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1. Se préparer à la rédaction
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A. Beitone, L. Lorrain, C. Rodrigues, La dissertation de science économique © Dunod, 2019.
Introduction
En 2018, la France a interdit les néonicotinoïdes, des insecticides aux effets catastrophiques
sur la biodiversité et en particulier sur les insectes pollinisateurs. En 2020, face à une épidémie
de jaunisse sur la betterave sucrière, provoquée par des pucerons verts, le gouvernement a
ré-autorisé, par dérogation, l’usage de ces insecticides. Pour maintenir l’activité économique
betteravière, dans un contexte de surproduction sucrière, le choix de dégrader la biodiversité
et l’écosystème a ainsi primé. Au nom de la croissance, l’agriculture devient insoutenable.
Depuis F. Perroux, la croissance économique se définit en première analyse comme
l’accroissement, sur longue période, de la production nationale. Elle se mesure par la variation
annuelle du produit intérieur brut (PIB) à prix constant. Pour mesurer l’évolution du niveau de
vie, c’est la variation du PIB réel par tête qui doit être observée. La croissance économique est
un phénomène récent qui repose sur les gains de productivité et permet d’accroître les
quantités produites plus rapidement que la population. Pour autant, cet accroissement suffit-
il à atteindre le développement ? La notion est polysémique et tient compte d’aspects plus
qualitatifs que la seule production. Le développement économique peut se définir toujours
en suivant F. Perroux comme l’ensemble des changements mentaux et sociaux qui rendent
une population apte à faire croître durablement le produit réel global. Autrement dit, à
permettre la croissance économique. Ces changements mentaux et sociaux reposent sur
l’éducation et la santé et peuvent être approchés par l’indicateur de développement humain
(IDH), proposé par A. Sen en 1990. Mais le développement nécessite aussi la soutenabilité,
c’est-à-dire l’émergence d’un modèle dans lequel, si les générations actuelles peuvent
répondre à leurs besoins, elles n’empêchent pas les générations futures de répondre aux
leurs. Il n’existe pas de moyens de la mesurer mais certaines quantifications sont possibles en
termes de trajectoires concernant le climat ou la biodiversité.
S’il existe bien des liens réciproques entre les deux processus, l’enjeu est ici de se
demander si la croissance rend possible le développement humain et, le cas échéant, si elle
en est une condition suffisante. L’analyse économique répond par l’affirmative à la première
question et par la négative à la seconde. Il existe toutefois un débat scientifique ouvert quant
aux conditions requises pour que la croissance économique conduise à un développement
soutenable.
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égalitaire apparaît comme « naturelle ». Cette idée se retrouve à la même époque chez
Rostow qui dans ses Étapes de la croissance économique (1960) confond croissance et
développement, assimilé à la société de consommation de masse, cinquième étape du
processus. Cependant, c’est parce que taux d’épargne et taux d’investissement s’élèvent
(troisième étape dite du « décollage ») que la dynamique de croissance s’enclenche. Pour ces
auteurs qui écrivent au cours des Trente glorieuses dans une période de forte croissance, il ne
saurait y avoir de développement sans croissance, ni de croissance qui ne conduirait pas au
développement.
Cependant, historiquement, la croissance économique ne s’est transformée en
développement qu’à partir du moment où les pouvoirs publics ont fait le choix de répartir plus
équitablement les fruits de cette croissance. Il n’y a ainsi rien de « naturel » dans le processus
de développement humain. C’est ce qui apparaît dans les pays dits développés aujourd’hui à
la fin du XIXe siècle avec la généralisation de l’accès à l’école, le développement de l’hygiène
et la protection des travailleurs et de leur famille. Pourquoi parler de développement à partir
de cette période ? L’espérance de vie se met à augmenter et les conditions de travail
s’améliorent. En retour, la croissance s’améliore également et avec elle le développement. La
baisse des inégalités qui s’enclenche au nord est alors remarquable comme l’ont rappelé
Th. Piketty ou A. Deaton (prix Nobel 2015). Auparavant en revanche, au cours de
l’industrialisation, les conditions de vie ouvrière se dégradent fortement. Dès 1844, F. Engels
dénonce La situation de la classe laborieuse en Angleterre en décrivant les conditions de vie
des ouvriers et ouvrières du textile. Comme le rappelle aussi R. Castel, à la fin du XIXe siècle
l’espérance de vie des ouvriers dépasse rarement 35 ans et les hommes meurent
fréquemment d’alcoolisme. C’est parce que les pouvoirs publics choisissent d’utiliser les fruits
de la croissance dans la santé et l’éducation que le développement humain s’améliore. Et
encore est-il important de rappeler que corrélation n’est pas causalité et que c’est aussi
vraisemblable que c’est parce que les conditions de vie s’améliorent que la dynamique de
croissance accélère. Au cours du XXe siècle, de nombreuses populations ont connu La grande
évasion (2016), dont parle Deaton. L’espérance de vie, la santé et le niveau de revenu n’ont
globalement jamais été aussi élevés. Mais cela n’est vrai que dans les sociétés ayant
développé une bonne gouvernance.
Par ailleurs, les fruits de la croissance n’ont pas touché de la même manière les espaces
colonisés. Pour alimenter la croissance de la métropole, les conditions de vie des colonisés
furent souvent inhumaines, l’espérance de vie réduite et le comportement des colonisateurs
criminel… au nom de la croissance. D. Korn-Brzoza et P. Blanchard, dans leur documentaire
Décolonisation : du sang et des larmes, rappellent comment la France exploitait ses colonies
et comment après la décolonisation il n’y a pas eu d’aide au développement sans un accès
privilégié à l’exploitation des ressources. Il semble difficile de parler alors de développement
malgré la croissance économique qui a pu exister. De même, on peut considérer aujourd’hui
que certains pays connaissent un recul de leur développement comme les États-Unis. Alors
même que leur croissance économique a été soutenue à partir de 2009, les inégalités se sont
accrues, mais surtout l’espérance de vie y a baissé depuis 1998 comme l’ont documenté
A. Case et A. Deaton en 2015. La misère est telle que les overdoses d’opiacés (antalgiques
comme le Tramadol, prescrits par les médecins) explosent à partir du milieu des années 2000.
Des « morts de désespoir » selon les auteurs.
Ainsi, assimiler croissance et développement est une idée qui ne fait plus illusion car c’est
l’usage des fruits de la croissance qui peut générer le développement humain. L’usage actuel
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des fruits de la croissance interroge d’ailleurs puisque les dynamiques inégalitaires sont
reparties à la hausse, y compris chez le champion chinois de la croissance.
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Si des politiques redistributives, au sens le plus large, sont nécessaires pour transformer la
croissance en développement humain, la question des relations entre croissance et
développement soutenable se pose avec acuité.
Historiquement, la croissance se mesure comme la transformation de matières
premières en produits. Celle-ci ne prend en considération ni la valeur de ce qui est prélevé et
détruit, ni les coûts collectifs environnementaux de cette transformation. Aujourd’hui, il est
indéniable que l’activité économique est à l’origine du dérèglement climatique et de l’érosion
de la biodiversité, avec des conséquences humaines, en particulier pour les populations déjà
les plus fragiles. En jetant un regard sur les deux siècles d’exploitation des ressources
naturelles et de croissance économique, en 1972 le Club de Rome publie un rapport, The
Limits of Growth, traduit en français Halte à la croissance ! et dont le titre sans équivoque.
Pourtant un débat existe entre ceux qui pensent que la poursuite de la croissance est illusoire
et qu’il faut en sortir, et ceux qui considèrent que c’est en transformant la croissance en
croissance verte que la soutenabilité pourra être atteinte. Les premiers sont les tenants d’une
approche dite « forte » de la soutenabilité : le capital naturel détruit et/ou les services
naturels qui en découlaient sont détruits et irremplaçables. Cette approche défendue par
H. Daly, par exemple, peut être qualifiée de technologiquement pessimiste. Ce ne sont pas les
avancées technologiques qui permettront de rendre l’activité humaine soutenable. Au
contraire, l’activité humaine débridée, couplée à la croissance démographique ne peut que
conduire à des catastrophes climatiques, voire épidémiologiques (l’émergence de nouveaux
virus étant liée pour aux à la déforestation ou au dégel du permafrost). La croissance s’oppose
alors à la soutenabilité du développement, à tout le moins dans les pays les plus riches (selon
la Banque mondiale, les habitants d’Afrique subsaharienne émettent moins d’une tonne de
CO2 en moyenne en 2016 quand les habitants des pays membres de l’OCDE en émettent 9) et
il faut y renoncer.
L’approche dominante chez les économistes relève cependant de la soutenabilité
« faible », dans laquelle l’optimisme technologique laisse penser que des compensations
entre les différents capitaux peuvent exister : si du capital naturel est détruit, il peut être
remplacé par du capital construit ou du capital humain. Cette idée de substituabilité des
capitaux a été développée par R. Solow (le père du modèle néoclassique de croissance
économique, prix Nobel 1987) et J. M. Hartwick. Ce dernier formule une règle selon laquelle
la rente issue des ressources naturelles doit être investie dans le capital construit pour
compenser l’extraction de ces ressources et transmettre un patrimoine aux générations
futures. Ainsi la croissance permettrait un développement durable puisque les générations
futures pourraient répondre à leurs besoins. Pour autant, les externalités négatives ne doivent
pas être ignorées, et les pouvoirs publics se doivent de créer les bonnes incitations permettant
de compenser les dégâts occasionnés. C’est ce que propose l’économiste controversé
W. Nordhaus (prix Nobel 2018) qui modélise l’économie en comparant les pertes d’activités
liées à la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) aux coûts futurs liés à ces
émissions. Il propose donc un calcul coût-avantage intertemporel (une actualisation des coûts
futurs) qui doit permettre d’établir le besoin de financement aujourd’hui (sous la forme d’une
taxe carbone suivant en cela la solution du pollueur-payeur proposée par A. C. Pigou dans les
années 1930). Les ressources fiscales doivent ainsi permettre d’internaliser l’externalité
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A. Beitone, L. Lorrain, C. Rodrigues, La dissertation de science économique © Dunod, 2019.
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Conclusion
Ainsi, au terme de la réflexion, il semble que la seule croissance ne suffise à atteindre le
développement. Le développement humain nécessite en effet une volonté collective forte
mettant en place les institutions nécessaires comme ce fut le cas à la fin du XIXe siècle en
Europe. Par ailleurs, la soutenabilité du développement repose aussi sur la préservation de la
biosphère. Or, même si des avancées technologiques peuvent compenser les effets
destructeurs de la croissance, sa limitation apparaît comme une solution. Il est aujourd’hui
nécessaire de mieux répartir les richesses tout en limitant les externalités négatives de la
croissance sur le développement.
Cependant, changer de modèle repose sur une volonté politique forte comme celle qui
émerge après les crises les plus graves. Après la Seconde Guerre mondiale, aucune force ne
vient s’opposer à l’institution d’États-providence forts tant le besoin de reconstruire le vivre-
ensemble est fort. Aujourd’hui la crise sociale-écologique semble en germe. Peut-être est-il
encore temps d’agir avant que des catastrophes de grande ampleur ne se produisent.
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A. Beitone, L. Lorrain, C. Rodrigues, La dissertation de science économique © Dunod, 2019.
Bibliographie
DEATON A., 2015, La grande évasion, PUF.
FEGUENE A., 2013, Croissance économique et développement : nouvelles approches,
L’Harmattan.
LAURENT É., 2019, Sortir de la croissance : mode d’emploi, Les Liens qui Libèrent.
Sitographie
Croissance, décroissance et soutenabilité.
https://ecorev.org/spip.php?article576&lang=fr
Éloi Laurent : « La France a privilégié à chaque fois une vision étroite de la croissance
économique au détriment de la santé »
https://www.franceculture.fr/emissions/la-grande-table-idees/eloi-laurent