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Le liège, matériau durable s’il en

est, ne résiste pas à la mandibule


de certains insectes qui y creu-
sent des galeries, non pas en gé-
néral pour s’en nourrir, mais
pour y trouver logement, abri
temporaire ou terrain de chasse.
Au grand dam des fabricants de
bouchons…

Fourmis du liège à la surface du liège mâle. Au centre, un cadavre de chenille


de Bombyx disparate (Lymantria dispar, Lép. Lymantriidé) rapporté au nid
Par Claire Villemant et Alain Fraval.

Les insectes ennemis du liège


L e liège est l’écorce du Chêne-
liège, Quercus suber, arbre du
pourtour de la Méditerranée occi-
Produit par la couche génératrice
externe du liber (la “mère”), le liège
est un tissu mort, composé du su-
dentale, au feuillage semi-persistant, ber – ensemble de cellules2 rem-
peu longévif, assez résistant à la sé- plies de gaz – et de lenticelles
cheresse et au feu. Qu’il soit en peu- (pores) qui le traversent. À l’état na-
plements plus ou moins denses, les turel, cette écorce de plusieurs cen-
subéraies, ou disséminé dans les timètres d’épaisseur est très in-
champs, l’arbre est utile à divers égale, fissurée, riche d’inclusions
titres : comme abri pour les cul- “terreuses”, décollée par endroits ;
tures (des céréales au théier) ou c’est le “liège mâle” des subéricul-
pour les pâturages, comme source teurs. Ce qu’on exploite pour tailler
de bois (de feu ou de carbonisa- des bouchons, c’est le liège qui a re-
tion), comme producteur de glands poussé (en 8 à 10 ans) après enlève-
(doux par endroits) et de liège. La découpe des bouchons en Tunisie ment (“démasclage”) de cette pre-
Ce matériau allie des propriétés ex- mière écorce. Ce “liège femelle”,
traordinaires : faible densité, com- chouc, il sert d’isolant, de décor, de épais de 2 à 4 cm, est, en principe,
pressibilité, élasticité, imperméabi- joint, etc. Les matériaux synthé- homogène, dense, régulier ; sa va-
lité, imputrescibilité… Depuis tiques qui le concurrencent ne
l’Antiquité on en fait des flotteurs, l’égalent pas pour nombre d’usages (1) On lira “La Mamora et ses ennemis” par Alain
Fraval et Claire Villemant, paru en 1997 dans le
des bouchons, des semelles, des ta- et la subériculture est toujours vi- Dossier de l’environnement de l’INRA n°15,
Forêts (INRA Éditions), en ligne à
bourets et ustensiles domestiques, vace, bien que difficile, du fait du www.inra.fr/dpenv/d15mamor.htm
des tuiles, des ruches… Trituré et mauvais état de certains peuple- (2) Le mot cellule a été utilisé pour la première fois

aggloméré, pur ou mélangé avec ments1 et, surtout, du cours fluc- par Rober Hooke, en 1665, pour décrire les
trous (cells) observés à l’examen au microscope
d’autres matières comme le caout- tuant de cette matière. d’une fine tranche de bouchon.

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leur est bien supérieure à celle du occupent des chambres sur toute
liège mâle, destiné à la trituration. l'étendue du nid. Les larves de tous
La bouchonnerie est le débouché âges sont mélangées. Dans les nids
rentable de la subériculture. Aussi très populeux, les œufs sont re-
comprend-on que les galeries d’in- groupés dans la chambre où se
sectes soient redoutées. trouve la reine qui est entourée
Au Maroc, comme dans la plupart d'ouvrières souvent beaucoup plus
des zones subéricoles, seule la petites que dans le reste du nid.
Fourmi du liège, Crematogaster Les Fourmis du liège vivent en co-
(Acrocoelia) scutellaris (Formicidé, lonies qui regroupent souvent
Myrmiciné), peut être considérée plus de 5 000 individus. Elles for-
comme un ravageur du liège écono- ment de mai à septembre des co-
miquement important. Nous nous lonnes de récolteuses s'étendant à
attarderons donc sur cette Fourmi (3), de très grandes distances du nid.
Liège mâle “fourmillié”
qui creuse sa fourmilière dans le L'activité des ouvrières se poursuit
liège, avant de traiter brièvement entrent et sortent sans arrêt des jour et nuit pendant les jours
des principales espèces foreuses de colonnes d'ouvrières. On voit aussi chauds ; elle est ralentie par temps
liège (4). de temps en temps déboucher froid (5). Les colonnes de récol-
d'autres ouvrières qui laissent choir teuses se divisent sur le tronc des
■ La Fourmi du liège au sol des fragments de liège. Le nid chênes en de nombreuses ramifi-
Les ouvrières, brun-noir à tête rouge, creusé depuis la surface dans cations qui se dirigent, les unes
relativement petites (1 à 5 mm), se l'épaisseur du liège, sur 3 à 4 cm de vers le haut de l'arbre, les autres
reconnaissent à leur façon caracté- profondeur et 1,5 à 2,5 m de hau- vers le sol où elles se ramifient à
ristique de relever leur abdomen teur, est généralement constitué nouveau. Sur le parcours des four-
cordiforme au dessus de leur tête. de plusieurs parties reliées les mis, la surface du liège est légère-
Mordant férocement leurs agres- unes aux autres par un réseau de ment creusée et de couleur plus
seurs, elles sont très gênantes à galeries. Lorsque les arbres sont claire que le reste de l'écorce.
l'époque du levage du liège. Les démasclés, les nids s'étendent La Fourmi du liège est une espèce
sexués sont plus discrets ; les depuis la limite de démasclage pastorale recherchant et exploi-
femelles (10 mm) ont la tête rouge et jusqu'à 1 ou 1,5 m au dessus. tant les colonies de pucerons
l'abdomen noir, les mâles (6 mm) Chaque portion du nid est formée (Hémiptères Aphididés) arbori-
sont entièrement brun noir. Les d'un grand nombre de chambres coles de la frondaison des chênes.
adultes ailés sont présents dans les sans architecture bien définie, si- Les ouvrières protègent aussi cer-
fourmilières à partir d'octobre. tuées à différents niveaux de taines Cochenilles (Hémiptères
L'essaimage a lieu peu après. Les l'épaisseur de l'écorce et reliées par (5) En hiver, la prospection s’effectue au marteau.
femelles fécondées perdent leurs de courts passages étroits. Les plus Sur la plupart des arbres, on ne voit aucune
fourmi circuler. Quelques coups sur le tronc et
ailes et cherchent des abris pour pas- grandes chambres sont souvent les ouvrières sortent.
ser l'hiver, s'installant de préférence recloisonnées par une sorte de car-
entre 1,5 et 2,5 m du sol dans les ton de bois. Couvain et ouvrières
fissures du liège mâle, sous le liège
décollé à la limite de démasclage. Autres fourmis
La ponte a lieu en mars et les pre- Camponotus truncatus (Formiciné) (fig. 1c)
mières ouvrières apparaissent est moins nuisible au liège que C. scutella-
début juin. C'est alors que com- ris car il est peu fécond (50 à 300 individus
par nid) et niche presque toujours dans le
mencent les premiers travaux de bois mort des hautes branches non écor-
forage et de construction du nid. çables. Le nid, étroit, contient des larves,
Les arbres attaqués se reconnaissent une reine de 6 à 8 mm et des ouvrières
a c
très polymorphes. Les plus grosses (4 à 6
aux nombreux orifices d'entrée de la mm), appelées “soldats”, ont la tête tron-
fourmilière (10 à 30 trous de 2 mm quée droit en avant. Les autres, de 3 à 5
de diamètre environ) par lesquels mm, sont 30 à 90 fois plus nombreuses
que les soldats. La face circulaire des sol-
(3) Á partir, essentiellement, du travail réalisé en dats leur permet d'obturer l'orifice d'en - b
forêt de la Mamora (Maroc) par A. Belarbi en trée du nid mais cette fonction de portier
1979, mémoire d’ingénieur phytiâtre de peut aussi être assurée par les petites
l’Institut agronomique et vétérinaire Hassan II, ouvrières à face convexe. L'espèce est
encadré par A. Fraval.
(4) La faune décrite ici est celle connue des
omnivore ; les ouvrières très agiles cou-
subéraies méridionales, du Maroc surtout, rent sur les arbres à la recherche du miel-
ainsi que de l’Algérie et les noms communs lat des pucerons et des cicadelles sans Figure 1. Fourmis subéricoles.
sont ceux en usage dans ces pays. jamais descendre à terre. a : Fourmi du liège (ouvrière) ; b : dégâts ;
c : Camponotus truncatus ("soldat").

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Coccoidea) du Chêne-liège (5 x 16 mm) dans laquelle elle
que l'on trouve à l'intérieur des tisse un cocon de soie, aggloméré
fourmilières fixées sur la mince de débris de liège. La chrysalide
pellicule qui sépare le nid du brune porte des rangées de denti-
bois. Outre le miellat des cules dorsaux et une paire de forts
Homoptères, la nourriture de la crochets à l'extrémité de son abdo-
Fourmi du liège se compose es- Figure 2. La Teigne des nids men. Après la sortie des adultes,
sentiellement d'insectes vivants les exuvies nymphales demeurent
ou morts (Homoptères, Orthoptères, sités des troncs. Les adultes (4 mm accrochées à la surface du liège ;
Diptères, Lépidoptères, etc.). Les d'envergure) (fig. 2) ont les ailes an- on les remarque souvent à la
ouvrières rapportent également au térieures gris-beige tachées de noir. fourche des arbres. Les adultes
nid des débris variés, des brindilles, Ils volent en mars. C’est un rava- (2,5 à 3 cm d'envergure), au corps
des pétales de fleur, du pollen et geur des denrées cosmopolite qui aplati, sont densément couverts
même des crottes de chenilles. s'attaque aux fruits secs et à divers d'écailles brillantes, beiges sur la
Les nids s'étendent parfois sur matériaux végétaux. face dorsale, grises ventralement.
plusieurs arbres (nids polyca- Signalée sur Chêne-liège pour la Les ailes antérieures, à nervure
liques) mais l'espèce est mono- première fois par Villemant (en costale épaissie, portent une petite
gyne (une seule reine par société). 1991), la Teigne du bananier, tache brune médiane ; les pattes
À l'automne, certaines ouvrières Opogona sacchari, (fig. 3) est un pa- aplaties sont munies de longs épe-
sans nid ni couvain peuvent pillon introduit au Maroc avec les rons poilus. La tête aux pièces buc-
construire un nid isolé de la colo- régimes de bananes importés des cales réduites porte des yeux volu-
nie sans que s'interrompent les Canaries. L'espèce, bien acclima- mineux et de longs palpes labiaux.
déplacements d’individus de l'un tée, est commune au jardin d'essai
à l'autre. de Rabat où ses chenilles se déve- ■ Coléoptères
En Europe, la Fourmi du liège at- loppent à l'intérieur des tiges de L’Agrile hastulifère, Agrilus hastuli-
taque les arbres fruitiers, les yucca, ainsi que dans les anones et fer, espèce d’Afrique du Nord et
chênes, le robinier faux acacia et les avocats (6). Dans certains cas, la d’Europe méridionale, est un petit
divers pins. Dans de rares cas, elle chenille se montre carnassière. Buprestidé allongé (6 à 7 mm), de
peut nidifier sous les pierres, où Les adultes volent en mars, et de couleur vert olive, à reflets cuivrés.
elle construit alors des nids de car- juin à novembre. Cette chenille, Ses yeux sont volumineux. Son
ton semblables à une éponge, ou blanchâtre, à capsule céphalique prothorax finement ridé transver-
même dans la terre. large et plate munie de puissantes salement porte une impression
La Fourmi du liège est présente dans mandibules, creuse le liège (7). À la médiane longitudinale (en forme
la plupart des subéraies d'Europe fin de son développement, elle de dard, d’où son nom) (fig. 4). Ses
méditerranéenne et d'Afrique du aménage une logette nymphale larves semblent se développer pré-
Nord. Au Maroc, on estime qu’elle férentiellement dans le liège.
provoque la perte de 50 % du rende- (6) En Europe, c’est un ravageur de quarantaine, La Couleuvre, Coroebus undatus,
dont l’introduction est surveillée. Directive euro-
ment qualitatif du liège destiné à la péenne 2000/29 modifiée ; arrêté du 2 septembre autre Buprestidé, se développe au
bouchonnerie. 1993. Législation française contre les ennemis milieu de la mère et rend difficile
des cultures en surveillance du territoire : arrêté
du 31 juillet 2000.
■ Lépidoptères (7) L’espèce n’a été trouvée que dans des troncs at-
taqués par le Charbon du liège, mycose due à
Deux Lépidoptères, à l'état larvaire, Hypoxylon mediterraneum.
sont susceptibles de creuser le liège :
La Teigne des nids, Niditinea fusci-
punctella (Lépidoptère Tinéidé) et la
Teigne du bananier, Opogona sacchari
(Lépidoptère Tinéidé Hieroxestiné).
Les chenilles de la Teigne des nids, a
très petites (2 à 3 mm) et d'un
blanc rosâtre, creusent des galeries b

dans le liège sans provoquer de dé-


gâts importants. Les chenilles, sa-
prophages, se nourrissent de dé-
chets organiques, d’œufs morts, de
dépouilles d'insectes divers. On les c
rencontre souvent dans les nids
Figure 4. Coléoptères du liège a : Agrile hastuli-
d'oiseau cachés dans les anfractuo- Figure 3. La Teigne du bananier fère ; b, c : Cadelle marocaine adulte et larve

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la levée du liège, surtout le dé- lier les insectes xylophages, proches
masclage. Par ses galeries pleines par l'allure de celles des
de résidus et d'excréments, il dé- Ostomatidés, creusent aussi des ga-
précie la planche. Lors du délié- leries dans le liège. Citons celles
geage, l'écorce se casse facilement d'Opilo domesticus, brunes et velues,
suivant des lignes de moindre ré- d f qui se nymphosent dans le liège.
sistance correspondant aux gale- Les adultes du Curculionidé phyllo-
ries que présentait la mère à la ré- phage Brachyderes pubescens, creu-
colte précédente. Ce ravageur est sent dans le liège mâle des logettes
très apprécié des Pics qui perfo- où ils passent l’hiver. Contrairement
rent le liège à la recherche de ses à celles de la Fourmi du liège, leurs
larves, causant alors des dom- galeries sont pleines de vermoulure.
mages plus importants que ceux Autres destructeurs du liège, les
de l'insecte lui-même. e Dermestidés, le Dermeste des
Prédateurs actifs, les larves et peaux, Dermestes maculatus, D. sar-
adultes de Tenebroides maroccanus Figure 5. d : Dasytes terminalis (mâle) ; e : la dous et, surtout, le Dermeste du
femelle ; f : la larve
(Ostomatidé), la Cadelle maro- lard, D. lardarius, creusent leurs lo-
caine (8), et les larves de Dasytes menter qu'au printemps. Les gettes de nymphose dans l'écorce
terminalis (Dasytidé) creusent acti- larves de la Cadelle marocaine se des Chênes. Les dégâts des
vement le liège à la recherche de reconnaissent à leur corps charnu, Dermestes dans les entrepôts de
leurs proies. blanc sale, portant quatre sclérites liège sont parfois considérables.
La Cadelle marocaine, strictement noirâtres au niveau du thorax et
Enveloppé de son liège qui ménage des
corticole, commune en Algérie et deux épais crochets noirs terminés abris très divers en grande quantité, le
au Maroc, a été signalée aussi en en pointe dans le prolongement du Chêne-liège favorise, plus que toute autre
Corse. Les adultes, actifs entre mai corps. La tête longue et plate est essence forestière, la présence d'une faune
très variée au niveau du tronc et des
et juillet, creusent le liège et circu- brun-rouge. Les adultes, brun- branches maîtresses. Certains animaux
lent sous les écorces décollées, se rouge (6 à 8 mm), ont un corps al- vivent à l'intérieur même du liège tandis
nourrissant d'insectes divers. La longé aplati, aux élytres striés lon- que d'autres recherchent les fissures, s'en-
ponte a lieu fin mai début juin, les gitudinalement. foncent sous les plaques de liège décollées
ou dans les galeries de xylophages.
femelles déposant leurs oeufs (30 à Les larves de Dasytes terminalis L'attaque des troncs par les insectes et les
40) par petits paquets dans les (fig.5) creusent dans le liège des ga- champignons xylophages entraîne la forma-
moindres interstices du liège. Le leries étroites de section ovale (1 à tion de cavités où la sciure et le bois pourri
sont transformés peu à peu en terreau par
développement larvaire dure envi- 1,5 mm) qui, comme chez la une faune particulière qui a beaucoup d'affi-
ron 2 mois. Fin juillet-début août, Cadelle marocaine, sont toujours nités avec la faune de la litière tandis qu’au
les larves du 4e stade (12 à 15 mm) remplies de débris de liège. On re- pied des sujets issus de rejets de souche se
forment des cavités plus ou moins gorgées
creusent dans le liège, à 1 ou 2 cm connaît ces larves à leur couleur d'eau croupie, appelées dendrotelmes, où
sous la surface, une logette de brun-rosâtre et aux 2 fins crochets se développe une faune spécifique adaptée
nymphose qu'elles ferment her- bruns épineux, recourbés dorsale- à ces biotopes très particuliers. La faune du
métiquement à l'aide de débris de ment à l'extrémité de leur corps. liège et des crevasses a fait l’objet d’un long
chapitre de l’ouvrage de Claire Villemant et
liège englués de salive. La nym- En septembre-octobre, la larve Alain Fraval, La faune du Chêne-liège, paru
phose dure moins d' un mois, puis âgée (5 à 6 mm) creuse une logette chez Actes Éditions en 1991, texte et dessins
l'adulte ténéral (non encore méla- de nymphose dans le liège où elle de C. Villemant en ligne à www.inra.fr/
opie-insectes/fliege.htm
nisé) demeure dans sa logette pen- demeure jusqu'à la fin de l'hiver.
dant un mois ou deux avant de re- Les premiers mâles émergeant fin
prendre le creusement de galeries. février, les dernières femelles dé-
L'accouplement peut avoir lieu en but avril. Les adultes de D. termi- ■ Les déprédateurs des
automne mais n'est pas suivi de nalis, floricoles, se nourrissent de bouchons
ponte. Quelques larves prolongent pollen et de petits animaux divers. Une fois dans les caves et les celliers,
leur développement jusqu'en mai Ce sont de petits Coléoptères noirs les bouchons ne sont nullement à
de l'année suivante (6 stades). à reflets bleutés aux élytres peu co- l’abri. Outre le termite lucifuge des
Elles passent alors toute la période riaces, tachés de rouge à l'apex et Landes, Reticulitermes lucifugus
estivo-hivernale enfoncées dans le portant des fascies pubescentes ar- (Isoptère Termitidé), quelques
liège et ne recommencent à s'ali- gentées. Chez le mâle, les an- Lépidoptères, appelés vulgairement
tennes en dent de scie sont plus “teignes” en général, différents de
(8) Cette espèce est très proche de la Cadelle, longues et à articles plus dilatés. ceux qui attaquent le liège sur pied, y
Tenebroides mauritanicus (L.), un ravageur des Quelques larves de Cléridés, actifs forent des galeries. Les défauts pos-
denrées bien connu. Chez T. maroccanus, les
trois derniers articles des antennes sont dilatés. prédateurs recherchant en particu- sibles des bouchons sont nombreux ;

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(Lépidoptère Tinéidé), se manifeste
sous forme d’une sorte de mousse
noirâtre. En effet, chaque chenille -
de régime mycétophage - vit sous
une tente de soie qu’elle recouvre
de ses excréments. Ses galeries
dans les bouchons atteignent le vin. Figure 7. La Teigne de la colle - D'après Lepigre
Enfin, dans les caves sèches, on trou-
vera un papillon aux ailes anté-
rieures marquées d’un V jaune, la
Teigne du vin, Oinophila v-flava (= O.
v-flavum, souvent orthographié

Dermestes du lard dans du liège femelle


La Teigne de la colle
Cliché Ian Kimber. Site Internet :
cgi.ukmoths.force9.co.uk/show.php?sid=6480
ils provoquent son humectation et
des suintements qui attirent ces in- goulot de bouteilles couchées, finit
sectes foreurs, dont l’action fait des par pousser une “barbe” de plu-
bouteilles “couleuses” et donne mau- Chenille et dégâts de la Teigne cuivrée au sieurs centimètres. Le vin, éventé,
vais goût à leur précieux contenu. niveau de pontes de Bombyx disparate prend en plus un goût de moisi.
Les chenilles de la Teigne cuivrée, Avec ce dernier “ver de cave” , nous
Aglossa caprealis (Lépidoptère Pyralidé) n’avons pas épuisé le catalogue des
(fig.6), insecte cosmopolite, ravageur “ravageurs œnologiques”, auquel il
des denrées très éclectique, s'atta- manque, notamment, les mussets
quent aux bouchons des bouteilles de (Diptères Drosophilidés) qui s’inté-
vin pleines (mais dédaignent les bou- ressent au vin et les poissons d’ar-
chons secs) en creusant des galeries Figure 6. La Teigne cuivrée gent (Thysanoures Lépismatidés)
qui vont presque jusqu’au contact du amateurs des étiquettes… r
vin. Lepigre (1951) a décrit ce compor- Oenophila) (Lépidoptère Tinéidé).
tement particulier, observé en Ses galeries sont semblables à celles Prévention et lutte
Algérie, avec une photo à l’appui, de la précédente “teigne” ; leur en- Contre les ennemis du liège sur pied, aucu-
ne lutte directe n’est envisageable. Le liège
ainsi légendée : “Si vous aimez le trée est obturée d’un tissage ; elles af- de bonne qualité étant plus rarement four-
bon vin, surveillez vos bouchons. fecteraient plutôt les bouchons im- millé, c’est une raison (de plus) de prati-
La Teigne cuivrée les ronge à l’abri prégnés ou maculés de vin rouge. quer une bonne subériculture. Au stockage,
en usine, les tris successifs permettent
de son fourreau de soie parsemé L’ensemble des toiles finit par d’éliminer les planches et les bouchons
d’excréments noirs”. La Teigne des pendre aux bouchons des bouteilles. troués.
semences, Hofmannophila pseudos- La Teigne de la colle, Endrosis sarci- En cave, le nettoyage à l’eau chaude sous
pretella (Lépidotère Oecophoridé) se trella (= E. lactella) (Lépidoptère pression des locaux, l’élimination de tout
matériau ligneux pourri, le traitement des
nourrit de toutes sortes de détritus Oecophoridé) (fig. 7) est un rava- moisissures (chaleur, fongicides autorisés)
domestiques, d’origine animale geur des denrées sèches, répandu sont des mesures préventives indispen-
comme végétale. Elle attaque en France mais inconnu en Afrique sables. La pose d’une capsule métallique, le
paraffinage (mais pas le coulage de cire)
communément les couvertures du Nord, dont la chenille vit sur les étaient jadis recommandés. Pour détruire les
cartonnées des livres et parfois les substrats moisis ; Le papillon vient papillons, le piège lumineux avec grille
bouchons. pondre de préférence sur les bou- d’électrocution est efficace ; des insecticides,
comme ceux à base de deltaméthrine (pyré-
Dans les caves humides, la Teigne chons des vins embouteillés. Les thtrinoïde) peuvent être appliqués en nébuli-
du liège, Nemapogon cloacella jeunes larves, “grandes fileuses”, sation ou par évaporation (plaquettes).
s’incrustent dans les bouchons,
creusant des galeries ramifiées sou- Les auteurs
vent visibles au travers du verre,
produisant une vermoulure exploi- Claire Villemant est chercheur au
tée par des acariens et des champi- Muséum national d’histoire naturelle, à
Paris. Elle est l’auteur des figures 1 à 6
gnons. Une mousse se forme et, au et des clichés, sauf mention contraire.
Au Maroc, l’insecte est très commun dans les villeman@mnhn.fr
amas de débris sous les plaques de liège décol-
lées ; les chenilles (blanches en L1, noires à reflets Alain Fraval, de l’équipe d’Insectes, est
cuivrés en L6 où elles mesurent 20 mm) s'y nour- rédacteur en chef du Courrier de l’envi-
D’après Lepigre. rissent de déchets animaux variés, cadavres d'in-
sectes, chrysalides ou pontes. En forêt de la ronnement de l’Inra.
Mamora, l'espèce peut avoir 3 générations par an. fraval@paris.inra.fr

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Pour en savoir plus Pour en savoir plus
• Cagnant H., 1973. Les peuplements de fourmis • Labonnefon C., 1906. Contribution à l'étu-
des forêts algériennes. Ecologie, biocénotique, de des parasites des bouchons de liège
essai biologique. Thèse Doct. Sci. nat., Univ. dans la Gironde. Bulletin de la Société
Paul Sabatier, Toulouse, 464 pp. d'études et de vulgarisation de la zoologie
• Cangardel H., 1971. Observations sur les agricole, 1.
teignes des bouchons des bouteilles de vin. • Lepigre A.L., 1951. Insectes du logis et du
Rev. Zool. Agric. Pathol. Végét., 4, 89-94. magasin. Insectarium, Jardin d'essai
• Casevitz-Weulersse J., 1970. Sur la biologie (Alger), 339 pp.
de Crematogaster scutellaris Olivier • Rungs Ch., 1979. Catalogue raisonné des
(Hymenoptera, Formicidae, Myrmicinae). Lépidoptères du Maroc, Inventaire faunis-
Entomologiste (L'), 26(3), 68-75. tique et observations écologiques. Trav. Inst.
• De Lépiney J., Mimeur J.M., 1932. Notes d'en- sci. Zool., 40(2), 223 pp.
tomologie agricole et forestière du Maroc. • Seurat L.G., 1901. Les Insectes nuisibles
Mém. Soc. Sci. nat. Maroc, 31, 195 pp. au chêne-liège en Tunisie. Rev. cult. colon.,
• Feytaud J., 1913. Les Insectes des bouchons. 9, 197-204.
Rev. Vitic., 1039, 565-568; 1040, 598-603. • Soulié J., 1961. Les nids et le comporte-
• Fraval A. (ed.), 1989. Lymantria dispar. ment nidificateur des fourmis du genre
Coll. Doc. sci. techn., Actes Editions, Crematogaster d'Europe, d'Afrique du
Rabat, 220 pp. + ill. (en ligne à Nord, et d'Asie du Sud-est. Insectes sociaux,
www.inra.fr/dpenv/ld.htm). 8(3), 214-297.
• Hagen M, Lemble J, 1991. La lutte contre
les vers des cave. Rev. fr. Œnologie, 130 (en Des plaques de lièges - non dégradées par
ligne à www.bouchons-trescases.fr) quelque insecte, enfin ! - choisies pour faire
les meilleurs bouchons...
Cliché A. Fraval.

en bref… Ces Épingles et bien d'autres encore sont en ligne à :


www.inra.fr/opie-insectes/epingle.htm

“Épingles”
■ Des millions d’espèces en moins ■ La crise de la
Question ressassée : combien y a-t-il sur fourmi folle
terre d’espèces d’insectes, le groupe L’île Christmas, posses-
d’animaux le plus “biodivers” ? sion australienne de
On peut raisonnablement indiquer qu’en - l’Océan indien, est célèbre
viron 750 000 espèces ont été décrites pour ses crabes rouges,
par les entomologistes (si l’on fait le Gecarcoidea natalis, qui
compte dans les catalogues, on trouve La Fourmi folle jaune, dessin migrent en masse, pas-
jusqu’à 1 million, mais il y a beaucoup de repris du site sant partout, sur les
doublons). www.uq.edu.au/entomology/ pelouses et au travers des
fireant.html
On peut, sans se tromper, avancer qu’on maisons, chaque année en
n’a enregistré qu’une petite novembre, attirant une foule de touristes, qui sont la
partie des espèces existant réellement, sachant que de nombreux endroits richesse du lieu. Ce sont les femelles qui quittent la forêt
ont été explorés superficiellement ou pas du tout. Mais quelle partie ? équatoriale humide – où l’espèce se nourrit de feuilles et
Pour l’évaluer, on s’est longtemps appuyé sur des inventaires aussi de pousses – pour gagner la mer où elles pondent.
exhaustifs que possible faits en forêt tropicale humide. Dans ces Jusque là, le succès de cette aventure était garanti, aux
milieux très “riches”, on a ainsi établi des listes très copieuses d’es- accidents de la route près, les crabes ignorant toute pré-
pèces, dont une grande proportion d’inconnues pour la science, et caution au moment de traverser les routes.
compté les espèces de plantes, nombreuses mais bien mieux connues. Depuis quelques années, un nouvel ennemi s’est mani-
Puis on procédé par extrapolations en considérant que chaque espèce festé, qui met sérieusement en péril les crabes, dont
d’insecte était inféodée à une espèce de plante – ou à un petit nombre l’effectif est déjà réduit de moitié. C’est la Fourmi folle
– et possédait quelques parasitoïdes plutôt spécifiques. Tout ce travail jaune, Anoplolepis gracilipes (Hyménoptère Formicidé),
pour aboutir au chiffre impressionnant de 30 et quelques millions. une minuscule mais frénétique (d’où son nom) envahis-
L’étude que viennent de publier Vojtech Novotny et ses collaborateurs, seuse cosmopolite. Devant elle, notre crabe, capable de
au terme de 6 années de récoltes manuelles en Nouvelle Guinée, rabais- fendre en deux une noix de coco, reste désarmé et se
sent ce nombre à 4 millions. Leurs observations, en effet, infirment les laisse dévorer tandis que son terrier est “repris” par la
hypothèses adoptées ci-dessus en établissant que la plupart des fourmi. Celle-ci ne se contente pas du crabe rouge ; elle
insectes phytophages sont plutôt des généralistes, poly phages ou oligo- attaque toutes sortes d’animaux, arthropodes, reptiles,
phages (au régime alimentaire restreint à quelques genres ou familles oiseaux et mammifères ou perturbe leur reproduction.
botaniques en général apparentées) et que la monophagie est rare. En revanche, elle assure à des cochenilles (Hémiptères
Cette disparition virtuelle établie, il n’en reste pas moins essentiel de Coccoidés) déprédatrices des arbres une protection effi-
s’efforcer d’empêcher les disparitions bien réelles d’insectes réperto- cace qui assure leur pullulation. Bien que n’occupant
riés ou pas, que provoquent les agressions de l’homme vis-à-vis de encore que 5 % de la surface de l’île, la Fourmi folle
leurs habitats. jaune en perturbe gravement tout l’écosystème.
Novotny V., Basset Y., Miller S.E., Weiblen G.D., Bremer B., Cizek L., D’après, notamment, “Ant’s Acid Overrunning Oz
Drozd P., 2002. Low host specificity of herbivorous insects in a tropical Crabs”, dépêche Reuters lue à www.wired.com
forest. Nature, 416, 841-844. Fiche Anoplolepis sur Australian Ants Online à
www.ento.csiro.au

Insectes 30 n°125 - 2002 (2)

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