Revue économique

Présentation d'une théorie des transformations sociales

Monsieur Shepard Clough

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Clough Shepard. Présentation d'une théorie des transformations sociales. In: Revue économique, volume 3, n°6, 1952.
pp. 841-847;

doi : https://doi.org/10.3406/reco.1952.406946

https://www.persee.fr/doc/reco_0035-2764_1952_num_3_6_406946

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 PRESENTATION UNE THEORIE
DES TRANSFORMATIONS SOCIALES

Pour beaucoup de spécialistes des sciences sociales histoire écono

mique ce mariage entre Clio et Homo economicus est une union
malheureuse Les uns soutiennent que îï ne peut décrire et analyser
activité humaine en décomposant ses manifestations en éléments
simples relevant des diverses disciplines scientiûques et en les soumettant
examen minutieux de spécialistes opposé autres affirment que
activité humaine constitue une entité indivisible il convient de étu-
dier dans sa totalité afin de parvenir une synthèse grandiose de toutes
les sciences sociales Entre ces deux positions extrêmes des historiens
empiristes accusent les historiens économiques de disposer les données de
fait selon des desseins abstraits tirés de la théorie économique des éco
nomistes partant idées précon ues sur la réalité historique reprochent
aux historiens économiques de se limiter amasser sans cesse un nombre
indéfini de détails sans considérer les relations complexes qui existent
entre les faits
Si solides que puissent apparaître certaines de ces opinions historien
économique continue son travail avec ténacité Comme les autres écono
mistes il efforce de mieux comprendre les problèmes centraux de la vie
économique en étudiant la nature des biens et des services produits les
quantités la localisation et les mobiles en attachant décrire les
facteurs de la production les ressources naturelles et humaines les arcs
et la technique de production le capital etc en examinant le com
portement des unités économiques de production familles corporations
sociétés etc. et des consommateurs éventuels des biens et des services
historien économique essaie analyser les solutions apportées dans
le passé ces problèmes afin de découvrir la succession des faits établir
des relations entre eux et de dégager le comment et le pourquoi des
événements anciens Ainsi la confrérie des historiens économiques efforce
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en général de nos jours éviter le Scylla des idées fixes fléau des
sectaires et le Charybdê des amas de faits sans liens entre eux malheur
des pédants -..
Comme la plupart des chercheurs qui étudient les phénomènes sociaux
les économistes historiens sont limités par leur propre spécialité ils ont
tendance envisager toute activité humaine et expliquer en fonction
de leur discipline La division des sciences sociales en un certain nombre
de disciplines élémentaires semble être origine de cet état esprit
Bien souvent les spécialistes des diverses disciplines ne veulent ou ne
peuvent envisager une science unique et synthétique de la société Or au
cours de élaboration un ensemble de connaissances il est parfois utile
de arrêter afin de considérer la totalité du sujet soumis analyse et
de formuler les concepts partir desquels on unifiera les données obtenues
par les diverses sources spécialisées histoire économique comme toutes
les autres branches des sciences sociales doit constamment situer la place
de ses connaissances dans la totalité de expérience humaine

Comment homme de science doit-il envisager unité de activité

humaine et comment peut-il garder toujours le sens de cette unité Tel est
le problème essentiel Pour répondre ces questions je propose une théorie
des transformations sociales social change se présentant comme une
méthode globale pour la compréhension des changements survenant dans
les idéologies les institutions les groupements les fonctions du chef
leaderships et les conceptions artistiques des peuples Cette théorie part
une conviction ces transformations sociales constituent les aspects
décisifs de la vie humaine une observation la plupart des décisions
privées ou publiques tendent soit encourager soit diriger soit pré
venir ces transformations une opinion la connaissance approfondie
de ces transformations rendra possible la compréhension de toutes les forces
actives dans une société donnée
Une telle théorie notons-le ne peut permettre une explication sim
pliste des changements sociaux la logique et expérience concrète nous
montrent que les transformations sociales peuvent commencer par alté
ration de importe quel aspect de la vie humaine ou de importe quelle
combinaison de ces aspects
il est impossible établir une explication mono-causale de toutes
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les transformations sociales le chercheur besoin un concept fonda

mental qui puisse aider rassembler et analyser les connaissances sur
les transformations sociales Je propose admettre que les transformations
ordre social défendent surtout de étendue des choix qui permettent aux
individus de prendre des décisions alternatives En autres termes les
transformations qui se produisent dans une société dépendent des occa
sions qui offrent aux individus de choisir entre plusieurs voies
Si on attribue cette proposition une valeur pour analyse il en
découle que le savane doit examiner les conditions et les facteurs contri
buant soit accroissement soit la diminution du nombre des occasions
offertes homme de prendre des décisions alternatives qui influencent
les transformations sociales ou les déterminent directement Pour étudier
ces conditions il faudrait tenter de déterminer le degré de rigidité existant
dans la société considérée Si la culture les institutions les groupements
les idéologies et les fonctions des chefs sont parfaitement nets et forte
ment établis les transformations effectueront plus lentement et avec plus
de difficulté que dans le cas où tous ces aspects de la vie sociale sont
fluides et fragiles
Si on pousse plus loin analyse de ce principe on trouve que les
rigidités dépendent surtout des modifications résultant une transfor
mation profonde de la situation des fractions possédant influence
autorité et le pouvoir dans une société Cette conception modifie une
fa on fondamentale la doctrine très répandue qui considère les parties
non privilégiées une société comme sources des transformations Sans
doute cette vieille doctrine consacrée par usage contient-elle une parcelle
de vérité surtout quand il agit une transformation provoquée par la
violence toutefois les groupements non privilégiés ont rarement pu pro
voquer des transformations avant ils eussent obtenu dans une certaine
mesure force et autorité
Les rigidités dépendent aussi de la crainte éprouvent les hommes
égard des transformations des doutes ils entretiennent sur les
résultats auxquels elles conduisent inverse la fluidité une société
peut être accrue il existe dans celle-ci une certitude de changement inévi
table ou la croyance dans les effets bienfaisants du changement telle la
croyance en idée de progrès
Les rigidités qui existent dans une société sont en général accom
pagnées une insuffisance des biens nécessaires entretien de la vie
dans cet état de pénurie occasion expérimenter les nouveautés ne se
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présente pas Par contre un excédent considérable de la production tend

créer des occasions favorables emploi alternatif des ressources une
société
Enfin les rigidités une société dépendent de la géographie physique
de son territoire et de la composition biologique de sa population La
première exerce une influence sur la production et sur les relations avec
autres sociétés La seconde détermine un certain point si la
société considérée disposera de sujets forts ou faibles bien portants ou
malades

ici nous nous sommes limités indiquer des éléments généraux

déterminant les transformations sociales Nous allons maintenant en consi
dérer les facteurs dynamiques Ces facteurs se trouvent dans les quatre
domaines classiquement isolables de activité humaine biologique phy
sique social et culturel
La considération de individu organisme vivant suggère idée une
transformation sociale peut résulter du jeu de facteurs purement biolo
giques Bien entendu la plupart des sociologues se trouvent dans im
possibilité de connaître les gênes des individus mais ils doivent savoir
que la structure des gênes détermine les caractéristiques physiques de
individu et que des changements dans ces gênes peuvent transformer la
composition biologique une société Une certaine sélectivité joue toujours
un rôle dans la procréation des êtres humains elle peut provoquer des
changements physiques chez les hommes De plus les organismes humains
comme tous les organismes vivants ont besoin de nourriture et oxygène
leur développement est fonction des produits absorbés et de leur qualité
Par conséquent les changements réalisés dans ce domaine peuvent entraîner
des répercussions profondes dans une société Ils peuvent créer des types
physiques réclamant une activité vigoureuse ou bien des types indolents
Il ne faut pas pour autant tomber dans erreur du racisme et prêter
un groupe individus possédant quelques ressemblances superficielles
telle la couleur de la peau des ressemblances de caractère social ou culturel

Le mot culture pris dans ce sens signifie connaissances humaines

relatives aux idéologies techniques formes art et institutions que on
enseigne et transmet aux nouveaux arrivés dans une société On emploie
presque dans le même sens que civilisation sous la réserve que ce
dernier mot généralement une implication qualitative On parle une
culture de Occident de la Chine du Japon etc..
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Les transformations sociales peuvent également résulter des change

ments dans la composition une population du fait de évolution des
rapports entre les naissances et les décès ou des mouvements un
peuple la suite de migrations Les mouvements de ce genre ont des
répercussions profondes dans les institutions sociales et culturelles Une
diminution de la population permet de détourner vers les biens de consom
mations des ressources employées auparavant produire des biens de
production Des changements dans les pyramides des âges exercent une
innuence sur enseignement les assurances sociales et tous les autres
services sociaux émigration aux Etats-Unis Européens en âge de se
livrer des travaux productifs contribué directement la productivité
de ce pays en le dispensant engager des dépenses pour élever et former
ces travailleurs
Les transformations dans les climats et dans les aspects physiques des
territoires sont très lentes Depuis les temps historiques on enregistré
très peu de transformations dans le climat au moins pour les parties du
monde sur lesquelles nous avons quelques connaissances Cependant il
eu des années de sécheresse suivies années de famine qui ont exercé
ensuite une influence sur le nombre de la population sa composition sur
ses déplacements et sur tant autres activités sociales politiques ou
culturelles

Toutefois dans leur ensemble les transformations une société résul

tent des efforts humains elles impliquent surtout des changements ordre
social et culturel Les hommes sous emprise de la nécessité créent les
forces sociales et culturelles Elles sont plus variables que les facteurs
biologiques et physiques les hommes les contrôlent plus aisément Elles
influencent la vie des sociétés elles engendrent les transformations les
plus nombreuses et les plus profondes Aucun bien ne peut être considéré
comme une ressource économique naturelle si homme ne le reconnaît
comme tel ou si homme ne possède pas les techniques nécessaires son
exploitation La culture détermine un moment donné la liste des produits
constituant les ressources économiques
Le concept de innovation paraît être le plus utile analyse des
facteurs On peut classer les innovations selon les secteurs de la société
auxquels elles appliquent culture institutions sociales groupements
centre du pouvoir ou population Quelle que soit sa nature innovation
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peut naître au sein une société origine autonome ou être empruntée

une autre société origine adoptive Quelle que soit son origine adop
tion adaptation et la diffusion de cette innovation dépendront du milieu
dans lequel elle apparaît de sa conformité profonde au génie de ce milieu
Cette corrélation détermine en grande partie la puissance la rapidité et
la direction de la transformation
En général une innovation comme invention technique est le résultat
une lente accumulation observations fragmentaires provenant de plu
sieurs sources dont la synthèse engendre une nouvelle manière de penser
ou agir Le processus est extrêmement lent au départ mais il accélère
quand un certain niveau de réalisation est atteint dans esprit des cher
cheurs ou quand une société besoin une certaine chose Ainsi le
procédé de innovation dépend des talents des chercheurs des occasions
permettant aux individus amasser des observations et des connaissances
et de se communiquer leurs réflexions En général les qualités humaines
et les conditions matérielles nécessaires la création ou emprunt une
innovation se trouvent dans les grandes villes commerciales
adoption et la diffusion une nouvelle pensée ou une fa on agir
dépendent de plusieurs facteurs abord il faut se demander si inno
vation est capable obtenir un accord positif des individus Ce qui satis
fait une poussée primaire comme la faim la soif ou appécit sexuel plus
de chances de succès que ce qui satisfait un désir secondaire autre part
une innovation qui se conforme aux institutions organisation et aux
modèles culturels une société réussira plus facilement une innovation
qui les contredit Si une innovation est imposée par la force une
société celle-ci en la recevant la transformera ainsi en est-il du christia
nisme chez les tribus primitives de Afrique
Diffusion horizontale une innovation mais aussi diffusion verticale
Dans chaque société les hommes se répartissent en classes selon leurs
fortunes leurs professions ou leurs pouvoirs Une innovation plaira
une de ces couches sociales et déplaira autre Pendant la révolution
industrielle par exemple quelques-unes des premières inventions ont été
faites par des artisans mais ces mêmes inventions intéressèrent plutôt les
hommes affaires qui surent en tirer profit Dans ce cas-là la diffusion
se fit abord de bas en haut et ensuite de haut en bas
Dans la diffusion une innovation il faut considérer les éléments
fonctionnels est-à-dire la succession des changements opérés selon inter
dépendance des fonctions Par exemple les tracteurs ont abord exercé
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une influence sur les inventeurs les fabricants et les ouvriers qui les ont
bâtis Ensuite les tracteurs ont remplacé les chevaux provoquant la dimi
nution du nombre des chevaux de trait des harnacheurs des forgerons
et des conducteurs attelage Puis accroissement de utilisation des trac
teurs provoqué une réduction du coût réel de la production des céréales
et une amélioration du bien-être des hommes On peut classer ces résultats
comme primaires secondaires tertiaires etc
De temps en temps on voit dans une société des personnes qui se
groupent pour tirer profit des innovations en les exploitant et en spécia
lisant Ces découvreurs innovations contribuent au progrès tout
comme les savants qui effectuent des recherches pour trouver des faits
nouveaux de même les banquiers cherchent des occasions uniques de
placer leur argent et trouvent les inventeurs qui créent des techniques
nouvelles

Un changement dans ordre social présentera alors des différences de

rapidité ampleur et de direction selon le caractère de innovation son
milieu et le pouvoir de ceux qui la dirigent observation des faits ne
permet pas de soutenir opinion selon laquelle seules les innovations
techniques sont origine des transformations sociales les autres aspects
de la vie sociale adaptant aux changements de la technique Une inno
vation peut apparaître dans importe quel aspect de la vie une société
et provoquer adaptation et la transformation des autres aspects de la
vie sociale
Par conséquent observateur des phénomènes sociaux doit envisager et
doit comprendre la totalité de sa science il veut analyser les changements
dont nous venons de parler Les historiens économiques penchent déjà dans
cette direction en orientant leur discipline vers une approche science
sociale ils continuent dans la bonne voie ils feront partie de cette
avant-garde qui réalisera une nouvelle synthèse historique En tout cas
est par une compréhension plus grande des facteurs des transformations
sociales il sera possible homme étendre son pouvoir sur son milieu
et de diriger son développement dans le sens déterminé par la société
Si le contrôle humain sur le milieu physique et social une société est la
marque principale de la civilisation le savant qui aspire contribuer
au moins un peu élévation de la civilisation doit contribuer la
connaissance du changement social
SHEPARD CLOUGH