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IV - La problématique de la croissance

La croissance est doublement problématique, tout d’abord parce qu’elle échappe aujourd’hui largement à de nombreux
pays développés (notamment la France) qui la recherchent désespérément, et parce qu’elle interroge de plus en plus sur
les effets qu’elle produit (ce qui pose la question des limites de notre modèle de croissance).

I – Le concept de croissance
a. Quoi ?
Selon la définition de l’économiste François Perroux, la croissance économique correspond à « l'augmentation soutenue
pendant une ou plusieurs longues périodes d’un indicateur de dimension, pour une nation, le produit global net en
termes réels ».
La croissance économique est donc définie comme l’accroissement durable de la production globale d’une économie.
C’est donc un phénomène quantitatif que l’on peut mesurer à travers l’augmentation de l’agrégat PIB (produit intérieur
brut), et cumulatif (auto-entretenu).
Le critère retenu est celui de la territorialité (Produit intérieur Brut), par opposition au RNB qui retient le critère de
nationalité (Revenu National Brut).
Un point d’histoire : Le PIB est une innovation récente. C'est à partir de 1932 seulement, en pleine crise économique et
à la demande du congrès américain, que Simon Kuznets (1901-1985, économiste et statisticien américain d'origine
russe, lauréat du « Prix Nobel » d'économie en 1971) crée une comptabilité nationale aux États-Unis. Le produit
intérieur brut sera inventé en 1934, avec l’objectif de mesurer l'effet de la Grande Dépression qui sévit sur l'économie
depuis le krach boursier d’octobre 1929. On ne disposait pas à cette époque d'indicateur vraiment synthétique. Kuznets
était dès l'origine conscient des lacunes de cet indicateur, et avait mis en garde contre les risques d'utilisation abusive. «
La mesure du revenu national peut difficilement servir à évaluer le bien-être d'une nation », avertissait-il en 1934 devant
le Congrès américain. Ce qui n'a pas empêché, par la suite, de lui faire tout mesurer !
Dans son discours de réception du prix Nobel d'économie en 1971, Simon Kuznets explique que « la croissance
économique d'un pays peut-être définie comme étant une hausse sur longue période de sa capacité d'offrir à sa
population une gamme sans cesse élargie de biens économiques. Cette capacité croissante est fondée sur le progrès
technique et les ajustements institutionnels et idéologiques qu'elle requiert. Les fruits de la croissance s'étendent par
suite aux autres secteurs de l'économie ».
Pour Paul Samuelson (prix Nobel d’économie, 1970) le PIB constitue « sans doute l’une des grandes inventions du 20ème
siècle, un indicateur phare qui aide les décideurs à orienter l’économie vers les principaux objectifs qui lui sont assignés
». En France, le PIB est apparu après la Seconde Guerre mondiale, en même temps que la comptabilité nationale.

b. Quand ?
La croissance est observable depuis quelques décennies seulement. Pendant des siècles, l’état des économies pouvait
être qualifié de stationnaire (David Ricardo) du fait d’un effet de ciseau1 entre la croissance démographique et les
rendements décroissants de la terre. Malthus dans son célèbre "Essai sur la loi de population" en 1798 l'exprime à sa
manière :

"Un homme qui est né dans un monde déjà possédé, s'il ne lui est pas possible d'obtenir de ses parents les subsistances
qu'il peut justement leur demander, et si la société n'a nul besoin de son travail, n'a aucun droit de réclamer la moindre
part de nourriture, et, en réalité, il est de trop. Au grand banquet de la nature, il n'y a point de couvert vacant pour lui ;
elle lui ordonne de s'en aller, et elle ne tardera pas elle-même à mettre son ordre à exécution, s'il ne peut recourir à la
compassion de quelques convives du banquet. Si ceux-ci se serrent pour lui faire place, d'autres intrus se présentent
aussitôt, réclamant les mêmes faveurs. La nouvelle qu'il y a des aliments pour tous ceux qui arrivent remplit la salle de
nombreux postulants. L'ordre et l'harmonie du festin sont troublés, l'abondance qui régnait précédemment se change
en disette, et la joie des convives est anéantie par le spectacle de la misère et de la pénurie qui sévissent a dans toutes
les parties de la salle, et par les clameurs importunes de ceux qui sont, à juste titre, furieux de ne pas trouver les
aliments qu'on leur avait fait espérer."
Thomas Malthus

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Evolution divergente entre 2 phénomènes
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L’idée de progrès apparait quant à elle en France à la fin du 18ème siècle (Saint Simon2), elle sera traduite en économie
d’abord par la notion de richesse (La richesse des nations, A. Smith, 1776) et prolongée plus tard par celle de croissance
(variation de la richesse). L’accroissement de la richesse s’impose progressivement comme un objectif central des
économies contemporaines à partir de la révolution industrielle. Il a été rendu possible grâce à l'accès à de nouvelles
ressources minérales (mines profondes) et énergétiques (charbon, pétrole, gaz, puis énergie nucléaire...) ainsi qu'au
progrès technique (machine à vapeur, puis électricité…). La croissance est alors largement portée par l’investissement
en capital.

c. Pourquoi ?
On peut tout d’abord voir dans la croissance une matérialisation du génie humain, de son aptitude à inventer et
innover : l’innovation n’est-elle pas le propre de l’homme ? Créer de nouveaux biens (besoins ?) et de nouveaux services
vise en effet à augmenter le bien-être général, et contribue de ce fait à la croissance. A un niveau plus microéconomique
(sans que ces 2 effets ne soient contradictoires), il y a croissance parce qu’il y a volonté d’enrichissement personnel (à
la fois en termes pécuniaires et de notoriété) : « C'est parce que des gens espèrent devenir milliardaires qu'ils prennent
des risques et que certains peuvent innover, investir et créer ainsi de la richesse supplémentaire (Kenneth Rogoff) ».
A un troisième niveau, la croissance peut aussi être recherchée en tant que régulateur de la violence. Croître c’est aussi
augmenter un gâteau qui autorisera un enrichissement et donc des perspectives de bien-être pour le plus grand
nombre, source d’apaisement au niveau de la société. Ce qu’illustre le terme « théorie du ruissellement3 » (trickle down
economics - Bernard de Mandeville/Adam Smith/Simon Kuznets). A l’opposé, l’histoire a souvent montré que les
périodes de crise (années 30) sont marquées par une montée de la de la violence, de la « rivalité mimétique » et la
recherche de boucs émissaires (René Girard). Comme le dit Edgar Morin : « Nos sociétés, singulièrement depuis la fin de
la guerre, en se fondant sur la croissance économique, avaient conçu celle-ci comme un moyen de régulation de
problèmes et de crises qui auraient éclaté sans la croissance. Ainsi par exemple, le problème de l’inflation, de la
monnaie, du niveau de vie, étaient régulés par la croissance. [...] Or on a fondé la régulation (boucle de rétroaction
négative) sur l’élément le plus déséquilibrant qui soit c’est-à-dire le dynamisme qui est le contraire de la régulation : une
croissance exponentielle, la chose qui évidemment tend vers l’infini et vers l’explosion » (boucle de rétroaction
positive). Censée assurer la convergence, la croissance, selon Edgar Morin, produit le contraire : la divergence.

2
Saint Simon (1760-1825) est considéré comme le penseur de la société industrielle française, il voit dans le début de
l'industrialisation le moteur du progrès social.
3
Il n’y a cependant pas de trace qu’une telle théorie existe
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d. Comment ?
Le taux de croissance est déterminé par la variation du PIB sur un an.

Avec PIB = Somme des valeurs ajoutées (V.A) des différents secteurs institutionnels marchands ou non marchands
La croissance peut être alimentée à court terme par différents « moteurs » dont le plus important - pour nos pays - est
la consommation des ménages (environ 60% pour la France, plus de 65% aux USA, et aujourd’hui près de 50% en Chine).

Croissance à CT =  PIB =  CF ménages +  FBCF4 +  Dépense publique +  S +  (X – M)

Le PIB qui mesure la croissance est évalué en € constants (en volume), c’est le PIB déflaté, c'est-à-dire corrigé de l'effet
déformant de l'inflation. Il permet de faire des comparaisons du PIB dans le temps.

d. Concepts liés :
- Croissance et développement : La croissance doit être différenciée du développement qui désigne l’ensemble des
transformations techniques, sociales, démographiques et culturelles induites par la croissance de long terme. Le
développement traduit l’aspect structurel et qualitatif de la croissance. Si la croissance apparaît comme une condition
nécessaire du développement, c’est une condition nécessaire mais pas suffisante (on parle ainsi de "malédiction du
pétrole" pour des pays riches en pétrodollars comme l'Algérie ou le Nigéria).

Dans certains pays africains, la prépondérance des revenus pétroliers pose problème car elle est une incitation forte à la
connivence entre les hommes politiques et les hommes d’affaires producteurs d’hydrocarbures. Cette connivence
entretient ainsi l’opacité et la banalisation de la corruption. Au Nigéria, au Congo Brazzaville et en Guinée-Equatoriale,
pour ne citer que ceux-ci, la gestion des revenus pétroliers est une affaire privée entre les compagnies pétrolières et le
Président. Celui-ci supervise personnellement toutes les transactions financières se rapportant à l’exploitation des
hydrocarbures. Au Cameroun les recettes pétrolières n’ont jamais été budgétisées et en Algérie le Fonds de Régulation
des Recettes, dont les ressources sont estimées à plus de 32 milliards de dollars à la fin 2007, n’est pas intégré au
budget. Par ailleurs, il n’est pas rare en Afrique que les ressources pétrolières soient détournées afin de financer les
régimes autoritaires (Nigeria, Tchad), et d’approfondir des tensions ou des conflits armés (Soudan, Angola, Congo
Brazzaville). Le pétrole se transforme donc en « carburant » alimentant la corruption et les conflits armés avec pour
conséquence une pauvreté endémique, d’où la malédiction pétrolière.
Source : Afrik.com
- Croissance et décroissance : « Celui qui croit qu'une croissance exponentielle peut continuer indéfiniment dans un
monde fini est soit un fou, soit un économiste » Kenneth Boulding (1910 - 1993), économiste.
Ce modèle économique fondé sur la croissance qui pousse l'individu à consommer toujours plus pose cependant
aujourd’hui de plus en plus de questions sur la finalité (sens) et la finitude (limites) de ce système. Une réflexion
s’engage aujourd’hui sur l’émergence d’un modèle alternatif. Pour les « objecteurs de croissance », voire partisans de la
décroissance, ce nouveau modèle doit remettre radicalement en cause ce postulat du « toujours plus » pour l’adoption
d’un mode de vie et de consommation plus frugal (notion de « sobriété heureuse ») et respectueux de notre
environnement (voir III. Les limites de notre modèle de croissance). Le courant de la « collapsologie » (Pablo Servigne)
incarne aujourd’hui ce mouvement.

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FBCF=Formation Brute de Capital Fixe (=investissement)
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- Croissance et inégalités : En 1955, le lien entre croissance et inégalités a été traité par Simon Kuznets sur la base des
éléments disponibles à l'époque. Dans un premier temps, la croissance économique tend à aggraver les inégalités, mais
au-delà d'un certain seuil, la tendance s'inverse pour aboutir à une meilleure distribution des revenus. Cette évolution
est expliquée par le passage d'une économie rurale à faible productivité à une économie industrielle à forte
productivité. Ces changements dans la structure de l'outil productif sont, dans un premier temps, uniquement
profitables à une faible fraction de la population, d'où des salaires élevés, puis au fur et à mesure de la conversion de
l'outil productif, une fraction croissante de la population voit leurs salaires progresser. On assiste alors à une réduction
des inégalités. On peut donc en tirer deux enseignements :
- l'hypothèse de Kuznets conduit donc à une réduction des inégalités sur le long terme.
- elle n'exclut pas une phase d'inégalités "nécessaires" avant d'aboutir à une société plus égalitaire (théorie du
ruissellement de la richesse).

Loi de Kuznets (graphique)

Assiste-t-on aujourd’hui à une nouvelle phase ascendante de la courbe de Kutznets pour les pays « riches » ? C’est
l’objet d’un des derniers livres de Thomas Piketty (Le capital au 21 ème siècle). C’est aussi le point de vue de beaucoup
d’économistes qui annoncent rien de moins que « la disparition de la classe moyenne ».

Les inégalités, meilleures ennemies de la croissance


La question des inégalités monte en puissance dans le débat public. Plusieurs études montrent à quel point elles ont
contribué au ralentissement de la croissance mondiale. Une remise en cause sévère du laisser-faire.
Après d'autres institutions dont l'OCDE, le FMI vient de publier une étude qui montre que les inégalités sont l'une des
causes importantes du mystérieux ralentissement tendanciel de la croissance mondiale. Selon cette étude, augmenter
de 1 point de PIB les revenus des 20 % les plus riches fait baisser la croissance de 0,08 point dans les cinq années qui
suivent. En revanche, augmenter de 1 point les 20% les plus pauvres l'accélère de 0,38 point. La raison est que les plus
pauvres consomment plus de ce qu'ils gagnent que les plus riches, qui, eux, épargnent plus. Cette publication en
confirme d'autres. L'OCDE a calculé que « le creusement des inégalités a coûté plus de 10 points de croissance au
Mexique et à la Nouvelle-Zélande, près de 9 points au Royaume-Uni, de 6 à 7 points aux États-Unis, à l'Italie et à la
Suède ». À l'inverse, «la situation plus égalitaire a contribué à faire progresser le PIB par habitant en Espagne, en France
et en Irlande».
La théorie libérale battue en brèche
Ces études viennent briser le fondement du laisser-faire dominant depuis vingt ans, selon lequel les inégalités sont un
mal nécessaire. Elles sont inévitables et elles sont même souhaitables, car la croissance vient de l'innovation, dont
l'enrichissement est le moteur. Les richesses produites par le haut viennent accélérer la croissance et du même coup
bénéficier à tous. On verse le champagne en haut de la pyramide des verres, le liquide à bulles déborde et remplit
toutes les coupes à la fin. Si la situation de toutes les catégories s'en trouve améliorée alors la justice sociale, façon John

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Rawls, s'en porte bien, on peut laisser faire. Contrairement à la théorie, les 40% du bas de l'échelle ne goûtent jamais au
champagne qui coule d'en haut. Ils voient leur situation stagner ou même régresser.
Cette philosophie libérale est aujourd'hui battue en brèche de deux façons. D'abord, parce que dans le 1% des nouveaux
Gatsby, il y a certes des innovateurs comme Bill Gates, mais il y a surtout les banquiers de la tour du port de New York,
dont l'apport de productivité à l'économie réelle est plus qu'incertain. « La place démesurée de la finance dans certains
pays », a poursuivi Christine Lagarde, est l'un des facteurs explicatifs de la poussée inégalitaire, à côté de l'innovation et
du progrès technologique. L'autre défaillance de la théorie du laisser-faire est l'arrêt du champagne à mi-hauteur.
Contrairement à la théorie, les 40% du bas de l'échelle n'y goûtent jamais, ils voient leur situation stagner ou même
régresser.
Un «nouveau consensus» se dessine, selon madame Lagarde, appuyé sur trois principes. D'abord, la politique
économique doit assurer la stabilité et une bonne gouvernance. « La corruption est un indicateur avancé d'inégalités. »
Ensuite, « la mesure ». L'innovation a besoin d'une rémunération, il faut que les gouvernements restent prudents. Enfin,
il n'existe pas de solution universelle, les réponses sont diverses et nationales, selon l'état du pays, son histoire, ses
habitudes. Mais les transferts par des hausses d'impôt « ne sont pas forcément nuisibles à la croissance […] pour peu
que les mesures soient bien pensées et correctement mises en œuvre ». Surtout, il faut « privilégier les familles avec
enfants et les jeunes » et « encourager la formation tout au long de la vie ». L'OCDE précise : les programmes de lutte
contre la pauvreté ne suffisent plus. « Renforcer l'accès aux services publics d'éducation, de formation et de soins de
qualité » constitue « un investissement social essentiel » pour la croissance et pour l'égalité des chances.
Que ce soit le FMI qui le dise, de même que l'OCDE, est instructif quant à l'abîme des réflexions essayant de comprendre
pourquoi la croissance ne repart pas fortement au sortir de la crise financière. Il est significatif que ces institutions en
viennent à remettre en cause la doxa libérale sur un sujet aussi central, aussi tabou, que les inégalités et
l'enrichissement. Et cela se passe aux États-Unis, et la blague des yachts le dit implicitement, à Wall Street même.
Les Echos – Eric Le Boucher – 27 juin 2015

- Croissance et bonheur : « Il ne suffit pas d'être heureux. Encore faut-il que les autres soient malheureux » : Pierre
Desproges.
Richard Easterlin (1926, ) est un économiste américain, théoricien de l'économie du bien-être. Il est à l’origine du
paradoxe qui porte son nom (paradoxe d'Easterlin ou paradoxe du bonheur), selon lequel la mesure du développement
de l'économie d'une société par le biais de l'évolution du produit intérieur brut (PIB) n'est pas pertinente. En 1974, il
publie un article dans lequel il montre, entre autres résultats, que malgré l’augmentation des revenus d’environ 60%
entre 1946 et 1970 aux Etats-Unis, les personnes ne sont pas plus heureuses. Plus précisément, Richard Easterlin a mis
en évidence le fait qu'une fois qu'une société a atteint un certain seuil de richesse, la poursuite de son développement
économique est sans influence sur l'évolution du bien-être moyen de sa population. Ou du moins, l'effet n'a cours que
sur une partie seulement de cette population.
L'indicateur du bonheur intérieur net (BIN), institué par le magazine économique français L'Expansion et un think tank
canadien, se veut la traduction statistique des travaux de Richard Easterlin.
En 2010, l'économiste Angus Deaton (prix « Nobel » d’économie 2015) avait également montré que l'argent faisait le
bonheur….. mais pas au-delà de 75 000 dollars par an. « Peut-être que 75 000 dollars est un seuil au-delà duquel des
hausses de revenus n'améliorent plus la capacité des individus à faire ce qui compte le plus pour leur bien-être
émotionnel, comme de passer du temps avec ceux qui leur sont chers, éviter la douleur et la maladie, et profiter de
leurs loisirs ».
Bonheur et croissance économique
Dans la théorie économique traditionnelle, davantage de croissance, c’est davantage de bien-être matériel et donc
davantage de bonheur. Or, les recherches sur la relation entre revenu et bonheur montrent que ce n’est pas forcément
vrai. D’abord, que ce soit entre pays ou à l’intérieur des pays, la relation entre bonheur et revenu paraît curvilinéaire :
l’augmentation du revenu, lorsque le revenu est faible, aide à l’amélioration du bonheur, puis, à partir d’un seuil qui
varie selon les études, l’augmentation du revenu n’a plus d’incidence sur le bonheur. Ensuite, dans les pays riches, la
croissance économique n’a pas permis une augmentation du bonheur.
Pour expliquer ce phénomène, les économistes du bonheur utilisent les arguments de la comparaison sociale et de
l’adaptation. La comparaison sociale est ici le fait de comparer ses revenus aux revenus des autres. L’adaptation est ici le
fait que les augmentations de revenus n’accroissent pas durablement le niveau de bonheur.

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Les psychologues mettent en avant d’autres raisons. D’abord, les revenus ne sont qu’un déterminant parmi d’autres du
bonheur. Ensuite, les personnes plus orientées vers des valeurs extrinsèques, comme l’argent, le pouvoir, le statut, sont
souvent moins heureuses que les personnes orientées vers des valeurs intrinsèques, comme le développement
personnel, l’intimité et la participation à la communauté. Enfin, les stratégies de maximisation sont souvent moins
propices au bonheur que les stratégies de satisfaction.
Si la croissance économique ne favorise pas systématiquement le bonheur et si souvent même elle y échoue, elle peut
aussi nuire au bonheur dans certaines situations. En économie de marché, la croissance a besoin du chômage pour se
faire. La compétition des entreprises aboutit à la mort d’un grand nombre d’entre elles chaque année. En outre, à
l’intérieur même des entreprises, il y a des processus de licenciement et d’embauche afin que le processus productif
devienne plus performant. Or le chômage est un des plus puissants et durables destructeurs de bonheur, qui peut
influer même lorsque les personnes retrouvent un emploi.
Il est possible de neutraliser la perte de bonheur des chômeurs. Compenser entièrement le chômage d’un point de vue
financier permet de réduire la perte de bonheur subie par les chômeurs que d’un quart. Contrairement à ce qui
pourrait être pensé, l’argent ne compense pas tout. Le travail a en effet des bénéfices nombreux : structuration du
temps, relations et soutiens sociaux, statut, identité sociale, insertion dans des objectifs plus larges que les siens, etc.
L’investissement des chômeurs dans des projets qui utilisent leurs compétences et ont un intérêt social permet
d’augmenter le bonheur des chômeurs et les aide à développer de nouvelles compétences. Si les chômeurs finissaient
par devenir plus heureux que les travailleurs, cela poserait avec encore plus d’acuité la question du bonheur au travail.
Site : Economiedubonheur.com

II. Les déterminants de la croissance :


La question des facteurs qui sont à l’origine de la croissance est centrale pour tous les pays dont le modèle économique
repose justement sur la croissance (les USA en sont évidemment la figure la plus emblématique, mais un nombre
croissant de pays, y compris émergents, ont aujourd’hui cette aspiration). Dans ce cas, connaître ces déterminants pour
pouvoir stimuler la croissance est donc essentiel. Cette question est cependant plus complexe qu’il n’y paraît à première
vue, et elle reste encore aujourd’hui largement non résolue. "Que sait-on vraiment des réformes économiques qui
génèrent de la croissance et quel pourcentage de croissance sera généré ? La réponse est pas grand chose !" disait à
ce sujet récemment le prix Nobel d’économie 2008 Paul Krugman.
La recherche dans ce domaine a évolué au cours du temps, et les principales conclusions des chercheurs montrent qu'il
n'y a pas qu'un seul déterminant de la croissance économique, mais un ensemble de variables en interaction (système),
de nature différente, et qui selon les cas favorisent ou freinent cette croissance. Ce qui accroît la complexité de la
compréhension du phénomène.

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IV - La problématique de la croissance
Sur longue période, on observe une baisse tendancielle de la croissance de l’économie française, et ce malgré les
nombreux changements intervenus depuis la création de l’indicateur PIB.

Quelles en sont les raisons ?


Dans l’inventaire à la Prévert qui suit, les déterminants potentiels de croissance ne sont pas hiérarchisés. Une telle
hiérarchisation est difficile dans la mesure où ces facteurs et leur combinaison sont le plus souvent spécifiques à certains
pays en fonction de leurs caractéristiques du moment, et non généralisables à l’ensemble. Certains sont davantage de
long terme (structurels), d’autres de plus court terme (conjoncturels) :

1. Les gains de productivité : La productivité mesure l’aptitude d’une organisation à améliorer l’efficacité de ses
facteurs de production, et en particulier le travail.

La fabrique d’épingles (Adam Smith)


« Ainsi, ces dix ouvriers pouvaient faire entre eux plus de quarante-huit milliers d'épingles dans une journée. Donc,
chaque ouvrier faisant une dixième partie de ce produit peut être considéré comme faisant dans sa journée quatre mille
huit cents épingles. Mais s'ils avaient tous travaillé à part et indépendamment les uns des autres, et s'ils n'avaient pas
été façonnés à cette besogne particulière, chacun d'eux assurément n'eut pas fait vingt épingles, peut-être pas une
seule dans sa journée, c'est-à-dire à coup sûr pas la deux cent quarantième partie et pas peut-être la quatre mille huit
centième partie de ce qu'ils sont maintenant en état de faire, en conséquence d'une division et d'une combinaison
convenables de leurs différentes opérations. »
Source : Extrait de Réflexion sur la nature et les causes de la richesse des nations – 1776.

Le compromis fordien5 : A partir de la seconde révolution industrielle (électricité, moteur à explosion), une partie des
gains de productivité va être progressivement redistribuée aux salariés, donnant ainsi naissance à la société de
consommation, d’abord aux USA dès les années 20, puis en Europe à partir des années 50. L’interaction gains de
productivité – gains de pouvoir d’achat a ainsi alimenté la croissance pendant les « 30 glorieuses ». Si ce compromis
fordien gagne aujourd’hui les pays émergents comme la Chine6 et de nombreux pays émergents (Maroc), les pays les
plus développés s’en sont éloignés. La boucle de rétroaction positive (croissance - gains de pouvoir d’achat - croissance)
a cessé de tirer la croissance dès la fin des années 70, accentuant encore son ralentissement. On attribue ce dernier à un
essoufflement (certains parlent même d’épuisement) des gains de productivité, et ce en dépit des innovations de ces 3
dernières décennies (TIC notamment).

2. L’innovation et le progrès technique :


Définition de l’innovation. Schumpeter (1883-1950) distinguait cinq types d'innovations :
- la fabrication de biens nouveaux (innovation produit) Ex : i-phone, imprimante 3-D
- de nouvelles méthodes de production (innovation de process) Ex : Fablab
- la création de nouveaux débouchés ou de nouveaux circuits de distribution (innovation commerciale) Ex : e-commerce
- l'utilisation de nouvelles matières premières (nouveaux matériaux) Ex : nanomatériaux
- la réalisation d'une nouvelle organisation du travail (innovation organisationnelle). Schumpeter considérait ainsi que le
taylorisme était la plus grande innovation du 20ème siècle.
Le terme innovation est donc plus large que celui de progrès technique, davantage centré sur les innovations
matérielles (équipements).

Définition du progrès technique : Il désigne le processus général de perfectionnement des méthodes et des moyens de
production destinés à améliorer la productivité et le bien-être, en réduisant de plus en plus en plus l’effort humain. C’est
donc un cas particulier d’innovation (de procédé). Sans précision supplémentaire, innovation et progrès technique sont
souvent considérés comme synonymes.
La technologie a un sens plus large : C’est un ensemble de connaissances, de méthodes et de techniques autour de
réalisations industrielles formant un tout cohérent.

5
Selon l’expression de l’école de la régulation
6
Au risque de favoriser dans certains secteurs des délocalisations et implantations dans des pays voisins (Vietnam, Birmanie ?) ou
de relocalisation (USA pour Foxconn).
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Longtemps considéré comme un résidu largement inexpliqué (paradoxe de Solow, 1956), le progrès technique s’est
imposé à partir de la seconde moitié du 20ème siècle comme un déterminant essentiel de la croissance, et des
performances de l’économie :
- L’innovation donne en effet naissance à de nouvelles technologies et à de nouveaux produits qui aident à répondre
à de nouveaux besoins en matière par exemple de santé ou d’environnement.
- L’innovation stimule la productivité, crée des emplois et contribue à améliorer la qualité de vie des citoyens.
- L’innovation, de plus en plus immatérielle, jette les bases d’un nouveau capitalisme dit cognitif (économie de la
connaissance).

Principaux déterminants de ce déterminant :


 La recherche-développement (R&D), qui constitue le fondement de l’innovation ;
 La qualification et la formation des salariés indispensable pour développer et mettre en œuvre l’innovation
dans l’industrie et la société ;
 Les pouvoirs publics, par la formation (initiale et continue), par des mécanismes d’incitation (comme les
allégements fiscaux) et le renforcement des liens entre les organismes de recherche privés et publics en vue de
favoriser une utilisation judicieuse de la science (théories de la croissance endogène) ;
 L’entrepreneuriat qui selon Schumpeter (1883-1950) permet d'introduire et de développer l'innovation.
L'entrepreneur bénéficie alors d'une rente de monopole provisoire (brevet) qui lui permet à la fois d'augmenter
ses marges et de financer de nouvelles innovations, permettant ainsi au cercle vertueux de la croissance de se
mettre en place. Pour Schumpeter, la clé du décollage économique se trouve dans l’existence de cette classe
d’entrepreneurs. Ce dernier appartient à une espèce rare (élite) qui doit lutter en permanence contre la routine
et la tendance au conservatisme (notion de destruction créatrice).
 Les effets d’agglomération (Paul Krugman, prix « Nobel » 2008) qui permettent de renforcer l’attractivité des
territoires. On constate en effet une tendance forte à la concentration d’innovations (polarisation) sur un même
lieu (effet « silicon Valley ») et à une fertilisation croisée de ces innovations qui permet ensuite de les dépasser.
 Etc.

3. Les structures de marchés :


Il existe 2 sortes de rente. Alors que la rente-risque prend sa source dans l'innovation, la rente-privilège doit son
existence au monopole. La première est concurrençable, la seconde non. Afin de « supprimer les rentes, réduire les
privilèges et favoriser les mobilités », le rapport Attali sur la libération de la croissance suggère d’ouvrir à la concurrence
les professions réglementées (pharmaciens, taxis, vétérinaires, coiffeurs, notaires, etc.). Pour les économistes libéraux,
le moteur de la croissance se trouve dans la contestabilité des marchés (W. Baumol, 1982) y compris le marché du
travail (flexibilité). Il s'agit dans ce cas de favoriser les structures concurrentielles afin de partager la rente, susciter
l'innovation et réduire les prix. Selon le rapport, ces mesures permettraient d'obtenir un point de croissance potentielle
supplémentaire (introduction de FREE sur le marché de la téléphonie mobile en 2011).

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IV - La problématique de la croissance
4. L’accès au financement :
La crise actuelle issue des subprimes montre qu’un environnement monétaire et financier dégradé peut perturber les
anticipations et les comportements des agents économiques, et affecter la croissance économique. Dans ce contexte, le
financement est donc un facteur important : une abondance des moyens de financement peut être un moteur de la
croissance7, sa contraction (credit crunch) un facteur de ralentissement.
Le dernier quart du 20ème siècle a été marqué par de nombreuses crises financières : Mexique (1982, 1994), Japon
(1997), Russie et Brésil (1998), Argentine (2001, 2018), USA (2008). La financiarisation de l’économie et la globalisation
financière favorisent certes une meilleure allocation des ressources au niveau mondial (fonds souverains aujourd’hui),
mais contribuent à renforcer la complexité et la vulnérabilité du système (crise systémique).
La création monétaire joue un rôle d'incitateur, un supplément de création monétaire (baisse des taux d’intérêt,
Quantitative Easing) vise généralement à stimuler le crédit, la demande et à favoriser la croissance. Si elle est excessive,
elle peut néanmoins générer de l’inflation, et donc une hausse des taux d’intérêt défavorable à cette même croissance
(augmentation du coût du crédit).
Le taux d'intérêt est pour Keynes un signal important dans la décision d’investir, tant du point de vue du producteur,
que du consommateur et de l'État. Pour Keynes, si le taux d'intérêt est inférieur à l'efficacité marginale du capital alors
les entreprises seront incitées à investir, et inversement. En période de crise, il est donc important d’avoir une politique
monétaire accommodante, ce qui est le cas aujourd’hui. C’est cependant une condition nécessaire mais pas suffisante.

Argentine : la finance frappe à nouveau


Depuis plusieurs mois, l’Argentine est aux prises avec une crise aux fronts multiples que l’administration Macri semble
incapable de juguler. Le recours au Fonds monétaire international (FMI) il y a un mois, censé selon le gouvernement
ramener la confiance des investisseurs (et selon ses opposants accélérer la chute de l’économie), n’a rien arrangé. Au
contraire, les perspectives d’austérité imposées par l’accord avec l’organisme de crédit international obscurcissent
l’horizon. Dévaluation, inflation, récession : le pays s’enlise chaque semaine un peu plus, au rythme des mauvaises
nouvelles qui tombent presque quotidiennement. La semaine dernière, ont été annoncées une augmentation d’au
moins 30 % des transports publics d’ici à la fin de l’année, une coupe drastique des allocations à l’enfance qui touchera
400 000 familles, la baisse de l’activité économique de 6 % pour le mois de mai par rapport à l’an dernier et les chiffres
de l’inflation de juin, 3,6 %, au plus haut depuis deux ans. Mardi, le ministre de l’Energie a annoncé une hausse des
tarifs de gaz et d’électricité d’encore 30%, et une autre de 5 à 8% pour l’essence… «On constate que le modèle mis en
place par le président Macri dès son arrivée au pouvoir en septembre 2015, d’ouverture indiscriminée aux marchés, de
suppression du contrôle des changes et des mécanismes de contrôle, est intenable. C’est l’origine de profonds
déséquilibres qui aboutissent à cette crise», analyse Delfina Rossi, économiste.
C’était pourtant le point central du programme du candidat Macri : après des années de désendettement et d’isolement
financier international de l’Argentine, faire revenir le pays sur les marchés, attirer les investisseurs étrangers. Un
changement de modèle radical, conditionné par le règlement du contentieux avec les fonds dits «vautours», que le
précédent gouvernement de Cristina Kirchner refusait de payer à un prix considéré «vil». Une fois les 4,6 milliards de
dollars (3,9 milliards d’euros) réglés selon les exigences de ces fonds spéculatifs, l’Argentine a contracté plus de 142
milliards de dollars de dette en deux ans, augmentant cette dernière de 42 % et se plaçant à la première place des pays
émergents émetteurs de dette.
Libération.fr – 1er août 2018 (extrait)

5. Le niveau de développement initial :


Pour Xavier Sala-i-Martin (économiste hispano-américain, 1963- ), le niveau de développement initial du pays est une
variable déterminante à prendre en compte dans les performances en matière de croissance. Dans la plupart des cas,
plus un pays est riche, moins il croît vite, et inversement. La croissance récente des BRICS était ainsi largement due au
niveau relativement modeste de leur PIB au départ de leur décollage, ce qui leur a permis d’effectuer leur rattrapage
grâce à des taux de croissance plus élevés que les pays plus développés. Cette hypothèse est connue sous le nom de
convergence conditionnelle.
Illustration : D’après l’édition de juin 2017 du Global Economic Prospects de la Banque Mondiale, l’Ethiopie serait le
pays à la croissance économique la plus rapide au monde en 2017. Estimée à 8,3%, l’augmentation du PIB du pays
éthiopien durant cette année est plus de 3 fois supérieure à la moyenne mondiale, qui s’élève à 2,7%.

7
Y compris pour les PVD à travers le microcrédit
Culture économique – M1 – Jaunet Philippe – octobre 2020 Page 9
IV - La problématique de la croissance
Il est étonnant de constater que cet argument de bon sens est rarement évoqué, pour quelles raisons ?
D’abord parce que « l’addiction » à la croissance fait qu’elle reste l’objectif prioritaire recherché par tous les pays en mal
de croissance. Ensuite parce qu’admettre que nous serions entrés en situation « d’accroissance » durable (stagnation
séculaire) pose implicitement une autre question (éminemment politique), celle des risques de conflits de répartition
liés à cette absence de croissance (cf. Pourquoi la croissance ?).

6. Le rôle des institutions :


C'est d'abord celle de l'état à travers la pertinence de sa politique économique de court terme mais aussi structurelle.
Les gouvernements à l’origine d’une hyperinflation (Zimbabwe en 2008), d’une manipulation des taux de change, de
l’existence de déficits excessifs ou d’une bureaucratie inefficace ont généralement de mauvais résultats en matière de
croissance (Venezuela aujourd’hui ?). Celle-ci dépend cependant du contexte général : croissance soutenue pendant les
30 glorieuses, plus faible à partir des années 80. Au-delà du gouvernement, la qualité de l'organisation politique et
juridique d'un état peut également jouer un rôle favorable ou non sur la croissance : Qualité des services publics (santé,
éducation, sécurité..), équité sociale, aptitude à recouvrer l'impôt (Grèce), indépendance des pouvoirs, efficacité et
efficience de l'administration, qualification de ses agents, etc.
Les autres institutions : L'efficacité des autres institutions que l’état joue également un rôle important : Des marchés
« efficients », la reconnaissance de la propriété privée et de l'état de droit sont essentiels à la croissance économique.
En 1996, l’économiste Robert Barro s'interroge ainsi en ces termes : "Un accroissement des libertés publiques
stimulerait-il les libertés économiques - spécifiquement les droits de propriété et la liberté des marchés - et donc la
croissance économique ?". Selon la revue Sociétal (2003) : « Les facteurs les plus étroitement corrélés avec la prospérité
sont ceux qui garantissent un état de droit : droits de propriété, absence de corruption, système juridique efficace ».
C'est ainsi que depuis la fin des années 90, les organisations internationales (FMI, Banque mondiale) conditionnent
certaines de leurs aides aux PVD au respect de certaines règles en matière de bonne gouvernance (ouverture des
marchés publics, accès à l’information, respect des droits de propriété, lutte contre la corruption et les conflits d'intérêt,
etc.). De manière plus générale, l'extension des libertés (liberté d'entreprendre, liberté de circulation des idées, des
personnes et des biens) semble être une condition de la croissance. En témoigne l'effondrement de l'URSS à la fin des
années 80.
Il convient cependant d’être nuancé. Exemple : la Chine ne présente pas toutes les garanties d’un état de droit (non
respect des droits de propriété, corruption, liberté économique entravée, droits de l'homme, etc.), ce qui ne l’empêche
pas d’avoir un taux de croissance parmi les plus élevés au monde. Des évolutions sont néanmoins en cours.

Le futur premier ministre chinois veut octroyer au marché plus de place


Le Monde.fr avec AFP | 23.11.2012 (extraits)

Le futur premier ministre Li Keqiang, qui vient d'être promu numéro deux du régime, a souligné l'impératif de poursuite
des réformes économiques pour donner plus de place au marché et redistribuer les richesses, ont rapporté vendredi les
médias chinois.
"Il faut donner à la société et au marché ce qui relève de la société et du marché : voilà le sens des réformes", a lancé M.
Li lors d'une conférence réunissant les responsables de 11 provinces et municipalités où de nouvelles réformes doivent
être expérimentées. "Il faut aller de l'avant, il n'est pas possible de battre en retraite", a souligné l'actuel vice-premier
ministre, successeur désigné de M. Wen Jiabao.
Futur chef du gouvernement, M. Li, qui prendra ses fonctions en mars 2013, a mis en avant la nécessité que les
réformes bénéficient à la population, réitérant l'objectif de parvenir en 2020 à une "société de moyenne aisance" arrêté
lors du 18e congrès du Parti communiste chinois (PCC) conclu la semaine dernière.
"Il faut (...) faire évoluer le rôle du gouvernement, bien gérer les relations entre le gouvernement et le marché, pour
donner au second un rôle plus fondamental dans la répartition des ressources", a encore déclaré M. Li. Les entreprises
d'Etat occupent encore un rôle dominant dans de nombreux secteurs-clés de l'économie comme l'industrie lourde, les
transports, l'énergie, les télécommunications ou la finance, mais la plupart des emplois sont créés dans le secteur privé.
M. Li a aussi dénoncé les passe-droits qui caractérisent l'économie chinoise alors que la population se plaint des
privilèges des cadres et d'une corruption endémique.

Culture économique – M1 – Jaunet Philippe – octobre 2020 Page 10


IV - La problématique de la croissance
7. Le degré d’ouverture sur l’extérieur :
Les économies plus ouvertes tendent à croître plus vite, les interdépendances issues de l’éclatement des chaînes de
valeur (DIPP : décomposition internationale des processus productifs) nées de la mondialisation, favorisent la
croissance, en particulier pour les pays émergents, qui en sont les premiers bénéficiaires. L’ouverture favorise
également les transferts de technologie, favorables aux investissements, donc à la croissance (ex : Chine). Les effets de
l'ouverture internationale sont cependant inégaux selon le degré de maturité de l'économie (pays de la "vieille Europe"
versus BRICS).
L’extraversion des économies peut également, à l’inverse, accélérer les retournements de cycles, du fait de leur plus
grande interdépendance (crise systémique), et de leur plus grande sensibilité au commerce international (l’Allemagne
est aujourd’hui victime des mesures de protectionnisme imposées par les Etats-Unis).

8. La confiance des acteurs :


Difficile à mesurer, même si de nombreuses enquêtes d’opinion lui sont régulièrement consacrées, la confiance est de
plus en plus considérée comme un facteur pouvant favoriser ou non la croissance (mais seulement à très court terme) :
niveau d’épargne, décisions d’investissement, etc. Dans ce cas, les réflexes mimétiques des agents économiques
peuvent jouer un rôle procyclique, et contribuer soit à restaurer un « climat de confiance », soit à alimenter la défiance
et l'attentisme des agents économiques. La communication devient alors un enjeu politique et un levier d’action
importants pour les gouvernants, en cherchant à faire évoluer positivement ce facteur psychologique (mesuré par un
indice synthétique de confiance).

Indicateur synthétique de confiance des ménages en France : En mai 2020, dans un contexte qui reste marqué par la
crise sanitaire, la confiance des ménages dans la situation économique baisse de nouveau, bien que nettement moins
que le mois précédent : l’indicateur qui la synthétise perd 2 points (après – 8 points en avril). À 93, il reste en-dessous de
sa moyenne de longue période (100).

Au-delà des enquêtes d’opinion, la confiance fait également l’objet de travaux de la part d’universitaires. G. Akerlof (prix
Nobel 2001 avec J. Stiglitz) propose de l’introduire comme facteur de production à part entière à côté du capital
humain. Dans la lignée de Keynes, Akerlof considère que l’investissement est un pari sur l’avenir, un état d’esprit par
lequel l’investisseur affiche sa foi dans son destin et dans l’avenir. De même, F. Fukuyama (1994) a avancé la thèse selon
laquelle la confiance entre acteurs économiques est un facteur fondamental de performance. Il considère que la France
est un pays à faible confiance et l’Allemagne un pays à forte confiance. De même, Kenneth Arrow ("Nobel" 1972) a écrit
en 1992 : "Tout échange, toute activité économique nécessite une relation de confiance de telle sorte que l'ensemble
du retard économique d'un pays peut s'expliquer par les relations de défiance".

Culture économique – M1 – Jaunet Philippe – octobre 2020 Page 11


IV - La problématique de la croissance
9. La variable démographique : Pendant des siècles, la démographie a relevé d’un régime « naturel » : natalité
et mortalité élevées, surmortalité en période de crise « alimentaire » ou d’épidémies.

 Population  Richesse créée


(démographie) (croissance)

2
Relation 1 : La richesse créée (croissance) dépend certes de la variable démographique (« Il n’est de richesses que
d’hommes » pour reprendre l’expression de Jean Bodin), mais quelle est la nature de la relation (boucle positive ou
négative) ? On peut penser intuitivement que la croissance économique est d’autant plus forte que la population croît.
Mais il existe de nombreux contrexemples : Si la croissance démographique est trop forte et durablement supérieure à
la croissance économique, le pays s’appauvrit (cas de nombreux pays en développement). De même, le vieillissement
démographique peut influencer positivement la croissance économique à court terme (augmentation du PIB/tête),
même si c’est beaucoup moins vrai sur le long terme (cas du Japon).
Relation 2 : L’évolution de la population (sur les plans quantitatif et qualitatif) dépend également de la croissance
accumulée. Il n’est cependant pas certain que plus de croissance se traduise nécessairement par une augmentation de
la population. L’élévation du niveau de vie conduit généralement à une urbanisation des sociétés, un meilleur accès à
l’éducation (notamment pour les filles) et à une baisse de la fécondité (cf. transition démographique).
La relation démographie-croissance est donc plus complexe qu’il n’y parait.

La priorité que l’on donne à l’interaction croissance démographique - croissance économique continue d’opposer
aujourd’hui populationnistes et malthusiens.
Pour Malthus, l’accroissement excessif de la population peut avoir un impact négatif sur la croissance à terme, car il se
heurte aux rendements décroissants (les nouvelles terres sont généralement moins fertiles), il doit être découragé.
Rappel de la loi de Malthus : La croissance démographique suit une progression géométrique (1, 2, 4, 8, 16, etc.) alors
que les ressources progressent selon une progression seulement arithmétique (1, 2, 3, 4, 5, etc.).

Dans les années 60, face à l’explosion démographique du tiers-monde, de nombreux PVD ont mis en place des
politiques anti-natalistes dites malthusiennes (Chine, Inde, Afrique subsaharienne notamment) : Planning familial,
politique de l’enfant unique, etc. Ce qui a permis de lutter contre la divergence naturelle du système (le + entraîne le +).
A contrario, comme l’illustre aujourd’hui la situation en Chine, la divergence peut également jouer dans l’autre sens (le
– entraîne le -), au point que certains économistes prédisent que le" pays risque d’être vieux avant d’être riche" !
Cette thèse a été largement contestée dès le 19ème siècle : « Le seul homme excédentaire sur terre, c’est Malthus lui-
même » (Pierre-Joseph Proudhon), ainsi que pendant l’entre deux guerres avec la crise démographique en Europe.
Enfin sur longue période, on a constaté que la forte croissance de la population mondiale depuis le 19 ème siècle n’a pas
empêché une croissance également forte de la richesse créée (Ex : 5% de croissance économique en moyenne en 2008
pour une population de 6,5 milliards d’habitants). Mieux, elle l’a nourrie. La croissance démographique peut donc bien

Culture économique – M1 – Jaunet Philippe – octobre 2020 Page 12


IV - La problématique de la croissance
être un facteur de croissance économique sur le long terme. La plus forte natalité en France qu’en Allemagne est ainsi
un argument avancé pour inverser la hiérarchie de ces 2 nations à horizon 2050-60. C’est d’abord pour cette raison que
l’Allemagne a accueilli plus d’1 million de migrants en 2015.

Qu’en est-il aujourd’hui ?


La thèse de la transition démographique : Le développement économique se traduit toujours et partout par un recul de
la fécondité après une phase d’explosion due à la chute de la mortalité, du fait de changements d’ordre économique
mais aussi socioculturel : élévation du niveau de vie, urbanisation et exiguïté des logements, éducation (et en particulier
des filles), baisse de la population en milieu rural, mise en place de nouvelles formes de solidarité plus individualistes
(sécurité sociale), etc. Dans ce cas, le système est convergent (le + entraîne le -). C’est le cas d’un nombre croissant de
pays comme l’Iran.

Etape 1 : les taux de natalité et de mortalité sont tous les deux


élevés, et la croissance démographique est quasi nulle.

Etape 2 : le taux de mortalité (en particulier la mortalité infantile)


commence à décroître, grâce au développement du pays et à
l'amélioration des conditions sanitaires. Dans le même temps, le
taux de natalité reste très élevé, ce qui engendre une très forte
croissance démographique (typiquement de 3% par an).

Etape 3 : Au fur et à mesure du développement du pays (hausse


de l'éducation et du niveau de vie), le taux de naissance
commence à baisser.

Etape 4 : avec un taux de natalité et de mortalité faibles, la


population se stabilise (le taux de croissance n'est jamais nul, mais
on estime qu'une augmentation annuelle de 0,4% correspond à
une population stable).

Tous les pays ne sont cependant pas encore concernés par cette transition démographique, et selon le rapport de l’ONU
de 2005, la population mondiale devrait continuer à croître à un rythme soutenu, en particulier pour les pays pauvres
(pour lesquels la population devrait passer de 5,3 à 7,8 milliards d'habitants d'ici à 2050). Dans les années 1990, l’ONU
annonçait un chiffre encore supérieur : entre 11 et 15 milliards d’habitants à l’horizon 2100.
A l’inverse, certains pays sont menacés par le vieillissement de leur population : Russie, Europe (Allemagne, Italie
notamment), Chine, et plus encore Japon. Dans ce cas, l’immigration peut également être un levier pour augmenter la
population (notamment active), en cas de pénurie de main d’œuvre dans certains secteurs économiques. Pour faire face
à cette pénurie dans certains secteurs clefs de l’économie, Berlin a récemment décidé d'alléger les démarches
administratives pour certains travailleurs étrangers (secteur des machines-outils, ingénieurs en automobile, électriciens

Culture économique – M1 – Jaunet Philippe – octobre 2020 Page 13


IV - La problématique de la croissance
et médecins). A noter que cette immigration du sud vers le nord aura également un impact sur la démographie à venir
des pays du sud et sur leurs compétences futures, car ce sont les jeunes les mieux formés qui émigrent !

10. L’impact de la politique économique :


Ce point a été traité dans le chapitre précédent : La régulation de l’économie. La fonction première de la politique
économique est d’agir positivement sur la croissance (politique conjoncturelle) ou sur son environnement (politique
structurelle). Cet interventionnisme est régulièrement discuté et contesté, notamment par les économistes libéraux. On
ne peut nier cependant qu’une politique économique pertinente peut être un levier de croissance et de
développement.

III. Les limites de notre modèle de croissance :


1. La question de la mesure de la croissance :
Que doit-on considérer comme faisant partie intégrante de la richesse et donc de la croissance ? Selon les époques, le
périmètre de la valeur créée susceptible d'entrer dans la comptabilité nationale s'est élargi, avec la prise en compte de
dépenses socialisées (services publics) et de déterminants de plus en plus immatériels.
Après les Etats-Unis, les statisticiens européens ont récemment planché sur de nouvelles façons d'inclure l'apport de la
production intellectuelle dans les économies européennes. Les dépenses de R&D ne sont plus considérées comme des
consommations intermédiaires mais comme de véritables investissements. A ce titre, elles viennent donc grossir le PIB.
De même, les nouvelles normes du Système européen des comptes préconisent d'ajouter depuis septembre 2014 les
activités souterraines dans le calcul du produit intérieur brut (PIB). Le Royaume-Uni a estimé que les revenus issus du
trafic de drogue et de la prostitution pourraient gonfler le PIB d'un peu moins de 1 %. Pour l'Italie, l'« économie
criminelle » ferait passer la croissance italienne de 1,3 à 2,4 % en 2014, ce qui contribue à diminuer mécaniquement le
poids du déficit et de la dette dans le PIB.
En France, l'Insee exclut en revanche la drogue (en raison de la dépendance que sa consommation implique), mais aussi
la prostitution (en raison de l'implication de réseaux d'exploitation). L’Insee se contente de revoir ses estimations pour
mieux tenir compte de l'activité dissimulée, dont le poids est estimé entre 3 et 4 % du PIB.
En 2009, la critique du PIB en tant qu’indicateur (exclusif) de mesure du bien-être a conduit à la production d’un rapport
(Stiglitz-Sen-Fitoussi) remis au président de la République. Mi 2015, le Conseil économique, social et environnemental
(Cese), organisme consultatif composé de représentants sociaux (patronat, syndicats, associations), et France Stratégie,
un organisme rattaché au premier ministre et formulant des recommandations au gouvernement, ont proposé dix
indicateurs complémentaires au PIB pour « prendre en compte toutes les dimensions du développement, tant
économiques, sociales qu’environnementales ».

Au-delà du PIB, 10 indicateurs pour mesurer autrement le progrès


Le Monde.fr | 10.07.2015 (extrait)
Tour d’horizon de ces dix nouveaux outils.
1. Travail : le taux d’emploi
Le groupe de travail a ainsi sélectionné le taux d’emploi, qui mesure la part des personnes possédant un emploi entre 15
ou 20 ans (selon les mesures) et 64 ans.
2. Stabilité financière : la dette de l’économie
Lorsqu’on parle de la dette, on désigne en général la dette publique, à savoir l’endettement des administrations
publiques (locales et nationales). Le groupe de travail estime que cela n’est pas suffisant et qu’il faut aussi tenir compte
de la dette de l’ensemble de l’économie du pays, « c’est-à-dire la somme des crédits contractés à la fois par les
entreprises, les particuliers et l’Etat » – l’endettement de l’ensemble des « agents économiques non financiers », dans le
jargon des économistes.
3. Investissement : le patrimoine productif
Il mesure « l’accumulation des moyens de production transmis d’une génération à l’autre ». Concrètement, il étudie les
actifs physiques (machines, équipements, infrastructures, cheptel, forêts, etc.) ainsi qu’immatériels (brevets, œuvres

Culture économique – M1 – Jaunet Philippe – octobre 2020 Page 14


IV - La problématique de la croissance
artistiques et littéraires, logiciels, recherche et développement, etc.) et les rapporte ensuite au produit intérieur net
(PIN, constitué du PIB moins le capital fixe consommé pendant la même période).
4. Santé : l’espérance de vie en bonne santé
Désigné « premier thème social » par les Français interrogés dans le cadre de l’étude, la santé serait représentée par
l’indicateur d’espérance de vie en bonne santé. A ne pas confondre avec l’espérance de vie totale, il mesure l’âge, le
nombre d’années qu’une personne à la naissance peut s’attendre à vivre en bonne santé, à savoir dans « l’absence de
limitations d’activités ou d’incapacités ».
5. Qualité de vie : la satisfaction à l’égard de la vie
Comment quantifier la qualité de vie ? L’indicateur de la satisfaction à l’égard de la vie se démarque des autres par le
fait que celui-ci est subjectif, basé sur des déclarations lors d’études d’opinion.
6. Inégalités : les écarts de revenus
Pour mesurer les inégalités – et tenter de les réduire –, c’est l’écart de revenus qui a été privilégié. Il peut être mesuré
par le rapport entre le revenu des 10 % les plus riches et celui des 10 % les plus pauvres (le « rapport interdécile » de
l’Insee), bien qu’il présente l’inconvénient d’être « très fortement influencé par les revenus des quelques centaines de
personnes les plus fortunées, sans traduire réellement l’évolution du revenu de la majeure partie de la population
constituant le décile supérieur », note l’étude.
7. Education : la part des diplômés
Le progrès d’un pays se mesure également à l’aune de la qualité de son système éducatif. Le groupe de travail regrette
la « périodicité insuffisante (triennale) » des indicateurs PISA, qui permettent l’évaluation des systèmes d’éducation au
sein de l’OCDE. Bien que partiel, la part des diplômés de l’enseignement supérieur dans la population des 25-34 ans est
l’indicateur qui a finalement été jugé le plus pertinent par le groupe de travail.
8. Climat : la consommation carbone
Alors que la France souhaite apparaître en pointe dans la lutte contre le changement climatique, intégrer les
problématiques environnementales dans la mesure du progrès est nécessaire. C’est l’empreinte carbone qui a été jugée
la plus pertinente car elle mesure « la quantité de gaz à effet de serre nécessaire à la satisfaction des besoins des
personnes vivant en France, sur une année ».
9. Ressources naturelles : le recyclage des déchets
Une des manières de faire baisser l’empreinte carbone est de recycler un maximum de ses déchets, signe, selon le
groupe de travail, de la « responsabilité collective dans le gaspillage actuel des ressources naturelles ». Le taux de
recyclage des déchets municipaux (matière, comme le papier ou le verre, mais aussi organique, avec le compostage) a
été choisi comme indicateur pertinent.
10. Biodiversité : l’abondance des oiseaux
C’est le paramètre « nombre de spécimens d’espèces vivantes » qui a été finalement choisi, par le biais de l’évolution de
la population d’oiseaux d’un certain nombre d’espèces communes. Pourquoi les oiseaux ? Parce qu’ils « sont en fin de
chaîne alimentaire et la raréfaction ou la disparition d’autres espèces a un impact sur leurs populations », explique
l’étude.
Ces indicateurs seront transmis au gouvernement et au Parlement chaque année, avant la loi de finances. Le défi sera
ensuite d’harmoniser ces indicateurs au niveau européen et de tenter de les rendre incontournables pour mesurer la
croissance de chaque pays.

Se pose aujourd’hui également la question de la prise en compte de nouvelles activités liées à la nouvelle économie et à
l’Ubérisation de la société. Ce néologisme est généralement utilisé pour désigner le phénomène par lequel une start-up
ou un nouveau modèle économique lié à l'économie digitale (application à partir d’un smartphone) peut créer de
nouvelles sources de valeur, mais aussi remettre en cause les modèles traditionnels de l'économie. On parle dans ce cas
d’économie collaborative, ou de partage (BlablaCar). Ces nouvelles activités échappent en partie aux outils de mesure
de la comptabilité nationale, conduisant sans doute à une sous-estimation de la richesse créée.

Quelle prise en compte des services publics ? En France, le PIB non marchand est presque exclusivement le fait des
administrations publiques (sécurité, justice, santé, enseignement). La question de savoir quelle est la valeur créée par
les services publics est délicate, car à la différence d’une entreprise, la création de valeur par une administration
publique ne se retrouvera ni à son bilan ni à son compte d’exploitation. Pour surmonter cette difficulté d'évaluation et
par convention, le PIB non marchand est pris en compte (seulement depuis 1976) à son coût de production (c’est-à-dire

Culture économique – M1 – Jaunet Philippe – octobre 2020 Page 15


IV - La problématique de la croissance
les consommations intermédiaires, la rémunération des salariés, la consommation de capital fixe (amortissement) ainsi
que, éventuellement, les impôts sur la production diminués des subventions sur la production).
La valeur créée par les services publics n'est donc pas prise en compte en tant que telle, pas plus que ne sont pris en
compte les gains de productivité. On peut par exemple penser que la valeur effectivement créée par une équipe
médicale qui sauve - après 10H d'intervention - un enfant victime d'un très grave accident de la route, est très
supérieure au coût de production de cette intervention, mais chacun sait que "la vie n'a pas de prix" !
L'une des principales caractéristiques des services publics est d'être en effet à titre gratuit ou quasi-gratuit. Leurs
activités apparaissent ainsi en position intermédiaire entre les activités marchandes et les activités "gratuites"
(associations, travail domestique, etc.) exclues du champ de la comptabilité nationale. La production des services
publics ne peut donc pas être évaluée comme celle des services marchands par référence à un prix du marché.
Cependant, dans un souci de comparabilité internationale, les comptables nationaux ont décidé d'intégrer les services
des administrations publiques dans la sphère productive afin qu'ils puissent contribuer au PIB au même titre (mais pas à
la même valeur) que les services marchands.

2. La question de la soutenabilité de la croissance :


Il convient de distinguer 2 formes principales de soutenabilité : la soutenabilité financière et la soutenabilité écologique.
La première sera abordée lors du chapitre suivant (5. Le financement de l’économie), seule la question de la soutenabilité
écologique sera abordée ici.
Soutenabilité faible vs soutenabilité forte
- Après avoir longuement minimisé les problèmes de soutenabilité (épuisement des ressources ou dégradation générale
des écosystèmes) un certain nombre d’économistes néoclassiques ont finalement développé une approche de la
soutenabilité que l’on qualifie généralement de "soutenabilité faible". Cette théorie repose sur l’hypothèse selon
laquelle le degré de substitution entre actif d’environnement (naturel) et capital artificiel est "parfaite". Ce qui revient à
dire que l’épuisement des ressources (ou la dégradation de l’environnement) ne sont pas rédhibitoires dès lors que de
nouvelles ressources permettent la création d’un capital artificiel (technologique ou financier) équivalent au capital
naturel dégradé ou épuisé. Le capital technologique se substitue alors au capital naturel.
Cette hypothèse a de quoi séduire puisque, grâce à elle, la croissance économique apparaît alors non plus comme le
problème, mais au contraire comme la solution : c’est en effet elle qui est censée permettre à l’humanité de développer
la recherche et le capital technologique qui permettront de faire face aux problèmes écologiques… et ceci, bien
entendu, sans avoir besoin de remettre profondément en cause nos habitudes de production et de consommation, et
donc notre modèle de croissance.

Quelles solutions face à la dette écologique ?


Le philosophe Luc Ferry répond :
« La première serait d’imposer la décroissance de manière autoritaire. Je n’y crois pas, et ce serait calamiteux. La
deuxième, c’est la régulation démographique. La troisième, c’est l’innovation scientifique. Si l’on remplaçait aujourd’hui
les ampoules traditionnelles par des LED, les ampoules à diode électroluminescentes, on pourrait “économiser” 600
centrales électriques dans le monde. Le pari de l’innovation n’est pas gagné, mais il faut l’allier à celui de la baisse
démographique si l’on veut s’en tirer. »

- A l’opposé, les tenants de la "soutenabilité forte" adoptent une approche beaucoup plus prudente vis-à-vis de la
technologie. Selon ses partisans (Nicholas Georgescu-Roegen, René Passet ou Serge Latouche en France) l’approche de
la soutenabilité forte considère que le capital environnemental est constitué d’éléments fondamentaux qui ne sauraient
faire l’objet d’une substitution technologique satisfaisante. L’eau que nous buvons, l’air que nous respirons, les grands
équilibres naturels, biogéochimiques et climatiques, tous ces biens communs de l’humanité ne peuvent être remplacés
car ils conditionnent largement les conditions de survie des générations présentes et futures. Ils doivent donc être
préservés. C’est au système économique de s’adapter, et de remettre en cause son propre modèle de croissance,
insoutenable sur le long terme. Les défenseurs de la soutenabilité forte considèrent qu’il est urgent de réduire notre
empreinte écologique et notre dette écologique par des changements radicaux dans nos comportements individuels et
collectifs : consommer moins (et mieux), éviter les gaspillages, refuser le superflu, recycler (économie circulaire),
mutualiser les services (économie de la fonctionnalité, économie collaborative ou de partage), favoriser les
productions de proximité et la relocalisation, etc.
Culture économique – M1 – Jaunet Philippe – octobre 2020 Page 16
IV - La problématique de la croissance

"Jour du dépassement" des ressources planétaires : l’humanité vit désormais à crédit


Par Stéphane Orjollet (AFP) | 21/08/2020 Tribune.fr

À partir de ce samedi 22 août, l'humanité aura consommé plus de ressources naturelles que la Terre peut renouveler en
12 mois. C'est le symbolique "jour du dépassement", qui recule pour une fois cette année, sous l'effet de la pandémie de
Covid-19. Un temps gagné qui n'est pas pour autant synonyme de bonne nouvelle, avertissent ses promoteurs.

Chaque année, l'humanité creuse un peu plus sa dette écologique. Elle aura pour date en 2020 le 22 août. Ce "jour du
dépassement", ou "overshoot day" en anglais, est calculé depuis 2003 par l'ONG américaine Global Footprint
Network. Il a pour but d'illustrer la consommation toujours plus rapide d'une population humaine en expansion sur
une planète limitée. Pour le dire de façon imagée, il faudrait cette année 1,6 Terre pour subvenir aux besoins de la
population mondiale de façon durable.
La date est calculée en croisant l'empreinte écologique des activités humaines (surfaces terrestre et maritime
nécessaires pour produire les ressources consommées et pour absorber les déchets de la population) et la
"biocapacité" de la Terre (capacité des écosystèmes à se régénérer et à absorber les déchets produits par l'Homme,
notamment la séquestration du CO2).

Un dépassement de plus en plus tôt


Le "dépassement" se produit quand la pression humaine dépasse les capacités de régénération des écosystèmes
naturels et ne cesse de se creuser depuis 50 ans selon Global Footprint : 29 décembre en 1970, 4 novembre en 1980,
11 octobre en 1990, 23 septembre en 2000, 7 août en 2010. L'an dernier, il était tombé le 29 juillet.
2020 marque donc un rare répit, mais attribuable aux conséquences de la pandémie mondiale qui a paralysé des pans
entiers de l'activité humaine, repoussant la date de trois semaines, et non pas à un changement systémique. « Il n'y a
pas de quoi se réjouir car ça vient avec des souffrances, ce n'est pas fait exprès, mais par une catastrophe », soulignait
jeudi Mathis Wackernagel, président de Global Footprint Network lors d'un événement en ligne. Et de mettre en
garde : « C'est comme pour l'argent : on peut dépenser plus que ce qu'on gagne, mais pas pour toujours ».

Les comportements que le "jour du dépassement" met en cause et leurs conséquences sont de fait largement
documentés par les scientifiques, du dérèglement climatique à la disparition catastrophique des espèces et des
écosystèmes. Quant au cas particulier de la France, la branche française de l'ONG WWF avait indiqué dans un rapport
en 2018 que le "jour du dépassement" français calculé par Global Fooprint Network tombait cette année-là le 5 mai.
Autrement dit, il faudrait 2,9 Terre si toute l'humanité vivait comme les Français. « Depuis 1961, la France aurait
accumulé l'équivalent de plus de 33 années de dette écologique sans avoir réussi encore à marquer de progression
majeure et à la hauteur dans sa transition pour améliorer la date du Jour de dépassement et sa dette écologique »,
peut-on lire dans le document qui n'a pas été mis à jour depuis.
Culture économique – M1 – Jaunet Philippe – octobre 2020 Page 17
IV - La problématique de la croissance

Les derniers rapports des experts de l'ONU identifient clairement les directions à suivre : réduction des émissions de
gaz à effet de serre, sortie des énergies fossiles, changement drastique du modèle de production agro -alimentaire...
Car pour tenir les objectifs de l'accord de Paris de 2015 et maintenir l'élévation globale de la
température « nettement en dessous de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels, et si possible à 1,5°C, les
émissions de gaz à effet de serre devraient baisser de 7,6% annuellement », selon l'ONU.
Or, selon une étude publiée début août par la revue Nature Climate Change, la chute sans précédent des émissions
de gaz à effet de serre pendant les confinements dus au Covid-19 (qui pourrait atteindre 8% selon cette étude, plus
de 10% selon Global Footprint) ne servira à « rien » pour ralentir le réchauffement climatique, en l'absence d'un
changement systémique en matière d'énergie et d'alimentation. Global Footprint Network insiste sur ce point,
notamment via la campagne #movethedate (faire reculer la date), assurant que réduire de 50% les émissions de CO2
issues de la combustion d'énergies fossiles permettrait de repousser le dépassement de plus de 90 jours, ou diviser
par deux la consommation de protéines animales de 15 jours.
Marco Lambertini directeur général du WWF, partenaire de l'événement depuis 2007, veut espérer qu'après le Covid-
19, et les réflexions qu'il a déclenché sur les modèles de société, les humains sauront « tirer des leçons de ce que
cette pandémie a mis en lumière : la relation non-soutenable, de gaspillage et destructrice que nous entretenons avec
la nature, la planète ».

Conclusion : Demain la décroissance ?

Décroissance choisie : Les conclusions pessimistes du club de Rome (rapport Meadows, 1972) s'appuient largement sur
les travaux de N. Georgescu-Roegen sur la décroissance (La loi de l'entropie et le processus économique, 1971). Pour
cet économiste disciple de J. Schumpeter, le développement des sociétés humaines ne peut être dissocié des lois de la
nature (notion de bioéconomie), il reprend à son compte la loi d’entropie de Clausius (loi de la dégradation), et conçoit
le processus économique comme un système ouvert en interaction forte avec son environnement. Le dogme de la
société industrielle occidentale d'une croissance illimitée est un mythe (« il n’y a pas de croissance infinie dans un
monde fini ») à la source de la crise écologique actuelle. Pour N. Georgescu-Roegen, il faut donc entreprendre une
refonte radicale de notre conception de la croissance économique, afin d'intégrer le "métabolisme global" de l'humanité
dans l'environnement limité de notre planète Terre. L'économiste américain Herman Daly (né en 1938, ancien élève de
Georgescu-Roegen) va plus loin que son maître, en plaidant pour un retour à "l'état stationnaire" comme alternative à
la croissance. C’est aussi le point de vue défendu par les collapsologues.
Décroissance subie : Selon l’économiste Larry Summers, les économies développées sont tombées, après la Grande
Récession de 2008-2010, dans une phase de stagnation séculaire (Alvin Hansen, 1938). La moindre croissance
démographique, la baisse rapide du prix des biens des nouvelles technologies, l’essoufflement du progrès technique et
l’absence d’innovations majeures sont souvent évoqués pour justifier une moindre accumulation de capital. À cela
s’ajoute une demande structurellement faible, en raison notamment du vieillissement, de l’accroissement des inégalités
de revenus et d’une tendance croissante des entreprises à investir moins que ce que leurs profits ne le permettraient.
Cette thèse de la stagnation séculaire se prolonge dans la baisse notable des taux d’intérêt à long terme, qui traduit une
tendance à la baisse des anticipations de croissance future des investisseurs.
Ces propos sont confirmés par l’économiste américain Robert J. Gordon. En identifiant six « vents contraires » qui
amoindriraient considérablement les effets du progrès technique (plafond atteint par les gains en éducation,
vieillissement des populations, crises énergétique et environnementale, hausse de l’endettement des ménages et des
États, hausse des inégalités), l’auteur estime que la croissance devrait ralentir à un rythme annuel de 0,2 % d’ici l’an
2100.
« La deuxième révolution technologique a, de loin, été celle qui a permis les plus importants gains de productivité en plus
de 80 ans. Mais plusieurs de ces innovations ne pouvaient se produire qu’une fois, telles que l’urbanisation, l’accélération
des transports et la libération des femmes de la corvée d’aller chercher l’eau. En dépit de ce qu’on se plaît à croire, les
retombées de la troisième révolution – celle de l’informatique et des technologies de l’information – ont été beaucoup
plus modestes et semblent devoir le rester ».
Si cette thèse selon laquelle la crise de l’innovation est à l’origine du déclin économique des pays occidentaux est
également partagée par le prix Nobel d’économie 2006 Edmund Phelps, elle ne fait cependant pas l’unanimité parmi les
économistes.

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IV - La problématique de la croissance
Pour aller plus loin : Êtes-vous prêt pour la décroissance ?
Par Florent Vairet | 23/08/2019 Les échos

Le contre G7 qui se tient ces jours-ci à Hendaye propose de remettre en cause notre course effrénée à la croissance
économique et même d’en finir avec le capitalisme. Ce thème de la décroissance revient régulièrement dans le débat
public mais qu’est-ce cela veut dire ? Quelles seraient les conséquences concrètes sur notre mode de vie ?

Le monde est-il à l’aube d’une récession durable ? Depuis quelques semaines, les principales bourses mondiales
pâlissent, la guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine bat son plein et l’Europe voit son marché unique
ébranlé par un Brexit qui n’en finit plus, une Italie en panne et une Allemagne qui interroge. Les spécialistes présagent
de mauvais temps pour la croissance...
Mais la question de la croissance économique ne se pose pas uniquement à court terme, sous l’effet d’une conjoncture
capricieuse. Des économistes alertent sur l’affaissement durable de la croissance, et ce, bien avant l’arrivée de Trump
ou du référendum sur le Brexit. Le charbon, l’électricité ou la reconstruction post-guerre avaient créé un boom
économique. La révolution numérique tant annoncée peine à jouer le même rôle que l’électricité ou le charbon.

Décroissance subie ou voulue ?


Le monde moderne est-il arrivé au terme de son développement ? Certains économistes, comme l’américain Robert
Gordon, y croient et posent la question de l’après croissance. Ou en d’autres termes : comment gérer la décroissance ?
D’autres économistes, souvent de gauche, vont plus loin et… souhaitent la mise en place de la décroissance. Cette
volonté rompt avec notre idée d’un progrès et d’une croissance infinie. Mais alors pourquoi s'infliger un tel supplice ?
Pour sortir de l’ornière climatique, répondent-ils. Des mouvements altermondialistes aux économistes en passant par le
Pape François, nombreux sont ceux qui réclament de freiner la croissance pour préserver notre planète : “Nous savons
que le comportement de ceux qui consomment et détruisent toujours davantage n’est pas soutenable. (…) C’est
pourquoi l’heure est venue d’accepter une certaine décroissance”, avait écrit le pape François dans son encyclique
Laudato publiée en 2015.
Les prévisions scientifiques pessimistes s’accumulent, et précisent chaque fois davantage les contours de l’impasse
climatique qui nous attend. Les partisans de la décroissance osent alors la question : ira-t-on jusqu’à l’extinction de
l’espèce pour préserver la sacro-sainte croissance ? Pour se justifier, ils citent des civilisations précédentes qui ont causé
leur perte. On pense à l’effondrement de la population de l’Île de Pâques après qu’elle a surexploité son
l’environnement et s’est retrouvée sans ressources.

La croissance creuserait les inégalités


A notre époque, des mouvements croient dur comme fer à la fin au chaos prochain et décident de s’éloigner du monde
civilisé. Le New-York Times rappelle dans un article récent que ce phénomène, qui porte le nom de “survivialisme”, a le
vent en poupe, en particulier chez les ultra-riches. Certains millionnaires ou milliardaires de la Silicon Valley se
constituent des habitats protégés, soit des bunkers dans leur pays ou des refuges sur une île isolée du Pacifique.
L’urgence climatique parvient à convaincre des groupes aussi différents que des altermondialistes d’extrême gauche et
des milliardaires de la Tech de renoncer - du moins dans l’avenir - à la croissance et au progrès. Ce changement de
braquet est inédit quand on sait que sur ces trois derniers siècles, le capitalisme a réussi à entraîner le monde dans un
développement sans précédent et a sorti des milliards de personnes de la pauvreté. Pourquoi soudainement s’en
détourner et prôner la décroissance ?
Pour les économistes, une seule réponse : depuis plusieurs années, la croissance n’est plus synonyme de progrès. De
Thomas Piketty, un économiste classé à gauche et auteur de “Capital au XXIe siècle” à Marc de Scitivaux, d’obédience
libérale et fondateur des Cahiers verts de l’économie, tous s’accordent à dire que la mondialisation a creusé les
inégalités à l’intérieur des pays développés.
Même en France, qui fait partie des pays les plus redistributifs, la part des revenus captée par les 10% les plus riches a
augmenté plus rapidement que celle captées par les 40% les plus pauvres :
Face à cet accroissement des inégalités, doublé du défi climatique, des mouvements remettent au goût du jour les
thèses de la décroissance économique popularisées dans les années 70. “La décroissance appelle à sortir de la
production infinie pour retrouver le sens de la mesure”, a déclaré l’économiste Serge Latouche, chantre de la
décroissance en France, dans une interview au journal Le Monde. Son idée paraît simple : remettre en cause le mantra

Culture économique – M1 – Jaunet Philippe – octobre 2020 Page 19


IV - La problématique de la croissance
du Fordisme et son “produire toujours plus” en augmentant toujours plus les échelles de production et la division
mondiale du travail qui permettent de fabriquer le moins cher possible.

Baisser qu’une partie du PIB


Produire moins pour protéger la planète, cela s’entend. Produire moins en dégradant le niveau de vie devient plus
compliqué à faire admettre par les populations. Car faire décroitre le PIB revient à baisser le pouvoir d’achat, martèlent
les spécialistes. “Les revenus perçus par la population représentent environ 60% de la croissance du PIB”, note Nicolas
Bouzou, un économiste libéral. “Une décroissance, c’est donc une perte de pouvoir d’achat.”
De l’autre côté, entendez plutôt à gauche, les arguments fusent aussi : “Nous n’appelons pas à baisser purement et
simplement le PIB”, précise Mireille Bruyère, maîtresse de conférences en sciences économiques à l'université de
Toulouse Jean Jaurès, chercheuse au CNRS et membre des Économistes atterrés, un groupe critique à l’égard de la
croissance. “Il faut regarder dans les détails quels sont les indicateurs nuisibles pour l’homme et la planète qu’il convient
de baisser. Je pense par exemple à l’extraction des matières premières ou à la productivité du travail.” L’idée en filigrane
est que la croissance de ces indicateurs se traduit en croissance économique mais pas dans celle du bien-être des
personnes.

A-t-on atteint la limite anthropologique ?


Pour pouvoir baisser ces indicateurs sans toucher au pouvoir d’achat, certains militent à développer des secteurs
pourvoyeurs d’emplois. Giorgos Kallis, professeur d’économie écologique à l’université autonome de Barcelone pense
qu’on pourrait compenser la perte de croissance, en partie grâce à une fiscalité verte, à l’arrêt des subventions aux
industries polluantes ou à une redistribution plus importante, via le revenu universel de base.
“D’un côté, développons par exemple les circuits courts et l’agriculture paysanne. De l’autre, limitons un secteur comme
la mode qui multiplie le nombre de collections, au détriment de l’environnement et de la qualité des vêtements, qu’on
finit par jeter au bout d’un an”, ajoute Mireille Bruyère. Pour cette économiste qui est aussi au Conseil scientifique
d'ATTAC France, l’homme et le capitalisme ont atteint une limite écologique, une limite de ressources, “une limite
anthropologique”.
L’homme est-il face à un obstacle insurmontable ? Faux, répond le libéral Marc de Scitivaux. “Cette théorie de la limite
ignore totalement un élément fondamental qui se vérifie depuis deux milles ans : la capacité de l’esprit humain à
innover et découvrir des choses nouvelles pour créer de nouvelles activités.”

Réduction de la population en question


Pour lui, l’économie a la vertu de s'autoréguler et le problème des ressources est un faux problème : “Quand une
ressource devient rare, son prix augmente. Un mécanisme se met alors en route avec la recherche de substituts. Il cite
l’exemple du pétrole dont la raréfaction a entraîné le développement d’énergies propres comme les éoliennes ou
polluantes comme le gaz de schiste. “Nous ne sommes jamais face à la disparition d’une ressource fondamentale”,
ajoute Marc de Scitivaux.
La question des ressources n’est pas la seule divergence qui oppose anti et pro-croissance. Réduire la taille de la
population fait aussi partie des pistes avancées par les premiers. Produire mieux pour moins de personnes serait un des
moyens de limiter l’exploitation de la nature. Un argument faisant écho à certains jeunes qui affichent fièrement leur
volonté de ne pas procréer pour protéger la planète.
Pour les seconds, il s’agit là aussi d’un faux problème : outre le fait que faire accepter une diminution de la natalité est
très compliqué, “voir l’augmentation de la population comme un problème n’est pas nouveau”, fait remarquer Nicolas
Bouzou. “Même avant les théories de Malthus, on pensait que le passage à plus d’un milliard d’êtres humains serait
insurmontable. Nous sommes aujourd’hui plus de 7 milliards.” Comme à l’accoutumée, les économistes issus des
différentes écoles s’affrontent, tous avec leur armée d’arguments.

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