Vous êtes sur la page 1sur 15

See discussions, stats, and author profiles for this publication at: https://www.researchgate.

net/publication/272462281

La notion de réification. Réification sociale et chosification méthodologique

Article  in  L Homme et la société · January 1992


DOI: 10.3406/homso.1992.2615

CITATIONS READS

5 583

1 author:

Frederic Vandenberghe
Federal University of Rio de Janeiro
90 PUBLICATIONS   1,196 CITATIONS   

SEE PROFILE

All content following this page was uploaded by Frederic Vandenberghe on 10 March 2016.

The user has requested enhancement of the downloaded file.


L'Homme et la société

La notion de réification. Réification sociale et chosification


méthodologique
Frédéric Vandenberghe

Abstract
Frédéric Vandenberghe, Social Reification and Methodological Choice
Analysis of the way Marx, Simmel, Weber, Lukacs and Habermas use the notion of rzification is instructive in developing a
critique of the pseudo-natural and alienating autonomization of social systems that escape human control. In the philosophy of
the social sciences, the notion of reification is used either to criticize the conceptual hypostasis of the realist or holistic social
theorists, to criticize the elimination of the comprehensive or hermeneutic moment by the positivists, or to denounce the reified
consciousness of those who fetishize method.

Citer ce document / Cite this document :

Vandenberghe Frédéric. La notion de réification. Réification sociale et chosification méthodologique. In: L'Homme et la société,
N. 103, 1992. Aliénations nationales. pp. 81-93.

doi : 10.3406/homso.1992.2615

http://www.persee.fr/doc/homso_0018-4306_1992_num_103_1_2615

Document généré le 25/09/2015


La notion de réification.
Réification sociale et chosification
méthodologique.

Frédéric Vandenberghe*

L'expérience de l'autonomie relative des champs socio-culturels,


fonctionnant selon des mécanismes rigoureux et capables d'imposer aux
agents leur nécessité, est l'expérience fondatrice de la sociologie en tant
que discipline relativement autonome. En effet, la sociologie est née de la
découverte de la "seconde nature", c'est-à-dire de la société en tant
qu'ordre objectif, relativement indépendant par rapport aux individus
[Bauman, 1976]. Ainsi s'explique le fait que la notion de réification
(Verdinglichung )1t à première vue ésotérique, se trouve au coeur même
de la sociologie classique. Qu'il s'agisse de Karl Marx, de Max Weber ou
de Georg Simmel, la double problématique du monde réifié et de l'homme
aliéné forme et informe leur oeuvre. Or, ironiquement, les théoriciens de
la réification qui voient les créations humaines se dresser contre leurs
créateurs se voient constamment confrontés au paradoxe de la réification
qui consiste à postuler l'autonomie d'une réalité qu'ils ont créée eux-
mêmes. A force de conceptualiser les construits humains comme des
construits déshumanisés et déshumanisants, ils risquent de prendre leurs
modèles pour la réalité et de dériver vers un réalisme naïf et chosificateur
qui traite les entités abstraites et conceptuelles comme des entités concrètes
et réelles.
Etymologiquement parlant, le mot réification dérive de la contraction
des termes latins res et facere et désigne la transformation effective ou
mentale de quelque chose qui, à l'origine, ne fut pas une chose en une
res. Or, dans sa signification et son usage standard, le terme est
invariablement accompagné par de fortes connotations négatives. Dès lors, il
désigne le devenir-chose de ce qui, en droit, n'est pas une chose. Cette
pseudo-chose peut être, selon le cas, un concept, une personne, une
relation, un processus, le monde social, une marchandise, etc. - la liste n'est
pas limitative. La réification de ces pseudo-choses consiste à leur attribuer
illégitimement, et, selon le cas, une facticité, une fixité, une objectivité,

(*) Aspirant chercheur au "Nationaal Fonds voor Wetenschappelijk Onderzoek"


(Belgique).
1. Pour une introduction à la notion de réification, cf. Arato, 1972 ; Leenhardt,
1978 ; Lobeck, 1977 ; Pitkin, 1987 et Rose, 1978 ; ainsi que le numéro spécial du
Californian Sociologist, 10, 1, 1987.

81
une externalité, une impersonnalité, une naturalité ; bref, une choséité
ontologique qui est jugée inappropriée. Dans tous les cas, la notion de
réification présuppose une ontologie qui, au demeurant, n'est que
rarement explicitée [Thomason, 1980]. Elle est plutôt introduite en
contrebande. Il incombe aux philosophes de l'expliciter- c'est leur tâche.
Dans ce qui suit, nous dresserons une typologie extensive des
usages et des significations du concept, sans pour autant nous limiter à la
tradition marxiste. La nouveauté de cette typologie réside dans la
distinction catégorique que nous effectuons entre la "réification sociale" et la
"chosification méthodologique". Faute d'espace, nous ne pouvons
malheureusement pas démontrer l'utilité de cette distinction pour
l'élaboration d'une théorie post-positiviste et néo-subjectiviste du social.
Disons simplement qu'une telle théorie tient compte de la réification
sociale sans tomber dans le piège de la chosification méthodologique.

Typologie des usages et des significations du concept.

Toute typologie de la réification qui respecte ses matériaux devrait


commencer
sociale" et la
par"chosification
effectuer une méthodologique".
distinction catégorique
L'appellation
entre la "réification
peut être
arbitraire ; la distinction, en revanche, ne l'est pas, bien qu'elle échappe
ordinairement aux commentateurs. La première notion appartient au
domaine de la théorie sociale ; la seconde au domaine de la philosophie
des sciences sociales. Dans ce qui suit, nous développerons d'abord la
notion de réification sociale, ensuite celle de chosification
méthodologique.

La réification sociale

Dans la tradition du "marxisme occidental", les analyses de Marx sont


combinées avec celles de Hegel et de Weber. Histoire et conscience de
classe de Georg Lukacs est considéré comme la "bible" de cette tradition.
La notion de réification y est amplement utilisée à deux niveaux ; à savoir
A] au niveau de la critique sociale et B] au niveau de la critique
idéologique.
Globalement, la réification a trait au fonctionnement autonome, aliéné
et aliénant des systèmes de la culture et de la société modernes et à leur
transformation de moyens en fins pour soi. Certes, les mondes de la
culture et de la société sont des objecti varions de l'homme, des produits
de leur praxis. Mais, dans le cours de leur développement, ces mondes se
sont fatalement complexifies et ils ont été formellement rationalisés à telle
enseigne qu'ils se sont transmutés en de véritables cosmos, fonctionnant
indépendamment de la volonté et des intentions des individus, croisant
leurs plans et leurs desseins, menaçant même - à la limite - leur existence.
Avec Jean-Paul Sartre [1961] on pourrait dire que la praxis s'est aliénée
dans le pratico-inerte et que la finalité s'est renversée en contre-finalité.
Dans la tradition du marxisme occidental, la théorie simmélienne de
la tragédie de la culture et la théorie wébérienne de la rationalisation
formelle sont reprises et rattachées à la théorie marxienne de l'aliénation.
Dans cette optique, le complexe "capitalisme-rationalisation", dont les

82
éléments se renforcent dans un mouvement en spirale, se répercute sur
toutes les sphères de la culture. La superstructure n'est alors plus qu'un
épiphénomène passif de la base. Face à ce Grand Tout socio-culturel,
l'individu s'efface. Il est totalement impuissant et ne comprend pas ce qui
se passe autour et au-dessus de lui2-. Par son attitude de passivité
naturelle, il normalise et légitime le fonctionnement aliéné des structures réi-
fiées. Par son activité passivisée, il les reproduit. La réification devient
alors une fatalité et on aboutit au constat adomien de la "réification totale".

La réification comme fait social.

Dans l'oeuvre de Marx, il y a deux théories de l'aliénation.


(Entfremdung ) qui correspondent chacune à un différent point de départ
théorique [Israël, 1970 et 1976]. La première, qui part du concept du
travail et qui suppose une anthropologie philosophique normative de l'être
générique de l'homme (Gattungswesen), a trouvé son expression
classique dans les Manuscrits économico-philosophiques de 1844. La
seconde, qui part du concept de marchandise et qui repose sur une analyse
structuralo-historique du système capitaliste en tant que système
d'échange généralisé, est exposée dans le Capital.3
Dans le système capitaliste, qui est à proprement parler un système
d'exploitation, le travailleur ne réalise pas ses potentialités spécifiquement
humaines (auto-réalisation dans et par le travail, sociabilité et affinement
des organes de sens), mais il les nie et, par là, il se nie lui-même. Son
travail est aliéné parce que le produit du travail ne lui appartient pas ; il
appartient au capitaliste. Plus l'ouvrier produit de richesses, plus il
s'appauvrit : "Plus l'ouvrier se dépense dans son travail, plus le monde
étranger, le monde des objets qu'il crée en face de lui devient puissant...
plus son produit est important, moins il est lui-même" [Marx, 1968,
p.58]. Ainsi, le processus de travail est devenu le processus d'aliénation
du propre travail de l'homme, car, en travaillant, le travailleur salarié et
exploité a produit son contraire, le capital - cette richesse étrangère qui le
domine et qui l'exploite en usant de lui comme d'un moyen pour produire
de la plus-value.
Or, le capitalisme n'est pas seulement un système de production
basé sur l'exploitation et l'aliénation de la classe laborieuse ; c'est aussi un
système d'échange généralisé. La marchandise y est devenue, selon
Marx, "la forme universelle du produit" [Marx, 1968, p.452], par suite de
quoi la valeur d'échange de la marchandise supplante la valeur d'usage au

2. Dans la sociologie empirico-positiviste, on parle à ce propos de powerless-


ness et de meaning lessness. cf. Seeman M. : "On the meaning of alienation". Cet
article, très discutable et très discuté par ailleurs, forme le point de départ de milliers de
recherches empiriques sur l'aliénation. Pour une bibliographie plus ou moins
complète (7074 références), cf. Van Reden et al., 1980.
3. Contre les structuralistes, il faut insister que ce glissement de point de départ
n'implique nulle coupure entre le jeune Marx "pré-marxiste" et le vieux Marx. Marx
n'a jamais renié son humanisme ; il n'a jamais été le scientifique que feu Althusser a
voulu en faire. On pourrait dire que Marx est resté jeune sa vie durant. Les Grundrisse
le prouvent d'ailleurs. *

83
point que la valeur d'échange apparaît, dans l'attitude naturelle des
échangistes, comme inhérente à la nature même du produit, alors qu'en réalité
elle résulte du travail qui y est incorporé et qui s'exprime comme un
rapport de grandeur entre choses échangées. Le rapport social entre
personnes est médiatisé par le rapport économique entre les choses au point
de s'y confondre. C'est là l'essentiel du fétichisme des marchandises :
"Un rapport social déterminé des hommes entre eux, revêt ici pour eux la
forme fantastique d'un rapport des choses entre elles" [Marx, 1963,
p. 606]. Contre les interprétations "idéologisantes", il faut insister
cependant que l'inversion des hommes et des choses n'est "pas imaginaire,
mais d'une réalité prosaïque" [idem, p.302]. Faute d'un organisme
institué qui règle à la fois la production et la distribution des produits du
travail, les choses dirigent plutôt les hommes que les hommes ne dirigent
les choses.
Pour Marx, l'aliénation du travailleur, de son travail et de ses
produits, de ses contemporains et de son "être générique", ainsi que le
fétichisme des marchandises sont des phénomènes historiquement déterminés
et, donc, passagers. Pour Georg Simmel, par contre, l 'objectivation et
l'autonomisation des formes socio-culturelles, n'obéissant qu'à leur
propre logique objective et immanente, relèvent de la "fatalité universelle"
[Simmel, 1988, p.208].
"La valeur de fétiche que Marx attribue aux objets économiques à l'ère
de la production marchande, n'est qu'un cas particulier, un peu différent,
dans ce destin de nos contenus culturels. Ces contenus tombent sous le
coup du paradoxe suivant : ils sont certes créés par des sujets, mais dans le
stade intermédiaire qu'ils prennent au-delà et en deçà de ces instances, ils
évoluent suivant une logique immanente et deviennent par là même
étrangers à leur origine comme à leur fin" [idem, p. 206].
Or, non seulement les contenus de la culture objective se sont auto-
nomisés, mais par leur accumulation hypertélique ils ont aussi pris une
telle ampleur qu'ils ont fini par dépasser la capacité d'incorporation et
d'assimilation de quiconque. "L'hypertrophie de la culture objective" va
donc de pair avec "l'atrophie de la culture individuelle" [Simmel, 1989,
p. 251]. Ce conflit tragique entre la culture objective et la culture
subjective se poursuit dans le conflit entre l'individu et la société. Pour
Simmel, ce conflit est insoluble parce qu'il est, comme l'a bien remarqué
Raymond Aron, en même temps social et métaphysique [Aron, 1969,
p. 25]. En effet, pour Simmel, la tragédie de la culture n'est que la
reproduction sur le plan historique du tragique de la vie, du flux de la vie
qui, pour s'exprimer et se réaliser, doit s 'auto- aliéner dans des formes
fixes et figées qui l'étouffent. Le caractère tragique de la culture, comme
celui de la vie, vient donc de ce que sa négation est inscrite dans sa nature.
Moins "philosophant" que Simmel, Max Weber n'est pas pour
autant plus optimiste que lui quant à l'avenir de la société occidentale.
D'après Weber, la généralisation de la rationalité formelle et sa tendance à
pénétrer dans toutes les sphères de la vie est le propre de l'Occident - de
là le refrain wébérien "seulement en Occident". La rationalité formelle -
formelle parce que liée à aucun but substantiel - repose sur la calculabilité
maximale des moyens et des procédures, ainsi que sur la prévisibilité des

84
règles abstraites et des activités dans une sphère particulière d'action.
Résultant de l'objectivation de l'activité rationnelle en finalité (Zweck-
rationalitàt ), cette forme de rationalité est désormais une propriété
objective des structures sociales de la société moderne. Elle se caractérise par
l'objectivité, l'impersonnalité, l'anéthicité et la discipline. Qu'il s'agisse
de l'économie capitaliste, de la bureaucratie monocratique ou de la justice
formaliste, "sans le moindre égard pour les personnes" - phrase capitale
pour comprendre la nature de la rationalité formelle objective - a
"fonctionnalité formellement rationnelle" (formale rationale Sachlichkeit )
[Weber, 1978, p.971] menace impitoyablement la liberté et la dignité de
l'homme. Dans ce sens, la rationalisation formelle est rigoureusement
synonyme de la réification.
Historiquement, la bureaucratisation^ la formalisation du droit,
l'expansion du marché et l'émergence des sciences modernes ont toutes
joué un rôle considérable dans la construction de la "cage de fer" de la
modernité [Weber, 1964, p.250-251]. Ces processus, qui ont tous connu
une dynamique autonome, ont été des processus partiels causalement
importants ; mais, c'est seulement leur combinaison et leur conjonction
avec l'éthique protestante ascétique et intra-mondaine qui a pu mettre en
branle la grande transition vers la modernité. La signification culturelle du
protestantisme (Geistder
dépersonnalisation" ascétique relève
Versach-lichung)
du fait qu'il[Schluchter,1981,
a favorisé "l'esprit
p. de
156] et la
réification des relations interpersonnelles. "La conséquence spécifique de
l'ascétisme intra-mondain de l'Occident, conclut Weber, a été
l'objectivation et la socialisation des rapports sociaux (rationale Versachli-
chung und Vergesellschaftung)" [Weber, 1971, p.568].
Par la suite, Georg Lukacs, ce philosophe hégélo-marxiste,
révolutionnaire et millénariste, reprendra la théorie wébérienne de la
rationalisation formelle et, en la rattachant à la théorie marxiste du fétichisme des
marchandises, il formulera la théorie classique de la réification. Le point
de départ de cette théorie, exposée dans "La réification et la conscience du
prolétariat", l'essai central de son Histoire et conscience de classe, est la
généralisation de la théorie du fétichisme au delà de la marchandise. Selon
Lukacs, le fétichisme, phénomène qu'il identifie d'ailleurs d'emblée à
celui de la réification, constitue "le problème central, structurel, de la
société capitaliste dans toutes ses manifestations vitales" [Lukacs, 1984,
p. 109]. L'universalité de la forme marchande, conçue comme prototype
de toutes les formes d'objectivité, fonctionnant selon leurs propres lois et
dissimulant toute trace des relations interhumaines qui les sous tendent,
conditionne, tant sur le plan objectif que sur le plan subjectif toute la vie
extérieure et intérieure.
Dans la sphère du processus de production et de reproduction
matérielle, l'expression la plus achevée de la réification est la transformation de
l'homme en marchandise et en appendice de la machine. Ici, Lukacs
redécouvre, à la suite de Simmel [Simmel, 1981, pp.582 sq.], la théorie de
l'aliénation du travail que Marx avait élaborée en 1844, mais jamais
publiée, et cela en fusionnant la catégorie marxiste du travail abstrait avec
la catégorie wébérienne de la rationalité formelle. En éliminant le caractère
individuel, concret et humain du travail et en le réduisant à des paramètres
quantitatifs, une organisation rationnelle et efficace, calculable et

85
prévisible du travail devient possible (taylorisme). L'ouvrier est alors
incorporé comme partie mécanisée dans un système mécanique qu'il
trouve devant lui, achevé et inhumain, fonctionnant dans une totale
indépendance par rapport à lui. Lukacs estime que dans la société capitaliste la
réification se généralise. La forme intérieure d'organisation d'entreprise
industrielle se révèle alors comme le concentré de la structure de toute la
société. "Le destin du travailleur", conclut Lukacs, est devenu "le destin
de toute la société" [idem, p.l 19].
Finalement, dans sa grandiose Théorie de l'agir communicationnel, .
Jûrgen Habermas reprend et reformule la théorie de la réification dans
le "paradigme de la philosophie de l'entente intersubjective ou de la
communication". Dans cette perspective, la problématique de la réification
n'est plus immédiatement associée au problème de la rationalisation
formelle en tant que telle, comme c'était le cas chez les membres de la
première Ecole de Francfort ; elle est plutôt liée au problème de la
disjonction du système et du monde vécu, ou mieux, au problème de la
colonisation du monde vécu par les sous-systèmes de l'économie et de l'Etat. En
effet, pour Habermas, la disjonction du système et du monde vécu,
rendue possible sur la base d'un monde vécu culturellement rationalisé, ne
relève pas encore de la pathologie sociale. Dans un monde hypercom-
plexe, la substitution du langage dans les sous-systèmes économiques et
administratifs par les médiums régulateurs qui décrochent l'action des
processus d 'intercompréhension et la coordonnent au moyen des valeurs
instrumentales généralisées (l'argent et le pouvoir) qui facilitent
l'intégration et la différenciation des systèmes de l'activité par rapport à
une fin, est tout simplement indispensable. Cependant, la disjonction du
système et du monde vécu devient pathologique lorsque la dynamique
propre des sous-systèmes agit rétroactivement sur les formes de vie
culturelles ; lorsque les mécanismes d'intégration systémique (l'argent et le
pouvoir) refoulent les formes de l'intégration sociale (le langage) hors des
domaines où la coordination de l'action ne peut se faire que par le médium
langagier ; donc lorsque le complexe monétaire-bureaucratique touche et
envahit les sphères qui ne sauraient être intégrées autrement que par la
communication langagière. En une phrase :
"Le transfert sur un autre mécanisme de coordination de l'action aura
pour conséquence une réification, c'est-à-dire une déformation pathologique
des infrastructures communicationnelles du monde vécu, seulement si le
monde vécu est incapable de se retirer des fonctions qui sont touchées, s'il
est incapable d'abandonner sans douleur ces fonctions aux systèmes d'action
régulés par des médiums, comme cela semble être le cas pour la
reproduction matérielle" [Habermas, 1987, t. 2, p.411],

La réification comme phénomène idéologique

La réification comme phénomène idéologique est le corollaire de la


réification comme fait social. Au niveau de la critique idéologique, le
concept de réification est utilisé pour dénoncer la "fausse conscience" en
général et la naturalisation de l'état présent, ainsi que la chosification des
relations sociales en particulier. La théorie marxiste du fétichisme de la

86
marchandise est ici reprise, généralisée et rattachée à la théorie hégélienne
de la positivité.
Incapable d'aller au-delà des apparences immédiates pour atteindre la
réalité plus profonde du devenir historique dans sa totalité et
d'appréhender les rapports dialectiques sous la surface des choses
(l'essence), la caractéristique distinctive de la conscience réifiée est, au
niveau noologique, son engluement dans l'illusion de l'immédiateté. Pour
elle, les choses sont ce qu'elles sont, ou, du moins ce qu'elles semblent
être, ce qui est différent de ce qu'elles sont réellement. Elles ne sont pas
médiatisées, c'est-à-dire placées et interprétées dans le cadre de la totalité
de la société dans son devenir ( das Wahre ist das Game ) ; au contraire,
elles sont fétichisées, c'est-à-dire fixées et figées dans leur facticité et
immuabilité "pseudo-concrète" [Kosik, 1978]. Dès lors, l'historicité des
états de choses et des faits disparaît ; ils ne sont plus dissous en
processus, mais bien plutôt naturalisés et éternalisés.
Nous avons vu que pour Marx le fétichisme des marchandises n'était
pas une simple illusion, mais il le devient lorsque la forme impersonnelle
et objective des rapports sociaux est présentée par les économistes
bourgeois comme un état de choses entièrement naturel. Alors, "le fétichisme
qui caractérise l'économie bourgeoise, trouve son accomplissement : il fait
du caractère social, économique, qui est imprimé à des choses un
caractère naturel de ces choses découlant de leur nature matérielle" [Marx,
1968, p.644]. Dans la "formule trinitaire" des économistes (capital/intérêt,
terre/rente foncière et travail/salaire) qui rapporte la richesse économique à
ce qu'ils croient être ses trois "sources" et aux revenus qui y
correspondent, la source unique de la richesse, en l'occurrence le
surtravail extorqué, est occultée et la formule fait produire la valeur par la
terre et par le capital, par suite de quoi les conditions dans et par lesquelles
la valeur est produite passent entièrement à l' arrière-plan. Les rapports
capitalistes sont alors complètement obscurcis, transmutés en choses,
réifiés :
"Dans cette trinité économique... la mystification du mode de
production capitaliste, la réification [Verdinglichung] - métamorphose des
conditions sociales matérielles en choses - la fusion immédiate des
conditions de la production avec leur détermination historique et
sociale se trouvent achevées ; c'est un monde sens dessus dessous,
où Monsieur le Capital et Madame la Terre, caractères sociaux en
même temps que simples choses, mènent leur danse macabre" [Marx,
1968, p. 1438].
Ici encore, Lukacs reprend, généralise et radicalise les analyses
de Marx au-delà de la critique de l'économie politique. Pour Lukacs, la
pensée bourgeoise, scientifique, philosophique et mondaine, reste par
définition enfoncée dans l'immédiateté de l'apparence et de l'expérience,
car pour elle la catégorie de la médiation comme levier méthodologique
qui permet de placer les faits isolés dans le cadre de la totalité dialectique
et ainsi de dépasser la tendance fixiste et naturaliste de la conscience
réifiée, fait nécessairement défaut. Une triple déformation systématique
en résulte : d'abord, le caractère transitoire des formes d'objectivité
capitaliste et des lois qui les régissent disparaît derrière un voile

87
d'éternité ; ensuite, les relations antagonistes sont cachées derrière un
voile de choséité ; enfin, le caractère culturel des faits sociaux en tant
qu'artefacts socialement construits disparaît derrière un voile de naturalité.
Par cette triple déformation, la conscience réifiée renforce la structure
réifiée de la société capitaliste de sorte que "le monde réifié apparaît
désormais de manière décisive comme le seul monde possible" [Lukacs,
1984, p. 140]4.
Finalement, les phénoménologues se sont emparés de la notion de
réification. On connaît la thèse de Lucien Goldmann à ce propos :
Heidegger aurait repris dans Sein und Zeit la notion de Lukacs sous le
vocable de Vorhandenheit, désignant ce qui est là en face de la main, se
présentant comme indépendant de toute praxis [Goldmann, 1973]. Chez
les sociologues Peter Berger et Thomas Luckmann, la réification de la
réalité sociale, définie comme l'appréhension de l'ordre institutionnel en
termes de facticité non humaine, est également détachée de la réification
sociale objective.
conscience" [Berger
Dès lors,
et Luckmann,
elle apparaît1966,
commep. 107],
une simple
et plus
"modalité
précisément
de la
comme une modalité de robjectification, c'est-à-dire de la distanciation
cognitive de l'homme par rapport au monde humain : "La réification est
l'objectivation sur un mode aliéné" [Berger et Pullberg,1965, p. 200] -
aliéné, car les construits humains sont appréhendés comme des choses,
comme autre chose que des construits humains. Implicitement, les
phénoménologues assument que la prise de conscience du caractère
construit et humain des phénomènes sociaux entraîne ipso facto la déréification
(Anerkennung ist Aufhebung ). Par là même, ils rechutent au niveau de -
l'idéalisme allemand auquel Marx reprochait de vouloir transformer le
monde en se croisant philosophiquement les bras.

La chosification méthodologique

Dans la philosophie des sciences sociales, la notion de réification est


employée à trois niveaux. A chaque niveau correspond un objet.Dans tous
les cas, la notion est employée de façon critique. Cela nous donne le
schéma suivant :
Niveau de la critique Objet de la critique
A) ritique théorique du réalisme holistique Réification des concepts (Réisme)
B) Critique méthodologique du naturalisme positiviste Réification des sujets (Naturalisme)
C) Critique idéologique du fétichisme de la méthode Conscience réifiée (Fétichisme)

Critique du réisme

CLa critique théorique en termes de réification des concepts a trait à


l'opération mentale qui consiste à transformer une abstraction (notion,
représentation, concept. . .) en une réalité matérielle, en un objet concret de
la réalité externe (out there). Il s'agit donc essentiellement d'une critique
nominaliste et/ou constructiviste du réalisme naïf. La réification devient ici

4. Par la suite, la notion de réification est devenue une notion centrale dans la
sociologie de la littérature (cf. Goldmann, 1959 et 1964) et elle a également fait son
entrée dans le vocabulaire de la psychopathologie clinique (cf. Gabel, 1962 et 1972).
synonyme de ce que Alfred North Whitehead a appelé "the fallacy of
misplaced concreteness " [Whitehead, 1930, p. 65 sq]. Ce qui est
généralement dénoncé, c'est l'hypostase des concepts ou des idéaltypes,
ce glissement du substantif à la substance de ceux qui avec un mot font
une chose. C'est le cas, par exemple, des sociologues qui transforment
leurs fantômes conceptuels ou ceux des profanes (Etat, Bourgeoisie,
Prolétariat ... en majuscules) en sujets historiques capables d'agir et de poser
leurs propres fins (l'Etat décide, l'Eglise de France combat, le Prolétariat
glorieux triomphe...). Dans cette logique émanatiste-substantialiste, qui
s'apparente décidément à la logique magico-mythique, le Concept ou
l'Idée est du même acabit que jadis le doigt de Dieu conduisant les
affaires terrestres comme un seigneur conduit son domaine. *
En sociologie, les accusations en termes d'hypostase des concepts
sont chroniques, pour ne pas dire endémiques. Hegel en est accusé par
Marx, Marx par Weber et Simmel, Weber par Parsons, Parsons par
Habermas... Ces diffamations sérielles s'expliquent par le fait qu'en
sociologie il n'y a pas de consensus concernant le statut ontologique des
referents empiriques. Ainsi, les nominalistes affirment que seuls les individus
sont réels et relèguent les groupes ou autres collectifs au statut de simples
entités conceptuelles (entia rationis ) ; les interactionnistes maintiennent
quant à eux que ni les individus ni les groupes ne sont réels, sauf par leur
implication réciproque ; enfin, les réalistes déclarent que les collectifs
sont réels, même plus, qu'ils sont plus réels que les individus qu'ils
déterminent.
Sur ces positions ontologiques s'étayent des positions
épistémologiques ; en l'occurrence l'individualisme, l'interactionnisme et le holisme
méthodologiques.
La doctrine fondamentale de l'individualisme méthodologique, qu'il
soit du type militariste (Boudon, von Hayek, Popper), behaviouriste
(Homans) ou herméneutique (Weber, Watkins), est que les faits et les
phénomènes sociaux qu'on observe au niveau macro-sociologique doivent
invariablement être expliqués en termes de conduite des individus. Les
faits et les phénomènes macro-sociaux sont alors traités comme des effets
d'agrégation qui présentent souvent un caractère émergent, c'est-à-dire
qu'ils se traduisent par l'apparition au niveau collectif de phénomènes non
recherchés par les individus - effets pervers ou heureux qui sont le
produit d'actions visant des objectifs tout autres [Boudon, 1989].
La dimension intersubjective de l'agir est restituée par
l'interactionnisme méthodologique. Dans cette perspective, qui est celle des
diverses micro-sociologies (interactionnisme symbolique, ethnomé-
thodologie, sociologie cognitive, phénoménologie), l'unité
méthodologique pertinente n'est plus l'acteur individuel, mais l'interaction située. Ici
aussi la démarche est réductionniste. Randall Collins [Collins, 1981a], qui
a proposé un programme de "micro-translation" des macro-concepts, est
sans doute le représentant le plus influent du réductionnisme situationnel.
D'après Collins, la tâche de la micro-réduction est de fonder
"gloses"
empiriquement les des
concepts
"réifications",
et les théories
c'est-à-dire
macro-sociologiques
respectivement lesen
macro-concepts
séparant les
qui sont réductibles aux micro-situations et à leur répétition dans le temps
et dans l'espace et ceux qui ne le sont pas :

89
"La réduction nous met à même de découvrir quels macro-concepts et
explications peuvent être empiriquement fondés et lesquels ne le peuvent
pas, et, par là, elle nous permet par un critère strict d'éliminer les
hypostases. Et là où les hypostases font partie des réalités sociales des gens,
nous pouvons clairement les situer dans l'usage cognitif que les gens en
font dans des places et à des moments particuliers" [Collins, 1981b, p. 93].
Ici, on passe de la thèse de l'agrégation numérique, spatiale et
temporelle des interactions situées à la thèse de la représentation [Knorr-Cetina,
1981]. Selon cette thèse, les collectifs exerçant une activité, les prétendues
structures sociales comme l'Etat, le Système, etc. ne correspondent à
aucune réalité empirique ; ce ne sont là que des représentations hyposta-
siées qui,
réels" et qui,
comme
en tant
le dit
quesi telles,
bien Weber,
peuvent
"flottent
avoir et
dans
ont la
effectivement
tête des hommes
une
influence considérable sur l'activité des hommes pour autant qu'elles
l'orientent. [Weber, 1971, pp. 12-23] Ici comme ailleurs, le théorème de
W.I. Thomas s'applique : "Si les hommes définissent les situations
comme réelles, elles sont réelles dans leurs conséquences".
Contre toute forme de réductionnisme, le holisme méthodologique
(Durkheim, Mayhew, Blau) insiste avant tout sur l'irréductibilité et le
caractère sui generis des faits et des phénomènes sociaux, ceux-ci étant
considérés comme indépendants des individus et extérieurs aux
consciences individuelles. Dans cette perspective, hyper-déterministe par
ailleurs, le social doit être expliqué uniquement par le social ; la cause
déterminante d'un fait social doit être cherchée parmi les faits sociaux-
antécédents et jamais parmi les états de la conscience individuelle. Comme
le dit Bruce Mayhew : "Dans la sociologie structurelle l'unité de l'analyse
est toujours le tissu social, jamais l'individu." [Mayhew, 1980, p. 349]
Cet objectivisme déterministe est particulièrement vulnérable à la
critique de la réification, car non seulement il tend à réduire, par son
fétichisme des lois sociales et des variations concomitantes entre les faits
sociaux, le sujet à un automate subjugué par les lois mortes d'une
physique sociale ; mais il tend aussi à personnifier les propriétés structurelles
des systèmes sociaux et à en faire des méta-sujets capables d'exercer une
efficace sociale, d'agir et de contraindre les individus de l'extérieur.

Critique du naturalisme positiviste

La critique méthodologique du naturalisme positiviste5 en termes de


réification du sujet et du monde vécu est liée à la fameuse querelle des
méthodes, qui, depuis le XIXe siècle, divise fondamentalement le champ
sociologique entre les partisans de la méthode explicative des sciences
naturelles (Erklàren ) et ceux de la méthode interprétative des sciences
humaines (Verstehen ).
Dès sa naissance, la sociologie s'est constituée sur le modèle.des
sciences naturelles. Ainsi, Auguste Comte considérait la sociologie, qu'il

5. En Angleterre, les "nouveaux réalistes sociaux" (Bhaskar, Harré, Giddens,


Keat et Urry, Sayer, Benton ... ) essayent d'élaborer, sous l'influence du livre de Roy
Bhaskar A realist theory of science, une théorie naturaliste anti-positiviste du social.

90
avait d'abord nommée physique sociale, comme le prolongement et le
terme final du développement des sciences naturelles. Cette subordination
des sciences humaines aux sciences naturelles fut, à juste titre, critiquée
par Wilhelm Dilthey qui ne pouvait pas accepter le naturalisme de Comte,
c'est-à-dire sa méconnaissance de la spécificité de la réalité
socio-historique. Pour fonder la différence irréductible entre les sciences humaines
(Geisteswissen-schaften ) et les sciences naturelles, Dilthey s'est appuyé
sur le principe vichien du verum factum (verum et factum convertun-
tuf) selon lequel nous pouvons comprendre la réalité socio-historique
parce qu'elle est l'oeuvre de l'homme, ce qui n'est évidemment pas le cas
de la nature qui, elle, est le produit de Dieu et donc toujours déjà là (Rien
de neuf sous le soleil).
La méthode appropriée des sciences humaines est la méthode
comprehensive-interpretative qui vise à réactiver, par la reconstitution des
sigmfications visées, l'activité subjective qui s'est objectivée dans la
réalité socio-historique. Or, le sens visé incorporé dans l'objet ne peut lui-
même être saisi qu'à l'intérieur d'un ensemble significatif dans et par
lequel il prend son sens ("double herméneutique"). Les deux principes de
la compréhension, à savoir la réintériorisation du sens extériorisé
(microcompréhension de l'action - moment phénoménologique) et la
reconstitution de l'ensemble vécu (macro-compréhension de l'ensemble significatif
moment herméneutique) ruinent d'emblée l'idéal positiviste de
l'observation extérieure. Les faits sociaux ont un sens, ils ne peuvent pas
être traités comme des choses, comme le voulait Emile Durkheim [1972],
et donner lieu simplement à un processus d'expérimentation ou
d'observation où, par neutralisation du vécu, ils seraient inscrits dans des
consecutions invariantes. Eliminer tout sens par une observation naturalis-
tique revient à transformer les événements psychiques en faits physiques
et à réduire la culture significative à la nature mécanique. Le sens, les
valeurs et les fins ne sont nullement le phlogiston des sciences sociales ;
au contraire, ce sont eux qui fondent la spécificité des sciences humaines
et sociales. Eliminer le sens, corrélat de la compréhension, revient à
dénaturer l'objet de recherche, à le déshumaniser par une transformation
chosificatrice.
Toutefois, bien que la connaissance "astronomique" des phénomènes
sociaux ne puisse pas être l'idéal de la sociologie, ne fût-ce que pour la
simple raison que dans un système ouvert il n'y a pas de lois invariables,
la sociologie compréhensive a ses limites et il faut en être conscient. Pour
autant que les relations sociales se sont coagulées en une "seconde nature"
et que les systèmes sociaux fonctionnent effectivement et objectivement de
façon autonome, une disposition objectivante et un appareillage
chosificateur, par exemple celui du structuralisme, du systémisme ou du béhaviou-
risme social, sont indiqués [Markovfc,1972]. Les humanistes ont beau
protester qu'une sociologie structurelle est inhumaine quand le monde lui-
même est devenu inhumain. Quand les faits sociaux se sont transformés
en choses, il faut les traiter comme des choses, sans oublier pour autant
que les choses sont elles-mêmes des faits sociaux.

91
Critique dufétichisme

La critique méta-théorique de la théorie sociale et de la recherche


sociologique en termes de conscience réifiée nous rapproche à nouveau de
la critique de la réification comme phénomène idéologique. Nous avons
vu que l'approche positiviste-naturaliste de la réalité socio-historique
naturalise, par ses méthodes mêmes, cette réalité socio-historique en
l'appréhendant comme on appréhende la réalité naturelle. En
conceptualisant son domaine -,'de pertinence comme un champ d'objets observables -
et manipulables ce qui est en fait un effet de méthode apparaît comme
un simple reflet de la réalité même. En l'absence d'une conscience critique
des effets de méthode, en sclérosant les instruments intellectuels et les
résultats ainsi obtenus, la réalité devient, pour ainsi dire, l'idéologie d'elle
même. Ceci est d'autant plus le cas lorsque les méthodes
naturalistes-positivistes sont adéquates à leur objet. Alors, en l'absence d'une théorie
critique défétichisante, ces méthodes ne livrent qu' "une aperception
réifiée du réifiant" [Adorno, 1979, p.65]. Les sociologues qui les mettent en
oeuvre contribuent, nolens volens, sans le savoir et sans le vouloir, à la
perpétuation du statu quo. En se tenant à ce qui est, en l'occurrence à la
simple constatation, et en refusant de prendre position au nom d'une
prétendue neutralité axiologique ; en se tenant aux faits observés et en
refusant de les placer dans le champ de tension entre le réel et le possible,
entre ce qui est et ce qui pourrait ou devrait être, ils aboutissent à une
chosification de second degré et hypostasient l'état présent. En revanche,
lorsque la théorie sociale et la recherche sociologique sont guidées par une
méta-théorie défétichisante ou déréifiante - par exemple, la philosophie de
la praxis, de la création imaginaire ou de la communication- la dimension
socio-historique des faits devient visible et la transformation des
conditions sociales existantes, une mouvance du social devient pensable.

Bibliographie

Adorno T.W. e.a.: De Vienne à Francfort. La querelle allemande des


sciences sociales, Bruxelles, Ed. Complexe, 1979.
Arato A. : "Lukacs 'theory of réification", Telos, 11, 1972.
Aron R. : La philosophie critique de l'histoire, Paris, Vrin, 1969.
Bauman Z. : Towards a critical sociology , London, Routledge, 1976.
Berger P. et Pullberg S. : "Réification and the sociological critique
of consciousness", History and Theory, 4, 2, 1965.
Berger P. et Luckmann T. : The social construction of reality. A
reatise in the sociology of knowledge, Harmondsworth, Penguin, 1966.
Bhaskar R. : A realist theory of science, Brighton, Harvester, 1978
(2e Ed).
Boudon R. : Effets pervers et ordre social, Paris, P.U.F., 1989.
Collins R. : "On the microfoundations of macrosociology", American
Journal of Sociology, 86,5, 1981a.
Collins R. : "Micro-translation as a theory building strategy", in Knorr-
Cetina K. et Ocourel A. (eds.) : Advances in sociological theory and
method. Toward an integration cf micro- and macro-sociologies, London,
Routledge, 1981b.

92
Durkheim E. : Les règles de la méthode sociologique, Paris, P.U.F.,
1972.
Gabel J. : La fausse conscience. Essai sur la réification, Paris, Ed.
Minuit, 1962.
Gabel J. : Sociologie de l'aliénation, Paris, P.U.F., 1970.
Goldmann L. : Recherches dialectiques, Paris.Gallimard, 1959.
Goldmann L. : Pour une sociologie du roman, Paris, Gallimard, 1964.
Goldmann L. : Lukacs et Heidegger. Pour une nouvelle philosophie,
Paris, Denoêl-Gonthier, 1973.
Habermas J. : Théorie de l'agir communicationnel, Paris, Fayard, 1987.
Israel J. : L'aliénation, de Marx à la sociologie contemporaine, Paris,
Anthropos, 1970.
Israel J. : Alienation and réification", in GEYER F. et SCHWEITZER
D. (eds.) : Theories of alienation, Leiden, Martinus Nijhoff, 1976.
Knorr-Cetina K. : "The micro-sociological challenge of macro
sociology", in Knorr-Cetina K. et Cicourel A. (eds.) : Advances in
social theory and method. Toward an integration of of micro- and macro-
sociologies, London, Routledge, 1981.
Kosic K. : La dialectique du concret, Paris, Maspéro, 1978.
Leenhardt J. : "Réification" (v.), Encyclopaedia Universalis, 1978.
Lobeck A. : Théorie der Verdinglichung, Zurich, Juris Druck, 1977.
Lukacs G. : Histoire et conscience de classe. Essais de dialectique
marxiste, Paris, Ed. de Minuit, 1984.
Markovic M. : "The problem of réification and the * Verstehen-Erklâren'
controversy", Acta sociologica, 15, 1, 1972.
Marx K.Oeuvres : Paris, Gallimard, "Bibliothèque de la Pléiade", T. 1,
1963, T. 2, 1968, T. 3, 1982.
Mayhew B. : "Structuralism versus individualism : Part 1, Shadowboxing
in the dark", Social Forces, 59, 1980.
Pitkin H.F. : "Rethinking réification", Theory and Society, 16, 2, 1987.
Rose G. : The melancholy scienceAn introduction to the thought ofT.W.
Adorno, London, Mac Millan, 1978.
Sartre J.-P. : Critique de la raison dialectique, Paris, Gallimard, 1960.
Schluchter W. : The rise of western rationalism. Max Weber's
developmental history, Berkeley, Univ. of California, 1981.
Simmel G. : Philosophie de l'argent, Paris, P.U.F., 1987.
Simmel, G. : La tragédie de la culture et autres essais, Paris, Eds.
Rivages, 1988.
Simmel G. : Philosophie de la modernité,T. 1, Paris, Payot, 1989.
Thomason B. : Making sense of réification. Alfred Schutz and
constructionist theory, London, Mac Millan, 1980.
Van Reden C. Grondel (A.) et Geyer R. : Bibliography alienation ,
Amsterdam, siswo-publication 208, 1980 (third enlarged edition).
Weber M. : L' éthique protestante et l'esprit du capitalisme, Paris, Pion,
1964.
Weber M. : Economie et sociétéx T. 1, Paris, Pion, 1971.
Weber M. : Economy and society, T. 2, Berkeley, Univ. of California,
1978.
Whitehead A.N. : Science and the modern world, London, Cambridge
University Press, 1930.

93

View publication stats

Vous aimerez peut-être aussi