Vous êtes sur la page 1sur 195

Études mongoles et sibériennes,

centrasiatiques et tibétaines

48 | 2017
L'art de mentir
The art of lying

Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/emscat/2893
DOI : 10.4000/emscat.2893
ISSN : 2101-0013

Éditeur
Centre d'Etudes Mongoles & Sibériennes / École Pratique des Hautes Études

Référence électronique
Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017, « L'art de mentir » [En ligne], mis
en ligne le 05 décembre 2017, consulté le 13 juillet 2021. URL : https://journals.openedition.org/
emscat/2893 ; DOI : https://doi.org/10.4000/emscat.2893

Ce document a été généré automatiquement le 13 juillet 2021.

© Tous droits réservés


1

SOMMAIRE

L'art de mentir

Introduction
Laurent Legrain

True enough. A reflexive approach to Tibetan hagiography within an ambiguous domain


Magdalena Maria Turek

Intermezzo. Des animaux friands d’histoires


Laurent Legrain

What does it mean “to lie” in an “honest village”?


Andrey V. Tutorskiy

Intermezzo. Hudal. De l’erreur aux tromperies en passant par l’art bien balancé de
l’éternel brodeur
Laurent Legrain

Jeux de rôle dans l’impasse du Palais d’or. Variation sur la (dis)simulation dans une maison
close de la frontière sino-mongole
Gaëlle Lacaze

Intermezzo. L’empire des circonstances


Laurent Legrain

“I told you a fairy tale, and you call it falsehood?” Some concluding remarks
Roberte Hamayon

Comptes rendus

Abish Aynur, Modality in Kazakh as spoken in China


Wiesbaden, Harrassowitz Verlag, 2016, XIX-250 pages, 5 tableaux, 9 textes transcrits, glosés et traduits,
ISBN 978-3-447-10626-9
Camille Simon

Campbell Craig, Agitating Images. Photography Against History in Indigenous Siberia


Minneapolis, University of Minnesota Press, 2014, 268 pages, 19 illustrations, ISBN 978-0-8166-8106-8
Jaroslava Panáková

Chomentowski Gabrielle, Filmer l’Orient. Politique des nationalités et cinéma en URSS


(1917-1938)
Paris, Éditions Pétra, Collection Centre-Asie, 2016, 250 pages + cahier photographique 16 pages,
ISBN 978-2-84743-142-1
Caroline Damiens

Doržieva Galina Š., Buddizm Kalmykii v veroispovednogo politike gosudarstva


(seredina XVII- načalo XX vv.) [Kalmyk Buddhism in the confessional politics of the
government (mid-17th century to early 20th century)]
Elista, Izd-vo Kalm. un-ta, 2012, 203 pages, ISBN 978-5-94587-506-7
Dany Savelli

Lang Maria-Katharina (ed.), Nomadic Artefacts. A Scientific Artistic Travelogue


Vienne, Verlag der Österreichischen Akademie der Wissenschaften, 2016, 184 pages, ISBN 978-3-7001-8044-9
Isabelle Charleux

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


2

Tsering Thar, Nangshig. A Tibetan Bonpo Monastery and its Family in Amdo
Kathmandu, Vajra Books, 2016, XII + 147 pages, ISBN 978-9937-623-59-8
J.F. Marc des Jardins

Ham Peter van, Guge - Ages of Gold. The West-Tibetan Masterpieces


Munich, Hirmer Verlag, 2016, 390 pages, ISBN 978-3-7774-2668-6
Laurianne Bruneau

Bray John, Maurer Petra & Butcher Andrea (eds), Ladakh. Historical Perspectives and
Social Change
2015, The Tibet Journal 40(2), numéro spécial, 283 pages
Patrick Kaplanian

Linrothe Rob, Seeing into stone, Pre-buddhist petroglyphs and Zanskar’s early
inhabitants
New Delhi, Studio Orientalia, 2016, 211 pages, ISBN 978-81-924502-8-5
Martin Vernier

The Khandroma of the Highlands for sister, a cinematic jewel by Gya Stanzin Dorjai (and
Christiane Mordelet)
The Sherpherdess of the Glaciers, Les films de la découverte and Himalaya Film House, 2016, not distributed yet,
76 minutes, DVD (personal communication of the director)
Roberto Vitali

Résumés de thèses

Matthieu Chochoy, Acquisition, interprétations et circulation des savoirs sur l’ « Empire


tartare » dans le réseau orientaliste français du XVIe à la fin du XVIIIe siècle

Antoine Maire, La Mongolie entre dépendance et politiques développementalistes 1990-2016

Charlotte Marchina, Faire communauté. Étude anthropologique des relations entre les
éleveurs et leurs animaux chez les peuples mongols (d’après l’exemple des Halh de Mongolie
et des Bouriates d’Aga, Russie)

Lucia M. S. Galli, The Accidental Pilgrimage of a Rich Beggar. The Account of tshong dpon
Kha stag ʼDzam yag’s Travels through Tibet, Nepal, and India (1944-1956)

Alexander K. Smith, lde'u 'phrul, the Manifestation of Knowledge. Ethnophilological


Studies in Tibetan Divination with Particular Emphasis upon a Common Form of Bon
Lithomancy

Astrid Hovden, Between Village and Monastery. A Historical Ethnography of a Tibetan


Buddhist Community in North-Western Nepal

Hommage

In memoriam Françoise Aubin (1932-2017)


Isabelle Charleux et Roberte Hamayon

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


3

Laurent Legrain (dir.)

L'art de mentir
The art of lying

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


4

Introduction
Introduction

Laurent Legrain

And so the story goes


They wore the clothes
They said the things
To make it seem improbable
The whale of a lie
Like they hope it was
David Bowie, The Bewlay brothers
1 S’il est des sujets de recherche aptes à révéler la tension entre l’unité de l’homme et la
diversité des cultures – tension fondamentale à la dynamique des études
anthropologiques – le mensonge en fait certainement partie. Or, comme le disait le père
Pire (1910-1959), les tensions sont fécondes précisément parce qu’elles ne nous laissent
pas en paix et qu’elles nous poussent à penser. Les articles rassemblés ici le prouvent à
loisir. On y repère aisément une trame commune : les formes de mensonges détectées
chez l’autre renvoient l’ethnologue aux formes de mensonges dont il a l’habitude et –
oserais-je dire – la maîtrise. Il interroge dès lors la condamnation morale qui frappe
usuellement la menterie dans sa société et/ou choisit d’explorer la complexité et la
fragilité des dynamiques relationnelles qui président à son travail de terrain.
2 L’anthropologue en formation ne s’entend-il pas répéter à l’envi que l’honnêteté et la
confiance distillent l’atmosphère affective propice à la production de données dont la
valeur heuristique est supérieure aux mensonges proférés par une moyenne
statistique1 seulement capable de nous parler de la fiction d’un individu-type ? Et l’on
continue à plaindre le collègue américain Peter Metcalf lorsque, décrivant ses relations
complexes avec la mystérieuse Bito Kasi – son informatrice principale à Bornéo –, il
livre ce constat affligeant : « Clairement, à ce stade de mon travail de terrain, un an et
demi plus tard, j’étais empêtré dans un réseau de mensonges » (Metcalf 2002, p. 37) 2.
Dans le chef du lecteur de Metcalf, la condescendance que suscite cet aveu déplorable
laisse place, quelques lignes plus loin, à un sentiment d’inconfort lorsque l’auteur
conclut que cette connivence dans le mensonge et la demi-vérité fut pour lui un facteur

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


5

d’intégration important. Ses interlocuteurs des hautes rivières de Bornéo le


considérèrent alors, non pas comme un des leurs, mais au moins comme une personne
capable d’user du langage et de se comporter d’une manière qui n’était plus « trop
simple pour être humaine » (Metcalf 2002, p. 38, voir aussi Blum 2007 pour des
réflexions similaires d’une ethnologue en Chine). Bref, de ces inconforts du travail de
terrain, de ces réflexions sur le mensonge des autres ou sur les siens naît, chez
l’ethnologue, le projet de dissoudre la notion de mensonge (Hamayon, ce numéro) et de
recentrer l’analyse sur ce que la condamnation morale univoque cachait : les processus
qui mènent à l’établissement d’une légitimité culturelle (Turek, ce numéro) ou d’une
relation sociale intime (Tutorskiy, ce numéro mais aussi les analyses pénétrantes de
Simmel [1908] 1992) ou encore les dynamiques complexes des rôles sociaux et des
cadrages de l’interaction (Lacaze, ce numéro).
3 À l’instar du bon menteur, agile brodeur, je voudrais moi aussi chamarrer la trame des
textes des contributeurs de ce numéro de quelques réflexions. Je le ferai au gré des
contributions et non dans ce genre convenu qu’est l’introduction. Si les textes que je
propose ici s’apparentent à une forme connue ce serait plutôt l’intermezzo musical, ces
petites pièces indépendantes (et souvent fanfaronnes), que l’on insérait au XVIIIe siècle
dans des œuvres dramatiques ou lyriques. Deux motifs me poussent à m’adonner, pour
la première fois, à ce genre. À l’instar du menteur, je brode. Comme lui, j’aime prendre
mon temps et faire sonner les mots aussi habilement que possible. Cela m’entraîne
souvent à multiplier les digressions et les à-côtés. Mais ceux-ci, dans le cadre de ce
numéro, me semblent tous faire partie de l’édifice final. On se souvient de ce qu’écrivait
Saint-Augustin il y a longtemps dans l’introduction de ses réflexions sur le mensonge :
« […] le sujet est obscur, plein, pour ainsi dire, d’anfractuosités et d’antres ténébreux –
où souvent la pensée de celui qui le traite s’emprisonne ; au point que l’objet échappe
des mains, puis reparaît, pour disparaître encore ». (Saint-Augustin 2014, p. 7)
4 D’autre part, de nombreuses thèses et livres d’anthropologues travaillant en Mongolie
évoquaient déjà, souvent de manière assez périphérique, des formes de menterie. Sans
être interminable, la liste de ces travaux est significative, surtout si l’on pense à la
variété des objets de recherche auxquels le mensonge se trouvait lié : mensonge et
suspicion généralisée (Haas 2012 et Højer 2004), mensonge et éducation (High 2008),
mensonge et sinophobie (Billé 2014), mensonge et pratiques chamaniques
(Pedersen 2011), mensonge et histoires de fantômes (Delaplace 2008), mensonge et
connaissance (Alaux 2007), mensonge au quotidien et littérature orale (Legrain 2014). Il
était donc impératif de prendre du temps et de donner à voir les différentes dimensions
éclairées par ces travaux sans trop concéder aux sirènes de l’ellipse et du name dropping.
Dans le même temps, il m’apparaissait aussi indispensable d’agencer toutes ces pièces
rapportées. Il fallait tenter de les articuler à ma manière et de donner une valeur
ajoutée à ces analyses (souvent passionnantes) en les resituant dans une perspective de
recherche gravitant cette fois autour de la menterie elle-même. Je me suis donc mis en
tête d’accomplir cette tâche sans assommer le lecteur de ce numéro avec une
introduction interminable.
5 Il existe une trame argumentative qui unit le patchwork des trois intermezzos proposés.
Dans le premier, « Un animal friand d’histoires », je prends la liberté d’être spéculatif et
d’afficher un enthousiasme un tantinet exubérant. L’intermezzo synthétise les résultats
d’une déambulation libre et heureuse dans des disciplines sœurs de l’anthropologie
comme la psychologie du développement et la linguistique. Je m’attache à établir un

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


6

fondement commun – et humain – à la menterie, avant de laisser les lecteurs en


découvrir des descriptions toutes empruntes des bains culturels dans lesquels des
formes de menterie marinent depuis la nuit des temps… ou plutôt non, disons
seulement depuis très longtemps et laissons à la nuit des temps l’insigne honneur
d’être le creuset au sein duquel s’est forgée la compétence au mensonge mais aussi
« l’invincible tendance à se laisser tromper » comme l’écrivait Nietzsche 3. Tromper
n’est peut-être pas le bon mot. Disons plutôt alors, une invincible tendance à se laisser
entraîner, au fil d’une narration, dans des mondes qui ne sont pas directement présents
ni spatialement, ni temporellement. Le terme mensonge peut revêtir, en Mongolie, de
nombreux sens qui tous, sont liés aux propriétés de déplacement inhérentes au langage
et à la narration. Le second intermezzo, « Hudal : de l’erreur aux tromperies en passant
par l’art bien balancé de l’éternel brodeur », analyse plusieurs des sens donnés au hudal
mongol – souvent traduit par « mensonge » – alors que, chez nous, ces significations
portent des appellations variées. Enfin, le dernier intermezzo, « L’empire des
circonstances », rappelle que malgré la profusion des sens du terme hudal, il est des
occasions dans lesquelles le mot prend la même signification et se colore des mêmes
teintes nocives que le mensonge sous nos latitudes.

BIBLIOGRAPHIE
Alaux, M. 2007 Sous les yourtes de Mongolie. Avec les fils de la steppe (Paris, Transboréal).

Barnes, J. A. 1994 A Pack of Lies. Towards a Sociology of Lying (Cambridge, Cambridge University
Press).

Billé, F. 2014 Sinophobia. Anxiety, Violence, and the Making of Mongolian Identity (Honolulu, Hawai’i
University Press).

Blum, S. D. 2007 Lies That Bind. Chinese Truth, Other Truths (Lanham, Rowman & Littlefield
Publishers).

Delaplace, G. 2008 L’invention des morts. Sépultures, fantômes et photographies en Mongolie


contemporaine (Paris, CEMS/EPHE, Nord-Asie 1).

Haas, P. 2012 Trusting Everyone and No-One. Constructing the Idea Barga Society in Inner
Mongolia. Thèse de doctorat en anthropologie (Cambridge, University of Cambridge, Murray
Edwards College).

High, M. 2008 Dangerous Fortunes. Wealth and Patriarchy in the Mongolian Informal Gold
Mining Economy. Thèse de doctorat en anthropologie (Cambridge, University of Cambridge,
King’s College).

Højer, L. 2004 Dangerous Communications. Enmity, Suspense and Integration in Postsocialist


Northern Mongolia. Thèse de doctorat en anthropologie (Cambridge, University of Cambridge).

Legrain, L. 2014 Les soixante-dix mensonges de Dalan Hudalch. La littérature orale et le


mensonge au quotidien en Mongolie, Journal asiatique 302(2), pp. 467-483.

Metcalf, P. 2002 They Lie, We Lie. Getting on with Anthropology (London/New York, Routledge).

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


7

Nietzche, F. [1903] 2009 Vérité et mensonge au sens extra-moral (Paris, Gallimard, Folioplus
philospohie).

Pedersen, M.A. 2011 Not Quite Shamans. Spirit Worlds and Political Lives in Northern Mongolia (Ithaca/
London, Cornell University Press).

Saint-Augustin, 2014 Sur le mensonge. Le menteur aime à mentir et goûte le plaisir de le faire (Paris, J’ai
Lu, Librio philosophie).

Simmel, G. [1908] 1992 Sociologie. Études sur les formes de la socialisation (Paris, Presses
Universitaires de France, Quadrige).

NOTES
1. Rappelons ici le bon mot attribué par Mark Twain à Disraeli : « There are three kinds of lies :
lies, damned lies and statistics » (cité dans Barnes 1994, p. 10).
2. Toutes les traductions de l’anglais sont les miennes.
3. Dans Vérité et mensonge au sens extra-moral, Nietzsche écrit « Mais l’homme lui-même a une
invincible tendance à se laisser tromper, et il est comme ensorcelé par le bonheur lorsque le
rhapsode lui récite comme s’ils étaient vrais des contes épiques ou lorsqu’un acteur jouant le rôle
d’un roi se montre plus royal sur scène qu’un roi dans la réalité » (Nietzche [1903] 2009 : p. 23).

INDEX
Keywords : lying, epistemology, oral tradition, writings, representation of the other,
ethnography
Mots-clés : mentir, épistémologie, tradition orale, écrits, représentation de l’autre,
ethnographie

AUTEUR
LAURENT LEGRAIN
Laurent Legrain est maître de conférences en anthropologie à l’université Toulouse II Jean Jaurès.
Ses recherches portent sur le chant, le langage et l’histoire mongole du XXe siècle. Son ouvrage
Chanter, s’attacher et transmettre chez les Darhad de Mongolie sortait en 2014 dans la collection Nord-
Asie.
laurent.legrain@univ-tlse2.fr

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


8

True enough. A reflexive approach


to Tibetan hagiography within an
ambiguous domain
Suffisamment vrai. Approche réflexive des hagiographies tibétaines

Magdalena Maria Turek

Introduction
1 In the following paper, I would like to revisit one particular aspect of a case when
informants lied to me during fieldwork. Ever since the revelation of the lie and during
the entire ethnographic process, I attempted to transcend my own initial, post-
positivist naivety about “truth”. As a result, the process has guided me, in terms of an
inquiry into the field I was studying, to discover a number of truths that I would have
never learned if it were not for the lies. Furthermore, and in terms of a more
theoretical discussion, I have embarked on a reflexive examination of the ambiguities
of self and other in this particular case as well as the entanglement of the ethnographic
self in the social realities of the field.
2 This contribution is based on events that occurred in the course of fieldwork in 2007
and 2008 in Kham (Khams, eastern Tibet), specifically in Yushu Tibetan Autonomous
Prefecture, Qinghai Province, People’s Republic of China, where I was collecting
material for a doctoral dissertation on Tibetan hermitism and its contemporary revival.
Uncovering the tall tales I was told during some interviews made it possible for me to
come closer to understanding the nature of, and strategies used in the current Tibetan
Buddhist revival in Kham. In accordance with David Germano’s observation that
Tibetan revivalists are “dynamic agents who construct as much as they are
constructed” (Germano 1998, p. 86), I will argue for the informants’ negotiation of
“ambiguous domains” (Barnes 1994, pp. 49-51) that arise as spaces for the selective
recollection of past events – especially the re-imagination, manipulation and
fabrication of facts in oral and scriptural biographies of living and recently deceased

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


9

Khampa1 (Khams pa) saints. I would like to present these manipulations as additional
assistance in the interpretation of ethnographic material as well as highly informative
codes “that would enable me to look not at lies but away from them” (Nachman 1984,
p. 537). For this reason, I will refer to some of my interlocutors as “(mis)informants”;
this idiosyncratic orthography is meant both to reflect their deceptive role and to
emphasize how their art of lying provided me with additional, valuable insights into
the entire ethnographic situation. Finally, since my own entanglement in the processes
of negotiation in the ambiguous domain opened the scene for the lies 2 in the first place,
I will reflect on my position as ethnographer in the field and throughout the entire
ethnographic process. Although hagiographic coding is a process, I will argue for a
spatial analogy of the ambiguous domain to describe the negotiation of life stories that
occurs within a deliberately created metaphoric location of ambiguity, and may involve
the agency of keepers or custodians of the domain as main negotiators.
3 Everyday discourses of Tibetans, especially those involving respected religious figures,
will occasionally employ embellishments, intentional omissions, idealizations,
euphemisms, conflation of facts with myth or mythic borrowing as well as a range of
related practices, which constitute an entire repertoire that may be geared towards the
coining or preserving of a saint’s reputation, or otherwise keeping up appearances;
they may all be performed totally beyond the idea of “truth” distortion and with a
perfectly benign motivation. While some of those practices will also be discussed in this
paper, in the examination of this ethnographic episode I will look at a practice that I
will insistently designate to be straightforward “lying”, signposted with two different
formalizations of this term, chosen to cover the broadest discursive spectrum relevant
in this case. The first one is an emic exposition taken from The Great Tibetan-Chinese
Dictionary (Zhang 1985, p. 141, v. skyag rdzun), described as “an utterance which is
disconnected from the truth”. The other definition stems from social sciences and may
thus be seen as interior to the discourse of the ethnographer whose entanglement in
the politics of the field became a vital factor in eliciting the production of deceit.
Accordingly, Aldert Vrij (Vrij 2000, p. 6) determines a lie to be “a successful or
unsuccessful deliberate attempt, without forewarning, to create in another a belief
which the communicator considers to be untrue”. Whilst I apply the above outline in
the interpretation of what happened to me in the field on two occasions as a lie, I would
like to discourage the potential extreme readings of my (mis)informants as either
Machiavellian manipulators intent to deceive, or a type of Rousseauian natural
(wo)men who tell the truth even when they lie. As a counterproposition to positioning
them on an ethical scale of this or any kind, I will emphasize what can be gained in
terms of the epistemology of the ethnographic process.

Lying in the name of the father and of the son: the


(mis)information
4 When I first went to Kham in 2007 in search of a suitable fieldwork site for my
dissertation on the revival of Tibetan hermitism, I encountered the meditation school
of Lachi (La phyi) and its charismatic founder and leader Tsultrim Tarchin (Tshul
khrims mthar phyin, b. 1947) in the historical centre of the Barom Kagyu (’Ba’ rom bKa’
brgyud) school in Kyodrak (sKyo brag, Chin. Juela Xiang). The following year, I would
learn how certain events in the life story of this master are negotiated within a domain

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


10

of ambiguity, i.e. consciously folded to fit what I learned later to be a mould of a life
seen as ideal by my (mis)informants.
5 Since the lie I was told was biographical in nature, before I recount its telling during my
first stay in Lachi in 2007 and its revelation when working there again in 2008, I will
briefly recapitulate the most important events from the life story of Tsultrim Tarchin
as it is known to me presently:
Tsultrim Tarchin was born in 1947 in a rural area of Yushu TAP, Qinghai. After the
advent of the People’s Republic and its expansion into Tibetan areas, he went to a
state school, where he learned the Chinese script and was made to memorize
Marxist doctrines. When he was eighteen, he married a local girl and had seven
children, one of whom died in infancy. Having received some training in accounting
at the township, sometime during the Cultural Revolution, Tsultrim Tarchin was
elected the commune’s accountant.
In the liberalization period, around 1980, he learned about a lama who had been
hiding in a stable during the Cultural Revolution. This was the great ascetic and
Tantric master Karma Norbu Zangpo (Karma Nor bu bzang po, 1906-1984). Tsultrim
Tarchin was determined to meet him and was later granted the esoteric
transmissions of Mahāmudrā and the Six Yogas of Nāropa.
In 1988, at the age of 41, Tsultrim Tarchin made up his mind to leave ordinary life
behind. Following in the footsteps of his teacher, he became a renunciate yogin,
resolving to meditate in solitude regardless of the hardships. His plan was to take
ordination, and he suggested that his wife and six children all accompany him in his
new life as meditators. However, his wife felt that the children were too young for
her to take on an ascetic lifestyle in remote surroundings, so she decided that she
and the family would remain in the village.
After his ordination, Tsultrim Tarchin joined one of the most prominent disciples of
Karma Norbu, Saga Rinpoche (gSal dga’ rin po che, b. 1955), the abbot of the nearby
Barom Kagyu monastery of Kyodrak, for a pilgrimage to Central Tibet. The
relationship that the two meditators developed at this time would become very
important for Tsultrim Tarchin’s religious career, recognition and activity.
In keeping with the biographical tradition of both his guru Karma Norbu and
Tibet’s most famous saint Milarepa (Mi la ras pa, 1052-1135), for six years Tsultrim
Tarchin led a radically ascetic existence in the mountains above Kyodrak,
wandering from cave to cave, living on alpine plants and cold spring water and
wearing only one cotton robe.
Around 1999, Tsultrim Tarchin began his career as meditation instructor in the
many reconstructed and new meditation retreat centres of Kyodrak. Notably, his
skill in the Six Yogas was recognized beyond the locality and the religious school to
which he belonged. In 2005, at the foot of Chabti (Chab sti) Mountain, the master
founded the meditation school of Lachi. In 2008, this hermitage for group training
housed a constantly fluctuating number of up to 150 meditators from the
immediate vicinity and other areas, three of whom were Tsultrim Tarchin’s own
children, as well as his younger brother, Tsultrim Namgyal (Tshul khrims rnam
rgyal, b. 1953) and an elder sister Drolma (sGrol ma, b. 1943). The brother had
settled at the hermitage in 2007 and took novice vows from Saga Rinpoche in early
autumn a year later. Some of the master’s other family members were also living at
the hermitage: one unordained, older sister as well as their elderly mother.
Tsultrim Tarchin has many lay disciples and donors, some from as far away as Hong
Kong. He has been invited to distant places such as Shanghai, Hong Kong, Taiwan,
and even Japan, but has not accepted any of the requests. He is credited with
possessing many supernatural powers. There is talk of several hand- and footprints
he is supposed to have left in stone. Local people also believe Tsultrim Tarchin has
the ability to fly like Milarepa and the Barom patriarchs 3.

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


11

6 When I was first investigating the life story of Tsultrim Tarchin in 2007, I interviewed
his disciples, family members and colleagues. I distinctly remember asking both
Tsultrim Namgyal, the brother of the master and, on another occasion, their sister
Drolma if, before becoming a monk, the lama had had a wife and a family. In their
responses, they both expressed a clear no. That was a lie told in the direct presence of
the proof that it was otherwise, which I did not realize at that time: two of the lama’s
daughters and a son, the (mis)informants’ nieces and nephew were living next door in
one of the Lachi’s huts as renunciates; the son was additionally a locally important
meditation instructor. During this first fieldwork period, I did not ask Tsultrim
Tarchin's ordained disciples or colleagues about the master’s personal life, since I had
been warned by Sonam (bSod nams), one of my local fieldwork assistants, that in the
monastic environment this question is best avoided. Sonam explained that my question
could be perceived as an offensive accusation that a respected lama had broken vows of
celibacy, which I thought relied on the creation of an undesired and embarrassingly
personalized association between the religious sphere of celibate monasticism and the
biological sphere of reproduction. Accordingly, I never asked monastics about Tsultrim
Tarchin’s personal history and relied on the lies that his brother and sister told me.
Thus (mis)informed, I investigated many other details from the lama’s biography, but
took it for granted that he had never started a family.
7 This was my conviction until a year later. In 2008, I was again working in Lachi and
staying in the hut kindly placed at my disposal by Tsultrim Tarchin himself, through
the hands of the manager-monk of the hermitage. Here I studied the structure and
functioning of the meditation school from the inside and was trying to understand its
role in the community, in the local religious landscape and hierarchy, and in the lay
social life around it. I was interested in how the Tibetans were reviving the traditional
Tantric technologies and the ethos of the renunciate ascetic hermit on the periphery of
post-Dengist China, one of the fastest-growing, modern economies in the world.
8 One October day I was in my hut when Tenzin, one of the children learning the
alphabet and the Buddhist basics at the meditation school, came in and began a casual
chat about his own daily schedule and tasks, but also commenting on the business and
personal traits of others. Gossip has been described as “a fundamental moral force in
every society as well as the primary medium for informal information” (Kjellgren 2006,
p. 237); this was indeed my experience. At one point, the boy said something about “the
master’s son”. In my naivety, I was dumbfounded. How could this be true? I was
convinced that young Tenzin was lying or fantasizing. After all, the others I had talked
to about Tsultrim Tarchin’s family past were adults. I quickly set out to find out the
facts. That same evening I invited some nuns for dinner and asked them directly: “Did
the master ever have a wife and family?” After some whispering, I finally learned the
truth: “Before he became a monk, he had both wife and seven children, though one of
them died. And three of them, now adults, are committed to life-long meditation
retreat and are living here at Lachi! But hush – let us not talk about it any longer”.
9 I never approached Tsultrim Tarchin himself about it (and he always said his “worldly”
history is of no importance anyway), but after that revelation I remembered my
acquaintance the previous year with a young lama, presented as the second-in-charge
in the hierarchy of religious instructors at Lachi. Tsultrim Dudul (Tshul khrims bdud
’dul, b. 1975), then in his thirties, already had much experience of meditation and a
growing influence. I now learned he was the master’s son that Tenzin had mentioned.

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


12

10 The reason for deceit was not apparent to me. After all, the master had not broken his
vows of celibacy, since he had not yet been a monk at the time he married and had
children. While abandoning one’s monastic ordination and taking up a lay life is seen as
embarrassing in many Tibetan societies (just as it is considered scandalous to openly
break celibacy vows), the pre-monastic life of an ordained person is either perceived as
irrelevant, or else the worldly engagements and transgressions are presented as a
factor triggering religious vocation.

Restricted realities and fictional identities:


ethnography and deceit in China
11 Aware of the deficit of research dealing with contemporary Tibetan societies in the
context of subaltern studies, I would like to emphasize the methodological advantage of
looking at acts of lying by Tibetans in the larger framework of the grand narrative of
the Chinese state. The state has dominated and dispossessed non-Han groups by
assigning them the inferior status of ethnic minorities, complete with stereotypes and
fixed roles in terms of their relationship to the Han majority and the state itself. This
monophonic narrative endures, as reflected in the post-earthquake monument recently
erected by the provincial government in the town of Jyekundo (Yushu), not far from
my fieldwork site. Its post-sociorealist style depicts brawny People’s Liberation Army
troopers and Han cadres guiding the disaster rescue mission of passive Tibetan victims,
portrayed as a mixture of folklore dancers, elders, women and children, whose only
voice is that of gratitude to the government and its enterprises: a Chinese inscription
held by a Tibetan child depicted in the monument reads simply “Thank you!”
12 In the liberalization process following Mao’s death, Tibetans have been restricted in
their capacity to adopt a public voice that would enable them to express their own
wishes or concerns. Paired with censorship and issues of political sensitivity, this
situation has resulted in the development of sophisticated discursive techniques in
both oral practices and literature. Generally, Tibetans have been re-creating and
reshaping their own narratives in ways which can serve as a means of counterbalancing
the power and identity crises that stem from the colonial practices of the Chinese state.
I recently described how some of the literary strategies used by Tibetan authors assist
in re-imagining and reimagining the past4, in order either to re-emphasize desired
events, to compensate for their uncertainty, or to rewrite the initial encounters with
the communist Chinese (Turek, in press a and b). In the present contribution, I would
like to look at a manipulation of truth in oral interviews that I believe, besides serving
other purposes for my disenfranchised (mis)informants, constitutes a source of power
for the liar (compare with Bok in Nachman 1984, p. 538).
13 Obstructions to carrying out qualitative research in the People’s Republic of China have
been analysed in view of restrictions on all forms of public discourse (Kjellgren 2006,
p. 230). It is not only that the state imposes limits on all forms of expression through
various means, among which censorship is merely the instrument of a larger
apparatus, but also that political repression of minority discourses and of dissident
voices have created what Emily Yeh terms a discursive “politics of fear” (Yeh 2006,
p. 97). The social mistrust in the form of “dimorphism of values” that may be present in
certain societies under authoritarian rule has been discussed extensively in the context
of Polish communism (Wnuk-Lipinski 1982; Kubik 2010, p. 4) of which I, the author of

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


13

this reflexive contribution, have first-hand experience in my childhood and early teens.
Dimorphism of values has been brought up in the contemporary Tibetan setting by
Goldstein (1998) and Yeh, whose informants described the dilemma this way: “What we
know in our hearts/minds (sems), we don’t need to say with our mouths” (Yeh 2006,
p. 98). On the same note, the famous Tibetan-Chinese dissident poet and publicist
Tsering Woeser described the conundrums of Tibetans working as government
employees: “They are divided inside. We call them people with two heads 5”.
14 In some cases, lying can reflect this moral split. In my experiences of lies in the field,
the involvement of the Chinese state or the Party may not have been the main
polarizing agent in terms of provoking distrust; however, because of its colonial
practice in ethnic Tibetan areas, its ever-presence and aspired omniscience, I believe
that the state did open a certain arena of deceit, in which people may be more reluctant
to tell the truth or tend to construct fiction about topics considered sensitive. In the
next sections of this paper, I will discuss both lying and related practices perfomed in
this context.
15 Moreover, as several researchers have noted, countless restrictions imposed on foreign
and domestic scholars can unwillingly trigger the development of a repertoire of
fictional identities on the side of the ethnographer working in China (Gros 2013;
Hansen 2006; Yeh 2006). In my own case, during the two periods of fieldwork in 2007
and 2008 that form the basis of this discussion, I was caught between the ambiguities
and fictionalities that arose as I sought access to the field and attempted to establish
rapport with informants both on the official and on the local or informal level.
16 A three-month reconnaissance trip in 2007 was my first investigation carried out in
China and the very first time I carried out fieldwork in general. I was to travel
throughout Kham and look for a site suitable for an in-depth study of Tantric
hermitism. Prior to leaving Germany, where I was enrolled in a doctoral programme,
my academic advisers put me in touch with Tibet scholars based in China, but also
warned me to avoid the term “religion” in my correspondence with China and in any
official or formal context when describing my scholarly interests, since it could raise
unnecessary concern as to the apolitical nature of my pursuits. Should I be questioned,
I was always to reply that I wanted to learn about Tibetan “culture” or “customs”, since
these were academic areas officially approved as non-problematic. I was also advised to
undertake the journey as a private person. Although on my second trip to Kham in 2008
I was issued a “formal” letter of introduction from a professor I had befriended in
Beijing, I never had the chance to present this to anyone. The only time the authorities
became interested in my presence in ways which went beyond the usual enquiries
about nationality, destination, etc., was when I was invited, together with a travel
companion who was also Polish, to join a celebration for local Tibetan and Chinese
police officers and other cadres: we were asked to entertain them by singing in our
native language as an exotic addition to their function.
17 As my later experience showed, and contrary to what has been observed in other
writings (Hansen 2006), in many Tibetan regions of Sichuan and Qinghai taking an
“unofficial” position can open easy, low-profile access to sites such as monasteries or
hermitages together with their surroundings. I was soon to find out that my “strictly
private” profile became the very key that granted entry and to some extent, helped me
establish rapport with informants in the hermitage I was studying.

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


14

18 One group of factors that positively influenced my study was the relatively relaxed
political climate in the parts of eastern Tibet where I worked for the longest time: Dege
(sDe dge) and Nangchen (Nang chen), situated respectively in sections of Sichuan and
Qinghai provinces. This is partly due to the fact that the religious revival in these
regions has managed to avoid explicit political symbolism, and that ties with the
Tibetan government-in-exile are not very strong, for mainly historical reasons.
Nangchen in particular is an area where the Gelugpa sect, with its nationalist
sentiments, is in the minority. Due to the representation of Tibetans in the local
government, the state may even actively support religious projects, as they did in the
case of the hermitage which became my case study. That some regions of Kham enjoy a
relatively liberal air in terms of state surveillance and restraint is striking, especially in
comparison with other Tibetan areas, such as Lhasa or parts of Amdo, where
restrictions can be much more pronounced, and consequently, a foreigner asking any
kind of questions is frequently met with scepticism and anxiety. Contrary to this, even
immediately after the crackdown on the post-Olympics uprisings which took place
throughout ethnic Tibet in 2008, including Kham, I found that for foreigners in general,
it was quite easy to make contact with and interact with local people. Indeed, I rarely
experienced open mistrust on the side of my informants.
19 The ambiguity concerning my “official” identity as a foreigner in China soon gained a
further layer of fictionality, which was the result of contact with the communities and
individuals I was studying, simply because during my work in the field hardly anyone
understood what I was really doing. Before my first trip, the friendly professor from
Beijing advised me that I should introduce myself as someone aspiring to a Tibetan
scholastic rabjampa (rab ’byams pa) title, which in his eyes represented a measure of
learning comparable to a Western doctorate. The problem was that my informants
could not relate to this designation in any way. What is more, there is no term in the
local dialects that would convey the meaning of ethnographic research in pursuit of an
academic degree. Kham area is largely rural and pastoral, and in 2007-2008 even basic
education was very limited. Many of the people I was interviewing or interacting with
were illiterate, and those who were not followed a traditionally Tibetan educational
model which involves studying and memorizing religious texts, but certainly not
conducting fieldwork and ethnography in the context of post-modern anthropology.
Describing myself as “writing a book on Tibetan hermits for Western schools/
universities” was an introduction strategy I developed on a trial-and-error basis and
which was “true enough6” to explain the purpose of my questions.
20 Communication was a complex issue, which further reflected my ambiguous status
during the fieldwork. Especially for the purpose of a survey of hermitic communities in
2007, I had to move around the Kham area which abounds in local dialects that are
sometimes mutually incomprehensible, so every once in a while, I had to change my
assistant/interpreter for another local person. However, since my linguistic
competence lies mostly in the area of Classical Tibetan, which has codified and
maintained religious terminologies, my own involvement in the communication
process was also necessary, especially when informants discussed ritual or
philosophical matters. This was due to the fact that, generally, the interpreters were
not familiar with the specialist terminology used specifically within the doctrinal-ritual
tradition that formed the religious framework of the hermitage 7.

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


15

21 Finally, one other ambiguity in my identity as the ethnographer should be taken into
consideration. It was not my academic project nor my role as doctoral student, but my
personal interest in and involvement with Tibetan Buddhism that ultimately granted
me access to the elitist environment of the hermitage and helped to establish rapport
with some of its leaders and members. At the same time, this personal involvement
became the very cause of my entanglement and, paradoxically, it eventually produced
an insurmountable obstacle to data collection. I would like to elaborate on this issue
later in the self-reflexive section of this paper8.

Hagiography in the making of a saint


22 Ever since ethnic Tibetan regions of post-Mao and post-Dengist China became the scene
of a vibrant religious revival, the presence of charismatic Tantric masters in the Kham
area has proved vital for the efficacy and popularity of the movement. Especially
interesting are the careers of lamas who climbed the ladder of the religious hierarchy
and became famous as great masters without being able to rely on the status of a
“reincarnate master” or trülku ( sprul sku). The meditation master Tsultrim Tarchin,
whose life and the lies I heard about it in the field will be discussed below, is one of
these.
23 Tibetan hagiography is a rich tradition that has played an important role in literature,
but most of all, in the practice of religion. The importance of the hagiographic code to
Tibetan ritual and its elevation over other types of religious texts is best illustrated by
its cultic use, its physical embedding in the landscape through the demarcation of
sacred places, and its application in imparting Tantric instruction. In this discussion on
lying in the Tibetan cultural context, it is also relevant to remark that there is a
subgenre of hagiography which, for its engagement with the lives of the “revealers of
spiritual treasures” tertön (gter ston), whereas “treasure” pertains to texts which can be
considered apocryphal, has maintained an intense focus on the issue of authenticity
versus fraud9.
24 While processes of saint-making10 in premodern Tibetan literature have been described
by Roberts, Rheingans, Quintman and others (Roberts 2007; Rheingans 2010;
Quintman 2013), in this paper, I will look at contemporary social negotiations of
sainthood. These necessarily involve the codification of a life narrative as hagiography,
which must communicate both an exemplary life, and perhaps more importantly, the
faculty to influence the environment with “blessing power”, chinlab ( byin rlabs). In
addition to other media which likewise contain and convey blessing, such as relics,
insignia or sacralised objects, the particular strength of narratives is that they are
effective in codifying the ideal of a saintly life. Thus, today, in the process of
delineating and expanding the boundaries of charismatic networks, biographies of
modern Tibetan saints are circulated orally, through iconic depiction and in writing.
Because they can express both a model for emulation and/or veneration and blessing
power, their distribution constitutes one of the key transactions in the Tibetan
economy of charisma.
25 A life of an unknown practitioner becomes a biography of a modern saint through
coordinating a personal life trajectory against an arrangement of hagiographic topoi
known from tradition and social experience of important masters. Herein, the primary
issue lies in coining a paradigm of an ideal life, which, while reflecting its source, the

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


16

“mytho-biography” of the Buddha (Obeysekere 2006, p. 16), would be relevant for


identity construction in the contemporary situation. In order to achieve its
paradigmatic purpose, a life narrative of a modern saint should, first and foremost,
unfold in ways which pronounce cosmological elements. Furthermore, and what is
more relevant for the present discussion: in the process of coordination of an
individual life against a string of hagiographic events, concern for cold facts or
historical truth has rarely been a priority. Instead, the negotiation of a life story opens
an ambiguous domain in which, as are about to see, certain events can be remembered
selectively, others are re-imagined and some may involve the practice of lying.

(Mis)informants as keepers of the ambiguous domain


26 The deceit engineered by my (mis)informants may be purposeful, but it must also be
mentioned that according to Buddhist Mahāyāna ethics, any action can be positive
(kuśala) if the motivation behind it is non-egoistic. Especially because my
(mis)informants, or at least Drolma as nun, had taken vows of truthfulness, and were
engaged in the reconstruction of hagiographic traditions, their deceit could have been
justified as serving the purpose of “the public good”. Therefore, their lies remain
ethically ambiguous in both Buddhist and Platonic terms (compare with Barnes 1994,
p. 83). Along similar philosophical lines, Sikes claims that for the researcher,
revelations of lies during fieldwork may bring up elementary questions about the
essence of “truth” and knowledge and about the link between epistemology and
methodology:
Acknowledging that we are involved in philosophical inquiry means acknowledging
different possibilities concerning what knowledge is considered to be; how it is
obtained, recognised and relates to “truth” […]; and the extent to which “truth”
reflects “reality”. In other words, it raises specific questions about whether
qualitative interview data can reveal “truth” (Sikes 2000, p. 258).
27 Therefore, much more important than a philosophical or specifically ethical
consideration of “truth” versus “lies”, which cannot be satisfactory since it steers the
discussion away from the essentially political nature of truth, and consequently, also
lies (Foucault 1980), is the extraction of the information contained in a lie. I will
approach this on two levels: 1) I will explore the acts of deception in terms of the
politics of the field that had not been accessible to me before I was deceived (compare
with Davies [1999] 2002, p. 82), and 2) I will look at the lie as the paradoxical factor that
made the ethnographic process more valid because it initiated me into the deeper
dynamic of the field, including my own entanglement, and helped me to transcend
superficial concepts about the ethnographic situation and the methodologies I was
using. This is why I have to say that I remain grateful to everyone, including Tsultrim
Namgyal and Drolma, who (mis)informed me.
28 In order to examine the (mis)information I encountered in the field, I will first set the
lama’s siblings’ tall tales against the relatively rich repertoire of practices which in the
Tibetan cultural context, allow for a misrepresentation or distortion of facts without
the intention of producing deceit. Especially in cases of life stories of saints, in which
the traditional narrative template is employed, it may be acceptable or even expected
that followers or disciples will embellish, self-censor, idealize, euphemize, and use the
language of myth to relate their accounts. In interviews concerning life stories or local
histories, I also realized that some of my informants’ statements tended to form a

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


17

synergy of “facts”, “embellishments” or “opinions”. Some of this dynamic has to do


with the emic understanding of historical narratives and the role that myth
traditionally plays in these accounts. In her study of oral history in Kham, Gillian Tan
has rightly shown that categories of fictionality versus factuality as well as the
distinction between myth and history tend to be less pronounced and both can be
considered “valid modes of social consciousness” (Tan 2013, p. 205). Whichever voice
the Lachi (mis)informants were using to produce the fictive version of their brother’s
life story, whether it was their own personal voice or the expression of tradition, or
both – how do I come to define what happened as lying?
29 Let us return to the two definitions of lying quoted in the introduction to this
discussion. The validity of the emic explanation of the term which emphasizes a
“disconnection from the truth” is plain to see, since the statements about Tsultrim
Tarchin being childless were quite clearly biographically false. Moving on to Vrij’s
psychological explication of a lie, the declarations I heard must have also been
deliberate. That being said, Tsultrim Namgyal and Drolma could have impossibly been
the type of fabricators convinced by their own perfect fiction: living proof of things
being other than they claimed – two of Tsultrim Tarchin’s daughters and the son –
dwelled in the next hut and mingled with their aunt and uncle every day, the nephew
as the hermitage’s instructor and the nieces most probably helping to care for Drolma
as their aging aunt, which would be expected in a Tibetan environment. While the gain
involved in the deliberate choice of false statements by Tsultrim Namgyal and Drolma
will be explained as follows, let us examine further elements of the situation that had
me uncover a “lie” and not just another narrative enhancement. Vrij’s phrasing
“without forewarning” points to the context of trust or veracity that I was convinced to
be participating in with my naivety of a convert. The subsequent element of that same
definition, “to create in another a belief which the communicator considers to be
untrue” constitutes the key argument in my understanding of the situation. “To create
in another” implies that a lie is an utterance (or non-utterance) which must necessarily
involve a recipient. In contrast to a narrative flow through which a life story is related
orally or in writing and which may include enhancements or omissions, the dialogue
form I used in the collection of the (mis)information quite clearly separated both sides
of the interaction and defined the receiver. The dialogical sequence: A) “Did the lama
have children?” – B) “no”, is much more personalized from the sociolinguistic point of
view than other whole accounts or narrative segments, in which the audience may not
be determined at all. The specification of the recipient determines that fiction becomes
a lie.
30 These are arguments that have prompted me to use “lying” as an instrument in my
examination of the ambiguous domain of Tibetan hagiography. The next steps will
hopefully assist us in coming closer to an understanding of why the lie was told and
reveal the information condensed in it. First of all, let us now look at the specific
constituents of the situation in which the deception was generated. Who were the
(mis)informants? Tsultrim Namgyal and Drolma were the yogin’s brother and sister,
who lived on the Lachi premises and (especially the brother) managed the master’s
affairs. This falls into a pattern I have observed several times in connection with saint-
making processes in the contemporary Khampa revival. Typically, the expansion of a
charismatic network around a saint-in-the-making goes along the lines of family
loyalties, further encompassing the local community and beyond. At the heart of the
charismatic network, in the physical proximity of the new saint are often family

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


18

members, ordained as monks and nuns and managing the master’s affairs. They are
also important negotiators and keepers of the new saint’s hagiography, with a special
focus on his or her behaviour in the Maoist era and the resulting reputation.
31 Thus, the siblings must have understood themselves as guardians of Tsultrim Tarchin's
image. This is why both of them, independently from one another as I (again perhaps
naively?) presume, specifically lied about Tsultrim Tarchin's premonastic engagement
in a sexual relationship and progeny. But why would they be convinced that a monk
can break his celibacy vows retrospectively, if this is clearly not what is taught in the
Vinayavastu or in any other Buddhist scriptures?
32 A great part of the answer to that question is simply lack of knowledge. Both of my
(mis)informants were elderly and had a lay background. Characteristically for such
practitioners, neither of them had any religious education or training. To give an
example, although Drolma was ordained at the time of my interview with her, she had
only been a nun for a short time. When I asked her about the religious affiliation of a
monastery she had belonged to before she moved to the Lachi meditation school, she
could not answer that basic question. Her late ordination, together with the lack of
fundamental information even about her own religious practice, is expressed by the
emic concept of “old folks’ dharma”, genchö (rgan chos). According to Sherab Gyatso, the
phrase describes:
those who in their twilight years (particularly after the death of a spouse) adopt
monastic garb as a form of declaration that they are going to dedicate what remains
of their lives to religious devotion (Gyatso 2003, p. 215).
33 In fact, Tsultrim Namgyal, who was around sixty at the time of our first conversation in
which he (mis)informed me, also took ordination a year later. The label of a genchö,
however neutral its connotation while designating ordinary, elderly practitioners,
becomes a dishonouring term when relating to a religious authority, since genchö
practice is generally associated with lack of religious training, skills and
accomplishment11. This is also linked with the fact that in many segments of Tibetan
societies today, spiritual attainment and the social and religious status stemming from
it are invariably connected to celibacy (compare with Germano 1998, pp. 69-70).
Chastity was traditionally seen as an important vehicle for ritual power in premodern
Tibetan societies. Because of their sexual inexperience, pre-pubescent children were
ideal candidates for monastic novice vows; reincarnate lamas were commonly
enthroned as toddlers and raised in a monastic environment without contact with
females. Therefore, to my (mis)informants Drolma and Tsultrim Namgyal, who were
not simply disciples of the master Tsultrim Tarchin, but additionally saw themselves
responsible for the lama’s reputation, admitting that their brother was a late
renunciate like themselves would mean implying that he was not only deficient in
value as a monk, but that his skills as a religious instructor were questionable. Owing to
the siblings’ lack of information, their concern about the power of gossip and their self-
appointed function as keepers of the ambiguous domain, they were convinced that the
truth would prove catastrophic to the high status Tsultrim Tarchin enjoyed in both the
local religious hierarchy, the lay community and beyond.

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


19

Keep them secret as if they were stolen goods


34 Lying is not the only practice performed by agents of the Tibetan Buddhist revival in
order to negotiate the past of contemporary masters within an ambiguous domain.
Above I gave an example of how the genchös I worked with were engaged in oral
negotiations that involved lying. However, negotiating a modern saint’s life story is
also a literary practice, performed by members of the religious elite who engage in a
number of techniques that may be loosely affiliated with lying, such as remaining silent
about whole decades of a saint’s life, selective remembering or re-imagination of facts
to compensate for their obscurity or even absence. As far as I could observe this
practice, the techniques of concealment or compensation almost always concern the
fate of the master in question during the Maoist era. It must be said, however, that in
general very little is known about this period in ethnic Tibet, and secondly, the era
when almost all Tibetans were abused in some way by the Chinese regime has
understandably not become a favourite topic of conversation.
35 It seems that authors of hagiographies might conceal not only possible cooperation
with the Chinese Communist regime, but also when a lama was subjected to violence,
coerced to labour in a People’s Commune, or when he had to abstain from religious
practice due to restrictive government policies introduced in the course of the
“democratic reforms”. Being victimized not only compromises the image of an
omnipotent saint but also, I as have tried to demonstrate elsewhere, questions the
validity of the whole indigenous religious tradition in the face of an aggressive secular
ideology (Turek, in press b). This is where lies can come into play as important tools in
the negotiations of sainthood. For instance, in oral interviews with several monastic
and genchö-monastic disciples of Tsultrim Tarchin’s preceptor Karma Norbu, the
(mis)informants did not reveal that the great adept was forcefully installed in the
People’s Commune. The written life narrative, however, does briefly account for this
fact12.
36 One of the ways in which biographers deal with problematic issues is leaving extensive
gaps in the chronology of the narrative. Thus, the biography of Tsultrim Tarchin’s
important local colleague and teacher Saga Rinpoche features a hiatus of twenty years
between 1960 and 1980 (sGa Karma don grub phun tshogs 1999, p. 301).
37 Another method of dealing with the victimization of Tibetan lamas is equipping the
narrative with hidden transcripts (a term I adopt after Scott 1990), by which I mean a
political critique in the face of the power-holder, performed so that the oppressed can
speak freely but still remains undiscovered – a practice I discussed in a paper about
Karma Norbu’s ordeal in the People’s Commune (Turek, in press b).
38 Discussing the fate of Tibetan clergy during the Maoist period is awkward for many
Tibetans, who shun the topic mostly for social and religious reasons; it may also be
difficult for the Chinese authorities for political reasons. However, I see additional
plausible causes for omissions in hagiographic narratives. Possibly, for some Khampa
Tibetan authors, the omissions or “white lies” are also political views expressed by way
of a hidden transcript. For instance, telling a white lie can also be practised to
counteract the recent, traumatic memories of the Maoist “speaking bitterness”
campaigns, during which people were encouraged to denounce and destroy the
reputation of traditional leaders.

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


20

39 Another possible hidden transcript underlying the silence around the past of
contemporary Buddhist leaders might deal with resistance against the Chinese
Communist Party’s totalitarian style of governance that has the state delineate and
then intrude into religious fields. This way, the state encroaches upon spheres
traditionally maintained as clandestine, challenging the Tantric principles of
concealment, an issue specifically relevant for this discussion of Tibetan hagiographies.
The esoteric nature of the doctrines, rituals and mystic experiences cultivated by
Tibetan hermits means that practitioners are advised to keep them “secret as if they
were stolen goods” (Karma stobs rgyal 1999, p. 33) as we learn from the hagiography of
Karma Norbu, Tsultrim Tarchin's guru and the yogin forced to labour in the 1960s.
Today, as his disciples write down his life story and those of other masters, the state is
more benign but ever-present, and it looks on as secret practices are performed, even
putting the most clandestine texts on public sale so that they are accessible to the
uninitiated and accidental buyer.

Some self-reflexive notes


40 At the beginning of this paper, I defined the ambiguous domain as a mode for the
selective recollection of past events, including the re-imagination, manipulation and
fabrication of facts in the oral or scriptural biographies of Khampa saints. In the
subsequent sections of this contribution, I looked at the ambiguous domain of modern
Tibetan hagiography, which is also where I presented my own entanglement in certain
aspects of the ambiguity and fictionality. I now return to some facets of the
ethnographic situation that positioned me within multiple spheres of ambiguity or
even fictionality: the status of my research project as a private enterprise, the need to
explain my project to informants in a way that was “true enough” for them to
understand, and the issue of my own hybridity as both insider and outsider in the field.
The following self-reflexive lines are meant to scrutinize the ambiguities on my side as
well as reflect on the entanglement of the ethnographic self and other in a process of
negotiation of an ethnography that allows for polyphony but is valid at the same time.
41 A theory of positionality according to England (1994) and Bourke (2014) postulates that
ethnography represents “a shared space, shaped by both researcher and participants”
(Bourke 2014, p. 1) and therefore may be influenced by multiple, overlapping identities
on the side of the ethnographer and the informants. In the case of my fieldwork at
Lachi, these identities developed on both sides in fictional or ambiguous ways. I have
already commented on the fictional identities imposed on me by the larger political
and social milieu in which the meditation school was situated (compare with Yeh 2006,
p. 97). Moreover, a certain ambiguity of identity had accompanied me from the
beginning. From the start, the choice of topic and scope of the dissertation pointed to
how this project was also a personal venture: as a Buddhist practitioner, it was my wish
to work with people who exemplified or focussed on what most interested me –
meditation. When in the field, I often found myself stuck in the ambiguous position of
a hybrid ethnographer, with all the politics of identity that this entails. The experience
was simultaneously empowering and disempowering: while my co-religious affiliation
gave me access to the elite hermitage which I knew explicitly forbade tourist visits, it
was exactly this factor that subsequently became an impediment in collecting
information. The main guru, Tsultrim Tarchin, voiced his concerns about my academic

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


21

project that, in his eyes, represented the very type of “worldly” or even “childish”
engagement which must be renounced in the course of the ascetic eremitical path that
he was teaching. Like several other high-profile Tibetan lamas who have cooperated
with Western academia since the 1960s, he expected his role to be that of a religious
teacher and not of an informant. He also clearly demanded that I conform to the role of
the disciple in a more dedicated fashion, which was something I could only do at the
cost of abandoning my entire research project.
42 Thus, throughout the entire ethnographic process, but especially during data collection
in the field, I not only experienced the constant tension between two different
identities that prompted different types of interactions with informants, but also an
epistemological tension between the perspectives of outsider and insider. In order to
draw attention to that latter experience, I chose to relate my own subjective reaction to
the discovery of the lie in my dissertation: my astonishment reflected the naivety
which, in turn, revealed my epistemological position as a post-positivist expectation to
elicit “truth” from informants (compare with Chiseri-Strater 1996). Thanks to the lie, I
could revisit and correct this position, moving on to the view which perceives
interviews as “essentially reflexive and socially constructed” (Sikes 2000, p. 266).
43 In several Tibetan dialects, hybridity is sometimes referred to with the phrase “neither
goat nor sheep”, ra ma luk (rwa ma lug ). To critically address the problem of
positionality of the hybrid anthropologist, I would like to cite the discussion of what
Bourdieu saw as a paradox:
“When one is one of them”, he [Bourdieu] states, “one participates in the inherent
belief in the belonging to a field whatever that field may be (religious, academic,
etc.) and, when one is not one of them, one risks first forgetting to inscribe belief
into the model..., and, second, being deprived of useful information”. The first
barrier (i.e. belonging in one way or another to a religious institution), can lead to
adopting a religious point of view on religion, to practicing a religious sociology
rather than a sociology of religion. To avoid this (which is “difficult” but not
“impossible” according to Bourdieu), it is necessary to practice “an objectification
without complaisance… of all links, of all forms of participation, of subjective or
objective belonging, even the most tenuous” (Dianteill 2003, pp. 544-545).
44 To help solve this contradiction, Kjellgren comments specifically on field research in
China, where the simplistic dichotomy of self and other has been further reduced to the
dichotomy of native versus non-native, which obscures the complexity of the
ethnographic process (Kjellgren 2006, p. 225). Instead, the author proposes a nativeness
founded on the “disciplinary and organisational belonging rather than in primordial
terms of blood and culture” (Kjellgren 2003, 2006, p. 226). However, referring both to
the Bourdieuan quote and my experience in the field, that same belonging can become
a “barrier”, both for the risk of adopting a doctrinal viewpoint and, as very much in my
case, for provoking the expectations of crucial informants that would contain me
within the religious field and bar me from adopting the critical perspective and
devoting myself to its methodologies such as data collection. To adopt Kamala
Viswewaran’s way to describe the hybrid researcher as the “hyphenated ethnographer”
(Kapchan & Strong 1999, pp. 245-246), I became stuck in the hyphen. In this
conundrum, Kjellgren’s notion of “belonging” does not offer any solution. First, in my
own position as the hybrid, I belonged to both fields, the academic and the religious. If
they are seen as mutually exclusive, I belonged to none. On top of that, especially in the
case of Tibetan Buddhism’s globalized and highly complex treatment of institutional

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


22

affiliation and ritual perimeters, the very category of belonging ultimately points to the
ambiguities of the insider positionality itself.
45 That the tension between perspectives and identities within myself as ethnographer
could not be readily resolved in the field is reflected by the genesis of the deception.
Given the fact that my question – which prompted the lie – was considered
inappropriate, I created a situation in which the outsider element of my identity
became pronounced. Thus, the lie was a construct meant to represent something for
the outside world, perhaps to others who did not know the master yet, but maybe also
to an audience of Tibetan Buddhists located beyond China. The revivalists in ethnic
Tibet are known to be especially conscious of the negative image of their movement as
it is sometimes circulated within the Tibetan diaspora; the siblings could have expected
that their testimony would reach those exterior audiences not only because of the
conspicuous otherness of my appearance, but also because of the mentioned presence
of the camera during our interviews. Apart from the performative aspect of the lies told
by Tsultrim Namgyal and Drolma, generating deceit in order to negotiate the existing
power structures necessarily entails what Stéphane Gros terms “the politics of
ethnography” (Gros 2013, p. 50).
46 Moving across the lying equation again to focus on the recipient of the lie, as someone
who once lived under the “institutionalized lie” of Polish Communism (Havel quoted in
Kubik 2010), for all my initial naivety, I am probably more prepared to encounter, and
be excluded by the different “systems of trust” (Coleman 1982) which function in
societies living under an authoritarian rule. As I tried to demonstrate above, the state
encroaches upon the Tantric sphere of secrecy in various ways. This may in turn
unleash a Foucauldian chain reaction where society becomes constantly engaged in a
negotiation of power on many levels. At times, power can only be won by lying.
Through my work in Lachi, I became witness to this negotiation and the main recipient
of the deception.
47 It was easy to lie to me. My status at the Lachi meditation school was both privileged by
inclusion and vulnerable through rejection. I was betwixt and between worlds. To begin
with, nobody used my name, neither the Christian nor my Tibetan name. The master
Tsultrim Tarchin kindly referred to me as “Tibetan girl”, pökyi pumo (bod kyi bu mo), but
everyone else called me “the Western woman”, jarmo (jar mo). That name placed me in a
faceless crowd of Western travellers who were sometimes spotted in larger Khampa
towns. The master granted me many favours, but I never succeeded in “blending in”
with the nuns. Absolutely no one understood my work or the concept of an academic
dissertation. Tsultrim Tarchin’s siblings knew there was no way around talking to me (I
was in their brother’s favour), but supposed they could weave their own version of the
yogin’s life – I would not be able to find out the truth anyway.
48 In a fairly recent contribution discussing self-deception in ethnographic studies, Gary
Alan Fine and David Shulman described a researcher active in the field as “a kindly
trojan horse taking notes” (Fine & Shulman 2009, p. 179). I would like to adapt this
phrase to express how my (mis)informants could have seen me – as a gullible horse
taking notes. I find the analogy with the horse especially illuminating: like a horse, the
ethnographer can be harnessed to serve the (mis)informant’s purpose. In this case, my
project was used as a platform to express “facts” that really were a reflection of
negotiation within an ambiguous domain. For several reasons Tsultrim Namgyal and
Drolma did not have to consider their manipulation of truth unethical. Firstly, if the

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


23

main motive for their lies was to negotiate and maintain the reputation of their lama
brother and perhaps with him, of the whole revivalist movement, within the
framework of the Buddhist concept of upāya, as already mentioned, the moral value of
any action is measured by the motivation behind it. Secondly, certain aspects of the
hybridity of the ethnographer as recipient of the lies justified the means: as the
“foreigner” (jarmo), I was positioned outside the local network of trust. At the same
time, as an outsider I was privileged to pose the questions that Tibetans did not dare to
ask. The combination of vulnerability and special advantage made me the perfect
addressee of deceit and therefore, my (mis)informants could capitalize on both, in
order to construct their ideal image of the perfect contemporary Tibetan saint. Finally,
the reasons I had to give to explain my stay at the Lachi meditation school were “true
enough”, which in a way was symmetrical to the ambiguity of the domain my
informants were guarding, since the information I received from them about the life of
their master and brother was also “true enough” for me.

Conclusions: towards a validity and polyphony of


ethnographic texts
49 This contribution is meant to be open-ended, not least because the master Tsultrim
Tarchin and his biographers are still active at the time of writing (compare with Sikes
2000, p. 268). Thus, the ambiguous domain of a life of a Khampa saint can still be
negotiated before other recipients or audiences. Moreover, in order to critically
address the issue of deception by informants, it is also important to acknowledge my
role in generating the fiction in Tsultrim Tarchin’s life in terms of the fictionalities and
ambiguities that my positionality entailed.
50 The experience of deceit in the field should help the researcher avoid creating a
“superficial consistency” in interpreting data (Sikes 2000, p. 268; Davies [1999] 2002,
p. 93). The risk of folding the informants’ voices to fit neatly-arranged moulds (and in
that way imitate those of their practices in which representations substitute facts) is
especially high when studying life narratives where, on the one hand, irregularities or
contradictions may be readily discernible, but on the other, consistency may still be
imposed as a result of employing certain theories or methodologies of ethnographic
writing (Sikes 2000, p. 268).
51 However, a certain degree of validity can and should be attempted. Without such
attempts, all production of knowledge would “sink into a relativistic hole” where no
advancement is possible (Davies [1999] 2002, p. 90). At least since the restudy of
Margaret Mead’s well-known work on Samoan sexuality (Mead [1928] 1954 and
Freeman 1983), reflexivity, understood as the identification of the subjectivities and
intersubjectivities of all participants in an ethnographic situation, surfaced as an
important tool for the negotiation of validity of ethnographic narratives (compare with
Davies [1999] 2002, pp. 87-88). The latter goal can be pursued through examining one’s
epistemological position and questioning what can and cannot be learned or achieved
from that viewpoint. In order to counteract both endless relativization of positions on
the one hand and monophonic authority on the other, examining the ambiguous,
fictional and hybrid elements of the ethnographic self and other as well as of the
entanglement of the two can help achieve a polyphonic depth that enhances the
validity of ethnography. In this contribution, reflexivity was additionally practiced as

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


24

an activity parallel to the Bourdieuan idea of “objectification”. Thus, the reflexive turn
can be helpful in “recasting authority” of ethnographic narratives (Clifford &
Marcus 1986, pp. 14-15).

BIBLIOGRAPHY
Aris, M. 1989 Hidden Treasures and Secret Lives. A Study of Pemalingpa (1450-1521) and the Sixth Dalai
Lama (1683-1706) (Delhi, Motilal Banarsidass).

Barnes, J. A. 1994 A Pack of Lies. Towards a Sociology of Lying (Cambridge, Cambridge University
Press).

Bourke, B. 2014 Positionality. Reflecting on the research process, The Qualitative Report 19(33),
pp. 1-9.

Chiseri-Strater, E. 1996 Turning in upon ourselves. Positionality, subjectivity, and reflexivity in


case study and ethnographic research, in P. Mortensen & G. Kirsch (eds), Ethics and Representation
in Qualitative Studies of Literacy (Urbana, National Council of Teachers of English), pp. 115-133.

Clifford, J. & G. E. Marcus (eds) 1986 Writing Culture. The Poetics and Politics of Ethnography
(Berkeley, University of California Press).

Coleman, J. S. 1982 Systems of trust. A rough theoretical framework, Angewandte


Sozialforschung 10(3), pp. 277-299.

Davies, C. A. [1999] 2002 Reflexive Ethnography. A Guide to Researching Selves and Others (London/
New York, Routledge).

Dianteill, E. 2003 Pierre Bourdieu and the sociology of religion. A central and peripheral concern,
in D. L. Swartz & V. L. Zolberg (eds), After Bourdieu (Amsterdam, Springer Netherlands), pp. 65-85.

England, K. V. 1994 Getting personal. Reflexivity, positionality, and feminist research, The
Professional Geographer 461, pp. 80-89.

Fine, G. A. & D. Shulman 2009 Lies from the field. Ethical issues in organizational ethnography, in
S. Ybema, D. Yanow, H. Wels & F. H. Kamsteeg, Organizational Ethnography. Studying the Complexities
of Everyday Life (London, Sage Publications), pp. 177-195.

Foucault, M. 1980 Power/Knowledge. Selected interviews and other writings, 1972-1977 by Michel
Foucault (New York, Vintage Books).

Freeman, D. 1983 Margaret Mead and Samoa. The Making and Unmaking of an Anthropological Myth
(Cambridge, MA, Harvard University Press).

Germano, D. 1998 Re-membering the dismembered body of Tibet. Contemporary Tibetan


visionary movements in the People’s Republic of China, in M. Kapstein & M. C. Goldstein (eds),
Buddhism in Contemporary Tibet. Religious Revival and Cultural Identity (Berkley, University of
California Press), pp. 53-94.

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


25

Goldstein, M. C. 1998 The revival of monastic life in Drepung Monastery, in M. Kapstein &
M. C. Goldstein (eds), Buddhism in Contemporary Tibet. Religious Revival and Cultural Identity (Berkley,
University of California Press), pp. 15-52.

Gros, S. 2013 Blunders in the field. An ethnographic situation among the Drung people in
Southwest China (preprint version), in S. Turner (ed.), Red Stamps and Gold Stars. Fieldwork
Dilemmas in Upland Socialist Asia (Vancouver, University of British Columbia Press), pp. 43-60.

Gyatso, J. 2001 Apparitions of the Self. The Secret Autobiographies of a Tibetan Visionary (Delhi, Motilal
Banarsidass).

Gyatso, S. 2003 Of monks and monasteries, in D. Bernstorff & H. von Welck (eds), Exile as Challenge.
The Tibetan Diaspora (Telangana, India, Orient Blackswan).

sGa Karma don grub phun tshogs 1999 Collection on the origins of monasteries in Kham
Nangchen, realm of meditators. The chronicle unlocking one hundred trunks like a golden key
[Khams sgom sde nang chen pa’i dgon khag rnams kyi byung ba phyogs bsgrigs rin chen sgrom brgya ’byed
pa’i deb ther gser gyi lde mig] (Skye dgu mdo, Nang chen rdzong srid gros rig gnas lo rgyus gzhung
don khang).

Hansen, M. H. 2006 In the footsteps of the communist party. Dillemas and strategies, in
M. Heimer & S. Thøgersen, Doing Fieldwork in China (Honolulu, Hawai’i, University of Hawai’i
Press), pp. 81-95.

Kapchan, D. A. & P. T. Strong 1999 Theorizing the hybrid, Journal of American Folklore 112(445),
pp. 239-253.

Karma stobs rgyal 1999 Hagiography of Karma gzhan phan chos kyi rgya mtsho, Lord of the
Siddhas. Vehicle for drawing uut three kinds of devotion, riches of the noble [Grub pa’i dbang
phyug karma gzhan phan chos kyi rgya mtsho’i rnam thar dad gsum ’phags nor ’dren pa’i shing rta]
(Lhasa, s.n.).

Kjellgren, B. 2006 The significance of benevolence and wisdom: reflections on field positionality,
in M. Heimer & S. Thøgersen, Doing Fieldwork in China (Honolulu, Hawai’i, University of Hawai’i
Press), pp. 225-251.

Kubik, J. 2010 Power of Symbols Against the Symbols of Power. The Rise of Solidarity and the Fall of State
Socialism in Poland (Philadelphia, Penn State University Press).

Mead, M. [1928] 1954 Coming of Age in Samoa. A Study of Adolescence and Sex in Primitive Societies
(New York and London, Penguin books).

Nachman, S. R. 1984 Lies my informants told me, Journal of Anthropological Research 40(4),
pp. 536-555.

Obeyesekere, G. 2006 Asian studies and the discourse of the human sciences, in J. Stremmelaar &
P. Van der Velde (eds), What About Asia? Revisiting Asian Studies (Amsterdam, Amsterdam
University Press), pp 15- 29.

Quintman, A. 2013 The Yogin and the Madman: Reading the biographical corpus of Tibet's great saint
Milarepa (New York, Columbia University Press).

Rheingans, J. 2010 Narratives of reincarnation, politics of power, and the emergence of a scholar
the very early years of Mikyo Dorje, in L. Covill, U. Roesler & S. Shaw, Lives Lived, Lives Imagined:
Biography in the Buddhist traditions (Boston, Wisdom Publications) pp. 241-297.

Roberts, P. A. 2007 The Biographies of Rechungpa: The evolution of a Tibetan hagiography (London and
New York, Routledge).

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


26

Rodizio, V. 2010 Looking for Ancient Tibet. A Journey to Buddhas Legacy, DVD (Berlin, Yogifilm
Germany).

Rouch, J. 2003 Cine Ethnography (Minneapolis, University of Minnesota Press).

Scott, J. C. 1990 Domination and the Arts of Resistance. Hidden Transcripts (New Haven, Yale
University Press).

Sikes, P. 2000 ‘Truth’and ‘lies’ revisited, British Educational Research Journal 262, pp. 257-270.

Tan, G. G. 2013 Transforming history and myth. On the mutuality and separation of shared
narratives in Eastern Tibet, The Australian Journal of Anthropology 242, pp. 193-212.

Jacobs, A. 2009 A Tibetan blogger, always under close watch, struggles for visibility, The New York
Times 24th April 2009 [online, URL: http://www.nytimes.com/2009/04/25/world/asia/
25woeser.html?pagewanted=all&_r=0, accessed 10th November 2014].

Turek, M. M. 2013 “In this body and life”. The religious and social significance of hermits and
hermitages in Eastern Tibet today and during recent history (PhD Dissertation, Humboldt
Universität zu Berlin).
in press a, Contemporary revival of the Barom Kagyü school in Kham, in F. Jagou (ed.), Tibetan
Buddhism in Taiwan and in China (Paris, EFEO Publications).
in press b, Milarepa in a People's Commune. Myth and charisma in contemporary Tibetan
hagiography and society, in R. Barnett, F. Robin & B. Weiner (eds), Re-membering Early Contact
between Tibetans and the Chinese Communist Party in the post-Mao Period (Leiden, Brill).

Visweswaran, K. 1994 Fictions of Feminist Ethnography (Minneapolis, University of Minnesota


Press).

Vrij, A. 2000 Detecting Lies and Deceit. The Psychology of Lying and the Implications for Professional
Practice (Chichester, John Wiley & Sons).

Wnuk-Lipinski, E. 1982 Dimorphism of values, social schizophrenia. A tentative description,


Sisyphus: Sociological Studies 3, pp. 19-28.

Yeh, E. T. 2006 “An open Lhasa welcomes you”. Disciplining the researcher, in M. Heimer &
S. Thøgersen, Doing Fieldwork in China (Honolulu, Hawai’i, University of Hawai’i Press), pp. 96-109.

Zhang, Y. 1985 The Great Tibetan-Chinese Dictionary (Bod rgya tshig mdzod chen mo), vol. 1 (Beijing, Mi
rigs dpe skrun khang).

NOTES
1. The word “Khampa” can be an adjective, relating something to Kham or, as in this case, a
proper noun, referring to Tibetans inhabiting the area.
2. As we are about to see, I was told the same lie on two occasions by two different informants.
For these reasons, depending on the context, I will sometimes refer to the deception in the plural
when addressing the fact that it was a reproduced fallacy, and sometimes in the singular to
highlight the fact that it was the same fiction.
3. For an extensive biography see Turek 2013.
4. I understand the process or act of “re-imagination” to be different from “reimagination”. Re-
imagination describes a compensational approach to reconstructing a past, whether conscious or
subliminal, while the latter term describes an interpretative recollection of the past in ways that
emphasize knowing, recognizing, and appreciating, but most of all understanding this
recollection to be the basis for contemporary action. See Turek in press a.

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


27

5. http://www.nytimes.com/2009/04/25/world/asia/25woeser.html?
pagewanted=all&_r=0, accessed 10 November 2014.
6. I thank Gregory Delaplace both for creating this phrase to describe my position in the field and
for encouraging me to explore the self-reflexive side of this ethnographic project.
7. Another circumstance which might have influenced the truthfulness of my interlocutors in
interviews in 2007 was the presence of a camera: I was accompanied by two friends, one of whom
was making a documentary film on the Buddhist revival in Kham (Rodizio 2010). However, since
other studies have devoted much room to discussing the interdependence of ethnography and
film (see Rouch 2003), and also because the film project was not a part of my own work, I will not
discuss it further here.
8. The complexity of the ethnographic process in this case study is described in the section of my
dissertation where I describe the circumstances of fieldwork (Turek 2013).
9. Tibetans have developed strategies and techniques to assess the credibility of tertöns. Parallel
to this practice, but within the Western academic discourse, the work of Michael Aris discusses
biographies from the tertön tradition, applying the categories of “genuineness” and “falsity” to
evaluate the life of the treasure revealer Pema Lingpa (Padma gling pa), whom Aris pronounces
“a charlatan” (Aris 1989). In connection with the number of unaddressed issues that this
approach entails, I fully agree with Denzin and Lincoln who noted how “ the positivist and
postpositivist traditions linger like long shadows” (Sikes 2000, p. 268). I am grateful to Prof. Peter
Schwieger for inspiring me to mention Aris’s work in this contribution (see also Gyatso 2001).
10. I adopt the term “saint” with the awareness of its contextualization within Christianity and
the consequent problematic of its application in a Buddhist environment. I believe, however, that
dialogue with the rich body of studies of Christianity, especially the sociology and anthropology
of Christianity, can only enhance our understanding of social phenomena within Tibetan
Tantrism.
11. I would like to give thanks to Nicolas Sihlé for pointing the genchö category out to me.
12. This is why it seems to me that lying about the personal past of famous masters is more an
oral than a scriptural practice, while working with text calls for other communication
techniques.

ABSTRACTS
In this paper, I will revisit a particular case when informants lied to me during fieldwork in
Eastern Tibet. Ever since the revelation of the lie and during the entire ethnographic process, I
attempted to transcend my own initial, post-positivist naivety about “truth”. As a result,
concerning the field I was studying, the process has guided me to discover a number of truths
that I would have never learned if not for the lies. In terms of a more theoretical discussion, I
have embarked on a reflexive examination of the ambiguities, fictionalities and hybridity of self
and other in this particular case and of the entanglement of the ethnographic self in the social
realities of the field. The most important truth I learned from the lie was that biographies of
Tibetan religious leaders can become objects of intentional construction as ambiguous domains
that involve a highly selective recollection and manipulation of past events. These narrative-
political strategies play an important role in economising the charisma of virtuoso-hermits and
are aimed at self-definition of the Tibetan Buddhist revival, especially in the face of the colonial
presence of the Chinese state and the encroachment of this state into the ritually sealed sphere

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


28

of the hermitage. The paper proposes an examination of the ambiguous, fictional and hybrid
elements of the ethnographic self and other as well as of the entanglement of the two. This
approach can help achieve a polyphonic depth that enhances the validity of not merely this
account, but of ethnographic writing in general.

Dans cet article, je reviens sur une situation de terrain dans l’est du Tibet, situation dans laquelle
l’un de mes informateurs me ment. Depuis la révélation de ce mensonge et pendant toute la
durée du travail ethnographique, j’ai tenté de dépasser ma position initiale naïve et post-
positiviste concernant la « vérité ». Ce processus m’a conduit à découvrir de nombreuses
« vérités » que je n’aurais pas approchées si le mensonge n’avait pas été proféré au départ. Dans
une perspective plus théorique, je réfléchis à l’ambiguïté, la fictionnalité et l’hybridité de la
relation entre soi et l’autre à partir de ce cas particulier. L’article explore aussi l’imbrication de
l’ethnographe dans la réalité du terrain.

INDEX
Mots-clés: mentir, Tibet, bouddhisme, vie religieuse, épistémologie, Kham, renouveau religieux
Keywords: lying, Tibet, Buddhism, religious life, epistemology, Kham, religious revival

AUTHOR
MAGDALENA MARIA TUREK
Magdalena Maria Turek is a Tibetologist working as postdoctoral fellow at Bonn University. Her
work focuses on Eastern Tibet, especially the former kingdoms of Nangchen and Dege – their
current religious revival as well as history and memory practices. In more general terms, her
research interests include the themes of sainthood and charisma in contemporary Tibetan
societies as well as Tibetan and Buddhist materiality.
turek@uni-bonn.de

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


29

Intermezzo. Des animaux friands


d’histoires
Intermezzo. Animals that are fond of story-telling

Laurent Legrain

Je me souviens de ce vieil aveugle qui, sans jamais


quitter les frontières de sa ville, incitait les jeunes
à aller voir de l’autre côté de la montagne : « vous
reviendrez, un jour, m’en parler ».
Dany Laferrière1
1 Dans son ouvrage The Work of the Imagination (Harris 2000), le psychologue américain
Paul Harris fait une synthèse concise, structurée et passionnante des travaux des
psychologues du développement sur l’imagination. Après avoir recensé les résultats de
différentes expériences conduites tant avec des enfants qu’avec des adultes, ses
collègues et lui sont amenés au constat suivant : bien qu’étant capable de séparer ce qui
est de l’ordre de la réalité de ce qui est de l’ordre du jeu ou de la fiction, notre système
émotionnel se trouve stimulé avec la même intensité dans les deux registres 2. Tel est du
moins le résultat du fonctionnement du processus par défaut. L’humain apprend, au
cours de son développement, à contrôler ces émergences émotionnelles en évaluant le
statut ontologique de la stimulation (présente, fictionnelle, fruit d’une anticipation ou
d’une rumination, etc.). Harris est dès lors amené à s’interroger sur ce qui pourrait
expliquer cette faculté à se laisser absorber dans – et affecter par – une histoire, une
fiction, une anticipation. Plus précisément, la question qui le tient et sur lequel il
revient dans sa conclusion est la suivante : comment la pression évolutive qui préside à
notre développement phylogénétique nous donne en héritage cette faculté qui, à
première vue, ne semble avoir fourni aucun avantage décisif à l’être humain.
Spéculativement, il développe deux scénarios. Le premier renvoie aux travaux du
neurologue américain Antonino Damasio sur les « marqueurs somatiques »
(Damasio [1994] 1995) que, malgré leur intérêt, il n’est pas utile de développer ici. Le
deuxième a largement la préférence de Harris et s’articule parfaitement avec certaines
des hypothèses qui concernent l’apparition et l’évolution du langage. Je le développe
très brièvement ici car ce scénario est en mesure de nous dire quelque chose sur « cette

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


30

invincible tendance à se laisser tromper » ainsi d’ailleurs que sur sa doublure fidèle et
éternelle, l’« élan moral qui s’oriente vers la vérité » comme l’écrivait Nietzche dans
Vérité et mensonge au sens extra-moral (Nietzche [1903] 2009, p. 14).
2 Retournons aux origines du langage un bref moment et suivons le fil de l’hypothèse de
Harris. Les premières formes de communication présentes chez les hominidés devaient
contenir des signaux alertant, par exemple, de l’arrivée de prédateurs. Les
protolangages, dont les spécialistes s’accordent à dire qu’ils apparaissent entre 2 et 1,5
millions d’années BP (Hombert & Lenclud 2014 ; Pick et al. 2008 ; Victorri 2005),
présentent l’avantage de se détacher de ces signaux voisés3 irrémédiablement collés à
leur référent dans l’ici et maintenant. La niche écologique dont l’espèce humaine est
partie prenante se voit dès lors dotée d’un phénomène bouleversant supplémentaire 4 et
il est de taille. Au sein de cette niche, Homo erectus émet des signes, c’est-à-dire des
productions, d’abord gestuelles et sonores, qui réfèrent à un « quelque chose » sans que
celui-ci ne soit directement accessible aux sens, ni même présent dans la même
temporalité. Harris note ensuite ceci :
The bulk of displaced testimony is likely to concern real events displaced in time
and space from the utterance itself – such events might have taken place in the
recent past, they might be recurrent, or they might be imminent. Stated differently,
there is no reason to suppose that displaced communication developed in the
service of pretence, fabrication, fiction or myth, though it might have rapidly
included those genres. Rather it developed primarily in the context of honest
testimony about actual events (Harris 2000, p. 89).
3 Il me faudra revenir sur ce point qui touche directement au sujet de cet intermezzo et
qui semble être appuyée par Hombert & Lenclud (2014, p. 424) lorsqu’ils insistent sur ce
qu’ils nomment le mode déclaratif des premiers temps du langage. Mais suivons
d’abord Harris dans la clôture de son raisonnement. Ces récits devaient avoir trait à des
événements émotionnellement chargés puisque ce sont les faits les plus importants
pour la survie du groupe mais aussi ceux qui sont à même d’être le mieux remémorés et
partagés. Le psychologue conclut dès lors en affirmant que l’insensibilité et
l’indifférence à ces récits auraient constitués un appauvrissement de nos capacités
d’action ainsi que de nos capacités d’engagement émotionnel au sein du groupe social
(voir également Victorri 2005).
4 Retenons le point essentiel de ce développement argumentatif : les propriétés de
déplacement et de symbolisation qui fondent les protolangages découplés 5 autorisent
un enrichissement considérable de l’information acquise sur l’environnement et un
engagement social plus profond6. Deux facteurs qui auraient contribué au « succès
reproductif de l’espèce » à condition bien sûr d’être attentif aux récits et d’en être
affecté. Il est évident que pour donner sens aux découvertes archéologiques qui sont à
la base de ces développements hypothétiques, les spécialistes de ces questions doivent
travailler sur la base d’une hypothèse forte qui gravite autour de l’avantage que donne
une fonction particulière (ici la faculté de langage) dans le processus de sélection
naturelle. Ce postulat, absolument vital pour la recherche sur les origines du langage,
réduit souvent le langage à être d’abord et avant tout un vecteur de transmission
d’informations (c’est sa fonction référentielle ou déclarative ou encore constative). Et
cette réduction s’opère la plupart du temps au détriment de ce qui, depuis une
cinquantaine d’années, fait florès en sciences sociales, j’ai nommé les autres fonctions
du langage décrite par Roman Jakobson – conative, phatique, métalinguistique,
poétique, émotive (Jakobson 1963) –, le caractère performatif des actes de paroles

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


31

(Austin 1962) et les théories inférentielles de la communication (Sperber &


Origgi 2005)7. De plus, la prépondérance de la référentialité dans nos réflexions sur le
langage est étroitement imbriquée à des théories de la connaissance qui ne sont
probablement pas universelles (Duranti 2015). J’aurai l’occasion d’y revenir dans le
dernier intermezzo.
5 Mais l’hypothèse de Harris me semble déborder le cadre du débat sur les fonctions du
langage. Ce qu’il nous dit, et qu’il démontre à travers les comptes rendus de très
nombreuses expériences, c’est qu’un humain écoutant attentivement une narration
(qui peut être aussi simple et aussi brève que la description d’un fait passé) est
profondément absorbé dans la narration au point, par exemple, de partager le cadre
spatial, temporel et les variations émotionnelles du personnage central de cette
histoire, et ceci même si le narrateur a pris soin de mettre en avant le statut fictionnel,
donc « faux », du récit (Harris 2000, pp. 48-54 ; voir aussi Metcalf 2002, p. 3 et
Barnes 1994, p. 125). L’homme serait donc une bête à histoires, savourant l’éloignement
de l’« ici » et le détachement du « maintenant » que le langage permet, simulant pour
lui-même, en lui-même devrait-on dire, et presque malgré lui, les rôles des
protagonistes d’une narration. Il semblerait qu’il n’ait, pour ce faire, besoin d’aucune
théorie de l’esprit. Il ne se demande pas ce que le personnage d’une narration pense et
comment il réagit en fonction de cette représentation. Il se met tout simplement à la
place du personnage et se coule dans son point de vue et ses actions. En 1902, un
philosophe français oublié du nom de Jules de Gaultier faisait de ce « bovarysme »,
c’est-à-dire de « ce pouvoir départi à l’homme de se concevoir autre qu’il n’est »
(Gaultier [1902] 2006, p. 10), de cette « force motrice de l’esprit humain » comme
écrivait Michel Leiris, l’un des fondements de l’évolution humaine (Leiris 1990).
L’homme immergé dans un récit, attentif et concerné, éprouverait les plus grandes
peines du monde à freiner l’élan des simulations qui se jouent en lui, et ceci même s’il a
précédemment souscrit à un contrat narratif stipulant par avance que tout ce qui est
raconté est imaginaire8. On comprend que cette promptitude inégalable à se lover dans
les mots, « cette enveloppante crédulité » (Lavagetto 1997, p. 208) soit potentiellement
dommageable à un individu lorsqu’on lui présente, sous les atours de la vraisemblance,
un mensonge visant à lui nuire. Entre « se couler dans les mots » et « se faire couler par
les mots », il n’y a donc qu’un pas. Par ailleurs, restons réaliste. Nous savons que tous
les récits ne nous passionnent pas (loin s’en faut) et que tous les mensonges ne
prennent pas. Il en est des mensonges comme des émulsions dans l’art culinaire, pour
qu’ils prennent il faut les bons ingrédients, une méthode et un certain savoir-faire.
6 À ce stade, il me semble que j’en ai dit suffisamment pour faire comprendre à mon
lecteur que, lorsqu’il s’agit du mensonge, deux points me sont chers : a) l’humain
raffole de narrations et b) sous toutes les latitudes, tout le monde apprend très vite que
cette passion dévorante peut faire des ravages. Hudal en mongol signifie le
« mensonge » dans tout ce qu’il peut produire de dévastateur. Et puis, dans l’au-delà de
cette traduction facile et usuelle, le terme renvoie aux fabrications, « aux torsions de
réalité, volontaire ou non » (Delaplace 2007, p. 243), liées aux actes de paroles comme le
sont les erreurs, les fictions, les illusions, les blagues, les exagérations, les subterfuges
et j’en passe.

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


32

BIBLIOGRAPHIE
Auster, P. [1985] 1987 Trilogie new-yorkaise, vol. 1. Cité de verre (Paris, Actes Sud, Le livre de poche).

Austin, J. L. 1962 How to Do Things with Words (Oxford, Clarendon Press).

Barnes, J. A. 1994 A Pack of Lies. Towards a Sociology of Lying (Cambridge, Cambridge University
Press).

Damasio, A. R. [1994] 1995 L’erreur de Descartes. La raison des émotions (Paris, Odile Jacob, Sciences).

Delaplace, G. 2007 L’invention des morts en Mongolie contemporaine : sépultures, fantômes,


photographie. Thèse de doctorat en anthropologie (Paris, École Pratique des Hautes Études).

Duranti, A. 2015 The Anthropology of Intentions. Language in a World of Others (Cambridge, Cambridge
University Press).

Laferrière, D. 2011 L’art presque perdu de ne rien faire (Paris, Grasset).

Gaultier, J. de [1902] 2006 Le Bovarysme (Paris, Presses de l’Université Paris-Sorbonne).

Harris, P. L. 2000 The Work of the Imagination (Oxford/Malden, Blackwell Publishers,


Understanding Children’s Worlds).

Hombert, J-M. & G. Lenclud 2014 Comment le langage est venu à l’homme (Paris, Fayard).

Jakobson, R. 1963 Les fondations du langage. Essais de linguistique générale (Paris, Les Éditions de
Minuit).

Laferrière, D. 2014 L’art presque perdu de ne rien faire (Paris, Grasset).

Lavagetto, M. [1992] 1997 La cicatrice de Montaigne. Le mensonge dans la littérature (Paris, Gallimard).

Leiris, M. 1990 Préface, in G. Rouget, La musique et la transe (Paris, Gallimard).

Metcalf, P. 2002 They Lie, We Lie. Getting on with Anthropology (London/New York, Routledge).

Nietzche, F. [1903] 2009 Vérité et mensonge au sens extra-moral (Paris, Gallimard, Folioplus
philosophie).

Picq, P., Sagart L., Dehaene G. & C. Lestienne 2008 La plus belle histoire du langage (Paris, Seuil).

Sperber, D. & G. Origgi 2005 Pourquoi parler, comment comprendre ?, in J-M. Hombert (dir.), Aux
origines des langues et du langage (Paris, Fayard), pp. 237-253.

Victorri, B. 2005 Les mystères de l’émergence du langage, in J-M. Hombert (dir.), Aux origines des
langues et du langage (Paris, Fayard), pp. 212-235.

Yurchak, A. 2005 Everything Was Forever, Until It Was No More. The Last Soviet Generation (Princeton/
Oxford, Princeton University Press).

NOTES
1. L’art presque perdu de ne rien faire (Laferrière 2011).
2. Les dispositifs expérimentaux ont comme objet d’analyse les pretend plays des enfants ou la
fiction, le théâtre, le cinéma et le plus souvent les fictions narratives dans les expériences menées
avec des adultes. Le livre d’Harris est enthousiasmant non seulement pour les résultats qui

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


33

constituent des avancées importantes dans l’étude de l’imagination mais aussi pour l’ingéniosité
et la drôlerie des dispositifs expérimentaux qui génèrent les données.
3. Un son voisé est un son produit par l’action des cordes vocales.
4. Je renvoie à l’ouvrage de Jean-Marie Hombert et Gérard Lenclud pour un développement
systématique des modifications de la niche écologique d’Homo erectus (Hombert & Lenclud 2014,
pp. 420-423). Ces modifications sont à la fois indépendantes des comportements de cette espèce
d’homme (elles sont climatiques, environnementales, physiologiques) mais elles sont aussi liées à
des changements comportementaux (les changements de régime nutritionnel et de mode de
charognage, les variations dans l’étendue des déplacements).
5. Les protolangages ne sont pas encore des langues telles que nous les connaissons aujourd’hui
mais elles peuvent déjà faire référence à quelque chose qui n’est pas directement présent aux
sens. Ces mêmes propriétés de déplacement et de symbolisation font pression sur la
transformation des protolangages en langues syntaxiques au cours du million d’années qui suit
l’émergence des premiers signaux.
6. Hombert et Lenclud écrivent : « l’invention du signal découplé entrouvre la porte d’un monde
qui n’existe pas sans le langage » (Hombert & Lenclud 2014, p. 429).
7. Les discours autoritaires qui, durant les années socialistes, ont chapeauté la vie publique des
sociétés qui font l’objet des articles de ce numéro, mettent d’abord à mal la fonction référentielle
du langage (Yurchak 2005).
8. Nous serions enclins à nous accorder sur les fondements narratifs donnés par Marco Polo au
début de son récit : « Pour que notre livre soit droit et véritable, sans nul mensonge, nous vous
donnerons les choses vues comme vues, et les entendues comme entendues. Aussi, tous ceux qui
liront ou écouteront ce récit doivent le croire parce que ce sont toutes choses véritables » (cité
dans Auster [1985] 1987, p. 9). Par contre, durant notre lecture, nous nous retrouverions malgré
nous en porte-à-faux par rapport au cadre posé par Lucien de Samosate au début de son Histoire
véritable écrite au IIe siècle de notre ère « Afin de ne pas être le seul à ne pas profiter de la liberté
d’imaginer des histoires, comme je n’ai rien de véritable à raconter (car il ne m’est rien arrivé qui
valut la peine d’en parler), je décidai de mentir mais avec plus d’honnêteté que les autres, car il
est un point sur lequel je dirai la vérité, c’est que je raconte des mensonges. […] J’écris donc sur
des choses que je n’ai jamais vues, des aventures que je n’ai jamais eues et que personne ne m’a
racontées, des choses qui n’existent pas du tout et qui ne sauraient commencer d’exister. Ainsi
mes lecteurs ne doivent-ils leur accorder aucune créance » (cité dans Lavagetto [1992] 1997,
p. 48). Entre ces deux dispositifs de mise en place du récit, signalons qu’il existe toute une
déclinaison du « peut-être que c’est vrai ». Bito Kasi, l’informatrice de l’anthropologue Peter
Metcalf déjà croisée dans l’introduction de ce numéro, commence toujours ses histoires à
l’adresse des enfants des grandes maisons communautaires de Bornéo par un cinglant « Malut dé,
Malut kila » (They lie, we lie) que Metcalf interprète comme « if they lied, then I lied too ». Bito
Kasi se fait ainsi le porte-voix des récits communiqués par les ancêtres mais indique aussi son
refus de se laisser impressionner par une vérité révélée ainsi que sa fierté d’être la tenante des
traditions de sa communauté. Plus tard, Metcalf dira que Kasi montre ainsi que ses propres
doutes ne signifient pas la fin des histoires mais le début de nouvelles (2002, pp. 8, 16).

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


34

RÉSUMÉS
Cet intermezzo synthétise les résultats d’une déambulation libre et heureuse dans des disciplines
sœurs de l’anthropologie comme la psychologie du développement et la linguistique. Je
m’attache à établir un fondement commun – et humain – à la menterie. C’est dans l’histoire du
développement du langage que je trouve le fondement de cette compétence au mensonge ainsi
que notre irrésistible tendance à nous laisser tromper.

This intermezzo summarises my own exploration into the field of related disciplines of
anthropology regarding the problem of lying (mostly developmental psychology and linguistic). I
aim at establishing a common ground in order to understand why people lie. Drawing on studies
on the development of language skills, I investigate the matter and find some interesting data
that might explain both or ability to lie and our irresistible tendency to let ourselves be deceived.

INDEX
Mots-clés : mentir, archéologie, langage, imagination, représentation de l’autre
Keywords : lying, archaeology, language, imagination, representation of the other

AUTEUR
LAURENT LEGRAIN
Laurent Legrain est maître de conférences an anthropologie à l’Université Toulouse II Jean
Jaurès. Ses recherches portent sur le chant, le langage et l’histoire mongole du XXe siècle. Son
ouvrage Chanter, s’attacher et transmettre chez les Darhad de Mongolie sortait en 2014 dans la
collection Nord-Asie.
laurent.legrain@univ-tlse2.fr

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


35

What does it mean “to lie” in an


“honest village”?
Que veut dire mentir dans un village d’honnêtes gens ?

Andrey V. Tutorskiy

This research was supported by the grant of Russian Foundation for Humanities (project
no. 16-01-01063).
I would like to thank all the dwellers of Prokopievo, especially Irina, Tat’iana, and Andrei who
helped me find answers to questions I had, questions that were met with resistance by others, to
Dmitriy Petrov, Elena Zhelamskaia, Angelina Hlebtsevich and Anton Weingert, students of
Moscow State University, who helped me collect the data and discuss the first results. I’m
especially thankful to Laurent Legrain who suggested to me the topic of lying and edited this
article. My deepest thanks to Professor Caroline Humphrey (University of Cambridge), Anna
Kruglova (earlier University of Toronto and now Higher School of Economics in Moscow), and
Thomas White (University of Cambridge), who gave me valuable recommendations while
discussing the draft. I also appreciate the recommendations of two anonymous reviewers who
suggested further ways to improve the text.

What is Northern European Russia?


1 Before I proceed directly to the topic of this paper, I would like to explain why I call
this village, Prokopievo, the “honest village1”. It is situated in the northern part of
European Russia, in the south of the Arhangel’skaia oblast’ (region). This region is
known to Russian scholars as “the Russian North” and it also includes Vologodskaia
and Murmanskaia oblasts and the Republic of Karelia. The culture of these lands is
syncretic, consisting of Russian peasant and agricultural culture as well as the reindeer
herding culture of different Finno-ugric peoples, especially the Komi. The Russian use
of the term “the Russian North” differs greatly from the Western one, which refers to
all the circumpolar regions of Russia. Hereafter I use this term in its Russian sense.
2 The remoteness of this area plays a major role in the social life of its inhabitants. In the
middle of the 20th century, it took approximately two days to reach the county centre

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


36

(Rus. centr raiona), about 70 km from the village. From the county centre, it then took
another two days to reach the regional centre (Rus. oblastnoi centr): the city of
Arkhangelsk. One of the villagers, Irina, told me, “We live very close to each other.
Everyone knows everything about everyone else. Everyone is accountable in the eyes of
his or her neighbours. It is almost impossible to lie to your neighbours. We are very
honest”. This quote reflects not only the image Prokopievo dwellers have of
themselves, but also the view of other Russian citizens about them. The attribution of
the traits of honesty, openness and the ability to keep promises to the inhabitants of
the Russian North is widespread in other regions of Russia. There is a saying that “in
the Vologda region not even traffic cops take bribes”, meaning that even the most
unpleasant and corrupt people who “have to take bribes” are comparatively honest and
pleasant. There exists another common saying, “Vologodskaia vohra”, which refers to
the prison guards (Rus. vohra) of the Vologda region. “Vohra” is slang for the “armed
guards” in prisons (Rus. Vooruzhennaia Ohrana, officially abbreviated as “VOHR”).
Muscovites say that it is almost impossible to corrupt these guards, as they are highly
devoted to the authorities.
3 In summary, the inhabitants of the Russian North are considered more honest than the
average Russian, and everyone assumes that explicit lying practices are not very
widespread there.

Etic and emic aspects of lying


4 I was working in the village of Prokopievo in July and August 2014 with four
undergraduate students and one PhD student. It was the summer ethnographic practice
for students of Lomonosov Moscow State University. Our main subject was everyday
life in the Soviet collective farm, kolkhoz. This method of fieldwork is not really
effective because the supervisor spends a lot of time working with the students rather
than with the subjects. This initial weakness in my research actually turned out to be a
strength, as the research topic slowly moved from the Soviet kolkhoz to lying practices.
All five students who accompanied me approached different people and tried to
interview them. Fifty percent of the time, they received a negative reaction in a very
interesting form. The villagers would say that “they didn’t know anything”. In some
cases, this statement was justified (that is, when a person was not really sure about the
dates and the details related to historical events):
Student: Could you tell us about the Soviet times?
Villager: Oh! I don’t know anything.
5 In other cases, however, it was evident that this answer did not reflect what the person
actually knew:
Student: Could you tell us about your life in kolkhoz times?
Villager: I don’t know. I was working all the time...
Student: But we don’t need any official information. Just tell us your life story!
Villager: I don’t know anything. Go to someone else. I was working all my life, I
don’t know anything.
6 When we discussed this typical situation within our team, we assumed that
interviewees gave us this answer because they saw us as a group of strangers “from the
city” and therefore people unfamiliar with village life. Our questions were understood
as requests for official information about the village (such as official statistics, exact

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


37

historical facts about collective farms and other similar things) and people believed
that they were unable to provide us with such information. By saying that they had
worked all their lives, people wanted to show that they were not good interlocutors and
were not able to talk in an interesting manner about kolkhoz times. Having understood
their intentions, all the students agreed that this type of answer was a kind of lie in
that it was false from the point of view of formal logic (interviewees stated the opposite
of the actual reality because they knew about their past life during the kolkhoz).
7 After a week in the village, I discussed one of these answers with Tatiana, a woman in
whose house we stayed. She smiled and said: “Maybe she [the person whose answer we
were talking about] was very busy at that time, and maybe she wasn’t in the right mood
to talk to you”. The answer “I don’t know” to a stranger was considered an effective
way to prevent unfavourable, incomprehensible contact with strangers “from the city”.
While this kind of behaviour was not exactly good or admirable, it was seen as
acceptable in such cases. For Tatiana it was not lying, but just unwillingness to talk.
8 Once I was talking to Irina, one of the most “autochthonous” people of the village: all
her ancestors had been born in Prokopievo. She worked for many years at the village
school and knew everyone very well. We were talking about lying in the village and the
possibility of not telling the truth to the neighbours. Irina told me once again that it
was almost impossible to tell lies to them. However, she admitted that there was one
family in the village who always told lies. She explained away the family’s violation of
the prohibition on lying through their origins: “They are not from our village. They
came from Kotlas [a big railway centre, some hundred kilometres away]”. She also
mentioned that the adults in this family were called “those who shit” (Rus. srali, from
srat’, to shit). The Russian word srat’ resembles another word, vrat’, which means “to
lie” or “to cheat”, and people who lie are called “vrali”. The nickname srali thus differs
from the word vrali by only one letter and at the same time it adds a pejorative and
invective dimension. These two words in Russian are very much like the English words
“cheats” (vrali) and “shitters” (srali). She said that all the family members are liars,
even the children. So they have a special diminutive nickname – sraliki.
9 I asked Irina to describe a situation when srali behave as liars. Irina said: “Once I was
going by their house and came in to ask for some milk. Natalia (the wife of the
household, one of “Srali-family”) told me that she would go to check in the fridge. Some
moments later, she returned and said that she didn’t have any milk. But of course she
knew how much milk she had”, Irina said, emotion rising in her voice. “Every good
housewife knows very well how much milk she has. When she said, I’ll check it, what
she meant was that she just didn’t want to give the milk to me. They live on their own,
and they often go to the woods and collect berries. They never give them to the
neighbours, they always sell them. They are not from our village”.
10 This situation seemed very interesting to me. Natalia didn’t pronounce the “magic
words” (I don’t know) as did everyone in response to the questions posed by our team.
She only said that she would check. At the same time the meaning of her behaviour was
exactly the same as if she had said, “I don’t know”. Going to her fridge to check how
much milk she had meant for her neighbours that she was not ready to share her
agricultural products. In the Vologda region, this is an unacceptable way to deal with
neighbours. The correct behaviour in this case could be either giving the last drop of
milk or saying that there was no milk left at all without checking first.

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


38

11 We thus have two different situations. In the first case, where people answered “I don’t
know” about kolkhoz times when they knew perfectly well, there was a formal lie (from
an etic point of view) but the situation was not considered as lying, while in the second
case – Natalia from the “Srali-family” checking to see if there was some milk left – there
was no formal lie but her answer was unanimously regarded as a lie.

Lying in the village through the lens of intimacy


12 Here we shift from field examples to anthropological theory. I would like to state three
points that could be put together to make the situations mentioned above clearer.
13 1. The ideas of intimate vs public sphere have their centrepiece in the concept of a
person as “a bounded, sovereign individual” (Strathern 1988, p. 57). A person is seen as
a self-sufficient unit, an absolutely autonomous social organism. All the “things”,
“topics” and relations that are directly in touch with the person are seen as “private”,
those that are at some distance are seen as more official and public.
14 2. In post-Soviet studies, this idea was turned upside down. Different researchers
coined different terms in order to show this change in the private and public spheres in
Soviet culture. Alexei Iurchak explains in his Russian version of the book Everything Was
Forever Until It Was No More: “Among studies of ‘authoritarian’ systems of power, there is
a widespread model according to which the participants of political speeches, acts and
rituals in such systems should pretend in public as if they support political slogans and
statements of authorities, while in reality they discard them” (Iurchak 2014, p. 58).
Contrary to this model, he argues that the very “public” sphere (in the “Western”
sense) that was occupied by the once and for all created form of Soviet official language
and rituals – what Iurchak calls “ideological discourse” – provided possibilities for
freedom and self-expression. The inflexibility in this discourse led to a “performative
shift” which filled parts of the ideological discourse with new meaning. The public
sphere became more intimate and open to the agency of people (ibid., p. 76). Voting at
the party meetings, for example, was obligatory. Everyone had to vote, and the vote
always had to be in favour of the decision. If someone was against the decision of the
party block or did not want to vote, it could be considered as a betrayal of party ideals
and met with severe punishment. At the same time, voting for a decision did not mean
that a person needed to agree with it or be willing to actualize it. Voting for something
and not knowing for what s/he had just voted was considered quite normal (ibid., p. 73).
I can also add that those who were most active and quick in voting were often
considered to be just as active in not actualizing this decision. Adopting all decisions
without thinking about them was thus considered to be a way of neglecting them.
Those who tried to take party ideology seriously were not so agreeable. As a result, the
public sphere was controlled pro forma and gave possibilities for agency.
15 3. The private and intimate sphere, on the contrary, became more closed and truly
controlled. Cynthia Hooper, a scholar studying Soviet history and culture, shows that,
more often than not, the reason for administrative punishment and even arrest was the
wo/man’s behaviour in the private sphere. Private family life thus became a crucial
testing ground for political beliefs and a focus of new forms of community surveillance,
although in party meetings and the media this surveillance was consistently portrayed
not in opposition to socialist family values and “cultured” interpersonal relations, but
as an essential means of their preservation (Hooper 2006, p. 65). Hooper dates this

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


39

situation back to the 1930s and argues that a tremendous fear of friendship and
intimacy was imposed by the state in the years of the Great Terror (ibid., p. 71).
16 However, I believe that this situation is not specific to the 1930s. A Russian researcher
from Perm, Anna Kimerling, has examined letters to the authorities during the late
Stalin period (1947-1953; see Kimerling 2014). She finds that the desire to reveal
someone’s family problems to the authorities was often initiated from below
(Iurchak 2014, p. 326). In Russian ethnographic literature, there are many cases in
which the behaviour of a young woman or a man was discussed at communal meetings.
Marina Gromyko in her book gives many examples from 19th century Russia about
intimate relations of young unmarried women. If a young unmarried woman was
believed to have had sexual relations with someone, her co-villagers would put a tar
slur on the gates of her house. As a result, the inner, intimate life of this woman would
become public. After this incident, she could ask the community to hold a meeting to
determine her innocence. This procedure would start with an open accusation: the
woman would come to the meeting and asked all the villagers to accuse her. If no one
stood up, she was considered innocent and guiltless. All the people at the communal
meeting would then apologize to her. If someone accused her, however, the elder
woman would inspect the young woman and if she was innocent, the same procedure of
apology would follow. If she was not innocent, it would bring shame and dishonour to
the whole family (Gromyko 1986, pp. 97-98).
17 Making inner life and interpersonal relations public was widespread in
prerevolutionary Russia. Intimate life (sexual relations or drinking vodka at home) was
discussed openly by villagers. This information was very important for the formation of
society. This way of examining private life was embraced by the Soviet state in the
1930s but it was not invented or created by Soviet officials.
18 Returning to our situation – answering “I don’t know” or not telling the neighbour
about the milk – we can see almost the same logic at work. The “public” situation,
where one side of the conversation consists of outsiders (students from the city), gives
the speaker more freedom and opportunity. A villager can tell an outsider almost
anything he wants (to some extent); he can tell partially true stories or close the door
and simply declare that “he doesn’t know anything”. All these possible behaviours
would be judged by the other villagers as permissible, acceptable and honest. There
would be nothing to discuss. On the contrary, the situation between villagers is much
more intimate but gives fewer opportunities for choice: a person should be intimate
and honest. If something strange were to occur in that kind of situation, it would be
discussed in detail by the villagers.
19 This kind of reversal of the private and public spheres still exists in Russian villages,
especially in the northern part of European Russia. I believe one should not attribute
this reversal solely to years of the Great Terror, but treat it also as a feature of a
communal identity or Russian peasant culture, as examples from the 19 th and 21th
centuries demonstrate. It is still important to note that in the times of Great Terror,
this reversal played a very important role and became a centrepiece of state control
over Soviet citizens.
20 I wish to refer here to the meaning of the word honest (Rus. chestnyi). The root chest’
(Eng. “honour”) is used in the word “honourable” (Rus. pochetnyi). The similarity
between these words shows us that being honest is attributed to some extent with
being worthy of respect by one’s neighbours. It is difficult in close, intimate relations

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


40

but rather simple in less intimate and more official ones. However, in order to give the
reader a more complete picture of the relations of honesty and intimacy, more
examples are provided below.

Other possibilities of not telling the truth


21 Two weeks before we left the village of Prokopievo, a group of students interviewed an
elderly man, Ivan Danilovich, about life in Soviet times and on collective farms. Ivan
Danilovich was living in a settlement for lumberjacks some dozen kilometres from
Prokopievo. After the interview, we went to a shop and ordered coffee. While we were
drinking, Alexei, a man from the settlement, came over and asked us who we were. I
briefly told him about the topic of lying. He was very interested and told us about a few
taboos that were common among fishermen. He said that no fisherman would ever tell
anyone about the exact place of fishing or the exact amount of the fish s/he had
caught. He then mentioned that Ivan Danilovich was an expert on this topic. At that
moment, Ivan Danilovich came into the shop.
22 Alexei walked towards him and said:
Danilych, tell us how you fish?
– Oh, I don’t really know much about it...
– Okay, then tell us where you fished last time.
23 Suddenly the face of Ivan Danilovich became sly and he said:
I don’t know. I can’t remember.
– But how can you not know if it was just two days ago?
– I don’t know how, but I don’t know! (laughing)
– And you don’t know what have you caught?
– Of course, I don’t know!
24 At that moment, all the people in the shop started smiling and laughing. The seller cut
off Alexei in a loud voice: “Stop troubling Danilych! He said he doesn’t know anything!”
Alexei turned to us and said: “He will never tell you anything about fishing”. Ivan
Danilovich smiled to us and repeated, “I don’t know”. This was a comedic performance,
and no one showed a negative attitude to the explicit lying of Ivan Danilovich.
25 That same evening, we discussed that situation with Tat’iana and Irina. They also
laughed and said that this type of conversation was very common. Suddenly Irina said:
“Sometimes when I go for mushrooms and don’t collect enough of them, I put some
grass into the basket and lay the mushrooms I have on top of it. So I go through the
village with a full basket. That way, it looks like I did a good job in collecting
mushrooms”. She smiled. Tatiana also smiled: “Yes, those things happen. I sometimes
do the same thing. And no one tells about the places where you can find mushrooms. In
this case, you may lie freely”.
26 These situations were common lying practices inside the community. Saying “I don’t
know” and lying to neighbours was not only possible, but also seen as amusing. The
reversal of public and private spheres cannot explain this. The rationale behind this
type of behaviour and reaction could be explained by applying Russian ethnographic
theory to these situations.

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


41

Intimate topics and internal othering


27 To understand why these situations are possible and in which cases a person can lie
freely and in which cases he should be very attentive, we have to take into
consideration one aspect of Russian rural/peasant culture that is well known to
folklore researchers.
28 Dmitrii Zelenin, a Russian ethnographer of the first part of the 20 th century, wrote in
the book East-Slavic Ethnography: “Word-taboos are very widespread among Russian
fishermen. In the seas and big lakes it is forbidden to pronounce words such as ‘bear’,
‘hare’, ‘priest’ or ‘fox’” (Zelenin 1991, p. 108). There were also beliefs about mermaids
and mermen, or their children (Rus. shilikuny) who could come from the river or lake to
the house of the fisherman (Zelenin 1991, p. 416, 418). To protect themselves, the
fishermen would draw crosses with charcoal on the doors and near the windows.
Zelenin argued that these actions were holdovers of pagan practices.
29 Contemporary researcher Irina Nazarova argues that these superstitions were a way to
bring luck. One way for a person to become more successful in fishing would be to
demonstrate that he was not interested in the haul. Nazarova gives an example: “The
best behavioural strategy for a fisherman is to show complete indifference to what is
happening, reporting by non-verbal means her/his unwillingness to catch the fish. […]
The more people know about your intention to go fishing, the less fish you will catch”
(Nazarova 2009, p. 27).
30 We can conclude that the domain of fishing, or rather discourse about fishing, is
subject to numerous superstitions, rituals and other folklore forms. My field data
cannot explain the origins of all these forms of speech behaviour, but I would like to
stress their contemporary meaning.
31 Was Ivan Danilovich’s pretense of ignorance about fishing just a superstition or can we
also talk about lying here? I believe this situation include both superstition and lying.
Saying “I don’t know” several times Danilovich was trying to avoid saying something
about fishing. His unwillingness to talk is of course a manifestation of the superstition
not to talk about the number of fishes, places of fishing, etc. But after the words of
Alexei – “But how can you not know if it was just two days ago?” – Danilovich switched
to explicit lying. Declaring openly that he doesn’t know what he should know makes
him not only a person who wants to retain “luck” but a person who can lie, do it
explicitly and not be punished by society. This switch to lying was marked by moving
from serious talking to smiling and joking. Right at that time the seller and all the
visitors of the shop started to react to Alexei’s and Danilovich’s words.
32 I would like to stress that a person can avoid the situation of saying prohibited things
about fishing without switching to lying. I can give another example from my fieldwork
in a remote village of the Russian North. I asked a local fisherman about the best places
to fish and fishing technique. He hesitated for a few moments and then said: “How can I
tell you anything? If I do so, I won’t have luck fishing anymore”. He refused to tell me
anything else and we moved on to another topic. Here we see how the superstition can
work without implying a lie of any sort…
33 We should also take into account another argument with regard to the claim of
ignorance, that of “internal othering”. I agree with the anthropologist Rupert Stasch
when he emphasizes that creating others and otherness inside a small group plays a

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


42

very important role in community formation. He writes that his book is a “study of
relations of otherness in Korowai life, showing how otherness is not antithetical to
social connection and social closeness but an integral aspect of social involvement”. He
quotes Viveiros de Castro, who argues that “difference encompasses identity” and
states that “the Amazonian hierarchal synthesis is disjunctive, not conjunctive”
(Stasch 2009, pp. 13-14). For example, a woman from a remote village who marries a
man acquires a new social status, a new family-in-law, and has to observe different
kinds of new practices. At the same time she preserves her relations with her tribe and,
in many circumstances, her children can benefit from these relationships. When a
woman has problems or conflicts in her husband’s village, she can retreat for a period
of time to her native village. This “dispersal field” helps solve a lot of problems
between relatives. As a result, differences such as coming from another tribe helps to
keep peace and even promote closer relations (Stasch 2009, pp. 108-118). Translating
Stasch’s statement to a language more common to Russian ethnographers, difference
and otherness allow for the maintenance of the communal order and the stability of the
village.
34 Returning to the subject of the Russian North, it is obvious that intimate relations
between village dwellers are much more prescribed and regulated than relations with
outsiders. This is the opposite of what is considered as intimate relations in “Western”
culture. Such high-level regulation of relations creates a possibility for conflict.
Research into socialism has shown that the reversal of private and public spheres leads
to increased hostility and suspiciousness in Soviet society.
35 The regular topics of conversation that give village dwellers the possibility to cheat, lie
or simply state “I don’t know” to neighbours without being punished were vital for
them in order to recreate the high level of intimacy in other domains of conversation.
It was very important in the middle of the 20th century and it is still important today in
the early 21st century, because there are very few outsiders in the remote villages of the
Russian North. The situation where a village dweller can talk to an outsider and say “I
don’t know” to him happens very rarely. It is important to stress that the existence of
special topics that require intimacy or that to the contrary allows otherness or
alienness in relationships are not the same as private topics in “Western” culture.
Intimate topics in the West, including love, friendship etc., are spoken about with
certain people (close friends, relatives), often in special places (at home, in a cosy pub
or during long walks in isolated areas). We could argue therefore that various
interpersonal and environmental conditions create intimacy (Berlant 1998, p. 282). In
the case of the Russian North, another way of creating intimacy is the attribution of
conversational topics to the private or public sphere. Some topics require
demonstration of intimacy and honesty (though it can only be a show as in the case of
Natalia) and others require (or allow) alienation or social distance. These topics can be
discussed in different places and with different people.
36 In contrast to topics like mushrooming and fishing that allow for “lying” even between
very close relatives or good friends, the topic of the “importance of agriculture” in
contemporary Russia creates a kind of intimacy between speakers. Just as fishing and
mushrooming are subject to many superstitions, another commonplace theory in
Russian ethnography is that all important rituals in peasant culture are related to
agriculture and agricultural products. The prominent Russian folklorist Vladimir Propp
showed that bread, the main product of agriculture, was used as the synonym for food

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


43

in general and played a role in all important rituals (Propp 2000, pp. 23-40). Baked
bread was a metaphor of the family: the bride should sit on the grains or on the sheaf of
rye after coming to the groom’s house; cutting bread meant dividing family (and was
done, for example, when the eldest son would start to build his own household);
peasants welcomed important guests by giving them bread and salt to demonstrate a
willingness to befriend and include them in society (Zelenin 1991, pp. 142, 152, 332,
382). All these examples show the importance of agriculture in ritual life; however,
economically speaking, during the same chronological period (from the end of the 19 th
to the beginning of the 20th century) 40 % of income was derived from agriculture in
the Central and Northern parts of (Chaianov 1993, pp. 69-97; Radchenko 1930, p. 19).
We can then conclude that even in the Russian Empire of the 19 th century, “the
importance of agriculture” was more important as a cultural value than as an economic
one. Agriculture was also an important part of social class identity.
37 After the October Revolution, ritual life was suppressed but the value of the importance
of agriculture persisted. This idea preceded its life in the juxtaposition of village and
city. In official discourse, authorities spoke about contemporary factories, increase in
production, goals of the five-year plan, and so on. The peasants were seen as “petty-
bourgeois” owners or even kulaki and podkulachniki (rich peasants and those who
supported them). The end of the Second World War saw the beginning of the era of
cosmonautics and nuclear power as well as the decline of agriculture as a cultural
value. Speaking about the importance of agriculture was seen as either a sign of
stupidity, from the point of view of urban inhabitants, or as a way to find someone who
shared common ideas and values, from the point of view of former villagers in cities
and towns, who used this topic to find like-minded people. This situation is similar to
the topic of secret rock concerts in the flats (Rus. kvartirniki, from Rus. kvartira, “a flat”)
among hippies or of tamizdat (Rus. tam, “there” and izdat, “press”: “books published
abroad”) among dissidents. The very act of discussing these topics created a kind of
intimacy between speakers.
38 I was recently involved in a discussion about agriculture which required the
demonstration of intimacy and participation. In 2007, I was conducting fieldwork in a
small town, Petrovsk, in the eastern part of the Vologodskaia oblast. I asked the local
government for a car in order to visit the remote villages of the Petrovsk district. One
of the officials asked me about the topic of my research. At that time, I was studying the
history of collective farms and the transformation of agricultural practices in Soviet
times. The official told me that agriculture was very important for the Vologodskaia
oblast and he said to me: “We are doing the same work”. This statement meant that he
and I knew how important agriculture was for village inhabitants. Touching upon the
subject of rural history and agricultural practices in Petrovsk was seen as a creation of
intimacy (as in the case of asking about milk), so I was eventually given the car.

Conclusion
39 Lying in the honest villages of the Russian North is not only possible but also required
in certain cases. Public lying about specific topics reduces the level of conflict in the
village. From the point of view of the village inhabitants, formal lying is perceived
more as joking than as lying. Based on my field materials, I believe that the topics
readily available for lying, cheating and joking are related to activities outside the

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


44

village (collecting mushrooms, catching fish). Topics related to agriculture and the
inner life of the village require demonstration of intimacy, honesty and participation.
This inner life, the communal one, is considered to be more important from an
economic and social point of view for rural people than relations with outsiders,
strangers and life outside the village.
40 The idea that people from the Russian North do not lie at all stems from observations of
their inner life behaviour, which was influenced by behavioural ethics in pre-
revolutionary communities and Soviet work collectives. It means that lying is neither a
permanent feature of a person nor an aspect of special relations (for example, with
outsiders), but a required way to behave in special situations. In the case of Prokopievo,
these special situations are discussions about fishing and mushrooming. This is why
Vologda traffic cops do not take bribes and why “Vologdskaia vohra” are loyal to the
state. At the same time, the exact same people can willfully give their neighbours false
information about their success in fishing and mushrooming.

BIBLIOGRAPHY
Berlant, L. 1998 Intimacy: a special issue, Critical Inquiry 24(2), pp. 281-288.

Chaianov, A. V. 1993 Izbrannye trudy [Selected works] (Moscow, Kolos).

Gromyko, M. M. 1986 Traditsionnye normy povedeniia i formy obshcheniia russkih krest’ian XIX v.
[Traditional norms of behaviour and forms of communication of Russian peasants in XIXth century]
(Moskva, Nauka).

Hooper, C. 2006 The terror of intimacy. Family politics in the 1930s Soviet Union, in
C. Kiaer &E. Naiman (eds), Everyday Life in Early Soviet Russia. Taking the Revolution Inside (n.p.), pp.
61-91.

Iurchak, A. 2014 Èto bylo navsegda, poka ne konchilos’. Poslednee sovetskoe pokolenie [It Was Forever
Until It Was No More: Last Soviet Generation] (Moskva, Novoe literaturnoe obozrenie).

Kimerling, A. 2014 Pis’ma vo vlast’ v pozdniuiu stalinskuiu èpohu: intimnoe i politika, in Istoriia v
ègo-dokumentah. Issledovaniia i istochniki [Letters to the authorities: the intimate and the policy, in
History in Ego-Documents. Studies and Sources] (Ekaterinburg, Izdatel’stvo «AsPUr»), pp. 325-338.

Nazarova, I. 2009 O nekotoryh strategiiah rybnoj lovli: «udacha» na rybalke [About some
strategies of fishing: «good luck» in fishing], Zhivaia starina 2, pp. 27-28.

Propp, V. 2000 Russkie agrarnye prazdniki. Opyt istoriko-ètnograficheskogo issledovaniia. [Russian


agricultural festivals. The result of historical-ethnographical research] (Moscow, Azbuka).

Radchenko, E. 1930 “Selo Buzharovo”, Voskresenskogo raiona, Moskovskoi gubernii. Monograficheskoe


opisanie derevni [“The village of Buzharovo” of Voskresensk rayon of Moscow guberniia. A Monographic
description of a village] (Moscow, n.p.).

Stasch, R. 2009 Society of Others. Kinship and Mourning in a West Papuan Place (San Diego, University
of California Press.

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


45

Strathern, M. 1988 The Gender of the Gift. Problems with Women and Problems with Society in Melanesia
(Berkeley, University of California Press).

Zelenin, D. 1991 Vostochnoslavianskaia ètnografiia [East-Slavic Ethnography] (Moskva, Nauka).

NOTES
1. The names of the persons and villages have been changed.

ABSTRACTS
This study is an exploration of the role that lying plays in the everyday life and identity
construction of the dwellers of the Russian North. I conducted fieldwork in the village of
Prokopievo, Ustiany district in Arhangel’skaia Oblast’ in summer 2014. Intimacy constitutes the
crucial concept around which the article is built. The deepest contradiction of intimacy is that
the intimate relationships are seen as “lasting over years” and “having therapeutic function”
but, at the same time, they make possible “the unavoidable troubles and disruptions”. Lying in
the Russian North is seen as a negative practice, not common for the local people who favour a
“culture of honesty”. By contrast, the stranger, coming from the city, and village migrants are
predominantly perceived as liars. As a consequence, “not saying the truth” to those kinds of liars
(otnekivanie) is acceptable. As Viveiros de Castro and Rupert Stasch have both shown, this sort of
small breaches in the communicative order can be used as a means to maintain and consolidate
long-lasting close relations in small communities. In the article, I also stress the fact that there
are special topics where lying is not just possible but even condoned.

Cet article constitue une exploration du rôle joué par le mensonge dans la vie quotidienne et
dans la construction identitaire en Russie européenne septentrionale. J’ai réalisé mon travail de
terrain dans le village de Prokopiévo, dans le district d’Ustiany dans l’Oblast d’Arkhangelsk
durant l’été 2014. L’intimité est le concept crucial sur lequel s’appuie cet article. La contradiction
contenue dans ce concept est celle-ci : les relations d’intimité sont souvent perçues comme
éternelles ou comme ayant des effets thérapeutiques. Mais, dans le même temps, elles suscitent
des problèmes et des perturbations. Le mensonge est une pratique conspuée dans la Russie
septentrionale. Les locaux favorisent une « culture de l’honnêteté ». A contrario, les étrangers,
venus de la ville ou les migrants ruraux sont généralement perçus comme des menteurs. Ne pas
dire la vérité à ce genre de menteurs (otnekivanie) est une pratique acceptable. Viveiros de Castro
et Rupert Stasch ont récemment montré que ce style de fissures dans l’ordre communicatif est
utilisé pour maintenir et consolider les relations de long court dans les petites communautés.
Dans cet article, je souligne également le fait qu’il y a des pratiques au sein desquelles il est
autorisé de mentir.

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


46

INDEX
Keywords: Russia, lying, cultural identity, post-socialism, fishing
Mots-clés: Russie, mentir, identité culturelle, post-socialisme, pêche

AUTHOR
ANDREY V. TUTORSKIY
Andrey V. Tutorskiy is associate Professor in the Department of Ethnology, Faculty of History at
Lomonosov Moscow State University. His areas of expertise are the Russian agricultural
community and communal traditions in Northern European Russia. His main publications are The
Problems of Ethnographical Study of Russian Peasants (with A. Nikishenkov and I. Perstneva)
published by the Moscow State University Press in 2009 (in Russian) and Contributions to the
Methodology of Micro-Topographical Study of Rural Settlements. The Experience of Russian Ethnography
published in Historical Geography Annual published by Krug-Moskva in 2012 (in Russian).
tutorski@gmail.com

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


47

Intermezzo. Hudal. De l’erreur aux


tromperies en passant par l’art bien
balancé de l’éternel brodeur
Intermezzo. Hudal. From error to deceit and from joke to well-balanced
digression and bullshit

Laurent Legrain

Mentir et dire des mensonges


1 Dans les premiers développements de son chapitre sur les menteurs, Michel de
Montaigne récuse la distinction entre « dire mensonge » et « mentir », jadis opérée par
les grammairiens : « […] dire mensonge, c’est dire chose fausse mais qu’on a prise pour
vraie ». Les menteurs, par contre, disent « contre ce qu’ils savent ». Mentir c’est « aller
contre sa conscience » (Montaigne [1595] 2009, p. 157). Cette distinction s’estompe dans
le français moderne puisque « dire [des] mensonge[s] » est aujourd’hui repris sous le
vocable « faire une erreur » ou tout autre vocable dérivé exprimant la faute non-
intentionnelle. Aujourd’hui, c’est dans l’intention du locuteur que l’on trouve la
présence ou l’absence du menteur et du mystificateur. Dans l’un des seuls ouvrages de
sociologie entièrement consacré au mensonge – A Pack of Lies. Towards a Sociology of
lying –, J. A. Barnes reprend à son compte la définition de sens commun et en fait la base
d’un travail de réflexion sur la menterie dans divers domaines de la vie contemporaine
(la guerre, la science, la publicité, l’histoire, la politique) : « un mensonge est une
proposition destinée à tromper un dupe à propos de l’état du monde et ce compris les
intentions et les attitudes du menteur » (Barnes 1994, p. 11) 1. La définition des
fabrications de Goffman enrichit cette première tentative en incluant, par exemple, le
mensonge par omission. Dans Les cadres de l’expérience, le sociologue américain écrit que
la notion de fabrication dénote les « efforts délibérés, individuels ou collectifs, destinés
à désorienter l’activité d’un individu ou d’un ensemble d’individus et qui vont jusqu’à
fausser leurs convictions sur le cours des choses » (Goffman [1974] 1991, p. 93).

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


48

2 Si la sagesse populaire souligne que l’occasion fait le larron, lorsqu’il s’agit de mentir,
c’est l’intention qui fait le menteur. Qu’en est-il en Mongolie ? Hudal peut prendre le
sens de mensonge intentionnel comme je le développerai dans l’intermezzo final. Il est
important de le rappeler parce qu’à force de distinguer le terme hudal du mensonge au
sens strict, on en oublierait presque que les Mongols mentent aussi comme nous
l’entendons. Le terme, il est vrai, peut se colorer d’autres teintes et c’est ce dégradé qui
sera au centre de ce texte.

De l’erreur au manque d’à-propos


3 Hudal peut signifier l’erreur et dans ce registre, sa signification s’étend jusqu’à englober
le « manque d’à-propos » ou les « propos inappropriés » à une situation. L’exemple
suivant le montre :
4 « Il faut une vie pour se bâtir une réputation, un jour pour la briser » 2 dit
proverbialement un homme attablé à quelques pas de moi dans ce petit restaurant des
faubourgs de la capitale. Le sujet est grave puisque les deux hommes conversent de
l’éventuelle possibilité de remettre au travail d’anciens alcooliques. L’amateur de
proverbe ne semble pas favorable à cette idée progressiste. Sans hésiter, son comparse
lui répond : « c’est une erreur » (ene bol hudlaa). Il faut beaucoup de force de caractère à
cet anonyme dans l’âge mûr pour affirmer que l’invocation de ce proverbe est une
erreur. En réalité, la valeur intrinsèque du proverbe lui-même n’est pas visée. Personne
en Mongolie (du moins personne que je connaisse) n’irait jusqu’à prétendre que cette
réserve inépuisable d’aphorismes et de proverbes que l’on trouve dans la littérature
orale est truffée de mensonges. Par contre, leur invocation peut être déplacée comme
c’est le cas ici. Hudal dénote donc l’erreur dont l’un des hommes de cette petite
séquence se rend coupable sans véritable intention de tromper son interlocuteur. On
pourrait tout juste l’accuser de vouloir emporter l’adhésion de son comparse un peu
rapidement en lui assénant une vérité qui a traversé les âges encapsulée dans des vers
allitérés qui s’immiscent si durablement dans les mémoires. Pourtant, cette vérité n’a
pas sa place dans la discussion du moment. L’un des sens courant du hudal mongol est
juste celui-ci : dire une chose juste mais à mauvais escient sans pour autant avoir
l’intention de tromper.

Fariboles, fourberies, balivernes et baratin : de l’art


bien balancé de la broderie
5 Dans son livre La cicatrice de Montaigne, Mario Lavagetto analyse un épisode de L’Odyssée
d’Homère. Ulysse, de retour à Ithaque, méfiant du sort qu’on lui réserve, brode
rapidement une fiction pour justifier sa présence sur la plage au jeune homme qui le
trouve couché là sans toutefois le reconnaître. Ulysse est un menteur d’envergure et il
se sort de l’embarras avec brio. Athéna, admirative, se montre alors sous l’apparence
d’une grande et belle femme et loue l’habileté d’Ulysse, dissimulant son éloge sous le
masque d’un reproche amusé :
Quel fourbe, quel larron, quand ce serait un dieu, pourrait te surpasser en ruses en
tout genre !... Pauvre éternel brodeur ! N’avoir faim que de ruses !... Tu rentres au
pays et ne penses encore qu’aux contes de brigands, aux mensonges chers à ton
cœur depuis l’enfance... (Lavagetto [1992] 1997, pp. 14-15).

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


49

6 Ces reproches amusés, je les ai entendus plus d’une fois adressés à des enfants mongols.
Un récent spectacle satyrique (hošin šog), genre à succès en Mongolie, met en scène l’un
de ses jeunes affabulateurs (joué par un adulte). L’enfant rejoint un frère cadet sur les
pâturages et, alors qu’ils gardent ensemble les moutons et les chèvres, le voilà
racontant à son cadet toutes sortes de calembredaines qui vont de la banale
exagération à la réinterprétation d’un mythe (qu’il présente comme vrai), ou encore de
la vantardise à la blague, piège habilement tendu au cadet pour lui démontrer sa
naïveté. Sur ces entrefaites, le père arrive très en colère des suites d’une affaire de pipe
« empruntée » par le jeune menteur. L’adulte n’arrivera jamais à connaître le fin mot
de l’histoire de la disparition de la pipe. La plaidoirie de l’enfant virevolte d’une
histoire à une autre, devenant de plus en plus abracadabrante mais de plus en plus
savoureuse tant la langue y est habilement ciselée, tant l’histoire – pourtant constituée
d’éléments hétérogènes – est lissée, sans suture apparente, et tant la narration caracole
de-ci de-là sans hésitation. Les auditeurs (le père et les spectateurs dans la salle) ne
détectent, par exemple, aucune déviation syntaxique, signe habituel de l’escamotage
malhabile d’une pensée. Le père subjugué, les bras ballants, ébahi, prend juste le temps
de lâcher « comme tu racontes de beaux mensonges » (či jamar sajhan hudlaa jarž bajna)
avant d’être emporté sur les ailes de la narration à bonne distance de la plaidoirie : sur
la route du district voisin, en effet, un animal étrange est apparu à l’enfant... L’affaire
de la pipe tombe dans les limbes. Et les trois acteurs de quitter la scène collés l’un à
l’autre, serrés « autour du feu de [l]a parole » du jeune garçon comme le notait
Lavagetto pour les auditeurs d’Ulysse (Lavagetto [1992] 1997, p. 21). La salle est hilare et
émue…
7 Dans « Dangerous Fortunes », l’anthropologue Mette High a souligné cette admiration
pour l’art du mensonge dans les zones rurales mongoles (High 2008, pp. 42-45). Elle a
aussi jeté les bases d’une ethnographie de l’apprentissage de cet art par des jeunes
enfants3. High insiste sur plusieurs points que je me contenterai d’évoquer ici, ayant
déjà eu l’occasion de les développer en d’autres lieux et en d’autres temps
(Legrain 2014b). Le bon menteur fait preuve d’une admirable habilité à cartographier
l’horizon de vraisemblance de ses auditeurs. Pour bien mentir, il faut en savoir
beaucoup. L’enfant mongol mis en scène dans ce spectacle satyrique illustre aussi un
double tour de force au nom duquel tous les menteurs juvéniles que compte la
Mongolie peuvent être un jour admirés. Dans une société où l’on attend surtout que
l’enfant n’interfère pas dans les conversations des aînés et qu’il ne soit qu’oreilles, le
jeune garçon parvient non seulement à attirer l’attention d’un adulte mais il la capture
un long moment. De plus, avec le plaisir rythmique que procure un art oratoire
parfaitement balancé et maîtrisé, il transmute la monotonie du quotidien en récits
magnifiques et captivants. La remarque finale du père semble indiquer qu’il ne le croit
pas une seule seconde. Mais quelle est encore la place de la vérité face à cette « tactilité
des mots » comme dit élégamment Lars Højer (Højer 2004, p. 51) pour désigner le
caractère de ces mots qui touchent, manipulent, enjôlent, cajolent, caressent… Des
paroles qui trouvent leur efficacité dans les multiples mondes ou multiples possibles
qu’elles déploient et étalent devant les yeux des auditeurs. Des paroles, donc, qui ne
s’évaluent pas à l’étalon de la vérité ou de la fausseté mais plutôt à partir d’un critère
tel que l’efficacité, auquel on opposera la parole vaine (demij jarih, et par là dangereuse,
j’y reviens), ou tel que la capacité à s’infiltrer dans l’esprit (setgeld šingeh), auquel on
opposera, par exemple, la parole oubliée. Et l’on pourrait continuer à chercher, sur le

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


50

modèle de ce que Marcel Detienne (1967) proposait dans Les maîtres de vérité dans la
Grèce archaïque, des couples d’oppositions qui éloigneraient, petit à petit, les histoires
du jeune garçon du mensonge per se (Detienne 1967).
8 Pourtant, même face au triomphe de cette parole efficace, le père sait bien que son
enfant ment ou distord la réalité mais il se laisse aller au plaisir de l’entendre. En
s’abandonnant si totalement, le père abandonne un autre type de jeu de langage dont je
peux affirmer, avec Mette High, qu’il est courant dans les zones rurales mongoles. Le
jeu en question consiste à tenter de coincer le menteur, à faire voler en éclat la
cohérence de son discours, à le pousser à la faute, à la contradiction, à faire oublier au
brodeur d’histoires ce qu’il avait lui-même posé comme vrai un peu plus tôt et, ainsi, à
déchirer la fragile toile qu’il a tissé en entremêlant les fils de ses propositions
précédentes. Force est de constater que les protagonistes d’un tel jeu se trouvent à
nouveau sous l’emprise d’un « appétit référentiel insatiable » (Lavagetto [1992] 1997,
p. 208). Autrement dit, ils cherchent à savoir, sur un mode ludique, si les paroles
prononcées renvoient à quelque chose de ce monde qui n’est pas ou plus présent ou s’il
s’agit d’une pure élucubration. Si l’enfant trouve les parades, alors il aura bien menti.
C’est un jeu d’habileté et de présence d’esprit dans lequel s’immisce le corps puisque
pour l’emporter, ni le geste, ni la voix, ni le débit de la narration ne doivent trahir
l’énonciateur. Les protagonistes mesurent ici leur habileté à détecter le mensonge, non
celle à trouver la vérité bien que la réalité serve d’appui aux estocades qu’on porte au
récit de l’enfant. L’ethnographie de High (High 2008) ainsi que la mienne
(Legrain 2014b), place ce jeu d’habileté narrative au premier plan de l’analyse, peut-
être simplement parce qu’avoir observé cette forme subtile de menterie, si dépouillée
de tout jugement moral, nous a surpris et enchantés.
9 L’enfant de la saynète débute son récit final en annonçant qu’il « a vu une chose très
étrange4 » (ih sonin jumyg harsan). Il s’avèrera dans la suite de son histoire qu’il s’agit
d’un animal fantastique. La fin de la saynète et la sortie des acteurs nous empêchent de
savoir si l’enfant use, pour faire croire à son récit, des mêmes procédés narratifs que
ceux que Grégory Delaplace met en relief dans les histoires de rencontre de fantôme
que lui ont contées des pasteurs Dörvöd de l’Ouest de la Mongolie (Delaplace 2008). Ces
récits de rencontre, note l’anthropologue, sont toujours susceptibles d’être taxés de
balivernes, de fabrications créées de toute pièce par un esprit trop prompt à
l’édulcoration et à l’enjolivement. Il arrive cependant qu’ils soient crus et se
répandent… peut-être moins parce qu’ils trouvent dans leur nature contre-intuitive un
adjuvant renforçant l’intérêt qu’ils suscitent – ce que soutient Boyer par exemple
(Boyer 2001) – que parce qu’ils sont racontés dans le style narratif qui convient.
Personne, à ma connaissance, n’a montré mieux que Grégory Delaplace que « la lutte
pour la vérité est aussi une lutte de style » (Duranti 2015, p. 118). En disséquant les
enregistrements de ces histoires, l’anthropologue met au jour des procédés similaires
qui structurent et teintent la narration d’une couleur spécifique. Cette analyse est un
travail d’orfèvrerie dont il est difficile de rendre toute la subtilité. Je me contenterai
donc d’un prélèvement opportuniste en ce qu’il alimente ma réflexion sur le hudal.
Chez les énonciateurs primaires (c’est-à-dire ceux qui ont fait l’expérience de la
manifestation du fantôme), les récits se nouent sur une « trame perceptive » qui met en
scène, non des impressions vagues, mais « l’impression précise de quelque chose de
vague », de ténu et d’intense, d’intermittent. Pour ce faire, la conjonction de
subordination « comme » est très fréquemment utilisée bien que sa fonction,
d’habitude métaphorique, soit ici analogique. Il ne s’agit pas, en effet, de rendre

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


51

similaire ce qui est différent mais de distinguer des sensations malgré leur
ressemblance et ainsi, de faire de la narration, le compte rendu de l’expérience d’un
« décalage », d’une absolue irréductibilité. « Quelque chose a comme tiré ma jambe » dit
une des interlocutrices de Delaplace (Delaplace 2008, p. 228). C’était donc à la fois
proche mais totalement différent. De plus, le narrateur lui-même présente de prime
abord ses sensations singulières comme des illusions (hudlaa jum šig) qui vont être
amenées au statut de réalité par un « agent identificateur » légitime (un spécialiste
rituel, un nourrisson ou un animal puisqu’ils possèdent tous les trois une relation
intime aux invisibles). Ces procédés narratifs (l’un stylistique, l’autre compositionnel)
montrent que la manière de « raconter l’invisible » détermine l’évolution du statut du
récit en le faisant passer, au fil des mots, de l’illusion (hudal) à l’histoire crue et donc
tenue pour vraie.
10 Delaplace souligne qu’il est très difficile de collecter des histoires de fantôme que les
Dörvöd tiennent pour peu crédibles puisque, en Mongolie comme ailleurs, « répéter un
“mensonge”, c’est d’une certaine manière “mentir” soi-même » (Delaplace 2008,
p. 248). Dans son manuscrit de thèse, Delaplace écrivait également : « L’homme
accompli est un homme de confiance et un homme qui n’accorde pas à n’importe qui sa
confiance, qui sait distinguer parmi les personnes de son entourage, celles dont la
parole est sûre » (Delaplace 2007, p. 206). Est-ce à dire que tout ce que je notais sur
l’ingéniosité de l’enfant affabulateur est strictement réservé au temps heureux de
l’immaturité ? Pas le moins du monde. Lorsqu’il évoque l’homme accompli, l’homme
capable d’identifier la parole sûre, Delaplace ancre sa réflexion dans les routines du
pastoralisme nomade. L’information correcte y tient effectivement une place vitale.
Connaître à distance, par ouï-dire, la qualité des pâturages, les tribulations
météorologiques, le débit des cours d’eau, les chemins praticables, les comportements
des grands prédateurs, permet la planification des déplacements ainsi que les prises de
décision afférant à la répartition du troupeau entre les membres du réseau d’obligation.
Dans le contexte des activités pastorales, l’homme accompli est donc un homme de
confiance qui ne transmet que des informations justes5. Rien n’assure que l’on ne
retrouvera pas le même homme, plus tard, dans quelques fêtes bien arrosées, racontant
calembredaines sur billevesées, laissant le suc de ses récits fictionnels imbiber
l’audience et l’embrouiller, la saouler jusqu’au vertige, défiant son public de départager
le vrai du faux. La vérité sur l’état des pâturages pourra bien, après tout, attendre le
lendemain. Comme le dit Delaplace, qui reprend Bakhtine, un genre de discours est
« un type relativement stable d’énoncés qui, par leur “contenu thématique”, leur “style
linguistique” et leur structure compositionnelle reflète la sphère de communication –
correspondant elle-même à une sphère d’activité humaine – à laquelle ils
appartiennent » (Delaplace 2008, p. 243). À la sphère d’activité du pastoralisme,
l’information juste est celle qui convient. À la sphère des rapports avec les morts
(surtout dans ce qu’elle contient de rencontres inopinées et hors cadre rituel) convient
la lente construction commune d’un récit crédible. À la sphère des cérémonies festives,
convient la liberté de « s’en prendre à son aise avec la véracité » (Lenclud 2009) et de
s’en amuser, à condition d’être « habile et élégant dans les gestes », « adroits et sages
dans les mots ». Le récit mensonger peut aussi huiler les rouages de la sociabilité, faire
naître la concorde, capacité qui figure elle aussi au premier rang des qualités d’un
homme accompli (Legrain 2014a, p. 99).

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


52

Mensonge, partialité de la connaissance et asymétrie


des configurations interactionnelles
11 Montaigne tient les menteurs en horreur et nous assure ne pas être de leur troupe. Quel
lecteur ne s’identifierait pas à ces serments ? Montaigne, pour parer à tout soupçon,
avance un argument auquel peu d’entre nous penserait. Quand bien même aurait-il
voulu être le pire des menteurs, nous dit-il, il n’aurait pu, faute d’avoir une mémoire
suffisamment bonne. Le bon menteur est contraint de se souvenir de ce qu’il a dit et à
qui il l’a dit. Il doit avoir une idée claire de qui sait quoi, au sujet de qui et de quoi. Une
mémoire cristalline « constitue le pivot de [l’]art » du mensonge (Lavagetto [1992] 1997,
p. 99). Georg Simmel a lié ses réflexions sur le secret et le mensonge à cette évidence de
la relation humaine. « Toutes les relations entre les hommes reposent […] sur le fait
qu’ils savent des choses les uns sur les autres » et, plus loin, Simmel étaye cette
assertion d’une formule lapidaire : « savoir à qui l’on a affaire, telle est la condition
première pour avoir affaire avec quelqu’un » (Simmel [1908] 1992, p. 347). Ce savoir,
insiste-t-il, est distribué de manière différenciée, en constante reformation et
redistribution en fonction de ce que l’on apprend sur l’un et l’autre. Il existe deux
manières d’en savoir plus sur les personnes à qui l’on a affaire : soit nous les côtoyons,
soit nous entendons parler d’eux à travers une série de medias aujourd’hui très divers.
Quoiqu’il arrive, c’est à partir de ces fragments, nous dit Simmel, que nous construisons
l’unité d’une personne (Simmel [1908] 1992, p. 348). Rupert Stasch, l’un des
anthropologues à prêter attention aux théories de Simmel, mène ses recherches parmi
les Korowai de Nouvelle-Guinée, une population peu nombreuse, à l’habitat clairsemé
dans d’épaisses forêts. Dans son ouvrage Society of Others, il écrit :
L’horizon spatial limité qui me permettait d’entendre et de voir à un moment
donné est une des raisons pour laquelle ce livre est intrinsèquement partial et
constitue une tentative provisoire. Pourtant, en entendant parler des événements,
des gens et des pratiques via d’autres personnes, je fis l’expérience de ce paysage
social dispersé d’une manière assimilable aux préoccupations routinières des gens
concernant l’incertitude née de la séparation et la partialité de la connaissance. Ceci
constitue une caractéristique intégrale du lien social [chez les Korowai]
(Stasch 2009, p. 42 ma traduction).
12 À mon sens, ce que Stasch dit des Korowai est pertinent pour qualifier la vie des zones
rurales mongoles où les populations vivent dispersées sur d’immenses territoires. Tout
étranger (ou demi-étranger) dont la silhouette se découpe à l’horizon représente un
danger mais aussi la potentialité d’un accès à des informations vitales ou des rumeurs
intéressantes (Humphrey 2010, p. 65). Puisque cet autre vient d’ailleurs, il doit être au
courant de ce qui s’y passe et de ce qui s’y est passé. La question est évidemment de
savoir ce que ces hôtes savent de lui et ce que l’étranger sait des hôtes. Autant
l’information sur l’environnement écologique doit circuler librement, autant
l’information qui porte sur les personnes qui peuplent cet environnement est divulguée
avec parcimonie car on craint les malédictions ou la cristallisation de l’infortune que
provoque le trop plein de parole au sujet d’une personne. Inutile de dire que malgré ces
craintes, l’information sur les faits et gestes de chacun circule rapidement. De
nombreux chercheurs ont déjà montré la puissance de ce type de savoir dans le jeu
interactionnel mongol. « Si je te connais, je te contrôle » (bije bijen medeh) dit-on,
révélant par-là que la connaissance (medleg) n’est pas seulement cognitive mais inclut
la possibilité du confinement de l’agencéité et donc le contrôle exercé sur autrui 6.

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


53

13 Pour Simmel ([1908] 1992), cette partialité de la connaissance, sa dispersion et sa


circulation instaurent la possibilité même du mensonge. Impossible de mentir ou de
détenir un secret si tout le monde est au courant des mêmes histoires au même
moment (voir Tutorskiy, ce numéro). En Mongolie, deux facteurs vont accroître la
puissance potentiellement nocive du mensonge. Le premier facteur est qu’il est parfois
plus difficile de recouper les informations lorsqu’on évolue au sein d’un réseau de
relations où l’idée même du différentiel de connaissance est intrinsèquement liée à la
séniorité et aux prohibitions qui lui sont liés. Si un aîné se fait le porte-voix d’une
rumeur nauséabonde qui concerne votre fils, vous n’irez pas recueillir la version de ce
dernier pour vous faire une idée de la véracité des dires de l’aîné. Le deuxième facteur
qui favorise la toxicité des mensonges tient dans la nécessité vitale de construire et de
maintenir une réputation sans aucune lézarde. « Mieux vaut se casser les os que la
réputation » (Ner hugarahaar jas hugar) dit un proverbe qui est sur toutes les langues. On
comprend la force de destruction du mensonge d’un aîné au sujet d’un cadet dans une
telle configuration interactionnelle.
14 Si le mensonge devient si aisément l’arme de l’aîné, il peut tout aussi bien être le
bouclier du cadet. On peut éviter la réprimande, s’échapper d’une tâche pénible, se
rendre intéressant, etc. En conclusion, j’aimerai aborder un autre genre de relations
asymétriques nimbées de belles paroles et de tromperies. Il est dit en effet que les âmes
des morts se font facilement abuser par les paroles humaines, à la différence des esprits
des espèces sauvages avec lesquels le chamane des sociétés de chasse entre en relation.
Comment pourrait-on mentir à ces derniers puisqu’ils ne parlent pas ? Comme le
souligne Roberte Hamayon, le chamane peut ruser, il peut retarder le transfert de force
vitale des humains vers les esprits mais il ne peut l’empêcher en racontant n’importe
quoi à des êtres qui n’entendent rien au langage humain (Hamayon 2012). Il ne peut
substituer par des mots – aussi habile soit-il – la force vitale, le terme essentiel de leurs
échanges. Le chamane de ces sociétés ne négocie donc pas, il encorne ses concurrents,
séduit par sa vitalité et se donne entièrement – mais lentement – à cette relation.
Humains et esprits d’animaux sont ontologiquement différents mais la relation qu’ils
tissent est symétrique. Il en est autrement lorsqu’on s’adresse aux âmes des morts. Les
vivants, bien qu’ils aient à attendre surveillance et protection de leurs morts les
trompent continuellement. La raison en est simple : on peut gagner sans rien perdre. Et
puis l’occasion est trop belle. Les âmes des morts comprennent le langage humain, ils
entendent les sons aussi bien (peut-être mieux) que les humains, comprennent les mots
prononcés mais ne conçoivent pas que le langage montre tout autant qu’il cache. Les
âmes des morts prennent les paroles humaines comme de parfaites descriptions de ce
qui est. Ils ne comprennent pas qu’un hiatus s’est glissé entre le mot et la chose et que
les humains sont passés maître dans l’art de le tourner à leur avantage. Il faut
directement ajouter, cependant, qu’en Mongolie, je n’ai entendu personne affirmer
qu’on raconte des mensonges (hudal) aux morts. Pourtant si l’on suit l’anthropologue
Alan Wheeler et le linguiste Sechinchogt, il se pourrait bien que le terme ait dérivé de
ce type de tromperies.
15 Voici, résumées en un paragraphe, les étapes du raisonnement de Wheeler. Huda est
« un terme ancien désignant une forme d’alliance entre deux familles qui passe par
l’arrangement du mariage de leurs enfants respectifs » (Sechinchogt cité dans
Wheeler 2004, p. 220). Cet arrangement entraînait des négociations sur le « prix » de la
fiancée et, conséquemment, la possibilité de tromperie. De plus, l’instauration de ces

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


54

relations nécessitait de duper les « esprits du clan » de la fiancée, peu enclin à voir
partir l’une des leurs pour une existence lointaine, en organisant le rapt de la jeune
fille. Huda aurait ainsi dérivé en hudal et plus loin encore en hudaldaa (commerce)
puisque la mise en place d’une relation huda était un moyen solide d’étendre son réseau
d’échange et de commerce en profitant des relations des deux familles (Wheeler 2004,
p. 221). Le lien entre mensonge et commerce ne serait donc pas venu de la vénalité des
marchands chinois dont les maisons commerciales proliférèrent en Mongolie au XIXe
siècle, enferrant des Mongols sans expérience des affaires dans un écheveau de relation
commerciale qui mena au surendettement. Je reviendrai sur ce point dans le dernier
intermezzo. Retenons ici que hudal vient possiblement de l’usage de la tromperie dans la
relation asymétrique qui lie les humains et leurs morts. « Il est remarquable » écrit
Roberte Hamayon « que les esprits des morts humains soient tout à la fois “pris pour
des imbéciles7” qui se laissent facilement abuser et tenus pour des supérieurs à
respecter. Cet aveu d’hypocrisie suggère que la tromperie accompagne tout
naturellement les relations asymétriques et hiérarchisée qui lient les humains vivants à
leur morts » (Hamayon 2012, p. 267). Là-haut, Simmel opine sans doute du chef à moins
qu’il soit le seul mort à se méfier de ce que racontent les humains.

BIBLIOGRAPHIE
Alaux, M. 2007 Sous les yourtes de Mongolie. Avec les fils de la steppe (Paris, Transboréal).

Barnes, J. A. 1994 A Pack of Lies. Towards a Sociology of Lying (Cambridge, Cambridge University
Press).

Boyer, P. 2001 Et l’homme créa les dieux. Comment expliquer la religion (Paris, Robert Laffont).

Bulag, U. 1998 Nationalism and Hybridity in Mongolia (Oxford, Clarendon Press).

Delaplace, G. 2007 L’invention des morts en Mongolie contemporaine : sépultures, fantômes,


photographie. Thèse de doctorat en anthropologie (Paris, École Pratique des Hautes Études).

Delaplace, G. 2008 L’invention des morts. Sépultures, fantômes et photographies en Mongolie


contemporaine (Paris, CEMS/EPHE, Nord-Asie 1)

Detienne, M. 1967 Les maîtres de vérité dans la Grèce archaïque (Paris, François Maspero).

Duranti, A. 2015 The Anthropology of Intentions. Language in a World of Others (Cambridge, Cambridge
University Press).

Goffman, E. [1974] 1991 Les cadres de l’expérience (Paris, Les Éditions de Minuit, Le sens commun).

Hamayon, R. 2012 Jouer. Une étude anthropologique à partir d’exemples sibériens (Paris, La Découverte,
Bibliothèque du Mauss).

High, M. 2008 Dangerous fortunes: wealth and patriarchy in the Mongolian informal gold mining
economy. Thèse de doctorat en anthropologie (Cambridge, University of Cambridge, King’s
College).

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


55

Højer, L. 2004 Dangerous Communications. Enmity, Suspense and Integration in Postsocialist


Northern Mongolia. PhD Thesis (Cambridge, University of Cambridge).

Humphrey, C. 2010 Hospitality and tone. Holding pattern for strangeness in rural Mongolia,
Journal of the Royal Anthropological Institute, special issue 2012, pp. 63-75.

Lavagetto, M. [1992] 1997 La cicatrice de Montaigne. Le mensonge dans la littérature (Paris, Gallimard).

Legrain, L. 2014a Chanter, s’attacher et transmettre chez les Darhad de Mongolie (Paris, CEMS/EPHE,
Nord-Asie 4).

Legrain, L. 2014b Les soixante-dix mensonges de Dalan Hudalch. La littérature orale et le


mensonge au quotidien en Mongolie, Journal asiatique 302(2), pp. 467-483.

Lenclud, G. 2009 Mensonge et vérité. À propos d’un article de Raymond Jamous, Ateliers du LESC
33, [en ligne] https://ateliers.revues.org/8201, consulté le 21 avril 2016.

Montaigne, M. de [1595] 2009 Essais I. Édition d’E. Naya, D. Reguig & A. Tarrête (Paris, Gallimard,
Folio classique).

Pratchett, T. 2012 Dodger (London, Corgi Books).

Simmel, G. [1908] 1992 Sociologie. Études sur les formes de la socialisation (Paris, Presses
Universitaires de France, Quadrige).

Stasch, R. 2009 Society of Others. Kinship and Mourning in a New in a West Papuan Place (London/
Berkeley/Los Angeles, University of California Press).

Wheeler, A. 2004 Moralities of the Mongolian ‘market’. A genealogy of trade relation and the Zah
Zeel, Inner Asia 6, pp. 215-238

NOTES
1. Il est intéressant de constater que malgré cette définition, Barnes ne peut s’empêcher une très
belle digression par la fiction.
2. Ner oloh nasny/ner hugarah ödrijn
3. Cette ethnographie de la socialisation à l’art du mensonge reste encore largement à faire
comme le prouvait, il y a déjà plus de vingt ans, l’extrême prudence avec laquelle Barnes tire les
conclusions des quelques études réalisées principalement par des psychologues sur
l’apprentissage du mensonge dans différentes cultures (Barnes 1994, pp. 103-121)
4. Le terme sonin dénote à la fois l’étrangeté et l’intérêt.
5. Une personne peut être poussée au mensonge pour dissimuler le fait qu’elle ne connaît pas ce
qu’elle aurait dû connaître. Ce fut le cas lorsque Marc Alaux et Laurent Baroo furent mal
renseignés par un éleveur sur la position d’un col à franchir. « Il souhaitait nous aider sans
avouer son inaptitude » (Alaux 2007, p. 288) conclut Alaux. Être un homme accompli, cela signifie
aussi devoir combler, avec les moyens du bord et souvent dans la précipitation, les failles qui
serpentent sur la surface faussement lisse de ce bel accomplissement.
6. À ce sujet, il est utile de se référer aux réflexions d’Uradyn Bulag (Bulag 1998, pp. 166-170).
Loin, bien sûr, d’être une conception proprement mongole, l’idée que l’information détenue sur
autrui irradie de pouvoir me semble constituer la base universelle de la manipulation. Terry
Pratchett, un romancier anglais décapant, résume bien les choses lorsque l’un des personnages
de son roman Dodger tente d’accoler une définition sur le terme argotique « geezer » (vieillard).
Je conserve ici l’anglais pour la saveur particulière que la langue donne à cette définition : « A
geezer, now, well, a geezer is somebody that everybody knows, and he knows everybody, and

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


56

maybe he knows something about everyone he knows that maybe you wished he didn’t know »
(Pratchett 2012, p. 126).
7. Roberte Hamayon cite ici l’intellectuel bouriate Hangalov : « mon peuple prend vraiment les
esprits de ses morts pour les derniers des imbéciles » (Hangalov cité dans Hamayon 2012, p. 266).

RÉSUMÉS
Dans cet intermezzo, j’analyse plusieurs des sens donnés au hudal mongol – souvent traduit par
« mensonge ». Sous nos latitudes, les sens subsumés sous le hudal mongol portent des
appellations variées : erreur, affabulation, fourberie, baratin, blague. Je place ces usages du
langage en relation avec certaines formes d’organisations sociales.

In this intermezzo, I explore the various meanings of the Mongolian term hudal – often translated
as a “lie”. These potential meanings cover a huge field of practices that, in our own language, we
strive to differentiate such as “make a mistake”, “distort reality”, “to flannel somebody”, “to
joke”, “to bullshit”. I try to connect these practices to certain forms of social organization.

INDEX
Mots-clés : Mongolie, mentir, tradition orale, nomadisme
Keywords : Mongolia, lying, oral tradition, nomadism

AUTEUR
LAURENT LEGRAIN
Laurent Legrain est maître de conférences en anthropologie à l’université Toulouse II Jean Jaurès.
Ses recherches portent sur le chant, le langage et l’histoire mongole du XXe siècle. Son ouvrage
Chanter, s’attacher et transmettre chez les Darhad de Mongolie sortait en 2014 dans la collection Nord-
Asie.
laurent.legrain@univ-tlse2.fr

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


57

Jeux de rôle dans l’impasse du Palais


d’or. Variation sur la (dis)simulation
dans une maison close de la
frontière sino-mongole
Role playing games in Golden Palace dead end street. Variation on pretending in
a brothel at the Sino-Mongolian border

Gaëlle Lacaze

Mensonge et (dis)simulation
1 La (dis)simulation est inhérente au travail sexuel, car elle protège du stigmate qui lui
est associé. Aussi le travail sexuel induit-il une mise en scène qui autorise la rencontre
entre les acteurs impliqués dans cet échange économico-sexuel. Quel(s) rôle(s) jouent le
mensonge et la (dis)simulation dans ces interactions ? Mon article se fonde sur des
recherches de terrain effectuées entre 2007 et 2012. Il s’intéresse aux manières dont
usent les prostituées mongoles pour construire leurs personnages au sein d’une maison
close chinoise. Cette approche implique également de s’attarder sur les rôles attribués à
l’ethnologue dans ce contexte de recherche.
2 La perspective que j’adopte place les échanges au cœur des interactions, car tout
circule dans la maison close. Je montrerai que ces échanges matériels et immatériels
favorisent l’instauration d’une communion entre les femmes qui travaillent dans ce
lieu. Des règles, des normes et des modèles précis organisent l’espace presque
totalitaire au sein duquel les « filles » (ohin) deviennent « partenaires de destin »
(Mathieu 2007, p. 74). Comment la panoplie propre à la construction du rôle (tenues
sexy, faux nom, numéro de téléphone dédié aux clients) participe-t-elle de
l’élaboration, de l’intégration et de l’appropriation de la « condition prostituée »
(ibid.) ?

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


58

3 Les rôles qui m’ont été attribués, les seuls autorisant ma présence, relèvent eux-mêmes
d’une mystification à laquelle j’ai plusieurs fois tenté de mettre fin, sans succès.
J’adopterai une démarche pragmatique, comme le fait l’anthropologie depuis les années
1970-1980, dans le sillage de l’interactionnisme symbolique et de l’école de Chicago.
Questionnant les « malentendus productifs » (Sahlins 1979) de l’enquête, j’interrogerai
également la place et les rôles tenus par l’ethnologue dans cette forme de théâtre
quotidien qu’est « son » terrain.
4 En 2009, un numéro spécial des Cahiers du LESC consacré à la question du mensonge et
du rôle comme modus operandi (Rivoal 2009) de l’ethnographie aborde les enjeux de la
dissimulation et du mensonge par omission sur le « terrain comme praxis » (Fogel &
Rivoal 2009). Au fur et à mesure de mon article, nous verrons que les interactions
construisent un jeu de miroir au sein duquel, à l’instar d’une fiction, différentes
catégories de mensonges font « œuvre sociale » (Lenclud 2009). Dans le travail sexuel,
la dissimulation sert, entre autres, à produire une justification permettant de gérer vis-
à-vis de soi et des autres le « stigmate de putain » (Pheterson [1996] 2001, p. 31). La
question du rôle interroge ipso facto le masque élaboré lors des interactions. Au-delà de
sa fonction protectrice, le masque comporte une dimension pathologique : la
potentialité de « destruction du sens » (Ithier & Kamieniac 2015, p. 9-12). Pour les
travailleuses du sexe comme pour l’ethnologue, ce masque est-il un leurre ? Quelles
fictions induit-il ? Ou, plus subtilement, comment ce masque autorise-t-il une forme
d’authenticité ?

La prostitution des femmes mongoles


5 Commençons par décrire l’organisation du travail sexuel en Mongolie. La prostitution
concerne surtout des femmes qui agissent seules, sans intermédiaire et en dehors de
« réseaux ». Cela ne signifie pas qu’il n’existe pas de filières organisées. Le rapport du
Center for Human Rights and Development1 mentionne en effet l’existence de recruteurs
« professionnels » de Mongoles, âgées de 18 à 25 ans, depuis la campagne ou parmi les
migrantes des « quartiers de yourtes » – banlieues pauvres des agglomérations
mongoles – afin de travailler dans les bars et les karaokés des grandes villes de
Mongolie ou de Chine (Center of Human Rights and Development 2005, p. 32).
L’existence de ces filières ne signifie pas, nous le verrons, qu’il s’agit ici d’un trafic
d’êtres humains.

À la frontière chinoise (Erlian)

6 Depuis la fin des années 1980, les établissements liés à l’industrie du sexe
réapparaissent en Chine. La prostitution occasionnelle, saisonnière ou régulière, y fait à
nouveau recette, à la faveur des réformes menées par Deng Xiaoping (à partir de 1978),
car elle est un élément constitutif de la « culture sexuelle » chinoise contemporaine
(Zhou 2006, p. 239). Aujourd’hui, plus de 10 millions de personnes travaillent dans
l’industrie du sexe en Chine. À ce chiffre, il faut ajouter des centaines de milliers de
prostituées occasionnelles (étudiantes), d’entraîneuses accompagnant les clients des
bars, des boîtes de nuit et des karaokés. Les nouveaux riches, les hauts fonctionnaires et
les cadres sont des usagers réguliers de l’industrie du sexe chinoise (Attané 2005,
p. 352). La prostitution devient une activité anodine à laquelle les femmes ont recours

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


59

quand elles ont besoin d’argent (ibid., p. 150) et la corruption sexuelle s’avère désormais
plus efficace que les pots-de-vin (ibid., p. 155).
7 Une prostituée accompagne systématiquement tout membre de l’élite masculine
chinoise (Micollier 2007, p 112). Dans le clientélisme d’État contemporain, les
prestations sexuelles tarifées deviennent une marque de distinction sociale et un
« rituel d’affaires » (ibid., pp. 111-115). On retrouve ici une séparation d’usage dans la
culture chinoise entre sexualité reproductive et sexualité hédoniste, entre le couple et
la relation extraconjugale (Micollier (ed.) [2004] 2006, 15).
8 Dans la plupart des agglomérations chinoises ressurgissent de nombreux lieux de
divertissements : bars, casinos, salles de karaoké, discothèques, salons de coiffure et de
massage. Dans le cadre de l’opération contre la prostitution et les jeux d’argent, menée
de juillet à septembre 2000 en Chine, un million d’établissements de divertissements
illégaux ont été fermés. Il en restait encore toutefois trois millions (Attané 2005, p 160).
Depuis 1992 et l’ouverture des frontières de la Mongolie, beaucoup de Mongoles
migrent en Chine, où le travail sexuel leur assure de hauts revenus et un quotidien plus
agréable que dans leur pays, où la plupart vivent dans des conditions difficiles, avec un
statut déprécié. En effet, les travailleuses du sexe sont souvent de jeunes femmes peu
diplômées2, célibataires, divorcées, veuves ou soutiens de famille alcoolique.
9 La majorité des femmes mongoles qui travaillent dans l’industrie du sexe des zones de
libre-échange aménagées entre la Chine, la Russie et la Mongolie viennent
d’Ulaanbaatar ou des autres grandes villes du pays, comme Darhan ou Erdenet.
Certaines ne travaillent que durant la saison chaude, car en hiver les clients sont plus
rares, et les conditions de travail plus dures. Dans les zones transfrontalières, les clients
sont chinois et russes, davantage que mongols. Généralement, les filles préfèrent les
clients étrangers, parce qu’ils sont plus généreux. Travailler en Chine offre un certain
confort notamment parce que le passage de la frontière assure l’anonymat vis-à-vis de
l’entourage. La plupart des filles disent travailler dans le tourisme ou l’hôtellerie. La
frontière assure ainsi les conditions de félicité d’un mensonge. Une seule des quelque
dix femmes rencontrées dans le cadre de cette enquête a parlé à ses proches de
l’origine de l’argent reçu. Toutes les filles possèdent deux téléphones, l’un privé et
l’autre professionnel, afin de mieux se cacher de leur famille.
10 À la frontière sino-mongole, dans la ville d’Erlian3, les travailleuses du sexe séduisent
leurs clients dans les bars, les hôtels, les salons de massage et les « maisons closes »
appelées geting, suivant la mongolisation du terme chinois « salon de danse » (歌厅
geting). En Chine, les geting forment rarement un « quartier rouge » comme c’était le cas
à Erlian. Isolées dans les villes ou regroupées dans un quartier, elles sont constituées
d’un salon ouvert sur la rue par une baie vitrée, au rez-de-chaussée, et de chambres de
passes au premier étage. Ainsi, le client peut commencer à choisir une fille sans sortir
de sa voiture, en gardant l’anonymat, et peut bénéficier de différentes prestations en
restant dans la maison close.
11 En 2007, au centre d’Erlian, se trouvaient un casino, plusieurs maisons de jeux et trois
« quartiers rouges » respectivement appelés « Colombie » (Kolomb), « Derrière le gros
magasin » (büdüün delgüürijn ard) et la « Porte du Xinjiang » (新疆门 Xinjiang Men ;
mg. cyr. Šintjan men). Chaque quartier comptait alors une dizaine de geting où
officiaient en moyenne quatre à cinq filles (National AIDS Foundation 2007, p. 6). En
dehors de ces quartiers dédiés, plus d’une centaine d’autres travailleuses du sexe
parcouraient la ville en quête de clients une fois la nuit venue. Elles exerçaient seules

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


60

ou avec un intermédiaire, dans les bars, boîtes de nuit, karaokés, restaurants, hôtels et
salons de coiffure ou de massage, voire directement dans la rue. On estimait alors à
cent cinquante le nombre de Mongoles de Mongolie travaillant dans l’industrie du
sexe ; celles-ci représentaient donc la moitié des travailleuses du sexe en activité dans
la ville. La situation évoluera à partir de 2008 comme nous le verrons.
12 Dans le quartier de Colombie se rassemblaient celles que les clients appelaient les
« belles des tranchées4 », des Mongoles pauvres et âgées. « Derrière le gros magasin »
travaillaient des Chinoises5. En 2007, la Porte du Xinjiang regroupait des Mongoles
« jeunes, belles et chères ». Les geting y étaient entourées de salons de coiffure, de
restaurants, de stations de lavage de véhicule et de garages. Les « patrons 6 » des
maisons closes de ce quartier étaient des Mongols horčin 7 de la Région Autonome de
Mongolie-Intérieure (RAMI). En 2008, avant les Jeux olympiques de Pékin, les activités
prostitutionnelles de la « Porte du Xinjiang » ont été déplacées dans l’impasse du
« Palais d’or » (金城 Jincheng, ou Žinčo selon la déformation mongole du chinois).

Le Palais d’or

13 Situé au nord de la ville, près du poste de police municipale, le Palais d’or formait une
impasse longue d’une centaine de mètres, entièrement dédiée à la prostitution entre
2008 et 2011. Signalée par un porche ouvert surplombé d’une arcade, l’impasse était
accessible depuis l’avenue principale qui descendait directement de la frontière. Avec le
déménagement dans l’impasse, un véritable « quartier rouge » s’est organisé. Les geting
se sont multipliées et, à sa fermeture en 2011, plus de soixante étaient alignées de
chaque côté de la rue. Chaque geting, toujours gérée par un Horčin, portait un numéro.
Au premier étage de chacune, des chambres offraient aux filles un espace à la fois privé
et public, individuellement approprié et collectivement partagé, un lieu de vie et de
travail où elles se reposaient et faisaient des passes. Ce regroupement spatial des geting
offrait un gain de temps dans la mise en relation avec le client et a ainsi permis
d’augmenter rapidement le chiffre d’affaires des filles comme celui des patrons.
14 En 2010, plus de deux mille Mongoles travaillaient dans l’industrie du sexe en Chine et
elles étaient plus de six cents pour la seule ville transfrontalière d’Erlian. Cette année-
là, hormis la multiplication des établissements préexistants, des sex-shops étaient
apparus. Dans l’impasse du « Palais d’or », la majeure partie des travailleuses du sexe
mongoles haut de gamme de la ville travaillait régulièrement, soit environ quatre cent
cinquante femmes. Quelque cent cinquante autres Mongoles exerçaient encore dans
Colombie, dans le « Bar mongol » (Mongol bar) et dans les autres bars et discothèques,
ainsi que dans les hôtels, les salons et chantiers de la ville.
15 Depuis 2010, Erlian s’est spécialisée dans la vente des produits liés aux activités de la
construction. Néanmoins, la ville ne se caractérise plus uniquement par le commerce et
l’échange ni par le mouvement des hommes et des marchandises. Des infrastructures
permettant d’y vivre agréablement et en famille ont été aménagées à destination des
Mongols de Mongolie et de Chine. Ainsi, un « Nouvel Erlian » émerge à la frontière de la
Mongolie.
16 En décembre 2011, sous la pression des autorités mongoles, l’administration de la ville a
fermé l’impasse du Palais d’or. Mais d’autres quartiers de geting, de nouveaux Palais
d’or, ont vu le jour à la périphérie de la ville. Depuis l’élection de Xi Jinping, le 14 mars
2013, la politique chinoise s’est moralisée, lançant une lutte active contre la

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


61

prostitution sans pour autant réussir à l’éradiquer. Elle est seulement parvenue à la
rendre transparente, à en effacer les stigmates les plus visibles. Dans la ville actuelle
d’Erlian, la prostitution reste une activité marchande comme une autre. La population
locale la réprouve, mais la tolère tant qu’elle en profite. La Mairie l’autorise, car elle en
tire des bénéfices. Aussi, comme souvent en Chine, l’industrie du sexe fait partie d’une
industrie informelle qui lie l’enrichissement de chacun à la croissance de la ville (Pan
2006, p. 39).
17 Les geting sont aujourd’hui disséminées aux pourtours méridionaux et occidentaux de
la ville. Petit à petit, le plan d’aménagement urbain d’Erlian a instauré « une
géographie morale qui fixe les limites entre l’acceptable et le répréhensible »
(Séchet 2009, p. 64). Bien que les espaces prostitutionnels fassent régulièrement l’objet
d’un isolement spatial et d’une relégation sociale, l’espace confiné des geting favorise la
création de liens sociaux entre les filles et avec leur patron. Leurs conditions de travail
sont moins dures que lorsque les prostituées sont solitaires et marginalisées
(Mathieu 2007, p. 105). Avant de décrire le travail du sexe dans une maison close
d’Erlian, je vais brièvement exposer les étapes de mon enquête sur le terrain.

Une recherche au long cours

18 J’ai découvert le travail du sexe en Chine en 2005 dans le cadre de mes recherches sur le
commerce transfrontalier. En 2007, Marlon8, un « patron9 » de maison close, a accepté
de me parler. Nous avons pris rendez-vous tôt le matin, quand tous les autres, patrons
et filles, dormaient encore, car « personne ne devait être au courant de notre
conversation ». Après notre entretien, j’ai essayé de discuter avec les travailleuses du
sexe de cette geting où les interrelations entre le patron et ses filles semblaient
cordiales. L’une d’entre elles m’a rapidement fait comprendre que j’étais de trop et
qu’elle ne souhaitait pas devenir un « objet d’étude ». Ce refus a piqué ma curiosité. J’ai
alors envisagé de conduire une enquête de terrain sur la prostitution à Erlian.
19 En 2010, durant une vingtaine de jours, j’ai fréquenté les travailleuses du sexe d’une
maison close de l’impasse du Palais d’or. Cette enquête s’est effectuée sous couvert et
ceci, presque malgré moi. Je n’ai conduit qu’un seul entretien formel privilégiant plutôt
le recueil d’éléments biographiques et le récit de soi construit au fil du temps dans
l’action et les discours. En effet, le thème de la sexualité, et qui plus est de la
prostitution, s’appréhende mal à travers des entretiens formels. En entretien, les
personnes « adaptent leur discours » à ce qu’elles anticipent des attentes du chercheur,
« ou encore à l’image qu’elles veulent donner d’elles-mêmes » (Handman 2005, p. 29).
En revanche, les interactions quotidiennes comportent moins d’autocensure.
20 En juillet-août 2010, entre dix et douze femmes travaillaient dans la maison n o 51 du
Palais d’or, gérée par Marlon. En quinze jours, trois d’entre elles sont parties :
Esméralda est rentrée définitivement en Mongolie, Éva y a fait un aller-retour et Lola,
un aller simple. Cette dernière n’était pas revenue au moment de mon départ, mais
était censée regagner prochainement la « maison », afin de libérer sa garante du poids
de sa dette (voir infra). De plus, durant mon séjour, Betty est revenue après un séjour
d’un mois en Mongolie. La mobilité des travailleuses du sexe ne permet pas de penser
qu’elles appartiennent à un patron et à sa geting. Pour autant, les procédures de
recrutement induisent un lien interpersonnel entre les filles et leur patron, tandis que

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


62

le système de l’endettement garantit leur attachement réciproque, comme nous allons


le voir.

Consentir à l’enfermement
21 Le lien entre une fille et un patron se forge au moment du recrutement. Aucune fille ne
vient dans une geting d’Erlian de sa propre initiative. Elle doit y être introduite par une
autre fille ou par une convoyeuse connue du patron, généralement une ancienne de la
maison. L’intermédiaire est rémunéré par le patron qui se rembourse avec les premiers
gains de sa nouvelle recrue, par conséquent endettée au moment de son enrôlement
dans une geting. Le système de l’endettement constitue l’un des moyens coercitifs les
plus efficaces du travail sexuel. Les patrons d’Erlian ont mis en place un système de
prêt d’argent (à un taux de 50 % d’intérêt10) et de « garantie », obligeant une fille à se
porter caution pour une autre retournée provisoirement en Mongolie afin de
renouveler son permis de séjour en Chine11 ou de se reposer chez elle. La garante
s’engage à rembourser le patron pour la débitrice si celle-ci ne revient pas. Ce système
ne constitue pas qu’une contrainte car, en cas de besoin inattendu d’une importante
somme d’argent, une fille peut aussi l’emprunter à son « patron », s’engageant à le
rembourser par son travail à venir. Le système de garantie lui permet alors de jouir
d’une somme d’argent qu’elle n’a pas encore gagnée.

Partager pour se confondre

22 Le parrainage qui découle des procédures de recrutement induit une circulation


hiérarchisée, la transmission des règles de travail, des techniques commerciales et des
mesures de protection qui y sont associées. Cette solidarité se retrouve dans de
nombreux espaces prostitutionnels (Mathieu 2007, p. 93). En dehors des ustensiles de
travail (collant, parfum, préservatif), les filles de la maison close n o 51 échangent
constamment des artefacts (faux ongles, robes, sacs à main) et des informations
(adresse, habitude de la clientèle, termes chinois). De l’argent circule en permanence
entre elles. De plus, chaque « fille » partage son repas avec une autre commensale, en
fonction des personnes présentes et de celle qui répond positivement à la question
« qui partage [nom du plat] avec moi ? ». Tout se passe comme si cette commensalité
quotidiennement réitérée favorisait une conjonction corporelle, émotionnelle et
cognitive entre des femmes qui partagent la vie d’une même geting. Un moment de
« communion alimentaire » ouvre ainsi la journée de travail de chacune, comme s’il
s’agissait de partager les saveurs du lieu pour mieux s’approprier son « rôle de
prostituée », le construire à l’intérieur de soi, dans et par son corps.
23 Les Mongoles du Palais d’or partagent beaucoup, pour certaines presque tout. Elles ne
se sont pas choisies, mais deviennent partenaires d’un « groupe de destin » (ibid., p. 74).
C’est en adhérant aux règles qui organisent leur « maison » (ger) qu’elles développent
des complicités. Les geting fonctionnent à la manière d’une « institution totale »
(Goffman [1961] 1968) et se transforment, selon l’expression des filles, en « prisons
libres » (čölöö šoron). Ce verbatim souligne leur sentiment d’enfermement consenti. La
commensalité et le partage peuvent dès lors être considérés comme des stratégies
d’adaptation au cloisonnement imposé par les règles de la maison. Les échanges (entre

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


63

filles, avec le patron, avec les clients, avec les officiels, etc.) se trouvent ainsi au centre
des interactions dans les geting.
24 En dépit de ces stratégies d’adaptation, l’espace clos de la geting coupe ses habitantes du
monde réel, sur les plans spatial et temporel. Les travailleuses du sexe y déploient une
présence insipide et sans goût, une quête sans objectif et, souvent, sans alternative.
C’est ce que Pan nomme le « light » des maisons closes en Chine (Pan [2004] 2006, p. 37).
Avec le temps, certaines filles renoncent à toute volonté individuelle et acceptent de
rester dans la spirale du gain et de l’endettement, processus qui les maintient recluses.
Ainsi, la travailleuse du sexe mongole d’Erlian se trouve dans un entre-deux existentiel
comparable à celui vécu dans d’autres lieux prostitutionnels : elle n’est ni agent libre ni
pure victime (Cheng 2003, p. 127).
25 Les travailleuses du sexe mongoles déploient ce que Goffman appelle des stratégies
d’« adaptation primaire » (Goffman [1961] 1968) en se glissant dans les interstices
laissés par la domination masculine et le nationalisme androcentré qui se développe en
Mongolie. Elles contournent ainsi leur faible accès aux ressources et l’imposition
unilatérale des rôles d’épouse et de mère (Billé 2010, p. 192). Toujours en suivant
Goffman, on peut également dire que les filles s’appuient sur des stratégies
d’« adaptation secondaire » inédites et originales (Goffman [1961] 1968, p. 245),
notamment, au moyen de tactiques qui leur permettent de choisir les clients ou les
prestations ainsi que d’acheter ou de voler du temps libre. En effet, dans le Palais d’or,
les filles s’offrent parfois une soirée en versant au patron l’argent qu’il aurait dû gagner
si elles avaient travaillé. Elles peuvent aussi quitter le lit du dernier client et continuer
la nuit avec d’autres filles dans les restaurants, bars et discothèques de la ville. Enfin,
elles profitent régulièrement de leur sortie mensuelle de Chine pour rentrer chez elles.

Au-delà du calme apparent

26 L’organisation générale de chaque geting répond aux nécessités d’une collectivité et


possède des spécificités propres à une maison close. Dans le Palais d’or, l’atmosphère
est ostensiblement calme afin de se protéger des intrusions policières. Rares sont les
effusions de violence, les cris ou les disputes entre travailleuses du sexe. Les patrons y
sont justes et raisonnables. Il est dans leur intérêt de ne pas anéantir les travailleuses
du sexe sous leur autorité. Rares sont ceux qui recourent régulièrement à la violence
physique. Mais de nombreuses « dynamiques du déshonneur » (Roulleau-Berger 2007,
p. 160), telles qu’injures, attitudes de mépris, arrestations, etc., viennent perturber ce
calme apparent. Ainsi Lola est-elle rentrée en pleurant de chez le coiffeur parce qu’un
« Mongol » l’avait giflée sans raison, hormis son statut de « pute ».
27 De plus, le huis clos de la maison offre nombre d’exutoires aux violences inhérentes à la
marchandisation de la sexualité. Ainsi, en dépit d’une règle qui prohibe les disputes, les
règlements de compte entre les filles de la maison n o 51 sont fréquents. Tout y sert de
prétexte à l’expulsion des tensions, ce qui se produit généralement après 3 h du matin
et la dernière prestation, à l’occasion d’un regroupement alcoolisé dans un restaurant
de la ville.
28 Dans l’espace prostitutionnel, la violence physique constitue « un instrument de
consolidation des positions » et de « réduction de la concurrence » (Mathieu 2007,
p. 58). Or, plus la prostitution s’organise à Erlian, plus la coercition envahit le travail
sexuel. Les filles sont souvent arrêtées et longuement interrogées. Elles doivent payer

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


64

une amende avant d’être libérées sans autre forme de jugement. Dans le pire des cas,
elles sont expulsées et, durant cinq ans, elles ne peuvent pas sortir de Mongolie.
29 Cette coercition est intrusive pour l’intimité des travailleuses du sexe, régulièrement
obligées de fuir, confrontées aux situations d’enfermement et contraintes à l’aveu.
Certains officiels, mongols et chinois, profitent d’ailleurs de leur vulnérabilité pour leur
soutirer des pots-de-vin, parfois, en nature. Ces interventions policières contraignent
les filles à quitter la peau du personnage qu’elles ont construit, tandis qu’elles
stigmatisent la travailleuse du sexe. Elles contribuent à brouiller les frontières entre les
sphères privée et publique du sujet (Pryen 2002, p. 16). Lors de ces interventions, les
policiers exigent le contrôle des passeports des filles et le paiement d’une amende dont
le coût est supporté par les filles et le patron. Après cette brève description des
conditions de travail dans une geting, intéressons-nous maintenant au « rôle » joué par
ces travailleuses du sexe.

Le costume de prostituée

30 La question du corps est centrale dans l’activité prostitutionnelle. La travailleuse du


sexe met sciemment le sien en scène, pour indiquer son statut et répondre à l’érotisme
recherché par le client (Gil 2005, pp. 348-349). Comme l’a montré Pryen, la distance
établie et la théâtralisation limitent l’intrusion de la vie privée du client dans la
relation (Pryen 2002, pp. 12-15). Le rapport sexuel est reproductible, mais l’enjeu de la
mise en scène est de faire « comme si » chaque prestation était unique. Les travailleuses
du sexe cherchent constamment à maintenir une distance face aux clients, tant sur le
plan corporel qu’identitaire, à travers l’adoption d’un prénom d’emprunt, le port de
tenues professionnelles ou l’utilisation du préservatif (ibid.).
31 Une prostituée parisienne explique que, pour se protéger, « il suffit de séparer le corps
et l’esprit » (Mossuz-Lavau & Texeira 2005, p. 164). Les choses m’apparaissent
cependant plus complexes. La prostitution est, en effet, une activité schizoïde
(Pryen 2002). Les travailleuses du sexe se préparent à assouvir les désirs et phantasmes
masculins. Ces femmes élaborent un personnage et revêtent un costume, lequel, dans
les geting du Palais d’Or, associe le style vestimentaire de la femme fatale occidentale et
le maquillage d’une geisha se couvrant le visage de poudre blanche. Les filles
multiplient les soins diurnes pour soigner les boutons qui envahissent leur visage à
cause de la poudre. Elles changent de maquillage trois ou quatre fois avant de trouver
le costume de leur personnage. Elles s’habillent, se déshabillent et se rhabillent. La
panoplie classique comprend des chaussures à très hauts talons, des vêtements
moulants de couleurs sombres, le plus souvent des mini-jupes et de profonds décolletés.
Certaines ont recours à la chirurgie esthétique pour accentuer leur côté « russe ».
Beaucoup exhibent des tatouages évocateurs. Les travailleuses du sexe du Palais d’or
passent une grande partie de leur journée à produire un personnage. Ce faisant, elles
cherchent celui qui est adapté à leur humeur ou leur programme du jour. Elles mènent
une quête sans fin, s’efforçant d’incarner un personnage sexuellement négociable, qui
pourrait ne trouver aucune utilité, ne jamais exister pleinement si aucun client ne les
choisissait durant la nuit.
32 Le pouvoir de séduction du personnage de « pute » (janhan) est donc chroniquement
soumis à l’arbitraire du client, dont la souveraineté se caractérise par le « droit de
choisir » (Cheng 2003, p. 114). Ceci ôte aux travailleuses du sexe une partie du contrôle

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


65

de leur corps et de leur désir. Si les femmes qui se prostituent à Erlian y restent plus ou
moins volontairement, elles sont pour beaucoup destituées d’une part de leur capacité
à agir sur le monde. La transformation esthétique du corps en objet de désir masculin
constitue une forme très insidieuse de coercition.
33 Ce processus d’érotisation du corps à destination du client offre cependant une
cuirasse, une armure protectrice à la prostituée qui prend ainsi de la distance et
acquiert un sentiment de pouvoir (Darley 2009, pp. 115‑117). Il fait partie des
nombreuses procédures utilisées pour s’approprier et manipuler le « stigmate de
putain ». Dans la prestation proposée, la codification est extrême. Des tenues jusqu’aux
pratiques, la travailleuse du sexe se « met en scène » selon un scénario prédéfini
culturellement (Pryen 2002, p. 16). Les Mongoles jouent sur leur hybridité culturelle.
Pour les Chinois, elles incarnent une forme d’exotisme romantique lié au pastoralisme
nomade. Quant aux filles, elles se voient plutôt comme des femmes européanisées, une
conséquence de la longue histoire socialiste de la Mongolie et des politiques culturelles
mises en place à cette époque (Billé 2015). Elles jouent donc sur la distance culturelle
qui les sépare du patron comme des clients.
34 Le corps n’est jamais « abandonné » au bon vouloir des clients. Il devient un instrument
permettant de faire le tri « dans les méandres des affects accompagnant la relation
sexuelle » (Gil 2005, p. 352). À l’instar de nombre de travailleuses du sexe, beaucoup des
Mongoles d’Erlian évoquent le plaisir sexuel, voire l’orgasme, ressenti avec les clients.
Certaines le revendiquent pour « sauver les apparences » (Pan [2004] 2006, p. 37) ou,
moins cyniquement, pour vivre corporellement leur « choix ». L’orgasme fait partie du
jeu de la sexualité tarifée ; certaines en éprouvent réellement, d’autres pas (Pheterson
[1996] 2001, pp. 61, 70). C’est une contrepartie que les filles s’autorisent avec certains
clients, triés sur le volet. L’orgasme et son invocation leur attribuent un rôle actif dans
une prestation destinée d’abord aux clients. Ils justifient le travail du sexe. Ils
participent des outils d’émancipation des femmes, de leur libération sexuelle et de la
prise de contrôle de leur propre corps. Aussi certaines travailleuses du sexe voient-elles
comme indispensable d’affirmer « la libération sexuelle » de leur corps en contrepartie
de son instrumentalisation à des fins économiques. La prostituée résiste au « stigmate
de putain » en théâtralisant son activité, afin qu’elle ne soit pas que le catalyseur du
désir masculin. Certaines font aussi de leur corps le lieu d’une sexualité sans tabou
(ibid.). Ainsi, parmi les femmes qui travaillent avec Marlon, Ingrid admet s’être
déniaisée en se prostituant, « ce qui a amélioré sa sexualité conjugale ».
35 Le dispositif de protection contient néanmoins des failles. En effet, la distance entre le
travail du sexe et la sexualité « pour soi » est parfois difficile à maintenir. Comme dans
d’autres contextes, l’émotion joue un rôle important dans le Palais d’or. En 2010, par
exemple, Marilyn revenait d’une escapade de six mois avec un client mongol de
Mongolie qui avait promis de l’épouser. L’homme s’est avéré être un escroc, marié et
père de deux enfants. En revanche, Lola insulte les clients lui proposant une idylle. Elle
travaille pour nourrir sa famille et celle de son compagnon qui purge une peine de 10
ans dans une prison mongole. Elle lui réserve ses orgasmes et son plaisir. Elle feint de
jouir avec les clients, parce que « sinon, ils ne reviennent pas ».
36 Dans le travail sexuel s’élabore donc un modèle idéal de la prostituée, du client et de
leur relation. Dans ces processus, les Mongoles sont des travailleuses compétentes,
qualifiées et raffinées, qui construisent facilement un jeu amoureux avec les clients.
Comme nombre de travailleuses du sexe (Pryen 2002, pp. 13-16), elles ont de l’empathie

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


66

pour eux, savent déceler leurs intentions et y répondre. Beaucoup ont des clients
réguliers. « Jeunes et jolies », les Mongoles comptent parmi les travailleuses du sexe les
plus chères d’Erlian. Situées entre des modèles de femmes européennes et asiatiques,
les Mongoles sont attrayantes pour les clients VIP chinois, de riches industriels et
commerçants. Elles constituent une part croissante des « migrants temporaires
permanents » d’Erlian.

Enquêter dans l’univers de la prostitution


37 Mes recherches sur la prostitution invitent à réfléchir sur les méthodes
ethnographiques utilisées et, plus largement, sur les dynamiques de terrain. L’analyse
des relations sexuées et sexuelles entraîne une série de questions qui dépassent la
réflexion scientifique, car elle implique l’intimité des sujets, enquêtés et enquêteurs.
Interrogeant au plus profond ses acteurs et ses sujets, la sexualité est, sans aucun
doute, l’une des techniques corporelles les plus complexes à aborder sur le terrain. En
outre, la construction d’une problématique de recherche sur la sexualité révèle le
processus par lequel l’identité de l’ethnologue se construit en jouant sur les rapports de
genre, avec leur gangue d’interdits, et sur les relations de pouvoir et de domination qui
en découlent. Car être une femme n’est jamais un fait anodin sur le terrain. Le sexe de
l’ethnologue a un impact sur les données collectées (Monjaret & Pugeault 2014).
38 Chez les Mongols, le statut d’étranger, et par conséquent d’invité 12, place la chercheuse
dans une situation ambiguë qui, si elle sait en user, lui permet d’accéder à différents
groupes sociaux. La femme ethnologue peut jouer du statut masculin conféré par sa
position d’étranger tout en continuant de profiter de son identité féminine ou même de
se voir attribuer un « troisième sexe »13 dans certaines situations. La femme ethnologue
possède donc une marge de négociation qui lui permet d’agir sur son genre. Or, les
rapports de genre jouent un rôle essentiel dans les espaces prostitutionnels. Ils
reposent la question de la réflexivité et de la subjectivité de nos recherches.

La quête de méthode

39 Durant la préparation du terrain effectué en juillet-août 2010, j’ai cherché des


méthodes ethnographiques pour étudier les usages que les femmes mongoles font de
leur sexualité et de leur corps dans le milieu prostitutionnel d’Erlian. Je souhaitais
développer une approche praxéologique en restant au plus près de leurs vécus, de leurs
émotions et sensations, sans pour autant participer à leurs activités professionnelles. Je
voulais effectuer une anthropologie de l’intime « à partir d’observations et de
descriptions d’“individualités” spécialement situées » (Piette 2010, p. 365).
40 En investissant l’une des maisons closes de l’impasse du Palais d’or, j’ai cherché à
cerner l’ordre « incarné » et produit localement par des sujets, dans leurs interactions
(Fabiani 2001, p. 283). J’ai privilégié l’analyse des circonstances de l’enquête et
l’observation des interactions in situ afin de me concentrer sur le contexte, sans
omettre les éléments connexes que les acteurs « mobilisent au cours d’un échange
situé » (ibid., p. 288). J’ai donc exploré, dans la lignée des recherches d’Albert Piette, les
« modes mineurs » du travail sexuel en partageant l’attente des clients et le temps long
de la préparation des filles. Je me suis en particulier intéressée à leurs modalités de
« relâchement » (Piette 2010, p. 202) parce qu’elles s’avèrent révélatrices de leur

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


67

condition de prisonnières consentantes. En effet, par moment, leur regard se perd dans
le vide et leur posture reflète alors une partie du contenu de leur divagation muette.
Comme le souligne Piette dans d’autres contextes, l’analyse de ces instants
« périphériques » et « marginaux » du travail sexuel révèle les parties inaccessibles ou
indicibles de la vie de ces femmes.
41 En outre, les dynamiques de mon intégration temporaire dans une maison close
d’Erlian m’ont poussée à adopter une analyse réflexive déconstruisant la situation
ethnographique. Au fur et à mesure, la réflexion a posteriori sur la manière dont s’est
déroulée la recherche de terrain a mis au jour les mécanismes inhérents aux
dynamiques prostitutionnelles qui ont généré la mystification de mon statut.

La résonance cognitive et émotionnelle

42 Les exigences d’un terrain dans un contexte marginal, illicite et violent ont impliqué un
travail sur moi et une série de négociations avec mes proches. Or, ces deux actions
reflètent, en miroir, le travail des prostituées. Je vais approfondir cette idée en
exposant les étapes de mon enquête.
43 Durant la préparation du terrain, la communication scientifique (conférences,
discussions informelles entre pairs, retours et commentaires sur des écrits) a résolu de
nombreuses questions concernant les méthodes à utiliser. Elle m’a permis d’interroger
les représentations et les différents aspects du sujet, en particulier les dangers liés au
dévoilement du thème de mon enquête et de mon statut d’ethnologue. Je devais me
méfier des acteurs institutionnels (polices et douanes). Je devais trouver les moyens de
justifier ma présence sans en dévoiler les enjeux. D’un autre côté, étant donné que
durant cette première étape, je n’enquêtais pas auprès des clients (Chinois, Mongols de
Mongolie et de RAMI), ces réflexions n’indiquaient pas les techniques à utiliser sur le
terrain et suscitaient la peur dans mon esprit. Elles posaient des questions éthiques et
déontologiques concernant la posture de l’enquêteur. Par ce partage scientifique entre
pairs, j’ai construit l’activité prostitutionnelle en objet d’étude. La réification
scientifique de la prostitution a ouvert une résonance cognitive utile afin de dépasser le
stigmate contagieux de putain.
44 Ce processus d’appropriation voire d’incarnation d’un sujet d’étude n’est pas limité à
l’univers prostitutionnel. Il caractérise de nombreux aspects de la recherche
scientifique. D’une part, parce que la spécialisation extrême de nos disciplines entraîne
un corps à corps avec les objets que nous étudions et, d’autre part, parce que les
chercheurs choisissent leurs objets en fonction d’inclinaisons personnelles. Il faut aussi
souligner qu’en ethnologie, l’intérêt pour l’autre sert de miroir à une réflexion sur
l’altérité qui est en nous (Berliner 2013). La suite de la préparation du terrain s’est
cristallisée sur les moyens de me rendre apte à étudier une maison close. Je
commençais à songer aux possibilités de construire des interactions avec les filles et les
patrons, de ne pas être trop visible de la police, des douanes et des atamans 14, voire de
passer inaperçue aux yeux des clients. J’ai alors réfléchi à la question des rôles incarnés
par les travailleuses du sexe. La prostitution est une activité du paraître qui nécessite
de construire un personnage. Dans le pouvoir de séduction qui s’y exerce, tout est
histoire de modèle. Quel(s) personnage(s) serai(en)t attendu(s) de moi et me
permettrai(en)t de passer inaperçue ? Autrement dit, quels sont les modèles mongols et
chinois de la femme occidentale et de la femme française ? Actuellement, plusieurs

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


68

femmes connues comme Catherine Deneuve et Sophie Marceau représentent la France


en Chine. Je devais donc épanouir la « Sophie Marceau qui est en moi » … A priori, j’avais
conscience du jeu mis en scène dans la préparation de ce terrain, mais j’ignorais que la
notion de rôle en constituerait la clé d’entrée et d’analyse, comme c’est souvent le cas
en ethnologie (Geertz [1973] 1983 ; Marcus 2002 ; Schinz 2002 ; Molinié 2009).
45 Au retour de cette mission, au début de l’analyse, une danseuse professionnelle m’a
donné une interprétation des séances de fabrique du personnage de « pute » (janhan)
auxquelles j’avais assisté. Pour elle, si les filles passaient des heures à se maquiller, se
démaquiller, se remaquiller, à s’habiller et se changer en permanence, de 12 h à 18 h,
c’était pour faire émerger « la pute qui est en elles ». Ainsi, sur ce terrain, la nécessité
de faire émerger un personnage apte à mener sa tâche – terrain pour l’une, travail
sexuel pour les autres – apparaissait cruciale. La comparaison n’est pas sans intérêt.
Comme le dit Michèle Baussant, les exigences du terrain impliquent un « travail sur
soi » et une série de négociations avec des Autres (Baussant 2009). Or, ces deux actions
sur les corps, individuel et social, reflètent en miroir le travail des prostituées. Cet
« effet miroir » entre la préparation de l’ethnologue et le travail de la prostituée
renvoie à la résonance cognitive et émotionnelle impliquée dans l’investigation
ethnographique auprès de personnes stigmatisées, sur des terrains marginaux. Mais il
ne s’agit pas seulement de cela, comme je vais à présent le montrer en examinant les
rôles investis par chacun.

Jeux sur le je : dissimulation ou mensonge ?

46 Arrivée à Erlian fin juillet 2010, j’ai commencé à faire des observations flottantes à
travers la ville. J’ai eu des conversations informelles avec des chauffeurs, des policiers,
des clients, etc. Pendant quelques jours, je me suis rapprochée des chauffeurs de jeep,
les taxis habilités à passer la frontière. Plusieurs d’entre eux m’ont véhiculée dans
l’impasse du Palais d’or en me précisant systématiquement de fermer ma vitre, de me
baisser, voire de me cacher. Certains ont sollicité pour moi des filles de Žinčo, sans
succès. À force de ténacité, j’ai obtenu un rendez-vous pour une « nuit entière » avec
Mišeelt. J’ai alors rencontré une jeune Mongole de 24 ans, travaillant à Erlian depuis
deux ans. Je l’ai informée du sujet de mon enquête ; nous avons eu un entretien de
quatre heures qu’elle m’a autorisée à enregistrer.
47 Après cette première rencontre, je me suis rendue seule dans le Palais d’or durant la
journée. À peine entrée dans l’impasse, une femme de patron m’appelle et m’invite à
visiter sa « maison ». Elle me pose des questions fermées : « tu es russe ? », « tu peux
apporter des filles ? ». Je réponds : « c’est possible » (bolno), un mot assez équivoque en
mongol. La femme me propose « beaucoup d’argent » si j’amène des Russes. Je lui
demande si elle prendrait des Européennes ou des Africaines. Elle me promet encore
plus d’argent… Elle me fait visiter les lieux. Comme dans toutes les geting de l’impasse,
au rez-de-chaussée, la vitrine permet d’embrasser du regard un petit salon avec
plusieurs canapés. Au 1er étage, se trouvent cinq chambres, sans fenêtre. Lors de cette
première rencontre, aucune femme ne travaille et la maison semble inhabitée.
48 En sortant de cette geting, à peine ai-je le temps de faire quelques pas que je suis hélée
par les travailleuses du sexe de la maison voisine. J’entre, suivie de la femme
précédente qui prend tout de suite la parole : « C’est une Russe-Bouriate, qui vient pour
voir si elle peut placer des filles ». Elle énonce, ici, les fruits de ses déductions

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


69

personnelles. En effet, une Occidentale qui parle mongol est forcément Russe-Bouriate !
Les travailleuses du sexe de cette geting m’ont alors demandé ce que je faisais à Erlian.
Je me suis vue contrainte de m’adapter à l’identité de convoyeuse qui m’avait été
octroyée et répondis que je travaillais pour un businessman15. J’expliquai que j’étais
venue faire une « étude de marché » des possibilités de partenariat ou
d’investissement. J’évitai d’entrer trop dans les détails… Nous avons ensuite discuté de
tout et de rien. J’éprouvais un étrange sentiment de familiarité. Au bout de quelques
minutes, Marlon, le patron rencontré en 2007, est entré à son tour : c’était sa geting ! Il
me reconnut instantanément et me demanda ce que je faisais, si j’étais toujours à
l’université, etc. Il se souvenait de ce détail, car il avait lui-même enseigné dans le
supérieur.
49 Afin de maintenir un semblant de cohérence, je lui ai expliqué qu’après plusieurs
années de chômage, je travaillais grâce aux langues que je maîtrisais pour un
businessman occidental qui « cherchait à investir en Extrême-Orient ». L’histoire était
crédible compte tenu de la précarité vécue par nombre de jeunes docteurs en
ethnologie. En outre, ayant fait la même chose, Marlon ne sembla pas étonné quand je
lui expliquai mon passage dans le privé. Bien au contraire, il leva les yeux au ciel pour
me manifester son empathie. Il susurra de manière rapide et répétée, la langue
percutant les incisives, comme le font les Mongols pour marquer leur désapprobation
d’un événement et leur compassion pour la victime. Il imaginait que mon licenciement
était dû à la crise internationale de 2008. Peu après, Marlon demanda à rencontrer mon
« patron » (darga), « pour discuter de partenariats potentiels ».
50 Par la suite, Marlon accepta ma présence quotidienne dans sa maison. Rapidement, en
raison des problèmes de communication et de visa chinois, dont les Mongoles n’ont pas
besoin, il renonça à l’idée d’importer des travailleuses du sexe européennes pour se
concentrer sur un projet de tourisme international.

L’imposition d’un rôle


51 Mon insertion dans la maison s’est rapidement effectuée. Le rôle qui m’a été attribué
est celui de convoyeuse… Je n’y aurais jamais pensé ! C’est, en effet, le seul qui explique
et justifie ma présence dans l’impasse. Personnage aux marges de la prostitution, la
convoyeuse est un intermédiaire indispensable à Erlian. Toutes les travailleuses du sexe
expérimentées peuvent recruter une autre femme. Participer à la venue de nouvelles
prostituées, surtout si celles-ci s’avèrent être de « bonnes travailleuses », assure un
certain prestige dans la « maison » et dans l’impasse. Ce rôle accroît la notoriété
personnelle et le pouvoir sur les autres filles. On m’attribuait donc un rôle prestigieux.
52 Face au rôle rassurant qu’elles m’ont donné, les filles ont utilisé leur vrai prénom. Dans
les relations de marraine/filleule qui lient des filles comme elles et des femmes censées
être comme moi, elles ne jouaient donc plus le même rôle… En ethnologie, nombre de
significations émergent des quiproquos, des « malentendus productifs » et des
décalages entre les discours et les pratiques. Que s’est-il exactement passé dans la
maison no 51 ? Comment s’est déroulée la fabrique d’une « histoire » justifiant ma
présence dans la geting ? La préparation d’un rôle de « femme française » aurait-elle
induit le regard posé sur moi ?

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


70

Les termes de nos échanges

53 Les travailleuses du sexe de la maison no 51 m’ont rapidement demandé si je pouvais


leur donner des cours d’anglais. Elles exprimaient alors une volonté de se présenter
comme des femmes ordinaires. Nous avons pris un rendez-vous pour le lendemain,
dans l’après-midi. Je m’y suis ensuite rendue tous les après-midi pendant vingt jours.
Les premiers jours, j’ai donné des cours d’anglais deux heures dans l’après-midi et j’y
suis quelque fois restée le soir. Après l’arrivée de mon collègue, j’ai passé plusieurs
soirées dehors avec des travailleuses du sexe payées pour la nuit… Lola m’a aussi
invitée à déjeuner chez une « copine stripteaseuse ».
54 Lorsque j’ai consenti à leur donner des cours d’anglais, les travailleuses du sexe de la
maison no 51 ont immédiatement évoqué l’autre terme de l’échange. Que voulais-je en
retour ? J’ai alors sollicité des informations sur la vie quotidienne dans une geting et des
récits biographiques pour construire mon « étude de marché ». Le premier cours a
porté sur des thèmes de la vie quotidienne. Cependant, dès le deuxième cours, les
attentes étaient plus professionnelles. Dans la nuit, des Occidentaux anglophones
avaient déambulé dans l’impasse, mais aucune des filles n’avait pu discuter avec eux…
55 Malgré de fortes attentes, au bout de cinq jours, je n’avais plus d’élève. L’abandon des
cours par les trois filles les plus assidues a été justifié par le départ définitif
d’Emmanuelle, le manque d’enthousiasme d’Ingrid et le manque de temps de Marilyn.
Marlon n’est pas intervenu dans ces décisions. En revanche, les autres filles les ont
peut-être influencées.
56 Le manque d’enthousiasme, le déficit dans la « force du désir » (dürijn hüč) d’Ingrid
révèlent les failles de son rapport au monde. En effet, l’apprentissage de l’anglais
nécessiterait de sa part un désir actif. Or, Ingrid n’en éprouve plus pour elle-même. Elle
est mariée et mère de deux enfants. Fière de la maîtrise qu’elle exerce sur la relation
sexuelle tarifée, elle insiste sur son contrôle d’une situation qu’elle vit par défaut, en
attendant des jours meilleurs. Elle est venue à Erlian pour la première fois deux ans
auparavant, pour « chanter dans un bar karaoké ». Elle est repartie au bout de trois
mois, une fois sa dette remboursée (quinze jours) et après avoir gagné suffisamment
d’argent. En juillet 2010, Ingrid était revenue depuis quatre mois « afin de construire un
petit pavillon », tandis que son mari travaillait dans le secteur minier. Elle comptait
repartir au début de l’hiver. Ingrid revendique souvent son contrôle de la situation,
mais plusieurs éléments révèlent que sa maîtrise est une illusion dont elle n’est pas
complètement dupe. Son abandon du cours relativise également cet apparent contrôle.
En 2012, quand je suis revenue à Erlian, Ingrid était encore dans la geting de Marlon.
Elle y travaillait depuis 8 mois après avoir passé un an en Mongolie. Elle portait alors un
tatouage16 en haut du sein gauche et buvait beaucoup d’alcool.
57 Le « manque de temps libre » (zav muutaj) de Marilyn, la raison invoquée pour
l’abandon des cours d’anglais, est révélateur du temps accaparé par l’indispensable
« mise en condition » qui permet d’épanouir la « pute qui est en elle ». Marilyn revient
d’une escapade amoureuse. Le temps passé à apprendre l’anglais empièterait sur le
temps nécessaire à la préparation de son personnage (maquillage, vêtement et
coiffure). Or, Marilyn n’a pas le cœur à l’ouvrage. Elle doit « se consacrer à ce qu’elle est
venue faire ». Autrement dit, le temps de la préparation qui permet d’opérer la
dissociation de soi lui est indispensable après une longue absence et malgré son
ancienneté dans le métier… Cette dissociation ne concerne pas la séparation de la tête

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


71

et du sexe, mais celle de la femme et de la pute. Marilyn a rapidement réinvesti son rôle
et, quand je suis revenue à Erlian en 2012, elle travaillait dans un bar de Pékin.

La présence de l’ethnologue : perspectives croisées

58 Même après l’arrêt des cours, les filles me demandaient systématiquement de revenir.
Les jours suivants, je suis donc allée dans le Palais d’or sans raison précise, mais
toujours sur invitation. À chaque fois que j’ai tenté de dévoiler mon identité réelle, mes
interlocutrices me coupaient la parole ou faisaient mine de ne pas me comprendre…
Pourquoi me proposaient-elles de revenir ? Que trouvaient-elles dans ma présence ?
59 Prenons le point de vue de Marlon, le gérant de la maison n o 51. Les filles de la geting
l’adorent parce que « c’est quelqu’un de vraiment bien ». Il rechigne à frapper « ses »
femmes et les punit juste d’une amende si elles ne respectent pas ses consignes. Il vit
depuis 2008 avec Gréta, une Mongole de la Région Autonome de Mongolie-Intérieure,
une Horčin, comme lui. Gréta est mère d’une fille de 17 ans, Olga. La soumission des
filles de la maison no 51 est solide et durable, car Marlon a réussi à transformer cette
relation en consentement. Il se distingue de certains patrons du Palais d’or qui sont de
« véritables atamans ». Il a incorporé les « habitus du patron » (Mathieu 2007,
pp. 80-81) ; il sait mélanger la coercition et l’affection. Il offre aux filles des conditions
respectueuses de vie et de travail. Or, la question du respect est essentielle dans le
travail sexuel (Pheterson [1996] 2001, pp. 60, 71). Pour ce qui concerne Marlon et « ses
filles », le respect participe à la construction d’une « grammaire de l’honneur » dans
l’ensemble des processus stigmatisant les femmes, les migrantes et les prostituées
(Roulleau-Berger 2007, p. 260). Construisant la fierté du métier 17, Marlon donne à « ses
filles » les moyens d’accepter leur désaffiliation sociale et de développer des stratégies
d’affiliation au sein d’un espace prostitutionnel édifié sur le modèle d’une famille.
60 Marlon se souvenait de notre rencontre, trois ans auparavant. Faisait-il semblant
d’avoir oublié que je souhaitais « enquêter » sur la prostitution à Erlian ? Sa tolérance
et son silence étaient-ils une conséquence de la « faible objectivation et [de] la labilité
des rapports sociaux » caractéristiques des lieux prostitutionnels (Mathieu 2007,
p. 61) ? Marlon m’acceptait dans « sa famille », car il pouvait se servir de moi pour
valoriser sa posture, nécessitant un réseau élargi, qu’il aurait pu mettre à profit dans
une activité plus « reconnue » que la prostitution, telle que le tourisme international. Il
a ainsi tenu à me présenter « l’un de ses amis », le chef de la police municipale.
61 Prenons maintenant le point de vue des travailleuses du sexe mongoles. La maison n o 51
faisait face à celle de Mišeelt, avec laquelle j’avais eu un entretien ouvert et enregistré.
Entre geting, les travailleuses du sexe se connaissaient et certaines étaient très amies.
Mišeelt était venue me voir à plusieurs reprises dans la maison n o 51. Venait-elle
vérifier que je ne dévoilais pas mon identité ? Que je ne parlais pas d’elle ? A-t-elle posé
des questions aux autres filles de la maison ? S’il m’est impossible de répondre à ces
questions, je reste persuadée que les filles savaient ce que je faisais avec elles.

Une question de (re)présentation ?

62 Au début, les travailleuses du sexe me présentaient aux visiteurs comme la


« professeure d’anglais » et, après l’arrêt des cours, comme une amie des patrons de la
maison. Je leur ai servi d’interface entre leur « prison libre » et l’extérieur, leur

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


72

permettant d’être en contact avec le monde situé hors de la maison close. Les filles
m’ont posé des questions sur l’Europe, me demandant des conseils dans l’élaboration de
leurs rêves migratoires. J’ai ainsi servi d’intermédiaire de normalisation, en incarnant
le reflet de la femme qui est en chacune d’elle. L’attribution d’une identité
d’intermédiaire et l’entretien de ce personnage révèlent aussi ce processus de
normalisation, car le convoyage de filles légitime la prostitution autant qu’il autorise à
s’en éloigner.
63 Tandis que Marlon et Gréta insistaient pour que je reste le soir « travailler », les filles
m’ont protégée. Certaines ont discuté avec eux pour que je ne « sorte pas la nuit ».
D’autres ont négocié ma posture « d’appât » en m’habillant et en me maquillant, en me
faisant asseoir dehors, devant la vitrine, afin d’attirer les clients. Mais, quand ceux-ci
semblaient intéressés, elles précisaient d’emblée que « j’étais une amie » ou
proposaient un prix exorbitant. Je n’étais pas la seule femme de la maison à ne pas
offrir de service sexuel, il y avait également les « patronnes », Gréta et sa fille, Olga.
64 Les filles ont à plusieurs reprises utilisé des anecdotes pour confirmer mon statut de
recruteuse bouriate. Par exemple, lors d’une nuit passée en compagnie d’Ingrid, nous
avons rencontré dans le Bar mongol un négociant avec lequel j’ai discuté en russe.
Ingrid mentionna ensuite, publiquement, cette soirée comme la preuve de mon identité
de Russe-Bouriate. Dans la maison, les travailleuses du sexe ont plusieurs fois
ostensiblement souligné, entre elles ou aux visiteurs, que je faisais une « étude »
(sudlaga), sous-entendu « de marché », mais ce terme désigne également l’étude de
terrain.
65 Une fois la confiance instaurée, les travailleuses du sexe m’ont régulièrement fait des
confidences sur leur situation, leurs ressentis et leurs émotions. Dans la maison, elles
me prenaient à part et me chuchotaient à l’oreille leurs « secrets ». La majorité d’entre-
elles voulait échanger du parfum et des préservatifs contre leur récit de vie. La mise en
parallèle de ces récits et des perspectives d’avenir de leurs auteures est intéressante.
Les femmes qui sont dans la maison close pour un laps de temps fini et déterminé, avec
un projet ponctuel, telle Ingrid, ont livré des récits de vie formels et matériels, ancrés
dans l’espace et le temps. En revanche, celles qui sont là pour fuir des conditions de vie
précaire et qui sont sans alternative, à l’instar de Claudia et de Marilyn, ont construit
des récits plus émotionnels, insistant sur le plaisir et l’orgasme, sur les « bonnes » et les
« mauvaises expériences ». Ainsi Claudia a-t-elle revendiqué sa découverte de l’orgasme
dans le cadre du travail sexuel.
66 Parmi les travailleuses du sexe de la maison no 51, plusieurs ne sont pas entrées dans
ces échanges. Fraîchement arrivée et entièrement occupée à la quête de son
personnage, Rita n’était pas en mesure de parler. Éva était également dans l’incapacité
de se livrer, car âgée de 25 ans, la flétrissure de ses charmes la préoccupait jusqu’à
l’obsession. Enfin, sans projet et en situation de survie, Anastasia et Romy n’avaient pas
envie de « jouer avec moi ».
67 Ceux pour lesquels ma présence laissait le moins d’ambiguïté étaient peut-être la police
et les clients, persuadés que je travaillais là… Progressivement, les contrôles de police
se sont multipliés. Ils ne correspondaient pas à des visites de routine, car la voiture se
dirigeait directement vers la maison no 51. Y aurait-il eu de la jalousie des autres
patrons envers la seule maison du Palais d’or qui accueillait une Européenne ? Il me
sera toujours impossible de répondre à cette question.

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


73

« Soi-même comme un autre » (Ricœur 1990)


68 En guise de conclusion, je souhaite revenir sur les (dis)simulations, les mystifications,
mensonges et présumés malentendus qui ont autorisé, vingt jours durant, un « jeu »
effectué pour l’essentiel dans le huis clos de la maison n o 51. Le « jeu » construit dans
cet espace presque totalitaire offre un miroir grossissant des dynamiques relationnelles
en ethnologie. Je ne compare pas l’ethnologie et la prostitution, mais plutôt des
processus de translation, de dissociation ou de clivage qui se retrouvent dans ces deux
activités impliquant la production d’un masque et la mise en scène de soi, ainsi que la
production des représentations de soi – ou s’agit-il plutôt de considérer le soi comme
un autre, pour reprendre les termes de Ricoeur – et des images de l’Autre.
69 La construction d’un personnage n’est pas une entreprise de traduction/trahison de
soi. Inhérente à l’observation in situ, elle permet de revêtir un costume d’ethnologue et
d’entretenir le mythe d’une légitimité dans les sociétés au cœur desquelles nous
travaillons. Sur le terrain, l’ethnographe n’est ni tout à fait un autre ni tout à fait le
même que chez lui. Il endosse un ou plusieurs rôles qui n’entraînent pas
systématiquement la perte de son authenticité.
70 La recherche de terrain pose la question des jeux – et des « je » – qui se dévoilent en
permanence dans les interactions entre enquêteur et enquêté(s), par la construction
réciproque de rôles permettant à chacun d’occuper, à moindre frais, la place attendue
de lui. La situation ethnographique apparaît ainsi comme une scène où chacun joue un
ou plusieurs rôles, parfois simultanément (Berliner 2013). Dans ces « mises en scène »
croisées, l’ethnologue cherche aussi à se conformer à la représentation que ses
interlocuteurs ont de lui pour mieux répondre à leurs désirs et avoir l’illusion, si
possible partagée, d’une acculturation réciproque. Ces processus s’inscrivent dans des
événements qui échappent en partie à l’activité du terrain. Ainsi, cette ethnographie
sous couvert a dépassé mes intentions initiales… Mais, la situation aurait-elle pu être
différente ?
71 J’ai effectué un nouveau séjour sur ce terrain en avril 2012. J’ai alors cherché une
méthode et une posture susceptibles de dévoiler ma « vraie » identité aux travailleuses
du sexe mongoles d’Erlian. Je souhaitais également leur proposer d’utiliser mon statut
d’ethnologue pour qu’elles prennent la parole. Je voulais élaborer une ethnologie
interactive et sensible.
72 Quand je suis arrivée à Erlian, la configuration de la ville avait changé et l’impasse du
Palais d’or était déserte. Des vestiges d’une activité restaient encore dans quelques
geting, tandis que les débris visibles dans d’autres indiquaient un départ précipité de
leurs habitants. J’ai rapidement découvert que d’autres Palais d’or avaient vu le jour, un
peu plus à l’ouest et au sud de la ville, près des nouveaux marchés consacrés aux
matériaux de construction. J’ai vite retrouvé Marlon et plusieurs des filles rencontrées
en 2010. J’ai alors insisté sur mon « retour à l’ethnologie ». Après quelques jours, je leur
ai parlé d’un projet dans lequel nous pourrions nous investir ensemble. Traqués par la
politique moraliste chinoise soutenue par le gouvernement mongol, ni les filles ni
Marlon n’ont souhaité s’engager dans une action publique. Conserver l’anonymat et
continuer de se cacher leur paraissaient le comportement le plus adapté face aux
répressions dont ils faisaient alors l’objet.

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


74

73 Après des retrouvailles chaleureuses avec Marlon et les filles, l’atmosphère s’est
progressivement refroidie. Marlon, Gréta, Ingrid, Lola, Betty, Romy, Anastasia et deux
nouvelles femmes que je ne connaissais pas me faisaient comprendre chaque jour
davantage qu’ils ne trouvaient plus d’intérêt à ma présence. La répression qui touchait
le travail sexuel pouvait me rendre indésirable. En effet, une Occidentale attirerait
l’attention des autorités sur des espaces interdits et sur une activité beaucoup plus
réprimée et stigmatisée qu’en 2010. Cependant, il me semble que la raison pour laquelle
elles m’évitaient se trouve ailleurs. En costume d’ethnologue dont les études de terrain
sont gratuites, je n’avais plus de position acceptable dans la geting. Mon statut
d’ethnologue ne laissait pas de place à l’attribution d’un rôle compréhensible dans ce
milieu. Il jetait aussi le discrédit sur mon regard qui devenait de la sorte plus
intriguant. Pourquoi une ethnologue s’intéresserait-elle à des travailleuses du sexe ?
Ayant retrouvé ma « vraie casquette », je n’étais plus inscrite dans une dynamique
d’échanges ni dans une activité commerciale. Je n’étais plus une femme « comme elles »
et n’acceptais plus de faire semblant de l’être. Ma présence ne trouvait plus de raison
d’être, devenait gênante voire perturbante. Les masques étaient tombés, le jeu était
fini…

BIBLIOGRAPHIE
Attané, I. 2005 Une Chine sans femmes ? (Paris, Perrin).

Baussant, M. 2009 Entre quête et enquête : la distance dans le terrain ethnographique, Ateliers du
LESC 33 [en ligne, URL : http://ateliers.revues.org/8205, consulté le 17 juillet 2015].

Bawden, C. R. 1997 Mongolian-English Dictionary (London/New York, Kegan Paul International).

Berliner, D. 2013 Le désir de participation ou comment jouer à être un autre, L’Homme 206,
pp. 151-170.

Billé, F. 2010 Different shades of blue. Gay men and nationalist discourse in Mongolia, Studies in
Ethnicity and Nationalism 10(2), pp. 187-203.

Billé, F. 2015 Sinophobia. Anxiety, Violence and the Making of Mongolian Identity (Honolulu, University
of Hawai’i Press).

Center of Human rights and Development, 2005 Combating human trafficking in Mongolia. Issue and
Opportunities (Ulaanbaatar, Spb).

Cheng, M.-H. 2003 Les désirs sexuels masculins et leurs contradictions : masculinité, style de vie
et sexualité. Le cas des clients de prostituées à Taiwan, Travail, genre et sociétés 10, pp. 107-128.

Darley, M. 2009 Prostitution in nightclubs in border areas of the Czech Republic, Revue française de
sociologie 50, pp. 95-124.

Deschamps, C. 2007 La figure de l’étrangère dans la prostitution, Autrepart 42, pp. 39-52.

Fabiani, J.-L. 2001 L’expérimentation improbable. Remarques sur la sociologie française dans ses
rapports avec l’ethnométhodologie, in M. de Fornel, A. Ogien & L. Quéré (dirs),

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


75

L’ethnométhodologie : une sociologie radicale. Colloque de Cerisy (Paris, La Découverte et Syros),


pp. 277-295.

Fogel, F. & I. Rivoal 2009 Introduction, in F. Fogel & I. Rivoal (dirs) La relation ethnographique,
terrains et textes. Ateliers du LESC 33, [en ligne, URL : http://ateliers.revues.org/8192, consulté le 17
juillet 2015].

Geertz, C. [1973] 1983 Bali. Interprétation d’une culture (Paris, Gallimard).

Gil, F. 2005 Sexualité et prostitution, in M.-E. Handman & J. Mossuz-Lavau (dirs) La prostitution à
Paris (Paris, Editions de La Martinière), pp. 345-375.

Goffman, E. [1961] 1968 Asiles. Études sur la condition sociale des malades mentaux et autres reclus
(Paris, Editions de Minuit, Le sens commun).

Handman, M.-É. 2005 Enquêter sur la prostitution, in M.-E. Handman & J. Mossuz-Lavau (éd.), La
prostitution à Paris (Paris, Éditions de la Martinière), pp. 19-37.

Ithier, B. & I. M. Kamieniak 2015 Argument : mensonge, Revue française de psychanalyse 79(1),
pp. 9-12.

Lacaze, G. 2010 “Run after time”: the roads of suitcase traders, Asian ethnicity 11(2), pp. 191-208.

Lenclud, G. 2009 Mensonge et vérité. À propos d’un article de Raymond Jamous, in F. Fogel &
I. Rivoal (dirs), La relation ethnographique, terrains et textes. Ateliers du LESC 33 [en ligne, URL :
http://ateliers.revues.org/8201, consulté le 17 juillet 2015].

Lévy, F. & M. Lieber 2009 La sexualité comme ressource migratoire, Revue française de sociologie
50(4), pp. 719-746.

Marcus, G. 2002 Au-delà de Malinowski et après Writing Culture : à propos du futur de


l’anthropologie culturelle et du malaise de l’ethnographie, Ethnographiques.org 1 [en ligne, URL :
http://www.ethnographiques.org/2002/Marcus.html, consulté le 17 juillet 2015].

Mathieu, L. 2007, La condition prostituée (Paris, Textuel : La discorde).

Micollier, E. (ed.) [2004] 2006 Sexual Cultures in East Asia. The Social Construction of Sexuality and
Sexual Risk in a Time of AIDS (New York, Routledge/Curzon).

Micollier, E. 2007 Social inscription of sexualities in an Era of AIDS, in Y. Huang & S. Pan (eds),
Sexuality Research in China (Zhongguo xing yanjui), pp. 105-124.

Molinié, A. 2009 Anthropologue prends garde ! Trois assignations périlleuses sur trois terrains
andins, in F. Fogel & I. Rivoal (dirs), La relation ethnographique, terrains et textes. Ateliers du LESC 33
[en ligne, URL : http://ateliers.revues.org/8215, consulté le 17 juillet 2015.

Monjaret, A. & C. Pugeault (dirs) 2014 Le sexe de l’enquête. Approches sociologiques et anthropologiques
(Paris, Editions de l’ENS, Sociétés, espaces, temps).

Mossuz-Lavau, J. & M. Texeira 2005 Le vécu des femmes prostituées, in M. E. Handman &
J. Mossuz-lavau (dirs), La prostitution à Paris (Paris, Éditions de la Martinière), pp.156-196.

National AIDS Foundation (NAF) 2007 Hamtran ažillacgaaja (Ulaanbaatar, NAF).

Pan, S. [2004] 2006 Three red light districts in China, in E. Micollier (ed.), Sexual Cultures in East
Asia. The Social Construction of Sexuality and Sexual Risk in a Time of AIDS (New York, Routledge/
Curzon), pp. 23-53.

Pheterson, G. [1996] 2001 Le prisme de la prostitution (Paris, L’Harmattan : Bibliothèque du


féminisme), 211 p.

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


76

Piette, A. 2010 Propositions anthropologiques pour refonder la discipline (Paris, Editions Petra).

Pryen, S. 2002 Prostitution de rue. Le privé des femmes publiques, Ethnologie française 32(1),
pp. 11-18.

Ricoeur, P. 1990 Soi-même comme un autre (Paris, Éditions du seuil).

Rivoal, I. 2009 Un huis clos ethnographique ou l’impossible enquête chez un ancien milicien
libanais, in F. Fogel & I. Rivoal (dirs), La relation ethnographique, terrains et textes. Ateliers du LESC 33
[En ligne, URL : http://ateliers.revues.org/8217, consulté le 17 juillet 2015].

Roulleau-Berger, L. 2007 Les oubliés de la mondialisation à Shanghaï et Beijing. Captivités et


résistances des migrants peu qualifiés sur les marchés du travail, in I. Berry-Chikhaoui,
A. Deboulet & L. Roulleau-Berger (dirs), Villes internationales. Entre tensions et réactions des habitants
(Paris, La découverte), pp. 245-262.

Sahlins, M. D. 1979 L’apothéose du capitaine Cook, in M. Izard & P. Smith (dirs), La fonction
symbolique (Paris, Gallimard), pp. 307-343.

Saladin d’Anglure, B. 2007 Troisième sexe social, atome familial et médiations chamaniques. Pour
une anthropologie holiste, Anthropologie et sociétés 31(3), pp. 165-184.

Schinz, O. 2002 Pourquoi les ethnologues s’établissent en enfer ? Maîtrise de soi, maîtrise de son
terrain, Ethnographiques.org, 1 [en ligne, URL : http://www.ethnographiques.org/2002/
Schinz.html#4, consulté le 17 juillet 2015.

Séchet, R. 2009 La prostitution, enjeu de géographie morale dans la ville entrepreneuriale.


Lectures par les géographes anglophones, Espace géographique 38(1), pp. 59-72.

Zhou, J. 2006 Chinese prostitution. Consequences and solutions in the post-Mao Era, China : an
International Journal 4, pp. 238-262.

NOTES
1. Le CHRD (http://www.chrd.org.mn, consulté le 17 novembre 2017), une ONG mongole agissant
pour la défense des Droits de l’Homme, est partie prenante du Forum-Asia (http://www.forum-
asia.org, consulté le 17 novembre 2017), un organisme international, fondé en 1991 afin de veiller
au respect des conventions internationales protégeant les personnes vulnérables.
2. Les Mongols comptent parmi les populations asiatiques les plus alphabétisées. Comme
beaucoup de prostituées de l’ex-monde soviétique, leur niveau d’éducation est élevé (Deschamps
2007, p. 49). Il est de loin supérieur à celui des Chinoises. Cependant, les travailleuses du sexe
sont relativement moins diplômées que la moyenne des Mongoles.
3. La ville d’Erlian (二连, en mongol Ereen), qui signifie « bariolé, bigarré, zébré », se situe à la
frontière septentrionale de la Chine, en face de Zamyn üüd, la « Porte de la route », dans le Sud
de la Mongolie (voir Lacaze 2010 pour une analyse des activités économiques et de l’occupation
genrée de la ville).
4. Les « tranchées » désignent les conduits de canalisation creusés dans les villes mongoles où les
personnes vivant dans la rue se réfugient l’hiver afin de se protéger du froid glacial.
5. La plupart d’entre elles sont des femmes illettrées en provenance de Mandchourie. Les femmes
lettrées de cette province nord-orientale de la Chine, voisine de la Région Autonome de
Mongolie-Intérieure, vont plutôt se prostituer en Europe depuis 1990, notamment en France
(Lévy & Lieber 2009, p. 724).
6. Le terme « patron » (老板 laoban ou lobo selon sa prononciation mongole), désigne le gérant
d’une maison close à Erlian et à Macao, en particulier, car ces patrons sont liés les uns aux autres.

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


77

7. Les Mongols horčin vivent dans la partie orientale de la Mongolie chinoise. Plus que d’autres
groupes mongols de Chine, ils ont conservé leur organisation lignagère. Ils ont fourni les hauts
cadres et fonctionnaires du parti communiste chinois, entretenant alors des relations
clientélistes qui leur sont fort utiles aujourd'hui.
8. J’utilise ici des pseudonymes empruntés à l’imaginaire cinématographique du contexte
prostitutionnel.
9. Cet ancien enseignant d’université, reconverti dans le privé depuis 1984, travaille à Erlian
depuis 2004.
10. Quand elles empruntent 100 €, elles doivent en rembourser 150 € au patron. Durant la période
de remboursement, elles ne gagnent que 50 % des fruits de leur travail, pour 65 %-70 % quand
elles sont « libres ». Afin de ne pas promouvoir le tourisme sexuel, je ne donnerai pas les prix des
prestations proposées. En supposant qu’une passe simple coûte 50 €, une prostituée endettée
gagne 25 €, reverse au patron les 25 € restants, pour une moitié au titre de ses bénéfices et pour
l’autre, en remboursement de sa dette. Elle s’acquitte donc de son emprunt au bout de douze
passes simples. Continuant à gagner sa vie, elle peut aussi décider de diminuer ses bénéfices pour
rembourser plus rapidement son patron.
11. Les Mongols bénéficient d’un droit de libre séjour d’un mois en Chine. Ils peuvent donc y
résider de manière permanente, en traversant la frontière une fois par mois, pour réactualiser
leur permis de résidence.
12. L’hospitalité mongole accorde à l’étranger un statut « d’invité d’honneur », c’est-à-dire la
place d’une personne âgée. Ainsi, ai-je souvent été assimilée à une « ancienne » ou à une aînée du
groupe.
13. Le « troisième sexe » permet de transcender les catégories de genre qui organisent la société
(Saladin d’Anglure 2007).
14. Désignant initialement les chefs cosaques, ce terme signifiant « chef de bande » en russe a été
introduit en mongol dans le sens de « chef, patron » de groupes ayant des activités illégales (cf.
Bawden 1997, p. 29). Les filles nomment atamans les proxénètes violents.
15. Un collègue ethnologue était censé me rejoindre un peu plus tard afin de passer quelques
jours dans la région. Il dut à son tour revêtir le costume d’un investisseur français.
16. À Erlian, les salons de tatouage sont en constante augmentation. Le tatouage se répand parmi
les jeunes Mongols et ne caractérise pas spécialement les travailleuses du sexe. Les motifs plus ou
moins évocateurs, ainsi que l’endroit du corps choisi peuvent néanmoins devenir des symboles
marquant les prostituées.
17. Marlon valorise les femmes qui travaillent avec lui. Il les réprimande quand elles prennent
des risques. Il leur fournit systématiquement des préservatifs, empêche les sorties avec des
clients saouls. Il « respecte ses filles » qui, de leur côté, le considèrent « comme un père ».

RÉSUMÉS
Construit à partir de recherches de terrain effectuées entre 2007 et 2012, cet article examine
comment des travailleuses du sexe mongoles élaborent leur personnage au sein d’une maison
close chinoise. Il insiste sur la place des échanges matériels et immatériels dans la communion
instaurée entre ces femmes, « partenaires de destin ». Il s’intéresse également aux rôles attribués
à l’ethnologue dans cette recherche en interrogeant les « malentendus productifs » et les « jeux »
qui se déroulent lors de l’enquête de terrain.

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


78

Drawing from fieldwork research conducted between 2007 and 2012, this article examines how
Mongolian prostitutes develop their character within a Chinese brothel. It insists on the function
of the material and immaterial exchanges in the communion established between these women,
“partners of fate”. It also questions the roles attributed to the ethnologist in this research while
questioning the “productive misunderstanding” and the “plays” which take place during
fieldwork investigations.

INDEX
Mots-clés : ethnographie, prostitution, femmes, frontière, Chine, Mongolie
Keywords : ethnography, prostitution, women, border, China, Mongolia

AUTEUR
GAËLLE LACAZE
Gaëlle Lacaze est professeure des universités à l’Institut de géographie et aménagement de
Sorbonne Université. Spécialiste des peuples turco-mongols, elle a passé plusieurs années sur le
terrain entre la Mongolie, la Sibérie, l'Asie centrale et le nord de la Chine. Ses recherches en
anthropologie du corps ont fait l’objet de nombreuses publications et de quatre films. Depuis
plusieurs années, G. Lacaze s’intéresse aux mutations du monde postsocialiste. Elle travaille en
particulier sur les « villes jumelles » transfrontalières et sur les « nouvelles villes minières ». Elle
développe une ethnographie multisituée, dans une approche sensible utilisant différents
dispositifs visuels.
Gaelle.lacaze@paris-sorbonne.fr

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


79

Intermezzo. L’empire des


circonstances
Intermezzo. As dictated by circumstances

Laurent Legrain

En Mongolie aussi…
1 L’intermezzo précédent explorait la richesse de sens du hudal et consacrait la diversité
des pratiques reprises sous ce terme. Ce faisant, l’analyse éloignait le hudal mongol de
nos propres pratiques de la menterie. Pourtant, je pense avoir montré également que,
la plupart du temps, les pratiques les plus subtiles du hudal n’étaient pas purement et
simplement affranchies de possibles retours de la référentialité, d’une correspondance
univoque entre des mots et ce qu’ils sont censés décrire. La binarité d’un jugement en
termes de vérité et de mensonge « menace » toujours la subtilité et la complexité du
travail de torsion de la réalité. Dans cet intermezzo final, ma stratégie d’écriture consiste
à montrer qu’en Mongolie et plus généralement dans les populations mongolophones
parmi lesquelles hudal est d’usage quotidien, il existe des « cadres » à l’intérieur
desquels les participants adoptent le sens restreint (ou absolu) que le mensonge prend
souvent chez nous. Par voie de conséquence, en cadrant l’interaction de la sorte, les
individus adoptent une vision de l’agir humain qui relève de ce que certains auteurs
appellent une « psychologie populaire de base », souvent conçue comme un pur produit
de la pensée occidentale. En suivant les postulats de cette psychologie populaire, le
comportement des humains – celui-là même qui nous est rendu visible et
appréhendable par leurs gestes et leurs paroles – est généré par leurs croyances et leurs
attitudes mentales. J’émettrai l’hypothèse que cette manière de cadrer la
communication humaine est une ressource interprétative universelle et qu’en
Mongolie, elle est donc mobilisable et mobilisée dans certaines circonstances. En
d’autres termes, bien que je sois acquis aux théories qui sortent l’intentionnalité
humaine du réceptacle de la boîte crânienne, qui conçoivent l’agir humain sur un

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


80

modèle moins intellectualiste, je soutiendrai qu’il existe des situations où l’interaction


est ainsi cadrée… même en Mongolie.

Cadrer le mensonge
2 Comme le note Susan Blum dans son ouvrage Lies That Bind. Chinese Truth, Other Truths,
« la question du mensonge est liée à la nature du langage » (Blum 2007, p. 169) ainsi
qu’à la manière dont les locuteurs et les auditeurs pensent que le langage agit sur le
monde. La question du mensonge est donc liée à ce qu’il est convenu d’appeler
« l’idéologie linguistique » (Silverstein 1979)1. Il est évident que cette idéologie est très
différente de place en place. J’ai déjà eu l’occasion de joindre ma voix à celles des
nombreux chercheurs qui pensent qu’en Mongolie, l’idéologie linguistique dominante
confère au langage le pouvoir d’influer sur la marche du monde, de la modifier et non
pas simplement de décrire un état de fait (Hamayon & Bassanoff 1973 ; Højer 2004 ;
Humphrey 2006 ; Legrain 2014a, pp. 287-291). En première analyse, l’idée même du
mensonge semble reposer sur d’autres fondements communicationnels et refléter,
comme John Du Bois le note, d’autres « théories locales de l’agir humain et de la
personne » (Du Bois 1992). Quelles sont ces fondements ?
3 Le menteur a des intentions que son langage s’efforce de dissimuler sous « un vernis de
vraisemblance qui neutralise les systèmes de contrôle » comme l’écrit Mario Lavagetto
dans La cicatrice de Montaigne (Lavagetto [1992] 1997). Le menteur est donc celui qui
détourne vilement et à son profit la capacité que possèderait le langage de décrire en
transparence nos pensées, nos états d’esprits et nos intentions. Un schéma de la
communication classique – bien que scientifiquement récusé de longue date – est
clairement d’application ici :
Pensée-intention née dans le for intérieur du locuteur ►codage en mots et
expressions verbales ► réception ► décodage de l’intention dans le chef de
l’auditeur.
4 En se plaçant dans le sillage analytique d’Erving Goffman, disons que ce schéma
terriblement réducteur est l’un « cadre primaire » à travers lequel la communication
humaine est pensée dans la vie de tous les jours. Un cadre primaire, comme le montrait
Goffman, délimite un plan de réalité et lui donne sens. Si nous n’en disposions pas, nous
nous demanderions pourquoi deux individus produisent des sons, l’un attendant en
général que l’autre ait fini de « chanter » avant d’entamer sa partie. Le mensonge est
donc une « modalisation » simple de ce cadre primaire. On pourrait le schématiser
ainsi :
Pensée-intention née dans le for intérieur du locuteur ≠ codage en mot et
expression verbale ► réception ► décodage correct mais qui ne tient pas compte de
la non-adéquation entre intention et mots.
5 Dans mon premier exemple, je montrerai qu’une idéologie linguistique qui met l’accent
sur les modalités performatives du langage s’accommode très bien de ce cadre primaire
et de sa modélisation en cadre secondaire. La question qui en découle est double : sous
quelles conditions et pourquoi ce cadrage simpliste s’impose dans certaines
circonstances et ne laisse plus qu’une place marginale à d’autres cadrages possibles ?
En d’autres termes, je pense que, en Mongolie comme en Europe, lorsqu’il est question
d’accusation ou de soupçon de menteries – au sens restreint définit ci-dessus – les
Mongols comme les Européens font l’expérience de la relation sociale en termes

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


81

d’individus-monades dissimulant leur vie intérieure, la plaçant à l’abri des regards


derrière une barrière de mots opaques2. Montaigne écrivait : « En vérité, le mentir est
un maudit vice. Nous ne sommes et nous tenons les uns aux autres que par la parole » 3.
Malgré cette référence à un auteur moraliste de chez nous, je n’ai aucune raison de
penser que ce cadrage n’existe pas en Mongolie et que les Mongols vivraient sous la
coupe d’une et d’une seule conception de la personne radicalement différente de celle
que nous avons en Europe qui serait, elle aussi, une et homogène. Les Mongols comme
les Européens font émerger, en fonction des circonstances du moment, un panel de
conceptions de la personne très diverses.
6 À vrai dire, j’accorde beaucoup de crédit à la description de la vie sociale mongole faite
par Lars Højer dans sa thèse intitulée « Dangerous communication » : « Le champ social,
écrit-il, est caractérisé par la tromperie (ne dites rien aux autres à ce sujet) et
l’anticipation de la tromperie (autrui ne dit pas la vérité) et conséquemment par une
division radicale entre soi et autrui, l’intérieur et l’extérieur » (Højer 2004, p. 79). Højer
insiste : cet « autrui » anxiogène n’est pas une essence stable mais il est appelé à
advenir (made to be). Il précise également que la suspicion généralisée qui rend la
potentialité du mensonge si prégnante dans les rapports sociaux quotidiens n’est pas
causée par le retour à l’état naturel d’une société qui se déliterait après avoir vécu sous
le régime socialiste durant soixante-dix ans. Pour Højer, les processus de dissociation,
de différenciation, d’altérisation font la société autant que les processus d’association
(solidarité, expérience partagée, identification, identité) qui ont depuis longtemps les
faveurs des études anthropologiques (Stasch 2009, p. 1-19 et Simmel [1908] 1992). Je ne
mettrai qu’un bémol à la clé de la description de Højer. Ce n’est pas le domaine social
dans son entièreté qui est caractérisé par la tromperie – par ailleurs Højer en a
conscience et le démontre lui-même dans sa thèse – mais seulement certains segments
de celui-ci. Dès lors, le mot « cadrage » – et la question que cette notion analytique
induit – prend toute son importance. Il ne s’agira pas de se demander si la vie sociale
est caractérisée par la fourberie mais de se demander dans quelles circonstances elle
l’est4 et s’il s’avère que ces circonstances sont nombreuses, alors il faut tenter de
comprendre pourquoi. C’est donc à l’empire des circonstances qu’il faut s’intéresser.
Inutile de dire que je ne ferai pas, ici, tout le travail d’analyse que nécessite cette
approche. Je me contenterai de relire à la lumière de ce qui précède deux travaux
récents d’anthropologues travaillant avec des populations mongoles. Commençons par
un cas d’école d’une grande « pureté ».

« À mauvaises pensées, mauvais destin5 » (proverbe


mongol)
7 Paula Haas a écrit une thèse troublante et ce notamment parce qu’elle y analyse l’ennui
qui pèse sur le quotidien de ses interlocuteurs vivant dans les zones rurales entourant
la ville de Manzhouli à l’est de la Chine, en Mongolie Intérieure. Mais au-delà de l’ennui
des Barga (ethnie mongole apparentée aux Bouriates), c’est encore, comme pour Højer
quelques années plus tôt en Mongolie, le climat de méfiance généralisée qui s’imposera
finalement à elle comme sujet d’une thèse intitulée « Trusting Everyone and No-One »
(Haas 2012). Le titre dit bien que l’injonction morale première pour les Barga est
d’accorder sa confiance à tous dans un monde pourtant peuplé de personnes qui, dans
le secret de leur intériorité, fomentent les pires plans et nourrissent les plus noirs

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


82

desseins, des individus qu’on qualifie de muu sanaataj (aux mauvaises pensées). Sanaa
signifie la pensée en mongol mais plus précisément la pensée qui naît dans le for
intérieur d’une personne, celle qui dirige ses actions, qui modèle ses attentes comme
dans l’expression « combler des attentes » (saanand hüreh). Sanaa c’est donc la pensée
préalable à l’action et non la pensée en action du sens pratique abondamment
thématisée par Bourdieu (1972) et les courants de l’anthropologie inspirés de la
phénoménologie. Être muu sanaataj, c’est être mal intentionné. Une fois catégorisé
comme mal intentionné, vos actions importent peu, vous resterez un individu mal
intentionné. J’ai souvent été frappé par la persistance de cette catégorisation que plus
rien ne peut venir démentir. Le théâtre des interactions s’en trouve chargé de plus
d’intentions que d’actions.
8 Pour les Barga de cette région, la majorité des gens sont mal intentionnés mais, en
dépit de ce constat, l’unique manière de se comporter est d’octroyer sa confiance à
autrui6. La confiance donnée possède, en effet, des propriétés performatives (« si nous
lui faisons confiance, il le fera »). Ce pouvoir d’affection prêté à la confiance est par
ailleurs en lien direct avec les préceptes de l’idéologie linguistique mongole. L’inconfort
du positionnement est généré par le fait qu’il faut donner sa confiance en bonne
conscience. Car, être méfiant a toutes les chances de susciter chez le suspicieux
l’émergence de pensées noires et, par voie de fait, son basculement dans la catégorie
des muu sanaataj. Par conséquent, il faut non seulement faire montre de tous les signes
apparents (il) de la confiance, y compris dans ses gestes et paroles, mais il faut
idéalement que cette attitude soit un parfait reflet d’une intériorité dissimulée (dald)
dans l’opacité des corps, d’où l’appellation d’« idéologie de la totale transparence » que
donne Paula Haas à cette configuration interactionnelle délicate (Haas 2012, p. 92). On
imagine l’impossibilité de faire vivre cet idéal au jour le jour et les nombreux
arrangements dont les Barga doivent s’accommoder. On s’imagine aussi aisément les
dégâts qu’occasionne une telle idéologie lorsqu’elle devient le cadrage par défaut de la
relation sociale. D’autant plus que le muu sanaataj est celui par qui tous les malheurs
arrivent comme le montre le proverbe qui sert de titre à cette section (et bien d’autres).
Maladie, pauvreté et accidents sont interprétés comme la conséquence du trop-plein de
mauvaises pensées lovées dans les tréfonds d’un individu. Chaque situation est évaluée
à l’étalon de cette transparence/opacité multipliant les suspicions de dissimulation et
attisant les feux des guerres internes qu’il faut sans cesse livrer au flux de pensées pour
continuer à se tenir du bon côté de la barrière.
9 Ce cadrage – au-delà des arrangements qu’il implique quotidiennement – canalise
l’attention des Barga sur un univers de monades afférées à fabriquer de la transparence
ou de l’opacité et divise donc le domaine éthique en deux pôles exclusifs. Dans la région
de Manzhouli, on ne dira pas qu’un individu aux abois est forcé à un mensonge bénin et
sans préméditation, qu’une personne peut mentir défensivement, sans véritable plan,
qu’elle peut être dégoûtée par son mensonge, qu’elle peut craindre ses propres
menteries. Toutes ces complexités de positions et de placements, ces « dispositions de
l’âme » comme l’écrivait Saint-Augustin, sont balayées d’un revers de main ou, plus
souvent, d’une moue de dégoût typique et sans appel. On ne dira pas non plus qu’une
personne a menti pour ne pas envenimer une situation, voire même pour apaiser les
tensions, pour aplanir un différend, pour protéger un être aimé (d’une mauvaise
nouvelle ou de tout autre danger), cas relevant d’une casuistique du mensonge qui
occupe beaucoup les penseurs au chevet du menteur depuis l’antiquité 7. Aux alentours

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


83

de Manzhouli, chez les Barga, celui qui ment est muu sanaataj, quelqu’un de mal
intentionné, de dangereux pour lui et pour les autres. La seule possibilité de grâce est
que le mensonge soit si énorme, si peu coloré de vraisemblable, si peu travaillé qu’il
apparait de suite et sans aucune ambiguïté comme ce qu’il est : « un mensonge
énorme » (šal hudal). Tout le monde comprend alors que l’énormité débité par une
personne a pour unique but de ne pas mettre en circulation des informations sur lui-
même. Car, tout le monde sait que ce type d’informations nuiront plus tard à la
personne par l’entremise des commérages capables, ici comme en Mongolie, de
cristalliser l’infortune8. Cette petite incartade au précepte de l’idéologie de la totale
transparence entraîne des situations cocasses dans lesquelles des mensonges « gros
comme des maisons » ne prêtent absolument pas à conséquence dans le jugement
moral d’auditeurs pourtant crispés sur l’idée d’une parole vraie. Au-delà des
contradictions et de la forte récursivité de « l’idéologie de la totale transparence », ce
qui m’intéresse ici est de porter sur le devant de la scène le cadre qui produit le
menteur et sa toxicité. Une différenciation radicale entre ego et autrui, entre intérieur
et extérieur, entre révélation et dissimulation se met en place en raison de ce cadrage.
Il ne s’agit pas de dire que la communication humaine est ainsi faite mais plutôt
d’affirmer que les Barga, soumis au constant rappel d’une idéologie de la transparence,
la cadrent de cette manière.

« Un Chinois pense sept pensées mongoles, un Coréen


pense trois pensées chinoises9 »
10 La thèse de Paula Haas ne traite pas directement des questions relatives à la mise en
place historique de l’idéologie de la transparence totale. L’anthropologue focalise sa
recherche doctorale sur son fonctionnement quotidien et en décrit le caractère
parasitant et paralysant. Le livre de Franck Billé, Sinophobia. Anxiety, Violence and the
Making of Mongolian Identity, explore lui aussi, bien que de manière périphérique, le
mensonge et la dissimulation en reprenant le lexique de l’accusation qui gravite autour
du terme sanaataj. À Oulan-Bator, un sentiment de suspicion identique à celui qui règne
chez les Barga transpire des pages de l’ouvrage de Billé et les accusations de mensonges
et de dissimulation vont bon train. Cette fois-ci, elles sont tournées vers la population
de migrants chinois présente dans la ville. La plupart du temps, ces migrants
temporaires ou permanents sont soit ouvriers de la construction soit tenanciers de
restaurant, activités professionnelles dont les lieux sont circonscrits et hautement
visibles. Malgré cette visibilité, la présence des Chinois en ville n’est pas clairement
délimitée. L’anxiété naît même de la difficulté à repérer les Chinois parmi les Mongols
d’abord à cause d’une ressemblance physionomique mais surtout parce que les hommes
chinois, très présents sur le territoire mongol à la fin du règne de la dynastie des Qing,
ont laissé une descendance nombreuse en Mongolie et que ces gens d’origine mêlée
sont très difficiles à distinguer des « purs Mongols » (cever mongol). Ces gens sont
assimilés aux Chinois. Ils en ont les tares comme d’ailleurs les Mongols de Mongolie-
Intérieure. Et ceux-là aussi sont difficiles à reconnaître puisque, pour compliquer
encore cette identification, ils connaissent parfaitement la langue mongole. La situation
est telle que tout le monde est susceptible d’être un peu chinois ou de seconder les
Chinois dans leur entreprise de pillage des ressources du pays. L’un des arguments forts
développé dans le livre de Franck Billé tient dans l’idée que les Mongols sont engagés

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


84

dans un processus continuel d’abjection – comme disait Lacan (Lacan 1966) – visant à se
débarrasser de cet élément chinois profondément engoncé dans le fonctionnement du
corps social et biologique mongol. Bien que l’abjection soit un phénomène
psychologique, l’auteur trouve principalement les racines de cette forme d’abjection
collective et obsédante dans les tribulations historiques qui ont constitué la nation
mongole. Depuis trois siècles, les deux régimes politiques qui ont fortement pesé sur la
vie mongole – l’empire mandchou (1691-1911) et le régime soviétique (1921-1991) – ont
largement contribué à la construction d’une altérité radicale séparant le Chinois du
Mongol. Pour diverses raisons, les Mandchous ont tenté de circonvenir l’activité
chinoise en Mongolie. Quant à l’idéologie soviétique, elle a entraîné les Mongols dans le
sillage de l’histoire européenne et a isolé les Mongols de leurs homologues asiatiques.
Un homme politique mongol déclarait récemment que ses concitoyens sont les fils de
cinq révolutions commençant son énumération par la Révolution française et la grande
révolution d’Octobre. Au milieu des années 1950, des politiques culturelles d’envergure
axées sur l’hygiénisme et l’éducation des masses furent mises en place sur l’ensemble
du territoire mongol. Porteur des clichés véhiculés par l’orientalisme russe, les
soviétiques renvoyèrent la saleté, l’ignorance et la froide rationalité commerciale dans
un fantasmatique « pôle asiatique » tirant les Mongols vers un (non moins
fantasmatique) « pôle européen ». Chez Franck Billé, le cadrage qui produit un ego et
un autrui irréductible et pourtant toujours susceptible d’être dans son propre sang,
s’origine dans un creuset qui rassemble les processus longs de l’histoire et de
l’ontogenèse. Qu’en est-il de la toxicité des mauvaises intentions à l’intérieur de ce
cadre spécifique ? Je tente de redéployer une partie de l’argumentaire de
l’anthropologue à partir du terme hudal.
11 Pour de très nombreux Mongols, le terme hudal – au sens restreint de mensonge –
aurait subi une dérivation sémantique pour donner, hudaldaa qui, étonnamment,
signifie « commerce » ou « négoce » et montre aux yeux des Mongols à quel point les
relations commerciales des Mongols – pasteurs vivant de leur bétail hors des jeux du
négoce financier – avec la Chine – peuplée de marchands cupides et véreux – furent
pipées dès le départ. La situation prit une tournure désastreuse avec la pénétration des
maisons commerciales chinoises au XIXe siècle. Cette vision en noir et blanc masque le
fait que certaines formes de commerce sont pratiquées de longue date par les Mongols
également. L’interprétation des dérivations sémantiques de hudal, remise en question
aujourd’hui10, est cependant très prégnante dans la société mongole contemporaine.
Elle montre à quel point la figure du Chinois est ourlée par son hyper-rationalité
économique et la cupidité dissimulées sous les apparences avenantes d’un négociant
toujours prêt à revoir les termes des prêts consentis dans l’unique but d’accroître son
emprise sur l’économie mongole11. Ces traits de caractère sont considérés comme
héréditaires. Celui qui naît d’un père Chinois les « contractera » immanquablement. Il
sera sanaataj, littéralement avec une (des) pensée(s), c’est-à-dire, des intentions non
formulées, cachées, qu’il faudra détecter pour ne pas se faire berner.
12 Franck Billé illustre l’atmosphère de méfiance généralisée qui règne sur la Mongolie en
s’appuyant sur une saynète tirée d’une pièce satirique (hošin šog) dont les Mongols sont
si friands (voir l’intermezzo 2). Deux prétendus Mongols arrivent dans un campement.
Les deux arrivants – un père et son fils – viennent arranger le mariage du fils avec la
fille du campement et ainsi, sceller l’amour qui les unit. Nos deux lascars vont pourtant
trahir leur identité chinoise au fur et à mesure de la transaction en étant soniquement

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


85

trop bruyants, émotionnellement trop expansifs, corporellement trop démonstratifs. Cet


ensemble d’excès est représentatif de ce qu’est le Chinois pour le Mongol selon Franck
Billé : un élément de trop qui s’est insinué dans le corps social mongol (Billé 2014,
pp. 91-93).

En guise de conclusion
13 Dans les deux cas décrits dans cet intermezzo, le mensonge se dote des mêmes traits
caractéristiques que ceux qu’il possède chez nous : une intention de nuire qui se
dissimule derrière des faits (y compris de langage) et gestes avenants. Que ce cadre
secondaire soit, en Mongolie, si souvent présent à l’esprit des individus ne manque pas
de poser question et de rendre la texture de la vie sociale mongole rugueuse pour
l’étranger de passage ou l’anthropologue de terrain. À ce dernier, cet état de fait révèle
aussi qu’au-delà des cadrages culturels très variés de l’interaction sociale, il est des
occasions où le cadre est simplifié au maximum pour ne plus mettre en exergue qu’une
conception de l’interaction : un individu cache ses intentions dans le but de tromper
l’autre partie. J’ai tenté de montrer ici que les circonstances qui mènent à cette
sursimplifiaction de l’interaction sociale sont, quant à elles, complexes et sont à même
de révèler des dimensions constitutives d’un ethos local.

BIBLIOGRAPHIE
Billé, F. 2014 Sinophobia. Anxiety, Violence, and the Making of Mongolian Identity (Honolulu, Hawai’i
University Press).

Bourdieu, P. 1972 Esquisse d’une théorie de la pratique. Précédée de trois études d’ethnologie kabyle
(Genève, Librairie Droz).

Blum, S. D. 2007 Lies That Bind. Chinese Truth, Other Truths (Lanham, Rowman & Littlefield
Publishers).

Charlier, B. 2015 Faces of the Wolf. Managing the Human, Non-human Boundary in Mongolia (Leiden/
Boston, Brill).

Du Bois, J. W. 1992 Meaning without intention. Lessons from divination, in J. H. Hall & J. T. Irvine
(eds), Responsibility and Evidence in Oral Discourse (Cambridge, Cambridge University Press),
pp. 24-47.

Flaubert ,G. [1857] 2014 Madame Bovary suivi des Actes du procès (Paris, Flammarion).

Goffman, E. [1974] 1991 Les cadres de l’expérience (Paris, Les Editions de Minuit, Le sens commun).

Haas P. 2012 Trusting Everyone and No-one. Constructing the Idea Barga Society in Inner
Mongolia. Unpublished PhD Thesis (Cambridge, University of Cambridge).

Hamayon, R. & N. Bassanoff 1973 De la difficulté d’être une belle-fille, Études mongoles 4, pp. 7-74.

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


86

Højer, L. 2004 Dangerous Communications. Enmity, Suspense and Integration in Postsocialist


Northern Mongolia. Thèse de doctorat en anthropologie (Cambridge, University of Cambridge).

Humphrey, C. 2006 On Being Name and Not Name. Authority, Persons, and their Names in
Mongolia, in G. vom Bruck & B. Bodenhorn (eds), The Anthropology of Names and Naming (New
York/ Melbourne/ Madrid/ Cape Town/ Singapore/ Sao Paulo, Cambridge University Press),
pp. 157-176.

Humphrey, C. & D. Sneath 1999 The End of Nomadism? Society, State and the Environment in Inner Asia
(Durham, Duke University Press).

Humphrey, C. & Hürelbaatar U. 2012 Fortune in the Wind. An Impersonal Subjectivity, Social
Analysis 56(2), pp. 152-167.

Kant, E. & B. Constant [1788 ; 1796] 2003 Le droit de mentir (Paris, Mille et une nuit).

Lacan, J. 1966 Écrits (Paris, Le Seuil).

Lavagetto, M. [1992] 1997 La cicatrice de Montaigne. Le mensonge dans la littérature (Paris, Gallimard).

Legrain, L. 2008 L’inaltérable mémoire des exemples. À propos de la confiance sociale en régime
de transition, in F. Pernet & K. Truchon (dirs), Globalisation des cultures. Traces, traverses et voix de
jeunes anthropologues, Anthropologie et Sociétés hors-série 32, pp. 108-117.

Legrain, L. 2014a Chanter, S’attacher et transmettre chez les Darhad de Mongolie (Paris, CEM/EPHE,
Nord-Asie 4).

Legrain, L. 2014b Les soixante-dix mensonges de Dalan Hudalch. La littérature orale et le


mensonge au quotidien en Mongolie, Journal asiatique 302(2), pp. 467-483.

Montaigne, M. de [1595] 2009 Essais I. Édition d’E. Naya, D. Reguig & A. Tarrête (Paris, Gallimard,
Folio classique).

Mori, K. 1997 Polite Lies. On Being a Woman Caught between Cultures (New York, Fawcett books).

Pedersen, M. A. & L. Højer 2008 Lost in Transition. Fuzzy Property and Leaky Selves in
Ulaanbaatar, Ethnos 73(1), pp. 73-96.

Silverstein, M. 1979 Language, structure and linguistic ideology, in P. R. Clyne, W. F. Hanks &
C. L. Hofbauer (eds), The Elements. A Parasession on Linguistic Units and Levels (Chicago, Chicago
Linguistic Society).

Simmel, G. [1908] 1992 Sociologie. Études sur les formes de la socialisation (Paris, Presses
Universitaires de France, Quadrige).

Stasch, R. 2009 Society of Others. Kinship and Mourning in a New in a West Papuan Place (London/
Berkeley/Los Angeles, University of California Press).

NOTES
1. Kyoko Mori, une Japonaise installée aux États-Unis après une vie pleine de déboires familiaux
liés aux mensonges dans son pays natal encapsule magnifiquement cette notion d’idéologie
linguistique : « Les gens me disent souvent que je suis chanceuse d’être bilingue mais je n’en suis
pas certaine. Le langage est comme une radio. Je dois choisir une station et m’y harmoniser »
(Mori 1997, p. 17).
2. Que le cadre primaire appliqué à certaines situations de communication impose la référence à
des individus-monades fermés sur eux-mêmes n’empêche en rien que dans d’autres situations –

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


87

et ce compris dans les tentatives de soigner les complications de la relation sociale entraînées
par le mensonge, la jalousie et la méfiance – de nouveaux cadres soient mis en place. Ceux-ci font
appel à des monades bien plus poreuses ou des « leaky-selves » comme les appellent Pedersen et
Højer (Pedersen & Højer 2008, p. 88). Les termes de hišig, de süld (puissance) et de hij mor’ (force
vitale) renvoient encore à d’autres conceptions de la personne et à d’autres cadrages de
l’interaction (Humphrey & Hürelbaatar 2012 ; Charlier 2015).
3. Montaigne était très ferme sur la nécessité d’une condamnation univoque du mensonge et ceci
dès l’enfance. D’autant plus qu’il en reconnaissait les atours séduisants. Il écrivait : « Et depuis
qu’on a donné ce faux train à la langue, c’est merveille combien il est impossible de l’en retirer »
(Montaigne [1595] 2009, p. 159).
4. Pour introduire sa notion de cadre, Goffman écrit ceci : « J’essaie de perpétuer la tradition
inaugurée par le célèbre chapitre de William James “La perception de la réalité”, publié pour la
première fois dans Mind en 1869. Plutôt que de s’interroger sur la nature du réel, James procède à
un renversement phénoménologique et pose de manière subversive la question suivante : « Dans
quelles circonstances pensons-nous que les choses sont réelles ? » (Goffman [1974] 1990, p. 10)
5. Le distique complet est le suivant : « Sanaa muu bol zajaa muu/samsaa muu bol hamar muu » : Si
les pensées sont mauvaises le destin aussi, si les narines sont mauvaises, le nez [la respiration]
l’est aussi.
6. Il est intéressant de noter avec Paula Haas, qu’il existe deux termes pour dénoter la confiance
en Mongolie. Najdvar désigne la confiance que l’on place en une personne à qui l’on a demandé un
service. Étant donné que la vie sociale mongole s’organise autour de ce que Humphrey et Sneath
appellent des « relations sociales d’obligations » (Humphrey & Sneath 1999, p. 141), ce genre de
« personne de confiance » (najdvartaj hün) se déniche aisément à l’intérieur de son réseau
d’obligations même si cette personne est, par ailleurs et en de nombreuses autres circonstances,
un fieffé larron et un fourbe (Haas 2012, p. 156 ; voir aussi Legrain 2008). Itgel renvoie à
l’atmosphère de confiance que génèrent les relations avec un individu bon et dépourvu de
mauvaise pensée (Haas 2012, p. 156). Itgel est également le terme qui renvoie à la profession de foi
pour le bouddhiste. Et puisqu’il est facile de trouver des najdvartaj hün mais pas de itgeltej hün
dans son réseau d’obligations alors Højer a raison de dire qu’il y a « un problème lorsque nous
[anthropologues] passons sans coup férir de la sécurité fonctionnelle à la fiabilité, à l’intimité et à
l’intégration sans équivoque » lorsque nous étudions la parenté et les réseaux sociaux afférents
(Højer 2004, p. 30).
7. Cette casuistique antique se prolonge dans les réflexions des pères de l’église comme Saint-
Augustin, la polémique entre Emmanuel Kant et Benjamin Constant (Kant & Constant [1788 ;
1796] 2003), dans les descriptions des sociologues et anthropologues contemporains ainsi que
dans les procédés narratifs des hommes de lettres (pour nommer seulement ceux qui ont inspiré
cet article).
8. J’ai traité de la relation ludique entre mensonge et dissimulation d’informations personnelles
dans Legrain 2014b.
9. 7 mongolyn sanaag 1 hjatadyn hün sandag/3 hjatadyn sanaag 1 solongo hün sandag (Billé 2014, p. 62)
10. Pour plus de détail concernant les dérivations du terme, se référer à l’intermezzo précédent.
11. Le marchand chinois est aux Mongols ce que M. Lheureux, marchand de Yonville, est à
Madame Bovary (Flaubert [1857] 2014).

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


88

RÉSUMÉS
Dans cet intermezzo, je montre que malgré la profusion des sens du terme hudal, il est des
occasions dans lesquelles le mot prend la même signification et se colore des mêmes teintes
nocives que le mensonge sous nos latitudes.

In this intermezzzo, I show that despite the various meanings of the Mongolian term hudal, there
exist occasions in which the term refers exactly to what we call lying in Western countries. In
those situations lying is frowned upon and considered as potentially harmful.

INDEX
Mots-clés : Mongolie, mentir, représentation de l’autre, intentionnalité
Keywords : Mongolia, lying, representation of the other, intentionality

AUTEUR
LAURENT LEGRAIN
Laurent Legrain est maître de conférences an anthropologie à l’Université Toulouse II Jean
Jaurès. Ses recherches portent sur le chant, le langage et l’histoire mongole du XXe siècle. Son
ouvrage Chanter, s’attacher et transmettre chez les Darhad de Mongolie sortait en 2014 dans la
collection Nord-Asie.
laurent.legrain@univ-tlse2.fr

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


89

“I told you a fairy tale, and you call


it falsehood?” Some concluding
remarks
« Je vous ai raconté un conte de fée, et vous appelez cela mensonge ? » Quelques
remarques finales

Roberte Hamayon

I am grateful to Laurent Legrain for inviting me to take part in the conference on “lying” he
organized in November 2014. The concluding remarks I made then are the basis of the present
article. I thank Thomas Michael for polishing the English of a draft version of this paper.
1 Is that a lie or not a lie? Answering such a question rests on a more or less subjective
evaluation of many such messages. Common sense would give roughly the same type of
recommendation as pragmatism theories1: the most important thing in interpreting a
message is to identify its relevant context or the interaction in which it is spoken.
Engaging these sorts of articulation, we should make the context of what we are saying
clear to our listener and as a rule, we expect others to do the same. Collective
expectation is essential both in direct communication as well as in social life more
broadly. This is what is evident in the following sentence reported and commented on
by the German philosopher J. G. von Herder (1744-1803)2: “You uncivil thing! I told you
a fairy tale, and you call it falsehood?”
2 These are the words of an Amerindian in response to an inquisitive missionary, just
after telling him a story, which the missionary immediately marked out as “false”. The
story belongs to the Amerindian’s own oral tradition – a realm to be appreciated as
such and to which reference to whatever “truth” is irrelevant –, whereas the
missionary’s condemnation rests on the Christian dogma. Not only are these two
entirely distinct ideological frames of reference which can only entail distinct
expectations, but they also differ in the following feature: the Christian dogma is a
frame within which everything is defined by reference to an “absolute truth”, and
therefore all that is contrary to the dogma is declared a lie and morally condemned.

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


90

3 Such distinctions can be found in many languages and cultures. On the one hand, there
may be frames of reference based on a specific rationality or logic where an absolute
understanding of truth and falsity is immediately and spontaneously recognized, and
this holds for religion3, law4, and even science5; such is the case in Mongolia where the
couple lie/truth (hudal/ünen) are other frames of reference that depend on various
kinds of subjective rationality, in which any evaluation can only be relative to the
context so that “lying” is not morally condemned6.
4 More precisely, notions of falsehood and truth seem not to be appropriate when the
relevant context is essentially subjective, as articulations both relational and emotional
are. We do not say that someone “lies” when he or she is conforming to the codes of
politeness appropriate to the circle in which he or she happens to be. Benjamin
Constant argued in his time that applying the principle that lying is morally
reprehensible “would, if taken unconditionally and singly, make any society
impossible” (Constant, cited by Varden 2010); and C.-A. Sainte-Beuve seems to have
confirmed this when he wrote half a century later: “if one spoke one’s mind for just one
minute, society would crumble” (Sainte-Beuve 1867). What makes “social
dissimulation” possible7, as Rodney Needham remarked more recently, is the
impossibility of really knowing someone else’s inner state (Needham 1972, p. 101).
Somewhat earlier, Marcel Mauss had highlighted the existence of “social pressure” on
the “expression of feelings” (Mauss 1921) and acknowledged that simulation or
dissimulation are often compulsory in order to create and reproduce social bonds in
events and situations where one cannot be sincere but should conform to social
expectations8. Then, if the emotions expressed are somewhat ambiguous, they can,
nevertheless, contain a modicum of sincerity.
5 Thus, social dissimulation implies more than the use of verbal language alone, in
particular bodily and other forms of non-verbalized language; it can also include
secrecy or disinformation within the context of the overall situation. Besides, whether
or not a person is telling the truth or lying, s/he desires to have the listener believe
that s/he is telling the truth, unless of course the attempt to talk altogether fails. On
the other hand, a person who lies should at the same time give his or her interlocutors
the necessary signs to interpret what they are saying. For instance, in some contexts
the liar’s attitude or face should indicate that what they said is not a lie but a joke, in
other words not to be taken seriously. Thus, in Mongol, at the end of a sentence, one
may say “I was lying” (hudlaa) to indicate: “I was joking”. But a subtle use of language
can also make the evaluation of a message change, for language is much more than a
tool of communication: it is a tool for mental operations in general:
In this view, the role of language as a communication system between individuals
would have come about only secondarily […] Its primary function would rather
have been the representation of a finer and richer reality, a way of handling more
efficiently a greater amount of information […] a way of symbolizing and coding
[cognitive images] (Jacob [1982] 1994, p. 58).
6 In the Mongol tale of the “wise bride” (tsetse ber), the young woman speaks not to
communicate but to demonstrate to her father-in-law how clever and wise she is by, for
example, finding a way of getting out of absolute situations (coming neither by night
nor by day, staying neither outdoors nor indoors, etc.) and by playing with words
(coming at dawn, between the wall and the inner covering, etc.) (Hamayon &
Bassanoff 1973).

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


91

7 This provides us with one more reason to assert that “lies” can only be explored if
integrated within the understanding of communication or interaction, whether verbal
or non-verbal.

Terms for lying are ambiguous in many languages


8 Now, not only is the evaluation of a message as “a lie” dependent upon the context, but
the words for “a lie” are often themselves not exempt from ambiguity, as the examples
of English “lie” and French “mensonge” show.
In English, “to lie [down]” and “to lie (to tell lies)” are presented under one and the
same entry in dictionaries, which would nudge us to question the existence of an
underlying semantic relation between these two meanings.
As to French mensonge, it comes from Latin mentio (mentire). The latter verb means
on the one hand “to mention” and on the other hand “to lie” – as if the very fact of
mentioning something could contain an untruth.
Likewise, English “falsehood” and French faux come from Latin fas “expression of
divine will”; this is the root from which both fabula, “fable” and fallacia, “deception,
delusion” come. Another Latin word for lying is mendacium, derived from menda,
“spot or stain on the body, a physical defect”.
9 Likewise, the Mongol term hudal deserves examination. It is comparable to our notion
of lying in contexts where it can be opposed to “truth” (ünen), but this is far from being
applicable to all types of contexts. Thus, hudal is not opposed to “truth” but to
“correct”, “right” (zöv), in contexts in which efficacy is relevant 9. One of the
translations that Kowalewski’s dictionary gives for hudal is “inefficacious”
(Kowalewski 1844-1849). In such contexts, hudal is to be understood as “it does not
work” and would connect with wrongness or falseness, by contrast with zöv “right,
correct, exact”, which is understood as “it works”, and would then connect with truth.
10 The noun hudal and the verb hudlah “to lie” are commonly acknowledged to be derived
from hud, “marriage alliance partner”, and hudaldaa “trade”, from hudlah. Alan Wheeler
examines this widely agreed upon etymology in a paper devoted to the Mongol notion
of market expressed by the term zah zeel10 (Wheeler 2004). He highlights the
connotations of deception, cheating, and lying attached to the term hudaldaa and to the
type of trading it denotes. And he rightly points to the kinship relation called hud, from
which these terms are derived, in order to account for these depreciative connotations.
Whilst the link between alliance (hud) and trade (hudaldaa) is so often obscured by
the perception of deceit (hudal) and trickery that is associated with Chinese
merchants, it is arguable that this “trickery” also has roots in Mongolian marriage
practices of the past (Wheeler 2004, p. 220).
11 However, Wheeler adds, certain researchers from Inner Mongolia now call this link into
question, and maintain that hudaldaa is derived from hud and not from hudal. As
evidence for this, he refers to the book Social Organization of the Turco-Mongol Pastoral
Nomads by Lawrence Krader (Krader 1963, p. 36): “although the ‘gift’ for a bride may
have been ‘fixed’, its amount was often treated ‘as though it were a price for a piece of
goods, in which much haggling and bargaining would be done to raise or lower it to the
level desired by one side or the other’” (Wheeler 2004, p. 220) 11.

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


92

About the link of lying to trading with in-laws


12 The use of the term hud, “in-laws”, is characteristic of the form of marriage exchange
called “generalised exchange” in kinship studies. Ethnographic data shows that this
form itself is tainted with a touch of deceit. Can we unravel why? Generalised exchange
clearly appears potentially deceitful when compared with the symmetric prescriptive
form called “restricted” or “direct”. Typical of the latter is marriage by “sister
exchange” or “daughter exchange”, in which reciprocity is carried out within the same
or the next generation respectively. Such immediate or direct forms of reciprocity
create confidence and security, with every group being wife-giver and wife-taker with
regard to one and the same partner: both are called by the same name in Buryat, anda
(Mongol and)12.
13 By contrast, generalised exchange dissociates wife giving and wife taking (a man of clan
A takes a wife from clan B and gives the daughter he has with her to clan C, i.e. a wife-
taker clan gives its daughters not to the wife giver’s but to another clan). This
dissociation creates uncertainty about the return of a woman to the wife-giver, hence
their anxiety and suspicion, and hence also the attention paid to discussions about the
“bride price” that is aimed at giving the wife-giver something to compensate for the
loss of a daughter13. And this can only generate a hierarchy between the two partners,
which explains why, contrary to and (see just above and note 12), hud is not a reciprocal
term: it is used for the groom’s father; the bride’s father being hudgui in Mongol, hudgoi
in Buryat. On the other hand, the delay in return exchange is also what creates the
temporal interval within which negotiations can be carried out; the latter are
conventional but private and may imply some lying as one among many forms of
cunning that negotiations can entail. Negotiations are initiated by the groom’s father,
i.e. the wife taker, who is in an inferior position as a “requestor” at the start (as is well
known, the weaker can only use ruse if he is to have a chance of winning!). He usually
sends a relative to call on the girl’s father as a go-between in charge of discussing the
“bride price”.
14 However, the use of the verbal suffix of reciprocity, -ld, in the noun “trade” (hudaldaa),
and the verb “to trade” (hudaldah), annihilates the hierarchical connotation found in
the kinship relation; one should add “give” or “take” to distinguish “selling”
(hudaldazh ögöh) from “buying” (hudaldazh avah). It is worth noting that, in former times
(still in the late 1970s), discussions about the price of objects sold at the flea market
zah zeel were carried out through the two partners’ mutual finger pressures on each
other’s arms within their sleeves; their negotiations thus being kept secret.

About the link between lying and trading


15 As Adam Smith and other scholars have shown, a similar link between lying and
trading is found in many other languages and cultures, and deception remains
inherently tied to exchange. For Smith, exchanging is necessarily delusive. Only the
self-illusion that things could be better incites people to take part in producing wealth
and participating in exchange, which allows the object of exchange to increase in value.
Smith implicitly acknowledges the vital part that deception plays in the functioning of

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


93

any exchange system when he writes: “It is deception which rouses and keeps in
continual motion the industry of mankind14”.
16 This question was the topic of a conference that brought together economists and
anthropologists in Vienna in 1996. Caroline Gerschlager initiated the conference to call
into question mainstream economic theory. According to this theory, exchange does
not take place unless both parties mutually gain from it, and therefore deception is
regarded as something irrational that violates the rule of the market where exchange
and deception seem to be mutually exclusive. To challenge this view, Gerschlager
invited several anthropologists to explore the role that deception plays in exchange
from an anthropological point of view: deception appeared to operate as a tool to
negotiate interactions and to help exchange relations to function as social phenomena
(Gerschlager [ed.] 2001).
17 Gerschlager has all the more thoroughly examined Smith’s theory since she, as a native
speaker of German, had a beautiful example of such a link in her mother tongue; this
example is provided by the couple tauschen/täuschen, “to exchange”/”to deceive” –
both of which are placed under the same entry in dictionaries 15. The French expression
“donner le change”, literally “to give change”, actually means “to pull the wool over
somebody’s eyes”; such expressions can help to explain the semantic link between the
two notions (tauschen/täuschen)16. Gerschlager quotes following saying from Grimm to
this effect (Gerschlager 2001, p. 8, 22 n. 16): “He who has the desire to exchange has the
desire to deceive17”.
18 I would like to stress here that this apparent ambivalence does not mean polysemy: the
two meanings are tightly tied to one another, as they are in many other cultures and
languages18. This is usually accounted for by the idea that maintaining relationships
matters more than what is exchanged or communicated. Mauss develops a similar
argument in The Gift: gifts are meant to appear voluntary and disinterested, but in fact
they are obligatory and based on self-interest, and in all contracts each partner tries to
gain more by giving less: exchanges and negotiations rest on persuasion, seduction, and
possibly a touch of cheating. Several papers in Gerschlager’s edited book illustrate the
wide range of behaviours that, far from blocking transactions, contribute to make
exchanges and negotiations function.
19 This is particularly evident in ritual practices aimed at requesting spiritual protection,
aid, or blessings from immaterial beings treated as exchange partners. Such practices
rely on the principle of substitution, whether they are called offerings, ransoms,
sacrifices or something else. The most famous case of such ritual substitutions is seen
in the Nuer sacrifice of a wild cucumber in place of an ox described by E. E. Evans-
Pritchard in his Nuer Religion (Evans-Pritchard 1956). There, practices resting on
substitution imply a particular conception of the offerings’ spiritual receivers: are the
latter gods or spirits conceived of as particularly tolerant or as unaware of being
deceived? My own research on certain types of shamanic rituals and on the use of
euphemisms in Mongol and Buryat “traditional” cultures has shown that the spirits of
dead people are conceived of as liable to be duped (Hamayon 2016, pp. 242-244) 19.
Trickery and ruse seem to work particularly well as long as they are applied in
relation with imaginary partners. The obvious coupling of exchange with deception
in ritual exchanges […] does not constitute a threat to the repetitive nature of
exchange. (Gerschlager 2001, p. 17).

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


94

20 While deceit by trickery, cheating or lying should in principle put the perpetuation of
exchange in danger, it is remarkable that it does not. Commenting on the fool’s role in
Magar rituals (Nepal), Anne de Sales argues that seduction is the pleasant version of
deception (or deception the dark side of seduction): he who makes the other laugh
makes them lose control of themselves, thereby providing an opportunity to obtain
something from them against their will by transforming their loss into a kind of
satisfaction, so that even the loser is happy. Here lies the exchange’s real dynamic and
it is embodied by the fool (Sales 2001, pp. 122-123). Remarkable also are deceptive
operations in which no one feels deceived (Lépinay & Hertz 2005), ceremonial gifts for
example, since these are not about goods but about social recognition (Hénaff 2005).
21 The interdependence of exchanging and deceiving finds a clear illustration in the dual
figure of Hermes in ancient Greek mythology: both merchants and thieves claim him as
their god. He steals a herd of cows belonging to his elder brother Apollo by making
them walk backwards so that their tracks lead Apollo in the wrong direction. Apollo’s
first reaction is to send hounds to track the thief, but he soon is charmed by the music
Hermes plays. Hermes finally becomes the protector of herdsmen and thieves,
merchants and conjurers, roads, boundaries and travellers. His art is above all that of
metis, cunning and elusiveness (Detienne & Vernant [1974] 1991, pp. 10, 49, 287-288).
Odysseus, too, is a liar and a thief. On top of being one of the strongest among the
Achaeans, and probably the best archer, his main attribute and nickname is polymetis,
“[man] of many tricks”. In Homer’s Iliad, he wins the war against the Trojans by
tricking them into bringing a “horse” full of his soldiers into their city. Examining
other Greek mythical examples, Martin Treml highlights the role that ruse and cunning
play in the development of exchange; he shows that, in Euripides’ tragedies, men
confronted with the constraints that any law of exchange represents resort to ruse and
cunning in order to maintain an advantage over their partners (Treml 2001,
pp. 149-163).
22 Ruse and cunning are inherent in any practice that involves bargaining. Avoiding
haggling in a situation where it is usually expected may even arouse suspicion, as in The
Life of Brian (by the Monty Python crew 1979): while running away from his pursuers,
the hero crosses the market place where, at a stall, he immediately proffers the price
demanded of him, and his lack of hesitation provokes a protest from the vendor 20. In
Romania, gypsy horse-dealers create the trading situation by gestures and jokes;
haggling means for them opposing the dominant ethics, that of work (Steward 1994,
p. 113).

Misunderstanding massive nouns for lies


23 In the above-mentioned cases, ruse, cunning and cheating do not hinder exchange;
neither does substitution of small for big diminish the “efficacy” of ritual offerings
aimed at obtaining aid from spiritual beings. If we examine these cases more carefully,
we observe that the spiritual beings concerned are all of human origin or humanized.
According to data from Siberian societies subsisting on hunting, substitution would be
absolutely inconceivable with respect to the spirits of wild animal species hunted for
food. The latter societies perform long collective shamanic periodical rituals to obtain
“luck”, i.e. promises of game from the spirits of wild species. Their shaman should get
as many promises of game or animal “vital force21” as possible during the major part of

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


95

the ritual, and promise the spirits as little human “vital force” as possible in return at
the end of the same ritual. In their view, this is not being disloyal; on the contrary, this
is proving skill in the exchange of vital force with animal spirits, thought to be fair
play. What matters is that the shaman respects the nature of what is exchanged
(“human life force” in exchange of “animal life force”); lessening the amount is
perceived as a loyal ruse on his part; this is the kind of cleverness that is most expected
from the shaman. Whatever their amount, the spoils of the hunt will be shared between
the members of his community following rules that may vary from one community to
another and concern the parts of the pieces of game (i.e. head, legs, etc.) rather than
their quantity. Sharing guarantees both the survival and the morality of the
community.
24 In many cultures, there are goods considered as not liable to be counted (measured or
weighed) whether they are destined to be shared or not; they constitute a specific
morphological category, called “mass or uncountable nouns” (French: « noms massifs
ou indénombrables »). They are always singular and require singular verbs. This is the
case with game, and if we are to count, we say “pieces of game”. In English, sugar, tea,
rice, water, and many goods, including reindeer and cattle, are uncountable.
Uncountable goods also exist as a morphological category in Russian (game dich’, cattle
skot, tea chai, etc.).
25 While there are also uncountable goods in Mongol and Buryat cultures, they do not
constitute a properly morphological category in their languages22. Nevertheless, they
exist as a conceptual category, and this may account for the cases when people seem to
give untrue answers to questions about quantities.

BIBLIOGRAPHY
Benveniste, É. 1966 Le vocabulaire des institutions indo-européennes I. Économie, parenté, société (Paris,
les Éditions de Minuit).

Detienne, M. & J-P. Vernant [1974] 1991 Cunning Intelligence in Greek Culture and Society. Translated
by Janet Lloyd (Chicago, University of Chicago Press). Translation of Les ruses de l’intelligence
(Paris, Flammarion).

Diderot, D. [1830] 1883 The Paradox of Acting. Transl. by W. H. Pollock (London, Chatto & Windus,
Picadilly). Translation of Paradoxe sur le comédien.

Evans-Pritchard, E. E. 1956 Nuer Religion (Oxford, Clarendon Press).

Flaherty, G. 1992 Shamanism and the Eighteenth Century (Oxford, Princeton University Press).

Gerschlager, C. (ed.) 2001 Expanding the Economic Concept of Exchange. Deception, Self-Deception and
Illusion (Boston/Dordrecht/London, Kluwer Academic Publishers).
2001 Is (self)-deception an indispensable quality of exchange?, in C. Gerschlager (ed.), Expanding
the Economic Concept of Exchange. Deception, Self-Deception and Illusion (Boston/Dordrecht/London,

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


96

Kluwer Academic Publishers), pp. 27-51.


(ed.) 2005 Deception in Markets (New York, Palgrave Macmillan).

Grice, H. P. 1975 Logic and conversation, in P. Cole & J. L. Morgan (eds), Syntax and Semantics 3.
Speech Acts (New York, Academic Press), pp. 41-58.

Hamayon, R. 1990 La chasse à l’âme. Nanterre, Société d’ethnologie.


2016 Why We Play. An Anthropological Study. Translated by Damien Simon (London/Chicago, HAU/
University of Chicago Press). Translation of Jouer (Paris, La Découverte, 2012).

Hamayon, R. & N. Bassanoff 1973 Le conte de la bru sensée. Études mongoles 4, p. 7-74.

Hénaff, M. 2005 Gift Exchange,Play and Deception, in Gerschlager C. (ed.), Deception in Markets. An
Economic Analysis (Houndsmill/New York, Palgrave Macmillan), pp. 267-300.

Jacob, F. [1982] 1994 The Possible and the Actual (Seattle/London, the University of Washington
Press).

Kowalewski, J.-E. 1844-1849 Dictionnaire mongol-russe-français (Kazan, Imprimerie de l’Université).

Krader, L. 1963. Social Organization of the Mongol-Turkic Pastoral Nomads (The Hague, Mouton).

Lépinay, V-A. & E. Hertz 2005 Deception and its Preconditions. Issues Raised by Financial
Markets, in C. Gerschlager (ed.), Deception in Markets. An Economic Analysis (Houndsmill/New York,
Palgrave Macmillan), pp. 267-300.

Mauss, M. 1921 L’expression obligatoire des sentiments (Rituels oraux funéraires australiens),
Journal de Psychologie 18, pp. 425-434.
[1923-1924] 1990, The Gift. The Form and Reason for Exchange in Archaic Societies Translated from the
French by W. D. Halls, with a foreword by M. Douglas (London/New York, Routledge).

Needham, R. 1972 Belief, Language and Experience (Chicago, University of Chicago Press).

Origgi, G. 2011 Du mensonge en philosophie, Tout terrain 57, pp. 82-95.

Rachewiltz, I. de. 2006 The Secret History of the Mongols. A Mongolian Epic Chronicle of the thirteenth
century (Leiden & Boston, Brill).

Sainte-Beuve, C.-A. 1867 Port-Royal (Paris, Hachette).

Sales, A. de 2001 The go-between. Reflections on a mechanism of ritual exchange, in


C. Gerschlager (ed.), Expanding the Economic Concept of Exchange. Deception, Self-Deception and Illusion
(Boston/Dordrecht/London, Kluwer Academic Publishers), pp. 121-132.

Stewart, M. 1994. Fils du marché. Les maquignons tsiganes et le modèle anthropologique. Études
tsiganes 4(2), pp. 105-126.

Treml, M. 2001 On Mauss and Myths. Exploring Different Forms of Exchange, in C. Gerschlager
(ed.), Expanding the Economic Concept of Exchange. Deception, Self-Deception and Illusion (Boston/
Dordrecht/London, Kluwer Academic Publishers), pp. 149-163.

Varden, H. 2010 Kant and Lying to the Murderer at the Door… One More Time: Kant’s Legal
Philosophy and Lies to Murderers and Nazis, Journal of Social Philosophy 41(4), pp. 403-421.

Wheeler, A. 2004 Moralities of the Mongolian ‘market’. Genealogy of trade relations and the Zah
Zeel, Inner Asia 6, pp. 215-238.

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


97

NOTES
1. C. S. Pierce, W. V. O. Quine, L. Wittgenstein, P. Grice, D. Wilson & D. Sperber and many others
(for an overview, see Origgi 2011). Paul Grice defines the cooperative principle that makes people
interact with one another as follows: "I expect a partner’s contribution to be appropriate to
immediate needs at each stage of the transaction" (Grice 1975, p. 47). This is a way of explaining
the link between utterances and how they are understood.
2. Herder’s conclusion was the following: “conceits of this sort are not philosophy, bur rather a
sensual illusion of sensual people”. And he continues: “[…] crises stimulated all early peoples to
consult soothsayers for assistance in making decisions” (quoted by Flaherty 1992, p. 146). In his
Ideen zur Philosophie der Geschichte der Menschheit, Herder says calling the shaman a trickster or
deceiver is useless: what matters is his ability to reach people’s imagination (ibid., pp. 147-148).
To him, using cunning is better than using brute force.
3. In the Judaeo-Christian environment in which Western anthropology developed, lying cannot
be analysed separately from truth; however, the relationship between the two concepts has been
explored mainly from the standpoint of “truth”, which has been more thoroughly debated and
for a much longer time.
4. Lying may be punished by law in the USA. Taking an oath in a court of law is a sworn
declaration to tell the truth.
5. Even in science which could be considered as a sphere of objective rationality, only facts are
usually called “true” or “false”, not theories, which also depend partly on subjective rationality
or logics: scientists would refrain from claiming their theory is “true”; they would only say it can
be held to be valid as long as it has not been proved “false”.
6. In such case, an adjective would often be added, as for instance “white lie” in English, pieux
mensonge in French, to indicate that such a lie is not reprehensible.
7. The inability to hide, to dissemble, to deceive and to lie is currently said to be a sign of autism
in a child.
8. At the theatre, we expect that the actors express the character’s feelings, not their own, even if
we don’t go as far as Diderot did in the pamphlet The Paradox of Acting published after his death.
He argued that the best actors are all the more capable of moving the audience precisely because
they do not feel the emotion themselves: “If [an actor] is endowed with extreme sensitivity […]
he will either play no more or play ludicrously poorly” (Diderot [1830] 1883, p. 102).
9. Grégory Delaplace noticed this opposition during the conference in November 2014.
10. The term zah zeel designated the flea market held outdoors just on the boundary of the city
Ulaanbaatar on Sundays at the time of my fieldwork under the communist regime (from the late
1960s until the late 1980s). Thanks to Laurent Legrain for bringing Wheeler’s article to my
attention.
11. The next pages of the article are devoted to the way the Soviet regime provided legitimacy
for the state’s take-over of virtually all aspects of life, including commercial transactions. Follows
a discussion about another term for trade, naimaa (commerce, trade), borrowed from Chinese,
and about the notion of zah zeel from a standpoint of morality in economics.
12. “To exchange belts” (Buhe andaldaha) is still used to speak of marriage in Buryat. Mongol and
designates mainly the hunting partner (be it another hunter or a dog); it designates the partner
with whom one swears perfect friendship in The Secret History of the Mongols (Rachewiltz 2006) and
other historical sources.
13. Epics and ethnographic data show that the Buryats living at the West of Lake Baikal
fluctuated between direct and generalised forms of exchange by the end of the XIXth century
(Hamayon 1990, pp. 344-364). We find an expression of their hesitation in the use of the paired
verbs andaldaha hudaldaha to designate the marriage agreement concluded between the epic

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


98

hero’s father and his bride’s father in their childhood. Both verbs are formed with the suffix -ld,
which indicates reciprocity.
14. Quoted by Caroline Gerschlager 2001, p. 27.
15. For another Indo-European root combining the notions of exchange and lie, see Benveniste
1966, pp. 99-100.
16. This also brings to mind the Latin expression dolus bonus (I thank P. Palussière for calling my
attention to it). In French law, it is understood as “the merchant’s sales talk, the pedlar’s
exaggeration; it does not allow nullity; on the contrary, dolus malus is a serious lie allowing action
in nullity” (« le boniment du marchand, l’exagération du camelot ; il ne permet pas la nullité ; le
dolus malus a contrario est un mensonge grave permettant l'action en nullité »). In American
English, the M. Webster dictionary defines dolus bonus as “simple cunning or sagacity in
bargaining or in other transactions that is not actionable or punishable as fraud or
misrepresentation or ground for rescinding the transaction induced by it”.
17. “Wer Lust hat zu tauschen, hat Lust zu täuschen” (Jacob and Wilhelm Grimm, cited by
Gerschlager 2001).
18. Marcel Mauss points to a similar ambivalence with the term “gift”: “The danger represented
by the thing given or handed on is doubtless nowhere better sensed than in the very ancient
Germanic law and languages. This explains the double meaning of the word Gift in all these
languages – on the one hand, a gift, on the other, poison” (Mauss [1923-1924] 1990, pp. 80-81).
“Gift” is the translation of Latin dosis, “dose of poison” (ibid., p. 186, n. 122).
19. Practices based on the principle of substitution are widespread in those religious forms of the
type currently called paganism and polytheism. By contrast, Abrahamic monotheism introduces
the idea that God, the Almighty, sees and hears everything humans do, and is in principle not
liable to be deceived. He is Truth. Hence, lying is reserved for humans. Is that what incited
Montaigne to write the following: “If it be well weighed, to say that a man lieth is as much to say,
as that he is brave towards God and a coward towards men?” (« Si on y fait bien attention, qu’est-
ce qu’un menteur, sinon un homme couard à l’endroit des hommes et brave à l’endroit de Dieu
? »).
20. The street vendor tells Brian: “No, no, no. Ten? You’re supposed to argue. Ten for that, you
must be mad!”
21. Animal meat that feeds the human body is seen as carrying animal vital force that feeds the
human soul. Rituals performed on hunted animals are aimed at reducing hunting to merely
taking meat.
22. The suffixes held to make the words plural in fact designate a collection of concrete
individual members of the category. Here is a Mongol example, nom avsan: he bought book(s),
nomuud avsan: he bought several books.

INDEX
Keywords: lying, efficacy, joking, trade, alliance
Mots-clés: mensonge, efficacité, plaisanterie, commerce, alliance

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


99

AUTHOR
ROBERTE HAMAYON
Roberte Hamayon has been Professor at the EPHE and held the chair “Religions of Northern Asia”
from 1974 to 2007. She specialised in anthropology of Mongol and Siberian peoples. Her research
focuses on the following topics: shamanism, epics, ritual and playing.
nicoleroberte.devauxhamayon@yahoo.fr

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


100

Comptes rendus
Reviews

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


101

Abish Aynur, Modality in Kazakh as


spoken in China
Wiesbaden, Harrassowitz Verlag, 2016, XIX-250 pages, 5 tableaux, 9 textes
transcrits, glosés et traduits, ISBN 978-3-447-10626-9

Camille Simon

RÉFÉRENCE
Abish Aynur, Modality in Kazakh as spoken in China, Wiesbaden, Harrassowitz Verlag, 2016

1 Cet ouvrage est issu de la thèse de doctorat de l’auteure, soutenue à l’université


d’Uppsala en 2014, sous la direction d’É. Csató-Johanson. La première partie, de 164
pages, constitue l’étude proprement dite : celle-ci est suivie d’un long appendice
(89 pages) qui contient le corpus exploité par l’auteure : neuf textes originaux, de
longueur variable (4 à 77 énoncés). Les textes enregistrés, qui sont tous des
monologues, sont transcrits, annotés et traduits (en anglais) par l’auteure. Enregistrés
entre 2010 et 2012 dans la province du Xinjiang (Chine), auprès de locuteurs âgés de 30
à 72 ans, ils représentent la langue kazakhe contemporaine parlée en République
Populaire de Chine. Ces monologues relèvent de plusieurs genres : discours explicatifs
(T1, T5 & T8) récits historiques et/ou biographiques ou autobiographiques (T2, T3 &
T4), instructions (T6 & T7), récit d’anecdote/expérience personnelle (T9). Chaque texte
est accompagné de métadonnées précises : sexe, âge, date, lieu de naissance et
compétences linguistiques du locuteur, date et lieu d’enregistrement par l’auteure. Ces
indications précises et systématiques ajoutent encore à la valeur documentaire de ce
corpus original, composé de données naturelles. Il est cependant dommage que
l’auteure ne propose pas de carte schématique de la région du Xinjiang, qui aiderait les
lecteurs qui ne sont pas familiers de la région à localiser les zones habitées par des
locuteurs de kazakh (et des autres langues de la région) ainsi que les lieux
d’enregistrements. Ces données naturelles de première main sont complétées par des
données textuelles (textes publiés au Kazakhstan et en Chine) et des données recueillies

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


102

par élicitation en kazakh et en ouighour (sans plus de précision sur les méthodes
employées dans ce cas).
2 Une première section introductive (10 pages) présente la situation sociolinguistique de
la langue kazakhe en Chine et détaille les études publiées en kazakh et en chinois dans
différentes institutions de la RPC. Dans le développement de l’étude, l’auteure cite et
s’appuie régulièrement sur ces sources, en particulier celles publiées en chinois, ce qui
sera particulièrement apprécié des lecteurs non-sinophones pour qui l’accès à ces
sources est difficile.
3 L’auteure présente ensuite (en 7 p.) le cadre théorique développé par Johanson pour
décrire les catégories de modalités dans les langues turciques, qu’elle appliquera pour
décrire de façon détaillée ce domaine linguistique en kazakh. Le domaine de la
modalité, présenté comme l’« attitude du locuteur » par rapport au contenu
propositionnel, est un domaine particulièrement vaste, et dont la définition et les
limites ne font pas l’objet d’un consensus (Palmer [1986] 2001 ; Nuyts 2006). Cette étude
s’inscrit dans une perspective résolument descriptiviste et l’auteure ne discute donc
pas la littérature typologique sur le sujet ni ne confronte le cadre proposé par Johanson
à d’autres cadres descriptifs ou théoriques. Le cadre défini par Johanson distingue trois
types de modalités : la volition (définie comme une attitude de désir ou de souhait vis-
à-vis de la réalisation du contenu propositionnel), la nécessité (correspondant à la
modalité déontique) et l’épistémique. Les marques de modalités illocutoires sont
également prises en compte. Celles-ci sont définies comme des moyens, pour le
locuteur, d’apporter une appréciation sur le contenu de ses propos (« adresser’s comment
on his or her utterance » p. 16). L’auteure définit donc trois dimensions à son objet
d’étude, qu’elle décrit séparément.
4 On peut regretter qu’elle ne discute pas des relations que ces différents types de
modalité entretiennent entre eux dans la grammaire du kazakh : en effet, la description
montre, en particulier, que les marqueurs de modalités illocutoires peuvent souvent se
combiner avec des morphèmes marquant d’autres types de modalités (voir par exemple
p. 107, sur la combinaison de la particule ȧ avec les modes volontatif et impératif). Une
analyse des combinaisons possibles entre les marqueurs des différents types de
modalité en kazakh aurait été la bienvenue, afin de mieux comprendre l’étendue des
différents domaines sémantiques qu’ils expriment et la manière dont ils s’articulent
entre eux. Cet aspect de la description aurait également été utile aux typologues
s’intéressant à la manière dont le domaine de la modalité est grammaticalisé et
structuré dans les langues. Dans la suite de son étude, l’auteure propose une
description très détaillée de chacun des marqueurs de modalité, si bien qu’une lecture
attentive de l’ouvrage permet de reconstituer ces informations disséminées dans
l’ensemble du texte. Cependant, une présentation synthétique de cette question
faciliterait la lecture.
5 L’auteure détaille ensuite la distinction entre modalité subjective (attitude
correspondant au point de vue du locuteur) et objective (attitude correspondant à un
point de vue extérieur). Cette opposition sémantique correspond en effet, dans certains
cas, à une opposition de procédés grammaticaux ou lexicaux spécifiques en kazakh et
des exemples sont proposés au cas par cas. Ainsi, par exemple, tandis que kerek peut
être employé pour exprimer indifféremment une modalité déontique subjective ou
objective (p. 126-127), mȧžbüṛ n’est employé que pour exprimer une modalité déontique
objective, et jamais subjective (p. 129). De même, la forme adverbiale ȧrine exprime une

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


103

modalité épistémique subjective lorsqu’elle est accentuée, mais objective lorsqu’elle est
non-accentuée (p. 120-121). Il aurait été intéressant de proposer une synthèse, par
exemple sous forme de tableau récapitulatif en fin d’ouvrage, des cas où cette
opposition est pertinente dans la grammaire de la langue, afin de mieux la mettre en
valeur.
6 Finalement, l’auteure aborde les notions de « capacité » et d’« intention ». Alors que ces
deux notions sont fréquemment incluses dans les descriptions de la modalité dans les
langues, l’auteure considère qu’elles ne relèvent pas de ce domaine, dans la mesure où
elles n’expriment pas, à proprement parler, une attitude du locuteur vis-à-vis du
contenu propositionnel. L’expression grammaticale de la capacité et de l’intention en
kazakh est néanmoins abordée de façon marginale dans le corps de l’étude et dans une
section finale intitulée « Non-Modal Expressions » (12 p.).
7 Après cette courte introduction, la description proprement dite des données occupe
l’essentiel de l’ouvrage. Il faut dire quelques mots de la manière dont les données sont
présentées, ainsi que de la structuration générale de l’étude. L’auteure affirme choisir
une perspective onomasiologique (« asking what devices Kazakh applies in order to express
various semantic notions », p. 1), mais présente ensuite les procédés grammaticaux ainsi
dégagés en fonction de leurs caractéristiques morphosyntaxiques. Ainsi le cœur de la
description se structure en trois parties : une première partie (51 p.) est consacrée à
l’expression des modalités à l’aide des modes verbaux, une seconde partie (43 p.)
s’intéresse aux particules modales et une troisième partie (37 p.), aux expressions
lexicales et en particulier aux adverbes. Cependant, l’auteure oscille en réalité entre les
deux approches, sémasiologique et onomasiologique. Ainsi, elle présente par exemple
des usages non-modaux du mode hypothétique (p. 42-55 – certains exemples de cette
section illustrent des fonctions modales, mais ce n’est pas le cas pour la plupart d’entre
eux), ce qui correspond donc à une approche sémasiologique. À l’inverse, dans la
section consacrée au mode impératif, elle présente une sous-partie intitulée « other
means to express orders » (p. 25) ce qui correspond, cette fois, à une approche plus
strictement onomasiologique.
8 De tels changements de perspective se trouvent tout au long de l’ouvrage. Ils se
justifient par l’objectif de proposer une description détaillée et complète des
phénomènes liés à la modalité dans la langue, cependant, cette structuration ne facilite
pas la lecture, surtout lorsqu’elle n’est pas clairement explicitée. La modalité, telle que
définie dans le cadre théorique de Johanson, délimite un domaine fonctionnel d’ordre
sémantico-pragmatique. L’adoption d’une perspective plus strictement
onomasiologique et une structuration de l’ouvrage selon les quatre grandes sous-
catégories de modalité définies – volition ; épistémique ; déontique et illocutoire/
énonciative – nous aurait semblé préférable.
9 Il est vrai que, dans ce cas, certaines formes – comme le mode optatif qui exprime à la
fois des valeurs de volition et d’épistémique (p. 35) – apparaitraient dans plusieurs
sections et c’est sans doute pour cette raison que l’auteure a choisi de présenter sa
description en se basant sur les formes grammaticales ou lexicales, et non sur les
notions. Ce choix présente également l’avantage, pour les lecteurs spécialistes d’autres
langues turciques, d’effectuer facilement des comparaisons entre les formes communes
des langues de la famille. Il en résulte cependant une multiplication des sous-catégories
sémantico-pragmatiques de modalité pour chaque forme. Celles-ci semblent souvent
définies de façon ad hoc pour chaque morphème ou pour chaque construction et on

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


104

aboutit souvent à un certain foisonnement de notions. Ainsi, par exemple, les fonctions
du mode volontatif sont définies de la façon suivante : « Voluntative markers express
notions of will, desire, wishing, intention, request, command, demand, entreaty, advice,
recommendation, exhortation, warning, hope, permission, or possibility with respect to the
fulfillment of a given action » (p. 27). Ou encore, pour la description de la particule aw :
« It takes the entire proposition within its scope and expresses the addresser’s evaluation of its
truth, including assumption, incredulity, surprise, etc. » (p. 87). Sauf dans de rares cas,
l’auteure ne contraste pas explicitement les différentes formes qui expriment des
notions proches, afin de mettre en évidence les différences et les similitudes
fonctionnelles entre elles. Il ne s’agit pas de nier la complexité des fonctions assumées
par les différents marqueurs de modalité en kazakh, mais pour le lecteur, l’abondance
de détails et le manque de comparaisons et de synthèses rendent parfois difficile la
compréhension du système modal dans sa globalité. Des comparaisons plus
systématiques des fonctions exprimées par les différentes formes étudiées auraient
permis de faire émerger les notions pertinentes pour décrire le système dans son
ensemble. Il faut cependant souligner que les différentes fonctions énumérées sont
illustrées par de nombreux exemples ce qui confère une valeur documentaire précieuse
à cet ouvrage.
10 Pour conclure sur ce point, il convient d’ajouter que les deux types de présentation des
données – onomasiologique ou sémasiologique – présentent chacune des avantages et
des inconvénients propres. Le choix final procède des inclinations et des objectifs
spécifiques de l’auteure et s’avère plus ou moins pertinent en fonction des attentes et
de la perspective du lecteur. Une solution relativement simple aurait cependant permis
de dépasser cette opposition et de répondre aux deux perspectives, sans pour autant
remettre en question le choix de présentation fait par l’auteure. En effet, celle-ci
présente trois tableaux récapitulatifs en conclusion de l’ouvrage (p. 156-157). Les deux
premiers reprennent la présentation sémasiologique de l’ouvrage : ils récapitulent
respectivement les fonctions modales des modes et des particules modales. Le dernier
classe les expressions lexicales en fonction de trois grands types de modalité (volition,
nécessité et possibilité). Il aurait été intéressant que l’auteure propose, dans cette
conclusion, une double série de tableaux récapitulatifs : une série se basant sur les
formes pour indiquer les notions qu’elles véhiculent, et une série partant des notions,
et énumérant les formes – grammaticales, lexicales et constructions analytiques –
employées pour exprimer ces notions. Ce type de synthèses aurait facilité la lecture et
la compréhension des données.
11 Malgré ces remarques, il faut encore une fois souligner que l’insuffisance de synthèses
récapitulatives n’est que l’aspect secondaire d’une description particulièrement
détaillée et approfondie proposée par l’auteure. Il importe en effet de préciser que
chaque forme exprimant une notion modale est décrite dans ses multiples dimensions.
Ainsi, les différentes catégories d’expressions sont bien définies formellement : par
exemple, les modes sont définis comme des « synthetic devices consisting of bound
inflectional suffixes and expressing different basic modal notions » (p. 18). De la même façon,
les particules modales sont clairement distinguées des adverbes par leurs propriétés
morphosyntaxiques et l’auteure fournit des indications prosodiques ; pour les formes
grammaticales, l’auteure ne manque pas de préciser leur caractère productif ou non en
synchronie ; d’une manière générale, elle décrit systématiquement les phénomènes
d’allomorphie, propose des hypothèses quand à l’origine étymologique des formes.
Notons également que les comparaisons très fréquentes avec les langues de la famille et

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


105

les langues en contact sont particulièrement bienvenues et donnent à l’étude une


dimension génétique et aréale. La description ne manque pas non plus de présenter et
de décrire systématiquement les formes analytiques complexes construites à l’aide d’un
suffixe de mode, d’une particule ou d’un adverbe modal.
12 Comme on l’a mentionné plus haut, cela amène parfois l’auteure à s’éloigner de la
question principale de son étude, pour décrire des fonctions non-modales de certaines
de ces constructions. L’auteure semble avoir inclus toutes les formes rencontrées dans
son corpus et dans les descriptions et la bibliographie consultée, mais elle ne définit pas
explicitement les critères d’inclusion des formes. Ainsi, elle ne donne pas d’information
sur le degré de grammaticalisation et de spécialisation des formes traitées : la réponse à
cette question reste implicite, la grammaticalisation et la spécialisation dépendant du
type morphosyntaxique de la forme considérée. Des détails sur le degré de
grammaticalisation des différentes formes lexicales auraient pu être donnés pour
préciser encore la description.
13 Enfin, il faut signaler que la description comporte de très nombreux exemples
(462 exemples glosés et traduits au total) qui illustrent chacune des fonctions, modales
ou non, des formes décrites dans l’ouvrage, et chacune des constructions mises en
évidence. Sur cet ensemble, on peut regretter que seuls 36 exemples soient issus du
corpus naturel recueilli par l’auteure. La plupart des exemples cités sont en effet des
exemples élicités, tandis qu’un plus petit nombre provient des références
bibliographiques, et notamment des travaux publiés en langue chinoise (et qui ne sont
pas aisément accessible à tous les linguistes travaillant sur les langues turciques).
14 Pour conclure, cet ouvrage, qui présente une analyse très détaillée et précise des
formes exprimant des valeurs modales en kazakh, est une contribution importante à
l’étude de la modalité dans les langues turciques. Les quelques nuances, tenant à un
manque de synthèses récapitulatives, ne doivent pas éclipser la valeur descriptive,
particulièrement appréciable, de cette étude, qui en fait une source précieuse pour
l’étude des systèmes de modalité dans les langues.

BIBLIOGRAPHIE
Nuyts, J. 2006 Modality. Overview and linguistic issues, in W. Frawley (éd.) The expression of
modality (Berlin, Mouton de Gruyter), pp. 1-26.

Palmer, F. R. [1986] 2001 Mood and Modality (Cambridge, Cambridge University Press).

AUTEURS
CAMILLE SIMON
ATER à l'Université d'Aix-Marseille, affiliée aux laboratoires LPL (UMR 6057) et LACITO (UMR
7107)

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


106

Campbell Craig, Agitating Images.


Photography Against History in
Indigenous Siberia
Minneapolis, University of Minnesota Press, 2014, 268 pages, 19
illustrations, ISBN 978-0-8166-8106-8

Jaroslava Panáková

REFERENCES
Campbell Craig, Agitating Images. Photography Against History in Indigenous Siberia,
Minneapolis, University of Minnesota Press, 2014

1 Craig Campbell’s book is an erudite contribution to the debate on “troubled (and


troubling) relationship between photography and historiography” (pp. XIII-XIV). Based
on the archival material of the Tungus Cultural Base (p. XIX), now Tura, Evenkiia,
Russia, the author demonstrates that the historiography of early Sovietisation is
fragmentary, loose and contingent and that multifaceted readings of history, or rather
histories, are necessary.
2 The book is divided into two, quite uneven, parts: in the first and longer chapter, “The
Years Are Like Centuries” (pp. 9-152), Campbell focuses on cultural critique: through
the prism of the Bolshevik mission civilisatrice among indigenous peoples in Central
Siberia in the 1920s and 1930s, he traces the early stages of the Soviet cultural
transformation, including campaigns on health and education, political propaganda
(agitprop), and social reorganisation. Here he points out the discrepancies between the
official history and many parallel histories that have already been well described by
Yuri Slezkine (Slezkine 1994). Campbell uses Walter Benjamin’s (Benjamin 1999, p. 498)
term “constellation of awakening” and Michael Taussig’s (Taussig 1992, p. 3) metaphor
of “nervousness” (p. 12-13) to describe both an unsettling state of the dominant history
and a practice of unsettling directed towards it, when the closed, approved historical

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


107

spaces built by the conventional historiography are open and the authority is
unmasked (p. 11-13). In the depiction of the cultural base – a metonym for the
Bolshevik mission civilisatrice among indigenous peoples of Central Siberia – Campbell
traces incoherent spots in the historical accounts without, however, letting the
ethnography of the private stories emerge. His approach to the archival material on
kul’tbaza fails to offer the anthropological underpinnings of the Sovietisation that we
find in Donahoe & Habeck (Donahoe & Habeck 2011), which portrays a successor of the
kul’tbaza, the House of Culture.
3 In the second part, “Dangerous Communications” (pp. 153-210), the contingencies in
the historiography of the early Sovietisation in Evenkiia, are expressed through the
relationship between photographs and archives; here the author follows up the two
main analytical frames that dominate the debate (Morton & Edwards 2009, p. 3) –
Foucauldian (archives as technology of rule and production of knowledge; images as a
reflection of the gaze and objectification) and Barthes-inspired (linguistically-framed
semiotics that recognise contingency of meaning) – and treats photographs as archives
in their own right (p. 168). In the experimental engagement with the visual, perhaps
counterintuitively, the author brings to the fore Sergei Eisenstein’s theoretical legacy.
4 In its scope and intent, the book resembles Eisenstein’s idea of a spherical book
(Eisenstein 1929), which was, alas, never realised. Designed in a spatial form and made
of glass, it was supposed to encourage the reader-spectator synchronically to perceive
diverse concepts, assemble them, and unravel surprising associations among them.
Looking through the glass, the reader could potentially recognise the unifying idea that
stood behind these concepts – montage, while using the montage itself as a tool for
learning about it. Similarly, Campbell takes the idea of agitation, understood in the
Soviet regime as an active process of cultural reconstruction, and in the form of a
“montage of photographic images accompanied by histories, observations, and
critiques” (p. XI) makes it a provocative cultural critique turned against the regime’s
official history. Such reading against the grain, the author suggests, allows new
interpretative spaces to emerge. Campbell, himself an agitator, calls for a new approach
to writing about the past, in which rights over knowledge are contested. As the author
suggests, in the archival context, such an irritation of the established system is possible
by means of photographs.
5 Although the book unquestionably contributes to Siberian studies by virtue of the fact
that it details early phases of Soviet modernity in Central Siberia, the truly stimulating
contribution is Campbell’s attempt to revise the histories on cultural transformations
in Siberia through some novel encounters with the textual and photographic
fragments. Such an invitation is tempting, considering the burden of certain
dichotomies still present in the ethnographies of Siberia, such as a centre/periphery,
traditional/modern, and dominant discourse versus indigenous knowledge. This is the
reason why I would like to focus on the ways Campbell works with the visual material
and attaches it, or sometimes loosely juxtaposes it, to his text.
6 Despite the promise of the book’s title, the author remains reluctant to approach
photographs as an object of study. Even the photo collections themselves have a long
wait before they receive any attention (starting on p. 163). When they do finally have
their turn, Campbell only skims the surface: he holds onto broad positions over
socialist photography, propaganda and socialist realism, paying insufficient attention
to the photographs selected for his work. The reason is that for Campbell, photographs

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


108

are agents provocateurs (p. XIV) – an analytical tool, not an object of study: with their
multi-valency (Morton & Edwards 2009, p. 9), not only do they undermine the archival
logic and the narratives dictated by the State, they also disrupt “everyday consensus”
(p. XVI). Although Campbell points out that the photographs can have multiple
meanings in different cultural contexts, he only sketches the issue of photographic
colonial and Soviet encounters (colonial context pp. 181-190, circulation of the images
pp. 201-210). Campbell claims that in the studied collections, indigenous peoples are
always on one end of the photographic process, i.e. as photographed objects (but so are
many ethnically diverse agents of Sovietisation – teachers, doctors, nurses,
veterinarians etc.). Yet the life of photography only begins there; how exactly do the
subjects of the photographs participate, if at all, in the social use of the photographs?
7 In his field research, Campbell has engaged with over 4 000 images from five archives.
Ethnography of the archive is for Campbell a way to explore disciplining practices and
relational complexity of artefacts, order, access, and imaginaries (p. 163-173) as well as
“the sensuous materiality of photographic documents” (p. 5). He suggests that in the
digital era, access to digital copies (that ironically he himself enabled through the
British Library’s Endangered Archives Programme) channels the researchers away from
interaction with the original archival documents. Archival work is not just about seeing
but, needless to say, about other senses as well. Campbell reverses John Berger’s
statement that “the way we see things is affected by what we know or what we believe
in” (Berger 1972, p. 8) by maintaining that images affect the ways we remember, learn
and know about the past. The direct contact with the images, ordered, classified, stored
but also degraded, manipulated, and damaged, enables Campbell to recognise the
indeterminacy and sensuousness of empirical reality, and, moreover, to activate
interpretative fields that are typically unacknowledged in conventional scholarly
practice. He arrives at much the same conclusions as David MacDougall
(MacDougall 1998, p. 82) who calls this domain of exploration “affection knowledge”, as
well as Edward Sapir, who urges us to explore “intimate structures of culture”
(Sapir 1934).
8 This stance would assume a different positioning of the researcher towards the data;
instead of making theoretical generalisations that cannot be applied back to concrete
individuals, we are to look through the data. Campbell does this differently in each of
the two parts, with varying degrees of success. In the first part, he makes theoretical
generalisations about Sovietisation (“socialist colonialism”, p. 161), omitting complex
ethnography of Soviet everyday life in the remote regions, but mingling these
generalisations with very intimate photographic portraits and everyday details. In the
role tailored by the author, the reader-spectator is to look through the images and then
trace them as if through a stencil onto the text in order to unravel any discrepancies,
unexpected connections, or ruptures between one image and another, and between the
images and the words. In the second chapter, he briefly looks through the data of
archival sensuous experience, only to make us look at the collected expeditionary
images, captioned by the author; these images act as categories but can still freely
extend the text. The reader’s understanding through images (not about images) is for
Campbell a satisfactory basis for the argument that archival reality is not only
represented by, but also produced by the photographs.
9 Campbell assumes that photographs can as much illustrate the dominant history as
“refuse to participate in the production” of it (p. 208). If the closed system is intervened

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


109

by the critique, the openings emerge; through them the unmasking of the authority can
occur. Campbell suggests that major agitation of the existing system can be done
through “visual openings” (p. 226), such as maps and photographs (p. 11), especially the
close-ups (p. 13). Let us look at such photographic encounters: In the first part, the
author invites us to observe over 200 fragments of the photographs. These are square-
shaped images extracted from the original documents, but neither the technicalities of
this process, nor the original sources (they are indexed only on his website that, in
turn, is not identified either) are disclosed. Enlargement of some fragments of the
photos (especially of the scripture, “defects”, or blurred object) follows the logic of
non-mimetic (non-cartesian) vision (Yampolski 2001). In my view, the observer ceases
to be distanced from the depicted object; s/he is thrown from the distanced position
onto the surface of things, and then dissolved into them.
10 This is also the case when the encounter involves portraits of Other; the only drawback
is that the author, perhaps reluctant to any categorisation, assumes the generic
“indigenous peoples” without ever giving any further identification of the portrayed
persons. Instead of letting the archival images illustrate a conventional text on
Sovietisation in Evenkiia, Campbell accurately uses them to reveal discrepancies in the
official history and thus to contest the rights of the dominant majority over such
knowledge. Let me demonstrate some aspects of this innovative approach.
11 At a first glance, the enlarged photographic fragments seem to serve as David Griffith’s
close-ups; as if they were “to show or to present” (Eisenstein [1944/1949] 1977, p. 238),
and thus create an illusion of reality (the quantitative principle of connecting the
images). The actual use of the images, however, suggests some of Sergei Eisenstein’s
approaches to montage. In Russian, the close-up is called krupnyi plan (literally big,
powerful plan). According to Eisenstein, it is not a regular close-up, enlargement or the
viewpoint that makes the image “large”; it is a qualitative leap of “the whole from a
juxtaposition of the separate parts” (ibid., p. 238). It represents the value of what is
seen, not the viewpoint. Finally, Eisenstein insists that instead of showing, the close-up
signifies (ibid., p. 238).
12 Campbell’s placement of the photographs clearly enables such a juxtaposition. One or
two such images occupy the top right of each page; in the open book, this creates a
space of communication between all three images and the text. Campbell refuses to
interpret them on the grounds that archival photographs “mock interpretation”
(p. 208). However, what he creates is a space, in which the reader-spectator may cruise
freely back and forth; this induces endless “irresolvable processions of signification”
(p. 208) that frustrated Campbell in the archive in the first place. His use of photo-
fragments to “deprive the history of ideological coordinates” (p. 15) and to “show up
the system’s ‘nerves’” (p. 13) might work when the observer focuses on a single image;
in a group of images, the desired indeterminacy is replaced by intensive meaning-
making. In fact, he gives away all the tools for observation, in which mundane looking
turns to a process similar to Eisenstein’s intellectual montage: the meanings of two
neighbouring images strike against each other and create a third entity, neither a
metaphor, nor a new emergent meaning but an entirely new category that has nothing
in common with the depictions of the two images. For example, an image of the wintry
taiga and a hunter with a catch may result in a sound of a closing trap. The visual field
is perceived by the spectator as a whole entity without necessarily ascribing to
individual elements certain qualities to be intellectually processed and put together as

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


110

a new synthesised continuum. This is even more vivid in the web presentation that
accompanies the book. The author produces a web module that he calls “web archival
degenerator” and takes it as “an experiment in surrealist archival science” (http://
metafactory.ca/agitimage/3-3_degenate-archives.html, accessed on 2 nd March 2017);
but he does not explain how exactly it is surrealist. Is the reason randomisation, or a
collage of unexpected appearances, or something else altogether? The reader can only
guess.
13 The ultimate strength of the book, and one that can certainly inform current
ethnographic work in Siberia, is to be found in its self-reflexive engagement with the
material. The author, the agitator, lets the visual agitate against him. The same
photographs that have informed his historiographic work upset the coherence of his
own historical narrative. He must know his limits by now. Readers may find themselves
disengaged by the experimental mode of the book before they can be immersed in
indeterminacy. How much more revealing the quest would be, however, if the
photographic indexicality that points towards everyday life were saturated by in-depth
ethnographies, in which the natives, not as generic categories but as concrete
individuals, received a central position? Such a stance would be an even more valuable
contribution to research on Siberia and its peoples.

BIBLIOGRAPHY
Benjamin, W. 1999 The Arcades Project (Cambridge, Mass., Harvard University Press).

Berger, J. 1972 Ways of Seeing (London, Penguin).

Donahoe, B. & J. O. Habeck (eds) 2011 Reconstructing the House of Culture. Community, Self, and the
Makings of Culture in Russia and Beyond (New York, Berghahn).

Eisenstein, S. [1944/1949] 1977 Dickens, Griffith and the Film Today, in J. Leyda (ed. and transl.),
Film Form. Essays in Film Theory (San Diego/New York/London, A Harvest Book), pp. 195-255.
1929 Diary, in O. Bulgakowa Sergei Eisenstein, A Visual Universe. Introductory remarks. [online, URL:
http://www.fondation-langlois.org/html/e/page.php?NumPage=749, accessed on 12 th May 2017].

MacDougall, D. 1998 Transcultural Cinema (Princeton, Princeton University Press, edited by


L. Taylor).

Morton, Ch. & E. Edwards (eds) 2009 Photography, Anthropology and History. Expanding the Frame.
(Farnham, Surrey, Ashgate).

Sapir, E. 1934 The emergence of the concept of personality in a study of cultures, Journal of social
Psychology 5, pp. 408-415.

Slezkine, Y. 1994 Arctic Mirrors. Russia and the Small Peoples of the North (Ithaca, Cornell University
Press).

Taussig, M. 1992 The Nervous System (New York, Routledge).

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


111

Yampolski, M. 2001 O blizkom. Ocherki nemimeticheskogo zreniia (Moskva, Novoe literaturnoe


obozrenie).

AUTHORS
JAROSLAVA PANÁKOVÁ
Researcher and lecturer at Comenius University, Bratislava

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


112

Chomentowski Gabrielle, Filmer


l’Orient. Politique des nationalités et
cinéma en URSS (1917-1938)
Paris, Éditions Pétra, Collection Centre-Asie, 2016, 250 pages + cahier
photographique 16 pages, ISBN 978-2-84743-142-1

Caroline Damiens

RÉFÉRENCE
Chomentowski Gabrielle, Filmer l’Orient. Politique des nationalités et cinéma en URSS
(1917-1938), Paris, Éditions Pétra Collection Centre-Asie, 2016

1 Issu de sa thèse de doctorat soutenue à Sciences Po Paris en 2009, l’ouvrage de Gabrielle


Chomentowski est consacré au cinéma soviétique et à son rapport à la politique
soviétique des nationalités, sur une période allant de la révolution d’Octobre à la
Grande Terreur. La question des « nationalités » soviétiques (pour reprendre le terme
employé par les bolcheviks pour désigner l’appartenance ethnique) au cinéma est un
champ d’étude récent. Ainsi, en français1, on peut citer l’ouvrage collectif Kinojudaica,
sur les représentations des juifs dans le cinéma soviétique (Laurent & Pozner 2012), ou
l’étude de Cloé Drieu sur l’émergence du cinéma national en Ouzbékistan (Drieu 2013).
L’originalité du travail de G. Chomentowski tient au fait que l’auteure, plutôt que de
placer la focale sur une seule nationalité, privilégie un examen plus général de la
manière dont le cinéma soviétique a traité les relations interethniques et plus
particulièrement son « Orient ».
2 L’ouvrage se situe au croisement de l’histoire institutionnelle, de l’histoire politique, de
l’histoire du cinéma et de celle des représentations. Son objectif est ambitieux :
comprendre le fonctionnement d’une société sous un régime politique donné, à travers
une institution cinématographique : le studio Vostokkino. Il s’agit de mener, à travers
le prisme de « l’objectif de la caméra » (p. 15), différents axes de réflexion : l’évolution
des représentations ethniques en URSS, les usages politiques de l’Histoire par les

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


113

bolcheviks, l’analyse du système politique soviétique et ce, en examinant ces questions


sur la période du « premier stalinisme », c’est-à-dire la période des vingt premières
années du régime soviétique caractérisées par l’industrialisation à marche forcée et la
mécanique de la Terreur de masse.
3 Suivant la méthode initiée par Marc Ferro (Ferro [1977] 1993), G. Chomentowski met en
regard le contenu des films et l’histoire politique de l’URSS. L’analyse est croisée avec
l’examen de nombreux documents d’archives (provenant d’institutions de Russie et du
Kazakhstan) ainsi que sur un dépouillement rigoureux de la presse de l’époque. Si
l’auteure considère le film comme le produit d’une idéologie, elle prévient néanmoins
que celui-ci est toujours « débordé par son contenu » (p. 15) et doit être envisagé
comme une œuvre artistique aux interprétations complexes pour le censeur comme
pour le spectateur. L’analyse entend ainsi proposer une « déconstruction de l’illusion
de l’amitié des peuples créée par les films de fiction » (p. 16), et révéler ce que les films
montrent autant que ce qu’ils cachent.
4 Dans ce travail, la difficulté à cerner et définir l’« Orient » et l’« Oriental » se pose
d’emblée. L’auteure entend se différencier de la position dominante influencée par la
pensée d’Edward Said (Said [1978] 1980), et envisage ici, plutôt qu’un Orient créé par
l’Occident, un « Oriental créé par le citadin » (p. 17). Cependant, cette ligne de fracture
entre campagne et ville entre parfois en conflit avec la ligne ethnique (slave/non slave)
et « civilisationnelle » (arriéré/civilisé) définie plus loin comme étant celle adoptée par
les bolcheviks (p. 22). Cette difficulté de définition, que reconnaît l’auteure, pose plus
largement la question de l’« Autre » à l’intérieur même de l’espace soviétique. Les
limites poreuses de la notion d’Orient adoptée par Vostokkino, dont la mission
concerne des peuples aussi divers que les Toungouses, les Tchétchènes ou les
Turkmènes, renvoient en dernier ressort à l’ensemble des nationalités non russes de
l’Union (voir « Qui sont les Orientaux de Vostokkino ? » [p. 180]) et posent en creux la
question du statut des Russes en Union soviétique et la définition de l’Oriental en URSS.
5 L’auteure prend comme objet d’étude l’histoire du trust cinématographique Vostokkino
(« Le Cinéma oriental »). Cette structure, regroupant diverses organisations politiques
(tels le commissariat à l’Instruction publique ou les Comités centraux de plusieurs
républiques et régions autonomes), est active de 1928 à 1935 dans trois bases de
production (situées à Ialta, Alma-Ata et Kazan) et répond à deux ambitions. Tout
d’abord, elle doit servir les nationalités soviétiques dans les différents domaines
cinématographiques, c’est-à-dire donner aux « Orientaux » les moyens de se
représenter eux-mêmes, créer un réseau de distribution de films dans les régions
orientales de la Russie soviétique (RSFSR), produire des films de fiction,
d’ethnographie, d’actualité et d’éducation politique à destination des peuples
« orientaux », et former des représentants de ces peuples aux métiers du cinéma.
Ensuite, Vostokkino constitue une « réponse cinématographique, sur le plan
institutionnel » (p. 19) à la politique soviétique des nationalités. Adoptée en 1923, celle-
ci s’articule autour de la « régionalisation » (rajonirovanie), qui attribue des territoires
aux nationalités selon un empilement hiérarchisé complexe, et l’« indigénisation »
(korenizacija), qui doit engendrer une promotion des élites nationales aux postes clés de
l’administration.
6 Le premier chapitre (« À la recherche d’une réponse cinématographique à la diversité
nationale de l’Union soviétique ») revient sur les débats politiques et artistiques des
années 1920 autour de la question d’un cinéma « sur » les nationalités, à l’origine de la

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


114

création de Vostokkino. Le cinéma est appelé à mettre en image le changement apporté


par la révolution d’Octobre en termes de rapports entre les peuples, à éclairer la
politique anti-impérialiste et internationaliste de l’URSS des premières années, et à
montrer que la question nationale n’est qu’un aspect de la lutte des classes. En outre, le
nouveau média est vu comme particulièrement adapté pour communiquer avec les
nationalités orientales perçues comme « arriérées » et moins rationnelles.
7 Les premiers films sur la question souhaitent proposer une alternative aux
représentations, jugées « exotiques » et « impérialistes », des films étrangers à
tendance orientale qui rencontrent un succès massif sur les écrans soviétiques, de
même visent-ils à diffuser un message politique. Reprenant l’idéologie socialiste à leur
compte, des œuvres aujourd’hui disparues, telles La Vallée des larmes (1924) ou La
Musulmane (1925), condamnent les « survivances » du passé, dont la religion en premier
lieu. Cependant, ces films déclenchent fous rires ou fureur et font l’objet de débats
houleux et de nombreuses critiques, car ils n’échappent pas à l’exotisme dénoncé par
ailleurs. Face aux critiques, le style ethnographique est mis en avant par certains
cinéastes comme solution offrant un gage d’authenticité. L’auteure rappelle ainsi
l’implication d’ethnographes, de géographes et de linguistes dans la culture et les arts
et non pas seulement dans le travail de définition des nationalités et de délimitation
des territoires nationaux. Les ethnographes en particulier engagent les cinéastes à
collaborer avec eux dans un but éducatif. Enfin, le chapitre revient sur l’éclosion de
studios locaux, à tendance plus ou moins nationale (Tchouvachkino en Tchouvachie
[1926-1932] ou Kino-Sibir’ en Sibérie [1926-1930]2), et qui seront, à terme, absorbés dans
Vostokkino. L’auteure y voit une volonté émanant de différents groupes ethniques à
être représentés à l’écran.
8 Le deuxième chapitre (« Vostokkino, un studio de production cinématographique pour
les nationalités orientales ») envisage l’objet étudié sous un angle plus institutionnel. Il
est consacré au fonctionnement de Vostokkino, de sa fondation à sa liquidation.
L’auteure décrit précisément l’organisation de la structure du studio (un trust
soviétique), le circuit de production d’un film au sein de celui-ci, en insistant sur le
travail de la censure (la vérification du contenu des films). Cette partie revient
également sur les missions assignées au studio : mise en place d’un réseau de
distribution, production de films et formation des Orientaux aux métiers du cinéma.
Cette dernière tâche, qui doit permettre à ceux-ci de se représenter eux-mêmes au
cinéma, est la plus problématique. En dépit des discours affichés et d’un effort de
formation, l’auteure note une faible représentativité des Orientaux dans
l’organigramme de Vostokkino (même si cette présence y est plus importante que dans
d’autres studios). L’analyse fait apparaître un « plafond de verre inébranlable pour les
cinéastes orientaux » (p. 78) qui restent cantonnés, même avec une formation de
réalisateur, à des fonctions d’assistant ou d’opérateur. Le manque de moyens financiers
pousse en effet la direction à confier la réalisation des films à des cinéastes
expérimentés, majoritairement de nationalité russe ou juive, et qui s’accaparent les
rares moyens de production.
9 Dans le troisième chapitre (« Les films de Vostokkino »), plus ancré dans l’histoire du
cinéma, G. Chomentowski réhabilite l’œuvre filmique du studio. En mettant en avant
les innovations techniques et esthétiques des films produits par Vostokkino ainsi qu’en
réévaluant leur impact à l’époque, l’auteure entend redonner une place à cette
production dans la cinématographie soviétique. Se restreignant à la fiction, priorité du

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


115

studio, elle analyse en détail trois films, qui reflètent chacun une des thématiques
privilégiées du studio3, à savoir : Zelim-Khan (1929, Oleg Frelikh) sur l’oppression des
minorités nationales au Caucase dans l’empire tsariste ; La Terre a soif (1930, Iouli
Raizman) sur la construction du socialisme dans les régions « arriérées », en
l’occurrence ici l’irrigation en Asie centrale et plus généralement les grands travaux de
développement dans cette région ; La Chanson sur le bonheur (1934, Mark Donskoï &
Vladimir Legochine) sur l’éducation et l’indigénisation des peuples « arriérés » (ici les
Maris), film qui oscille entre la promotion des cultures nationales et un discours
civilisateur porté par la soviétisation. L’analyse fait ressortir que les trois œuvres
présentent une vision similaire de la société où les antagonismes sont d’abord de classe
avant d’être ethniques. Mais l’auteure insiste sur le fait que tous contiennent des
personnages nationaux complexes et, surtout, que ces derniers se révèlent être des
agents de premier plan de leur propre libération et de la construction du socialisme, à
la différence des personnages qu’on trouvera dans les films ultérieurs (tel Kara-Bougaz,
film examiné dans le dernier chapitre).
10 Le chapitre suivant (« Vostokkino dans la tourmente de la centralisation et de
l’étatisation ») porte sur le processus de centralisation de l’industrie du cinéma
pendant les années 1930, et plus largement sur la question du cinéma face au pouvoir,
jusqu’à la liquidation de Vostokfilm (nouveau nom de Vostokkino à partir de 1930). La
suppression du trust est le résultat de deux évolutions politiques : la centralisation de
toutes les institutions culturelles (ici finement analysée en prenant en compte
différents jeux d’échelle et séquences historiques) et surtout la remise en cause des
mesures de promotion des cultures nationales, remplacées par un processus unificateur
de toutes les nationalités vers une identité supranationale soviétique, dont la Russie
constitue le ciment. L’auteure rappelle que, lors de cette page sombre de l’histoire du
studio, autocritiques et condamnations entraînent des purges dans l’industrie
cinématographique qui, comme l’ensemble de la société, n’est pas épargnée par la
terreur stalinienne.
11 Enfin, l’ultime chapitre (« Exotisme et paternalisme russe dans le cinéma soviétique
oriental : l’exemple de Kara-Bougaz [1935] d’Alexandre Razoumny ») se penche sur l’un
des derniers films produits par Vostokkino et ouvre des pistes de réflexion sur la
possibilité d’un « orientalisme » soviétique. Le chapitre prend pour objet Kara-Bougaz,
film immédiatement interdit4, qui a pour sujet la construction d’une usine de
dessalement d’eau de mer sur les rives de la mer Caspienne. Kara-Bougaz offre une
illustration des relations interethniques telles que l’entend le pouvoir soviétique au
milieu des années 1930 : des Orientaux à la nationalité mal définie, présentés comme
« arriérés » face à des Russes porteurs de la civilisation, au sein d’un récit qui met en
avant le retard culturel à travers l’inégalité entre hommes et femmes.
12 Face à cette vision caricaturale du « grand frère » russe qui apporte la révolution et la
modernité, l’auteure compare le film aux représentations cinématographiques
occidentales des colonies. Ne voulant pas réduire, avec raison, les films soviétiques à de
simples répliques de ces œuvres, elle avoue retrouver malgré tout les mêmes poncifs
sur les régions « arriérées » (fascination pour le désert, apport de la modernité et de la
civilisation à des populations immobiles, supériorité des Russes dans de nombreux
domaines) et compare Kara-Bougaz à la relation de domination de l’Occident sur l’Orient
identifiée par Said (p. 182 ; voir Said [1978] 1980). Si l’auteure relève des différences
dans les intentions de « colonisation » des territoires entre les systèmes capitaliste et

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


116

communiste (p. 174), elle remarque que celles-ci s’estompent quand il s’agit des
représentations5. On pourra regretter que cette confrontation avec le cinéma
occidental n’ait pas été effectuée plus systématiquement pour les autres films étudiés,
afin de mettre en lumière d’éventuelles similarités, divergences et jeux d’influence
entre les films soviétiques sur l’Orient et leurs équivalents occidentaux. Autre regret,
l’étude de la réception (notamment des possibilités d’interprétation alternative par
différentes strates du public, ici plus particulièrement des « Orientaux »), n’est pas
traitée dans le livre. Si cette absence n’est pas spécifique à cet ouvrage (le point de vue
des spectateurs ordinaires souvent ne pouvant pas être déterminés par les archives
d’époque), c’est ce point d’entrée qui aurait permis de mettre en lumière les « multiples
pistes complexes » (p. 15) de la réception de ces œuvres de propagande par les
spectateurs.
13 Malgré ces quelques remarques, Filmer l’Orient réussit son pari : partir d’une institution
cinématographique, Vostokkino, pour traiter divers aspects historiques. Vostokkino se
révèle en somme un excellent objet d’analyse interdisciplinaire. En conséquence,
l’ouvrage s’adresse aux lecteurs intéressés par l’histoire du cinéma dans ses dimensions
politique, institutionnelle et sociale, mais également par la question des rapports
interethniques en URSS, et plus généralement, par l’histoire politique de ce pays.

BIBLIOGRAPHIE
Dašibalova, I. N. & A. A. Bazarov 2013a Burjatskaja identičnost’ i tri sloja kinodokumental’noj
rekonstrukcii (pervaja čast’), Vestnik burjatskogo naučnogo centra sibirskogo otdelenija rossijskoj
akademii nauk 3, pp. 50-58
2013b Burjatskaja identičnost’ i tri sloja kinodokumental’noj rekonstrukcii (vtoraja čast’), Vestnik
burjatskogo naučnogo centra sibirskogo otdelenija rossijskoj akademii nauk 4, pp. 88-96.
2013c Kinodokumental’naja xronika kak istočik izučenija burjatskoj ètničnosti, Vlast’ 6,
pp. 102-105.
2014 Kinofikacija burjat: sovetskij repertuar v diaxronii, Žurnal sociologii i social’noj
antropologii 73(3), pp. 180-192.

Drieu, C. 2013 Fictions nationales. Cinéma, empire et nation en Ouzbékistan, 1919-1937 (Paris, Karthala).

Ferro, M. [1977] 1993 Cinéma et histoire (Paris, Gallimard).

Galkin, A. V. 2008 K voprosu ob istorii čuvašskogo kino (iz istorii kinostudii Čuvaškino), Vestnik
čuvašskogo universiteta 4, pp. 17-22.

Laurent, N. & V. Pozner (dirs) 2012 Kinojudaica. Les représentations des juifs dans le cinéma de Russie
et d’Union soviétique des années 1910 aux années 1980 (Paris, Nouveau monde).

Said, E. [1978] 1980 L’orientalisme. L’Orient créé par l’Occident. Trad. de l’américain par C. Malamoud
(Paris, Édition du Seuil).

Sarkisova, O. 2017 Screening Soviet Nationalities. Kulturfilms from the Far North to Central Asia
(Londres, I.B. Tauris).

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


117

Vatolin, V. A. 2012 Kino v Sibiri. Ljudi. Sobytija. Fakty. 1896-2012 (Novossibirsk, Priobskie vedomosti).

NOTES
1. En anglais, voir le récent ouvrage d’Oksana Sarkisova sur les représentations des nationalités
dans les films de non-fiction soviétiques (Sarkisova 2017). En russe, voir les travaux d’I.N.
Dašibalova et A.A. Bazarov sur les Bouriates au cinéma (Dašibalova & Bazarov 2013a, 2013b,
2013c, 2014).
2. Sur ces deux structures, on se reportera, respectivement, à Artur V. Galkin et à Viktor A.
Vatolin (Galkin 2008 ; Vatolin 2012).
3. Le choix a aussi été guidé par l’accessibilité. En effet, sur 54 fictions (sur un total de 132 films)
produites par Vostokkino et recensées par l’auteure, seules huit ont été préservées. On se
reportera au catalogue établi par ses soins à partir des archives (pp. 187-202).
4. Les raisons de l’interdiction restent peu claires. Il semble que les responsables de la Direction
du cinéma aient montré le film en avant-première au Français Henri Barbusse plutôt qu’au
premier spectateur et dernier censeur, Staline, et que ce dernier s’en soit vexé. Les responsables
auraient alors préféré interdire le film.
5. Seul le traitement des personnages féminins orientaux semble diverger : les femmes orientales
sont généralement sources de perversion dans les films coloniaux alors qu’elles sont porteuses de
modernité dans le cas soviétique (p. 174).

AUTEURS
CAROLINE DAMIENS
Inalco/musée du quai Branly – Jacques Chirac

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


118

Doržieva Galina Š., Buddizm Kalmykii


v veroispovednogo politike gosudarstva
(seredina XVII- načalo XX vv.) [Kalmyk
Buddhism in the confessional politics of
the government (mid-17th century to
early 20th century)]
Elista, Izd-vo Kalm. un-ta, 2012, 203 pages, ISBN 978-5-94587-506-7

Dany Savelli

REFERENCES
Doržieva Galina Š., Buddizm Kalmykii v veroispovednogo politike gosudarstva (seredina XVII-
načalo XX vv.) [Kalmyk Buddhism in the confessional politics of the government (mid-17 th
century to early 20th century)], Elista, Izd-vo Kalm. un-ta, 2012.

1 Galina Doržieva is the author of two publications dedicated to religions in Kalmykia:


Buddizm i hristianstvo v Kalmykii [Buddhism and Christianity in Kalmykia] (Doržieva 1995)
and Buddijskaja cerkov’ v Kalmykii v konce XIX – pervoj polovine XX vv. [The Kalmyk Buddhist
Institution from the End of the 19th Century to the Second Half of the 20 th Century]
(Doržieva 2001). With this third publication, she gives a detailed insight in the history
of Buddhism in the lower Volga region where Oirat groups arrived at the beginning of
the 17th century and founded the Kalmyk Khanate. In 1771, this khanate entered the
Russian Empire « voluntarily » (according to the time-honoured Russian expression,
mentioned several times in the book).
2 The introductory chapter gives an opportunity to review in detail the numerous and
various sources that allow the author to draw up a history of the Kalmyks’ religion.

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


119

These are the codes of law published in the 19th century and the writings of
missionaries (among them the famous sinologist and archimandrite Jakinf – better
known by his former name N. Ja. Bičurin), those of Russian civil servants (in particular
prince E. E. Uhtomskij, who encouraged Nicholas II to turn Russian diplomatic attention
to the Far East and to show a more tolerant political attitude toward the Buddhists of
the Empire), and lastly those of travellers and members of scientific explorations
(among them the famous P. S. Pallas and I. G. Georgi in the 18 th century, and the
orientalist A. M. Pozdneev in the second half of the 19 th century and at the beginning of
the 20th). To these documents left by the Russians and the Germans, one must add from
the end of the 19th century publications by Kalmyk intellectuals who willingly identified
Buddhism with popular culture and idealized its role in the social and spiritual lives of
their compatriots. Doržieva gives also a precious description of different archives, the
most important being those kept in the Russian State Historical Archive (Saint
Petersburg), in the Manuscript Department of the Russian State Library (Moscow) and
in the State Archives of the Republic of Kalmykia (Elista).
3 The present review does not intend to summarize Doržieva’s work, which constitutes a
useful contribution to the understanding of the rich history of Buddhism in Russia. I
shall simply highlight some essential points that the author stresses. The analysis of the
regulations (položenija) of 1825, 1834 and 1847, which pointed to the status granted by
Saint Petersburg to the Kalmyk Buddhist Institution, shows that the aim of the
government was to control and restrict contacts with Lhasa, to reduce the numbers of
lamas and monasteries (Kalm. hurul), especially by tackling the tradition of entrusting
young boys to the monasteries, and finally to centralise the Kalmyk Buddhist
Institution by giving it a religious chief, called Lama (with a capital initial), and behind
the election of which the Tsarist administration put all its weight.
4 It was important for Saint Petersburg to bring the Kalmyk clergy to heel in order to
make it an efficient weapon of its policies in an area considered as an important
strategic place, owing to its proximity with the Caucasus. Doržieva makes that point by
stressing the connivance between Russian authorities and Kalmyk leading classes, and
she focuses in particular on the question of the serfs (šabinar, Kalm. šabiner) attached to
the monasteries and who represented no less than a fifth of the Kalmyk population.
The institution of šabinar, which was totally absent in Buryatia, owing – no doubt – to
later diffusion of Buddhism in this area, maintained itself after its official abrogation in
1834.
5 Also discussed in the book is the question of the loyalty showed by the Kalmyk lamas to
the imperial family, with some monasteries being named after Tsars. Nevertheless, the
increasing number of monks and monasteries, especially after the promulgation of the
Law of April 1905, testifies to the failure of Tsarist politics – later Soviet politics would
be much more effective in putting an end to the religious education of young boys and
destroying the class of the lamas, already considered during the Tsarist period as a
class of parasites (tunejadcy). As for the meaning to be given to this open loyalty of the
Buddhist clergy, one would have liked to better understand the reasons for such an
intriguing publication as Predskazanija Buddy o dome Romanovih i kratkij očerk moih
putešestvij v Tibet v 1904-1905 gg. [Prophecies of the Buddha on the house of Romanov and a
brief essay upon my sojourn in Tibet in 1904 and 1905] (Ul’janov 1913). Its author, the lama
Danbo Ul’janov (1844-1913), who remained famous as an important religious authority
even during the period of Stalinist repression, identifies Moscow with Shambhala and

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


120

the Romanovs with the kings of this legendary country; unfortunately, the biographical
data given by Doržieva do not give any explanation for this puzzling text, often quoted
in works devoted to Russo-Tibetan relations or to Russian esotericists.
6 This very classic history of Buddhism in Kalmykia provides numerous and precise data,
thanks to thorough archival research carried out by the author. It does not neglect the
problem of the Kalmyks who joined the Cossack forces and who often remained
Buddhist in spite of their compulsory conversion to Christianity. It includes a useful
glossary, index and bibliography, as well as several illustrations in black and white.

BIBLIOGRAPHY
Doržieva, G. S. 1995 Buddizm i hristianstvo v Kalmykii [Buddhism and Christianity in Kalmykia] (Elista,
Džangar).
2001 Buddijskaja cerkov’ v Kalmykii v konce XIX – pervoj polovine XX vv. [The Kalmyk Buddhist Institution
from the End of the 19th Century to the Second Half of the 20th Century] (Moscow, Institut rossijskoj
istorii RAN).

Ul’janov D. 1913 Predskazanija Buddy o dome Romanovih i kratkij očerk moih putešestvij v Tibet v
1904-1905 gg. [Prophecies of the Buddha on the house of Romanov and a brief essay upon my sojourn in
Tibet in 1904 and 1905] (Saint Petersburg, n.p.).

AUTHORS
DANY SAVELLI
Université Toulouse Jean Jaurès

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


121

Lang Maria-Katharina (ed.), Nomadic


Artefacts. A Scientific Artistic
Travelogue
Vienne, Verlag der Österreichischen Akademie der Wissenschaften, 2016,
184 pages, ISBN 978-3-7001-8044-9

Isabelle Charleux

RÉFÉRENCE
Lang Maria-Katharina (ed.), Nomadic Artefacts. A Scientific Artistic Travelogue, Vienne,
Verlag der Österreichischen Akademie der Wissenschaften, 2016

1 Depuis plusieurs années, Maria-Katharina Lang étudie la collection Hans Leder


dispersée entre plusieurs musées européens. À plusieurs reprises elle s’est rendue en
Mongolie pour enquêter sur les traces de Leder (1843-1921). Elle a entre autres dirigé
avec Stefan Bauer un premier ouvrage collectif sur la collection (Lang 2013 ; voir le
compte rendu, Charleux 2015), et créé un site internet, Mongolian art collections (http://
www.moncol.net, consulté le 22 novembre 2017). L’ouvrage qu’elle dirige ici, constitué
de neuf essais et d’un avant-propos signé par Charles Ramble, porte sur les artefacts
mongols et l’histoire de leur collection entre Mongolie et Autriche, et confronte points
de vue occidental et mongol. Il sert de catalogue à une exposition qu’elle a organisée
avec Christian Sturminer au Theseus Temple, Vienne (13 septembre-9 octobre 2016).
2 La « biographie des objets » (selon la célèbre expression d’Igor Kopytoff) depuis la
Mongolie jusqu’à leur « exil » dans les collections européennes, leur « diaspora » et leur
« muséalisation » en Europe sont au centre de l’ouvrage : Lang fait ainsi le lien entre la
constitution des collections du Musée ethnographique de Vienne, et la création des
musées mongols. 811 artefacts de la collection Leder sont conservés à Vienne, et leur
histoire est indissociable de celle du musée. Leur préservation a pour corollaire la

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


122

délocalisation et la désacralisation – la plupart des objets de la collection Leder étant


des artefacts du bouddhisme populaire.
3 L’ouvrage se présente comme un patchwork original d’articles scientifiques (dans la
première partie) et de contributions plus « artistiques » combinant journal de voyage,
poèmes et interviews (d’où son sous-titre, « A scientific artistic travelogue »).
4 Le premier essai intitulé « Moving ahead : ethnographic artefacts in Austria and
museological visions since the 19th century » par Barbara Plankensteiner retrace
l’histoire des collections ethnographiques de Vienne et de leur musée qui connaît
différents avatars depuis le XVIe siècle jusqu’à l’actuel Weltmuseum (dont la
réouverture est prévue pour 2017). Les différents changements d’orientation du musée
montrent son adaptation à des contextes politiques, idéologiques et scientifiques en
évolution permanente depuis la naissance de l’ethnographie dans un contexte colonial.
Dans le courant actuel de l’anthropologie auto-réflexive, le musée vise à créer de
nouveaux liens avec les communautés d’origine de ses collections, ce que l’ouvrage
reflète parfaitement.
5 Dans le deuxième essai, « Nomadic artefacts in Vienna seen from the archive », Maria-
Katharina Lang présente le fonds mongol du Weltmuseum, qui comprend outre les
811 objets de la collection Leder (essentiellement des objets d’usage quotidien et du
bouddhisme populaire), des archives écrites (entrées et notes des conservateurs, lettres
des collectionneurs avec descriptions) et photographiques (photographies des objets et
de leur exposition dans le musée à différentes périodes et des photographies prises en
Mongolie entre 1947 et 1964). On note que ces objets sont longtemps catégorisés comme
« tibétains » et présentés dans une salle « Tibet-Himalaya ». On y retrouve les
problèmes classiques qui se posent aux musées d’anthropologie – quelle organisation et
présentation adopter pour des objets qui sont entre objets d’usage quotidien et œuvres
d’art.
6 Dans le chapitre sur la fondation des musées mongols (« Museum construction,
transition and transformation in Mongolia »), Lang et B. Tsetsensolmon retracent les
principales étapes de la fondation des musées en Mongolie et les biographies des
acteurs russes et mongols (Jamtsarano, Simukov, Shastina, Kondratiyeva…) qui y ont
contribué. Les pré-musées de type Kunstkammera, telle la collection du Bogd Haan,
laissent la place à l’Institut des sūtra et des manuscrits (ouvert au public dès 1921) et
aux musées modernes (le Musée d’État, d’abord abrité dans le Palais du Bogd Haan ; le
Musée d’Histoire naturelle, etc.) et, en province, à des « cabinets » qui seront
transformés en musées et ouverts au public à partir d’un décret de 1966. Comme en
URSS, le musée est alors (et toujours aujourd’hui) intimement lié aux expéditions
archéologiques, pilotées par l’Institut scientifique (future Académie des sciences), et
s’agrandit également grâce aux expéditions annuelles de collectes entreprises par les
conservateurs. Musées et cabinets reçoivent également dons et objets confisqués –
l’ampleur des dons spontanés est ici peut-être exagérée par rapport aux pressions et
confiscations d’artefacts religieux et des coiffes et bijoux que les particuliers n’ont plus
le droit de posséder (pp. 90-91). Suivent la période des purges avec la disparition des
principaux acteurs fondateurs, et la « soviétisation de la science » : les musées et leurs
collections sont alors au service de l’idéologie, du « roman national » révisé et de
l’éducation du peuple. L’article est illustré de rares photographies d’archives
malheureusement non légendées (mais auxquelles le texte se réfère), montrant les
musées et les scientifiques et conservateurs qui les ont créés et dirigés. On y voit que

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


123

Mongols et Russes semblent travailler harmonieusement ensemble, et que les femmes


sont particulièrement bien représentées parmi les savants et directeurs de musée.
7 La période de destruction de l’institution monastique a entraîné une grande dispersion
de tout le patrimoine religieux, à commencer par celui d’Oulan-Bator 1 – beaucoup
d’artefacts des monastères de la ville furent transportés au musée du Choijin, mais
aussi à Erdene zuu quand le monastère a été transformé en musée-monastère d’histoire
religieuse en 1965. L’histoire des musées après 1990, de l’importance des coopérations
internationales et du rôle croissant des collectionneurs privés est rapidement évoquée
et aurait mérité de plus longs développements.
8 Le chapitre sur « Temple and/or museum » également signé par Tserensolmon et Lang
aborde la question de la transformation des monastères ayant échappé aux
destructions en monuments historiques et culturels dans les années 1940, puis en
musées publics dans les années 1960, enfin, après 1990, de la re-transformation
complète ou partielle de certains d’entre eux en lieux de culte. Il souligne l’ambiguïté
de ces temples-musées aux yeux des dévots et visiteurs, les premiers cherchant à
toucher les statues et faire des offrandes dans ce qui est devenu un musée. Ce chapitre
évoque également les tensions et conflits entre conservateurs et lamas, les premiers
accusant les moines de perdre ou revendre des objets sacrés et faire du profit, les
seconds demandant la restitution des objets sacrés (il aurait fallu évoquer les nombreux
scandales portant sur le vol d’objets religieux depuis 1990). Des interviews de
conservateurs et de lamas permettent de contraster les points de vue (le directeur
d’Erdene zuu imagine combiner musée et monastère avec des lamas fonctionnaires).
9 Dans la deuxième partie de l’ouvrage, le « Travelogue » présente une série de
photographies de musées prises entre 2012 et 2016. Deux poèmes ponctuent cette
partie (pp. 138-140 « Cuckoo » de Jamtsyn Badraa ; pp. 169-174, « Činggis qaan or the
blue of the sky » de Christoph Ransmayr, un poème allemand, également traduit en
anglais).
10 Le chapitre sur « Artefact transfers and object narrations » est un « attempt to show
the journey through the layers of memory and imagination in the form of an essayistic
photo-collage » (p. 15). Lang y évoque l’iconoclasme et le sort des artefacts
bouddhiques pendant les purges, soulignant leur résilience ou résistance à l’oubli et à la
disparition. Des objets de la collection Leder à Vienne sont mis en parallèle avec des
témoignages de moines et savants mongols évoquant des objets « similaires » (qui ne
sont pas reproduits dans l’ouvrage) : statuette du Vieillard Blanc et statuette de
Zanabazar (en papier-mâché), omoplate de mouton inscrite en tibétain, petit cheval en
bois, tambourin damaru, sūtra, bijoux, etc., ce qui permet d’évoquer des souvenirs, des
émotions liées aux objets, ainsi que des thèmes variés (par exemple, ce que l’on place
sur les ovoo). Certaines interprétations seraient jugées fantaisistes par des
bouddhologues (sur la divinité protectrice dPal ldan Lha mo p. 162) et des témoignages
sont parfois surprenants (on empile des pierres sur les ovoo pour se rapprocher du ciel –
p. 166, on ne sait d’ailleurs de qui est le témoignage). L’abbé d’Erdene zuu, Baasansüren,
évoque l’histoire du tsam de son monastère.
11 On peut regretter que la plupart des photographies ne soient pas légendées et n’aient
de droits d’auteur ; il n’existe pas non plus de liste séparée d’illustrations. Les objets
illustrant le chapitre « Artefact transfers and object narrations » auraient mérité une
notice : le lecteur peut par exemple se demander pourquoi l’omoplate de mouton est
couverte d’une inscription tibétaine (le texte accompagnant l’image ne fait

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


124

curieusement pas mention de l’inscription tibétaine ni même de la pratique de la


scapulomancie, pp. 164-165), et ne peut pas deviner que les figurines de tsam ne sont
pas une production proprement mongole qui aurait été collectionnée puisqu’elles ont
été commanditées par Hans Leder (pp. 142-143, 145). Les interviews de vingt-deux
personnes rendent l’ouvrage très vivant, mais son caractère scientifique aurait pu être
renforcé par un regard plus critique et des références à la littérature existante (en
anglais notamment) ; par exemple, concernant les purges, le récent ouvrage de
Christopher Kaplonski (Kaplonski 2014), et sur le monastère-musée de Zaya gegen,
deux monographies, parues récemment, de Zsuzsa Majer et Krisztina Teleki, et
d’Isabelle Charleux (Majer & Teleki 2013 ; Charleux [ed.] 2016). On notera encore
quelques flous sur les dates (Nina Tubyanskaya, indologue et mongoliste aurait été
directrice du musée d’Etat en 1930, p. 77, ou de 1931 à 1934, p. 78) et quelques
transcriptions non unifiées provenant souvent de l’allemand (« Schenraisig Temple of
Gandan » p. 79).
12 Ces quelques défauts n’enlèvent rien à la qualité de l’ouvrage, qui est un outil
indispensable pour tout chercheur ou amateur qui s’intéresse au patrimoine matériel
mongol, puisqu’il s’agit de la première publication en langue occidentale qui retrace
l’histoire des musées et des collections de Mongolie.

BIBLIOGRAPHIE
Charleux, I. 2015 Lang Maria-Katharina, Bauer Stefan (eds.), The Mongolian Collections. Retracing
Hans Leder, Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines 46 [en ligne, URL : http://
emscat.revues.org/2684, consulté le 22 novembre 2017].
(ed.), 2016 History, Architecture and Restoration of Zaya Gegeenii Khüree Monastery in Mongolia (Paris/
Monaco, Société des Études Mongoles et Sibériennes/Musée d’Anthropologie Préhistorique de
Monaco, 2016).

Kaplonski, C. 2014 The Lama Question : Violence, Sovereignty, and Exception in Early Socialist Mongolia
(Honolulu, University of Hawaiʻi Press).

Lang, M.-K. & S. Bauer 2013 Mongolian Collections. Retracing Hans Leder (Vienne, Verlag der
Österreichischen Akademie der Wissenschaften).

Majer, Z. & K. Teleki 2013 History of Zaya Gegeenii Khüree, the Monastery of the Khalkha Zaya Pandita
(Ulaanbaatar, Admon Print).

Teleki, K. 2015 Introduction to the Study of Urga’s Heritage (Ulaanbaatar, Admon Print).

NOTES
1. À ce sujet voir la récente publication de Krisztina Teleki (Teleki 2015).

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


125

AUTEURS
ISABELLE CHARLEUX
C.N.R.S., Paris

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


126

Tsering Thar, Nangshig. A Tibetan


Bonpo Monastery and its Family in
Amdo
Kathmandu, Vajra Books, 2016, XII + 147 pages, ISBN 978-9937-623-59-8

J.F. Marc des Jardins

REFERENCES
Tsering Thar, Nangshig. A Tibetan Bonpo Monastery and its Family in Amdo, Kathmandu,
Vajra Books, 2016

1 For those actively involved in the study of the Tibetan Bon religion, Tsering Thar is a
familiar name in the small roster of scholars who have contributed significantly to our
understanding of the contemporary history and institutions (monastic and otherwise)
of Bon. The author of this monograph is Professor at the Central University for
Nationalities in Beijing. He is a seasoned Tibetologist and has conducted field based
research on Bon since the mid 1980s. In the course of these research trips, he has
visited over 130 Bon sites (p. 4). He has contributed significantly to important landmark
publications such as those from the National Museum of Ethnology in Osaka (Karmay &
Nagano [eds] 2003 ; Martin et al. [eds] 2003). His own articles are perfect examples of
what the reader will find in these pages (Thar 2000, 2008).
2 The present work is the culmination of fieldwork among the Bonpo communities in A
mdo with The National Museum of Ethnology under the direction of Professor Yasuhiko
Nagano. Its focus is the sNang zhig monastery (Nangshig), presently the largest Bon
institution in the world. The latter appears in later years to have taken over the place
that the sMan ri Monastery (Central Tibet) used to occupied as the most authoritative
institution providing education to Bonpo monks and the laity.
3 The author has sought throughout to provide an exhaustive glimpse at this monastic
institution and has divided the work by topics in sixteen relatively short chapters. He

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


127

has first chosen to introduce his understanding of the Bon tradition in the A mdo
region at the onset of his work, including the circumstances which brought him to
research Bon, his family background, and opportunities for research. When the author
discourses on local traditions, Bon inputs and interaction with the landscape, its
population, and other cultural imperatives, he provides sources, locations, and names
of key characters, a format which he uses throughout this book and is illustrative of his
past published research. His discourse covers: the history of the sNang zhig institution
(Chapters 2, 3, and 12); its relationships with other Bon and Buddhist establishments in
the region (Chap. 3); the monastic and non-monastic organisations (Chap. 4); hierarchy
and lineages as well as the methods used to legitimate the succession of authority
figures (heredity and reincarnation, Chapters 4, 5, 12, 15); its economy, resources,
operations and holdings (Chap. 6); its main philosophical teachings (Chap. 7);
meditative and ritual traditions transmitted (Chapters 8, 14); its pantheon of tutelary
divinities and protectors (Chapters 9, 14); and the social functions it fulfils among the
local population (Chapters 9, 11, 13).
4 This book is informative in such a manner as it gives researchers and scholars, key
elements to enable them to forward their research using the data provided on
historical characters, primary sources, locations, institutions, and references to
primary sources. After reading it, one can almost draw a historical map which could
illustrate the relationships between the various protagonists, the institutions and the
communities they founded, and understand better the social dynamics of Tibetan Bon
culture in the A mdo region. It becomes clear that the main characters highlighted in
this work were representatives of groups of Bonpos, the tip of the iceberg so to speak,
and that Tsering Thar understands very well that religious communities in Tibet are
much more than just defined by creed but rather tied through kinship groups and
associations.
5 The author appended a simple map taken from the Survey (p. XII) mentioned above, a
few pictures (p. XI) supplied by Professor D. Berounsky in Prague, and a final table of
lineages derived from five sources (Appendix 2) where dates and locations are
unfortunately missing. The latter, although pregnant with potential data, is not very
useful unless one reads it in conjunction with Chapter 12 devoted to the sNang zhig
family lines. Dates are sorely missing with the exception of a few already well known
characters and this will, no doubt, keep future researchers guessing in trying to
establish a valid chronology. It is, unfortunately, a recurring problem when trying to
identify characters and events related to Bon in general. Although, this book does
provide tantalizing contextual material which could permit educated guesses, the
author unfortunately did not indulge in this.
6 One could have benefited from a final index of names, places, and other keywords
which is missing. However, the chapters are rather short and concise as to make a
search of the whole work relatively easy.
7 This study is of enormous value to students, researchers and scholars in want of precise
information on A mdo Bon traditions. Its brevity makes it introductory but will most
likely help in starting in-depth research which will better analyse local elements
relating to the sNang zhig tradition and its satellite institution throughout the Tibetan
world. It will serve as a valuable map and guide in helping furthering our knowledge of
the Bon traditions in North-Eastern Tibetan areas.
8 Montreal 11th May 2017

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


128

BIBLIOGRAPHY
Karmay, S. G. & Y. Nagano (eds) 2003 A Survey of Bonpo Monasteries and Temples in Tibet and the
Himalaya (Osaka, National Museum of Ethnology).

Martin, D., Kvaerne, P. & Y. Nagano (eds) 2003 A Catalogue of the Bon Kanjur (Osaka, National
Museum of Ethnology).

Tsering Thar 2000 The lama in the Bon religion in A mdo and Kham, in S. G Karmay & Y. Nagano
(eds), New Horizons in Bon Studies (Osaka, National Museum of Ethnology), pp. 417-427.
2008 Bonpo Tantrics in Kokonor Area, Revue d’études tibétaines 15(2), pp. 533-552.

AUTHORS
J.F. MARC DES JARDINS
Associate Professor, Department of Religions and Cultures, Concordia University, Montreal.

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


129

Ham Peter van, Guge - Ages of Gold.


The West-Tibetan Masterpieces
Munich, Hirmer Verlag, 2016, 390 pages, ISBN 978-3-7774-2668-6

Laurianne Bruneau

RÉFÉRENCE
Ham Peter van, Guge - Ages of Gold. The West-Tibetan Masterpieces, Munich, Hirmer Verlag,
2016

1 L’ouvrage de Peter van Ham, intitulé Guge - Ages of Gold. The West-Tibetan Masterpieces,
publié en 2016 chez Hirmer (Münich) est le second opus d’une série comptant
présentement deux volumes. Le premier, paru en 2014, était entièrement consacré au
complexe monastique de Tabo (Ta-po) alors que le second volume, présenté et analysé
ici, traite des autres sanctuaires bouddhiques du royaume de Guge (Gu-ge, XIe-
XVIIe siècles, Tibet occidental), qu’ils se situent aujourd’hui sur le territoire de la
République de l’Inde ou de la République Populaire de Chine.
2 Tabo est considéré comme le chef d’œuvre, qui a survécu jusqu’à nous, du royaume de
Guge : de nombreuses études et publications lui ont été consacrées depuis vingt-cinq
ans. Les autres sanctuaires bouddhiques du Tibet occidental ont été l’objet de bien
moins d’attention. La volonté affichée de van Ham était de combler un manque et
d’offrir, à la fois au grand public et aux spécialistes, une étude d’ensemble des sites
(p. 372). Son pari est réussi.
3 Photographe de formation van Ham a pris bon nombre de clichés qui illustrent son
ouvrage. Il fut l’un des premiers à se rendre au Spiti peu après la réouverture de la
région aux étrangers en 1992. Il y effectua plusieurs terrains entre 1993 et 1998, puis de
nouveau en 2010, année où il réalisa la couverture photographique de Tabo en sept
jours. En 2015, pendant deux mois, il arpenta l’état indien de l’Himachal Pradesh
(régions de Kinnaur et Spiti) pour compléter la documentation nécessaire au présent
ouvrage. Van Ham réalisa son terrain en compagnie de Gerald Kozicz, un architecte qui

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


130

s’est spécialisé dans l’étude des monuments bouddhiques (stῡpa et temples) de


l’Himalaya occidental, avec qui il collabore depuis de nombreuses années. D’ailleurs les
dessins de G. Kozicz enrichissent l’ouvrage tout comme les plans de Michael Beck et les
cartes d’Alfons van Hoof.
4 Si van Ham a eu la possibilité de documenter de manière exhaustive les sites de
Charang (rTsa-rang), Ropa (Ro-pag), Poo (sPu) et Nako qui se trouvent en Inde, il n’a pu
travailler de l’autre côté de la frontière, dans la Région Autonome du Tibet (RAT), très
difficilement accessible aux chercheurs pour des raisons politiques depuis 2008. Fort
heureusement des collectionneurs, photographes et chercheurs (tels que Lionel
Fournier, Thomas et David Pritzker, Jaroslav Poncar et Christian Luczanits, pour ne
citer que certains d’entre eux) ont mis leur documentation, rassemblée en grande
partie dans les années 1990, à sa disposition. Ainsi les ensembles de Tholing (mTho-
gling) et de Tsaparang (rTsa-hrang), tout comme les grottes bouddhiques aux alentours
(Nyag, Khyunglung, Chiwang, Dunkar [Dung-dkar] et Pedongpo) tiennent une place
conséquente dans l’ouvrage. En effet, les sanctuaires « indiens » occupent une centaine
de pages (pp. 47-146) et les sanctuaires « tibétains » plus de deux cent (pp. 147-375). Il
s’agit donc en ce sens d’un véritable travail collaboratif, même si l’ensemble des textes
sont dus à Peter van Ham. Avant de commenter le fond de l’ouvrage je souhaiterais
m’attarder sur sa forme.
5 Peter van Ham est avant tout photographe et cela se voit : l’ouvrage est un réel plaisir
pour les yeux. Le format large retenu par l’éditeur (27,9 x 3,3 x 27,9 cm) et le nombre de
photographies reproduites (531, dont deux grands dépliants de 135 cm et 108 cm) font
de cet ouvrage un bel objet qui séduira sans aucun doute le grand public. Quant aux
spécialistes ils ne bouderont pas leur plaisir de pouvoir observer et détailler à loisir les
sculptures et les peintures de ces sanctuaires, qu’ils connaissent parfois mais qui sont
habituellement plongés dans l’obscurité.
6 L’archéologue que je suis regrette le petit nombre de photographies d’ensemble des
sites et des monuments (que ce soit depuis l’extérieur ou l’intérieur) permettant de
bien contextualiser les œuvres (peintures murales, sculptures en argile, plafonds en
bois et peints). Toutefois les plans et dessins permettent, dans certains cas, de resituer
les œuvres. Ceci étant, j’adhère entièrement au parti pris du photographe de se
concentrer sur les détails (Ham 2014a, p. 298). Si cette attention au détail, laissant de
côté les œuvres les plus endommagées, peut donner une vision idéalisée des sanctuaires
au lecteur, je suis tout à fait d’accord avec van Ham que ce choix permet de se former
une idée de la splendeur originale des temples et des grottes.
7 Dans son premier volume consacré à Tabo van Ham écrit : « My main emphasis, […],
was and continues to be – beauty » (Ham 2014a, p. 296). Ce même choix semble avoir
guidé le second volume. La qualité esthétique des photographies est indéniable : la
lumière, le choix de certains angles de vue permettent de retranscrire l’expressivité des
œuvres, et tout particulièrement des sculptures. Si des légendes ou paragraphes
accompagnent les photographies, les textes généraux de l’ouvrage ne renvoient quant à
eux jamais aux photographies. Les photographies existent donc par elles-mêmes en
tant qu’images : elles ne sont pas des illustrations du texte. Par ce choix l’ouvrage
s’inscrit parfaitement dans la tradition des manuscrits indo-tibétains où textes et
images sont des supports de connaissance et de méditation indépendants.
8 L’ensemble des légendes et des textes a été rédigé par Peter van Ham. Parallèlement à
son travail de photographe, van Ham s’intéresse depuis quelques années aux

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


131

monuments de l’Himalaya occidental dans une perspective historique. Ainsi il a


contribué à mettre en lumière des sites oubliés ou méconnus tels que les grottes de
Tragkhung Kowache (Ham 2011) et le stῡpa de Nyoma (Ham 2014b), tous deux au
Ladakh, dans des articles préliminaires mais originaux. Le premier ouvrage consacré au
site de Mangyu (Mang-rgyu, Ladakh) lui est également dû (Ham 2010).
9 Guge - Ages of Gold. The West-Tibetan Masterpieces est structuré selon le modèle déjà
retenu pour le volume consacré à Tabo : plusieurs chapitres généraux sont suivis de
chapitres dédiés à un site ou type de site particulier. Le chapitre final expose le
processus de travail de l’auteur.
10 Le court premier chapitre (pp. 8, 10) introduit l’objet de l’ouvrage, à savoir les
sanctuaires bouddhiques du Tibet occidental, que ce soit sur le plan géographique,
historique, stylistique et religieux. Le choix de van Ham de présenter la région de
l’Ouest tibétain (mNga’-ris-skor-gsum) dans son ensemble (qui s’étend d’ouest en est du
Nord du Pakistan au Népal occidental actuel) pour ensuite préciser que les sanctuaires
présentés dans l’ouvrage ne couvrent en fait qu’une sous-région, celle de Guge (répartie
aujourd’hui entre le Spiti et le Kinnaur en Inde et la préfecture de Ngari en RAT), est
surprenant. On remarque d’ailleurs que van Ham utilise indifféremment Nari, Nari
Khorsum et Guge au cours du texte. Cette assimilation terminologique se retrouve sur
la carte principale de l’ouvrage (p. 6) : Nari est cartographié différemment de Kinnaur
et Spiti, laissant penser qu’il s’agit de la région de Nari Khorsum dans son ensemble et
non pas de la préfecture actuelle de la RAT. Le terme de Guge quant à lui n’apparaît pas
sur la carte principale, bien qu’il apparaisse sur l’encart, à côté d’autres régions telles
que le Purang, le Dolpo, le Baltistan, etc. Le choix de juxtaposer sur cet encart des
termes géographiques (Changthang par exemple), des termes politiques contemporains
(Chine, Inde, Pakistan, Tibet : on remarquera par ailleurs que le terme de RAT
n’apparaît pas sur la carte) et des entités historiques (telles que celles des royaumes de
Guge et Purang) n’est pas, à notre sens, le plus judicieux. Aussi des légendes pour les
différents lieux auraient permis de mieux comprendre les choix du cartographe
(capitale administrative, chef-lieu, sanctuaire décrit dans l’ouvrage ou simplement
mentionné, etc.). Revenons à l’introduction : van Ham explique son choix de traiter
uniquement des sanctuaires du royaume de Guge car un petit nombre d’ouvrages
spécialisés est déjà paru sur les sanctuaires bouddhiques du Ladakh, du Mustang et du
Dolpo (régions faisant partie de Nari Khorsum). Van Ham précise ensuite que le
royaume de Guge a connu deux âges d’or d’un point de vue artistique : une phase
ancienne (XIe-XIIe siècles de n.è.) et une phase tardive (XVe-XVIIe siècles de n.è.). Puis il
fournit une liste des sanctuaires pour chaque phase. On remarquera que seuls les
temples de Tholing et de Tsaparang, traités dans les deux derniers chapitres,
appartiennent à la seconde phase. Ainsi les sanctuaires sont présentés par ordre
chronologique dans l’ouvrage même si cela n’est pas explicitement noté dans
l’introduction. Selon van Ham l’ensemble des sanctuaires est lié par un style fortement
inspiré de l’esthétique cachemirie. Le contexte religieux évoqué dans la dernière partie
de l’introduction est développé dans le troisième chapitre de l’ouvrage, j’y reviendrai.
11 Le second chapitre (pp. 12-20) présente le contexte des sanctuaires, à la fois naturel et
humain. Après une présentation des hauts sommets, plateaux et gorges caractérisant le
Tibet occidental (illustrés par de superbes photographies) van Ham résume l’histoire du
peuplement de cette région. Son affirmation que les premiers habitants de la région
étaient d’origine indo-européenne en provenance d’Asie centrale me paraît hâtive. Le

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


132

seul matériel archéologique abondant et bien étudié pour traiter de l’histoire ancienne
du Tibet occidental consiste en l’art rupestre. L’analyse de ce dernier a démontré des
liens thématiques et stylistiques forts avec celui d’Asie centrale (Bruneau &
Bellezza 2013). Cependant, attribuer une origine ethnique et/ou linguistique aux
auteurs des pétroglyphes me paraît prématuré en l’absence d’études archéologiques
complémentaires. De plus, l’association de cultures archéologiques avec des groupes
ethnolinguistiques se révèle être un exercice périlleux voire impossible. Quant au
scénario de peuplement du plateau tibétain depuis le Sud-Ouest de la Chine développé
par les chercheurs chinois et exposé par van Ham (p. 14) il ne s’agit que d’une
possibilité parmi d’autres (à propos du peuplement du plateau tibétain consulter
Aldenderfer 2011). En fin de chapitre van Ham pose une question tout à fait pertinente :
comment des sanctuaires aussi riches d’un point de vue artistique et religieux ont-ils
pu voir le jour au début du second millénaire de n.è. dans un environnement aussi
difficile ? Les arguments avancés par van Ham – la mentalité nomade du peuple
tibétain, sa capacité à voyager sur de longues distances et son intérêt pour le commerce
et l’échange – sont sans doute valables mais une fois de plus ils doivent être considérés
avec prudence. En effet, à ce jour, nous ne disposons d’aucune étude approfondie sur
les populations du Tibet occidental et leurs modes de vie : s’il est indéniable que l’élite
était d’ascendance tibétaine nous n’avons aucun élément permettant d’affirmer que
cela était le cas pour la population dans son ensemble. Cette dernière était-elle
principalement sédentaire, nomade ou semi-nomade ? Nous ne le savons tout
simplement pas. Quant aux objets d’échanges et de commerce avec le Nord du sous-
continent indien et l’Asie centrale, pour la période concernée ( XIe-XIIe siècles) nous ne
pouvons pour l’instant nous appuyer que sur des mentions textuelles tardives faisant
référence à des contacts, souvent conflictuels, avec les régions voisines. Si l’on accepte
que les populations de l’Ouest tibétain prenaient part à un système d’échange et/ou de
commerce, l’on peut raisonnablement supposer, comme le fait van Ham, qu’elles
produisaient elles-mêmes un certain nombre de biens. L’exploitation de ressources
telles que l’or, mentionné par van Ham, dans l’Ouest tibétain et le long du cours
supérieur de l’Indus est attestée par les mythes, l’étymologie et les textes. D’ailleurs il
existe encore de nos jours quelques orpailleurs, dans le Nord du Pakistan notamment.
Cependant, malgré l’existence de nombreuses mines abandonnées, aucune étude
d’archéométallurgie n’a encore été menée au Tibet occidental: la plus grande prudence
s’impose donc quant aux véritables conditions économiques qui ont permis au royaume
de Guge de voir le jour et d’exister pendant près de sept siècles. Quant aux
circonstances religieuses et historiques elles sont exposées dans le chapitre suivant.
12 Après un bref rappel sur la fin de période impériale tibétaine et sur les raisons qui ont
poussé les descendants du pouvoir du Tibet central à s’installer à l’ouest, van Ham
donne un résumé clair et complet du pouvoir politique et religieux au sein du royaume
de Guge. Une grande partie du troisième chapitre (pp. 22-33) traite de la phase dite
ancienne (XIe-XIIe siècles). L’effort entrepris par van Ham de proposer une histoire à la
fois succincte et précise de cette période décisive pour l’histoire du Tibet et du
bouddhisme tibétain est remarquable. Le résumé présenté est bien plus complet que
celui contenu dans le premier volume consacré à Tabo (pp. 22-26). Le reste du chapitre
(pp. 34-39) traite des cinq siècles suivants, jusqu’à la disparition du dernier roi de Guge
en 1676. Grâce à ce chapitre nous disposons pour la première fois d’une histoire du
royaume de Guge sous une forme accessible. Au lecteur intéressé je recommandons la
lecture des chroniques de Guge-Purang (Gu-ge Pu-hrang) publiées et analysées par

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


133

Roberto Vitali mais qui sont d’une lecture difficile car érudite (Vitali 1996). Je renvoie
également le lecteur à l’excellent article de Christian Jahoda et Christiane Kalantari
(Jahoda & Kalantari 2015) pour une étude plus spécifique de la royauté au Tibet
occidental (pour la phase ancienne seulement), une référence étonnamment absente de
la bibliographie compilée par van Ham qui est par ailleurs exhaustive.
13 Dans le quatrième, et dernier, chapitre général (pp. 42-46) van Ham présente les
concepts doctrinaux sur lesquels se sont appuyés les artistes ayant réalisé le décor des
sanctuaires présentés dans les chapitres suivants. Pendant la phase ancienne ( XIe-
XIIe siècles) les textes appartenant à la classe des Yogas Tantras et conçus autour de
Vairocana, tels que le Vairocanābhisaṃbodhi tantra, le Sarvatathāgatatattvasaṃgraha
tantra ou encore le Sarvadurgatipariśodhana tantra ont servi de référence pour
l’élaboration des programmes iconographiques des sanctuaires. Ces derniers
matérialisent, que ce soit en trois dimensions (sculpture) ou deux dimensions
(peinture) les différents mandala décrit dans les textes. Van Ham donne une description
de quelques-uns des principaux mandala, dont celui le Dharmadhātuvāgiśvaramañjuśrī
maṇḍala, dont la structure générale est parfois illustrée par un dessin conceptuel (pp. 42
et 46). Après un court paragraphe expliquant le rôle prééminent de Rinchen Zangpo
(Rin chen bzang po) pour la traduction de ces textes et de leur dissémination à Guge,
van Ham précise que certains mandala représentés dans les sanctuaires de la phase
ancienne (tel le Guhyasamāja maṇḍala) appartiennent à la classe des Anuttarayoga
Tantra. La classification des Tantras en quatre classes n’était sans doute pas encore en
vigueur au Tibet occidental à l’époque de la réalisation des sanctuaires et certains
concepts, appartenant à l’une ou l’autre classe, étaient indifféremment acceptées. La
co-existence de ces deux classes de Tantra (Yoga et Anuttarayoga) a perduré et leurs
concepts ont également présidé à la réalisation des sanctuaires de la phase tardive ( XVe-
XVIIe siècles).

14 Chacun des chapitres suivants est consacré à un sanctuaire ou type de sanctuaire :


Charang, Ropa, Poo, Nako, les grottes des environs de Tholing puis Tholing même et
enfin Tsaparang. De manière générale van Ham introduit le site (localisation, brève
description de l’architecture et de l’état de conservation du site) avant de décrire le
programme iconographique du sanctuaire. Un plan accompagne systématiquement le
texte et parfois une photographie ou un dessin illustre le programme iconographique
dans son ensemble ou en partie. Enfin, des photographies en gros plan des sculptures
ou de détail des peintures complètent chaque chapitre. De courts paragraphes
décrivent chacune des œuvres reproduites par les photographies. Je ne commenterai
pas chacun des sites, je laisse le soin au lecteur de les découvrir. Van Ham a rassemblé
une documentation extensive et réalisé un remarquable travail de description. Il met
en lumière certaines œuvres, telles les sculptures en bois de Charang (pp. 56-57) et de
Poo (p. 86). La publication, pour la première fois, des grottes de Khyunglung
(pp. 160-162) est également à souligner, tout comme la présentation détaillée et imagée
de la vie du Bouddha du hall d’assemblée (dukhang) de Tholing (pp. 270-285). On peut
également mentionner les sublimes photographies des plafonds peints (canopées) des
temples de Tholing et Tsaparang (pp. 286-289, 320-21, 358-59). L’ouvrage est d’une
immense richesse et recèle de nombreux sujets d’études potentiels puisque l’ensemble
des sanctuaires qui y sont présentés ont fait, pour la plupart, l’objet de peu d’attention
académique jusqu’à présent.

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


134

15 Le souhait de van Ham de proposer « […] a scientifically correct, yet accessible text that
would serve both academic and lay needs » (p. 372) est exaucé. Néanmoins, cette
hésitation, ou plutôt ce non-choix, entre un public spécialisé et le grand public se
ressent au fil de l’ouvrage. Le fait de ne pas inclure les signes diacritiques par exemple
correspond à un ouvrage grand public alors que l’utilisation des termes sanskrits et les
nombreuses notes de fin correspondent plutôt à un public spécialisé. Ce dernier aurait
d’ailleurs peut-être souhaité un index alors que le premier aurait lui plutôt trouvé utile
un lexique ? On notera également quelques omissions dans la bibliographie (par
exemple pour « Wang 2011 » les pages ne sont pas indiquées, tout comme pour van
Ham 2014b dont le numéro de volume demanderait à être uniformisé avec van
Ham 2011). Enfin, le principal regret que chacun pourrait exprimer est de ne pas
disposer d’un chapitre général sur l’esthétique cachemirie évoquée dans le chapitre
introductif et présentée comme commune à l’ensemble des sanctuaires. Si les
caractéristiques stylistiques des œuvres des différents sites sont évoquées au sein de
chaque chapitre et dans les commentaires accompagnant les photographies, une
présentation synthétique du « Tibetan Himalayan Style » (selon la terminologie de
Deborah Klimburg-Salter 2015) aurait été la bienvenue.
16 Les quelques remarques que je viens de formuler n’entachent en rien la qualité globale
de l’ouvrage qui deviendra, selon moi, un volume de référence pour les futures études
portant sur les sanctuaires bouddhiques du Tibet occidental, au même titre que
l’ouvrage de Christian Luczanits sur la sculpture en argile de la région (Luczanits 2004)
ou bien le volume édité par Deborah Klimburg-Salter sur Tabo (Klimburg-Salter 1997).
En dehors de Tabo, le seul sanctuaire présenté dans ce volume et ayant fait l’objet d’une
monographie est celui de Nako (Krist 2016). Ce volume, paru en 2016 également,
émerge du Nako Research and Preservation Project (2002-2010), un projet soutenu par le
Fonds Autrichien pour la Science (FWF). Un autre projet autrichien (également financé
en grande partie par le FWF) initié en 1999 et encore en cours se focalise sur
l’architecture bouddhique de l’Himalaya occidental : https://archresearch.tugraz.at/
documentation/ (consulté le 27 novembre 2017).
17 À ce jour 56 bâtiments, répartis sur 18 sites au Ladakh, en Himachal Pradesh et en RAT
ont été documentés. Deux monographies, l’une sur Dangkhar (Neuwirth & Auer 2013),
l’autre sur Wanla (Neuwirth & Auer 2015), forment les premiers volumes de la série
Buddhist Architecture in the Western Himalayas. Le travail de van Ham, focalisé sur les
œuvres, est donc complémentaire de ces travaux de restauration et d’architecture.
18 Le terme de « chefs d’œuvres » choisi pour le titre de l’ouvrage est tout à fait justifié.
Chacun des sites de l’Himalaya occidental présenté par van Ham recèle de véritables
œuvres d’art. Bien que méconnues elles n’ont pourtant rien à envier à certains sites
bouddhiques célèbres, tel celui d’Ajanta par exemple. Par ce volume et par l’exposition
parallèle dont il était le coordinateur (« Historisches und Völkerkundemuseum », Saint
Gall, Suisse, 26 novembre 2016-11 juin 2017) Peter van Ham contribue à faire connaître
l’art du Tibet occidental au plus grand nombre ; qu’il s’en trouve ici remercié car rares
sont les voyageurs, même à notre époque, qui auront la chance de s’aventurer sur les
pistes himalayennes. Le troisième volume de cette série, actuellement en préparation,
est attendu avec impatience.

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


135

BIBLIOGRAPHIE
Aldenderfer, M. 2011 Peopling the Tibetan Plateau. Insights from Archaeology, High Altitude
Medecine & Biology 12(2), pp. 141-147.

Bruneau, L. & J. V. Bellezza 2013 The rock art of Upper Tibet and Ladakh. Inner Asian cultural
adaptation, regional differentiation and the Western Tibetan Plateau style, Revue d’Études
Tibétaines 28, pp. 5-161.

Ham, P. van 2010 Heavenly Himalayas. The Murals of Mangyu and Other Discoveries in Ladakh
(Munich/Berlin/Londres/New York, Prestel).
2011 Ladakh’s missing link? The murals of Tragkhung Kowache, Orientations 42(5), pp. 50-57.
2014a Tabo – Gods of Light. The Indo-Tibetan Masterpiece (Munich, Hirmer).
2014b The Khawaling Chorten. A unique sculpted and painted mandala at Nyoma, Ladakh,
Orientations 45(5), pp. 28-40.

Jahoda, C. & C. Kalantari 2015 Kingship in Western Tibet in the 10 th and 11th centuries, Cahiers
d’Extrême Asie 24, pp. 77-103.

Klimburg-Salter, D. E. 1997 Tabo. A Lamp for the Kingdom. Early Indo-Tibetan Buddhist Art in the
Western Himalayas (Milan/Genève, Skira).

Klimburg-Salter, D. E. 2015 The Tibetan Himalayan style, in P. Mc Allister, C. Scherrer-Schaub &


H. Krasser, (eds), Cultural Flows Across the Western Himalaya (Vienne, Verlag der Österreichischen
Akademie der Wissenschaften), pp. 427-476.

Krist, G. (ed.) 2016 Nako. Research and Conservation in the Western Himalayas (Vienne/ Cologne/
Weimar, Böhlau Verlag GmbH/Co. KG).

Luczanits, C. 2004 Buddhist Sculpture in Clay. Early Western Himalayan Art, Late 10 th to Early
13th Century (Chicago, Serindia).

Neuwirth, H. & C. Auer 2013 The Ancient Monastic Complex of Dangkhar, Buddhist Architecture in the
Western Himalayas vol. 1 (Graz, Verlag der Technischen Universität Graz).
2015 The Three Storied Temple of Wanla, Buddhist Architecture in the Western Himalayas vol. 2 (Graz,
Verlag der Technischen Universität Graz).

Vitali, R. 1996 The Kingdoms of Gu.ge Pu.hrang: according to mNga’.ris rgyal.rabs by Gu.ge mkhan.chen
Ngag.dbang grags.pa [Tho ling dpal dpe med lhun gyis grub pa’i gtsug lag khang lo 1000 ’khor ba’i
rjes dran mdzad sgo’i go sgrig thsogs chung gis dpar skrun, Dharamsala].

AUTEURS
LAURIANNE BRUNEAU
EPHE, PSL Research University, PARIS 7, Collège de France, CNRS, UMR 8155 – CRCAO, F-75005
Paris, Fance

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


136

Bray John, Maurer Petra & Butcher


Andrea (eds), Ladakh. Historical
Perspectives and Social Change
2015, The Tibet Journal 40(2), numéro spécial, 283 pages

Patrick Kaplanian

RÉFÉRENCE
Bray John, Maurer Petra & Butcher Andrea (eds), Ladakh. Historical Perspectives and Social
Change, 2015, The Tibet Journal 40(2), numéro spécial

1 Ce numéro spécial de la revue The Tibet journal constitue en fait une partie des actes du
16e colloque de l’IALS (International Association for Ladakh Studies) qui s’est tenu à
Heidelberg en avril 2013. Les articles qui le composent suivent un ordre chronologique.
2 Le titre de l’article de Christian Faggionato, « The History of dge lugs pa in the Nubra
Valley », est trop modeste car son sujet l’amène à nous présenter l’histoire d’ensemble
de la vallée, en insistant sur les aspects religieux. La vallée de la Nubra se situe au nord
de Leh, l’ancienne capitale royale du Ladakh, aujourd’hui chef-lieu de district. On y
accède par un col à 5380 m, sur une route goudronnée considérée comme la plus haute
du monde. Cet isolement relatif en fait un monde un peu à part. L’auteur note que,
comme dans le reste du Ladakh, mais contrairement au Tibet, les monastères n’ont
jamais cherché à exercer le pouvoir, le laissant aux chefs locaux et aux représentants
de la monarchie de Leh. Il s’appuie sur une importante documentation rassemblée sur
place et qui lui a servi à écrire sa thèse (Faggionato 2013).
3 Le Zanskar est une haute vallée enclavée au sud de Leh. Encore plus isolé que la Nubra,
il était, avant sa conquête par le roi du Ladakh au XVIIIe siècle, divisé entre deux petits
royaumes, Padum et Zangla. Rob Linrothe s’intéresse à un chorten dit « de la reine »
dans le village de Karsha qui faisait partie du royaume de Zangla : un monument ignoré
aussi bien des spécialistes que de la population locale qui s’en servait de bergerie ou de

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


137

cuisine. Or ce chorten, que Linrothe date du dernier quart du XVIe siècle, est couvert de
fresques. L’intérêt de l’article est moins dans l’ajout de nouvelles fresques à un
catalogue ladakhi déjà bien fourni que dans les thèmes iconographiques de ces
fresques : on y trouve à la fois des thèmes drukpa (‘brug pa) et gelukpa (dge lugs pa).
L’auteur explique cela par une tolérance des rois et des nobles du royaume de Zangla
vis-à-vis de ces deux courants du bouddhisme tibétain. L’article est abondamment
illustré avec un commentaire détaillé de certaines fresques.
4 Petra Maurer s’intéresse à Nawang Tsering (sgrub chen ngag dbang tshe ring,
1657-1734) le célèbre yogi du Zanskar1. Elle est frappée par la présence d’un chapitre
inhabituel dans sa biographie : dans son enfance le futur yogi fut persécuté par sa belle-
mère. Ceci est décrit avec insistance et beaucoup de détails : elle le battait, le faisait
travailler sans relâche, ne lui donnait rien à manger. Or, fait remarquer l’auteur, autant
ce thème est banal dans la littérature européenne, autant il est rare dans les namthar
(rnam thar, biographie de saint). Elle en conclut qu’il s’agit de faits réels, donc d’une
autobiographie et non pas d’une hagiographie plus ou moins idéalisée.
5 En 1679, le gouvernement central de Lhasa lança une guerre contre le Ladakh. La thèse
tibétaine, en grande partie reprise par les historiens, est que cette guerre avait pour
but de mettre fin aux persécutions que subissaient les gelukpa de la part d’un pouvoir
royal soutenant les drukpa. Dans son article Nawang Jinpa s’inscrit en faux vis-à-vis de
cette théorie, faisant remarquer que les rois du Ladakh avaient une politique équilibrée
envers les différentes écoles bouddhiques. En cela elle rejoint Rob Linrothe et son
analyse du chorten de la reine. Pour elle, il s’agissait tout simplement d’une guerre de
conquête, une guerre qui permit au gouvernement de Lhasa d’arracher le Tibet de
l’Ouest (Ngaris Skorsum ; mnga’ ris skor gsum) au Ladakh. Les Tibétains auraient même
conquis le Ladakh si les Moghols n’avaient envoyé des troupes à la rescousse de ce
dernier.
6 Nous parvenons maintenant au XIXe siècle. John Bray décrit les relations entre le
missionnaire morave Heinrich August Jäschke (1817-1883), l’auteur du célèbre Tibetan-
English Dictionnary (Jäschke 1881), et l’un de ses informateurs, Lobsang Chospel
(blo bzang chos phel), un moine de Tashi Lhunpo. Sur le plan intellectuel la collaboration
fut très fructueuse et Lobsang Chospel s’intégra bien à la mission morave pendant son
séjour. Toutefois, sur le plan religieux, chacun des deux hommes resta sur ses positions,
l’un attaché à sa foi chrétienne et l’autre à ses croyances bouddhiques.
7 Janet Rizvi fait le portrait de cinq hommes qu’elle a rencontrés dans les années 1980,
mais qui étaient actifs dans la première moitié du XXe siècle. Ils pratiquaient alors des
professions différentes : un joueur de hautbois (surna), deux forgerons, un médecin
traditionnel (amchi), et un « coureur de poste » (mail runner). Les trois premières
professions sont connues : elles se pratiquent toujours. La quatrième est plus
intéressante car elle a disparu. Sur la route Srinagar-Leh, tous les 4,5 miles (environ
7 km), il y avait un relais. Le facteur-coureur y parvenait avec le courrier et
immédiatement, quel que soit l’heure, un autre partait jusqu’au relais suivant et ainsi
de suite.
8 Nous voilà parvenus à l’époque actuelle. L’article de Sophie Day, à travers la description
de trois membres d’une famille, cherche à cerner l’évolution récente en matière de
parenté, d’héritage et de propriété : fin du droit de primogéniture, partage des terres,
accès aux emplois salariés, etc., et les difficultés que cela implique : le partage de la

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


138

terre conduit au morcellement des propriétés agricoles qui sont de moins en moins
rentables. Cela oblige les membres de la famille à trouver des emplois salariés.
9 Depuis 1947 le Ladakh est intégré dans l’Union indienne, un pays qualifié par sa
constitution de « République souveraine, socialiste, laïque, démocratique (sovereign
socialist secular democratic republic) ». Néanmoins tout ce qui relève de croyances
religieuses, astrologiques, en tout cas peu laïques, résiste toujours. Fonctionnaires
comme ONG sont obligés de s’y adapter. Telle est la conclusion de l’article d’Andrea
Butcher. Par exemple lorsque les membres d’une ONG doivent participer à une
cérémonie religieuse qui doit permettre d’assurer le succès de leur entreprise, laquelle
n’a rien de religieux ; ou lorsque le gouvernement autonome local (le Hill Council) doit
financer en partie la construction d’une grande statue de Maitreya-Chamba (byams pa).
10 La population du gros village de Padum, aujourd’hui chef-lieu du sous-district (tehsil) du
Zanskar, est divisée entre bouddhistes et sunnites, à peu près à part égale. En prenant
pour fil directeur l’attitude des musulmans lors des trois visites du dalai lama au
Zanskar en 1980, 1988 et 2009, Salomé Deboos constate une radicalisation des
musulmans qui participèrent avec les bouddhistes, en 1980 et 1988, aux préparatifs de
la venue et à l’accueil du dalai lama et ne le firent plus en 2009.
11 Maintenant nous passons au Kinnaur, une vallée au sud du Ladakh, dans l’État de
l’Himachal Pradesh. Elle conduit au Shipki la (5669 m), poste frontière avec la Chine.
Rafal Beszterda raconte la fortune des caravanes sur cette route jusqu’au milieu du
XXe siècle. Après l’attaque de l’Inde par la Chine en 1962, toutes les frontières entre les
deux pays furent fermées, puis il fut décidé de rouvrir quelques postes, dont le Shipki la
le 16 juillet 1994. Cette route n’a pas retrouvé pour autant sa splendeur d’antan et sa
réouverture est plutôt de l’ordre du symbolique. Depuis 1994 quelques Indiens ont
franchi le col, mais aucun Tibétain ni Chinois. La Chine est plus intéressée à intégrer le
Tibet dans le reste du pays, en particulier par le biais de construction de routes, et
l’Inde ne semble pas vouloir faire les efforts nécessaires en matière d’infrastructures.
12 Enfin Pascale Dollfus analyse la conception que les Ladakhi ont de la couleur. Quelles
sont les couleurs de base et les couleurs considérées comme dérivées ? Elle étend
ensuite l’enquête aux peintures religieuses et finalement conclut que la couleur est
rarement un critère mis en avant. Pour donner un exemple, à l’automne on dit que les
feuilles du peuplier sont prêtes à tomber plutôt que de dire qu’elles sont jaunes.

BIBLIOGRAPHIE
Faggionato, C. 2013 A Religious History of the Nubra Valley. Thèse de doctorat (Turin, Université
de Turin).

Jäschke, H. A. [1881] 1968 A Tibetan-English Dictionnary (Londres, Routledge/Kegan Paul).

Nawang Tsering 1979 Buddhism in Ladakh. A Study of the Life and Works of the Eighteenth Century
Ladakhi Saint Scholar (Londres, Sterling).

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


139

NOTES
1. Pour en savoir plus sur ce célèbre yog, voir Nawang Tsering 1979.

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


140

Linrothe Rob, Seeing into stone, Pre-


buddhist petroglyphs and Zanskar’s
early inhabitants
New Delhi, Studio Orientalia, 2016, 211 pages, ISBN 978-81-924502-8-5

Martin Vernier

RÉFÉRENCE
Linrothe Rob, Seeing into stone, Pre-buddhist petroglyphs and Zanskar’s early
inhabitants, New Delhi, Studio Orientalia, 2016

1 Novateur, parfois à la limite provocateur, matois, mais quoi qu’il en soit plus que
bienvenu et longtemps attendu, Seeing into stone apporte une importante contribution à
la connaissance de l’art rupestre ouest-himalayen
2 Rob Linrothe, historien de l’art et grand connaisseur des régions de l’Himalaya indien,
est un défenseur de longue date de l’héritage rupestre du Ladakh et du Zanskar. Il
publie ainsi dès 1997 un appel à la sauvegarde du patrimoine rupestre dans le
périodique bilingue local de l’époque (Linrothe 1997, pp. 20-23).
3 Trekkeur invétéré fort d’une longue expérience des régions de l’Himalaya occidental, il
cultive son ton propre et partage généreusement ses impressions d’explorateur avisé
auquel ses lecteurs habitués le reconnaitront aisément (Linrothe 1999, pp. 57-67, 2007,
pp. 40-54.)
4 Pour cet ouvrage longuement mûri et enrichi de la longue expérience de ses
nombreuses pérégrinations dans les vallées du Zanskar, R. Linrothe pose d’emblée le
cadre : le titre résume à lui seul la position qu’entend suivre l’auteur tout au long de
son travail. Cet axiome est étayé au fil des pages par les riches illustrations de l’auteur,
aux cadrages inhabituels et parfois audacieux, et d’une réflexion, d’une « vision » tout
azimut, fruit de la diversité de son expérience et de ses connaissances. Pour parachever

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


141

cette richesse iconographique un CD-ROM accompagne l’ouvrage, le complétant de 150


illustrations annexes.
5 La curiosité de l’auteur et la diversité des sources auxquelles il fait appel amène une
bouffée d’air frais bienvenue dans la vision parfois trop polarisée des spécialistes de
l’art rupestre. L’auteur, tout en s’en dégageant, met par ailleurs un point d’honneur à
rendre hommage à la diversité et aux efforts variés de ses pairs et prédécesseurs. Si
R. Linrothe fait montre d’un sens critique salutaire au fil des deux premiers et
principaux chapitres analytiques de son ouvrage, on s’attend tout de même à le voir
prendre position pour gagner en pertinence. Lorsqu’il le fait dans les chapitres
suivants, quelque peu emporté par sa propre mystique, c’est pour souscrire à une
approche interprétative, préalablement pointée du doigt par l’auteur.
6 Le premier chapitre de l’ouvrage s’ouvre sur une introduction méthodologique dans
laquelle R. Linrothe prend le parti de l’ouverture et de la liberté. Il pose un cadre
académique et scientifique objectif et sans complaisance, dénonçant au passage les
querelles de niches entre historiens de l’art et archéologues, entre sciences dures et
sciences humaines. Il évite soigneusement ainsi le piège des répétitions de présupposés
et s’octroie une vision neuve, empreinte d’objectivité et de clarté. (Il répète l’exercice
au second chapitre en ce qui concerne les approches ethno-anthropologiques). Si
l’exercice est sain, il est parfois peut-être un peu redondant dans sa formulation.
7 Avec discernement et concision, il pose le cadre des études de l’art rupestre et de leurs
enjeux, leur potentiel et leurs difficultés, leurs écueils aussi. Le corpus rupestre sur
lequel il développe sa réflexion ultérieure est présenté au fil du texte. Pas de catalogue
de sites au sens strict, de répertoire ou de tentative de classification typologique dans
ces pages, le propos est ailleurs, l’angle de vision plus large. Les groupements de
gravures et les différents sites sont régulièrement cités et le nombre relativement
restreint de ceux-ci pose un cadre dans lequel le lecteur se repère assez rapidement au
fil des pages. Le discours rupestre est ainsi principalement centré sur les sites de Char
Doksa – publié par Francfort et al. sous le nom de Char (Francfort et al. 1990, pp. 5-27) et
par le présent auteur sous le nom de Zamthang (Vernier 2016, pp. 53-105) –, Pepula,
Tungri, Nangwa pal, Pipiting, Karcha, Manda et Skorpoche. L’auteur aborde les sites
comme étant eux-mêmes des éléments de syntaxe du discours rupestre. On peut
cependant regretter l’absence d’une carte, qui indiquerait la position des différents
sites et leur importance (nombre de roches et de gravures par exemple), ce qui
permettrait d’étayer certains aspects du propos.
8 S’ensuit une typologie des figures que certains trouveront peut-être trop sommaire. Les
représentations y sont décrites par groupe. Parmi les animaux sont traités
principalement les caprinés et les yaks, les autres (félins, chevaux, canidés) sont
abordés de manière plus succincte. Les représentations humaines, les signes, symboles
et motifs (signs, symbols or designs). R. Linrothe regroupant sous ces trois derniers
termes l’ensemble des représentations géométriques, figuratives ou non. La
présentation de ces différentes catégories de figures est enrichie de nombreux
comparatifs visuels principalement issus des régions limitrophes : Cachemire, Pakistan
et Chine tout comme l’art pariétal européen ou celui de Bornéo. L’auteur inclut
parallèlement des références plus audacieuses et plus surprenantes de par leur
éclectisme tels des renvois au travail artistique de Keith Haring ou d’Alberto
Giacometti. L’aspect descriptif est envisagé selon sa pertinence par rapport au discours
de l’auteur qui s’autorise ainsi à dépasser les débats de spécialistes pour tendre vers

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


142

une compréhension la plus large des pétroglyphes, de leur contexte, de leur origine.
Fort de cette dynamique, il remet en question de manière pertinente les théories de
« magie de la chasse » souvent attribuées à priori à toute représentation cynégétique.
Sur ce sujet par exemple, il développe d’intéressants comparatifs avec les études
similaires conduites sur le site de Burzahom au Cachemire. Ses conclusions sur certains
aspects du répertoire sont parfois, dans le cas notamment des motifs assimilés au style
animalier, d’autant plus surprenantes et innovantes, bien que plus vagues, du fait de
cette approche plurielle qu’il se plait à honorer. Il en résulte toutefois de notre point de
vue un certain manque de positionnement qui finit par nuire au potentiel analytique du
sujet.
9 Au second chapitre, R. Linrothe dresse un état des lieux de la connaissance du contexte
archéologique lié aux pétroglyphes et de la recherche archéologique au Ladakh de
manière plus générale. Les quelques recherches officielles menées par l’ASI
(Archaeological Survey of India) et les chercheurs indépendants, précurseurs de la
discipline et actifs dans la région sont dûment cités. L’engouement relativement récent
pour la recherche archéologique au Ladakh-Zanskar et les démarches associées n’en
étant qu’à ses débuts au moment de la rédaction de l’ouvrage (relevons par exemple la
création d’une antenne de l’ASI à Leh, au Ladakh en 2011 ainsi que le projet de
collaboration archéologique Franco-Indien, MAFIL, et les premières fouilles réalisées
par ce dernier en 2016), les références qui y figurent sont donc largement orientées
vers les régions limitrophes (Pakistan, Asie centrale et Ouest tibétain). Pour la région
du Zanskar, élément central de ce travail, force est d’avouer que les connaissances
demeurent très sommaires et n’ont que très peu évoluées au cours des vingt dernières
années. L’éloignement et l’accessibilité saisonnière restreinte de cette région semblent
limiter l’avancement des recherches dans ce domaine de la part de la communauté
scientifique. R. Linrothe parvient cependant à mettre en lumière de manière tout à fait
évidente le potentiel élevé de ces hautes vallées au niveau archéologique, cela
principalement du fait de leur position géographique. Le Zanskar se situe entre le
Cachemire et le Ladakh, le Spiti et le Purig, les mondes indien, centre-asiatique et
tibétain et jouit de ce fait d’une identité propre.
10 Au troisième chapitre, R. Linrothe revisite les palimpsestes et autres recouvrements
chronologiques de motifs bouddhistes sur des figures zoomorphes de manière
innovante et propose une approche intéressante, issue là encore de la diversité des
références qu’il fait siennes. Il interroge ainsi le sens que nous donnons aujourd’hui à
l’héritage rupestre de ces hautes vallées himalayennes autant que celui qu’il a pu avoir
pour ses auteurs. En tant que tel il questionne notre rapport à la représentation
bidimensionnelle, son potentiel narratif, et la notion de composition. R. Linrothe a le
mérite de naviguer entre sciences exactes et vues plus larges mais sa remise en
question de l’ethnocentrisme véhiculé par le système admis au niveau mondial en ce
qui concerne le découpage du temps le pousse à proposer, non sans un certain humour
et second degré, un système de repère BB (before Buddha) et AB (after Buddha). Un clin
d’œil qui fait écho à la liberté de penser qu’il se donne tout au long de ses pages.
11 Le chapitre qui conclut l’ouvrage s’arrête un instant sur les aspects de conservation et
les enjeux liés à la protection du patrimoine rupestre. Le bilan est plutôt sombre et les
perspectives restreintes. Sur ce sujet, l’auteur est vraisemblablement résolu à s’en tenir
à une vision optimiste qui fait la part belle aux ressources de la région. Son positivisme
vient à point nommé contrebalancer un constat qui, face au sort de l’héritage

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


143

historique et archéologique du Ladakh Zanskar, est plutôt alarmant. La disparition de


certains vestiges et les atteintes répétées à l’ensemble et à la cohérence de ce
patrimoine se font en effet de plus en plus nombreuses dans ces vallées himalayennes à
l’équilibre si fragile.
12 Cet état de la situation locale finit toutefois par rattraper au dernier paragraphe le
contrepied optimiste de l’auteur qui clôt son ouvrage avec la même amertume que celle
devenue la norme pour la plupart des acteurs de la scène patrimoniale du Ladakh-
Zanskar : aux frontières d’un monde qui rétrécit trop vite, le patrimoine historique et
artistique pèse de peu de poids dans la balance du développement économique.

BIBLIOGRAPHIE
Francfort, H.-P., Klodzinski D. & G. Mascle 1990 Pétroglyphes archaïques du Ladakh et du
Zanskar, Arts Asiatiques 45, pp. 5-27.

Linrothe, R. 1997 Paving Over Precious Heritage, Ladags Melong 2, pp. 20-23.
1999 A summer in the field, Orientations 30, pp. 57-67.
2007 A winter in the field, Orientations 38, pp. 40-54.

Vernier, M. 2016 Zamthang, epicentre of the Zanskar rock art heritage, Revue d’Études
Tibétaines 35, pp. 53-105.

AUTEURS
MARTIN VERNIER
Chercheur associé, C.N.R.S., ArScAn (UMR 7041)

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


144

The Khandroma of the Highlands


for sister, a cinematic jewel by Gya
Stanzin Dorjai (and Christiane
Mordelet)
The Sherpherdess of the Glaciers, Les films de la découverte and
Himalaya Film House, 2016, not distributed yet, 76 minutes, DVD
(personal communication of the director)

Roberto Vitali

REFERENCES
Stanzin Dorjai Gya, Mordelet Christiane, The Sherpherdess of the Glaciers, Les films de la
découverte and Himalaya Film House, 2016

1 There are means that help staying away from preconceived ideas. One is not to pass
judgments at all or, if this is inescapable, to avoid expressing them without the support
of full evidence. Touché: I should have done that myself.
2 My first reaction when I read about The Shepherdess of the Glaciers (La bergère des glaces)
was that it must be one of the documentaries shot in a land, Ladakh, where facets of its
culture have been shown, in some cases, not so much for their intrinsic sense but for
what may appear picturesque to a shallow look.
3 My initial and grossly unsubstantiated impression about The Shepherdess of the Glaciers
had a complete turnaround almost immediately after I came to know a little more
about it.
4 I found out that it was shot in the highlands above Gya – nowadays a small, unassuming
village, which attracts little tourism. Graced by a quintessential character, though, that
makes it noteworthy, Gya has a glorious, extraordinary past. Gya was the capital of the

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


145

ancient Ladakhi kingdom before the Tibetans advanced to annex it to their own
dominions that formed the three divisions of united Upper West Tibet.
5 It was almost one thousand and one hundred years ago. If not for scanty references in
ancient Tibetan and Ladakhi historical works, there would be no traces left about its
existence.
6 Despite the lost memory of its Gyapa Jowo rulers, legends expressed in oral form
remain vivid in the tradition of the locals to this day. Legends were the ancestral
religion of the Tibetan world and storytelling is an extraordinary tradition that
flourished locally. Gya is famous for its bards who recited these legends and for the
ceremony of the “breaking of the stone”, a long ritual with recitations of the old lore
that culminates with breaking a stone slab by means of psychic power.
7 Gya and its capital Sertri (the “Golden Throne”) have populated my thinking for a long
time and will continue to do so. With Gya in mind, my penchant for loving the
documentary grew exponentially.
8 I went for a trailer and was conquered by the scenes that I saw. Mine was an aesthetical
reaction this time. The beauty of those images is overwhelming, a feast for the eyes.
Many documentaries have pretty pictures but The Shepherdess of the Glaciers has much
more to offer.
9 I can hardly compare Stanzin Dorjai’s cinematic effort with documentaries I have seen
before. Despite my cold feet about the genre focusing on Tibet and the Himalaya,
watching The Shepherdess of the Glaciers has warmed my heart.
10 The subject is introduced in a subtle way. The documentary opens with the typical
whistling of a shepherd in a landscape that is touching in its vastness. Then the camera
shows to whom the whistle belongs. It’s Tsering Palmo from the Zemskhang family of
Gya, the protagonist of the documentary. But that is unfair to say, for her herds are a
true, strong presence throughout its length. I didn’t imagine that goats and sheep are
so photogenic!
11 She appears on screen talking to her animals. The camera moves from her to long, wide
frames of the highlands that run to the horizon, ridge after ridge, slope after slope.
12 The solitude of these high valleys and mountains becomes populated by flocks of goats
and sheep that spread around these vast plateaus rolling on them with movements that
are a perfect balance between emptiness and occupation.
13 Simplicity of these movements of goats – just flocks isn’t it? – makes the solitude of
these highlands inhabited and empty in one go. The animals spread out and fill the
space under a blinding sunshine. This is the preamble.
14 The voice of the documentarist outside the frame talks to her. It asks whether she
realises what is happening. She wonders what is the sense of filming her: loneliness is
her companion. She hardly communicates with anyone. How can she be shown around
the world?
15 Her father handed over the work of shepherd to Tsering Palmo. She was ten when she
set out with him into the wild for the first time. He told her that a shepherd must have
a head of steel. She understood what he meant when she began to brave the wild in
sheer solitude, for no one can teach how to live in the highlands. A shepherd has to find
a personal balance within the tradition that is transmitted down its members by using
mental and physical concentration on one’s exertions.

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


146

16 Then the camera focuses on Tsering Palmo who is shown advancing with difficulty but
assuredness in a landscape covered by ice and high snow, in contrast with the wide
angles of the herds rolling down the slopes of grazing grounds. One notices that her
walk carries some effort in such extreme conditions: every step is slow and prudential.
Away from these difficult passages, she moves with a pace – anyone who has been in
these mountains and valleys cannot deny this – trained by the long distances she
covers.
17 She carries on and gets inside the frame from one side in order to leave it from the
opposite one. The idea is a small classic, which works well in terms of filmic narrative.
18 Moving in the landscape to work on her routines, she talks about the wilderness as a
friend she has known all her life and what it is like to live in solitude.
19 In these initial soliloquies – the documentary is made of soliloquies and speeches that
are short and to the point – she tells about the approach to the highlands.
20 They are not places for suffering if one’s mind is as light as the air one breathes. If one
thinks that the altitude is a burden, then there is no escape. It’s impossible to cope with
it.
21 Spectators are then transported into a world of its own where Tsering Palmo negotiates
the harshness of nature with a confidence that comes from her empathy with the
environment.
22 The viewer is led into this world without the need of climbing the wall that separates,
in other documentaries, the cameraman from the subject.
23 The documentarist, who is shooting Tsering Palmo in her wanderings and the grazing
herds, is perfectly immersed in the context of what he is showing and this sensation is
transferred straight to the audience. Stanzin Dorjai, who follows Tsering in all her
itinerant paths, is her brother. His closeness to her goes beyond their bonds. He was
himself a shepherd for five years with his sister before becoming a moviemaker.
24 Stanzin, too, did not avoid any hardship in his work, for he did not spare fatigue and
personal engagement. Carrying all equipment himself, he has documented his sister in
surroundings where no one of his crew dared to venture. The result is worth his efforts.
25 The camera moves in the landscape and focuses on the sister in a way that
communicates a sense of unity and belonging. Steps and rituals, unfolding of seasons
and the needs of the animals – Tsering’s life – are seen with a closeness that transpires
from every frame.
26 While becoming acquainted with that feeling, I thought of the great hermit masters of
ancient Tibet and their penance, who, in pursuit of a spiritual life, left all attachment
behind.
27 I thought of masters such as the great Gyelwa Götsangpa (1189-1258) who went through
all sorts of hardship. He hardly felt the same empathy that Tsering Palmo manifests on
all occasions, which her brother did not fail to capture with suppleness and without
imposition.
28 Götsangpa suffered much pain on his way to Kailash, found the journey across the
wilderness of the Northern Plain daunting, got sick with hepatitis and eventually left
the caves around the mountain during winter to take refuge in the lower and more
negotiable land of Purang. His was not an isolated case. This is how hermits survived in

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


147

the wilderness of Kailash and Manasarovar by moving to more hospitable Purang


during the coldest season.
29 Overcoming fatigue in bearing the harshness of the world of emptiness that is the
Northern Plain and the Kailash region, Götsangpa succeeded in his practice, and
attained supreme status. The highlands are places that lead the initiate to enter into
another dimension.
30 Tsering Palmo’s tough existence also made me think of Nangzher Löpo, a great Bonpo
master of the 8th century, mythical for his hard life. His teacher brought him to an
island in a lake in a land with hardly any human habitation to practice penance that
lasted for many years. Eventually Nangzher Löpo could not bear austerities any longer.
Hunger led him to hallucinations, and austerities deeply affected his physical balance.
31 Islands for reclusion can only be accessed during winter when the water freezes. His
teacher took him away from the island by making him fly on his shoulders, for there
was no alternative to leave in the other seasons.
32 Back to the human fold, Nangzher Löpo was like a ghost to the few people he knew.
They could not recognise him anymore, but age-long greatness was his achievement.
33 With the life of the great hermits of the Tibetan tradition in mind and their endeavours
in solitude, I wondered whether Tsering Palmo Zemskhang should be considered a
special breed of human being.
34 I think her traits are typical of a khandroma, a dakini or “fairy of the sky”. Khandromas
are supernatural women who look towards the earth to attend to the destiny of man.
They can be friendly – or noxious if not appeased properly – but, more than anything,
they have an ulterior vision that makes them see human life from a different
perspective.
35 Besides having features of a khandroma, Tsering Palmo talks throughout the
documentary about life – her life in particular – with the depth and the wisdom of a
philosopher.
36 She says that you need to learn to know yourself – the same great piece of wisdom
(Notsi seauton in ancient Greek) that Socrates told his disciples, and for which he left an
indelible mark on the unfolding of civilisation. Pretty stunning for an illiterate
shepherdess, I would dare to think. But she claims she has no knowledge: only a stick in
her hand and a basket on her shoulders. Her attitude is a sign that she doesn’t miss an
iota of this insight.
37 Unlike present-day Tibet under Chinese duresse, Ladakh’s cultural landscape does not
impose restrictions, either physical or mental, despite a modern penchant for the many
compulsions of globalisation. An outcome of such a different topical reality, The
Shepherdess of the Glaciers is a celebration of freedom that germinates from the
traditions of a land that has not experienced the repression of its way of life.
38 The choice of Tsering Palmo, the Khadroma of the Highlands, is vocational within the
context of tradition. Tsering Palmo is beyond common behaviour, even by local
standards. She stays away from everything else to meet her world – rich and intense.
39 Her world is the tool that gives her happiness. This is a major trait of the movie.
Happiness with her is not a national goal – the aim of a nation as in Bhutan – but a
subtle state of well being that she has achieved living in solitude.

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


148

40 Happiness comes from the heart – not the desk of a government – so she thinks that
people should be sincere in what they do. It all depends on how much sincerity and
energy one puts into his or her work. Nothing comes easy, especially if one doesn’t
work hard. One should build inner strength while others struggle to build their
material lives.
41 But her happiness is tinted with sadness when she thinks that her work is bound to be
gone in the future. No people want to be shepherds anymore. Herds will disappear. It
will be an impoverishment, for they are beneficial not only for pastoralists. The
sedentarists get much advantage from them. Everyone in Ladakh recognises that the
fields of Gya are especially fertile. This is because they are treated with animal dung.
Other fields, where fertilisers are used, are drier and dustier.
42 Tsering Palmo reads what the climate will bring and knows how to take steps to avoid
being unprepared. She locates the best grazing grounds for her flocks during the
different seasons – the animals give her the strength to find the best path – and collects
flowers for the pharmacopeia of Ladakhi doctors; she is not afraid of leopards and
wolves because she stands by her herds.
43 A shortwave radio is her only contact with the world outside the highlands. It’s like the
flight that took Nangzher Löpo away from his island, but it’s temporary, for she doesn’t
evade her world. The radio, in the absence of her relatives, is mother, father, brother
and sister to her.
44 She says she cannot afford to get ill. Who would look after her animals then? Thinking
of them makes her feel better. Her brother told me that, in some cases, she has healed
from diseases by herself.
45 Animals, even wildlife – marmots, wolves, leopards, birds, lynxes – are able to read
human reactions and like to communicate. She has found a way to share their
conversations and feels that they are part of her family. She is their big sister.
46 Her existence embodies a distinction of another category of special people. She has the
traits of a secret yogini. She indeed speaks like the secret yogis of ancient India and
Tibet, masters in the appearance of humble workers doing manual jobs. They used to
hide their identities of superior beings who have attained great knowledge and
cultivated intellectual capacities.
47 Tsering Palmo is a khandroma (or secret yogini?) who has spent many years of her
existence in uncompromising wilderness, living in harmony and happiness. This
qualifies her as the ultimate herdsman. I see her as a modern counterpart of Miti
Drenpa Yeshe, the great master from India, one of the supreme Tantrists of the 11 th
century.
48 Following certain misfortunes, he was sold in Tibet as slave shepherd, for he could not
speak the language. One of his Tibetan disciples ransomed him from slavery and he
ended up becoming extremely proficient in the language to the point of founding a
school of the discipline in eastern Tibet.
49 In his years as shepherd he developed a supernatural control over his herds, a proof of
an uncommon mastery. He cast pebbles to disperse his flocks for grazing and gathered
them back in the evenings by collecting the pebbles in his hand.
50 At the end of the intense experience I had, I thought that Tsering Palmo’s soul is so
encompassing that she is a sister of us all, even of those who do not even imagine that

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


149

the life of a secret yogini exists and transcends the boundaries of easily affordable
solutions.
51 An old adage recites that people should be themselves in every situation of life, for it
advises not to be affected by the environment. I guess it would be no less wise to go for
an environment that is conducive to practice one’s own chosen way of life.
52 The highlands are ideal for detachment and harmony despite their harshness, a
challenge for the few. Ways of life on the Tibetan Plateau select people to living
conditions – various lifestyles – reserved for the chosen ones. Tsering Palmo
Zemskhang incarnates one of those, rarities of modern time.
53 Every step she takes in the high snow of the mountains is an imprint of the Himalayan
traditions, hidden but not lost, so that people, one distant day, will look for traces of
past civilisations. They will realise that in the solitude of the highlands not everything
went astray, as in the plains.
54 Stanzin Dorjai’s documentary stands by a world too difficult to imagine by common
thinking, but typical for the few who know what it is like.

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


150

Résumés de thèses
Thesis abstracts

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


151

Matthieu Chochoy, Acquisition,


interprétations et circulation des
savoirs sur l’ « Empire tartare »
dans le réseau orientaliste français
du XVIe à la fin du XVIIIe siècle

RÉFÉRENCE
Thèse de doctorat en religions et systèmes de pensée, soutenue à l’École Pratique des
Hautes Études, le 10 décembre 2016 (339 pages). Membres du jury : D. Aigle (directrice),
I. Charleux, M. Bernardini, J. Pfeiffer, S. Gorshenina

Je remercie la correctrice anonyme qui, par ses conseils et sa patience, a grandement contribué à
la lisibilité de ce texte. Il va de soi que les éventuelles erreurs contenues dans ce résumé ne
viennent que de moi.
1 Sous la direction de Denise Aigle et avec l’aide d’Isabelle Charleux, nous avons pu
mener à bien une thèse relative à la construction des savoirs sur l’« Empire tartare 1 »
en France à l’époque moderne. Ce sujet peut surprendre pour la simple raison que
l’« Empire tartare »2 n’a jamais été une réalité historique. Il s’agit d’un terme générique
employé en France à partir du XVIIe siècle pour désigner une structure étatique qui
aurait débuté avec la fondation de l’empire mongol par Gengis Khan pour s’achever à la
mort de Tamerlan, le fondateur de l’Empire timouride. Cette conception repose sur
l’idée que Tamerlan aurait été un héritier légitime, voire un descendant de Gengis Khan
et que les peuples qui composaient ces deux empires auraient appartenu à un même
ensemble. À la lumière de cette courte définition, on comprend que le propos de notre
thèse n’a pas été d’évaluer la pertinence de cette invention (l’« Empire tartare »), dans
la mesure où cela le fut dès le XIXe siècle. En nous inscrivant dans une approche
épistémologique, notre propos a été de mieux comprendre la formation d’un savoir sur

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


152

cet empire, d’en cerner l’origine et de comprendre les étapes et les modalités de son
élaboration.
2 Pour ce faire, un large corpus de textes relatifs à l’histoire des Tartares a été réuni. Les
travaux de Rolando Minuti et Svetlana Gorshenina qui, dans des domaines distincts, ont
identifié les principaux auteurs sur lesquels nous avons ensuite centré nos recherches,
ont été d’une grande aide. En nous inscrivant dans le prolongement de leur travail,
nous avons pu recenser une trentaine d’œuvres produites par vingt-quatre auteurs
entre le milieu du XVIe siècle et la fin du XVIIIe siècle. Nous avons porté une attention
particulière à la circulation des savoirs, qui s’est selon nous déroulée en deux temps.
3 Le premier temps de cette circulation est celui qui a permis la diffusion en Europe de
sources non-européennes, majoritairement arabes, persanes, chinoises et mandchoues.
C’est à ce titre que nous considérons les auteurs de notre corpus comme des
« orientalistes », terme que nous définissons comme désignant le producteur d’un
savoir sur l’Orient pris dans ses limites géographiques les plus larges. Comme nous le
présenterons par la suite, ces sources ont été à divers moments décontextualisées,
traduites et adaptées afin de répondre à de nouveaux enjeux historiographiques.
4 Le second temps de cette circulation est celui de la diffusion des savoirs telle que l’on
peut la repérer dans les œuvres de notre corpus, c’est-à-dire à travers des textes
produits en France durant une période assez longue et par des auteurs issus de milieux
différents. Pour mettre en lumière ces différentes circulations, nous nous sommes
focalisés sur les influences que l’on pouvait déceler à l’intérieur de chacune de ces
œuvres, et sur les influences qu’elles-mêmes ont exercées. Nous avons dès lors été en
mesure de mettre au jour un réseau d’influences révélant des liens entre des auteurs
plus ou moins connus. L’étude de ce réseau, dont un schéma est redonné en fin de
résumé, nous a permis d’identifier les trois périodes suivantes : d’abord, une première
période qui va des années 1550 aux années 1650, quand on assiste à la formation d’un
savoir sur les Tartares au sein d’un réseau qui se structure ; ensuite une deuxième
période qui se situe entre le milieu du XVIIe siècle et les années 1740, quand ce savoir se
focalise autour des biographies de Gengis Khan et Tamerlan en circulation parmi un
ensemble d’orientalistes à même de traduire les sources non européennes ; enfin, une
dernière période qui couvre la seconde moitié du XVIIIe siècle, lorsque, à la suite de la
diversification de la formation des auteurs de ce réseau, l’intérêt pour l’histoire des
empereurs s’estompe au profit d’un intérêt pour l’histoire de la nation tartare.
5 Entre le milieu du XVIe siècle et le milieu du siècle suivant, les savoirs sur l’ « Empire
tartare » se construisent d’abord dans le cadre de l’étude de l’empire ottoman et se
focalisent sur la personne de Tamerlan. L’action du conquérant timouride se réduit à sa
victoire contre Bajazet Ier. Comme exemple d’auteurs ayant prêté essentiellement
attention à ce fait, on citera Guillaume Postel, Jean Bodin, Jean du Bec ou André Thévet.
Ces auteurs se font le relai des sources italiennes qui décrivent Tamerlan en fonction de
ce que l’on estime alors devoir être les qualités d’un prince humaniste ; dans ce cadre,
l’action de Tamerlan est analysée comme correspondant à une lutte contre la tyrannie
du sultan ottoman. Au sujet de l’identité du conquérant, le manque d’informations
précises conduit les auteurs à émettre plusieurs hypothèses. Tour à tour Scythe, Parthe
ou Tartare, Tamerlan est considéré comme un exemple de ces conquérants nomades
venus de ce territoire vaste et méconnu qu’est la Tartarie. L’idée qu’il puisse être un
descendant de Gengis Khan est évoquée, sans pour autant être unanimement acceptée.
Cette idée ne s’impose qu’à partir de 1635 avec les travaux de Pierre Bergeron. Cette

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


153

évolution s’explique par un renouveau des sources utilisées par Bergeron qui, afin de
favoriser le commerce avec la Tartarie, compile les récits de voyageurs ayant traversé
l’empire mongol. Il établit une continuité historique entre les Scythes, les Mongols et
Tamerlan, qu’il présente comme le descendant de Gengis Khan. C’est alors que l’idée
d’un « Empire tartare », déjà en germe depuis le XVe siècle, est clairement exprimée.
Bergeron suit ici Mīrkhwānd, un historiographe persan dont il a pris connaissance
grâce à une traduction espagnole et dont le but était précisément de légitimer le
pouvoir de la dynastie timouride en la rattachant à la prestigieuse lignée
gengiskhanide.
6 La rédaction de cette partie de la thèse a posé deux difficultés. La première a été
d’identifier les sources utilisées par les auteurs dans la mesure où ce qui, de nos jours,
relèverait du plagiat était alors largement pratiqué (il est vrai que cette pratique a
présenté l’avantage de nous permettre d’identifier plus facilement les emprunts faits
entre les différents auteurs et de mettre en lumière les axes de circulations des savoirs).
La seconde difficulté a été de bien comprendre les rouages de l’historiographie persane,
dont Mīrkhwānd est un représentant illustre : c’était là un point important dans la
mesure où seulement de cette façon on pouvait espérer cerner la provenance des
connaissances de Bergeron et de ses successeurs.
7 La seconde partie de notre étude couvre la période allant du milieu du XVIIe siècle aux
années 1740. Elle se caractérise par une nette augmentation de la production des
œuvres sur Gengis Khan et Tamerlan. Pas moins de trois biographies sont alors
consacrées à l’empereur mongol et cinq à l’empereur timouride. Il ne s’agit plus de
vanter les qualités humanistes de deux conquérants, mais de comprendre comment ils
ont réussi à transformer leurs conquêtes – celles de simples guerriers nomades – en un
empire pluriséculaire. Les œuvres alors produites témoignent d’une attention donnée à
la question de l’instauration d’un code de lois, de l’accès au trône et des rapports que le
souverain entretient avec sa noblesse. De là à établir un parallèle avec l’affirmation du
pouvoir central en France, il n’y a qu’un pas que certains auteurs franchissent
allègrement. Ainsi, les exploits et les qualités des conquérants tartares sont comparés à
ceux, forcément toujours plus brillants, de Louis XIV ou de son successeur. À l’inverse,
l’œuvre de Jean-Baptiste Margat de Tilly, biographe de Tamerlan, semble avoir contenu
des allusions trop évidentes à la période troublée de la régence et, pour cette raison, a
été vraisemblablement censurée.
8 Il serait cependant réducteur de ne considérer ces œuvres que comme des miroirs
tendus vers le royaume de France. En effet, là où les auteurs du XVIe siècle n’écrivaient
que quelques pages au sujet de Tamerlan, François Pétis de la Croix fils consacre quatre
volumes à ce conquérant en 1722. Ce changement quantitatif s’explique par un
élargissement des sources disponibles. Le développement du commerce avec le Proche-
Orient et le monde perse s’accompagne d’une volonté étatique de constituer
d’importants fonds de manuscrits dits « orientaux » et de développer l’apprentissage
des langues telles que le turc, l’arabe, le persan. Une étude précise de ces sources
permet cependant de constater que cet élargissement était en fait superficiel dans la
mesure où la trame des biographies de Tamerlan reste calquée sur le même schéma
historiographique. Un même travail d’identification des sources utilisées pour écrire la
première biographie de Gengis Khan publiée en 1710 a également permis de mettre en
lumière l’influence majeure de cette historiographie persane dans la rédaction de la vie
du conquérant mongol.

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


154

9 À partir des années 1730, les textes reposant sur la traduction de sources persanes
commencent à être critiqués à la lumière de sources nouvelles en provenance de Chine.
En effet, l’une des conséquences de l’envoi par Louis XIV de missionnaires jésuites à la
cour impériale Qing a été de permettre la traduction et la diffusion de l’histoire des
Tartares telle qu’elle avait été écrite non plus par les Timourides, mais par les
historiographes de la dynastie mandchoue des Qing. Les auteurs français, et plus
largement européens, disposaient dès lors d’une tradition historiographique différente
sur deux points au moins : l’origine des Mongols n’était plus à chercher parmi les
peuples turciques, mais parmi les nombreux peuples originaires de l’actuelle
Mandchourie ; d’autre part, Tamerlan n’était tout simplement plus considéré comme
successeur, ni comme héritier de Gengis Khan. Bien que ces textes fussent traduits en
français, ils ne remettaient cependant pas en cause des connaissances déjà en
circulation et bien assimilées.
10 L’étude de cette période a nécessité un important travail de recherche biographique sur
les auteurs étudiés. Le réseau de circulation des savoirs était déjà présent dès le milieu
du XVIe siècle, mais c’est à partir des années 1650 qu’il a pris tout son sens selon notre
étude. Il est apparu que, contrairement à ce que l’on pourrait pouvait croire a priori, les
auteurs influencés par les sources dites orientales et ceux influencés par les sources
mandchoues ne formaient en réalité qu’un seul et même ensemble. Ainsi les
missionnaires de Pékin avaient-ils accès dans un délai assez court aux textes persans et
arabes traduits à Paris.
11 Les contradictions entre, d’un côté, les sources persanes et de l’autre les sources
chinoises et mandchoues ne pouvaient cependant être ignorées trop longtemps ;
l’accumulation de savoirs antagonistes devait nécessairement conduire à une querelle
historiographique. Elle eut lieu dans la seconde moitié du XVIIIe siècle et conduisit à
l’abandon progressif de l’idée d’ « Empire tartare ». C’est sur ce point que porte la
troisième et dernière partie de notre thèse. Des auteurs tels que Montesquieu ou
Anquetil-Duperron continuaient à étudier la structure politique de cet empire, mais
pour d’autres, notamment Joseph de Guignes, il devenait indispensable d’étudier la
nation tartare elle-même. L’imposante histoire générale des Tartares, publiés par ce
dernier en cinq volumes entre 1756 et 1758, repose sur l’idée que le principal ciment
d’une nation n’est pas l’unité politique, mais l’unité culturelle fondée sur une langue et
une origine communes. Joseph de Guignes établit ainsi une continuité entre les Huns,
les Turcs et les Mongols, qu’il englobe sous le nom de « Tartares occidentaux », ces
derniers se distinguant des « Tartares orientaux », c’est-à-dire des Mandchous. Si
Guignes n’explique pas sur quoi repose cette distinction (et c’est là la principale
faiblesse de son œuvre), il estime que ces deux nations n’en formaient qu’une à
l’origine. En fait, il propose une lecture de l’histoire conforme aux Écritures selon
lesquelles l’humanité serait issue d’une souche commune unique, ce qui lui vaudra des
critiques, notamment de la part de Voltaire.
12 La réponse à la question de l’origine des Tartares, et au-delà la réponse à la question de
l’origine de l’humanité, passait par le développement du naturalisme et de la
linguistique à partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Ces formes de savoirs,
reposant sur la construction de théories globales construites à partir d’éléments
(souvent peu nombreux) recueillis sur le terrain, supplantent les sources historiques.
Progressivement la « nation » tartare intéresse moins que la « race » tartare dont on
cherche à définir la langue et les critères physique. Cette approche génère de nouveaux

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


155

débats qui ne contribuent finalement qu’à brouiller d’avantage la perception que l’on
avait des Tartares et de leur histoire. L’absence d’idée claire sur qui sont les Tartares
conduira, au début du XIXe siècle, à l’abandon de ce terme et à la négation de l’existence
de leur empire. Les investigations menées dans les sources du XIXe siècle laissent
cependant penser que si le terme « tartare » disparait progressivement, l’idée qu’il
désigne persistait ; de fait il est loisible de penser que l’ethnonyme « turco-mongol » est
venu remplacer celui de « Tartares occidentaux » si cher à Guignes.
13 La circulation des connaissances sur l’ « Empire tartare » dans la France de l’époque
moderne oblige à sortir d’un cadre strictement français. C’est pourquoi il a fallu
identifier et comprendre les sources utilisées par les auteurs du corpus, sources qui
appartiennent à des espaces et à des traditions historiographiques totalement
différentes. Il a également été nécessaire de mettre au jour ce réseau dont les
ramifications rejoignent les autres réseaux orientalistes européens et il serait
intéressant de compléter notre recherche par des études similaires portant sur d’autres
pays européens, comme l’Italie, les Pays-Bas ou le Royaume-Uni par exemple. Ces
études permettraient de dégager des traditions communes ou, au contraire, des
spécificités françaises dans la perception de l’ « Empire tartare ». Il serait dès lors
possible d’évaluer l’importance des cadres nationaux dans la construction d’un savoir
qui ne peut se penser qu’à une échelle globale.

Figure 1

Représentation simplifiée du réseau de circulation des savoirs relatifs à l' « Empire tartare » en France
à l'époque moderne
© Matthieu Chochoy

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


156

NOTES
1. Le terme « tartare » est à distinguer du terme « tatar » qui désigne un peuple turcique habitant
dans l’actuelle Fédération de Russie. À l’origine l’ethnonyme « tartare » désigna les armées
gengiskhanides qui menacèrent l’Europe au XIIIe siècle. Par la suite, il fut utilisé par défaut pour
désigner l’ensemble des populations d’Asie centrale que, faute de connaître l’origine, l’on ne
pouvait rattacher à un peuple connu. Bien qu’il ne soit plus utilisé de nos jours, nous avons choisi
de recourir à cet ethnonyme car c’est celui qui est employé dans l’ensemble de notre corpus.
2. Si l’origine du terme « Tartare » est complexe, ce terme s’imposa en Europe à partir de la
seconde moitié du XIIIe siècle pour désigner l’ensemble des populations d’Asie intérieure parce
qu’une partie de l’armée de Gengis Khan – Gengis Khan (v. 1155-1227) – était issue d’un
peuple mongol connu sous le nom de Tatars (différents de ceux que l’on connait de jours en
Crimée). Le « r » de la première syllabe a été ajouté par les chroniqueurs médiévaux pour
rapprocher ces peuples qui envahissaient alors l’Europe de l’Est du fleuve « Tartare » qui, dans la
mythologie grecque puis dans tradition chrétienne, conduisait aux Enfers. Progressivement,
l’Empire mongol a été désigné sous le nom de Tartarie, pays des Tartares. Par la suite, les
populations qui vivaient en Tartarie et dont on ignorait l’origine ont été dites « tartares »,
indépendamment du fait qu’elles appartinssent ou non à l’ensemble mongol.

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


157

Antoine Maire, La Mongolie entre


dépendance et politiques
développementalistes 1990-2016

RÉFÉRENCE
Thèse de science politique, mention relations internationales, soutenue au Centre de
recherches internationales de Sciences Po, le 30 juin 2017 (835 pages). Membres du
jury : B. Badie, F. Bafoil (directeur), A. Campi, B. Chavance (rapporteur), J.-F. Di Meglio,
J. Legrand (rapporteur), T. Plaisant (tuteur)

1 Cette thèse cherche à évaluer la politique de développement mise en œuvre par les
autorités mongoles entre 1990 et 2016. Elle s’articule autour de la question de
recherche suivante : entre « malédiction des ressources », sinophobie et dépendance,
comment la Mongolie démocratique et libérale fait-elle face au défi du développement
économique pour préserver son indépendance et sa souveraineté et éviter d'être
« transformée en une simple annexe de matières premières » pour la Chine ?
2 À travers ce prisme, cette thèse ambitionne de rendre compte du processus de
transition suivi par la Mongolie après 1990. L’objectif est de proposer une description
du nouveau système politico-économique, donc des spécificités du capitalisme qui a vu
le jour. Outre cette contribution aux études mongoles, cette thèse entend également
permettre de mieux comprendre les défis auxquels sont confrontés les États riches en
matières premières dans leur processus de développement. Enfin, cette thèse entend
contribuer à une meilleure compréhension des mécanismes expliquant la divergence
observée dans les processus de transitions politique et économique des pays
postsocialistes.

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


158

Méthodologie de l’enquête
3 La démonstration construite dans cette thèse s’est appuyée sur la construction d’un
cadre théorique composite, nécessaire pour rendre compte de l’ensemble des
spécificités du cas mongol. Cette thèse s’inscrit dans le cadre des approches dites de
l’économie politique.
4 La confrontation des théories de la transition1, de la dépendance2 et de l’État
développementaliste3 a conduit à l’élaboration de deux idéaux types : l’État dépendant
et l’État développementaliste. Ceux-ci ont permis d’identifier cinq variables communes
utilisées pour procéder à la description du cas mongol :
1. le rôle de l’État dans le développement économique ;
2. l’influence des grands conglomérats sur le processus de développement ;
3. la stratégie de développement ;
4. le financement du processus de développement et ;
5. l’alliance développementaliste, à savoir les relations que peuvent entretenir les principaux
acteurs impliqués dans le processus de développement mongol.

5 La description du cas mongol permise par l’examen de ces variables a ensuite été
confrontée à plusieurs hypothèses :
1. la Mongolie est un cas hybride, entre dépendance et développementalisme ;
2. le développement du secteur minier favorise une évolution du système politico-économique
mongol vers le développementalisme ;
3. la démocratie favorise cette évolution tout en l’empêchant de devenir pleinement
développementaliste ;
4. la démocratie constitue la clé de voute de la sécurité et de la nouvelle souveraineté
mongole ;
5. le nouveau système politico-économique correspond aux caractéristiques intrinsèques de la
société mongole.

Structure de la thèse
6 La problématique et le cadre théorique utilisés sont présentés dans l’introduction. La
thèse examine chacune des variables identifiées afin de reconstruire le système
politico-économique qui a vu le jour en Mongolie après la transition vers la démocratie
et l’économie de marché.
7 Le premier chapitre est consacré à la question de l’État et au rôle qu’il joue dans le
développement économique. Il explique pourquoi l’État est faible en Mongolie, quelles
en sont les raisons, mais aussi ses conséquences pour le développement économique.
8 Le second chapitre est consacré à la question des groupes d’intérêts. Il présente leurs
principales caractéristiques, le processus qui a conduit à leur formation et les liens qui
les unissent au monde politique et à des partenaires étrangers. Il montre que ces
groupes se sont pour le moment contentés de capter les différentes sources de rente
que génère l’économie mongole, en particulier le secteur minier. Ces groupes sont
néanmoins confrontés à un processus de transition. L’ensemble des positions de rentes
étant distribuées, les grands groupes mongols, pour poursuivre leur processus de

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


159

croissance, cherchent aujourd’hui à s’engager dans le développement de projets


industriels.
9 Le troisième chapitre étudie la stratégie de développement adoptée par la Mongolie à
travers son évolution depuis le début des années 1990 et son influence sur le processus
de développement. Malgré leur nombre important, les textes d’orientation n’ont
qu’une faible influence sur le processus de développement, l’État mongol ne disposant
d’aucun outil d’intervention dans l’économie. Une évolution est cependant notable ces
dernières années, l’État tendant à se doter de nouveaux outils d’intervention, qu’ils
soient réglementaires ou financiers, et qui renforcent sa capacité à orienter le
processus de développement.
10 Le quatrième chapitre étudie le financement du processus de développement mongol. Il
présente les sources de financement sur lesquelles s’appuient les autorités : l’épargne
domestique, la rente minière, les investissements étrangers, et les dons et prêts
internationaux. Il apparaît que les autorités mongoles recourent de manière
indiscriminée à l’ensemble de ces sources de financement. Ce chapitre met également
en évidence les tâtonnements et le processus d’apprentissage qu’ont dû suivre et que
suivent encore les autorités. Ce processus d’apprentissage concerne à la fois la gestion
de la rente minière, le contrôle des investissements étrangers ou encore la
redistribution de l’argent collecté dans le cadre de l’émission d’obligations sur les
marchés étrangers. L’importance du facteur politique dans la prise de décision limite la
capacité des autorités mongoles à utiliser l’argent issu de ces différentes sources de
financement dans le cadre d’un processus de développement.
11 Le cinquième et dernier chapitre examine la façon dont interagissent l’ensemble des
acteurs évoqués précédemment autour du projet minier de Tavan Tolgoi (province
Ömnögov’) et questionne la possibilité de voir émerger en Mongolie une « alliance
développementaliste ». Ce dernier chapitre réintroduit les acteurs étrangers,
notamment chinois et russe et démontre que la situation géographique dans laquelle se
trouve la Mongolie, notamment son enclavement géographique et les convoitises
stratégiques qu’elle peut susciter, se traduit par une importation des tensions
extérieures par les acteurs domestiques. Dans ce cadre, les divisions internes et
externes compliquent dès lors l’apparition d’une alliance développementaliste.
12 La conclusion de cette thèse réunit les enseignements collectés et dresse le portrait du
système politico-économique qui a vu le jour en Mongolie après la transition. Un
certain nombre de questions et de points restent cependant en suspens, qui sont autant
de nouvelles pistes de recherche.

Principaux résultats
13 Cette thèse a permis de décrire les caractéristiques du nouveau système politico-
économique qui a vu le jour en Mongolie après la transition démocratique. Ce système
emprunte à la fois au modèle de la théorie de la dépendance et à celui de l’État
développementaliste. Le cas mongol est donc un cas hybride. Une évolution apparaît
néanmoins notable. Après avoir opté pour une politique économique d’inspiration néo-
libérale, la politique a progressivement évolué sous l’influence du développement du
secteur minier pour devenir plus interventionniste et plus dirigiste. Le développement
du secteur minier impose en effet à l’État de réguler ce secteur pour s’assurer que le
développement de cette activité profite autant que possible au pays. La rente générée

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


160

par cette activité ouvre également de nouvelles possibilités d’action qui permettent à
l’État de s’impliquer concrètement dans le processus de développement économique et
de tenter de mettre en œuvre une stratégie d’industrialisation. Cette évolution vers le
développementalisme est néanmoins limitée par le fonctionnement de la démocratie
mongole. Les alternances politiques dont le pays est coutumier fragilisent l’État,
réduisent sa capacité d’intervention, et surtout, en limitent la capacité à agir dans un
temps qui n’est pas uniquement le temps politique. Cette faiblesse de l’État constitue
dès lors un des obstacles majeurs à sa transformation en un état réellement
développementaliste. Cependant, il apparaît également que la démocratie constitue un
facteur essentiel de la nouvelle souveraineté conquise par les Mongols après 1990. Du
fait de l’incertitude inhérente à ce mode de prise de décision, ce système génère des
marges de manœuvre pour les autorités et les protège contre les pressions auxquelles
elles pourraient être exposées, notamment celles liées à leur enclavement
géographique. Outre cette situation, cette thèse a également démontré que le système
politique et économique de la Mongolie démocratique correspond aux caractéristiques
intrinsèques de la société mongole, notamment marquée par le nomadisme pastoral.

BIBLIOGRAPHIE
Amsden, A. H. 1989 Asia’s Next Giant. South Korea and Late Industrialization (Oxford, Oxford
University Press).

Bafoil, F. 2006 Europe centrale et orientale. Mondialisation, européanisation et changement social (Paris,
Presses de Sciences Po).

Bunce, V. 1999 The political economy of postsocialism, Slavic Review 58(4), pp. 756-793.

Cardoso, F. H. & E. Faletto 1978 Dépendance et développement en Amérique Latine (Paris, Presses
universitaires de France).

Dobry, M. (dir.) 2000 Les transitions démocratiques regards sur l'état de la « transitologie » , numéro
spécial, Revue Française de Science Politique 50(4-5).

Dufy, C. & C. Thiriot 2013 Les apories de la transitologie : quelques pistes de recherche à la
lumière d’exemples africains et post-soviétiques, Revue internationale de politique comparée 20(3),
pp. 19-40.

Evans, P. 1979 Dependent Development. The Alliance of Multinational, State, and Local Capital in Brazil
(Princeton, Princeton University Press).

Frank, A. G. 1967 Capitalisme et sous-développement en Amérique latine (Paris, Maspero).

Johnson, C. 1982 MITI and the Japanese Miracle. The Growth of Industrial Policy, 1925-1975 (Stanford,
Stanford University Press).

Linz J. J. & A. Stepan 1996 Problems of Democratic Transition and Consolidation (Baltimore, John
Hopkins University Press).

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


161

O'Donnell, G., Schmitter, P. & L. Whitehead, Laurence (eds) 1986, Transitions From Authoritarian
Rule (Baltimore, John Hopkins University Press).

Packenham, R. A. 1992 The Dependency Movement. Scholarship and Politics in Development Studies
(Cambridge, MA, Harvard University Press).

Poulantzas, N. 1974 Les classes sociales dans le capitalisme aujourd’hui (Paris, Seuil).

Woo-Cumings, M. (ed.) 1999 The Developmental State (Ithaca, Cornell University Press).

NOTES
1. Voir notamment O’Donnell et al. 1986 ; Linz & Stepan 1996 ; Bunce 1999 ; Dobry 2000 ;
Bafoil 2006 ; Dufy & Thiriot 2013.
2. Voir notamment Frank 1967 ; Poulantzas 1974 ; Cardoso & Faletto 1978 ; Packenham 1992.
3. Voir notamment Evans 1979 ; Johnson 1982 ; Amsden 1989 ; Woo-Cumings 1999.

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


162

Charlotte Marchina, Faire


communauté. Étude
anthropologique des relations entre
les éleveurs et leurs animaux chez
les peuples mongols (d’après
l’exemple des Halh de Mongolie et
des Bouriates d’Aga, Russie)
Building community. Anthropological study of the relations between the herders
and their animals among the Mongols (Halh Mongols and Aga Buryats, Russia)

RÉFÉRENCE
Thèse de doctorat en ethnologie et anthropologie, soutenue à l’Institut national des
langues et civilisations orientales, le 8 décembre 2015 (365 pages). Membres du jury :
P. Descola (rapporteur, président du jury), V. Despret, C. Ferret, C. Humphrey
(rapporteur), J. Legrand (co-directeur), C. Stépanoff (co-directeur)

1 Cette thèse présente le pastoralisme des peuples mongols qui, loin d’être réductible à
un simple rapport de domination de l’humain sur l’animal, est un système complexe
composé d’interactions multiples et perpétuelles entre humains et animaux. D’un point
de vue méthodologique et théorique, il s’agit de prendre au sérieux la perspective d’une
« ethnographie multispécifique » (multispecies ethnography). L’approche dynamique et
dés-anthropocentrée de l’étude des relations homme-animal est, appliquée aux peuples
d’Asie du Nord, particulièrement féconde dans la mesure où les animaux élevés dans
ces régions disposent d’une autonomie importante. L’objectif de cette thèse est ainsi
d’étudier la manière dont, chez les peuples mongols, les éleveurs conçoivent et

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


163

s’appuient sur l’agentivité et l’autonomie des animaux dans leurs systèmes d’élevage.
Cette ethnographie se concentre sur la manière dont les modes de vie d’individus
appartenant à des espèces différentes sont façonnés par des forces politiques,
économiques, culturelles et environnementales.
2 Pour réaliser cette étude, dix-neuf mois d’enquêtes de terrain ont été passés entre 2008
et 2015 chez deux peuples mongols, les Halh de Mongolie (essentiellement dans la
province d’Arhangaj) et les Bouriates du district d’Aga en Russie, qui, malgré
l’inscription dans des contextes environnementaux, sociaux, économiques et politiques
différents, relèvent d’un continuum mongol. Culturellement proches, les Mongols et les
Bouriates d’Aga pratiquent un élevage de type extensif de chevaux, chameaux, bovins,
moutons et chèvres reposant sur une complémentarité des espèces élevées
conjointement, principalement dans un environnement de steppe. Des différences
marquées apparaissent entre les deux terrains à partir des années 1990. À la chute des
régimes socialistes, le système collectivisé imposé a en effet volé en éclats en Mongolie,
alors que les structures des kolkhozes sont demeurées chez les Bouriates d’Aga. Les
éleveurs mongols sont revenus à un élevage orienté vers une production domestique,
alors que de nombreux éleveurs bouriates demeurent employés de structures
collectives, qui sont l’héritage direct des kolkhozes. Plusieurs autres facteurs récents
viennent renforcer les différences avec les éleveurs de Mongolie, et notamment la
politique de privatisation des terres en cours en Russie, ainsi que l’influence de la
présence des Russes qui est renforcée avec la fusion récente (2008) du district d’Aga
avec la région russe avoisinante.
3 Outre les techniques classiques d’enquête, la photographie et la vidéo, ainsi que des GPS
et les SIG (Systèmes d’Information Géographique) ont été employés pour réaliser cette
étude.
4 La thèse est organisée selon trois axes, constitutifs de la communauté que forment les
éleveurs et leurs animaux : la cohabitation (Partie 1), la communication (Partie 2) et la
coopération (Partie 3).
5 Dans la lignée des études des systèmes socio-écologiques, la première partie décrit
l’interaction dynamique entre les systèmes sociaux et écologiques. Y sont abordées les
manières dont humains et animaux occupent respectivement l’espace et le partagent,
et les manifestations concrètes de cette relation triadique homme-animal-
environnement.
6 Le premier chapitre (« Nomad’s land, no man’s land ? »), dans lequel une cartographie
originale illustre de nombreux parcours de nomadisation, montre comment la mobilité
des éleveurs n’est pas dictée uniquement par des conditions environnementales, mais
également par des facteurs sociaux et de confort, humain et animal. De part et d’autre
de la frontière mongolo-russe, des différences et similarités structurelles caractérisent
les pratiques de nomadisation. Dans une approche diachronique à court terme, ce
chapitre éclaire également des modifications ponctuelles ou durables des pratiques de
nomadisation, dans un contexte de multiplication de variations climatiques (en
Mongolie), mais aussi des évolutions plus durables à la suite de la privatisation des
terres (en Russie), qui favorise la sédentarisation des éleveurs bouriates.
7 Le deuxième chapitre (« Tenir et appartenir à son pays ») est consacré à l’étude de la
relation au nutag, terme qui désigne le territoire sur lequel les éleveurs nomadisent,
mais qui englobe également les relations qu’ils entretiennent avec les entités invisibles

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


164

et les autres humains habitant le territoire. Le bétail développe une forme


d’attachement au nutag, fortement valorisé par les éleveurs. La capacité des animaux à
revenir d’eux-mêmes sur un lieu, et notamment leur « maison », est recherchée et
encouragée par les éleveurs. La fréquentation des différents lieux du nutag se
matérialise par l’apparition de sentiers, qui mettent au jour un façonnage dynamique
du paysage, dans lequel humains et animaux font émerger ensemble un nutag commun.
Mais le nutag est également commun avec les entités invisibles, avec lesquelles les
éleveurs recherchent la meilleure cohabitation, en préservant les ressources offertes
par l’environnement, en effectuant des offrandes régulières, ainsi que des rituels plus
exceptionnels, dans lesquels le cheval joue le rôle d’intermédiaire. Être un éleveur
mongol ou bouriate c’est ainsi cohabiter avec ses animaux, mais surtout partager un
territoire auquel on s’attache, le nutag, au sein duquel on développe des habitudes de
déplacement et d’occupation, qui mènent à une forme d’appropriation, que les éleveurs
prennent toujours soin de limiter dans le cadre de ce qui est permis par la présence des
esprits maîtres des lieux.
8 Le troisième chapitre (« Espaces d’espèces ») analyse la manière concrète dont les
éleveurs et leurs animaux cohabitent sur le nutag, ainsi que les principes qui régissent
l’utilisation de ses espaces et ce qu’ils révèlent des conceptions relatives à l’autonomie
et à l’intelligence animales. D’une manière générale, les troupeaux sont constitués
d’individus appartenant à la même espèce, à l’exception des chèvres et moutons, dont
l’association est motivée par la complémentarité de leurs caractéristiques
comportementales, physiologiques et cognitives. Les animaux disposent d’une liberté
de déplacement plus ou moins importante, qui dépend directement de leurs
caractéristiques physiologiques et comportementales, mais aussi de leur utilisation par
les éleveurs. Sont étudiées les diverses techniques de surveillance et de contrôle des
troupeaux ainsi que l’utilisation des pâturages, que les relevés GPS permettent
d’observer avec précision. Ce chapitre analyse également les espaces de vie pour les
humains et les animaux sur le campement, point d’attraction et de rassemblement de
toutes les espèces. La communauté que forment les éleveurs mongols et bouriates avec
leurs animaux se caractérise par une grande flexibilité et une co-présence
intermittente. En effet, les éleveurs évitent une proximité trop forte avec leurs
animaux et les encouragent à être les plus autonomes possibles.
9 La vie collective sur des espaces partagés impliquant plusieurs espèces, animales et
humaine, nécessite la mise en place de moyens de communication interspécifiques. La
deuxième partie (« La communication homme-animal ») expose la manière dont les
moyens de communication multisensoriels engagés dans les interactions entre les
éleveurs et leurs animaux exploitent leurs capacités sensorielles et cognitives.
10 Le quatrième chapitre (« Quand dire, c’est faire faire ») propose une vue synthétique de
l’utilisation des huchements. La réponse des animaux aux huchements est le résultat de
routines partagées. Dans les situations ordinaires, les éleveurs ne parlent pas à leur
bétail. Ils leur adressent en revanche des phrases entières, voire des vers, en contexte
ritualisé. L’étude des procédés de communication sonore entre les humains et les
animaux laisse entrevoir une différenciation entre les espèces et les individus. Ces
différences concernent bien entendu les usages et fréquences de contact, mais aussi des
conceptions relatives à la perception auditive des animaux et leur capacité à
comprendre ou être sensibles à des signaux, des mots, des paroles ou de la musique. Les

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


165

chiens et les chameaux sont ainsi considérés comme les plus capables de comprendre le
langage humain.
11 La présence d’auxiliaires russes chez les éleveurs bouriates modifie les modes de
communication entre humains et animaux. L’établissement progressif du russe comme
langue véhiculaire sur les stations d’élevage semble menacer le maintien des lieux
d’élevage comme proprement bouriatophones. Les éleveurs bouriates accusent par
ailleurs le bilinguisme d’être à l’origine d’un sentiment de confusion chez les chiens
qui, considérés comme incapables de comprendre plus d’une langue, ne remplissent
plus leur fonction en préférant suivre partout les auxiliaires qui leur parlent et les
caressent plutôt que de garder la station. Accuser le bilinguisme est clairement un
moyen d’exprimer des inquiétudes au sujet de la russification croissante de la région,
dans un contexte de crise économique sérieuse et de déliquescence des structures
étatiques et collectives relevant du secteur agricole, sur lesquels les éleveurs bouriates
n’ont aucune prise.
12 La communication humain-animal ne se résume toutefois pas à des échanges sonores,
qui sont souvent accompagnés de gestes pour en amplifier l’efficacité, voire sont
remplacés par eux. Le cinquième chapitre (« Garder le contact sans être trop proche »)
montre comment le campement est le lieu par excellence où se multiplient les contacts
physiques, directs ou par l’intermédiaire d’objets, à l’occasion des activités
quotidiennes dans lesquelles humains et animaux sont conjointement engagés. Les
animaux y sont manipulés individuellement dans diverses situations (traite, mise bas,
débourrage, soins, etc.), tandis qu’ils sont parfois les instigateurs de contacts avec les
éleveurs (comme lors de la traite, en se rapprochant de l’éleveur jusqu’à le toucher, ou
lorsque les chiens attaquent les étrangers). Utilisé pour rassurer ou exprimer une
familiarité mais aussi neutraliser et réprimander, le toucher apparaît, comme ailleurs
dans le monde, comme le sens prédominant dans les relations d’intimité d’une part, et
dans la maîtrise des mouvements ou dans les signes d’hostilité d’autre part. Sont tour à
tour analysées les techniques de monte, de capture, d’immobilisation et d’abattage, qui
mettent en jeu des équilibres variables entre force physique, ruse, et coopération de la
part de l’animal. Ces équilibres sont le résultat de caractéristiques physiques (taille,
force physique, présence de cornes, canines, sensibilité, etc.) et mentales (lenteur ou
rapidité de compréhension) innées, mais aussi de processus d’habituation.
13 Le sixième chapitre (« Nourrir la communauté, alimenter les relations ») traite de
l’alimentation des humains et des animaux, ainsi que du moyen de communication que
constituent le goût et l’odorat. Une grande partie de l’alimentation humaine est
constituée de produits carnés et laitiers issus de l’élevage. Les humains assurent en
retour en grande partie l’alimentation des animaux, que ce soit en leur fournissant
directement les produits nécessaires ou en régulant l’accès des animaux aux ressources
naturelles. La fréquence et la quantité de nourrissage varient selon les espèces et le
statut des animaux au sein de leur espèce, mais aussi selon les terrains. Tout comme le
fait de connaître sa maison et de savoir y retourner (voir Chapitre 2), l’autonomie
alimentaire est fortement valorisée, voire idéalisée. Les produits alimentaires issus de
l’élevage sont des marqueurs identitaires forts. Des contrastes frappants apparaissent
entre les terrains mongol et bouriate. En Mongolie, plus les animaux travaillent, moins
on leur permet de se nourrir. La nourriture donnée aux animaux est quantitativement
parlant minime au regard des quantités de fourrage, céréales et lait en poudre que les
éleveurs bouriates distribuent à la majorité de leurs animaux. Un « vrai » Mongol ou

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


166

Bouriate doit consommer de la viande et des produits laitiers, préférentiellement issus


de son élevage ou de celui de ses proches. Parmi les autres substances animales, la
sueur du cheval de course vainqueur contribue également à faire d’un humain un
Mongol : la toucher permet d’augmenter sa chance et son énergie vitale (hijmor’). Aux
substances partagées s’ajoutent les odeurs : c’est une véritable communauté d’odeurs
qui se forme entre les éleveurs et leurs animaux.
14 À travers les différents sens mobilisés dans les interactions entre les éleveurs et les
animaux, on voit l’importance que les éleveurs accordent au fait que les animaux
s’engagent de manière coopérative dans les activités quotidiennes. Les éleveurs ne
recherchent pas la proximité et la dépendance de leurs animaux. Ils valorisent, à
l’inverse, des animaux capables de subvenir à leurs propres besoins et qui savent se
contenter des contacts nécessaires au bon déroulement de l’activité. Sur les deux
terrains, si les discours sont semblables, les pratiques divergent sur de nombreux
points. La communication toujours plus verbale et humaine avec les animaux est le
résultat de la présence croissante des auxiliaires d’élevage russes, cependant que les
races exogènes nécessitent un affouragement important. Le rapport à l’autonomie s’en
voit profondément modifié, rendant les animaux bien plus dépendants de leurs
éleveurs chez les Bouriates que chez les Mongols. L’autonomie relative des animaux est
également liée à la structure même des groupes animaux et notamment à la place
qu’occupent les individus animaux au sein de leur espèce.
15 Ouvrant la troisième partie (« La coopération homme-animal et ses assemblages »), le
septième chapitre (« Espèces, races, troupeaux et individus ») donne à voir les
différenciations intraspécifiques opérées par les éleveurs parmi les animaux et le rôle
de ces différences dans les relations entre éleveurs et animaux. Si la tendance a été,
pendant l’ère socialiste, de croiser, voire d’importer des races exogènes pour améliorer
la productivité à tout prix, il semblerait que la préférence aille de nos jours, chez les
Mongols comme chez les Bouriates, à des races, ou du moins des types, qui comportent
des origines au moins partiellement locales. Ainsi, les éleveurs, tout comme les manuels
ou traités d’élevage publiés après les années 1990, soulignent les caractéristiques
exceptionnelles des animaux « mongols » en Mongolie ou « locaux » en Sibérie, loués
pour leur robustesse, leur endurance, leur capacité à être autonomes sur les pâturages
en se déplaçant et en trouvant eux-mêmes leur nourriture. Mais pour de nombreux
éleveurs mongols, ces différences vont au-delà des caractéristiques physiologiques
évidentes et suggèrent des capacités cognitives différenciées entre animaux locaux et
animaux exogènes. Les éleveurs cherchent à déléguer une grande partie de la
surveillance au gros bétail. Le fait de pouvoir se reposer sur un troupeau entier pour
qu’il réponde à ses propres besoins – se déplacer, se nourrir, se défendre – nécessite
d’avoir des troupeaux qui sont organisés et maintiennent une cohérence de groupe. Les
éleveurs s’efforcent d’assembler dans un même troupeau des animaux aux qualités
communes et complémentaires. Pour ce faire, ils opèrent une sélection de leurs
animaux en fonction de prédispositions morphologiques et cognitives innées. Ce
chapitre propose une étude des « signes » (šinž) recherchés chez un animal pour
l’attribution d’une fonction, ainsi que des procédés de différenciation des individus
animaux grâce à un riche système de taxons (renvoyant à des caractéristiques relatives
au sexe, à l’âge, à la robe de l’animal, ou encore à l’aspect des cornes, des mouvements
des bosses du chameau, etc.), et aux différents marquages physiques.

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


167

16 Le huitième chapitre présente une étude de cas : celle de la coopération entre le


cavalier et son cheval de perche-lasso, dont la tâche est d’assister l’éleveur dans la
capture d’un autre cheval à l’aide d’une perche-lasso (uurga), une longue perche de bois
se terminant par une boucle en cuir. Dans cette relation, le cheval acquiert le statut
d’un réel partenaire dans une activité coopérative et est encouragé à prendre des
initiatives. Les mouvements et intentions du cheval et du cavalier sont combinés dans
un processus de coordination complexe. Les interactions entre le cheval de perche-
lasso et son cavalier donnent à voir les processus en jeu pour le déroulement efficace
d’une coopération sophistiquée.
17 Ainsi, la coopération humain-animal repose sur des assemblages, minutieusement
choisis. Ces assemblages concernent les humains et les animaux, mais aussi et surtout
les animaux entre eux, comme dans la constitution des troupeaux. Des animaux trop
individualisés, isolés de leurs congénères ou trop proches des humains perdent leur
autonomie. Ainsi, le bon fonctionnement de la communauté mixte que constituent les
éleveurs avec leurs animaux est renforcé lorsque les structures des communautés
animales sont maintenues.
18 En conclusion, la thèse synthétise la hiérarchisation des espèces que les éleveurs
mongols et bouriates opèrent selon leur intelligence, composée d’une multiplicité de
critères. Au sommet de cette hiérarchie se trouve le cheval. Le cheval est considéré
comme particulièrement intelligent non seulement du fait de son autonomie (de
déplacement et alimentaire), mais encore par sa capacité à retrouver son pays natal.
Les bovins sont presque tout autant autonomes sur les pâturages, sans pour autant se
voir qualifier d’intelligents. Les bovins sont les animaux avec lesquels les éleveurs
entrent le plus souvent en conflit, situation qui conduit à les réprimander verbalement
et physiquement. La coopération humain-animal n’est ainsi jamais acquise et doit être
sans cesse renégociée. Les chameaux, quasi absents du terrain bouriate, sont décrits
comme les animaux les plus stupides. Ce sont pourtant des animaux extrêmement
autonomes qui se déplacent toujours seuls sur les pâturages sans être gardiennés.
Curieux et audacieux, ils sont considérés comme ayant des émotions prononcées, qui
sont à l’origine d’un manque de coopération, mais que les éleveurs peuvent amadouer
par des dispositifs sonores tels que la musique et des huchements langagiers. Le petit
bétail apparaît comme un ensemble hétérogène. Plus dynamiques que les moutons, les
chèvres prennent souvent la tête du troupeau et permettent, en se déplaçant plus vite
que les moutons qui les suivent, d’éviter un piétinement prolongé des pâturages. Les
moutons sont globalement considérés par les éleveurs comme stupides du fait de la
facilité avec laquelle ils se mélangent à leurs congénères qui n’appartiennent pas au
même troupeau, le silence avec lequel ils se laissent abattre et leur incapacité à rentrer
à la maison.
19 Malgré ce continuum dans les conceptions de l’agentivité et de l’intelligence des
animaux, des différences nettes apparaissent entre les deux terrains. L’héritage de la
collectivisation est plus prégnant à Aga, où les éleveurs ont maintenu des moyens
techniques et des races de bétail héritées de l’ère soviétique. L’affourragement est ainsi
présent dans des proportions beaucoup plus importantes qu’en Mongolie, contribuant à
créer une dépendance des animaux vis-à-vis des humains. Cette différence a également
des conséquences éthologiques : plus dépendants du nourrissage, les animaux
recherchent plus aisément le contact avec l’humain et communiquent de manière plus
bruyante avec lui. Les animaux peuvent de ce fait être aisément amadoués avec de la

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


168

nourriture. L’influence russe ne se limite pas à une importance plus marquée des
structures collectives. À travers la présence d’auxiliaires russes sur les stations
bouriates, elle contribue aussi à changer la relation aux animaux. En parlant aux
animaux et en les caressant, les auxiliaires renforcent des liens affectifs qui diminuent
l’autonomie animale. Un parallèle frappant peut être établi entre la perte d’autonomie
des animaux bouriates, et celle des Bouriates eux-mêmes, qui ont vu leur district d’Aga
fusionner avec une province russe. L’une et l’autre, qui influent sur l’abandon des
pratiques de nomadisation, sont l’objet d’un jugement moral négatif. Les éleveurs
bouriates expriment des sentiments mêlés de désespoir et de résignation, tout en
avouant qu’ils sont en partie fautifs de l’abandon progressif de leur mode de vie
traditionnel.

RÉSUMÉS
This thesis – based on numerous ethnographic surveys of the Halh Mongols and Aga Buryats
(Russia), as well as written sources from Mongolian, Russian and Western languages − addresses
nomadic pastoralism among the Mongols. By studying the way herders conceive and rely on the
agency of their animals (i.e. horses, camels, cattle, sheep, goats, and dogs), it shows that animal
husbandry, far from being reducible to a mere relation of domination, is a complex system
consisting of multiple interactions between humans and animals who mutually adapt to each
other to build community. Through an abundant cartography based on GPS records, analysis of
the spatial features of cohabitation brings to light the importance of the triadic human-animal-
environment relation which contributes to maintaining this association. This multispecies
community engages means of communicating which mobilise the five senses and reveal the
animals’ cognitive capacities. Herders build on these in situations of human-animal cooperation,
in which the role played by the animals is differentiated depending on their individual
characteristics. Despite the environmental, socio-economic and political differences between the
Halh Mongolian and the Buryat (Russia) fields, this comparative perspective highlights elements
of a Mongol continuum. The assemblages and delicate balances prevailing in these interspecific
relations reveal the large autonomy of animals, which the herders expect to play an active role in
pastoral tasks.

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


169

Lucia M. S. Galli, The Accidental


Pilgrimage of a Rich Beggar. The
Account of tshong dpon Kha stag
ʼDzam yag’s Travels through Tibet,
Nepal, and India (1944-1956)

REFERENCES
D.Phil thesis, defended on 12th June 2017 at the University of Oxford. Committee:
C. Ramble (examiner), F.-X. Erhard (examiner), U. Roesler (supervisor)
I am the one known by the affectionate name of ʼDzam yag and the dharma name of
Ngag dbang dar rgyas, the one continuously disturbed by mental afflictions. I was
born at the centre of the region called Rab shis, considered to be a part of the sGa
[district of Yushu], Khams. Up to the age of forty-nine, I went through success and
failure, happiness and sadness, sometimes with and sometimes without the
disposition and capacities [to dedicate myself] to the dharma; had I to write all [the
things that happened to me] it would be [endless] like ripples of water. As for [these
events], some raise compassion, some inspire renunciation, some fall into the
[category] of wrongdoings, and others are humorous, but, since there are too many
of them, they will not be the focus of my writing. When I was forty-nine, due to a
series of circumstances, I wandered through the three provinces of Tibet, alone,
without a lord [to protect me], relying on [the support of my] co-regionals; I
shall therefore write a little about my circumambulations and the visits [I paid] to
extraordinary places and the Three Supports [symbols of the Buddha’s body,
speech, and mind], so as to keep [them] in my mind.
1 The passage above is the only biographical information Kha stag ʼDzam yag, a Khams pa
trader and author of the text at the core of my dissertation, provides about the years
preceding the events that led to the compilation of his journal. In this extremely
abridged version of the first forty-eight years of his life, the author provides crucial
details about himself – elements that deeply contributed to my understanding of his

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


170

figure; throughout the writing of this thesis, I kept going back to these lines, until they
became the key to my interpretation of ʼDzam yag’s personality.
2 In his seminal essay, Georges Gusdorf boldly claims that “the genre of autobiography
seems limited in time and in space: it has not always existed nor does it exist
everywhere […] One would say that it expresses a concern peculiar to Western man […]
the concern, which seems so natural to us, to turn back on one’s own past, to recollect
one’s life in order to narrate it […]” (Gusdorf 1980: pp. 28-29), a statement the veracity
of which had already been questioned by Janet Gyatso (Gyatso 1998: pp. 101-102); as is
well-known, the Tibetan literary canon presents a wide array of life writing, including
the autobiographical type, of which ʼDzam yag’s journal (Tib. nyin deb) is but one
example. Although not an autobiography in the strict sense, the text is an autodiegetic
narration of past events, retrospectively recollected in a diary format. The author
himself identifies the desire to preserve the memory of past events as the main
motivation for his writing, in blunt defiance of Gusdorf’s assertion.
3 As for any autobiographical narrative with claims to factuality, the distinction in the
journal between factual and fictional is somewhat unclear; the retrospective process of
narratisation of facts, together with the reconstruction of the past in the light of the
present, allows for fictional elements to partially infringe on the outspoken authorial
declaration of factuality, without nonetheless compromising the inherent truth of the
facts themselves. Modern literary scholars have recognised the profoundly hybrid
status of life writing – suspended as it is between the poles of fact and fiction, a feature
confirmed by the journal as well.
4 In the course of my dissertation, I used two different heuristic devices, i.e. narratology
and socio-economic analysis, in an attempt to capture the multi-layered and complex
essence of ʼDzam yag’s journal. Whereas from a literary point of view, the journal is a
peculiar form of autodiegetic writing, structured as a journal/ledger, and prone, as any
autobiographical text, to reflect the idiosyncratic tendencies of the author, the factual
features at its core make it a valuable source of historical information on
mid-20th century Tibet, and, as such, worthy of being analysed from a socio-economic
perspective.
5 Regardless of the actual level of literacy in pre-modern Tibet, an author’s social
persona could rarely escape the influence of the ideal concepts of personhood
transmitted and made culturally acceptable by the textual tradition. The popularity
enjoyed by indigenous biographical and hagiographical writings of charismatic
individuals ensured the social acceptance of specific kinds of behaviour, which were
actively replicated and adapted in daily life. In the case of the journal, intertextuality
appears to take place in different locations, i.e. in the work and in the author. Not only
are references to different texts present throughout the journal, but ʼDzam yag himself
actively interacts with textual utterances, an experience that thus becomes inherent to
the journal itself. Intertextuality raises valid questions about the cognitive and social
dimension of textual exposure, interaction, and interpretation in pre-modern Tibet; in
the context of the present discussion, the role played by the figure of Mi la ras pa as an
ideal concept of personhood is crucial to the development of ʼDzam yag’s self-
perception and its evolution from a past “narrated self” to a present “narrating self”.
6 The use of narratology as a heuristic device allows identifying the interplay of memory,
self, and culture in the socio-historical context of mid-20 th century Tibet. The journal is
the narration of a journey that is both spiritual and physical – the evolution of its

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


171

author’s inner self matching his outer activities, whether they be ritual pilgrimages or
trade ventures. The latter represent the factual element around which the journal is
structured; by reflecting on the journal as a form of social history, distinct from its
literary manifestation as autobiographical narrative, I will isolate socio-economic and
cultural factors linked to the development of a strong and influential trading class,
mainly composed of eastern Tibetan families, and the political weight the latter came
to assume in 20th century Tibet. Moreover, the information contained in ʼDzam yag’s
journal offers precious insights into the development of new pilgrimage rituals and
routes to the holy sites of India and the emergence of what could be understood as a
proto-form of “spiritual tourism”.
7 The journal is more than a personal story; it is social history as well, as it demonstrates
the power of a person’s cultural background and the impact of external events in
shaping the author’s life. The autobiographical narrative of the journal, viewed in its
socio-cultural context reveals the economic, political, and religious interactions
influencing the self-representation of the author. Social history has much to learn from
personal narratives, for they provide a glimpse of both the nexus of individual lives and
the larger socio-cultural context in which those lives are lived. In the journal, the
connection to Khams in general and with the author’s ancestral land (Tib. pha yul) in
particular is essential for understanding the way the world is perceived and described.
Kha stag ʼDzam yag is first and foremost a Khams pa; in the thirteen-year period
covered in his journal, he travelled extensively inside and outside the plateau, relying
on the support of local Khams pa enclaves, communities created in large cities and
trade hubs to facilitate the interaction between fellow countrymen and the
surrounding foreign environment.

Synopsis of Chapters
8 The thesis consists of four chapters, each subdivided into sections and subsections.
Generally speaking, the journal will be presented and analysed from a socio-economic
perspective blended with a narratological approach.
9 Chapter One introduces the journal from a literary point of view. The first three
sections of the chapter discuss the complexities inherent in a taxonomic classification
of Tibetan literature in general and the correct categorisation of the journal in
particular, by proposing the adoption of a prototype theory for the identification of the
“genre” of travel literature. In presenting ʼDzam yag’s text as a narrative autodiegetic
product, the last section of Chapter One investigates the hybrid character of the work
by questioning its inclusion in the diaristic genre. The chapter ends with a discussion of
the autobiographical elements contained in the journal, thus highlighting both the
socio-historical context and the influence the cultural and traditional Tibetan milieu
exercises on the way the narrator perceives himself and the world surrounding him.
The aim of Chapter One is therefore to place the author and his sensibility at the
forefront, allowing the scholar to better understand the figure through whom the
events and facts narrated in the journal have been filtered.
10 In Chapter Two and Chapter Three a socio-economic perspective is used to investigate
the claims to factuality made by the author.
11 Chapter Two opens with a broad historical overview of the political, cultural, and social
developments undergone by the kingdom of Nang chen – an eastern Tibetan polity of

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


172

which ʼDzam yag’s ancestral land was a territorial division – from the 13 th to the
20th centuries. This realm, largely inhabited by nomadic and seminomadic
communities, has been almost ignored by Western scholarship, with the sole exception
of Maria M. Turek, who has worked extensively on the local hermitic tradition and its
revival in times of political and social change. In Chapter Two I will provide a detailed
genealogy of the royal lineage of the ʼBru Tre bo, a local clan which ruled the kingdom
from the late 13th century up to the Communist invasion in the 1950s. The
chronological reconstruction of the lineage – being of historical value per se, due to the
understudied status of Nang chen – allows a retracing of the emergence of a non-
sectarian (Tib. ris med) approach within the royal court of Nang chen since the mid-19 th
century, as well as its diffusion at a local level. Ris med values transpire from the
narrative of the journal, and no full understanding of the author’s personality can be
obtained without considering his upbringing in a cultural environment imbued with
reformist and revivalist non-sectarian ideals. The second and third sections of Chapter
Two focus on Kha stag ʼDzam yag’s ancestral land and the events that led to the
composition of his journal. In the fourth and last section of the chapter, questions are
raised concerning the real factors that motivated the author’s wanderings, and
whether they may be correctly considered as “pilgrimages”, as he himself suggests.
12 Chapter Three focuses on trade, corroborating the historical knowledge of pre-modern
Tibetan economy by the data taken from the journal narrative. Particular attention will
be paid to the role that the Khams pa trading communities played in the Tibetan
political arena in the 1940s and 1950s. The chapter also advances some hypotheses on
the economic influence of the ris med movement as a trade facilitator, as well as on a
possible affiliation of ʼDzam yag with the influential Sa ʼdu tshang family, for whom the
author appears to have worked as trade agent and thanks to whom he managed to
obtain a commission from the Khang gsar bla brang1 of the Ngor E wam chos ldan
monastery. By trading for one of the colleges of the Sa skya establishment, he de facto
gained the title reserved for monastic trade agents, i.e. “chief merchant” (tshong dpon).
In following some of ʼDzam yag’s business ventures to Kalimpong, the chapter briefly
dwells on the idiosyncratic character of the Sikkimese trade hub, by the mid-20 th
century one of the most active centres for the sorting and processing of Tibetan wool, a
commodity over which the three largest firms of Tibet – sPang mdaʼ tshang,
Sa ʼdu tshang, and Rwa sgreng – held monopoly. In the late 1940s and throughout the
1950s, Kalimpong was a safe harbour for Tibetans of all sorts – pilgrims, traders, and
several figures declared personæ non gratæ by the Tibetan government, i.e. the dGaʼ ldan
pho brang.
13 Chapter Four deals extensively with pilgrimage and ritual activities – which clearly
represent the core of ʼDzam yag’s narrative – and it does so by merging an economic
and a literary approach. The previous chapters, by analysing the political and socio-
economic situation of pre-1959 Tibet, provide the necessary background for the
appraisal of the information of which the journal is a unique source. In broaching the
topic of pilgrimage, it is impossible not to engage in a literary analysis of the journal,
for any textual utterance is not created in a vacuum, but is inscribed in webs of
cultural, social, political, and literary significance; to understand a text means
therefore to be aware of the social conceptions and cultural codes inherent to the
context it is produced in. Whereas the socio-economic approach allows discussing
religion as an independent variable vis-à-vis economy, the understanding of the journal
as a narrative text connected to others sheds light on the sense-making and sense-

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


173

giving processes at work during a pilgrimage to sacred places. The chapter is divided
into two sections which differ in their approach as well as their focus; the locus of
investigation will shift from the Tibetan Plateau – examined in the first section – to the
“holy lands” of India and Nepal – which are the background for the analysis carried out
in the second section.
14 In the first section, the ritual activities and pilgrimage routes, as recorded in the
journal, are interpreted in the light of their socio-economic importance; the aim is to
identify the power wielded by religious communities, by taking into consideration the
amount of money generated by pilgrimages and the different intentions and
expectations driving the devotees.
15 In the second section, narratology is used as the leading heuristic device. The author’s
impressions of India and its modernity offer a glimpse of the development of new kinds
of pilgrimage rituals, as well as on the emergence of a form of spiritual tourism;
exoticism enters the narrative, turning the journal/ledger into a real travelogue.
16 The Conclusion connects the socio-economic and the narratological approach,
identifying the major topics discussed in the previous chapters and providing some
final observations on the figure of Kha stag ʼDzam yag and the value of his journal as a
historical source.

BIBLIOGRAPHY
Gusdorf, G. 1980 Conditions and Limits of Autobiography, in J. Olney, Autobiography. Essay
Theoretical and Critical (Princeton, Princeton University Press), pp. 28-47.

Gyatso, J. 1998 Apparitions of the Self: the Secret Autobiographies of a Tibetan Visionary. A Translation
and Study of Jigme Lingpa’s Dancing Moon in the Water and Ḍākki’s Grand Secret-talk (Princeton,
Princeton University Press).

NOTES
1. The term bla brang is used to indicate the institutional residence of an abbot, as well as
monastic corporate estate belonging to a lineage of incarnate lamas.

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


174

Alexander K. Smith, lde'u 'phrul, the


Manifestation of Knowledge.
Ethnophilological Studies in Tibetan
Divination with Particular Emphasis
upon a Common Form of Bon
Lithomancy

RÉFÉRENCE
Thèse de doctorat en histoire, textes et documents, soutenue à l’École Pratique de
Hautes Études, le 13 décembre 2016. Membres du jury : D. Berounsky, M. Kapstein,
C. Ramble (directeur), D. Rossi, D. Zeitlyn

1 Il est souvent avancé que la pratique de la divination est et a toujours été présente, à
différents niveaux, dans chaque société humaine (Beattie 1964 ; Caquot &
Leibovici 1968 ; Loewe & Blacker 1981 ; Peek 1991 ; Annus 2010). George Murdock, par
exemple, a inclus la divination dans les caractéristiques trouvées « dans chaque culture
connue de l’histoire ou de l’ethnographie » (Murdock 1945 : p. 124). Jean-Pierre
Vernant, a quant à lui, écrit que « la citation célèbre de Descartes sur “le bon sens”
s’appliquait tout autant à la divination, qui est la chose du monde la mieux partagée »
(Vernant 1975 : p. 303).
2 La sphère culturelle tibétaine ne fait certainement pas exception. La divination a été
décrite par nombre d’auteurs comme étant un phénomène pan-tibétain (Róna-
Tas 1956 ; Ekvall 1963 ; Chime Radha 1981 ; Gerke 2011). Cependant, malgré la
prépondérance et la diversité des pratiques divinatoires dans les cultures tibétaines, il
n'existe, à ce jour, aucune réflexion sur l’anthropologie de la divination dans les études
tibétaines ce qui, me semble-t-il, restreint le développement d’un discours
interdisciplinaire plus large sur le rituel tibétain. Cela m'a conduit à explorer dans ma

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


175

thèse un certain nombre d’aspects comparatifs de la divination au sens large.


Cependant, du fait de l’étendue du sujet, j’ai choisi de me limiter dans une large mesure
à l’étude des pratiques divinatoires dans la tradition tibétaine Bon.
3 Le terme Bon a historiquement été utilisé pour parler d’une pluralité de concepts qu’il
est nécessaire de clarifier (voir section 2.3). En termes très généraux, le Bon pourrait
être décrit comme une branche hétérodoxe du bouddhisme tibétain qui, d’après les
récits émiques, revendique un héritage dépassant de loin les origines du bouddhisme
indien. Pour plusieurs raisons, le Bon a toujours été traité avec dédain par les adeptes
des autres traditions tibétaines qui ont souvent critiqué les Bonpos (les adeptes du Bon)
comme des « extérieurs » (phyi pa), des « hérétiques » (mu stegs pa), ou pire encore. Par
ailleurs, les premiers chercheurs occidentaux à s'intéresser au Bon n'ayant comme
source que les textes tibétains bouddhiques, les perceptions académiques anciennes de
la culture Bon ont souvent été pareillement méprisantes.
4 Bien que j’envisage de couvrir une variété de pratiques divinatoires, je me concentre
dans ma thèse sur un type particulier de divination par les pierres pratiquée par les
Bonpos tibétains. Cette forme de divination, parfois traduite par « manifestation de
connaissance » (lde’u ’phrul), possède une tradition textuelle presque vierge qui, d’après
les histoires Bon, remonte au XIe siècle. En plus des enquêtes de terrain effectuées en
divers lieux de l’Himachal Pradesh et de l’Uttaranchal Pradesh, ma présentation du
lde’u ’phrul est enrichie par la traduction de plusieurs manuscrits sur la lithomancie qui
n'avaient jamais été étudiés. Je me suis notamment intéressé au sMra seng rdel mo gsal
ba’i me long, composé par Kun grol grags pa, un œcuméniste et historien du XVIIIe siècle.
Certains passages de ce texte sont comparés à deux commentaires plus tardifs traitant
de la lithomancie : (1) le Ma sangs ’phrul gyi rdel mo mngon shes rno gsal gyi sgron me, écrit
par Slob dpon mKhas grub Lung rtogs rgya mtsho, premier précepteur du monastère de
Yung drung gLing au Tibet Central (fondé en 1834) ; et le (2) sMra seng ’phrul gyi rdel mo
mngon shes gsal ba’i sgron po, version datant du XIXe siècle d’un gter ma censé avoir été
découvert au XIe siècle par le « découvreur de trésors » (gter ston) Khro tshang ’brug lha
(voir section 4.1). Lors de l’utilisation de ces matériaux, j’adopte une approche
herméneutique large, qui ne restreint pas la critique du manuscrit étudié mais cherche
à incorporer les exécutions contemporaines de lde’u ’phrul, et en particulier la
perspective unique du devin sur sa performance.
5 Dans le premier chapitre, je donne une bibliographie générale commentée de la
littérature sur le sujet prenant en considération la représentation et l’étude de la
divination tibétaine dans les recherches européennes et américaines, depuis la
première apparition du mot mo dans une publication en langue occidentale jusqu’à nos
jours. Après avoir esquissé les contours de la discipline telle qu’elle existe aujourd’hui,
je présente certains des rôles qu’a joué l’étude de la divination dans les disciplines
académiques parallèles. Je ne cherche nullement dans cette section, à donner une
histoire intellectuelle de la divination mais me concentre plutôt sur plusieurs
leitmotivs théoriques développés dans l’anthropologie de la divination et plus
particulièrement dans l’étude de la sorcellerie dans les sociétés africaines. L’objectif est
de montrer la façon dont certaines difficultés interprétatives dans la littérature
tibétologique ont été surmontées dans des publications ethnographiques plus
générales, et de mettre en évidence les possibles directions que pourrait prendre à
l’avenir la recherche sur les pratiques divinatoires tibétaines.

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


176

6 Le deuxième chapitre est divisé en deux parties. La première, divisée en deux sections,
2.1 et 2.2, propose une introduction générale à la divination tibétaine. Celle-ci inclut
une vue d’ensemble de la plupart des pratiques cléromantiques connues de la
littérature ethnographique ainsi qu’une discussion des origines des différentes
traditions divinatoires de la mytho-histoire bouddhique tibétaine. Dans la deuxième
partie, sections 2.3 à 2.6, je donne une introduction générale du Bon. Je m'attache en
particulier à l’historiographie Bon et aux origines de la divination telles qu’elles sont
représentées dans la tradition Bon. Le chapitre conclut par une exploration des rôles
joués par la divination dans la taxonomie religieuse Bon, et inclut un court index des
manuscrits divinatoires catalogués dans le bka’ brten.
7 Dans les chapitres trois et quatre, je présente la divination lde’u ’phrul. Bien que la
question des origines, de l'exécution et du symbolisme du lde’u ’phrul soit abordée dans
le chapitre trois, je porte ici une attention particulière à la structure des pronostics
divinatoires. Je montre que le lde’u ’phrul emploie un système numéraire quaternaire
relativement simple qui sert de base aux réponses que le devin peut apporter à ses
clients. De ce point de vue, le lde’u ’phrul ressemble beaucoup aux autres formes de
cléromancie tibétaine (par exemple la divination par le jet d’éléments mobiles, comme
des lots, des dés, des pierres ou des os), et en particulier la divination tibétaine par les
dés et la divination avec un rosaire. Cependant, l’interprétation des pronostics du
lde’u ’phrul nécessite un système de médiation avec des atouts, ce qui dans une large
mesure implique des schémas astrologiques et cosmologiques plus larges. Sous cet
angle, le lde’u ’phrul se distingue des autres formes de lithomancie documentées, et bien
qu’il soit similaire à certaines formes de cléromancie, les pronostics divinatoires
intègrent une représentation microcosmique de la société tibétaine au sens large ainsi
que nombre schémas religieux et cosmologiques. Ces observations sont complétées par
le chapitre quatre, qui contient une traduction complète d’un manuscrit de lde’u ’phrul,
ainsi qu’un commentaire sur une grande diversité de pratiques rituelles qui lui sont
liées.
8 Outre la présentation de certaines des caractéristiques les plus marquées et
intéressantes du lde’u ’phrul, j'ai cherché à montrer dans les chapitres trois et quatre
que les pratiques divinatoires tibétaines sont à un point critique de jonction, reliant de
nombreux systèmes rituels ainsi que des structures sociales et économiques. Le but est
également de mettre en évidence que la divination est associée à l’expression (et, peut-
être, à la validation) d’épistémologies traditionnelles qui, dans certains cas, peuvent
être remises en question par la globalisation et ses effets sur les rites et l’utilisation des
textes rituels dans les communautés en exil contemporaines.

BIBLIOGRAPHIE
Annus, A. (ed.) 2010 Divination and Interpretation of Signs in the Ancient World (Chicago, The Oriental
Institute of the University of Chicago).

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


177

Beattie, J. [1964] 1967 Divination in Bunyoro, Uganda, in John Middleton (ed.), Magic, Witchcraft
and Curing (Garden City, NY, Natural History Press), pp. 44-62.

Caquot, A. & M. Leibovici 1968 La divination (Paris, Presses universitaires de France).

Ekvall, R. B. 1963 Some aspects of divination in Tibetan society, Ethnology 2(1), pp. 31-39

Gerke, B. 2011 Long Lives and Untimely Deaths. Life-Span Concepts and Longevity Practices Among
Tibetans in the Darjeeling Hills, India (Leiden, Brill).

Khro tshang 'brug lha, rJe 'brug chen po [19th century] Ma sangs 'phrul gyi rdel mo mngon shes rno
gsal gyi sgron me zhe bya ba bzhugs pa legs so.

Kun grol grags pa, Rig 'dzin [19th century] sMra sing rdel mo gsal ba'i me long bzhugs so, in
Namdak, T. 1997 'Chi med mgon po tshe dpag med dang ma gshin gnyis kyi sgrub chog mo yig sna tshogs
bcas kyi gsung pod [A collection of ritual dn divinational texts of the "new" bon (Bon-gsar)
tradition chiefly works by Rig-'dzin Kun-grol-grags-pa and Mi-shig-rdo-rje] (New Thobgyal, P.O.
Ochghat, H.P., Tibetan Bonpo Monastic Center).

Lama Chime Radha, Rinpoche 1981 Tibet, in M. Loewe & C. Blacker (eds), Oracles and Divination
(Boulder, Shambhala), pp. 3-37.

Loewe, M. & C. Blacker (eds) 1981 Oracles and Divination (Boulder, Sambhala).

Murdock, G. P. 1945 The common denominator of cultures, in R. Linton (ed.), The Science of Man in
the World Crisis (New York, Columbia University Press), pp. 123-42.

Peek, P. M. 1991 Introduction, in P. M. Peek, African Divination Systems (Bloomington/Indianapolis,


Indiana University Press), pp. 1-22.

Róna-Tas, A. 1956 Tally-stick and divination-dice in the iconography of Lha mo, Acta Orientalia
Hungaricae 62, pp. 163-168.

Vernant, J. P. (ed.) 1974 Divination et rationalité (Paris, Seuil).

[collection/manuscrit], sMra seng 'phrul gyi rdel mo (incipit du manuscrit), bKa' brten, W30498-142,
impression sur bois.

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


178

Astrid Hovden, Between Village and


Monastery. A Historical
Ethnography of a Tibetan Buddhist
Community in North-Western Nepal

REFERENCES
PhD thesis, defended on 18th March 2016 at the University of Oslo. Committee:
U. Roesler (opponent), P. Schwieger (opponent), M. Teeuwen (committee
administrator), H. Havnevik (supervisor), C. Ramble (co-supervisor)

1 The objective of the thesis is to investigate the multifaceted relationship between the
religious and secular institutions in Limi (Sle mi), a community consisting of three
villages and monasteries located in Nepal’s Humla district, just south of the border with
Tibet. Analytically, the thesis revolves around four interrelated themes, which are
explored both diachronically and synchronically: social organisation, decision-making,
monastic recruitment and patronage. While keeping the main focus on local agency,
the thesis discusses how these domains have been developed, maintained and changed
in the context of broader socio-economic, religious, and political transformation
processes in the region.
2 Methodologically, the thesis is based on a coupling of a predominantly ethnographic
approach with selective reading of historical texts and philological analysis of
administrative documents from the local village and monastery archive. Most of the
material has been collected through 12 months of classical ethnographic fieldwork in
the three villages in Limi from 2010-2012. In addition, shorter stints of fieldwork were
conducted in the district headquarter Simikot and in Kathmandu, where a sizeable part
of the community is temporarily or permanently settled. The fieldwork involved semi-
structured, open, and informal interviews with monks and laity, household surveys and
mapping, as well as participant observation. The thesis is written as a historical

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


179

ethnography, and historical lines are drawn back to the turn of the millennium, but
most of the chapters focus on events from the end of the 19 th century and until today.
3 After a presentation of the material and discussion of methodological and ethical
challenges, the first part of the thesis documents the history of the community from
the establishment of the first settlement over a millennium ago and until the end of the
20th century. Exploring the community’s relationship to shifting regional state
formations, the thesis discusses how the history of the monasteries and villages has
been shaped by its location in a frontier region.
4 Two claims found in local documents are given particular attention: that the Vairocana
temple in the Rinchenling (Rin chen gling) monastery in Waltse (dBal rtse) was founded
by the translator Rinchen Zangpo (Rin chen bZang po, 958-1055) at the dawn of the
10th century, and that he passed away in Limi. Although it will be impossible to
determine the identity of the founder, the thesis argues that religiously, stylistically,
and historically the temple conforms to Rinchen Zangpo’s heritage. The second claim,
that Rinzhen Zangpo passed away from a hermitage in Limi, is in fact also mentioned –
but refuted – in his biography, and is probably unfounded. But, as attested in both the
translator’s biography and a 13th century biography of Drigung Kagyu (’Bri gung bKa’
brgyud) lamas, he meditated in Limi towards the end of his life, most likely in the
hermitage at Chaye (sPya ye)1.
5 This hermitage was expanded by one of the main Drigung Kagyu lamas in the
13th century. In the same period, the Drigungpas established two other temples in Limi,
which were secured support by king Krācalla of Jumla and subsequently developed into
small monasteries. In the aftermath of dramatic events in the 17 th century, the three
monasteries in the valley merged with Rinchenling. The monastery was gradually
expanded and from the end of the 19th century onwards, monk levy and an associated
sponsorship duty were introduced to ensure a stable supply of monk recruits and
funding.
6 This monastic recruitment and patronage system is dependent on a particular type of
economy and household organisation. The next part of the thesis presents an outline of
social organisation and local livelihoods, and discusses how being born – or married
into – a household governs the villagers’ access to land and other communal resources,
participation in decision-making, level of taxation, and various types of responsibilities
to the monastery. My analysis of the population and residence pattern shows that the
demographic trends in Limi largely conform to comparable communities in other parts
of the Nepal Himalayas. Since the end of the 1990s, there has been an increasing
outmigration for the purpose of lay and monastic education as well as business.
Outmigration is, however, restricted by rigorous implementation of the system for
monastic recruitment and other village obligations, but this system is increasingly
experienced as being out of step with the rest of the world, and has recently been
challenged by the younger generation.
7 Since the middle of the 20th century with the downfall of the Ranas and the
introduction of the Panchayat system the traditional forms of hereditary village
leadership in the Tibetan speaking communities of Nepal have been in a process of
transition. The thesis discusses how a combination of local and national political and
socioeconomic factors has contributed to the development of a hybrid village
management system in Limi. The communities have retained the main features of the
traditional management system, but the village government has become more

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


180

democratic, and the last few years have seen an increasing integration with the Nepali
political administration.
8 Although the villages and monasteries are governed by separate administrations, there
are a number of areas of mutual influence between them. One of the most salient areas
of interaction is that of monastic funding and recruitment. Taxation has been a
frequently neglected topic in studies of Tibetan communities, but has constituted an
important source for funding both for secular and monastic institutions. The thesis
seeks to contribute to the filling of this gap in our knowledge, and investigates the role
of the tax system in Limi, which consists partly of local adaptations of former external
taxes (phyi khral) to Tibet and Nepal, and partly of internal taxes (nang khral) to the
village and the monastery. Translation of the fiscal terminology is not straightforward,
and it is not always obvious where to draw the line between taxes and other
community obligations; many of the internal taxes can probably best be understood as
religious donations that have gradually solidified into a compulsory tax. Both village
and monastic taxes are paid largely in kind and include lease fees for fields, taxes on
private property, ritual expenses and allowances, various types of corvée, as well as
monastic recruitment.
9 Recruitment by conscription, or monk levy (grwa khral) has been referred to as one of
the traditional ways of monastic recruitment in Tibetan societies, but the fact that
sending the second son to the monastery has been a frequently stated norm does not
necessarily mean that it has been enforced. The practice has hardly been subject to
detailed analysis and has therefore been poorly understood. A review of the historical
literature of Ngari (mNga’ ris) shows that the monk levy has been practised at least in a
number of monasteries in Guge (Gu ge) and Purang (sPu hreng). In Ngari the practice
seems to have been instigated by the Ganden Phodrang (dGa’ ldan Pho brang)
government in an effort to control and strengthen the monasteries in the region,
whereas in Limi the monk levy was instituted in 1896 during the visit of the thirty-third
Drigung hierarch. The recruitment contract (gan rgya), which is translated and
analysed in the thesis, describes the immediate circumstances leading up to the
establishment, the authorities involved, and the conditions for the rule, as well as fines
for breaking it. The thesis then examines the ways in which the system of monk levy
and other forms of monastic recruitment have been implemented and discusses some
of its implications for monastic life and social organisation in the three villages. The
levy has been variously endorsed and challenged, and since the split of the monasteries
in the 1980s the assemblies in the respective villages have chosen different solutions on
how to implement the rule.
10 The final chapter is devoted to the monastic economy. Many Tibetan Buddhist
monasteries have been landowners, but the size of their landholdings has varied
considerably and so has the relative importance of land tax for the monastic coffers.
The thesis investigates how the local monasteries in Limi are funded through a
combination of five main types of income: through monastery and village taxes, capital
investments, rotational sponsorship, external support as well as voluntary patronage.
Despite of the many obligations, the villagers make a substantial number of voluntary
donations to the monastery. Some of these are commitments made by the forebears of
the current householders, but most are one time donations according to the villagers’
wishes and needs.

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


181

11 The local system of monastic patronage has occasionally been challenged, and the last
decades have seen two major reforms to reduce the costs of rituals and to make the
sponsorship system more aligned with current norms of justice. However, in the long
run, such reforms may not be sufficient to maintain the old system for village and
monastery management, recruitment and patronage. The concluding chapter sketches
a picture not only of how these social institutions and mechanisms are interconnected,
but also of the increasingly felt tension between them, epitomised in an epilogue about
recent events in Limi.

BIBLIOGRAPHY
rDo rje mdzes ’od/Don mo ri pa [13th century] 1985 bKa’ brgyud kyi rnam thar chen mo rin po che’i
gter mdzod dgos ’dod ’byung gnas (Bir, Kangra H.P., D. Tsondu Senghe), TBRC no. 27600.

NOTES
1. bKa’ brgyud kyi rnam thar chen mo rin po che’i gter mdzod dgos ’dod ’byung gnas, written by
rDo rje mdzes ’od/Don mo ri pa (13th century). Copy reproduced from a rare manuscript from
Dzang Phelgyeling in Limi. Published by D. Tsondu Senghe in 1985.

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


182

Hommage
Tribute

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


183

In memoriam Françoise Aubin


(1932-2017)
Isabelle Charleux et Roberte Hamayon

NOTE DE L’AUTEUR
Ce texte reprend en grande partie la préface rédigée par Denise Aigle, Isabelle
Charleux, Vincent Goossaert et Roberte Hamayon pour la publication d’un volume en
l’honneur de Françoise Aubin dans une institution qu’elle a fréquentée toute sa vie,
Monumenta Serica : Miscellanea Asiatica. Festschrift Françoise Aubin (Sankt Augustin,
Monumenta Serica Monograph Series LXI, 2011). Que l’éditeur soit remercié de nous
autoriser à la reproduire ici.

1 C’est avec une grande tristesse que nous avons appris la disparition de notre collègue et
amie Françoise Aubin, directeur de recherche honoraire au CNRS, le 10 juillet 2017, à
l’âge de 85 ans.
2 Françoise Aubin était une grande figure de notre domaine. Juriste de formation,
orientaliste par passion, et humaniste par nature, elle a su toute sa vie allier l’érudition
et l’intelligence des faits sociaux. Sa soif de connaissances et sa générosité intellectuelle
nous manqueront.
3 Françoise Aubin a accompagné la vie de notre revue pendant de longues années.
Membre de son Comité de rédaction dès ses débuts au Laboratoire d’ethnologie et de
sociologie comparative de Paris-X Nanterre, en 1970, elle a suivi ses transformations
successives. Les Cahiers d’études mongoles lancés dans l’enthousiasme, grâce à la
collaboration des étudiants de mongol à l’École des Langues Orientales, étaient devenus
la revue Études mongoles et sibériennes domiciliée à l’École Pratique des Hautes Études
lorsque Françoise a mis fin à ses activités éditoriales en 2006. Françoise a fait bénéficier
la revue de ses larges compétences linguistiques, de ses conseils de lecture, de ses
connaissances factuelles et de ses domaines d’intérêt comme de son souci de rigueur,
d’exactitude et de précision. Elle a personnellement contribué à son essor par la
richesse, l’intérêt et la qualité scientifique de ses contributions comme par sa passion

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


184

de faire connaître : articles, comptes rendus, nécrologies, traduction et adaptation de


travaux de chercheurs étrangers1.
4 Lorsque Françoise Aubin s’inscrit à l’École des Langues Orientales à la sortie de ses
études secondaires, elle y apprend le russe, le japonais et le chinois. Le mongol n’y
étant pas enseigné, elle se familiarise avec cette langue aux séminaires de Louis Hambis
à l’École Pratique des Hautes Études (IVe section), et auprès des mongolisants de
Budapest (Louis Ligeti, György Kara et András Róna-Tas) où elle séjourne en 1962 et
1965. Lorsque s’ouvrent les relations diplomatiques entre la France et la Mongolie en
1966, elle donne son accord pour créer un enseignement du mongol aux « Langues’O ».
Atteinte par la maladie de Guillain-Barré, elle ne peut assurer que quelques cours de
civilisation au tout début de cet enseignement en 1968.
5 L’ampleur de ses compétences disciplinaires est tout aussi impressionnante que celle de
ses compétences linguistiques. Formée initialement en sciences juridiques, elle se
révèle vite une historienne accomplie, comme le montre la thèse qu’elle a soutenue à la
faculté de droit de Paris sous le titre « Les soulèvements populaires en Chine du Nord
entre 1214 et 1230 », qui reçoit le prix de la meilleure thèse en 1965. À travers ce début
de XIIIe siècle qui voit l’émergence de Chinggis Khan et la formation de la nation
mongole, Françoise étudie l’impact, sur la société chinoise rurale, d’un nouveau type de
pouvoir. Loin de limiter son intérêt à cette période, Françoise Aubin s’interroge aussi
sur le devenir contemporain de ce peuple nomade. C’est ainsi qu’elle met à profit la
présence en France d’une petite colonie de Kalmouks émigrés pour mener une enquête
approfondie sur son histoire et ses particularités culturelles, qui reste de nos jours
encore une source unique sur les Kalmouks de France (1966). La signature d’un
protocole d’échange entre le CNRS et l’Académie des sciences de Mongolie lui permet
de se rendre dans ce pays en 1966 puis à nouveau en 1967 : elle y sera le premier
chercheur ressortissant d’un pays capitaliste accueilli par l’Académie. Les enquêtes de
terrain qu’elle réalise dans ce pays révèlent chez elle des talents d’ethnologue et de
sociologue à l’aise tant pour traiter de questions techniques (concernant entre autres
l’élevage et l’usage des chevaux) que pour aborder les domaines politique et religieux,
ce qui autorise à classer son œuvre aussi dans le champ des sciences humaines au sens
large. Ainsi est-ce d’une double carrière qu’il faut ici faire état, en orientalisme et en
sciences humaines. Si l’avancée de la maladie lui rend définitivement pénible tout
déplacement, lui interdisant tout travail de terrain, elle ne fait qu’exacerber sa
sensibilité anthropologique, en permanence à l’affut dans la lecture des textes et les
discussions avec les collègues.
6 De ses missions en Mongolie sous le régime communiste, Françoise Aubin rapporte des
études pionnières aussi bien sur l’expérience de la collectivisation et l’organisation des
coopératives rurales (1967) que sur l’utilisation des festivités et des commémorations
pour faire passer des messages idéologiques. Son article sur « le statut de l’enfant »
illustre parfaitement l’alliance heureuse qu’elle réalise entre formation juridique,
maîtrise des sources et sens de l’anthropologie ; depuis sa publication en 1975, il a été
exploité par toutes les générations de mongolisants. Juste après la fin du régime
communiste, elle est l’une des premières à percevoir, grâce à sa lecture perspicace de la
presse, l’exploitation nationale, voire nationaliste, de la figure de Chinggis Khan et les
premières tentatives d’établir les bases de ce qui allait bientôt devenir un véritable
culte en son honneur (1993).

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


185

7 Tout en maintenant sans aucune relâche son intérêt pour la Mongolie (publiant,
participant à des jurys, et suivant l’actualité scientifique et politique), Françoise
défriche de nouveaux thèmes de recherche dans les années 1970, 80 et 90, faisant le
meilleur usage de la liberté permise par le CNRS2. Travaillant dans le prestigieux cadre
du CERI, elle défriche un à un les différents champs qui aujourd’hui l’honorent comme
une personnalité fondatrice. Le premier d’entre eux, chronologiquement, est l’histoire
des missions en Extrême-Orient, et en particulier du catholicisme de langue chinoise
(même si, contrairement à la plupart des spécialistes du catholicisme chinois elle écrit
aussi sur le protestantisme). Tout en gardant une posture distincte de l’histoire
« interne » des missions, Françoise entretient avec ce monde de très bons rapports
d’intelligence réciproque. Il en est ainsi en particulier avec les missions de Scheut
(CICM), congrégation essentiellement flamande implantée en Mongolie-Intérieure
jusqu’en 1949 et qui a fourni quelques-uns des plus grands mongolisants. Le travail que
mène Françoise dans les archives de Scheut (des manuscrits allusifs en flamand
d’église) force l’admiration de ceux qui l’ont vu de près. En outre, à l’instar des
missionnaires éclairés dont elle analyse et prolonge les travaux, Françoise est sensible à
l’ensemble du paysage culturel et religieux, et sa culture sur le confucianisme, le
bouddhisme et le taoïsme va bien au-delà du simple besoin de ses propres recherches.
8 Le travail que Françoise Aubin effectue sur les efforts missionnaires envers les
musulmans de Chine la mène à se pencher sur l’islam. Elle forme de jeunes chercheurs
lors de séminaires, publie des synthèses remarquables et des études originales,
notamment sur les confréries soufies. La grande portée de ces travaux, reconnus par
des invitations à Harvard et autres grandes universités, s’appuie sur une vision
d’ensemble, et sur la maîtrise des langues, depuis le turc jusqu’au japonais, qui permet
de situer l’islam de Chine dans son vaste contexte et de retracer ses liens, avec le
monde arabe comme avec le monde persan – lequel a été naguère si brillamment étudié
par le regretté Jean Aubin, qui fut son époux et compagnon intellectuel jusqu’à son
décès en 1998, et dont Françoise assura vaillamment la publication des œuvres
posthumes.
9 Si les travaux de Françoise Aubin ont eu un tel écho pour tant de chercheurs dans des
domaines si divers, ce n’est pas seulement en raison de l’abondance et de la qualité des
données qu’elle met à leur disposition – aussi exhaustives que faire se peut et toujours
minutieusement vérifiées –, ni en raison de l’agrément de son écriture, qu’animent tour
à tour ou tout à la fois l’agilité d’esprit, l’enthousiasme ou l’humour. C’est aussi et peut-
être surtout en raison du sens qu’a Françoise Aubin de ce qui est « pertinent » pour
saisir la portée d’un événement historique ou la spécificité d’une culture ; elle sait
percevoir dans une situation ou une institution, le détail significatif, dans un mobilier
ou un équipement, l’objet révélateur qui, replacés dans le contexte global, jetteront un
éclairage neuf sur la société, sa culture ou son histoire.
10 C’est ce qu’illustrent plusieurs de ses travaux qui, consacrés à des études ponctuelles
d’objets matériels, le cadenas par exemple, ou de certains aspects culturels méconnus
de la vie nomade, débouchent sur des aperçus de portée générale. Ainsi, l’étude des
« mesures manuelles et par référence au corps » donne-t-elle à voir l’existence d’un
ensemble cohérent de concepts et de gestes que les nomades mongols ont constitué un
véritable système à valeur juridique pour réguler les échanges commerciaux en leur
sein, mais qu’ils utilisent aussi dans la vie sociale, tant pour calculer les degrés de
parenté que pour évaluer des objets d’usage quotidien (1970).

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


186

11 De ce point de vue, l’article consacré à la selle chez les Mongols sous le titre « le folklore
comme mass media » (1986) est peut-être plus exemplaire encore. La selle du nomade
mongol type, membre de collectivité rurale, dans les années 1970 et 1980, est en effet
« lourdement ornée d’argent, d’ivoire, de velours ». Or avant l’avènement du régime
communiste, elle ne l’était pas ; si elle était un bien personnel, elle n’était pas pour
autant un bien précieux dans le budget du nomade moyen, et ne faisait pas l’objet
d’attentions rituelles. Proverbes et dictons, nombreux à mettre la selle en parallèle
avec la femme, témoignent d’une frappante « ambiguïté sentimentale » à son égard :
elle peut être utile, à condition qu’elle soit soumise. Certes, l’amélioration des revenus a
sa part dans ce changement, souligne Françoise Aubin avant d’évoquer, d’une plume
allègre, une autre raison : « le transfert, vers la selle du mari d’un luxe de parade
exhibé, précédemment, dans la coiffure de l’épouse ». Un souci d’égalité générale avait
en effet conduit la jeune République populaire à interdire les parures féminines qui
portaient jadis les distinctions de fortune et d’appartenance ethnique. Comment mieux
prouver, conclut l’auteur, l’utilité de la dimension diachronique dans l’étude de ce qui
est présenté comme « tradition populaire », comment mieux illustrer l’usage d’un objet
tel que la selle comme « support de discours politique » ? Et comment mieux
démontrer, ajouterons-nous, que même un objet d’intérêt apparemment mineur peut
donner lieu à une recherche large et féconde ?
12 Il importe de s’arrêter, dans le rappel de cette carrière d’une exceptionnelle longévité
puisqu’elle s’est déroulée sur plus de cinquante ans, sans rupture d’activité de
publication, sur l’œuvre de recension accomplie par Françoise Aubin. Animée d’une
curiosité inlassable, elle cherche à lire la quasi-totalité des publications relatives à ses
divers domaines de recherche. Aussi est-ce une œuvre inégalable qu’elle a accomplie
dans ce domaine trop souvent négligé, une œuvre d’une rare qualité grâce à l’ampleur
de ses connaissances et de sa capacité de synthèse. Sa bibliographie compte en effet les
comptes rendus de plus de mille ouvrages qu’elle a recensés 3. Elle a ainsi fait connaître
au public occidental de nombreux ouvrages en langues souvent difficiles d’accès,
sachant immédiatement en saisir l’intérêt et y réagir avec un jugement très sûr, en
mettre en lumière les points forts, et en caractériser l’apport scientifique en quelques
lignes toujours claires, pour inviter, selon les cas, à lire l’ouvrage ou à s’en abstenir.
13 En signe de reconnaissance pour sa contribution à la recherche dans le domaine
mongol, Monsieur M. Batsaikhan, ambassadeur de Mongolie en France a remis la plus
haute distinction de Mongolie, l’Etoile Polaire (Altan gadas), à Françoise Aubin,
entourée de ses amis, de ses collègues et de sa famille, dans sa maison du Parc de
Séronne, le 18 février 20174.
14 Enfin, si Françoise, comme savant, a mérité le respect de ses collègues par ses
publications, elle a gagné l’affection de ceux qui l’ont fréquentée de près par la façon
profondément humaniste dont elle vivait son métier et son rapport aux autres, en
particulier aux étudiants et jeunes collègues. Son réseau de relations dans le monde
entier est solidement bâti sur une grande fidélité dans ses amitiés. Soulignons encore sa
générosité à mettre sa bibliothèque et son savoir à la disposition des étudiants, dont
elle suivait et soutenait la carrière, corrigeant inlassablement leurs articles. Des séjours
dans sa demeure de l’Anjou ont permis à de nombreux jeunes chercheurs de prendre la
mesure de ce qu’est l’érudition, et de la masse de travail minutieux qu’elle requiert,
mais aussi de partir rassérénés (et bien nourris) avec des notes, des photocopies, des
conseils judicieux, des pistes nouvelles. Si des savants de tous les continents sont venus

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


187

en Anjou dévorer tant sa bibliothèque que les délicieux cookies et plats végétariens
issus de son potager, Françoise, malgré son handicap n’hésitait pas non plus à voyager
jusqu’à la fin des années 2000, à l’invitation de Harvard et de l’UCLA. Et, au milieu de
cette intense vie scientifique et sociale, Françoise trouvait encore, Dieu sait où,
l’énergie d’être une citoyenne pleinement engagée dans de nombreuses causes
humanitaires et civiques, des plus connues aux plus discrètes – et en sus, d’être une
femme de grande culture qui trouve le temps d’aller au concert. Saluons enfin son
humour dont elle s’est faite elle-même, souvent, la première cible. Dans son In
memoriam de Walther Heissig décédé en 2005, elle écrivait « Voici brusquement les
mongolisants devenus orphelins5 » ; ils ont aujourd’hui perdu père et mère !

Françoise Aubin

Monsieur M. Batsaikhan, ambassadeur de Mongolie en France, remet la médaille de l'Étoile Polaire à


Françoise Aubin dans sa maison du Parc de Séronne le 18 février 2017.
© Isabelle Charleux (2017)

BIBLIOGRAPHIE
Bibliographie sélective de Françoise Aubin, ayant trait aux études mongoles

1960
Index de « Un Code des Yuan » de P. Ratchnevsky, in Mélanges publiés par l’Institut des Hautes Études

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


188

chinoises 2 (Paris, Presses universitaires de France, Bibliothèque de l’Institut des Hautes études
chinoises 14), pp. 423-515.

1965
Les soulèvements populaires au Shandong entre 1214 et 1230, Thèse de doctorat. Prix de la
meilleure thèse 1966 de la Faculté de droit de Paris (membres du jury : Profs Carbonnier,
Duverger, Imbert). Paru en microfiches AUDIR, Fondation nationale des Sciences politiques, 1976.
L’ancienne littérature mongole, reflet de la vie des steppes, Démocratie nouvelle, pp. 129-134.
Deux poèmes d’aujourd’hui, Démocratie nouvelle, pp. 140-141.

1966
Une société d’émigrés : la colonie des Kalmouks de France, L’année sociologique 17, pp. 133-212.
« Bouriates », in Encyclopaedia Universalis, 1re éd., t. 3, pp. 528-529.
Francuzy o Sibirii [Les Français parlant de la Sibérie], Vostočno-Sibirskaja pravda 157/13792, 1 er
juillet 1966, p. 4.
Franc emegtej setgegdel [Impressions d’une Française], Utga zohiol urlag 50, 9 décembre 1966.

1967
Une expérience de collectivisation en économie nomade. La coopérative de production rurale en
R.P.M., L’Homme et la Société 5(1), pp. 141-148.
Impressions d’automne et d’hiver dans la steppe mongole, Démocratie nouvelle juin.
Francuzy v Mongolii [Les Français en Mongolie], Sovremennaja Mongolija décembre, p. 22
(traduction mongole abrégée dans Orčin üjeijn Mongol uls décembre 1967).

1968
La Mongolie traditionnelle, Documentation pédagogique 154.
Novye gorizonty [Nouveaux horizons], Sovremennaja Mongolija 1968(4), p. 18.
en russe, une brève note sous la rubrique « O ljudjah, o zemle Mongolii glazami zarubežnyh
gostej » [Gens et terre de Mongolie vus par nos hôtes étrangers], Novosti Mongolii 52/5112, 3 juillet
1968, p. 4.

1970
Les mesures manuelles et par référence au corps chez les Mongols. Note de folklore juridique, in
L. Ligeti (dir.) Mongolian Studies (Budapest, Akadémiai Kiadó), pp. 23-55.
Traditions et mutations : sociologie actuelle de la Mongolie, Cahiers internationaux de Sociologie 49,
pp. 83-110.

1972
Mongolie 1971. Revue de quelques faits et chiffres récents, Revue des Pays de l’Est 1972(1),
pp. 127-140.
La Mongolie intérieure et les Mongols de Chine : éléments de bibliographie I, Études mongoles 3,
pp. 1-158.
« Mongolie (Histoire) » et « Mongolie (République populaire de) », in Encyclopaedia Universalis,
vol. 11, pp. 239-261.
« Oïrats et Kalmouks », in Encyclopaedia Universalis, vol. 12, pp. 29-31.
Nécrologie : Le Père Antoine Mostaert (10 août 1881- 2 juin 1971), T’oung Pao 58(1-5), pp. 218-220.

1973
Fêtes et commémorations en République populaire de Mongolie. Apport à l’étude de la
propagande éducative en pays socialiste, Revue française de Science politique 23(1), pp. 33-58.
Les études mongoles en France, Studia Mongolica 1/9(1-17), pp. 198-200.

1974
Anthropologie du nomadisme, Cahiers internationaux de Sociologie 56, pp. 79-90.

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


189

Spécificité culturelle et industrialisation en Mongolie, Revue tunisienne de Sciences sociales 36-39,


pp. 245-277.
Nomadizm i sociologija sela [Nomadisme et sociologie rurale], in Rol’ kočevyx narodov v civilizacii
central’noj Azij [Le rôle des nomades dans les civilisations d’Asie centrale] (Ulaanbataar, Ak.N.
MNR), pp. 233-236.
Sinologie mongole. État des études menées en République de Mongolie sur la Chine du Xe au XIVe
siècle et les dynasties barbares, Sung Studies Newsletter 9, pp. 10-17.
Nécrologie : Vilmos Diószegi (2 mai 1923 - 22 juin 1972), T’oung Pao 60(4-5), pp. 328-333.

1975
Le statut de l’enfant dans la société mongole, in L’Enfant (Bruxelles, Éditions de la Librairie
encyclopédique, Recueils de la Société Jean Bodin 35), pp. 459-599.
En collaboration avec J.-P. Accolas, Les produits laitiers en République populaire de Mongolie,
Études mongoles 6, pp. 55-79 (et collaboration de supervision à l’ensemble de l’article de J.-
P. Accolas & J.-P. Deffontaines, Les activités rurales en République populaire de Mongolie,
pp. 7-98).

1976
Cadenas et clef – Note d’ethno-linguistique mongole, in W. Heissig, J. R. Krueger, F. J. Oinas &
E. Schütz (dirs), Tractata Altaica Denis Sinor sexagenario optime de rebus altaicis merito dedicata
(Wiesbaden, Otto Harrassowitz), pp. 11-44.
Notes à une contribution de J.-P. Accolas & J.-P. Deffontaines, Quelques données sur l’élevage du
yak en République populaire de Mongolie, Ethnozootechnie 15, pp. 133-141.

1977
En collaboration avec P. Ratchnevsky, Un Code des Yuan, t. 3, Index (Paris, Presses universitaires de
France, Bibliothèque de l’Institut des Hautes études chinoises 4).
Asie centrale. Peuples et langues (Quelques travaux occidentaux, 1972-1977), 1 re partie, L’année
sociologique 28, pp. 373-394.

1978
En collaboration avec J.-P. Accolas & J.-P. Deffontaines, Le lait et les produits laitiers en
République populaire de Mongolie, Le Lait. Revue générale des questions laitières 63(575-576),
pp. 276-286.
Cheval céleste et bovin chtonien, in R. Dor & M. Nicolas (dirs), Quand le crible était dans la paille.
Hommage à Pertev Naili Boratav (Paris, G.-P. Maisonneuve et Larose), pp. 37-63.

1980
« Être mongolisant en 1980, ou, La nouvelle école française d’études mongoles » (Conférence à
l’Institut belge des hautes études chinoises, Bruxelles, année académique 1980-1981, séance
inaugurale du 6 octobre 1980).

1982
Pensée romano-germanique et droit mongol contemporain. Le langage juridique en République
populaire de Mongolie, Acta Orientalia Hungarica 36(1-3), pp. 17-27.
Une communauté rurale en Mongolie ?, in Les Communautés rurales, troisième partie, Asie et Islam
(Paris, Dessain et Tolra, Recueils de la Société Jean Bodin pour l’histoire comparative des
institutions 47), pp. 339-358.
Être mongolisant en 1980, ou, La nouvelle école française d’études mongoles, Année académique 1980-1981.
Séance inaugurale du 6 octobre 1980 (Bruxelles, Institut belge des hautes études chinoises).
Asie centrale et peuples mongols : à propos de quelques publications, 1974-1982, L’Ethnographie
78(86), pp. 103-121.

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


190

1983
Cinq contributions à Dupeigne, B. (dir.) Mongolie-Mongolie. Traditions de la steppe (Paris, Musée de
l’Homme, Catalogue de l’exposition du Musée de l’Homme, mars-mai 1983) : Les traditions dans la
Mongolie en mutation, pp. 7-8 ; Quelques réflexions sur la Mongolie et les Mongols, pp. 9-11 ; Le
nomade, son cheval, sa selle, pp. 28-29 ; La cuisine mongole ? Un code social codé, pp. 48-50 ; La
connaissance de la Mongolie dans nos pays, pp. 59-60.
Un cahier de vocabulaire technique du R.P. A. De Moerloose, CICM, missionnaire de Scheut
(Gansu septentrional, fin du XIXe siècle) », Cahiers de Linguistique d’Asie orientale 12(2), pp. 103-117.

1984
In memoriam. Le R.P. Henry Serruys (Ssu Lü-ssu 司律思), CICM (10 juillet 1911-16 août 1983),
érudit sino-mongolisant, Monumenta Serica 36, pp. 556-624.
« Bouriates », in Encyclopaedia Universalis, 2e éd., vol. 3, pp. 919-920.
« Kalmouks », in Encyclopaedia Universalis, 2e éd., vol. 10, pp. 770-771.
« Oirat », in Encyclopaedia Universalis, 2e éd., vol. 13, pp. 432- 433 ;
« Mongolie (Histoire) », in Encyclopaedia Universalis, 2 e éd., vol. 12, pp. 528-549.
« Mongolie (République populaire de) », in Encyclopaedia Universalis, 2 e éd., vol. 12, pp. 549-554.

1985
À propos des Kalmak ou Sart-Kalmak de l’Issyk-kul’, Études mongoles et sibériennes 16, pp. 81-89 +
traduction (du russe) et adaptation de l’article de N.L. Zhukovskaya, Les Kalmak de l’Issyk-kul’,
pp. 91-106 (repris dans Études orientales 15-16, 1995).
À propos du père Henry Serruys, C.I.C.M. (1911-1983), Études mongoles et sibériennes 6, pp. 7-16 (et
édition posthume de six articles du P. Serruys, pp. 17-79).
In memoriam Jadamžavyn Cevel (1902-1984), Études mongoles et sibériennes 6, pp. 117-120.

1986
L’art du cheval en Mongolie, in Production pastorale et Société. Recherches sur l’écologie et
l’anthropologie des sociétés pastorales (Paris, MSH/CNRS, Supplément à MSH Informations 19),
pp. 129-149.
Le folklore comme mass media. L’exemple de la selle chez les Mongols, L’Ethnographie 82(98-99),
pp. 119-144.
L’empire nomade des Mongols, in P. Vidal-Naquet (dir.), Le grand livre de l’histoire du monde,
pp. 112-113 (article publié sans les corrections de l’auteur, réédition avec corrections en 1987,
dans l’Atlas historique).

1987
The Rebirth of Chinese Rule in Times of Troubles. North China in the Early Thirteenth Century, in
S. R. Schram (dir.), Foundations and Limits of State Power in China (London/Hong Kong, School of
Oriental and African Studies/The Chinese University Press), pp. 113-146.
A Note about the Spread of Chinese Literature amongst the Mongols, in C. Salmon (dir.), Literary
Migrations. Traditional Chinese Fiction in Asia (17-20th Centuries) (Beijing, International Culture
Publishing Corporation), pp. 209-212.
Édition du volume posthume d’Henry Serruys, The Mongols and Ming China. Customs and History
(Londres, Variorum Reprints).
In memoriam Louis Ligeti (Ligeti Lajos, 1902-1987), Études mongoles et sibériennes 18, pp. 139-140.
In memoriam Cendijn Damdinsüren (1908-1986), Études mongoles et sibériennes, 18, pp. 141-147.
L’empire nomade des Mongols, (réédition, avec corrections) in P. Vidal-Naque (dir.), Atlas
historique. Histoire de l’humanité, de la préhistoire à nos jours (Paris, Hachette), pp. 112-113.
À propos de Joseph Kler, cicm (1897-1969), Cavaliers du désert mongol (Ordos), Production
pastorale et Société 20, pp. 35-36 ; et édition de J. Kler, Cavaliers du désert mongol (Ordos),
Production pastorale et Société 20, pp. 37-38.

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


191

À propos de ‘Missionary Safe-Conducts. An Additional Note’ du P. Henry Serruys, cicm


(1911-1983), T’oung Pao 23, pp. 113-115.

1988
En collaboration avec R. Hamayon, L’individu face au pouvoir dans la Mongolie sous domination
mandchoue (XVIe-XXe siècles), in L’Individu face au pouvoir (Paris, Dessain et Tolra, Recueils de la
Société Jean Bodin pour l’histoire comparative des institutions 47), pp. 321-329.
In memoriam Cendijn Damdinsüren (septembre 1908-juin 1986), Études mongoles et sibériennes 18,
pp. 141-147.
Louis Ligeti (Ligeti Lajos, octobre 1902-mai 1987), Journal asiatique 276(1-2), pp. 1-22.

1989
La vision catholique de la religiosité chinoise et mongole. L’expérience des missionnaires de
Scheut en Mongolie chinoise, Mélanges de l’École française de Rome. Italie et Méditerranée 101(2),
pp. 991-1035.
En collaboration avec T. H. Hahn, A Bibliography of European non-English Works on Sung, Liao,
Chin, Hsi-Hsia and Yüan, Bulletin of Sung Yuan Studies 21, pp. 115-148.
Religions et croyances de la Chine et de la Haute Asie, Archives de Sciences Sociales des religions
67(2), pp. 175-189.
Entre Ciel et Terre, l’idéal du cheval en Chine, in V. Courtot-Thibault (coordin.), Le Petit livre du
cheval en Chine (Lausanne, Caracole/Favre), pp. 77-100.
Réédition, avec mise à jour, « Mongolie (histoire) », in Encyclopaedia Universalis, 3 e éd., vol. 15,
pp. 658-678
Réédition, avec mise à jour, « Mongolie (République populaire de ) » in Encyclopaedia Universalis,
3e éd., vol. 15, pp. 678-684.
Réédition, avec mise à jour, « Bouriates », in Encyclopaedia Universalis, 3 e éd., vol. 14, pp. 455-456.

1990
Palanquin rouge et catholicisme. Le mariage chrétien en Mongolie chinoise (Missions belges de
Scheut, 1865-1950), Neue Zeitschrift für Missionwissenschaft – Nouvelle Revue de Science missionnaire
46(2), pp. 81-98, 46(3), pp. 176-187.
Donneurs ou preneurs, quelques réflexions sur le jeu des transferts culturels entre Chinois, Turcs
et Mongols, in R. Dor (dir.) L’Asie centrale et ses voisins. Influences réciproques (Paris, Inalco, Colloque
Langues’O), pp. 165-180.
In memoriam le R.P. Joseph Van Hecken (Ho Ko-nan 賀歌南), C.I.C.M. (18 sept. 1905 - 31 août 1988),
mongolisant, sinologue, missiologue, Monumenta Serica 39, pp. 325-350.

1991
Les sanctions et les peines chez les Mongols, in La Peine / Punishment, Quatrième partie, Mondes
non européens/Non European Worlds (Bruxelles, De Boek Université, Recueils de la Société Jean
Bodin pour l’histoire comparative des institutions 58), pp. 242-293.

1993
Co-édition des Cahiers d’études sur la Méditerranée orientale et le monde turco-iranien 16, numéro
spécial Istanbul Oulan-Bator. Autonomisation, mouvements identitaires, construction du politique,
pp. 135-204.
En collaboration avec J. Coussy & S. Vaner, Conclusion, Cahiers d’études sur la Méditerranée orientale
et le monde turco-iranien 16, pp. 351-372.
Renouveau gengiskhanide et nationalisme dans la Mongolie postcommuniste, Cahiers d’études sur
la Méditerranée orientale et le monde turco-iranien 16, pp. 137–203.
La Mongolie, et, L’époque de Zanabazar, in G. Béguin & D. Dashbaldan (dirs) Trésors de Mongolie,
XVIIe-XIXe siècles. Musée national des Arts asiatiques – Guimet, Paris, 26 novembre 1993-14 mars 1994 (Paris,
RMN), pp. 14-17 ; pp. 18-55, 238-239.

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


192

Co-édition, avec contributions, Au Pays sacré des anciens Turcs. Exposition du Musée Guimet consacrée
à H. de Bouillane de Lacoste (Paris, RMN).
Réédition de « Bouriates », in Encyclopaedia Universalis, 4 e éd., vol. 4, pp. 455-456.
Écrits récents sur le Tibet et les Tibétains. Bibliographie commentée (Paris, Fondation nationale des
Sciences politiques, Les Cahiers du CERI 6).
Contacts interethniques et notion d’ethnicité en République populaire de Chine, Revue
bibliographique de Sinologie 11-12, pp. 151-152.

1994
La Mongolie des premières années de l’après-communisme : la popularisation du passé national
dans les mass media mongols (1990-1995), in M.-D. Even (coordin.), Actes de la 37 e P.I.A.C.,
Conférence internationale permanente des études altaïques, Chantilly, 20-24 juin 1994, Études mongoles et
sibériennes 27, pp. 305-326.
Réédition, avec mise à jour, « Kalmouks », in Encyclopaedia Universalis, 4 e éd., vol. 13, pp. 248-249
Réédition, avec mise à jour, « Mongolie (histoire) », in Encyclopaedia Universalis, 4 e éd., vol. 15,
pp. 656-678.
Réédition, avec mise à jour, « Mongolie (République mongole) », in Encyclopaedia Universalis,
4e éd., vol. 15, pp. 678-684.

1995
À propos des Kalmak ou Sart-Kalmak de l’Issyk-kul’, Études Orientales 15-16, pp. 73-79 ; traduction
adaptée de l’article de N. L. Zhukovskaya, Les Kalmak de l’Issyk-kul’, pp. 80-92 (repris de Études
mongoles 16, 1985).
Réédition, avec mise à jour, « Oirat », in Encyclopaedia Universalis, 4 e éd., vol. 16, pp. 820-821.

1996
La Mongolie des premières années de l’après-communisme : la popularisation du passé national
dans les mass media mongols (1990-1995), Études mongoles et sibériennes 27, pp. 305–326.
Systèmes religieux et para-religieux en Chine et en Asie centrale (quelques publications,
1991-1995), Archives de Sciences Sociales des religions 93, pp. 129-158.
Reconstructions et langues voisines, Revue bibliographique de Sinologie 14, pp. 303-304.

1997
Sagesse des anciens, sagesse des enfants dans les steppes mongoles, in F. Blanchon (dir.) Enfances
(Paris, Presses universitaires de Paris-Sorbonne, Asie 4), pp. 95-113.
Komünizm sonrası Moğolıstan’da Milliyetçilik ve Cengiz Hancı yenilenme [traduction turque de
l’article : Renouveau gengiskhanide et nationalisme dans la Mongolie postcommuniste, Cahiers
d’études sur la Méditerranée orientale et le monde turco-iranien 16, 1993], in S. Vaner (dir.), Unutkan
Tarih Sovyet Sonrası Türkdili Alan (Istanbul, Metis Yayınları), pp. 135-202.

1998
Ou Falan 欧法蘭, Faguodi mengguxue yanjiu, 1949-1995 nian 法國的蒙古學研究 [Les études
mongoles en France, 1949-1995], in J.-P. Drège (dir.) Faguo dangdai zhongguo-xue 法國當代中國學
[Cinquante ans d’études chinoises en France] (Beijing, Éditions de l’Académie des Sciences sociales),
pp. 419-452. Article repris dans Mengguxue xinxi 蒙古學信息 [Nouvelles des études mongoles],
1998(1), pp. 26-43.

1999
Quelques aperçus sur la mort dans le catholicisme des Chinois et des Mongols ( XIXe-première
moitié du XXe siècle), in P. Servais (dir.) La Mort et l’au-delà. Une rencontre de l’Orient et de l’Occident
(Louvain-la-Neuve, Academia Bruylant, Rencontres Orient-Occident), pp. 197-239.
Young Fr Mostaert’s Forerunners, in K. Sagaster (dir.) Antoine Mostaert (1881-1971), C.I.C.M.
Missionary and Scholar, vol. 1, Papers, (Louvain, Ferdinand Verbiest Foundation, Louvain Chinese

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


193

Studies 4), pp. 31-45.


Une colonie étrangère d’un type nouveau à Oulan-Bator et dans les environs (1 re partie). Les
prêtres et religieuses catholiques, Anda 32, pp. 2-5.
Une colonie étrangère d’un type nouveau à Oulan-Bator et dans les environs (2 e partie). Les
mouvements chrétiens non catholiques, Anda 33-34, pp. 5-6.
Critères d’appréciation des chevaux dans la tradition des nomades mongols, in Le Cheval en
Eurasie. Pratiques quotidiennes et déploiements mythologiques (Paris, L’Harmattan, Eurasie 8),
pp. 65-86.

2000
Quelques échos des prêtres chinois dans les missions de Scheut (Mongolie-Intérieure et Chine
occidentale), dix-neuvième – vingtième siècles, in K. De Ridder (dir.), Footsteps in Deserted Valleys.
Missionary Cases, Stategies and Practice in Qing China, (Louvain, Leuven University Press/Ferdinand
Verbiest Foundation, Louvain Chinese Studies 8), pp. 161-184.
L’enquête sur le terrain par excellence : missionnaires de Scheut et études mongoles, Anda 39,
pp. 10-12.
The Turco-Mongol Period, in M. A. Al-Bakhit, L. Bazin & S. M. Cissoko (dirs), History of Humanity,
Scientific and Cultural Development, vol. 4, From the Seventh to the Sixteenth Century (London/New-
York/Paris, Routledge/UNESCO), pp. 286-288.

2001
Mongolie d’autrefois. Premières observations des missionnaires catholiques de Scheut en
Mongolie-Intérieure (1871), Anda 40, pp. 18-20.

2002
Le déplacement absolu : le pastoralisme nomade des Mongols, in F. Blanchon (dir.), Aller et venir.
Faits et perspectives (Paris, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, Asie 6-7), pp. 331-348.
En collaboration avec Roberte Hamayon, Alexandre, César et Gengis-khan dans les steppes d’Asie
centrale, in Les civilisations dans le regard de l’autre. Actes du colloque international, Paris, 13 et 14
décembre 2001 organisé conjointement par l’UNESCO et l’École pratique des Hautes Études, EPHE, dans le
cadre de l’Année des Nations Unies pour le dialogue entre les civilisations (Paris, UNESCO, Dialogue entre
les civilisations), pp. 73-106, 262-269.
Interrogation sur les droits humains : le cas de la Mongolie post-communiste, in T. Marrès &
P. Servais (dirs), Droits humains et valeurs asiatiques. Un dialogue est-il possible ? (Louvain-la-Neuve,
Academia Bruylant, Rencontre Orient-Occident 5), pp. 143-175.
Quand les mots racontent les objets. À propos du coussin et du contre-quartier de la selle
mongole, Acta Orientalia Hungarica 55(1-3), pp. 29-41.

2004
Some Characteristics of Penal Legislation among the Mongols (13 th-21st Centuries) », Central Asian
Law : An Historical Overview. A Festschrift for the Ninetieth Birthday of Herbert Franke, W. Johnson & I.F.
Popova, eds, Lawrence (Ks) : Society for Asian Legal History, pp. 119-151.
Le Japon en terre d’islam chinois et au pays de Gengis-khan (fin XIXe siècle – début XXe siècle), in
Le Japon et l’islam. L’islam au Japon. Études orientales 21-22, pp. 36-79, 80-87.

2005
In Memoriam. Walther Heissig (5 déc.1913-5 sept.2005), Études mongoles & sibériennes,
centrasiatiques & tibétaines 36-37, pp. 464-469 [en ligne, URL : https://emscat.revues.org/1015,
consulté le 29 novembre 2017].

2006
« Reflections on the Fletcher Legacy. The 2006 Joseph Fletcher Memorial Lecture » (Conférence à
Harvard, 26 octobre 2006, Inner Asia and Altaic Studies PhD Committee).

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017


194

2008
« Rambling Reflections on Mobility and Governability of Religious Phenomena and Systems in
Inner Asia » (Conférence Mobility and Governability in Central Asia, à UCLA, 15 octobre 2008)
« Law and colonial policies. Mongolian Penal Law and Sino-Manchu Control » (Conférence à USC,
20 octobre 2008).

2009
Written and Customary Law among the Mongols, in S. N. Katz (dir.) Encyclopaedia of Legal History
(Oxford, Oxford University Press).
La loi, témoin de la vie. Les biens du nomade dans le droit pénal mongol ( XVIe-XVIIIe siècles,
Zentralasiatische Studien – Festschrift Veronika Veit 38, pp. 21-52.

2010
To Impress the Seal. A technological Transfer, in I. Charleux, G. Delaplace & R. Hamayon (dirs),
Representing Power in Ancient Inner Asia. Legitimacy, Transmission and the Sacred (Bellingham,
Western Washington University, Centre for East Asian Studies), pp. 159-207.
President Sambuu’s Funeral in 1972, appendix to G. Delaplace, Marshall Choibalsan’s Funerals, in
I. Charleux, G. Delaplace & R. Hamayon (dirs), Representing Power in Ancient Inner Asia. Legitimacy,
Transmission and the Sacred (Bellingham, Western Washington University, Centre for East Asian
Studies), pp. 117-122.
Préface, in L. Gardelle, Pasteurs nomades de Mongolie : des sociétés nomades et des États (Paris, Buchet-
Chastel), pp. 13-16.

2011
Sinor Denis (17 avril 1916-12 janvier 2001), Études mongoles & sibériennes, centrasiatiques & tibétaines
36-37, pp. 464-469 [en ligne, URL : https://emscat.revues.org/1948 consulté le 29 novembre 2017].

2012
Jeux, fêtes et loisirs chez les nomades. Le cas de la Mongolie au cours du XXe siècle, Anthropos
107(1), pp. 87-102.
Patrimoine artistique et réécriture du passé dans la Mongolie du XXe siècle, Anthropos 107(1),
pp. 467-479.

2013
En collaboration avec I. Bianquis & S. Dulam, Le chien et la belle fille, in K. Buffetrille, J.-
L. Lambert, N. Luca & A. de Sales (dirs), D’une anthropologie du chamanisme vers une anthropologie du
croire. Hommage à l’œuvre de Roberte Hamayon, Études mongoles & sibériennes, centrasiatiques &
tibétaines hors-série (Paris, CEMS/EPHE), pp. 303-321.

2015
En collaboration avec A. B. Bagader, Vues sur les Tatars de la Volga (Paris, L’Harmattan).

NOTES
1. Citons en particulier le n° 16, dans lequel Françoise Aubin présente le Père Henry Serruys, et
édite six de ses articles à titre posthume.
2. Elle y est stagiaire dès 1954, attachée de recherche de 1959 à 1966, chargée de recherche de
1966 à 1975, directeur de recherches de 1975 à 1997, puis directeur de recherches émérite de 1997
à 2006.
3. Pour sa bibliographie jusqu’en 2009, voir Miscellanea Asiatica.
4. En 1985, elle avait reçu à l’ambassade de Mongolie la médaille de l’Amitié Nairamdal.
5. https://emscat.revues.org/1015, consulté le 29 novembre 2017.

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 48 | 2017

Vous aimerez peut-être aussi