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UFR Segmi – Licence 2

Année 2019-2020

Histoire des faits économiques :


Une histoire de la croissance
Leçon 1

Patrice Baubeau
patrice.baubeau@parisnanterre.fr
Histoire des faits économiques :
Une histoire de la croissance

• Organisation du cours :

• Chaque séance comprendra :


– Des réponses, en début de cours, aux questions que vous aurez posées sur le
cours précédent.
• Ces questions peuvent m’être adressées par courriel
(patrice.baubeau@parisnanterre.fr), posées sur le forum ou présentées à la
fin du cours.
– Environ 1h45 de CM
• Le CM comprend du cours magistral (bien sûr !)
• Mais aussi une réflexion sur les documents ou la bibliographie
• Ou encore un retour sur les manuels
• Evaluation :
– Examen écrit en 2h00 sous forme de QCM
Histoire des faits économiques :
Une histoire de la croissance

• L’objectif de ce cours est d’acquérir une compréhension à la fois historique


et économique de la naissance puis de l’accélération d’une nouvelle forme
de croissance, dite « croissance moderne », au plus tard au cours du XVIe
siècle.
• Nous présenterons ainsi les modèles « standards » de la transformation
des économies, l’apparition de la croissance économique moderne et sa
diffusion progressive à la planète, le rôle de l’innovation, de la finance,
des guerres, des crises et des phénomènes démographiques.
• Ce faisant, nous aborderons à la fois des cas singuliers et des auteurs qui
ont contribué à améliorer notre compréhension de ces phénomènes, sans
dissimuler la variété des interprétations.
• Cela nous amènera aussi à nous interroger sur le caractère exceptionnel ou
pas de cette phase de croissance, sur son avenir et sur ses limites.
Histoire des faits économiques :
Une histoire de la croissance

• Manuels :
– Jacques Brasseul, Petite histoire des faits économiques. Des origines à nos jours, Paris,
Armand Colin, 4e édition, 2015.
– Karl Gunnar Persson and Paul Sharp, An Economic History of Europe. Knowledge,
Institutions and Growth, 600 to the Present, 2nd ed., Cambridge, Cambridge U.P., 2015.
• Orientation bibliographique :
– Christopher Alan Bayly, La naissance du monde moderne (1780-1914), Préface d'Eric
Hobsbawm (traduit de l'anglais par Michel Cordillot), Paris, Editions de l'Atelier, 2007.
– Jacques Brasseul, Histoire des faits économiques, tomes 1 et 2, Paris, Armand Colin,
diverses éditions.
– Jacques Brasseul, Histoire des faits économiques, de la Grande guerre au 11 septembre,
Paris, Armand Colin, diverses éditions.
– François Crouzet, Histoire de l'économie européenne, 1000-2000, Paris, Albin Michel, 2010.
– Philippe Norel, L'invention du marché. Une histoire économique de la mondialisation, Paris,
Seuil, 2004.
– Edward A. Wrigley, The Path to Sustained Growth. England's Transition from an Organic
Economy to an Industrial Revolution, Cambridge, Cambridge U.P., 2016.
– Patrick Verley, La Révolution industrielle, Paris, Gallimard, 1997.
• Bibliographie complète :
– Elle sera développée au fur et à mesure en lien avec les leçons.
Histoire des faits économiques :
Une histoire de la croissance

• Plan du cours :
1. Introduction générale / Leçon 1 – Les trois révolutions
2. Les modèles malthusiens
3. La Révolution industrieuse
4. La Révolution industrielle britannique
5. La diffusion de l'industrie moderne dans le monde atlantique
6. Les services, piliers de la Révolution industrielle : transports, commerce et finance
7. Les impérialismes
8. Crises et destruction créatrice
9. La première mondialisation : mesure, bilan, échec
10. L'âge d'or de la croissance occidentale
11. Sous-développement, mal-développement, pays émergents
12. Préparation de l'examen et Conclusions générales
Une histoire de la croissance
Leçon 1

• Introduction générale – Pourquoi un cours sur le


phénomène de la croissance économique moderne ?
1. La croissance économique, au cœur des débats
contemporains
2. Définir la croissance économique
3. Les quatre questions de base
• Leçon I. Les trois révolutions de la croissance
1. La révolution du pléistocène
2. La révolution néolithique
3. La révolution industrielle
Introduction générale : pourquoi ?
1. La croissance est au cœur des débats contemporains

• Elle est présentée comme « la » solution à tous nos problèmes


collectifs :
– Le chômage
– L’aliénation sociale des banlieues
– La dette publique et le déficit budgétaire
– Le progrès social…
– Exemple : Donald Trump le 15/8/2017 : « What people want now, they
want jobs. They want great jobs with good pay. And when they have
that, you watch how race relations will be. » (NYT, 16/8/2017)
Introduction générale : pourquoi ?
1. La croissance est au cœur des débats contemporains

• Elle est aussi – et de plus en plus – présentée comme la cause de


nos maux :
– La pollution
– Le réchauffement climatique
– Le « règne » de l’argent
– Le pillage des pays pauvres
– La corruption
• Elle fait l’objet d’un véritable fétichisme, sous la forme d’un chiffre
unique, paré de vertus magiques : le taux de croissance (du PIB)
– Or la valeur de ce taux, autour de laquelle se focalise le débat économique et
politique, est toujours provisoire et approximative – plus encore lorsqu’il s’agit,
comme c’est le cas le plus souvent, de données trimestrielles.
Introduction générale : pourquoi ?
1. La croissance est au cœur des débats contemporains

• La croissance est donc une clé d’entrée :


– A la compréhension de notre monde
– A d’autres manières d’aborder les théories économiques
– Aux enjeux extra-économiques de l’économie
• La croissance n’est pas uniquement un phénomène économique :
– Ses causes ne sont pas uniquement économiques, au sens étroit du terme
• Sinon, tous les êtres humains étant égaux, la richesse serait à peu près répartie entre
eux
– Elle est donc également historique :
• Le passé compte, puisqu’il détermine la répartition antérieure des richesses et des
capacités
– Et évidemment sociale :
• La création de richesse est conditionnée par la définition de ces richesses
• Le travail, la comptabilité, la monnaie, sont autant d’institutions et de constructions
sociales
Introduction générale : pourquoi ?
1. La croissance est au cœur des débats contemporains

• C’est pourquoi il n’y a pas que les économistes qui font de l’économie et qui
réfléchissent à la croissance
– On trouve aussi
• des historiens,
• des sociologues,
• des anthropologues,
• des géographes
– Beaucoup de notions économiques ont un sens en-dehors de l’économie
• Le chômage
• Le déficit des comptes publics
• Le prix des biens fondamentaux (alimentation, logement, vêtement)
– Beaucoup de notions économiques sont nées en dehors de l’économie
• La monnaie
• L’impôt
• Le travail
Introduction générale : pourquoi ?
1. La croissance est au cœur des débats contemporains

• Etudier la croissance économique moderne nous permettra aussi de


nuancer cette « révolution » permanente que nous vendent les politiques et
les commerçants :
– Un nouveau smartphone = une révolution ?
– Un nouveau parti politique = une révolution ?
– Une catastrophe environnementale = une révolution ?
• En bref, la longue durée appliquée à un même objet permet d’exercer son
regard critique :
– Sur la pauvreté, la richesse, les inégalités dans le passé
– Sur la « stagnation séculaire », débat lancé par Gordon et Eichengreen
– Sur l’évolution des inégalités (et la querelle des pro et des anti Piketty)
– Sur les aspects économiques des violences politiques et vice-versa :
• Crise du Vénézuela (chavisme)
• Facteurs économiques des crises moyen-orientales (jihadisme)
• Crise de Hong Kong
Introduction générale : pourquoi ?
2. Comment définir la croissance économique ?

• On peut définir la croissance économique de très nombreuses


façons, mais ces différentes définitions se répartissent plus ou
moins sous trois rubriques

• a) La croissance économique est un phénomène


macroéconomique.
– De ce point de vue, il est parfois peu perceptible par les agents
économiques et doit être apprécié à partir de notions proches de la
comptabilité nationale ou d’indicateurs globaux.
– La croissance doit donc être distinguée de la « prospérité », qui
implique le plus souvent un point de vue, non seulement économique,
mais également social et politique, parfois très subjectif.
Introduction générale : pourquoi ?
2. Comment définir la croissance économique ?

• a) La croissance économique est un phénomène


macroéconomique.

• b) Elle se caractérise par son caractère cumulatif et auto-


entretenu. Il faut donc la distinguer de l’enrichissement, du
gain exceptionnel, etc.
– Par cumulatif, on entend que la croissance passée pose les
bases de la croissance future : il n’y a donc pas d’épuisement,
au moins à moyen terme, de la croissance.
– Par auto-entretenu, on entend que la croissance trouve sa
source dans la société où elle se déroule : elle ne découle pas
de « coups de chance », conquêtes, tributs, découvertes
minières, etc.
Introduction générale : pourquoi ?
2. Comment définir la croissance économique ?

• a) La croissance économique est un phénomène


macroéconomique.
• b) Elle se caractérise par son caractère cumulatif et auto-
entretenu.

• c) La croissance économique moderne est un phénomène


récent.
– En tout cas à l’échelle de l’histoire de l’humanité.
– Elle dépend d’un progrès technique à peu près constant, voire
s’accélérant, faute de quoi la croissance vient buter sur des limites
techniques ou physiques. A ce titre, elle est très liée avec la notion
d’innovation qui, en dernière analyse, demeure la source principale –
mais pas forcément la cause – de la croissance en longue durée.
Introduction générale : pourquoi ?
2. Comment définir la croissance économique ?

• Ces définitions soulèvent de nombreuses questions

• 1. Si la croissance économique est un phénomène macroéconomique,


peut-on l’envisager avant la naissance des concepts macroéconomiques,
ou du moins des premières réflexions à leur sujet, au XVIIIe siècle ?
• Oui pour trois raisons :
– Des réflexions de ce type existent, autour de certaines questions
(monnaie, fiscalité) depuis beaucoup plus longtemps
– Ces réflexions ont été particulièrement présentes dans des régions
comme la Chine bien avant le XVIIIe siècle
– Les concepts, par définition, présentent une certaine autonomie par
rapport au contexte historique ou social : il n’est donc pas absurde de
chercher à comprendre le passé à l’aide de concepts récents comme
celui de PIB, de Revenu national, de taux de croissance.
Introduction générale : pourquoi ?
2. Comment définir la croissance économique ?

• 2. Si la croissance économique est auto-entretenue, comment


qualifier les poussées brusques de prospérité, la fortune impériale,
ou même l’enrichissement parfois considérable lié à l’exploitation
des ressources minières ?
• En fait, il s’agit précisément de distinguer ici entre « croissance
moderne » et les différentes formes de « croissance ancienne » :
– L’apogée d’Athènes au Ve siècle a.n.e. correspond-il à une phase de croissance
moderne ? Ou bien résulte-t-il des avantages tirés d’une position impériale ?
– Le « siècle d’or » espagnol des XVIe-XVIIe siècles correspond-il à une phase de
croissance moderne ? Ou bien du pillage de l’Amérique du Sud et de l’Afrique ?
– L’enrichissement des émirats pétroliers depuis les années 1930 correspond-il à
une phase de croissance moderne ? Ou bien de la transformation d’un stock
(fini) de richesses en flux (fini) de revenus ?
– Les « trente glorieuses » (1945-1973) furent-elles une phase normale de
croissance moderne ? Ou bien le résultat d’une conjonction exceptionnelle ?
Introduction générale : pourquoi ?
3. Cela débouche sur quatre questions de base

a) Quels sont les causes et les facteurs de la croissance


économique ?
b) La Révolution industrielle marque-t-elle une nouvelle étape de
l’histoire humaine ?
c) Quels rôles jouent les dimensions extra-économiques dans la
croissance économique ?
d) Y a-t-il des « lois économiques » valables au cours de longues
périodes historiques ?
Introduction générale : pourquoi ?
3. Cela débouche sur quatre questions de base

a) Quels sont les causes et les facteurs de la croissance


économique ?
– Certains de ces facteurs peuvent-ils s’épuiser ?
– Sont-ils remplaçables, et à quel coût ?
Introduction générale : pourquoi ?
3. Cela débouche sur quatre questions de base

b) La Révolution industrielle marque-t-elle une nouvelle


étape de l’histoire humaine ?
– Et si oui en quoi ?
– Cette étape doit-elle s’achever ?
Introduction générale : pourquoi ?
3. Cela débouche sur quatre questions de base

c) Quels rôles jouent les dimensions extra-économiques


dans la croissance économique :
a) Institutions politiques,
b) Rapports hommes-femmes,
c) Environnement,
d) Inégalités économiques et sociales, etc.
Introduction générale : pourquoi ?
3. Cela débouche sur quatre questions de base

d) Y a-t-il des « lois économiques » valables au cours de


longues périodes historiques ?
• « loi d’airain des salaires »
• « rendements marginaux décroissants »
• « baisse tendancielle du taux de profit »
• « rendement du capital supérieur au rendement du travail »
• « épuisement du progrès technique »
• « cycles de longue durée »
• « arbitrage inflation/chômage », etc. ?
• Et plus particulièrement, quelle forme prend la croissance ?
Introduction générale : pourquoi ?
4. Les formes de la croissance

• La question des limites de la croissance est particulièrement


importante aujourd’hui, et nous y reviendrons, mais
schématiquement, on peut imaginer trois manières différentes de
représenter la croissance en combinant des facteurs de production :
– Sans limite
• La croissance est potentiellement infinie
– Avec une limite posée par l’un des facteurs de production
• La croissance est finie sauf s’il est possible de « surmonter » les limites de ce facteur
– Avec une limite posée par le milieu environnant
• Mais dans ce cas, pourquoi ne pas réintégrer cette limite dans le modèle et revenir au
cas n° 2 ?

• D’où trois 3 représentations graphiques schématiques…


Introduction générale : pourquoi ?
4. Les formes de la croissance

Le fantasme de la croissance infinie


Introduction générale : pourquoi ?
4. Les formes de la croissance

L’espoir d’un « atterrissage en douceur »


Introduction générale : pourquoi ?
4. Les formes de la croissance

Croissance limitée Où g(x) croit d'abord plus lentement que f(x). Y=f(x)-g(x)

La représentation dominante chez les « collapsologues »


Une histoire de la croissance
I. Les trois « révolutions » de la croissance

L’histoire humaine et plus précisément l’histoire économique se


déroulent à une échelle temporelle et spatiale extrêmement
réduite en comparaison de l’univers ou même de la Terre : nous
habitons à peine la pellicule de la bulle de savon !

Diamètre en Volume en Taille en % de


milliers d’AL milliers d’AL l’Univers

Univers 13 800 000 1,37606E+21 100 %

Voie Lactée 100 52 360 3,80507E-15 %

Système
0.0032 3,43146E-09 ≈0!
solaire
Une histoire de la croissance
I. Les trois « révolutions » de la croissance
L’histoire humaine en très longue durée voit se succéder des périodes plus ou moins
stables séparées par des bouleversements profonds et assez rapides, mais en général
très longs à émarger comme à produire leurs effets : les « révolutions ».
1. L’état archaïque : des sociétés de chasseurs cueilleurs entre abondance et pénurie
2. La révolution du pléistocène et la mondialisation de Sapiens
3. L’état ancien : territorialisation et contrôle de l’environnement
4. La révolution néolithique et la mondialisation agricole
5. L’état classique : Etats, empires et malédiction malthusienne
6. La révolution industrielle et la mondialisation manufacturière
7. L’état moderne : un monde « fini » ?

- 40 - 30 - 20 - 10 -0 10
Révolution pléistocène R.C. 3 ?

Révolution néolithique / Holocène


ERE QUATERNAIRE
R.I. /
-500 000 : Essor des
cultures humaines
(langages, symboles)
I. Les trois « révolutions » de la croissance
1. La « révolution du pléistocène », -120 000 / -11 700

• L’ère quaternaire – notre ère – a commencé il y a environ 2,6 millions


d’années. Il s’agit d’une ère glaciaire : on constate la présence permanente
de couvertures glaciaires (inlandsis, glaciers continentaux) près des pôles
(Groenland, Antarctique) jusqu’à aujourd’hui.
– Cette ère voit aussi l’apparition du genre « homo », il y a un peu moins de 3 millions
d’années.
• Cette ère glaciaire, qui n’est pas finie, a été marquée par une succession de
périodes plus froides (glaciation : avancée des glaciers et banquises) et
moins froides (interglaciaire) selon des cycles d’environ 100 000 et 40 000
ans, dont 4 glaciations majeures.
– Ces cycles semblent liés à des variations de la position relative de la Terre au Soleil (cycles
de Milankovitch) et à l’expansion et à la rétraction de la végétation modifiant les rapports
oxygène/carbone de l’atmosphère.
• Enfin, cette ère est divisée en deux phases :
– Le pléistocène : - 2,6 millions d’années à -11 700 ans a.n.e.
– L’holocène, qui est en fait un interglaciaire, depuis – 11 700 a.n.e. jusqu’à aujourd’hui.
I. Les trois « révolutions » de la croissance
1. La « révolution du pléistocène », -120 000 / -11 700

• La fin du pléistocène est marquée par une forte glaciation (-120 000
à -21 000) et des changements brutaux du climat :
– Glaciation intense et formation d’inlandsis sur la plus grande part des continents
de l’hémisphère nord
– Baisse de 100 à 120 m des niveaux océaniques (max. il y a 20 000 ans env.)
– Migrations massives de la faune et de la flore
• L’effet sur la « mondialisation » du genre Homo est paradoxal :
– Les passages intercontinentaux (ponts de glace et passages terrestres ) et la
réduction des horizons maritimes favorisent une nouvelle migration d’homo
sapiens en dehors de l’Afrique, vers l’Asie, l’Europe, l’Océanie puis l’Amérique (-
120 000 / -10 000 a.n.e.).
– Les obstacles créés par les avancées glaciaires suscitent des isolats humains
qui développent des traits culturels et phénotypiques propres, notamment par
mélange des « nouveaux » Sapiens avec des populations antérieures.
– En conséquence, de nombreux foyers humains antérieurs disparaissent :
l’humanité s’homogénéise d’un point de vue génétique et se diversifie d’un point
de vue culturel.
I. Les trois « révolutions » de la croissance
1. La « révolution du pléistocène », -120 000 / -11 700

• A partir de -21 000 environ, le climat se réchauffe par à-coups, ce


qui favorise une explosion de la vie végétale :
– Extension géographique vers le Nord
– Augmentation de la biomasse
– Augmentation de la faune
• La population humaine augmente fortement à son tour, ce qui
alimente une nouvelle forme de migration :
– Poursuite des proies
– Essaimage de groupes devenant trop nombreux
• Entre -21 000 et l’an 1 000 de n.e. la quasi-totalité de la planète est
conquise par des migrations « de proche en proche » :
– Les « premiers » humains arrivent en Amérique du Nord vers -12 000
– Vers -1 000 ils ont atteint le sud du Chili actuel !
– Les migrations océaniques atteignent l’île de Pâques à la même époque
I. Les trois « révolutions » de la croissance
1. La « révolution du pléistocène », -120 000 / -11 700

Pour la Science, janvier-mars 2017


I. Les trois « révolutions » de la croissance
1. La « révolution du pléistocène », -120 000 / -11 700

• En environ 30 000 ans, homo sapiens est devenu une des espèces
les plus diffuses à l’échelle de la planète
• Elle se caractérise par des systèmes symboliques et des
développements matériels complexes (la « culture » au sens des
anthropologues) :
– La vidange des grands lacs et mers glaciaires et les transgressions
marines suscitent un peu partout la naissance des mythes fondateurs
du « déluge »
– On assiste à un raffinement des rites funéraires
– Ces systèmes symboliques émergent et se structurent autour
d’échanges (de conflits) culturels et de systèmes linguistiques, de
grands récits, longtemps avant l’invention de l’écriture.
• L’impact sur l’environnement est massif :
– Déforestations liées à l’utilisation du feu
– Extinction massive des grands herbivores (sauf en Afrique) et de la
plupart des grands fauves
I. Les trois « révolutions » de la croissance
2. La « révolution néolithique » -12 000 / -3 000

• La déglaciation de l’holocène, en densifiant la biomasse,


favorise des formes nouvelles de sédentarité, jusque-là
limitée à des littoraux très disputés.
• Les populations humaines adoptent et favorisent, sans le
vouloir dans un premier temps, les plantes et animaux
qu’ils jugent les plus utiles (proto-céréales,
légumineuses, arbres fruitiers, extermination des
concurrents directs…) ainsi que leurs parasites
(insectes, rats, microbes)
• Parallèlement, l’outillage progresse, encouragé par la
densité humaine croissante et les cycles végétatifs
I. Les trois « révolutions » de la croissance
2. La « révolution néolithique » -12 000 / -3 000

• La révolution néolithique se manifeste clairement il y a environ


14 000 ans, à la fin du Pléistocène et au début de l’Holocène et
combine ainsi plusieurs traits cruciaux :
– La domestication très progressive d’espèces animales et végétales
• Premières traces il y a plus de 40 000 ans
– Le développement d’instruments de stockage, de conservation et de
cuisson des aliments
– Le progrès des outils :
• Armes
• Instruments agricoles
• Céramique
• On associe au néolithique les innovations suivantes :
– La poterie
– La métallurgie des métaux natifs, puis du cuivre et bronze
– La domestication de la chèvre, du mouton…
– L’agriculture sédentaire ou semi-sédentaire
I. Les trois « révolutions » de la croissance
2. La « révolution néolithique » -12 000 / -3 000

• Cette révolution néolithique a de multiples foyers : Afrique orientale, Moyen-Orient,


Chine orientale, Inde, Amérique centrale, etc.
• Cela démontre qu’elle répond à des conditions climatiques et à des caractères
génétiques propres à l’espèce humaine plus qu’à des déterminants culturels ou
ethniques
• A ce titre il s’agit d’abord et avant tout d’une révolution matérielle, même si les
conséquences culturelles et sociales sont fondamentales
• Enfin, parce qu’elle permet une densité plus importante de population et repose
largement sur le travail agricole (culture, élevage), la révolution néolithique :
– Transforme les rapports de genre :
• Les divinités féminines (grande déesse) « régressent »
• Les travaux masculin et féminin se distinguent davantage, moins dans les sociétés d’élevage que
d’agriculture
– Accentue les divisions sociales :
• La société devient plus hiérarchique
• Un centre et une périphérie apparaissent
• Les aristocraties naissent : le « big man » régresse au profit du « roi »
• Les premières agglomérations apparaissent : villages, « villes », puis Etats et empires
I. Les trois « révolutions » de la croissance
3. La « révolution industrielle »

• La définition et l’explication de la révolution industrielle


va largement nous occuper au cours de ce semestre.
• Toutefois, deux questions fondamentales peuvent être
posées dès maintenant :
a) Où et quand commence-t-elle ?
b) A-t-elle une cause externe, par exemple climatique ?
• Il y a deux grandes réponses à la première question
I. Les trois « révolutions » de la croissance
3. La « révolution industrielle »

• 1ère réponse : Elle débute par les « gadgets » :


• la machine à vapeur
• la filature mécanique
– On répond ainsi à la fois au « quand » et au « où » : l’Angleterre du XVIIIe siècle.
• 2e réponse : Elle débute par les mécanismes, les incitations et les
critères socioéconomiques :
• l’encouragement à l’innovation
• la propriété privée
• le niveau ou l’espérance de vie
– Mais la réponse devient alors confuse : pendant des siècles de vastes régions
de Chine, de l’empire Byzantin ou de l’empire Ottoman, sans parler de périodes
arabes, indiennes ou italiennes plus brèves, présentent à la fois un haut niveau
de sécurité des personnes et des biens, un niveau de vie élevé, une espérance
de vie importante, un capital technique et intellectuel considérable.
– Dès lors la question n’est plus « où » et « quand » mais « pourquoi en
Angleterre » ou « Why the West »?
I. Les trois « révolutions » de la croissance
3. La « révolution industrielle »

• b) A-t-elle une cause externe, par exemple climatique ?


– Malgré de très fortes réticences de la part des historiens
jusqu’au début des années 1990, ces derniers acceptent de plus
en plus que…
• le climat,
• les maladies,
• les accidents géologiques
– …puissent avoir un impact majeur sur l’histoire humaine.
– Mais cette acceptation reste plus facile pour des cultures ou des
civilisations « primitives » que pour des civilisations urbaines
comptant des dizaines de millions d’habitants.
I. Les trois « révolutions » de la croissance
3. La « révolution industrielle »

• De ce point de vue, l’ouvrage de Kenneth Pomeranz, The Great


Divergence, paru en 2000 et traduit en français en 2010, représente
une rupture majeure (et a provoqué un important débat).
– Pomeranz considère en effet que la Chine orientale et l’Angleterre du
XVIIIe siècle présentaient un niveau de développement économique et
social comparable, associé à des contraintes écologiques du même
ordre de grandeur.
• Dans ces conditions, la révolution industrielle a eu lieu en Angleterre
et non en Chine d’abord pour des raisons « accidentelles » :
– Un accident géographique : la possibilité pour l’Angleterre de bénéficier
des ressources transocéaniques de l’Afrique (travail) et de l’Amérique
(sucre, coton), car l’Atlantique était navigable dans les conditions
techniques de l’époque et non le Pacifique.
– Un accident géologique : l’Angleterre était assise sur un gros tas de
houille à proximité des villes industrielles tandis que le charbon chinois
se trouvait éloigné des centres urbains.
I. Les trois « révolutions » de la croissance
3. La « révolution industrielle »

• Ces débats ont obligé à reformuler, depuis trente ans, les conditions
de possibilité de la révolution industrielle, en inscrivant cette
dernière dans la lignée des révolutions précédentes.
• Cela implique donc qu’il faille disposer d’un modèle permettant de
traiter les trois révolutions, climatique, néolithique et industrielle.
• Mais ce modèle doit aussi permettre de rendre compte de la variété
des circonstances et des conséquences de ces révolutions.
I. Les trois « révolutions » de la croissance
3. La « révolution industrielle »

• Le modèle le plus utilisé actuellement pour ce faire est le


modèle dit malthusien :
– Il répond à la condition fixée, en prenant comme variable clé la
population, laquelle est directement influencée par un facteur externe tel
que le climat.
– Surtout, il se focalise sur la variable économique et sociale la plus
importante : le niveau de vie (revenu réel, espérance de vie, santé).
– Mais il présente aussi de nombreux défauts…

• Nous l’étudierons la semaine prochaine…


Bibliographie de la séance
• Dyane Coyle, GDP. A Brief but Affectionate History, Princeton U.P., 2014.
• Jean Gadrey, Florence Jany-Catrice, Les nouveaux indicateurs de richesse,
La Découverte, 2016
• Philipp Lepenies, The Power of a Single Number. A Political History of
GDP, Columbia .P., 2016
• Kenneth Pomeranz, Une grande divergence : la Chine, l’Europe et la
cosntruction de l’économie mondiale, Paris, Albin Michel, 2010 (2000)

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