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QUE SAIS -J E?

Les classes sociales


Y ANN I CK LEMEL
Direct eur du Laboratoire
de sociologie quantitative, CREST
ISBN 2 13 054671 4
Dépôt légal - 1re édition : 2004, octobre
© Presses Universitaires de France, 2004
6, aven ue Reille, 750 14 Paris
INTRODUCTION

L'expression «classe sociale » est idéologiquement,


politiquement, voire affectivement très chargée, à
coup sûr dans le contexte français. Personnellement, je
vais aborder les classes sociales en m'inspirant d'un
point de vue cognitif et en les traitant comme des
« représentations».
De manière générale, les «représentations », très
diverses, dont dispose une personne lui permettent de
s'orienter dans son environnement, d'y trouver du
sens et d'y agir. L'environnement peut être matériel,
physique. Dans le cas présent, il s'agit évidemment de
l'environnement social, la société où vivent les
personnes. Les « classes sociales » sont une des formes
que peuvent prendre les représentations que l'on se
fait à propos de celle-ci, des inégalités que l'on y
trouve, de leur organisation, de leur devenir. Ces re-
présentations permettent d'interpréter les phéno-
mènes inégalitaires, de se comporter, d'agir éventuelle-
ment pour transformer les situations. On comprend
alors pourquoi elles risquent d'être idéologiquement
chargées.
Mon propos ne sera donc pas de décrire les inégali-
tés elles-mêmes. Je vais présenter certaines représenta-
tions qui en existent, celles dont la forme justifie
l'emploi de l'expression «classes sociales». Je vais en
indiquer les traits caractéristiques. Je présenterai les
différentes variantes existantes, les raisons de les rete-

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nir éventuellement avancées par leurs auteurs, les criti-
ques qui leur sont faites , le cas échéant.
Parmi toutes les représentations qui peuvent exister
en matière d'inégalités, certaines occupent une place
particulière, ce sont celles des «experts ». À nombre
d'égards, en effet, les constructions savantes élaborées
dans le domaine des inégalités et de la structure so-
ciale ne sont rien d'autre que les représentations que
se font certains membres particuliers de cette société :
ceux qui font profession de la théoriser. Il convient
évidemment d 'accorder une place très importante à
leurs propositions. C'est ce que je ferai mais je ne m 'y
limiterai pas, car, dans ce domaine comme dans bien
d 'autres, la porosité entre représentations communes
et savantes est grande.
Cela étant, je laisserai de coté ce qu'un point de vue
cognitif suggère d'aborder - à savoir, les processus
psychologiques fonctionnels qui permettent aux
agents de passer de leurs représentations à des actions.
Sous cet angle, ce petit ouvrage appartient au do-
maine de la sociologie et non à celui des sciences co-
gnitives. Par ailleurs, je m 'intéresserai essentiellement
aux classes sociales telles que les représentations s'en
sont constituées dans l'histoire des pays occidentaux
pour comprendre la structure inégalitaire de ceux-ci.
Je ne traiterai donc pas des sociétés non occidentales
mais je ne me focaliserai pas non plus exclusivement
sur la France 1•

1. Sur celle-ci, le lecteur pourra consulter L es s{ructures sociales


en France de 1815 à 1945, de J. Le Yaouanq, aux Editions Ellipses,
et, pour l'après-guerre, Stratification et, classes sociales. La société
ji-ançaise en mutation de S. Bosc, aux Editions Nathan.

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Chapitre I

L'ARCHITECTURE
DE TOUTE RÉFLEXION

Divers critères permettent d'organiser les représen-


tations des structures sociales inégalitaires. J'en ai re-
tenu trois : leur prégnance ou degré de structuration;
leur ancrage, microsocial ou macrosocial, dans la
structure des sociétés ; leur type, continu ou discret.
Ce dernier critère est le plus important puisqu'il op-
pose presque terme à terme les représentations en
classe, qui nous intéressent ici, et les représentations
en continuum, qui ne sont pas l'objet de ce livre mais
dont il importe néanmoins d'avoir présent à l'esprit
qu'elles constituent une manière différente mais tout à
fait répandue de se représenter les inégalités.

1. - Les deux modes de représentation


des structures inégalitaires.
L'analyse d'Ossowski
Dans un ouvrage toujours d'actualité et de réfé-
rence, La structure de classe dans la conscience so-
ciale, Ossowski examinait dans les années 1950 les
représentations savantes de la société, depuis les pro-
positions des philosophes antiques jusqu'aux sché-
mas des théories sociologiques contemporaines de
son époque.

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1. Les deux modes de représentation décelés par
Ossowski. - Deux grandes catégories de représenta-
tions se retrouvent, dit-il, à toute époque : les repré-
sentations en schémas de «gradation » et celles en
schémas de « dépendance ».
• Les schémas de gradation se définissent par un
ordonnancement systématique de tous les individus ou
tous les groupes, depuis les plus démunis aux mieux
pourvus. Les principes d'ordonnancement peuvent
être plus ou moins complexes mais ils sont systémati-
ques : tout le monde ou tous les groupes sont classés.
Parfois, un principe unique suffit : Ossowski parle
alors de schémas de «gradation simple ». Souvent, il
faut combiner plusieurs critères pour obtenir le classe-
ment : ce sont les schémas de « gradation synthé-
tique». Les schémas de gradation simple s'appuient
en fait, d'après Ossowski, dans tous les exemples
connus, qui vont des travaux d'économistes contem-
porains à La Politique d'Aristote, sur le critère du
revenu 1•
• À l'opposé des schémas de gradation, il y a les
schémas de dépendance. La société est alors envisagée
comme un ensemble limité de groupes. Diverses rela-
tions peuvent relier ces groupes mais elles ne permet-
tent pas d'établir une hiérarchisation continue entre
eux. Les relations peuvent être de« dépendance unila-
térale » ou de « dépendance réciproque. » La trilogie
du clerc, du guerrier et du paysan de la société féodale

1. On notera que l'ethnologue Murdock, qui construisit un


panorama des recherches ethnologiques sur les structures des socié-
tés, retrouvait, lui aussi, le principe de la hiérarchisation par les
richesses comme une des représentations fondamentales (Murdock,
1949).

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est un exemple type de la« dépendance réciproque» :
les guerriers protègent clercs et paysans ; les paysans
nourrissent, outre eux-mêmes, les deux autres catégo-
ries ; les clercs prient pour le salut de tous. Dans ce
cas, aucune catégorie ne prime et toutes assurent une
fonction utile aux autres. La représentation polaire
d'opposition entre capitalistes et prolétaires est un
exemple de « dépendance unilatérale » : ce que les uns
ont en plus, les autres l'auront en moins.
Ossowski note que les deux types de représentation
se retrouvent « des deux côtés de la ligne qui sépare le
monde » (dans le contexte de la guerre froide). Il sou-
ligne une tendance des sociologues à utiliser les sché-
mas de dépendance «unilatérale» pour les cas où ils
entendent exercer une critique, réservant «schémas
de gradation» ou de «dépendance réciproque» aux
autres cas.

2. Vers une définition (extensive) de la notion de


« classe ». - Cette opposition que décelait Ossowski,
entre approches discrètes et continues de la structure
sociale, est toujours d'actualité. Le contraste entre des
représentations de la société en «continuum», qui
considèrent que la structure sociale est constituée
d'éléments homogènes - individus ou positions socia-
les - continûment ordonnables, et des représentations
«discrètes», qui envisagent la société comme un
ensemble de groupes distincts plus ou moins « con-
crets », continue d 'animer les débats. Le point essen-
tiel est que dans les schémas de gradation la notion de
plus ou moins grande similitude a un sens quand elle
n'en a pas dans les schémas de dépendance: on peut
mesurer la proximité aux « très riches» (une fois

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qu'on a convenu de ce que l'on désignait par «très
riche»), on est guerrier ou paysan mais il n'y a pas de
guerrier qui serait plus paysan que les autres (encore
qu'on puisse, bien entendu, donner sens à des proposi-
tions comme « plus ou moins paysan » mais, par es-
sence, «guerrier» et «paysan» sont antinomiques).
Adopter une représentation discrète, du type
«schéma de dépendance», c'est donc penser pouvoir
discerner d'emblée des groupes dans la société et poser
que ce sont là les unités pertinentes pour l'analyse de
la structure sociale : reste à voir quelles en sont les
conséquences pour les individus qu 'on pourrait éven-
tuellement associer à ces groupes. Adopter une repré-
sentation du type «schéma de gradation» n'exclut
pas de s'intéresser à des groupes mais c'est, en tout
cas, poser que le point de départ pertinent pour
l'analyse de la société ce sont des individus en position
similaire par rapport aux dimensions inégalitaires;
que l'objet de l'étude doit être d'examiner comment
les individus se placent sur toutes les dimensions aux-
quelles on peut penser et de s'interroger sur les consé-
quences de la façon dont ils sont répartis sur ces diver-
ses dimensions. On peut envisager de qualifier certains
ensembles, certaines « strates », de «classes» si certai-
nes conditions à préciser sont remplies mais, contrai-
rement à ce qui se passe dans les schémas de dépen-
dance, ce sera de toute manière un point à décider
après coup. Par ailleurs, point très important, il
ne faut pas confondre nature du schéma et degré
d'inégalité. Schémas de dépendance et de gradation
qualifient les formes que prend l'organisation des iné-
galités mais n'en qualifient pas l'ampleur qui peut fort
bien être très importante entre les deux extrêmes d'un

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schéma de gradation et jugée modeste entre les
groupes d'un schéma de dépendance.
J'ai employé pour décrire ces schémas de dépen-
dance, le terme de «groupe». Pouvait-on employer
celui de « classe »? C'est évidemment en partie affaire
de convention et la réponse va dépendre de la défini-
tion qu'on associe à ce mot.
Par la suite, je reprendrai, bien sûr, le terme de
« classe » pour les constructions théoriques explicite-
ment dénommées ainsi par les chercheurs qui les ont
construites pour rendre compte de la structure sociale,
créant le plus souvent, ce faisant, des schémas de dé-
pendance de leur cru. Dans ces cas, il conviendra de
préciser que «classe »est employé au sens de tel ou tel
auteur, mais le contexte suffira le plus souvent à
éclaircir le point.
J'emploierai plus généralement le terme de « clas-
ses » pour désigner les groupes associés à des schémas
de dépendance et des représentations discrètes de la so-
ciété, même si ceux qui les utilisent n'emploient pas
eux-mêmes le terme (voire refusent de l'employer). De
ce point de vue, la trilogie guerrier/clerc/paysan serait
bien une représentation en «classe», même si, à
l'évidence, les personnes ayant partagé cette représen-
tation ne lui associaient pas la dimension de conflit
entre groupes qui est, de nos jours, fréquemment as-
sociée au terme. Ma façon de faire n'accorde donc pas
d'importance particulière aux principes qui sont rete-
nus pour construire le schéma de dépendance, ce qui
correspond bien à la pratique du Robert qui définit la
« classe » comme « un ensemble d'individus partageant
une fonction, un genre de vie, une idéologie, etc.»,
mais il faut bien voir que ce n'est pas l'usage commun

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des représentations savantes actuelles des «classes so-
ciales » qui réservent le plus souvent le terme aux seuls
cas de schémas de dépendance construits par référence
à l'organisation économique. Au moins au point de dé-
part, il me semble cependant souhaitable de retenir
l'acception la plus neutre et la plus large possible.
Reste enfin l'emploi du mot dans les représentations
ordinaires. Je le reprendrai, bien sûr, puisque c'est le
terme qui est employé par les personnes mais la ques-
tion est alors de déterminer ce qu'il signifie exactement
dans leur esprit. Il n'est, en particulier, pas acquis
d'emblée que c'est bien une représentation discrète, un
schéma de dépendance que ces personnes ont en tête.

Il. - Les trois niveaux d'analyse :


MICRO, MESO et MACRO

D 'un point de vue sociologique, différents niveaux


sont envisageables pour étudier les sociétés, et les ex-
plications sociologiques font généralement référence
- de manière souvent implicite, il est vrai - à plusieurs
d 'entre eux car une des significations que le sociologue
entend donner au mot« expliquer» est précisément de
donner sa place à chacun. Il s'agit, partant de l'un de
ces niveaux, d'expliquer ce qui se passe et s'observe à
un autre.
Le consensus actuellement émergent de la discipline
est de distinguer trois niveaux : MTCRO/MESO/MACRO
(Smelser, 1997). À chacun de ces niveaux 1 correspon-

1. À l'intérieur d 'un niveau, on peut éventuellement faire des


distinctions par « taille » et il y a certainement une part d 'arbitraire
à vouloir établir des séparations trop rigides.

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dent des observations : pratiques individuelles au ni-
veau MICRO ; organisations, institutions, groupes
ayant une certaine permanence au niveau MESO ; so-
ciétés globales au dernier niveau. Les sujets de ces ob-
servations peuvent être nommés : les personnes par
leur nom, les institutions par leur raison sociale, les
sociétés par les pays. À chaque niveau s'associent de
manière privilégiée (mais pas univoque) des concep-
tualisations théoriques qui peuvent être propo-
sées pour rendre compte de leur nature : « faits so-
ciaux » au niveau des sociétés globales, « systèmes
d'interactions» au niveau MESO, individu inten-
tionnel au niveau MICRO. On commence de voir ap-
paraître des travaux plaçant les classes sociales
conceptuellement plutôt au niveau MESO mais l'op-
position MICRO/ MACRO reste très fondamentale dans le
domaine.
Dans une démarche conséquente d' « individua-
lisme méthodologique » par exemple, école dont
Raymond Boudon est l'un des représentants les plus
connus et qui se donne comme programme de ne pas
arrêter la recherche avant d'avoir pu reconstruire
tous les éléments permettant de tout rapporter au ni-
veau des actions individuelles élémentaires - le ni-
veau MICRO, donc - , les classes ne peuvent être autre
chose qu'une catégorie terminologique du chercheur.
Celui-ci choisit de désigner par ce terme des regrou-
pements d'individus assez vastes et satisfaisant à cer-
taines propriétés.
Le texte suivant emprunté à Fossaert (1980) montre
que la « classe » désigne pour lui tout autre chose, à
un niveau MACRO: «Une classe sociale existe comme
telle ( ... ) si son effectif est suffisant pour la rendre abs-

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traite, impersonnelle, et en quelque sorte automatique
et indépendante des particularités individuelles de
ceux qui la composent (...). Si la division sociale du
travail esquisse (...) une spécialisation mais si les indi-
vidus qu 'elle spécialise demeurent si peu nombreux
que (...) les rapports personnels l'emportent sur la lo-
gique des relations sociales impersonnelles, la classe
qu'ils annoncent ne se spécifie pas encore (... ). Si l'on
suit cette analyse, il en résulte qu'une classe sociale ne
peut jamais être confondue avec un groupe social em-
piriquement donné[ ... La classe] est, au regard de cha-
cun des groupes concrets, une abstraction qui semble
transcender ces groupes (... ). Mais c'est une abstrac-
tion réelle dans la mesure où les déterminations et les
oppositions de classe sont effectivement opérantes
dans la société. » On ne peut ni ne doit, dans cette vi-
sion, réduire les classes sociales à des agrégats
d'individus : les classes « existent » indépendamment
des individus concrets qu'on pourrait éventuellement
leur associer.
Retenir comme premier le niveau MICRO ou le ni-
veau MACRO traduit en partie un choix entre nomina-
lisme et réalisme : les «classes » sont-elles une cons-
truction du chercheur (nominalisme) ou existent-elles
(en un sens à préciser) indépendamment de lui (réa-
lisme)? C'est aussi en partie un choix sur la per-
spective temporelle appropriée. Dans la tradition
sociologique, le niveau MACRO est associé avec les
perspectives temporelles longues, des phénomènes qui
perdurent aux individus en sorte qu'interprétations et
explications des dynamiques historiques sont évidem-
ment plus en phase avec une vision des classes au
niveau MACRO qu 'avec une vision au niveau MICRO.

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111. - Le degré de structuration

Il n'y a pas de terme consacré pour désigner cette


troisième composante de toute réflexion car elle est,
en fait, très rarement perçue comme une dimension
autonome de l'analyse. Elle n'en est pas moins très
importante et a été mise en avant par un auteur
comme Giddens.
Deux sociétés peuvent avoir une structure sociale
similaire - c'est le même modèle qui s'applique à tou-
tes deux - mais des degrés de prégnance de cette struc-
ture très différente. Dans un cas, les positionnements
sociaux et les modes de fonctionnement observés dans
la société sont totalement réductibles au modèle et
rien ne s'observe qui ne figure dans le modèle retenu.
Dans l'autre, les « bruits » parasites sont importants
et nombre d'éléments s'observent qui ne figurent pas
dans le modèle (mais sans pour autant que celui-ci soit
remis en cause). Dans le premier cas, on peut parler
d'une forte structuration (sur la base du modèle
retenu) ; dans le second, d'une faible structuration.
L'analyse peut d'ailleurs se nuancer, pour traiter
non pas du degré de structuration du modèle dans son
ensemble mais du degré de telle ou telle composante.
Cette idée sous-jacente se retrouve très bien au tra-
vers d'une notion comme celle de «cohérence de sta-
tut», même si cette notion n'a de sens que dans le
cadre des «schémas de gradation multiple». La « co-
hérence de statut » mesure le degré auquel les posi-
tions sur des dimensions inégalitaires sont corrélées
entre elles. Si cette cohérence est très forte, chaque in-
dividu a un rang similaire sur chacune des dimensions
inégalitaires. Si cette cohérence est faible, la propor-

13
tion de personnes n'occupant pas des places iden-
tiques sur chaque dimension est grande mais cela
n'implique pas pour autant que la situation des per-
sonnes occupant une certaine position sur une dimen-
sion ne soit pas en moyenne la même dans les autres
dimensions. L'incohérence peut être très grande,
même si les places occupées sur les différentes dimen-
sions sont, en moyenne, très voisines. C'est une chose
de mesurer les situations moyennes, c'en est une autre
de mesurer les dispersions autour de ces situations
moyennes.

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Chapitre II

LES REPRÉSENTATIONS SA VANTES.


LES PÈRES FONDATEURS

1. - Les précurseurs
On s'appuiera ici principalement sur l' ouvrage de
Piguet (1996), Classe. Histoire du mot et genèse du
concept des Physiocrates aux historiens de la Restau-
ration.
L'emploi du terme «classe» pour traiter des
phénomènes sociaux est assez récent. Le terme, à
l'examen des dictionnaires et encyclopédies, apparaît
dans la deuxième moitié du xvme siècle à côté de ce-
lui d ' « ordre », seul employé jusqu'alors. Les deux
termes se substituent progressivement l'un à l'autre,
« classe » étant d'abord défini par référence à
« ordre », les références s'inversant avec le temps.
Quand on examine les contextes lexicaux d'emploi
des deux termes, on constate que «classe» s'emploie
avec des verbes actifs comme « distribuer», « ran-
ger», « diviser», tandis que « ordre » ne s'associe pas
de manière particulière à certains verbes, sauf peut-
être « diviser », mais, en tout cas, est toujours em-
ployé en complément d'un verbe à la voie passive.
C'est une opposition entre « diviser en classes » et
« être divisé en ordres », résume Piguet. « "Classe"
traduit une volonté d'action et d 'interprétation quand

15
"ordre" correspond plutôt à un constat de fait.
L'ordre est un ensemble de personnes (et très rare-
ment de choses) dont l'existence se révèle indépen-
dante de l'intelligence et de la volonté humaine.
L'homme ne peut pas le créer, il peut seulement
l'observer et le décrire. La classe aussi est un ensemble
de personnes ou de choses, mais c'est en plus une
construction intellectuelle qui permet de rassembler
sur des critères qui peuvent être redéfinis à chaque
fois ; de ce fait, "classe" a un très grand pouvoir
d'abstraction. La classe peut être réelle ou virtuelle,
elle peut désigner des ensembles constitués ou des
ensembles à constituer. »
« Classe » traduit donc la volonté de compréhen-
sion qu'on associe bien au siècle des Lumières. Il s'agit
de rassembler des personnes sur des critères de fonc-
tions, de conditions sociales similaires mais dans le
souci de «préciser ce qui structure la société au-delà
de ce qu 'elle donne à voir de manière immédiate».
Mais les principes et règles utilisés pour classer sont
encore incertains et très variables au milieu du
xvme siècle.
Les Physiocrates sont les premiers à vouloir enra-
ciner le concept dans des principes renvoyant à
l'économie politique et à l'organisation des activités
productives dans la société. Turgot, proche de cette
école, partageait la société en trois classes - la classe
des laboureurs (la classe productrice), celle des « arti-
sans et autres stipendiés des produits de la terre» et la
classe des « propriétaires » - et cette tripartition est re-
prise par tous les Physiocrates. Chez eux, cette divi-
sion de la « société » en trois classes est une manière
de construire ce qu'en termes modernes on pourrait

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appeler une fonction de production. Il s'agit d'un
«schéma de dépendance réciproque», à cette nuance
près qu'il n'y a pour les Physiocrates qu'un seul véri-
table facteur de production - la terre - , de sorte que
la classe des laboureurs est dans une position assez
particulière.
Après la Révolution française, la nature des sché-
mas s'infléchit vers des schémas en «dépendance uni-
latérale ». Durant la première moitié du XIXe siècle, les
historiens de la Révolution, comme Guizot, et les pré-
curseurs des sociologues, comme Saint-Simon ou
Comte, vont, pour essayer de comprendre ce qui s'est
passé, tenter de replacer les phénomènes dans une
perspective longue. Ils sont alors conduits à connoter
le terme d'une dimension historique et dynamique et,
en retrouvant les controverses anciennes opposant au
xvme siècle « Germanistes » et « Romanistes » sur
l'origine des ordres que sont noblesse, clergé et «tiers
état», à associer le terme à l'idée de lutte. La Révolu-
tion française commence d'être interprétée comme tra-
duisant la lutte du tiers état, la prise du pouvoir par la
bourgeoisie. Bien entendu, les théoriciens du socia-
lisme insisteront sur cet aspect de lutte de classes
et Marx lui-même en créditera les historiens de la
Restauration.
Au milieu du XIXe siècle, sont donc en place les élé-
ments structurants de la notion de classe. Il s'agit de
construire des outils permettant de comprendre le
fonctionnement structurel mais aussi de décrire, voire
d'expliquer l'histoire de la société par référence à un
jeu de quelques classes complémentaires, conflictuelles
ou antagoniques.

17
Il. - L'enracinement
dans le système productif. Karl Marx
Les premiers écrits de Karl Marx datent des an-
nées 1840 et il meurt en 1883. Durant cette période, il
a énormément écrit en historien, philosophe, en éco-
nomiste, sociologue, en promoteur du socialisme. Son
œuvre a fait l'objet de volumineuses exégèses. Vouloir
résumer succinctement ses suggestions, même en se li-
mitant à ses propositions en matière de classe sociale,
tient de la gageure, et on consultera, par exemple,
Aron (1967) pour un exposé plus détaillé.

1 . Les modes de production et l'infrastructure.


On peut voir une assez nette proximité intellectuelle
de Marx avec les Physiocrates. Le point de départ de
l'analyse est, pour Marx, l'infrastructure, c'est-à-dire
la base économique, les forces et les rapports de pro-
duction 1, de même que cette base économique était
pour les Physiocrates au fondement des classes qu'ils
distinguaient.
Marx a cru distinguer dans l'histoire humaine
quatre modes de production différents, quatre types
d'infrastructure : les trois modes de production an-
tique, féodal et bourgeois qui se succèdent dans
l'histoire de l'Occident et le mode de production asia-
tique.
Le mode de production antique se caractérise par
l'esclavage, le féodalisme par le servage et le mode de

1. Marx a écrit dans le Manifeste du parti communiste que les rap-


ports de propriété n'étaient que l'expression juridique des rapports
de production . Les« rapports de production »sont très proches des
rapports de propriété, même s'il faut sans doute les distinguer.

18
production bourgeois par le salariat. Traduit dans les
termes les plus simples, cela correspond à des opposi-
tions entre deux classes : esclaves et propriétaires
d'esclaves, serfs et seigneurs féodaux, salariés/prolétai-
res et employeurs/capitalistes enfin. La «classe » cor-
respond à des intérêts divergents dans l'organisation
de la production et à la possibilité donnée à l'une de
profiter de l'activité de l'autre.
Le mode de production asiatique a été à peine évo-
qué par Marx, bien que le concept ait suscité beau-
coup d'intérêt ultérieurement. Il semble essentielle-
ment correspondre à une subordination de tous les
travailleurs à l'État, c'est-à-dire à une classe bureau-
cratique qui organise l'activité collective et en profite.
Plutôt conçues pour analyser des sociétés où
l'organisation de l'irrigation est absolument essen-
tielle, les interprétations plus contemporaines l'ont
évidemment appliqué aux sociétés collectivistes de
notre époque.
L'évolution historique - le passage d'un mode de
production à l'autre - s'enracine dans ces oppositions
entre classes. Les modifications qui sont susceptibles
d'apparaître (et d'améliorer les capacités de produc-
tion) vont être «portées» par une nouvelle classe en
devenir qui devra s'opposer à celle qui dominait pré-
cédemment pour réussir. Ainsi, la bourgeoisie nais-
sante lutte, dans le cadre du mode de production féo-
dal, contre les féodaux pour mettre en place un
nouveau régime de production fondé sur le salariat (ce
qui rejoint les interprétations des historiens de la Ré-
volution mais dans un cadre théorique interprétatif
plus large), puis, le mode de production capitaliste mis
en place, elle profitera, comme nouvelle classe domi-

19
nante, de sa position par rapport au prolétariat. Ce-
pendant, dans le cas particulier du mode de produc-
tion capitaliste, Marx ne considérait pas qu'une
nouvelle classe fût en gestation, luttant pour mettre en
place un nouveau régime car ce rôle était, à son avis,
dévolu au prolétariat lui-même.

2. Marx observateur et Marx modélisateur. - Dans


ces écrits historiques, Marx n 'a pas utilisé des dichoto-
mies aussi simples. Dans Les luttes de classes en
France par exemple, il distingue dans la société fran-
çaise de son époque la bourgeoisie financière, la bour-
geoisie commerçante, la bourgeoisie industrielle, la
petite bourgeoisie, la classe paysanne, la classe prolé-
tarienne et le Lumpenproletariat. Cela suggère que les
oppositions fondamentales binaires décelées à l'étude
des modes de production ne suffisent peut-être pas à
définir les classes.
De fait, Marx a lui-même introduit l'idée qu'il fal-
lait distinguer la classe comme partage d'une même
condition économique (les paysans, par exemple, dans
Le 18 Brumaire de Napoléon Bonaparte, partagent une
même condition économique et constituent sous cet
angle une« classe») et la classe comme communauté,
groupe conscient de son existence et un minimum or-
ganisé pour l'amélioration de sa situation (ce que ne
sont pas les paysans français qui ne constituent guère
plus qu'un «sac de pommes de terre»). Dans les
deux cas, toutefois, Marx enracine les classes dans
l'organisation de la production au niveau MACRO et
considère que l'organisation en classes plus ou moins
en lutte est l'élément fondamental de structuration des
sociétés et de leur devenir.

20
Dans la terminologie marxiste, on parle souvent
de «classe-en-soi » (par exemple, les paysans) et de
«classe-pour-soi» (que serait, par exemple, le proléta-
riat en lutte). Les «positions de classe » définissent
des «classes-en-soi » et, quand cette «position de
classe » s'accompagne de sentiments d'appartenance
et d'actions collectives (dont la plus ou moins grande
présence permettrait éventuellement de distinguer plu-
sieurs types), on peut alors parler de «classes-pour-
soi ». La distinction et l'idée correspondante dépas-
sent très clairement les seules perspectives marxistes.
Dans la suite, je les garderai en utilisant aussi les
termes de « classe-position » et « classe-identité » in-
troduits par Fossaert.
Marx n'a pas vraiment développé l'analyse des rela-
tions que pouvaient entretenir les deux conceptions. À
coup sûr, la « classe-en-soi » lui paraît première en ce
sens que la « classe-pour-soi » - la « classe-identité » -
ne peut apparaître s'il n'existe pas une «classe-en-
soi », mais à quel degré peut-il perdurer des « classes-
en-soi » qui ne se transforment pas en «classe-pour-
soi » ? La question est évidemment importante pour
toute perspective dynamique mais il ne l'a pas tran-
chée dans ses écrits. Pour Marx, il allait de soi que la
« position de classe » était définie par la place dans le
système productif mais rien n'interdit de considérer
d'autres définitions (et, par exemple, l'appartenance à
un groupe de statut au sens webérien, comme nous le
verrons plus bas).
En fait, comme synthétise Raymond Aron :
«( ... )Marx est parti de l'idée d'une contradiction fon-
damentale d'intérêts entre les salariés et les capita-
listes. Il était de plus convaincu que cette opposition

21
dominait l'ensemble de la société capitaliste et pren-
drait une forme de plus en plus simple au fur et à me-
sure de l'évolution historique. Mais d'un autre côté,
comme observateur de la réalité historique, il consta-
tait comme n'importe qui, et il était un excellent ob-
servateur, la pluralité des groupes sociaux. C'est que
la classe, au sens fort du terme, ne se confond pas
avec un groupe social quelconque. Elle implique, au-
delà de la communauté d'existence, la prise de cons-
cience de cette communauté sur le plan national et la
volonté d'une action commune en vue d'une certaine
organisation de la collectivité. À ce niveau, on com-
prend qu 'aux yeux de Marx il n'y ait en vérité que
deux grandes classes, parce qu'il n 'y a, dans la société
capitaliste, que deux groupes qui ont vraiment des re-
présentations contradictoires de ce que doit être la so-
ciété, qui ont réellement chacun une volonté politique
et historique définie. »

3. Les legs marxistes. - La postérité de Marx est


immense. Ses réflexions ont contribué à façonner
l'univers politique du xxe siècle, conduit à l'émergence
des régimes socialistes, inspiré des partis politiques
dans nombre de pays et façonné les représentations
d'un très grand nombre de gens. Pendant longtemps,
jusqu'à très récemment (cf. chap. VI), toute réflexion
savante sur les «classes sociales » ne pouvait guère se
concevoir sans s'accompagner d'une évaluation, fût-
ce implicite, des thèses, savantes ou orientées vers l'ac-
tion, inspirées de Marx.
Du point de vue des représentations savantes, un
legs marxiste assez essentiel paraît être celui de la lutte
de classes, de son rôle et de son importance. Toute re-

22
présentation en classes se doit maintenant de préciser
le statut qu'elle donne à leurs luttes éventuelles. Exis-
tent-elles (ce qui conduit donc à des schémas de
dépendance unilatérale) et contribuent-elles à com-
prendre la dynamique historique ou événementielle ?
Il faut aussi souligner la différence entre les deux
Marx, l'observateur, d'une part, soucieux d'un schéma
rendant compte de l'ensemble des différences observa-
bles entre groupes sociaux dans une société donnée, et
l'analyste, d'autre part, voulant construire un modèle
de même nature (clairement de dépendance unilaté-
rale) mais épuré et beaucoup plus abstrait constituant
une bonne « maquette » permettant de comprendre les
dynamiques d 'évolution des sociétés. Cette opposition
entre « maquette » et schéma plus descriptif et complet
suggère d'introduire, à côté de la «classe-position » et
de la« classe-identité », un troisième terme, la« classe-
comme-acteur-historique », pour désigner les abstrac-
tions mises en jeu dans les modèles dynamiques des in-
teractions entre classes (cf. encadré).

Ill. - Ressource, prestige, pouvoir. Max Weber

Il est maintenant d'usage en sociologie de distin-


guer classe et statut et d'attribuer cette distinction à
Max Weber 1• Celui-ci écrit à la charnière des XIXe et
xxe siècles. Weber essayait de construire des outils
analytiques mais aussi descriptifs de la diversité des

1. On peut souligner au passage que l'importance accordée à


Weber en matière d'analyse de classe est comme dit Sorensen
(2000) « un peu curieuse » compte tenu du fait qu'il en a, en pra-
tique, peu traité.

23
Diverses notions de « classe sociale »
dans les représentations sociologiques
Différents éléments sont recherchés par les so-
ciologues dans leur représentation des classes so-
ciales. Ils souhaitent des distinctions fondées sur
un minimum de base objective. Ils voudraient
aussi qu'il soit tenu compte des représentations
« indigènes » et d'aspects comme la « conscience
de classe », degré auquel les individus pensent
appartenir à un groupe qu'ils qualifient eux-
mêmes de classe. En outre, peu d'aspects de la
vie quotidienne des personnes, de l'organisation
de la société ou de son devenir ne leur paraissent
devoir contribuer, d'une manière ou d 'une autre,
à la compréhension du système.
En somme, il y a :
a) la « classe-position », la « pos1t1on de
classe », la «classe-en-soi » correspondant à
une similitude objective de la position des
agents et de leurs atouts ;
b) la « classe-identité », la « classe-pour-soi »,
fondée sur des aspects objectifs comme le
degré d'interfréquentation, les ressemblances
dans les pratiques, les opinions, et sur des
aspects plus subjectifs comme les senti-
ments d'identité partagée, la conscience de
classe, etc. ;
c) la « classe-comme-acteur-historique » liée, si
l'on adopte une vision MICRO de la classe, au
degré auquel les membres du groupe concret

24
partagent des revendications et agissent de
concert ou, si l'on adopte une vision MACRO,
au degré auquel la construction d'une ma-
quette simplifiée permet d'éclairer les évolu-
tions de la société.

Rien n'assure a priori que les différents points


de vue que délimite chacune de ces trois concep-
tions conduisent à des conclusions similaires.
Les sociologues soucieux d'empirie doivent donc
réaliser une synthèse, pondérant ou sélection-
nant parmi les points de vue possibles. Pour ce
faire, ils s'appuieront sur leurs préférences théo-
riques et leurs appréciations personnelles des
situations de fait.
Bien entendu, si les théories des classes so-
ciales étaient suffisamment élaborées, si les
données étaient suffisamment nombreuses, tant
les appréciations sur les situations de fait que
les modes de pondération des points de vue
possibles ne seraient pas affaires subjectives
et personnelles mais objets d'évaluations objec-
tivables. Les débats gagneraient en clarté. La
situation, malheureusement, n'est pas celle-là
et, à vrai dire, la difficulté est d' autant plus
grande que les diagnostics partiels suggérés
par les données disponibles peuvent, à propos
de la France, par exemple, paraître contradic-
toires.
Les latitudes des choix laissés à l'appréciation
du sociologue sont, au total, assez grandes.

25
sociétés et de leur histoire. Les exégèses de son œuvre
sont nombreuses et les quelques considérations qui
vont suivre sont peut-être moins l'approche de Max
Weber elle-même que la vulgate qui s'en est progressi-
vement dégagée et répandue.

1 . Les types de groupements en,tre personnes


d'après Weber. - Dans son ouvrage Economie et so-
ciété, Weber s'intéresse aux formes des groupements
que l'on peut rencontrer dans les sociétés. Il consacre
deux des chapitres introductifs aux groupements fon-
dés sur l'intérêt matériel, d'une part, et l'autorité, de
l'autre. Un troisième principe est moins explicité mais
nettement présent néanmoins dans Économie et so-
ciété, celui des « ordres».
• Les groupements fondés sur l'intérêt matériel ont
pris des formes variées au cours de l'histoire, dit We-
ber, et il développera longuement, d'ailleurs, le passage
des communautés domestiques ou de voisinage, grou-
pements qu'on ne saurait prétendre être exclusive-
ment fondés sur l'intérêt matériel, à des groupements
d'ordre contractuel, fondés, eux, sur un intérêt maté-
riel commun, pour faire du commerce lointain, exploi-
ter un monopole, constituer une entreprise capitaliste.
Weber déclare: «Nous parlerons de classe quand (1)
un certain nombre de personnes ont en commun une
composante causale particulière de leurs "chances de
vie", dans la mesure où (2) cette composante corres-
pond exclusivement à des intérêts économiques pour ce
qui est de l'accès aux biens et aux ressources économi-
ques et (3) se traduit dans les formes des marchés des
biens et du travail». Il définit la «classe » comme
«tout groupe d'individus qui se trouvent dans la

26
même "situation de classe" » et la « situation de
classe» comme la« chance typique qui ( .. .) résulte du
degré auquel, et des modalités d'utilisation selon les-
quelles, un individu peut disposer, ou ne pas disposer,
de biens ou de services afin de se procurer des rentes ou
des revenus ; chance qui doit être évaluée en fonc-
tion a) de sa capacité à se procurer ces biens, b) de sa
destinée personnelle ».
En somme, les «classes» sont, pour Weber, des
(re)groupements de personnes partageant une même
situation par rapport aux marchés du travail et des
biens économiques. Il les définit donc en renvoyant
strictement à l'ordre économique, comme Marx. Par
ailleurs, il précise que l'existence de classes ne suffit
pas à engendrer des actions de classes.
• En matière d'autorité, Weber constate que la
docilité de ceux qui obéissent peut avoir des causes
très diverses mais qu'il faut, pour que cela « fonc-
tionne bien », un plus : « la croyance en la légiti-
mité», c'est-à-dire la moralité du commandement.
D 'un point de vue pratique, il faut distinguer les dé-
cideurs, l'ensemble des administratifs et, enfin, la
masse des personnes à qui l'on commande. Weber
distingue trois types principaux d'agencement de ces
divers éléments : la domination «charismatique»,
dans laquelle la légitimité repose sur la croyance à
des pouvoirs transcendants du décideur ; la domina-
tion «légale-bureaucratique», dans laquelle tous
adhèrent à l'idée qu'un corps constitué de règles à
respecter et négocier contribuera au bien commun ;
et la domination « traditionnelle », qui se légitime
dans la coutume. Cela étant dit, Weber ne propose
pas de définitions bien particulières de groupements

27
renvoyant à ce pnnc1pe d'organisation que serait
l'autorité.
• Enfin, Weber explique qu'à côté des sociétés de
classe il y a des sociétés d' « ordres».
Les «ordres» sont des groupements d'individus
qui revendiquent et réussissent à obtenir une « consi-
dération particulière » et de la déférence de la part
des autres. Il en présente de nombreux exemples :
trustis mérovingienne 1, vassaux libres du roi sous la
féodalité, voire dans certains cas les serfs au service
du roi. Ces groupements de personnes se forment sur
la base de croyances partagées dans l'honorabilité de
leurs conditions. Ces groupements tendent à s'auto-
entretenir en édictant des règles sur le mariage,
l'entrée dans l'ordre (le groupe), les formes
d'hospitalité, etc. Par différence aux «classes», les
« ordres » sont certainement plus que des regroupe-
ments de personnes sur base d'un critère commun,
ils constituent de véritables « groupes de statut »
dont l'existence est largement reconnue, auxquels les
membres ont conscience d'appartenir et agissent
pour en pérenniser l'existence. Si les « ordres » se
fondent sur la similitude de leurs modes de vie, ils
cherchent à transformer la considération particu-
lière dont ils sont l'objet en sources d'avantages ou
de domination2 , etc. Ce sont donc des groupes
« réels ».

1. Garde personnelle des rois mérovingiens, liée à eux par un


serment particulier.
2. On peut trouver dans ces considérations des préfigurations
des notions modernes de conversion des capitaux ; mais le traite-
ment contemporain de ces idées paraît nettement plus abstrait et
formel que ce n'était le cas dans les textes d 'origine.

28
2. Les legs webériens. - Il y a certainement des dif-
férences importantes entre la démarche de Max Weber
et son interprétation contemporaine.
Weber s'intéressait à l'histoire des sociétés sur
l'ensemble de la planète et n'a sans doute pas cherché
à forger des outils conceptuels plus particulièrement
adaptés à l'analyse des sociétés industrielles. De plus,
et bien que Weber n'ait pas raisonné en ces termes qui
n'étaient pas ceux de la sociologie de son époque, les
travaux contemporains s'inspirant de lui adoptent as-
sez souvent une démarche d'individualisme méthodo-
logique, à tout le moins se placent à un niveau MICRO
plutôt que MACRO, interprétation de la perspective
webérienne qui peut certainement se discuter.
Quoi qu'il en soit, les réflexions sur les travaux de
Weber ont suggéré un certain nombre d'idées deve-
nues, me semble-t-il, une partie du fonds commun so-
ciologique actuel sur la stratification sociale (ce qui ne
signifie pas, bien sûr, que tous les sociologues de la
stratification sociale acceptent ces idées mais tous les
connaissent et doivent se positionner par rapport à
elles).
Il y a tout d'abord l'idée de « multidimensionalité »
correspondant à la trilogie ressource/prestige/pouvoir.
En particulier, Weber suggère qu'à côté d'une structu-
ration de la société fondée sur l' organisation écono-
mique, il y en a une autre fondée sur l'honneur, le
prestige ou tout autre terme qu'on voudrait retenir
et que ces deux ordres de structuration ne sauraient
être confondus. Groupes de statut et classes sociales
(«classe »pris ici dans le sens précis que Weber donne
au terme, celui d'identité de position vis-à-vis des mar-
chés du travail et des biens et services), dit-il, sont in-

29
tellectuellement différents, même si le chevauchement
peut être important dans certains cas. Il en résulte,
bien sûr, une vision assez complexe de la société.
Par ailleurs, il y a cette notion de prestige. Elle a
suggéré deux directions de recherche. D 'une part, le
« prestige» est interprété, dans une logique de schéma
de gradation, comme une dimension hiérarchisant les
individus d 'une société. Les travaux contemporains
sur le prestige des professions s'inscrivent dans cette
relecture de Weber (dont la logique était, clairement,
de traiter de groupes et non d 'individus). De l'autre,
cette fois dans la logique des schémas de dépendance,
l'attention est mise au contraire sur les règles de re-
connaissance entre pairs, les règles du connubium, les
modes de vie, etc., tous points dont parle Weber à
propos des ordres et qui permettent à ceux-ci de se dé-
finir. L'attention se porte alors sur les clôtures per-
mettant de délimiter les groupes de statut, leurs modes
d'élaboration et leur nature : pas de groupes de statut
sans individus à qui l'appartenance est refusée.

IV. - Classes et groupes de statut.


Vers des perspectives bourdieusiennes
Weber limite son emploi du terme «classe» à des
(re)groupements fondés sur la position des individus
dans l'organisation de l'économie ; en ce sens, il est
voisin de Marx, sauf que ce dernier n'introduit aucun
autre principe suivant lequel regarder les sociétés pour
y rechercher les structures sous-jacentes que celui
de l'organisation de la production. Weber introduit
en sus l'organisation en ce qu 'il appelle des ordres
- en langage plus actuel, des «groupes de statut».

30
Les « groupes de statut» sont assimilables à des
«classes sociales» au sens très général que j'ai donné
au chapitre I. Repérer dans une société un ensemble
de groupes (de statut) l'organisant délimite un schéma
de dépendance. Par contre, et quelque peu paradoxa-
lement, il est beaucoup moins évident que les « clas-
ses» définies comme Weber le suggère conduisent au-
tomatiquement à des schémas de dépendance. Comme
les classes sont des regroupements de personnes sur
base de «similitudes» dans les accès aux marchés du
travail et des biens économiques et que la manière de
mesurer cette similitude n'est pas précisée, la possibi-
lité, au moins théorique, d'une très grande multiplicité
des regroupements admissibles est envisageable. Si
l'on s'appuie, par exemple, pour les délimiter sur le
montant des ressources (montant qui contribue certai-
nement beaucoup à définir les « chances de vie » dans
une société marchande !), et que l' on classe les per-
sonnes suivant des tranches de revenus très fines, le
nombre des « classes » est presque infini et les diffé-
rences entre elles parfois très faibles, en sorte que,
étrangement, des «classes» ainsi conçues peuvent
conduire à des analyses d'une logique très voisine de
celle des analyses associées aux représentations en
schémas de gradation !
Quoi qu'il en soit, suite aux complexifications in-
troduites par Max Weber, les théoriciens actuels des
classes sociales doivent décider du statut qu'ils accor-
dent à d'éventuels groupes de statut.
Un premier type de réponse sera de considérer que
les positions de classe doivent se définir exclusivement
par les modes d'insertion dans le système économique.
Indépendamment de la manière précise dont on repère

31
ces modes d'insertion, deux perspectives peuvent alors
s'envisager à propos des groupes de statut. L'une est
de dire que ces derniers, s'il y en a, sont d'intérêt se-
condaire ou, en tout cas, doivent s'analyser comme
subordonnés et conséquences de l'organisation en
classes sociales (définies donc par une place dans
l'organisation économique). L'autre est de considérer
que les groupes de statut et le statut social sont d'un
autre ordre de phénomènes que celui des «classes»
(définies par référence à l'organisation économique);
ils peuvent donc, et doivent, s'étudier indépendam-
ment. La première position est dans la tradition
marxiste de voir dans l'économie productive la dimen-
sion essentielle de l'organisation des sociétés; la se-
conde, dans la tradition webérienne d'y voir une di-
mension à côté d'autres.
Un autre type de réponse est envisageable, peu re-
présenté il est vrai actuellement, qui serait d'essayer
d'intégrer les deux perspectives suggérées par Weber
pour construire des schémas de dépendance. Les
«classes sociales» seraient alors définies par la com-
binaison d'une position dans le système économique
et de l'appartenance à un «groupe de statut». C'est,
plus ou moins, la solution adoptée par Pierre Bour-
dieu (avec, bien sûr, de multiples qualifications par
rapport au principe de cette fusion) : les classes sont
délimitées par les montants de capitaux économiques
et culturels dont elles disposent, montants qui résul-
tent pour partie des actions plus ou moins volontaires
qu'elles entreprennent pour se définir (en particulier la
classe dominante pour définir ce qui est «culturel » et
asseoir ainsi sa domination).

32
Chapitre III

LES REPRÉSENTATl ONS SA VANTES.


PERSPECTIVES THÉORIQUES ACTUELLES

Dans la lignée des idées de Marx et Weber, les so-


ciologues contemporains ont, en général, organisé
leurs réflexions sur les classes sociales autour du seul
système de production (à l'exception notable de
P. Bourdieu). Il y a certes eu quelques critiques, dont
je parlerai, mais 1' organisation de la production est
restée le point de référence de la majorité des sociolo-
gues quand il s'agissait de construire un schéma de dé-
pendance. Or, de 1950 à nos jours, les changements de
ce système de production furent considérables (les
agriculteurs exploitants, par exemple, qui représen-
taient environ 20 % de la population active en France
dans l'après-guerre, sont moins de 5 % de nos jours :
voir encadré 1 en annexe, p. 113). De plus, les mœurs
et les comportements individuels ont fortement évo-
lué, avec les progrès, entre autres, de l'individualisme.
Une bonne part des réflexions des sociologues fut
donc consacrée à examiner ces changements et à se de-
mander quelles conséquences en tirer pour les repré-
sentations de la société en classes sociales. Certains
ont conclu qu'il fallait abandonner ce type de repré-
sentations : on en traitera au chapitre VI. D'autres ont
proposé des catégorisations jugées mieux adaptées. Ce
sont les auteurs dont je parle dans le présent chapitre.

33
On commencera par rappeler un important change-
ment dans le contexte intellectuel au sein duquel tra-
vaillent ces chercheurs actuels par référence à la situa-
tion qui prévalait dans la première moitié du siècle,
a fortiori du temps des pères fondateurs.

1. - De la concurrence de nos jours


sur le marché de l'analyse sociologique des classes
Depuis les travaux de Marx ou Weber, les outils et
institutions statistiques se sont progressivement déve-
loppés. Pour l'analyse des classes sociales et de la stra-
tification sociale, c'est un changement essentiel.

1. Les réquisits de la réussite. - Développer une


perspective théorique, même enracinée dans une excel-
lente connaissance de ce qui s'est fait de travaux histo-
riques et de recherches de terrain, ne suffit plus main-
tenant à emporter la conviction. Aussi suggestive
et convaincante que puisse apparaître une théorie
d 'ensemble, elle aura des difficultés à s'imposer si on
ne peut la confronter avec des informations quanti-
fiées.
Allier une perspective théorique et des propositions
pratiques d'utilisation dans des travaux quantifiés est
donc devenu à peu près nécessaire à toute proposition
savante pour pouvoir espérer acquérir une audience.
Entre autres conséquences, on notera que cet état de
choses a sans doute conduit à donner plus d'impor-
tance à la diversité observable des situations puis-
qu'elles doivent toutes pouvoir être gérées au travers
d'outils statistiques, systématiques par nature (les re-
censements en sont un exemple évident) : la posture

34
du Marx observateur est peut-être, de ce fait, pnv1-
légiée par rapport à celle du Marx constructeur de
« maquette».
Le nombre des propositions actuellement en com-
pétition est assez limité. Trois, pour être très succinct,
sont présentement en concurrence. Il en existe certes
quelques autres mais elles n'ont pas atteint - pas en-
core pour les plus récentes d'entre elles ? - le statut
d'outil relativement standard de la discipline.
Chacune des trois propositions principales dispose
d'un argumentaire, de règles méthodologiques de
mises en œuvre et d'exemples diversifiés d'utilisations.
Deux de ces propositions - les schémas de classe de
John Goldthorpe et d'Eric Olin Wright - s'appuient
sur des représentations discontinues de la structure so-
ciale - des schémas de dépendance, donc - ; ce sont cel-
les dont l'argumentaire théorique est le plus développé.
La troisième propose une vision continue de la struc-
ture sociale, son argumentaire est plus pragmatique et
moins théorisé: c'est le Standard International Occupa-
tional Prestige Scale (STOPS). L'opposition soulignée
par Ossowski entre représentations continues et dis-
continues de la structure sociale est toujours là. Évi-
demment, ne nous intéressent dans cet ouvrage que les
propositions renvoyant à des représentations discrètes.
On va donc présenter les schémas de classes de Gold-
thorpe et Wright, ainsi que de quelques-uns de leurs
outsiders récents.

2. Concept, opérationnalisation et validation. -


Cette apparition des outils statistiques conduit à re-
prendre sur de nouvelles bases l'ambition des théori-
ciens des Lumières lorsqu'ils commencèrent à parler

35
de classes sociales : « Préciser ce qui structure la so-
ciété au-delà de ce qu'elle donne à voir de manière im-
médiate», comme le résumait Piguet, cité ci-dessus
p. 15. Il y a d'un côté «ce qui » structure la société, de
l'autre « ce qui permet de voir », et de « voir au-delà
de ce qu'elle donne à voir de manière immédiate».
Dans le langage des méthodologues actuels, on
parlera des «concepts », d' « opérationnalisation des
concepts » et de «validation de la démarche». Les
concepts renvoient à la théorie qui permet de définir ce
que l'on entend par «classe sociale», l'opéra-
tionnalisation à l'indication des informations à recueil-
lir qui permettront, par exemple, d'identifier dans une
enquête la classe sociale des personnes interviewées et
la validation aux résultats qu'on espère trouver en ex-
ploitant les données. Ne pas trouver les conclusions at-
tendues n'invalide pas d'emblée la théorie car il peut se
faire que l'opérationnalisation ait été erronée.
Ces distinctions n 'ont rien de spécifique aux tra-
vaux sur les classes sociales et se retrouvent dans toute
recherche de sciences sociales, quel que soit son sujet.
Dans le cas présent, elles mettent néanmoins en évi-
dence des problèmes qui tiennent à l'aspect particuliè-
rement ambitieux des programmes d'analyse de la so-
ciété en termes de classe sociale. Quelles sont les
conséquences attendues ? Quelles hypothèses précises
va-t-on valider? Le plus souvent, les conséquences
supposées d'une organisation en classes sociales ne
sont pas présentées de manière précise mais plutôt de
manière générale. Par exemple, l'organisation en
classe d'une société sera supposée la structurer très
fortement. Dans ces conditions, aucun domaine de la
société n'y échappera et la « validation » s'avérera

36
particulièrement lourde à opérer. Réciproquement,
quel degré minimal de structuration faut-il trouver
pour ne pas abandonner le programme ?
Une autre difficulté tient au risque de circularité
dans l'explication. Si les « classes sociales » sont
conçues comme des composantes structurelles expli-
quant la dynamique sociale, à quel moment doit-on
tirer acte des changements observés et redéfinir de
manière différente les classes ?
Dans ce chapitre, on traitera plutôt les aspects
théoriques en renvoyant au prochain chapitre l'opé-
rationnalisation et la présentation des propositions
concrètes.

11. - Les classes en débat


Certains points ont suscité tout particulièrement
la perplexité et reviennent de manière récurrente.
Régulièrement, par exemple, il y a débat sur les « pau-
vres» : faut-il distinguer une classe sociale de
« pauvres », d' « exclus » ? Avant de présenter les pro-
positions d'ensemble, je vais donc examiner quelques-
unes de ces interrogations. Je traiterai trois cas : les
« pauvres » ; les personnes ayant des métiers liés à de
très hauts niveaux d'étude comme les chercheurs, « ex-
perts » divers et enseignants ; et les «classes moyen-
nes » enfin, la question étant plutôt ici de détermi-
ner quelle extension les évolutions de la société
donnent à ces positions «moyennes». Bien sûr,
d'autres groupes ont aussi connu des évolutions im-
portantes, en particulier les catégories ouvrières ou
paysannes, mais on ne saurait les examiner tous ici, et,
d'ailleurs, les doutes paraissent nettement plus faibles

37
à leur égard : la paysannerie a disparu et les catégories
ouvrières ont perdu de leurs particularismes avec le
développement de la scolarisation et de la société de
consommation.

1. Les pauvres. - Le degré auquel les très pauvres


doivent être considérés comme une «classe sociale»
différente des autres est donc un thème récurrent.
Déjà, Marx évoquait le Lumpenproletariat. Ce qui
« définit» le « bas» change suivant les moments et,
régulièrement, la conclusion des chercheurs est qu'il
n 'est sans doute pas justifié d'isoler ce « bas » pour en
faire une «classe sociale » de plein droit. Néanmoins,
les doutes continuent de persister et la question de re-
surgir.
Dans les années 1950-1960, par exemple, Labbens
examinait en France les résidents des cités de transit,
personnes très pauvres. En principe, l'hébergement de-
vait être transitoire mais les habitants s'étaient instal-
lés durablement, se mariaient entre eux, avaient peu
de contacts avec l'extérieur et, plus largement même,
paraissaient installés depuis plusieurs générations
dans cette situation (pour Labbens, ce « quart-
monde », démuni de tout, se composait vraisemblable-
ment des héritiers d'une partie du prolétariat, laissée
pour compte lors de la révolution industrielle). Ces
plus pauvres avaient toutes les caractéristiques d'un
groupe «réel », on pourrait assez facilement les quali-
fier de classe sociale. L'analyse faisait écho à des ré-
flexions analo~ues sur la « culture de la pauvreté » dé-
veloppée aux Etats-Unis par l'ethnologue Oscar Lewis
qui analysait la vie dans certains quartiers défavorisés
par référence à une culture (au sens de l'anthropologie

38
culturelle) spécifique: les pauvres partageaient un sys-
tème de croyances et de modes de comportement
qu'ils transmettaient à leurs enfants en les socialisant ;
bien évidemment, cette «culture de la pauvreté»,
comme toute culture, faute de quoi elle disparaîtrait,
était adaptée à son environnement particulier et per-
mettait à ses membres d'affronter les difficultés de
leur vie quotidienne. Cette thèse d'une culture spéci-
fique aux catégories les plus pauvres des sociétés in-
dustrielles fut fortement contestée à l'époque au titre
que celles-ci, au moins aux États-Unis, participaient
en fait de la culture générale des catégories ouvrières
ou moyennes. Ce type d'interprétation est resté néan-
moins un élément permanent des explications propo-
sées pour expliquer la présence persistance de « pau-
vres» dans les sociétés affluentes.
La pauvreté paraît, en effet, très difficile à éradi-
quer. Une part non négligeable de la population vit
dans la pauvreté, quelle que soit la définition exacte
que l'on en donne, et cette part, dont tous les pays se
donnent comme objectif la diminution, ne baisse que
lentement, voire pas du tout. Cet échec (relatif) des
politiques sociales a suscité, notamment aux Etats-
Unis, de nombreuses recherches dans les années 1990.
Des travaux de géographie urbaine ont mis en évi-
dence des zones où les taux de pauvreté, de naissance
illégitime, de foyers monoparentaux et de criminalité
étaient particulièrement élevés. On parla d'underclass
pour désigner les populations concernées. Certains
suggérèrent que la persistance des aides était à
l'origine du problème en contribuant à modifier dura-
blement les dispositions psychologiques des individus
les plus démunis. On retrouvait par ce biais, et en par-

39
tant d'une base plus individualiste, la thèse de la
«culture de la pauvreté ». Cela étant, toutes les re-
cherches ont conclu à la grande difficulté de mettre en
évidence de tels effets. Des auteurs comme Wilson
(1987) ont souligné l'importance des structures loca-
les. La détérioration des situations dans les ghettos
noirs s'explique, d'après lui, essentiellement par le dé-
part des élites noires qui en formait l'ossature et qui,
ayant réussi socialement, se sont installées dans les
banlieues. Bidou (1984) a présenté des mécanismes
analogues à propos des grands ensembles en France.
Les chômeurs de longue durée constituent le der-
nier avatar de cette réflexion sur le bas de la hiérarchie
sociale. Tant que leur nombre restait faible, on ne
s'intéressait guère à la place qu'il convenait de leur af-
fecter dans la structure sociale. De 1950 à 1970, le
taux de chômage en France oscillait entre 1 à 2 % de
la population mais, à partir de 1975, il s'est élevé régu-
lièrement jusqu'à dépasser les 10 %. D 'une situation
très marginale, le chômage est donc devenu, en France
comme dans beaucoup d'autres pays, une situation
largement répandue. Quelles traductions donner à ce
phénomène en termes de structure sociale? Une possi-
bilité est de considérer que l'installation dans le chô-
mage définit une position de classe, une underclass :
modes de vie, position sociale et système de valeurs
des foyers de chômeurs modestes justifieraient de les
considérer comme un groupe social particulier. Une
autre possibilité est de rapprocher montée du chô-
mage, contrats à durée déterminée, travail à temps
partiel, intérim, etc. ; dans un même ensemble : la
montée de la «flexibilité». Dans cette optique, le de-
gré de sécurité de l'emploi pourrait devenir un prin-

40
cipe sur lequel fonder une description de la structure
professionnelle, dans la ligne de la proposition assez
ancienne de Schnapper (1981) qui suggérait de classer
la population par pérennité de statut d'emploi, les
fonctionnaires occupant le sommet. Dans le premier
cas, la « culture de la pauvreté » se définit par
l'absence d'un emploi. Ici encore, les études empiri-
ques conduisent plutôt à nier les spécificités des chô-
meurs de longue durée (Gallie, 1994) mais la tendance
existe toujours à inclure cette position particulière
dans les schémas généraux de la structure sociale.

2. La ou les classes moyennes? - L'expression de


«classe moyenne», bien que fréquente, est gênante
pour les sociologues, surtout si on emploie le pluriel.
Pour plusieurs raisons.
L'expression suggère la possibilité d'un ordonnan-
cement depuis un haut jusqu'à un bas en sorte que
la différence d'avec de possibles schémas de grada-
tion paraît faible. De plus, la « position de classe »
correspondant à une « classe moyenne » n'est pas
d'emblée suggérée par une telle dénomination, toutes
sortes de possibilités étant envisageables pour repérer
«ce qui est à la moyenne». Compliquant encore la
réflexion est le fait que des «classes moyennes», s'il
y en a, sont aussi un enjeu pour les politiques
puisque chacun peut espérer les attirer dans son
camp, si celui-ci se veut un peu large : le contenu
qu 'on leur donne est donc susceptible d'être mani-
pulé en conséquence (dans certains débats récents, le
terme est employé pour désigner, en fait, des foyers
appartenant aux déciles supérieurs de la distribution
des revenus).

41
Il y a, enfin et surtout, l'histoire de la discipline qui
conduit à connoter fortement l'emploi du terme. La
maquette de base proposée par Marx comprenait fon-
damentalement deux classes en opposition. Marx ob-
servait de nombreux autres groupes dans la société de
son époque mais les imaginait résiduels et appelés à
disparaître. À terme, on ne devait plus observer que
des prolétaires et des capitalistes. Or une « classe
moyenne » est à coup sûr ni le prolétariat, ni la bour-
geoisie capitaliste. Si on retient un schéma faisant sa
place à ce terme, cela signifie-t-il qu'on considère la
prévision de Marx comme erronée ou comme non en-
core réalisée ?
De la fin du xrxe siècle aux années 1930, on observe
dans les sociétés occidentales un fort maintien de tra-
vailleurs «indépendants », artisans et commerçants,
non-salariés mais certainement pas capitalistes. Mal-
gré les prévisions, ces travailleurs indépendants ne dis-
parurent pas après guerre. On observe aussi très tôt
une montée du nombre des salariés non manuels peu
qualifiés, employés de service et de bureau, peu quali-
fiés mais «cols blancs ». Ils ont continué de se déve-
lopper en nombre et, de plus, les catégories supérieu-
res et intermédiaires ont, elles aussi, fortement cru. Ce
sont tous ces groupes qui peuvent être considérés
comme des « classes moyennes » : ils ne sont ni les
« ouvriers », clairement prolétaires, ni les « gros » em-
ployeurs, clairement capitalistes. Comment les consi-
dérer par rapport à la maquette de Marx?
Une réaction est de maintenir la vision dichoto-
mique marxiste. Certains ont ainsi considéré que tous
les travailleurs peu qualifiés, manuels ou non, étaient
dans la même position de classe et que celles des

42
autres étaient assimilables à celle des employeurs (les
artisans-commerçants posant toutefois des problèmes
particuliers). D'autres ont considéré qu'un même pro-
cessus général de « prolétarianisation » rapprochait en
fait toutes les catégories en les opposant aux em-
ployeurs. Une autre réaction, enfin, est de tirer acte de
la présence persistante de diverses catégories et
d'abandonner la vision dichotomique. C'est plutôt
celle-là, comme on le verra, qui a prévalu dans des va-
riantes tant marxistes que non marxistes.
Le même débat s'est déroulé dans tous les pays
mais avec des variantes nationales. Dans le cas fran-
çais, on peut distinguer plusieurs périodes.
• Durant les décennies 1960-1970, l'attention se
portait plutôt sur les catégories ouvrières. La
montée de la société de consommation conduirait-elle
à leur embourgeoisement ou allait-elle maintenir leurs
spécificités ?
• Puis on s'interrogea sur l'augmentation des effec-
tifs des catégories supérieures et intermédiaires. Le dia-
gnostic fut celui d'une « moyennisation » de la société
française, à entendre non pas comme un nivellement
général mais comme sa centration progressive sur les
«classes moyennes» (Dirn, 1990). On pouvait délimi-
ter celles-ci comme les «cadres moyens», une partie
des «cadres supérieurs» (notamment les enseignants
du secondaire) et des« employés». L'emploi du pluriel
traduisait évidemment une certaine incertitude sur
l'homogénéité du groupement. Cela étant, le groupe-
ment considéré était opposé à la fois au « bas » de la
hiérarchie sociale et aux catégories ouvrières, d'une
part, au haut de la hiérarchie sociale, aux plus« supé-
rieurs » des cadres supérieurs, aux élites, de l'autre. Cet

43
ensemble pouvait apparaître comme l'élément le plus
dynamique de la société française. Son expansion sur
le plan démographique était la plus forte. Il était
source de nombreuses innovations, à l' origine de nom-
breux changements dans les mœurs appelés à se
répandre dans toute la société (Bidou, 1984). Tout un
réseau d'associations, la mise en place de nouvelles for-
mes de sociabilité permettaient à certains de leurs
membres d'occuper progressivement des positions de
notables et le rôle et la place des catégories supérieures
(bourgeoisie classique, dirigeants) en semblaient ré-
duits1. La montée des thèmes écologistes et, surtout, le
succès du Parti socialiste dans les années 1980,
semblèrent confirmer la validité de cette perspective.
• Actuellement, ce ne sont plus les échelons inter-
médiaires de la hiérarchie sociale qui se développent le
plus rapidement mais bien les échelons supérieurs. De
plus, les inégalités économiques ne semblent plus
guère se réduire, ce qui, sans mettre en cause vraiment
un diagnostic qui porte sur des schémas de dépen-
dance et non de gradation, n'est cependant pas très
congruent avec l'idée de classe moyenne. Le diagnos-
tic d'une montée des classes moyennes dans la société
française est donc sinon remis en cause pour le passé,
à tout le moins objet de débat pour le présent. Cer-
tains auteurs ont même parlé de la « fin du modèle
français de classe moyenne» (Tenzer, 1994). Le débat,
on le soulignera, n'est pas que français. Le thème du

1. Il faut rappeler la très forte concentration géographique des


«cadres supérieurs » dont une bonne part se retrouve dans
l'agglomération parisienne, part qui ne peut guère, pour cette rai-
son, occuper des fonctions de responsabilité aux échelons géogra-
phiques locaux de la France.

44
«déclin de la classe moyenne» ou de l' «éclatement
de la classe moyenne» est très présent aux États-Unis
et, plus largement, dans les comparaisons internatio-
nales récentes. Il est toutefois entendu alors beaucoup
plus largement qu 'en France et renvoie soit à l'idée
d'une polarisation entre un haut et un bas de la hié-
rarchie des revenus, soit à la distinction entre insiders
et outsiders, qui fait de la segmentation du marché du
travail et de l'accès à celui-ci un critère essentiel de la
structuration sociale. C'est donc au minimum à une
perplexité générale que l'idée de la « montée des clas-
ses moyennes» se heurte maintenant.

3. Intellectuels et autres knowledge workers. - En


fait, on a déjà abordé ces knowledge workers à propos
des classes moyennes. Plusieurs tendances d'évolution
des sociétés occidentales sont ici en cause. D 'une part,
l'élévation constante des niveaux d'éducation im-
plique, mécaniquement, une augmentation du nombre
des enseignants tant du secondaire que du supérieur
(l'enseignement et la formation étant des activités de
service où les gains de productivité sont faibles). De
l'autre, le développement continu de la rationalité
technique et la recherche de plus en plus systématique
de l'efficience productive conduisent à augmenter le
nombre des chercheurs, appliqués comme fondamen-
taux, et des «experts» de toute nature. En consé-
quence, le nombre d'actifs impliqués dans des activités
nécessitant des connaissances de haut niveau ne cesse
d'augmenter.
Ces évolutions sont repérées par les sociologues dès
les années 1970. Bell (1973), bien que réticent à parler
de « classe », imagine que ces élites de l'expertise vont,

45
à terme, contribuer fortement à définir les sociétés oc-
cidentales en prenant le pas sur les dirigeants clas-
siques des entreprises. D'autres auteurs, après lui,
n 'hésiteront pas à parler de «nouvelle classe». Cela
étant, l'idée a été fortement critiquée sous divers
angles : l'hétérogénéité («intellectuels critiques» et
«intelligentsia technique» partagent-ils vraiment les
mêmes objectifs, même s'ils peuvent avoir des intérêts
communs à faire reconnaître leur niveau de connais-
sance ?), la possibilité d'isoler les knowledge workers
des autres professions nécessitant de forts degrés
d 'expertise (managers, professions libérales en France,
professionals dans les pays anglo-saxons), le degré au-
quel leurs modes de rémunération les différencient
d 'autres salariés (l'intellectuel prolétaire) ou des diri-
geants (l'intellectuel stipendié). L'état actuel des dé-
bats dégage plutôt l'idée d'un consensus pour ne pas
isoler une classe d'intellectuels, ce qui ne veut pas dire
que le niveau de formation ou d 'expertise ne puisse in-
tervenir pour aider à délimiter des positions de classe.

Ill. - Les leaders. Eric Olin Wright


et John Goldthorpe
Comme on l'a dit plus haut, deux propositions de
schéma général de classes sont actuellement disponi-
bles et ont recueilli suffisamment d 'attentions pour
que leur usage dépasse largement le cercle immédiat
de leurs concepteurs. Nous allons les présenter suc-
cinctement avant de décrire leurs ressemblances et
différences.
On soulignera cependant d 'emblée deux points.
L'une et l'autre de ces propositions s'accordent sur

46
l'idée que la classe se définit par une place dans le sys-
tème de production. L'une comme l'autre sont à rap-
procher plutôt du Marx observateur voulant rendre
compte de toute la p alette des différences significatives
présentes dans les sociétés contemporaines que du
Marx formalisateur voulant construire une maquette
simplifiée du fonctionnement de celles-ci : toutes deux
distinguent en effet un nombre non négligeable de
classes et sont, l'une comme l'autre, prudentes, voire
réticentes pour penser avoir délimité ainsi des
« classes-identité», a fortiori des «classes-comme-
acteurs-historiques ».

1 . Le « Comparative Class Structure and Class


Consciousness Project » d'Eric Olin Wright. - Le pro-
jet débute dans les années 1975-1980 et, d'abord limité
aux États-Unis, s'étend maintenant à de nombreux
pays (mais pas à la France). C'est un programme
marxiste : Wright veut assurer une légitimité au mar-
xisme en l'insérant dans le « terrain central de la so-
ciologie académique, qui est clairement fondée sur des
recherches quantitatives » 1• L'outil de base est un
questionnaire (présenté au chapitre suivant) qui doit
être repris sans changement dans tous les pays.
Wright et ses associés n'ont pas cherché à expliciter
d'emblée des hypothèses qu'ils voulaient tester, le type
de validation qu'ils proposaient de leur manière de dé-
finir les «classes sociales ». Ils voient plutôt leur tra-
vail comme devant contribuer à la réflexion marxiste

1. Lorsque les éditions françaises ne sont pas mentionnées en


note ou dans la bibliographie, les traductions des citations d'au-
teurs non francophones ont été réalisées par l'auteur lui-même.

47
en général. Ils vont donc utiliser leurs données et leur
schéma de classe dans de très nombreux champs de
cette réflexion : liens entre évolutions historiques et
structure sociale ; comparaison de différentes défini-
tions du prolétariat ; degré de « clôture » des positions
de classe ; lien entre position de classe et conscience de
classe, etc. Ces recherches ont souvent un aspect plu-
tôt « documentaire », vérifiant la possibilité de décrire
tel phénomène dans le langage de la nomenclature,
qu'explicatif à proprement parler (mais est-ce le seul
cas de Wright?).
Wright a proposé deux variantes de son schéma
de classe. La deuxième, la seule dont on parlera ici,
s'appuie sur la notion d' «exploitation». Wright
considère qu 'il y en a trois différentes sources possi-
bles. Chacune correspond au contrôle d'une ressource
différente à l'intérieur du monde du travail. Ces trois
types de ressources sont : celles découlant de la pos-
session de capital, celles découlant de la place que l'on
occupe dans l'organisation de l'entreprise, celles résul-
tant des expertises que l'on peut avoir (accordant ainsi
une place aux dimensions évoquées à propos des
knowledge workers). Ces possibilités d'exploitation
tiennent d'abord au contrôle des investissements et du
processus d 'accumulation ; les décisions sur l'implan-
tation et la nature des équipements conditionnent en
effet à terme l'organisation du travail, la formation et
la qualification requise des travailleurs. Mais ces
possibilités tiennent aussi, une fois les décisions
d 'investissement prises, aux décisions sur l'utilisation
et la mise en œuvre des moyens de production. Elles
tiennent, enfin, à la possibilité de maintenir la disci-
pline sur le lieu de travail, de s'assurer du respect des

48
consignes, etc. Tous les types de contrôle dépendent
en partie les uns des autres - contrôler les investisse-
ments donne certainement la possibilité de définir la
discipline sur le lieu de travail - mais ne coïncident
pas toujours exactement.
Pour chaque type de ressources à l'origine d 'une ex-
ploitation potentielle, Wright distingue trois situa-
tions. D'abord, bien sûr, celles d' « exploiteur» et
d' «exploité ». Entre les deux, Wright ajoute une si-
tuation intermédiaire, différentes raisons nécessitant à
ses yeux d 'introduire des intermédiaires. Cette intro-
duction ne conduit cependant pas à créer, dans l'esprit
de Wright, un continuum : les «exploiteurs» exploi-
tent bien les «exploités». Mais, dans certains cas, il
peut se faire en effet que la distinction entre exploi-
teurs et exploités soit objectivement non pertinente.
Il peut aussi arriver, raison d'un tout autre ordre,
qu'il soit impossible au chercheur de conclure avec
certitude sur le fond en raison d'un manque
d'informations.
Les positions de classe sont finalement définies par
la combinaison des trois dimensions, permettant de
construire non pas 27 positions comme on aurait pu
l'imaginer, mais 12 car la distinction entre ceux qui
sont propriétaires des moyens de production et ceux
qui ne le sont pas occupe une place à part et tout à fait
essentielle dans cette construction typologique. Les
deux autres dimensions ne sont introduites que pour
établir des différenciations entre ceux qui ne possèdent
pas de moyens de production. On notera que cette fa-
çon de combiner ne donne que peu d'espace à des posi-
tionnements de type «classe moyenne», celle-ci ne
pouvant qu'être éclatée entre diverses composantes.

49
Wright se veut très clairement marxiste. Ses référen-
ces et sa participation aux débats intellectuels du mi-
lieu marxiste le montrent bien. Cette orientation appa-
raît bien aussi dans la volonté fortement affichée de
raisonner en termes d' « exploitation » : les « exploi-
teurs » retirent plus de leur situation que les « exploi-
tés», et cela au détriment de ces derniers. Il s'agit là,
aux yeux de Wright, de propositions empiriques tes-
tables qu'il avait examinées dans les débuts de sa car-
rière mais qu'il n' a pas repris depuis. Cette apparte-
nance apparaît bien aussi dans le refus, qui sous-tend
la démarche typologique, de fabriquer des « conti-
nuums de statut». Néanmoins les différences entre les
principes utilisés par Wright pour construire sa typo-
logie de classe et des principes webériens classiques ne
sautent pas toujours aux yeux (exception faite , bien
sûr, pour la place accordée à la possession des moyens
de production). L'évolution de Wright 1 à Wright 2,
en outre, s'est faite par l'introduction de la notion de
« domination», critère de distinction qui paraît plus
d'inspiration webérienne que marxienne de stricte
obédience. D'ailleurs, Wright lui-même insiste longue-
ment sur le fait que la domination n'est pas similaire
de l'exploitation, dans le cas des enfants par exemple.

2. L'école de Goldthorpe. Les particularités de la


relation de travail. - Le fil directeur que retient Gold-
thorpe pour construire son analyse à partir des an-
nées 1980 est ce qu'il appelle la « relation d'emploi »,
la nature des relations de travail.
Deux types de distinction, dit-il, y sont fondamen-
taux. Goldthorpe reconnaîtrait sans doute que ces dis-
tinctions sont contingentes en ce sens qu'elles corres-

50
pondent à la manière particulière dont ont été résolus
dans nos sociétés les problèmes que rencontrent les
employeurs pour vérifier que les employés effectuent
bien leur travail. Il n'en reste pas moins que leur pré-
sence structure très fortement les conditions de vie des
personnes.
La première distinction est entre travailleurs indé-
pendants, employeurs et salariés.
L'autre est à l'intérieur des salariés, entre ceux dont
la nature de l'activité permet d'établir un contrat de
travail précis, liant directement leur rémunération à
leur production, et ceux dont la nature de l'activité ne
permet pas d 'établir un tel lien. D 'un côté, le « contrat
de travail» où les salariés reçoivent de l'argent en
échange d 'une tâche nettement déterminée, effectuée
sous le contrôle de l'employeur ou de son représen-
tant, la rémunération étant effectuée en général sur
une base unitaire ou horaire : ce seront les workers.
De l'autre, la «relation de service » impliquant un
échange généralement plus diffus et à plus long terme
où les salariés reçoivent, en échange des services qu'ils
rendent à leur organisation, une rémunération pour
une part largement prospective, sous forme notam-
ment d'assurance d'augmentations de salaire réguliè-
res et d'opportunités de carrière : on parlera, dans leur
cas, de la service class. La service class évoque assez
bien en pratique une des délimitations possibles des
« classes moyennes ». De fait, la sociologie britan-
nique a beaucoup discuté de ce même ensemble, cor-
respondant aux « cadres moyens » et « cadres supé-
rieurs» français, sous l'expression new middle class,
par opposition à la old middle class constituée des tra-
vailleurs indépendants ou petits employeurs, pour en

51
souligner en général l'hétérogénéité (hétérogénéité que
l'on retrouve aussi sous l'emploi du pluriel dans le
contexte français) : voir Bidou (2000) pour des détails.
Cependant, Goldthorpe définit bien son regroupe-
ment de service class par la nature de son contrat de
travail et de son mode de rémunération et non par une
position supposée « moyenne » ou intermédiaire.
Dans la pratique, Goldthorpe a compliqué un peu
son schéma en introduisant des distinctions sectoriel-
les (par exemple, les « agriculteurs exploitants » sont
isolés des autres indépendants au titre qu'il y aurait
des particularités propres au secteur primaire) ou en
distinguant travailleurs manuels et non manuels.
Le class-schema de Goldthorpe est maintenant très
largement utilisé, dans de très nombreux pays, où il
joue, de fait, un rôle assez similaire à celui du code des
catégories socioprofessionnelles en France. Pour cette
raison, il serait difficile de dresser un bilan des domai-
nes où on l'a appliqué. Initialement, Goldthorpe avait
construit son schéma essentiellement pour étudier la
mobilité sociale dans une perspective comparative
après avoir, dans les débuts de sa carrière, étudié les
catégories ouvrières (il est l'auteur de recherches célè-
bres sur l'ouvrier de l'abondance) mais il a largement
présenté son approche comme dépassant ce seul do-
maine et plaidé pour un programme que l'on pourrait
qualifier de « défense et illustration de l'importance
d'examiner les différences de classe dans les sociétés
contemporaines». Logiquement, il a participé active-
ment aux débats sur «la fin des classes » (voir
chap. VI) et, avec les chercheurs anglais proches de lui
à Oxford, dont plusieurs se sont intéressés aux déter-
minants du vote, a défendu le point de vue d'une per-

52
manence des effets, non de leur disparition. Dans le
bilan que Goldthorpe a dressé de ces propres travaux,
il souligne l'importance et la généralité des effets qu'il
observe (ce qui est une manière de valider son propre
programme). C'est précisément cette ubiquité de la
présence des effets qui lui paraît devoir être expliquée.
En effet, s'il a construit sa proposition en supposant
que la « relation d'emploi » devait être très impor-
tante pour rendre compte de la vie des personnes, il
s'agissait là d'une supposition a priori, une intui-
tion non argumentée théoriquement. Cette intuition
s'avère donc fondée, mais reste à comprendre les mé-
canismes sociaux sous-jacents qui expliqueraient les
liens observés.

3. Similarités et différences. - Les deux proposi-


tions de schémas de classe que je viens de présenter
(mais d'autres aussi) s'accordent sur l'idée que
l'appartenance de classe doit se définir par la place
dans le système de production. Wright comme Gold-
thorpe pensent que cette appartenance a un rôle très
important, voire central pour la vie des individus, et
ils s'accordent donc aussi sur l'importance des ef-
fets structurants. Toutefois, Wright les pense plus
importants.
Wright et Goldthorpe (pas seulement eux d'ailleurs,
mais toutes les autres propositions disponibles) se re-
trouvent aussi sur le fait qu'ils retiennent un nombre
non négligeable de «classes » : de l'ordre de la di-
zaine. Les représentations binaires ou ternaires ont
disparu et la structure sociale est traitée comme plus
complexe qu'une simple opposition entre capitalistes
et prolétariat, par exemple. En fait, le souci des pères

53
fondateurs, Marx ou les Physiocrates, de construire
une représentation sous forme d'un schéma simple bi-
naire ou ternaire au prix d'une éventuelle abstraction
et de disposer ainsi d'une maquette du fonctionne-
ment des sociétés n'est plus guère sensible de nos jours
et il n'y a presque plus de propositions de type « ma-
quette », l'une des rares récentes étant celle d'Henri
Mendras, qui traite d'ailleurs d'une période qu'il juge
révolue de l'histoire française (cf. encadré 2 en annexe,
p. 115).
Cela étant, il y a évidemment des différences entre
Wright et Goldthorpe.
Wright est marxiste. De ce fait, pour lui, la place
dans le système de production doit renvoyer aux no-
tions de domination et d'exploitation : « Ce qui rend
une analyse en termes de classes distinctivement
marxiste est de rendre compte des mécanismes spéci-
fiques [expliquant le lien entre la position dans le sys-
tème de production et les ressources dont on dispose].
Ici, les concepts fondamentaux sont ceux d'exploita-
tion et de domination», dit-il (Wright, 2001).
Tout en étant prudent sur le matérialisme histo-
rique et le degré auquel on peut rendre compte des
évolutions de long terme des sociétés par une lutte de
classe, Wright ajoute ensuite que retenir un point de
vue marxiste implique de considérer que, si les classes
sont bien sûr importantes pour déterminer les vies in-
dividuelles (point de vue de Goldthorpe), elles le sont
aussi pour comprendre la dynamique des institutions
(ce que ne dit pas, ou guère, Goldthorpe). Ce serait là
son but ultime, comprendre l'évolution à long terme.
Goldthorpe est explicitement beaucoup moins am-
bitieux. Une approche en termes de classe lui paraît

54
très importante pour analyser les conditions de vie des
personnes dans les sociétés contemporaines mais cela
n'implique pas pour autant que l'évolution des socié-
tés doive s'analyser dans les mêmes termes. Les posi-
tions de classe sont supposées capturer un lien entre
place sur le marché du travail et chances de vie. Ce
lien est très important mais on ne pose pas que les re-
lations entre classes ainsi définies sont une compo-
sante essentielle des dynamiques historiques. Le projet
de Goldthorpe est d'étudier toutes les conséquences,
en matière de conditions d'existence et de reproduc-
tion sociale, des positionnements différenciés que les
individus occupent sur le marché du travail. L'étude
doit d'abord être de registre plutôt descriptif - que
constate-t-on comme corrélations? - avant de devenir
explicative - quels mécanismes seraient susceptibles
d'expliquer en termes de causalité les corrélations ob-
servées, étant entendu que bien des facteurs n'ayant
que de lointains rapports avec la place sur le marché
du travail peuvent jouer un rôle ? (Goldthorpe et
Marshall, 1995). Les propositions de Goldthorpe ont
été souvent qualifiées de webériennes, encore que lui-
même s'en soit défendu. Elles le sont en tout cas pour
son insistance à éviter de faire des classes sociales LE
facteur explicatif unique. Les études cherchant explici-
tement à évaluer la« qualité» du code de Goldthorpe
introduisent souvent diverses variables en contrôle,
par exemple le niveau d 'éducation. La « classe » est
donc bien vue, dans ces cas, comme l'une des compo-
santes de la définition des positions sociales parmi
d'autres. Il faut cependant noter que Goldthorpe ac-
corde à cette situation sur le marché du travail une
importance toute particulière.

SS
Un certain nombre de tentatives ont été faites pour
comparer les deux schémas. Elles ont conclu à la supé-
riorité du schéma goldthorpien pour deux raisons.
D'abord pour sa plus grande facilité de mise en œuvre
(le nombre d'observations difficiles à classer y serait
plus faible), ensuite pour son « pouvoir explicatif»
(au sens statistique) plus important. Cependant, cette
comparaison ne considère guère les pertinences théori-
ques des deux approches. De plus, elle s'appuie sur
l'analyse de données anglaises, pays pour lequel le
code de Goldthorpe a d'abord été mis au point, ce qui
peut suggérer que le code rend mieux compte des dif-
férences parmi les Anglais parce qu'il les prend mieux
en compte d'emblée.

IV. - Les outsiders

Les propositions des leaders, Wright ou Gold-


thorpe, datent des années 1975-1980 et ont plutôt été
conçues dans l'ambiance intellectuelle de l'après-
guerre, des « Trente Glorieuses » et de la croissance
industrielle. De nouvelles propositions, prenant acte
des changements depuis cette période, se font jour.

1 . Donner sa place au travail des femmes. G0sta


Esping-Andersen. - G0sta Esping-Andersen (1993)
observe que ce modèle de développement économique
a changé dans les années 1980. Il constate aussi que
les services sociaux et les transferts se sont considéra-
blement développés, à tout le moins dans les pays eu-
ropéens et, en particulier, scandinaves. Ses propres re-
cherches sur les modèles d'État-providence européens

56
le conduisent à s'interroger sur la place qu'il convien-
drait de faire à cet aspect des choses.
En somme, les sociétés occidentales ne sont plus des
sociétés industrielles mais des sociétés postindustriel-
les. Les services, en particulier les services sociaux fi-
nancés par l'impôt, s'y sont développés. Le fonction-
nement du marché du travail y est de plus en plus
modulé par les interventions de l'État, tant directes au
travers des diverses réglementations qu'il impose sur
les contrats de travail eux-mêmes qu 'indirectes par
son rôle dans la croissance du système éducatif.
L'accès généralisé, enfin, des foyers aux technologies
domestiques et à tous les objets de consommation vi-
sant à économiser les temps de préparation et de pro-
duction domestique a redéfini assez fortement les vo-
lumes de temps disponibles par les uns ou les autres à
des fins d 'activité économique productive. Tout cela
ne devrait pas être sans conséquence sur la structure
d'un schéma de classe.
Une bonne part de ces remarques conduit en fait
à s'interroger sur la place faite dans les schémas de
classe antérieurs aux particularités éventuelles de
l'activité professionnelle des femmes. Ce sont elles,
en effet, qui bénéficieront assez directement des allé-
gements du travail ménager (dont elles étaient, et
sont toujours, les responsables principaux); dont le
niveau d'étude s'est considérablement accru ; et qui
vont bénéficier de manière privilégiée du développe-
ment des activités de service mis en place par l'Etat-
providence, soit que ces activités leur permettent
d'alléger leurs propres tâches domestiques, soit
qu'elles soient de manière privilégiée les titulaires de
ces emplois.

57
Esping-Andersen considère cependant que l'ancien
régime «industriel » n'a pas complètement disparu au
profit d'une nouvelle organisation économique « post-
industrielle». Il propose donc de distinguer au sein de
l'économie deux ensembles qui fonctionneraient sui-
vant deux logiques différentes. D 'une part, un secteur
« rassemblant les activités traditionnellement associées
avec le régime "fordiste" 1 d'une production de masse
standardisée » ; de l'autre, le secteur post-industriel,
fonctionnant sur la logique économique propre aux
activités de services. À l'intérieur de chacun des deux
secteurs, Esping-Andersen propose alors de distinguer
des «classes » sur base d'une hiérarchie reflétant si-
multanément degré d 'autorité, responsabilité et degré
d'expertise.
Des études s'inspirant des propositions d'Esping-
Andersen sont parues mais elles ne sont pas (encore ?)
très nombreuses. Ses propositions ne paraissent pas en
passe de devenir un « standard » de la discipline
comme le sont celles de Wright et Goldthorpe.
Esping-Andersen, lui-même, s'est servi de son schéma
(en collaboration avec d'autres auteurs) pour compa-
rer les structures sociales de différents pays occiden-
taux et mettre en évidence, derrière une montée géné-

1. Le compromis « fo rdiste », notion mise au point pa r les éco-


nomistes français de l'école dite de la régulation, désigne le régime
économique des Trente Glorieuses. L' idée serait qu'un accord se
serait fait entre les divers acteurs pour mettre en place et faire fonc-
tionner une organisation industrielle hiérarchisée permettant une
production de masse et, via une politique keynésienne, un plein
emploi et une augmentation régulière des salaires, une consomma-
tion de masse. U n aspect de ce «compromis» est sans doute aussi
un modèle familial basé sur une division du travail assez prononcée
entre genres.

58
rale des emplois de « service », plutôt occupés par
les femmes, des particularismes liés notamment aux
régimes des États-providence.

2. Le projet durkheimien alternatif de David


Grusky. - Les propositions de David Grusky (1998)
sont récentes et se présentent d'abord comme une dé-
fense des approches en termes de classe contre les cri-
tiques dont elles font l'objet depuis une quinzaine
d'années (voir ci-dessous chap. VI).
En substance, on le verra, ces critiques d'une part
contestent l'utilité (au moins dans la situation présente
des sociétés occidentales) des distinctions proposées
par la littérature pour rendre compte des comporte-
ments sur base d'une appartenance de classe (de nom-
breux autres facteurs interviennent et interviendraient
de plus en plus) et, de l'autre, constatent ou croient
constater que ces appartenances de classe sont, dans
les faits, fort peu présentes dans les esprits des person-
nes concernées. Ni dans une perspective réaliste (les
« classes » correspondent à des objets sociaux un mi-
nimum objectivables), ni dans une perspective nomi-
naliste (le chercheur délimite lui-même ce qu'il appelle
« classe » en fonction de ses besoins d'analyse), les
propositions disponibles ne paraissent bien convain-
cantes, ce qui montrerait bien l'inintérêt d'adopter des
représentations de la société fondées sur l'idée d 'une
structuration en classe.
Pour Grusky, les critiques sont certes fondées mais
la conclusion finale l'est beaucoup moins.
Les schémas de classe disponibles, qu'ils soient pro-
posés par Wright ou Goldthorpe, vont distinguer quel-
ques positions de classe, une dizaine environ, dont il

59
est bien vrai qu'elles sont présentées comme analyti-
quement utiles tout en n'ayant, à l'évidence, que fort
peu de pertinence pour les membres de la société et fort
peu de base légale (comme le montre bien d'ailleurs,
pour prendre cet exemple, des dénominations comme
Semicredentialed Supervisors dont une traduction
pourrait être : « Surveillant disposant de diplômes de
niveau intermédiaire »et dont la signification concrète
est peu évidente pour l'homme de la rue). L'erreur en
réalité est là : d'avoir construit des «grandes » classes
quand, à l'évidence, celles-ci ne se sont guère institu-
tionnalisées en tant que telles dans la société.
Mais cela invalide-t-il, pour autant, d'adopter des
représentations de la société en «schémas de dépen-
dance» enracinées dans l'organisation de la produc-
tion ? La réponse de Grusky est négative.
Dans les sociétés contemporaines, argumente-t-il,
on constate bien des institutionnalisations de groupe-
ments sociaux qu 'on peut relier à des positions dans
l'organisation du travail mais ces groupements se défi-
nissent par des métiers ou des occupations, non par de
très vastes regroupements. Dans cette perspective, le
«père fondateur» qu'il conviendrait de mobiliser n'est
ni Marx, ni Weber mais Durkheim. Celui-ci avait tout
à fait anticipé des évolutions de cet ordre dans ses dif-
férents écrits sur les conséquences de la croissance de la
division organique du travail. La stratégie d'analyse
correcte n'est donc pas de s'intéresser à de « grandes »
classes mais bien à ces «micro-classes » 1, d'examiner

1. Grusky, lui-même, place sa démarche au niveau MICRO mais


les institutionnalisations qui l' intéressent renvoient, à l'évidence, au
niveau MESO.

60
dans quelle mesure les personnes concernées ont ten-
dance à se comporter de manière similaire, à agir col-
lectivement, à délimiter leur groupe, s'en percevoir
membres et en exclure les autres - bref, de réaliser sur
ces «petites » classes toutes les recherches habituelle-
ment menées sur les «grandes». On trouverait alors
- c'est du moins l'hypothèse du programme de re-
cherche que Grusky entend développer - que l'ap-
partenance de classe ainsi définie joue un grand rôle.
En somme, si la « structuration » en « grandes » clas-
ses est sans doute faible comme le disent les critiques,
celle en« métiers » serait forte. On peut d'ailleurs ima-
giner, ce qu 'a fait Grusky lui-même, que diverses com-
binaisons puissent s' observer, certains pays ayant un
fort degré de structuration des deux points de vue,
d'autres un faible, d'autres encore un faible et un fort à
la fois.
Le programme de Grusky est en cours de dévelop-
pement et il est encore prématuré de savoir quelle
réussite il aura. Son point de vue est, en tout cas, sus-
ceptible de renouveler les perspectives.

V. - Les dimensions oubliées


Les schémas de dépendance sous-jacents aux pro-
positions des «leaders» comme de celles des « outsi-
ders» ont pour principe d'agencement l'organisation
de la production. Weber, on l'a vu, avait suggéré que
d'autres principes puissent être envisagés. De fait,
nombre de discussions sur la structure des inégalités
peuvent se lire comme autant de suggestions pour in-
tégrer des principes alternatifs ou complémentaires
dans la construction de schémas de dépendance. Je

61
présenterai ici trois exemples de ces candidats poten-
tiels. Tous portent sur des attributs dits ascribed, ca-
ractéristiques individuelles sur lesquelles les individus
n 'ont guère de prise, comme le sexe. Ce dernier est la
caractéristique pour laquelle les propositions ont été
les plus organisées.

1 . Genre comme quasi-classe. Le mode de pro-


duction domestique. - En 1973, Joan Acker publie
un article qui fera date : « Women and social stratifi-
cation: A case of intellectual sexism ». Les femmes,
dit-elle, sont absentes des études de la stratification
sociale qui se concentrent exclusivement sur les hom-
mes. Ainsi, les études de mobilité sociale analysent la
situation sociale des hommes, et d'eux seuls, en les
comparant à leur père, et à eux seuls (les choses ont
changé depuis et des travaux ont traité de la situa-
tion des femmes) .
Du point de vue des sociologues féministes, cette
absence d'intérêt pour la situation des femmes reflète
d'abord un biais sexiste de la sociologie. Cependant,
souligne Acker, elle traduit des hypothèses sociolo-
giques qu'il convient d'examiner.
En fait, dit Acker, les unités sociales auxquelles
s'intéressent vraiment les sociologues de la stratifica-
tion sociale sont les foyers qui sont considérés (impli-
citement) comme seuls pertinents pour étudier les
structures inégalitaires. L'idée est que le foyer est un
lieu de mise en commun des ressources et que c'est
donc sa situation qui détermine en fait les chances de
vie de ses membres. Ainsi, il convient d'analyser sa
position dans la structure sociale. Les conceptions
fonctionnalistes de la famille issues des vues de Tal-

62
cott Parsons suggèrent que le couple familial est orga-
nisé (et doit s'organiser pour être efficace) autour
d'une division du travail sur une base sexuée suivant
laquelle l'homme, leader« instrumental» du foyer, est
orienté vers l'extérieur, a une activité professionnelle
et est l'apporteur des ressources financières, tandis
que la femme, leader «expressif», s'occupe plutôt de
l'intérieur du foyer et n'a pas d'activité profession-
nelle. Dans une telle configuration, c'est évidemment
plutôt la situation de la seule personne insérée dans le
monde du travail qui détermine la position de classe
du foyer - l'homme, donc.
Trois ordres de critiques et remarques peuvent
être faits à l'encontre de la validité d'un tel mode
d'analyse.
• Premièrement, cette perspective dite «classique »
suppose que les individus vivent tous en couples, dans
des foyers bien identifiés. Or l'évolution générale des
structures familiales remet clairement en cause cette
idée. Nombre de personnes vivent seules, ne serait-ce
qu'en raison d'un veuvage, les foyers monoparentaux
se sont développés, le divorce et les mariages recom-
posés aussi de sorte qu'il est de plus en plus difficile de
supposer que la position d'une personne est stable et
facilement repérable au travers de sa situation à un
instant donné. La position d'une personne est de
moins en moins assimilable à celle de son foyer.
• Une deuxième évolution des sociétés occidentales
est de plus de conséquence encore pour la validité
de la position classique, c'est la généralisation de
l'activité professionnelle des femmes. Les foyers ne se
définissent plus par un seul apporteur de ressources
mais bien par deux. Lequel choisir ? Une solution est

63
de prendre le « principal apporteur de ressources » :
c'est la position qui domine progressivement dans les
approches statistiques européennes. Une autre est de
continuer de retenir le mari, même s'il n'est pas
l'apporteur de ressources principal, au titre essentielle-
ment que l'opinion commune continue, comme les
études le montrent (voir ci-dessous), de le considérer
comme le «bon» représentant du foyer. Une troi-
sième enfin est d'abandonner cette hypothèse du foyer
comme unité pertinente et d'étudier les individus en
eux-mêmes, hommes ou femmes indifféremment, ce
qui n'est pas sans difficultés, sauf en matière de mobi-
lité sociale, et ce n'est certainement pas un hasard si
les travaux adoptant cette perspective se sont peu dé-
veloppés, puisqu'il faut alors convenir d'une manière
d'affecter les biens communs aux conjoints ou, sinon,
faire l'impasse sur eux.
• Une dernière critique porte sur le non-dit de cette
« mise en commun » des ressources, à savoir qu'elle ne
profite pas également à tous. Les études de sociologie
de la famille sur le pouvoir au sein du couple montrent
que celui-ci est loin d'être également partagé et qu'en
première approximation le pouvoir de l'homme est
plus important et, donc vraisemblablement, son accès
aux biens communs aussi. Retenir le foyer comme
unité d'analyse masque donc en quelque sorte qu'il
existe une différence systématique liée au genre dans
l'accès aux ressources. Il conviendrait d'en tenir
compte. Un terme ultime de cette critique est celui re-
tenu par Delphy et Leonard (1992) qui soulignent dans
Familiar Exploitation. A New Analysis of Marriage in
Contemporary Western Societies que toutes les femmes
partagent la même situation d'être exploitées au profit

64
des hommes avec qui elles vivent puisqu'elles sont les
principales responsables des activités domestiques et
ménagères, non rémunérées, au sein des foyers des-
quels ceux-ci vivent. Être homme ou femme définit fi-
nalement des positions de classe, des« classes-en-soi ».
Pour l'instant, aucune nouvelle orthodoxie ne s'est
imposée. Les recherches continuent de se faire plutôt
en retenant les foyers comme unité d'observation et
d'étude, et de représenter ces foyers par l'homme lors-
qu'il y a couple, sans que cette façon de faire soit
considérée comme bien satisfaisante.

2. Et les retraités ? - La place dans le cycle de vie


est une autre caractéristique individuelle envisageable
pour la construction de schémas de dépendance.
C'est une caractéristique à laquelle le débat brûlant
dans nos sociétés sur le financement des retraites
confère une grande actualité.
Le vieillissement de la population dans les pays oc-
cidentaux conduit partout à un fort accroissement à
terme de la part des personnes âgées et les problèmes
que cette évolution pose ne sont pas que français.
Comme les retraites des uns sont financées (en dernier
ressort et quelle que soit la méthode précise retenue)
par les actifs, on voit que, à l'évidence, l'âge, la géné-
ration, l'étape du cycle de vie est un candidat pour
construire un schéma de dépendance (unilatérale !).
Si, de temps en temps, l'expression « pouvoir gris »
est bien utilisée pour désigner la classe d 'âge la plus
âgée, vivant de ses rentes et retraites, la formule n 'a
toutefois guère dépassé la sphère journalistique. Cer-
tes, quelques auteurs, comme Foner, ont parlé de
« conflit générationnel », mais, pour l'instant, la possi-

65
bilité d'une analyse structurelle en termes d'inégalités
générationnelles reçoit peu d'attention. Une des rai-
sons en est sans doute que les liens de filiation sont ju-
gés trop forts pour que cette base générationnelle
puisse permettre la constitution de «vraies» classes.

3. Citoyens, étrangers et appartenances commu-


nautaires. - Le dernier candidat est l'ethnie. L'idée de
considérer l'appartenance «ethnique» comme une
base possible de construction de schéma de dépen-
dance est particulièrement étrangère aux représenta-
tions communes de la société française pour qui
l'identité ne peut être que nationale 1• Elle est, par
contre, beaucoup plus présente dans la littérature
internationale et aux États-Unis.
Deux raisons, au moins, militent pour examiner ce
type de différenciations sociales, même en France.
D'abord, l'appartenance à une unique collectivité na-
tionale est clairement remise en cause avec la cons-
truction de l'Union européenne. Ensuite, et plus im-
portant, les flux de migration n'ont cessé d'augmenter,
de même que la diversité des origines des migrants, de
sorte que la question de leurs appartenances commu-
nautaires et la place qu'il conviendrait de leur faire
dans des schémas de dépendance a de plus en plus
d'importance.
L'apparition sur le territoire national français de ci-
toyens d'autres pays de l'Union à côté des immigrés
anciens met en exergue une trilogie relativement clas-
sique dans la littérature spécialisée : celle des citoyens,
1. Au point qu'il est difficile en France, voire exclu, de poser
des questions sur les appartenances « ethniques », en particulier
dans des travaux statistiques officiels.

66
des « acclimatés » (traduction de l'anglais denizens) et
des «ilotes». Les citoyens sont les membres de plein
droit d'une collectivité nationale. Les « acclimatés »
sont les résidents, citoyens d'une autre collectivité na-
tionale, auxquels est donné un statut légal de résidents
permanents, tandis que les « ilotes », citoyens d'une
autre collectivité nationale, n'ont pas ce statut de rési-
dents permanents, même si on leur reconnaît certains
droits. En première approximation, les membres de
l'Union sont en France dans la situation d'acclimatés,
les travailleurs immigrés de première génération dans
celle des ilotes. Cette trilogie esquisse un schéma de
dépendance mais son usage reste limité à un ensemble
assez spécialisé de chercheurs. Par contre, les origines
migratoires suscitent beaucoup plus d'intérêt.
D 'un point de vue théorique, les groupes ethniques
nettement constitués (identité de mœurs, de langue, de
religion le cas échéant, conscience identitaire) sont des
groupes de statut au sens webérien. La question qui se
pose est de savoir dans quelle mesure une origine na-
tionale ou géographique donnée s'accompagne de la
constitution de tels groupes et si cette constitution
perdure au-delà des premiers arrivants. Dans l'état ac-
tuel des connaissances, ce sont des points à résoudre
par l'observation et qui, dans le contexte de la société
française actuelle et de beaucoup de sociétés euro-
péennes, ne concerne qu 'une part assez limitée de la
population 1, en sorte que la construction d'un schéma
de dépendance (qui se doit de couvrir toute la société)
sur cette base y reçoit peu d'attention.
1. Ce n'est pas le cas de la société américaine constituée par de
nombreuses vagues d'immigration sur une période relativement
courte.

67
Chapitre IV

LES REPRÉSENTA Tl ONS SA VANTES.


LES CODIFICATIONS EN COMPÉTITION

On va s'intéresser maintenant aux codifications


concrètes disponibles pour analyser les structures so-
ciales, aux outils, et non aux principes à mettre en
œuvre pour les mettre au point. On s'aperçoit alors
que les représentations savantes d'origine sociologique
ne sont pas les seules à en proposer car d'autres col-
lectivités professionnelles en forgent aussi pour leurs
besoins propres.

1. - Communauté d'utilisateurs
et niveaux d'usage
En simplifiant, on peut distinguer trois catégories
de personnes ayant besoin, pour des raisons profes-
sionnelles, d'un outil de description de la structure so-
ciale des sociétés, trois catégories différentes d' « ex-
perts » de celle-ci. Ces trois mêmes catégories se
retrouvent dans tout pays. Il y a ceux dont la raison
d'être première est de décrire et d'analyser cette struc-
ture sociale : ce sont les «chercheurs en sciences socia-
les» et les « statisticiens officiels ». Il y a ensuite ceux
dont les préoccupations sont appliquées, les « chargés
d'étude».

68
1 . Trois collectivités professionnelles. - « Statisti-
ciens officiels » et « chercheurs en sciences sociales »
sont dégagés de préoccupations appliquées mais les
conditions d'exercice de leur activité et la nature de
leurs mandants les distinguent. D'une manière ~éné­
rale, les statisticiens font partie des appareils d'Etat ;
ils visent la plus grande «neutralité» possible vis-à-vis
des orientations « idéologiques » qui coloreront les
usages potentiels de leurs travaux ; ils doivent témoi-
gner de leur utilité sociale en prouvant que leurs
travaux sont profitables à de très nombreux types
d'utilisateurs (gouvernement et décideurs politiques ;
autres acteurs de la vie économique et sociale comme
les entreprises, associations, syndicats de salariés ou
d'employeurs; simples citoyens). Les chercheurs en
sciences sociales ne rendent de compte qu'à leurs pairs
qui jugent de leur activité sur un double critère de
l'innovation théorique et de la qualité de l'admi-
nistration de la preuve.
À côté des statisticiens et des chercheurs, on repère
une troisième catégorie d' « experts » qui ont besoin,
eux aussi, d'un outil de description de la structure so-
ciale mais, dans leur cas, pour une finalité essentielle-
ment appliquée. Ce sont les «chargés d'étude» (spé-
cialistes du marketing, sondeurs, etc., il n'y a pas de
terme consacré pour les désigner) dont l'objectif est de
conseiller un producteur de biens ou services sur la
meilleure manière d'organiser son activité, compte
tenu de la place qu'occupent dans la société les clients
ou usagers potentiels de ses produits. Les spécialistes
du marketing des produits de grande consommation
en sont évidemment l'archétype mais le même type
de démarche et préoccupation se retrouvera, par

69
exemple, parmi les chargés d'étude d'une grande so-
ciété publique s'interrogeant sur la tarification qu'il
convient d'adopter ou les conseillers d'un candidat
aux élections lui décrivant les opinions d'un électorat
potentiel. Il ne faut donc certainement pas limiter
cette catégorie aux seuls spécialistes du marketing de
la consommation. Pour cette catégorie d' «experts»,
le critère d'évaluation sera l'efficacité : les analyses et
recommandations sont-elles opératoires? Permettent-
elles d'augmenter les ventes, de développer les clien-
tèles, de mieux satisfaire les usagers ?
Chaque type d' « expert » a donc ses propres objec-
tifs et ses propres institutions auxquelles correspon-
dent des légitimités assez différentes : académique
dans le cas des chercheurs, de réussite « commerciale »
(à entendre très largement comme la satisfaction des
clients) dans le cas des chargés d'étude et d'un mé-
lange (variable suivant les pays) de reconnaissance pu-
blique et de légitimité étatique et institutionnelle dans
les cas des statisticiens. Bien entendu, chaque pays
offre une configuration relativement originale des
liens entre les trois collectivités professionnelles consi-
dérées car de nombreux facteurs spécifiques, comme
l'organisation de l'enseignement supérieur ou le pro-
cessus historique par lesquels les institutions étatiques
se sont mises en place, déterminent ces liens. Elles par-
tagent cependant partout des besoins communs.

2. Les besoins communs. - Pour pouvoir rendre


compte commodément des différences observables
dans leur société ou pour indiquer approximativement
de quelle partie de celle-ci on traite, tous les experts
doivent pouvoir s'appuyer sur un découpage de la so-

70
ciété en grands ensembles pertinents, disposer en fait
de schémas de dépendance regroupant de manière un
minimum homogène des positions sociales considérées
comme voisines. On qualifiera de « descriptif» ce type
d'usage de l'outil.
Un autre emploi de ces mêmes outils mobilisera en
outre une interprétation d'ordre théorique supposée
fonder les regroupements. L'ambition sera alors plus
que descriptive : il s'agira de montrer que les phéno-
mènes peuvent s'expliquer en mobilisant certaines
idées (de préférence à certaines autres mais cela n'est
pas toujours souligné) sur la structure sociale. Si ces
usages de plus grande ambition théorique sont plus
particulièrement le propre des chercheurs en sciences
sociales, ils n'en ont cependant pas l'exclusivité et ne
s'y limitent d'ailleurs pas.
Cette distinction entre usages « descriptif» et «ex-
plicatif» est quelque peu obscurcie par le fait qu'une
représentation construite avec des objectifs théoriques
peut convenir pour un usage descriptif. On peut tout à
fait utiliser un schéma fondé dans une analyse théo-
rique, par exemple celui de Goldthorpe, pour sa com-
modité descriptive, sans accorder d'importance parti-
culière aux considérants théoriques qui entouraient sa
conception.
En tout état de cause, la nécessité de disposer
d'un outil descriptif correct s'impose à tous les ex-
perts. Dépendant des histoires nationales, il peut
alors y en avoir un ou plusieurs, communs ou spéci-
fiques à chaque communauté. En général, pour un
pays donné, diverses propositions sont disponibles.
Allemagne, France et Grande-Bretagne offrent, cha-
cune, une configuration particulière des relations

71
entre les trois communautés professionnelles qu'on
vient de décrire.

3. Trois variantes nationales.


• En Allemagne, les trois collectivités profession-
nelles apparaissent assez séparées. Les classifications
du monde statistique remontent fondamentalement à
la mise en place par Bismark des linéaments de la pro-
tection sociale. Pour des raisons historiques liées aux
formes de couverture sociale, ces nomenclatures sépa-
rent « indépendants », «fonctionnaires », « ouvriers »
et Angestellte, catégorie de salariés du privé qu'on
pourrait assimiler aux «cols blancs». Les mondes
académiques sont très critiques de ces distinctions
qui leur paraissent d'ordre juridique mais n'ont pas
proposé de nomenclature alternative susceptible de
s'imposer, leur vision actuelle étant d'ailleurs plutôt
que si les inégalités sont, dans la société allemande, in-
contestables, elles sont, pour autant, peu importantes
avec l'élévation des niveaux de vie. Quant aux mondes
des «chargés d'étude » différents schémas existent,
basés sur l'éventuelle existence de « styles de vie ».
• En Grande-Bretagne, on assiste à une hégémonie
progressive du schéma de classe goldthorpien. Celui-ci
fut l'objet de débats assez importants dans le monde
académique entre tenants de la class-analysis et ceux
qui considèrent que l'analyse en termes de classe est
dépassée, entre tenants de représentations continues et
de représentations discrètes de la structure sociale. Les
statisticiens officiels, quant à eux, utilisaient deux clas-
sifications en sept groupes (le Registar General's So-
cial Class) censées rassembler les professions par ni-
veau de qualification et en 20 Socio Economie Groups

72
(de logique en fait assez voisine de celle des catégories
socioprofessionnelles françaises) de l'autre. Les
«chargés d'étude» retenaient plutôt des distinctions
fondées sur la richesse. L'élément nouveau et récent
est que les services statistiques officiels ont entrepris
de refondre toutes leurs nomenclatures sur la base du
schéma proposé par Goldthorpe. On peut anticiper à
terme une relative unification des outils de référence
dans les trois communautés.
• Reste enfin le cas français. Ici le code d 'origine
statistique des catégories socioprofessionnelles est
hégémonique et quasiment le seul utilisé. Quelques
tentatives ont existé de créer d'autres codes mais n'ont
guère dépassé, souvent pour des raisons de copyright,
le cercle de leurs concepteurs.

11. - Le cas français.


Le Code des catégories socioprofessionnelles
Le Code des catégories socioprofessionnelles est
une création de l'INSEE, l'Institut national de la statis-
tique et des études économiques. Sa première version
date de 1954 et a connu, depuis, de très nombreuses
mises à jour. La dernière en date, dite des « Profes-
sions et catégories socioprofessionnelles. Pcs-2003 »,
vient de paraître. Il s'agit d 'un outil ayant une longue
histoire visant à l'adapter de mieux en mieux au be-
soin des statisticiens et de leurs usagers (parmi les-
quels la «communauté scientifique», bien sûr, mais
qui n'est qu'un usager parmi d'autres).

1 . Le Code. - Le Code est une classification des ac-


tivités professionnelles en une trentaine de « catégories

73
socioprofessionnelles», elles-mêmes regroupées en
une petite dizaine de « groupes». Il s'agit, en utilisant
la profession et, dans certains cas, quelques renseigne-
ments sur l'entreprise que dirige ou qui emploie
l'individu, de « classer l'ensemble de la population ou,
tout au moins, l'ensemble de la population active, en
un nombre restreint de grandes catégories présentant
chacune une certaine homogénéité sociale » (introduc-
tion à la 6e édition du Code). Le Code est donc conçu
pour classer des individus suivant leur occupation
professionnelle. Quand on l'utilise pour classer des
foyers, il faut choisir un « représentant » du ménage,
et on rencontre évidemment des difficultés déjà évo-
quées (p. 62) à propos du genre.
Ce classement en «catégories présentant chacune
une certaine homogénéité sociale »n'est pas le résultat
d'une analyse statistique directe des représentations,
pratiques et interfréquentations de larges échantillons
d'individus. Il s'appuie très fortement sur des grilles et
conventions de classement en usage dans de nombreu-
ses professions souvent réglementées par des conven-
tions collectives (et parfois depuis fort longtemps, les
«grilles» Parodi étant un exemple). La sélection des
cas typiques autour desquels agréger des professions
socialement similaires et les décisions sur les cas limi-
tes reflètent les sentiments des statisticiens sur l'état
des représentations sociales et ce qu'ils savent des pra-
tiques des entreprises et des salariés. L'architecture du
Code s'appuie aussi sur des principes, deux pour
l'essentiel : distinguer les non-salariés des salariés, et
« mettre en évidence des hiérarchies sociales plutôt
liées au niveau de formation pour les salariés et à la
taille de l'entreprise pour les non-salariés » (Desro-

74
sières, 1988), deux principes toujours à l'œuvre dans la
dernière version publiée.
À l'origine, le Code se juxtaposait à la nomencla-
ture très détaillée d'activités que constituait le « Code
des métiers». À partir de l'édition de 1982, l'arti-
culation est devenue « parfaite », toutes les nomencla-
tures utilisées pour classer des activités profession-
nelles étant, quel que soit leur degré de détail,
complètement « emboîtées » les unes dans les autres,
le code des « catégories socioprofessionnelles » deve-
nant symboliquement le Code des« Professions. Caté-
gories socioprofessionnelles » pour marquer la fusion.
Pour parvenir à articuler complètement toutes les no-
menclatures, une très large consultation rassembla sta-
tisticiens, syndicats, universitaires et administratifs.
Finalement, il en résulte, dans la version 1982,
(qu'on présente ici car elle reste la référence fonda-
mentale en attendant que la dernière version com-
mence d'être utilisée), 28 catégories socioprofession-
nelles regroupées en 8 « groupes », souvent désignés
eux aussi sous l'expression «catégories socioprofes-
sionnelles » : deux pour les inactifs, distingués suivant
qu'ils ont ou non travaillé ; six pour les actifs ( « ou-
vriers », «employés », «professions intermédiaires »,
«cadres et professions intellectuelles supérieures »,
« artisans, commerçants et chefs d'entreprise » et, en-
fin, « agriculteurs exploitants » ). Le caractère de no-
menclature professionnelle du Code apparaît bien
dans le grand détail retenu pour les regroupements
d'actifs par contraste avec celui retenu pour les inactifs
(voir tableau 1 en annexe, p. 120.)
Il n'est pas envisageable de décrire ici de manière
détaillée le contenu des catégories socioprofession-

75
nelles. Le lecteur intéressé se reportera au code lui-
même. Quelques remarques toutefois :
• la taille limite retenue pour distinguer les « chefs
d'entreprise» des autres indépendants est fixée à
10 salariés ;
• les « professions libérales », qui ne se recoupent pas
avec les professions « libérales » dans un sens un
peu large car n'y figurent que des personnes établies
à leur compte et dont l'activité exige une formation
de niveau supérieur, sont classées avec les cadres su-
périeurs et enseignants ;
• le terme de «cadre» apparaît dans des acceptions
plus limitatives que celles retenues par les conven-
tions collectives ou la CGC.
Parmi les évolutions importantes lors de la fusion de
toutes les nomenclatures en 1982, on signalera qu 'un
nouvel intitulé, sinon un nouveau groupe, a été créé :
celui de « professions intermédiaires » rassemblant
l'ancien groupe des « cadres moyens » avec les « con-
tremaîtres» (qui ne figurent donc plus dans le groupe
ouvrier avec les autres catégories ouvrières, ce qui était
le cas antérieurement) et le clergé. Le terme d' « inter-
médiaire » vise à rappeler la position du groupe au sein
de la hiérarchie sociale mais aussi la nature des fonc-
tions exercées qui place les membres du groupe assez
souvent dans des situations de médiateurs.

2 . Peut-on se passer du Code des catégories socio-


professionnelles? - Peu d'études des inégalités en
France peuvent échapper au Code des catégories so-
cioprofessionnelles. Tout l'appareil statistique en effet
s'organise autour de lui. Comment faire autrement en

76
France pour étudier la mobilité sociale que d'utiliser le
Code des catégories socioprofessionnelles quand la
seule enquête réalisée régulièrement sur le sujet utilise
précisément ce code ?
On voit bien les difficultés rencontrées par Fossaert
pour réaliser son analyse d'inspiration marxiste.
Il s'intéressait aux luttes de classe dans les sociétés
« étatiques-monopolistes ». Ces sociétés, pour résumer
rapidement, se caractérisent selon lui par deux modes
particuliers de l'organisation de la production: le
mode de production capitaliste opposant les proprié-
taires privés des moyens de production aux ouvriers
qui mettent en œuvre ces moyens et le mode de pro-
duction « étatique-capitaliste » assez semblable, en
fait, au précédent, si ce n'est que le dirigeant-
propriétaire de l'entreprise est l'État («propriétaire»
doit être entendu ici largement : est propriétaire celui
qui a le pouvoir de décider en sorte que le petit action-
naire n'est pas réellement propriétaire et certains très
hauts dirigeants d'entreprise sont des «propriétaires»
sans posséder des actions). Passer des «catégories
socioprofessionnelles » aux « classes-positions » ainsi
conçues impose d'éclater à peu près toutes les catégo-
ries, à quelques exceptions près.
La difficulté d'échapper à la classification par caté-
gorie socioprofessionnelle, dès lors que l'on souhaite
s'appuyer sur des constats statistiques, suffit donc à
expliquer l'omniprésence du Code.
Il y a en outre une autre raison. Les catégories du
Code sont passées dans le langage courant et les dé-
bats sur la société utilisent maintenant couramment
leurs dénominations. Le succès du terme « cadre » est
tout à fait révélateur: utilisé de manière générale en

77
France, il n'a guère de contrepartie dans les autres
pays.

3. Catégories socioprofessionnelles et classes. -


Que limitent alors ces catégories : des agrégats sans
autre signification que statistique ou de « vraies »
classes?
Le Code ne parle évidemment pas de « classe »
puisqu'il s'intéresse aux « catégories socioprofession-
nelles». D'un point de vue d'analyse sociologique ce-
pendant, la logique sous-jacente renvoie plutôt à des
différenciations entre ensembles définis par la place
qu'ils occupent dans la structure professionnelle qu'à
des classements selon des échelles continues dans la
ligne des échelles de prestige par exemple. L'emploi de
l'expression « position de classe », au moins dans le
sens très général de «classe » que j'ai présenté initiale-
ment, se justifie donc assez même s'il n'est pas retenu
par les auteurs du Code.
Un autre élément, tout aussi important, ne doit pas
être oublié : la profession apparaît comme un élément
fondamental, et suffisant, pour repérer la position so-
ciale d'un individu. Le parallèle s'impose alors avec le
schéma proposé par Goldthorpe, de catégorisation
extrêmement similaire. Son class-schema adopte, lui
aussi, une logique multidimensionnelle et locale, re-
tient la distinction salarié-employeur et hiérarchise les
catégories de salariés. Ressemblance supplémentaire,
l'un comme l'autre isolent les « agriculteurs » malgré
leur disparition en tant que «paysannerie » au sens de
Mendras et leur affaiblissement démographique. Le
point est d'autant plus intéressant que les principes af-
fichés par Goldthorpe ne justifient guère de les isoler

78
(même s'ils constituent une quasi-caste du point de
vue de la mobilité sociale). L'une des principales diffé-
rences du schéma de Goldthrope est qu'il emploie ex-
plicitement le terme de« classe », ce que les auteurs du
Code des PCS se sont gardés de faire. Quelles que
soient les différences avec les propositions de Gold-
thorpe, le Code des catégories socioprofessionnelles
appartient bien à la même famille de représentations
de la structure sociale en schémas de classe. Son suc-
cès prouve que les sociologues français considèrent la
société française non comme un continuum de posi-
tions séparées les unes des autres par des différences
de degré, mais plutôt comme une structure discrète où
des différences de «nature », celles-là mêmes repérées
par les éléments indiqués ci-dessus, sont présentes.

111. - Propositions de la communauté


des chercheurs en sciences sociales
Ce sont évidemment les schémas de Goldthorpe,
Wright et leurs outsiders que l'on va présenter ici. À la
différence du Code des catégories socioprofessionnel-
les, ces schémas ne sont pas spécialement conçus pour
la France mais se veulent acceptables pour tous les
pays occidentaux, ce qui implique peut-être qu'ils
«fonctionnent» moins bien en France que le Code des
catégories socioprofessionnelles ne le fait mais ils peu-
vent s'appliquer à d'autres pays. Avant de présenter les
schémas et leurs modes de construction, on évoquera
une autre proposition, celle que fit Pierre Bourdieu
dans La distinction.
1. Bourdieu. - Il n'est pas trop d'usage de présenter
«le» schéma des classes sociales de P. Bourdieu.

79
Pourtant, La distinction en propose (un peu implicite-
ment, il est vrai) un.
Les classes, dont La distinction analyse les prati-
ques, sont définies à la fois par leur position dans la
société, par le recours à un même principe de cohé-
rence des pratiques (l'habitus, dans la terminologie de
l'auteur) et par leur histoire (ascension ou « descen-
sion » collective). Bourdieu n'a pas vraiment explicité
des modes de passage des catégories socioprofession-
nelles aux classes mais, en synthétisant différentes
sources statistiques (de manière qui a été fortement
critiquée et jugée techniquement très approximative :
Lieberson, 1992), il est conduit à utiliser des regroupe-
ments de catégories socioprofessionnelles qu'on pré-
sentera ici. Le plus commode, pour ce faire, est de
partir du plan même de son ouvrage.
La distinction contient en effet, dans sa troisième
partie « Goûts de classe et styles de vie », trois chapi-
tres rassemblant chacun un ensemble de catégories so-
cioprofessionnelles dont on présente l'ethos qu'elles
partagent et dont on analyse les oppositions ou conflits
définissant, autour de cette base commune, des frac-
tions de classe. L'ensemble constitue donc tout à fait
un schéma de classe articulé en deux niveaux, avec trois
« grandes »classes : la« classe dominante », la« petite
bourgeoisie » et la «classe populaire », éventuellement
décomposables en classes (fractions de classe) plus res-
treintes. Les trois chapitres sont intitulés respective-
ment « Le sens de la distinction», «La bonne volonté
culturelle » et « Le choix du nécessaire ».
La «classe dominante» comprend les « profes-
seurs » et « cadres administratifs supérieurs », plus do-
tés de « capital culturel » que de « capital écono-

80
mique », constituant ce qu'on pourrait appeler la
«classe dominante culturelle », et les «professions li-
bérales» et «industriels » qu'on pourrait appeler la
«classe dominante économique». La «classe domi-
nante culturelle» s'oriente systématiquement vers les
loisirs les moins coûteux et les plus austères ; la
«classe dominante économique», vers des consom-
mations plus coûteuses. Bourdieu parlera d' « aristo-
cratisme ascétique » dans un cas ; de« goûts de luxe »,
dans l'autre.
La « petite bourgeoisie » comprend les « institu-
teurs », « techniciens », «employés de bureau » et de
«commerce », les « petits commerçants », les « arti-
sans». En son sein, il conviendrait de faire des distinc-
tions, fondées dans le cas d'espèce par le volume glo-
bal de capital (et non sa structure) et, aussi, le devenir
(déclin ou ascension) de la catégorie. On notera que
Bourdieu parle de «petite bourgeoisie», non de
«classes moyennes» : à l'époque où il conçoit son
schéma, le débat sur les classes moyennes dans la so-
ciété française n'est pas encore très développé mais,
clairement, la position de ces catégories était, à ses
yeux, d'abord définie en référence à la classe domi-
nante. Situées en position de dominés, les catégories
de la « petite bourgeoisie » aspirent aux pratiques « lé-
gitimes », c'est-à-dire aux pratiques des catégories su-
périeures qui détiennent, notamment par l'école, la ca-
pacité de faire reconnaître comme la norme légitime
leurs propres pratiques. Mais, tout en révérant ces
pratiques, ces catégories les connaissent mal.
Les «classes populaires » se définissent essentiel-
lement par l'insuffisance de leurs ressources de tous
ordres. Leurs pratiques « ont pour principe le

81
"choix du nécessaire" (...) ». La faiblesse des
moyens financiers et culturels dont disposent ces
classes leur interdit tout luxe et l' «habitus de
classe » correspondant implique une forme d'adap-
tation à la nécessité. Ainsi, les ouvriers déclareront
aimer les vêtements de qualité avantageuse qui leur
sont, de toute manière, les seuls accessibles. On rap-
prochera ces idées du débat sur la culture de la
pauvreté évoqué ci-dessus.
Parmi les « classes populaires », Bourdieu isole les
agriculteurs (auquel il adjoint peut-être les salariés
agricoles) des autres.
Bourdieu propose donc une vision de la société
française organisée autour du « volume des capitaux
financiers et culturels » dont disposent les diverses ca-
tégories. Le rôle et la place des « classes moyennes »
telles que conçues par les théoriciens de la moyennisa-
tion de la société française s'écartent assez fortement
de ce modèle. Le poids des catégories supérieures
(bourgeoisie classique, dirigeants) y paraît beaucoup
plus réduit et le découpage « horizontal » y est remis
en cause. Le point clé paraît être la catégorie des
« professeurs » car il suffit de les incorporer à la classe
que Bourdieu dénomme «petite bourgeoisie» pour
en changer complètement la nature et retrouver les
«classes moyennes». Sur ce sujet, Schweisguth (1983)
par exemple a argumenté que les «professeurs»
étaient plus proches, en matière de vote, des «inter-
médiaires » ou des « employés » que des autres « ca-
dres supérieurs ». Il fallait donc les regrouper avec eux
et, de catégorie dominée de la classe dominante, les
«professeurs» devenaient partie prenante et leaders
de classes moyennes en expansion.

82
2. Wright. - La proposition de Wright est celle du
tableau 2 (voir annexe, p. 122) où les dénominations
sont celles proposées par lui-même.
Pour construire cette codification, on ne peut partir
des intitulés de professions elles-mêmes. Il faut partir
d'un questionnaire qui est l'outil de base. Wright
prend un soin méticuleux à indiquer toutes les étapes
successives permettant de passer des questions de ce
questionnaire aux codes de ses nomenclatures. Si on le
prend au pied de la lettre, il n'est pas possible de co-
der, suivant ses suggestions, la classe d'une personne
sans disposer des réponses à ce questionnaire. C'est
que, pour lui, «à beaucoup d'égards, le point fonda-
mental dans une entreprise de recherche [comme la
sienne] est la construction des variables opération-
nelles utilisées pour l'analyse» (Wright, 1985) : il faut
permettre la critique interne et la réédition.
Le questionnaire s'applique à des individus adultes,
comprend quelques questions sur les pratiques et atti-
tudes, recense les caractéristiques sociodémographi-
ques usuelles et comprend une analyse du poste de
travail en insistant sur le degré d'autonomie et de su-
bordination et la propriété des moyens de production.
Un inventaire du questionnaire de Wright utilisant des
catégories et dénominations se rapprochant le plus
possible des usages français serait le suivant : a ) ca-
ractéristiques sociales et démographiques de l'individu
(y compris ethnie), revenu de l'individu, du foyer par
catégories (transfert, rente, etc.), diplôme et patri-
moine (le thème d' ownership of the means of produc-
tion rassemble la situation de l'emploi individuel et le
patrimoine du ménage, deux domaines rarement rap-
prochés dans les enquêtes françaises); b) profession

83
de l'individu interrogé, de son conjoint : occupation,
autonomie de décision, place dans l'organigramme,
propriété des moyens de production ; c) entreprise,
établissement: secteur, localisation géographique,
taille; d) biographies et antécédents (dénommé class
biography and class experience) : profession des pa-
rents ; histoire professionnelle ; description des trois
amis les plus proches ; participation à des grèves, des
activités syndicales (dénommé, avec l'ajout du chô-
mage : class experiences) ; e) attitudes et opinions :
division sexuelle du travail dans le foyer; opinions
politiques et idéologiques ; identifications de classe ;
conceptions des formes alternatives de société, opi-
nions sur des modèles sociaux, appréciations des iné-
galités, etc. ; participation à des associations, activités
politiques.
De manière générale, les choix que Wright doit
faire à diverses étapes de ses constructions typologi-
ques s'inspireront de la simplicité opérationnelle (il
prendra ainsi le seuil «au moins une décision prise
parmi une certaine liste » plutôt que d'envisager une
construction compliquée à partir des divers cas de fi-
gure mélangeant les items de la liste des décisions étu-
diées dans le questionnaire) et viseront à construire
des échelles, mais sans employer néanmoins l'appareil
technique inhérent à ce genre de construction (les
« cas aberrants » seront donc traités par référence
au «bon sens» implicitement à l'œuvre derrière
l'échelle).

3. Goldthorpe. - Le schéma de Goldthorpe vise à


différencier non des individus, mais des positions à
l'intérieur des marchés du travail et des unités de pro-

84
duction en fonction des relations d'emploi que ces
positions impliquent. D 'un point de vue opératoire,
Goldthorpe et ses collègues ont donc proposé une
table de passage utilisant les professions détaillées co-
dées dans la nomenclature internationale Iseo et indi-
quant pour chacune d'entre elles dans quelle catégorie
de leur schéma la mettre suivant les conditions statu-
taires de son exercice (salarié ou non). Les regroupe-
ments proposés ne résultaient pas d'une étude dé-
taillée et systématique des similarités et différences
dans les caractéristiques distinctives de ces diverses
professions, mais plutôt d'un « dire d'expert».
Initialement, le schéma comportait sept classes. La
version actuelle comporte quatre niveaux d'agrégation,
de onze à trois postes dont le tableau 3 (voir annexe,
p. 123) présente les deux niveaux intermédiaires.
On aurait pu penser, compte tenu des principes re-
tenus pour définir le schéma, que Goldthorpe aurait
défini une classe particulière pour les employeurs mais
il n'en est rien. Aux critiques sur ce point, Goldthorpe
répond qu'il n'y a pas là de positions de principe de sa
part mais simplement une démarche pragmatique, ces
employeurs étant trop peu nombreux pour pouvoir
être repérés dans des recherches empiriques et qu'il n 'y
a donc pas lieu de tenter de les isoler.
Le degré de proximité entre le schéma des positions
de classe et les nomenclatures françaises des PCS paraît
a priori grand. La première différence, on l'a dit, ap-
paraît dans les titres. La nomenclature française évite
consciencieusement d'employer le terme de «classe»
au profit d'un terme sans aucune signification théo-
rique précise. La nomenclature de Goldthorpe se
place explicitement dans une logique d'analyses de

85
classe (mais en refusant les approches marxistes du su-
jet). Il est vrai que, dans le contexte anglais, le terme
de class est certainement moins connoté idéologique-
ment que ce qu'il en était pour le terme« classe » dans
le contexte français d'après guerre au moment de la
création du Code des PCS.
Des différences apparaissent cependant dans les re-
groupements. La nomenclature de Goldthorpe détaille
en effet le bas de la hiérarchie sociale au profit d'une
plus grande agrégation des catégories supérieures
quand les choix du Code des PCS paraissent à l'inverse.
Les distinctions faites sont donc plus fines parmi les
ouvriers (qui ne sont pas agrégés en un seul groupe),
et moins fines en haut où une large service class en-
globe« cadres supérieurs» et« moyens» (et aussi cer-
tains indépendants, les plus aisés). Il en résulte une
image de la structure sociale de la France assez diffé-
rente dans les deux cas : en pyramide inversée pour la
version « Goldthorpe », plus élitiste et plus proche
d'une pyramide habituelle pour la version PCS 1•
De plus, il ne faut pas sous-estimer la portée des
différences terminologiques. Goldthorpe distingue des
«positions de classe». Il entend étudier les consé-
quences diverses des différences dans les modes
d'accès aux activités productives et cela seulement.
Les raisons historiques qui conduisent les statisticiens
français à isoler les « cadres » - emplois situés dans un
certain cadre réglementaire historique et juridique -

1. L ' impression qui vient d'être dégagée d 'une forte compa tibi-
lité entre le c/ass-schema et les nomenclatures françaises mériterait
d 'être approfondie à partir d'une comparaison plus stricte qui utili-
serait la mise en œuvre des nomenclatures au niveau le plus fin (la
profession) sur des données adéquates.

86
lui paraîtraient certainement en dehors de sa perspec-
tive théorique.

4. Esping-Andersen. - Esping-Andersen n'a pas dé-


veloppé de considérations opérationnelles particulières
mais plutôt donné des exemples. Sa proposition est la
suivante:
1. Hiérarchie « fordiste » :
a. Managers, patrons (y compns entrepreneurs
individuels) ;
b. Salariés d'exécution dans l'administration, la
distribution et la vente ;
c. Ouvriers qualifiés (y compris techniciens modé-
rément qualifiés) ;
d. Ouvriers non qualifiés (y compris chauffeurs).
2. Hiérarchie « postindustrielle » :
a. Professionals, chercheurs;
b. Techniciens et semi-professionals (infirmiers,
enseignants, travailleurs sociaux ... ) ;
c. Salariés qualifiés des services (cuisiniers, coif-
feurs, policiers, etc.) ;
d. Salariés non qualifiés des services, service prole-
tariat (agent de nettoyage, serveuse, porteur,
barman, etc.) ;

Dans le secteur traditionnel « fordiste », on trouve


l'industrie, les mines, la distribution et l'infrastructure
économique. Transport et commerce de détail seront
dans ce secteur, même s'il s'agit d'activités souvent
classées comme de services. Dans le secteur postindus-
triel, on trouvera les services aux entreprises, les ser-
vices sociaux, les services aux consommateurs.

87
Chapitre V

LES REPRÉSENTATIONS COMMUNES.


LE CAS FRANÇAIS

L'idéal pour étudier les idées en matière de structu-


res inégalitaires d'une société serait, bien sûr, de dis-
poser des études faisant expliciter les représentations
en la matière par les membres de cette société. Mal-
heureusement, ce qui est disponible en France est bien
limité : ce sont des questions sur le sentiment que les
personnes peuvent avoir d'appartenir à telle ou telle
classe sociale plus ou moins nommément désignée. Ce
sont ces résultats que je vais présenter, en m'appuyant
principalement sur Lemel (2003) que je compléterai, le
cas échéant, de ce que des travaux étrangers permet-
tent de supposer du cas de la France.

1. - Les sentiments d'appartenir


à une classe sociale
Dans le cas de la France, la connaissance des senti-
ments d'appartenance à une classe sociale résulte es-
sentiellement de l'examen des réponses à des questions
d'opinion du type «Avez-vous le sentiment d'appar-
tenir à une classe sociale ? Oui/non » ou « Avez-vous
le sentiment d'appartenir à l'une des classes sociale/ca-
tégories suivantes? » avec présentation d'une liste
d 'intitulés de « classes » possibles, les réponses dépen-

88
dant bien sûr, dans ce dernier cas, du contenu de la
liste proposée. Des questions de ce type sont posées
assez régulièrement tous les cinq ou dix ans.
Actuellement, environ 40 % des personnes répon-
dent « non » à une question directe sur leur sentiment
d'appartenance. Le taux aurait eu plutôt tendance à
augmenter depuis les années 1970 (Dirn, 1998).
Pour autant, le refus de se classer dans des catégo-
ries lorsqu'on en propose n'est pas très important.
Voici des résultats obtenus avec l'enquête sur les Va-
leurs réalisée en 1999 (les résultats sont assez similaires
dans d 'autres enquêtes). La question posée était la sui-
vante : «À laquelle des catégories suivantes avez-vous
le sentiment d'appartenir : les privilégiés / les gens ai-
sés I la classe moyenne supérieure I la classe moyenne
inférieure / la classe populaire / les défavorisés ? » Le
taux de refus a été faible, 2 %. Les personnes
s'identifiant aux catégories extrêmes étaient en
nombre limité : les « défavorisés » retenaient 3 %, les
« privilégiés » 5 % et les « gens aisés » 4 %. Les deux
classes moyennes, « supérieure» et «inférieure », atti-
raient 65 % au total (29 et 36 % respectivement) ; la
«classe populaire», 21 %. Les personnes interrogées
choisissent donc à presque 90 % un libellé contenant
explicitement le terme «classe». Le terme étant sou-
vent supposé être connoté en France d 'une idée
d'opposition entre groupes et de« lutte de classe», on
pourrait imaginer que la représentation la plus ré-
pandue est du type «schéma de dépendance unilaté-
ral». Il semble que le choix de l'option «classes
moyennes » aurait crû au cours du temps, au détri-
ment, quand elles sont proposées, des options « clas-
ses bourgeoises » ou « ouvrières ». C'est un résultat

89
qu'il est évidemment tentant de rapprocher des consi-
dérations développées par les sociologues français à
propos de la montée des classes moyennes. Cependant
quelle signification exacte les personnes attachent-elles
à des expressions comme «classes moyennes», caté-
gories très fréquemment choisies ?

Il. - Position objective et affiliation subjective.


L'affiliation comme reflet
de la situation économique
En première approximation, c'est la position objec-
tive plutôt que les orientations idéologiques ou reli-
gieuses des personnes qui détermine la classe dont elles
se sentent membres. Ainsi, d'après l'enquête Valeurs,
l'identification à une catégorie sociale ne dépend
que très modestement de l'orientation politique géné-
rale (les personnes proches de l'extrême droite s'iden-
tifient toutefois un peu plus que les autres aux « défa-
vorisés » et les proches du Parti communiste ou de
l'extrême gauche un peu plus à la« classe populaire»).
Elle ne dépend guère, non plus, de l'engagement
religieux.
Dans l'enquête, la position objective des personnes
est approchée par une variante en une dizaine de pos-
tes du Code des catégories socioprofessionnelles, par
le niveau de revenu du foyer et le niveau d'éducation
de la personne. Ce sont des dimensions classiques des
analyses de la stratification sociale 1•

1. Rappelons que repérer la position des individus par le niveau


des ressources de leur foyer et non la leur peut se discuter (voir
chap. III).

90
La position économique a une incidence très nette
et très importante. Plus le foyer d'appartenance d'une
personne est riche, plus elle s'identifie aux « privilé-
giés», aux « gens aisés » et à la «classe moyenne su-
périeure». Plus une personne est pauvre, plus elle
s'identifie à la « classe moyenne inférieure », à la
« classe populaire » ou aux « défavorisés», la «classe
moyenne inférieure» étant toujours la référence la
plus fréquemment retenue quel que soit le niveau de
ressources. De plus, si les catégories proposées ne fai-
sant pas référence explicite à des« classes» retiennent,
on l'a vu, peu de monde, celui-ci augmente nettement
aux deux extrémités de l'échelle des revenus. Consé-
quence inattendue de ces variations, la diversité des
choix est plus grande parmi les moins riches que
parmi les plus riches.
La possession de capital culturel accroît le senti-
ment d'appartenir aux catégories supérieures (privilé-
giés, gens aisés, classe moyenne supérieure), toutes
choses égales par ailleurs : les personnes éduquées
sont portées à s'assimiler aux classes supérieures au-
delà de ce que laisserait supposer leur revenu.
Par contre, la position socioprofessionnelle de
l'individu ne semble pas avoir des effets spécifiques
aussi caractérisés et on rend assez bien compte, à quel-
ques exceptions près, des résultats en supposant que
seuls les niveaux de ressources et d'éducation modu-
lent les sentiments d'appartenance. Les principales ex-
ceptions sont les « agriculteurs », moins enclins à se
sentir membres des «classes populaires» qu'on n'au-
rait pu s'y attendre, et la «maîtrise», qui s'identifie
beaucoup plus à la «classe moyenne inférieure» (au
détriment d'une identification aux «classes populai-

91
res ») que ce ne serait le cas si ces personnes se déter-
minaient exclusivement en fonction de leur niveau
d'éducation et de revenu.
Dans quelle mesure le sentiment d'appartenance à
une classe sociale est-il modulé par la situation des au-
tres membres du foyer d 'appartenance ou ne dépend-il
que de la situation personnelle propre ? On a vu plus
haut l'importance de cette question mais l'enquête Va-
leurs ne permet pas d'y répondre. D 'autres enquêtes,
malheureusement sur des échantillons très petits,
confirmeraient pour la France les résultats obtenus
dans d'autres pays (Davis et Robinson, 1998 par
exemple). Ainsi, en Suède, comme aux États-Unis, on
trouve qu'en première approximation les hommes se
déterminent principalement en fonction de leur propre
position et les femmes en fonction de celle de leur
conjoint qu'elles modulent par la leur propre. Cela
conforte plutôt la position « classique » qui considère
que l'appartenance de classe des individus se définit
par celle du foyer (position plutôt retenue par Gold-
thorpe et écartée, bien sûr, par Esping-Andersen), elle-
même assimilable à celle du mari (usuellement le prin-
cipal apporteur de ressources).

111. - Le cas des jeunes


Y a-t-il des différences entre générations ? Il est in-
téressant de le savoir car les années 1980 ont été celles
du recul des références au marxisme dans l'univers
idéologique et intellectuel des Français. Les plus jeu-
nes générations, élevées et éduquées dans ce nouveau
contexte, seraient, peut-être, moins enclines que leurs
aînées à analyser la société au prisme de classes, a for-

92
tiori de leur lutte, et donc à s'identifier à des groupe-
ments de cette nature. On ne peut malheureusement
comparer différentes enquêtes. Examinons néanmoins
si des différences significatives apparaissent avec les
âges dans l'enquête Valeurs 1999.
Les plus jeunes ne paraissent pas plus portés à refu-
ser de répondre à la question sur leur appartenance
que ne le sont leurs aînés. Ce serait peut-être les per-
sonnes d'âge intermédiaire qui seraient les plus por-
tées à répondre (témoignage d'une plus grande sensi-
bilité au sujet?) mais de toute manière il s'agit de
fluctuations faibles. Le terme de « classe » ne semble
donc pas les rebuter particulièrement et la part rela-
tive de l'ensemble des modalités n 'employant pas le
terme est quasiment stable avec l'âge. En termes un
peu généraux donc, on ne décèle pas de différences.
Par contre, on en décèle une pour ce qui est de la
nature exacte de l'identification retenue : les plus
jeunes, les moins de 30 ans (nés, donc, dans la pé-
riode 1970-1980), sont bien moins portés à s'identifier
à la classe populaire et bien plus à la classe moyenne
supérieure.
L'identification à la «classe moyenne supérieure »
étant très nettement liée au montant des ressources du
ménage d'appartenance, une explication pourrait être
que les plus jeunes vivent dans des ménages plus aisés
mais objectivement il n'en est rien. Au vu de leur seul
revenu, les plus jeunes devraient plutôt être moins
portés à retenir les groupes supérieurs comme groupe
d'identification. L'explication tient au fait qu'ils sont
en moyenne plus diplômés, ce qui conduit à s'iden-
tifier plus fortement à la catégorie supérieure. De fait,
leur arbitrage entre «classe populaire », «classe

93
moyenne inférieure » et « classe moyenne supérieure »
est assez bien reconstitué si l'on suppose qu'ils se dé-
terminent exclusivement en fonction de leur revenu et
de leur diplôme, alors qu'il ne l'est pas si on l'suppose
que seul le niveau des ressources de leur foyer d'ap-
partenance les influence. De plus, les plus jeunes sem-
blent accorder plus d'importance à cet élément du sta-
tut social qu'est le diplôme (par rapport au niveau de
ressources) que ne le font les autres catégories d'âge.
Le niveau de diplôme paraît moins influencer les
plus âgés qui ont peut-être plus d'éléments de statut à
leur disposition.
Les différences entre les plus jeunes générations et
leurs aînés existent donc. L'identification aux classes
supérieures et le refus de la «classe populaire » est
plus important pour les plus jeunes. Mais c'est pour
grande partie le reflet d'une situation objective diffé-
rente. Il paraît peu raisonnable de parler de rupture
générationnelle en la matière.

IV. - Du poids des schémas de dépendance


On sait, d'après des études faites aux États-Unis sur
les systèmes de représentation des inégalités, que le
terme « classe » est, pour les Américains, synonyme de
place dans une hiérarchie de statut social (Coleman et
Rainwater, 1978). Tout donne à penser que les repré-
sentations ordinaires aux États-Unis sont en fait du
type «schéma de gradation», non du type «schéma
de dépendance», et que le terme de «classe» n'y sug-
gère pas particulièrement un schéma de dépendance.
De telles études ne sont malheureusement pas dispo-
nibles dans le cas français.

94
L'impression cependant qu 'on peut avoir au vu des
résultats que je viens de présenter, c'est que le degré de
structuration des représentations inégalitaires en ter-
mes de «schémas de dépendance» doit sans doute
être modeste actuellement en France. Une part impor-
tante de la population doit plutôt se représenter les
phénomènes sous forme d'un schéma de gradation dé-
fini par le montant des ressources et il y aurait des rai-
sons de penser que cette part a crû au cours du temps
quand on constate que le sentiment d'appartenir à une
classe moyenne s'est élevé. Cela n'exclut pas, bien sûr,
que des structurations en classes ne soient aussi pré-
sentes, simplement elles ne sont vraisemblablement
pas majoritaires. Il convient toutefois d'être prudent
dans les conclusions car les données ne fournissent
que des indications assez indirectes sur les repré-
sentations.

95
Chapitre VI

LA FIN DES CLASSES ?

Il y a toujours eu débat, d'après Ossowski, sur le


type de représentation à retenir pour déchiffrer les iné-
galités et la structure sociale. Il n'y a donc rien de sur-
prenant à ce que les approches en schémas de dépen-
dance fassent l'objet de critiques. Dans les milieux
académiques, cependant, le débat a pris, depuis une
quinzaine d'années, une ampleur toute particulière.
Les débats ne sont plus seulement de principe, fon-
dés sur des préférences a priori, mais se veulent inscrits
dans des constats empiriques. Les évolutions consta-
tées montreraient l'affaiblissement de la structuration
en classes des sociétés développées et la perte de pou-
voir explicatif des schémas de classe disponibles. Plus
profondément même, l'évolution des sociétés occiden-
tales les aurait fait changer de type ; de sociétés
«industrielles» ou « post-industrielles », elles seraient
devenues« postmodernes», ce qui conduirait à perce-
voir que des représentations que l'on avait pu croire
relativement acquises étaient en fait des constructions
historiquement très datées.

1. - La fin du marxisme comme référence ?


Toutes ces réflexions sur la «fin des classes » se
font dans un contexte intellectuel profondément

96
changé par rapport aux années antérieures, en France
comme ailleurs. Le marxisme, fortement porteur des
représentations en classe, était une référence incon-
tournable. Il ne l'est plus.
Dans le cas de la France, le tournant se produit dans
les années 1980. On le voit fort bien, par exemple, dans
les analyses accompagnant les stratégies des partis po-
litiques de gauche. Jusque-là, les analyses se font dans
un langage marxiste : le Parti communiste développe
l'idée des «couches intermédiaires » comme « alliées »
de la « classe ouvrière » au sein du « capitalisme mo-
nopolistique d'État », le Parti socialiste parle de
«front de classe». Dix ans plus tard, les références aux
positions de classe ont disparu, il s'agit de mobiliser un
électorat traversé d'influences et de volontés diverses,
animé par de nombreux mouvements sociaux. Para-
doxalement, comme le notent de nombreux auteurs,
c'est au moment où la gauche arrive au pouvoir que la
référence au marxisme disparaît et, avec elle, une cer-
taine disqualification des approches des inégalités en
termes de « classes sociales ».
L'affaiblissement du marxisme est-il définitif? Il est
sans doute un peu tôt pour en décider. À l'évidence,
celui-ci a connu, depuis Marx, des périodes d'efferves-
cences et d'hégémonie comme des périodes de déclin.
Ni les unes ni les autres ne furent définitives.

11. - Des classes trop hétérogènes ?


L'ampleur de la mobilité sociale
L'idée que la structure sociale d'une société doit
s'analyser en termes de «classe sociale» suppose un
minimum de pérennité de tels objets sociaux : pour ex-

97
pliquer la « structure », les classes doivent perdurer
dans le temps. Elles peuvent perdurer comme posi-
tions (ce sont des «classes-en-soi») mais, pour qu'il y
ait des chances que ces classes-en-soi deviennent des
classes-identité, il paraît nécessaire que les personnes
y soient socialisées enfants puis y restent adultes.
L'étude de la mobilité intergénérationnelle (entre pa-
rents et enfants) est donc très importante pour appré-
cier le degré de structuration de la société en classes
sociales. Sur ce point, les tenants de la «mort des clas-
ses » argumentent que la mobilité sociale est trop
grande pour que des classes-identité aient des chances
de se constituer, et que, de plus, cette mobilité a aug-
menté au cours du temps.
Les changements dans la structure des emplois ont
été, on l'a dit, très importants. Les générations nou-
velles doivent donc se répartir différemment les em-
plois par rapport à ce qu 'il en était dans la généra-
tion de leurs parents. Ainsi, dans le cas de la France,
la moitié des hommes adultes de 40 à 59 ans occu-
paient en 1953 un emploi de groupe socioprofession-
nel semblable à celui qu 'avait occupé leur père;
en 1977, moins de 40 % étaient dans la même situa-
tion et seulement 35 % en 1993. L'immobilité sociale
a donc diminué au cours du temps quel que soit
d 'ailleurs l'indicateur utilisé pour mesurer le phéno-
mène'.

1. La probabilité pour une personne d 'occuper le même emploi


que son père est évidemment beaucoup plus faible si on utilise une
nomenclature d'emplois très détaillée que si on utilise une nomen-
clature très agrégée. Les mesures en matière de mobilité sociale
sont étroitemen t dépendantes des modes retenus pour évaluer la
position sociale.

98
La conséquence en est que, en dehors des agricul-
teurs, aucune catégorie socioprofessionnelle ne peut
être considérée en France, à l'heure actuelle, comme
un groupe clos. Ainsi, moins d'un quart des membres
de la catégorie des « cadres supérieurs » auront été
élevés dans cette catégorie et un cinquième sont des
enfants d'ouvriers : la catégorie des cadres est très
«ouverte» puisque les origines de ses membres sont
diversifiées. Seul le groupe des « ouvriers » a encore
un taux notable d'endorecrutement dépassant la moi-
tié de ses membres.
Du fait du volume de la mobilité sociale, les catégo-
ries socioprofessionnelles ne sont donc certainement
pas, démographiquement parlant, des classes-pour-soi.
C'est un résultat que l'on retrouve dans les autres pays
occidentaux et quel que soit le schéma de classe retenu.

111. - La fin du déterminisme de classe ?


Cela étant, les positions de classe objectives (telles
que définies par les observateurs donc, non telles que
pensées par les personnes) pourraient continuer de
structurer la vie des individus qui les occupent et la
classe-position avoir de l'importance. La structuration
en classes s'est-elle affaiblie de ce point de vue ? De
nombreux aspects pourraient être examinés (voir en-
cadré 3 en annexe, p. 117), on en retiendra trois.

1. Les chances relatives changent-elles? - Com-


mençons par la critique sur l'hétérogénéité sociale des
classes.
Certes, vont argumenter les défenseurs des analyses
en termes de classe sociale, les flux de mobilité sont

99
tels que l'homogénéité démographique des classes en
est brouillée mais le poids des origines sociales ne s'est
pas vraiment affaibli pour autant si l'on examine
l'inégalité des chances. Les chances pour un fils
d 'ouvrier de ne plus être ouvrier et d'accéder à une ca-
tégorie sociale supérieure ont sans doute augmenté
mais les chances pour un fils d'un membre des catégo-
ries supérieures de rester dans cette catégorie aussi.
Qu'en est-il de leurs chances relatives?
Le sujet est très technique. Le point est de savoir
si les mouvements ont dépassé ce qu'exige l'ajuste-
ment des destinées individuelles aux modifications de
la structure des emplois disponibles. Pour en juger,
il faut faire des hypothèses sur la manière satisfai-
sante de mesurer ce que sont précisément les « néces-
sités» de ces changements. Or diverses théories
et possibilités techniques sont envisageables et il
est normal que de fortes controverses sur le sujet
apparaissent.
De manière générale, tout le monde s'accorde
pour considérer que les bouleversements structurels
expliquent la majeure partie de l'évolution de la mo-
bilité sociale. Reste une petite part sur laquelle le dé-
bat va porter : aléa, fluctuation cyclique, tendance
nette. On a d'abord pensé déceler effectivement, au
travers de larges comparaisons internationales, une
tendance à l'accroissement (léger) de la « fluidité so-
ciale ». Puis la génération des recherches suivantes
est parvenue à des conclusions inverses : une même
structure de base semblait à l'œuvre à peu près uni-
versellement (Erikson et Goldthorpe, 1993). Les tra-
vaux les plus récents concluent à un léger accroisse-
ment de «fluidité» (Vallet, 1999), qu 'on retrouve

100
dans plusieurs pays occidentaux, mais il reste, en
tout état de cause, modeste en proportion et lent à
faire sentir ses effets.
Finalement, en première approximation, les bar-
rières à la mobilité ascendante et les canaux de la
mobilité sont restés à peu près les mêmes. Tout s'est
passé comme si une même structure de base avait
présidé, depuis la guerre, à l'organisation des mouve-
ments de mobilité sociale, en France comme ailleurs.
Certes, il y a eu des assouplissements, mais il n'y a
guère de raisons pour supposer que la société fran-
çaise serait vraiment devenue structurellement beau-
coup plus «ouverte». Les tenants de l'analyse en
termes de classe sont alors fondés à argumenter que
la prédétermination des destins (relatifs) est restée la
même.
Du point de vue des agents toutefois - à savoir, les
Français eux-mêmes - , il n'est pas évident que cette
permanence des structures ait eu une très grande im-
portance. Elle a été sans doute occultée à leurs yeux
par l'ampleur des mouvements de mobilité.
Que sera le futur? Les travaux disponibles sur la
mobilité sociale nous renseignent actuellement au
mieux sur les générations nées dans l'après-guerre. Il
faut un certain temps pour que la position sociale se
stabilise au cours du cycle de vie en sorte qu'il faut
considérer, pour étudier la mobilité sociale, des person-
nes déjà suffisamment avancées en âge. Avec la der-
nière enquête disponible, réalisée en 1994, donc assez
récemment, nous pouvons étudier, au mieux, les géné-
rations nées au début des années 1960. Les générations
plus récentes s'installent dans la vie active ou finissent
leur scolarité. Or le chômage commence de se dévelop-

101
per fortement à partir des années 1975. Les années plus
récentes voient en outre un ralentissement progressif de
la croissance du pouvoir d'achat et de la diminution
des inégalités économiques. Les conséquences de tous
ces changements sur la mobilité sociale ne peuvent être
observés pour l'instant. Le contexte, en tout cas pour
les générations les plus jeunes, est maintenant assez dif-
férent de ce qu 'il était après guerre. Il existe une tension
latente entre ce qui a pu être le sentiment général du-
rant cet après-guerre - la société s'ouvre et les chances
des enfants sont plus grandes que celles qu'ont eues les
parents - et ce qui est une réalité sous-jacente - les
écarts relatifs ne se comblent pas.

2. La fin du vote de classe? - Les classes sociales -


« identités » sont supposées rassembler des personnes
ayant conscience de leur appartenance commune, por-
tées donc à agir ensemble. Dans des sociétés démocra-
tiques, l'expression la plus immédiate d'un souci
d 'action collective en vue de défendre des intérêts
communs est évidemment le vote. Ce n'est donc pas
un hasard si la critique de la perte de pertinence des
schémas de classe est d'abord le fait de politistes trou-
vant que le « vote de classe » se serait affaibli.
Dans leur article sur la « mort des classes sociales »,
Clark et Lipset argumentent ainsi que, de 1950 à nos
jours, le « vote de classe » a diminué dans tous les
pays occidentaux (des États-Unis à la Suède en pas-
sant par la France). Les chiffres à l'appui sont incon-
testables et montrent dans chaque pays une diminu-
tion régulière au cours du temps de ce vote de classe.
Un point essentiel toutefois est de s'entendre sur une
mesure de celui-ci. Dans le cas présent, il est mesuré

102
par l'indice dit d' Alford, c'est-à-dire la proportion des
ouvriers votant pour les partis classés à gauche de
l'échiquier, diminuée de la proportion des non-
ouvriers votant aussi à gauche.
Deux ordres de critiques ont été faits au travail de
Clark et Lipset (et d'autres analogues). Tout y est
traité en dichotomie : une représentation avec deux
classes face à une offre politique, elle aussi en deux
camps. Or la structure de classe, argumentent les cri-
tiques, est bien plus complexe que cette simple dicho-
tomie, et l'offre politique aussi, de sorte que l'indi-
cateur d' Alford dégage une synthèse artificielle et
erronée des changements qui se produisent. Il faut uti-
liser des codes plus fins et des techniques statistiques
plus complexes. Ce faisant, l'évidence d'une baisse de
la liaison position de classe / position de vote est
beaucoup plus faible'. L'évolution de l'indicateur
d'Alford semble résulter, pour beaucoup, de la dimi-
nution dans tous les pays de la place de la population
ouvrière.
Dans le cas français, Nonna Mayer (2000), par
exemple, constate bien un déclin de l'indice d' Alford
mais elle constate aussi que le pouvoir explicatif du
Code des catégories socioprofessionnelles pour prédire
le vote en faveur d'un parti (Front national mis à
part) n'a pas diminué. Toutefois, il y a eu des change-
ments importants opposant maintenant indépendants
et salariés, salariés du public et du privé, clivages
qu'on ne voyait pas auparavant et qui rendent compte
des différences de vote actuelles. La capacité prédic-
tive globale du Code est donc inchangée mais les affi-

1. Pour un état du débat, cf. Evans (1999).

103
liations partisanes des différentes catégories se sont
modifiées.
On voit bien les difficultés de toutes ces analyses : il
faut s'entendre sur les schémas de classe et la manière
dont un changement peut conduire à remettre en
cause ceux-ci. Lipset et Clark examinent un schéma de
classe dichotomique ouvrier/non-ouvrier et constatent
l'affaiblissement incontestable de son pouvoir de
structuration à des moments très différents. Mayer
examine le Code des catégories socioprofessionnelles
et compare des dichotomies, toutes compatibles avec
celui-ci, mais différentes d'un moment à l'autre. Tout
dépend, bien sûr, du degré auquel on accepte de com-
parer des schémas dichotomiques différents et/ou on
considère qu'il est illégitime d'en changer en cours de
route.

3. L'individualisation des modes de vie ? - Sur ce


sujet, on ne dispose pas de travaux sociologiques en
bonne et due forme. On dispose plutôt du sentiment
assez général d' « experts » divers, ayant besoin pour
leur profession de comprendre les comportements in-
dividuels en matière de décision de consommation,
d'activités ménagères ou de loisirs. Leurs sentiments
sont qu'on assiste à une multiplication des «styles de
vie» choisis individuellement par chacun en fonction
de ses goûts ou de ses aspirations et susceptibles d'être
abandonnés facilement le cas échéant. L'élévation gé-
nérale des niveaux de vie diminuant le poids des con-
traintes économiques, d'une part, la diversification
considérable de l'offre (un exemple archétypique en
est la multiplication des options lors de l'achat d'une
voiture) permettant des choix plus personnalisés,

104
d'autre part, la montée de l'individualisme et du souci
d'épanouissement individuel, enfin, expliqueraient
cette évolution.
De telles évolutions sapent évidemment le pouvoir
de structuration des comportements par d'éventuelles
classes sociales. L'homogénéité interne de celles-ci est
remise en cause par l'apparition de styles de vie divers
en leur sein, styles de vie qui ont peu de chances de
correspondre aux comportements traditionnels suppo-
sés caractéristiques de ces classes puisqu'ils sont préci-
sément choisis par les individus de plus en plus en
fonction d'idiosyncrasies personnelles. Les mêmes
idiosyncrasies vont expliquer les participations à des
mouvements sociaux, des collectifs ou associations
parfois éphémères, organisés autour de thèmes sou-
vent « trans-classistes » (par exemple, la défense d'une
modification de l'environnement local). Le pouvoir
structurant des classes sociales est simultanément
remis en cause et érodé par là même.
Comme on l'a dit plus haut, on ne dispose guère
d'évaluations quantifiées et systématiques du degré
d'importance de ces évolutions. Il n'y a pas de raisons
de supposer que les « experts » se trompent en la cons-
tatant (dans tous les pays occidentaux). Par contre,
leur intérêt est peut-être biaisé par leur souci de repé-
rer les changements qui permettraient de développer
de nouveaux marchés. Que représentent exactement
ces évolutions par rapport aux permanences ? Les te-
nants de l'importance des classes sociales argumente-
ront, bien sûr, qu'elles sont d'importance relative,
v01re mmeure.

105
IV. - Les classes comme production culturelle
historiquement datée.
Déconstructions postmodernistes

Ce dernier ordre de critiques est, à nombre


d'égards, le plus dirimant. Les critiques précédentes
portaient sur une éventuelle baisse du degré de struc-
turation en classes sociales des sociétés contemporai-
nes mais ne remettaient pas en cause que cette structu-
ration existe et est d'intérêt. Celle-ci porte sur la
pertinence même de cette interrogation.
La critique se place dans la perspective « post-
moderniste » de réflexion sur la fin des « grands ré-
cits ». Le point n'est plus de savoir si la capacité expli-
cative des représentations savantes se serait affaiblie
mais de constater que cette manière de poser le pro-
blème n'a tout simplement plus de sens. Les représen-
tations en classes sociales sont des productions cultu-
relles datées, dont on peut précisément établir le mode
de production et de « mise sur le marché » (pour em-
ployer un langage métaphorique) et dont on constate
alors qu 'elles ne sont plus «consommées». Ce sont
des représentations comme d'autres, promues par cer-
tains pour qui elles faisaient particulièrement sens et à
qui elles permettaient d'orienter leurs actions, mais
qui n'ont pas de «scientificité» plus particulière que
les autres.
D 'après, par exemple, Pakulski (1996), l'historique
serait le suivant.
Au x1xe siècle, de petites collectivités ouvrières se
constituent. Il s'agit de groupes limités. Tous leurs
membres vivent en proximité étroite (on parle parfois
de «villages urbains »), travaillent dans une même

106
usine ou dans les conditions très voisines et réagissent
en commun à des événements perturbateurs. On peut
parler de petites «communautés de destin». Les re-
présentations des membres de ces micro-sociétés ne
sont peut-être pas en termes de classe mais tous parta-
gent une même condition définie par une position ou-
vrière et agissent ensemble au mieux de leurs intérêts :
ce sont de véritables micro-« classes-pour-soi ».
Ces petites «communautés» locales vont être sub-
sumées fin XIXe - début xxe dans de larges «quasi-
communautés » à distance. C'est à ce stade que la
« classe » apparaît comme production culturelle,
comme construction intellectuelle mise en place et
prônée par des organisations poursuivant cet objectif.
«Par un processus analogue à celui par lequel les
États se sont transformés en nations, les partis [politi-
ques] ont façonné les classes. Les appels politiques de
ces organisations ont contribué à construire des quasi-
communautés de très large échelle mais infranationa-
les qui ont progressivement remplacé les communau-
tés de destin localisées et promu les identifications de
classe en termes nationaux. Partis politiques et syndi-
cats ont défini les "problématiques" de classe et for-
mulé des "paquets" d'objectifs et de stratégies qui
furent utilisés pour attirer de larges supports électo-
raux», dit Pakulski. Ce sont les supporters et adhé-
rents de ces organisations qui vont adopter des repré-
sentations en classe qu'ils rediffuseront, non en raison
d'une appartenance de classe objective, mais en raison
d'une adhésion aux orientations idéologiques d'or-
ganisations qui les proposent. « Le métarécit du socia-
lisme (aussi bien dans sa version révolutionnaire que
réformiste) devint l'idéologie de la classe ouvrière,

107
tandis que le libéralisme (dans ses versions laissez-
faire comme étatiste-libertarienne) et le conservatisme
furent associés avec les classes et partis " bourgeois" . »
Le point, alors, est que cette « communauté » de
classe était « imaginée » ; et qu'elle le serait de moins
en moins du fait de la progression des capacités analy-
tiques de chacun, du fait de l'institutionnalisation des
grandes organisations et de leur contestation qui s'en
est suivi, du fait de l'apparition des mouvements so-
ciaux et principes identitaires érodant tout sentiment
d 'identité communautaire. De ce fait, les représenta-
tions en classe auraient vécu ... mais elles n'avaient
d'autre statut que celui de «représentation » avec tout
ce que cela implique d'incertain.

V. - Un débat difficile à conclure


Inutile de dire que les preuves avancées d'une
diminution du degré de structuration en classes
n'emportent pas la conviction de tous. Si certains par-
lent de la «mort des classes» (Clark et Lipset, 1991),
d'autres continuent de voir le «futur prometteur de
l'analyse en termes de classe sociale» (Goldthorpe et
Marshall, 1992).
Une première remarque à faire sur ce débat est qu 'il
cherche à comparer deux éléments très inégalement
connus. De nombreuses données, de plus en plus
nombreuses, sont disponibles sur le présent (y compris
proche) que nous connaissons donc de manière de
plus en plus détaillée et fine. Par contre, le passé (y
compris proche) nous est plutôt connu par des témoi-
gnages, de sorte que nous en avons une image recons-
tituée et sans doute simplifiée. On peut se demander,

108
dans ces conditions, si la comparaison n'est pas
quelque peu biaisée dans le sens d'une surestimation
de la complexité actuelle, d'une part (difficile donc à
résumer en une maquette simple et efficace), et d'une
sous-estimation de la complexité passée (déjà filtrée
par les témoignages au prisme des «maquettes» de
leurs auteurs), de l'autre. Trouver alors que les phéno-
mènes se compliquent est assez naturel.
Une deuxième remarque tient à la difficulté qu'il y
a à décider de «la fin des classes », alors que, claire-
ment, l'analyse en termes de classe est, pour ses pro-
moteurs, plutôt une démarche programmatique qu'un
corps d'hypothèses précises et limitées. Quels critères
précis permettent alors de dire qu' «une analyse en
termes de classe » ne s'applique plus, n 'a plus d'in-
térêt? En admettant, par exemple, que les critiques
aient pu montrer de façon incontestable (ce qui n'est
pas évident à obtenir, voir encadré 3) que tel ou tel
schéma de classe particulier ne permet plus de diffé-
rencier des comportements, faut-il en déduire que le
schéma de classe considéré n'est pas, ou n'est plus, le
bon ou que tout schéma de classe serait insatisfaisant
et qu'il faut remettre en cause l'idée même de cons-
truire une représentation en forme de schéma de dé-
pendance? La possibilité de redéfinir les termes de
l'analyse est trop importante pour qu'une critique
puisse emporter complètement la conviction.

109
CONCLUSION

L'analyse des sociétés au prisme des classes sociales


a une très longue tradition.
De tout temps, semble-t-il, l'une des manières de se
représenter l'organisation des sociétés dans l'histoire
occidentale a été de faire référence à un nombre limité
de groupes distincts au sein de celles-ci. L'idée que ces
groupes se définissent par référence à la place qu 'ils oc-
cupent dans l'organisation économique et sont en lutte
entre eux est développée au XIXe siècle par divers au-
teurs, le plus éminent étant évidemment Karl Marx.
Sur cette base, une longue tradition sociologique per-
dure jusqu'à nos jours. Elle propose des représenta-
tions de la société sur base de l'organisation de la pro-
duction, plus ou moins en synthèse ou en compétition
avec d'autres représentations fondées sur d'autres
principes comme la différenciation des styles de vie ou
les relations de prestige, et entend réserver le terme de
« classe » à sa propre manière de délimiter les groupes.
Ces représentations en classes sont au fondement de
programmes de recherche visant à documenter la di-
versité et l'ampleur des conséquences d'une telle orga-
nisation sur les vies individuelles. Le marxisme est évi-
demment le triomphe de cette perspective puisqu'il
propose de s'appuyer sur la sienne, non seulement
pour comprendre, mais aussi pour agir.
Un point assez net de l'évolution de ces représenta-
tions sociologiques est qu'elles se complexifient au
cours du temps. Marx propose une maquette simple

11 0
de deux classes, dont il pense qu'elles sont certes sans
doute insuffisantes pour décrire complètement ce qu'il
observe, mais qu'à l'avenir elles suffiront du fait d'une
simplification progressive. Manifestement, les socio-
logues, avec de nombreuses hésitations, ne valident
pas cette perspective. Les groupes supposés intermé-
diaires se sont maintenus, d'autres sont apparus, et
des schémas plus complexes, avec un plus grand
nombre de positions de classe, s'avèrent nécessaires de
nos jours. Après tout, si la division du travail est une
tendance de nos sociétés, il n'est pas si surprenant que
le nombre des positions susceptibles d'avoir une im-
portance visible ne diminue pas, et ce n'est pas un ha-
sard si la dernière en date des propositions, celle de
Grusky, s'appuie sur Durkheim pour proposer de dé-
finir les classes à partir des collectivités profession-
nelles élémentaires.
L'affaiblissement des schémas de dépendance dans
les représentations communes est, au moins en
France, assez vraisemblable. L'accompagne, ou en té-
moigne, l'affaiblissement du marxisme comme réfé-
rence intellectuelle et la montée, même parmi les
ouvriers, du sentiment d'appartenance aux classes
moyennes. Faut-il, pour autant, en conclure à la «fin
des classes »? Le débat n'est certainement pas clos. Il
est d'ailleurs récurrent. Si Ossowski a raison, si deux
modes de représentation des structures inégalitaires se
disputent le champ de la réflexion depuis Aristote sans
qu'aucun n'ait réussi à supplanter l'autre, c'est, selon
toute vraisemblance, que chacun a des qualités intrin-
sèques qui forcent l'attention. Ils continueront donc
de se disputer la prééminence. Les analyses actuelles
en termes de classes, inscrites dans l'un de ces modes,

111
ont certainement, de ce seul fait, des qualités suggesti-
ves, qui les rendent attrayantes. Des critiques qui ne
suggèrent pas quel autre principe retenir pour cons-
truire des schémas de dépendance préférables à ceux
qui existent risquent d'apparaître comme trop peu
constructives pour pouv01r vraiment emporter
l'adhésion.

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ANNEXES

Encadré 1
Les changements dans la population active
durant la deuxième moitié du xxc siècle en France.
Les faits en ordre de grandeur
Depuis l'après-guerre, les changements dans
la population active furent importants. Au
prisme des catégories socioprofessionnelles, ils
sont les suivants :
• une baisse considérable du nombre des « agri-
culteurs exploitants». Ils représentaient 16 %
de la population active en 1962 et seulement
3 % en 2002. Contrairement peut-être à des
idées reçues, cette diminution n'est pas vrai-
ment nouvelle mais avait commencé dès après
la Première Guerre mondiale, simplement
elle s'est très fortement accélérée après la
Seconde;
• une relative stabilité du nombre des artisans et
commerçants, les petits indépendants : 9 %
en 1962, 6,5 % en 2002. Le déclin de ces grou-
pes socioprofessionnels paraissait aux obser-
vateurs d'après guerre inéluctable mais ne
s'est pas produit. Leur nombre s'est même
accru pour certaines catégories ces derniers
temps;
• une très nette diminution du nombre des
«ouvriers». Représentant presque 40 % de

11 3
la population active en début de période, ils
n'en constituent plus que 26 % en fin de pé-
riode. Leur part relative a eu tendance à
croître jusque vers les années 1975-1980 avant
de diminuer substantiellement. Leur déclin
numérique est un phénomène récent qui com-
mence seulement dans les années 1980 ;
• une augmentation considérable de la part des
« cadres supérieurs», des «cadres moyens »
et des «employés». Les «cadres supérieurs»,
par exemple, ont augmenté en part relative à
peu près au rythme auquel les agriculteurs-
exploitants diminuaient. Les employés, eux,
ont plus que doublé en effectif.

Les changements d 'après guerre sont donc im-


portants. Ils apparaissent parfois brutaux, sou-
vent en rupture avec les évolutions de longue
période. Ainsi, le déclin relatif des catégories ou-
vrières au sein du salariat se produit brutalement
quand on le replace dans la longue durée. La
montée du salariat semblait séculaire, sans limite,
et on imaginait encore bien après guerre que les
artisans, commerçants et autres petits indépen-
dants étaient en voie de disparition. Leur main-
tien, voire leur développement, surprit. Quant
aux discussions récentes sur l'éventuel affaiblisse-
ment de la distinction entre les statuts de salarié
et d'indépendant, on n'aurait pu les imaginer, il y
a qumze ans.

114
Encadré 2
Paysans, bourgeois et prolétaires.
Une représentation de la structure
sociale française
Dans La seconde révolution française, Henri
Mendras propose une image de la structure so-
ciale de la France de la fin du XIXe à la première
moitié du xxe siècle.
Jusqu 'aux années 1960, dit-il, la France
s'analysait au travers de trois grands groupes so-
ciaux : paysannerie, bourgeoisie, prolétariat
complété d'un quatrième, plus secondaire, les
classes moyennes. Un schéma d' ordre ternaire
donc, tenant à la fois du schéma de dépendance
réciproque et unilatérale.
La bourgeoisie exerçait la domination « par la
puissance économique, le pouvoir politique et
l'hégémonie culturelle ». Cette bourgeoisie vivait
ou avait pour idéal de vivre de son patrimoine,
d'être rentière. Le patron bourgeois s'investissait
peu dans son entreprise et se contentait d'y pas-
ser matin et soir pour vérifier la bonne marche
des affaires. Les idées, de tradition webérienne et
schumpetérienne, du bourgeois comme entrepre-
neur ascétique, attaché à développer et inventer,
sont, dit Mendras, trompeuses et fausses, sauf,
évidemment, cas d'exception. Cette classe bour-
geoise avait du goût pour l'opulence et le
confort, développa tout un art de vivre et ne se
concevait pas sans des domestiques qui étaient, à
la fois, un signe de statut social, une audience

11 5
pour le spectacle que constituaient le rituel de la
vie bourgeoise et une nécessité matérielle pour
décharger ses employeurs des contingences ma-
térielles. L'évolution économique et l'érosion
monétaire auront, bien sûr, raison de ce mode de
vie enraciné dans la possession d'un capital dont
on jouissait.
L'argent n'occupait qu'une place très minime
dans la vie paysanne. C'était une nécessité pour
payer les impôts, pour acheter quelques produits
mais, fondamentalement, les paysans se caracté-
risaient par leur autarcie sur leur ferme d'abord,
dans leur village ensuite. Ces villages étaient en-
capsulés dans la société globale à la vie de la-
quelle ils participaient peu et qui les atteignait
uniquement par l'intermédiaire de notables lo-
caux. Cette société paysanne, ses caractéristi-
ques, sa place dans la société globale n'avaient
guère changé depuis des siècles. Elle ressemblait
toujours, quelques innovations techniques mises
à part, à celle de l'Ancien Régime.
À l'opposé de la paysannerie, la «classe ou-
vrière » était d'apparition récente. Pour Men-
dras, la première génération de cette classe ou-
vrière est celle du Front populaire et des grandes
luttes sociales. Elle intégra une «conscience pro-
létarienne » définie par le manque et la priva-
tion. C'est elle qui fera le succès du Parti
communiste. Elle était encore en place dans
l'immédiat après-guerre. La génération qui
suit profita des « Trente Glorieuses » pour accé-
der à la société de consommation mais subira
les évolutions techniques et organisationnelles

116
qui feront disparaître l'organisation fordiste du
travail.
C'est l'effondrement de la structure durant les
« Trente Glorieuses » qui explique et constitue la
« seconde révolution française». De nos jours,
continue Mendras, la structure sociale est com-
plètement différente. Les grandes institutions
- armée, clergé, Parti communiste - qui la soute-
naient se sont effondrées. «Les paysans ont dis-
paru, la bourgeoisie a perdu ses attributs qui se
sont répandus dans les autres classes, la culture
populaire est morte et la classe moyenne n'est
plus constituée en majorité de boutiquiers,
d'artisans, et d'employés mais de cadres. »

Encadré 3
Différences de conditions de vie
et de comportement entre classes sociales
en France
En France, c'est essentiellement au travers
du prisme des catégories socioprofessionnelles
qu'on peut juger de la nature et de l'ampleur
des différences de comportements et conditions
entre classes sociales.
Le constat est alors le suivant. Quel que soit le
domaine pour lequel des données sont dispo-
nibles, on observe à peu près toujours des diffé-
rences entre catégories et groupes socioprofes-
sionnels, et, de manière générale, ces différences
s'organisent toujours de la même manière en
permettant de hiérarchiser les catégories entre

117
elles depuis les «cadres supérieurs et professions
intellectuelles diverses » (et, en leur sein, les
«professions libérales») à une extrémité aux
« ouvriers » (et, en leur sein, les « ouvriers agri-
coles») à l'autre extrémité. Les positions des
« agriculteurs » et des « artisans-commerçants-
patrons »sont relativement incertaines lorsqu'on
les considère de manière aussi agrégée mais le
sont beaucoup moins lorsqu'on les détaille en
catégories socioprofessionnelles.
Voici, à titre d'exemple, quelques écarts. 80 %
des cadres sont allés au cinéma au moins une
fois durant les douze derniers mois, 60 % des
employés et 45 % des ouvriers. Un cadre supé-
rieur a 53 chances sur 100 d'organiser librement
ses horaires de travail et ses congés, un ouvrier
3 chances sur 100. L'espérance de vie à 45 ans
d 'une femme cadre supérieur est de 39,4 ans;
celle d 'une employée, de 38,5 ans ; et celle d'une
ouvrière, de 37 ,2 ans. Les différences moyennes
sont donc très nettes et, de ce point de vue, la
structuration en classe est incontestable.
La question est de savoir quel est le degré de
prégnance de cette structuration et son évolution
au cours du temps.
Évaluer la prégnance ne va pas sans diffi-
cultés. La première est de savoir si la mesure
doit être intrinsèque ou corrigée de phénomènes
alternatifs. Ainsi, la mortalité différentielle des
hommes et des femmes est importante : doit-on
en tenir compte pour comparer les mortalités
différentielles par classes sociales? Le point est
particulièrement délicat en ce qui concerne ni-

118
veaux d 'éducation et de revenu car, si les écarts
entre catégories sont certains, les écarts « corri-
gés » du fait que les catégories socioprofession-
nelles diffèrent aussi sur ces deux dimensions
- les écarts «nets», donc - le sont beaucoup
moins, voire disparaissent complètement. Une
autre difficulté est de déterminer si les disper-
sions autour des moyennes contribuent ou non à
brouiller les frontières. Le sujet est technique-
ment difficile et commence seulement d 'être
étudié.
Une dernière interrogation porte sur les évo-
lutions : les écarts se réduisent-ils? Ici aussi, les
conclusions peuvent dépendre fortement des
conventions retenues. Un point toutefois paraît
incontestable : les positions relatives évoquées
au début de cet encadré sont restées à peu près
stables depuis la guerre.

119
Tableau 1. - Les deux premiers niveaux
de la nomenclature des P CS et la répartition
de la population de plus de 15 ans en 2002

Nombre
( milliers)

1. Agriculteurs-exploitants 639
11. Agriculteurs sur petite exploitation 102
12. Agriculteurs sur moyenne exploitation 160
13. Agriculteurs sur grande exploita tion 377

2. Artisans, commerçan ts et chefs d'entreprise 1 473


21. Artisans 700
22. Commerçants 649
23. Chefs d'entreprise de 10 salariés ou plus 123

3. Cadres et professions intellectuelles supérieures 3 656 i:;;;i


31. Profess ions libérales 316
r:ii
0
.
33. Cadres de la fonction publique 345 0
34. Professeurs, professions scientifiques 789 f'I
35. Professions de l'info rmation, des arts et des 237 ~
spectacles ~
37. Cadres administratifs et commerciaux CD
d'entreprise 1 062 CD
38. Ingénieurs et cadres techniques d'entreprise 907
-a...
4. Professions intermédiaires 5 442 Ill
42. Instituteurs et assimilés
43. Professions intermédiaires de la santé
826 i
et du travail social 1 061 ~
44. Clergé, religieux 13 ......
::::::=i
45. Professions intermédiaires administratives r:n
de la fo nction publique 405 .....
::i
46. Professions intermédiaires administratives
et commerciales des entreprises 1 555 ~
47. Techniciens
48. Contremaîtres, agents de maîtrise
1 018
563
·~
c;;;
;;!
.....
120
!tn
'ti.1 w=
50
·-~
..... i.n
a.-
Eè't
Nombre
(milliers)

5. Employés 7 83 1
52. Employés civils et agents de ser vice de la
fonction publique 2 140
53. P oliciers et militaires 52 1
54. Employés administratifs d'entreprise 2 421
55. Employés de com merce 1 058
56. Personnels des services directs aux particuliers 1 690
6. Ouvriers 6 999
62. Ouvriers qua lifiés de type industriel 1 642
63. Ouvriers qua lifiés de type artisana l 1 65 1
64. C hauffeurs 634
65. Ouvriers qualifiés de la manutention,
du magasinage et du transport 460
67. Ouvriers non qualifiés de type industriel 1 498
68. Ouvriers non qua lifiés de type artisana l 837
69. Ouvriers agricoles 277
7. P opula tion inactive/ex-active 10 649
71. Anciens agriculteurs 996
72. Anciens artisans, commerçants, chefs
d'entreprises 907
74. Anciens cadres 933
75. Anciennes professions intermédiaires 1 771
77. Anciens em ployés 3 141
78. Anciens ouvriers 2 900
8. Popula tion inactive n'ayant jama is travaillé 10 951
83. Militaires du contingent 1 842
84. Élèves, étudia nts de plus de 15 a ns 5 352
85. Autres inactifs entre 15 et 60 ans (sauf
retraités) 4 101
86. Au tres inactifs de p lus de 60 ans (sauf
retraités) 1 497
Population tota le 47 882

121
Tableau 2. - Les classes d'après Wright

Propriétaires des moyens de production

Possède un capital suffisant pour 1. Bourgeoisie


embaucher des salariés et ne pas
travailler
Possède un capital suffisant pour 2. Petit employeur
embaucher des salariés mais doit
travailler
Possède un capital suffisant pour 3. Travailleur
travailler mais insuffisant pour indépendant
embaucher des salariés (petty bourgeoisy)

Salariés sans moyens de production

Atouts de Atouts en matière d'organisation


compétences
et de diplômes Beaucoup Moyen Peu

Beaucoup 4. Expert 5. Expert 6. Experts


manager super- non
viseur manager
Moyen 7. Semi- 8. Semi- 9. Semi-
Creden- Creden- Creden-
tialled tialled tialled
Manager Supervisor Worker
Peu 10. Uncreden- li. Uncreden- 12. Prolé-
tialled tialled taire
Manager Super visor

122
Tableau 3. - Les versions en 7 et 5 classes
du class-schéma de Goldthorpe

Version Version
en 5 classes en 7 classes Contenu

Service class Professionals, administrateurs,


managers, techniciens hautement
qualifiés, responsables de
trava illeurs non ma nuels

Cols blancs Trava illeurs non Employés d'exécution dans


( White-collars ma nuels d 'exé- l'administration et le commerce
workers) cution ( R outine Vendeurs; autres travailleurs
non-manual d 'exécuti on
workers)

P etite bour- Pe tite bour- Petits entrepreneurs individuels


geoisie geoisie et a rtisans avec ou sans
( Pet1y ( Petty employés
bourgeoisie) bourgeoisie)

Agriculteurs Fermiers, petits agriculteurs


et autres ent repreneurs
individuels da ns le secteur
p rimaire

Actifs Sala riés agricoles


agricoles ( Agricultural
( Farm workers) labourers)

Ouvriers O uvriers qualifi és Techniciens peu qualifiés,


qua lifiés ( Skilled workers) surveilla nts de trava illeurs
(Skilled ma nuels, travaille urs ma nuels
workers) qualifiés

Ouvriers no n- Ouvriers non- Travailleurs manuels (hors


qualifiés qualifiés agriculture) peu ou pas qualifiés
( Non- ( Non-skilled
skilled workers)
ivorkers)

123
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125
TABLE D ES MATIÈRES

Introduction 3

Chapitre I - L'architecture de toute réflexion 5


T. Les deux modes de représentation des structures
inégalitaires. L'ana lyse d'Ossowski, 5 - Il. Les trois
niveaux d'analyse. MICRO, MESO et MACRO : 10 -
Til. Le degré de structuration, 13.
Chapitre II - Les représentations savantes. Les pères
fondateurs 15
T. Les précurseurs, 15 - Il. L'enracinement dans le sys-
tème productif. Karl M arx, 18 - Ill. Ressource, pres-
tige, pouvoir. Max Weber, 23 - TV. Classes et groupes
de statut. Vers des perspectives bourdieusiennes, 30.
Chapitre III - Les représentations savantes. Perspec-
tives théoriques actuelles 33
I. De la concurrence de nos jours sur le marché de
l' analyse sociologique des classes, 34 - TT. Les clas-
ses en débat, 37 - III. Les leaders. Eric Olin Wright
et John Goldthorpe, 46 - IV. Les outsiders, 56 -
V. Les dimensions oubliées, 61.
Chapitre IV - Les représentations savantes. Les codifi-
cations en compétition 68
1. Communauté d 'utilisateurs et niveaux d'usage, 68
- Il. Le cas français. Le Code des catégories socio-
professionnelles, 73 - III. Propositions de la com-
munauté des chercheurs en sciences sociales, 79.
Chapitre V - Les représentations communes. Le cas
français 88
1. Les sentiments d'appartenir à une classe sociale,
88 - II. Position objective et affilia tion subjective.

126
L'affiliation comme reflet de la situation écono-
mique, 90 - III. Le cas des jeunes, 92 - IV. Du
poids des schémas de dépendance, 94.
Chapitre VI - La fin des classes? 96
I. La fin du marxisme comme référence?, 96 -
II. Des classes trop hétérogènes ? L'ampleur de la
mobilité sociale, 97 - III. La fin du déterminisme de
classe ?, 99 - IV. Les classes comme production
culturelle historiquement datée. Déconstructions
postmodernistes, 106 - V. U n débat difficile à
conclure, 108.
Conclusion 110

Annexes 113

Bibliographie 124

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Imprimé en France
par Vendôme Impressions
Groupe Landais
73, avenue Ronsard, 41100 Vendôme
Octobre 2004 - N° 51 709

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