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Conclusion générale

Les études à la fois théoriques et empiriques de la croissance foisonnent depuis une


quinzaine d'années. Et pourtant, malgré le nombre de ces travaux, Dessus (1998) remarque
que le débat concernant les déterminants de la croissance et les politiques à mettre en place
pour la favoriser est loin d’être clos. La croissance est un processus protéiforme qu'il est
difficile de cerner et de synthétiser au sein d'un seul modèle statistique. Aucune étude ne peut
se targuer d'en avoir fait le tour et de pouvoir expliquer l'ensemble des épisodes de croissance
enregistrés par les différentes économies. De façon similaire, notre thèse ne prétend pas
couvrir tous les aspects abordés par les différents économistes de la croissance, ni apporter de
réponses définitives aux problématiques en jeu.

Ce travail se limite premièrement à une analyse stricte de la croissance et laisse de côté tout
un pan de la question du développement économique en ne traitant ni du bien être, ni de la
redistribution. Il est bien évident que le problème du développement économique est bien plus
complexe que la prise en compte du seul critère de croissance ne le laisse supposer. Il existe
ainsi des recommandations que l'objectif de croissance requiert et qui ne sont cependant pas
soutenables sur un plan humain, social, culturel... Un bon exemple est certainement ici le cas
du rôle de la démocratie dans les pays d'Amérique Latine mis à jour dans la seconde partie de
ce travail. A strictement parler, la forme institutionnelle démocratique semble défavorable à la
croissance. Du moins, les politiques économiques dont se sont accompagnés les épisodes dits
démocratiques en Amérique Latine ont été largement préjudiciables à la croissance. Une telle
conclusion ne peut cependant pas constituer les bases d'un plaidoyer en faveur de la dictature.
D'abord, il n'est pas avéré que toute forme de démocratie soit néfaste pour la croissance, et
plus essentiel, le fait que la dictature ne soit pas une option recevable sur le plan moral est un
critère suffisamment fort pour ne pas justifier son choix.

Ensuite, au sein même du champ d'étude "croissance", notre thèse se concentre sur quelques
points au détriment de nombreux autres. Nous choisissons de nous intéresser à la croissance
de très long terme. Les problématiques abordées reflètent donc largement ce choix. Sur long
terme, ce qui domine c'est la convergence entre les économies aujourd'hui considérées comme
les plus développées. Ce fait marquant, associé à la faible disponibilité des données, nous
incite à nous concentrer sur une vingtaine de pays au détriment d'une analyse plus large. Nous

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laissons ainsi de côté, non seulement toutes les problématiques qui se sont manifestées sur la
fin du XXème siècle (le rôle de l'intégration des marchés financiers, celui des nouvelles
technologies que Quah (1999) assimile au concept de weightless economy, ainsi que ce qui a
plus précisément trait au court terme comme les cycles réels), mais ce faisant, nous
choisissons aussi d'ignorer un pan entier du monde puisque ni le continent africain ni l'Asie (à
l'exception du Japon), ne font partie de notre échantillon. En ce sens, ce travail est largement
incomplet.

Cette thèse apporte, cependant, une contribution non négligeable au débat sur
la croissance par plusieurs de ses aspects.

Notre étude est d'abord une analyse empirique de très long terme puisqu’elle couvre, suivant
les échantillons considérés, entre 60 et 100 ans. La longueur des bases de données, outre ce
qu'elle signifie en termes de travail de collecte de données et d'homogénéisation, nous permet
de tester la robustesse des modèles de croissance traditionnels et de nous pencher sur des
problématiques auxquelles les données de court terme ne peuvent apporter de réponse
satisfaisante. Nous confirmons, par exemple, la nécessité de se référer à des spécifications
mieux appropriées que les modèles linéaires traditionnels pour examiner la croissance de long
terme, ces derniers n'étant pas totalement satisfaisants sur une telle période. Ce travail propose
ainsi de nouvelles voies d'extension aux modèles de croissance traditionnels, extensions qu'il
n'était pas concevable de tester tant que les études se restreignaient à des échantillons de court
terme. A cette fin, nous nous attachons à la question de l'interaction entre sphère
institutionnelle et cadre économique ainsi qu'au processus de rattrapage technologique entre
pays développés.

Ce faisant, cette thèse souligne l'importance de la complémentarité des phénomènes dans le


processus de croissance.
Un cadre économique initial solide n'apparaît pas comme le seul garant d'une activité prospère
et la deuxième partie de ce travail souligne à quel point l'environnement politique est essentiel
pour assurer de bonnes performances économiques. Cette mise à jour d'une complémentarité
des sphères politique et économique fournit quelques éléments de réponse pour comprendre le
mouvement de divergence durable enregistré par les pays d'Amérique Latine à partir des
années 1920. Malgré un niveau de développement très élevé au début du siècle, la succession

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de régimes populistes au pouvoir ainsi qu'une instabilité chronique ont entraîné les pays
latino-américains dans la spirale du sous-développement, réduisant à néant les efforts initiaux.
Par opposition, les pays caractérisés par des régimes politiques stabilisés ont connu une
croissance économique dont les déterminants sont à rechercher principalement du côté des
variables économiques. Dans ce cas, en effet, l'environnement politique ne s'est plus présenté
comme discriminant. Il se comporte finalement comme un élément nécessaire au
développement économique mais non suffisant puisqu'il ne peut justifier les différents degrés
de réussite.
En plus d'un environnement institutionnel propice, les pays aujourd'hui les plus développés
ont du connaître une accumulation des facteurs de croissance relativement équilibrée pour
enregistrer la croissance qui les a caractérisés pendant un siècle. S'appuyant sur un siècle de
données, la troisième partie de cette thèse suggère que l'éducation et l'ouverture économique
ont eu un impact sur la croissance économique d'autant plus important que leur accumulation
s'est faite simultanément. Cependant, ce n'est pas directement sur la croissance que ces
facteurs ont agi, mais sur le processus de rattrapage technologique qu'ils ont permis
d'accélérer. C'est parce que l'ouverture économique et le capital humain ont favorisé
l'utilisation de nouvelles technologies qu'ils ont entraîné un phénomène de convergence entre
les économies et une propagation des hausses de productivité importées.

Notre recherche nous a permis de mettre en lumière plusieurs faits marquants du


développement économique. Plusieurs points mériteraient toutefois d'être explorés plus
avant et pourraient faire l'objet d'extensions.
Ce travail s'intéresse à des phénomènes largement négligés par les études empiriques: les
non-linéarités dans le processus de croissance. Cependant, étant donnée la contrainte pesant
sur les données, nous n'avons pas pu nous attacher de façon approfondie à l'étude du sous-
développement et aux facteurs de divergence permanente entre économies développées et
pays en développement.
Notre travail nous a néanmoins suggéré quelques éléments de réponse quant à l'essoufflement
durable des pays d'Amérique Latine et au décollage économique extraordinaire du Japon.
Dans le premier cas, une mauvaise gouvernance semble être responsable du décrochement des
pays d'Amérique Latine que les conditions économiques initiales ne justifiaient a priori pas.
En ce qui concerne le Japon, une forte ouverture économique alliée à un bon niveau
d'éducation ont pu le propulser parmi les pays les plus développés. Dans ce second cas, une
complémentarité de facteurs explique le saut sur une trajectoire de croissance plus élevée.

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L'extension de l'analyse à un nombre plus important de pays permettrait d'étudier le degré
d'universalité de nos prédictions. Notre intuition est qu'elle serait certainement le moyen de
mettre à jour des processus auto-entretenus, là où nous avons trouvé de la convergence (au
sein du rattrapage technologique).

Une seconde extension possible consisterait à prendre en compte de façon plus systématique
l'influence de la proximité géographique et des effets de contagion. Nous y avons fait
allusion lorsque le rattrapage technologique nous a semblé concerner des économies selon une
cohérence géographique certaine. Cependant, beaucoup plus pourrait être dit. Il est quand
même remarquable que les performances économiques suivent globalement le contour
géographique des continents, que l'Europe occidentale et l'Amérique du Nord se démarquent
par des niveaux de développement élevés tandis que le continent africain se trouve acculé à de
très faibles performances économiques. Il existe finalement une récurrence des effets, les
bonnes performances se concentrant dans certaines régions et les mauvaises dans d'autres,
qu'il serait intéressant d'étudier plus en détails.

Enfin, notre étude des déterminants des performances des économies développées nous a
conduit à favoriser la thèse d'un rattrapage technologique, c'est à dire d'une convergence des
pays suiveurs vers les pays leaders permise par la propagation des technologies. Cependant, si
une telle analyse peut justifier le dynamisme et le ralentissement des économies suiveuses en
référence aux éléments de tête, elle n'est que très peu informative quant aux moteurs des
performances des leaders. En effet, ni l'environnement politique, ni le processus de rattrapage
technologique, tels que nous les avons pris en compte au sein de ce travail, ne peuvent
expliquer le comportement du pays leader ou le dépassement d'une économie par une autre. Il
nous reste donc encore à nous pencher sur les facteurs qui ont fait du Royaume-Uni la
puissance dominante tout au long du XIXème siècle et des Etats-Unis celle du XXème siècle.

L'obstacle reste cependant toujours le même: la disponibilité et la fiabilité des données.


L'arbitrage se résume finalement à celui établi en première partie de ce travail: étude de long
terme qui permettrait l'analyse des déterminants ultimes de la croissance mais est confrontée à
la rareté des données ou choix de la restriction au court terme, ce qui permet une meilleure
définition des données, mais des assimilations douteuses. Cette thèse a tenté de tirer le
meilleur de son parti pris de long terme.....

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