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JEUDI 9 SEPTEMBRE 2021 horizons | 21

V
oilà un match qui n’est pas pline républicaine. De 2015 à 2017, Christian
près de finir. Dimanche Estrosi, président de la Métropole Nice­Côte
22 août, la rencontre entre d’Azur et maire (LR) de Nice, a même dirigé la
l’Olympique gymnaste club région. Une première.
de Nice (OGCN) et l’Olympi­ Ce succès en rappelle un autre : celui de la
que de Marseille (OM) n’est naissance de l’université de Nice. « Long­
pas allée à son terme. Jet de bouteilles, enva­ temps, les étudiants de Nice ont dû se rendre à
hissement du terrain, courses­poursuites, Marseille ou à Aix­en­Provence pour suivre
horions de compétition, joueurs agressés, leur cursus, explique Ralph Schor. On nous
etc. Disons que tout cela a volé très bas. Après avait concédé un institut juridique et un autre
une longue interruption du jeu, les Mar­ littéraire, où les professeurs marseillais ve­
seillais ont plié bagage. Il était 23 h 48 à l’Al­ naient à leur guise. Nous le vivions comme un
lianz Arena. L’heure des polémiques avait joug. Il a fallu attendre 1965 pour que Nice ait
sonné. Et, de son côté, la justice sportive de­ sa propre université. » Un bicéphalisme qu’on
vait rendre son verdict mercredi 8 septembre. retrouve ailleurs : deux académies (Aix­Mar­
Selon le programme de la Ligue de football seille, Nice), deux quotidiens (La Provence, Ni­
professionnel (LFP), ce derby du Sud avait ce­Matin), deux antennes de France 3 (France
commencé à 20 h 45. Certains historiens 3 Provence­Alpes, France 3 Côte d’Azur), etc.
locaux affirment qu’il a débuté beaucoup Aller de Marseille à Nice et inversement
plus tôt. Entre le IIIe et le IIe siècle avant J.­C. n’est toujours pas une sinécure. Par l’auto­
(soit bien avant l’invention du football dans route : 2 h 20 avec détour obligatoire par Aix­
sa version moderne, le 26 octobre 1863, à en­Provence (A8) ou Toulon (A50). Par les
Londres). Une rivalité vieille comme Hérode. airs : entre 2 h 30 et 8 heures. Pas de vol direct.
On comprend mieux l’étendue du problème. Escale à Paris, Lyon, Bordeaux voire Barce­
A cette époque, des marins grecs installés à lone (Espagne). Par le rail : 2 h 40 en TER
Massalia (Marseille) auraient fondé Nikaïa comme en TGV. A cause d’une voie unique. Le
(Nice), en terre ligure, afin de garantir un peu train reste cependant la solution la plus rai­
plus la sécurité de leur cabotage dans ce coin sonnable. Mais les Niçois s’en méfient. « Pen­
de Méditerranée. Mais les aventures colo­ dant la Grande Guerre, raconte Ralph Schor,
niales finissent mal, en général. Nice, qui devait faire face au rationnement,
La colonie n’aura de cesse de s’affranchir du était ravitaillée à partir de Lyon via le chemin
colonisateur, et l’ancien colon, d’abord de fer avec arrêt en gare de Marseille. Les wa­
goguenard, finira par s’agacer de la réussite gons qui arrivaient chez nous étaient souvent
du décolonisé, volontiers fanfaron. L’écrivain vides… Ça a laissé des traces. »
marseillais Olivier Boura, auteur, entre
autres, de Marseille ou la mauvaise réputa­ EXAGÉRATION ET THÉÂTRALITÉ
tion (Arléa, 1998), se souvient : « Quand j’étais De toute façon, ce voyage n’en est pas un.
enfant, dans les années 1970, notre instituteur « Quand les Marseillais vont en Italie, ils
racontait cette histoire. On se disait : “C’est zappent Nice. Quel intérêt de s’arrêter ? »,
quand même nous les boss !” On était fiers. » demande François Thomazeau. « Si je vais à
Le romancier niçois Patrick Raynal, ancien Marseille, c’est pour voir l’équipe de Nice jouer
directeur de la Série noire, affirme : « Nice est au Stade­Vélodrome. Je repars aussitôt. Rester
une ville qui caracole. Elle est devenue riche. serait une trahison », confie Bernard Morlino.
Elle est parfois arrogante. Marseille a long­ Ne pas sous­estimer la proverbiale exagéra­
temps stagné et stagne encore. Elle est tion méditerranéenne, mâtinée d’un soup­
jalouse. » Au Sud­Est, rien de nouveau. çon de théâtralité grecque, voire d’une dose
A 200 kilomètres de distance, chacune de machisme sudiste. D’ailleurs, toutes les

Nice-Marseille,
campe sur ses positions, de part et d’autre du femmes de Marseille et de Nice que nous
département du Var, qui fait office de pare­ avons consultées se sont contentées de haus­
chocs. L’accent marseillais chante. L’accent ser les épaules. Cette rivalité n’est pas la leur.
niçois traîne. Sur le Vieux­Port, on adore la Elle n’est pas non plus celle de certains
pizza. Dans le Vieux­Nice, on préfère la pissa­ hommes. Louis Pastorelli, par exemple. Fon­
ladière. Le blason de Marseille porte un lion et dateur du groupe Nux vomica, qui a mêlé les
un taureau, celui de Nice, une aigle. Ici, on est arts plastiques à la musique en les mariant au

duel au soleil
de gauche mais on a élu un sénateur du Ras­ nissart. Supporteur de l’OGCN, animateur du
semblement national (Stéphane Ravier), là­ Carnaval indépendant du quartier Saint­
bas, on est de droite mais on a connu un mo­ Roch, défenseur acharné de la culture occi­
ment communiste (1945­1947). Les Marseillais tane… Eh bien, Louis Pastorelli n’a rien à
parlent le provençal maritime, les Niçois le reprocher à Marseille. Au contraire. « On se
nissart. Suffisant pour ne pas se comprendre ? retrouve dans la langue, témoigne­t­il. On a
évidemment des valeurs communes, un ima­
« UNE MENTALITÉ INSULAIRE » ginaire commun. Le reste, c’est des détails. Les
« Je ne crois pas à cette histoire de rivalité, Marseillais nous ont toujours bien accueillis.
lance le journaliste et écrivain François
Thomazeau, un des pionniers du polar mar­
Les débordements entre supporteurs niçois et marseillais, Ils nous ont produits. A Nice, la municipalité
ne nous a jamais aidés. Sans le soutien de no­
seillais. Il n’y a pas de sentiment anti­niçois ici
parce qu’on se contrefiche de Nice. Rien à voir
fin août, ont rappelé les tensions historiques entre les deux tre public et des amis de Marseille, on n’y serait
peut­être pas arrivés. »
avec ce qu’on éprouve de Paris. » Pas de haine,
donc. Seulement de l’indifférence, assaison­
grandes villes du sud­est de la France. Une relation qui tient Patrick Raynal, qui fut militant de la Gau­
che prolétarienne en Mai 68, n’a pas non plus
née d’une pointe d’ironie. Jamais loin du
mépris. Réciproque, en plus. Quand on ques­
plus du mépris réciproque que de l’opposition frontale oublié ses bons rapports avec les camarades
marseillais. François Thomazeau salue la fi­
tionne le romancier Patrick Besson, qui gure de Giuseppe Garibaldi, le héros de
réchauffe régulièrement son âme slave au l’unité italienne et de l’émancipation des op­
soleil niçois, il répond : « Ce sont deux villes de primés, né à Nice, en 1807. Pour ne rien gâter,
légende, d’une beauté absolue. Leur soi­disant ce n’est la droite locale, qui rêve de transformer duché de Savoie. Ce n’est pas comme ça qu’on Olivier Boura a épousé une Niçoise et Patrick
rivalité est un fantasme pour supporteurs de notre Corniche en promenade des Anglais », va arriver à réconcilier les sœurs ennemies. Raynal une Marseillaise. Et les deux villes se
foot. J’ai choisi Nice parce que c’est une fille de dément François Thomazeau. Mais Olivier Les Romains s’y sont collés, puis les Ostro­ rejoignent pour accuser Paris, qui ne se sou­
l’est. De l’est de Marseille ! » Boura l’affirme : « On a été rétrogradés. » Et goths, le comté de Provence, la Révolution vient d’elles qu’en période électorale… « Ma­
Marseille, qui aime le commerce, est un Jean Viard admet « un complexe d’infériorité ». française et le Ier Empire. Sans grand succès. nifestation solidaire du dolorisme méditerra­
grand port (le deuxième de France en ton­ A propos de Nice, le romancier Louis Seule la République n’a pas lâché l’affaire. néen », dit Olivier Boura en souriant. La soro­
nage). Nice, qui aime le business, est un Nucéra, héraut du peuple nissart des hum­ Après avoir annexé Nice en 1860, elle crée des rité finira­t­elle par s’imposer comme une
grand aéroport (le deuxième de France en bles, évoquait « une mentalité insulaire ». Cela circonscriptions régionales, dont l’entité Pro­ évidence ? Allez savoir. « Encore faut­il rap­
voyageurs). « Elles sont ouvertes sur le monde vaut aussi pour Marseille. « C’est une enclave, « ELLES SONT vence et Corse en 1955. Une région Provence­ procher Nice de Marseille, insiste Jean Viard.
et elles se regardent de travers », constate note Jean Viard. Comme Nice. Plus l’Europe se Alpes­Côte d’Azur voit le jour en 1972. Sauf que L’arrivée du TGV chez nous a tout changé.
Bernard Morlino, écrivain, fils du patron construit, plus elle s’éloigne de la mer. Mar­
OUVERTES SUR la capitale de cette nouvelle collectivité terri­ Quand il reliera vraiment la métropole mar­
d’un des plus attachants bars­épiceries des seille est maintenant un cul­de­sac. Et le LE MONDE, toriale, c’est Marseille. En 1982, la loi relative seillaise à l’agglomération niçoise, ça ira
hauteurs de Nice. « Marseille est une grande modèle touristique de Nice s’épuise, étouffé aux droits et libertés des communes, des mieux. » Il n’y a qu’à attendre.
ville de réfugiés, analyse le sociologue Jean par la spéculation immobilière. » Notons tou­ MAIS ELLES départements et des régions conforte son Le moment est maintenant venu de révéler
Viard, ancien conseiller municipal. On y tefois que l’Union européenne a fait de Mar­ pouvoir. Sur la Canebière, on hurle de rire. Le l’impensable : l’auteur de cet article est ni­
travaille dur. Nice est une petite cité qui vit du seille sa capitale culturelle 2013 et que SE REGARDENT long de la baie des Anges, on hurle de douleur. çois. Qui plus est supporteur de l’OGCN. En
soleil. Elle est entrée dans la modernité comme l’Unesco vient d’inscrire Nice à son Patri­ DE TRAVERS » Cette goutte d’eau, versée par Gaston vue de ce sujet, nous avons consulté un ami,
une excroissance du tourisme du Nord. » moine mondial au titre de « ville de villégia­ Defferre, alors ministre de l’intérieur et de la Jean­Marc Matalon. Un type en or. Drôle,
Lorsque, en 1887, Stéphen Liégeard, avocat ture d’hiver de Riviera ». On a connu des îles BERNARD MORLINO décentralisation et maire (PS) de Marseille, gourmand, curieux de tout, attentif aux
et poète, invente l’appellation « Côte d’Azur », plus désertées. écrivain dans le vase de la discorde, a fait déborder la autres. Il est marseillais, supporteur de l’OM.
il borne le terrain : Marseille à l’ouest, Gênes à L’histoire a passé beaucoup plus de temps à colère de Jacques Médecin, maire (RPR) de « Dis donc, Jean­Marc, tu crois qu’on arrivera
l’est. Vous avez bien lu. Pour des raisons tou­ éloigner les deux villes qu’à les rapprocher. Nice. « Pour échapper à cette mainmise, il a à se fâcher un jour ?
ristico­financières qui n’ont pas déplu aux Ni­ Quand Marseille succombait aux Wisigoths, proposé la création d’une région transeuro­ – Ça m’étonnerait. Mais bon, on ne sait ja­
çois, les limites de ce paradis terrestre Nice se livrait aux Ostrogoths. Quand Nice péenne, réunissant les Alpes­Maritimes, la mais. Avec l’âge… Ne t’en fais pas, va, on se ré­
désormais salement bétonné ont été rame­ rejoignait le royaume lombard, Marseille Ligurie et le Piémont ! », signale l’historien conciliera vite. En riant.
nées d’Hyères (Var), d’un côté, à Menton (Al­ allait se fondre dans le royaume de Provence. Ralph Schor, ancien professeur à l’université – Ah bon ? Mais de quoi ?
pes­Maritimes), de l’autre. Une humiliation Quand Marseille devenait joyau de la Cou­ de Nice­Sophia­Antipolis. Une idée moderne – On se moquera des Toulonnais. » 
pour Marseille ? « Personne ne regrette rien, si ronne de France, Nice choisissait illico le jamais convertie car Nice s’est pliée à la disci­ michel dalloni

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