies, structures ou modes d’opération et se concentrent sur l’amélioration de
l’efficience de leurs opérations existantes.
Les « prospecteurs » sont des organisations quasiment constamment à la recherche
d’opportunités sur les marchés et font l’expérience régulièrement de tenter aux tendances
émergentes dans l’environnement. Ils sont souvent à l’origine de changement et de l’incertitude
auxquels leurs concurrents doivent répondre. Cependant, leur souci permanent d’innovation les
empêche d’être complètement efficaces.
Les « analystes » opèrent dans deux types de domaines de produits et de marchés ; l’un
relativement stable et l’autre changeant. Ils opèrent de façon routinière et efficace avec des
structures et des processus formalisés dans les domaines stables et adoptent rapidement les idées
nouvelles qu’ils jugent prometteuses de leurs concurrents qu’ils surveillent étroitement dans les
domaines instables.
Les « réacteurs » sont des organisations où les dirigeants perçoivent fréquemment le
changement et l’incertitude envahissant leurs environnements organisationnels, mais sont
incapables de répondre efficacement, faute d’une relation stratégie/structure cohérente. Ils ne
s’ajustent que sous une pression forte de l’environnement. Miller et Friesen proposent aussi une
taxonomie des agencements de configurations face au problème de l’adaptation, moins connue,
mais plus complexe.
Si ces configurations se retrouvent bien dans les études de terrain, la question se pose
inévitablement de leur raison d’être. Miller propose un modèle de leur genèse. Ces
configurations de variables de stratégie, structure et d’environnement ont un caractère
systémique et complexe. Elles proviennent des pressions d’impératifs qui restreignent la variété
des modèles organisationnels concevables, en principe en pesant sur ces variables. Le premier
de ces impératifs est l’environnement. Son impact se fait le plus sentir sur les PME dans les
environnements incertains et turbulents. Le second impératif nait de la structure de
l’organisation. Il a le plus d’impact sur les entreprises très protégées des marchés, par leur taille
ou la stabilité de leur environnement, et correspond à la production de bureaucraties au sens
traditionnel. L’impératif du leadership reflète l’impact de la personnalité des dirigeants sur les
buts, stratégies, structures et styles de décision de l’organisation. Enfin, l’impératif stratégique
prévaut quand un changement d’organisation majeur de l’entreprise prend place. Ces impératifs
peuvent correspondre à des cycles de vie de l’entreprise, dont un des plus probables partirait

77
des pressions des impératifs du leadership pour aboutir à celles de la stratégie en passant par
celles de l’environnement et de la structure, avec plusieurs boucles de rétroaction.
Si ces ensembles de traits cohérents sont rassemblés en totalités avec les propriétés holistiques,
quelles qu’en soient les raisons, elles doivent produire des configurations stables et si elles sont
mieux décrites et comprises par l’ensemble systémique de leurs traits plus que par certaines
caractéristiques particulières, ces ensembles doivent correspondre à des performances
supérieures. Le management stratégique s’est donc bien évidemment penché sur les liens entre
configurations organisationnelles et performances de l’entreprise. Ketchen, Thomas et Snow
distinguent entre les approches inductives, souvent conduites au niveau des groupes
stratégiques dans une industrie et qui utilisent des configurations dérivées empiriquement, et
les approches déductives qui testent des théories établies a priori sur la performance de
catégories de configurations. Après une étude comparant les deux approches sur l’industrie des
hôpitaux privés, ils sont amenés à conclure que le débat reste ouvert.
Le problème se trouve donc inévitablement posé de l’évaluation des apports de la théorie des
configurations organisationnelles. Là aussi les opinions divergent. Par exemple, Meyer, Tsui et
Hinings non seulement mettent en évidence les contributions significatives de la théorie pour
une meilleure compréhension des relations environnement, organisation et éléments de
contexte, mais encore voient son champ potentiel étendu à des niveaux autres
qu’organisationnel, et notamment à des approches configurationnelles incluant l’individu et le
groupe. Ceci évidemment, si cela se confirme, peut ouvrir des perspectives nouvelles à la
gestion stratégique des ressources humaines. Cependant, Desreumaux, est amené à conclure
que les deux hypothèses de base de la théorie – forte cohérence des variables dans une
configuration et tendances fortes poussant à un nombre limité d’entre elles – ne sont pas
justifiées par l’état actuel des recherches.

78
Chapitre 5 : Les courants contemporains
Courant culturaliste
Le courant culturaliste qui se développe à la fin des années 1970 s’intéresse aux phénomènes
culturels comme éléments internes des organisations. Il se distingue de ce fait de certains
travaux de management comparés menés à l’occasion de l’internationalisation des entreprises
notamment américaines et qui avaient essentiellement pour but de comprendre les
comportements étrangers.
Ce courant peut se décomposer en deux grands groupes que Chanlat (1989) qualifie
respectivement de « managérial » et « socio-anthropologique ».
Courant Principaux Contenu, apports
représentants
Tendance Deal & La tendance managériale saisit la culture de l’organisation
managériale Kennedy comme une variable interne dont dépend la régulation de
(1982) l’organisation et son efficacité. Certains auteurs vont
Pascale & jusqu’à en faire un facteur clé de succès que l’on peut
Athos (1984) construire délibérément et proposent ainsi des modèles de
Peters & « culture gagnante ». D’autres prennent leurs distances par
Waterman rapport à cette conception caricaturale, observent que les
(1982) traits culturels d’une organisation proviennent de multiples
Archier & sources d’influence et mettent l’accent sur les
Sérieyx (1984) responsabilités des dirigeants en matière de
Schein (1985) développement de la culture organisationnelle.
Tendance Smircich Ce courant s’oppose à la vision instrumentale de la culture
socio- (1987) qui inspire la tendance managériale et manifeste d’abord
anthropologie Pondy (1983) un souci de compréhension. Il vise à restituer l’univers
Morgan (1986) culturel des organisations dans toute sa complexité et à
Alvesson mettre au jour les phénomènes symboliques qui surgissent
(1993) au sein des organisations (symboles, rites, rituels,
Sainsaulieu langages, mythes, croyances, représentations, etc.) en
(1988) s’inspirant aussi bien de l’anthropologie, de
l’interactionnisme symbolique, que des théories du
langage et des recherches sur la cognition.

79
Network theory
Principaux Contenu, apports
représentants
Powell (1990) Les organisations n’ont jamais été isolées, mais, au contraire, encastrées
Burt (1992) dans des réseaux à de multiples niveaux. Un certain nombre de
Granovetter phénomènes, touchant en particulier les entreprises (recul des pratiques
(1973, 1985) d’intégration verticale, globalisation des activités, développement de
l’externalisation, etc.), invitent cependant à s’intéresser cependant à
s’intéresser de façon plus approfondie aux fonctionnement réticulaires.
La théorie des réseaux se manifeste selon deux formes principales :
l’emploi de la notion de réseau comme outil d’analyse des relations intra
et inter organisationnelles, ce qui renvoie à une ancienne tradition de
recherches en sociologie et en psychologie sociale, et l’examen du
réseau en tant que mode spécifique d’organisation d’activités ou que
forme de gouvernance.

80
Courant évolutionniste
Principaux Contenu, apports
représentants
Campbell (1969) Différents théoriciens traitent la question de la dynamique des
Aldrich (1999) organisations en empruntant la conception biologique et darwinienne de
McKelvey (1994) l’évolution, et en faisant référence aux processus génériques inter reliés
Levinthal (1991) qui la sous-tendent : la variation c’est-à-dire l’émergence de nouvelles
Neslon & Winter formes, la sélection de certaines d’entre elles sous l’effet de la pression
(1982) de différentes forces, la rétention des formes qui ont été sélectionnées et
Lewin & la lutte pour les ressources rares. Ces processus peuvent s’exercer à
Volberda (1999) différents niveaux de réalité (les routines au sein de l’organisation,
Hodgson (2004) l’organisation elle-même, les populations d’organisations, etc.) et il
apparait judicieux d’examiner l’interaction de ces niveaux pour
comprendre la dynamique des organisations.
À cet égard, le courant évolutionniste fait figure de courant intégrateur
pour différentes théories qui apportent leur éclairage sur cette question
de la dynamique (écologie des populations, théorie de la dépendance aux
ressources, néo-institutionnalisme sociologique, mais aussi
l’intérpretativisme de Weick ou encore l’économie évolutionniste de
Nelson et Winter).

81
Théories de la complexité
Principaux Contenu, apports
représentants
Drazin & Le thème de la complexité et la mobilisation de la notion de système ne
Sandelands sont pas des nouveautés en théorie des organisations. Cependant, les
(1992) deux dernières décennies ont vu se multiplier les emprunts aux sciences
Stacey (1995) de la complexité présentes dans différentes disciplines scientifiques
Thiétart & (physique, math, sciences de la vie, etc.).
Forgues (1995) Ces emprunts nourrissent différents courants, l’un européen (empruntant
McKelvey (1997) principalement à la physique) qui s’intéresse plus particulièrement aux
Luhman & Boje relations entre un système et son environnement, l’autre nord-américain
(2001) (emprunt plutôt aux sciences de la vie) davantage centré sur les
Boisot (2000) processus qui se déploient au sein d’un système.
Un système complexe est constitué d’un grand nombre d’éléments qui,
en interagissant de façon dynamique, sans coordination explicitée,
conduisent à l’émergence d’une certaine forme de ce système. On parle
fréquemment à cet égard de phénomène d’auto-organisation. Ces
interactions se caractérisent le plus souvent par la non-linéarité, ce qui
signifie que de petites causes peuvent avoir des effets disproportionnés
sur l’état du système. On parle, en ce sens, de sensibilité de ce dernier
aux conditions initiales.
Les sciences de la complexité apportent un ensemble de concepts et de
principes applicables à une large variété de phénomènes
organisationnels (formation des structures organisationnelles,
dynamiques de l’organisation, comportement stratégique, etc.). Elles
conduisent en particulier à étudier les processus d’émergence et de
création d’ordres par des acteurs indépendants, hétérogènes,
interagissant dans des conditions éloignées de l’équilibre.
La mobilisation des sciences de la complexité en théorie des
organisations s’exprime cependant selon des épistémologies différentes,
tantôt objectivistes, tantôt interprétativistes.

82
Courants critiques et post-modernistes
1.Les théories post-modernes de l’organisation
Un problème intéressant est posé par l’invasion en force des analyses post-modernes depuis
quelque temps en sciences de gestion et notamment, mais pas uniquement, en théorie des
organisations et en gestion des ressources humaines. Elles puisent très largement dans des
éléments théoriques tirés du structuralisme, de la sémiotique, de la linguistique, de la
psychanalyse et de la sémantique (Althusser, Barthes, Baudrillard, Deleuze, Derrida, Foucault,
Lacan, Levi-Strauss, Lyotard, Saussure).
Par ailleurs ces notions sont non seulement débattues, mais fort complexes, mêmes pour les
philosophes qui les manient. C’est ainsi que Derrida par exemple, auteur auquel le concept
essentiel aux analyses post-modernes de déconstruction est généralement considéré comme dû,
conçoit expressément la déconstruction comme un terme qui défie toute définition ou
traduction, qui n’est ni un outil critique ou analytique, ni une méthode, ni une opération ni un
acte accompli par un sujet sur un texte, et il indique que toutes tentatives d’établir que la
déconstruction est ou n’est pas, ceci ou cela, sont, au moins, fausses.
L’idée ici n’est pas de rentrer dans les débats philosophiques et sociologiques qui dépassent la
gestion, mais simplement de s’interroger sur l’apport de ces approches nouvelles post-modernes
à la gestion. Qu’apportent-elles et que peuvent-elles apporter e plus de nos cadres théoriques
habituels ?
De multiples courant au sein du post-modernisme qui ne se réunissent que dans le rejet sans
concessions et méprisant de toute approche qui ne serait pas elle-même post-modernes. Donc
une définition compliquée et futile.
Tout effort subséquent de typologie ou de synthèse semble superflu. Des éléments théoriques
très divergents apparaissent alors avec des apports très différents parmi les auteurs en théorie
des organisations qui se situent dans le courant post-moderne. Parmi ceux-ci nous avons retenu
comme les principaux les concepts suivants, car revenant le plus souvent, ce qui bien sûr
n’engage que nous. Par ailleurs, encore une fois, nous nous intéressons à l’utilisation de ces
concepts par les auteurs post-modernes traitant de la gestion et de l’organisation, et rapportons
ce que nous en avons rassemblé, sans prétendre en faire ni l’analyse critique, ni même un exposé
théorique correct. L’intérêt particulier est de savoir si ce mode d’analyse peut avoir des
conséquences directement et explicitement sur la théorie des organisations.
Nous retenons quatre auteurs dont les apports sont le plus souvent cités.
Pour Derrida (concept de déconstruction), le classement traditionnel du parlé avant l’écrit tient
le langage comme l’expression directe de la pensée (logos), contemporain de la signification,
alors que l’écrit ne rentre en scène que plus tard, se substituant à la parole et trahissant la pensée
de l’auteur, non présent alors. Le « logocentrisme » qui serait régnant implique que le texte
reflète la notion du langage comme moyen de communication de la pensée, simple véhicule
pour sa transmission. La pensée à la primauté, la parole l’exprime et le texte la reproduit plus
ou moins bien en la déformant. La déconstruction démontre que la logique des textes qui suivent
cette hypothèse implicite fait qu’ils contiennent leur propre réfutation. Le langage est
indécidable de façon inhérente. Toutes tentatives de le gérer en écrivant ou formalisant,
contiennent en elles-mêmes des contradictions qui peuvent être révélées au moyen de la

83
« déconstruction » processus continuel pour s’évader du concret, puisqu’il n’existe pas ici et là,
mais seulement par l’intermédiaire du langage, qui révèle les opposés cachés. De plus cette
langue et ces symboles sont en état constant de flux. La signification ne peut jamais résider dans
un terme. Elle glisse continuellement des tentatives de la cerner. La tâche de l’auteur est alors
de reconnaître et d’exposer ce glissement.

84
Chapitre 6 : Les dynamiques des courants théoriques
Il existe des relations de différente nature entre écoles ou courants en théorie des organisations.
Ces courants se chevauchent dans le temps, s’opposent, se complètent, appartiennent parfois à
une même famille d’idées ou de représentations de l’organisation.
Certaines écoles paraissent en opposition plus ou moins tranchée, par exemple :
-le mouvement des « relations humaines » est souvent présenté comme venant s’opposer à la
théorie classique. En fait, il s’agit davantage d’une relation de complémentarité dans la mesure
où les représentants de ce mouvement ne s’opposent pas véritablement aux principes
d’organisation des théoriciens classiques, mais viennent en souligner l’incomplétude et
proposent des compléments en attirant l’attention des organisateurs sur la nécessaire prise en
compte des besoins de reconnaissance des personnels en situation de travail ;
-comme on l’a vu, l’école socio-technique s’oppose en revanche clairement aux principes
d’organisation du travail exprimés par l’approche taylorienne ;
-le courant interactionniste s’oppose, d’un point de vue épistémologique, au structuro-
fonctionnalisme qui sous-tend un certain type d’approche systémique et notamment la théorie
de la contingence structurelle ;
-la théorie néo-institutionnelle d’inspiration sociologique développe des thèses qui viennent
contester celles portées par le néo-institutionnalisme économique représenté par la théorie de
l’agence ou la théorie des coûts de transaction ;
-les courants critique et post-moderniste sont également dans une attitude d’opposition à bon
nombre de courants qui les précèdent.
Certaines écoles en inspirent d’autres ou constituent un cadre général dont se saisissent
différentes théories. C’est le cas, par exemple, de l’approche systémique qui constitue le cadre
de référence de courants comme la théorie de la contingence structurelle ou comme l’école
socio-technique.
Il existe également des courants qui peuvent s’interpréter comme des essais de synthèse ou
comme des mobilisations pragmatiques d’idées puisées à différentes sources. Par exemple,
l’école néo-classique prend en compte les apports de l’approche systémique, du courant
« ressources humaines », voire dite de l’école dite Carnegie.
Tel ou tel courant peut aussi correspondre à l’approfondissement ou au prolongement d’un autre
qui l’a précédé. Par exemple :
-le courant « ressources humaines » prolonge le mouvement « relations humaines » en
approfondissant l’étude des motivations des individus au travail. Aux besoins d’estime et de
reconnaissance, ce courant ajoute notamment les besoins d’accomplissement ou de réalisation
de soi ;
-la théorie des configurations structurelles est souvent présentée comme le prolongement de la
théorie de la contingence structurelle. En fait, cette interprétation mériterait d’être nuancée dans
la mesure où la théorie des organisations véhicule une vision de la dynamique des organisations
différente de celle qui est nourrie par la théorie de la contingence.

85
Tout en apparaissant comme des approches distinctes, certaines écoles partagent des
conceptions du même ordre sur certains sujets. C’est ainsi qu’il est courant de rassembler la
théorie de la dépendance aux ressources et la théorie de l’écologie des populations sous la même
appellation d’école du contrôle externe.
Enfin, avec le temps, des écoles qui se sont présentées comme clairement distinctes peuvent
avoir tendance à se rapprocher. L’écologie des populations, la théorie de la dépendance en
ressources, mais aussi la théorie institutionnelle d’inspiration sociologique, voire la théorie des
coûts de transaction, apportent chacune à leur façon une contribution à une conception
évolutionniste des organisations.
Au-delà des relations qui peuvent ainsi exister entre écoles de théorie des organisations, une
analyse plus complète de la dynamique de cette discipline supposerait également de souligner
l’importance de certains auteurs qui ont joué un rôle de précurseur et ont inspiré différents
courants, sans pouvoir être véritablement clairement répertoriés dans l’un ou l’autre de ces
derniers. Les organisations suscitant l’intérêt de nombreux théoriciens appartenant à des
disciplines différentes, on ne peut reprendre ici toutes les sources d’inspiration.

86
Éléments de mise en ordre des contenus des théories des organisations
La discipline « théorie des organisations » est suffisamment ancienne pour autoriser un regard
rétrospectif susceptible de mettre au jour les grandes tendances de son évolution, les points de
bifurcation ou les constantes dans les préoccupations qu’elle exprime. C’est une première façon
de tenter une mise en ordre de la diversité des écoles qui viennent d’être présentées dans leurs
grandes lignes.
On la complétera par le repérage de ce qui sépare au fond les différentes théories en présence :
-des traditions d’analyse ;
-des niveaux d’analyse ;
-des conceptions de la réalité organisationnelle et de la façon de produire des connaissances sur
cet objet.
1.Un regard sur la dynamique de la discipline
Le processus et le produit de la théorisation relative aux organisations sont historiquement
situés ou contextualisés. D’une part, parce que l’objet même d’analyse possède un caractère
multiforme et protéiforme, dont les manifestations s’encastrent dans des conditions socio-
historiques spécifiques, propres à faire évoluer les centres d’intérêt des observateurs. D’autre
part, parce que la théorie des organisations donne l’image d’un terrain historiquement disputé
par différents langages, approches, philosophies qui luttent pour obtenir reconnaissance et
acceptation.
L’inventaire immédiat des différents courants ne suffit pas pour traduire et justifier l’état actuel
de la discipline qui est celui d’une contestation multiforme d’un paradigme dominant exprimant
une certaine orthodoxie. Pour comprendre l’évolution de la théorisation et expliquer les débats
actuels, il est nécessaire de prendre un peu de recul en repérant les grandes étapes du
développement de la discipline et les « meta-discours » ou les cadres d’interprétation qui ont
structuré son développement sur un peu plus d’un siècle.
1.1Lesgrandes étapes de développement de la discipline
Il est possible de résumer l’histoire de la discipline « théories des organisations » en quelques
grandes étapes : formation du champ, maturation, éclatement des représentations et des modes
d’approche, et tendances récentes. Au sein de ces étapes, les travaux de certains auteurs
contribuent à systématiser certaines perspectives ou, au contraire, à introduire des
réorientations.
L’étape de formation du champ est d’abord marquée par une orientation plutôt pragmatique
et ingéniérique. À ce stade, c’est l’organisation du travail qui constitue le centre d’intérêt
essentiel, qu’il s’agisse de l’organisation de l’atelier avec les contributions de Taylor (Shop
Management, 1904 et Strategic Management, 1911) ou des tâches de direction avec l’apport de
Fayol en matière de fonction administrative (Administration industrielle et générale, 1916).
Il faut attendre les années 1930-1940 pour que l’organisation elle-même, en tant qu’entité, soit
appréhendée comme véritable objet d’analyse. Deux auteurs jouent un rôle particulier à cet
égard. Chester Barnard tout d’abord, qui développe sa conception de l’organisation comme
système coopératif, Philip Selznick d’autre part, qui expose sa conception des bases de la

87
théorie des organisations dans un texte publié en 1948 dans une revue américaine de sociologie.
Ces travaux contribuent à introduire une forme de dualisme dans l’appréhension de
l’organisation dans la mesure où certains y verront une structure formelle susceptible de
« calcul », quand d’autres la saisiront plutôt comme une structure sociale encastrée dans une
matrice institutionnelle.
Il reviendra à Gouldner, théoricien de la bureaucratie, d’ancrer ce dualisme en distinguant deux
visions de l’organisation :
-la perspective « système rationnel » qui considère les organisations comme des instruments
qui peuvent être délibérément façonnés et utilisés pour atteindre des fins déterminées ;
-la perspective « système naturel » qui voit les organisations comme des systèmes organiques
cherchant à survivre, des collectivités qui évoluent via des processus spontanés, indéterminés.
D’une certaine façon, ce dualisme s’institutionnalise avec les travaux qui se développent à partir
des années 1950 dans certains centres académiques américains dont les plus importants sont le
groupe « Carnegie » qui rassemble des économistes, des psychologues, des politistes (March,
Simon, Cyert) et l’université de Columbia qui regroupe essentiellement des sociologues
(Merton, Selznick, Blau, Gouldner). Ces derniers produiront tout un ensemble de travaux
constitutifs de la théorie de la bureaucratie, prolongeant l’apport originel de Weber, mettant
notamment en évidence ses dysfonctionnements ou ses conséquences inattendues.
Le champ de la théorie des organisations connaît un tournant au terme de cette première étape
de développement avec l’apparition de l’approche systémique. L’ouvrage publié par Katz et
Kahn en 1966 a eu un impact déterminant dans cette réorientation. Ces deux auteurs mobilisent
la conception de l’organisation comme système ouvert sur un univers extérieur et la considère
en même temps comme un système de rôles prévus et sanctionnés par des normes. Ils élaborent
un modèle de fonctionnement des organisations complexes et précisent les conditions de leur
efficacité.
Il est possible de synthétise ces premiers développements de la théorie des organisations en
considérant qu’ils expriment un élargissement progressif des centres d’intérêts : de
l’organisation elle-même, puis à son univers extérieur.
L’étape de maturation correspond à la multiplication de travaux consacrés, dans les années
1960-1970, à une question dont la centralité emporte un assez large consensus, celle de
l’explication de la variété observable des formes d’agencement des organisations, ce que l’on
appelle les structures organisationnelles.
À nouveau, un certain nombre d’auteurs jouent un rôle particulier dans cette étape de
développement de la discipline.
C’est par exemple Woodward qui découvre, en étudiant un échantillon d’une centaine
d’organisations anglaises, que le modèle classique d’organisation ne constitue pas la panacée
et qu’il est tout à fait possible de trouver des organisations efficaces qui ne se conforment pas
à ce modèle pourtant présenté comme la solution universelle (le « one best way »). Ce sont
aussi Burns et Stalker qui, au-delà d’un constat analogue, introduisent une catégorisation des
modes d’organisation en deux archétypes, l’un proche du modèle classique (qu’ils qualifieront
de modèle « mécaniste »), l’autre clairement opposé à ce dernier (qu’ils qualifieront de modèle
« organique »). Ce sont encore les chercheurs du groupe dit d’Aston (Pugh, Hinings, Hickson)

88
qui développent un programme ambitieux de recherche sur ce même sujet e mobilisant des
méthodes d’analyse de données multidimensionnelles qui deviendront bientôt une sorte de
norme pour les recherches en théories des organisations.
Tous ces auteurs, et d’autres encore (notamment Lawrence et Lorsch), nourrissent le courant la
théorie de la contingence qui est l’un des plus connus de la discipline et dont la popularité tient
notamment au caractère appliqué de son contenu, propre à séduire des praticiens cherchant à
améliorer la performance de leur organisation.
Il n’est cependant par le seul à se saisir de cette question de la structuration des organisations
ou, plus largement, à se préoccuper des facteurs qui jouent un rôle déterminant sur leur existence
et leur fonctionnement. Durant les années 1960 et 1970, d’autres courants théoriques émergents
qui apportent leurs contributions spécifiques à ce genre de questions :
-la théorie des coûts de transactions : élaborée par Williamson (1975) à partir des intuitions de
Coase (1937), cette théorie justifie économiquement l’existence de l’organisation en tant que
substitut au marché pour la coordination des activités économiques lorsque ce dernier présente
des coûts de transactions excessifs. C’est le cas lorsqu’il s’agit de réaliser des transactions dans
un contexte incertain et complexe, ce qui suppose un mécanisme de gouvernement plus élaboré
que le marché. L’organisation et son substrat hiérarchique constituent cette solution de
remplacement. Dans la mesure où les transactions à organiser varient dans leurs configurations,
les structures organisationnelles varient également ;
-la théorie de la dépendance aux ressources : développée par Pfeffer et Salanick, cette théorie
prend en considération la dimension « politique » et non simplement économique de
l’environnement auquel l’organisation doit s’adapter. L’organisation dépend
fondamentalement des détenteurs des ressources requises, par son fonctionnement. Ses
dirigeants doivent non seulement gérer leurs structures internes, mais aussi les relations avec
les détenteurs externes de ressources puisque de ces relations dépend la survie même de
l’organisation ;
-la théorie de l’écologie des populations : exposée initialement par Hannan et Freeman, cette
théorie considère que les courants précédents surestiment la capacité d’une organisation donnée
d’entreprendre un changement fondamental et donc de s’adapter, par exemple en transformant
sa structure organisationnelle, aux exigences changeantes de son environnement. Pour étudier
le changement, il convient de porter son attention sur des populations d’organisations (des
organisations de même type) puisqu’un changement fondamental se traduit typiquement par le
remplacement d’un type d’organisations par un autre. Les premiers travaux en écologie des
populations s’intéressent à la façon dont, sur une longue période, de nouveaux types
d’organisations apparaissent, se développent, entrent en concurrence avec d’autres, et
déclinent ;
-la théorie néo-institutionnelle d’inspiration sociologique (Meyer et Rowan, DiMaggio et
Powell) : ce courant met l’accent sur les dimensions culturelles et institutionnelles de
l’environnement qui constituent, tout autant que les données techniques, des déterminants des
structures organisationnelles et des pratiques de gestion. Celles-ci s’expliqueraient davantage
par la quête de légitimité, celle que confère la conformité à des règles, des normes, des
représentations caractéristiques d’un environnement donné, que par la seule recherche
d’efficience.

89
Cette multiplication de courants théoriques appelle plusieurs remarques. D’une part, elle
exprime un élargissement de la conception de l’environnement de l’organisation puisque sont
progressivement prises en compte des dimensions techniques, puis économiques, politiques,
culturelles, voire écologiques.
D’autre part, elle correspond également à l’élargissement des niveaux d’investigation et
d’analyse : de l’organisation individuelle à des échantillons d’organisations (avec les travaux
empiriques des théoriciens de la contingence), puis à des populations (les organisations en
concurrence pour l’accès aux ressources d’une même niche environnementale), puis encore à
des « champs organisationnels » c’est-à-dire des ensembles d’organisations à la fois similaires
et différentes fonctionnant dans une sphère sociale spécifique, avec leurs partenaires, leurs
apporteurs de ressources, les organes de formation et de régulation (niveau retenu par la théorie
néo-institutionnelle).
Enfin, on peut considérer que ces différents courants continuent d’entretenir le dualisme évoqué
précédemment dans l’appréhension de l’organisation.
Théories et système rationnel ou naturel

Théorie de la contingence (management)


Perspective
Théorie des coûts de Système rationnel
(économie)
transaction

Théorie de la dépendance en
ressources

Network Theory
Perspective
(sociologie)
Système naturel
Théorie de l’écologie des
populations

Théorie néo-institutionnelle

L’éclatement du champ
L’apparition de plusieurs courants théoriques majeurs au milieu des années 1970 (théories des
coûts de transaction, de la dépendance aux ressources, écologie des populations, théorie néo-
institutionnelle) est déjà la manifestation d’une forme d’éclatement d’un champ jusque-là
dominé par l’approche contingente et son substrat systémique, voire par la méthodologie
spécifique selon laquelle les recherches contingentes ont été menées.
En un sens, ces différents courants constituent autant de substituts au programme de recherche
contingent qui manifestait une forme d’épuisement en même temps qu’il était en quelque sorte
miné de l’intérieur par l’accumulation de résultats plus ou moins contradictoires issus des
multiples travaux empiriques réalisés.

90
Mais plus fondamentalement, c’est sur le plan épistémologique qui se situent les termes des
débats qui traversent le champ des théories des organisations, au point que l’on a pu les
caractériser comme une véritable « guerre de paradigmes ».
Ce qui est fondamentalement contesté c’est la pertinence du substrat structuro-fonctionnaliste
et sa conception corrélative de production de connaissances sur l’objet « organisation » qui
domine le champ jusqu’au milieu des années 1970.
Bien qu’il y ait toujours une part d’arbitraire dans le repérage des travaux qui marquent le début
de la remise en cause, on peut en voir les premiers signes, en se limitant aux ouvrages
strictement dédiés à la théorie des organisations, dans les écrits de Silverman qui développe ce
qu’il appelle une approche « actionniste » de l’organisation. Cette conception, exprimée, de
façon certes différente, par de nombreux auteurs, invite à s’intéresser à la façon dont les
membres d’une organisation donnent sens à leurs actions et à celles des autres. Ce que les écrits
contestent, c’est la vision structuro-fonctionnaliste qui tend à considérer les organisations
comme des objets concrets, dont on peut saisir les caractéristiques et les lois de fonctionnement
par des méthodes de mesure et d’analyse rigoureuses, objectives, à l’instar de ce qui se fait dans
les divers domaines des sciences naturelles. À cette vision s’oppose celle de la réalité sociale
comme étant socialement construite, socialement entretenue et socialement modifiée.
Une illustration simple concernant la question souvent traitée des déterminants des structures
organisationnelles permet d’approcher l’opposition entre ces deux visions des réalités
organisationnelles.
La théorie de la contingence, d’inspiration systémique, invite à considérer certains aspects
mesurables de l’environnement d’une organisation et à en déduire leurs effets sur la structure
organisationnelle. On associera ainsi des structures organisationnelles différentes à différents
types de technologie (ce que fait Woodward), ou à différents degrés d’instabilité ou de
dynamisme de l’environnement (ce que font à leur manière, des auteurs comme Emery et Trist,
Burns et Stalker, Lawrence et Lorsch). La structure organisationnelle est ainsi déterminée par
les caractéristiques d’environnent de l’organisation et cette dernière n’est efficace que si elle
s’adapte à ces caractéristiques.
Cette perspective trouve ses limites dans le fait que des organisations confrontées a priori au
même environnement ne s’adaptent pas nécessairement de la même façon. Une explication de
ce fait consiste à dire que l’environnement tel qu’il est perçu par le chercheur n’exerce pas la
sorte d’influence qu’il lui attribue sur la structure organisationnelle. Des éléments
environnementaux dits objectifs, comme des facteurs technologiques ou des degrés
d’instabilité, n’ont de sens que celui qui lui donnent les intéressés et ce sont bien eux, les
membres de l’organisation, qui réagissent à leur environnement. Ces acteurs agissent en
fonction de leur définition personnelle des situations (et non celle de l’observateur). ; les
membres d’organisations différentes peuvent donner des significations différentes aux
situations, ce qui peut expliquer d’adaptation différentielle des organisations à leur
environnement.
Le courant actionniste n’est pas le seul à entretenir la contestation de l’orthodoxie dominante
et à proposer d’autres perspectives pour les études organisationnelles L’analyse stratégique des
organisations (Crozier, Friedberg) critique, notamment, le biais de réification propre au
structuro-fonctionnalisme et développe ses propres conceptions. La fin des années 1970 et les

91
années 1980 et suivantes voient se multiplier les travaux qui nourrissent les courants critiques
et post-moderniste.
Globalement, la théorie des organisations fait désormais figure de champ éclaté, nourri de
perspectives multiples, où se mêlent travaux nord-américains largement diffusés par des revues
académiques haut placées dans les classement internationaux, mais aussi européens.
1.2 Théories des organisations et « méta discours »
Une façon de comprendre la succession des écoles et les débats qui traversent le champ consiste,
en prenant de la distance vis-à-vis du débat du contenu des différents courants, à mettre au jour
les thèmes et les problématiques du majeurs qui les caractérisent, ce que l’on peut appeler les
méta-discours.

92
Les méta-discours en théorie des organisations :
Dis- Problé- Contenu du discours Exemples Dynamique
cours matique contextuelle
domi- majeure
nant
La L’ordre Les organisations sont des entités rationnellement construites Théorie classique, Management De
ratio- pour résoudre les problèmes collectifs d’ordre social et de scientifique, certaines formulations l’obscurantisme
nalité management. de la théorie de la décision à l’ère
La société et les organisations qui la composent doivent être Courant mathématique industrielle
gérées par des lois scientifiques d’administration,
universelles, objectives.
L’intég- Le cons- Réponse à l’incapacité du cadre rationnel de rendre compte de Mouvement des « Relations Du capitalisme
ration ensus la dynamique et de l’instabilité des organisations complexes Humaines », entrepreneurial
Réponse à l’échec de la théorie rationaliste dans le traitement Courant des ressources humaines, au capitalisme
du problème de l’intégration sociale Théories fonctionnalistes, de bien-être
contingences systémiques, Culture
d’entreprise
Le La Hypothèse fondamentale de formes organisationnelles qui Théorie de la firme, Du capitalisme
marché liberté optimisent leur rendement au sein d’environnements dont les Théories économiques de managérial au
pressions concurrentielles limitent l’exercice des options l’organisations, capitalisme
stratégiques Théorie de la dépendance en néolibéral
Le design, le fonctionnement, l’évolution des organisations ressources,
sont le résultat de forces universelles (les forces du marché) Théorie de l’écologie des
qui déterminent les chances de survie populations
La La Rejet du déterminisme environnemental Courant critique, Du
pouvoir domi- Rejet des cadres unitaires de conceptualisation de Approches néo-wébériennes, collectivisme
nation l’organisation Théories institutionnelles, libéral au
L’organisation considérée comme une arène d’intérêt et de Analyse stratégique des corporatisme
valeurs en conflit organisations négocié

93
La con- Le L’organisation comme ordre socialement construit et soutenu, Ethnométhodologie, De la
nais- contr- nécessairement fondé sur les stocks locaux de connaissance, Approches post-modernistes modernité, de
sance ôle les routines et les moyens techniques mobilisés par les acteurs l’industrialisme,
dans leurs interactions et leurs discours quotidiens à la post-
Une micro approche des processus de production des modernité, au
connaissances à travers lesquels l’organisation est ordonnée et post-
reproduite au cours du temps industrialisme
La jus- La parti- L’organisation comme structure institutionnalisée de pouvoir Théories néo-institutionnalistes, Des pratiques
tice cipation et d’autorité (au-delà des aspects micro et locaux) Ethique des affaires, répressives à la
Les processus (cognitifs, culturels, politiques) par lesquels les Gouvernance d’entreprise, démocratie
acteurs en viennent à soutenir certaines logiques Démocratie industrielle, participative
d’organisation plutôt que d’autres. Courant critique
Importance des structures de gouvernement et de contrôle
prévalant dans les organisations contemporaines et de leurs
fondements sur les plans de la justice et de la morale
Le La Les changements majeurs dans les formes sociétales, Théories post-bureaucratiques, post- De la société
réseau comp- institutionnelles, organisationnelles contemporaines industrielles post-industrielle
lexité Le réseau comme réponse collective à la complexité, Network society à la « network
l’ambiguïté, l’incertitude croissantes society »

94
a.Le rationalisme triomphant
Selon ce premier cadre d’interprétation, dont on trouve certains fondements chez Saint-Simon,
les organisations sont considérées comme des artifices rationnellement construits pour résoudre
les problèmes collectifs d’ordre social et de management. La société et les organisations qui la
constituent doivent être gérées par des lois scientifiques d’administration, universelles,
objectives. D’où le modèle de l’organisation bureaucratique, socialement et moralement
légitimée comme une forme indispensable de pouvoir organise, assurant un fonctionnement
efficient et efficace de la société dans le cadre d’une autorité rationnelle-légale. Cette logique
organisationnelle apparait comme le garant du progrès matériel, du progrès social et de l’ordre
politique dans les sociétés industrielles modernes. Elle inspire largement la théorie classique de
l’organisation et les conceptions d’auteurs tels que Taylor et Fayol. Bien que Simon expose une
vue critique de l’excès de rationalisme et de formalisme de la théorie classique en développant
le concept de rationalité limitée, ses conceptions restent malgré tout marquées par l’idée de
choix rationnel entre des options clairement délimitées. Le rationalisme a exercé une influence
profonde sur l’analyse organisationnelle et largement contribué à faire passer la gestion du
statut d’art intuitif à celui d’un corps de connaissances codifié, voire scientifique.
b.La redécouverte de la communauté
L’incapacité du cadre rationnel à rendre compte de la dynamique et de l’instabilité des
organisations complexes, et la réponse très partielle au problème d’intégration sociale que
constitue la seule logique d’affinement d’un design organisationnel formel ont suscité le
développement d’un discours de nature organiciste s’intéressant à la façon dont les
organisations peuvent combiner autorité et sentiment d’appartenance à une communauté. Le
mouvement des relations humaines donne une première formulation en montrant que le
rationalisme propose une conception très limitée des « réalités » de la vie organisationnelle et
en lui substituant une conception de l’organisation comme unité sociale permettant, sous la
tutelle des individus. Dès le début des années 1950, la vision des organisations en tant que
systèmes sociaux luttant pour le maintien de leur équilibre dans un environnement dynamique,
est devenue le cadre dominant de référence en matière d’analyse organisationnelle. Il
caractérise différentes versions qui domineront les développements théoriques et les recherches
empiriques jusque dans les années 1970 et 1980. C’est cette forme d’orthodoxie qui transparait
dans la théorie de la contingence, laquelle explore les combinaisons d’agencements internes et
de conditions externes qui assurent la survie et l’efficience des organisations.
c.L’entrée en scène du marché
Les théories économiques de l’organisation apparaissent comme un dépassement des limites de
la conception de l’entreprise propre aux économistes Classiques et Néo-classiques, notamment
grâce à l’emprunt du concept de rationalité limitée et de la vision de Barnard. Bien qu’il existe
des différences significatives entre les courants qui les composent (par exemple, la théorie des
coûts de transaction, l’écologie des populations), notamment sur le plan de la forme et du degré
de déterminisme environnemental qui sous-tend la dynamique des organisations, ces théories
partagent la vision des organisations comme soumises à des impératifs d’efficience et de survie
qui sont largement hors de l’influence des individus. L’hypothèse fondamentale est celle de
l’évolution naturelle des formes organisationnelles qui optimisent leur rendement au sein
d’environnements dont les pressions concurrentielles limitent l’exercice des options
stratégiques. Le design, le fonctionnement, le développement des organisations y sont

95
considérés comme le résultat direct de forces universelles et immanentes qu’il n’est pas possible
d’influencer ou de modifier : ce sont les forces impersonnelles du marché qui déterminent les
chances de survie des organisations. En développant une micro-économie de l’organisation,
attentive aux contraintes institutionnelles au sein desquelles prennent place les transactions
économiques, ces théories présentent une analyse des structures de gouvernement des
organisations où dominent les explications à base d’efficience.
d.Les figures du pouvoir
Plusieurs courants théoriques rejettent à la fois le déterminisme environnemental, les
explications de la dynamique des organisations par les seules considérations d’efficience et les
hypothèses unitaires sous-jacentes aux conceptualisations rationnelles, organiques et
économiques de l’organisation, pour leur substituer une vision en termes de jeux de conflits
d’intérêts et de valeurs. Les phénomènes de pouvoir sont dès lors placés au centre des
préoccupations des analystes. Ce cadre d’interprétation se concrétise selon différentes
formulations. Les unes, dans la tradition de la sociologie de la domination inaugurée par M.
Weber, relèvent d’une conception institutionnelle et structurelle en portant essentiellement leur
attention aux formes et aux mécanismes institutionnels par lesquels le pouvoir est acquis et
installé et les structures de dominations reproduites. D’autres expriment davantage une
approche processuelle et se concentrent sur les manœuvres tactiques que les acteurs
développent au sein des organisations pour assurer des positions de pouvoir. L’ensemble donne
à voir les multiples facettes des relations de pouvoir et des processus politiques qui jouent un
rôle central dans la structuration des formes organisationnelles.
Cette tendance conduit évidemment à une certaine myopie, à l’élaboration de modélisations à
variables souveraine (tentative d’explication qui tend à ramener l’ensemble du fonctionnement
organisationnel au jeu d’un seul facteur ou d’une seule variable, ce qui constitue une forme à
chaque fois discutable de réductionnisme d’une réalité complexe), et l’on peut souhaiter le
développement d’approches globales ou de visions intégrées. Cependant, une telle entreprise
s’avère difficile et les essais (peu nombreux) de cette nature restent souvent marqués par une
hiérarchisation implicite ou explicite des dimensions ou des facettes de l’organisation. Par
exemple, lorsqu’ils présentent leur conception de la structuration d’une organisation et de la
conduite du changement organisationnel, Nadler et Tushman développent un modèle
relativement intégré, mais qui s’agence sur la base d’une priorité techno-économique sur le
socio-politique. Remarquons que cette tendance à la myopie n’est pas le propre des observateurs
ou des analystes : les praticiens manifestent également ce type de biais, plusieurs recherches
ayant montré que les dirigeants d’une même organisation ont souvent en tête des modélisations
différentes qui conduisent évidemment à des conceptions également différentes du type
d’action managériale requis face à une situation donnée.
Si l’on prend pour illustration le cas de l’entreprise, on peut considérer ce type d’organisation
sous trois facettes principales.
L’entreprise est tout d’abord, au sens où cet aspect est le plus évident ou le plus manifeste, un
agent de production. Ce vocable doit évidemment être interprété dans un sens large pour
recouvrir la diversité des types d’activités et des positionnements possibles de l’entreprise dans
une chaine de valeur ajoutée. En tant qu’agent de production, l’entreprise rassemble et combine
des ressources matérielles, financières, techniques et humaines pour produire des biens et des
services à destination de clients finals. C’est ce que symbolise la représentation de l’entreprise

96
comme une fonction de production, représentation qui nourrit une approche des problèmes de
gestion en termes d’optimisation techno-économique.
L’entreprise est également une organisation sociale puisque l’accomplissement de son projet
productif requiert la collaboration d’individus aux compétences et attentes diverses. Elle
constitue ainsi une entité composée d’objets sociaux (individus, groupes) connectés par un
ensemble de relations par où circulent des biens ou services, des informations, des influences,
des sentiments. La façon dont une entreprise est gérée, en tant qu’entité sociale, affecte les
attitudes et les comportements des individus et détermine en bonne partie sa capacité à
fonctionner efficacement par rapport à son environnement. D’où l’importance d’une
connaissance des motivations des individus et le fait que nombre de modèles de gestion
proposés reposent sur une certaine conception de leur nature et de leur dynamique. À mesure
que les individus travaillent ensemble dans l’entreprise, ils développent une certaine vision de
leur cadre de travail interne et externe, une certaine conception des comportements et valeurs
acceptables, un corps des représentations et de règles implicites. En d’autres termes, l’entreprise
une ou des cultures qui représentent un apprentissage accumulé à l’occasion de la résolution
des problèmes de coordination des activités et d’adaptation à l’environnement qu’elle rencontre.
Enfin, l’entreprise est encore une réalité politique, en désignant ainsi une situation où les acteurs
en présence cherchent à modeler les choses d’une façon conforme à leurs intérêts. Ceci se
vérifie d’un point de vue interne et il est devenu courant de décrire l’entreprise comme un lieu
de confrontation et de négociation entre individus et/ou entre groupes dont on ne peut postuler
a priori l’homogénéité des préférences. Ce qui caractérise une situation de ce type c’est le fait
que chaque acteur tentera de structurer la situation à son avantage et utilisera pour ce faire une
capacité politique, étroitement liée à la maitrise de certaines ressources, négociera des
compromis, nouera des alliances ou formera des coalitions avec d’autres acteurs.
L’interprétation de la dynamique de ces jeux politiques passe le plus souvent par le repérage et
l’analyse des préférences et orientations de la coalition dominante de l’organisation, c’est-à-
dire du groupe des principaux décideurs qui détiennent le plus fort du pouvoir. La dimension
politique de l’entreprise se vérifie aussi sur le plan des relations que celle-ci entretient avec les
acteurs qui composent son environnement tant immédiat que plus lointain (clients fournisseurs,
concurrents, apporteurs de capitaux, autorités locales et nationales, groupes de pression, etc.).
De ce fait, l’entreprise est confrontée, pour l’accomplissement de son projet à un ensemble
d’individus et d’autres organisations qui possèdent également des projets et des capacités
politiques vis à vois desquels il lui revient de faire un choix de comportements plus ou moins
actifs.
Chacune de ces dimensions de l’entreprise a nourri une tradition d’analyse, se déclinant en un
certain nombre de courants ou de logiques explicatives différentes. En matière d’organisation
d’entreprise, il existe tout d’abord une tradition d’analyse techno-économique qui aborde les
questions comme étant celle de la coordination rationnelle des activités d’un ensemble
d’individus, coordination passant par des choix de division du travail et la définition d’une
hiérarchie de l’autorité et des responsabilités. La logique qui doit guider les choix est
essentiellement celle d’une recherche d’adéquation entre les besoins de traitement
d’information liés à la nature de la tâche de l’organisation et au degré d’incertitude auquel cette
dernière est confrontée et des capacités de traitement d’information qu’offrent les différentes
modalités d’agencement possible de l’organisation. Cette première perspective trouve une
expression clairement affirmée dan ce qu’il est convenu d’appeler la théorie Classique de

97
l’organisation, à laquelle des auteurs tels Fayol, Taylor ont largement contribué, ainsi que dans
les multiples développements des théories dites de la contingence structurelle. La tradition
« politique » d’étude de l’entreprise analyse le même problème en termes de jeux de pouvoir
entre individus et groupes poursuivant leurs intérêts propres et porte une attention particulière
au rôle joué par le groupe dominant et aux luttes qui se déroulent pour la maitrise des ressources
clés. Les arguments technico-économiques que mobilisent les différents acteurs pour justifier
les projets de changement ou de statu quo peuvent alors être parfois considérés comme des
alibis ou des rationalisations plus que comme l’expression de contraintes techniques
indiscutables. Dans cette perspective, l’entreprise est considérée comme une coalisation dont
les participants calculent les modalités de leurs contributions en fonction des incitations ou des
rémunérations qu’ils peuvent retirer de leurs participations. Cette modélisation politique trouve
une bonne partie de ses fondements dans les écrits de Cyert et March ; comme on l’a vu
Mintzberg a également développé un cadre d’analyse de l’organisation comme un système
politique composé de différentes coalitions d’acteurs. Quant à la tradition culturelle, elle insiste
sur les croyances et les valeurs qui cimentent l’entreprise et tend à affirmer que l’efficacité de
cette dernière est renforcée dès lors que chaque membre se sentira soutenu et reconnu compte
tenu de ses attentes, ses désirs, son « background ». La tradition culturelle a largement été
nourrie de multiples formulations d’un mouvement humaniste d’analyse et de prescription en
matière organisationnelle.
De façon plus générale, on peut justifier la pluralité des théorisations des phénomènes
organisationnels en considérant qu’elles tendent à se saisir de façon préférentielle de tel ou tel
aspect d’une réalité faite de plusieurs niveaux de composants interdépendants. Leur inventaire
et leur désignation varient d’un auteur à l’autre, mais le principe même qui consiste à voir dans
l’organisation une réalité multidimensionnelle est largement partagé. Selon Fombrun, par
exemple, toute organisation ou toute collectivité sociale est constituée de trois séries
d’éléments :
-une infrastructure d’activités productives : ce qui correspond aux interdépendances et aux
contraintes techniques auxquelles l’organisation est confrontée pour l’accomplissement des
activités qui ont justifié sa création. Cette infrastructure exprime les solutions techniques
apportées au problème de production, conditionne les flux de travail et délimite la configuration
des tâches assumées par les participants à l’organisation ;
-une sociostructure de relations d’échange entre participants : ce qui correspond à la structure
administrative de l’organisation et à son architecture de relations sociales. Il s’agit à la fois de
la différenciation ou de la division des tâches et de leur regroupement en unités ou départements
spécialisés, des systèmes formels de contrôle destinés à coordonner les activités et à assurer
l’intégration de l’organisation, du réseau émergent de relations sociales entre participants, que
l’on qualifie également de structure informelle et qui entretient d’étroits rapports avec la
distribution des pouvoirs entre individus et entre groupes ;
-une superstrcuture de valeurs partagées : ce qui correspond à la dimension symbolique de
l’organisation, c’est-à-dire l’ensemble des représentations et interprétations de la vie collective
partagées par les participants. Appartiennent à cette catégorie d’éléments les normes, valeurs,
idéologies implicites des membres de l’organisation, qui se manifestent notamment dans les
rites et les pratiques culturelles.

98
Il existe bon nombre d’autres conceptualisations de l’organisation qui diffèrent de celle-ci dans
la présentation, mais en restent proches de l’esprit. Au-delà de la variété des formulations, ce
qui est manifeste, c’est que chaque couche de composants tend à nourrir une réflexion
spécifique qui ne constitue à chaque fois qu’une facette désintégrée d’une réalité complexe.
Poursuivant son analyse, Fombrun repère ainsi trois courants de pensée marquants en matière
d’analyse de la structuration des organisations. Le premier dérive des adaptations que fait
Parsons de la sociologie fonctionnaliste de Durkheim, mettant l’accent sur l’impératif collectif
de l’organisation. Il inspire diverses formulations d’une théorie de la contingence qui, bien que
différentes dans le détail, sont logiquement cohérentes avec les cadres explicatifs de l’écologie
et de l’économie qui interprètent la structuration des organisations comme la conséquence de
processus de sélection ou de défauts du marché. Le deuxième courant de pensée s’intéresse
essentiellement au phénomène du pouvoir, comme élément sous-jacent de la dynamique
sociale. Il se nourrit des théories néo-wébériennes considérant les configurations sociales
comme des manifestations d’intérêts politiques dont l’institutionnalisation se traduit en
différentes formes de domination sociale. Enfin, un troisième courant considère la structure
comme socialement construite par les interactions d’acteurs. Il prend ses racines dans
l’anthropologie qui analyse les collectivités sociales comme des systèmes de significations,
facilitant et contraignant simultanément les comportements des participants. Chacun de ces
courants privilégie ainsi l’une des forces qui promeuvent la structuration des activités sociales :
la survie, fonction de l’adoption d’une technologie permettant l’acquisition des ressources, le
pouvoir d’une élite, la signification ou le sens socialement construit.
La représentation tridimensionnelle de l’entreprise (ou plus généralement de l’organisation) qui
vient d’être évoquée trouve également à s’appliquer à l’analyse du contexte dans lequel les
organisations sont insérées : celles-ci vivent en effet dans un milieu fait d’autres organisations
et qui possède également un certain degré de structuration. Si l’on reprend le cas de l’entreprise,
on peut considérer que le marché dans lequel elle est implantée est un système organisé de
comportements devant s’analyser à la fois en termes :
-d’infrastructure d’activités productives, faites de compétition pour le partage de ressources
financières, matérielles, technologiques et humaines et l’accès aux débouchés, et
d’interdépendances horizontales et verticales reliant les entreprises situées à divers stades du
processus de production et de commercialisation des biens et services ou à divers maillons des
chaines de valeur ajoutée. Ces interdépendances sont source d’incertitude pour chaque
organisation qui doit compter avec le comportement des autres ;
-de sociostructure de relations interpersonnelles et intergroupes : la réalité du marché est
également faite des actions des associations professionnelles, de celles des pouvoirs publics,
des flux de personnes, d’imbrications d’organes de direction, créant un certain degré
d’administration collective ;
-de superstructure de normes et de pratiques institutionnalisées limitant l’éventail des
comportements possibles pour les participants et formant une sorte de matrice culturelle faite
d’un ensemble de représentations ou d’interprétations plus ou moins partagées s’agissant, par
exemple, de l’avenir du secteur d’activité, des enjeux concurrentiels, des « bons » modèles
d’organisation, etc.
Plutôt qu’une réalité simple, le marché apparait ainsi comme une forme complexe et
dynamique, un jeu de relations entre acteurs modelés par des facteurs à la fois techno-

99
économiques et socio-institutionnels délimitant les modes de coordination possibles, probables,
souhaitables, légitimes. Y coexistent des comportements de lutte concurrentielle et de
coopération, l’ordre et le conflit, les marges de liberté et les contraintes pour les entreprises qui
y participent. Pour une entreprise donnée, l’enjeu majeur est de construire un certain
positionnement, de développer un véritable projet stratégique de développement et
d’exploitation de compétences distinctives et de contrôler les incertitudes susceptibles de
perturber son action.
Cette sorte d’isomorphisme entre la structuration de l’organisation et celle de son contexte
d’action explique le fait que les clivages de traditions d’analyse des phénomènes
organisationnels s’étendent à celle des relations entre les organisations et leurs environnements.
On peut ainsi parler d’une tradition d’analyse technico-économique, privilégiant des
explications à base d’efficience, et dont le courant dit de la théorie des coûts de transaction
constitue un bon exemple, une tradition politique analysant les relations entre organisation et
contexte en termes de jeux de pouvoir et qu’un auteur tel Perrow mobilise largement pour
développer la critique de la théorie précédente, une tradition institutionnelle qui donne un
caractère central aux normes, aux valeurs, aux schémas interprétatifs propres à différents
niveaux de collectivités pour expliquer les caractéristiques et la dynamique des organisations
dans leurs contextes.
Composants de l’organisation et de son environnement et traditions d’analyse
Traditions d’analyse Manifestations Types de Manifestations Traditions
(exemple) organisationnel composants contextuelles d’analyse
les (exemples)
Tradition techno- Contraintes et Technostructu Compétition Traditions
économique (théorie solutions re pour les techno-
classique, théorie de techniques de ressources et es économique
la contingence) production débouchés (exemple :
Interdépendant théorie des
es horizontales coûts de
et verticales transaction)
Traditions sociales Structure Sociostructur Relations Tradition socio-
et politiques administrative e interpersonnell politique
(exemples :mouvem Relations es et (exemple :
ent des relations sociales et intergroupes travaux de
humaines, analyse politiques Associations Perrow)
stratégique) internes professionnelle
Système de s
contrôle
Tradition culturelle Valeurs et Superstructur Normes et Tradition
interprétations e pratiques institutionnelle
partagées institutionnalis (exemple: théo
ées rie néo-
institutionnelle
sociologique)

Ici encore, un besoin d’intégration ou de croisement des perspectives de fait sentir. Sa prise en
compte se heurte cependant à des clivages forts entre courants de pensée, s’enracinant dans des

100
hypothèses fondamentalement différentes quant aux ressorts du comportement des individus et
des organisations.
1.3 Les niveaux d’analyse
On a vu que le développement de la théorie des organisations se caractérise, notamment, par un
élargissement progressif des centres d’intérêt. Il reste que l’on peut reclasser les différents
courants théoriques en deux grands groupes, selon le niveau d’analyse qu’ils privilégient.
Certains courants se positionnent dans une perspective que l’on peut qualifier de « micro ». Ce
sont les écoles qui s’intéressent à la façon dont les organisations considérées individuellement
modifient leurs structures et leurs pratiques pour prendre en compte les exigences ou les
contraintes caractéristiques de leur environnement immédiat (ce que l’on appelle
l’environnement de tâche). Appartiennent notamment à cette catégorie : la théorie de la
contingence et les prolongements que propose Donaldson, la théorie de la dépendance en
ressources et la théorie des coûts de transaction.
D’autres courants adoptent une approche que l’on peut qualifier de « macro » en s’intéressant
à l’évolution d’agrégats d’organisations caractéristiques de collectivités organisationnelles
comme le champ ou le secteur d’activités. C’est le cas notamment de : la théorie de l’écologie
des populations et de la théorie néo-institutionnelle sociologique.

101
Un reclassement de quelques théories selon le niveau d’analyse
Perspective Théorie Contenu Apports et limites
« micro » Théorie de la La TC prend le contre-pied de la théorie classique en La TC a, pendant un bon moment, fait figure
contingence posant qu’il n’existe pas de modèle universel, idéal d’orthodoxie en matière d’analyse des organisations.
(TC) d’organisation. L’efficacité d’une organisation est Il s’agit d’un courant à portée potentiellement
fonction de l’ajustement de sa structure pragmatique dans la mesure où il apporte des éléments
organisationnelle à des données de contexte. Le rôle de réponse à la question : « quelle est la bonne façon
de la direction de l’organisation est d’assurer cet de s’organiser ? »
ajustement et le reconstruire à mesure que le contexte La multiplication de travaux empiriques aux résultats
change. contradictoires a fragilisé cette théorie. La tonalité
Ces idées résultent d’une ensemble d’observations déterministe et a tendance à réifier l’organisation et
concrètes qui expriment à chaque fois une déclinaison son environnement caractéristiques de courant ont
particulière de la thèse principale, selon le sens que également été largement contestés.
l’on donne au mot « contexte » (la technologie, la
taille de l’organisation, des caractéristiques
d’environnement, la stratégie de l’entreprise, voire
des données culturelles).
Théorie de la Même niveau d’analyse et même problématique que La TDR apporte des éclairages sur les phénomènes de
dépendance en la théorie néo-contingente, mais la TDR ne se répartition des pouvoirs au sein de l’organisation et sur
ressources cantonne pas aux changements de structure interne et les jeux politiques entre cette dernière et ses
s’intéresse aux actions permettant de gérer partenaires extérieurs.
l’interdépendance de l’organisation avec les autres Il est possible de l’articuler avec la perspective
organisations de son environnement. « enactment » de Weick : les contingences
Travaux de référence : stratégiques ne sont pas simplement des données, mais
1-Hickson et al. (1971) font l’objet d’interprétations concurrentes.
 Le pouvoir revient aux sous-unités qui réussissent à Les critiques qui lui sont adressées portent sur l’accent
faire face aux contingences stratégiques qui excessif qu’elle met sur les phénomènes politiques au
affectent les autres sous-unités. détriment de la rationalité managériale et le sur le
 Le pouvoir d’une sous-unité est d’autant plus grand caractère flou d’un certain nombre de notions (par
qu’elle est non substituable. exemple, la notion de « contingence stratégique »).

102
2-Pfeffer et Salanick (1974) : une version
départementale de la TDR
 La contingence stratégique à laquelle font face
toutes les unités d’une organisation est l’acquisition
de ressources
 Les unités qui acquièrent des ressources valables
pour les autres détiennent du pouvoir sur ces
dernières
 La relation entre acquisition des ressources et
pourvoir s’auto-renforce
3-Pfeffer et Salanick (1978) : extension des principes
de la base TDR aux relations entre l’organisation
considérée et les autres organisations situées dans son
environnement immédiat. La plupart des
organisations cherchent à préserver leur autonomie en
se protégeant de la dépendance vis-à-vis des autres
organisations.
Théorie des La TCT retient le même niveau d’analyse que la La TCT permet d’expliquer les décisions de fixation
coûts de théorie contingente et la TDR mais adopte une unité des frontières de l’entreprise et des manœuvres
transaction d’analyse différente : la transaction. stratégiques comme l’intégration verticale.
La question traitée est celle de savoir comment les Certains lui reprochent de surestimer le rôle des
transactions sont gouvernées. Pour la TCT, les logiques d’efficience et de négliger de ce fait les
attributs de transactions deviennent les déterminants explications à base de logiques de pouvoir et d’être
de la variété des structures de gouvernance. trop centrée sur le phénomène d’opportunisme au
détriment des autres logiques susceptibles d’inspirer
les comportements.
« macro » Théories de Considérant que de nombreux facteurs limitent les La TEP n’explique pas véritablement les mécanismes
l’écologie des capacités d’adaptation de l’organisation individuelle, de sélection et peine à rendre compte de l’apparition
populations la TEP se place au niveau des populations de nouvelles formes organisationnelles.
d’organisations pour en expliquer la dynamique. En ne prenant pas en compte les structures internes de
L’élément théorique central de ce curant est de l’organisation, elle ne permet pas non plus d’expliquer
considérer que les organisations sont soumises à un

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processus de sélection par l’environnement : les pourquoi une organisation meurt tandis qu’une autre
organisations en adéquation avec les exigences de survit dans le même environnement.
l’environnement possèdent un avantage en matière
d’acquisition de ressources. Elles sont
« sélectionnées » pour survivre et les autres sont
éliminées.
Théorie néo- La TNI porte davantage d’attention à la structure La TNI met l’accent sur la mesure dans laquelle le
institutionnelle interne des organisations que la TEP. comportement des organisations est conforme,
(TNI) Les déterminants de cette structure relèvent de habituel, non réfléchi et socialement défini. Les
phénomènes et de processus sociologiques se situant organisations opèrent dans un cadre social de normes,
à un niveau d’analyse plus élevé que l’environnement de valeurs et d’hypothèses tenues pour garanties quant
immédiat de tâche des organisations. D’où la notion à ce qui constitue un comportement acceptable ou
de champ organisationnel qui constitue le niveau approprié.
d’analyse privilégié. Avec le temps, la TNI s’est enrichie, complexifiée et
Un champ organisationnel se structure relativisée sur un certain nombre de points.
progressivement du fait des interactions entre On accorde désormais plus d’importance au processus
organisations qui le constituent. Dès lors que des d’institutionnalisation lui-même, à la question du
organisations disparates sont structurées en un champ changement institutionnel et à celle du pluralisme
organisationnel, un domaine de vie sociale, des forces institutionnel (situation à laquelle est confrontée une
puissantes les conduisent à devenir semblables. organisation opérant dans de multiples sphères
institutionnelles), autant de thèmes à propos desquels
la version initiale de ce courant apportait peu de chose.

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