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Guillot Claude. Le rôle historique des perdikan ou « villages francs » : le cas de Tegalsari. In: Archipel, volume 30, 1985.
L'Islam en Indonésie II. pp. 137-162;
doi : https://doi.org/10.3406/arch.1985.2249
https://www.persee.fr/doc/arch_0044-8613_1985_num_30_1_2249
Histoire de Tegalsari.
Epoque de Setana
L'histoire connue de Tegalsari commence au XVIe s. Un frère de Sunan
Bayât, allié à Bathara Katong, l'islamisateur «officiel» de la ville de Pana-
raga, personnage que la tradition connaît sous le nom de Pangeran Sumen-
dhé Ragil (ce qui signifie seulement : avant-dernier enfant d'une famille)
serait venu propager la religion musulmane dans cette région de Panaraga
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insurgés choisissaient pour le remplacer sur le trône, son jeune parent, Mas
Garendi, connu sous le nom de Sunan Kuning.
Ce fut durant cette lamentable retraite, qui dura les six derniers mois
de l'année 1742, alors que Java était parcourue par des armées de toutes
sortes, que Paku Buwana II, sans troupes, sans autre appui que celui de
la VOC, alliée à son pire ennemi, Cakraningrat, le puissant prince de
Madura, rencontra Mohamad Besari, le Kyai de Tegalsari. La rencontre
du souverain abandonné, accompagné de son seul Tumengung fidèle, Wira-
tirta, avec Mohamad Besari - épisode inconnu dans les versions pourtant
nombreuses de la Babad Pacina - fait immanquablement penser au Jejer
pandhita du théâtre javanais qui montre le prince, chassé de ses états par
ses ennemis, venir chercher la paix intérieure et des conseils auprès du sage
ermite installé dans la forêt. Voici cet épisode tel qu'il est rapporté par
«l'histoire de Tegalsari» :
Le souverain et son Tumenggung erraient «fatigués et sans forces»
dans la campagne; ils s'arrêtèrent donc pour se reposer près de Tegalsari.
«Une nuit, vers une heure du matin, Sa Majesté entendit un fort
bourdonnement comme celui des abeilles d'une ruche. Après un long moment, il
demanda à Tumenggung Wiratirta «Wiratirta, quel est ce bruit?». Celui-ci
répondit : «Ce sont des hommes qui prient le Seigneur Dieu». Sa Majesté
dit encore : «Allons donc vers eux! Peut-être pourront-ils me donner un
remède».
Ils trouvent donc Mohamad Besari en prières avec son disciple Bagus
Harun. «Sa Majesté demanda à Kyai Ageng Tegalsari de l'aider à chasser
les bandits chinois. S'il réussissait, Sa Majesté le récompenserait en lui
donnant une terre exemptée d'impôts qu'il pourrait léguer à sa descendance.
Alors Kyai Ageng Tegalsari fit cette prière : «0 Seigneur Dieu, faites que
notre pays connaisse l'ordre et la paix et accordez Seigneur la fortune à
votre peuple tout entier, mais une fortune sainte et honnête». Après sa
prière, Kyai Ageng dit : «Sire, vous pouvez rentrer. Kartasura connaît
maintenant l'ordre et la paix. Les brigands armés chinois s'en sont allés après
avoir jugé que la Terre de Java était beaucoup trop petite pour être
occupée» (4).
Après son retour dans sa capitale, qu'il dut autant aux soldats de la
VOC qu'aux prières du kyai, le Susuhunan tint sa promesse et accorda la
franchise à Tegalsari. Sur intervention de Mohamad Besari, il accorda aussi,
en franchise, le village de Sewulan au sud de Madiun, à son disciple Bagus
Harun qui aurait suivi le souverain jusqu'à Kartasura. Ce Bagus Harun était
le fils d'un homme de religion de Sumarata, à l'ouest de la ville actuelle
de Panaraga.
Sans vouloir minimiser l'aide spirituelle que Paku Buwana II espérait
Ci-dessus : La Mosquée de Setana
Ci-dessous : La Mosquée de Tegalsari après la réfection de 1978
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karta. Ce que kyai Bin Umar promit» (5). Les résultats de cette mission
furent sans doute jugés satisfaisants par le Sultan de Yogyakarta qui lui
accorda la franchise du village de Banjarsari au sud de Madiun, près de
Sewulan. On sait, en effet, que depuis le Traité de Giyanti en 1755, les
Provinces Extérieures (Mancanegara) de l'est avaient été partagées entre Sura-
karta et Yogyakarta coupant ainsi Madiun attribué à Mangkubumi de Pana-
raga restant à Paku Buwana III. Il faut ajouter à l'histoire ci-dessus que
Pangeran Singasan mourut à Surabaya en 1768, après avoir été capturé
par les soldats de la VOC dans la région de Malang.
Ainsi, en ce milieu du XVIIIe s. le prestige et la puissance du kyai de
Tegalsari s'accrurent considérablement. Deux souverains avaient fait appel
à ses bons offices. Il avait reçu la franchise pour Tegalsari et l'avait fait
attribuer à deux de ses disciples dont l'un était son propre gendre. Le kyai
se trouvait, moralement à la tête de trois perdikan. En effet Sewulan et
Banjarsari, qui devinrent de grands centres d'enseignement religieux
jusqu'à la fin du XIXe s., les plus importants après Tegalsari,
considérèrent toujours Tegalsari comme le primus inter pares. Et les alliances
familiales, existantes ou à venir, resserrèrent les liens unissant d'anciens
disciples à leur maître.
Les champs secs (tegal), gagnés sur la forêt, qu'évoque le nom même
de Tegalsari, peu à peu laissèrent place à des rizières. Mais le kyai, comme
un sage, refusa les honneurs mondains - il aurait donné à un disciple le
parasol (songsong) offert par le susuhunan - et continua à vivre
simplement dans une maison semblable à celle des autres villageois. Il mourut
vers 1773 et fut enterré derrière la mosquée.
Ilyas(1773 7-1800 ?)
Lorsque le premier chef du perdikan mourut, comme dans les maisons
princières, sa veuve, Nyai Mohamad Besari devint une sorte de douairière,
jouissant d'une partie des terres réservées au chef du village tandis que
surgissait parmi les enfants, le premier conflit de succession. L'un des fils,
Iskak, se targuant d'une parole de son père selon laquelle la mosquée lui
appartiendrait, pensait être l'héritier désigné du village. Mais la Nyai lui
préféra son frère Ilyas qui devint ainsi le second chef du perdikan. Dépité,
Iskak se retira pour ouvrir à son tour une école religieuse, dans un village
éloigné de quelques kilomètres de là, à Copèr, où il fit transporter et
remonter la structure de bois de la mosquée de Tegalsari sur laquelle il estimait
avoir des droits. Cette vieille mosquée, à la charpente de teck rustique mais
imposante, se trouvait en 1981, dans un état de conservation inquiétant.
Ilyas devenu chef du perdikan et du pesantrèn fit reconstruire la mosquée
de Tegalsari en 1188 de l'Hegire (1774) comme l'atteste l'inscription en
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Yahya mais semble avoir été nommé dans ce triumvirat surtout pour jouer
un rôle modérateur auprès de ses deux frères.
Tous trois enseignaient au pesantrèn et se partageaient à égalité les
revenus du village. Mais leur personnalité comme leurs ambitions rendaient
toute collaboration impossible. Ils en arrivèrent à ne plus se rencontrer et
à ne communiquer entre eux que par le truchement d'une tierce
personne (7).
D'un côté Yahya, si peu versé dans les sciences religieuses que le
Pangulu lui enjoignait de s'adonner à une étude sérieuse des Livres Saints,
voyait avant tout dans le perdikan une source de revenus et un moyen de
réaliser ses ambitions. Il avait confisqué à son profit, les terres de sa famille
et s'était fait construire aux frais des habitants de Tegalsari, un château
(dalem) «avec charpentes de teck, bardeaux (sirap), murs de pierre et
cloisons de planches» - luxe, commentait le Pangulu, ne convenant pas à son
état de théologien (8). D'un autre côté, Kasan Besari, dont l'ambition n'était
pas moindre, musulman militant qui passait pour le plus grand spécialiste
javanais de droit musulman (fiqh) de son temps, considérait le perdikan à
vocation religieuse comme le lieu privilégié pour créer une petite
théocratie où il tenta de mettre en application la loi musulmane dans toute sa
rigueur. On comprend la décision du Pangulu de Sala de placer entre ces
deux forts tempéraments opposés, le sage Mukibat.
Très vite la figure de Kasan Besari s'imposa à Tegalsari. C'était lui
dont on parlait, lui qui, par son enseignement attirait des élèves de toutes
les régions de Java. Ce fut à lui que le pujangga de Surakarta, Yasadipura,
adressa, pour l'éduquer, son fils Bagus Burham qui devait devenir le grand
poète Ranggawarsita. En un mot, ce fut grâce à lui que Tegalsari devint,
dans la première moitié du XIXe s. le pesantrèn le plus célèbre de Java (9).
La montée de sa célébrité se lit aussi dans le statut social de plus en plus
élevé de ses épouses successives. Il épousa d'abord comme tout bon santri
destiné à devenir kyai, la fille d'un de ses maîtres - d'un pesantrèn de Tuban
où il étudia. Sa seconde femme était fille d'un petit noble (Raden Bei), la
troisième portait le titre, plus élevé sinon plus reluisant de Mas ayu. Enfin,
il épousa, vers 1804, une nièce du Susuhunan Pakubuwana IV, connue à
Tegalsari sous le nom de Raden Ayu (10).
Les circonstances mystérieuses de ce mariage qui devait non seulement
accroître la célébrité de Kasan Besari et le prestige de Tegalsari mais aussi
accélérer l'élévation sociale des générations suivantes, méritent d'être
rapportées. Deux versions de cette union, l'une écrite, l'autre orale, ont cours
à Tegalsari et bien sûr dans des branches différentes de la famille.
D'après la source écrite, Kasan Besari, interné à la Grande Mosquée
de Surakarta pour avoir appliqué la loi musulmane à Tegalsari, reçut, pour
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les «bandits» pourchassés n'étaient autres que des soldats débandés des
armées de Dipanegara. Nommé par la suite Patih de Pacitan, il termina
sa carrière comme Bwpati de Panaraga, sous le nom de Cakranegara et
fut élevé à la dignité de Chevalier de l'Ordre du Lion néerlandais (Ridder
der Orde van de Nederlandsche Leeuw), ce qui, par parenthèse, explique
son surnom dans la population de Panaraga de «Gusti Lider» (21\
L'introduction du cultuurstelsel par Van den Bosch, à Java, eut des
consequences imprévues pour Tegalsari. De façon logique, les perdikan
échappèrent aux cultures forcées qui n'étaient dans l'esprit de leur
instigateur qu'une forme d'impôt. Les villages francs se virent rapidement
grossir d'une partie de la population des villages environnants qui cherchait à
échapper aux cultures forcées -l'indigo dans la région de Panaraga. Dès
1835, le Résident de Madiun s'alarmait de cet accroissement anormal de
la population de Tegalsari (22\ Cet état de choses se poursuivit pendant
quinze ans au moins puisqu'en 1850, le Résident de Madiun d'alors, Hart-
man, demandait à Batavia «que des mesures fussent prises pour empêcher
que Tegalsari ne fût le refuge des oisifs des environs». Il proposait même
comme remède qu'on «vérifiât à des heures déterminées de la journée si
tous les habitants et étrangers de Tegalsari étaient bien occupés à l'étude
de la religion musulmane et que dans le cas contraire, la franchise devrait
être supprimée». (23)
Vers 1850, la population de l'ensemble Tegalsari-Karanggebang se
montait à environ 3.000 habitants auxquels il faut ajouter les centaines
d'étudiants du pesantrèn (24), logeant soit dans les dortoirs (pondok) soit chez
l'habitant.
Le gouvernement colonial hésita longtemps sur la conduite à tenir vis-
à-vis de cette petite puissance. Il lui semblait que la meilleure manière de
la diminuer était de la scinder en deux en prenant comme prétexte que les
villages de Tegalsari et de Karanggebang étaient des perdikan de nature
différente : Tegalsari comme pamutihan était un village à caractère
religieux, Karanggebang comme bumi pangrembé n'était qu'une donation pour
pourvoir aux besoins d'une personne de sang royal, une sorte de rente. En
1835, lorsque la RadenAyu disparut, le gouvernement n'osant pas encore
agir -le souvenir de la Guerre de Java était encore dans tous les esprits -
accepta pour argent comptant la version de Kasan Besari selon laquelle
«la volonté de la défunte Raden Ayu était que Karanggebang échût à son
second fils (le futur Bupati de Panaraga) et qu'entretemps, lui-même, Kasan
Besari l'administrât» <25). Le Résident de Madiun fit aussi admettre au
gouvernement que Karanggebang ne fût pas soumis aux cultures forcées (26)
quoiqu'il ne s'agît pas d'un village à vocation religieuse. Visiblement, on
ne voulait pas nuire à Kasan Besari. Mais on prépara activement sa suc-
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cession. Dès 1850, soit douze ans avant sa mort, un dossier fut établi pour
déterminer les dispositions à prendre à la disparition du vieux kyai. Il fut
décidé que les deux villages seraient séparés et que Karanggebang serait
incorporé au régime des cultures forcées (27). Les héritiers présomptifs de
Tegalsari approchés souhaitant tous avoir leur part de la succession, le
gouvernement, se basant sur le fait que «le village de Tegalsari était concédé
au guru principal du séminaire à la condition qu'il se consacrât
spécialement à l'enseignement de la théologie mahométane (et qu')il était dans la
pensée du donateur, Paku Buwana II, que le propriétaire du village devait
être un ecclésiastique... »(28), décida que le successeur de Kasan Besari,
après sa mort, serait son fils aîné, «Kasan Anom, prêtre à Tanjong Anom,
Kediri». Comme chef du village de Karanggebang, le gouvernement
choisit le mari de la fille la plus effacée de la Raden Ayu, Kasan Ripangi, alors
simple bekel, éliminant les autres enfants, malgré leurs récriminations, sous
prétexte qu'ils étaient fonctionnaires. Ces deux nominations devenues
effectives à la mort de Kasan Besari suscitèrent des procès en cascades qui ne
prirent fin qu'à la deuxième guerre mondiale et enveniment encore
aujourd'hui les rapports entre les descendants de Tegalsari.
Vers 1850, Kasan Besari n'enseignant plus, du fait de son âge - le
pasteur Brumund, plein de préjugés anti-musulmans il est vrai, a fait de lui,
vers cette époque, une description pitoyable (29) - , la célébrité et donc la
fréquentation du pesantrèn commencèrent à décliner. Le vieux kyai n'en
eut pas moins la joie d'assister à Panaraga à l'installation de son fils, comme
Bupati.
Il s'éteignit en 1862, à l'âge de 103 ans javanais, soit près de 100 de
nos ans. Il fut enterré près de son grand père Mohamad Besari dans le
cimetière de Tegalsari. A son enterrement assistaient outre les autorités
indigènes, trois mille haji et santri (3°).
Le déclin (1862-1964)
Après la mort de Kasan Besari, les nominations, décidées douze ans
auparavant, devinrent officielles. Kasan Anom était déjà âgé de 70 ans.
Karanggebang échappa cependant aux cultures forcées. Les temps
changeaient : les Hollandais dominaient alors complètement la situation à Java
et l'économie coloniale dépendait de moins en moins des cultures forcées.
Karanggebang, à partir de cette époque suivit, comme l'espérait le
gouvernement, sa propre route, relâchant de plus en plus ses liens avec
Tegalsari.
A l'image de ces deux villages, les descendants de Kasan Besari
suivirent deux voies très différentes. Les uns, généralement issus de la Raden
Ayu entrèrent dans l'administration indigène, frayant ainsi la voie à leurs
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La vie sociale.
Tegalsari et l'Islam
L'histoire de ce petit village, maintenant perdu dans la campagne de
Panaraga présente l'intérêt de nous permettre de mieux cerner quelques
points de l'histoire de l'Islam à Java. Si l'on connaît assez bien la manière
dont s'est opérée l'islamisation de la côte nord de Java, il n'en va pas de
même en revanche, pour celle de la partie méridionale de l'île. L'exemple
de Tegalsari peut nous aider peut-être à lever au moins un coin du voile.
On sait - et nous l'avons déjà dit- que le perdikan n'est pas une
création musulmane -et encore moins un waqf auquel certains fonctionnaires
coloniaux l'assimilaient abusivement puisque les revenus sont attribués
directement à une personne- mais l'aboutissement de l'évolution des
fondations pieuses de l'époque indianisée : les sima. Ce lien entre centres
religieux musulmans et indianisés se retrouve à Tegalsari sous deux aspects :
dans la fabrication du papier javanais et dans la généalogie de Mohamad
Besari.
Ce village a été connu par les Européens, à la fin du XIXe et au début
du XXe s., pour sa fabrication du papier javanais, dluwang dont il a gardé
longtemps la tradition qui mourait ailleurs. Or, cette fabrication, monopole
de droit des communautés religieuses de l'époque indianisée, est restée
monopole de fait de celles de l'époque musulmane. Ceci prouverait - à notre
sens- la permanence d'une structure dans laquelle se serait introduite une
idéologie nouvelle (35).
Par ailleurs, la généalogie de Mohamad Besari, qui paraît assez digne
de foi, laisse voir non pas la naissance d'une nouvelle lignée d'hommes de
religion, avec Mohamad Besari ni même avec l'arrivée de l'Islam mais au
contraire, l'islamisation d'une vieille souche d'hommes de religion qui
auraient joui depuis longtemps du privilège d'exemption d'impôts, comme
peut le laisser supposer leur titre de Demang et qui auraient attendu
l'écroulement définitif des royaumes indianisés pour se convertir à l'Islam. Le
dernier ancêtre non-musulman de Mohamad Besari vivait à Kediri, repli du
dernier avatar de Majapahit tandis que son grand-père, installé à Caruban
devenait le premier musulman de la famille sans doute AUX environs de
1600.
Il semblerait donc que la première islamisation réelle du sud de Java
soit passée, non pas par les réputés islamisateurs comme Bathara Katong
qui représentait plutôt l'implantation d'un pouvoir politique musulman, mais
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par des familles d'hommes de religion venues peu à peu à l'Islam et qui
gardant leurs anciennes fonctions islamisèrent, des siècles après la
conversion du pasisir, des régions peu ou pas touchées par la nouvelle religion.
La prééminence, dans les sciences religieuses, accordée au pasisir par les
hommes de religion du sud et ceux de Tegalsari en particulier se manifeste
de deux façons : dans le choix des pesantrèn où ils vont étudier, Sumenep,
Surabaya, Tuban, Demak, Cirebon etc., tous situés sur la côte nord, et dans
la localisation des pesantrèn qu'ils créent : Magetan, Madiun, Pacitan, Pana-
raga, Tulung Agung, Kediri etc., tous situés au sud.
Le deuxième point qui nous semble ressortir de l'histoire de Tegalsari
est l'existence - déjà mise en évidence ailleurs <36) - d'une «classe»
d'hommes de religion.
En règle générale, on ne devient pas maître de religion, on naît maître
de religion parce qu'on a vu le jour dans une famille dans laquelle on exerce
traditionnellement cette fonction. Nous avons vu que Mohamad Besari
descendait d'une telle famille et il serait fastidieux, tant ils sont nombreux,
de dénombrer parmi ses descendants ceux qui ont choisi d'enseigner la
religion. Le total atteint certainement plusieurs centaines. Ces familles s'allient
entre elles et si les garçons épousent volontiers les filles des autorités
villageoises, les filles, elles, prennent pour époux, le fils d'un kyai qui
deviendra kyai à son tour.
Cette classe a son élite qui bénéficie, en plus du prestige accordé par
la population à la fonction, de liens spéciaux avec les familles souveraines
et d'une position économique stable, grâce, en particulier, aux perdikan.
Un Résident de Madiun à qui on demandait de décrire la situation religieuse
dans sa Résidence, résumait ainsi son étude en 1850 : «On trouve quatre
grands centres religieux : Tegalsari, Sewulan, Banjarsari kulon et Banjar-
sari wetan (Banjarsari s'était en effet scindé en deux au début du XIXe s.);
tous les autres centres religieux en dépendent dans la mesure où leurs
maîtres ont poursuivi leurs études dans ces quatre grands centres» (37). Le
Résident n'avait pas vu que non seulement ils y avaient étudié mais qu'ils
en étaient aussi originaires. Or ces trois ou quatre grands centres étaient
tous des perdikan dont nous avons mis en évidence plus haut les liens qui
les unissaient entre eux. Ces liens ne tenaient pas à la seule proximité
puisqu'on retrouve des alliances entre ces perdikan et Bayât (perdikan),
Cirebon, Kajoran (perdikan) par exemple.
On peut dire que c'est cette classe de «prêtres», hiérarchisée,
héréditaire, «endogame» - le mariage de Kasan Besari avec une princesse est aussi
mystérieux qu'inhabituel- qui, grâce à un réseau serré <38) d'alliances et
d'intérêts que soudaient encore la religion et les tarekat - le kyai de
Tegalsari fut jusqu'au milieu du XIXe s. le syeh de la tarekat A'maliya (?) - , réa-
157
NOTES
partir plus loin tandis que d'autres restent pendant des années...) On peut penser
raisonnablement que le total des étudiants se montait à quelques centaines.
25. Lettre du Res. de Madiun 17 dec. 1835, Resolutie 24 mai 1836 n° 12.
26. Rapport du Secr. aux Affaires indigènes adressé au Secr. Gen. 25 février 1851. Kommis-
soriaal 1851 n° 2826.
27. Besluit Zeer Geheim 16 août 1851.
28. Lettre du Secr. Gen. au Res. de Madiun 31 août 1851 La U4, Geheim, Kommissoriaal
1851 n° 2826.
29. Brumund, pp. 19-22.
30. La description de l'enterrement nous a été laissée en malais par son fils le Bupati Cakra-
negara I; Annexe à la lettre du res. de Madiun 21 janvier 1862. Kommissoriaal 1862 n°
2100 : «Itoe kyai kassan Bessarie, koetika meninggal arie malem Djemahat poekoel 1/2
8 sore, kira2 dia poenja oemoor 103 taoon, taoon djawa. Koetika meninggal dia poenja
anak 9 njang mengadep, njang tida. Tjoetjook, goengoog samoea njang idoop sadja 77,
njang dateng mengadep 44, njang tida dateng 33. Srenta malem Djemahat kijai Kassan
Besarie soeda meninggal lantas arie Djemahat poekool 11 siang dia poenja djissim lantas
die tanem ada die pekoeboeran dessa Tegalsarie njang deket messigit, koempool sama
koeboornja familie samoea. Koetika dia poenja djissim die bawak die pekoeboeran njang
anter Regent Ponorogo, Patih Ponorogo dengan Patih Somoroto dan wedono2, mantrie2
toeroet djoega. Orang Hadjie2 dengan santrie2 ada tiga reboe orang; sebab itoe hadjie
dan santrie pake die kassie doeit sidkah namanja slawat didalem satoe orang, 10 duit
sampé 30 duit sebegimana hadatnja orang Islam».
31. Purwowijoyo, Kyai Ageng saha kepala dhusun perdikan Tegalsari (à paraître).
32. Fokkens, 1886.
33. Ibidem.
34. Lettre
n° 2826. du Res. de Madiun au GG. 2 août 1851 La I 2 Zeer Geheim, Kommissoriaal 1851,
35. Cf. notre article dans Archipel 26, 1983 pp. 105-115.
36. En particulier Zamakhsyari Dhofier «Kinship and marriage among the Javanese Kyai»
Indonesia 29. avril 1980. Voir aussi du même auteur : Tradisi Pesantren, Studi tentang
Pandangan hidup Kyai, LP3ES, Jakarta, 1982.
37. Lettre du Res. de Madiun au GG. 2 août 1851 Zeer geheim La 12, Kommissoriaal 1851
n°2826.
38. Pour notre part, nous avons pu retrouver la trace de près de 50 pesantren soit fondés
par un membre de la famille de Tegalsari soit alliés à Tegalsari par un mariage.
39. Fokkens 1886.
40. Mohamad Poernomo.
41. Fokkens 1886.
42. Cité dans lettre du Secr. aux Affaires Indigènes au Secr. G. 25 février 1851.
Kommissoriaal 1851, n° 2826.
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