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Les « victimes » ecclésiastiques de la Terreur *

Stéphane BACIOCCHI, Philippe BOUTRY

Parler des « victimes ecclésiastiques de la Terreur » ne va pas de soi. Cela


suppose tout d’abord de définir ce qu’on entend par « Terreur » - ce qui
est l’objet même de notre colloque – mais aussi ce qu’on entend par
« victime » et par « ecclésiastique ». Si l’on définit grossièrement la
« Terreur » par la période qui va du décret du 5 septembre 1793 jusqu’aux
dernières conséquences, pour ce qui concerne notre objet, de la politique
religieuse de déchristianisation et de « déprêtrisation » conduite par la
Convention nationale en l’an II, c’est-à-dire de l’automne 1793 à
l’automne 1794, et si l’on entend par « ecclésiastiques » les membres du
clergé catholique séculier et régulier de l’un et l’autre sexe, reste à savoir
ce qu’on comprend sous la notion ambivalente de « victimes », à la fois
mobilisée par une partie des acteurs contemporains (elle constitue en ce
sens une catégorie indigène) et reprise dans le cours d’une historiographie
conflictuelle.
Ce sont à l’évidence les incertitudes pesant encore sur ce terme qui
constituent l’explication fondamentale de l’étonnante et persistante lacune
statistique qui entoure la question ici soulevée : plus de deux siècles après
les événements et en dépit des tombereaux de recherches et de travaux,
locaux, régionaux et nationaux, conduits sur les ecclésiastiques décédés
durant la période considérée, notamment de la part de l’historiographie
catholique, on ne possède encore à ce jour ni chiffre global, ni liste
nominale, ni élaboration statistique, ni chronologie fine, ni cartographie
fidèle du phénomène ; et le récent et très remarquable fascicule de l’Atlas
de la Révolution française consacré à la Religion, au chapitre « La
déchristianisation de l’an II », est presque muet sur ce point1.
La raison principale en est simple et procède d’un choix de méthode
lourd de conséquences à venir : ce ne sont pas des listes de morts que les
premiers historiens ont rassemblées et reconstituées : ce sont des listes de
« martyrs », et ceci, comme l’a démontré Bernard Plongeron, dès les
premières effusions de sang quantitativement significatives, c’est-à-dire

* Ce texte constitue la version remaniée de notre intervention au colloque de Rouen. Nous


en avons affiné et discuté les attendus dans le cadre du séminaire « Religion et Révolution
française : histoire et mémoire (XVIIIe – XIXe siècles) » de l’EHESS. Nous tenons à
remercier pour leurs critiques et leurs suggestions Isabelle Brian, Charlotte de Castelnau,
Dominique Julia et Pierre Serna.
1
Claude Langlois, Timothy Tackett, Michel Vovelle ; Serge Bonin, Madeleine Bonin,
Atlas de la Révolution française. 9 - Religion, Paris, Éditions de l’EHESS, 1996.
2 Stéphane BACIOCCHI, Philippe BOUTRY

dès que furent connus les massacres de septembre 1792. La catégorie


traditionnelle du « martyr » comme témoin de la foi jusqu’au sacrifice de
sa vie a été en effet immédiatement réemployée par les premiers
commentateurs catholiques des massacres de prêtres de l’été 1792, dans
les prisons parisiennes, mais aussi, plus ponctuellement, comme l’ont
montré Pierre Caron et Richard Cobb, en province. C’est l’expérience
historique des premiers siècles du christianisme qui a constitué, pour ainsi
dire « naturellement », dans la culture ecclésiastique de la fin du XVIIIe
siècle, le cadre d’intelligibilité des événements et lui a fourni ses
catégories de pensée et son lexique presque bimillénaire : « martyr » donc,
mais également « persécuteur » et « persécution », « bourreau » et
« sacrifice », ou encore « schisme » et « schismatique » pour qualifier la
Constitution civile du clergé et les prêtres constitutionnels, « apostasie » et
« apostat » pour nommer ces prêtres qui renient explicitement et
publiquement, souvent avec véhémence, leur ancienne croyance et leur
ministère passé, que Michel Vovelle a proposé ailleurs de nommer
« imprécateurs ».
Ces choix ne sont pas neutres, on s’en doute : la qualification de
« martyr » appliquée aux victimes de la Révolution française – en bonne
doctrine, pour que l’appellation soit justifiée aux yeux de l’Église
catholique, il faut que le bourreau ait agi et que le martyr ait péri, « en
haine de la foi », in odium fidei – ne répond nullement au lexique de
l’historien et se voit récusée par les révolutionnaires eux-mêmes, comme
par l’ensemble de l’historiographie universitaire – mais constitue une
catégorie centrale de l’hagiographie, qui peut permettre à l’Église dans
l’avenir de construire et d’argumenter juridiquement une « Cause ». Le
jeune Albert Mathiez s’en indigne, qui dénonce, en novembre 1905, dans
la première Revue d’histoire moderne et contemporaine, la « volumineuse
littérature hagiographique » qui a pris naissance « depuis que le cardinal
Richard a institué, le 14 mars 1901, un tribunal ecclésiastique, avec
mission de procéder aux informations canoniques en vue de la
béatification et canonisation des prêtres victimes des massacres de
septembre »2.
Or c’est dans le cadre de cette hagiographie, parcourue par une
intense mise en cause de la Révolution française elle-même, considérée
comme un « bloc », et passionnellement dirigée contre elle, qu’ont été
principalement accumulés, dès l’origine puis tout au long du XIX e et du
XXe siècle, les listes des victimes ecclésiastiques de la Révolution

2
Albert Mathiez, « Coup d’œil critique sur l’histoire religieuse de la Révolution », Revue
d’histoire moderne et contemporaine, 1905-1906, n°7, p. 109-110.
Les victimes ecclésiastiques de la Terreur 3

française3. L’histoire de cette histoire n’est pas encore complètement faite


à ce jour ; et ce sera l’un des enjeux, et non des moindres, de l’enquête
que nous entreprenons que d’établir, autant que faire se pourra, l’origine
(le plus souvent ecclésiastique) des premières listes de victimes et la
collation systématique des témoignages, des mémoriaux et des relations
dans le cadre de ce que la philologie allemande appellerait une
Quellenforschung, c’est-à-dire une investigation systématique sur les
sources de l’histoire elle-même. Elle mettra en évidence les deux familles
de sources au principe du stemma des listes d’ecclésiastiques décédés. En
effet, il apparaît capital de confronter méthodiquement deux ensembles de
documents trop souvent allégués séparément par les historiens : les
sources révolutionnaires d’une part, les sources ecclésiastiques d’autre
part. Du côté révolutionnaire, il s’agira de prendre en compte les tableaux
et listes d’exécution publiés par les autorités révolutionnaires elles-mêmes
(ainsi à Marseille, Lyon et Paris), puis les nécrologes ou listes de
« victimes » produites par le moment thermidorien en vue d’une première
évaluation – polémique, partielle et partiale – de la Terreur. Sur le versant
ecclésiastique, il conviendra d’intégrer ce que la tradition catholique
nomme des « martyrologes » – les deux plus notables, ceux des abbés
Caron et Guillon, qui, rassemblant un matériau accumulé pendant la
Révolution, sont opportunément publiés sous la Restauration – puis la
constitution de multiples « histoires religieuses de la Révolution » par
diocèse ou par département, sous le schème de la « persécution
religieuse », à travers différentes strates, dont la plus notable se situe au
lendemain du premier centenaire de 1789 et en réaction contre lui, au
tournant des XIXe et XXe siècles. C’est à ce moment que s’opère le retour
aux sources archivistiques et testimoniales et l’identification des victimes
par les méthodes de l’histoire positive et critique, notamment par un
recours massif aux sources alors encore négligées que sont les registres
des baptêmes et des sépultures, prélude nécessaire à l’ouverture des
premiers procès de béatification à la fin du XIXe siècle : la première
Cause à aboutir, au lendemain de la Séparation des Églises et de l’État (et
cette chronologie n’est nullement le fait du hasard), sera celle des seize
carmélites de Compiègne, en 1906.
On comprend mieux dès lors la difficulté, qui est la nôtre, de
construire une analyse proprement historique et sociologique du
phénomène, c’est-à-dire dégagée de la gangue épaisse des interprétations
antagonistes et des schèmes historiographiques, en usant de catégories
recevables par l’ensemble des praticiens des sciences sociales. C’est
pourquoi nous progresserons dans le cours de ce bref exposé liminaire en

3
Ainsi, dès l’automne 1792, l’abbé Barruel, émigré à Londres, réunit les listes de
« martyrs de septembre » qu’il publiera dans son Histoire du clergé pendant la Révolution
française, ouvrage dédié à la Nation angloise, Londres, Debrett, 1793.
4 Stéphane BACIOCCHI, Philippe BOUTRY

deux temps. Nous présenterons d’abord les principes d’une


prosopographie des victimes ecclésiastiques de la Terreur, en traitant
successivement de la question de l’identification des individus, des
processus accusatoires et des circonstances des décès, du statut
ecclésiastique, des catégorisations révolutionnaires et, enfin, de la
localisation des victimes. Ce qui nous conduira ensuite à réfléchir en
termes de cartographie et de chronologie sur la plus importante liste
nominative de victimes catholiques publiée au lendemain de la Révolution
française, qui constitue, par ses présupposés, son information, ses
méthodes de travail et son système d’interprétation, la source sinon la base
de la grande majorité des reconstitutions à venir, à savoir le martyrologe
de l’abbé Guillon, paru en quatre volumes en 1821 et fort de 2734 notices
individuelles couvrant l’ensemble de la période révolutionnaire4.

Principes d’une prosopographie des victimes ecclésiastiques de la


Terreur
Disons-le d’emblée, nous n’apportons pas ici le nombre total des victimes
ecclésiastiques pour la période considérée. Ce nombre, que nous ne
cessons de construire et de réviser, sera l’une des résultantes de l’enquête.
Mais, familiarisés avec la lecture de milliers de notices biographiques
individuelles dispersées dans des sources très hétérogènes, nous pouvons
dès à présent examiner les choix, les partis pris et les perspectives suivant
lesquelles nous comptons élaborer ces chiffres. Les difficultés rencontrées
dans l’établissement d’une liste de victimes sont en effet une source
inépuisable de réflexions théoriques et méthodologiques dont l’inventaire
peut être présenté ici sous la forme d’une série instructive de questions à
résoudre. Nous les regrouperons, pour la commodité de l’exposé, en cinq
ensembles problématiques qui organisent notre travail prosopographique.
La question de l’identification individuelle des victimes
La question de l’identification individuelle des victimes, comme
généralement dans les cas de violences collectives, s’est posée dès

4
Abbé Aimé Guillon [de Montléon], Les Martyrs de la foi pendant la Révolution
française, ou Martyrologe des pontifes, prêtres, religieux, religieuses, laïcs de l’un et
l’autre sexe, qui périrent alors pour leur foi, Paris, Germain Mathiot, 1821, 4 vol. Cette
publication fut saluée par les principaux quotidiens politiques de la Restauration (Gazette
de France des 12 février et 7 mars 1821 ; Journal des Débats du 4 mars ; Moniteur
universel du 8 mars ; Journal des villes et des campagnes du 4 avril ; Quotidienne du 28
avril 1821). Dans les milieux catholiques, l’accueil fut plus critique, comme en témoignent
les longues recensions de L’Ami de la Religion et du Roi des 27 janvier, 3, 14 et 24 février
1821, et de La France Chrétienne des 24 janvier et 3 février 1821. Voir Germain Mathiot,
« Observations de l’Éditeur sur les critiques que deux journaux, dits Religieux, ont faites
de l’ouvrage intitulé : Martyrs de la Foi pendant la Révolution Française », Les Martyrs de
la Foi..., op. cit., vol. 2, p. I-XLII.
Les victimes ecclésiastiques de la Terreur 5

l’origine ; elle est constitutive du problème. En 1911, Antonin Portallier,


l’auteur lyonnais du « premier [tableau régional] qui donne tout à la fois
les noms (rectifiés) et les prénoms des patients [sic], le lieu de leur
naissance, leur profession ou leur qualité, leur dernier domicile, leur âge,
le genre de leur mort, la date de leur condamnation et celle de leur
exécution »5, souligne les « difficultés du travail » sur les sources de
l’époque et soulève ce qu’il appelle la question des « noms défigurés ». Il
en fournit quelques exemples topiques : « Dupié » pour Pupier ;
« Halamée » pour Bournet d’Allamel ou encore « Renel Divoiry » pour
Lenel d’Yvoiry...
La question de l’identification s’était posée dès Thermidor avec la
publication d’un ouvrage capital dans la constitution de l’historiographie
des victimes de la terreur légale, le « Dictionnaire des individus
condamnés à mort pendant la Révolution » inclus dans l’Histoire générale
et impartiale des erreurs, des fautes et des crimes commis pendant la
Révolution française de Louis-Marie Prudhomme publié en l’an V, qui
contient 12 829 notices. On sait que Prudhomme a fondé son information
à partir des nombreux « tableaux » des exécutions ordonnées par les
tribunaux révolutionnaires qu’il avait lui-même publiés en grande partie
dans son journal Les Révolutions de Paris6. Or son ouvrage a été très tôt
disqualifié en raison des trop nombreuses erreurs qu’il contient dans la
liste des victimes ou dans la graphie de leurs noms : en effet, Prudhomme
intègre parfois la liste des prévenus plutôt que celle des personnes
effectivement exécutées ; sa publication précipitée laisse subsister des
erreurs de copie et tend à estropier de nombreux noms propres, en
particulier ceux des victimes des jugements des commissions militaires
effectués en masse et rapidement. Or l’ouvrage de Prudhomme, ce
« martyrologe thermidorien » pour reprendre l’expression d’Alain Corbin,
est l’une des sources essentielles du martyrologe catholique de l’abbé
Guillon : ce dernier puise dans les 1 100 notices de victimes
ecclésiastiques fournies par Prudhomme l’information de 716 notices de
son propre ouvrage : il a en fait écarté, lorsqu’il en avait connaissance, les
notices des prêtres constitutionnels non rétractés, et a fortiori de ceux qu’il
considère comme des « apostats » – nous reviendrons plus avant sur ce
point capital. En ce qui concerne la déformation des noms, non seulement
Guillon ne corrige pas les graphies de Prudhomme, mais au contraire de
ce dernier, il prend le parti d’une transcription patronymique mettant en
évidence les particules nobiliaires. Il convient enfin de garder à l’esprit

5
Tableau général des victimes et martyrs de la Révolution en Lyonnais, Forez et
Beaujolais, spécialement sous le Régime de la Terreur (1793-1794), accompagné de
nombreuses notices biographiques..., Saint-Étienne, Théolier, 1911, Avertissement, p.[IX].
6
Joseph Zizek, « ‘‘Plume de fer’’ : Louis-Marie Prudhomme Writes the French
Revolution », French Historical Studies, 2003, vol. 26, n°4, p. 619-660.
6 Stéphane BACIOCCHI, Philippe BOUTRY

que le dictionnaire de Prudhomme constitue aussi la source princeps des


histoires de la justice révolutionnaire en son moment « terroriste », dont
les deux seules véritables enquêtes d’ensemble, celle de Charles Berriat-
Saint-Prix dans les années 1860 et de Donald Greer en 1935. Relevons dès
à présent que, là où Berriat-Saint-Prix n’avait pu enquêter de première
main ou auprès d’un correspondant local, il s’était appuyé par défaut sur
les listes de Prudhomme pour 32 départements ; et que, soixante-dix
années plus tard, Donald Greer, faute de monographies locales publiées
entre temps, a conservé les chiffres de Prudhomme pour 9 départements ;
il s’est appuyé sur les données de Berriat-Saint-Prix pour 25
départements, et pour 15 autres encore sur les comptages de l’historien
universitaire et catholique Henri Alexandre Wallon. C’est dire ici la
continuité documentaire de cette « tradition » historiographique7.
L’apport quantitatif des sources ecclésiastiques soulève, par sa
structure d’enquêtes essentiellement diocésaines, d’autres interrogations
que nous développerons plus avant. L’historiographie catholique des XIXe
et XXe siècles, en s’intéressant à l’identité des personnes plutôt qu’à
l’activité des tribunaux, dans la perspective des procès de canonisation qui
est la sienne, mobilise diversement les sources et se révèle
complémentaire de l’approche précédente : elle s’efforce en effet
d’identifier les victimes en fournissant leurs actes de baptême, ce qui
constitue aujourd’hui pour l’historien un matériau de premier ordre,
autrement difficile d’accès, pour l’étude des origines sociales et
géographiques des victimes. Sur ce point, l’utilité des martyrologes locaux
est évidente pour notre propos, même s’ils soulèvent de nouvelles
difficultés.
Processus accusatoires et circonstances des décès
Au demeurant, l’identification individuelle ne constitue qu’un point de
départ de l’enquête : les victimes appartiennent en effet à des groupes
diversement caractérisés selon les situations. À cet égard, le martyrologe
concurrent de celui de l’abbé Guillon, celui de l’abbé Caron, Les
Confesseurs de la foi, est fort instructif8. Il privilégie une approche à la

7
C. Berriat-Saint-Prix, « Statistique de la justice révolutionnaire », La Justice
révolutionnaire à Paris et dans les départements d’après des documents originaux, la
plupart inédits (17 août 1792 – 12 prairial an III), n° VII, Extrait du Cabinet historique,
Paris, Pillet, s.d. [1865], 39 p. ; Donald Greer, The Incidence of the Terror during the
French Revolution. A Statistical Interpretation, New York, Harvard University Press,
« Harvard Historical Monographs » n° VIII, 1935, VI-196p ; et H.A. Wallon, Les
représentants du peuple en mission et la justice révolutionnaire dans les départements en
l’an II (1793-1794), Paris, Hachette, 1889-1890, 5 vol.
8
Abbé Guy Toussaint Julien Carron, Les Confesseurs de la foi dans l’Église gallicane à la
fin du XVIIIe siècle, ouvrage rédigé sur des mémoires authentiques, Paris, Leclère, 1820, 4
volumes en XXIII-512 p. (51 notices), 514 p. (65 notices), 519 p. (65 notices) et 488 p. (27
notices).
Les victimes ecclésiastiques de la Terreur 7

fois temporelle et collective des victimes ecclésiastiques : Caron rédige


des notices groupées placées sous le nom de la victime la plus illustre ou
la plus exemplaire (l’archevêque d’Arles pour les massacres de
Septembre, la supérieure pour les carmélites de Compiègne, etc.) et les
distribue par ordre chronologique, de 1790 – la bagarre de Nîmes –
jusqu’à la fin du Directoire. Ce sont ici les notions de « groupe de
martyrs » et de témoignage collectif qui sont pertinentes et nous
introduisent à des considérations sociologiques sur les univers victimaires.
Faisant fond du même matériau testimonial, l’abbé Guillon, en rédigeant
son propre martyrologe, organise alphabétiquement les composantes
individuelles de ces groupes de victimes tout en les liant entre elles à la
fois par un système de renvois thématiques et interpersonnels (nous en
avons recensés plus de 5 000) et par des récits composés, de notice en
notice, suivant la même grammaire.
Ainsi les quatre volumes de l’abbé Caron où sont déclinés les
« noms et qualités des victimes dont les souffrances sont consignées dans
ce volume » esquissent une phénoménologie des « persécutions » et du
« martyre » : massacres individuels ou collectifs, exécutions légales sur
l’ordre des tribunaux révolutionnaires ou des commissions militaires,
morts lentes en prison ou en déportation, décès en immigration. À
l’évidence, une prosopographie critique des victimes se doit de reformuler
ces interrogations. La question juridique et sociologique de
l’intentionnalité dans les processus accusatoires implicites ou explicites
(du bouc émissaire, massacré sommairement, au prévenu, reconnu
coupable au terme d’un énoncé de jugement) apparaît cruciale. Sur ce
plan, les sources sont particulièrement inégales : si l’on dispose en général
pour les prévenus condamnés par la justice révolutionnaire de
dénonciations, de procès-verbaux d’arrestations, d’interrogatoires, d’actes
d’accusation, de réquisitoires et de sentences, il n’en va plus de même
pour des exécutions légales opérées en masse comme les fusillades des
Brotteaux de Lyon ou les noyades de Nantes, où la plupart des pièces
écrites, si elles ont existé, ont disparu. Cette question de l’intentionnalité
se pose avec plus de difficultés encore pour les centaines de victimes
décédées en prison ou à l’hôpital, sur les pontons de Rochefort, dans les
cachots bordelais ou, plus tard, dans les bagnes de Guyane : il n’existe
pour eux, dans le meilleur des cas, que des décisions d’emprisonnement,
des registres d’écrou, des condamnations à la déportation ou des actes de
décès. Mais l’intention de donner la mort n’est ni attestée ni motivée. Pour
les martyrologes de la Restauration, les « souffrances » et les décès valent
preuve de martyre, à condition néanmoins que la victime appartienne au
clergé réfractaire ou assimilé : cette perspective, qui relève d’un
raisonnement hagiographique argumenté, ne saurait valoir sur un plan
strictement historique et sociologique ; mais on en retiendra une exigence
analytique sur les processus accusatoires et les circonstances des décès.
8 Stéphane BACIOCCHI, Philippe BOUTRY

Le statut ecclésiastique des victimes


Les martyrologes catholiques accordent une attention constante, sinon
exclusive, au statut ecclésiastique des victimes. La distinction
fondamentale entre ecclésiastiques et laïques est cependant atténuée chez
l’abbé Guillon par la mention de personnes condamnées comme
« receleurs de prêtres réfractaires » : c’est ainsi que celui-ci puise pas
moins de 80 notices individuelles de ce type dans le Dictionnaire de
Prudhomme. Les femmes, ces « héroïnes de l’hospitalité chrétienne »,
selon l’expression de Guillon, y sont aussi nombreuses que les hommes et
participent d’un univers victimaire commun avec celui d’une partie des
ecclésiastiques condamnés pendant la Terreur ; au reste, parmi les
« receleuses de prêtres réfractaires », on compte quelques religieuses et,
en examinant de plus près la biographies des laïques, plusieurs anciennes
novices. Parmi les ecclésiastiques, les martyrologes distinguent en effet
soigneusement les hommes des femmes : si Caron et Guillon incluent les
religieuses dans leurs martyrologes et leur réservent un traitement
particulièrement pathétique, un siècle plus tard, Pierre Bliard, dans son
remarquable dossier documentaire sur les prêtres réfractaires et
constitutionnels déférés devant le Tribunal révolutionnaire de Paris,
comme l’abbé Sabatié, dans son grand travail de compilation statistique
de seconde main sur La Justice pendant la Révolution, les excluent de
leurs comptages, par une sorte de tropisme sacerdotal9.
Pour ce qui concerne le clergé masculin, séculier ou régulier, les
martyrologes ne se contentent pas de donner le plus précisément possible
les grades et dignités ecclésiastiques de chacun. Ils s’intéressent
essentiellement, dans le cadre d’une hagiographie militante, à la question
des serments, qu’il s’agisse du serment à la Constitution civile du clergé
ou du serment dit « de Liberté – Égalité » de l’été 1792, auquel sont
également soumis l’ensemble des religieux et des religieuses pensionnés
par la République. C’est là où la perspective « thermidorienne » de
Prudhomme se distingue le plus nettement de la perspective catholique et
contre-révolutionnaire de Caron et Guillon et de leurs nombreux
successeurs : Prudhomme, qui centre son propos sur les effets de la justice
révolutionnaire, considère les victimes ecclésiastiques sans distinction.
Rares seront les historiens du XIXe siècle à suivre cette ligne de neutralité
ecclésiologique. Il convient à cet égard de citer à nouveau Portallier,
l’historien des victimes du siège de Lyon, et Bliard, premier véritable

9
Pierre Bliard, Jureurs et insermentés (1790-1794), d’après les dossiers du Tribunal
révolutionnaire, Paris, Emile-Paul, 1910, VIII-426 p. ; abbé Amans-Claude Sabatié, La
Justice pendant la Révolution. Les Tribunaux révolutionnaires en province, sommaire
historique... statistiques pour chaque département, état des victimes dans le clergé pour
chaque diocèse, Paris, P. Lethielleux, s. d. [1912-1923], 2 vol.
Les victimes ecclésiastiques de la Terreur 9

historien des victimes ecclésiastiques du Tribunal révolutionnaire de


Paris : celui-ci retient une liste de 225 condamnés dont la distribution ne
laisse pas d’étonner dès lors qu’on les considère sous la perspective du
serment : en effet, 141 d’entre eux, soit 63% de l’ensemble, sont des
prêtres assermentés, auxquels il conviendrait peut-être d’ajouter 8 autres
cas incertains. Ces deux tiers de prêtres constitutionnels non rétractés font
masse par rapport aux 21% de prêtres assurément réfractaires (et 6% de
cas incertains). On compte de plus parmi les assermentés exécutés 33
prêtres ayant abdiqué leurs fonctions ainsi que 5 prêtres mariés. C’est dire
la complexité du phénomène et sa connexion avec celui des abdicataires :
la remise des lettres de prêtrise devant les tribunaux n’emporte pas
toujours l’acquittement, au contraire de ce qu’affirme la majorité des
historiens catholiques.
Comme l’écrit Portallier en 1911 sur le ton de l’évidence partagée
et comme pour s’en excuser auprès de ses souscripteurs lyonnais, « le
nom de l’abbé Grumet » – il s’agit de l’ex-grand vicaire de Toulouse
condamné par la Commission révolutionnaire de Lyon et guillotiné le 26
pluviôse an II (14 février 1794) – « est naturellement omis dans les
ouvrages ecclésiastiques puisqu’il avait trempé dans le schisme. Quelque
peine que nous avons à citer un exemple malheureux entre tous, mais
heureusement très rare dans le clergé, nous ne sommes pas tenus à la
même réserve puisque nous nous occupons de toutes les victimes,
n’importe leurs conditions ou leurs qualités »10. Et encore faut-il mesurer
le chemin parcouru. Un siècle plus tôt, une telle démarche semblait inouïe.
L’Ami de la Religion et du Roi s’indigne ainsi en 1821 contre les
amalgames de l’abbé Guillon : « Faut-il donc placer toutes ces victimes
dans la même catégorie ? Le prêtre qui a confessé hautement la foi devant
ses juges, celui qui a refusé de se souiller d’un serment condamné, celui
que l’on voit, par quelque indice, avoir été immolé en haine de la religion,
n’ont-ils pas plus de droit au titre de martyrs que tant d’autres sur lesquels
leur procès ne nous apprend rien à cet égard ? Or, M. Guillon ne fait point
de distinction, ou du moins n’en fait pas assez »11.
La récente thèse de Paul Chopelin sur l’histoire religieuse de Lyon
pendant la Révolution présente une statistique qui éclaire autrement la
remarque de Portallier : parmi les 187 prêtres jugés par les trois
Commissions révolutionnaires de Lyon, on compte 78 prêtres
constitutionnels avérés et 35 prêtres aux positions mal déterminées contre
seulement 53 prêtres réfractaires ; mais il faut immédiatement constater
que, sur les 74 exécutions effectives, on compte 51 prêtres réfractaires soit
69% de l’ensemble et 96% des prévenus appartenant au clergé

10
A. Portallier, op. cit., p. 212
11
Anonyme, L’Ami de la Religion et du Roi, samedi 3 février 1821, n°677, p. 370.
10 Stéphane BACIOCCHI, Philippe BOUTRY

insermenté12. On mesure là l’un des angles morts des martyrologes : en ne


considérant, par définition, que les condamnés, ils omettent d’examiner
l’ensemble des prévenus et, pour ce qui nous concerne, la part du clergé
assermenté. Si la répression lyonnaise semble obéir à un schéma
essentiellement politique, l’examen des dossiers parisiens laisse enfin
percevoir une réalité nationale beaucoup plus complexe : en effet 38%
seulement des 209 ecclésiastiques exécutés dont le dernier domicile a pu
être établi résidaient à Paris et dans les deux départements de Seine-et-
Oise et de Seine-et-Marne. Mais le plus intéressant est certainement la
proportion de prêtres constitutionnels parmi les victimes condamnées à
Paris mais provenant du reste de la France : ils sont 72%. En d’autres
termes, il semble qu’on ait eu recours au Tribunal révolutionnaire pour
juger des ecclésiastiques qui avaient prêté serment alors que la
condamnation des réfractaires pouvait s’opérer localement en conformité
avec les lois en vigueur ; ces renvois ou délocalisations sur Paris de cas
parfois délicats à juger au sein des communautés locales correspondent
aussi, chronologiquement, à la concentration de la justice révolutionnaire
dans la capitale. Ils manifestent également un changement d’attitude
envers l’ancien clergé constitutionnel. L’abbé Grégoire, comme nous l’a
signalé Dominique Julia, avait d’ailleurs esquissé dans les Annales de la
Religion une enquête en vue de constituer un « martyrologe » de l’Église
constitutionnelle ; l’échec de ce projet nous prive d’une source cruciale.
La catégorisation des victimes
La prise en compte de la catégorisation révolutionnaire des victimes
répond à une interrogation plus générale sur les mécanismes juridiques de
la Terreur et sur le fonctionnement de la justice révolutionnaire. Dans son
martyrologe, Guillon accorde la plus grande attention à l’examen des
motifs et des formes de condamnation. Il distingue également avec soin
les instances judiciaires ou militaires qui prononcent les sentences de mort
et qui permettent d’identifier des « persécuteurs » : certains représentants
en mission comme Carrier à Nantes ou Lebon à Arras sont qualifiés de
« proconsuls » et assimilés aux plus cruels des empereurs romains.
L’historiographie catholique du XIXe siècle ne sera pas toujours aussi
attentive aux dimensions juridiques des condamnations mais produira,
avec la focalisation sur les serments, une sorte d’imputation généralisée au
politique, de matrice évidemment contre-révolutionnaire. C’est là où le
cadre militant de l’hagiographie s’éloigne le plus nettement d’une
approche raisonnée et mesurée des condamnations.

12
P. Chopelin, Ville patriote et ville martyre. Une histoire religieuse de Lyon pendant la
Révolution (1788-1805), thèse de doctorat de l’Université Jean Moulin Lyon 3, novembre
2006, 2 vol., tome 1, p. 423-440.
Les victimes ecclésiastiques de la Terreur 11

Il nous paraît au contraire possible et même nécessaire d’examiner


attentivement l’organisation judiciaire dans laquelle s’inscrivent les
processus accusatoires parmi lesquels on peut distinguer plusieurs
situations : les prêtres « réfractaires » aux lois révolutionnaires ; les
prêtres assermentés dont la validité des serments est scrupuleusement et
rétroactivement, sinon rétrospectivement, vérifiée en l’an II ; les prêtres
ayant contrevenu à la législation sur le culte ; les ecclésiastiques ou les
laïques prévenus de menées « fanatiques », souvent associées à la
profération de propos « contre-révolutionnaires » ; les parents d’émigrés
et les « émigrés rentrés » ; et même, au printemps de l’an II, parmi les
prêtres assermentés, les « patriotes exagérés ». De ce point de vue, les
procédures judiciaires méritent une attention systématique. Dans notre
perspective, il convient de réintégrer les plaintes et les dénonciations
civiques de « suspects » (pièces décisives pour soutenir l’accusation), les
interrogatoires, les attestations de serment ou les actes d’abdication de
lettres de prêtrise dans un ensemble procédural dans le cadre duquel se
motive collectivement et publiquement, en régime d’intime conviction, le
jugement et où les martyrologes lisent une « confession de foi ». On
mettra ainsi en évidence des chaînes d’interdépendance parfois très
longues, entre dénonciateurs et prévenus, entre les différentes autorités qui
examinent successivement les inculpés ou encore dans les cas de complot
réels ou supposés ; elles sont au contraire très courtes dans le cas
exemplaire des receleurs de prêtres où s’actualise un réseau de soutien
autour des ecclésiastiques. Cela pose en outre la question des condamnés
isolés ou étrangers aux localités : sont-ils les victimes d’un hasard
répressif ou d’une condamnation pour l’exemple sans implication locale ?
À l’autre extrême, se trouvent des victimes ecclésiastiques exclues de
toute procédure, sans postérité et donc absentes de tous les comptages,
parmi lesquelles les prêtres constitutionnels assassinés durant les guerres
civiles de l’Ouest.
La localisation des victimes
On l’aura compris à partir de l’exemple du Tribunal révolutionnaire de
Paris, la question de la localisation des victimes est essentielle. Elle
présente le même type de difficultés que celle de l’identification. En effet,
où et à quel moment faut-il localiser, et par là même cartographier, une
victime ecclésiastique ? Les coordonnées spatiales sont multiples selon les
situations considérées, les dimensions et les échelles considérées : lieu de
naissance, diocèse d’appartenance, couvent ou monastère de résidence,
dernier poste occupé, lieu d’arrestation, lieu d’emprisonnement, lieu de
jugement, lieu d’exécution, lieu de décès. Ces difficultés sont au principe
des doubles comptes observés dans les martyrologes locaux et régionaux
en raison de la propension de leurs auteurs à rapatrier dans leur diocèse le
plus grand nombre possible de victimes. Dans son savant ouvrage sur Les
12 Stéphane BACIOCCHI, Philippe BOUTRY

Martyrs de la Révolution dans le diocèse de Séez (1876), l’abbé Jean-


Baptiste Blin additionne ainsi les prêtres natifs du diocèse, ceux qui lui
ont appartenu, ceux qui y exercent leur ministère à la veille de la
Révolution, ceux qui y ont été emprisonnés et ceux qui y ont péri… Face
à cette situation documentaire, il nous a paru nécessaire d’initier notre
enquête à partir d’une liste nationale des victimes, aussi imparfaite soit
elle, comme celle de l’abbé Guillon.
Il faut ainsi tenir compte de l’extrême mobilité qui caractérise ce
que l’on appellera les « carrières victimaires » : les prêtres réfractaires,
privés de leurs cures au printemps 1791, se réfugient dans leurs familles,
chez des amis, dans des retraites qu’ils estiment sûres ou tentent même,
pour ne pas compromettre leurs proches, de se dissimuler dans de grandes
villes ; les décrets de l’été 1792 déclenchent de véritables exodes ou des
mouvements de fuite individuels qui nourrissent la suspicion des autorités
locales et occasionnent de nombreuses arrestations de prêtres « déguisés »
et parfois des massacres ponctuels ; les ecclésiastiques sexagénaires
condamnés à l’emprisonnement ou à la déportation en Guyane sont
transférés dans des prisons plus sûres –ainsi des prêtres du diocèse du
Mans qui vont mourir par dizaines au printemps 1794 dans les prisons de
Chartres et de Rambouillet – ou sont entassés dans des prisons, des
hôpitaux ou sur des navires et des pontons : c’est à Bordeaux et à
Rochefort que vont périr d’épuisement, de malnutrition ou du typhus
plusieurs centaines de prêtres âgés originaires des départements du Centre
et du Sud-Ouest de la France. D’autres prêtres sont arrêtés en franchissant
prématurément les frontières de la République ou en se retrouvant
prisonniers des mouvements de troupes ; il sont exécutés, à Valenciennes
et à Arras, à Strasbourg, Besançon ou Grenoble, mais également à
Quiberon parmi les troupes royalistes, comme « émigrés rentrés ». Enfin,
on l’a dit, certains prêtres sont déférés par les autorités locales au Tribunal
révolutionnaire de Paris ou devant la Commission révolutionnaire de
Lyon pour y être jugés. Une approche critique des dimensions spatiales du
phénomène exigera donc une cartographie différentielle de « l’espace
victimaire » afin de saisir des réalités distinctes. Ainsi, Jean-Claude
Meyer, dans sa solide monographie sur La Vie religieuse en Haute-
Garonne sous la Révolution, dénombre-t-il 12 ecclésiastiques exécutés à
Toulouse contre 124 envoyés dans les ports de l’Atlantique en vue de leur
déportation : 24 périront dans les prisons de Toulouse et 14 sur les
pontons de Rochefort13. Sur un plan national, lorsqu’on analyse la
précieuse carte établie par Greer en considérant la distribution
départementale des 920 ecclésiastiques exécutés qu’il retient dans ses

13
J.-C. Mayeur, La vie religieuse en Haute-Garonne sous la Révolution (1789-1801),
Toulouse, Publications de l’Université de Toulouse-Le Mirail, 1982, 2e partie, chap. 3,
« Le clergé réfractaire et le clergé constitutionnel victimes de la répression », p. 305-332
Les victimes ecclésiastiques de la Terreur 13

comptages, on observe que la géographie des condamnations


ecclésiastiques ne recoupe pas exactement celle de l’ensemble des
exécutions légales : il s’agit à l’évidence d’une réalité singulière,
minoritaire (6,5% des victimes de la terreur légale) qui, en tant que telle,
justifie une étude spécifique.

Conclusion

La carte (ci-contre) que nous soumettons en guise de conclusion devrait


pouvoir être appréciée à la lumière de l’ensemble de ces considérations
critiques. Elle figure 126 localités où, durant l’an II, ont péri quelque 1866
ecclésiastiques que l’abbé Guillon a retenu dans sa liste de « martyrs ». La
chronologie qui accompagne la carte montre les moments et les rythmes
de ces décès. Elle concorde pour l’essentiel avec les enseignements de
l’historiographie révolutionnaire, à ceci près que le rythme des décès
ecclésiastiques ne décroît que lentement après Thermidor. Moins attendue
est leur distribution spatiale. Dans sa dimension quantitative, la carte
privilégie les lieux de détention sur les lieux d’exécution : Rochefort et
Bordeaux par rapport à Paris, Lyon ou Nantes. Le théâtre des guerres
civiles de l’Ouest n’occupe plus la place qui était la sienne sur la carte
nationale dressée par Donald Greer. De fait, par construction, l’incidence
de la terreur légale se trouve minorée pour l’ensemble du territoire, sauf
en ce qui concerne l’activité des tribunaux d’exception comme Arras,
Valenciennes, Angers ou Orange ; et encore faut-il souligner que Guillon,
comme l’a montré Portallier, a presque ignoré l’activité de la Commission
révolutionnaire de Feurs. En contraste, on repère des lieux d’exécutions
isolées correspondant à la condamnation ou au massacre de quelques
individus. Enfin, le désert victimaire du centre et du sud-ouest de la
France ne doit pas faire illusion : c’est précisément là que se sont recrutés
les bataillons de prêtres déportés qui mourront à Bordeaux ou à Rochefort.
Reconsidéré sous l’angle statistique et cartographique, le martyrologe de
l’abbé Guillon nous introduit ainsi à la variété et à la singularité
ecclésiastiques des univers victimaires de la Terreur.
14 Stéphane BACIOCCHI, Philippe BOUTRY

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