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Archipel

Le rôle historique des perdikan ou « villages francs » : le cas de


Tegalsari
Claude Guillot

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Guillot Claude. Le rôle historique des perdikan ou « villages francs » : le cas de Tegalsari. In: Archipel, volume 30, 1985.
L'Islam en Indonésie II. pp. 137-162;

doi : https://doi.org/10.3406/arch.1985.2249

https://www.persee.fr/doc/arch_0044-8613_1985_num_30_1_2249

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Claude GUILLOT

Le rôle historique des perdikan

ou «villages francs» : le cas de Tegalsari

Parmi les institutions qui modelèrent la société javanaise de l'époque


musulmane, celle des villages francs ou perdikan mérite une attention qui
ne lui est peut-être pas toujours accordée. En effet, elle contribua
fortement, par sa double nature religieuse et politique à donner ses couleurs
propres à l'Islam javanais mais aussi à former, ou plutôt à maintenir, dans
une religion qui les ignore, une classe de «prêtres» dont l'influence
débordait largement le domaine purement religieux et qui sut évoluer pour
conserver jusqu'à aujourd'hui sa place privilégiée.
Pour illustrer l'importance du rôle des perdikan, comme agents ou
reflets de l'évolution historique de la société javanaise, nous avons choisi
l'exemple de Tegalsari, village situé au sud de Panaraga. Ce choix
s'explique par la célébrité de ce perdikan d'abord, mais aussi par la relative
abondance de documents dont nous disposons pour reconstituer son histoire et
enfin par la durée exceptionnelle de son existence, de 1742 à 1964, qui
permet de saisir son évolution sur une longue période. Nous avons tenu à faire
un large usage, malgré son aspect souvent légendaire, de «l'histoire de
Tegalsari» telle qu'elle a été recueillie par le maître actuel du pesantrèn,
Kyai Mohamad Poernomo pour laisser place à un discours riche
d'enseignements sur la vision que les Javanais ont d'eux-mêmes et de leur passé.
On sait que le perdikan, loin d'être une particularité de l'époque
musulmane, apparaît en fait comme la permanence d'une institution très ancienne,
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puisqu'attestée dès le IXe s., celle des sima de l'époque indianisée.


Le mot perdikan, construit à partir de mardika : libre, servait à
désigner une terre franche, c'est-à-dire exemptée d'impôts, dont la surface
pouvait varier d'un lopin de terre à un village tout entier. Cette franchise
octroyée par le souverain était officialisée par la promulgation d'une charte
royale ou piagam qui en stipulait le bénéficiaire, la durée et les obligations
afférentes. La terre, inaliénable dans la tradition javanaise, restait en
possession du souverain qui n'en abandonnait que l'usufruit au bénéficiaire du
perdikan. La jouissance de cette franchise pouvait disparaître avec le
bénéficiaire ou, plus souvent, se léguer en héritage, soit pour une période
déterminée - sept générations par exemple - soit, cas le plus fréquent, pour une
période illimitée. Le perdikan demeurait sous l'autorité du souverain mais
contrairement aux terres de droit commun, relevait directement de lui, ce
qui excluait toute immixtion dans les affaires du perdikan, de
fonctionnaires royaux, en particulier collecteurs d'impôts et soldats. Cette
interdiction faite aux fonctionnaires de franchir les limites des perdikan serait à
l'origine du toponyme Larangan (= Interdiction), largement répandu à
Java. (!)
Les raisons poussant le souverain à créer un perdikan pouvaient être
de trois ordres : politiques, en reconnaissance de services rendus
exceptionnels; familiales, pour assurer des revenus à une personne de sang royal;
religieuses, pour pourvoir à l'entretien de tombes sacrées (kramatan) ou
de mosquées ou encore pour aider à la diffusion de l'Islam en particulier
par un soutien aux écoles religieuses (pesantrèn). Les perdikan à vocation
religieuse représentaient la grande majorité des cas. Ajoutons que les
Hollandais, devenus maîtres de Java, tentèrent, par rationalisme, de
différencier artificiellement ces villages francs selon leur finalité.
A noter que la notion de «village franc» n'implique en aucune façon que
les habitants eussent été plus libres que d'autres puisqu'ils étaient tenus
d'exécuter les travaux permettant non seulement de remplir les obligations
stipulées dans la charte mais aussi de faire vivre le chef du village (kepala
perdikan ou demang) et sa famille.

Histoire de Tegalsari.

Epoque de Setana
L'histoire connue de Tegalsari commence au XVIe s. Un frère de Sunan
Bayât, allié à Bathara Katong, l'islamisateur «officiel» de la ville de Pana-
raga, personnage que la tradition connaît sous le nom de Pangeran Sumen-
dhé Ragil (ce qui signifie seulement : avant-dernier enfant d'une famille)
serait venu propager la religion musulmane dans cette région de Panaraga
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où il serait mort. Il fut enterré à une dizaine de kilomètres au sud de la


ville, près de la rivière de Keyang, en un lieu qui reçut, par la suite, le nom
peu original de Setana (cimetière).
A une époque indéterminée (fin du XVIe, début du XVIIe s.?), pour
entretenir cette tombe, un petit perdikan fut fondé qui ne tirait ses revenus que
d'une dizaine d'hectares de rizières et dont les bénéficiaires étaient des
descendants de Sumendhé Ragil. Le village peu peuplé était encore entouré
de forêt. Le dernier chef du perdikan de Setana, de la famille de Bayât,
qui dut vivre à la fin du XVIIe et au début du XVIIIe s., s'appelait Kyai
Danapura. La tradition le présente comme un homme de religion sans
descendance, entouré de ses disciples, d'un naturel bon et miséricordieux qui,
comme le veut le stéréotype «aimait donner de l'ombre en plein soleil, une
canne en terrain glissant, une torche dans l'obscurité» (2h C'est chez ce
kyai, ami de son père, kyai lui-même, que vint étudier un jeune homme,
originaire de Caruban, au nord du Mont Wilis, du nom de Mohamad Besari,
sans doute dans les premières années du XVIIIe s. Après ses études, il
épousa la fille d'un autre kyai, habitant le hameau de Mantub dans le
village voisin de Ngasingan, puis retourna s'installer avec elle à Setana.
Danapura engagea le jeune couple à ouvrir la forêt, en bordure de Setana, de
l'autre côté de la rivière Keyang pour y fonder un nouveau village auquel
il donna lui-même, le nom de Tegalsari. Mohamad Besari suivit le conseil
de son maître, alla s'installer sur les nouvelles terres et ouvrit par la suite
son propre pesantrèn. Il devint donc, comme le souligne son
historiographe «non seulement un kyai mais aussi le chef du village de Tegalsari» (3).
A la mort de Danapura, le perdikan de Setana échut tout
naturellement à Mohamad Besari et, dit «l'histoire de Tegalsari», tous les disciples
de Danapura se transportèrent à Tegalsari. Il devint peu à peu un maître
recherché par les élèves et respecté par ses pairs.

Mohamad Besari (1742 - ±1773)


A la tête du perdikan de Setana et du village de Tegalsari, se trouvait
donc un homme installé, influent et relativement puissant, lorsqu'en 1740
survint le massacre des Chinois à Batavia. On sait que ce fut le signal d'un
grand mouvement à travers tout Java. Les Chinois soutenus par les
Javanais hostiles à la VOC, attaquèrent les loges hollandaises de la côte nord
de Java central. Le Susuhunan de Mataram, Paku Buwana II, d'abord
favorable au parti anti-hollandais, devant le tour pris par les événements, se
rapprocha de la VOC. Ce revirement lui valut la fureur des troupes sino-
javanaises qui tournèrent leurs armes contre sa capitale de Kartasura en
juin 1742, l'obligeant à une fuite humiliante en direction de Magetan, Madiun
et Panaraga, en compagnie de quelques soldats hollandais tandis que les
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insurgés choisissaient pour le remplacer sur le trône, son jeune parent, Mas
Garendi, connu sous le nom de Sunan Kuning.
Ce fut durant cette lamentable retraite, qui dura les six derniers mois
de l'année 1742, alors que Java était parcourue par des armées de toutes
sortes, que Paku Buwana II, sans troupes, sans autre appui que celui de
la VOC, alliée à son pire ennemi, Cakraningrat, le puissant prince de
Madura, rencontra Mohamad Besari, le Kyai de Tegalsari. La rencontre
du souverain abandonné, accompagné de son seul Tumengung fidèle, Wira-
tirta, avec Mohamad Besari - épisode inconnu dans les versions pourtant
nombreuses de la Babad Pacina - fait immanquablement penser au Jejer
pandhita du théâtre javanais qui montre le prince, chassé de ses états par
ses ennemis, venir chercher la paix intérieure et des conseils auprès du sage
ermite installé dans la forêt. Voici cet épisode tel qu'il est rapporté par
«l'histoire de Tegalsari» :
Le souverain et son Tumenggung erraient «fatigués et sans forces»
dans la campagne; ils s'arrêtèrent donc pour se reposer près de Tegalsari.
«Une nuit, vers une heure du matin, Sa Majesté entendit un fort
bourdonnement comme celui des abeilles d'une ruche. Après un long moment, il
demanda à Tumenggung Wiratirta «Wiratirta, quel est ce bruit?». Celui-ci
répondit : «Ce sont des hommes qui prient le Seigneur Dieu». Sa Majesté
dit encore : «Allons donc vers eux! Peut-être pourront-ils me donner un
remède».
Ils trouvent donc Mohamad Besari en prières avec son disciple Bagus
Harun. «Sa Majesté demanda à Kyai Ageng Tegalsari de l'aider à chasser
les bandits chinois. S'il réussissait, Sa Majesté le récompenserait en lui
donnant une terre exemptée d'impôts qu'il pourrait léguer à sa descendance.
Alors Kyai Ageng Tegalsari fit cette prière : «0 Seigneur Dieu, faites que
notre pays connaisse l'ordre et la paix et accordez Seigneur la fortune à
votre peuple tout entier, mais une fortune sainte et honnête». Après sa
prière, Kyai Ageng dit : «Sire, vous pouvez rentrer. Kartasura connaît
maintenant l'ordre et la paix. Les brigands armés chinois s'en sont allés après
avoir jugé que la Terre de Java était beaucoup trop petite pour être
occupée» (4).
Après son retour dans sa capitale, qu'il dut autant aux soldats de la
VOC qu'aux prières du kyai, le Susuhunan tint sa promesse et accorda la
franchise à Tegalsari. Sur intervention de Mohamad Besari, il accorda aussi,
en franchise, le village de Sewulan au sud de Madiun, à son disciple Bagus
Harun qui aurait suivi le souverain jusqu'à Kartasura. Ce Bagus Harun était
le fils d'un homme de religion de Sumarata, à l'ouest de la ville actuelle
de Panaraga.
Sans vouloir minimiser l'aide spirituelle que Paku Buwana II espérait
Ci-dessus : La Mosquée de Setana
Ci-dessous : La Mosquée de Tegalsari après la réfection de 1978
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obtenir de ces hommes de religion, on peut légitimement penser qu'il


rechercha aussi auprès de ces hommes influents de la région de Madiun et de Pana-
raga, un soutien qui lui faisait cruellement défaut et qu'il s'efforça de se
les attacher par une générosité que lui inspirait la grande détresse dans
laquelle il se trouvait alors. En effet, outre Tegalsari et Sewulan, il créa
un certain nombre de perdikan : Goranggareng, Menang etc.
Il est nécessaire d'insister sur le fait que l'octroi de la franchise à
Tegalsari n'est en réalité que la confirmation de la franchise accordée autrefois
à Setana, puisque Tegalsari n'était qu'un agrandissement de ce village. On
peut l'interpréter aussi comme la reconnaissance par le souverain du
changement de lignée qui aurait eu lieu à la tête de Setana. En tout cas, à
partir de ce moment, Tegalsari devint le centre tandis que Setana fut ramené
au rang de hameau. La charte royale a malheureusement disparu. En 1830,
déjà, les Hollandais, devenus souverains du perdikan, ne purent la trouver
malgré leurs recherches.
Une deuxième fois, au cours de la deuxième moitié du XVIIIe s., période
particulièrement troublée dans l'histoire de Java, Mohamad Besari fut
sollicité par un souverain. On sait qu'un certain nombre de princes de Mata-
ram avaient saisi l'occasion fournie par les événements politiques que nous
avons rapportés plus haut, pour se rebeller contre le susuhunan Paku
Buwana II; parmi eux, deux de ses propres frères, le prince Singasari et
le prince Mangkubumi et son neveu Raden Mas Saïd. Ces deux derniers
arrêtèrent une lutte longue de dix ans après qu'ils eurent obtenu
satisfaction par le Traité de Giyanti. Le Pangeran Singasari, lui, continua de faire
sécession, dans la région de Malang en compagnie de descendants de Sura-
pati. Avantque la VOC ne lançât des expéditions aboutissant à sa capture,
les cours de Yogyakarta et de Surakarta tentèrent de faire venir à
rémission le prince rebelle. Pour l'une de ces missions difficiles, le prince
Mangkubumi fit de nouveau appel au kyai de Tegalsari, sans qu'on puisse dater
précisément cet épisode : entre 1755 et 1768.
L'événement nous est ainsi rapporté par «l'histoire de Tegalsari» : Le
prince Mangkubumi, soucieux de mettre un terme à une guerre fratricide,
voulait faire revenir à Yogyakarta son frère le prince Singasari «qui s'était
créé un territoire dans la région de Malang et même, disait-on, s'était
construit un kraton à Singasari». Mangkubumi, sur l'avis d'un conseiller, envoya
son Tumenggung auprès de Kyai Ageng Tegalsari pour lui demander de
faire revenir le prince Singasari en promettant au kyai , en cas de
réussite, «une terre franche, exemptée d'impôts pour toujours». Le kyai déjà
âgé, confia la mission à un ancien disciple devenu le mari de sa fille, Bin
Umar. Celui-ci rencontra le prince rebelle qui «accepta de rentrer à
condition que Bin Umar l'accompagnât et se portât garant de sa sécurité à Yogya-
143

karta. Ce que kyai Bin Umar promit» (5). Les résultats de cette mission
furent sans doute jugés satisfaisants par le Sultan de Yogyakarta qui lui
accorda la franchise du village de Banjarsari au sud de Madiun, près de
Sewulan. On sait, en effet, que depuis le Traité de Giyanti en 1755, les
Provinces Extérieures (Mancanegara) de l'est avaient été partagées entre Sura-
karta et Yogyakarta coupant ainsi Madiun attribué à Mangkubumi de Pana-
raga restant à Paku Buwana III. Il faut ajouter à l'histoire ci-dessus que
Pangeran Singasan mourut à Surabaya en 1768, après avoir été capturé
par les soldats de la VOC dans la région de Malang.
Ainsi, en ce milieu du XVIIIe s. le prestige et la puissance du kyai de
Tegalsari s'accrurent considérablement. Deux souverains avaient fait appel
à ses bons offices. Il avait reçu la franchise pour Tegalsari et l'avait fait
attribuer à deux de ses disciples dont l'un était son propre gendre. Le kyai
se trouvait, moralement à la tête de trois perdikan. En effet Sewulan et
Banjarsari, qui devinrent de grands centres d'enseignement religieux
jusqu'à la fin du XIXe s., les plus importants après Tegalsari,
considérèrent toujours Tegalsari comme le primus inter pares. Et les alliances
familiales, existantes ou à venir, resserrèrent les liens unissant d'anciens
disciples à leur maître.
Les champs secs (tegal), gagnés sur la forêt, qu'évoque le nom même
de Tegalsari, peu à peu laissèrent place à des rizières. Mais le kyai, comme
un sage, refusa les honneurs mondains - il aurait donné à un disciple le
parasol (songsong) offert par le susuhunan - et continua à vivre
simplement dans une maison semblable à celle des autres villageois. Il mourut
vers 1773 et fut enterré derrière la mosquée.

Ilyas(1773 7-1800 ?)
Lorsque le premier chef du perdikan mourut, comme dans les maisons
princières, sa veuve, Nyai Mohamad Besari devint une sorte de douairière,
jouissant d'une partie des terres réservées au chef du village tandis que
surgissait parmi les enfants, le premier conflit de succession. L'un des fils,
Iskak, se targuant d'une parole de son père selon laquelle la mosquée lui
appartiendrait, pensait être l'héritier désigné du village. Mais la Nyai lui
préféra son frère Ilyas qui devint ainsi le second chef du perdikan. Dépité,
Iskak se retira pour ouvrir à son tour une école religieuse, dans un village
éloigné de quelques kilomètres de là, à Copèr, où il fit transporter et
remonter la structure de bois de la mosquée de Tegalsari sur laquelle il estimait
avoir des droits. Cette vieille mosquée, à la charpente de teck rustique mais
imposante, se trouvait en 1981, dans un état de conservation inquiétant.
Ilyas devenu chef du perdikan et du pesantrèn fit reconstruire la mosquée
de Tegalsari en 1188 de l'Hegire (1774) comme l'atteste l'inscription en
144

pégon au fronton de la chaire (mimbar).


Le passage d'Ilyas à la tête du perdikan n'a pas laissé de grands
souvenirs dans les mémoires. Pourtant dans les vingt dernières années du
XVIIIe s. qui correspondent en gros à son «règne» et qui ont été surtout
les années les plus paisibles que Java eût connues depuis longtemps, on
assista dans les mancanegara de l'est à un profond mouvement
d'islamisation dans lequel la famille de Tegalsari, mais aussi celles de Sewulan et de
Banjarsari, jouèrent un rôle de premier plan. Des frères, des fils, des neveux
d'Ilyas partent s'installer, pour ouvrir des écoles religieuses, dans les
villages des alentours mais aussi dans les régions de Madiun, de Kediri, de
Tulung Agung, de Magetan. C'est l'époque aussi où deux de ses frères
partent faire le voyage à La Mecque. C'est l'époque enfin où se forment ses
deux fils, les deux futurs grands théologiens de Tegalsari, Kasan Besari
et Mukibat. Ce mouvement d'expansion religieuse s'explique sans doute
par la paix enfin retrouvée mais aussi par l'affaiblissement continu de
l'influence hollandaise sur les affaires du pays. Il faut enfin remarquer que
c'est l'époque où se forment ceux qui lutteront avec Dipanegara dans la
Guerre de Java.
D'un point de vue plus temporel, cet éclatement de la famille profita
aussi à Tegalsari puisque toutes ces nouvelles écoles se réclamaient du
prestige de l'école-mère. Certains membres enfin se poussèrent à des postes
officiels : un neveu d'Ilyas devint Pangulu de Madiun, tandis qu'un autre
fut nommé Patih de Pacitan. Cet immense réseau familial explique sans
doute en partie la grande renommée dont jouit Tegalsari durant la première
moitié du XIXe s.

Le Triumvirat : Yahya, Kasan Besari, Mukibat (1800 ? - 1820 ?)


Lorsqu'Ilyas mourut vers 1800, il laissait dix-huit enfants, nés de trois
épouses et les luttes pour l'héritage reprirent. Le Susuhunan de Surakarta,
Paku Buwana, usant de son autorité fit nommer par l'intermédiaire de son
Pangulu, Tapsir Anom Adiningrat, le fils aîné d'Ilyas, Kasan Yahya
«gardien, protecteur, chef de tous les habitants de Tegalsari» (6). Kasan Yahya
devenait nominalement le troisième chef du perdikan. En réalité, le
Pangulu installa, à la tête du village une sorte de triumvirat composé de trois
fils d'Ilyas : Yahya, Kasan Besari et Mukibat.
Yahya remplissait donc la fonction de chef du perdikan. Kasan Besari,
comme naib de la mosquée, réglait les problèmes juridiques à l'intérieur
de la communauté, comme les épineuses questions de validité de mariage,
de divorce, d'héritage etc., mais se trouvait aussi chargé de faire respecter
la loi et de prendre les sanctions nécessaires. Quant à Mukibat, qui
jouissait de la confiance du Pangulu, il servait officiellement de conseiller à
Ci-dessus : Fronton de la chaire de
prêche de la mosquée de Tegalsari,
portant la date de fondation de la
nouvelle mosquée: «Kala darnel ing
wulan Ramadhan ing tahun Alip
a a ta ra 1188 aaking Hijrah. ..» « Fait
au mois de Ramadhan de l'année
Alip, environ 1188 de l'Hégire...» A
noter que l'année Alip est 1187 (1773
EC) et non 1188 (1774 EC).
Remarquer la calligraphie en forme de
quadrupède.
Ci-contre : Le «château» (dalem) des
chefs du vilage de Tegalsari. On
aperçoit vu du porche d'entrée, le toit
imposant du pendapa.
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Yahya mais semble avoir été nommé dans ce triumvirat surtout pour jouer
un rôle modérateur auprès de ses deux frères.
Tous trois enseignaient au pesantrèn et se partageaient à égalité les
revenus du village. Mais leur personnalité comme leurs ambitions rendaient
toute collaboration impossible. Ils en arrivèrent à ne plus se rencontrer et
à ne communiquer entre eux que par le truchement d'une tierce
personne (7).
D'un côté Yahya, si peu versé dans les sciences religieuses que le
Pangulu lui enjoignait de s'adonner à une étude sérieuse des Livres Saints,
voyait avant tout dans le perdikan une source de revenus et un moyen de
réaliser ses ambitions. Il avait confisqué à son profit, les terres de sa famille
et s'était fait construire aux frais des habitants de Tegalsari, un château
(dalem) «avec charpentes de teck, bardeaux (sirap), murs de pierre et
cloisons de planches» - luxe, commentait le Pangulu, ne convenant pas à son
état de théologien (8). D'un autre côté, Kasan Besari, dont l'ambition n'était
pas moindre, musulman militant qui passait pour le plus grand spécialiste
javanais de droit musulman (fiqh) de son temps, considérait le perdikan à
vocation religieuse comme le lieu privilégié pour créer une petite
théocratie où il tenta de mettre en application la loi musulmane dans toute sa
rigueur. On comprend la décision du Pangulu de Sala de placer entre ces
deux forts tempéraments opposés, le sage Mukibat.
Très vite la figure de Kasan Besari s'imposa à Tegalsari. C'était lui
dont on parlait, lui qui, par son enseignement attirait des élèves de toutes
les régions de Java. Ce fut à lui que le pujangga de Surakarta, Yasadipura,
adressa, pour l'éduquer, son fils Bagus Burham qui devait devenir le grand
poète Ranggawarsita. En un mot, ce fut grâce à lui que Tegalsari devint,
dans la première moitié du XIXe s. le pesantrèn le plus célèbre de Java (9).
La montée de sa célébrité se lit aussi dans le statut social de plus en plus
élevé de ses épouses successives. Il épousa d'abord comme tout bon santri
destiné à devenir kyai, la fille d'un de ses maîtres - d'un pesantrèn de Tuban
où il étudia. Sa seconde femme était fille d'un petit noble (Raden Bei), la
troisième portait le titre, plus élevé sinon plus reluisant de Mas ayu. Enfin,
il épousa, vers 1804, une nièce du Susuhunan Pakubuwana IV, connue à
Tegalsari sous le nom de Raden Ayu (10).
Les circonstances mystérieuses de ce mariage qui devait non seulement
accroître la célébrité de Kasan Besari et le prestige de Tegalsari mais aussi
accélérer l'élévation sociale des générations suivantes, méritent d'être
rapportées. Deux versions de cette union, l'une écrite, l'autre orale, ont cours
à Tegalsari et bien sûr dans des branches différentes de la famille.
D'après la source écrite, Kasan Besari, interné à la Grande Mosquée
de Surakarta pour avoir appliqué la loi musulmane à Tegalsari, reçut, pour
147

la fête du Maulud, la visite de cinq cents de ses disciples. Selon l'habitude,


durant la nuit, ils chantèrent le texte de Barzandji (n) sur la naissance du
prophète (berjanjen). Vers une heure du matin, les princesses, regagnant
leurs appartements du kraton tout proche, furent ravies par ce chant et
plus particulièrement par une voix. L'une de ces princesses, Murtosiyah,
fut si saisie qu'elle demanda à son père d'épouser le chanteur à la voix si
douce qui n'était autre que Kasan Besari. Devant la détermination de la
princesse de se poignarder si l'on n'accédait pas à sa demande, le roi finit
par lui accorder la main de Kasan Besari (12).
La source orale, très différente, divise encore le village de Tegalsari.
Murtosiyah, petite fille d'une concubine (selir) de Paku Buwana III, était
la fille d'un Bupati Sewu du nom de Martapura. Mariée d'abord à un Bwpati,
Cakrawinata, puis divorcée, elle fut donnée comme épouse (triman) par le
Susuhunan Paku Buwana IV à Kasan Besari, alors qu'elle était enceinte
d'on ne sait qui (13).
De fortes présomptions, amènent à considérer la seconde version comme
vraisemblable, sinon comme certaine. Cet épisode, pour anecdotique qu'il
paraisse, présente pourtant un intérêt certain pour la compréhension de
la personnalité de Kasan Besari. On aimerait, en effet, savoir quelle
raison, de l'ambition personnelle ou de l'impossibilité de refuser un cadeau
-fut-il empoisonné- de son souverain, poussa ce spécialiste du fiqh jusqu'à
faire taire ses scrupules pour commettre un acte clairement prohibé par
l'Islam.
Quoi qu'il en soit, la Raden Ayu reçut pour pourvoir à son entretien
un perdikan dans la région de Magelang qui fut échangé, par la suite,
contre un village, situé aux abords de Tegalsari, Karanggebang qui avec son
hameau de Poh Lima, comprenait environ 145 hectares de rizières et six
hectares de champs secs. La noblesse de sa femme rejaillissant sur lui, Kasan
Besari devint désormais pour la population Kangjeng Kyai. Enfin vers 1820,
suprême consécration, le Pangulu de Surakarta, dans une lettre
curieusement adressée à la princesse, suspendait Kasan Yahya de ses fonctions et
nommait Kasan Besari, chef du perdikan (14).

Kasan Besari (18207-1862)


Après son mariage, Kasan Besari se trouva à la tête d'un territoire assez
considérable, comprenant Setana, Tegalsari, Karanggebang et Poh Lima,
dont la surface cultivée se montait à environ 300 hectares de rizières et
à plus de 10 hectares de tegal. Cette opulence, sa célébrité d'ulama, les
liens qui unissaient traditionnellement Tegalsari aux deux autres grands
centres religieux de la région, les perdikan de Sewulan et Banjarsari, le
réseau familial d'écoles religieuses enfin, concouraient à faire de Kasan
148

Besari un homme dont l'influence se faisait ressentir bien au-delà de la


région.
Aussi n'est-il pas étonnant de voir, lorsqu'en 1828, le champ de bataille
de la Guerre de Java s'étendit jusqu'à Madiun, Sasradilaga, fils de l'ancien
Bupati de Rajegwesi, se rendre d'abord à Tegalsari chez Kasan Besari,
quand il décida de prendre la fonction de «chef de Madiun, au nom du prince
Dipanegara» (15).
La réaction de Kasan Besari, dans cette situation délicate, montre qu'il
n'avait aucune intention de se laisser entraîner dans un camp. Il partit
immédiatement pour Madiun pour rapporter l'événement au Bupati, Rangga Pra-
wiradiningrat, dont le Patih, n'était autre que le cousin du kyai, Sasradirja.
Mais soucieux de ne pas froisser son hôte inattendu qui repartait pour
Rajegwesi, «il le fit accompagner par son gendre» (16). Cette prudence dans le
conflit lui valut de ne pas être inquiété à la fin de la guerre^17). Un rapport
hollandais conclut : «II semble que la complicité de kyai Kassan Besari dans
ces mouvements insurrectionnels (de la Guerre de Java) ne soit pas
prouvée quoiqu'on l'ait dit impliqué.» (18)#
Ses collègues des autres perdikan, en particulier Sewulan, prirent fait
et cause pour Dipanegara et plusieurs membres de ces familles furent
exilés hors de Java.
En 1830, les mancanegara, on le sait, passèrent sous administration
hollandaise et le gouvernement colonial, sur les conseils du commissaire
Lawick van Pabst, qui voulait éviter toute friction avec ces «prêtres» qui
avaient joué un rôle si déterminant dans la toute récente Guerre de Java,
prit la décision de maintenir les perdikan dans les nouvelles acquisitions
territoriales hollandaises. Les chefs de perdikan de la région de Madiun,
rapporte Fokkens (19), furent invités à une réunion, à Magetan, à laquelle
assistaient outre Lawick, le Paku Alam et le Bupati de Madiun et au cours
de laquelle il leur fut officiellement confirmé le maintien de leurs privilèges.
Ce passage de souveraineté du Ssuhunan au gouvernement colonial non
seulement ne lésa pas le kyai de Tegalsari mais lui apporta même quelques
avantages. Avec le perdikan passant sous l'autorité directe du Gouverneur
Général, Kasan Besari se voyait libéré de la surveillance tatillonne duPan-
gulu de Sala, évidemment mieux au fait des réalités de Tegalsari, Pangulu
qui assortissait ses ordres de toutes sortes de menaces et qui n'hésitait pas
à les mettre à exécution (2°). Mais surtout certains de ses fils purent entrer
dans l'administration indigène coloniale où ils firent de très brillantes
carrières. L'un d'eux, Kusen, envoyé comme employé aux écritures (carik) à
Pacitan où son oncle, Sastraatmaja, était Patih, se fit remarquer à la fin
de la guerre, comme chargé de la sécurité (mantri polisi), par la façon
vigoureuse dont il pacifia la région. On peut supposer avec vraisemblance que
Ci-dessus : L'internat (pondok) où habita, dit-on, Ranggawarsita durant ses études à Tegalsari
Ci-dessous : L'oratoire privé (lanqgar) de Kasan Besari
150

les «bandits» pourchassés n'étaient autres que des soldats débandés des
armées de Dipanegara. Nommé par la suite Patih de Pacitan, il termina
sa carrière comme Bwpati de Panaraga, sous le nom de Cakranegara et
fut élevé à la dignité de Chevalier de l'Ordre du Lion néerlandais (Ridder
der Orde van de Nederlandsche Leeuw), ce qui, par parenthèse, explique
son surnom dans la population de Panaraga de «Gusti Lider» (21\
L'introduction du cultuurstelsel par Van den Bosch, à Java, eut des
consequences imprévues pour Tegalsari. De façon logique, les perdikan
échappèrent aux cultures forcées qui n'étaient dans l'esprit de leur
instigateur qu'une forme d'impôt. Les villages francs se virent rapidement
grossir d'une partie de la population des villages environnants qui cherchait à
échapper aux cultures forcées -l'indigo dans la région de Panaraga. Dès
1835, le Résident de Madiun s'alarmait de cet accroissement anormal de
la population de Tegalsari (22\ Cet état de choses se poursuivit pendant
quinze ans au moins puisqu'en 1850, le Résident de Madiun d'alors, Hart-
man, demandait à Batavia «que des mesures fussent prises pour empêcher
que Tegalsari ne fût le refuge des oisifs des environs». Il proposait même
comme remède qu'on «vérifiât à des heures déterminées de la journée si
tous les habitants et étrangers de Tegalsari étaient bien occupés à l'étude
de la religion musulmane et que dans le cas contraire, la franchise devrait
être supprimée». (23)
Vers 1850, la population de l'ensemble Tegalsari-Karanggebang se
montait à environ 3.000 habitants auxquels il faut ajouter les centaines
d'étudiants du pesantrèn (24), logeant soit dans les dortoirs (pondok) soit chez
l'habitant.
Le gouvernement colonial hésita longtemps sur la conduite à tenir vis-
à-vis de cette petite puissance. Il lui semblait que la meilleure manière de
la diminuer était de la scinder en deux en prenant comme prétexte que les
villages de Tegalsari et de Karanggebang étaient des perdikan de nature
différente : Tegalsari comme pamutihan était un village à caractère
religieux, Karanggebang comme bumi pangrembé n'était qu'une donation pour
pourvoir aux besoins d'une personne de sang royal, une sorte de rente. En
1835, lorsque la RadenAyu disparut, le gouvernement n'osant pas encore
agir -le souvenir de la Guerre de Java était encore dans tous les esprits -
accepta pour argent comptant la version de Kasan Besari selon laquelle
«la volonté de la défunte Raden Ayu était que Karanggebang échût à son
second fils (le futur Bupati de Panaraga) et qu'entretemps, lui-même, Kasan
Besari l'administrât» <25). Le Résident de Madiun fit aussi admettre au
gouvernement que Karanggebang ne fût pas soumis aux cultures forcées (26)
quoiqu'il ne s'agît pas d'un village à vocation religieuse. Visiblement, on
ne voulait pas nuire à Kasan Besari. Mais on prépara activement sa suc-
151

cession. Dès 1850, soit douze ans avant sa mort, un dossier fut établi pour
déterminer les dispositions à prendre à la disparition du vieux kyai. Il fut
décidé que les deux villages seraient séparés et que Karanggebang serait
incorporé au régime des cultures forcées (27). Les héritiers présomptifs de
Tegalsari approchés souhaitant tous avoir leur part de la succession, le
gouvernement, se basant sur le fait que «le village de Tegalsari était concédé
au guru principal du séminaire à la condition qu'il se consacrât
spécialement à l'enseignement de la théologie mahométane (et qu')il était dans la
pensée du donateur, Paku Buwana II, que le propriétaire du village devait
être un ecclésiastique... »(28), décida que le successeur de Kasan Besari,
après sa mort, serait son fils aîné, «Kasan Anom, prêtre à Tanjong Anom,
Kediri». Comme chef du village de Karanggebang, le gouvernement
choisit le mari de la fille la plus effacée de la Raden Ayu, Kasan Ripangi, alors
simple bekel, éliminant les autres enfants, malgré leurs récriminations, sous
prétexte qu'ils étaient fonctionnaires. Ces deux nominations devenues
effectives à la mort de Kasan Besari suscitèrent des procès en cascades qui ne
prirent fin qu'à la deuxième guerre mondiale et enveniment encore
aujourd'hui les rapports entre les descendants de Tegalsari.
Vers 1850, Kasan Besari n'enseignant plus, du fait de son âge - le
pasteur Brumund, plein de préjugés anti-musulmans il est vrai, a fait de lui,
vers cette époque, une description pitoyable (29) - , la célébrité et donc la
fréquentation du pesantrèn commencèrent à décliner. Le vieux kyai n'en
eut pas moins la joie d'assister à Panaraga à l'installation de son fils, comme
Bupati.
Il s'éteignit en 1862, à l'âge de 103 ans javanais, soit près de 100 de
nos ans. Il fut enterré près de son grand père Mohamad Besari dans le
cimetière de Tegalsari. A son enterrement assistaient outre les autorités
indigènes, trois mille haji et santri (3°).

Le déclin (1862-1964)
Après la mort de Kasan Besari, les nominations, décidées douze ans
auparavant, devinrent officielles. Kasan Anom était déjà âgé de 70 ans.
Karanggebang échappa cependant aux cultures forcées. Les temps
changeaient : les Hollandais dominaient alors complètement la situation à Java
et l'économie coloniale dépendait de moins en moins des cultures forcées.
Karanggebang, à partir de cette époque suivit, comme l'espérait le
gouvernement, sa propre route, relâchant de plus en plus ses liens avec
Tegalsari.
A l'image de ces deux villages, les descendants de Kasan Besari
suivirent deux voies très différentes. Les uns, généralement issus de la Raden
Ayu entrèrent dans l'administration indigène, frayant ainsi la voie à leurs
152

propres descendants (pour exemple Cakranegara eut deux enfants Bwpati


et un Patih et six petits-enfants Bwpati), les autres poursuivant, comme
devant, la voie des maîtres de religion. Le fossé s'agrandit à mesure que
les années passaient. Les écoles religieuses, pendant longtemps seuls lieux
de la vie intellectuelle, furent bientôt concurrencées par les écoles créées
par le gouvernement colonial. Les villes bourgeonnaient où abondaient les
nouveautés, tandis que Tegalsari qui voyait le nombre de ses élèves
diminuer, son influence spatiale se rétrécir au niveau du Kabupaten,
s'enfonçait progressivement dans la torpeur du monde rural. Les écoles
hollandaises s'ouvraient aux enfants des grands fonctionnaires indigènes mais
refusaient les autres. Ainsi vers 1900, de deux petits- cousins de la famille
de Tegalsari, l'un étudiait dans une école hollandaise de Surabaya tandis
que l'autre étudiait au pesantrèn de Tegalsari.
Bien vite, les chefs du perdikan se désintéressèrent du pesantrèn et
de la droiture morale qu'il sous-tendait, pour porter leur attention sur le
perdikan, source de revenus. Au début de ce siècle, le responsable de
Tegalsari, Usman Aji, petit-fils de Kasan Anom, chef du perdikan sous le nom
de Kasan Anom III, mena une vie si scandaleuse, volant les santri, fumant
de l'opium etc., que les habitants demandèrent sa suspension aux autorités
hollandaises. A cette occasion, le déclin s'accéléra encore puisque pour la
première fois, le successeur à la têtedu perdikan n'étant pas maître de
religion, il fut nommé simultanément un kyai responsable du pesantrèn. A
partir de cette époque, Tegalsari devenait pratiquement un village comme les
autres, à la nuance près que le chef du perdikan jouissait de plus de
privilèges qu'un simple lurah. Tegalsari n'avait pourtant pas encore tout vu; vers
1925, le chef du perdikan dilapida l'argent de la famille, mettant en gages
des biens qui ne lui appartenaient pas en propre puisqu'inaliénables, et
amenant le village au bord de la banqueroute.
Au milieu de cet affaissement général, un kyai de la famille, Iskandar,
conscient que l'enseignement des pesantrèn ne pouvait pas répondre au défi
de l'occidentalisation, voulut rénover le système éducatif à Tegalsari, en
fondant vers 1927 une madrasah pour ouvrir les Javanais à l'Islam
réformiste, comme le faisait à sa manière, son petit-cousin Cakraaminata, l'un
des fondateurs du Sarekat Islam. Devant l'hostilité générale, il ferma son
école, au bout de sept ans et alla travailler dans le nouveau Pondok Mode-
ren Gontor, à cinq kilomètres de là, que trois autres petits-cousins avaient
fondé.
Dernier stade de la décadence, en 1930, une rivalité entre les kyai
provoqua la division du pesantrèn en deux : pondok lor et pondok kidul.
Tegalsari présentait si peu d'intérêt pour quiconque que le perdikan
survécut à tous les troubles de la guerre, de l'occupation japonaise, de l'in-
153

dépendance et du «coup de Madiun». Enfin en 1964, était mis en


application dans le Kabupatèn de Panaraga le décret présidentiel (Peraturan Pre-
siden) n° 13 : 1946 qui mettait fin à l'existence des perdikan (31).
Depuis quelques années les gouvernements d'OrdeBaru s'efforcent de
redonner une impulsion à l'enseignement religieux à Tegalsari non pas au
pesantrèn, mais dans la madrasah Ranggawarsita, tout nouvellement bâtie.
La mosquée, restaurée, fut inaugurée par le président Suharto lui-même
en 1978.

La vie sociale.

Faute de documents, notre vision de la vie sociale à l'intérieur du


perdikan reste assez floue jusqu'au début du XIXe s., quand la mémoire des
habitants peut prendre la relève des archives. On trouve pourtant dans
celles-ci de brèves mais intéressantes allusions.
On apprend ainsi que le caractère rural du perdikan, si frappant encore
aujourd'hui, loin d'être un fruit du hasard, avait été voulu par le kraton,
lors de sa création, afin de limiter sa puissance économique aussi bien que
politique. En effet, le Pangulu de Sala, se référant aux obligations du
perdikan stipulées sans doute dans la charte de 1742, rappelait, vers 1800,
aux petits-enfants de Muhamad Besari «qu'ils n'avaient pas le droit
d'entretenir des chevaux ni de posséder des fusils ni des tambours et que les
habitants n'avaient pas le droit de s'adonner au commerce» (32). Cette dernière
limitation explique le faible développement du village et la réticence
toujours actuelle des habitants à choisir une carrière d'entrepreneur. On notera
au passage que la défiance, marquée par la première interdiction, à l'égard
de la fidélité des chefs du perdikan envers leur souverain était tout à fait
justifiée si l'on en juge par les activités des perdikan voisins de Sewulan
et Banjarsari durant la guerre de Dipanegara!
On sait, par ailleurs, mais nous y reviendrons, que la loi en vigueur dans
le village était Yadat et les trois lettres des Pangulu de Sala qui nous sont
parvenues, insistent toutes fortement sur ce point. Mais, comme dans ce
village à vocation religieuse, les personnes chargées de la faire respecter
se trouvaient par définition être des ulamas, la tentation était grande pour
eux de mettre en application dans le village ce qu'ils enseignaient tous les
jours au pesantrèn.
Sur la répartition des obligations et des revenus, au XIXes., on apprend
que les habitants étaient tenus d'effectuer toutes les corvées demandées
par les trois personnalités de Tegalsari (on était en 1800 à l'époque du
triumvirat) mais aussi par les autres membres de la famille autant que ces
corvées ne dépassaient pas un seuil fixé par la coutume. Comme exemples de
154

ce qui ne peut être exigé, le Pangulu cite la construction du château et la


garde, la nuit, des maisons des petits-enfants de Mohamad Besari (33).
Dans cette même lettre, le Pangulu donne quelques éclaircissements
sur l'utilisation des revenus. Ils doivent être, écrit-il, «divisés équitablement
entre vous trois, après qu'en ait été ôté ce qui revient à la mosquée et le
sedekah ratib... Vous devez cependant en donner une part à vos parents
qui logent les santri». Cinquante ans plus tard, le Résident de Madiun
affirme dans un rapport que «le chef du perdikan perçoit la moitié du revenu
agricole du village, plus deux florins pour le mariage d'un habitant» (34).
Le sort des habitants, aussi peu enviable qu'il paraisse aujourd'hui, ne devait
pourtant pas manquer d'attraits puisque pendant le cultuurstelsel, les
villageois des alentours cherchaient à venir s'installer à Tegalsari.
Nous disposons de données beaucoup plus précises sur la situation dans
le village au début du XXe s., qui décrivent sans doute aussi un état
antérieur mais qui reflètent certainement les changements aussi bien
démographiques que moraux, intervenus au cours des temps dans la vie du
perdikan. La population était divisée en deux groupes : les kuli gogol ou kuli
kenceng constitués par la majorité des habitants et le sentanan ou famille
du chef de village qui habitait un quartier spécial autour de la mosquée.
Tout foyer du sentanan (une dizaine environ) avait droit aux revenus d'une
rizière (bengkok) d'une surface variant de 2 à 5 bau alors que la population
recevait 3 kotak (1 kotak = 1/5 de bau) par foyer. Chaque fonction officielle
à l'intérieur du village donnait droit à d'autres avantages :

I. Kepala perdikan 25 bau


Lurah 4 bau
Carik 3 bau
Kamitua principal 4 kotak

II. Kamitua (4) 3 kotak


Employés de la mosquée 3-4 kotak
Employés du village 3-4 kotak
( Jagabaya, pangulu banyu, etc.).
Les fonctions du premier groupe étaient remplies par les membres de
la famille proche, celles du deuxième groupe par ceux de la famille éloignée.
Les membres du sentanan pouvaient jouir de ces droits à condition de
résider dans le village et n'avaient aucun devoir vis à vis du perdikan. Par
contre les kuli gogol devaient travailler, en plus de leurs propres terres,
celles du sentanan et celles de la commune. Ils devaient aussi entretenir
la mosquée, les pondok sans compter les travaux publics (routes, ponts,
fossés d'écoulement etc.). Ils devaient enfin des corvées au chef du perdikan :
155

garder le dalem, y faire la cuisine, en apportant les produits et le bois de


chauffage, apporter des dons en nature lors des cérémonies. Enfin quatre
personnes devaient jouer, par roulement, le rôle de punakawan (suivants)
au château.

Tegalsari et l'Islam
L'histoire de ce petit village, maintenant perdu dans la campagne de
Panaraga présente l'intérêt de nous permettre de mieux cerner quelques
points de l'histoire de l'Islam à Java. Si l'on connaît assez bien la manière
dont s'est opérée l'islamisation de la côte nord de Java, il n'en va pas de
même en revanche, pour celle de la partie méridionale de l'île. L'exemple
de Tegalsari peut nous aider peut-être à lever au moins un coin du voile.
On sait - et nous l'avons déjà dit- que le perdikan n'est pas une
création musulmane -et encore moins un waqf auquel certains fonctionnaires
coloniaux l'assimilaient abusivement puisque les revenus sont attribués
directement à une personne- mais l'aboutissement de l'évolution des
fondations pieuses de l'époque indianisée : les sima. Ce lien entre centres
religieux musulmans et indianisés se retrouve à Tegalsari sous deux aspects :
dans la fabrication du papier javanais et dans la généalogie de Mohamad
Besari.
Ce village a été connu par les Européens, à la fin du XIXe et au début
du XXe s., pour sa fabrication du papier javanais, dluwang dont il a gardé
longtemps la tradition qui mourait ailleurs. Or, cette fabrication, monopole
de droit des communautés religieuses de l'époque indianisée, est restée
monopole de fait de celles de l'époque musulmane. Ceci prouverait - à notre
sens- la permanence d'une structure dans laquelle se serait introduite une
idéologie nouvelle (35).
Par ailleurs, la généalogie de Mohamad Besari, qui paraît assez digne
de foi, laisse voir non pas la naissance d'une nouvelle lignée d'hommes de
religion, avec Mohamad Besari ni même avec l'arrivée de l'Islam mais au
contraire, l'islamisation d'une vieille souche d'hommes de religion qui
auraient joui depuis longtemps du privilège d'exemption d'impôts, comme
peut le laisser supposer leur titre de Demang et qui auraient attendu
l'écroulement définitif des royaumes indianisés pour se convertir à l'Islam. Le
dernier ancêtre non-musulman de Mohamad Besari vivait à Kediri, repli du
dernier avatar de Majapahit tandis que son grand-père, installé à Caruban
devenait le premier musulman de la famille sans doute AUX environs de
1600.
Il semblerait donc que la première islamisation réelle du sud de Java
soit passée, non pas par les réputés islamisateurs comme Bathara Katong
qui représentait plutôt l'implantation d'un pouvoir politique musulman, mais
156

par des familles d'hommes de religion venues peu à peu à l'Islam et qui
gardant leurs anciennes fonctions islamisèrent, des siècles après la
conversion du pasisir, des régions peu ou pas touchées par la nouvelle religion.
La prééminence, dans les sciences religieuses, accordée au pasisir par les
hommes de religion du sud et ceux de Tegalsari en particulier se manifeste
de deux façons : dans le choix des pesantrèn où ils vont étudier, Sumenep,
Surabaya, Tuban, Demak, Cirebon etc., tous situés sur la côte nord, et dans
la localisation des pesantrèn qu'ils créent : Magetan, Madiun, Pacitan, Pana-
raga, Tulung Agung, Kediri etc., tous situés au sud.
Le deuxième point qui nous semble ressortir de l'histoire de Tegalsari
est l'existence - déjà mise en évidence ailleurs <36) - d'une «classe»
d'hommes de religion.
En règle générale, on ne devient pas maître de religion, on naît maître
de religion parce qu'on a vu le jour dans une famille dans laquelle on exerce
traditionnellement cette fonction. Nous avons vu que Mohamad Besari
descendait d'une telle famille et il serait fastidieux, tant ils sont nombreux,
de dénombrer parmi ses descendants ceux qui ont choisi d'enseigner la
religion. Le total atteint certainement plusieurs centaines. Ces familles s'allient
entre elles et si les garçons épousent volontiers les filles des autorités
villageoises, les filles, elles, prennent pour époux, le fils d'un kyai qui
deviendra kyai à son tour.
Cette classe a son élite qui bénéficie, en plus du prestige accordé par
la population à la fonction, de liens spéciaux avec les familles souveraines
et d'une position économique stable, grâce, en particulier, aux perdikan.
Un Résident de Madiun à qui on demandait de décrire la situation religieuse
dans sa Résidence, résumait ainsi son étude en 1850 : «On trouve quatre
grands centres religieux : Tegalsari, Sewulan, Banjarsari kulon et Banjar-
sari wetan (Banjarsari s'était en effet scindé en deux au début du XIXe s.);
tous les autres centres religieux en dépendent dans la mesure où leurs
maîtres ont poursuivi leurs études dans ces quatre grands centres» (37). Le
Résident n'avait pas vu que non seulement ils y avaient étudié mais qu'ils
en étaient aussi originaires. Or ces trois ou quatre grands centres étaient
tous des perdikan dont nous avons mis en évidence plus haut les liens qui
les unissaient entre eux. Ces liens ne tenaient pas à la seule proximité
puisqu'on retrouve des alliances entre ces perdikan et Bayât (perdikan),
Cirebon, Kajoran (perdikan) par exemple.
On peut dire que c'est cette classe de «prêtres», hiérarchisée,
héréditaire, «endogame» - le mariage de Kasan Besari avec une princesse est aussi
mystérieux qu'inhabituel- qui, grâce à un réseau serré <38) d'alliances et
d'intérêts que soudaient encore la religion et les tarekat - le kyai de
Tegalsari fut jusqu'au milieu du XIXe s. le syeh de la tarekat A'maliya (?) - , réa-
157

lisa aux cours des XVIIe, XVIIIe et XIXes., l'islamisation en profondeur


d'un sud de Java encore en grande partie «païen».
Le pouvoir politique de Mataram entretint des rapports souvent
orageux avec ces religieux; il suffit, pour exemple, de rappeler le massacre
organisé par Amangkurat I au début du XVIIe s. ou la Guerre de Dipane-
gara. Leur influence sur la population mais ausi leur réseau avaient de quoi
inquiéter le pouvoir.
On voit ainsi à Tegalsari que si celui-ci était prêt à demander l'aide des
religieux, comme en 1742 ou pour le retour de Singasari, quand il en avait
besoin, il s'en méfiait - interdiction des armes- mais plus encore il
semblait craindre leur idéologie. Les trois lettres des Pangulu adressées à
Tegalsari sont remplies d'admonestations à suivre la coutume, assorties de
terribles menaces (pour ce monde et pour l'autre) en cas de désobéissance.
Cette supériorité à accorder, dans ce village religieux, à Yadat sur la
religion est très clairement exprimée dans une lettre dans laquelle le
Pangulu, responsable religieux du royaume, invite Yahya à donner des ordres
«conformes à Yadat et à la religion». «Mais, ajoute-t-il, il ne t'est pas
permis de donner un ordre conforme à la religion qui serait contraire à
Yadat (39)». Un autre événement illustre cette attitude. Kasan Besari,
d'après «l'histoire de Tegalsari», introduisit dans ce village «de nouvelles
lois conformes au droit musulman : les voleurs pris sur le fait avaient la
main coupée, les adultères étaient fouettés de 80 coups...». Tegalsari,
continue le texte écrit par un kyai, connut alors la paix et l'ordre (aman lan
tenir em). Mais le Susuhunan , apprenant que le kyai de Tegalsari
appliquait «d'autres lois que celles du royaume», le fit arrêter et interner (4°).
On retrouve écho de cet épisode dans une lettre du Pangulu dans laquelle
celui-ci interdit à Kasan Besari «d'infliger la peine capitale ou
l'amputation d'un membre... sous peine d'une amende de douze réaux (41)».
Le gouvernement colonial hollandais, plus encore que Mataram, se
méfiait de l'Islam, de cette «priesterklasse» influente et de ces centres
religieux «germes de débauche et de tout mal» comme l'écrivait un Résident (42)
en parlant de Tegalsari, avis que partageait Brumund. Par des mesures
d'apaisement, une politique souple mais aussi la surveillance et le contrôle,
le gouvernement hollandais réussit à neutraliser en partie l'influence de
cette «classe de prêtres», tandis que la vie urbaine moderne qui s'installait
faisait autant, sinon plus, pour isoler ces kyai qui perdaient leur valeur de
symboles de la science.
L'exemple de la famille de Tegalsari montre pourtant l'étonnante
capacité d'adaptation aux réalités dont fit preuve, au cours des siècles cette classe
d'hommes de religion : présente, o combien! lors de l'expansion musulmane
de la fin du XVIIIe et du début du XIXe s. avec Kasan Besari comme chef
158

de file, elle le sera encore, après un effacement temporaire à la fin du XIXe


s., lors du renouveau musulman du début du XXe s. avec Cakraaminata,
descendant de \aRadenAyu, mais aussi avec les écoles religieuses
modernistes de Gontor ou de Tebuireng, lointaines descendantes de Tegalsari.

NOTES

1. M. Soekarto K. Atmodjo, nous raconta qu'il vit, il y a peu, un fonctionnaire refusant de


pénétrer sur un site, nommé Larangan!
2. «Suka payung ing wong kepanasan, suka tekan ing wong kang kalunyon, suka oboring
wong kang kepetengan» (Mohamad Poernomo : Sejarah Kyai Ageng Mohamad Besari,
Jetis, 1961, p. 14).
3. Ibidem.
4. «Sareng sampun watawis jam satunggal dalu, ingkang Sinuhun mireng kados dene tawon
kirab saking glodogan, pating gumrenggeng. Nunten ndangu dateng T. Wiratirta meka-
ten «Wiratirta, iki suwarane apa!» Atur wangsulanipun «Punika suwantenipun tiyang
munajat dateng Gusti Allah» Sinuhun ngendika malih «en mangkono ayo pada diparani,
bok menawa bisa menehi tamba marang panjenenganingsun»... Gancaring cariyos
ingkang Sinuhun, mundut bantuanipun Kyai Ageng Tegalsari, ingkang supados ngrencangi
ngusir Brandal Cina. Benjing manawi saged kasil, Ingkang Sinuhun bade maringi bebin-
gah, inggih punika bade kaparingan Siti ingkang boten mawi bayar pajeg, ngantos tun-
tumurun. Kyai Ageng Tegalsari lajeng munajat ing Pangeran...«Duh Allah Pangeran,
mugi-mugi ndadosaken Negari kita punika, dados negari ingkang aman lan tentrem; lan
mugi-mugi Gusti Allah paring rizqi dateng Rakyat sadaya kanti rizqi ingkang suci tur
ingkang halal». Sasampunipun ndonga, Kyai Ageng lajeng matur : «Gusti Panjenengan
Dalem, kula aturi kondur kemawon nagari Kartasura samangke sampun aman lan
tentrem. Prajurit brandal Cina sampun sami wangsul, sabab ningali Tanah Jawi punika kating-
gal ciyut sanget lan percumah bade ngereh Tanah Jawi».., Mohamad Poernomo, op. cit.
pp. 17-18.
5. Id., pp. 21-22.
6. Fokkens, 1886, pp. 488-489.
7. Ibidem, pp. 490-491.
8. Ibidem.
9. De nombreux textes l'affirment. Citons seulement cette phrase tirée d'un rapport du
Secrétaire aux Affaires Indigènes adressé au Secrétaire Général : «Personne ne peut
s'estimer expert en religion s'il n'a pas fréquenté Ponorogo (entendre Tegalsari)». Lettre du
25 février 1851, Kommissoriaal 1851 n° 2826, Ars. Nos..
10. Sur l'origine de cette princesse, on peut consulter le service généalogique du kraton de
Surakarta.
11. Auteur d'un texte panégyrique racontant la vie du prophète (mawlid) très célèbre dans
l'Islam javanais qui était récité dans les mosquées la veille de la fête de la naissance du
prophète au cours d'une cérémonie appelée selawatan maulud.
12. Mohamad Poernomo, op.cit., pp. 31-32.
13. C'est ce que disent les descendants de cet enfant «naturel».
14. Cette lettre se trouve, en traduction hollandaise dans le komissoriaal 1851 n° 2826, en
annexe à la lettre du Res. de Madiun au Sec. Gén. du 21 juin 1850 La 0. Ars. Nas.
15. Trad, en hollandais par Winter, d'une lettre en javanais du 5 août 1828 LOr 2168, com-
159

muniquée par M. P.B.R. Carey que nous remercions ici.


16. Ibidem.
17. A propos des rapports de Kasan Besari avec le Gouvernement colonial, M.P. Carey nous
a mis sur la piste d'une curieuse affaire. En 1849, un complot aurait été fomenté par le
jeune frère du prince Dipanegara, le prince Rangga, complot auquel «avaient pris part,
entre autres : les prêtres Kasan Besari alias Mohamad Besari, guru, maître du prince
Arya Rangga et Kasan Anom de Madiun». En vertu de quoi, il fut décidé «l'éloignement
à vie du prêtre Kasan Besari à Menado...» (voir Besluit GG. geheim 25 juillet 1849 La
VI et Besluit GG. geheim 22 août 1849 La A2 Alg. Rijksar.). Or, dans l'histoire de Tegal-
sari un épisode semble correspondre à cet événement. Il y est dit que Kasan Besari «avait
été condamné à être banni de Java». Mais lorsque le kyai fut monté, à Batavia, sur le
bateau qui devait l'emmener en exil, celui-ci ne put avancer; il le pouvait par contre
lorsque le kyai restait à terre. Plusieurs essais furent faits mais il se révéla impossible de
faire partir Kasan Besari en exil. Du coup, il fut renvoyé à Surakarta où il fut interné
à la mosquée (Mohamad Poernomo, op. cit., p. 30).
Cette histoire merveilleuse fait penser bien sûr à un bannissement qui aurait été
rapporté et pourrait très bien raconter à sa manière la condamnation de Kasan Besari dans
l'affaire Rangga si effectivement elle fut rapportée, point sur lequel nous sommes mal
renseignés. On a aussi remarqué que les noms correspondent très bien puisque Kasan
Besari et Kasan Anom sont les noms du chef du perdikan et de son fils qui deviendra
aussi son successeur. Cependant de gros doutes subsistent. Le nom du prince Rangga
n'est pas cité dans l'histoire de Tegalsari. D'autre part, dans l'épais dossier constitué par
le gouvernement colonial entre 1849 et 1851 pour son éventuel disparition, c'est-à-dire
au moment même où aurait eu lieu cette condamnation, il n'y est pas fait la moindre
allusion. De plus la condamnation parle de Kasan Besari alias Mohamad Besari. Or le chef
du perdikan de Banjarsari kulon à cette époque se nommait Mohamad Besari. Et on
comprendrait mieux que ce dernier kyai fût devenu le maître de Rangga puisque Banjarsari
relevait de Yogyakarta, contrairement à Tegalsari (lettre Res. de Madiun, 2 août 1851,
La 12 Zeer Geheim, Kommissoriaal 1851 n° 2826), mais aussi que le perdikan de
Banjarsari se montra très lié à Dipanegara pendant la guerre de Java.
18. Lettre de Valek, 25 avril 1836, n° 233, Resolutie 24 mai 1836 n° 12.
19. Fokkens, 1877, p. 323.
20. Cf. la lettre de nomination de Yahya (Fokkens, 1886, pp. 488-495) en particulier : «si tu
n'écoutais pas ces conseils (ceux du Pangulu), cette nomination te serait retirée...» ou
encore : «si tu ne suis pas les ordres du Sunan contenus dans cette lettre.. .je te punirai
à Surakarta... de façon extraordinaire». On sait qu'il fut effectivement mis à l'écart, voir
lettre du Pangulu à la Raden Ayu (annexe à la lettre du Res. de Madiun 21 juin 1850
La 0. Kommissoriaal 1851 n° 2826). Alors que les Hollandais reconnaissaient tout
naturellement l'incompétence du gouvernement dans les affaires religieuses qu'il
abandonnait aux «prêtres» (Resolutie 31 décembre 1830 n° 10). Preuve que les «prêtres» craignaient
moins le gouvernement colonial, Yahya tenta, après la guerre, de retrouver la direction
du perdikan que le Sunan lui avait ôtée, en s'adressant aux Hollandais Gettre du Res.
de Madiun au Sec. Gén. 8 février 1846, Zeer Geheim , Kommissoriaal 1851, n° 2826).
21. Sur Cakranegara I voir Tirto Amijoyo. Riwayat Kyai Ageng Kasan Besari.
22. Lettre du Res. de Madiun au GG. 26 sept. 1835 n° 1253, Resolutie du 24 mai 1836, n° 12.
23. Lettre du Res. de Madiun au GG. 21 juin 1850 L a O, Kommissoriaal 1851 n° 2826.
24. Sur la population et la surface des terres cultivées dans les perdikan Setana, Tegalsari
et Karanggebang voir annexe 2 à la lettre du Res. de Madiun (voir note ci-dessus).
Sur le nombre des étudiants du pesantren de Tegalsari, les estimations varient
considérablement passant d'un incroyable total de 10.000 (Poernomo) à moins de 100 (Brumund).
Fokkens se contente d'évaluer la capacité d'accueil des pondok à 400. Le Res. de Madiun
(lettre au GG. du 2 août 1851 Zeer geheim La 12, Kommissoriaal 1851 n° 2826) se refuse
à une évaluation «du fait que certains étudiants ne restent que quelques jours avant de
160

partir plus loin tandis que d'autres restent pendant des années...) On peut penser
raisonnablement que le total des étudiants se montait à quelques centaines.
25. Lettre du Res. de Madiun 17 dec. 1835, Resolutie 24 mai 1836 n° 12.
26. Rapport du Secr. aux Affaires indigènes adressé au Secr. Gen. 25 février 1851. Kommis-
soriaal 1851 n° 2826.
27. Besluit Zeer Geheim 16 août 1851.
28. Lettre du Secr. Gen. au Res. de Madiun 31 août 1851 La U4, Geheim, Kommissoriaal
1851 n° 2826.
29. Brumund, pp. 19-22.
30. La description de l'enterrement nous a été laissée en malais par son fils le Bupati Cakra-
negara I; Annexe à la lettre du res. de Madiun 21 janvier 1862. Kommissoriaal 1862 n°
2100 : «Itoe kyai kassan Bessarie, koetika meninggal arie malem Djemahat poekoel 1/2
8 sore, kira2 dia poenja oemoor 103 taoon, taoon djawa. Koetika meninggal dia poenja
anak 9 njang mengadep, njang tida. Tjoetjook, goengoog samoea njang idoop sadja 77,
njang dateng mengadep 44, njang tida dateng 33. Srenta malem Djemahat kijai Kassan
Besarie soeda meninggal lantas arie Djemahat poekool 11 siang dia poenja djissim lantas
die tanem ada die pekoeboeran dessa Tegalsarie njang deket messigit, koempool sama
koeboornja familie samoea. Koetika dia poenja djissim die bawak die pekoeboeran njang
anter Regent Ponorogo, Patih Ponorogo dengan Patih Somoroto dan wedono2, mantrie2
toeroet djoega. Orang Hadjie2 dengan santrie2 ada tiga reboe orang; sebab itoe hadjie
dan santrie pake die kassie doeit sidkah namanja slawat didalem satoe orang, 10 duit
sampé 30 duit sebegimana hadatnja orang Islam».
31. Purwowijoyo, Kyai Ageng saha kepala dhusun perdikan Tegalsari (à paraître).
32. Fokkens, 1886.
33. Ibidem.
34. Lettre
n° 2826. du Res. de Madiun au GG. 2 août 1851 La I 2 Zeer Geheim, Kommissoriaal 1851,

35. Cf. notre article dans Archipel 26, 1983 pp. 105-115.
36. En particulier Zamakhsyari Dhofier «Kinship and marriage among the Javanese Kyai»
Indonesia 29. avril 1980. Voir aussi du même auteur : Tradisi Pesantren, Studi tentang
Pandangan hidup Kyai, LP3ES, Jakarta, 1982.
37. Lettre du Res. de Madiun au GG. 2 août 1851 Zeer geheim La 12, Kommissoriaal 1851
n°2826.
38. Pour notre part, nous avons pu retrouver la trace de près de 50 pesantren soit fondés
par un membre de la famille de Tegalsari soit alliés à Tegalsari par un mariage.
39. Fokkens 1886.
40. Mohamad Poernomo.
41. Fokkens 1886.
42. Cité dans lettre du Secr. aux Affaires Indigènes au Secr. G. 25 février 1851.
Kommissoriaal 1851, n° 2826.

BIBLIOGRAPHIE

Arsip nasional, Jakarta


Algemeen Rijksarchief, 's-Gravenhage.
161

LISTE DES CHEFS DU PERDIKAN DE TEGALSARI

I. Mohamad Besari
(1742 - 1773 ?)

II. Ilyas
(1773 ? - 1800 ?)

III. Kasan Yahya IV. Kasan Besari


(1800-1820 ?) (1820 ? - 1862)

\
V. Kasan Anom I VI. Kasan Kalipah
(1862 - 1873) (1873 - 1883)

VII. Kasan Anom II VIII. Kasan Anom III


(1883 - 1903) (1903 - 1909)

I
IX. Moh.
(1909 Ismangil
- 1926) XI. Ahmad
(1931
1 - Amin
1960) XII. (1960
Al . Yunani
- 1964)

I
X. Iksan
(1925Ngalim
- 1931)

[ Les dates entre parenthèses indiquent le temps passé à la tête du perdikan ]


162

Agus Ahmadi A.S., Some factors causing the decline of education at Pondok Pesantren Tegal-
sari, Skripsi S.M. Faculty of Education, Pondok Pesantren Gonthor, 1981 (stencil)
Brumund, J.F.G., Het Volksonderwijs onder de Javanen, Batavia, 1857
Fokkens, F., «De priesterschool te Tegalsari», T.B.G. 51 XXIV, 1877
Fokkens, F., «Vrije desa's op Java en Madoera» T.B.G. XXXI, 1886
Komite Ranggawarsita, Babad cariyos lelampahipun suwargi R. Ng. Ranggawarsita, Dep.
P. & K., Jakarta, 1979.
Machi Suhadi, Desa perdikan Tawangsari di Tulungagung, communication présentée le 23
mai 1983 à la Pertemuan Ilmiah Arkeologi III à Ciloto (sten.).
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Purwowijoyo (S. Porwosoewito), Kyai Ageng saha kepala dhusun perdikan Tegalsari. A paraître
dans le tome IV de la Babad Diponegoro, Ponorogo, 3 tomes parus. 1978-79. (sten.).
Sahal, Zarkasyi, Saleh, Asalsusul, salasUah, Tegalsari, Gontor, Nglumpang . Gontor, s.d. (sten.).
Schrieke, B.J.O., «lets over het perdikan instituut» T.B.G. LVIII, 1919.
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keturunannya, Jakarta, s.d. (sten.).

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