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GODS

OCTOBRE 2020
AON
LE PEUPLE GRIS

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AON
LE PEUPLE GRIS
Aux yeux du reste du monde, les insulaires d’Aon sont des gens taiseux, vêtus de couleurs
ternes, qui vivent dans un archipel pluvieux. Ils forment un peuple sévère, quittant rarement
ses îles natales, si ce n’est pour se livrer à la piraterie. Les charpentiers qui construisent les
bateaux d’Aon sont renommés, mais plus encore les maîtres-forgerons, ainsi que les Hommes
d’Acier, seuls à connaître le secret pour obtenir l’Acier Véritable, métal incomparable dans
lequel sont forgées des épées rarissimes.

aussi souvent « Aeon et les deux sœurs » quand on parle


LES HABITANTS DES ÎLES d’Aon. La capitale de l’archipel, Ker Veheril, est la seule
véritable cité d’Aon. Populeuse, elle est néanmoins sale et
Les continentaux désignent les insulaires comme ne paie vraiment pas de mine. Le palais royal de Kaer Gaen,
« les gens d’Aon ». Les intéressés s’attachent davantage un bastion assez sinistre, abonde quant à lui en couloirs ven-
à mentionner leur île natale et se définissent avant teux et en toitures mal isolées. Si les côtes, notamment sur la
façade occidentale, sont labourées par les vents océaniques,
tout comme aeoniens, baniriens ou vellans. Lorsqu’ils
l’intérieur de l’île est relativement abrité par le relief et la
éprouvent le besoin de parler d’eux en tant que
terre, si l’on est rude à la tâche, produit son fruit de manière
peuple uni, les insulaires se désignent en utilisant
satisfaisante. Des chemins boueux et quelques routes som-
le mot folk (peuple) ou islefolk (peuple des îles).
maires relient une multitude de hameaux et bourgades.

S’ils ne s’opposent pas à ce que les étrangers accostent Située entre ses deux sœurs, l’île de Vell est paradoxalement
dans leurs ports, les gens d’Aon ne se montrent guère la plus indépendante de l’archipel. La rade de Glassport
hospitaliers. Qui plus est, la rigueur du climat, le caractère est le principal site d’échange entre les insulaires et les
farouche des autochtones et le peu d’importance qu’ils continentaux, mais Vell est aussi tristement réputée pour ses
attachent à la cuisine ne contribuent pas à rendre leurs confréries pirates. De fait, certains marchands se rendent
auberges attrayantes. Néanmoins, ceux qui parviennent à se justement à Glassport afin de négocier une « protection »
lier aux natifs d’Aon découvrent rapidement des gens atten- et se garantir des attaques des pirates de l’île… ou pour
tifs, dotés d’une ironie tranquille et d’une parole on ne peut acheter une partie de leur butin. Glassport est l’endroit le
plus fiable. Derrière leur froideur et leurs manières frustes, plus animé, baroque et dangereux d’Aon. Le reste de l’île
les habitants d’Aon sont des gens sincères qui savent appré- est particulièrement inhospitalier, mais quelques villages
cier les joies simples. de pêcheurs pelotonnés dans des criques abritées sub-
sistent tant bien que mal. Les plus proches de Glassport par-
Les Trois Sœurs viennent même à s’en sortir de manière satisfaisante, car ils
L’archipel d’Aon compte trois grandes îles, les Trois Sœurs : ravitaillent la ville pirate avec le produit de leur pêche.
Aeon, Vell et Banir. Les hauts fonds abondent dans l’archipel
et la grande majorité des côtes est constituée de falaises, Banir est la plus petite des trois îles et la plus proche du conti-
trouées çà et là de plages de galets grisâtres. Les vents souf- nent. Souvent surnommée « le Bouclier », elle accueille en
flent du large à travers des paysages pelés et rocheux, mar- effet une bonne moitié de la flotte royale, prête à repousser
tyrisant le robuste feuillage de bosquets tenaces. des envahisseurs continentaux. Banir est aussi, et cela n’est
pas étranger à la présence massive des soldats royaux, une
Aeon est la plus distante et la plus grande des sœurs, c’est île dont les plages et les falaises abondent en un métal noir
aussi le centre du pouvoir dans l’archipel. « Aeon mène Aon, bien particulier, l’Anaon. De ce minerai, les Hommes d’Acier
mais Aon est plus qu’Aeon », dit un vieux proverbe. On dit de Banir tirent l’acier sombre renommé et surtout l’Acier

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Véritable sans égal. Les forgerons d’Aon sont très réputés,
et ceux venus de Banir plus encore. Leur artisanat est de loin HOMMES D’ACIER ET FORGERONS
le plus représenté dans la modeste ville d’Ael Denn. Cette
dernière accueille les marins de la flotte royale en bordée et
Ceux qui travaillent le métal sont considérés comme
ses nuits sont aussi animées que ses journées résonnent du
des mystiques à travers Aon. Leur artisanat est à la fois
brouhaha des forges.
ésotérique et sacré. L’Homme d’Acier – ou Stahman –
tient de l’alchimiste et du prêtre, car c’est par
Tensions maritimes
son travail que le minerai noir donne l’acier sombre
L’archipel se soucie peu du reste des Terres Sauvages et
et l’Acier Véritable. Le forgeron, lui, permet
rares sont les gens d’Aon désireux de s’installer ailleurs.
La cour du roi Gaelann à Kaer Gaen est cependant préoc- la transformation de la matière pour lui donner
cupée, notamment par les expéditions de pillage que les sa forme définitive et la faire entrer dans la vie des
drakkars de Valdheim mènent depuis plusieurs années. Non hommes. Si les forgerons de l’archipel – notamment
contents de s’en prendre parfois aux villages côtiers d’Aon, ceux de Banir – prennent quelquefois un apprenti
les Valdhs n’hésitent désormais plus à affronter en haute étranger, les Hommes d’Acier gardent jalousement
mer un navire venu des îles, qu’il s’agisse d’un respectable leurs secrets, lesquels ne sont généralement transmis
marchand ou d’un pirate. que de père en fils. Symboliquement, les femmes,
donnant la vie, ne peuvent devenir Stahman car,
Les raids contre les côtes d’Aon sont rares, car les pillards selon les mythes des îles, la nature du minerai noir,
savent que la flotte royale veille au grain, mais la cour s’in- l’Anaon, relève de la mort elle-même.
quiète des rumeurs sur le caractère violent et imprévisible
du nouveau roi de Valdheim. La flotte royale a été dispersée
entre Aeon et Banir, la majeure partie de ses navires mouil- souhaitent tant qu’ils respectent les lois. Les occasions d’in-
lant dans les eaux portuaires de Ker Veheril et Ael Denn, tan- viter les Earls à la capitale sont assez rares et il s’agit géné-
dis que les autres patrouillent sur les côtes. ralement du couronnement ou des funérailles du roi. Les
gens d’Aon préfèrent mettre des hommes sur le trône, mais
Les capitaines pirates de Vell, de leur côté, n’apprécient la continuité de la lignée royale leur importe davantage. On
pas du tout que les drakkars valdhs s’en prennent désor- a compté deux reines au cours du siècle écoulé, neuf en tout
mais à eux, comme à leurs proies. Certains envisagent d’ef- depuis la Nuit du Soleil Noir. D’une façon générale, à partir
fectuer des raids côtiers en représailles, mais si la majorité du moment où une femme doit assumer des responsabilités
des pirates n’ont guère l’expérience des combats à terre, la politiques, la majorité des insulaires considèrent que c’est
réputation des guerriers valdhs dans ce domaine n’est plus la volonté des dieux et ne la traitent pas différemment d’un
à faire. homme : on la juge selon ses actes, non selon son sexe.

Pour l’instant, Aon et Valdheim conservent officiellement des Dans l’histoire de la dynastie Elden, on peut compter
rapports cordiaux qui préservent leurs nombreux échanges quelques faits sanglants lors de querelles de succession,
commerciaux. Cependant, la réalité est moins paisible : les mais contrairement à la plupart des monarchies des Terres
marchands valdhs éprouvent des difficultés croissantes à Sauvages, Aon n’a jamais connu de révolte et aucune armée
négocier les meilleurs prix pour leurs marchandises, et les n’a jamais assiégé Kaer Gaen. Pour la plupart de ses sujets,
pirates d’Aon sont visiblement bien plus enragés que par le le roi est une figure lointaine, qui veille sur leur sécurité. Le
passé lorsqu’ils s’en prennent à leurs navires. palais royal pourrait tout aussi bien se trouver à l’autre bout
du monde. Les changements politiques sont rares et la très
La couronne des îles grande majorité des souverains d’Aon se sont caractérisés
Aon a toujours été un royaume, et Gaelann le Quatrième est par un paternalisme conservateur.
l’héritier d’une longue dynastie, les Elden, qui régnait déjà
depuis Kaer Gaen avant la Nuit du Soleil Noir. Une trentaine Des insulaires revêches et méfiants
de vassaux, portant le titre d’Earl, se partagent les terres de Physiquement, les natifs des Trois Sœurs sont majoritaire-
l’archipel, à l’exception notable de Glassport. La Confrérie ment bruns aux yeux foncés, mais on trouve tout de même
de Vell, qui rassemble la majorité des pirates de l’archipel, quelques roux ou blonds, souvenirs d’unions passées avec
suit les ordres de son Premier Capitaine, Arwon Cinq-Fois- des Valdhs. Le peuple de l’archipel est assez peu expansif,
Mort. Arwon et ses sbires laissent les Earls de Vell tranquilles, et encore plus discret et distant avec les inconnus. Les habi-
tant que ces derniers font de même avec Glassport. tants de Ker Veheril sont un peu plus ouverts et accueillants,
alors que la population de Glassport est la plus cosmopo-
D’une façon générale, les rapports entre le roi et ses vas- lite de l’archipel. Néanmoins, la plupart des étrangers qui
saux sont cordiaux quoiqu’assez distants. Chacun préférant résident à Glassport vivent concentrés dans des rues spé-
sa tranquillité, on accomplit ses obligations dans l’idée que cifiques. La Confrérie de Vell est toujours à la recherche de
cela continue. Le roi collecte les impôts qui servent essen- gens fiables ou talentueux, et elle accueille volontiers les
tiellement à entretenir la flotte et les troupes royales, les continentaux dans ses rangs. Plusieurs capitaines pirates
Earls de leur côté peuvent gérer leur domaine comme ils le parmi les plus réputés sont d’ailleurs des natifs du continent.

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LES ÎLES DE L’ACIER

Aon est le seul lieu des Terres Sauvages où l’on trouve


l’Anaon, un minerai noir et brillant, qui jonche les
plages des Trois Sœurs, et plus particulièrement de
Banir. De l’Anaon, les Hommes d’Acier tirent deux
alliages très réputés : l’acier sombre d’Aon est la
principale source de richesse de l’archipel, et les
forgerons du continent s’efforcent depuis toujours
d’apprendre les techniques des forgerons insulaires.
Ceux qui savent forger l’acier sombre peuvent en
tirer armes et armures d’excellente qualité. Bien plus
difficile à obtenir, l’Acier Véritable est gris foncé et
semble veiné de rouille. Un examen attentif montre
que ces marques sont légèrement brillantes, comme
si elles étaient faites d’un vernis évoquant le sang.
Aucun métal ne peut tenir la comparaison avec l’Acier
Véritable que les forgerons de Banir n’utilisent que
pour fabriquer des épées. Ces lames sans égales
sont convoitées par les Earls et bon nombre de leurs
sujets, mais plus encore par les rois et les seigneurs
du continent. Si l’on en croit les Baniriens, il est rare
que plus d’un étranger par génération se voie offrir
une lame d’Acier Véritable, et les maîtres-forgerons
de Banir connaissent les noms de chacun de ces élus.

L’IMPORTANCE
CRUCIALE DE LA MER
Le climat des Trois Sœurs est rude et la majorité des habi-
tants du littoral risquent leur vie en tant que pêcheurs.
Il n’y a guère qu’à l’intérieur des terres d’Aeon que l’on
trouve une quantité appréciable de paysans et d’éleveurs à la mer, et plus encore au sol rocailleux des îles. Le climat
qui transportent une partie de leur production depuis Ker oblige aussi très souvent les insulaires à vivre en intérieur et
Veheril jusqu’aux autres îles. L’artisanat tourne autour des la plupart, en particulier dans le nord d’Aeon, ont de bonnes
produits nécessaires aux habitants et seul l’acier sombre et compétences pour le petit artisanat. Dans chaque famille,
les épées issues des forges de Banir et d’Aeon sont vendus on trouve quelqu’un qui s’y connaît en poterie ou en van-
aux étrangers. La piraterie – qui épargne comme de juste les nerie, en tissage, cardage, menuiserie, etc. Les gens d’Aon
vaisseaux d’Aon – a permis le développement d’une écono- n’aiment pas l’oisiveté et quand ils n’ont rien d’autre à faire,
mie florissante autour de l’écoulement des butins, certains ils s’occupent les mains avec des petits travaux, du reprisage
produits et denrées étant revendus jusqu’aux recoins les ou de la couture. Hommes et femmes entretiennent d’ail-
plus éloignés de l’archipel. Le roi Gaelann, comme ses pré- leurs eux-mêmes la majorité de leurs vêtements.
décesseurs, ferme les yeux sur les activités des pirates, car
elles contribuent à la relative prospérité du pays. Dans le même temps, l’islefolk est friand de musique et de
chant. Il est rare qu’un foyer n’abrite pas au moins un joueur
L’acier sombre d’Aon est convoité par les continentaux, et de harpe ou de flûte. Les autres instruments ont aussi leurs
vendu au prix fort. Les forgerons de Banir et du reste de l’archi- partisans et les fêtes villageoises sont d’autant plus ani-
pel sont également renommés pour leurs épées et leurs fers de mées et bruyantes que la bière coule à flots. Les chants sont
lance. De leur côté, les insulaires apprécient les vins venus des volontiers mélancoliques, mais il existe un beau répertoire
Royaumes divisés, les bijoux valdhs et les étoffes avhoraeennes. de ballades pirates, de chansons paillardes de marins et de
chants paysans destinés à fouetter le sang et réveiller l’âme.
Sobriété et labeur S’ils sont d’ordinaire travailleurs, les habitants de l’archipel
Les habitants des Trois Sœurs sont industrieux et tenaces. n’apprécient rien tant qu’une soirée entre amis, à pousser la
Il leur faut bien des efforts pour arracher leur subsistance chansonnette autour d’une bonne bière. Un étranger peut

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considérer qu’il est accepté par la communauté à partir du sont guère imposants et un équipage typique compte rare-
moment où on le convie à une telle occasion et qu’il en res- ment plus d’une quinzaine de membres. Ces vaisseaux sont
sort les oreilles bourdonnantes et la tête engourdie. cependant des prédateurs rapides qui attaquent en groupe
et leurs capitaines savent jouer des vents comme personne.
Linteaux de portes, piliers, portiques et poutres maîtresses Seuls les marins les plus expérimentés de Valdheim peuvent
abondent en frises et motifs évoquant les croyances des en remontrer à ceux de Vell.
insulaires. Le motif le plus récurrent est le triskèle, représen-
tation des trois dieux de l’archipel, orné de quartz. Les motifs
floraux et marins sont également très présents. Les maisons
les plus aisées sont faites de briques et coiffées de toits d’ar- DE L’IMPORTANCE DES TATOUAGES
doise ou de tuiles, mais la grande majorité des insulaires
préfèrent la pierre de taille, ou de solides planches en bois,
Beaucoup d’insulaires apprécient de porter des
pour leurs demeures aux toits de chaume de roseau.
marques tatouées à l’encre noire, lesquelles finissent
Après la forge, la construction de navires est l’artisanat presque toujours par tourner au bleu ou au vert.
le plus prisé dans l’archipel. Les insulaires préfèrent les Si la majorité des motifs ont un rôle décoratif ou
coques de taille modeste et capables de se faufiler entre symbolique, certains sont liés à des statuts particuliers.
les hautes lames du large. Leurs bateaux de pêche sont Seuls les druides, les Stahman et les forgerons
robustes et fiables, au point que les riches seigneurs côtiers ont le droit d’arborer des tatouages sur le visage,
du continent recrutent parfois des charpentiers d’Aon pour et leurs motifs sont toujours codifiés pour indiquer
leur fournir des embarcations dignes de ce nom à l’usage leur vocation.
de leurs propres pêcheurs. Les vaisseaux pirates d’Aon ne

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BASSE
ET HAUTE
JUSTICE
La société des Trois Sœurs ne compte que deux grands énoncées par le capitaine et approuvées par un vote à main
groupes : les hommes libres et les nobles (les Earls et la levée avant que le navire ne quitte le port. Une fois en mer,
famille royale). Si une certaine politesse est de mise en pré- la question ne doit pas revenir sur le tapis.
sence d’un noble, les démonstrations de soumission ou de
flagornerie sont rares, de même que les règles de l’étiquette Les pirates acceptent de faire des prisonniers, générale-
sont simples. Il suffit de ne jamais oublier de dire « m’lord », ment relâchés à bord d’une chaloupe par la suite. Maltraiter
ou « m’lady » à un noble pour s’exprimer correctement. les captifs ou les vendre n’est guère prisé de la plupart des
Traditionnellement, les villages élisent un conseil d’anciens, pirates, mais certains équipages ont une réputation plus
qui arbitre les litiges et prononce également les peines en ambiguë. Il existe aussi une poignée de pirates qui s’en
cas de crimes. Cependant, au fil du temps, les Earls ont petit prennent aux bateaux de leurs compatriotes, mais si cela
à petit pris le pas sur cette façon de faire. De plus en plus s’apprend, la confrérie de Vell et les autres groupes, sans
fréquemment, l’Earl siège une demi-journée par semaine et parler de la flotte royale, leur tomberont rapidement des-
rend la justice à ses sujets. Les gens concernés s’expriment sus et ne feront pas de quartier. Ces renégats ont donc
d’eux-mêmes, sauf si leur état de santé ne le leur permet tendance à éliminer tous les témoins, afin de préserver leur
pas. La justice rendue par un conseil d’anciens ou un Earl anonymat le plus longtemps possible.
est souveraine et ne peut être contestée. La mort condamne
tous les crimes de sang, ainsi que le pillage, l’incendie et le Une vieille tradition pirate veut qu’on laisse filer une proie
vol d’Acier Véritable. L’exil, après une peine de travaux for- potentielle lorsqu’elle est à proximité d’un port (entre autres
cés qui peut durer jusqu’à trois ans, sanctionne la plupart pour éviter qu’elle ne reçoive des renforts…). Selon la cou-
des autres crimes, mais il y a des disparités considérables tume, lorsqu’on peut voir l’étendard de l’Earl qui contrôle
d’une région à l’autre et dans certaines communautés, on le port depuis le navire pirate, c’est qu’on est arrivé dans la
préférera par exemple trancher la main d’un voleur. zone où on laisse filer la proie. Cependant, le temps est sou-
vent pluvieux ou brumeux, et nombre de pirates en profitent
Depuis une cinquantaine d’années, la couronne se réserve donc pour attaquer bien plus près de la côte qu’ils ne sont
également certaines affaires et mandate des officiers royaux, censés le faire…
dépositaires du pouvoir judiciaire, les Juges de Pierre. Ces
magistrats itinérants interviennent pour régler les conflits de
voisinage les plus sérieux et les crimes de sang concernant
les Earls, ou leur famille. Les Juges de Pierre sont également LA MONNAIE DE FER
chargés de s’assurer qu’aucun des sujets du roi ne com-
plote contre Aon, en vendant des secrets stratégiques à des
Il y a peu de mines d’or ou d’argent dans les Trois
étrangers, par exemple. Les dégradations commises contre
Sœurs qui n’offrent que quelques gisements de cuivre
les anciens sites sacrés entrent aussi dans le domaine de
importants. De même, les profondeurs de l’archipel ne
compétence de ces juges itinérants, mais dans la pratique,
recèlent guère de pierres précieuses, à l’exception de
le problème a généralement été réglé par les locaux bien
géodes de quartz, utilisées à des fins essentiellement
avant qu’ils en prennent connaissance. Enfin, ils s’assurent
aussi que personne n’entrave la mission des collecteurs décoratives. À l’inverse, le fer est très présent et la
d’impôts, et que ces derniers n’abusent pas de leur charge. couronne frappe sa monnaie dans ce métal. Le groat
de fer est une lourde pièce, dont la valeur dans les
îles est à peu près équivalente à celle d’un sabiirhi
Le code des pirates d’argent. En dehors de l’archipel, le groat ne vaut que
D’une façon générale, les pirates de Vell prennent leurs cinq ou six sabiirhu de cuivre. Lorsqu’ils ont besoin de
engagements très au sérieux, essentiellement pour des rai- payer des sommes importantes aux continentaux, les
sons pragmatiques. Une certaine solidarité est de mise entre marchands d’Aon règlent avec de petits lingots d’acier
pirates. On porte donc secours aux confrères en détresse, sombre. Ces barres de métal appelées gaelt sont
charge aux intéressés de négocier après coup une com- généralement acceptées contre une dizaine de pièces
pensation. De même, les règles du partage de butin sont de bon or.

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tible. Enfin, la terre nourrit et protège ; elle permet au corps
L’ANAON, LIEN ENTRE VIVANTS ET MORTS d’exister et forme un sanctuaire transitoire où l’âme se rend
en naissant de la mer originelle et qu’elle quitte pour retour-
La légende veut que le minerai noir brillant soit un ner aux vagues en mourant. Ainsi, on ne trouve pas de tom-
beaux en Aon, car tous les morts sont rendus à la mer. Il n’y a
cadeau de Morad à ses enfants : les restes cristallisés
guère que dans les endroits les plus isolés et éloignés du lit-
des âmes défuntes, ramenées jusqu’au rivage pour
toral que les gens sont obligés de procéder autrement : les
être collectées par leurs descendants. L’acier sombre
défunts sont incinérés, et leurs cendres confiées à Avelaï qui
tiré de l’Anaon n’est pas le véritable produit recherché
les emportera vers l’océan. Les rares insulaires qui peuvent
par les Stahman, mais l’inévitable fruit de leurs
imaginer l’étendue du continent peinent à l’accepter.
échecs, tant le minerai noir s’avère difficile à travailler.
Comment des hommes peuvent-ils vivre à des milliers de
L’Acier Véritable, en revanche, est sacré, car dans ses kilomètres de la mer, et que deviennent-ils après leur mort ?
marques rougeâtres vivent les souvenirs des défunts.
Certains pourraient même lire dans ces motifs Pour le peuple des îles, la Trinité existe toujours, puisque le
l’histoire ou les messages des ancêtres. Les lames vent continue à souffler sa colère, la mer s’affaire à son éter-
forgées d’Acier Véritable sont toujours ornées d’un nel ressac et la terre poursuit son œuvre patiente comme à
Triskèle, le symbole célébrant la Trinité divine, et leurs l’accoutumée. Rien n’a véritablement changé depuis la Nuit
propriétaires sont considérés comme des personnes du Soleil Noir. Il est vrai cependant que les dieux sont désor-
saintes. En effet, ils portent à leur taille l’âme d’un mais silencieux et nul ne sait quand ils daigneront prendre à
défunt, ou de plusieurs. Celui qui trouve ou se voit nouveau la parole. Le Soleil Noir est apparu pour annoncer
offrir une telle lame sait qu’en la prenant, il prend leur silence, un autre signe viendra en temps utile annoncer
aussi en charge le fardeau du passé : les ancêtres le leur retour.
voient, les ancêtres le jugent et les ancêtres auront
certainement un jour une tâche difficile à lui confier. Les sites traditionnels sacrés sont de deux ordres. Disséminés
dans l’archipel, on trouve des cercles de pierres dressées,
Des lames exceptionnelles, mais maudites ? élevés autour d’un étang naturel ou artificiel de manière à
Les épées en Acier Véritable ne subissent pas de être exposés aux vents. La présence d’Avelaï souffle entre
Détérioration (si vous utilisez cette règle optionnelle) les pierres dressées et ride la surface de l’eau, dévoilant
et infligent 1 dommage supplémentaire (2 dommages parfois à travers ses murmures et les remous créés par le
supplémentaires contre les créatures liées à l’Essence vent les présages transmis par Morad et Enes. Les druides
de la Mort). Elles ne peuvent pas devenir des Éclats, de l’archipel entretiennent ces sites et procèdent aux céré-
car leur nature les en empêche. monies. Les principales se déroulent lors des solstices et
des équinoxes. Il est fréquent de sacrifier un animal en ces
Seul le propriétaire légitime d’une telle lame occasions, mais il arrive aussi qu’un condamné à mort soit
offert aux dieux. Dans tous les cas, la victime du sacrifice est
peut l’utiliser, quiconque la porte sans y être
immergée dans l’étang jusqu’à la noyade. L’archipel compte
« autorisé » subit un malus de -1 D sur tous ses jets,
aussi un certain nombre de grottes sacrées où les druides
perpétuellement harcelé par des voix et des visions
aiment à établir leur demeure. On les reconnaît facilement
qui semblent provenir de l’au-delà et peuvent,
à quelques stèles caractéristiques qui annoncent leur pré-
à terme, le plonger dans la folie.
sence et surtout aux innombrables peintures rupestres et
gravures qui ornent leurs parois. Les druides vivent à l’écart,
mais font cependant pleinement partie de la société rurale.
L’éternelle Trinité Ils prennent mari ou femme au sein des villages alentour et
Les mythes des islefolk disent qu’ils sont issus de la mer si la plupart transmettent leur charge à l’un de leurs enfants,
et furent amenés sur leurs îles par la volonté des trois ils peuvent librement prendre des apprentis.
dieux primordiaux de la Trinité : Morad la Mer, Avelaï le Vent
et Enes la Terre. Ces trois divinités sont perçues comme la Les ateliers des Stahman sont aussi des lieux sacrés, et ces
conscience et la personnification de l’Eau, de l’Air et de la alchimistes sont également considérés comme des druides.
Terre. Elles embrassent la totalité du monde, pour les insu- Leur rôle cérémoniel est cependant cantonné à leur lieu de
laires, et il suffit de marcher sur le sol, d’inspirer de l’air ou de travail où personne ne peut entrer sans leur permission. Les
boire de l’eau pour renouer avec l’essence même des dieux. forgerons sont à peine moins respectés, bien qu’on ne les
En un sens, il n’y a pas de réelle distinction entre les dieux considère pas comme des prêtres à part entière, mais plutôt
et le monde, pas plus qu’entre les dieux et les hommes. comme des assistants. Le druide interprète la volonté des
Pour le peuple d’Aon, la mer est source de vie, tandis que dieux, l’Homme d’Acier éveille les âmes défuntes et le forge-
le royaume des morts s’étend dans ses profondeurs infinies. ron les rend au monde des hommes. Depuis la Nuit du Soleil
Les vents insufflent volonté et inspiration aux hommes tout Noir, le silence des dieux a lentement clairsemé les rangs
en les maintenant à leur juste place par leur force irrésis- des druides, alors qu’à de rares exceptions près, les Hommes

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d’Acier ne prennent toujours que des apprentis issus de leur et forêts les plus reculés ou affronter les occasionnels raids
sang. À l’heure actuelle, si les ateliers des Stahman restent des drakkars valdhs), le royaume des îles entretient grâce
majoritairement en activité, plus de la moitié des grottes aux impôts une flotte obéissant directement à la couronne.
sacrées et des cercles de pierres levées sont à l’abandon. La flotte royale est également chargée de garder un œil
sur les pirates de Vell. Ne serait-ce que pour s’assurer que
Confronté aux pouvoirs d’un Élu, un insulaire tentera dans leurs capitaines ne s’en prennent qu’aux navires étrangers…
un premier temps de relier ce qu’il voit à ses propres et n’oublient pas à l’occasion de reverser discrètement une
croyances. S’il peut interpréter ce qu’on lui raconte d’une partie de leur butin au trésor royal. L’archipel n’entretient pas
façon compatible avec la Trinité, il aura tendance à laisser d’armée terrestre, si un envahisseur déterminé parvenait à
dire, même si l’Élu est visiblement dérangé et comprend prendre pied (après avoir subi des pertes majeures contre
tout de travers. Après tout, il a certainement été choisi par la flotte royale), il se heurterait vraisemblablement à des
les dieux pour une bonne raison. L’Élu sera donc considéré groupes de guérilla, formés de paysans, de chasseurs et de
comme un druide, et respecté en conséquence tant qu’il ne soldats au service des Earls.
commettra aucun sacrilège.
Lorsqu’ils doivent combattre, les insulaires préfèrent utili-
À l’inverse, si l’Élu se montre méprisant envers les croyances ser des gourdins, haches et épieux solides, armes qui leur
des insulaires ou nie l’existence de la Trinité, les réactions servent aussi bien d’outils que de moyens de défense pour
se feront rapidement hostiles. Les gens d’Aon n’ont pas affronter les bêtes sauvages. Les épées sont prisées par les
l’habitude qu’on dénigre leur religion et ils prennent très nobles et les soldats de métier. Frondes, arcs et javelots
mal toute agressivité ou insulte à leur endroit. Une agres- sont couramment utilisés et la plupart des frondeurs ou des
sion, si ce n’est une lapidation en bonne et due forme, est archers des Trois Sœurs sont redoutables. Ils s’entraînent
à envisager. régulièrement sur les mouettes et les corbeaux, afin de les
maintenir à l’écart. Les armures sont généralement de cuir
Les rares marins d’Aon qui ont entendu parler du Culte du clouté, car l’entretien d’une cotte de mailles n’est pas une
Soleil Noir sont assez perplexes, car ils savent peu de choses sinécure avec le climat des îles. Les Earls et les guerriers for-
sur les nations et les dieux au-delà des côtes du continent. tunés peuvent parfois s’offrir une armure de plaques, mais
Ils ont tendance à considérer que les croyances des autres les insulaires n’apprécient pas trop ce genre de protection.
peuples sont erronées et que leurs dieux sont en fait des En mer, les pirates sont généralement dépourvus d’armure et
avatars mineurs de la Trinité, voire qu’ils n’existent pas. Dans s’efforcent d’affaiblir leurs ennemis par des nuées de flèches
le même temps, ils partent aussi du principe que si les dieux avant l’abordage. À terre et plus encore en mer, on s’efforce
veulent s’adresser aux étrangers, ils sont assez grands pour de garder à l’écart plusieurs archers, dont le rôle est de tuer
le faire seuls. Ainsi donc, les insulaires considèrent que la les chefs adverses, ou les combattants trop dangereux.
multiplicité des croyances des continentaux n’a pas vrai-
ment d’importance : soit les dieux en sont satisfaits pour
d’énigmatiques raisons qui n’appartiennent qu’à eux, soit ils
PATRONYMES D’AON
finiront par faire comprendre leur déplaisir. Le prosélytisme
est étranger au caractère de l’islefolk. Ainsi, lorsqu’ils en
apprendront davantage sur la foi venue de l’Empire de Lux, Prénoms féminins : Abigail, Adamaris, Catriona, Dan,
il y a fort à parier que les gens d’Aon la rejetteront en bloc. Deirdre, Donella, Elspet, Eona, Finella, Griselda, Hazel,
Cette histoire de dieu unique et invisible sera jugée comme Isobel, Lilias, Mardelle, Marlow, Minta, Nora, Paige,
non seulement prétentieuse, mais aussi complètement Qiana, Rowena, Taya.
absurde. De même, les habitants des Trois Sœurs prendront Prénoms masculins : Aethelred, Aidan, Alan, Angus,
certainement les armes dès qu’ils comprendront que dans Artus, Brian, Bruce, Craig, Ewen, Finlay, Ian, Ivor,
l’esprit des adeptes du Soleil Noir, il n’y a pas de place pour
Manley, Marlow, Moore, Ogden, Paige, Radcliff, Sean,
d’autres croyances que la leur.
Taryn.
Noms de famille : les habitants des Trois Sœurs
Un isolement prudent
ont un attachement certain pour leurs ancêtres et
L’Islefolk est très attaché à sa tranquillité et à ses traditions.
aussi loin qu’on s’en souvienne, l’usage des noms de
Les troubles d’importance sont très rares dans l’archipel et
famille a toujours été répandu dans les îles. La plupart
les gens d’Aon ont du mal à imaginer ce qu’une véritable
guerre peut être. Cependant, en dépit de leur isolement, on de ces noms évoquent la profession, l’origine ou
aurait tort de les prendre pour un peuple naïf. Depuis des un attribut particulier. En voici quelques exemples :
siècles, les souverains de Kaer Gaen ont la charge de pro- Ackerman, Arkwright, Ash, Attaway, Baker, Barnes,
téger les Trois Sœurs de tous les dangers. Ainsi, si chaque Blackwood, Brook, Carpenter, Cook, Draper, Fisher,
Earl dispose d’un petit contingent de soldats (principale- Fletcher, Forrest, Granger, Hawking, Hightower, Keen,
ment pour lutter contre le brigandage, repousser quelques Lockwood, Sailor, Seaver, Shepard, Smith.
créatures dangereuses qui vivent encore dans les gouffres

GODS / Aon - Le peuple gris / PAGE 11


BABEL
LE CENTRE DU MONDE

GODS / Babel - Le centre du monde / PAGE 12


BABEL
LE CENTRE DU MONDE
C’est ainsi que le royaume de Babel et sa capitale, Sabaah-aux-jardins-célestes, sont
couramment surnommés à travers les Terres Sauvages. La langue de Babel, son calendrier,
sa monnaie rayonnent depuis longtemps jusqu’aux endroits les plus reculés du monde
connu. Même au cœur de Tuuhle, la Grande Mère, ou des plaines glacées de Vaelor, on
connaît le nom de Babel. Pourtant, la majorité des habitants des Terres Sauvages sait peu
de choses sur le puissant royaume des sables et prend souvent pour argent comptant les
fables extravagantes qui circulent à son sujet.

Raffinée, civilisée, puissante, Babel est également d’un inté- La vallée du fleuve Siirh demeure essentielle à la prospérité
rêt politique et mystique majeur pour l’Empire du Soleil de Babel et un soin tout particulier est apporté aux abon-
Noir. S’il parvient à faire tomber le royaume dans son giron, dantes cultures qui s’étendent sur les berges du gigan-
le Culte sait qu’il gagnera considérablement en influence tesque fleuve. C’est aussi sur les rives du Siirh que se trouve
dans l’ouest du continent. La conversion récente de la reine la célèbre route de pierre noire qui traverse le royaume. Non
Taerhonis porte déjà ses fruits, puisque la souveraine a loin des limites de la vallée, cependant, le désert reprend
décrété que l’Unique deviendrait le dieu tutélaire de son rapidement ses droits et il devient alors crucial de ne pas
royaume. Babel n’a pas encore mobilisé ses armées, mais ses s’écarter des pistes qui relient ces villages-oasis que l’on
intentions sont évidentes concernant ses voisins. La ques- nomme les Oubs. Les vents de sable empêchant l’entretien
tion est de savoir qui sera sa première cible. Le Khalistan de routes véritables, la plupart des voies de circulation sont
prospère ? Les Royaumes divisés vulnérables ? Ou l’austère balisées par des poteaux de métal de plusieurs mètres de
et maléfique Saeth, qui contrôle le delta du fleuve Siirh ? haut. Les tempêtes de sable parviennent malgré tout à les
arracher régulièrement et plus d’un voyageur s’est perdu
Babel et l’Arkadie faute de points de repère.
Peu d’étrangers le savent, mais le terme de Babel désigne
en réalité l’ensemble des terres contrôlées par la reine de L’est du royaume ne compte aucune ville d’importance. Le
Sabaah. Le cœur historique du royaume est l’Arkadie. Il est désert des Murmures intéresse peu Babel, mais on le sur-
concentré autour de Sabaah et s’étend sur plusieurs dizaines veille tout de même, afin de parer aux attaques occasion-
de kilomètres vers l’ouest et surtout le nord. Le territoire est nelles des cavaliers de la Horde, qui s’aventurent parfois
riche en cyprès que l’on plante à loisir et bien que leur ali- au-delà des limites de leurs plaines ancestrales et bravent
gnement soit agréable à l’œil, il permet avant tout de modé- les sables. La petite mer intérieure de Nir constitue égale-
rer la puissance des vents du désert. L’Arkadie est le joyau de ment un important foyer agricole. Elle accueille la majorité
Babel et l’on est souvent fier d’en être originaire. Les étran- des pêcheurs du royaume, dans une multitude de bour-
gers considèrent tous les habitants du royaume comme des gades côtières, toutes plus animées les unes que les autres.
Babelites, mais les Arkadiens ne manquent jamais de rappe- Cependant, lorsque l’on atteint la cité d’Uruk, l’ambiance
ler leurs nobles racines. Le babelite, la langue du royaume, devient plus morose et il est couramment admis que le vent
est à peu de choses près la langue arkadienne. Si l’Arkadie du sud apporte de sinistres émanations originaires de Saeth.
constitue le cœur prospère du royaume, le reste de Babel
est bien plus diversifié. La culture arkadienne s’y mêle aux Les ambitions s’éveillent
vestiges des traditions tribales des nomades, ou encore au Au cours de l’histoire de Babel, ses reines ont à plusieurs
reliquat des vieilles croyances des villages assimilés par le reprises ordonné des campagnes pour étendre le royaume,
royaume lors de son expansion. notamment vers l’ouest et les pays jumeaux du Khalistan.

GODS / Babel - Le centre du monde / PAGE 14


Durant le siècle écoulé, ces ambitions ne semblaient plus royaume l’amena à incorporer dans Babel des tribus nomades
être de mise et Babel préférait jouir de sa puissance com- du désert des Murmures, de Sawarhii ou de la Frontière, et à
merciale et de son prestige. Depuis deux ans, environ, la se mélanger aussi avec les natifs à la peau noire de Ool et de
jeune reine Taerhonis regarde à nouveau les frontières de Tuuhle. Actuellement, on trouve donc une prédominance très
son royaume et réunit régulièrement son conseil de guerre. nette de peaux ambrées, brunes ou noires à travers Babel. Les
Les généraux de la reine ont juré le secret le plus absolu et la yeux des babelites sont le plus souvent bruns, noirs ou verts.
teneur exacte de ses aspirations reste secrète. La seule per- Dans leur grande majorité, ils sont de corpulence mince,
sonne en dehors de Taerhonis et de ses généraux à savoir souvent athlétiques, même si les citadins sont sensiblement
ce qui se trame est Severus Quirinus, archiprêtre de l’Unique moins actifs et plus touchés par l’embonpoint. Au cours du
et chef suprême du Culte en Babel. dernier siècle, les villes babelites se sont considérablement
peuplées et de nombreux clans nomades se sont sédentari-
Un peuple métissé sés. Les Oubs, les villages-oasis, ont atteint leur point de satu-
À l’origine, les habitants de Sabaah avaient des traits et une ration il y a moins d’une génération et un exode rural s’est
allure très proches de ceux des Khalistani. Leur couleur de produit vers Sabaah et les principales cités le long du Siirh.
peau mate aux reflets dorés et leurs cheveux sombres sont
encore très présents dans toute l’Arkadie. L’expansion du Les Babelites apprécient les robes amples et les burnous,
souvent ornés de frises décoratives. Les couleurs écrues
ainsi que le vert, le noir et le bleu sont très fréquents.
LA REINE TAERHONIS
Bracelets et bagues sont portés par tout le monde, les gens
les plus pauvres se contentant de bijoux de fer médiocre,
La jeune souveraine est montée sur le trône à l’âge voire de plomb ou de bois peint. Les Ulthuls et les Enkihurus
de quinze ans, après la longue et pénible agonie de arborent avec fierté des ornements pectoraux ouvragés en
sa mère, Béhirinis, atteinte d’un mal incurable. Une métal précieux et délicatement gravés. Il est d’ailleurs aisé
bonne dizaine de médecins et autant de charlatans de reconnaître les Enkihurus : outre leurs bijoux impression-
et d’alchimistes périrent pour n’avoir pas su sauver nants, ils sont les seuls à aller tête nue et partiellement dénu-
la reine. Taerhonis se doutait de ce qui l’attendait dés. En effet, ils dédaignent le port de vêtements destinés à
lorsqu’elle coiffa le heaume ancestral, symbole de la les protéger du soleil, car ils sont en permanence entourés
royauté arkadienne, car depuis un moment déjà, ses d’esclaves porteurs de parasols et d’éventails.
parents et la cour la pressaient de tous côtés. Elle devait
aussi composer avec le Culte qui s’était installé et avait
prospéré à Sabaah avec la bénédiction de Béhirinis.
PATRONYMES DE BABEL

Alors qu’elle entame la sixième année de son règne,


le pouvoir de la souveraine reste précaire par bien Prénoms féminins : Adania, Amaru, Anatu, Aruna,
des aspects. La jeune reine semble influençable, mais Belatsun, Belis, Belit’h, Davke, Isara, Kalumtum,
se montre méfiante à l’égard de ceux qui multiplient Kissare, Ma’ammu, Nanahi, Ninditu, Our’anna,
les offres et les promesses. Certains pensent que si Sarpane, Serua, Shala, Sharu, Tashmitum, Zai, Zirat (les
elle s’est convertie au Dieu unique, c’est avant tout par femmes de sang royal ont un prénom qui se prolonge
opportunisme ; pour obtenir le soutien du Culte en vue en -nis ou -ris).
de reprendre en main son royaume. D’autres la croient Prénoms masculins : Adad, Adum, Ammenon,
manipulée par l’archiprêtre Severus Quirinus et certains Bel’shem, Eriba, Gandash, Gadatas, Kandalanu,
osent même murmurer que l’étrange épée qu’il lui a Mukin, Labashi, Maruduk, Nabonide, Nabu, Nazarat’ii,
offerte est un objet ensorcelé voué à la manœuvrer. Ninib’su, Ninurta, Sargon, Shamesh, Simbar, Tamzi,
À tout le moins, le règne de Taerhonis est marqué par Yanzu, Zabu, Zulmarhi.
des signes très contradictoires : elle laisse les coudées
franches au Culte tout en fondant la Garde pourpre À l’image des Arkadiens, les Babelites n’emploient pas
pour son service propre ; elle ordonne la répression des de noms de famille. L’étiquette exige cependant qu’on
Amuzazels tout en épargnant Uruk, la cité qui a rejeté mentionne la caste de son interlocuteur quand on
sa royale autorité. Tandis que les adeptes de l’Unique parle de lui ou que l’on s’adresse à lui. Ainsi, on dira
clament haut et fort leur soutien à Taerhonis, quelques par exemple « Ulthul Ahabas Khep » pour s’adresser
personnes vont jusqu’à penser qu’elle a simplement au commandeur d’Uruk. On peut aussi utiliser un
perdu la raison. S’agit-il d’une marionnette ? D’une titre officiel en lieu et place du nom de caste. Les
folle ? D’une fine calculatrice ou plus simplement d’une étrangers ignorent généralement qu’il est cependant
désespérée ? Qui peut vraiment savoir ce que cache inconvenant de cumuler ces deux usages dans une
le visage impassible de la souveraine ? même phrase, car cela passe pour de la flagornerie.

GODS / Babel - Le centre du monde / PAGE 15


UNE SOCIÉTÉ STRUCTURÉE
ET HIÉRARCHISÉE
Les traditions babelites, ou plutôt arkadiennes, ont modelé les chefs de guilde et les élus locaux de la caste Enuru sont
une société où chacun possède une place en fonction de également des Ulthuls, tant qu’ils continuent à exercer leurs
son rôle et de sa valeur. Cette place lui donne des droits et responsabilités. Les maires, les généraux et les commandeurs
lui impose des devoirs. Cette société a perduré pendant des militaires sont aussi des Ulthuls, etc. Pour le dire plus claire-
siècles sans guère de changement, si ce n’est quelques très ment, une personne reste dans sa caste d’origine, mais rejoint
récents bouleversements. aussi celle des Ulthuls tant qu’elle occupe un poste d’autorité.

La grande majorité des habitants de Babel est constituée de Enfin, la noblesse arkadienne, les Enkihurus, est assez réduite,
simples citoyens, ou Enuru en babelite. Les Enuru sont des car elle ne compte normalement que la famille royale sur le
hommes libres dotés de droits fondamentaux. Ils exercent la trône et les représentants des lignées matrilinéaires qui l’ont
plupart des métiers peu ou pas qualifiés (porteurs, ouvriers, précédée. Les privilèges des Enkihurus sont nombreux et
serveurs, boutiquiers), ainsi que divers artisanats (potiers, tis- la reine de Sabaah peut en quelque sorte être considérée
serands, forgerons, etc.). Toutes ces professions sont regrou- comme une caste à part entière tant elle est bien au-dessus
pées sous l’égide de guildes, plus ou moins influentes. Enfin, des autres nobles, y compris ses propres parents. La reine
les marchands appartiennent également à la classe des Enuru. peut anoblir toute personne de son choix ou, ce qui revient au
même, la convier à demeurer de manière permanente dans
Les Sabahuls (les faiseurs) ne sont pas (comme leur nom son palais en tant qu’invitée. Au regard de la tradition, cela
pourrait le suggérer) des artisans. Leur classe rassemble équivaut à faire entrer cette personne dans la famille royale.
des groupes organisés autour de savoir-faire particuliers. La reine est seule à pouvoir juger et condamner un Enkihuru,
Architectes, ingénieurs et urbanistes forment le gros des même s’ils sont rares à disposer de réelles responsabilités
effectifs. Ils ont divers privilèges, mais ne peuvent exercer de (auquel cas ils sont également membres de la caste Ulthul). La
manière libre : ils œuvrent pour le pays et pour la reine, en parole royale est absolument irrévocable. Toutes les lignées
organisant le travail des Enuru et en assurant la grandeur des royales de Babel sont d’origine arkadienne et la cour royale ne
cités d’Arkadie. Les plus ambitieux – et talentueux – peuvent parle jamais du royaume qu’en disant « l’Arkadie ». Le terme de
également rejoindre la caste des dirigeants, en devenant « Babel » n’est d’usage que pour désigner les protectorats et
maire (Turru) de bourgade, ou conseiller dans les grandes les territoires frontaliers, en somme tout ce qui est tombé sous
cités du royaume. Par défaut, les érudits et les lettrés sont la coupe du trône au cours des derniers siècles. De même, si
aussi des Sabahuls, mais leur prestige reste bien moindre. la langue du royaume est appelée babelite, les membres de
la cour royale continuent à dire qu’ils parlent l’arkadien.
Les guerriers, depuis les simples gardes jusqu’aux soldats
de l’armée royale, forment la caste des Ahabas, les combat- Les hors-caste
tants. Cette caste bénéficie d’une imposition très légère et On compte trois catégories très différentes d’individus
son prestige rivalise avec celle des Sabahuls. Ses hauts gra- placés en marge du système des castes. La première et la
dés peuvent espérer prendre la tête d’une des grandes cités plus influente, bien que ses effectifs soient peu nombreux,
du royaume, en tant que Commandeurs, le titre traditionnel rassemble les prêtres du Soleil Noir. Les prêtres de l’Unique
des gouverneurs babelites. sont intouchables et à l’abri des lois. Seule la reine peut lever
la main sur eux, même si elle préfère généralement laisser
Les rangs des Asahaas (les Mères) sont exclusivement com- l’archiprêtre régler les cas les plus litigieux. Cette impunité
posés de femmes, dont le rôle est à la fois profane et sacré. permet au Culte de prêcher sa foi ténébreuse sans risquer
Elles sont toutes liées, directement ou symboliquement, à insultes et menaces, du moins en public.
l’eau, source de vie. Les soignantes qui aident les médecins
sont des Asahaas, seules autorisées à manipuler l’eau qui Les esclaves sont également des hors-caste et leur statut est
servira à nettoyer, baigner ou abreuver les malades et les définitif. Ils sont marqués au fer rouge sur le visage et sont
blessés. De même, tous les bateaux qui naviguent sur le Siirh considérés comme de simples outils, des objets mobiles.
à l’intérieur des frontières de Babel doivent employer ou Babel est très demandeuse d’esclaves, à la fois pour le
laisser monter à bord une passeuse qui guidera l’équipage. royaume, mais aussi en tant que marchandise. Les mar-
Les porteuses et les gardiennes qui ont prêté le serment du chands d’esclaves sont d’ailleurs à l’affût de toute rumeur
fleuve sont jugées totalement dignes de confiance : les pre- venant du palais royal, car si la reine Taerhonis se préparait
mières sont chargées d’entretenir les fontaines, les canaux à la guerre, ses conquêtes promettraient bien des captifs…
et les canalisations, alors que leurs consœurs gardent les
écluses, les puits et les sources d’eau du royaume. Enfin, les derniers prêtres des anciens dieux de Babel (tra-
ditionnellement rattachés à la caste des Sabahuls) ont été
La caste des dirigeants, les Ulthuls, est liée au statut et non à déclassés. Ceux qui ont renié leur foi sont devenus Enurus,
la profession ou à la vocation. Ainsi, elle est composée des certains ont voulu montrer leur fidélité à la reine en rejoi-
membres les plus influents des autres castes. Par exemple, gnant les rangs des Ahabas. La plupart ont sagement

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décidé de se convertir à l’Unique, ou au moins de ne rien
dire ou faire contre ses prêcheurs. Les plus récalcitrants ont LA FIN DES AMUZAZELS
préféré l’exil… ou la mort.
Depuis la disparition des anciens dieux, les
Le carrefour des échanges prostituées sacrées d’Amura, la déesse des lunes,
À lui seul, le large fleuve Siirh transporte les trois quarts des
formaient une caste à part entière. En effet, on prêtait
marchandises qui transitent par Babel. Le reste est convoyé
à ces femmes des capacités oraculaires. Celui ou celle
par les innombrables caravanes, dont bon nombre appar-
qui parvenait à faire atteindre l’orgasme à une Fille
tiennent aux princes-marchands du Fakhar. Babel est la prin-
d’Amura se voyait révéler des bribes du futur entre
cipale plaque tournante du commerce des esclaves dans
deux cris de plaisir. En dépit des apparences, la chose
les Terres Sauvages. Les marchés aux esclaves de Sabaah,
n’était pas aisée, mais le temple d’Amura était le seul
Sanaharra et surtout Maraban sont particulièrement répu-
tés. Babel utilise les terres de la Frontière comme princi- dans le quartier sacré de Sabaah dont la fréquentation
pale source d’esclaves, mais mène parfois des expéditions ne déclina pas au cours des siècles. Lorsque la reine
jusqu’aux franges de l’immense forêt de Tuuhle. Là, elle Taerhonis se convertit au Culte du Soleil Noir, elle
s’approvisionne auprès de tribus amicales qui lui vendent ordonna la dissolution de la caste amuzazel. Les
leurs ennemis captifs ou elle négocie avec les esclavagistes Filles d’Amura eurent la langue coupée, les lèvres
des cités de Ool. Les victimes des querelles épisodiques cousues et le fer rouge fut apposé sur leur visage et
avec le Khalistan ou les nomades du désert des Murmures leur sexe. Puis, le Culte les expulsa du quartier sacré.
complètent le lot. Parfois, on trouve des malheureux vendus Leur temple, à l’instar des autres, fut interdit d’accès.
depuis les pays nordiques, généralement des débiteurs Les rumeurs n’ont pas manqué sur les raisons de cette
incapables de rembourser leurs créanciers. atrocité : un calcul politique de la part de la jeune
reine, une preuve de fidélité envers son nouveau dieu,
Cependant, Babel est très loin de se contenter du com- l’influence grandissante de l’archiprêtre Quirinus…
merce d’esclaves. Par son contrôle de la quasi-totalité du mais d’aucuns murmurent qu’en réalité, Taerhonis
Siirh, le royaume peut remplir ses caisses des taxes sur les a surtout agi par peur, car durant leurs jouissances,
marchandises qui descendent le long du fleuve jusqu’au plusieurs Amuzazels auraient annoncé qu’elle
pays sinistre de Saeth, lequel n’entretient aucun amour pour causerait la perte du royaume…
les babelites, bien au contraire.

Ce ne sont pourtant ni les taxes ni les esclaves qui consti- Babelites les plus aisés possèdent volontiers une demeure
tuent la source véritable des richesses de Babel, mais bien sur deux ou trois niveaux. On témoigne aussi de son aisance
l’eau du Siirh. Par le biais des Asahaas, l’état contrôle sa grâce à la pierre blanche, voire au marbre, que l’on préfère
vente aux citadins, aux agriculteurs et aux éleveurs. À tra- à l’abondante pierre jaunâtre issue du désert. La couleur
vers l’eau, la couronne contrôle donc de manière indirecte blanche est réputée faire barrage aux esprits malveillants
l’agriculture et l’élevage dans tout le royaume. Le Siirh n’est et si l’on ne peut protéger sa demeure avec des briques
pas la seule source d’eau potable, mais à lui seul, il abreuve blanches, on peut au moins tendre du tissu blanc devant les
plus des deux tiers des habitants du royaume, sans parler de fenêtres ou l’entrée. Les plus nantis postent habituellement
leurs jardins et de leurs bêtes. un concierge au seuil de leur foyer, pour que les passants ne
soient pas tentés de venir leur dérober leurs biens.
L’artisanat babelite, décoratif avant tout, fait la part belle aux
poteries, aux teintures et aux tapisseries. Il existe un petit Les poteries, notamment en terre rouge prélevée sur les
marché de bibelots et tissus ciblant les clients fortunés du rives du Siirh, sont omniprésentes et les gens fortunés
reste des Terres Sauvages et dont la renommée grandit peu (Sabahuls, Ulthuls, Enkihurus…) apprécient également les
à peu. La musique, surtout le chant, et le théâtre sont les sculptures de bronze et les sols de mosaïque.
principales formes d’art du royaume. Ses poètes sont éga-
lement réputés pour leurs tournures complexes, souvent à Les rues des grandes villes sont pavées, pourvues d’égouts
double sens. Tous les artistes font partie de la caste Sabahul et les palais des puissants disposent de complexes sys-
et l’aura des plus célèbres rivalise avec celle des meilleurs tèmes permettant d’acheminer l’eau jusqu’aux étages. Le
architectes ou ingénieurs du royaume. luxe suprême pour un Babelite consiste à prendre un bain
dans une salle d’eau, au troisième étage de sa demeure, loin
L’essor des villes au-dessus des clameurs de la rue.
Traditionnellement, l’architecture babelite est une constante
recherche de simplicité minimaliste. La majorité des habi- Les faubourgs, à l’inverse, témoignent bien de la ségréga-
tations et des bâtiments sont de forme cubique ou rectan- tion sociale babelite. La majorité des esclaves et des Enurus
gulaire et la plupart n’ont pas de porte. Une simple tenture aux professions peu qualifiées s’y entassent. Ainsi que de
permet de préserver l’intimité des habitants, la coutume nombreux natifs des villages les plus pauvres, attirés par la
voulant qu’on se racle fortement la gorge, en tapant dans prospérité des grandes villes. La situation dans ces quartiers
ses mains à deux reprises pour signaler sa présence sur le est bien moins reluisante, et plus dangereuse, que dans les
seuil. La prospérité s’exprime généralement par la superfi- larges artères dallées et surveillées des centres-villes.
cie ou le nombre d’étages des habitations, si bien que les

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SABAAH-
AUX-JARDINS-
CÉLESTES
Nulle ville, nulle capitale à travers les Terres Sauvages ne
jouit de la réputation prestigieuse, légendaire même, de
la glorieuse Sabaah. Des poèmes, des chroniques, des
tableaux sans nombre ont été faits en son hommage et
même ses habitants peinent à la décrire. Elle accueille à elle
seule la moitié de la population du royaume, strictement
répartie en trois grands secteurs concentriques.
Le cœur de la ville, le Premier Niveau, se dresse au-dessus
du reste, construit, si l’on en croit la légende, sur les ruines
d’une cité oubliée. De somptueux palais de marbre blanc se
blottissent autour de la demeure royale. On dit que Sabaah
en compte cent-vingt-neuf. Si la plupart témoignent du
style arkadien classique, certains sont en partie reconstruits
ou ornementés selon des normes plus exotiques, car la
noblesse apprécie de se distinguer en faisant venir à grands
frais des architectes étrangers. Les routes sont toutes dal-
lées de pierre noire et lavées chaque jour à grande eau,
symbole de l’immense prospérité de l’élite de Babel. On
raconte que certains escrocs récupèrent cette eau sale,
furtivement épongée quand les gardes et les Asahaas ont
le dos tourné. Ils la revendent à prix d’or aux miséreux de
la capitale, car on lui prête des vertus curatives. Le Premier
Niveau est aussi appelé « les Pierres Noires » ; on ne peut y
entrer sans laissez-passer à moins d’être Enkihuru, Ulthul,
ou de compter au nombre de leurs serviteurs. Les Pierres
Noires comprennent également les temples-ziggourats du
quartier sacré, désormais vides et étroitement surveillés par
les dévots du Soleil Noir.
Au-delà des palais de Sabaah Le Troisième Niveau est dédié à la protection de la cité et
Les murs d’enceinte des palais sont très épais et leurs som- accueille pour l’essentiel ses soldats, ainsi que les entrepôts
mets constituent les fameux « jardins célestes » de Babel. Les nécessaires pour tenir un siège. Durant sa longue histoire,
Enkihuru peuvent se rendre d’un palais à l’autre sans jamais Sabaah fut en effet attaquée plusieurs fois, notamment par
quitter les jardins suspendus ni fouler les rues de pierres l’ancien Sultanat qui allait donner naissance au Fakhar et au
noires s’ils le désirent. Ces jardins sans pareil dans le monde Khashan, ainsi que par les armées pâles de Saeth.
connu sont irrigués par l’eau du Siirh grâce à d’antiques
systèmes hydrauliques, preuve incontestable du génie des Géographiquement, le Troisième Niveau s’étend autour
premiers Sabahuls. On y trouve aussi bien des massifs flo- des niveaux centraux, alternant cantonnements, terrains
raux que des bosquets d’arbres fruitiers et des potagers. d’entraînement et entrepôts. Bien qu’il soit étroitement
Depuis que Taerhonis s’est convertie au Dieu Unique, les surveillé, il existe une frange, une zone entre le Deuxième
Siides, étranges fleurs noires sacrées pour ses adeptes, se et le Troisième Niveau, ou les choses sont très différentes.
sont multipliées à travers les jardins célestes, avant d’appa- On appelle cet endroit « la ceinture » et il constituait autre-
raître dans le reste de la ville, puis du royaume. En l’espace fois les faubourgs de la métropole, saccagés lors du der-
de quelques mois, on a commencé à en voir jusque dans les nier grand siège de Sabaah, il y a quatre cents ans. Depuis
villages côtiers du Fakhar… cette époque, ces rues dévastées et ces bâtisses effondrées
ont été laissées à l’abandon, car elles sont réputées han-
Autour du Premier Niveau des Pierres Noires, le Second tées. Une faune bigarrée s’est installée au fil du temps dans
Niveau forme la majeure partie de Sabaah et accueille l’essen- les ruines de la ceinture. Des gangs criminels, des sectes
tiel de sa population. Les Ulthuls les plus modestes, l’immense étranges et des miséreux vivent dans ces rues malsaines et
majorité des Sabahuls et des Enurus en sont les habitants. Les dangereuses. Quelque part dans ce secteur sordide, le plus
demeures les plus prospères sont blanches, mais elles sont grand criminel du royaume, le fameux « Roi de Sabaah »,
minoritaires tandis que pullule partout la pierre jaune. Les tient sa cour de putains, de tire-bourses et de tueurs à
grands marchés animés de la métropole se trouvent aussi gages. Il dirige d’une main de fer la guilde des voleurs, pro-
dispersés à travers le Second Niveau, installés sur des places bablement la plus ancienne organisation de ce type dans
aérées où mènent de larges artères bien entretenues. les Terres Sauvages.

Le solide mur d’enceinte de Sabaah entoure le Troisième


Niveau et protège la ville du reste du monde depuis quatre
LES ARCHITECTES DU SOLEIL NOIR
siècles. Les gardes exigent une pièce de bon argent à
chaque voyageur qui veut franchir les grandes portes, lui
Les croyants de l’Unique ont été galvanisés par la
conversion de Taerhonis et sa décision de faire de
leur foi celle du royaume. Les agressions à l’encontre
des gens qui ne partagent pas leur croyance se
sont multipliées et l’ascendant déjà considérable
de l’archiprêtre se renforce de jour en jour. Mais le
Culte va plus loin, car il a entrepris de remodeler
la cité de Sabaah elle-même. Dans les jardins
suspendus, les anciennes statues ont disparu au
profit de représentations du Prophète. Les frises et
les mosaïques qui ornent Sabaah ont également été
brisées ou recouvertes. Enfin, au cœur de l’ancien
quartier sacré, une tour de pierre sombre commence
à se dresser entre les ziggourats. Les fidèles déploient
des efforts titanesques pour élever cette colonne
sinistre au-dessus des toits, sacrifiant leur santé et
celle des esclaves achetés en nombre sur les marchés.
Leur ferveur semble indiquer que cette tour joue un
rôle majeur dans leur croyance. À mi-voix, certains
évoquent d’antiques prophéties, des déclarations
apocalyptiques qui auraient été prononcées par
Severus Quirinus durant ses audiences avec la reine.
Quelle que soit l’importance que revêt la tour sombre
aux yeux des adeptes de l’Unique, il est clair qu’ils
sont les seuls à se réjouir de sa construction.

GODS / Babel - Le centre du monde / PAGE 20


remettant un laissez-passer de terre cuite, petite tablette
précieuse valable quelques Temps tout au plus. À l’ex- LES ZIGGOURATS BABELITES
térieur, au pied de la muraille, des caravansérails et des
campements de fortune ainsi que des marchés en plein air Les anciens temples arkadiens sont bâtis selon un
accueillent les voyageurs qui patientent pour pouvoir péné-
schéma antique, aux origines oubliées. Ils prennent
trer dans la plus merveilleuse cité du monde. De nombreux
la forme de tours massives, échelonnées en paliers
trafics, à commencer par des laissez-passer volés ou contre-
qui évoquent des marches gigantesques menant
faits, de nombreuses arnaques et d’innombrables querelles
au sommet. Leurs entrées et leurs couloirs sont
meublent les jours et les nuits de cette cité de tentes. Cette
hauts comme trois hommes et aussi larges. Les
population bigarrée et cosmopolite se dispute, marchande
plus anciens furent en fait l’œuvre des Premiers
et garde un œil sur ses biens et une main sur ses armes,
espérant que les gardes des grandes portes les laisseront Hommes, des géants, et leur aspect extérieur revêt
passer, un jour. Peut-être demain ? une symbolique pratique, car en des temps oubliés,
les Premiers Hommes faisaient l’ascension de ces
Le fleuve entre les murs marches colossales pour aller converser avec les
Le cours du Siirh traverse Sabaah, formant la limite orientale dieux. L’intérieur de ces bâtisses ne servait qu’aux
entre le Second et le Troisième Niveau. Le trafic fluvial est rites mineurs, mais lorsque les hommes se les
intense, mais la majorité des quais se trouvent au Second approprièrent, ils les remodelèrent et le cœur de
Niveau et sont soigneusement surveillés. Parfois, un groupe leur vie spirituelle fut organisé entre les murs. Le
d’oisifs Enkihurus descend des Pierres Noires, escortés et Culte du Soleil Noir n’a pas encore pu abattre ces
accompagnés de leurs domestiques. Ils embarquent sur édifices gigantesques, mais les quartiers sacrés,
des barges luxueuses, pour une croisière de plusieurs jours où est rassemblée la quasi-totalité des ziggourats,
en aval de la capitale. Le lit du fleuve est très large (plus de sont désormais désertés et interdits. Les intimidants
trois cents mètres, bien que la largeur du fleuve sacré puisse temples vides sont devenus d’autant plus inquiétants
atteindre presque deux kilomètres à certains endroits) et qu’ils sont à présent totalement silencieux.
il est également traversé par un long pont antique, œuvre
des géants disparus. Cet édifice titanesque possède une
chaussée de pierre assez vaste pour accueillir de front une passage des millénaires et au cours puissant du Siirh. Sur
quarantaine d’hommes, et des piliers larges d’une dizaine les rives, on peut voir l’eau s’engouffrer dans les canaux
de mètres qui semblent le soutenir depuis un temps incom- entretenus par les femmes de la caste asahaa. Ce sont ces
mensurable. Le Grand Pont de Sabaah est l’une des mer- canaux qui convoient le précieux liquide à travers le réseau
veilles des Terres Sauvages, car il a résisté sans faillir au qui approvisionne toute la cité.

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LA MULTITUDE
DIVINE
Autrefois, le peuple arkadien vénérait un nombre incroyable La longue absence
de dieux qui représentaient toutes les facettes du monde, Les humains désespérés allaient se donner la mort lorsque
depuis les deux lunes (Amura et Nittungha), jusqu’aux Nashee se fit reconnaître. Les portes du royaume des morts
concepts les plus abstraits comme la justice (Enki) ou l’instinct s’étaient fermées devant elle et sa divinité lui avait été reti-
prédateur (Mesumum). Il y avait un dieu ou une déesse pour rée, mais elle pouvait encore émouvoir les âmes en quête
chaque chose, chaque idée, chaque espèce. Tous étaient d’espoir et de réconfort. Dans les jardins de Sabaah, Nashee
les enfants d’Enu, la Lumière primordiale, le dieu créateur passa une année à rendre l’espoir aux hommes, à leur appor-
suprême. Les mythes décrivaient en détail la création du ter des lois et à leur donner confiance en eux-mêmes. Et
monde et le rôle de chaque divinité. Cependant, ils racon- puis, elle s’éteignit, et d’étranges histoires, gardées secrètes,
taient aussi que les hommes qui avaient été créés par Enu racontent ses derniers instants.
lui-même étaient devenus orgueilleux et vains. Ils avaient
reçu tous les dons y compris la jeunesse éternelle, ce qui ne Privés de dieux, les Arkadiens continuèrent cependant à les
faisait que les rendre plus insupportables, au point qu’ils se honorer. Ils espéraient qu’à l’image de Nashee ramenée à la
disputaient et s’entretuaient pour les raisons les plus futiles. Ils vie par Enu, leur foi permettrait un jour aux dieux de franchir
négligeaient les dieux et méprisaient leurs conseils. Alors, Enu à nouveau les portes du royaume des morts et de revenir
se tourna vers l’une de ses filles, Shemaarih. Elle lui conseilla parmi eux. Ils entendirent parler d’une prophétie, venue
de retirer aux hommes sa bénédiction afin qu’ils tombent du levant, selon laquelle les dieux finiraient par revenir. Et
sous la coupe du temps et dépérissent, jusqu’à rejoindre son ils prièrent. Et ils attendirent. Et leurs descendants firent de
royaume souterrain. Ainsi naquit le dieu Ashuggeh qui provo- même. Et les dieux ne revenaient pas.
quait la décrépitude et semait la maladie. Lorsqu’ils perdirent
la jouvence éternelle, la majorité des hommes demandèrent L’avènement de l’Unique
le pardon d’Enu, mais certains persistèrent dans leur dédain. Alors, depuis l’orient d’où était venue la Prophétie de
Enu était en colère et de sa colère naquirent deux nouveaux l’Oracle, un nouveau dieu se fit connaître. Ses prêtres le
dieux, Setuh le Serpent des Sables et Adun de la Nuit Froide. disaient né du Soleil Noir, Dieu Unique et parfait, destiné
Ils devinrent les bourreaux de l’humanité. Mais ces dieux ter- à remplacer tous les autres dont le temps était révolu. Les
ribles allèrent beaucoup, beaucoup trop loin… Babelites savaient dans leur cœur que leurs dieux ne répon-
draient plus, que toutes les prières au fil des siècles avaient
La dernière déesse été vaines. Alors, ils virent pousser les fleurs noires, les Siides
Setuh le Perfide mordit une jeune et vertueuse mortelle, de l’Unique, dans les jardins de Sabaah, et la reine le déclara
Nashee. Son agonie terrible émut jusqu’aux dieux, car Dieu de Babel. Tout comme elle, ils se prosternèrent devant
Nashee était humble et pure. Mais Enu ne pouvait revenir leur nouveau Dieu.
sur ses propres édits et l’âme de Nashee s’en alla dans le
royaume des morts. Le premier dieu descendit alors dans le Les Babelites ne sont pas tous devenus des dévots de
monde souterrain pour demander à Shemaarih de lui rendre l’Unique, mais ceux qui refusent le nouveau dieu sont
Nashee. La déesse de la mort accepta, à condition que toute de plus en plus ouvertement persécutés. Certains se
sa famille vienne un jour banqueter à ses côtés, car elle voyait demandent même pourquoi la reine n’a pas encore pure-
rarement son père, et ses nombreux frères et sœurs. ment et simplement décrété que toute autre croyance serait
criminelle. Si des Élus porteurs de la promesse du retour des
Revenue à la vie, Nashee demanda à Enu d’expliquer sa dieux d’autrefois se manifestaient, ils pourraient compter sur
volonté et de partager ses doutes et elle fut la première âme le soutien d’une partie de la population, notamment à Uruk
à découvrir les fardeaux que le créateur portait. Nashee et qui aurait bien besoin d’espoir. Cependant, chaque jour, le
Enu pleurèrent longtemps et le dieu fit preuve d’humilité en Culte du Soleil Noir resserre son emprise sur le royaume et
décidant que cette mortelle devait être récompensée pour les Élus devront intervenir avant qu’il ne soit trop tard, avant
lui avoir offert sa générosité et sa compréhension. Il l’adopta que même les plus réfractaires finissent par perdre espoir et
et fit d’elle une déesse à part entière, miséricordieuse et se soumettent.
compatissante.

Puis, un jour, Enu rassembla les autres dieux et ils se ren-


UN SYSTÈME LÉGAL
dirent ensemble dans le monde souterrain, pour partager le COMPLEXE ET ANTIQUE
repas de Shemaarih.
Les Arkadiens affirment que la notion de juge profession-
Et le soleil devint noir. nel est née dans leur pays et il y a peu d’érudits à travers
Et les dieux ne revinrent pas. les Terres Sauvages capables de dire s’ils ont raison ou non.

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TRADITIONS FUNÉRAIRES de se le permettre et la présence d’un plaideur n’est en
rien obligatoire. Bien que sur le papier la justice babelite
Les Babelites pensent que le royaume des morts soit précise et détaillée, le double effet des nuances légales
selon la caste de l’accusé et de l’implication des plaideurs
se trouve dans les profondeurs de la terre. Les
fait qu’à crime équivalent, les peines seront d’autant plus
défunts sont donc jetés dans des puits profonds
légères qu’on aura un rang social élevé. Dans l’esprit de la
de briques blanches après avoir été dépouillés de
majorité des babelites, cette situation est normale. D’ailleurs,
tous leurs biens. On ne fait nulle distinction entre les
le royaume n’a jamais connu autre chose.
morts et tous les corps sont jetés dans les mêmes
puits funéraires, indépendamment de leur caste.
Tous les Ahabas ayant un rang d’officier ont le droit de réqui-
Cependant, les cortèges funèbres des gens aisés, en sition. Concrètement, cela signifie qu’ils peuvent emprun-
particulier les Enkihurus, sont assez impressionnants : ter les biens de n’importe quel citoyen (à l’exception des
le corps dénudé est recouvert d’un drap blanc nobles et du clergé du Soleil Noir) si cela est indispensable
et placé sur un catafalque décoré porté par des à l’accomplissement de leur devoir. On pourrait craindre de
esclaves. Il est accompagné de pleureuses qui nombreux abus en la matière, mais dans les faits, les Juges
scandent les lamentations ancestrales en agitant leurs se montrent particulièrement intransigeants envers leurs
encensoirs. La richesse des robes des pleureuses, frères et sœurs de caste, lorsqu’ils profitent de ce droit pour
des encensoirs et du catafalque témoigne du statut se remplir les poches ou « oublient » de rendre ce qu’ils ont
du défunt. Les proches suivent le cortège, la tête emprunté. Néanmoins, il existe un petit, mais bien réel, trafic
couverte d’un tissu blanc. Ils pleurent ouvertement, d’influence entre certains gardes et les citoyens : les gardes
ou chantent, et certains vont jusqu’à se griffer ou crier. se voient proposer de « réquisitionner » certains biens et, en
Lorsque le corps est basculé dans le puits funéraire, échange de leur compréhension sur d’autres questions déli-
les pleureuses s’interrompent et les proches se cates, le propriétaire des biens en question ne vient jamais
découvrent la tête. Ensuite, tout le monde se disperse les réclamer par la suite.
comme si de rien n’était et chacun rentre chez soi,
tandis que les pleureuses vont rejoindre le cortège L’exil et l’esclavage sont les peines les plus courantes que les
suivant. Symboliquement, on s’attache à manger Juges babelites prononcent. Pour de nombreux condam-
nés, être banni du royaume et relégué dans les « contrées
abondamment (même si l’on n’a aucun appétit)
barbares » est un sort pire que la mort ; nombreux sont ceux
durant la veille qui précède l’inhumation, afin de ne
qui préfèrent devenir esclaves plutôt que de subir cette
pas prendre le risque d’être invité à suivre les dieux,
condamnation. Les esclaves sont soit remis aux victimes en
pour banqueter auprès de Shemaarih. La plupart des
guise de compensation, soit transférés directement au mar-
gens se remplissent simplement le ventre de quelque
ché le plus proche. Bien que l’esclavage ne soit pas héré-
chose qui coupe la faim, comme des galettes de
ditaire, il est presque toujours définitif. Les mutilations sont
semoule ou des dattes. également courantes pour les criminels professionnels : on
tranche la main des voleurs ou la langue des escrocs par
exemple. La peine de mort est normalement réservée aux
Il est cependant indéniable que Babel accueille quelques- meurtriers ou aux rebelles. Là encore, la caste du condamné
uns des plus anciens tribunaux du monde connu. La loi est fait la différence : pour un même crime, un Enuru pourra être
minutieusement décrite et gère la quasi-totalité des facettes condamné à vie aux travaux lourds ou vendu aux marchands
du quotidien de chacun, en fonction de sa caste. Chaque de Saeth, alors qu’un Enkihuru deviendra esclave copiste,
Babelite peut se rendre auprès d’un écrivain public pour jardinier ou précepteur. Les sentences de mort sont géné-
demander quels sont ses droits et il obtiendra sa réponse, de ralement exécutées par décapitation publique, à la hache.
même qu’on pourra l’assister (contre une somme modique) Cependant, la reine de Sabaah ou le commandeur de la cité
pour rédiger les documents dont il pourrait avoir besoin. la plus proche peut aussi ordonner que la condamnation
prononcée par le Juge soit agrémentée de supplices préa-
Émanation du pouvoir royal, la magistrature est exclusive- lables, pour distraire ou édifier le public. Théoriquement, les
ment composée de Juges issus des rangs de la caste ahaba. commandeurs des cités et la souveraine ont le droit de gra-
En plus de leur maîtrise exhaustive de la loi babelite, ces cier un condamné ou d’invalider la décision d’un Juge, mais
hommes et femmes ont tous été formés au combat et l’on ils exercent rarement cette prérogative. La plupart du temps,
compte même parmi eux des vétérans décorés. La plupart ces interventions exceptionnelles ont lieu parce que les amis
n’hésitent pas à mener les gardes eux-mêmes, lorsqu’ils ou les parents du condamné disposent des bonnes relations
doivent démanteler un groupe criminel ou arrêter un mal- pour se faire entendre avant que le jugement ne soit rendu.
frat. La loi décrit avec précision les procédures d’emprison-
nement et de jugement de chaque criminel, en fonction de
sa caste. L’accusé peut se faire assister d’un plaideur pro-
fessionnel, mais seules les castes fortunées ont les moyens

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LES AHABAS, Dans le même temps, la jeune reine proclama la naissance
d’un autre corps militaire, à son service exclusif : la Garde
LE POING DE BABEL pourpre. On raconte dans les recoins isolés des jardins
célestes que l’archiprêtre prit fort mal cette nouvelle, car il
Pendant la majeure partie de son histoire, le royaume de ambitionnait de faire des gardes noirs les protecteurs du
Babel entretint deux grands groupes de combattants : la palais royal et de la lignée régnante. Certains vont même
Garde et l’Armée. Le rôle de la Garde était de veiller à la paix jusqu’à croire que la reine marque ainsi ses distances avec
civile, ainsi que de lutter contre la criminalité et défendre les exactions de la Garde noire, mais la majorité des gens y
les murs contre les agresseurs éventuels. De leur côté, les voient surtout un geste politique : les soldats de la Garde
soldats avaient normalement un rôle nettement plus offensif pourpre sont peu nombreux et sont également des adeptes
et stationnaient aux frontières du royaume, prêts à étendre de l’Unique. Il semble donc bien que la création des Pourpres
ses limites ou à affronter toute menace venue de l’extérieur. soit surtout destinée à rappeler à Quirinus que Taerhonis
Au fil du temps, les reines de Sabaah furent de moins en règne seule sur Babel, sous le regard de l’Unique…
moins nombreuses à entretenir des velléités expansion-
nistes et la majorité des Ahabas rejoignirent les rangs de
la Garde. On se mit à distinguer les simples sentinelles et
LE COMMANDEUR KHEP
hommes du guet des gardes chargés de la protection des
palais, des temples et des nobles. De leur côté, les soldats
devenus minoritaires étaient plutôt considérés comme des Soldat expérimenté qui a affronté à de nombreuses
brutes épaisses, principalement utiles pour lutter contre les reprises les pillards du désert et les guerriers de
barbares désireux de piller le royaume. Saeth, Khep est aussi un meneur d’hommes et un
tacticien exceptionnel. Malheureusement pour lui,
L’équipement militaire babelite est assez standardisé et ce son franc-parler lui a attiré nombre d’ennemis parmi
sont les couleurs des uniformes qui distinguent les attribu- les Ahabas ayant statut d’Ulthul. Il faut ajouter à cela
tions d’un combattant. Les Gardes portent le bleu, qui rap- le fait qu’il n’a jamais caché son peu d’estime pour
pelle l’eau du fleuve tandis que les Soldats arborent la cou- le Culte du Soleil Noir. Il y a onze ans, on lui offrit
leur rouge, symbole de violence. Lances, grands boucliers, une promotion qui l’écarta définitivement de la cour
armures d’écailles et casques ouverts sont omniprésents, royale en faisant de lui le commandeur d’Uruk. Il n’eut
mais les officiers arborent également des épées à lame que de rares occasions de revenir à la capitale et n’a
droite, des glaives dépourvus de garde. Il existe de véri-
rencontré la reine Taerhonis qu’à deux reprises. Le
tables corps d’archers dans les unités de la Garde et de l’Ar-
commandeur et sa souveraine auraient pu s’entendre
mée, mais en réalité, bon nombre d’Ahabas s’entraînent à la
à merveille, mais Khep fut scandalisé lorsque la reine
fronde et en détiennent une (ainsi que quelques balles de
se convertit à l’Unique. Pire encore, elle ordonna la
plomb) dans leur équipement de campagne. Les officiers
déchéance des Amuzazels. Or, Khep était lui-même
ont parfois des difficultés à coordonner leurs hommes (cer-
le fils d’une des prostituées sacrées. Comme tous
tains veulent combattre au corps à corps alors que d’autres
pensent harceler l’ennemi à coups de fronde) et la qualité les garçons nés des étreintes amuzazels, il avait été
d’un officier se reconnaît entre autres à sa capacité à gérer confié à une autre caste, sans jamais apprendre
efficacement les talents de chacun de ses subordonnés. La le nom de sa mère. Khep et ses subordonnés les
cavalerie babelite est un corps à part entière qui s’efforce plus loyaux menèrent alors une purge sanglante et
de rivaliser avec les guerriers montés nomades, notamment rapide du Culte à Uruk, massacrant ses prêcheurs
ceux du Khashan, particulièrement redoutables. et chassant ses fidèles connus de la cité. Depuis
quelques mois, le commandeur est devenu la figure
Deux nouveaux corps militaires ont vu le jour ces dernières de proue de la résistance face au Culte dans le
années. Lorsque Béhirinis, la mère de Taerhonis, accueillit royaume. Un rôle difficile qu’il n’a jamais désiré, mais
les émissaires de Lux, ils étaient accompagnés de plusieurs cela ne l’empêchera pas de faire de son mieux, car les
centuries de légionnaires, offerts en cadeau par l’Empereur enjeux sont importants. Il est en revanche très indécis
au trône de Babel. Rapidement, l’archiprêtre Quirinus se en ce qui concerne la reine Taerhonis, car il pensait
révéla être le véritable maître de ces soldats étrangers, et précédemment qu’elle pouvait être une souveraine
c’est à travers eux que débuta la conversion des Ahabas de digne d’être servie. La jeune reine a-t-elle été
Sabaah. Certains demandèrent même à rejoindre les rangs subornée par l’archiprêtre Quirinus ? Est-elle devenue
des Luxéens, désormais connus sous le nom de Garde noire. une fanatique ou a-t-elle juste agi en politicienne
Les Ahabas convertis s’illustrèrent de sinistre manière lors- rouée ? Khep ne sait qu’en penser, mais surtout, il est
qu’ils rasèrent plusieurs villages qui avaient rejeté l’Unique
incontestable que Taerhonis a lâché la Garde noire sur
et violenté ses prêcheurs. Lorsque Taerhonis déclara que le
les Amuzazels… et peut-être provoqué la mutilation
Culte du Soleil Noir serait la nouvelle religion officielle, elle
ou la mort de sa propre mère.
lança aussi la Garde noire sur les Amuzazels, répandant la
peur dans la population.

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