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17/03/2024, 08:12 Institutions et critique sociale.

Une approche pragmatique de la domination

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Tracés. Revue de Sciences


humaines
#08 | 2008
Hors-série 2008. Présent et futurs de la critique
Conférences

Institutions et critique sociale.


Une approche pragmatique de la
domination
Luc Boltanski
p. 17-43
https://doi.org/10.4000/traces.2333

Full text
1 Luc Boltanski est sociologue, directeur d’études à l’EHESS. Il a débuté sa carrière
dans les années soixante/soixante-dix en collaborant avec Pierre Bourdieu au courant
dit de la « sociologie critique ». Mais au début des années quatre-vingt, il s’est détaché
de Bourdieu pour fonder le cadre théorique d’une sociologie du sens moral ordinaire.
Plutôt que de refuser aux « agents » du monde social une capacité à se justifier, à
expliquer leurs actions, le sociologue doit faire confiance aux « illusions » des acteurs,
car ce sont elles qui fournissent les clés de compréhension de l’action.
2 Ce texte, tout à fait remarquable dans l’itinéraire intellectuel de Boltanski, refonde la
« sociologie de la critique » à partir d'une réflexion sur la nature des institutions, sur la
manière dont les individus y sont confrontés et sur les possibilités critiques que les
« êtres sans corps » (les institutions) laissent aux êtres en chair et en os. Alors même
que la question des institutions est classique en sociologie, les définitions qui en sont
données restent souvent imprécises. Boltanski offre ici un cadre théorique qui corrèle la
production de règles, de normes, ou de « qualifications », et l’action individuelle. Il
revisite en outre deux concepts majeurs issus de la pensée marxiste, retravaillés par
Bourdieu – ceux de « domination » et de « classe » –, pour mieux promouvoir une
sociologie « pragmatique »1.
3 La question des institutions a un caractère paradoxal. D’un côté, le concept
d’institution occupe, en sociologie, une position centrale et même, pourrait-on dire,
fondatrice, particulièrement chez Durkheim où elle indexe l’objet même de cette

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discipline : ce qui en fait la spécificité et l’unité. Mais, d’un autre côté, on ne peut qu’être
frappé par le flou qui entoure cette notion, couramment utilisée par la plupart des
sociologues, mais assez rarement confrontée à un effort de définition, comme si elle
allait de soi (excepté, bien sûr, chez Durkheim, mais elle se trouve dans ce cas définie de
façon si vaste qu’elle tend à se confondre avec l’ordre des faits sociaux en général, dans
ce qu’ils ont de spécifique, particulièrement pour les opposer à des faits relevant d’un
autre domaine, celui de la biologie ou de la nature, comme lorsque l’on dit, par exemple,
que « le langage est une institution »). Tout se passe comme si, dans l’idiome courant de
la sociologie, le terme d’institution renvoyait le plus souvent à ce qui semble dur et
durable, par opposition notamment à ce qui peut être traité comme relevant du contexte
ou de la situation, ce qui entraîne un usage quasi synonymique de termes qui devraient
pourtant être considérés dans leurs différences, tels que ceux d’institutions,
d’organisations, d’administrations, etc.
4 Dans la sociologie française des trente dernières années, les institutions ont donné
lieu à un double rejet, qui a été sans doute lui-même favorisé par le flou entourant ces
objets conceptuels. La sociologie critique des années soixante/soixante-dix a reconnu
l’importance des institutions, mais, le plus souvent, pour les assimiler à des instruments
de domination sociale. Quand à la sociologie pragmatique des années quatre-
vingt/quatre-vingt-dix, elle s’est développée en partie avec l’intention de creuser sous
les descriptions fournies par la sociologie critique. Celle-ci a alors été accusée de sous-
estimer le domaine de l’action et de ne voir dans les acteurs (plongés dans des
situations auxquelles ils doivent fournir des réponses adéquates) que des agents
(actualisant inconsciemment un pouvoir qui leur serait extérieur). La sociologie
pragmatique, particulièrement dans les courants qui ont cherché à reprendreà
nouveaux frais la question de la critique (la sociologie pragmatique de la critique) a, par
conséquent, cherché à se rapprocher des situations concrètes dans lesquelles les
personnes agissent. Mais, ce faisant, la sociologie pragmatique a soit dédaigné ou oublié
la question des institutions, soit même – dans ses versions que l’on dira à juste titre
idéologiques puisqu’elles engagent, au moins implicitement, des jugements de valeur –,
tendu à valoriser la créativité de l’agir (pour reprendre le titre d’un ouvrage de Hans
Joas, 1999), les capacités d’interprétation des personnes en situation, la mise en œuvre
d’un sens commun et, par contrecoup, à dévaloriser ce qui pouvait apparaître comme
stable, contraignant, imposé par des forces extérieures à l’action développée ici et
maintenant.
5 Je voudrais présenter ici les grandes lignes d’un cadre d’analyse, en cours
d’élaboration, dont l’une des intentions est de prendre au sérieux la question des
institutions sans pour autant, d’une part, rejeter les apports de la sociologie
pragmatique et de ses analyses de l’action en situation (et, parti-culièrement, des
actions orientées vers la critique) ni, d’autre part, abandonner la question de la
domination, qui est au cœur de la sociologie critique, comme s’il s’agissait (comme cela
est parfois suggéré de nos jours) d’une question indécidable, métaphysique, voire
idéologique ou obsolète.

La question de l’incertitude
6 Je partirai d’une position originelle (évidemment aussi loin de la réalité que l’est, par
exemple, l’état de nature des philosophies contractualistes) dans laquelle règne une
incertitude radicale concernant ce qu’il en est de ce qui est et, indissociablement, sur ce
qui importe, sur ce qui a valeur2.
7 En amont de cette position originelle, je placerai – sans chercher à les explorer et
donc en les traitant comme des postulats – deux contraintes ou plutôt, si l’on veut, deux
facteurs d’anarchie.
8 Le premier met l’accent sur le changement incessant du monde et des êtres qui le
composent – y compris les êtres humains –, changement qu’il n’y a aucune raison, à ce
niveau de construction, de concevoir comme prévisible, maîtrisable, ou comme
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obéissant à des « lois », en sorte qu’il est préférable de l’imaginer sur le mode de la
métamorphose et de l’aléa. Pour désigner cette extériorité affectée d’un changement
incessant, je parlerai du monde, considéré comme étant – pour reprendre la formule
de Wittgenstein – « tout ce qui arrive », de façon à le distinguer de la réalité, c’est-à-
dire de ce qui dans le monde a été pris en charge, de façon réflexive, par les épreuves
(de réalité) et par les qualifications plus ou moins instituées qui, par le truchement
d’effets de boucle, tendent à la produire et à la reproduire. À la différence du monde, la
réalité est bien, en effet, toujours construite, comme le répète à foison le lieu commun
de « la construction sociale de la réalité ».
9 Le second postulat, d’inspiration phénoménologique, concerne la difficulté de
concevoir et de réaliser un accord entre des êtres humains tous plongés, bien que
chacun de façon différente, dans le flux de la vie (c’est-à-dire ce par l’intermédiaire de
quoi ils demeurent enchâssés dans le monde, quelle que soit la réalité à laquelle ils sont
confrontés). J’associerai cette difficulté au simple fait que les êtres humains possèdent
un corps. Ayant un corps, chaque individu est nécessairement situé. D’abord,
extérieurement, en tant qu’il est placé à un moment du temps et disposé en un point de
l’espace, depuis lesquels ce qui advient lui apparaît. Mais aussi, si l’on peut dire,
intérieurement, en tant qu’il a des désirs, des pulsions, des goûts, des dégoûts, une
expérience de sa chair propre, etc. Il s’ensuit que, depuis la position originelle, chaque
individu ne peut avoir sur le monde qu’un point de vue. Rien, a priori, n’autorise à
concevoir ces points de vue comme partagés. Aucun individu ne possède, à soi seul,
l’autorité ni sans doute le pouvoir nécessaires pour dire aux autres, à tous les autres, ce
qu’il en est de ce qui est, en sorte que, dans une situation vécue en commun – au cours
d’une interaction –, personne n’a en soi les ressources qu’il faudrait mettre en œuvre
pour résorber l’incertitude de la situation et pour dissiper l’inquiétude qu’elle suscite.

Registres pratiques et
métapragmatiques
10 Pour préciser la façon dont se présente la question de l’incertitude dans un
environnement social, je prendrai appui sur deux oppositions.
11 La première distingue des moments pratiques – auxquels les approches
pragmatiques, qui mettent l’accent sur les usages dans un certain contexte, se sont
particulièrement intéressées –, et des moments de réflexivité, exigeant, de la part des
acteurs, la mise en œuvre de procédures que je qualifierai de métapragmatiques.
Disons tout de suite que, dans les moments pratiques, les personnes concourent
activement à éloigner l’inquiétude qui guette, en minorant les différences
d’interprétation sur ce qui se passe et surtout en fermant les yeux sur les écarts de
conduite qui pourraient introduire des facteurs d’incertitude.
12 La seconde opposition concerne uniquement le registre d’action que je viens
d’appeler métapragmatique. Cette opposition distingue, à l’intérieur de ce second
registre, deux modalités différentes d’interventions métapragmatiques qui se coulent
dans des formes différentes.
13 Les premières sont des formes permettant d’établir, en opérant une sélection dans le
flux infini de ce qui arrive, ce qui est, et de le maintenir comme étant malgré le passage
du temps. Je parlerai, dans leur cas, de dispositifs de confirmation car, comme
j’essaierai de le montrer, elles ont pour enjeu d’écarter l’incertitude en confirmant que
ce qui est est vraiment. Comme je le développerai tout à l’heure, c’est, me semble-t-il,
d’abord à cette tâche que concourent les institutions.
14 Les secondes sont des formes associées à des dispositifs qui, à l’inverse, prennent
appui sur les facteurs d’incertitude pour faire surgir une inquiétude en contestant la
réalité de ce qui se donne pour étant, soit dans des expressions officielles, soit dans des
manifestations du sens commun. Je parlerai, dans leur cas, de formes critiques.

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15 Ces deux genres de formes et les dispositifs auxquels elles sont associées sont
généralement traités comme engageant des positions antagonistes. Depuis chacune de
ces positions, des points de vue incompatibles sont pris sur le monde. Je chercherai
pourtant à les symétriser, à étudier leurs relations et à les intégrer dans un même cadre.
Dans ce cadre, confirmation et critique ne prennent sens qu’envisagés dans leur relation
dialogique. Ainsi, la confirmation a pour orientation principale de prévenir la critique
ou de lui répondre (elle joue, en ce sens, un rôle conservateur et, si on l’envisage par
référence à la critique, un rôle réactif, susceptible par là d’être dénoncé comme
réactionnaire, puisqu’il lui revient de confirmer ce que la critique met en doute). Quant
à la critique, elle perdrait tout point d’application et tomberait dans une sorte de
nihilisme si elle ne prenait le contre-pied d’assertions confirmées.
16 Pour caractériser rapidement les modalités de l’action pratique et les moments où ces
formes d’action sont prépondérantes, je prendrai appui sur l’un des premiers livres de
Pierre Bourdieu, Esquisse d’une théorie de la pratique (1972), mais aussi sur certaines
approches et certains résultats de la sociologie pragmatique.
17 Les actions en commun relevant de ce premier registre – celui que l’on peut appeler
pratique – réunissent des personnes dans l’accomplissement d’une tâche. Une de leurs
caractéristiques importantes est que les personnes engagées dans le cours d’actions
agissent comme si elles savaient plus ou moins de quoi il retourne – ce que l’on est en
train d’accomplir –, et/ou comme si les autres ou certains autres, à qui l’on peut faire
confiance, le savaient (cela même si la définition des tâches accomplies en commun est
assez floue). Et aussi, comme si tous pouvaient plus ou moins, avec plus ou moins de
succès, converger, coopérer, se coordonner dans l’accomplissement de la tâche en cours.
C’est ce que l’on peut interpréter (évidemment de l’extérieur, puisque, de l’intérieur, la
question ne se pose même pas), comme un accord tacite pour ne pas faire se lever une
inquiétude sur ce qui se passe et ne pas trop s’embarrasser de la question de l’accord –
accord tacite qui a été souvent décrit dans la littérature sociologique et,
particulièrement, dans les courants inspirés de la phénoménologie, comme un cela-va-
de-soi (the world taken as granted ). Dans ce premier registre, l’action en commun est
donc tournée en priorité vers quelque chose « à faire », une tâche à accomplir, avec
pour visée d’y arriver, d’atteindre une fin, ce qui ne signifie pas nécessairement remplir
un « objectif » prédéfini de façon univoque mais au moins aller au bout, le plus souvent
pour qu’il soit simplement possible de passer à autre chose. L’action est donc orientée
vers le futur avec d’ailleurs souvent un sentiment plus ou moins grand d’urgence.
18 Dans ces moments pratiques règne en général une tolérance – plus ou moins grande
selon les situations – aux écarts de conduite des uns ou des autres à l’intérieur d’un
cadre général plus ou moins flou. Parler de tolérance veut dire que, en gros, tant que
cela est possible, on ferme les yeux sur la diversité des façons de faire, sur la diversité
des usages et des interprétations comme si elle ne portait pas à conséquence. Ces écarts
peuvent être vus, connus, sans être pour autant relevés (« seen but not noticed »,
comme dit Goffman). On fait comme s’ils n’étaient pas vraiment pertinents. La
tolérance, quand elle est reconnue, est considérée comme sagesse (agir de façon telle
que les choses s’accomplissent ; éviter la dispute). Mais, quand elle est envisagée de
façon critique et dénoncée, elle se trouve redécrite comme hypocrisie. L’un des effets de
cette tolérance est de retarder le moment de la dispute en sous-estimant les écarts
d’usage ou d’interprétation et, notamment, en évitant de problématiser la relation entre
les qualifications et les objets, comme si le langage collait au monde (en sorte qu’il
serait, par exemple, équivalent de nommer ou de montrer en désignant du doigt). La
sociologie dite pragmatique a constitué un outil particulièrement adapté à l’exploration
de ces situations déployées dans un registre pratique3.
19 L’environnement de l’action est maintenu au moyen de repères extérieurs et
intérieurs, inégalement saillants selon les situations, offrant des prises pour coordonner
plus ou moins les actions et les orienter vers quelque chose à faire ensemble, dont la
visée peut d’ailleurs être assez variable chez les différentes personnes engagées sans que
cela ne trouble leurs relations, au moins tant que personne n’en fait la remarque. Les
repères extérieurs sont des dispositifs, des objets, matériels ou symboliques. Les repères
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intérieurs sont des habitudes ou des dispositions, c’est-à-dire des dispositifs inscrits
dans le corps (chez Bourdieu, des habitus). Mais il peut s’agir également d’états d’esprit
plus ou moins stables, pouvant donner lieu à qualification et même, en relation
publique, se prolonger dans des justifications. Il peut s’agir enfin de configurations
intemporelles relevant de la vie psychique (telles celles auxquelles fait référence le
terme d’inconscient). En se fiant à ces repères, les acteurs apprennent au fur et à
mesure à faire ou à refaire les gestes nécessaires. Il s’ensuit que l’on peut décrire les
mouvements des acteurs en registre pratique en se passant du concept de règle, même
si l’observation, depuis un point de vue extérieur, permet de déceler des régularités.
L’action, dans ce registre, est toujours située.
20 La tolérance, qui est un des traits marquants de ce registre, est liée à un faible niveau
de réflexivité. Des ajustements et des réparations interviennent, mais ils ont un
caractère local (Conein et al., 1993). L’absence de position de surplomb et de dispositifs
de mémorisation, de rapprochement et, finalement, de calcul (dont le tableau
synoptique, dans les analyses de Jack Goody [1979] est un exemple classique) permet de
ne pas confronter trop directement les antagonismes et, très généralement, de ne pas
trop s’attarder sur les contradictions. L’un des avantages pour les acteurs du registre
pratique est de favoriser une autolimitation des disputes, au moins quand les
antagonismes demeurent au-dessous d’un certain seuil de tolérance (dont
l’identification en chaque situation concrète devrait être une tâche primordiale de la
sociologie pragmatique).
21 Certaines des propriétés du registre pratique les plus intéressantes pour notre cadre
concernent le langage. Plongées dans un registre pratique, les personnes utilisent certes le
langage. Mais, d’une part, l’utilisation qu’elles font du langage a un caractère fortement
indexical et la production ou la réception des énoncés prend appui sur le contexte et peut
s’accompagner de monstration. D’autre part, et cela a particulièrement d’importance pour
la suite de l’argument, le langage est mis en œuvre comme s’il faisait corps avec le monde.
Plus généralement, la relation entre les formes symboliques et les états de choses – pour
reprendre une distinction empruntée à Wittgenstein – n’est pas envisagée pour elle-même,
soit pour les rapprocher, soit pour les opposer.
22 La vie dans un registre pratique possède bien des avantages dont nous avons tous une
expérience pratique. Mais l’argument défendu ici est pourtant qu’il est impossible de
concevoir une vie sociale complète en se donnant le registre pratique comme seul cadre
de l’action en commun. Plusieurs problèmes se posent. Un premier problème est celui
des repères nécessaires au maintien d’un cadre minimal de l’action. On peut bien sûr
considérer qu’ils se forment par un effet d’auto-émergence ou d’auto-organisation à
partir de l’interaction et de sa répétition. Mais cette explication est, selon moi,
insuffisante pour des raisons qu’il serait trop long de développer ici.
23 Un second problème est celui de la dispute. Parce qu’il est peu réflexif et peu
cumulatif, le registre pratique permet le maintien de désaccords tacites n’allant pas
jusqu’à la dispute, mais cela jusqu’à un certain seuil de tolérance. Quand ce seuil est
dépassé, l’action en commun, même à un niveau de coordination assez peu exigeant, ne
peut être maintenue par les seuls moyens disponibles dans ce registre.
24 À côté du registre pratique, il faut donc concevoir la possibilité d’un autre registre :
celui que j’appellerai métapragmatique, en empruntant, librement, ce terme à
l’anthropologie linguistique (Lucy, 1993).
25 Le registre métapragmatique peut être caractérisé, en première approximation, par
un haut niveau de réflexivité. Ainsi, dans les moments métapragmatiques, les personnes
n’agissent pas seulement en commun au sein d’une tâche à faire (dont elles peuvent
avoir d’ailleurs des images plus ou moins différentes) et en se coordonnant par rapport
à des repères. Leur intérêt s’oriente vers l’action en commun elle-même, ses modalités,
ses conditions de possibilité, les formes dans lesquelles elle s’inscrit. Ce que l’on est en
train de faire ensemble semble alors ne plus aller de soi et même si l’accord peut ne pas
être mis en question, les énergies se tournent vers la question de savoir ce que l’on fait
et vers la façon dont il faut le faire pour que ce que l’on fait soit fait, en vérité.

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26 Soit, par exemple, une situation qui nous est familière : une réunion de professeurs
pour l’examen de dossiers d’étudiants. Chacun participe mais avec un souci tacite
d’économie. Ne pas trop se fatiguer ; ne pas trop entrer en conflit avec ses collègues ;
terminer avant six heures parce qu’il faut aller chercher le gosse à l’école, etc. On a déjà
examiné dix dossiers et il en reste vingt. Pas de pause-café, on avance, il faut finir le
travail, etc. Mais, à un certain moment, un collègue prend la parole, d’un air grave, et
pose la question de savoir si nous suivons bien les mêmes règles et les mêmes
procédures pour chaque dossier. On s’arrête alors d’examiner les dossiers et tous se
coordonnent dans ce nouveau régime. On s’interroge : mais, au fait, quelles sont les
procédures ? Est-ce qu’il y a, même, des procédures ? Et, que faisons-nous ? Quel est le
collectif que nous formons ? Mérite-t-il le nom de jury ou ne s’agit-il que d’un ramassis
de profs fatigués, laxistes et disposés à accueillir favorablement tout ce qui pourrait les
distraire de la tâche qu’ils sont en train d’accomplir, ou plutôt en train de « bâcler »
(comme le dirait un critique les considérant de l’extérieur), en menant, dans le plus
grand arbitraire, une épreuve pourtant des plus importantes pour ceux qui en subiront
les conséquences.
27 Dans des moments de ce genre, les personnes peuvent invoquer une règle, si un objet
de ce genre a été préalablement constitué et stocké et si l’un des participants sait où
aller le chercher. Les participants peuvent aussi exploiter des gisements de formes
sémantiques (et, particulièrement, de formes d’allure juridique) relevant du sens
commun et, par analogie, en dériver des formules permettant de dire en quoi consiste –
et en quoi doit consister – l’action en cours.
28 Que veut dire « sommes-nous un vrai jury » ? Cette question, qui n’aurait aucune
pertinence dans un registre pratique mais qui signale par contre, de façon typique,
l’engagement dans un registre métapragmatique, concerne la relation entre une
situation type (le vrai jury) et une situation occurrence (ce que nous sommes en train
de faire) (Nef, 1988). Mais on peut dire aussi, de façon plus formelle, qu’elle concerne la
relation entre un état de choses et une forme symbolique dont les traits sont,
indissociablement, disposés logiquement et nimbés de valeurs.
29 Pour désigner ce processus, j’utiliserai le terme d’origine juridique de qualification.
La qualification, prise en ce sens, possède au moins trois propriétés pertinentes : a) elle
fixe le rapport entre d’un côté, un état de choses dans une situation type et, de l’autre,
un état de choses dans une situation occurrence ; b) elle associe à la situation ou à
l’objet dont il est question non seulement des prédicats mais aussi des relations à
d’autres objets, ce qui permet de les investir d’une valeur ; c) enfin, elle pointe vers des
conséquences dans la réalité, notamment au niveau de l’usage, de façon à ouvrir la
possibilité d’une distinction entre un bon usage et un usage transgressif. La
qualification a elle-même deux faces selon qu’elle concerne l’opération consistant à
établir ou à fixer des types ou l’opération consistant à rapprocher au cas par cas des
types et des occurrences. Enfin, l’exigence de qualification est loin de concerner
également tous les êtres, objets, faits ou situations. Elle concerne principalement les
objets qui importent, tels, en priorité, ceux dont s’occupe le droit, mais pas seulement
(Cayla, 1993b). Tous les dispositifs de qualification ne sont pas d’ordre juridique
(Thévenot, 1992).

L’être sans corps de l’institution


30 Qui peut forger des qualifications mobilisables dans l’action pour asseoir la
prétention à dire ce qu’il en est de ce qui est ? La question de ce qui est, telle que se la
posent non pas les philosophes, mais les acteurs qui performent le monde social quand
ils sont amenés à se la poser, c’est-à-dire souvent, sans doute, quand la situation est
envahie par la dispute et que la violence menace, n’est pas celle de savoir ce qui est pour
Pierre, Paul ou Jacques, ou de ce qui est à Lyon ou à Paris, mais de ce qui est pour tous,
de ce qui est ici et là. Elle ne peut donc pas faire l’objet d’une réponse individuelle. On
peut dire – au risque de paraître revenir à des questions censées être obsolètes –, que
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celui qui mobilise une qualification, par exemple pour dénigrer une situation
occurrence en l’opposant à la situation type dont elle se réclame (« peut-on vraiment
donner à ce verbiage le nom de conférence ? ») qu’il fait référence à quelque chose
comme une « essence » ou un « en soi », c’est-à-dire à la possibilité d’une coïncidence
entre état de chose et forme symbolique (comme lorsque l’on parle d’un « homme au
sens plein du terme », ce qui est un exemple classique de métalangage). Or, dans des
situations ordinaires d’interaction, tout ce que chacun peut faire c’est seulement,
comme on dit très justement, de « donner son point de vue ». Mais, particulièrement
quand la dispute devient explicite et s’étend et qu’il faut mettre un terme à des
désaccords qui menacent de basculer dans la violence, l’expression d’un point de vue est
insuffisante.
31 Comme le remarque très justement Olivier Cayla en se référant à Austin (Cayla,
1993a), à propos des énoncés qui tombent sous le coup d’une appréciation juridique,
« chaque locuteur », aussi « sincère » et « sérieux » soit-il, « n’est jamais susceptible à
lui seul d’orienter avec succès sa parole vers l’entente avec autrui » parce qu’« une
distance infranchissable sépare toujours le sens littéral des énoncés qu’il profère de la
force intentionnelle que son acte d’énonciation déploie sur son interlocuteur ». D’où,
selon Olivier Cayla, la nécessité d’un tiers qui arrête l’interprétation.
32 La seule solution envisageable est donc de déléguer la tâche de dire ce qu’il en est de
ce qui est à un être sans corps. Seul un être sans corps peut cesser de « considérer les
objets en se plaçant parmi eux » pour les « voir sub specie aeternitatis » et les
« considérer de l’extérieur », pour reprendre une formulation utilisée par Wittgenstein
dans les Carnets de 1914-1916 (1971).
33 Cet être sans corps qui hante la sociologie, c’est évidemment l’institution. Une
institution est un être sans corps à qui est déléguée la tâche de dire ce qu’il en est de ce
qui est. C’est donc d’abord dans ses fonctions sémantiques qu’il faut envisager
l’institution. Mais le problème, c’est que comme il n’a pas de corps, cet être ne peut pas
parler, au moins autrement qu’en s’exprimant par l’intermédiaire de porte-parole, c’est-
à-dire d’êtres d’os et de chair comme nous le sommes tous.
34 À ces institutions revient donc la tâche de confirmer ce qui est ; de dire ce qu’il en est
de ce qui est et de ce qui importe. Cette opération suppose l’établissement de types, qui
doivent être fixés et mémorisés d’une manière ou d’une autre (mémoire des anciens,
codes écrits, récits, contes, définitions, exemples, images, rituels, etc.) de façon à être
disponibles, quand le besoin s’en fait sentir, pour qualifier, en situation d’incertitude,
des états de choses faisant l’objet d’usages et d’interprétations ambigus ou
contradictoires. Les institutions doivent, particulièrement, faire le tri entre ce qui est
contextuel et ce qui est dans tous les mondes possibles. C’est la raison pour laquelle la
phénoménologie des institutions leur accorde comme propriété essentielle (souvent
traitée comme si elle était entourée d’un certain mystère) leur capacité à soutenir des
projets, à mettre en place des entités durables, ou même en quelque sorte éternelles, au
sens où elles seraient soustraites à la corruption du temps, à la différence des corps
individuels de ceux qui leur donnent une voix, les servent ou simplement vivent et
meurent dans les domaines de réalité qu’elles contribuent à faire tenir et perdurer.
35 Reviennent aussi par là aux institutions toutes les tâches indispensables relevant
pourtant de ce que l’on peut très justement appeler, quand on les considère uniquement
du point de vue de la critique, la « violence symbolique » et, particulièrement, la tâche
consistant à établir des frontières (entre territoires mais aussi, par exemple, entre le
dernier reçu et le premier recalé à un concours, dont les performances ont pourtant été
très proches). Cela sans même parler des tâches qui consistent à attacher des propriétés
et des biens à des personnes ou à des organisations, tâches sans lesquelles la vie
économique serait, sinon impossible, au moins très différente de celle que nous
connaissons.
36 Assigner ce rôle aux institutions permet de ne pas les confondre avec deux autres
types d’entités auxquelles elles sont souvent associées mais dont il convient de les
distinguer analytiquement. D’une part des organisations, qui assurent des fonctions de
coordination. D’autre part des administrations, qui assurent des fonctions de police.
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Ces deux genres d’entités désignent, si l’on veut, les moyens dont les institutions
doivent être dotées pour agir dans le monde des corps. C’est d’ailleurs leur aspect si
profondément incarné qui les rend si facilement suspectes de n’être rien d’autre que des
armes mises au service d’intérêts et si fragiles face aux coups de la critique.

La contradiction herméneutique
37 Le problème, avec les institutions, concerne la question de leur incarnation. On a
suggéré plus haut que seul un être sans corps pouvait échapper à la contrainte du point
de vue et dire ce qu’il en est de ce qui est en considérant le monde « sub specie
aeternitatis ». Mais aussi que, cet être sans corps ne pouvant s’exprimer, il était
contraint de s’exprimer par le truchement de porte-parole – tels que juges, magistrats,
prêtres, professeurs, etc. Ces derniers, même lorsqu’ils sont officiellement mandatés et
autorisés, ne sont néanmoins que des êtres corporels ordinaires – situés, intéressés,
libidineux, etc. –, et par là condamnés, comme nous tous, à la fatalité du point de vue,
au moins quand ils ne sont pas supposés s’exprimer en tant que délégués d’une
institution. C’est la raison pour laquelle on les dote souvent de marques symboliques
spécifiques (tels qu’uniformes, formes rhétoriques imposées, etc.) pour rendre
manifestes les occasions dans lesquelles ils s’expriment, non en leur nom propre et
depuis leur corps propre, mais au nom, précisément, d’une institution qui est censée
investir leur corporéité des propriétés d’un être sans corps.
38 Il reste que, l’apparence extérieure de ces porte-parole ne pouvant se modifier que
faiblement selon qu’ils se présentent dans leur être ordinaire ou dans leur modalité
institutionnelle, aucun signe ne permet d’avoir un accès suffisamment sûr à leur
intériorité pour être certain qu’ils ne trompent pas et que celui que l’on voit et écoute est
bien l’institution incarnée et non un individu comme vous et moi.
39 De là, une profonde ambivalence à l’égard des institutions, qui est inhérente à toute
vie sociale. D’un côté, on fait confiance aux institutions, on « croit » en elles. Comment
faire autrement puisque sans leur intervention, l’inquiétude sur ce qui est ne pourrait
que croître avec les risques de discorde, de violence ou au moins d’éparpillement dans
des langages privés que cela suppose. Mais, d’un autre côté, on soupçonne que ces
institutions ne sont que des fictions et que seuls sont réels les êtres humains qui les
composent, qui parlent en leur nom et qui, étant dotés d’un corps, de désirs, de
pulsions, etc. ne possèdent aucune qualité particulière qui permettrait de leur faire
confiance.
40 Je propose de voir dans cette tension une contradiction indépassable, qui est en
quelque sorte au fondement de la vie sociale commune, que j’appellerai la contradiction
herméneutique. Elle pose le dilemme suivant. Il consiste soit à renoncer à la tâche
consistant à dire ce qu’il en est de ce qui est (en soi, pour tous, etc.) au profit d’un
échange de points de vue, avec le risque,non seulement de ne pas parvenir à une
clôture, même provisoire, de la discussion et de l’interprétation, mais surtout d’aboutir
à une véritable fragmentation sémantique empêchant toute formation d’un sens
commun, et, à terme, à la violence. Soit à déléguer la tâche de dire ce qu’il en est de ce
qui est à ces êtres sans corps que sont les institutions, mais au prix d’une inquiétude
permanente quant à la question de savoir si les porte-parole qui permettent à
l’institution de s’exprimer traduisent bien la volonté de cet être sans corps ou ne font,
sous apparence de lui donner la parole, que d’imposer leur propre volonté de façon à
satisfaire leurs désirs égoïstes, ceux d’êtres corporels comme vous et moi.
41 Cette contradiction peut prendre des formes différentes en fonction du régime
politico-sémantique prépondérant. Ainsi, par exemple, dans un régime politico-
sémantique où les institutions qui disent ce qu’il en est de ce qui est sont comprises
dans des architectures fondées sur des formes de représentation du corps politique (ou
du « peuple »), la contradiction se manifestera souvent sous la forme d’une suspicion à
l’égard des représentants (c’est ce que l’on peut appeler la forme rousseauiste de la
contradiction herméneutique). Par contre, dans un régime politico-sémantique fondé,
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17/03/2024, 08:12 Institutions et critique sociale. Une approche pragmatique de la domination
comme c’est de plus en plus fortement le cas dans les démocraties occidentales, sur
l’expertise, que cette dernière se réclame des sciences dites exactes, des sciences
économiques ou des autres sciences sociales, la contradiction se manifestera sous la
forme d’un antagonisme entre réalisme vs consructionnisme, ce qui explique que cette
opposition, surtout d’ordre épistémologique à l’origine, soit devenue aujourd’hui l’une
des principales ressources engagées dans les conflits politiques (comme on l’a vu, par
exemple, dans les conflits politiques récents portant sur la question de l’homosexualité,
de l’avortement et du statut du fœtus – voir Boltanski, 2003 –, mais aussi dans nombre
de conflits portant sur des thématiques d’ordre écologique, etc.).

La possibilité de la critique
42 C’est l’inquiétude suscitée par la contradiction herméneutique qui ouvre une brèche
dans laquelle la critique peut s’engouffrer. Sans elle, les personnes seraient en effet
continuellement sous l’empire des formes de confirmation dépendant des institutions et,
par conséquent, entièrement plongées dans un monde traité comme allant de soi, sans
être en mesure de prendre à l’égard de ces formes une position d’extériorité relative de
façon à les mettre en question. Mais on peut aussi imaginer, peut-être, une autre
alternative dans laquelle elles seraient constamment et à propos de tout dans le
scepticisme le plus radical. À la différence de ces positions absolues et jamais (ou
pratiquement jamais) attestées, l’existence de la critique prend précisément appui sur la
possibilité de donner son adhésion et de douter et aussi, souvent à propos des mêmes
objets, de basculer entre ces deux positions – autant de mouvements qui trouvent leur
principe dans l’incertitude qui vient de l’impossibilité d’en finir une fois pour toutes avec
la contradiction herméneutique.
43 Il s’ensuit que constater que la vie sociale fait très généralement appel, face au litige
ou à sa menace, à des instances susceptibles de dire ce qu’il en est de ce qui est, ne
conduit pas nécessairement à considérer que la socialité serait, en quelque sorte par
essence, totalitaire ou « fasciste ». Car, faisant face aux institutions qui disent ce qui est,
se tient la possibilité de la critique, sans doute présente également, mais à des degrés
divers et sous des formes différentes dans toutes les sociétés. D’ailleurs, si elles étaient
aussi sûres de leur fait qu’on l’affirme souvent, les institutions pourraient s’épargner
bien du travail en le disant une seule fois, c’est-à-dire une fois pour toutes. Or, comme le
montre notamment l’étude des formes rituelles ou cérémonielles, mais aussi celle du
droit et de toutes les autres modalités de mises à la norme, les institutions sont acculées
à la tâche de redire sans cesse ce qu’elles veulent dire, comme si les affirmations les plus
péremptoires et, en apparence, les plus imparables étaient toujours confrontées à la
menace du déni, ou encore comme si la possibilité de la critique ne pouvait jamais être
complètement écartée. C’est la raison pour laquelle on peut dire des institutions,
considérées dans leurs dimensions sémantiques, qu’elles sont des instances de
confirmation. Les institutions doivent ainsi non seulement dire ce qu’il en est de ce qui
est et ce qui vaut, mais aussi sans cesse le reconfirmer, pour tenter de protéger un
certain état de la relation entre formes symboliques et états de choses des attaques de la
critique.
44 Confirmation et critique doivent donc être considérées comme deux fonctions qui
s’entredéfinissent mutuellement et n’existent que l’une par l’autre.

La distinction entre trois genres


d’épreuves
45 Dans un cadre de ce type, le monde social est soumis à trois genres d’épreuves. Je
distinguerai ainsi, d’une part, un genre d’épreuves mis en œuvre par les institutions,
prises au sens large, c’est-à-dire les instances de confirmation dotée d’une fonction
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17/03/2024, 08:12 Institutions et critique sociale. Une approche pragmatique de la domination
sémantique. J’appellerai les épreuves de ce genre des épreuves de vérité. Je
proposerai, d’autre part, la possibilité de deux autres genres d’épreuves mises à profit
par la critique. J’appellerai les premières des épreuves de réalité, dont la réalisation
est plutôt mise au service d’une critique que l’on peut dire, pour aller vite, réformiste.
J’appellerai les secondes des épreuves existentielles. Lorsque la critique s’en empare,
elle les fait plutôt servir à une critique que l’on peut dire radicale.
46 Donnons maintenant un signalement provisoire de ces trois genres d’épreuves, en
commençant par les épreuves de vérité.
47 Les épreuves de vérité sont mises en œuvre par les instances de confirmation. Elles
ne se préoccupent pas de ce que le monde est réellement ici et maintenant, mais
s’attachent à déployer de façon stylisée, avec une visée de cohérence et de saturation, un
certain état préétabli de la relation entre formes symboliques et états de choses de façon
à sans cesse le reconfirmer. On peut ainsi voir, par exemple, dans nombre de rituels ou
de cérémonies, des épreuves de vérité attachées à conférer à l’étant les propriétés d’une
bonne forme (au sens de la Gestalt susceptible de se détacher sur ce fond que constitue
le cours du monde abandonné à l’opacité et à l’indistinction).
48 Il reste que cette façon d’opérer ne suppose pas et ne permet pas un accès à la réalité,
notamment parce que tout événement nouveau est soit réincorporé, comme s’il avait
toujours été là, soit traité comme simple accident dénué de signification. Ces mises en
forme et en représentation d’un monde cohérent méritent bien le nom d’épreuve pour
la simple raison qu’elles peuvent toujours échouer, comme en témoigne l’anxiété qui
préside à leur préparation. Même en l’absence d’une volonté critique, elles peuvent en
effet échouer parce que le monde peut se manifester de façon intempestive et
anarchique pendant le cours de la démonstration et mettre l’ordre recherché en échec.
Cela vaut particulièrement pour les êtres non-humains – objets, machines, animaux –
qui, étant peu sensibles à la beauté et à la grandeur des ordres rendus palpables dans
leurs dimensions symboliques, peuvent simplement se soustraire aux attentes mises en
eux et ne pas agir correctement.
49 Les épreuves de réalité sont mises en œuvre pour faire face à la critique dans une
situation de dispute, toujours susceptible de conduire à la violence. Elles prennent
appui sur la réalité, c’est-à-dire sur une construction (comme le dit bien la thématique
de la « construction sociale de la réalité ») au sens où leur possibilité repose sur
l’existence de formats d’épreuves,plus ou moins explicites et plus ou moins codifiés,
auxquels peuvent être éventuellement confrontées les épreuves mises en œuvre ici et
maintenant dans des situations spécifiques. Par le truchement de ces épreuves de
réalité, les prétentions des acteurs sont soumises à des tests, de façon à ce que ce qu’ils
prétendent (et souvent croient) être leurs capacités (ou leurs puissances) – dissimulées
dans leur intériorité – soit révélé par des actes qui les confrontent au monde des objets,
c’est-à-dire à quelque chose (ou quelqu’un, mais dans ce cas une personne est
assimilable à un objet) qui, leur étant extérieur (sur le partage intérieur/extérieur, voir
Descola, 2005), est réputé ne pas être directement sous l’empire de leur volonté et donc
susceptible de dévoiler l’être en soi de ces puissances incarnées. La critique, lorsqu’elle
se soumet à des épreuves de réalité, doit rendre crédible une démonstration reposant
sur des preuves.
50 Quand une personne ou un groupe animé par des dispositions critiques s’engagent
dans une épreuve de réalité, c’est bien pour faire reconnaître par d’autres (et le plus
souvent, en principe, par tous) la validité de leurs prétentions et le caractère factuel de
l’injustice dont ils ont fait l’objet. Mais, ce faisant, ils reconnaissent ce que l’on pourrait
appeler la réalité de la réalité, c’est-à-dire la validité des agencements qui se trouvent à
la fois garantis, au moins en principe, et reproduits par les formats institués d’épreuves.
C’est le cas chaque fois, par exemple, que quelqu’un en appelle au droit, au règlement, à
la mise en œuvre d’une procédure qui exige d’être respectée pour que la réalité soit
rétablie dans son être, c’est-à-dire soit rendue conforme aux formats qui disent
comment la construire pour qu’elle soit ce qu’elle est.
51 Ce que j’appelle les épreuves existentielles peut également être utilisé par la critique.
Mais tandis que les épreuves de réalité prennent appui sur des tests correspondant à un
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17/03/2024, 08:12 Institutions et critique sociale. Une approche pragmatique de la domination
format prédéfini (notamment, mais pas uniquement, par le droit), les épreuves
existentielles sont éprouvées – ou, comme on dit, « vécues » –, sans pouvoir être
facilement formulées et thématisées parce que leur format n’est pas préétabli. Elles
sont, pour cette raison, souvent dites « subjectives », ce qui permet, lorsque celui qui les
éprouve cherche à les rendre publiques, d’en dénier la réalité (on pourra alors dire de
celui qui se plaint qu’il est trop « sensible », qu’il a « mal interprété », voire qu’il est
« paranoïaque », etc.). Tandis qu’une critique réformatrice prendra le plus souvent pour
cible la conformité des épreuves de réalité à leur format, une critique radicale pourra
chercher à prendre appui sur des épreuves existentielles (souvent mises au jour grâce au
travail critique accompli par les arts, la poésie, le roman, etc.) avec pour visée de faire
sortir de l’ombre ce qui s’y joue et, au moins en certains cas, d’aller vers la mise en place
de nouvelles épreuves de réalité (que l’on pense par exemple au travail réalisé dans le
cas de l’homosexualité avec la transformation des épreuves en soi qui étaient celles de
nombreux homosexuels confrontés de fait au mépris ou à la violence, en cette épreuve
pour soi qu’a permis de constituer la définition d’un délit d’homophobie).
52 La critique, lorsqu’elle entreprend – en prenant appui sur des épreuves
existentielles – de donner en partage et de mettre sur la place publique des expériences
douloureuses – comme celle du mépris ou du déni – vécues jusque-là dans la solitude et
dans l’intimité, se donne pour tâche de défaire les relations déployées par les épreuves
de vérité mais aussi établies, bien que sous une forme problématique, par les épreuves
de réalité, entre formes symboliques et états de choses. Elle doit alors prendre appui sur
le monde de façon, notamment, à être en mesure d’exhiber de nouveaux exemples
susceptibles de mettre en doute le caractère universel des relations confirmées ou d’en
dévoiler les aspects contradictoires.

La fabrication de la fragmentation
53 Bien que les épreuves existentielles, dont une critique radicale peut tirer parti, se
manifestent d’abord dans le cours des expériences que vivent les personnes, il faudrait
se garder de rabattre la relation entre instances de confirmation et capacités critiques
sur le plan de l’opposition entre le collectif et l’individuel ou entre « holisme » et
« individualisme ». Contrairement aux représentations idéologiques sur lesquelles
prend appui, depuis le xviiie siècle, la « parole pamphlétaire » – pour parler comme
Marc Angenot –, le porteur de la critique n’est jamais un sujet isolé, une « conscience
solitaire » clamant, à ses risques et périls, depuis le désert, avec l’espoir de réveiller un
troupeau passif et grégaire et, pour les mêmes raisons, l’analogie entre critique et
prophétie, telle que la développe Michael Walzer, trouve ici ses limites.
54 Ce que j’ai désigné jusqu’ici par le terme général de critique n’est pas une instance
métaphysique, dans la tradition de l’idéalisme. Son déploiement repose sur un travail
qui a pour objet le lien – le lien social – et qui consiste à dénouer des relations pour en
établir d’autres. Il ne s’agit donc pas non plus de la substitution de l’autonomie à
l’hétéronomie au sens des Lumières. Le travail du lien consiste, au contraire, à déployer,
souvent sur un mode catégoriel, des propriétés, traitées jusque-là comme contingentes
ou comme secondaires, de façon à en faire le support de classes, qu’il s’agisse de classes
au sens des « classes sociales » ou encore des genres et/ou des orientations sexuelles, ou
encore de la relation à la nationalité ou à l’ethnicité, etc.
55 En poussant l’argument à la limite, on pourrait dire, au contraire, que les
institutions ne manifestent jamais aussi bien leur puissance que quand elles exercent
le pouvoir de séparer, d’isoler, d’individualiser. En effet, les institutions, en tant
qu’instances sémantiques, sont aussi des instruments dont les activités classificatoires
ne trouvent pas leur finalité en elles-mêmes, mais sont orientées vers la formation de
règles et, notamment, de règles qui assurent une coordination entre les acteurs. C’est
par l’intermédiaire de ces règles que l’activité institutionnelle contribue à performer la
réalité. Or, la constitution des sujets dans la perspective du suivi d’une règle (aussi
utopique que soit ce projet, puisque personne ne peut vraiment agir en suivant une
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règle) consiste à envisager chacun en tant qu’il peut se conformer à la règle ou la
transgresser, obéir ou désobéir, être coordonné avec d’autres ou se soustraire à cette
volonté de coordination, c’est-à-dire à envisager chacun séparément, c’est-à-dire,
précisément, en tant qu’individu. Contrairement donc au lieu commun de l’institution
qui rassemble, en tant qu’entité « supra-individuelle », on peut dire que le travail
qu’exerce l’institution sur le corps social est d’abord un travail de fragmentation.
Chacun est séparé des autres pour être tourné, dans la solitude, vers le lieu vide du
pouvoir. Et cette opération est nécessaire pour absolutiser la réalité, c’est-à-dire pour
forclore la référence, même imaginaire, à toute autre réalité possible.
56 Dans cette optique, ce qu’on appelle le travail de libération se met en branle lorsque
des acteurs, quittant l’optique de la règle, en viennent à comparer leurs situations
respectives et à se demander par exemple pourquoi, lorsque chacun ne fait que suivre
les règles (ou tente de le faire, puisque c’est impossible), ce sont toujours les mêmes qui
satisfont à toutes ou à la plupart des épreuves, quel que soit le monde ou quelle que soit
la cité dont elles relèvent et, inversement, pourquoi ce sont toujours les mêmes qui, face
à toutes les épreuves, ou presque, se révèlent médiocres (des petits dans le langage de
De la justification). Et c’est dans le cours de ce travail de rapprochement, associé à la
mise en place de nouveaux principes d’équivalence, que se constituent des collectifs
d’individus à partir desquels la critique peut se redéployer comme, par exemple,
lorsqu’une femme, qui avait toujours, jusque-là, été telle mais en quelque sorte sans le
savoir, s’adresse tout à coup à un autre et, particulièrement à un homme, en insistant
dans son énoncé sur le fait qu’elle le prononce « en tant que femme ».
57 En quoi consiste le travail de domination ?
58 Le paradoxe de l’institution (qui est au principe de l’ambivalence manifestée par la
sociologie à son égard) peut être résumé de la façon suivante. Oui, les institutions sont
bien, comme l’a répété à foison le discours théorique des années soixante/soixante-dix,
des instruments susceptibles d’être mis au service d’une domination et, en ce sens, elles
contraignent l’action et l’enferment dans des limites plus ou moins étroites. Et pourtant,
comme n’a cessé de le répéter la tradition durkheimienne, elles sont, sous un autre
rapport, nécessaires en tant qu’elles réduisent l’incertitude sur ce qui est – et c’est une
condition de possibilité de l’action.
59 Il s’ensuit qu’on ne peut pas se contenter de superposer institutions et domination
sans s’interroger sur la « pente » (pour reprendre un terme que Rousseau emploie
quand il parle de la « pente à dégénérer » du pouvoir des représentants) qui entraîne les
institutions vers la domination, ce qui est aussi une condition pour chercher à
l’entraver.
60 Si l’on admet, d’une part, que la critique ne se réalise qu’en s’enracinant dans des
collectifs d’individus et, d’autre part, que la constitution de ces collectifs suppose le
détachement par rapport aux qualifications et aux formats d’épreuve institués, et aussi
par rapport aux règles qui s’ensuivent, au profit d’une attention portée à des propriétés
traitées jusque-là comme contingente, il faut se demander comment le travail de
qualification et d’institutionnalisation des formats d’épreuve et des règles entrave la
critique en favorisant la fragmentation.
61 Sans entrer dans le détail, on peut envisager, pour finir, deux façons de maintenir les
personnes dans la fragmentation, c’est-à-dire de les dominer. Dans le premier cas je
parlerai, faute de mieux, d’effets de domination simple et, dans le second, d’effets de
domination complexes.

Première modalité : les effets de


domination simple et le déni de réalité
62 On peut identifier des effets de domination simple dans deux genres de situations.
63 D’une part, dans des situations limites associées à des contextes où les personnes sont
partiellement ou complètement privées des libertés élémentaires et dans lesquelles de

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17/03/2024, 08:12 Institutions et critique sociale. Une approche pragmatique de la domination
profondes asymétries sont maintenues ou créées en mettant en œuvre une violence
explicite et, notamment, mais non exclusivement, physique. Il me semble cependant
préférable dans les cas de ce genre, dont l’esclavage absolu constitue le paradigme, de
parler d’oppression. Mais on peut également invoquer l’oppression dans nombre de cas
de figure moins extrêmes, où le maintien d’une orthodoxie est obtenu par les moyens
d’une violence, notamment d’une violence policière, visant à étouffer la critique. Dans
des situations d’oppression, la possibilité que des personnes se reconnaissent quelque
chose en commun en le constituant sous d’autres rapports que ceux pris en compte par
les classifications officielles est simplement exclue. Comme le montre la littérature sur
l’esclavage (sans même parler du cas extrême des camps de concentration), le collectif
est impossible ou très difficile à établir. La fragmentation est totale et, par là,
l’éventualité de la critique est simplement exclue, comme peut même l’être aussi la
simple possibilité de poser des questions sur ce qui se passe (« ici, on ne pose pas de
questions »). Critique et questionnement étant évacuées, la justification n’a pas non
plus lieu d’être. Ces situations peuvent également se passer pratiquement d’idéologies
(au moins en direction des dominés, sinon des dominants), puisque la coordination des
actions est obtenue directement par la violence ou par sa menace. De même, et pour les
mêmes raisons, les dispositifs de confirmation sont réduits au minimum. Étant donné
l’impossibilité de poser des questions sur ce qui est, la présence d’instances visant à
confirmer que ce qui est est vraiment, est inutile.
64 Mais on peut aussi, d’autre part, parler d’effets de domination simple dans des
situations moins extrêmes où la critique paraît, dans une certaine mesure, possible
(bien que les acteurs ne sachent jamais dans quelle mesure ni jusqu’où ils peuvent aller
sans que les coûts de la critique deviennent exorbitants) et où des justifications sont
données par les acteurs ou les instances qui mettent en œuvre les effets de domination.
Dans ces contextes, la différence principale passe entre l’officiel et l’officieux. En effet,
les justifications officielles ne sont pas confrontées à la réalité. Il existe bien quelque
chose comme des épreuves de réalité rapportées à des formats. Mais personne n’est en
mesure de contrôler la conformité du déroulement et du résultat des épreuves mises en
œuvre de façon locale, ici et maintenant, au format auquel elles sont censées
correspondre. De même, des exigences de justice (méritocratique ou sociale) peuvent
être officiellement reconnues comme, par exemple, des exigences de réversibilité des
états de grandeur (« égalité des chances ») ou encore de séparation des formes
d’évaluation des capacités visant à entraver le « cumul des handicaps », mais elles sont
cantonnées dans des déclarations sans s’accompagner des dispositifs qui permettraient
de les mettre en pratique.
65 Dans ce genre de contexte, la critique, quand elle est possible, demeure sans effets
réels. Quant aux justifications, elles se dégradent en simples prétextes et prennent la
forme de paroles verbales – comme le disent ceux à qui elles sont destinées et qui, loin
d’être toujours abusés, développent le plus souvent des interprétations réalistes, c’est-à-
dire sans illusions, de la condition qui leur est faite. Dans ces contextes, un savoir
officieux se constitue à partir des expériences quotidiennes, savoir auquel il est interdit
de se rendre public. Les acteurs, pour diminuer les contraintes qui pèsent sur eux,
développent en effet une compétence interprétative spécifique visant à identifier des
espaces de liberté en mettant à profit les failles dans les dispositifs de contrôle. C’est
dire aussi que les personnes « ordinaires » qui subissent ces effets de domination ne
perdent ni leur sens de la justice, ni leur désir de liberté, ni la justesse de leurs
interprétations quant à ce qui se passe en réalité, ou, si l’on veut, leur lucidité.
66 Face à cette lucidité et pour éviter qu’elle ne conduise à la formation de collectifs
critiques, c’est-à-dire pour maintenir la fragmentation, les instances qui ont la charge
de soutenir un certain état de ce qui est et de ce qui vaut et de faire appliquer la règle
doivent reconfirmer régulièrement cet ordre établi par un déploiement spectaculaire
des épreuves de vérité (rituels, cérémonies, défilés, octroi de décorations, etc.) et,
d’autre part, quand cela ne suffit pas, en faisant appel aux administrations détentrices
des moyens de violence (habituellement dépendantes de l’État) de façon à maintenir
leur domination par le truchement d’une répression. L’objectif recherché peut donc être
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caractérisé par le refus du changement et les moyens mis en œuvre ont quelque chose à
voir avec l’état de guerre contre un perpétuel ennemi de l’intérieur. C’est, dans ce cas, le
refus du changement qui permet de maintenir durablement des asymétries profondes
(entre genres, entre classes sociales, entre groupes identitaires, etc.), préservant ainsi
les avantages pour les dominants d’une exploitation des dominés.

Deuxième modalité : les effets de


domination complexe
67 Les effets de domination que l’on peut appeler complexes caractérisent les sociétés
capitalistes-démocratiques contemporaines. Une des caractéristiques de ces sociétés
est d’avoir rompu avec un modèle de domination simple, au moins officiellement et
quand le niveau de ce qui les menace n’est pas trop élevé. Une des caractéristiques de
ces sociétés est de reconnaître la légitimité de la critique, au moins lorsqu’elle s’exprime
dans des formes reconnues, et même, quand la force des mouvements critiques
augmente, de prétendre les incorporer, voire les institutionnaliser à leur tour. Toutefois,
ces régimes demeurent orientés vers l’idéal de la fragmentation. Et cela
particulièrement dans les périodes historiques où des mouvements collectifs porteurs
de critique sont parvenus à s’établir.
68 Dans ces situations, la fragmentation n’est plus obtenue en s’opposant au
changement, pour maintenir coûte que coûte une orthodoxie, mais, au contraire, par
l’intermédiaire du changement. L’instrument du changement permet de défaire la
réalité dans laquelle des collectifs critiques étaient parvenus à s’inscrire, en modifiant
les qualifications, les formats d’épreuve et les règles jusque-là en vigueur, de façon à
faire disparaître les prises et les repères que ces mouvements avaient utilisés pour se
constituer. Plus généralement, les interventions sur le droit, la redéfinition des
qualifications et des formats d’épreuve, le déplacement des frontières et des contours
des unités, l’infléchissement des règles ou de leur interprétation et, particulièrement,
des règles officielles de sélection, modifient sans cesse la réalité et tendent à désorienter
les acteurs qui subissent ces changements. Ils perdent les points saillants qui leur
avaient permis d’avoir certaines prises sur la réalité. Mais, dans ces conditions, le travail
consistant à puiser, cette fois dans le monde, par le truchement des expériences
existentielles, des manières d’être, des propriétés ou des contraintes susceptibles de
donner appui à la formation de nouveaux types de liens n’est pas non plus à portée de la
main. En effet, la désorientation par rapport à la réalité brouille l’expérience
existentielle du contraste entre la réalité et le monde. Comment distinguer la vie telle
qu’elle est, telle qu’elle est vécue ou telle qu’on désirerait qu’elle soit, de la
représentation qu’en donne un ordre officiel quand les contours de ce dernier
s’estompent et qu’il devient très difficile de s’y orienter ?
69 Il s’ensuit un affaiblissement considérable de la critique. Cela vaut d’abord pour ce
qui est d’une critique que l’on peut appeler réformiste, prenant appui sur les épreuves
de réalité. Sachant que cette dernière consiste, pour dire vite, à dénoncer le décalage
entre, d’une part, les règles, les qualifications et les formats officiels d’épreuve et,
d’autre part, la façon dont ils sont mis en œuvre dans les situations concrètes de la vie
quotidienne, on comprend que le brouillage des formats institués, qui est la
conséquence de leurs changements permanents, rend cette opération des plus
incertaines. Mais cela vaut aussi pour une critique radicale qui, ne se contentant pas de
mettre en tension les formes symboliques et les états de choses, entreprend d’introduire
dans la réalité de nouveaux repères puisés cette fois dans le monde.
70 Un régime de ce type s’est mis en place, de façon particulièrement exemplaire, dans
les années qui ont suivi Mai 1968 (particulièrement en France sous l’impulsion de
Giscard d’Estaing) et l’on peut dire qu’il n’a cessé de se renforcer depuis lors. Une de ses
caractéristiques est de présenter le changement comme étant à la fois inéluctable et
souhaitable. C’est une nécessité qu’il faut vouloir.

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17/03/2024, 08:12 Institutions et critique sociale. Une approche pragmatique de la domination
71 Ce rapprochement, étrange quand on y pense, de la volonté et de la nécessité, que l’on
a souvent associé aux régimes totalitaires se réclamant d’une philosophie déterministe
de l’histoire, constitue pourtant un lieu commun des modes de gouvernance du
capitalisme avancé. Le changement en question n’est pas tant un changement domicilié
dans le présent immédiat qu’un changement qui s’annonce. Son caractère nécessaire
n’est pas actuel mais futur. On ne le connaît pas encore, ou pas encore complètement. Il
faut donc faire appel à des experts équipés d’une science sociale (économie, sociologie,
statistique, science politique, etc.) et de centres de calculs et de prévision pour concevoir
maintenant ce changement qui s’imposera à tous, mais plus tard et de toute façon. Et il
faut bien le vouloir puisque, les forces qui le meuvent ayant un caractère inexorable, on
ne peut pas faire autrement et que, en tant que « responsables », on doit chercher à en
tirer parti.
72 On peut alors modifier le droit, qui, dans nos sociétés, constitue toujours le point
d’appui légitime auquel sont adossées les procédures réglant les épreuves les plus
importantes (notamment les épreuves de sélection), par exemple le droit du travail, ou
le droit fiscal, ou le droit de la propriété, ou celui de la finance, etc., pour l’adapter aux
nouvelles réalités qui s’annoncent. Mais le même genre d’opérations peut s’étendre de
proche en proche dans des domaines beaucoup plus éloignés de ce que l’on appelle
« l’économie », comme les dispositifs d’aide sociale, le système d’éducation, les
modalités d’encadrement de la vie artistique et intellectuelle, etc. (voir notamment
Ogien, 1995). Dans tous ces domaines, le fait de prendre appui sur des données d’ordre
macrosocial, en sorte qu’elles ne peuvent être produites que par des experts opérant sur
la base de centres ce calcul de grande envergure et, par exemple, sur des données
comptables et/ou statistiques (Genieys, 2008), leste le changement des épreuves d’un
poids de nécessité sans lequel il pourrait apparaître comme arbitraire ou, ce qui revient
au même, comme lié à des intérêts spécifiques.
73 Il faut souligner un trait particulièrement important de ce mode de gouvernance
autour duquel se nouent aujourd’hui des liens nouveaux entre le capitalisme et l’État,
consolidés par l’échange entre techniques de management et procédures de
légitimation. Il s’agit, pour dire vite, du caractère instrumental, strictement
gestionnaire des interventions et de leurs justifications, qu’elles soient orientées plutôt
vers le changement de la réalité ou vers celui des épreuves. Les mesures adoptées,
toujours nécessairement nécessaires, trouvent leur principe de nécessité dans le respect
d’un cadre, le plus souvent comptable (voir par exemple Chiapello, 2007) ou
juridictionnel, sans exiger un large déploiement de discours idéologiques ni, surtout, la
mise en place d’épreuves de vérité (au sens défini plus haut) mettant en valeur la
cohérence d’un ordre sur le plan symbolique ; épreuves de vérité dont le rôle est si
important dans le cas des formes de domination orientées vers le maintien d’une
orthodoxie, y compris, si nécessaire, par la répression. Dans le cas de la domination par
le changement, tout se fait sans apparat et sans affectation de grandeur. Le caractère
technique des mesures rend difficile, voire d’ailleurs inutile, leur transmission à un
large public. Rien, ou presque, ne vient assurer la cohérence d’ensemble si ce n’est
précisément le cadre comptable et/ou juridictionnel général auquel les mesures
particulières doivent s’ajuster4. Ces cadres comptables et juridictionnels – ce
« gouvernement par les normes », comme dit Laurent Thévenot – reposent sur une
extension de la logique du management, qui est un art de la fragmentation ou plutôt,
l’art de coordonner des individus détachés de leur appartenance et donc substituables
les uns aux autres, en les plaçant, chacun pris séparément, sous l’emprise de la règle (ce
qui fut la grande idée de Taylor). Cela sans nécessairement qu’ils en aient eux-mêmes
conscience, et dans la visée purement instrumentale du profit.

La possibilité d’une classe dominante


74 La problématique des classes sociales, quand, prenant un tour substantialiste, elle se
donne quelque chose comme un espace homogène de la société lui-même divisé en
https://journals.openedition.org/traces/2333 15/20
17/03/2024, 08:12 Institutions et critique sociale. Une approche pragmatique de la domination
classes, conçues tantôt comme des unités antagonistes (comme dans la tradition
marxiste), tantôt comme des unités complémentaires (comme dans la tradition du
corporatisme), tend à concevoir toutes les classes identifiées comme s’il s’agissait
d’ensembles séparés mais formellement similaires, sans souvent s’interroger plus avant
sur les différentes modalités de la formation des liens. Or tout oppose, sous ce rapport,
les dominés et les dominants.
75 La question des classes, comme celle de l’État dans la conception hobbesienne, ne
prend sens que rapportée à une problématique de la force et des rapports de force. Elle
est articulée à la question du nombre. Elle se pose prioritairement quand on se
demande comment un petit nombre peut dominer et exploiter un grand nombre (ce
qui veut dire aussi qu’il n’y aurait aucun sens à parler de domination ou d’exploitation
entre deux personnes conçues comme des monades). Autrement dit, elle est articulée à
la question de savoir comment peuvent être forgés des liens tels que le poids relatif
d’un petit nombre puisse peser plus lourd que celui d’un grand nombre. Cette question
elle-même renvoie aux formes de l’association et de la fragmentation.
76 Les dominés, parce que l’injonction d’obéir à la règle les maintient dans la
fragmentation, doivent, pour accroître leur force, constituer quelque chose comme des
classes, c’est-à-dire contrecarrer la fragmentation à laquelle ils sont assignés, dans la
réalité, en confectionnant des points de repères autour desquels ils puissent se
rassembler, c’est-à-dire, concrètement, en mettant en cause les qualifications, les règles
et les formats d’épreuve en usage. Cela, notamment, en allant chercher dans le monde
des exemples qui contredisent l’ordonnance des formats institués. En ce sens, comme le
veut la tradition marxiste, les classes que les dominés forgent par leurs actions sont des
classes en soi ou ne sont pas des classes.
77 La situation des dominants est tout autre. Tandis que les dominés doivent,pour
accroître leur force, rendre patent ce qui les rapproche et, éventuellement, les
rassemble, les dominants, sauf situation exceptionnelle, ne se définissent jamais comme
une classe. Cela signifie qu’ils n’ont pas besoin de proclamer le lien qui les unit pour le
faire être et le rendre efficace.
78 On peut peut-être articuler cette différence à une relation différente à la règle. Je dirai
que les dominants sont des responsables. On peut les caractériser par le fait qu’ils
détiennent, à des degrés divers, des prises sur la réalité, leur permettant d’agir sur elle,
et cela à une large échelle. La robustesse de ces prises repose sur une pluralité de
moyens (l’occupation de positions de porte-parole institutionnels ou de dirigeants
administratifs, la maîtrise d’une information importante fournie par des centres de
calculs, la possibilité de faire appel aux dispositifs de la violence légitime, etc.). Mais je
voudrais mettre l’accent sur une capacité qui me semble plus fondamentale et qui a trait
au rapport à la règle. Les responsables ont un rapport très particulier à la règle parce
qu’ils la font. Tandis que par rapport à ceux qui doivent obéir, la règle fonctionne
comme un outil de fragmentation, entre ceux qui la font, elle confectionne du lien. Un
des principes de ce lien – qu’il serait trop long d’analyser ici en détail – tient aux
modalités particulières de la connivence qui s’établit entre les responsables. Cette
connivence repose sur un savoir commun qui est le suivant. Chacun sait, et sait que les
autres responsables savent, que la règle est toujours insuffisante pour guider l’action.
Parlez cœur à cœur, en confiance, avec un responsable et il finira toujours par vous dire
que s’il avait suivi les règles, il n’aurait jamais accompli les grandes choses qu’on lui
attribue. Aussi peut-il dire, dans le langage inadéquat de la croyance, qu’il croit aux
règles et, en même temps, qu’il n’y croit pas.
79 On pourrait dire par conséquent que les seuls acteurs qui ont une connaissance
intime de la contradiction herméneutique et qui sont aussi les seuls à maîtriser
l’inquiétude qu’elle suscite et, par là, à savoir s’en servir, dans l’action, sont les
responsables. Parce qu’ils performent la réalité, ils ont toujours la réalité avec eux et
peuvent entretenir avec elle une relation stratégique. Non qu’ils en ignorent les
contraintes mais qu’ils sont susceptibles d’en jouer. C’est bien le principe de réalité qui
est au fondement des liens tacites qui les unissent. Surmontant la contradiction
herméneutique, on peut dire qu’ils sont bien ce qu’ils disent : des individus qui se
https://journals.openedition.org/traces/2333 16/20
17/03/2024, 08:12 Institutions et critique sociale. Une approche pragmatique de la domination
reconnaissentet s’estiment comme tels, et non une bête « classe ». Mais cette accession
à l’individuation, associée à la capacité de surmonter le paradoxe de la règle, ne prend
évidemment sens que si on la met en tension avec la fragmentation à laquelle sont
soumis ceux qui se trouvent placés dans l’obligation d’observer la règle.
80 Le mode de domination dont je viens de donner un rapide signalement ne fait pas que
défaire des collectifs existants porteurs de critiques. Il entrave la formation, au sein des
dominés, de collectifs nouveaux, notamment en cherchant à susciter des attentes dont
la réalisation, conformément à un idéal méritocratique, dépendrait uniquement des
possibilités données aux individus d’exploiter les gisements de capacités qui dorment en
eux : « si on veut on peut ». Mais comme, même si on le veut, on s’aperçoit assez vite
qu’on ne peut pas grand-chose, alors il faut bien que chacun se retourne contre les
autres, c’est-à-dire habituellement ses plus proches : chacun « pourrait » si les autres
(les camarades de classe, les voisins de bureau, les collègues d’atelier ou d’université,
etc.) ne le lestaient pas du poids de leurs propres incapacités. Ce que l’on a appelé,
depuis trente ans, la montée de l’individualisme – le dernier grand récit auquel la
philosophie sociale a daigné croire – doit certainement beaucoup à ces nouveaux effets
de domination, même s’il ne peut pas leur être entièrement imputé.

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Notes

https://journals.openedition.org/traces/2333 17/20
17/03/2024, 08:12 Institutions et critique sociale. Une approche pragmatique de la domination
1 Conférence prononcée le 23 mai 2007 à l’École normale supérieure Lettres et sciences
humaines, à l’invitation de la revue. Ce texte est une version retravaillée par l’auteur de cette
conférence.Présentation par Édouard Gardella et Arnaud Fossier.
2 On remarquera que le lien entre incertitude radicale et état de nature et celui entre
« flottement » des significations et violence (au moins potentielle), est établi par Hobbes
notamment dans le chapitre de Léviathan qui concerne la parole. Les mêmes thèmes sont
développés lorsqu’est abordée la question des contrats (Hobbes, 1971, particulièrement p. 27-36
et 128-143).
3 On peut dire, en ce sens, qu’elle a permis de réaliser, au moins en partie, le programme dessiné
par Pierre Bourdieu dans le premier des ouvrages qu’il a consacré à l’analyse du sens pratique.
4 Dans le cas des politiques publiques, l’un des meilleurs exemples actuels en France de ce mode
de gouvernance est sans doute la LOLF (Loi organique relative aux lois de finances).

References
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Luc Boltanski, “Institutions et critique sociale. Une approche pragmatique de la
domination”, Tracés. Revue de Sciences humaines, #08 | 2008, 17-43.

Electronic reference
Luc Boltanski, “Institutions et critique sociale. Une approche pragmatique de la
domination”, Tracés. Revue de Sciences humaines [Online], #08 | 2008, Online since 01
December 2010, connection on 17 March 2024. URL: http://journals.openedition.org/traces/2333;
DOI: https://doi.org/10.4000/traces.2333

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Published in Tracés. Revue de Sciences humaines, 20 | 2011

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