LES ROYAUMES DIVISÉS

MISE À JOUR ULULE

MARS 2021
ROYAUMES
DIVISÉS
LA LUMIÈRE DÉCHUE
ROYAUMES
DIVISÉS
LA LUMIÈRE DÉCHUE

Par bien des aspects, les Cetomagus (les « enfants du bois ») et leurs cousins d’Avhorae
(les « enfants des feuilles ») partagent un héritage commun, même si les destins de leurs
pays respectifs divergent en de nombreux points. Les clans cetons entretenaient de bien
meilleurs rapports entre eux que leurs voisins nordiques et vivaient en bonne intelligence.
Cette relative stabilité tenait à la structure sociale antique, car les clans étaient rassemblés
en fédérations, menées par des chefs élus, les Teutater. Leur rôle était justement de
tempérer les rivalités et si les affrontements entre clans ne manquaient pas, ils étaient de
courte durée et l’embrasement parvenait toujours à être évité.

La disparition des dieux fut un traumatisme et, de désespoir,
certains clans firent scission ou prirent le contrôle de fédéra-
tions affaiblies pour entrer en guerre avec leurs voisins. Fort
heureusement, un homme providentiel et charismatique
sut rendre espoir aux Cetomagus. Ses origines exactes
restent mystérieuses et de nombreux clans s’attribuent une
parenté avec le héros. Après bien des exploits entrés dans
une légende qui fait de nombreux sceptiques, Caedric le
Bâtisseur unifia les Cetomagus en un véritable royaume. La
nouvelle nation prit le nom de Cyvel, les Teutater devinrent
les premiers nobles du royaume de Caedric et les chefs de
clans ne tardèrent guère à suivre.
Pendant plusieurs siècles, Cyvel contribua à civiliser les
terres de l’ouest et son influence se fit discrètement sentir
dans les arts et les lois de ses voisins. Depuis leur palais à
Andenn, la majorité des rois et reines régnèrent sagement
et surent profiter des divisions entre les nobles de l’empire
avhoraeen pour préserver leur nation. À l’inverse de son
voisin belliqueux, Cyvel souhaitait avant tout la prospérité
et la stabilité. Au sommet de sa puissance, on appelait le
royaume « la lumière de l’ouest ». Pourtant, même les plus
fortes lumières finissent par s’éteindre…
La chute brutale de la dynastie il y a une trentaine d’années
a ouvert la voie à une ère troublée, et Cyvel s’est rapidement
fracturé en treize minuscules royaumes indépendants, jaloux
les uns des autres. Avec l’implantation en force des adeptes
du Soleil Noir depuis une génération et l’essor longtemps
redouté de l’empire d’Avhorae, l’horizon s’est bien assombri
pour les Cetomagus.
Entre la mer et les arbres
Les terres cetonnes jouissent d’un climat un peu plus doux
que celui d’Avhorae, protégées des vents du nord par la
Vieille Forêt et baignées par des courants océaniques assez
tièdes. Les sols sont fertiles et le blé, l’orge, les pommes et
les poires poussèrent longtemps en abondance. Pour autant,
depuis la mort du roi Odric, le ciel est plus gris, les couleurs
se sont affadies et la brume rampe furtivement dans les rues
du défunt royaume de Cyvel. L’étranger attentif remarquera
vite que les fruits n’ont pas autant de goût que leur aspect
le suggère et que, d’année en année, les épis semblent plus
rachitiques. De même, les vignobles cetons qui ont long-
temps fait la fierté du royaume, offrent désormais des crus
manquant tristement de bouquet ; et certains vont même
jusqu’à dire qu’en levant trop le coude, on en vient à boire
de mauvais rêves. Comme les Avhoraeens, les Cetomagus

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ont construit des cités de pierre et des routes pavées, éten-
dant prudemment leur pouvoir jusqu’aux franges des vastes
forêts, sans cesser de leur témoigner un respect craintif.
Malheureusement, plusieurs décennies de troubles et de
conflits entre les royaumes de pacotille qui ont succédé
à Cyvel ont causé de sérieux dommages. La plupart des
anciennes routes ne sont plus entretenues, il n’est pas rare
de voir des fermes incendiées et des châteaux en ruines.
Les cités de Cyvel n’ont jamais été massives ou impression-
nantes, mais il faisait indéniablement bon y vivre avant la
chute du royaume. Aujourd’hui, certaines s’efforcent encore
de resplendir, mais la plupart sont négligées. L’entretien des
rues laisse à désirer, les égouts encombrés ne sont que rare-
ment purgés et des épidémies font périodiquement surface
dans les quartiers les plus miséreux.
Les ports de petite taille sont nombreux sur le littoral, mais
les Cetomagus ne sont pas de grands navigateurs. Ils pré-
fèrent la pêche et le cabotage aux expéditions lointaines.
Le climat dans le golfe de Rahzen est assez clément pour
que les eaux y soient particulièrement poissonneuses. Les
pécheurs méridionaux sont d’ailleurs les seuls à fournir
encore des denrées appétissantes, lesquelles sont de plus
en plus convoitées à travers les royaumes. Cependant,
même leur nouvelle prospérité ne les empêche pas de suc-
comber aussi au malaise général.
La fin de Cyvel
La mort du royaume est venue avec l’extinction de sa lignée
royale, il y a vingt-sept ans. Les débuts du règne du roi Odric
s’annonçaient pourtant sous les meilleurs auspices et, pen-
dant plusieurs années, le peuple et la noblesse du royaume
vécurent dans le contentement.
Une odieuse tragédie eut lieu, lorsque le jeune prince Hiden
tomba durant ses jeux dans un puits du palais royal. L’enfant
se noya, de même que sa mère, la reine Kairie, qui avait
tenté de le secourir. Deux ans plus tard, le roi sortit de son
deuil et épousa la jeune Aya, une femme aimante qui sem-
blait lui apporter un grand réconfort. Lorsque le royaume
apprit peu après que la nouvelle reine était enceinte, on se
prit à espérer que la tragédie touchait à sa fin.
Aya périt en couches, et son enfant avec elle. On entendit
dire que le bébé était contrefait et qu’il était déjà mort en
sortant du ventre de sa mère. Certains affirmèrent même
que la mort de la jeune reine était plus liée à l’horreur qu’elle
avait éprouvée en découvrant le petit cadavre malformé que
des suites de l’accouchement. Les deux corps furent discrè-
tement inhumés en pleine nuit, ce qui ne fit que donner plus
de crédit à ces histoires. Pendant plus d’une semaine, le roi
erra, hagard, à travers son palais, murmurant aux ombres
qu’il était maudit.
Puis, peu à peu, il se laissa aller à la débauche. L’alcool et
les prostituées prirent leurs habitudes auprès du roi qui
négligea sa charge et se négligea lui-même. Par caprice,
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il distribua de l’or à des valets douteux et des putains, trai-
tant par le mépris les habitués de la cour qui tentaient de le
raisonner. Lorsqu’il lui arrivait encore de donner des ordres
au sujet du royaume, il était si imprévisible et illogique qu’il
semait panique et consternation. Rapidement, ses ministres
en vinrent à le laisser autant que possible à ses coucheries,
pour diriger Cyvel à sa place. Cette situation bancale dura
près de trois ans. Enfin, on trouva le roi mort.
Nul ne sait à ce jour qui poignarda le roi Odric dans le
silence sépulcral d’une nuit embrumée. Son corps, jeté par
la fenêtre de laquelle il saluait le peuple, en des temps plus
heureux, fut trouvé à l’aube par un mendiant. Le roi, désar-
ticulé, gisait sur les pavés les yeux grands ouverts et la poi-
trine ensanglantée. On se mit rapidement à raconter que
dans sa chambre, ses meurtriers avaient inscrit en lettres de
sang royal les mots suivants : « Le roi est mort depuis long-
temps. » En quelques semaines, les rumeurs sur sa mort
enflèrent et vinrent rejoindre les histoires qui se racontaient
autour d’Aya, Hiden et Kairie. On commença à parler de
complots. Des noms circulèrent sur les lèvres, des accusa-
tions fleurirent, pour la plupart tellement grotesques qu’il
aurait fallu être mesquin ou stupide pour les croire. Dans
le même temps, une étrange vague de décès frappa les
filles de joie d’Andenn et leurs enfants. Comme si quelqu’un
voulait s’assurer qu’aucun bâtard royal ne risquât de se faire
connaître. La peur s’étendit sur la capitale, les accusations
entre nobles se multiplièrent et l’on se mit à considérer avec
méfiance ceux qui paraissaient convoiter la couronne, ou se
mettaient trop en avant.
Quelques assassinats et affrontements plus tard, la fin du
royaume devint une réalité : les principaux comtes et ducs
de Cyvel se mirent à revendiquer ouvertement le trône et
plusieurs d’entre eux lancèrent des expéditions militaires
contre leurs voisins. En moins d’une année, une multitude
de petits royaumes indépendants, parfois cantonnés dans
les murailles d’une ville, virent le jour, avant de commencer
à s’entredéchirer. Actuellement, treize royaumes ont survécu
à ces vingt-sept années de troubles. Les échauffourées entre
eux sont nombreuses, la menace d’Avhorae trouble les
esprits et le Culte du Soleil Noir compte chaque jour plus
d’adeptes.
La spirale du chaos
« Souffler la chandelle d’une vie est banal. Mais souffler
celle d’un royaume… » — Oiseau
Les petites nations rivales qui se sont partagé Cyvel et sur-
vivent encore à ce jour ont pour nom Brenor, Drak, Edelor,
Glendal, Hevoris, Liala, Mirya, Nandrin, Temer, Thorn, Toveh,
Vandrel et Verill. Chacun de leurs rois et reines autopro-
clamés se voit comme le bâtisseur d’un nouveau grand
royaume qui succédera à Cyvel. C’est à peu près la seule
chose qu’ils aient en commun. D’un royaume à l’autre, la
situation est extrêmement variable, tant au niveau de la
prospérité, que des lois ou de la façon dont le petit peuple
est traité.
Dans le nord, Edelor, Thorn et Verill craignent à la fois
leurs voisins et surtout une possible invasion avhoraeenne.
L’empire a en effet enfoncé ses griffes dans plusieurs bourgs
frontaliers depuis l’ascension de l’impératrice rouge. Brenor,
Glendal, Liala et Nandrin se disputent le contrôle de l’an-
cienne capitale, par le biais d’assassins et de « troubles
spontanés » dans les rues d’Andenn. Chacun veut croire que
s’il peut garder le contrôle d’Andenn pendant une année
complète, il aura fait la preuve qu’il est digne de devenir
le suzerain de ses rivaux. Jusqu’à présent, personne n’a pu
maintenir son emprise sur la capitale plus de sept mois.
Les royaumes côtiers de Drak et Toveh ont fort à faire avec
les raids pirates valdhs, tandis qu’Hevoris, Mirya, Temer et
Vandrel sont présentement embourbés dans de féroces
conflits locaux. Nombreux sont ceux qui pensent que dans
les mois qui viennent, un ou plusieurs des treize royaumes
auront disparu, renforçant les ambitions de ceux qui se
partageront leurs restes. Pendant ce temps, les ravages de
vingt-sept ans de troubles ont causé la prolifération des bri-
gands et les routes sont devenues dangereuses. Et pendant
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que les rois de pacotille s’entretuent, leurs peuples paient
lourdement le prix de leurs ambitions.
La multitude de petits barons qui peuplait autrefois Cyvel a été
décimée par les rivalités entre les royaumes actuels. En pre-
mière ligne par loyauté, ou pour obtenir gloire et richesses,
les barons ont été saignés à blanc au fil des innombrables
embuscades, attaques, batailles et trahisons de ces vingt-sept
dernières années. Il n’est pas rare de voir les décombres d’un
château dans les campagnes des Royaumes divisés. Les der-
niers héritiers des lignées ruinées sont devenus mercenaires,
ou chevaliers brigands pour les moins scrupuleux. D’autres
ont jeté leur épée et sont partis sans se retourner.
Un peuple en plein déclin
Il est difficile de déterminer dans quelle mesure les cultures
de Cyvel et d’Avhorae se sont mutuellement influencées
dans les temps légendaires, mais l’ancienne langue avho-
raeenne s’est imposée presque partout chez les Cetomagus.
Toutefois, les patois locaux, héritage des clans antiques,
sont encore très pratiqués et dans les provinces proches
de la Vieille Forêt et de l’empire, l’avhoraeen est considéré
comme une langue d’étrangers. Il faut dire qu’au fil du
temps, les accrochages dans les sous-bois n’ont jamais man-
qué entre les nobles ambitieux d’Avhorae et ceux de Cyvel.
Les ports nordiques accueillent nombre de marchands
venus de Valdheim ou d’Aon alors que ceux du grand golfe
de Rahzen commercent intensément avec le Fakhar et
reçoivent même des négociants venus de Babel. Les par-
ticularités et coutumes locales variaient déjà beaucoup du
temps de Cyvel, mais elles ont été exacerbées par les sou-
verains des nouveaux royaumes. Ceux de Vandrel, Liala et
Glendal ont d’ailleurs décidé de promouvoir leurs patois
locaux pour en faire de nouvelles langues officielles.
Sur le plan physique, il est difficile de distinguer un
Cetomagus d’un Avhoraeen. Cependant, on trouve sensible-
ment plus de gens à la peau mate dans les treize royaumes
(en particulier ceux qui jouxtent le golfe de Rahzen) que
chez leurs cousins avhoraeens. Les blonds sont assez rares
et les cheveux roux considérés selon les endroits comme un
signe de distinction ou d’infortune.
Quel que soit leur royaume, les Cetomagus semblent s’en-
foncer irrésistiblement dans la morosité et la défiance. Les
étrangers qui séjournent trop longtemps dans les Royaumes
divisés ne font pas exception et finissent par se sentir éga-
lement déprimés… et menacés. Si les rois et reines rivaux
semblent emplis de rancœur, de jalousie et d’ambition,
leurs sujets quant à eux sont simplement résignés. Il est
encore trop tôt pour qu’on s’en rende compte, mais même
la fertilité des Cetomagus souffre de cette situation étrange.
Parallèlement, l’ombre du Soleil Noir gagne du terrain et
rampe jusqu’aux cœurs de tous ceux qui cherchent des
assurances ou qui ont soif de réconfort. Un piètre réconfort
qui ne fera sans doute qu’empirer les choses à long terme.
Les ruines de la prospérité
« Ça payait bien, faut le reconnaître. Mais les putains
étaient trop passives et les vins trop fades. Tout ce foutu
coin est bouffé par la morosité. Non, crois-moi, il y a de bien
meilleurs endroits pour crever. » — Galt, mercenaire valdh
Jusqu’à la chute de la dynastie royale et l’éclatement du
royaume, rien ne laissait supposer que Cyvel se révélerait
aussi fragile. Pendant des générations, la puissance et l’unité
du royaume incitèrent même les Avhoraeens à modérer
leurs ambitions expansionnistes. Certains, à Andenn et ail-
leurs, s’étonnent que l’impératrice Sevire n’ait pas déjà lancé
une véritable expédition contre les royaumes d’Edelor,
Thorn ou Verill.
La morosité circonspecte qui a étendu son règne sur les
treize royaumes a également provoqué un ralentissement
significatif de l’économie, qui est de plus en plus mobili-
sée à des fins militaires. Auparavant, les Cetomagus étaient
réputés pour leurs talents de menuisiers et de charpentiers.
On leur doit des meubles décorés de motifs forestiers, de
solides barques de pêche, des hampes de lance fiables et
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bien d’autres choses. Le travail du bois (et dans une moindre
mesure celui de la pierre) a toujours suscité les vocations
en Cyvel. Tisserands et forgerons n’étaient pas en reste et
n’avaient guère de difficultés à écouler leurs produits. Mais
depuis la mort d’Odric, la qualité de l’artisanat ceton a sen-
siblement diminué d’année en année. Les exportations ont
décliné et sont presque inexistantes à l’heure actuelle.
Les Cetomagus sont férus de musique et de sculpture, mais
leurs artistes semblent désormais inspirés par des muses
bien ternes et sinistres. La tristesse, la peur, la crainte sont
devenues des thèmes si récurrents qu’on peine à imaginer
que les choses aient pu être différentes il y a seulement une
génération.
Les tensions, ou les affrontements, entre les treize royaumes
ont également nui au commerce et à la prospérité géné-
rale. De plus en plus de paysans organisent des tours de
garde, pour éviter qu’on cueille leurs légumes ou qu’on
vole leur bétail pendant la nuit. Ils craignent aussi les fan-
tômes qui hanteraient les alentours des champs de bataille
ou des châteaux seigneuriaux détruits. En ville, la mendi-
cité a grimpé en flèche et certains quartiers sont devenus
particulièrement dangereux à la nuit tombée. Des rumeurs
évoquent d’étranges groupes, aux visées aussi douteuses
que sinistres. On parle parfois de sorciers, dissimulés dans
les rues ou les sous-bois des treize royaumes. Depuis trois
ans, on voit un petit, mais constant, flot de gens aisés qui
déménagent avec armes et bagages en Avhorae. D’aucuns
pensent que sans la réputation effrayante de l’impératrice
Sevire, ils seraient encore plus nombreux.
Chacun des treize royaumes bat sa propre monnaie et s’at-
tache à fondre toutes les pièces de Cyvel qui paraissent
au grand jour. Les taux de change sont médiocres et une
pièce est parfois échangée pour la moitié de sa valeur…
quand son propriétaire n’est pas agressé parce qu’il détient
la monnaie d’un royaume ennemi. À elle seule, cette situa-
tion explosive a causé presque autant de ruine à travers les
Royaumes divisés que tous les conflits depuis la mort du roi
Odric. Les rares princes marchands qui ont réussi à résister
préfèrent négocier au poids le métal précieux ou employer
des monnaies étrangères qui seront toujours mieux consi-
dérées que les pièces des royaumes héritiers de Cyvel.
Le règne de l’arbitraire
Pendant longtemps, le royaume de Caedric le Bâtisseur
fut un modèle pour les féodalités des Terres Sauvages. Les
nobles avaient leurs privilèges, mais le peuple était bien
protégé et il n’existait ni esclaves ni serfs. Évidemment, tout
n’était pas forcément juste et il y eut quelques tyrans et rois
déments au fil de l’histoire. Dans l’ensemble, on peut cepen-
dant dire que les Cetomagus connurent une paix sociale et
une équité rarement constatées ailleurs. La chute n’en fut
que plus rude.
Le système juridique s’est vu totalement désarticulé par
les treize rois et reines actuels. Chacun a modifié, aboli ou
amputé les anciennes lois au gré de ses fantaisies, ou pour
plaire à des notables dont le soutien lui était nécessaire. Sur
ce plan, la seule chose en commun que partagent désor-
mais les Royaumes divisés est une justice brutale et expédi-
tive : le seigneur local ou le plus haut responsable militaire
présent juge et condamne sans que personne puisse aider
les accusés, ou faire appel de leurs décisions. La mort, la
mutilation ou la torture sont devenus des moyens commo-
des de maintenir l’ordre, même s’ils ne résolvent finalement
rien. Ainsi, les bandits et les pillards sont devenus plus agres-
sifs et impitoyables qu’ils ne l’étaient, car ils savent que de
toute manière, on les condamnera à un sort terrible s’ils sont
capturés. Les couronnes d’Edelor, Thorn et Vandrel sont un
peu plus soucieuses de leurs sujets que la moyenne, mais
à l’autre bout du spectre de l’injustice, Brenor, Glendal et
Toveh sont dirigés par des régimes particulièrement cruels.
Quand les ombres se lèvent
Avant la Nuit du Soleil Noir, les Cetomagus vénéraient un
panthéon de dieux nés du couple divin, Uida la Nature
et Kernudos le Père. L’arbre-dieu Veldensil cher aux
Avhoraeens était considéré comme l’un des enfants de ce
couple créateur, au même titre que le cerf-dieu Carnute,
le corbeau argenté Argabrann et d’autres encore. Ces
croyances n’étaient que l’un des nombreux points de ten-
sion entre les Cetomagus et les Avhoraeens et leurs druides
respectifs se querellaient souvent.
En tant que dieu artisan, Kernudos incitait ses adorateurs
à construire des sanctuaires de pierre et de bois, l’hono-
rant ainsi que Uida en veillant à ce que ces sites sacrés
respectent le relief et la nature environnants. Plus générale-
ment, l’artisanat (en particulier du bois) a longtemps revêtu
une portée sacrée, puis symbolique, car dans le mythe ori-
ginel, Kernudos aurait façonné dans le bois les premiers
Cetomagus. À présent, même s’ils ont oublié pourquoi,
la majorité des menuisiers marquent encore, à l’aube, un
temps de recueillement silencieux dans leur atelier avant de
se mettre au travail.
Les coutumes des Cetomagus voulaient qu’ils retournent
à la terre ; ils étaient alors inhumés dans des tumulus funé-
raires familiaux. Les plus importants sites funéraires étaient
marqués par des statues représentant le premier défunt
inhumé là, symboliquement chargé de veiller sur ceux qui
viendraient ensuite le rejoindre. Au fil des siècles, depuis
la disparition des dieux, ces traditions se sont perdues. Les
temples sont tombés en ruine et la plupart des Cetomagus
sont simplement enterrés dans des fosses communes, rejoi-
gnant parents et voisins dans la terre nourricière. Seuls les
nobles s’acharnent encore à faire dresser des tumulus fami-
liaux, ornés de portiques sculptés où figurent les exploits de
leurs lignées.
Pour les Cetomagus, la Nuit du Soleil Noir a été causée par
la folie de Kernudos qui massacra la plupart de ses enfants
et plongea Uida dans le désespoir. La folie divine se propa-
gea aux druides, et c’est ainsi que ceux de Veldensil tuèrent
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l’arbre-dieu et donnèrent naissance aux sept Sacrilèges. Ces
entités malfaisantes sont présentes dans les mythes cetons,
mais beaucoup moins qu’en Avhorae, où elles semblent
s’être bien plus acharnées. Après avoir massacré ses enfants,
Kernudos se tua lui-même, et Uida sombra dans le chagrin
jusqu’à perdre conscience.
Les contes disent que quelques druides et druidesses sur-
vécurent à cette atrocité divine, mais que partout où ils
cherchèrent les dieux, ils ne trouvèrent que la mort. Certains
seraient devenus fous en tentant de sortir Uida de son
désespoir et ils finirent par renoncer.
Les Cetomagus se réfugièrent dans l’espoir profane et
concret offert par Caedric le Bâtisseur, et leur civilisation s’ef-
força d’oublier les dieux massacrés. On continua à accomplir
certains rites, notamment lors des mariages ou des change-
ments de saison, mais ils perdirent toute dimension sacrée
et persistèrent surtout de manière symbolique. Et pourtant,
l’âme des Cetomagus avait encore soif de sens et souhaitait
trouver de nouvelles assurances spirituelles. Pendant des
siècles, sectes étranges et charlatans affirmant être bénis
par des dieux de leur création prospérèrent, au détriment
des crédules. Drogues, prestidigitation et complices leur
permettaient de réaliser leurs « miracles ».
Les missionnaires de la Voix venus de Lux arrivèrent quelques
années à peine après la mort du roi Odric. Patiemment, ils
firent leurs premières émules et surent tirer parti à la fois
de l’état d’esprit sans cesse plus sombre des Cetomagus et
de leur crédulité. Quelques discrets assassinats et une ou
deux démonstrations de leur pouvoir suffirent à leur assu-
rer la prééminence et la plupart de leurs concurrents déci-
dèrent de changer d’activité. Le Culte s’est infiltré à travers
les Royaumes divisés et ses prêtres ont même un statut offi-
ciel dans les cours de Drak, Liala, Temer et Toveh. Le Culte
joue sur deux tableaux à la fois. D’un côté, il se présente
comme un garant de stabilité et s’efforce de rendre indis-
pensables ses émissaires en tant qu’intermédiaires entre
les différentes cours des treize royaumes. De l’autre, il agit à
travers ses dupes pour entretenir les divisions et les antago-
nismes. Seuls quelques individus assez subtils commencent
à comprendre les intentions du Culte, sans savoir qu’un
triumvirat de prêtres coordonne ses actions à l’échelle des
treize royaumes. Ces trois hommes veulent créer un noyau
de rois et de reines convertis à leur foi, qu’ils uniront alors
pour abattre les autres ou les contraindre à se soumettre.
Finalement, Cyvel renaîtra, sous la forme d’une théocratie,
avec les souverains fidèles récompensés par des territoires
plus importants et des sièges dans le grand conseil de la
foi qui verra le jour pour mener cette nation restaurée. Puis
viendra l’heure de détruire Avhorae…
Les souverains de Nandrin et Vandrel sont à peu près les
seuls à se montrer ouvertement hostiles au Culte, mais
même parmi ses alliés couronnés, on compte peu de réels
fidèles et une majorité d’opportunistes. L’autre obstacle prin-
cipal aux visées du Soleil Noir est l’existence d’une sombre
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PATRONYMES CETOMAGUS
Ils sont très voisins de ceux des Avhoraeens, et
comme eux, les Cetomagus n’ont de nom de famille
que s’ils sont nobles.
Prénoms féminins : Alara, Armance, Beatrice, Cléore,
Deirdre, Elia, Ermengarde, Estrelle, Gwennyn, Manon,
Maugene, Modana, Pirleva, Solène.
Prénoms masculins : Alain, Adalric, Anton, Brian,
Denez, Edgar, Evan, Juhel, Nathan, Oltain, Yvan,
Valtemir.
Noms de famille : Andan, Ciurnon, Coad, Drezen,
Durnain, Freux, Guyon, Madec, Magoreme, Tassel,
Vidament.
organisation dont il commence seulement à soupçonner
l’existence : le Chœur des Âmes Noires (cf. Livre de l’Oracle).
Paradoxalement, si des Élus se manifestaient dans les
Royaumes divisés, ils seraient probablement bien accueillis,
à peu près partout en dehors de Drak, Liala, Temer et Toveh,
où le Culte a le plus d’influence. Cependant, ils seraient
aussi en grand péril, menacés à la fois par les adeptes de
l’Unique et le Chœur des Âmes Noires. Les souverains des
Royaumes divisés tenteront certainement de manipuler les
Élus, ne serait-ce que pour obtenir leur soutien à des fins
de propagande. Certains pourraient se convertir, par calcul,
mais il n’est pas non plus impossible que d’authentiques
croyants émergent, surtout si la foi prônée par un Élu s’avère
moins mortifère et plus tolérante que celle du Soleil Noir.
Un état de guerre larvé
Bien que les Royaumes divisés ne soient pas embrasés
par la guerre, il ne se passe pas une semaine sans que des
soldats de plusieurs royaumes ne s’affrontent lors d’escar-
mouches. Depuis quelques années, les conflits majeurs ont
sensiblement décru, car les soldats des treize royaumes ont
subi des pertes notables après une génération de batailles,
sans compter que le brigandage mobilise toujours plus d’ef-
forts. Cependant, on peut assister à une bataille rangée ou
à un siège en règle au moins une fois par saison. En ce qui
concerne le voisinage, les forces coalisées d’Edelor, Thorn
et Verill furent sévèrement étrillées, il y a quinze ans, lors-
qu’elles tentèrent de s’emparer de terres avhoraeennes.
Depuis lors, les royaumes nordiques se contentent de pru-
dents raids, visant à empêcher l’empire de consolider une
frontière instable à propos de laquelle personne ne s’est
mis d’accord. Les raids valdhs sur les côtes sont également
un problème récurrent, mais il n’affecte que les royaumes
côtiers.
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Pendant longtemps, les treize souverains se sont appuyés
sur les chevaliers de la petite noblesse à leur service, pour
encadrer leurs forces disparates. En première ligne dès le
début des hostilités, la chevalerie des Royaumes divisés a
versé son sang pendant une génération et ses rangs ont
été littéralement décimés. Des conscrits issus du peuple
sont parvenus à survivre assez longtemps pour devenir des
officiers compétents, mais les frictions entre ces « parve-
nus » et les chevaliers cetons sont nombreuses, car ils ont
conservé un schéma traditionnel où les véritables chefs
militaires se doivent d’être nobles. La qualité des troupes
et de leur équipement varie considérablement, et ceux des
treize royaumes sont similaires à ce que l’on peut observer
en Avhorae. Les chevaliers apprécient donc l’épée bâtarde
(plusieurs contes cetons mentionnent d’ailleurs les fameuses
lames de la Phalange d’Argent) et l’armure complète, mais
ils sont de moins en moins nombreux à pouvoir s’offrir une
telle protection. Les cottes de mailles et les pavois sont très
répandus parmi les combattants professionnels. Le peuple
préfère employer des haches ou des épées à lame courte,
ainsi que des arcs et des épieux. Les arbalètes sont difficiles
à entretenir et coûteuses. Elles sont généralement réservées
aux gardes personnelles des treize rois et reines, ou à leurs
troupes d’élite.
GUERRIER ET BÂTISSEUR
Les contes sur le premier roi de Cyvel lui prêtent entre
autres talents d’avoir évidemment été un puissant et
redoutable guerrier. Si certaines histoires évoquent le
fait qu’il aurait manié une des légendaires épées de
la Phalange d’Argent, on les a toujours considérées
comme apocryphes. Les artistes continuent à
dépeindre ou décrire Caedric le Bâtisseur armé d’une
épée bâtarde, mais les gravures les plus anciennes
et les rares sources écrites fiables qui ont traversé
les siècles dressent un tout autre portrait. En tant
que guerrier, il n’avait pas d’arme fétiche et maniait
apparemment le plus souvent la lance ou la hache.
Avant tout, il était rusé et s’efforçait de surprendre et
de déstabiliser ses adversaires, que ce soit en combat
singulier ou sur le champ de bataille. Caedric avait
apparemment bien des qualités, mais il n’était pas un
guerrier particulièrement honorable ou attaché au
respect des formes. À ses yeux, le résultat était plus
important que la manière d’y parvenir. Cet aspect de
sa personnalité a été édulcoré dans les contes et on
en a fait un roi aussi sage qu’honorable.