importante mais pas suffisante pour générer une augmentation durable du bien-être, qui
suppose un partage équitable des dividendes de la croissance entre individus et groupes
sociaux.
Est-ce l’accroissement des inégalités sociales qui fait de la croissance inclusive une
nécessité ?
Au niveau macroéconomique, plusieurs constats indiquent en effet un accroissement des
inégalités sociales. La part des revenus générés allouée au facteur travail, c’est-à-dire aux
salaires, a tendance à baisser depuis des années. Or, une grande partie de la population dépend
de son salaire pour vivre et n’a pas ou peu de revenus financiers, alors qu’en parallèle, la prise
de risques financiers est mieux rémunérée, à en juger par exemple la hausse de Wall Street.
Cette évolution est liée à la mondialisation et au développement technologique. De
nombreuses entreprises ont connu de fortes croissances générant beaucoup de création de
valeur pour les actionnaires, parfois dans des pays lointains (le phénomène de la
mondialisation) ou bien dans de nouveaux types d’activité (le phénomène du développement
technologique). En outre, on a pu observer une pression sur les emplois et salaires
intermédiaires.
« Une croissance inclusive est essentielle pour restaurer la confiance du public dans la
capacité des institutions démocratiques, des avancées technologiques et de l’intégration
économique internationale de soutenir un renforcement du progrès social et du bien-être pour
tous. »
Introduction
Comme l’ont illustré le vote sur le brexit au Royaume-Uni, l’élection de Donald Trump aux
États-Unis, ou encore le mouvement des « gilets jaunes » en France, le populisme et le
mécontentement populaire ont gagné du terrain dans les économies avancées ces dernières
années. Au rang des divers facteurs régulièrement mis en avant pour expliquer ces évolutions
figure la dégradation de la répartition des revenus et des richesses. En effet, si les inégalités au
niveau mondial ont eu tendance à se réduire au cours des dernières décennies, elles se sont
globalement renforcées à l’intérieur des pays, les revenus des plus nantis s’étant accrus bien
plus rapidement que ceux du reste de la population. L’accentuation des inégalités a ravivé le
débat concernant le rythme, le profil et la répartition de la croissance économique. Dans ce
contexte, le concept de « croissance inclusive » a fait son apparition à la fin des années 2000.
Il désigne, de manière générale, l’idéal selon lequel chacun devrait avoir la possibilité de
contribuer à l’augmentation de la prospérité ainsi que d’en bénéficier.
Le PIB est la somme de la valeur monétaire de tous les biens et services finaux produits et
échangés contre de l’argent durant une période donnée, généralement une année. La valeur de
la production dans une économie (fermée) correspondant à la rémunération des facteurs de
production, le PIB mesure également la somme des revenus distribués par une économie. Or,
puisque toute la production doit être achetée par quelqu’un, la valeur de la production doit
être égale aux dépenses totales de la population.
Le PIB est une synthèse de l’activité économique d’un pays sur une période donnée et sa
croissance fournit des informations sur la position de l’économie dans son cycle. Combinée à
d’autres indicateurs économiques, tels que l’inflation et les statistiques sur l’emploi, et compte
tenu de paramètres structurels, comme la démographie, la croissance du PIB donne aux
décideurs politiques des signaux quant à la nécessité de brider ou, au contraire, de stimuler
l’activité économique.
(1) Premièrement, toutes les composantes du PIB ne contribuent pas au bien-être : le PIB
enregistre comme des réalisations positives certaines activités économiques néfastes pour le
bien-être et ne tient pas compte des externalités négatives.
(2) Deuxièmement, de nombreux éléments concourant au bien-être ne sont pas inclus dans le
PIB : les loisirs, la qualité de l’air, les niveaux de santé et d’éducation, les activités exercées
en dehors du marché, telles que les tâches ménagères, le bénévolat, etc.
(3) Troisièmement, le PIB ne prend pas en considération les inégalités : le PIB par habitant
correspond au revenu moyen de la population, mais les revenus peuvent être répartis de façon
très inégale entre les citoyens.
Au cours des dernières décennies, les inégalités de revenus, telles que mesurées par le
coefficient de GINI[1],[2], se sont accrues dans la plupart des économies avancées[3]. Leur
aggravation a toutefois suivi des schémas différents en termes d’ampleur et de rythme selon
les pays. Les inégalités se sont par exemple renforcées bien plus significativement au
Royaume-Uni et aux États-Unis que dans la plupart des autres pays riches. En France, par
contre, elles ont eu tendance se réduire par rapport aux années 1970, tandis que, en
Allemagne, elles se sont surtout amplifiées dans les années 2000. En Belgique, les inégalités
ont progressé entre 1980 et 1995, mais sont demeurées globalement stables et
comparativement basses depuis lors.
Un premier élément pouvant expliquer la hausse des inégalités de revenus est le déclin de la
part des revenus du travail par rapport à celle allouée au capital. La relation entre la part des
revenus du travail et l’inégalité est en effet négative dans de nombreuses économies avancées,
notamment en raison d’une répartition hautement inégale des richesses.
Deux développements majeurs sont susceptibles d’y avoir contribué : premièrement, une
évolution structurelle au profit d’une économie à plus forte intensité capitalistique, et
deuxièmement, une baisse du pouvoir de négociation des travailleurs (OCDE, 2012). Cette
dernière peut être attribuée à différents facteurs, y compris (a) la mondialisation, qui a
renforcé la concurrence entre travailleurs au niveau international, (b) les évolutions
technologiques et le remplacement de la main-d’œuvre par des machines, (c) les politiques sur
le marché du travail, qui ont accru la flexibilité mais ont réduit la protection des travailleurs
ou le salaire minimum, (d) les privatisations dans les industries de réseau depuis les années
1990 et (e) le recul de l’affiliation syndicale, ainsi que de la couverture des conventions
collectives (ibid.).
[1] Le coefficient de Gini est une mesure étendue de l’inégalité reposant sur la comparaison
des proportions cumulatives de la population et des proportions cumulatives de revenus
qu’elles reçoivent. Il varie entre 0, dans le cas d’une égalité parfaite, et 100, dans le cas d’une
inégalité parfaite. Dans le présent article, le coefficient de Gini est basé sur le revenu
disponible des ménages (après impôt et transferts) par équivalent-adulte.
[2] Bien qu’harmonisées, ces statistiques doivent être interprétées avec prudence. La mesure
des revenus (tant du travail que du capital) est en effet particulièrement compliquée et
toujours imparfaite. Ces données proviennent d’enquêtes et peuvent ne pas toujours refléter la
situation exacte des individus.
[3] Il convient de souligner que les inégalités en matière de revenu disponible sont
nettement inférieures aux inégalités de marché. Cela est particulièrement vrai dans l’UE, où
les systèmes de redistribution sociale sont très développés par rapport à d’autres parties du
monde, comme les États-Unis.
Graphique 2 : Part des revenus et part du patrimoine des 10 % les plus aisés1
1 Le revenu fait référence au revenu disponible des ménages et le patrimoine fait référence
au patrimoine net privé des ménages (corrigé pour tenir compte de la taille du ménage).
Un second élément permettant d’expliquer l’inégalité grandissante au niveau des revenus est
une augmentation plus rapide de la rémunération du travail dans la partie supérieure de la
distribution que dans la partie inférieure. Le recul de la part des revenus du travail est en effet
allé de pair avec une distribution plus polarisée de ceux-ci, combinant une hausse de la part
octroyée aux revenus plus élevés et une baisse de celle octroyée aux revenus plus faibles.
Pareille polarisation des salaires dans les économies avancées reflète un glissement de la
demande de main-d’œuvre vers les travailleurs plus qualifiés et ayant un niveau d’études
supérieur.
Une autre évolution frappante observée ces dernières années est la progression du
pourcentage de travailleurs à risque de pauvreté[1]. Cette hausse s’est essentiellement
produite après la crise économique et financière mondiale de 2008-2009. En 2017, à peu près
un dixième (9,5 %) des personnes occupant un emploi âgées de 18 à 64 ans présentaient un
risque de pauvreté après transferts sociaux, alors que la proportion s ’élevait à un douzième
(8%) en 2006. Parmi les facteurs ayant contribué à l’incapacité des travailleurs d’obtenir un
revenu décent, on trouve les réformes sur le marché du travail, en ce compris la baisse du
revenu minimum et un accès plus limité aux allocations de chômage. La pauvreté au travail
est demeurée relativement stable et maîtrisée en Belgique, mais le taux d’emploi y est
également faible par rapport à la plupart des autres États membres de l’UE.
La crise financière mondiale de 2008-2009 et la crise de la zone euro qui s’en est suivie ont
pesé davantage sur les jeunes générations, renforçant ainsi un fossé intergénérationnel déjà
existant en termes tant de pauvreté que d’inégalité. Le risque de pauvreté pour les jeunes de
16 à 24 ans dans l’UE27 est passé de 19,9 % en 2008 à 22,7 % en 2017. En revanche, ce
risque s’est sensiblement réduit pour les personnes âgées, revenant de 18,9 % en 2008 à 14,9
% en 2017. En Belgique, le recul du risque de pauvreté pour ces dernières peut être attribué à
plusieurs facteurs, notamment au relèvement des pensions de retraite les plus basses, à
l’instauration d‘un revenu garanti pour les personnes âgées et à des droits à pension plus
élevés pour les femmes, en raison de leur taux d’activité plus important pour la génération
partant actuellement à la retraite (Frère, 2016). Quant à la progression significative du risque
de pauvreté pour les jeunes générations, elle tient vraisemblablement en partie aux récentes
réformes du régime des allocations de chômage et, plus particulièrement, à la diminution des
allocations d’insertion.
[1] Le taux de pauvreté correspond à la part des personnes occupant un emploi qui vivent
avec moins de 60 % du revenu disponible médian des ménages.
Graphique 3: Le risque de pauvreté a augmenté pour les jeunes, mais s’est réduit pour les
personnes âgées
Grafiek 3
Source: Eurostat
De manière plus générale, les tendances divergentes au niveau du risque de pauvreté reflètent
un accroissement des inégalités de revenu entre les générations dans l’UE depuis le milieu des
années 2000 (Chen et. Al., 2018). Alors que le revenu disponible médian équivalent de la
population en âge de travailler – après impôts et transferts – a globalement stagné depuis la
crise, il a augmenté d’environ 10 % pour les personnes âgées.
Le reste de l’article met l’accent sur cinq faits majeurs liés à l’inclusion au sein des économies
avancées : (1) le fossé en termes de revenus entre les genres est resté significatif, (2) les
personnes nées à l’étranger et leurs enfants disposent de moins d’opportunités, (3) les
bénéfices en termes de santé ont été remarquables, mais répartis de manière inégale, (4) la
qualité de l’air s’est améliorée mais demeure à des niveaux nocifs, et (5) les disparités entre
les régions de l’UE et, dans une moindre mesure, entre les pays, se sont creusées.
Conclusion
La Belgique figure parmi les pays où le niveau des inégalités, de même que l’écart salarial
entre hommes et femmes, sont les plus contenus. Le risque de pauvreté pour les travailleurs
est également bas, bien que les taux d’emploi soient comparativement faibles. En revanche, il
ressort qu’en Belgique les immigrés et leurs enfants manquent d’opportunités, que le niveau
d’éducation constitue un déterminant significatif de l’espérance de vie et que la pollution de
l’air est assez élevée.
À plus long terme, la promotion d’une croissance plus inclusive dans les économies avancées
sera confrontée à des défis majeurs, parmi lesquels (1) l’innovation et les évolutions
technologiques, qui sont essentielles pour améliorer le niveau de vie mais qui peuvent
également laisser des personnes à la traîne ; (2) le vieillissement de la population, qui devrait
peser sur la croissance future du revenu par tête et pourrait également renforcer les tensions
distributives ; (3) la poursuite de l’intégration économique mondiale, qui offrira de nouvelles
opportunités mais continuera d’engendrer des coûts pour différents segments de la
population ; et (4) le changement climatique ainsi que les autres préoccupations
environnementales, qui vont inévitablement générer des coûts et des opportunités qu’il
convient de répartir équitablement entre les citoyens.
Ces défis sont très importants et y répondre de manière adéquate nécessitera tant
l’approbation que la coopération de l’ensemble de la population. Les frustrations sociales
actuelles relatives à la répartition des bénéfices de la croissance économique devraient être
prises au sérieux afin de rétablir la confiance du public dans la capacité des institutions
démocratiques, des avancées technologiques et de l’intégration économique internationale de
soutenir un renforcement du progrès social et du bien-être pour tous.