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YVES TROTTIER

YVES TROTTIER

Les
ti gre s 
 ble  us
2. Les mines de la veuve
Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada
par l’entremise du Fonds du livre du Canada pour nos activités d’édition.

Tigres bleus 2. Les mines de la Veuve.


© Les éditions les Malins inc., Yves Trottier
info@lesmalins.ca

Éditeur : Marc-André Audet


Éditrice au contenu : Katherine Mossalim
Correcteurs : Jean Boilard, Fanny Fennec et Dörte Ufkes
Illustration de la couverture : Ludo Borecki
Direction artistique et conception de la couverture : Shirley de Susini
Illustration de la carte : Shirley de Susini
Mise en page : Diane Marquette
Conversion au format ePub : Diane Marquette

Dépôt légal – Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2017


Dépôt légal – Bibliothèque et Archives Canada, 2017

ISBN : 978-2-89657-502-2

Imprimé au Canada

Tous droits réservés. Toute reproduction d’un quelconque extrait


de ce livre par quelque procédé que ce soit est strictement interdite sans
l’autorisation écrite de l’éditeur.

Les éditions les Malins inc.


Montréal, QC
YVES TROTTIER
YVES TROTTIER

Les
ti gre s 
 ble  us
2. Les mines de la veuve
À Mia et Lilya.
Il y a deux raisons à tout.
Le courage de la goutte d’eau,
c’est qu’elle ose tomber dans le désert.
Lao She
Liste des
personnages

ANGLE-SUR-LAC
Général Lothar : Seigneur d’Angle-sur-Lac et chef
de l’Alliance du Désert du Sud. Père de Lia et de
Zaki.

Azara : Femme du Général Lothar, nouvelle


commandante de la milice et mère de Lia et de
Zaki.

Lia : Fille du général Lothar et sœur jumelle de


Zaki.

Zaki : Fils du général Lothar et frère jumeau de Lia.

Maître Tacim : Grand maître de l’art martial la Voie


de l’eau.

Ostarak : Chamane du village d’Angle-sur-Lac.

Berthol : Lieutenant de la milice et instructeur des


novices.
VAL-D’OMBRE
Clodomir, plus tard surnommé le Vautour :
Seigneur de Val-d’Ombre et membre de l’Alliance
du Désert du Sud.

Bertrand : Fils de Clodomir.

BOURG-DES-SOLSTICES
Edwin : Seigneur de Bourg-des-Solstices et membre
de l’Alliance du Désert du Sud.

Harold : Fils d’Edwin.

CITÉ ROYALE DE BRAVOR


Eutrède d’Enguerrand dit le Pacificateur : Dernier
roi du royaume unifié de Hudor.

Adelphe d’Enguerrand : Roi du Tosmor, descen-


dant de la dynastie des Enguerrand.

Céria d’Enguerrand : Princesse héritière au trône


de Hudor. Fille du roi Adelphe d’Enguerrand.

Albéric Cyprien : Chevalier de l’Ordre des


Enguerrand au service du roi Adelphe.

Aubert Tibaud : Chevalier de l’Ordre des


Enguerrand au service du roi Adelphe.
LA FORTERESSE ROUGE
Morfyddle Brutal : Seigneur de la Forteresse rouge.

Ader : Mi-homme, mi-singe mandrill, commandant


des puissants guerriers Mandrills rouges soumis à
Morfydd.

L’Ardent : Grand prêtre du culte d’Ignos, le dieu du


feu.

ROCHER-DE-FER
Clovis : Seigneur de Rocher-de-Fer.

LES MINES DE LA VEUVE


Gauvin de Maltombe : Commandeur des mines de
la Veuve.

La Mouette : Surintendante dans les mines de la


Veuve.

Artois : Capitaine de milice.


LES DÉTROUSSEURS
Borolf : Chef d’une bande de détrousseurs.

La Verrue : Brigand, membre de la bande de Borolf.

Le Fessu : Brigand, membre de la bande de Borolf.

LES NOMADES
Kyo : Jeune garçon mi-homme, mi-chacal.
, ,
Resume
du tome 1

En l’an 990 de l’ère de Sable, Morfydd le Brutal,


chef d’une bande de détrousseurs mi-hommes,
mi-singes, attaqua et conquit Port-au-Ciel, la cité
royale du royaume de Hudor, sur les ruines de
laquelle il érigea la Forteresse rouge. Le roi
Adelphe d’Enguerrand se réfugia alors sur le
plateau du Tosmor avec sa cour, sa femme et sa
fille à naître, ainsi qu’avec les unités de son armée
ayant survécu au massacre. Il édifia un nouveau
palais royal plus modeste dans la cité de Bravor et
conclut une alliance avec les seigneurs des six
bourgs les plus importants de la région afin de
repousser une nouvelle invasion des troupes du
Brutal.

Or, aucune attaque ne survint pendant de


longues années. Patient et déterminé, Morfydd
élabora sa stratégie et bâtit son armée. Il forma
un imposant contingent de Guerriers du feu, une

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force disciplinée et terrifiante composée de merce-
naires et de prisonniers convertis au culte d’Ignos.
À leur tête, il installa ses alliés de toujours, les
impitoyables Mandrills rouges, plus puissants
encore. Lorsqu’il prendrait d’assaut le royaume,
rien ne pourrait résister à sa volonté.

Afin de légitimer son nouveau règne, Morfydd


veut épouser la princesse Céria, la fille du roi
Adelphe d’Enguerrand dont la lignée remonte
jusqu’à Eutrède le Pacificateur, le dernier roi du
royaume unifié de Hudor. Conscient qu’une telle
proposition sera reçue avec peu d’enthousiasme, le
Brutal accompagne sa demande d’une implacable
démonstration de force. Malgré un déploiement
redoutable de cavaliers Mandrills rouges montés
sur d’affreux rokhs, le roi ne plie pas. Il tente
plutôt de repousser la menace avec l’aide du
général Lothar et des seigneurs de l’Alliance du
Désert du Sud. Ensemble, ils planifient l’assas-
sinat de Morfydd, mais le complot échoue. Trahis
par Clodomir, l’un des leurs, le général Lothar et
les autres seigneurs de l’Alliance sont emprisonnés
puis exécutés. Morfydd triomphe et l’on procède à
la célébration du mariage royal.

La cérémonie se déroule selon la volonté de


Morfydd jusqu’à l’échange des vœux de consente-
ment. Lia, la fille du général Lothar, qui a
subrepticement pris la place de la future mariée,
empoigne une dague dissimulée sous sa robe et se
jette sur le Brutal. Vif, le géant esquive l’attaque et
donne l’ordre à ses troupes de se lancer à la pour-
suite de la rebelle, qui leur échappe in extremis.

Peu de temps après, les Mandrills rouges


découvrent la princesse Céria et Zaki, le frère
jumeau de Lia, cachés dans la salle de guerre du
palais. Grâce à une porte dérobée et un tunnel
secret, les deux fugitifs atteignent le centre de
l’arène du Colisée, mais sont aussitôt rattrapés
par leurs poursuivants.

Avec l’aide des valeureux Albéric Cyprien


et Aubert Tibaud, Lia tire Zaki et Céria des
griffes du commandant Ader et de ses guerriers
simiens. Le groupe prend la fuite en direction
d’Angle- sur-Lac.

Quelques jours après le retour de Zaki et de


Lia dans leur village natal, le chamane Ostarak
prépare une mixture divinatoire dans l’espoir de
percer à jour l’avenir du village. Effrayé par la
vision des événements prochains, le vieil homme
se précipite au sommet de la tour de guet pour
vérifier sa précognition. Le milicien qui monte la
garde fixe l’horizon, croyant qu’une tempête de
sable se prépare.

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Prologue

—— Roi Adelphe, votre présence nous honore,


déclare le général Lothar.
—— Où sont-ils ?
—— Avec Azara, dans la chambre. Veuillez me
suivre.

Le roi emboîte le pas à l’officier, portant dans ses


bras la petite princesse Céria. Lothar ouvre délicate-
ment la porte. Les jumeaux dorment dans un lit de
bébé, bercés par la douce voix de leur mère qui se
lève à l’arrivée des visiteurs.

—— Votre Majesté…
—— Restez assise, je vous en prie.

Le souverain s’avance.

—— Ils sont magnifiques, comment s’appellent-ils ?


—— Lia et Zaki, répond Azara en découvrant le
visage des nouveau-nés.
—— Leurs cheveux…
—— Bleutés, comme ceux de leur père.
Le roi sourit. Du doigt, il replace la couette
blonde qui tombe sur les yeux de son enfant.

—— Céria, ma chérie, connais-tu la légende des


Tigres bleus ?

La petite écarquille les yeux.

—— Au retour de la déesse Badra, ils reviendront


à la vie et renverseront les forces du feu…
—— Feu…, babille l’enfant.
—— La légende dit aussi que leurs descendants
vivent parmi les peuples du royaume. Je te souhaite,
mon enfant, de voir un jour s’accomplir la légende.
Le mythe
, du Grand
Rechauffement

Il y a plus de mille ans, une végétation luxuriante


recouvrait le royaume de Hudor. L’immense terri-
toire, ponctué de lacs poissonneux et sillonné par
d’innombrables rivières, s’épanouissait au pied du
massif de l’Éternel jusqu’à la mer du Lointain.
L’alliance entre Badra, la déesse des eaux, et Ignos, le
dieu du feu, assurait la paix. Le couple divin, source
de la vie, maintenait l’alternance des saisons et
garantissait une judicieuse harmonie en toutes
choses.

Or, le cœur ardent d’Ignos souffrait. Restreint


par les lois de l’équilibre, le dieu du feu ne pouvait
s’épanouir. Animé d’un désir insatiable, son esprit
révolté réclama une plus grande part du royaume.
Il commença par imposer un été plus long, puis
l’automne disparut. La température grimpa. Même
l’hiver se réchauffa. Badra tenta de raisonner Ignos,
mais l’ambition le consumait tout entier.

L’immortel s’entêtait à souffler toujours plus fort


sur la terre qui s’asséchait. Bientôt, Badra intervint.
Avant que le dieu du feu ne gagne trop en puissance
et qu’un vaste désert ne recouvre le royaume, la
déesse ouvrit les voûtes du ciel, déclenchant des
averses torrentielles. Ignos répliqua en crachant la
foudre. Un furieux combat s’engagea entre les deux
déités. L’équilibre était rompu : les eaux comme le
feu ravagèrent les territoires de Hudor. Constatant la
ruine à laquelle leur affrontement destinait le conti-
nent, Badra proposa une trêve. Ignos se montra sage
et accepta de suspendre les hostilités.

Or, le dieu du feu n’avait point renoncé à son rêve


de domination. La trêve lui fournissait l’occasion de
prendre l’avantage sur Badra. Il attendit que le sable
des Terres brûlées au sud du fleuve Vital s’assèche
pour, de son souffle torride, provoquer une tempête
de sable qui balaya le royaume. La déesse des eaux
voulut contre-attaquer, mais il était trop tard. La
poussière en suspension dans l’air formait une masse
opaque au-dessus des nuages et accroissait la chaleur
au sol dans un effet de serre implacable. Pendant les
années qui suivirent, la canicule décima les popula-
tions, détruisit les forêts, assécha les lacs et les
rivières. Lorsque le ciel s’éclaircit enfin et que l’air

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s’adoucit de quelques degrés, le paysage pétrifié qui
apparut n’était plus que l’extension des Terres
brûlées. Ignos avait triomphé. Il avait chassé la
déesse Badra et les saisons.

Les cités, bourgs et villages qui avaient survécu


au Grand Réchauffement se livraient désormais à
des guerres impitoyables pour l’accès à l’eau potable.
Des hordes de pilleurs et de détrousseurs semaient
la terreur dans tout le royaume.

Malgré le chaos et la peur, l’espoir de jours meil-


leurs traversa les siècles. Selon les chamanes et les
troubadours, un paradis terrestre existe toujours
dans les territoires inaccessibles du Nord.
Chapitre 1

Angle-sur-Lac

Les rayons du soleil éclaboussent les dunes à


perte de vue. Une légère brise souffle de l’ouest, tiède
et caressante. La beauté tranquille du paysage, insen-
sible aux angoisses humaines, tranche avec l’agitation
fiévreuse qui secoue l’âme d’Ostarak, le chamane.

Du haut de la tour de guet, le garde, qui n’a


toujours pas quitté des yeux le point sombre à l’ho-
rizon, tourne le regard vers le vieil homme à ses
côtés. Frappé de stupeur, il recule d’un pas. Son dos
heurte la palissade derrière lui. Des stries profondes
marquent le visage du devin, comme s’il avait tenté
de s’arracher la peau.

—— Ostarak, vous vous sentez bien ?

Au bout du ciel, l’onde noire qui brouille l’azur


s’approche.

—— N’ayez crainte, la tempête ne frappera pas


avant deux ou trois heures. Je vais sonner l’oliphant
et nous aurons amplement le temps de nous mettre à
l’abri.

Mais le chamane n’entend pas les paroles du


milicien. Son esprit a sombré dans le chaos des
heures à venir.

—— La mort nous guette, obscène et sadique. Ses


émissaires maléfiques approchent. Nous allons
crever, la bouche pleine de sable, le ventre gonflé de
gaz fétides, la chair rongée par les vers.

Effrayé, le soldat attrape le sorcier à bras-le-


corps pour l’empêcher de se lancer en bas de la tour.
Les cris d’Ostarak se transforment en rires fous, puis
en pleurs. Il tombe à genoux.

—— Badra, ne nous abandonne pas !


—— Ressaisissez-vous ! supplie le garde, penché
au-dessus du corps distordu du chamane, qui s’af-
faisse sur le dos, agité de spasmes.

Les yeux déments du vieil homme roulent


vers l’arrière : deux globes laiteux apparaissent,
effroyables et sans vie. Le soldat se met à secouer le
devin. Une panique sourde comprime sa poitrine.

Au contact d’Ostarak, le guetteur partage soudain


ses visions sanglantes. Les images déferlent dans sa
tête, un flux violent d’événements atroces balaie

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sa raison. Du haut du ciel, des démons échevelés
abattent leur courroux sur le village. L’avenir avale le
présent. D’énormes rapaces taillent en pièces les
miliciens apeurés. Les enfants hurlent. Les corps
démembrés s’accumulent dans les rues. Le sol se
gorge de sang et devient rouge…

Ostarak reprend connaissance. Ses pensées


s’éclaircissent. La brume de la folie s’évanouit, lais-
sant son cœur haletant et son esprit vide. Au-dessus
de lui, le jeune soldat bat des paupières. Le vieil
homme se redresse avec peine. Son regard, devenu
gris, comme si la peur avait altéré son âme, se perd
au loin.

—— Toi aussi, tu as vu…, marmonne le chamane.


Chapitre 2

Dès le déclenchement de l’alarme générale, le


lieutenant Berthol, l’instructeur des novices et
commandant des sentinelles, se précipite au sommet
de la tour de guet surplombant les portes fortifiées
de l’entrée principale d’Angle-sur-Lac. Au même
moment, derrière lui, les miliciens se forment en
pelotons dans la cour centrale tandis que les archers
prennent position dans les miradors et sur le chemin
de ronde de l’enceinte du village.

Le nuage noir atterrit à cinq cents mètres du


bourg.

—— Des rokhs…, annonce le chamane, les lèvres


tremblantes, toujours sous le choc de la réalité qui
s’apprête à confirmer ses visions.
—— Retournez chez vous, ordonne le lieutenant.
—— Nous sommes perdus…, bredouille le vieil
homme.
—— Toi, ne reste pas planté là, aide-le à descendre,
enjoint Berthol au garde pétrifié à ses côtés, les yeux
rivés sur les bêtes ailées. Et va quérir la comman-
dante Azara !

L’un des oiseaux de la foudre, chevauché par un


guerrier Mandrill rouge, déplie ses puissantes ailes
noires et prend son envol en direction de la fortifica-
tion d’Angle-sur-Lac. Le rapace fend l’air avec son
bec acéré et pousse des piaillements suraigus. Ses
yeux rouges brillent d’une lueur terrifiante. Son
plumage noir cendre absorbe la lumière du soleil
plutôt qu’il ne la reflète. Au bout de ses pattes sèches
comme des bâtons pendent des serres robustes et
tranchantes. Le bipède cauchemardesque plonge en
rase-mottes, redresse le nez, puis s’élève au ciel d’un
seul coup d’aile. Sa danse macabre, composée d’une
suite de piqués et de vrilles, soulève des tourbillons
de sable à deux cents mètres dans les airs.

Le rokh se pose devant les portes du village. Le


Mandrill rouge, au visage ceint de cheveux laineux
brun roux, aux yeux ronds et orange encastrés sous
d’épaisses arcades sourcilières, descend de sa monture.
Son nez est rouge, long et plat. Ses joues sont traver-
sées de lignes bleues. Les archers tendent leur arc.
Berthol se racle la gorge, puis interpelle l’étranger :

—— Qui es-tu ?
—— Par tous les djinns du désert ! s’écrie un
archer. C’est Morfydd le Brutal !

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Le Mandrill rouge, amusé, lève la tête vers le
lieutenant. Il adore observer chez ses adversaires la
crainte qu’il inspire. Le strabisme de Berthol lui
arrache un sourire méchant. Son œil croche, par la
trajectoire ambiguë qu’il décrit, amplifie l’effet de
terreur qui distend son visage.

—— Allez, parle 
! Qui es-tu et que veux-tu 
?
renchérit l’officier, tentant de se donner de la
prestance.

Pour toute réponse, le guerrier souffle dans un


clairon. Sept monstres ailés couleur ébène, chevau-
chés par sept Mandrills rouges, le rejoignent en
poussant des croassements terrifiants. Ils décrivent
des cercles au-dessus du village. Les habitants se
mettent à courir dans toutes les directions, pris de
panique. Des cris fusent, on implore la protection
des esprits des anciens, on tremble, on geint.
« Ostarak est mort ! » hurle tout à coup Jama, la
commère, en sortant de la masure du chamane. Le
vieil homme n’a pas survécu aux affreuses visions
d’avenir qui assaillaient son esprit. Les miliciens,
horrifiés, se dispersent dans les dédales du bourg,
ignorant les ordres du sergent-major et du lieutenant
Berthol les sommant de reprendre les rangs devant
la porte principale. Le chaos s’installe aussi vite que
le sang tourne dans les veines des villageois.

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Azara, la veuve du général Lothar, armée d’un
plastron, d’un bouclier et d’une épée, s’avance au
centre de la place du marché, accompagnée d’Albéric
Cyprien et d’Aubert Tibaud. Les deux chevaliers
haranguent les troupes, crachant par terre devant
leur manque de courage :

—— Couards ! Boursemolles !
—— Cessez de trouiller comme des pucelles !

Azara rejoint d’un pas résolu le lieutenant au


haut de la tour.

—— Pour la dernière fois, qui es-tu et que veux-tu ?


somme Berthol, ragaillardi par la présence de la
commandante en chef derrière lui.
—— Tu n’es pas Morfydd le Brutal, déclare Azara
d’une voix ferme, refoulant au plus profond d’elle-
même la peur sourde que lui inspire l’inconnu aux
yeux incandescents.

Son instinct de survie voudrait qu’elle déguer-


pisse à toute vitesse, mais son courage lui assure la
pleine possession de ses moyens.

—— Je m’appelle…
—— Ader, le commandant des Mandrills rouges,
intervient Zaki, la voix remplie de haine.

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Le garçon bouscule les miliciens et se fraie un
chemin jusqu’à sa mère.

—— Déposez les armes et j’abrégerai vos souf-


frances, rétorque le guerrier de sa voix puissante.
—— Jamais ! s’insurge Lia, qui accourt aussitôt
auprès de son frère et de sa mère.

À la vue des jumeaux, Berthol palpe son nez


encore sensible. Un léger tic dilate ses narines. Le
souvenir de l’humiliation que les enfants du général
Lothar lui avaient fait subir pince son orgueil
meurtri. Il doit refouler sa rancune. Pour de jeunes
guerriers à peine sortis des rangs novices, ils prennent
beaucoup de place, se dit-il.

Ader éclate d’un rire franc qui ébranle la palis-


sade et ramollit les jambes des miliciens. Du doigt, il
lisse ses sourcils broussailleux. Il étire les muscles de
son cou en penchant la tête sur la gauche, puis sur la
droite. Décontracté, il s’enferme dans un long silence.
Il attend. Tout a été dit.

Azara fixe le gaillard sans baisser le regard. Zaki


serre la poignée de son sabre. Lia se mord la lèvre
inférieure. L’œil fou de Berthol tourne à vide. Au sol,
Albéric Cyprien et Aubert Tibaud encouragent les
troupes, prêtes au combat.

33
—— Céria est-elle à l’abri 
? chuchote Zaki à
l’oreille de sa sœur.

Lia opine de la tête.

De cette partie de patience, les Mandrills rouges


sortiront vainqueurs, songe Azara, qui perçoit la
détresse sur le visage des miliciens. Ses troupes
commencent à s’agiter. Leurs nerfs vont flancher.
Des murmures parcourent les rangs…

Elle cède la première.

—— Commandant Ader, nos sages ont coutume


de dire que la violence est l’arme des faibles. Vous
n’êtes point homme à refuser un défi, je crois.
Empruntons donc ensemble les voies ardues de la
diplomatie. Voyons comment nous pouvons en venir
à une entente.
—— Votre appel à la diplomatie me semble servir
plutôt bien le dessein du faible et non celui du fort.
Seriez-vous aussi encline à parlementer si vous
disposiez d’une armée de mille guerriers ?

Azara lève la tête en direction du contingent de


Mandrills rouges. Sans le soutien des membres de
l’Alliance du Désert du Sud, la milice d’Angle-sur-Lac
ne tiendra pas plus de trente minutes. D’instinct, elle
jette un œil vers le nord.

34
—— Vous espérez des renforts ? lance Ader d’un
air goguenard. J’ai bien peur que votre messager ait
failli à sa mission, ajoute-t-il en sortant la tête ensan-
glantée du coursier de sa besace.
—— Je vais vous arracher les yeux ! menace Lia.
—— Déposez les armes ! tonne Ader.
—— Vous êtes un lâche ! Pour vaincre mon père, il
a fallu qu’un de vos hommes l’abatte d’une flèche
dans le dos ! Sale lâche ! Vous n’avez aucun honneur !

Piqué au vif, le Mandrill rouge pousse un rugis-


sement terrible. Le souvenir de la fin navrante de
son combat contre Lothar lui fait perdre son flegme.
Il n’a toujours pas digéré l’intervention de l’Ardent,
le grand prêtre du culte du Feu, qui l’a privé d’une
glorieuse victoire contre un descendant des Tigres
bleus. Puisse Ignos lui pardonner lors du jugement
dernier.

Personne ne bouge. Tous craignent la réaction


du colosse. Va-t-il lancer ses troupes à l’assaut du
village ?

Ader sombre dans une longue rumination. Son


sourire narquois a disparu. Ses traits tirés vers le bas
accentuent la sévérité de son faciès. Ses sourcils
pèsent de tout leur poids sur son regard rouge. Il
réfléchit si fort qu’on entend presque les rouages de
son cerveau s’activer, aux prises avec un dilemme

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Remerciements

De nouveau, un immense merci à Antonio


Di Lalla, mon premier lecteur, qui m’accompagne
mot à mot dans cette excitante aventure littéraire.
Merci aussi à son petit-fils, Danik, pour son regard
aiguisé.

Merci à maman, à ma petite sœur, à mon épouse


et à mes deux filles, mes plus grandes sources d’ins-
piration. Votre soutien m’est précieux !

Enfin, merci à toute l’équipe des Malins. Merci


de croire en cette série, merci pour tous les efforts
que vous déployez. Merci à Katherine, avec qui c’est
un bonheur de travailler !
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