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Populations vulnérables 

3 | 2017
Personnes âgées et vulnérabilités

La vulnérabilité physique perçue par les personnes


âgées, une comparaison européenne
Physical vulnerability perceived by the older people, a European comparison

Mélanie Lepori

Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/popvuln/1765
DOI : 10.4000/popvuln.1765
ISSN : 2650-7684

Éditeur
LIR3S - Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche “Sociétés Sensibilités Soin” (UMR 7366 CNRS-uB)

Édition imprimée
Date de publication : 1 janvier 2017
Pagination : 97-133
ISBN : 978-2-918-173-20-5
ISSN : 2269-0182
 

Référence électronique
Mélanie Lepori, « La vulnérabilité physique perçue par les personnes âgées, une comparaison
européenne », Populations vulnérables [En ligne], 3 | 2017, mis en ligne le 01 avril 2018, consulté le 29
juin 2022. URL : http://journals.openedition.org/popvuln/1765  ; DOI : https://doi.org/10.4000/popvuln.
1765

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La vulnérabilité physique perçue par les personnes âgées, une comparaison eur... 1

La vulnérabilité physique perçue


par les personnes âgées, une
comparaison européenne
Physical vulnerability perceived by the older people, a European comparison

Mélanie Lepori

1 Alors que l’idée d’une vulnérabilité inhérente au processus de vieillissement biologique


individuel semble faire sens commun, un décalage entre l’intensité du phénomène et la
perception qu’ont les personnes âgées de leur propre situation existe comme le
souligne notre thèse1 révélant un faible enclin pour l’aménagement du domicile des
personnes âgées alors que ce type de procédé peut être utilisé pour palier de
potentielles déficiences physiques.
2 À travers une comparaison de situations entre pays européens, cet article a pour
objectif d’estimer l’intensité de la vulnérabilité physique telle qu’elle est perçue par les
personnes âgées de 60 ans ou plus. Plusieurs questionnements peuvent ainsi être émis :
dans quelle mesure les personnes âgées se pensent-elles vulnérables ? Lorsqu’une
vulnérabilité est déclarée, quelle caractéristique y est jugée la plus importante ?
3 Afin d’apporter des éléments de réponse, une définition de la vulnérabilité physique et
de sa mesure est d’abord présentée. Ensuite, l’importance et la composition de cette
vulnérabilité physique sont estimées à travers différentes caractéristiques individuelles
telles que le sexe, l’âge, le logement, le niveau de vie et l’entourage, en vérifiant dans
quelle mesure les résultats d’études existant sur le sujet peuvent être ou non confirmés
dans une approche européenne.

I. Une définition nécessairement multidimensionnelle


4 La vulnérabilité comme conséquence inéluctable du vieillissement individuel paraît
régulièrement associée à la détérioration de l’état de santé et des conditions physiques
des personnes âgées et surtout très âgées (Buisson, 2011 ; Bourdelais, 1994 ; Caradec,

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2011 ; Grundy, 2006 ; Thomas, 2008). Cependant, la définition de la vulnérabilité des


personnes âgées ne saurait être orientée uniquement sur les aspects physiques. En
effet, les contours de la définition du phénomène demeurent mouvants et se
redessinent selon le domaine, la population et l’époque dans lesquels la notion est
mobilisée (Thomas, 2008). Même lorsqu’elle s’applique spécifiquement à la population
âgée – pour laquelle la littérature référant à cette notion reste encore limitée –, la
définition de la vulnérabilité peut varier selon l’entrée choisie ou les acteurs en charge
de l’élaborer (Schröder-Butterfill, Marianti, 2006). Dès lors, en parallèle des causes
biologiques, les conditions de vie de la population âgée semblent également devoir être
interrogées et la variété des facteurs explicatifs considérés dépend de la définition de la
vulnérabilité retenue. Ainsi, lorsque cette dernière fait référence à un état individuel
ne permettant plus de faire face aux difficultés rencontrées, plusieurs capacités
individuelles peuvent être défaillantes et ce, qu’elles soient physiques, psychiques,
financières ou encore relatives aux relations sociales.
5 L’appréhension de la vulnérabilité nécessite donc de s’interroger sur ses
caractéristiques et le potentiel cumul de facteurs qui l’engendrent (Monod, Sautebin,
2009 ; Schröder-Butterfill, Marianti, 2006). À ce titre, l’exemple de la surmortalité liée à
la canicule de 2003 en France paraît particulièrement pertinent. En effet, la
vulnérabilité à la chaleur des personnes âgées ne saurait s’expliquer par la seule
vulnérabilité physique : les vulnérabilités sociale (isolement potentiel, place de cette
population dans la société) et environnementale (conditions de logement contribuant
plus ou moins à l’exposition à la chaleur, par exemple) ne peuvent être éludées
(Bungener, 2004). Les causes ne sont ainsi plus seulement individuelles mais recoupent
également l’influence des contextes institutionnels et politiques.
6 Dans cet article, à l’instar des auteurs établissant la vulnérabilité comme l’exposition à
un risque en raison de conditions de vie particulières (Grundy, 2006 ; Delors et al., 2000),
nous en retiendrons comme définition l’ensemble des conditions de vie exposant les
personnes âgées aux risques – généralement avancés – de la vieillesse (isolement social,
repli sur soi, perte d’autonomie, accidents voire décès, etc.). Toutefois, parmi
l’ensemble des aspects présentés précédemment, cet article se concentrera
essentiellement sur la dimension physique de la vulnérabilité afin de s’interroger sur
son caractère inhérent à l’avancée en âge. En effet, il apparaît que les préoccupations
politiques actuelles se focalisent en grande partie sur les incapacités physiques des
personnes âgées (Clément et al., 2007 ; Deindl et al., 2013).
7 Par ailleurs, concevoir les difficultés physiques rencontrées par la population âgée
comme des facteurs de risques implique donc de ne pas établir de lien systématique
entre la présence de ces difficultés et leurs conséquences. En effet, le lien entre facteurs
de risque et apparition d’accidents n’est pas aussi évident. Par exemple, les trois
événements (détérioration de la santé, décès d’un proche, entrée en institution) étudiés
par Cavalli et al. (2002), ne sont pas nécessairement synonymes d’exclusion sociale et
peuvent, au contraire, conduire à une mobilisation accrue de l’entourage. De même, les
situations dites de « fragilité » conduisent régulièrement à la mise en place par les
individus âgés de stratégies de contournement (Cambois et al., 2004 ; Freund et al., 1998)
pouvant permettre d’éviter ces « accidents » (isolement social, repli sur soi, perte
d’autonomie, chutes, etc.). En ce sens, il convient de ne pas les appréhender comme des
handicaps d’ores et déjà établis mais bien comme des facteurs de vulnérabilité.

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8 Ce travail repose sur les données de la quatrième vague de l’enquête Survey of Health,
Ageing and Retirement in Europe (SHARE) réalisée fin 2011 dans quinze pays européens et
dont le but est d’interroger les conditions de vie de la population âgée de 50 ans ou plus
(encadré 1). Ici, 29 877 individus âgés de 60 ans ou plus – limite d’âge fréquemment
prise en considération par les politiques de vieillesse en France – vivant à domicile
constituent la population étudiée. À l’instar des échelles employées pour le phénomène
de la solitude – et notamment réalisées à l’échelle européenne grâce aux données de
l’enquête SHARE (Shiovitz-Ezra, 2013) – une échelle de vulnérabilité physique est ici
proposée (encadré 2). Afin de comparer les différentes situations nationales, l’ensemble
des facteurs sur le fait de déclarer ou non une vulnérabilité physique et son niveau
seront testés dans trois analyses statistiques par régressions logistiques. La première
permettra, tous pays confondus, de dégager les spécificités des individus ayant déclaré
au moins une vulnérabilité physique tandis que la seconde fera de même dans chacun
des pays. Ce type de comparaison permet, en effet, de mettre en lumière des
comportements potentiellement différents (Ankri, 2007). Enfin, la troisième régression
permettra de repérer les caractéristiques des individus ayant déclaré une vulnérabilité
physique moyenne ou importante. Pour faciliter la comparaison européenne, quatre
groupes de pays ont été constitués en fonction de leur situation géographique. Le
premier regroupe les pays d’Europe dite « occidentale » (Autriche, Allemagne, France,
Suisse et Belgique), le deuxième ceux d’Europe du Nord (Pays-Bas, Danemark et Suède),
le troisième ceux d’Europe du Sud (Espagne, Portugal et Italie) et enfin, le dernier, ceux
d’Europe de l’Est (République tchèque, Hongrie, Pologne et Slovénie). Cette
classification n’est cependant pas la seule envisageable et ne doit pas occulter les
différences au sein même des pays ou des groupes de pays.

II. Une vulnérabilité physique jugée globalement faible


9 De manière générale, l’intensité de la vulnérabilité physique telle que perçue par les
personnes de 60 ans ou plus reste très faible puisque le score moyen est égal à 3,7 sur
une échelle de 3 à 9 (écart-type de 1,4) et les disparités entre pays restent restreintes
(figure 1). Ainsi, les pays présentant les scores moyens les plus faibles (Suède, Suisse et
Danemark) conservent des scores de vulnérabilité relativement proches de ceux où les
personnes âgées se disent les plus vulnérables (Hongrie, Portugal et Espagne).
10 Une première distinction par zone géographique apparaît : les pays d’Europe du Nord
et occidentale présentent les scores de vulnérabilité les plus faibles tandis que dans les
pays d’Europe de l’Est et du Sud, la perception de la vulnérabilité physique est
relativement plus importante. Par ailleurs, à l’exception de la situation hongroise, les
scores des deux dernières zones géographiques restent très proches (entre 3,8 et 4),
alors que ceux des deux premières zones se situent dans un intervalle un peu plus large
(entre 3,3 et 3,8).

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Figure 1. Répartition des pays en fonction du score moyen de vulnérabilité des 60 ans ou plus en
2011

Lecture : dans le groupe Europe occidentale, la Suisse a un score moyen de vulnérabilité physique
perçue de 3,4 tandis que celui de la Belgique est de 3,7
Légende : AT = Autriche, DE = Allemagne, FR = France, CH = Suisse, BE = Belgique, SW = Suède, NL =
Pays-Bas, DN = Danemark, SP = Espagne, IT = Italie, PT = Portugal, CZ = République tchèque, PL =
Pologne, HU = Hongrie et SL = Slovénie
Champ : personnes âgées de 60 ans ou plus en 2011 vivant à domicile et ayant répondu à l’ensemble
des questions relatives aux capacités de mobilité, de selfcare et de réalisation des activités
quotidiennes.
Source : enquête SHARE, vague 4

11 Ces tendances globales masquent toutefois les effets discriminants comme les
caractéristiques démographiques, les conditions d’habitat, les niveaux de vie ainsi que
la taille du réseau social.
12 Chercher à évaluer le caractère inhérent de la vulnérabilité au vieillissement individuel
nécessite également de prendre en considération les caractéristiques individuelles et
leurs potentiels effets, examinés dans la partie suivante.

III. Étude des facteurs de vulnérabilité


1) L’âge et le sexe

13 Les femmes et les personnes les plus âgées sont généralement décrites comme plus
fréquemment et fortement soumises aux diverses formes d’incapacités physiques
(Cambois et al., 2004). Ici, l’âge est considéré de manière absolue et non via le
positionnement individuel vis-à-vis de l’espérance de vie, afin de séparer les effets liés
au vieillissement comme l’impact des conditions de vie, le sexe ou encore des dispositifs
médicaux et sociaux en œuvre dans les pays considérés.
14 Dans un premier temps, les hypothèses relatives au sexe et à l’âge semblent se
confirmer (figures 2 et tableau 1) : le fait d’être une femme augmente les scores moyens
de vulnérabilité physique dans tous les pays. Néanmoins, l’effet du sexe au sein de
chacun des territoires nationaux n’est pas similaire laissant alors apparaître deux types
de situations : « toutes choses égales par ailleurs », l’absence de différences marquées
entre les deux sous-populations féminine et masculine (Allemagne, Hongrie et

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Slovénie) et, dans les autres pays, une vulnérabilité plus importante chez les femmes
(tableau 1). De manière similaire, les 70-79 ans puis les 80 ans ou plus se déclarent plus
intensément vulnérables que leurs cadets, sauf en Suède où une absence d’évolution
significative du phénomène entre les 60-69 ans et les 70-79 ans est relevée. Plus que
l’avancée en âge, c’est l’entrée dans les âges les plus élevés qui paraît partout avoir
l’effet le plus important.

Figures 2. Score moyen de vulnérabilité physique perçue en fonction du pays de résidence et des
caractéristiques démographiques des 60 ans ou plus en 2011

Champ : personnes âgées de 60 ans ou plus en 2011 vivant à domicile et ayant répondu à l’ensemble
des questions relatives aux capacités de mobilité, de selfcare et de réalisation des activités
quotidiennes
Source : enquête SHARE, vague 4

15 Alors que les 80 ans ou plus sont également plus souvent modérément ou fortement
vulnérables que les 60-69 ans, les différences ne sont pas marquées entre les 70-79 ans
et ces derniers (tableau 2).

2) Les conditions d’habitat

16 En outre, les conditions d’habitat peuvent avoir des effets sur la vulnérabilité comme la
présence ou non d’aménagements du logement conçus pour les personnes rencontrant
des difficultés physiques ou des problèmes de santé (comme des portes plus larges ou
automatisées, des systèmes d’alerte, des translateurs pour escalier). Le choix de cette
variable permet ainsi de vérifier deux effets opposés. D’un côté, ces dispositifs
pourraient avoir un effet positif en raison de leur fonction palliative aux difficultés
physiques : ils pourraient ainsi conduire à accroître l’autonomie des habitants du
logement et diminuer leur sentiment d’insécurité pour se mouvoir et leur ressenti vis-

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à-vis de leur vulnérabilité (Morestin et al., 2011). À l’inverse, ces travaux pourraient
également être le fait d’une part de la population se considérant déjà comme
vulnérable et qui cherche à contourner cette dernière.
17 Le fait d’avoir ou non aménagé son logement paraît avoir un effet identique dans tous
les pays européens malgré une intensité différente de la perception de la vulnérabilité
(figures 3). L’hypothèse selon laquelle l’aménagement du logement pourrait pallier des
incapacités physiques, permettant ainsi de diminuer le sentiment de vulnérabilité,
paraît invalidée. Les aménagements semblent plutôt se produire une fois les difficultés
physiques réellement installées et ne pas parvenir à réduire le sentiment perçu de
vulnérabilité. « Toutes choses égales par ailleurs », les individus n’ayant pas aménagé
leur logement déclarent moins souvent une vulnérabilité et lorsqu’ils en déclarent,
celles-ci sont moins élevées (tableaux 1 et 2). L’effet de l’aménagement du logement
semble toutefois plus ou moins marqué en fonction des différents territoires. Les
disparités par pays sont perceptibles : les Allemands, Italiens, Polonais, Hongrois et
Slovènes sont ceux pour lesquels le fait de ne pas avoir aménagé son logement conduit
à la plus faible probabilité de se déclarer vulnérable (annexe 1).
18 Dans une même approche, partant de l’hypothèse que plus le logement sera adapté aux
besoins et aux difficultés éprouvés, moins les incapacités physiques seront perçues
comme telles, le type de logement et de zone d’habitation pouvant influencer le
ressenti de la vulnérabilité. Vivre dans un logement de type appartement ou résider
dans une zone urbaine permettant l’accès à une offre plus importante de services
pourrait avoir un effet positif sur la vulnérabilité physique ressentie du fait de
l’environnement. Pour cela, le type de logement habité est étudié avec, d’un côté, le fait
de vivre en « maison » individuelle (maisons mitoyennes et fermes comprises) et, d’un
autre côté, le fait de vivre en appartement. La zone d’habitation est considérée selon
trois modalités : les grandes villes et leurs banlieues, les villes de taille moyenne ou
petite ainsi que les villages et zones rurales.
19 Trois groupes de pays se distinguent (figures 3) : ceux où les habitants vivent en maison
et déclarent une vulnérabilité plus faible (Allemagne, Suisse, Suède, Pays-Bas,
Danemark et Portugal), ceux dont la vulnérabilité perçue est plus importante (Belgique,
Espagne, Pologne, Hongrie et Slovénie) et enfin ceux dont le type de logement ne
semble finalement pas avoir d’effet significatif.
20 « Toutes choses égales par ailleurs », le type de logement semble avoir peu d’incidence
sur le fait de se déclarer ou non vulnérable (tableau 1) et sur l’intensité de la
vulnérabilité (tableau 2). Les personnes vivant en appartement déclarent une
vulnérabilité plus faible en Autriche, France, Belgique, Hongrie, au Portugal et en
Slovénie et plus forte en Allemagne, Suède, Italie, au Danemark et en République
tchèque. Dans les quatre pays restants, le type de logement paraît avoir peu
d’influence. Les différences observées entre pays soulignent l’absence d’effet
systématique entre le type de logement et la perception de la vulnérabilité physique et
interroge sur les effets d’autres facteurs (annexe 1).
21 De la même manière, l’effet de la zone d’habitation et l’hypothèse d’une moindre
vulnérabilité perçue dans les zones urbaines (où les services sont plus accessibles) sont
difficiles à valider en raison des disparités nationales observées (figures 3). « Toutes
choses égales par ailleurs », la zone d’habitation a peu d’effet sur le fait de se déclarer
vulnérable (tableau 1) mais les habitants de zones rurales semblent toutefois se sentir
plus souvent modérément ou fortement vulnérables que ceux résidant dans des

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grandes villes ou leurs banlieues (tableau 2). Au contraire, ceux résidant dans des villes
de petite ou moyenne taille se déclarent moins souvent fortement ou moyennement
vulnérables que ceux vivant dans de grandes villes.
22 Le fait de se déclarer vulnérable est variable en fonction des pays (annexe 1) : la zone
d’habitation a peu d’effet en Autriche et Italie. En République tchèque, Belgique et
Hongrie, le fait de résider dans des villes moyennes ou petites a peu d’effet sur le
sentiment de la vulnérabilité alors que le fait de résider en zones rurales conduit au
contraire à se sentir plus fréquemment vulnérable. Le Portugal, quant à lui, se distingue
par une moindre importance de la vulnérabilité dans les zones rurales au contraire des
villes moyennes ou petites. Enfin, deux groupes de pays se distinguent : d’un côté, une
moindre fréquence de la vulnérabilité physique à la fois pour les habitants de zones
rurales et de villes moyennes ou petites (Allemagne, Suède, Pologne, Slovénie) et de
l’autre, une plus forte importance de la vulnérabilité dans les villes moyennes ou
petites (Espagne, France, Danemark, Suisse).

Figures 3. Score moyen de vulnérabilité physique perçue en fonction du pays de résidence et des
caractéristiques d’habitat des 60 ans ou plus en 2011

Champ : personnes âgées de 60 ans ou plus en 2011 vivant à domicile et ayant répondu à l’ensemble
des questions relatives aux capacités de mobilité, de selfcare et de réalisation des activités
quotidiennes
Source : enquête SHARE, vague 4

3) La situation socio-économique

23 Les conditions de vie socio-économiques sont reconnues comme influençant les


difficultés physiques rencontrées : les personnes ayant les conditions matérielles les
plus favorables rencontrent généralement moins précocement et fortement ces

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difficultés (Mormiche et al., 2003). Afin de vérifier ce résultat, le statut d’occupation est
utilisé pour tester l’hypothèse selon laquelle les propriétaires auraient des conditions
matérielles plus favorables que les non-propriétaires (locataires, sous-locataires,
personnes logées gratuitement).
24 Dans tous les pays – à l’exception de l’Espagne – la vulnérabilité physique perçue est
moins déclarée chez les propriétaires et ce, particulièrement au Portugal (figure 5).
« Toute chose égale par ailleurs », les non propriétaires sont également plus
fréquemment vulnérables (tableau 1) mais des disparités apparaissent entre pays : en
Espagne et en République tchèque, ils semblent, au contraire, moins souvent
vulnérables que les propriétaires et l’effet du statut d’occupation a peu d’importance en
Italie et en Pologne (annexe 1).
25 De la même manière, le nombre de pièces du logement est considéré comme un
indicateur de niveau de vie : une taille de logement importante pouvant refléter des
conditions socio-économiques plus satisfaisantes.
26 La taille du logement a un effet similaire dans l’ensemble des pays : plus la taille du
logement est petite, plus la vulnérabilité physique est perçue fortement. Ceci s’avère
particulièrement prégnant pour l’Autriche, l’Allemagne, la Suède, l’Italie et la Hongrie
avec des différences marquées selon la taille de logement. À l’inverse, dans certains
pays, les disparités sont peu marquées entre certaines tailles de logement comme en
France ou au Portugal où la vulnérabilité physique perçue est similaire chez les
habitants de logements de 1-2 pièces et de 3-4 pièces (figure 4).
27 Les régressions logistiques permettent de mettre en évidence une plus faible
propension à déclarer une vulnérabilité chez les personnes vivant dans de grands
logements (tableau 1), les habitants de petits logements déclarant plus fréquemment
une vulnérabilité moyenne ou importante (tableau 2). Le fait de déclarer une
vulnérabilité apparaît moins fréquent pour les habitants de grands logements (au
moins trois pièces) dans un plus grand nombre de pays et concerne les Autrichiens,
Espagnols, Italiens, Danois, Suisses, Polonais, Hongrois, Portugais et Slovènes. Trois
autres cas de figure apparaissent : une absence d’effet du fait de vivre dans un logement
de 3-4 pièces associée à une moindre fréquence de la déclaration de la vulnérabilité
pour les habitants des plus grands logements (Suède, Pays-Bas) ; une plus fréquente
déclaration de vulnérabilité pour les habitants de logements d’au moins trois pièces
(France, Belgique) et enfin, une plus faible propension à déclarer une vulnérabilité pour
les habitants de logements de 3-4 pièces associée à une plus forte propension pour les
habitants de logements de cinq pièces ou plus (Allemagne) (annexe 1).
28 Enfin, le niveau de vie est étudié en fonction du nombre d’années d’études à temps
plein déclaré par les personnes de 60 ans ou plus et leurs perceptions de leurs
conditions financières (des fins de mois perçues comme faciles ou assez faciles versus
des fins de mois perçues comme présentant quelques ou de grandes difficultés).
29 Les résultats confirment les hypothèses relatives aux niveaux de vie (figures 4). Ainsi,
les personnes déclarant un nombre moyen d’années d’études plus faible ont tendance à
se déclarer plus vulnérables. Les différences entre les deux sous-populations sont alors
les plus importantes en Hongrie et Slovénie tandis qu’elles restent les plus faibles en
Suisse et au Danemark. Les régressions semblent alors confirmer ces résultats : les
individus ayant fait le moins d’études sont également ceux qui se déclarent le plus
fréquemment vulnérables (tableau 1) et ce, quel que soit le pays considéré à l’exception

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de la Suède où le niveau d’études n’a que peu d’effets (annexe 1). Par ailleurs,
l’influence du niveau d’études est accentuée lorsqu’il s’agit de la vulnérabilité physique
modérée ou importante (tableau 2).
30 Les mêmes observations peuvent être établies concernant les conditions financières
avec une vulnérabilité plus faible pour ceux déclarant une certaine aisance financière.
Cette fois, les différences les plus importantes entre les deux sous-populations peuvent
être notées en Italie et Espagne. Une nouvelle fois, ces observations sont corroborées
par les régressions logistiques et ce, particulièrement pour la vulnérabilité moyenne ou
importante (tableaux 1 et 2). Toutefois, au Danemark, les individus avec les niveaux de
vie les moins importants déclarent également moins fréquemment une vulnérabilité
(annexe 1).

Figures 4. Score moyen de vulnérabilité physique perçue en fonction du pays de résidence et des
caractéristiques relatives au niveau de vie des 60 ans et plus en 2011

Champ : personnes âgées de 60 ans ou plus en 2011 vivant à domicile et ayant répondu à l’ensemble
des questions relatives aux capacités de mobilité, de selfcare et de réalisation des activités
quotidiennes
Source : enquête SHARE, vague 4

4) Le réseau social

31 Le réseau social peut avoir un effet positif sur les difficultés physiques : plus les
individus sont entourés, moins ils risquent de les ressentir (Andrew, 2005). L’entourage
est capté, dans l’étude par les personnes identifiées comme des « confidents »
(familiaux ou non) et considérées comme proches2 de la personne.
32 La taille du réseau social a une influence différente selon le pays, infirmant ainsi notre
hypothèse (figure 5). En Autriche, Allemagne, Suisse, République tchèque et Hongrie, le

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nombre de confidents ne semble pas avoir d’influence sur la perception de la


vulnérabilité. En France et au Portugal, au contraire, le fait d’avoir au moins deux
confidents fait diminuer la perception de la vulnérabilité tout comme aux Pays-Bas et
en Pologne où, toutefois, le fait d’avoir quatre confidents ou plus ne conduit pas à une
perception différente comparativement à ceux en ayant deux ou trois. De manière
similaire, en Belgique, Espagne et Italie, la vulnérabilité physique est moins fréquente à
partir de quatre confidents. Les cas suédois, danois et slovène se présentent alors
comme particuliers. Dans le premier pays, les individus déclarant deux ou trois
confidents ne semblent pas moins vulnérables que ceux n’en ayant pas ou un seul.
Également, la Suède est le seul pays où ceux ayant le plus grand réseau social sont aussi
les plus vulnérables. Au Danemark, la différence entre ceux qui n’ont pas ou peu de
réseau social et ceux qui ont deux ou trois confidents est similaire à celle observée en
Suède mais les personnes ayant le plus grand réseau social ont, en revanche, la plus
faible vulnérabilité. Enfin, en Slovénie, les plus vulnérables sont ceux qui ont trois ou
quatre confidents tandis que ceux qui ont le réseau le plus large sont les moins
vulnérables.
33 Les régressions logistiques ne confirment alors que partiellement ces résultats.
Globalement, les individus avec le réseau social le moins important sont également
ceux qui se déclarent plus fréquemment vulnérables (tableau 1) et avoir une
vulnérabilité modérée ou importante (tableau 2). De la même manière, les situations
nationales les plus répandues vont en ce sens. En Suède, Suisse, République tchèque et
Pologne, ce sont les individus dont les réseaux sociaux sont les moins importants qui
déclarent le plus souvent une vulnérabilité. Le cas slovène se présente à nouveau
comme particulier avec une plus forte propension à la vulnérabilité chez les individus
ayant trois ou quatre confidents (annexe 1).

Figure 5. Score moyen de vulnérabilité physique perçue en fonction du pays de résidence et du


nombre de confidents des 60 ans ou plus en 2011

Champ : personnes âgées de 60 ans ou plus en 2011 vivant à domicile et ayant répondu à l’ensemble
des questions relatives aux capacités de mobilité, de selfcare et de réalisation des activités
quotidiennes
Source : enquête SHARE, vague 4

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Tableau 1. Facteurs influençant la probabilité de ressentir une vulnérabilité (faible, modérée ou


importante) versus une absence de vulnérabilité (odds ratio du modèle logit)

Variables Présence de vulnérabilité

Sexe

Femme 1,41***

Homme Réf.

Âge

60-69 ans Réf.

70-79 ans 1,81***

80 ans ou plus 6,87***

Logement

Rural 1,03***

Villes moyennes et petites 0,96***

Grandes villes ou banlieues Réf.

Appartement 1,04***

Maison Réf.

Pas d’aménagement du logement 0,56***

Aménagement du logement Réf.

Conditions de vie

Non propriétaire 1,19***

Propriétaire Réf.

1-2 pièces Réf.

3-4 pièces 0,75***

5 pièces ou plus 0,68***

Fins de mois très ou un peu difficiles 1,99***

Fins de mois assez ou faciles Réf.

Moins de 10 ans d’études 1,22***

Plus de 10 ans d’études Réf.

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Entourage

Aucun ou un confident 1,26***

2 ou 3 confidents 1,27***

4 confidents ou plus Réf.

Lecture : les personnes âgées de 80 ans et plus ont plus de 6 fois plus de risque de ressentir une
vulnérabilité quelle que soit son intensité par rapport aux personnes âgées de 60 à 69 ans
Légende : * = 10 %, ** = 5 %, *** = 1 % ; Réf. = modalité de référence
Champ : personnes âgées de 60 ans ou plus en 2011 vivant à domicile et ayant répondu à l’ensemble
des questions relatives aux capacités de mobilité, de selfcare et de réalisation des activités
quotidiennes
Source : enquête SHARE vague 4

Tableau 2. Facteurs influençant la probabilité de ressentir une vulnérabilité modérée ou importante


versus une absence de vulnérabilité ou une vulnérabilité faible (odds ratio du modèle logit)

Variables Vulnérabilité modérée à importante

Sexe

Femme 0,74***

Homme Réf.

Âge

60-69 ans Réf.

70-79 ans 0,99***

80 ans ou plus 5,36***

Logement

Rural 1,16***

Villes moyennes et petites 0,80***

Grandes villes ou banlieues Réf.

Appartement 0,92***

Maison Réf.

Pas d’aménagement du logement 1,21***

Aménagement du logement Réf.

Conditions de vie

Populations vulnérables, 3 | 2017


La vulnérabilité physique perçue par les personnes âgées, une comparaison eur... 13

Non propriétaire 1,02***

Propriétaire Réf.

1-2 pièces Réf.

3-4 pièces 1,13***

5 pièces ou plus 0,65***

Fins de mois très ou un peu difficiles 2,29***

Fins de mois assez ou faciles Réf.

Moins de 10 ans d’études 2,85***

Plus de 10 ans d’études Réf.

Entourage

Aucun ou un confident 1,95***

2 ou 3 confidents 1,25***

4 confidents ou plus Réf.

Lecture : les personnes âgées de 80 ans et plus ont plus de 5 fois plus de risque de ressentir une
vulnérabilité quelle que soit son intensité par rapport aux personnes âgées entre 60 et 69 ans
Légende : * = 10%, ** = 5%, *** = 1% ; Réf. = modalité de référence
Champ : personnes âgées de 60 ans ou plus en 2011 vivant à domicile et ayant répondu à l’ensemble
des questions relatives aux capacités de mobilité, de « selfcare » et de réalisation des activités
quotidiennes
Source : enquête SHARE vague 4

IV. Mobilité et réalisation des activités quotidiennes,


composantes principales de la vulnérabilité physique
34 L’étude de la vulnérabilité physique dans son ensemble ne permet pas de rendre
compte de la manière dont les personnes de 60 ans ou plus perçoivent chacune de ses
composantes. En effet, un même score de vulnérabilité peut résulter d’une intensité
différente de ses trois composantes principales.
35 Celle présentant la moyenne la plus importante – et donc l’influence la plus forte de la
vulnérabilité physique – est observable pour les incapacités liées à la marche (Moyenne
(M)=1,33 ; Écart-type (StD)=0,49). Comme pour la vulnérabilité physique dans son
ensemble, des disparités entre les pays – bien qu’encore une fois restreintes – sont
visibles mais selon une hiérarchie partiellement modifiée par rapport à l’échelle
globale de vulnérabilité (figures 6). Ainsi, les moyennes de ressenti d’incapacités liées à
la mobilité restent faibles en Suède, au Danemark et en Suisse. À l’inverse, ce sont cette
fois dans les populations hongroises, tchèques et slovènes que les problèmes de
mobilité sont en moyenne les plus élevés. Le score moyen global observé pour les

Populations vulnérables, 3 | 2017


La vulnérabilité physique perçue par les personnes âgées, une comparaison eur... 14

incapacités en lien avec la réalisation des activités quotidiennes (autres que toilette et
habillage) est, par ailleurs, relativement proche de celui lié aux difficultés de marche
(M=1,27 ; StD=0,51). À nouveau, la Suède se distingue par le score moyen le plus faible
(M=1,09 ; StD=0,31) tandis que la Hongrie présente celui le plus élevé (M=1,49 ;
StD=0,62). Enfin, les incapacités dans le domaine du selfcare sont celles qui sont les
moins intensément notées par les 60 ans ou plus (M=1,14 ; StD=0,4). Pour cette
composante, les disparités entre les pays sont encore plus restreintes que pour les deux
premières ce qui nécessiterait une analyse plus fine pour en comprendre les raisons.
Ainsi, la moitié des pays présente un score moyen indiquant une absence de difficultés
(Allemagne, France, Suisse, Suède, Pays-Bas, Danemark et République tchèque) et aucun
pays n’affiche de score supérieur à 1,3.

Figures 6. Répartition des pays en fonction du score moyen de difficulté par composante de la
vulnérabilité physique des 60 ans ou plus en 2011

Lecture : dans le groupe Europe occidentale, la Suisse a un score moyen de difficultés de marche de
1,2 tandis que celui de la Belgique est de 1,3
Légende : AT = Autriche, DE = Allemagne, FR = France, CH = Suisse, BE = Belgique, SW = Suède, NL =
Pays-Bas, DN = Danemark, SP = Espagne, IT = Italie, PT = Portugal, CZ = République tchèque, PL =
Pologne, HU = Hongrie et SL = Slovénie
Champ : personnes âgées de 60 ans ou plus en 2011 vivant à domicile et ayant répondu à l’ensemble
des questions relatives aux capacités de mobilité, de selfcare et de réalisation des activités
quotidiennes
Source : enquête SHARE, vague 4

36 À l’échelle agrégée, quelle que soit la variable, les personnes âgées de 60 ans ou plus
déclarent moins souvent de difficultés vis-à-vis du selfcare au contraire de celles liées à
la marche. Par ailleurs, des tendances observées précédemment apparaissent à
nouveau : les femmes se disent plus en difficulté et ce, quelle que soit la composante de
vulnérabilité considérée. La même observation peut être faite concernant l’âge : les

Populations vulnérables, 3 | 2017


La vulnérabilité physique perçue par les personnes âgées, une comparaison eur... 15

70-79 ans – et surtout les 80 ans ou plus – déclarant pour toutes les composantes avoir
plus de difficultés que leurs cadets.
37 Des constats similaires peuvent être émis concernant les conditions de vie avec une
situation plus favorable chez les propriétaires concernant la marche et la réalisation
des activités quotidiennes (les déclarations concernant le selfcare sont similaires pour
les deux sous-populations) et plus la taille du logement est importante, plus la
déclaration de chaque composante de la vulnérabilité est faible. Également, les
personnes ayant une certaine aisance financière, tout comme celles ayant un parcours
d’instruction plus long, se disent moins gênées pour chacune des composantes étudiées.
38 Par ailleurs, les personnes ayant aménagé leur logement ont plus de difficultés dans
chaque domaine (toilette, habillage, autres activités de la vie quotidienne et mobilité)
tandis que les différences observées entre les habitants de maison et ceux de
différentes zones d’habitations restent relativement faibles.
39 Enfin, pour chaque composante, les disparités entre individus ayant peu ou beaucoup
de confidents restent également relativement restreintes.

V. Conclusion
40 La vulnérabilité physique perçue par la population âgée de 60 ans et plus est évaluée de
faible intensité et semble fortement liée aux caractéristiques individuelles. Ceci semble
donc aller à l’encontre de la vision institutionnelle de l’état physique de la population
âgée (voir supra). Si les plus âgés sont également ceux qui se perçoivent les plus
fortement vulnérables, les résultats présentés dans cet article ne peuvent cependant
certifier du caractère inéluctable de la vulnérabilité avec l’avancée en âge. Malgré la
hausse de son intensité, l’appréciation de la vulnérabilité physique demeure
relativement faible même pour les individus les plus âgés. Par ailleurs, les données
utilisées ne permettent pas de distinguer un potentiel effet d’âge d’un effet de
génération bien que le premier puisse être, sans grand risque, avancé. Les variations
constatées entre les différentes caractéristiques individuelles nous amènent également
à envisager leur interrelation dans le processus d’apparition de la vulnérabilité – voire
dans son évolution. Les différences entre les pays conduisent aussi à s’interroger sur les
causes culturelles, institutionnelles ou politiques conduisant à ces constats. Enfin, ce
sont essentiellement les difficultés liées à la marche qui sont mises en évidence par les
déclarations des personnes âgées. Dès lors, la perte d’autonomie et la dépendance
semblent, à travers cette analyse, relativement limitées parmi les personnes vivant à
leur domicile interrogées dans les différents pays européens.

Encadré 1. L’enquête SHARE

Présentation de l’enquête

Lancée en 2002 et menée tous les deux ans depuis 2004, l’enquête SHARE devrait
être conduite jusqu’en 2024 en s’intéressant particulièrement aux questions
relatives à la santé, aux conditions de vie socio-économiques ainsi qu’aux relations
sociales des européens de 50 ans ou plus. Le but de l’enquête est ainsi de constituer
un panel de personnes âgées à l’échelle européenne et de constituer une source de
données de grande ampleur.

Populations vulnérables, 3 | 2017


La vulnérabilité physique perçue par les personnes âgées, une comparaison eur... 16

Aujourd’hui constituée de cinq vagues d’enquêtes, SHARE se base sur quatre types
de collecte d’informations : des interviews en face-à-face, des tests physiques et
cognitifs, un questionnaire auto-administré ainsi qu’un entretien de fin de vie avec
un proche du répondant en cas de décès. Elle permet une exploitation
longitudinale des données via un suivi de l’échantillon et présente plusieurs
particularités et intérêts : le fait qu’elle soit menée et utilisée avec une visée
pluridisciplinaire, une harmonisation des données ex ante ainsi que la conduite d’une
troisième vague entièrement rétrospective portant sur l’ensemble des grands
questionnements de SHARE (Barangé et al., 2008 ; Blanchet, Dourgnon, 2004 ;
Börsch-Supan, 2013).

La quatrième vague de l’enquête utilisée ici présente plusieurs innovations dont la


participation de quatre nouveaux pays, l’introduction d’un module interrogeant
les relations sociales ainsi que la mise en place d’examens médicaux (Börsch-
Supan, 2013).

Caractéristiques de la population

La population constitutive de l’échantillon comporte 29 877 personnes


sélectionnées en raison du fait qu’elles vivent à domicile et qu’elles aient répondu
aux trois questions constitutives de l’échelle de vulnérabilité (voir infra). Les
répondants présents dans l’échantillon disposent toutefois de caractéristiques
similaires à l’ensemble de la population des 60 ans ou plus telle que présentée dans
l’enquête SHARE. Dans tous les pays, la population est principalement jeune (entre
46 % et 58 % de 60-69 ans en fonction des pays) et féminine. De la même manière,
quel que soit le pays, les aménagements du logement restent minoritaires : de
moins de 1 % des 60 ans ou plus (Pologne) à un peu plus de 16 % (Pays-Bas)
(tableau 3). Les individus résident également le plus souvent dans des zones
urbaines. Les modes de vie sont différenciés selon les territoires : même si la
majorité des personnes étudiées vivent en maison individuelle, on constate qu’en
Suisse, en Espagne et en Italie, la part des personnes en maison individuelle est
équilibrée par rapport à celle des personnes en appartement et qu’en République
tchèque, les personnes vivent en majorité en appartement. L’accès à la propriété
est observable dans la quasi-totalité des pays, bien qu’il soit moins important en
Autriche, Allemagne et Suisse. Également, si la taille de logement la plus fréquente
est de trois à quatre pièces, les pays de l’Est (hors République tchèque) se
caractérisent par des logements en moyenne plus petits. Des différences
géographiques émergent également concernant les conditions financières avec
une aisance financière plus forte dans les pays d’Europe du Nord et occidentale
que dans les pays de l’Est et du Sud de l’Europe. Enfin, les variables relatives à
l’entourage mettent en lumière que le nombre de confidents (les membres de la
famille font partie des confidents dans l’enquête SHARE) est assez proche dans les
pays du Nord et de l’Ouest avec deux ou trois confidents déclarés (sauf en
Belgique) alors que les répondants des pays du Sud et de l’Est déclarent plus
fréquemment n’en avoir qu’un seul, voire aucun (tableau 3).

Populations vulnérables, 3 | 2017


La vulnérabilité physique perçue par les personnes âgées, une comparaison eur... 17

Tableau 3. Répartition de la population selon le pays de résidence et les caractéristiques


individuelles

Champ : personnes âgées de 60 ans ou plus en 2011 vivant à domicile et ayant répondu à l’ensemble
des questions relatives aux capacités de mobilité, de selfcare et de réalisation des activités
quotidiennes
Source : enquête SHARE, vague 4

Encadré 2. Création d’une échelle de vulnérabilité physique

L’indicateur de vulnérabilité physique est créé à partir de trois composantes issues


du questionnaire auto-administré de la quatrième vague de l’enquête SHARE 3
(encadré 1). La première composante est celle de la mobilité et repose
exclusivement sur les facultés de marche sans plus de précision sur
l’environnement dans lequel elles peuvent apparaître. La seconde composante est
relative au selfcare, soit la capacité à s’habiller et se laver seul. Enfin, la troisième
composante, celle de l’autonomie dans les autres activités quotidiennes, laisse aux
répondants une totale liberté dans la détermination de ces activités (le terme
utilisé est ainsi celui « d’activités habituelles »)4. L’utilisation de ces questions
permet de disposer pour chaque composante d’un même nombre de modalités
construites sur le même modèle mais laisse néanmoins place à une certaine
subjectivité dans les réponses. Ainsi, ces dernières peuvent, par exemple, être
orientées à la fois sur leurs habitudes de vie : des personnes ayant été habituées à
réaliser peu d’activités de la vie quotidienne peuvent toujours être en capacité de
toutes les entreprendre tandis que d’autres, plus actives, pourront se montrer plus
réservées si elles n’ont pas la capacité de les accomplir intégralement.

Chacune des composantes (mobilité, selfcare et réalisation des autres activités


quotidiennes) a été notée entre 1 (n’avoir aucune difficulté) et 3 (être incapable

Populations vulnérables, 3 | 2017


La vulnérabilité physique perçue par les personnes âgées, une comparaison eur... 18

de). Ces critères ont ensuite été sommés en une échelle unique de vulnérabilité
dont les valeurs sont comprises entre 3 et 9 inclus5. Dès lors, les valeurs les plus
faibles s’apparentent à une vulnérabilité faible ou inexistante tandis que les plus
élevées révèlent une intensité importante du phénomène. L’étude des différentes
composantes du score de vulnérabilité physique met en avant une faiblesse de
l’intensité des déclarations sur l’ensemble des trois composantes prises en compte
(marche, selfcare et réalisation des autres activités quotidiennes). À l’échelle
agrégée, les personnes âgées de 60 ans ou plus déclarent moins souvent de
difficultés vis-à-vis du selfcare et plus souvent de difficultés liées à la marche. Les
femmes se disent plus en difficulté et ce, quelle que soit la composante de
vulnérabilité considérée. La même observation peut être faite concernant l’âge :
les 70-79 ans – et surtout les 80 ans ou plus – déclarant pour toutes les
composantes avoir plus de difficultés que leurs cadets.

L’auto-questionnaire de l’enquête SHARE permet également d’aborder les


questions de la douleur et de l’inconfort d’un côté, et celles de l’anxiété et de la
dépression, de l’autre. Ces deux dimensions n’ont pas été retenues. Pour la
première, les douleurs entraînant des difficultés sources de vulnérabilité étaient
déjà prises en compte dans les trois composantes retenues. Pour la seconde, qui
pourrait apporter une dimension psychologique à la mesure de la vulnérabilité, le
choix a été fait de ne conserver que les indications relatives à la vulnérabilité
purement physique afin d’en dégager les spécificités.

Populations vulnérables, 3 | 2017


La vulnérabilité physique perçue par les personnes âgées, une comparaison eur... 19

Tableau 4. Facteurs influençant la probabilité de ressentir une vulnérabilité (faible, modérée ou


importante) versus une absence de vulnérabilité (odds-ratio du modèle logit)

Légende : *=10 %, **=5 %, ***=1% ; Réf=modalité de référence
Champ : personnes âgées de 60 ans ou plus en 2011 vivant à domicile et ayant répondu à l’ensemble
des questions relatives aux capacités de mobilité, de selfcare et de réalisation des activités
quotidiennes
Source : enquête SHARE vague 4

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NOTES
1. Thèse de démographie intitulée Conditions d’habitat, entourage, politiques publiques : l’adaptation
des logements des personnes âgées en Europe.
2. La question posée dans l’enquête est la suivante : « En pensant aux douze derniers mois,
quelles sont les personnes avec qui vous avez le plus souvent discuté des choses importantes
pour vous ? Ces personnes peuvent être des membres de votre famille, des amis, voisins ou autres
connaissances. ».
3. Lors de cette vague d’enquête, le questionnaire auto-administré se concentrait exclusivement
sur les questions de santé physique et mentale, incluant notamment des questions sur le
sentiment de solitude.
4. La question est ainsi posée de la manière suivante : « Premièrement, nous listons quelques
éléments que les personnes ont utilisés pour décrire leur santé. En cochant une case dans chacun
des groupes suivants, indiquez quels éléments décrivent le mieux votre propre état de santé
actuellement » et les modalités suivantes étaient proposées : « 1. Je n’ai aucun problème à
effectuer mes activités habituelles ; 2. J’ai quelques problèmes à effectuer mes activités
habituelles ; 3. Je suis incapable de réaliser mes activités habituelles. »
5. Alpha de Cronbach=0,8. Ce coefficient permet de mesurer la corrélation entre les questions
posées sur un même sujet. Sa valeur est comprise entre 0 et 1 et doit être supérieure à 0,7.

RÉSUMÉS
Cet article traite de la question de la vulnérabilité physique perçue par les personnes âgées de 60
ans ou plus résidant dans quinze pays européens. L’intensité de la vulnérabilité y est
appréhendée selon les caractéristiques démographiques des individus, leurs conditions d’habitat,
leurs niveaux de vie et leurs réseaux sociaux. Si les personnes appartenant aux groupes d’âge les
plus avancés se déclarent plus fortement vulnérables, certains résultats (comme le sexe, la durée
des études et le niveau de revenu ou encore le statut d’occupation vis-à-vis de l’activité
professionnelle) sont largement observés dans plusieurs pays, et pour d’autres (comme le type de
logement ou de zone d’habitation et la taille du réseau social), les différences entre les pays sont
trop marquées pour établir un modèle de compréhension des disparités.

INDEX
Mots-clés : vulnérabilité physique, vulnérabilité perçue, personnes âgées, Europe
Keywords : physical vulnerability, perceived vulnerability, older people, Europe

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AUTEUR
MÉLANIE LEPORI
Doctorante en démographie à l’Université de Strasbourg, laboratoire Sociétés, Acteurs,
Gouvernement en Europe (SAGE, UMR 7363). Sa thèse s’intéresse à la question du logement des
personnes âgées dans plusieurs pays européens

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