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LE MYSTÈRE

BIELSA
ROMAIN LAPLANCHE
Avant-propos

« Pour former, créer et fédérer, Marcelo fait sans doute partie des
tout meilleurs entraîneurs au monde. » Fan de Marcelo Bielsa bien
avant qu’il fasse des miracles avec l’Athletic Bilbao, Gérard Lopez,
homme d’affaires luxembourgeois et nouveau propriétaire du Lille
Olympique Sporting Club depuis le 26 janvier 2017, avait déjà
rencontré l’entraîneur argentin. La première fois, c’était après l’un des
nombreux exploits basques cette saison-là (2011-2012) : l’élimination
de Manchester United en huitièmes de finale de la Ligue Europa. Les
deux hommes parleront de tout et de rien avec la promesse de se
réunir autour d’un projet commun : relancer un club espagnol de
deuxième division. Quelques années plus tard, c’est en fait dans le
nord de la France que les deux hommes vont se retrouver avec pour
objectif de rendre ses lettres de noblesse au LOSC.
L’arrivée de Bielsa au domaine de Luchin, le centre d’entraînement
du club nordiste, est déterminante pour le projet « LOSC Unlimited »,
porté par un Gérard Lopez qui veut développer le club autour d’un
modèle économique et sportif tourné vers la mise en valeur de la
formation et de la post-formation avec le principe d’achat-revente.
Schématiquement, il faut former des joueurs de talent et négocier au
mieux leur vente au moment de leur départ. C’est bien ce challenge
qui motive Bielsa. Que ce soit au Newell’s, à l’Atlas, à Vélez, en
sélections (argentine et chilienne), à l’Athletic Bilbao ou à
l’Olympique de Marseille, l’Argentin a toujours voulu créer,
développer et transformer. Pour lui, gérer, c’est l’ennui. Façonner, c’est
exister.
Bielsa aime le défi, agir dans l’ombre des puissants pour mieux les
surprendre. À Barcelone, il entraîne l’Espanyol, pas le Barça
dominant. Il refuse le Real Madrid pour entraîner plus tard l’Athletic
Bilbao au détriment de l’Inter Milan. En Amérique du Sud, après
avoir pris en main la sélection de son pays, l’Argentine, il opte pour la
sélection chilienne, alors dans une profonde dérive footballistique et
morale. Et en France, il choisit l’OM, rival du puissant Paris Saint-
Germain sous pavillon qatari. Le Chili est bien devenu une référence
du football sud-américain, l’Athletic Bilbao a disputé une finale
européenne, l’OM a sous sa direction réveillé le championnat de
France.
Désormais, le LOSC dispose d’une structure axée autour du
triumvirat Marcelo Bielsa – Luis Campos – Marc Ingla. Un formateur
hors pair, un dénicheur de talents spécialiste de l’achat-revente et un
fin stratège. Difficile de ne pas voir le duo Campos-Bielsa faire des
ravages en Ligue 1 dès lors que l’ancien directeur technique de l’AS
Monaco permettra au second de profiter de talents du calibre des
Fabinho, Bernardo Silva, Thomas Lemar ou Tiémoué Bakayoko qui
ont explosé en Principauté.
Depuis l’officialisation de son arrivée au LOSC, Marcelo Bielsa n’a
pas pris une seconde de repos. Lors de rencontres préliminaires avec
Marc Ingla (le directeur général), il lui présente l’intégralité de son
travail. « Je crois qu’aucun entraîneur au monde ne fait ça. C’est par
cette documentation et son esprit analytique qu’il est si fort et si
intense », confessera le Catalan à la presse. Les trois hommes
discutent tous les jours. De joueurs, de profils, de postes, de
potentiels. Des équipes de scouts sont disséminées à travers le monde
(80 % sur le marché français, 20 % à l’étranger) dans l’objectif de
recruter « des joueurs très riches techniquement, avec du caractère, et
intelligents », dixit Bielsa.
Gérard Lopez connaît bien l’Argentin. Il l’apprécie pour le style de
jeu qu’il défend autant que pour son éthique. Sa décision de faire
confiance au natif de Rosario est également un choix humain,
conscient que, malgré les enjeux du football contemporain et la quête
immédiate de résultats, l’aspect émotionnel joue un rôle énorme dans
le football. Avant d’accepter la proposition du président Lopez, Bielsa
a interrogé le Luxembourgeois sur l’idiosyncrasie lilloise – il avait
opéré de la même façon à Bilbao en se renseignant auprès d’un
journaliste de Marca, le grand quotidien sportif madrilène. Personne
n’imagine alors à quel point Bielsa va changer le paradigme d’un club
avec une si forte identité. Sûrement parce que celui que l’on
surnomme allègrement « El Loco » est un être bien plus complexe à
définir.
CHAPITRE I

De l’OM au LOSC

Rien ne laissait présager un tel dénouement. Aucun signe avant-


coureur n’avait permis de penser une seconde au cataclysme qui
s’annonce. Jusque-là, Marcelo Bielsa avait passé son mois de juin à
travailler. À l’orée de la saison 2015-2016 de Ligue 1, l’OM de Bielsa
reste même sur un succès de prestige, en amical, dans le cadre du
trophée Robert-Louis-Dreyfus face à la Juventus (2-0), finaliste
sortant de la Ligue des champions. Nous sommes le 8 août 2015,
l’Olympique de Marseille s’incline à domicile face au Stade Malherbe
de Caen (0-1) dès la première journée du championnat. Comme
après chaque match, café en main, Marcelo Bielsa se présente en salle
de presse pour répondre aux journalistes. Il analyse brièvement la
défaite avant de faire une annonce-choc.
« J’ai une annonce à faire. Je viens de démissionner de mon poste
de l’Olympique de Marseille […]. J’ai donné ma démission au club à
travers une lettre que j’ai remise au président avant de venir parler
avec vous. Je voulais la rendre publique pour expliquer ma décision. »

Lettre de Marcelo Bielsa à l’adresse de Vincent Labrune,


président de l’Olympique de Marseille
Monsieur Labrune,
Je vous communique aujourd’hui que je ne continuerai pas à
être l’entraîneur de l’Olympique de Marseille. Je voudrais vous
expliquer les motifs de mon départ. Je rendrai publique cette
lettre parce que je considère qu’il est nécessaire d’expliquer ma
position de manière identique à ce que je vous transmets. Si,
ensuite, vous voulez que nous donnions une conférence de presse
ensemble, je me joindrai à vous.
Ce que je vais dire correspond à ce qui s’est passé. Après une
série de rencontres aux mois de mai, juin et début juillet, nous
avons réussi à trouver un accord sur les aspects de la
prolongation, pour les saisons 2015-2016 et 2016-2017, du
contrat qui s’était terminé le 1er juillet 2015.
À ces rencontres, en plus de vous-même [Vincent Labrune] et
moi-même, ont participé MM. Philippe Perez [le directeur
général] et Luc Laboz [le directeur général adjoint]. Tout était
clair pour qu’aucun des points considérés ne soit revu plus tard.
Il ne manquait plus que la signature.
Depuis mi-juillet, avec tous les membres du staff, nous
travaillons ensemble, même si la relation n’a pas été définie de
façon officielle ; il ne manquait que les contrats écrits. Mercredi
dernier, j’ai été convoqué par le directeur général, Philippe Perez,
pour une réunion à laquelle a également participé l’avocat Igor
Levin, représentant de Margarita Louis-Dreyfus.
Le directeur général appartient à l’administration dont vous
êtes le président et l’avocat participait pour la première fois à ce
sujet. Ils m’ont informé qu’ils voulaient changer quelques points
au nouveau contrat, à l’accord que nous avions déjà trouvé et
tous deux m’ont dit qu’ils avaient le pouvoir et la représentativité
nécessaires pour assumer les positions qu’ils allaient me
transmettre.
Nous avons lu tous les points de l’accord précédent. J’ai pris
en compte tous les changements qu’ils voulaient introduire dans
ce contrat et en regardant les points qui ne devaient pas être
modifiés, je n’ai négocié avec personne, j’ai seulement écouté et,
après cette réunion, j’ai pris la décision que je suis en train de
vous expliquer. Même si je pense que vous ne le vouliez pas, ce
qui s’est passé fait partie de votre aire d’autorité et je ne sais pas
si vous avez consenti ou ignoré.
Comme vous le savez, j’ai refusé plusieurs offres importantes
parce que je voulais rester à Marseille. Je ne le regrette pas, car je
l’ai fait avec beaucoup d’enthousiasme et j’étais très attiré par ce
projet. Je me suis adapté aux variations constantes du plan
sportif, mais après trois mois de discussion et à deux jours du
début de la compétition officielle, je ne peux pas accepter la
situation d’instabilité qu’ils ont générée en voulant changer le
contrat.
Ma position est donc de ne pas continuer de travailler avec
vous, elle est définitive. Le travail en commun exige un minimum
de confiance que nous n’avons plus ; je ne voulais pas toucher la
préparation du match contre Caen, voilà pourquoi j’ai attendu
avant de divulguer cette lettre. S’il y a des choses légales à voir
avec mon départ, je vous assure être à votre disposition pour les
résoudre de manière juste et je sollicite ma participation directe à
ce sujet.
Je vous remercie d’avoir pensé à moi pour diriger l’Olympique
de Marseille, j’ai travaillé avec de grands footballeurs et j’ai pu
profiter de l’inoubliable Vélodrome et de son public. Je vous
salue,
Marcelo Bielsa

Après avoir exprimé en quelques mots les raisons de sa démission


à travers cette lettre, le technicien argentin continuera de se confier
plus en détail lors de sa conférence de presse d’après-match. « Je vais
vous dire quelque chose, peut-être que vous ne me croirez pas. J’ai
mis toute ma détermination pour continuer à l’OM. Quand je n’étais
pas à Marseille, j’étais en Argentine. On a interprété que j’étais en
vacances et que je ne faisais pas mon travail pour l’équipe. Mais
pendant ces trois semaines, j’ai observé trente joueurs à raison de
quinze matchs par joueur. Je ne l’ai pas fait seul, j’ai eu de l’aide, avec
des résumés notamment, et j’ai toujours travaillé en pensant que
j’allais continuer ici, car c’est ce que je voulais. Nous avions trouvé un
accord même si le club a le droit de changer d’opinion. Moi, j’ai
également le droit de prendre la décision que je prends, sachant que
des changements voulaient être faits à partir d’un accord qu’on avait
déjà trouvé. Je n’ai aucun problème avec le président ou avec le club.
Simplement, quand des conditions déjà établies évoluent, cela altère
la confiance mutuelle. Je n’ai rien à reprocher au club et je n’ai rien à
reprocher à ma décision et à ma conduite. […] Je ne pars pas d’ici
pour aller autre part. Je n’ai parlé avec personne. C’est très simple : il
y avait un accord et les conditions ont été modifiées. Des
modifications que je n’ai pas acceptées, ni même le procédé. Je ne dis
pas que c’est mal. Ce que je dis, c’est que pendant deux mois un
accord a été négocié puis finalement trouvé et comme le dit le
communiqué, il y a trois jours, quand je pensais aller lire et signer les
documents, au lieu de ça, il était question de revenir sur un accord
déjà trouvé. J’ai juste écouté, je n’ai négocié avec personne, j’ai noté
les changements proposés et demandé s’ils avaient l’autorité du club
pour ces changements, ils m’ont dit que oui. J’étais avec le directeur
général du club (Philippe Perez) et l’avocat qui représentait
l’actionnaire du club (Igor Levin), et je ne voulais pas accepter ces
changements et surtout le procédé. Il n’y a rien de mal à prendre la
décision que je vous ai transmise lorsque des changements sont faits
de cette manière. »
C’est ainsi que son passage à l’OM se termine. Dans la stupeur et
la désillusion. Bielsa repartira chez lui à Rosario et n’ira rejoindre ni
la sélection mexicaine ni la sélection chilienne (après la démission de
Jorge Sampaoli, il refusera via un émissaire la proposition de la
Fédération chilienne de football présidée par Arturo Salah).

Dès lors, ses apparitions publiques seront limitées et les


informations à son sujet plus éparses. On sait qu’il a passé son dernier
week-end du mois de septembre 2015 à voir ses proches. Le
25 septembre au soir, vêtu d’un tee-shirt bleu et d’une veste brune, il
est aperçu dans un gymnase à l’occasion d’un match de basket du fils
d’un de ses amis qui joue pour le club de Temperley. Le lendemain, en
fin de journée également, il assiste à une rencontre féminine de
hockey sur gazon à laquelle participe sa fille aînée, Inés. Une
démarche qu’il réitérera les 6 août et 5 novembre 2016 pour la voir
disputer la finale du Tournoi du littoral du rio Paraná dans la
province de Santa Fe.
À vrai dire, voir sa fille jouer au hockey a toujours été une
habitude pour l’Argentin. Alors qu’il vient de perdre son poste
d’entraîneur de l’Athletic Bilbao, il se réfugie chez lui en août 2013 à
Rosario avec sa famille et en profite pour aller la voir jouer, non sans
anxiété. Studieux, il ne peut s’empêcher de prendre des notes et
n’hésite pas à échanger longuement avec un préparateur physique de
l’équipe adverse à l’issue de la rencontre. Alors qu’il est occupé à se
concentrer pour analyser le match au mieux, les fans sont priés
d’attendre la fin du match pour toute sollicitation.
Fin septembre 2015, Bielsa se rend également à Bella Vista, lieu
du centre d’entraînement du Newell’s Old Boys, pour voir l’avancée
des travaux d’un projet tout personnel : un hôtel destiné aux mises au
vert des joueurs professionnels du club.
C’est une idée de Marcelo Bielsa mise en œuvre et présentée par
sa sœur María Eugenia au président du club rojinegro Guillermo
Lorente en mars 2013 et que Bielsa n’a jamais lâchée. Le 15 octobre
2014, alors que l’Argentin est l’entraîneur de l’Olympique de
Marseille, le quotidien argentin Clarín fait savoir que Bielsa a investi
la somme de plus de deux millions d’euros pour développer le projet.
« Marcelo a tenu compte de tout ce qu’il a gagné dans sa carrière
d’entraîneur et il pense qu’une partie de cette réussite est due à ses
premières années. Cet argent est destiné au Newell’s qui l’a formé et
grâce auquel il est devenu professionnel », déclarera sa sœur. Un don
synonyme de reconnaissance. Comment Bielsa a-t-il procédé ? Avant
de promouvoir le plan auprès de la municipalité, l’Argentin consulte
Lucas Bernardi et Gabriel Heinze sur les équipements et la
fonctionnalité de l’idée. Compte tenu de la large expérience du
football européen de ces deux anciens joueurs, l’entraîneur de l’OM
veut s’assurer que le projet est en phase avec ceux des équipes
européennes.
Au début des travaux, Bielsa fait un premier versement de
500 000 dollars, et à mesure de l’avancée il livre les fonds nécessaires
pour éviter les interruptions de chantier. Bielsa a posé plusieurs
conditions : que son nom ne soit pas dévoilé, que l’édifice soit
moderne, austère, durable, d’un entretien peu coûteux, et que le club
prenne en charge l’équipement des installations, y compris les
chambres. Sur sa première exigence, les dirigeants ont fait leur
possible : ils n’ont pas nommé Marcelo comme l’instigateur du projet
et se sont réfugiés derrière les termes « d’anciens entraîneurs et
d’anciens joueurs » pour livrer les informations aux socios. L’hôtel (qui
comprend salles à manger et une cuisine au premier étage ; un
auditorium, une salle vidéo, des bureaux pour le staff technique et
une salle de jeux au deuxième étage ; et les chambres aux deux
derniers étages) sera baptisé du nom de son mentor, Jorge Griffa.

Toujours sans club quelques mois après son départ de l’OM,


l’Argentin ne se coupe pas pour autant du monde. Il continue de
voyager. Ainsi, on le revoit le 9 novembre 2015 dîner dans un
restaurant en plein cœur d’un centre commercial de Montevideo en
Uruguay. Deux mois plus tard, le 13 janvier 2016, il ira en touriste
visiter le siège du club brésilien du Grêmio Porto Alegre avant qu’on
ne le voie prendre le café, le 22 mars, affûté comme rarement, dans
une brasserie près de chez lui, à Villa Constitución, à 55 kilomètres
de Rosario.
Ce n’est que quelques mois plus tard qu’on disposera de nouvelles
informations sur son avenir. Selon plusieurs sources, Marcelo Bielsa
serait en contact avec le club italien de la Lazio. Le soir du 15 juin
2016, le secrétaire général du club romain, Armando Calveri, est
aperçu à un aéroport de Rome près de la zone d’enregistrement de la
compagnie aérienne Alitalia pour un vol en direction Buenos Aires, et
ce afin de négocier avec Bielsa à Rosario.
Le mercredi 6 juillet, après plusieurs semaines d’attente,
l’information devient officielle : Marcelo Bielsa est le nouvel
entraîneur de la Lazio pour la saison 2016-2017. « Le club a déjà
déposé le contrat de M. Marcelo Bielsa et de ses collaborateurs »,
précise le communiqué officiel du club. Dans l’après-midi, la ligue
confirme que le contrat signé lui a bien été déposé. Le technicien
argentin est attendu à Rome le 9 juillet. Seulement, dans la matinée
du 8 juillet, retournement de situation : « Nous prenons acte avec
stupeur de la démission de M. Marcelo Bielsa […] en violation des
engagements pris et des contrats signés la semaine dernière et
déposés auprès de la Ligue et de la Fédération italienne de football »,
relate le communiqué officiel de la Lazio. Bielsa a appelé le club dans
la nuit pour lui signifier qu’il ne viendrait plus à Rome. Ses raisons, il
les livrera le soir même du 7 juillet dans un communiqué limpide :
« Nous avons pris cette décision car, après quatre semaines de travail
en commun avec vous, nous n’avons pu signer aucune des sept
arrivées prévues dans le programme de travail expressément accepté
par le président, M. Claudio Lotito. En considérant également le
départ de dix-huit joueurs présents la saison dernière, l’arrivée des
recrues était nécessaire pour être en accord avec les plans prévus. Il
était convenu, comme condition indispensable pour la mise en œuvre
du programme de travail, de l’arrivée d’au moins quatre joueurs
avant le 5 juillet avec l’objectif qu’ils puissent participer au travail de
la présaison. À la date fixée, aucun joueur n’est arrivé. »
Outre les poursuites juridiques engagées par le club romain à
l’encontre du technicien argentin, le lendemain, le directeur sportif
Igli Tare confiera : « Lorsque nous nous sommes rencontrés, Bielsa
nous a présenté un dossier très complet et approfondi concernant la
Lazio. Il nous a dit qu’il avait visionné cinq matchs de chaque joueur,
y compris ceux de la Primavera (l’équipe de jeunes). Cela m’a
impressionné. »
Par cet épisode, Bielsa veut anticiper les déconvenues semblables
à celles du fonctionnement l’OM durant le mercato d’été 2014. Selon
des sources argentines, Bielsa aurait appelé cinq clubs que la Lazio
devait contacter afin d’entamer des discussions pour certains joueurs,
et il aurait appris qu’aucun de ces clubs n’avait été approché.
Quelques jours plus tard, le 27 juillet, il refuse de prendre le poste de
sélectionneur de l’Argentine laissé vacant après la démission de
Gerardo Martino le 5 juillet.
Après cet été agité, le 3 octobre 2016, Marcelo Bielsa réapparaîtra
de manière beaucoup plus officielle et solennelle en participant aux
Pays-Bas au congrès Aspire 4 Sport, dans le cadre du sommet mondial
sur la science et la performance dans le football. Bielsa est là pour y
donner deux conférences. Sur la pelouse de l’Amsterdam Arena, ce
lundi 3 octobre, sous les yeux de Carles Puyol et Xavi, il présente les
grandes lignes de sa philosophie de jeu et son programme de
formation sur lequel il travaille depuis longtemps. « Ça fait vingt-cinq
ans que je construis un programme pour former des footballeurs »,
énonce-t-il. Il décèle ainsi deux périodes clés de cinq ans chacune
dans la formation d’un footballeur : celle de 8-9 ans à 12-13 ans et
celle de 13-14 ans à 17-18 ans. Des jeunes voués à apprendre un
certain style de jeu puisqu’il s’agit du premier paramètre que l’on
définit selon lui. Mais comment définir un style de jeu ? Différents
éléments permettent de le déterminer (cf. annexe), parmi lesquels : le
choix du système tactique, le choix des joueurs (« je rêve de diriger
une équipe où autrui ne saurait différencier qui est l’attaquant, le
défenseur et le milieu de terrain »), le système de compensation des
attaquants sur le front de l’attaque, l’importance de la récupération
du ballon et de la possession du ballon ainsi que les méthodes
d’entraînement qui aident à jouer en accord avec la façon de jouer
souhaitée.
L’occasion pour lui de désigner en passant sa principale inspiration
(en dehors de Johan Cruyff et Jorge Griffa) : Louis Van Gaal. « J’ai vu
plus de deux cents matchs dirigés par Van Gaal. C’est la plus grande
référence que j’ai pu connaître dans ma formation », admet-il. Une
affirmation corrélée par Jed Davies dans son ouvrage The Philosophy
of Football – In shadows of Marcelo Bielsa, convaincu que Marcelo
Bielsa a regardé la finale de la Ligue des champions 1995 entre l’Ajax
et l’AC Milan à maintes reprises. Pourquoi ? Par la symétrie qu’il a
observée entre « le système de jeu utilisé par l’Ajax ce soir-là et la
liberté anticonformiste que Marcelo Bielsa a appliquée dans le
positionnement de ses équipes avec la sélection chilienne et l’Athletic
Bilbao », écrit-il. Par ailleurs, cette reconnaissance de Bielsa envers
l’entraîneur néerlandais signifie en substance qu’il n’a rien inventé ni
rien révolutionné. « Tout ce que je vous dis aujourd’hui, je l’ai appris
d’autres personnes, affirme l’Argentin. Je n’ai rien créé, je l’ai copié.
Tout ce que contient le programme que je vous propose, ce sont des
copies des réponses apportées aux problèmes inhérents à la difficulté
de jouer au football. » Au fil de sa conférence, le ton devient plus
didactique. Il démontre et explique ses schémas, ses principes. Les
aspects offensifs du jeu (passes, dribbles, démarquages, centres,
coups francs) comme défensifs (gestes techniques pour la
récupération du ballon, coordination défensive positionnelle, hors-
jeu, pressing). Comment s’effectue la réduction d’espaces entre les
lignes, comment trouver la profondeur, comment occuper de manière
proportionnée le terrain et comment exploiter la supériorité
numérique défensive adverse et le déplacement latéral du bloc-
équipe. Les solutions ? Elles sont multiples. Le dribble (« ce qu’il y a
de plus important dans le football », selon lui), la passe entre les
lignes, les longues passes depuis l’axe du terrain et les renversements.
Il édicte aussi qu’il y a quatre façons possibles pour former une ligne
de trois défenseurs comme il y a quatre façons possibles de former un
duo d’attaquants. Il n’y a ni trois, ni six, ni sept, mais cinq façons de
se démarquer : 1. le décrochage ; 2. l’appel en profondeur ; 3. l’appel
sur les côtés ; 4. le contra anticipo (la capacité du joueur offensif à
surprendre son défenseur au moment de la prise de balle) ; 5. l’appel
dans le dos de la défense après un appel/contre-appel de l’attaquant.
Par ailleurs, dans son idée d’exploiter les espaces réduits, il met le
doigt sur l’importance d’autant plus grande de la passe et notamment
de la coordination indispensable entre le passeur et son destinataire.
Une alchimie qui se résout durant les cinq années de formation. Ainsi,
une passe verticale ne s’effectue pas de face, mais de façon oblique
pour un joueur en mouvement afin que le destinataire puisse voir à la
fois le ballon, son coéquipier et la surface adverse parce que « le
joueur doit toujours voir le jeu ». Enfin, il y a, selon lui, trois
manières différentes de combiner : la passe, le une-deux et le
principe du troisième homme, soit le moyen de parvenir à trouver
l’homme libre dans le déroulement du jeu en triangle (avec comme
variantes divers dédoublements).
Après avoir exposé les fondements de son football, le lendemain,
mardi 4 octobre, sous les yeux de l’ancien international argentin Juan
Sebastián Véron cette fois, il entre au cœur de sa vision tactique et
l’expose à tous : ses systèmes, les adaptations constantes à
l’organisation adverse et l’importance de posséder des joueurs
polyvalents. Pour Bielsa, la capacité du joueur à occuper plusieurs
postes est un élément central de son idée du football. « À partir des
positions fixes, les joueurs se déplacent sur les côtés ou dans l’axe
suivant leur position initiale. La mobilité des joueurs sur le terrain
engendre, naturellement, qu’ils occupent – au moins – trois autres
postes pendant un match en dehors de leur position initiale. C’est le
propre de la dynamique du jeu, explique-t-il. Parce qu’ils s’adaptent
aux déplacements de l’adversaire qu’ils doivent prendre au marquage
et en raison de la dynamique du jeu offensif. […] Se pose une
question, celle de la “polyfonctionnalité”. Les joueurs n’occupent plus
qu’une seule position, mais respectent un rôle. Ils tiennent un rôle
principal prédominant, mais la dynamique du jeu leur demande une
polyvalence, une diversité. Attaquer et défendre. » Une notion que le
défenseur Rod Fanni expérimente de manière empirique à
l’Olympique de Marseille lors de la saison 2014-2015. « Bielsa nous a
fait comprendre quelque chose de très spécial : on apprenait plusieurs
postes. Je pouvais apprendre le jeu du défenseur central, du
numéro 6 et de l’arrière droit. Chaque joueur devait connaître trois
postes différents sur le bout des doigts. On pouvait se retrouver à des
postes complètement différents, mais savoir, tel un militaire,
comment réagir en fonction de telle situation sur les déplacements »,
confiera-t-il à SFR Sport. Puis Bielsa continue de passer en revue
l’ensemble de ses particularismes avec ce souci permanent d’être bien
compris devant un public acquis à sa cause.
Quelques semaines plus tard, le jeudi 15 décembre 2016,
l’Argentin se rend au Chili, dans la région d’Antofagasta pour d’autres
considérations. À la demande du prêtre jésuite Felipe Berríos, il passe
sa journée au bidonville La Chimba, l’un des plus pauvres, à l’extrême
nord de la région, où ledit prêtre vit et travaille depuis 2014 à la suite
d’un séisme de magnitude 8.8 sur l’échelle de Richter qui a touché les
côtes du pays le 27 février 2010. Très impliqué dans les causes
humanitaires (il a participé au téléthon local « Chile ayuda a Chile »
en mars 2010 à la suite du tremblement de terre pour venir en aide
aux sinistrés), Bielsa s’est lié d’amitié avec Berríos après l’avoir
accompagné lors d’une série d’initiatives au sein des villes les plus
touchées par la catastrophe qui a coûté la vie à plus de cinq cents
victimes et engendré un désastre tant humain que matériel.
Puis l’Argentin a retrouvé le chemin des terrains. Durant cet hiver
2017, Marcelo Bielsa est aperçu au sein d’une autre capitale
européenne : Paris. Après avoir assisté incognito à la victoire
historique du Paris Saint-Germain face au FC Barcelone (4-0) au Parc
des Princes pour le compte des huitièmes de finale aller de la Ligue
des champions, l’entraîneur argentin est remarqué au Camp des
Loges trois jours plus tard, le vendredi 17 février, pour assister aux
seizièmes de finale de la coupe Gambardella entre le Paris Saint-
Germain et Lille (3-1). Pressenti pour devenir l’entraîneur du LOSC
pour la saison 2017-2018, il est là en toute simplicité. Placé en face
de la tribune principale et accompagné de Diego Reyes, son
collaborateur le plus proche à l’Olympique de Marseille, il suit avec
attention la rencontre et se montre disponible et souriant quand il est
sollicité par quelques spectateurs. Dès le lendemain, on l’aperçoit à
Calais pour superviser la rencontre de CFA entre les Calaisiens et Lille
au stade de l’Épopée (4-1).
En réalité, sa présence en France semble prendre tout son sens
quand, le dimanche 19 février, le club lillois annonce à la mi-journée
sur son site officiel l’arrivée de l’Argentin pour les deux prochaines
saisons. « Marcelo Bielsa sera l’entraîneur du LOSC à compter de la
saison 2017-2018. Le club lillois et l’entraîneur argentin ont paraphé
un accord portant sur une collaboration de deux ans et qui prendra
effet le 1er juillet prochain. » Après son passage à l’Olympique de
Marseille, Bielsa est officiellement de retour en Ligue 1.
Une information qui ne l’empêche pas de poursuivre son travail
d’analyse et de détection en région parisienne au stade Auguste-
Gentelet de Fleury-Mérogis. Ce samedi après-midi 25 février, Marcelo
Bielsa est en tribune pour superviser la réserve du LOSC. Encore et
toujours.
Et alors que le printemps s’annonce à peine, son rythme de vie
change soudainement. Marcelo Bielsa est partout. Dans un rôle de
prédicateur, en trois semaines, on le trouve en France, au Brésil, en
Italie, au Chili. En Belgique à 11 heures, à Lille à 15 heures puis à
Angers à 20 heures. Le nouvel entraîneur du LOSC traverse le globe
pour prêcher la bonne parole. Décidé à s’investir au LOSC dès le mois
de juin, son temps est compté. L’Argentin est sollicité pour ses
connaissances techniques, ses préférences tactiques ou ses principes
philosophiques. Parfois seulement pour deux thèmes, sinon pour
l’ensemble de ses capacités.
Son marathon de sermons débute le lundi 8 mai, à Rio de Janeiro.
Pour la première conférence du colloque « Somos Futebol » (Nous
sommes le football) organisé par la fédération brésilienne (CBF),
Marcelo Bielsa est invité aux côtés du sélectionneur du Brésil, Tite, et
de l’entraîneur italien Fabio Capello. Au sommaire : « Techniques et
tactiques – Formation en clubs et en sélections pour un nouveau
football mondial. » Devant de nombreux acteurs du monde du
football, l’Argentin présente pendant une heure ses préceptes
tactiques, comme il l’avait fait à Amsterdam sept mois plus tôt. Seule
exception cette fois, il s’appuie sur l’organisation de la Seleção de Tite
pour expliciter son propos. S’ensuit un débat durant lequel Bielsa
explique ce qui différencie un joueur sud-américain d’un joueur
européen, met l’accent sur la nécessité pour tout joueur de garder son
esprit « amateur » (savoir souffrir dans la défaite, être capable
d’accepter l’erreur) pour être compétitif et remet en cause le rôle
pervers des médias dans le jugement de la performance. « Le procédé
éducatif le plus puissant dans la société, plus influent que la famille
et l’école. » Leur spécialité ? « Pervertir les êtres humains selon la
victoire ou la défaite. » À l’issue du séminaire, Capello et Bielsa
repartent chacun avec un maillot du Brésil avec leur nom floqué au
dos. Pas sûr que l’Argentin le mette de sitôt.
Quelques jours avant cet événement, le jeudi 4 mai, le quotidien
L’Équipe rapporte que, dans l’optique des entraînements biquotidiens
du LOSC, Bielsa a exigé du club quelques travaux d’aménagement du
domaine de Luchin. Un coin détente avec billard, un restaurant et des
chambres individuelles en préfabriqué sont prévus pour éviter que les
joueurs rentrent chez eux entre deux entraînements, et ce afin
d’optimiser la récupération. Le nouvel entraîneur du LOSC continue
de peaufiner ses plans.
Bielsa passe ensuite quelques jours sur le continent sud-américain.
Après son voyage au Brésil, l’Argentin ne va pas bien loin. Deux jours
après, il se décontracte quelques heures auprès de vieilles
connaissances, à Santiago du Chili. En plein cœur de la capitale
chilienne, il retrouve ses amis Humberto Cruz et Gabriel Aravena
(son ancien secrétaire personnel quand il était sélectionneur du Chili)
pour rendre visite à Fernando Saffie, ami et propriétaire d’un magasin
de sport, avant de regagner l’Europe.
Vendredi 12 mai, pour la première fois depuis l’officialisation de
l’arrivée de Bielsa au LOSC, l’équipe dirigeante sportive se rassemble
lors d’un petit-déjeuner à l’hôtel Pullman de Barcelone. La veille au
soir, Bielsa a dîné avec Luis Campos, en charge du recrutement du
club nordiste. Marcelo Bielsa, Gérard Lopez, Luis Campos et Marc
Ingla se sont retrouvés pour une réunion de travail en marge du
Grand Prix de Barcelone de Formule 1. Mais Marcelo Bielsa n’a pas eu
le temps d’admirer la victoire de Lewis Hamilton au volant de sa
Mercedes.
Après cet intermède studieux, l’Argentin continue sa tournée,
direction l’Italie, à Pérouse. Invité à l’occasion du festival
« Encuentro » de littérature hispano-américaine qui a lieu entre le
10 mai et le 14 mai, comme un symbole, Bielsa clot les festivités le
dimanche soir au Teatro della Sapienza après avoir accueilli des
musiciens, des acteurs, des designers et des écrivains parmi lesquels
Juan Gabriel Vásquez, Javier Cercas, Paco Taibo II ou Rosa Montero.
Pour l’événement, après avoir énoncé qu’il a vu plus de cinquante
mille matchs en trente ans, l’Argentin passe en revue l’intégralité de
ses principes. Justice, gestion de groupe, éducation, intégrité, sans
oublier les sentiments, comme l’anxiété. « Dans le milieu du football,
nous souffrons d’anxiété. L’anxiété est l’intolérance à l’attente du
déroulement des faits. On veut qu’ils passent et nous ne sommes pas
disposés à attendre. Et ce processus dégénère en angoisse parce que,
dans les différentes manières d’envisager les choses, on choisit le pire
scénario. Par conséquent, les anxiolytiques sont presque
indispensables. Il y en a de toutes sortes. L’assistance psychologique
est une manière de neutraliser l’anxiété, comme l’activité physique,
les substances chimiques, la pharmacologie, les exercices
respiratoires. Mais la meilleure des solutions, la plus efficace, c’est le
dévouement à la souffrance des autres. » Bielsa est également amené
à évoquer la relation indéfectible entre football et supporters. « Pour
moi, le supporter est irremplaçable, il donne des messages émotifs
très forts. Le lundi, les supporters ont les traces de ce qui s’est passé
le dimanche. […] J’ai connu au Mexique un Basque qui était exilé.
L’exil t’éloigne de tes lieux et c’est très douloureux. Il était un
spécialiste de la souffrance. Je lui ai demandé : “Quelle est la chose la
plus importante pour toi ?” “Être aimé sans condition”, m’a-t-il dit.
Voilà, le supporter est comme ça : il t’aime en échange de rien. J’ai lu
une phrase à Séville que j’avais du mal à comprendre au début : “Je
t’aime même si tu gagnes.” C’est-à-dire le refus de la récompense – la
victoire – pour augmenter le lien affectif. C’est-à-dire que même la
victoire ne compte pas, je t’aime en échange de rien. L’industrie du
football moderne a oublié le supporter. Il y a des sommes qui
devraient faire rougir de honte. » La solution pour Bielsa ?
« L’émotion. Voilà ce que doit ressentir le supporter. Si les joueurs ont
la responsabilité de pouvoir donner de l’émotion aux autres, alors ils
doivent être les premiers à la ressentir. Voilà le paradoxe : pour de
bons professionnels, il faut avoir l’appétit des amateurs. » Et,
évidemment, l’Argentin ne peut pas quitter les lieux sans parler de
jeu. « Si deux équipes s’affrontent en ne prenant aucun risque, il n’y a
pas de match. Et si s’affrontent deux équipes qui jouent en prenant
des risques, oui il y a un match. Parfois, je me dis à moi-même : “Je
préfère n’obtenir aucun point en essayant d’en obtenir trois, c’est-à-
dire en jouant, plutôt qu’en obtenir ne serait-ce qu’un sans avoir
envisagé la possibilité de gagner.” »
À peine six jours plus tard, l’Argentin est de nouveau sur le pont,
en Belgique, dans le Brabant flamand, à une vingtaine de kilomètres
à l’est de Bruxelles et à une centaine de kilomètres de Lille. « À
l’initiative de l’entraîneur hispano-belge Emilio Ferrera, qu’il a connu
au Mexique, et ex-numéro un à Louvain (D2 belge), mais aussi et
surtout de Chris Van Puyvelde, le directeur technique de la
Fédération belge », rapporte L’Équipe, Bielsa est présent en qualité
d’invité exceptionnel à un colloque sur le football et la formation.
Sur le même modèle de ses conférences précédentes à Amsterdam
ou à Rio, devant près de six cents personnes, principalement des
entraîneurs, il mettra un point d’honneur à être compris de tous.
Comme sur le choix du type de défense adopté dans la construction
d’un programme de travail. « Réduire les espaces est très facile, mais
apprendre à résoudre les problèmes d’un espace réduit est très
difficile », soutient-il. D’où la question : « Que privilégier ? Provoquer
l’erreur ou trouver la bonne réponse ? »
Il évoque de nouveau les dix systèmes de jeu à travers lesquels il
conçoit le football. Cinq systèmes à quatre défenseurs (4-2-3-1 ; 4-3-
3 ; 4-3-1-2 ; 4-2-4 ; 4-2-2-2) et cinq autres systèmes à trois défenseurs
(3-3-1-3 ; 3-4-3 ; 3-4-1-2 ; 3-3-4 ; 3-3-2-2). À Amsterdam, il avance
que tout autre système doit être « en dehors de toute considération »,
en précisant qu’une grande équipe se définit par sa capacité à utiliser
les dix systèmes avec les mêmes joueurs. « Il est très commun de dire
que toutes les équipes de l’institution doivent jouer avec le même
système de jeu. Je pense tout le contraire, confie-t-il à Affligem.
Toutes les équipes de l’institution doivent apprendre à jouer à travers
les dix systèmes durant les cinq années de formation. Parce qu’elles
doivent jouer à travers le même style, pas à travers le même système.
Par conséquent, les systèmes sont très peu importants et très peu
transcendants. » Avant d’ajouter un argument à sa démonstration :
les changements fréquents d’entraîneurs à l’échelon professionnel
affectent dans une moindre mesure des joueurs qui savent jouer à
travers différents systèmes de jeu.
Enfin, il remet également en avant l’importance de la formation.
Tout ne s’apprend pas, comme l’intuition du défenseur dans le
jaillissement, l’anticipation et d’autres aspects encore. « On peut
apprendre à faire une bonne passe, mais pas quelle est la meilleure
trajectoire. C’est instinctif. La prise de décision, la vision du jeu sont
difficiles à inculquer. Seuls 20 % des joueurs ont intrinsèquement ce
talent. Les autres, 80 %, doivent intégrer des schémas tactiques pour
reproduire ce qu’ils ne peuvent pas créer eux-mêmes. La mise en
œuvre des solutions s’apprend. Le jeu pose toujours de nouveaux
problèmes aux entraîneurs. »
Lundi 22 mai, 10 h 05, posé en haut des tribunes du terrain
d’honneur du domaine de Luchin, stylo et dossier en mains, il
contemple assidûment une séance d’entraînement avec les jeunes du
centre de formation du LOSC menée par Diego Reyes, entraîneur
adjoint, et Gabriel Macaya, préparateur physique. Le championnat de
France de l’exercice 2016-2017 vient à peine de s’achever que le
nouvel entraîneur lillois se met aussitôt au travail. Dès la matinée, il
observe pendant plus d’une heure une séance au cours de laquelle il
rencontre l’ex-entraîneur du club, Franck Passi, qu’il a côtoyé à
l’Olympique de Marseille lors de l’exercice 2014-2015, ainsi que Marc
Ingla, tous deux venus le saluer. L’Argentin revient le lendemain
matin, à 10 heures, avant de rencontrer les salariés du club à la mi-
journée et de procéder à sa conférence de presse de présentation aux
côtés de l’ensemble de l’état-major du club, Gérard Lopez, Luis
Campos et Marc Ingla. Marcelo Bielsa est officiellement l’entraîneur
lillois et bien décidé à créer quelques exploits.
CHAPITRE II

Entraîner, sa vocation

En 2000, alors sélectionneur de l’Argentine, Marcelo Bielsa donne


une conférence au colegio Sagrado-Corazon, le lycée où il a étudié
durant son adolescence. La condition de sa venue repose sur la non-
présence de la presse. Le secret restera entier jusqu’au dernier jour,
mais ses dires finiront par filtrer (relayés par le quotidien La Nación)
si bien qu’aujourd’hui, cette conférence a valeur d’archive. Devant des
adolescents âgés de 13 à 17 ans, il évoque les différentes faces de la
défaite, la relative importance accordée au succès, mais aussi ce qui
l’anime depuis ses premiers jours et ce qui le définit : le sport.
« Vivre oblige à hiérarchiser des vertus, on doit avoir conscience
des vertus qu’on admire chez les autres et que l’on voudrait faire
siennes, celles que l’on respecte, que l’on estime. Personnellement, le
sport a été mon grand paramètre. Avec le sport, j’ai appris que la
générosité était meilleure que l’indifférence, j’ai appris la signification
et la valeur du courage, l’importance de l’effort et aussi la
transcendance de la rébellion. Ce sont les trois ou quatre éléments
selon lesquels j’ai essayé d’orienter ma vie. Ces vertus ne doivent pas
forcément être celles qui doivent être choisies, mais il est
indispensable que chacun ait conscience des vertus autour desquelles
il veut organiser son existence. »

Marcelo Bielsa orientera surtout la sienne autour du football. À


quelques mètres de la maison de ses grands-parents, en face de
l’église, au Parque de la Independencia (immense espace vert au
cœur de Rosario) ou sur les terrains annexes du stade de Central
Cordoba, le samedi, Bielsa traînait à un de ces endroits, au choix. Le
samedi, c’était football. Quoi qu’il arrive ! Aucune excuse n’était
valable pour ne pas tâter le cuir. Plus souvent défenseur qu’avant-
centre lors des oppositions et déjà caractérisé par son orgueil et son
goût pour la compétition, le petit Bielsa n’était pas encore « El Loco »,
mais « El Cabezón » (la tête de bois).
Quand Marcelo Alberto Bielsa vient au monde, le 21 juillet 1955,
à Rosario, l’Argentine n’a pas glané la moindre Coupe du monde. Et
quand il grandit, elle se fait battre par le futur champion du monde
(l’Angleterre en 1966 en quarts de finale) ou se montre incapable de
se qualifier pour le Mondial 1970 au Mexique. Mario Kempes n’est
pas encore « El Matador » et Diego Armando Maradona n’est encore
que « Pelusa », le petit génie des potreros, pas encore « D10S ». La
passion de Bielsa pour le football est issue de la rue, celle de la classe
moyenne supérieure de Rosario, à plus de 280 kilomètres au nord-
ouest de Buenos Aires, et d’une famille qui s’est attelée à transmettre
le témoin comme dans toutes les familles du coin. Son père lui offre
son premier ballon de football et son oncle l’emmène tous les
dimanches au mythique El Coloso del Parque, le stade des Newell’s
Old Boys, son club de cœur. Jouer avec ses amis à la moindre
occasion ne suffit pas à assouvir sa passion, alors il s’inscrit au club à
13 ans, une démarche presque naturelle. En vivant à quelques
centaines de mètres du stade, au 2320 de la rue Mitre avant de
déménager au 2300 de la rue Moreno, il ne peut en être autrement.
Puis, au fil du temps, l’organisation régit son quotidien et sa vie se
tourne exclusivement vers la culture et le football. Ses sorties, ses
lectures, ses pulsions. Il ne peut pas se coucher sans avoir lu les pages
sport du quotidien La Razón et la rubrique « Dialoguitos en asfalto ».
Quand il ne lit pas El Gráfico, il se plonge dans la littérature ou
s’enivre de tango, peut-être lisait-il Dostoïevski et Jorge Luis Borges
en écoutant Julio Sosa et Susana Rinaldi.
Issu d’une famille aisée, le garçon était loin d’être prédestiné au
football. Pour comprendre son cheminement, il convient de présenter
les personnes qui ont contribué à construire sa personnalité et ses
particularités. À Rosario, la famille Bielsa est renommée et, à sa
façon, le technicien argentin ne cesse de faire perdurer le prestige.
Marcelo est le deuxième fils de la lignée, né deux ans après son
frère aîné Rafael Antonio, et trois ans avant sa sœur cadette, María
Eugenia. Son père, Rafael Pedro Bielsa, surnommé « El Turco »
(décédé le 9 mars 2014 à 90 ans), était un éminent avocat. Quand il
lui offre son premier ballon, il ne sait pas encore que le football sera
sa raison de vivre. « Pour Marcelo, le football, c’était tout », confie, en
novembre 2014, au quotidien argentin La Nación, Hugo Vitantorino,
un ami d’enfance de l’Argentin. « Il dormait avec son ballon, il
marchait avec son ballon, il allait à l’école avec son ballon et il jouait
avec son ballon, précise-t-il. Il était obsédé. Il ne jouait jamais pour
jouer. Il avait un esprit de compétition très développé. » Même si son
père, supporter de Rosario Central, lui a donné l’amour du ballon
rond, il ne l’a pas influencé, loin de là. Il ne l’a même jamais vu jouer.
Ni en tant que joueur, ni en tant qu’entraîneur. Ses raisons, il les a
livrées en 1998 dans le mensuel argentin El Gráfico. « Je n’ai jamais
vu Marcelo jouer ou même entraîner, non pas parce que je n’aime pas
le football, mais parce que je suis supporter de Central. Et puis aussi
parce que je préfère le football d’autrefois, celui où il y avait moins de
marquage et de pressing. On parle de ça chaque fois qu’il vient à la
maison. Il partage ce point de vue, mais il me dit qu’il doit préparer
ses équipes à gagner. » Le père a hérité de la profession du grand-père
(également avocat et figure du droit administratif) même s’il n’a
jamais été attiré par celle-ci. Ce grand fan de Sinatra aurait préféré
être ingénieur en mécanique.
Comme le rapporte Ariel Senosiain dans sa biographie Lo
Suficientemente Loco, Bielsa a comme modèle le Mahatma Gandhi,
Ernesto Guevara et son mentor, Jorge Griffa. Et son choix de vivre à
travers le football fait de l’Argentin une exception dans la famille.
« Ma famille ne s’est jamais opposée à mes vocations, déclarait Bielsa
pour El Gráfico dans les années 1980. J’ai voulu être joueur de
football et je l’ai été. Ç’a été un échec, mais je suis parvenu à jouer
avec l’équipe première du Newell’s. Après, j’ai entamé la carrière de
préparateur physique et je suis devenu professeur. Finalement, j’ai
travaillé comme entraîneur dans le football sans que personne ne
voie ça d’un mauvais œil. Et d’autant plus que mon père n’a jamais
mis un pied sur un terrain pour me voir jouer ou entraîner. Ce n’est
pas qu’il n’aime pas la carrière que j’ai choisie, mais ma passion ne
l’intéresse pas. » Et pourtant, au sein de la famille, celui qui se
rapproche le plus du caractère du père, c’est Marcelo, par sa
confiance et sa spontanéité. À l’aise, spontané : tout le monde dans la
famille s’accorde à dire qu’il a hérité de sa personnalité. « Il était très
sympathique, se souvient Vitantorino. Il riait beaucoup, était toujours
joyeux et toujours de bonne humeur. »
Un état d’esprit qui, parfois, était moins souvent présent au
contact de sa mère, Lidia Silvia Rosa Caldera (décédée le 27 mai
2017). Née à Morteros dans la province de Córdoba, « Toti » est
professeur d’histoire. Aussi affectueuse que rigoureuse, elle lui
inculque la rigueur et l’exigence envers soi-même.
« Rien n’était suffisant pour elle. Il en fallait toujours plus. Elle
dosait chaque satisfaction et chaque moment de plaisir. Par exemple,
mes frères et moi aimions beaucoup les boissons gazeuses. Et maman
disait qu’en prendre une fois par semaine suffisait. On pouvait
pourtant en boire tous les jours puisque notre famille n’avait pas de
problème d’argent », reconnaît Bielsa dans une interview pour le
quotidien La Voz del Interior, le 28 juin 1992.
Néanmoins, malgré ce rigorisme, il n’est pas rare que Marcelo
parvienne à se sortir de situations compliquées. Ainsi, obnubilé par le
ballon, il n’hésite pas à demander à sa sœur de jouer de la guitare
(dont joue Marcelo) afin que, dès les premières notes, il puisse
s’échapper de la maison en passant par le toit. Il y a toujours un
moyen de jouer au football.
Issue d’un milieu modeste, Lidia sait très bien faire en sorte que
ses enfants soient à leur aise avec les différentes classes sociales
côtoyées, tant avec la population du quartier (principalement
ouvrière) qu’avec le monde aristocratique dont sont originaires leurs
grands-parents. D’elle, Marcelo prend cette incessante capacité
d’apprendre, cette soif de savoir et assimile la signification de l’effort.
Des qualités couplées au développement de la discipline et du sens
des responsabilités. La raison ? Au moindre faux pas, il est privé de
certains plaisirs, comme celui de décrypter ses revues sportives en
toute tranquillité.
Le travail devient alors vite le centre de ses préoccupations et il en
tire une certaine conception : entreprendre afin d’être le meilleur
dans le domaine où on s’investit. Le travail n’est pas aliénant, et c’est
la voie la plus directe pour réussir. C’est à ses parents qu’il doit sa
culture de la discrétion et son aversion de la notoriété.
Marcelo est également très proche de son frère aîné, Rafael. Un
frère particulièrement intéressé par l’art, quel qu’il soit, et la
politique. Expert constitutionnaliste, chancelier de la nation, expert
de l’ONU sur des questions juridiques, ce militant péroniste s’est exilé
quatre ans aux États-Unis et en Espagne après avoir été torturé et
séquestré par la junte militaire à la fin des années 1970. Un temps
président exécutif de la société aéroportuaire Aeropuertos Argentina
2000, il a également été ministre des Affaires étrangères de Néstor
Kirchner (2003-2005) avant d’être député durant deux ans. Malgré
leurs trajectoires opposées, les deux frères partagent un amour absolu
pour les Newell’s.
Et puis une personne compte particulièrement dans sa vie et dans
ses projets sportifs : sa sœur cadette, María Eugenia. Si elle a occupé
des fonctions politiques en tant que conseillère municipale puis vice-
gouverneur de la province de Santa Fe, c’est dans sa profession
d’architecte qu’elle fait la rencontre dans son groupe d’études d’une
certaine Laura Braccalenti, la future épouse de Marcelo, de laquelle il
a eu deux filles : Inés (née à la fin de l’année 1989) et Mercedes (née
en janvier 1992).
Marcelo Bielsa n’a jamais été prédestiné à faire carrière dans le
football, et il était encore moins voué à devenir un joueur
international. Et pourtant. Après avoir évolué au sein de la réserve du
Newell’s Old Boys, il jouera dans différents clubs argentins et
connaîtra quelques moments de gloire.
S’il y a bien un domaine que Marcelo Bielsa maîtrise très tôt dans
sa carrière, c’est l’analyse tactique. Mais compte tenu de ses qualités
limitées pour le jeu, si cette science lui est utile avec la réserve du
Newell’s, elle reste en revanche insuffisante pour neutraliser au
mieux les joueurs de très haut niveau. Honnête, mais lent, noble,
mais rustre, le monde professionnel, il ne l’a côtoyé qu’un court
instant en tant que joueur.
Il est souvent compliqué pour les joueurs d’évaluer leur apogée
footballistique. Bielsa n’a pas connu ce souci dans sa carrière puisqu’il
se situe à un segment précis : l’hiver 1976. Dans un premier temps,
du 21 janvier au 1er février 1976, à l’occasion du tournoi qualificatif
pour les JO de Montréal, à Recife, au Brésil. Pour cet événement, le
sélectionneur César Luis Menotti demandera à Jorge Griffa (directeur
du centre de formation du Newell’s) de convoquer les joueurs de la
réserve qui vient d’être sacrée championne et dans laquelle figure
Bielsa. Griffa acceptera. Par ce biais, Marcelo a pu réaliser son rêve de
défendre son pays dans la quête d’un tournoi majeur. Titulaire au sein
de la défense centrale (dans une position de libero), le petit jeune de
20 ans démontre durant la compétition sa maturité et ses qualités
dans le jeu aérien. À l’issue de la compétition (l’Argentine termine
troisième derrière le Brésil et l’Uruguay), il est nommé dans l’équipe
type du tournoi en défense centrale aux côtés d’Edinho qui brillera
plus tard avec la Seleção. Ce n’est pas la première fois que le jeune
homme est appelé par la sélection. En 1974, l’Argentin a déjà
dépanné les U19 lors du Sudamericano au Chili sans avoir de temps
de jeu.
Par ailleurs, Bielsa connaîtra un deuxième grand moment dans sa
carrière à peine un mois plus tard lors de son premier match avec
l’équipe première du Newell’s. Le 29 février 1976, sous la pluie, le
Newell’s affronte River Plate dans son stade El Coloso del Parque.
Certains remplaçants de River sont promus dans le onze de départ
puisque le club de Buenos Aires dispute la Copa Libertadores dans le
même temps. De son côté, l’entraîneur du Newell’s, Juan Carlos
Montes, doit composer son équipe alors que l’effectif compte de
nombreux blessés. Un homme va alors profiter de certaines
circonstances favorables : Marcelo Bielsa. Montes décide d’inclure le
jeune Rosarino pour la première fois au sein de l’équipe première.
Mieux, José Luis Pavoni étant grippé, Marcelo est titulaire. Si River va
remporter le match (2-1), cette défaite n’empêchera pas Montes de
titulariser de nouveau Bielsa la semaine suivante contre San Lorenzo
(1-1). Après cet intermède heureux, le jeune Argentin rejouera deux
fois à l’échelon professionnel : contre Talleres de Córdoba le
14 décembre 1976 (1-3), puis deux ans plus tard, le 16 juillet 1978
contre Gimnasia y Esgrima La Plata (3-1), où il remplacera Armando
Capurro à trois minutes du coup de sifflet final. Il aura ainsi joué
quatre matchs en première division. La rigueur continuelle, la
concentration et l’effort permanent ne suffisent plus.
Janvier 1977, Bielsa a 21 ans et la possibilité de jouer davantage
qu’au Newell’s après avoir rejoint l’Instituto de Córdoba, au centre-
nord de l’Argentine. Mais il n’en sera rien. Entre le manque de
compétitivité de l’équipe, son mal-être personnel dû à
l’environnement et le manque de professionnalisme du club sur tous
les plans, Bielsa ne réussira jamais à s’adapter. Il s’isole, passe son
temps à écouter du tango et à lire. Sa fin de carrière est proche. La
séquestration de son frère par la junte militaire l’oblige à revenir à
Rosario, et ce même si le football n’est plus vraiment sa priorité. Il
prend part à son dernier match avec l’équipe première du Newell’s
avant de repartir aussitôt. En 1979, il joue en Primera C (troisième
division) au sein d’Argentino de Rosario, toujours avec le même
intérêt puisqu’il ne loupera aucun entraînement malgré les terrains
délabrés. Mais si son état d’esprit suffit à faire de lui le leader du
groupe, ses valeurs l’obligent à rechercher l’excellence. Tant et si bien
qu’il prend la décision de mettre un terme à sa carrière, dans
l’anonymat général, quand il voit qu’il ne peut plus que régresser.
« Un jour, il est venu et il m’a dit : “Je suis médiocre ou mauvais, donc
je préfère me dédier à la direction technique, ma passion” », raconte
Miguel Angel Colacray, ancien coéquipier de Bielsa au Newell’s, pour
le quotidien argentin Olé en 2002.
D’autres anciens coéquipiers du natif de Rosario témoigneront sur
son amour du jeu. Comme Jose Luis Danguise, autre coéquipier de
Bielsa au Newell’s puis à l’Instituto de Córdoba. « Il avait quelque
chose qui esquissait déjà son profil d’entraîneur, relève-t-il. On allait
dans son appartement ou dans le mien et sur un papier, il décrivait
comment devait jouer l’Instituto. Il faisait la composition d’équipe et
expliquait comment on devait jouer. Il était beaucoup plus en avance
que nous dans sa vision du football. Il parlait avec une conviction
totale de la façon dont on devait jouer. Une vision toujours offensive.
On parlait de tactique, et il était spécial. »
Avec la réserve du Newell’s, il n’hésite pas à aller dans les
vestiaires adverses à la fin du match afin de vérifier si la mise en
place tactique envisagée par l’adversaire est en adéquation avec ce
qu’il a prévu. Jorge Griffa synthétise ainsi le joueur Bielsa dans Lo
Suficientemente Loco d’Ariel Senosiain : « Il n’avait pas les
caractéristiques d’un grand joueur, mais il en avait les concepts. »
Avant de se dévouer totalement au coaching, Bielsa travaille
quelques mois dans plusieurs entreprises commerciales. Avec un de
ses proches, Victor Zenobi, il transforme quelques maisons en
pensions. Avec son ami d’enfance José Falabella, il achète un
miméographe (presse à imprimer), commence à copier quelques
livres, mais l’entrepreneuriat tourne court. Ensuite Bielsa décide de
lier l’utile à l’agréable en rachetant un kiosque à journaux du centre
de Rosario. L’idée est simple : quoi de mieux que d’être propriétaire
de son propre kiosque quand on est passionné de sport ?
L’information est à portée de main. Puis, un jour, lui vient une
idée pour leurs avenirs respectifs : devenir professeurs d’éducation
physique.
Ce choix de suivre cette voie doit le former pour une finalité :
entraîner. Bielsa met ainsi tous les moyens de son côté. L’Argentin
veut connaître tous les détails du corps humain le plus parfaitement
possible. Les relations avec les enseignants sont parfois compliquées
compte tenu de son degré d’exigence et de sa quête de l’exactitude,
mais il réussit brillamment son examen au terme de trois ans
d’enseignement (et après avoir exigé de son professeur de
psychologie de l’éducation, Juan Carlos Ochoa, de l’interroger sur
l’intégralité du programme plutôt que sur la matière à valider, relève
Roman Iucht dans sa biographie de l’Argentin, La Vida por el fútbol).
Malgré son diplôme de professeur d’éducation physique en poche,
Bielsa n’en profite pas pour aller fêter cette réussite en Europe avec
ses amis. Pour lui, ce n’est que le début d’un long processus.
Dans sa quête infinie du savoir, il lie sa passion du sport à sa
nouvelle profession pour voyager avec une autre conception. Il
traverse le continent sud-américain afin de dénicher des idées sur
tous les sports qui ont un rapport avec un ballon en mouvement. Il se
rend ainsi à Buenos Aires pour voir des matchs de basket et prend
note des mouvements tactiques de matchs de handball susceptibles
d’être réutilisés dans le football. À l’été 1981, il fait le voyage en
Uruguay pour voir le Mondialito, où s’affrontent les meilleures
sélections au monde. S’il ne peut pas assister lui-même aux
événements qui l’intéressent, il utilise le système D. C’est ainsi qu’il
demande à l’oncle de Falabella qui vit en Espagne de lui enregistrer et
de lui envoyer les matchs du championnat espagnol. Tous les moyens
sont bons pour se préparer au mieux.
CHAPITRE III

Un processus méthodique
de décision avant de s’engager

Avant de signer dans un club ou pour une sélection, Marcelo


Bielsa tient à maîtriser tous les composants de l’institution en
question. Son audit passe par une série d’étapes indispensables à
valider avant de trouver un quelconque accord. Un processus
méthodique basé sur un travail d’observation et de recrutement en
étroite collaboration avec son staff technique et qu’il instituera tout
au long de sa carrière.
Dans le cadre d’une vidéo-conférence amateur (disponible sur
YouTube) découpée en quatre parties, Marcelo Bielsa égrène, assis
dans une salle sombre avec tableaux, schémas et rétroprojecteur à
l’appui, son mode opératoire après avoir accepté l’offre de l’Athletic
Bilbao. La vidéo date du 6 juillet 2011, soit la veille des élections à la
présidence du club basque pour laquelle Josu Urrutia s’est porté
candidat et avec qui Bielsa a accepté de collaborer en cas de victoire.
Sans même connaître l’issue du scrutin, il décortique ainsi pendant
plus d’une heure les différentes étapes du travail qu’il a mené.
« J’ai profondément analysé les quarante-deux matchs de
l’Athletic de la saison passée, livre-t-il d’emblée. Les trente-huit en
Liga et les quatre en Copa del Rey ; je les ai vus deux fois chacun.
Grâce à cela, j’ai intériorisé les données les plus récentes de l’équipe.
Pour chaque match, dit-il en prenant l’exemple d’un match contre
Majorque, j’ai réalisé une analyse tactique, positionnelle et
stratégique : les positions des joueurs de l’Athletic et de l’équipe
adverse, les positions des joueurs de l’Athletic en relation avec les
positions des joueurs adverses, comment se sont faits les
remplacements, et l’évolution du système de jeu au cours de la
rencontre. » Comme ça pour les quarante-deux matchs ! « C’est la
première tâche nécessaire pour connaître l’équipe », dit-il.
Il poursuit sa démonstration par une analyse détaillée sur les
performances de chaque joueur, leurs forces et leurs faiblesses au
cours d’un match donné. « J’ai récupéré des séquences de jeu afin
d’illustrer et de construire un programme de travail ainsi qu’un
programme d’entraînement », dit-il en pointant un tableau
individualisé confectionné pour chaque joueur qui représente ses
actions lors de chaque match.
Puis il présente ses schémas concernant l’ensemble des phases
arrêtées défensives et offensives (coups francs, penaltys, touches) de
ces quarante-deux matchs. Pour chaque coup de pied arrêté, Bielsa
analyse le comportement collectif et individuel en situation. Cela
l’aide à interpréter plus facilement les joueurs impliqués, la vitesse
des déplacements, etc. « Cela m’a permis de voir le processus habituel
sur la manière de défendre ou d’attaquer l’adversaire. »
Pour les quarante-deux rencontres, il a aussi analysé les feuilles de
match. Quelle est la composition de l’équipe, quelles sont les
différences avec le match précédent, quels sont les joueurs
suspendus, les joueurs blessés, ceux qui ont été écartés pour des
raisons techniques, quels sont les remplaçants, ceux qui reviennent de
suspension ou de blessure, qui sont les arbitres ? Etc.
Dans sa méthodologie, il ne s’est pas arrêté qu’à l’analyse des
matchs de l’Athletic, il a également glané des informations
concernant les internationaux du groupe tels que Javi Martínez,
Ander Herrera, Iker Muniain et San José lors de l’Euro Espoirs de
juin 2011 au Danemark (soit un mois avant le montage de la vidéo).
Pour ces joueurs, il a procédé à des séquences vidéo de leurs
performances lors de chaque match (« de six à sept minutes »,
précise-t-il). « Dans le cas de Javi Martínez, si ses performances sont
résumées en quatre minutes et que j’observe trente de ses matchs, je
dispose de 120 minutes de jeu approfondies de ce même joueur. »

Dans la continuité de sa démonstration, sur un tableau, Bielsa a


répertorié tous les différents systèmes face auxquels l’Athletic a dû
jouer durant la saison 2010-2011. L’objectif ? Voir quel est le système
prédominant en Liga (en l’occurrence le 4-2-1-3), quelles sont les
préférences en termes d’organisation des adversaires et avec quelle
régularité (il a noté le nombre de minutes durant lesquelles les
équipes ont joué avec tel ou tel système de jeu face à l’Athletic). « Ce
sont d’autres informations que je glane pour augmenter ma culture
sur ce championnat que je tente de connaître », énonce-t-il. Dans la
lignée de son tableau précédent et à partir de ses observations, il
dispose des systèmes de jeu les plus utilisés par l’Athletic lors de la
saison 2010-2011 (le 4-2-1-3).
Il dispose également de la position de l’ensemble des joueurs de
l’effectif dans chaque système de jeu utilisé, une manière d’avoir un
aperçu de leur polyvalence et de la concurrence pour chaque poste.
En partant de ses observations, il liste ensuite les joueurs par poste
avec leur temps de jeu respectif lors de chaque match de la saison.
« Ce sont des informations utiles parce qu’à partir de son poste
habituel, cela nous permet de savoir quels sont les autres postes qu’il
est susceptible d’occuper. »
Résultat, après avoir approfondi plusieurs aspects de chaque
match, il dégage des observations spécifiques de chaque joueur
(points forts, points faibles, erreurs, principales caractéristiques dans
chaque moment de jeu) ainsi qu’une fiche qui comprend : photo, âge,
taille, poids, nationalité, formation, minutes jouées, moyenne des
minutes jouées, matchs joués – en tant que titulaire et en tant que
remplaçant –, pourcentage de matchs joués, statut le plus courant
(titulaire ou remplaçant), poste(s) occupé(s), buts marqués, quantité
de situations de but, cartons rouges et cartons jaunes, arrivée au club,
détails contractuels des joueurs et relation avec la sélection nationale.
Après cette analyse de l’effectif, Bielsa étudie le travail de son
prédécesseur sur la question de la présaison. Il dispose de la
composition de l’ensemble du staff précédent (du physiothérapeute
au podologue) afin de connaître la structure du club, le calendrier
mis en place avec les vacances pour chacun des joueurs, la date de la
reprise pour chacun d’eux et les dates de leur premier entraînement
de la saison. Il connaît tout du quotidien du club de la présaison
2010-2011. Également, il a analysé les matchs de présaison avec
l’évolution de l’organisation de l’équipe durant les rencontres, les
postes occupés par chacun des joueurs, la gestion des jeunes et les
blessures. Par ailleurs, il dispose d’une fiche sur l’histoire du club afin
d’avoir un aperçu de la grandeur de l’institution et de ses us et
coutumes. Enfin, il a épluché chaque page web du site de l’Athletic, a
souligné l’importance donnée au football féminin et pris note des
installations du club. Et ce, jusqu’aux infrastructures du centre
d’entraînement. Des caves à la salle d’hydrothérapie. De la salle de
musculation aux autobus… en passant par les lits superposés.
Il tient ces mots en guise de conclusion : « Tout cela me sert pour
avoir des arguments et faire respecter les décisions prises pour le
futur. Quand on tend à diriger une nouvelle équipe, cette source
d’informations minimale est indispensable. Il est nécessaire de
connaître le passé récent de l’institution et des adversaires contre
lesquels on va se mesurer la saison prochaine. »
Voilà pour le travail préparatoire concernant la saison. Ensuite,
Marcelo Bielsa s’organise et met en place son plan de travail. Comme
le rapporte Eduardo Rojas Rojas dans son ouvrage Marcelo Bielsa –
Los 11 caminos al gol, lors du premier entraînement de la saison, il
procède à un travail individuel spécifique selon les nécessités de
chacun et ordonne une révision médicale de tous les joueurs. Il mène
également une étude psychologique de chacun d’eux : tolérance aux
fautes adverses, aux erreurs arbitrales, aux provocations raciales ou
d’une autre nature, réaction lorsque l’équipe ne parvient pas à
marquer ou qu’elle est menée au score.
Côté terrain, il profite également de la présaison pour mener un
travail intensif sur l’adaptation des joueurs lors de tournois courts
avec des pauses brèves entre chaque match. Il identifie aussi les
joueurs de moins de 21 ans voués à faire partie de l’effectif
alternatif : les « sparrings », des éléments prépondérants du club dans
le quotidien des entraînements. Seul bémol, apporte Florent Toniutti,
analyste tactique et créateur du blog Les Chroniques tactiques, « il
s’occupe de l’équipe première et d’elle seule. Pour Bielsa, les U19 ou
la réserve ne servent qu’à une chose : entraîner l’équipe première
dans des conditions réelles. Avant un match, pendant trois-quatre
jours, la réserve ou les U19 vont s’entraîner dans le système de jeu et
avec les principes de jeu de l’équipe qu’il affrontera en match. Et lors
de l’avant-veille du match, ils font une opposition à onze contre onze
en conditions réelles et avec beaucoup d’intensité pour les plus
jeunes, de manière à offrir la meilleure opposition possible et à
mettre l’équipe en condition de match. Certes, c’est positif pour
l’équipe première, mais pour une équipe de jeunes, c’est beaucoup
plus compliqué à gérer. Chaque semaine, ils sont obligés de changer
de projet de jeu. »
Au sein de la sélection chilienne, afin de conditionner ses joueurs
aux grands événements, Bielsa travaille sur le développement de la
confiance pour les aider à tolérer la charge émotionnelle que
demande une grande compétition internationale (la Coupe du monde
2010 en l’occurrence). D’une manière plus générale, au Chili, Bielsa
tente de voir tous les matchs qu’il peut : Copa América, matchs
amicaux, matchs de classement, tout en analysant les dynamiques de
résultats, positives comme négatives. Il observe la façon dont jouent
les neuf sélections sud-américaines et établit le profil de chacun des
sélectionneurs. Par ailleurs, il confie à ses collaborateurs la mission de
constituer des fiches sur les différents systèmes de jeu adoptés par
chaque sélection nationale observée et sur l’ensemble des joueurs qui
participent aux qualifications pour la Coupe du monde. Mieux
encore, un dossier est réalisé sur l’ensemble des joueurs qui ont
participé à la Coupe du monde 2006 avec des informations
comprenant leurs performances entre la finale de la Coupe du monde
2006 et le début de la Coupe du monde 2010. Dans ce dossier
doivent également figurer des informations sur leurs matchs disputés,
le nom de l’entraîneur, le système de jeu dans lequel ils ont évolué,
les noms des arbitres et de ses assistants.
En sélection comme en club, il prépare un rapport avant chaque
match et compare a posteriori ses prévisions avec les résultats.
Comme dit précédemment, son suivi des joueurs au cours de la saison
passe par la production de vidéos individuelles de six à sept minutes.
À partir de trente matchs analysés, ces vidéos tendent à expliquer au
joueur concerné ses bonnes ou mauvaises décisions prises durant un
match.
En accord avec le calendrier, il exige aussi la tenue de matchs
amicaux contre des équipes avec des systèmes de jeu différents, des
caractéristiques athlétiques et techniques différentes ainsi que des
cultures sportives différentes. Ce n’est donc pas anodin si, lors de ses
deux présaisons à la tête de l’Olympique de Marseille, Marcelo Bielsa
veut que le club phocéen joue face à des clubs de championnats
variés (Bundesliga, Serie A, Liga Sagres, Eredivisie) en affrontant
successivement le Bayer Leverkusen (4-1), Benfica (2-1), Willem II
(5-0), Bari (1-1) et le Chievo Vérone (3-1) lors de la saison 2014-
2015. Pour la présaison 2015-2016, le calendrier sera moins divers,
mais plus exotique puisque l’OM affrontera le club tunisien de l’Étoile
sportive du Sahel (5-1), deux clubs turcs (Fenerbahçe, Antalyaspor)
avant d’entériner sa préparation contre Livourne (1-2) et la Juventus
Turin (2-0).
Par ailleurs, son processus lors des négociations avec les clubs est
assez bien rodé : il observe les installations et le travail mis en place
afin d’évaluer les besoins ou les corrections à effectuer. Prenons les
exemples de son travail mené avant de signer à l’Atlas Guadalajara, à
l’Athletic Bilbao et au Chili. Après avoir montré à l’Argentine ses
qualités de technicien au Newell’s durant deux saisons
extraordinaires, Marcelo Bielsa prend le temps de se ressourcer
auprès des siens. Mais, immanquablement, l’homme suscite vite les
convoitises.
Au printemps 1992, le directeur sportif du club mexicain de l’Atlas
Guadalajara, Francisco Ibarra, le contacte pour qu’il soit le prochain
entraîneur du club. C’est une recommandation de César Luis Menotti
en personne. Pour le sélectionneur champion du monde avec
l’Argentine (1978), « Bielsa est l’homme idéal bien qu’il soit un peu
fou », rapporte la chaîne américaine ESPN. Un comité de l’Atlas mené
par Ibarra se rend au domicile du technicien, à Rosario. Ils font
connaissance avec un homme sobre, intense, impassible et qui vit
pour le football. À l’issue de cette entrevue, Ibarra est impressionné
par le discours de l’Argentin, la clarté de ses concepts et la recherche
d’un projet très large qui dépasse le simple rendement de l’équipe
professionnelle.
Après avoir analysé l’offre durant deux mois, Bielsa se résout à
faire le voyage au Mexique. Il y reste plus d’une semaine pour assister
incognito à plusieurs séances d’entraînement au cours desquelles il
constate le travail important qui l’attend compte tenu du faible
niveau de l’équipe alors. Dans sa quête d’informations, il est
accompagné de Carlos Altieri, un ami chargé de juger avec lui du
niveau global de l’équipe. Ensemble, les deux hommes assistent à des
séances qui ne les convainquent pas vraiment.
Le technicien doit signer son contrat ou abandonner le projet. Le
salaire est élevé, mais le projet dans son ensemble ne le satisfait pas.
Altieri se rappelle de la situation dans La Vida por el fútbol de Roman
Iucht : « Il devait prendre une décision et, bien que les émoluments
de son contrat fussent importants, il m’a confié que ce n’était pas
cette fortune qui déciderait de son choix de diriger l’équipe ou non. Il
m’a dit qu’il allait payer les frais d’hôtel avant d’annoncer aux
dirigeants qu’il n’allait pas prendre en charge l’équipe professionnelle.
Or, le président Ibarra avait déjà annoncé la venue de Bielsa à la
presse. » Bielsa va alors obtenir tout ce qu’il veut : un entraîneur, un
préparateur physique et la révision des conditions de son contrat.
L’accord est trouvé en juin 1992 pour un contrat de deux ans. Dans un
rôle similaire à celui de directeur sportif donc, Bielsa fait appel à
Mario Zanabria pour diriger l’équipe professionnelle. « J’étais dans la
maison de mes beaux-parents pour que mes enfants puissent profiter
de leurs grands-parents et Marcelo m’a appelé, raconte Zanabria,
alors qu’il se détendait avec sa famille à Santa Fe. Il m’a dit qu’il
attendait une réponse dans la demi-heure. Et là je lui ai demandé un
peu plus de temps. » Le matin suivant, il embarque pour le Mexique.
À l’Athletic Bilbao, Marcelo Bielsa fait preuve d’une droiture
inébranlable avant de s’engager en faveur du club basque. À l’heure
des discussions entre l’Argentin et le président du club basque, Josu
Urrutia, le premier ne remet jamais en cause sa volonté de rejoindre
le club quand le second lui propose de devenir l’entraîneur de
l’Athletic Bilbao avant même la tenue des élections du club. Avant
celles-ci, les deux parties ne disposaient d’aucune preuve écrite
émanant de leur accord commun. Aucun précontrat signé, rien. Seul
le résultat des élections du 7 juillet 2011 qui oppose l’ancien
capitaine de l’Athletic et le président sortant, Fernando García Macua,
peut entériner l’accord trouvé.
Urrutia reçoit les conseils de quelques membres de son entourage
et est mis en relation avec d’autres personnes pour entrer en contact
avec le technicien argentin. Depuis son départ de la sélection
chilienne en février 2011, Bielsa a reçu des offres espagnoles
provenant de la Real Sociedad et du FC Séville. D’ailleurs, celle
émanant du club d’Anoeta n’est pas écartée quand il suscite la
convoitise de l’Athletic Bilbao. Ainsi, pour mener ses investigations et
connaître parfaitement l’idiosyncrasie basque, il prend conseil auprès
du journaliste de Marca Santiago Segurola, afin de disposer du
maximum d’informations sur le Pays basque, ses traditions et sa
situation politique.
Segurola confie lui-même ce travail à son propre cousin, le prêtre
Luís Mari Segurola, qui exerce son sacerdoce à Zumarraga. Bielsa
n’hésite pas à lui poser une multitude de questions concernant
l’Euskadi. Quand il reçoit l’appel du candidat à la présidence de
l’Athletic, Bielsa est ainsi parfaitement prêt à lui répondre grâce à ses
nouvelles connaissances. Entre-temps, pour des raisons sportives, il a
déjà rejeté l’offre de la Real Sociedad et n’est pas parvenu à trouver
un accord avec le FC Séville après s’être déplacé au sein de la capitale
andalouse.
Aucune information n’a filtré des conversations entre Urrutia et
Bielsa lors des discussions, si ce n’est qu’elles se sont poursuivies
pendant plusieurs jours et qu’elles duraient plusieurs heures. Au fil de
celles-ci, Urrutia finit par convaincre Bielsa qu’il s’agit du meilleur
endroit pour sa manière de travailler en mettant en avant les
conditions de travail favorables et les moyens sur lesquels il pourrait
compter. Bielsa donne ainsi sa parole à Urrutia. Même l’offre du
président de l’Inter, Massimo Moratti, par la voie d’émissaires du club,
ne l’a pas fait changer d’avis. Reste que rien n’est garanti avant la
tenue des élections.
Dans l’attente, il se met au travail intensément avec ses
collaborateurs habituels (Diego Reyes, Luis Bonini, Pablo Quiroga,
Claudio Vivas) en compilant un maximum d’informations sur
l’Athletic, en prenant note de détails qui, aux yeux de n’importe qui
d’autre, auraient paru inutiles. Après la victoire dans les urnes de
Josu Urrutia, via Skype, Bielsa explique à la presse les raisons pour
lesquelles il a accepté la proposition du nouveau président. « J’ai reçu
la proposition, je l’ai analysée, je l’ai réexaminée en profondeur et j’ai
aimé cette possibilité. Je prends difficilement une décision sans
prendre mon temps pour réfléchir, et une fois qu’elle était assumée,
j’étais satisfait et je savais que je devais attendre pour faire partie de
cette institution pour un an. […] Il y a plus d’un joueur par poste. Et
ça, c’est attractif parce que ça crée une concurrence qui oblige les
progrès de chacun, souligne-t-il. Je sais qu’il y a des joueurs qui
jouent avant tout sur leur puissance et leur agressivité, mais je crois
qu’il y a un équilibre entre l’effort et la créativité. »
Ce 7 juillet 2011, malgré l’officialisation de l’union entre Marcelo
Bielsa et l’Athletic Bilbao, l’Argentin n’est pas à Bilbao à l’heure des
entraînements qu’il a planifiés. Comme c’est toujours le cas à cette
période de l’année, ce sont ses assistants, Claudio Vivas et Luis
Bonini, qui se présentent afin de faire connaissance avec les joueurs
et diriger les premières séances physiques. Ce n’est que le 13 juillet
que l’Argentin atterrit à l’aéroport de Loiu pour faire ses premiers pas
sous ses nouvelles couleurs.
Dernier exemple, celui du Chili. Quand Marcelo Bielsa reçoit les
premiers contacts de la sélection chilienne, cela fait trois ans qu’il ne
dirige ni club ni sélection. Après avoir été à la tête de la sélection
argentine et, comme après chaque période de management, dès qu’il
a besoin de se retrouver, Bielsa se réfugie au même endroit. C’est
dans la localité de Máximo Paz de 4 200 habitants, à 80 kilomètres de
Rosario, qu’il se régénère et profite des petits luxes de la vie. C’est
dans cette petite ville, dans la propriété de son beau-père, qu’il se
replie depuis maintenant quelques années quand il a besoin de
s’isoler. C’est là qu’il a fait le deuil de la Coupe du monde 2002. Les
200 hectares du lieu lui permettent de courir quotidiennement à
l’abri des regards, de profiter des champs à perte de vue et de
promener ses chiens tranquillement. À deux kilomètres de là, il peut
également profiter de ses amis d’enfance dans la petite commune
d’Alcorta pour évoquer ses derniers voyages ponctués d’asados
généreux (grands barbecues). Vivre là-bas, c’est aussi une manière
d’échapper aux médias et de profiter de la nature. Au village, il peut
faire un tour de bicyclette ou aller au marché. Bien qu’il soit connu, il
est considéré comme un voisin de plus, simplement. D’autres ignorent
totalement sa popularité ; avec eux, il peut parler de tout, moins de
football. « Quand il vient, ce qu’il veut éviter, c’est de parler football.
Ici, il parle aux gens qui pensent que la balle est carrée », résume
Gerardo Fernandez, un villageois du coin, pour El Mercurio en
août 2007. Durant cette période, beaucoup de journalistes viennent
l’épier, alors il multiplie les points de chute. Entre 2005 et 2007,
l’Argentin change trois fois de domicile à Rosario. Il est aperçu dans
le quartier d’Alberdi, dans la résidence de sa sœur, rue Chacabuco, et
dans un bunker blanc de deux étages dans la très longue rue
Montevideo en plein cœur de la ville. Il paraît que c’est là qu’il a
finalisé son arrivée en faveur de la Roja…
Après l’échec de la Coupe du monde 2002, il s’est enfermé trois
mois dans un couvent sans téléphone ni télévision. Il a ensuite rejoint
sa campagne et ses grands espaces. L’idéal pour courir, faire le vide et
retrouver le goût de vivre, des petits plaisirs… Et celui de l’amour du
jeu avec tout à sa disposition : un grand écran et un lecteur DVD de
bonne qualité. Tout ce qu’il faut pour analyser au plus près la Coupe
du monde 2006 en Allemagne aux côtés d’anciens joueurs et
d’anciens assistants. Bielsa analyse également dans les moindres
détails la campagne du vainqueur de l’Apertura 2006, l’Estudiantes
de la Plata dirigé par le jeune entraîneur Diego Simeone.
Après la Copa América au Venezuela en 2007, le lendemain de la
finale, soit le 16 juillet 2007, Bielsa reçoit un appel. Il s’agit d’Harold
Mayne-Nicholls, le président de la Fédération chilienne de football. Il
veut faire de lui l’homme qui permettra une restructuration profonde
de la sélection nationale. Une sélection en grande difficulté,
gangrénée par de nombreux soucis disciplinaires et ridiculisée (6-1)
dès les quarts de finale de la Copa América par le Brésil. Nelson
Acosta, le sélectionneur, plus que jamais sur la sellette, démissionnera
le 10 juillet.
L’appel de Mayne-Nicholls n’est pas anodin. Il connaît Bielsa de
longue date. Il l’a côtoyé à l’époque où le Rosarino était l’entraîneur
du Newell’s. Lors de la Copa Libertadores en 1992, Newell’s avait
affronté l’Universidad Católica (lors de la phase de groupes), et
Mayne-Nicholls était un dirigeant de l’équipe chilienne. La veille du
match, il avait permis à Newell’s de s’entraîner sur un terrain du club
chilien et avait été impressionné par l’abnégation des joueurs de
Bielsa lors des exercices de centres et des phases de coups de pied
arrêtés. D’autant plus que le lendemain, Newell’s égalisera sur un
mouvement qu’il avait observé la veille.
Après avoir enquêté sur les potentialités de l’équipe et sur le profil
des joueurs (il présente une très longue liste de joueurs à Mayne-
Nicholls), Bielsa reçoit les dirigeants chiliens, chez lui, à Rosario (la
réunion commence la nuit pour se terminer à l’aube) et prend un
mois pour réfléchir à l’offre proposée. Lors de leur entretien, pour
juger de la cohérence et de la pertinence du projet, Bielsa pose
subtilement une question à Mayne-Nicholls avant de la lui répéter
plus loin dans la conversation pour vérifier s’il confirme sa réponse
antérieure. Dans les discussions, en premier lieu, il n’est alors même
pas question d’objectifs sportifs. L’objectif premier n’est pas tant de se
qualifier pour la Coupe du monde 2010 que de permettre à la
sélection de retrouver discipline, rigueur dans le travail et humilité.
Un point du contrat de Bielsa stipule par exemple que, pour favoriser
les conditions de travail de la sélection, l’intégralité des sommes
récoltées lors de ses conférences qu’il livrera à travers le pays sera
reversée à l’ANFP, l’association nationale de football professionnel du
Chili, afin de restructurer le centre d’entraînement Juan-Pinto-Durán.
Pour Mayne-Nicholls, Bielsa est l’homme idoine parce qu’il peut
développer un projet structurel, tout ce dont le football chilien a
besoin. Bielsa, lui, ne réclame que des terrains d’entraînement de
premier plan et une autonomie pleine et entière sur les décisions à
prendre.
Lors des derniers détails contractuels, l’Argentin séjourne à
Santiago en toute discrétion. Puis le 13 août 2007 a lieu sa
présentation en tant que nouveau sélectionneur du Chili. « L’option du
Chili m’a paru viable pour reprendre ma profession, déclare-t-il à la
presse. C’est pour cela que je reviens avec beaucoup d’espoir, bien
que ce ne soit pas simple d’amener une équipe au Mondial. Ce n’est
une formalité pour personne. La tâche est ardue et c’est d’autant plus
beau d’essayer d’y parvenir. »
Marcelo Bielsa se distingue aussi par son système de recrutement.
Au début de sa carrière d’entraîneur, après avoir dirigé l’équipe de
l’université de Buenos Aires pendant une saison, Bielsa commence
véritablement son cursus d’entraîneur au Newell’s. C’est là-bas qu’il
met en place un système de recrutement totalement innovant.
Un retour heureux qui commence par une rencontre fortuite, dans
le centre de Rosario, avec Eduardo Bermúdez. Ce dernier, entraîneur
de la réserve du Newell’s et ancien entraîneur de Bielsa, quitte le club
pour diriger l’équipe première de Central Córdoba. Le Newell’s est
donc à la recherche d’un nouveau technicien. Après que Bielsa a fait
part à Bermúdez de sa volonté d’entraîner, celui-ci lui demande s’il
souhaite le remplacer. Les deux hommes vont ensuite voir Griffa.
« “Je veux être entraîneur”, m’a-t-il dit alors qu’il venait à peine
d’arrêter sa carrière, se souvient Griffa dans une interview pour El
Gráfico, en novembre 2016. “Parfait. Viens travailler avec moi et nous
verrons où tu peux aller. J’ai besoin d’un groupe de jeunes joueurs
choisis et modelés par toi et qui sera l’équipe du futur”, lui ai-je dit,
parce qu’il pensait qu’il pouvait commencer à entraîner. » Nous
sommes en 1982 et c’est ainsi que pendant sept ans, le travail de
Bielsa avec les divisions inférieures débouchera sur des résultats
exceptionnels dans le recrutement de jeunes talents.
À la fin des années 1980, la philosophie de l’institution Newell’s a
porté ses fruits. Le travail de détection mis en place par Griffa depuis
1972 a permis à Marcelo Bielsa de révéler de nombreux joueurs avec
les divisions inférieures, lesquels sont peu à peu utilisés par José
Yudica au sein de l’équipe première. Pendant que le Newell’s de
Yudica remporte le championnat en 1988 (une équipe championne
composée à 100 % de joueurs et de membres du staff issus du club)
et se hisse en finale de la Copa Libertadores (contre le Nacional),
Bielsa remporte le titre avec la réserve lors de la saison 1989-1990.
Fort de ses exploits d’avoir été champion avec toutes les catégories du
club, Bielsa souhaite entraîner une équipe de premier rang, et si
possible son club : le Newell’s. Mais Griffa a un autre idée en tête. Les
deux hommes vont s’entendre sur un plan pensé par Griffa et dessiné
par Bielsa : élargir encore un peu plus le champ d’action du club dans
l’art de recruter des joueurs. Autrement dit, Newell’s poursuit sa
révolution.
Newell’s est une institution dédiée à dénicher des jeunes joueurs ?
Très bien. Alors, allons jusqu’au bout de l’idée, traversons de long en
large l’Argentine afin de prendre contact avec les techniciens des
différentes localités pour ainsi recruter au sein de ces dernières des
joueurs à notre guise. Un réseau est organisé à travers le pays. Griffa
et Bielsa appellent à tour de rôle les différentes ligues pour prévenir
de leur arrivée. L’un ou l’autre se présente au rendez-vous et demande
à rencontrer la personne la plus qualifiée afin de lui faire passer un
entretien.
L’objectif ? Diviser le pays en 70 zones en y implantant un
représentant dans chacune d’elles. À son tour, le représentant doit
subdiviser sa zone en cinq sections. 70 x 5 = 350. Au total, le pays
est divisé en 350 zones. Admettons que dans chacune d’elles puissent
être détectés trois joueurs, plus de 1 000 joueurs supervisés sont
susceptibles de passer à l’essai au Newell’s. L’idée est de parcourir
25 000 kilomètres en cinq étapes de 5 000 kilomètres chacune. Pour
ce faire, Bielsa calcule sur un plan la distance qui sépare les villes à
explorer, note là où il doit s’arrêter, chez qui, et le nombre de
kilomètres à parcourir. Arrivé à destination, il discute avec le
représentant en question puis informe Daniel Carmona, secrétaire
technique du Newell’s, du jour et du nombre de joueurs qui sont pris
à l’essai.
C’est dans une Fiat 147 CL blanche, modèle 1985, à la poignée de
la portière gauche cassée qu’il fait son périple. Il ne voyage pas seul.
Plusieurs personnes l’accompagnent dans son exploration. À
commencer par Oscar Isola, mécanicien retraité de 75 ans (décédé en
2001), une vieille connaissance de son père. Ensemble, ils parcourent
l’extrême nord-est de l’Argentine, de la province d’Entre Rios jusqu’à
la province de Misiones. Ils y restent quelques jours avant de
redescendre vers le sud, jusqu’au Río Negro, pour une dizaine de
jours. Puis il fait le voyage avec son ami Luis « Lulo » Milisi, dirigeant
de Newell’s, qui représente le club lors des réunions de la Liga
Rosarina. Mais cette fois, le trajet se passe un peu moins bien.
« Lulo », qui vend des pièces détachées, est davantage préoccupé de
ses affaires personnelles que d’aider Bielsa dans sa mission. Si bien
qu’après avoir demandé à Bielsa de le déposer dans un lieu déterminé
qui l’oblige à s’éloigner de l’itinéraire initial, la réaction de ce dernier
est claire. Les deux hommes discutent, Bielsa le prie de quitter le
véhicule, ils se serrent la main et Milisi doit rentrer comme il peut. Au
final, le périple durera presque trois mois, les joueurs donneront
satisfaction et Bielsa atteindra son objectif. Il est désormais prêt à
diriger le Newell’s.
Quelques années plus tard, au Mexique, il mettra en place un
système similaire. Vivre à l’étranger ne modifie ni ses habitudes ni
son train de vie. Il continue de regarder d’innombrables matchs, de
lire la presse et de disséquer la matière que Daniel Carmona (son ex-
secrétaire technique à Newell’s) lui envoie depuis Rosario. Dès la
réception de celle-ci, il convoque tous les dimanches Mario Zanabria
à l’aube pour voir et analyser des matchs de football italien, décalage
horaire oblige.
Avec l’Atlas, avant d’entraîner l’équipe première, il prendra en
main le centre de formation durant sa première saison. Fernando
Acosta, ancien président du club, raconte pour ESPN : « Le travail
qu’il a mis en place a très vite été efficace. Il a organisé un large
réseau de détection de joueurs qui existe toujours dans 92 villes du
Mexique. »
La méthodologie de travail reste la même qu’au Newell’s. Il a une
carte de tout le pays où sont pointés les différents endroits où l’Atlas
a des relais, met à l’essai des milliers de joueurs pour en choisir une
poignée. Et pour les jeunes du club, il filme les entraînements, les
stocke sur PC et, parmi la dizaine de milliers d’exercices qu’il a
archivés, choisit les plus pertinents à l’heure de l’entraînement. « À un
moment, il y avait dix joueurs de l’Atlas issus du travail de Bielsa au
sein de la sélection nationale mexicaine », se souvient Acosta. Parmi
ceux-là, il y a Rafael Márquez, Jared Borgetti, Pável Pardo et Oswaldo
Sánchez notamment, tous issus de ce travail de recrutement. Un
travail qui ne se limite pas qu’au championnat. En 1994, il suivra
avec attention la Coupe du monde aux États-Unis avec un groupe de
collaborateurs, dans le but d’analyser au peigne fin chaque sélection
et la compétition. Le début d’une tradition puisqu’il agira de la même
façon à l’occasion des Coupes du monde 1998 et 2006.
Dans sa préparation, Bielsa compte également beaucoup sur des
personnes bien particulières : ses adjoints et assistants. Ils sont peu
mis en avant, mais abattent un travail considérable pour respecter ses
desiderata. Reconnus pour leur professionnalisme à toute épreuve,
ses assistants doivent se tenir prêts à multiplier les missions afin de
préparer l’entraînement dans les plus brefs délais et les meilleures
conditions pour faciliter et coordonner son travail. Il n’est pas
question ici de ses fidèles lieutenants, mais de certains hommes de
l’ombre qui l’ont côtoyé et qui savent mieux que quiconque
l’importance que Bielsa peut leur accorder.
« Écoutez, je dois être un des premiers Argentins qui a eu accès à
des vidéos de matchs de football européen, déclare l’entraîneur pour
El Gráfico en juillet 1991. Grâce à qui ? À un certain Roberto Di
Nóbile qui lui envoyait des vidéos depuis Madrid alors que Bielsa
était en poste au Newell’s. Tous les mois, je recevais des vidéos du
meilleur football. C’est de là que sont nées mes idées. J’ai toujours
voulu synthétiser notre habileté avec la mécanisation et la discipline
européenne. »
Moins d’un an plus tard, en passe de remporter le Clausura (le
tournoi de clôture) en mai 1992 avec le Newell’s, Bielsa ne cesse pas
d’étudier le jeu dans son appartement. Il épluche les quotidiens
sportifs catalans, et Dario Franco (son ancien joueur qui évolue alors
au Real Saragosse) l’approvisionne régulièrement de vidéos du FC
Barcelone de Johan Cruyff, tout juste vainqueur de la Ligue des
champions. De mémoire, il connaît chaque mouvement de Ronald
Koeman, Baquero, Stoitchkov ou Laudrup. Il ne le fait pas seulement
parce que Barcelone apparaît à l’horizon comme potentiel adversaire
du Newell’s dans la quête de la Coupe intercontinentale, mais parce
que la passion pour le football le prend aux tripes. Pour preuve, le
Newell’s perdra en finale de la Copa Libertadores et n’affrontera
jamais le Barça de Cruyff.
Tout au long de sa carrière, afin de préparer au mieux ses matchs,
Marcelo Bielsa s’est appuyé sur un staff ou des hommes capables de
lui fournir au mieux un matériel conséquent, que ce soit de la
documentation ou de la vidéo – pour lui, ses joueurs et son staff. Si,
avec Vélez, il revisionnait les matchs dès le voyage du retour vers
Rosario dans un souci de gain de temps, à l’Olympique de Marseille,
Bielsa regardait à douze reprises les matchs amicaux lors de la
préparation du club. Chaque joueur recevait un DVD de sa
performance individuelle et ses adjoints devaient se coltiner les dix
derniers matchs de l’adversaire pour évaluer ses forces et ses
faiblesses.
Ainsi, avant de signer en faveur du club de Vélez Sarsfield en
1997, Marcelo Bielsa exige de choisir le staff avec lequel il souhaite
travailler. Or, les dirigeants lui font savoir leur volonté d’inclure un
préparateur physique : Gabriel Macaya, qui l’accompagne aujourd’hui
comme préparateur physique du LOSC. Avant son intégration, Bielsa
a besoin de lui parler. Et pour cause. Le style de jeu de l’Argentin
étant basé sur le pressing, la récupération haute du ballon et l’effort
permanent plus globalement, la condition physique est une question
centrale de son travail quotidien. Cette rencontre n’est pas anodine.
Le préparateur physique n’a pas le droit à l’erreur.
Ainsi, Bielsa donne rendez-vous à Macaya, dans un bar, le soir du
samedi 23 août 1998 aux alentours de l’Hotel Presidente, là où
l’équipe passe ses mises au vert. Ils se saluent, s’assoient,
commandent, le silence s’installe puis Bielsa lui montre un dossier et
commence à lire chacun des points qui figurent sur ses feuilles. Une
centaine. Tenues, ballons, attention à porter à la pelouse, travaux de
ferronnerie, de menuiserie, etc. Macaya l’écoute attentivement en
confirmant chaque fois que sa demande est réalisable. L’exposé dure
deux heures. Bielsa exprime ses besoins, mais jamais il ne fait
allusion au travail spécifique de Macaya avant de partir. Le
lendemain, les journaux annonceront l’arrivée de Bielsa au club.
En dehors de ce genre d’accord de circonstance entre l’Argentin et
un homme déjà en place (comme ce fut également le cas avec Franck
Passi à l’Olympique de Marseille), certains membres de son staff sont
de purs produits de l’admiration qu’il suscite ou des opportunités qu’il
confère.
Et pour cause, certaines fonctions demandent de la discrétion
pour travailler dans les meilleures dispositions. Dont une fonction
particulière : celle d’espion.
C’est un champ de travail assez méconnu chez Bielsa, et pourtant,
il s’est souvent reposé sur des hommes doués pour cette tâche. Avec
la sélection argentine par exemple, son collaborateur est un
journaliste de sport, Gabriel Wainer. On sait par l’intermédiaire du
quotidien chilien El Periodista que sa première mission l’a mené au
Brésil, une sélection que l’Argentine était vouée à rencontrer
régulièrement. Dans les plus grandes villes du pays, Wainer est
chargé de rechercher des informations sur l’ensemble des joueurs
professionnels. L’idée est d’élaborer des fiches avec toutes les
caractéristiques footballistiques de chacun d’eux, ni plus ni moins. À
l’époque, ce versant de son travail lui a été reproché plus ou moins
explicitement par la presse si bien que Bielsa a tenu à se défendre.
« Qu’entendez-vous par “espion” ? La fonction de Gabriel est de me
fournir des renseignements sur l’adversaire. Il continuera sa tâche
parce que cela ne nous paraît pas incorrect ni déloyal », déclare-t-il
lors d’une conférence de presse le 7 octobre 2000 avant d’affronter
l’Uruguay de Daniel Passarella. « Je veux ajouter une chose : pour
moi, ces renseignements ont peu d’influence sur le résultat. Mais
entre ne pas les avoir et les obtenir, je choisis de les avoir, mais
toujours loyalement. »
Avec la sélection chilienne, il ne déroge pas à la règle. S’il ne peut
plus compter sur les services de Gabriel Wainer qui a entre-temps
rejoint le Paraguay de Gerardo Martino avec la même fonction,
Marcelo Bielsa cherche un homme prêt à répondre à ces diverses
missions. Plus étonnant, parmi les prétendants, il y a un ami de sa
fille aînée, Inés, alors âgé de 17 ans, dont elle lui a vanté les mérites.
Mais pour cela, le jeune homme doit faire ses preuves. Comment un
mineur peut-il déjà maîtriser les considérations tactiques, stratégiques
et statistiques ? Le jour de leur rencontre, ils s’assoient face à face et
le jeune homme est sommé de répondre à un véritable
interrogatoire : « Peux-tu me dire quelles ont été la tendance et les
caractéristiques des buts du dernier Mondial ? » lui demande Bielsa.
Préparé et armé de tout un tas de fiches et de statistiques, le
camarade en question lui répond du tac au tac en s’exprimant avec
force détails sur la centaine de buts marqués lors du Mondial qui s’est
tenu en Allemagne. C’est ainsi qu’il réussit brillamment son examen.
On comprendra ensuite pourquoi Bielsa avait tant besoin de lui.
Après avoir accepté de prendre en main la sélection chilienne en
2007 – et avec la Coupe du monde 2010 en ligne de mire –, dans la
composition de son staff, l’Argentin tient à nommer deux assistants
avec des tâches spécifiques : un analyste vidéo et un espion. Ce
dernier doit maîtriser le football, être discret, intelligent, malin et
avoir une apparence en accord avec d’autres activités, c’est-à-dire
éloignée du monde du football (il ne porte donc pas la tenue officielle
de la sélection). Il choisit ainsi le camarade de sa fille pour le poste
après avoir eu l’aval des parents. Payé de la poche de Bielsa, quand il
ne voyage pas dans les pays des futurs adversaires, le jeune homme
travaille au deuxième étage du centre d’entraînement Juan-Pinto-
Durán avec la consigne de se faire le plus discret possible et de limiter
ses déplacements. Mais lors de l’une de ses missions d’infiltration, il
se fait remarquer et doit s’enfuir alors qu’il est perché dans un arbre
pour observer un entraînement à huis clos de la sélection
équatorienne.
On connaîtra plus tard l’identité de ce jeune homme. Son nom est
Francisco Meneghini, alias « Paqui ». On saura également que son
travail ne se limitait pas à l’observation des sélections nationales du
continent. Il devait également suivre au plus près le moindre joueur
chilien évoluant dans les championnats les plus reculés comme les
joueurs adverses que le Chili s’apprêtait à affronter. « Sa fonction est
de voir tout ce que les yeux de Marcelo ne peuvent pas voir », résume
le journaliste argentin Adrían Piedrabuena dans Olé. Mais ce n’est pas
tout. Aux côtés de Matías Manna, actuel assistant de Jorge Sampaoli
avec la sélection argentine, « Paqui » était également sollicité par
Bielsa pour monter des vidéos (qui ne devaient pas excéder cinq
minutes). Celles-ci étaient utilisées lors des entretiens individuels.
Des vidéos qui pouvaient être un condensé d’actions adverses, mais
aussi des vidéos personnalisées pour les joueurs de la sélection afin
que Bielsa puisse montrer au joueur concerné ce qu’il aimait ou ce
qu’il aimait moins de son jeu. Meneghini gardera cette fonction
d’analyste vidéo avec la sélection chilienne sous les ordres de Jorge
Sampaoli (avec qui il a déjà collaboré avec le club chilien de
l’Universidad de Chile).
Si l’espionnage est un moyen à part entière pour analyser
l’adversaire, Bielsa met aussi tous les moyens de son côté pour s’en
protéger. En janvier 2008, avant que le Chili ne fasse sa tournée en
Asie à Tokyo et à Séoul, les journalistes devaient faire face à une
sécurité renforcée autour du centre d’entraînement aux allures de
maison d’arrêt. Des barbelés entouraient l’enceinte pour priver
photographes et journalistes d’images d’entraînement et empêcher la
présence du moindre espion.
Autre cas, plus particulier, celui d’Ever Demaldé. Difficile de
raconter l’histoire de la présence de ce dernier au sein du staff de
l’Olympique de Marseille sans qu’elle ne soit assimilable à un conte
de fées. Ce jeune homme de 27 ans, originaire de Junin, ville de la
province de Buenos Aires en Argentine, est un fanatique de football et
entraîne les jeunes du club de son quartier.
« Maman, j’ai écrit une lettre à Bielsa. J’aimerais qu’il me donne
une minute pour prendre un café et pour qu’on puisse parler. Je dois
aller à Rosario pour aller lui donner », déclare-t-il un jour à sa mère,
Margarita. Il a écrit à son idole en suivant son instinct et les deux
hommes ont commencé quelques mois après à communiquer à
distance de façon régulière sur la passion qui les unissait : le football.
Et puis un jour…
« Bonjour Ever, comment allez-vous ? » Nous sommes le 1er mai
2014 dans la maison familiale des Demaldé. C’est l’heure de la sieste.
À l’autre bout du fil, Marcelo Bielsa. « J’aimerais vous inviter à
prendre un cours intensif avec mon staff ici, à Rosario. Vous pouvez
voyager ? » Tel est le message de Bielsa au jeune homme. Ce dernier
accepte évidemment, très ému.
Depuis ce voyage à Rosario, sa vie a changé à jamais. Le cours
intensif qu’il a mené à bien avec les hommes de Bielsa lui a apporté
davantage de connaissances sur le jeu, les concepts, les tactiques et
les secrets de ce sport.
« Un jeudi, il m’a appelé et il m’a dit : “Maman, lundi, je pars en
France”. Comme ça, de but en blanc », confie sa mère au quotidien
argentin Los Andes. De l’autre côté de l’Atlantique, l’Olympique de
Marseille l’attend. Au départ, il est arrivé pour travailler avec le staff
pour quarante jours seulement, puis les semaines ont passé. Lors de
chaque entraînement (souvent muni d’un ordinateur portable,
d’annotations ou de statistiques) et de chaque match, il est aux côtés
de Bielsa. Pleinement investi au sein du staff technique, il finit par
signer son contrat à la demande de l’entraîneur marseillais pour
rester au club jusqu’à la fin de la saison. Et Ever Demaldé l’avoue bien
volontiers : « Je lui en serai éternellement reconnaissant. »
CHAPITRE IV

Un football vertigineux

Le 30 octobre 1983, Raúl Alfonsin est élu président de la


République argentine après sept ans de dictature militaire (1976-
1983). Une victoire historique qui en suit une autre.
En 1982, Marcelo Bielsa est nommé à la tête de l’équipe de
football de l’université de Buenos Aires grâce à un contact de son
frère, Rafael. L’Argentin de 27 ans est entraîneur pour la première
fois, et son groupe se compose d’étudiants amateurs. L’environnement
est parfait pour poser les bases de son programme. Il établit avant
toute chose un travail préliminaire en observant trois mille joueurs
pour n’en conserver que vingt. À l’heure de l’entraînement, il utilise
des manches à balai pour confectionner des piquets à l’utilisation
multiple : symboliser des joueurs adverses, servir pour les exercices
de technique individuelle avec ballon, être des points de repère pour
les exercices de passes, les exercices de précision ou les exercices de
vitesse. Il se sert également de rubans pour diviser le terrain en zones
et établir les ateliers, place des silhouettes de joueurs pour former un
mur imaginaire pour les exercices de frappes ou les coups francs et
n’arrête pas l’entraînement tant que la séance n’est pas menée comme
il l’entend. Qu’importe la pluie, le vent ou la faible luminosité du
terrain pour travailler les mouvements. Le soir, il récolte toutes les
données accumulées pour les classer dans son appartement du
septième étage aux allures de laboratoire. Avec l’arrivée de Bielsa, les
étudiants découvrent le sens de la mécanisation et de la répétition.
« Comme tout être humain, le footballeur est confronté à une
forte concurrence, au “trac”. Et comment peut-on le neutraliser ?
Avec la mécanisation, en faisant quelque chose de déjà préétabli, en
s’entraînant beaucoup avec le minimum de marge d’erreur », déclare
Bielsa en 1992 lors d’une interview à la revue chilienne Minuto 90
pour exprimer son idée. Comme la répétition tend à annuler la
responsabilité des joueurs dans l’échec, il décide de changer les
horaires d’entraînement dans un souci d’optimisation des efforts.
Avant son arrivée, l’entraînement avait lieu le mardi et le jeudi, de
20 heures à 23 heures. Lui ajoute une séance le mercredi pour neuf
heures d’entraînement hebdomadaires. La préparation tactique pour
une intensité à toute épreuve et un pressing de tous les instants a un
prix.
« Son objectif était de nous encourager à nous entraîner. Son idée
était qu’on devait être les protagonistes sur le terrain. Ça demandait
du temps, et la première chose était d’avoir une condition physique
optimale, se souvient Miguel Calloni, milieu relayeur de l’université,
pour le quotidien argentin Olé en 2002. Il ne comprenait pas qu’on
étudiait. J’étudiais l’agronomie et parfois j’arrivais chez moi avec le
corps courbaturé. Je ne pouvais pas dormir à cause des douleurs
après tant d’entraînements, mais on gagnait tous nos matchs. On était
différents des autres parce qu’on était dans un environnement
amateur, mais on s’entraînait comme des professionnels. »
La conception de l’entraînement de Bielsa a également la vertu de
trouver très vite le respect de ses joueurs. Le respect est total,
partagé, et les relations sont bien définies : d’entraîneur à joueur et
vice versa. « Aujourd’hui, tout le monde est surpris par le sérieux
quotidien que Bielsa entretient avec ses joueurs, mais quand il a
commencé à travailler avec nous, il était à peine plus âgé que nous et
il nous vouvoyait toujours pour garder une distance. Il était très
sérieux et aussi très frontal. Aussi bien pour dire à un joueur qu’il
allait être titulaire qu’à un autre pour lui dire qu’il serait sur le banc »,
affirme pour Olé Claudio Giliberti, meneur de jeu de l’équipe à
l’époque.
Son obsession pour l’ultra-professionnalisation et son désir
constant d’une responsabilisation individuelle sont compris et
partagés par l’ensemble des joueurs. Bielsa est exigeant envers tout le
monde et tout le temps parce qu’il leur demande avant tout d’être
exigeants envers eux-mêmes.
Au Newell’s, certains joueurs de premier rang – dont des
entraîneurs aujourd’hui encore en activité – ont bien connu Marcelo
Bielsa à l’entraînement. Et notamment son goût pour la perfection. Il
est arrivé que l’Argentin ait étonné ses joueurs par des pratiques peu
conventionnelles. Par exemple, quand un joueur éprouvait des
difficultés à effectuer un exercice de passe, Bielsa n’hésitait pas à aller
loin dans sa démonstration. Parce que les gestes peuvent être plus
efficaces que les mots, plusieurs fois, Bielsa prenait son stylo pour
signifier sur les crampons de certains joueurs là où le ballon devait
être placé. Chaque partie du pied a une utilité particulière en fonction
de votre position et du partenaire recherché. Sans sourciller, il
n’hésitait pas à salir sauvagement la chaussure, mais l’important
résidait dans la compréhension du concept.
« Je venais d’un quartier modeste, et trouver quelques Topper à
l’époque, c’était comme voir le paradis, explique le défenseur
Fernando Gamboa dans La Vida por el fútbol de Roman Iucht. Quand
il a commencé à faire ses rayures sur mes crampons, on ne pouvait
pas le croire. Durant cet instant, on a cessé de l’écouter parce qu’on
était tous là à penser comment il allait les ruiner ! On pouvait les
garder une semaine jusqu’au jour où on était contraints de les
changer. Et s’il devait t’expliquer encore une fois, il te les salissait à
nouveau, sans remords. Imagine-toi, moi qui viens d’un milieu
modeste et qui rencontre un type comme Bielsa… »
Ces types de réactions peuvent varier. Dans un registre davantage
préventif, Bielsa peut simplement conseiller les joueurs sur leur mode
de vie. Comme avec Gabriel Batistuta, qui a la fâcheuse habitude de
grignoter à foison des pâtisseries les jours d’entraînement ou de faire
une sieste imprévue les jours de pluie.
Pour rester dans la pratique, afin de travailler sa précision de
passe longue après l’entraînement, depuis le rond central, Gamboa
doit faire passer le ballon par-dessus la barre transversale d’une cage
afin d’inscrire un but à une autre cage située deux mètres plus loin.
Autre exemple, si vous pensiez que Jorge Sampaoli est le premier
entraîneur à avoir suivi les performances de ses joueurs depuis le
sommet d’un arbre, vous faites erreur. Expulsé, l’entraîneur de
l’équipe amateur d’Alumni de Casilda a trouvé ce moyen pour suivre
la performance de ses joueurs puisqu’il n’y avait pas de tribunes.
Bielsa, lui, au Newell’s, a simplement jugé que la perspective était
meilleure de cette position pour regarder la façon dont ses garçons
frappaient au but à l’entraînement.

Mardi 24 juin 2014, 10 h 45, l’avion de Marcelo Bielsa en


provenance de Rome se pose sur le tarmac de Marignane. Guy
Cazadamont, le directeur de la sécurité de l’Olympique de Marseille,
est venu le chercher à l’aéroport avant de l’installer dans un
monospace direction le centre Robert-Louis-Dreyfus. « Arrivé à la
Commanderie, en sortant de la voiture, Bielsa vient vers moi et me
fait un signe pour me dire : “Je veux aller voir les supporters, les
saluer.” J’ai un petit instant de surprise, puis on descend ! » raconte
Cazadamont dans les colonnes de France Football. À l’initiative des
South Winners, une centaine de supporters attendent Bielsa pour
l’accueillir avec banderoles, fumigènes et chants en son honneur. La
banderole « Haznos Soñar ! » (Fais-nous rêver) est déjà déployée.
Un mois plus tôt, le 24 mai, Bielsa était arrivé à l’aéroport de
Marignane par une porte dérobée pour une première visite détaillée
du centre Robert-Louis-Dreyfus, à l’abri des regards et de la presse.
Sitôt le contrat signé (d’un an renouvelable), le 27 mai, Bielsa
était reparti dans l’après-midi pour l’Argentine. La veille, le nouvel
entraîneur olympien avait assisté à l’entraînement d’une dizaine de
jeunes de l’OM dirigé par son assistant, Diego Reyes.
Il ne fait son retour à Marseille que ce 24 juin – pour saluer les
supporters dès son arrivée, donc – et pour diriger dans l’après-midi sa
première séance d’entraînement avec son staff élargi mêlant
professionnels et jeunes du centre de formation. Plus tôt dans l’après-
midi, Marcelo Bielsa a tenu à voir l’évolution des travaux qu’il avait
demandés durant son absence avant de faire une sieste. Deux autres
séances sont prévues le lendemain (une le matin et une autre en fin
d’après-midi), des entraînements biquotidiens qui jalonneront la
présaison de l’OM. À l’égal du coach qui préfère faire un somme à la
Commanderie alors qu’une chambre lui est réservée à l’hôtel
Intercontinental sur le Vieux-Port jusqu’au 1er août, les joueurs sont
également priés de dormir au centre d’entraînement pour la reprise.
Cette saison, pas de stage délocalisé au programme de la préparation,
la présaison a lieu à Marseille.

Durant la saison, le rythme sera légèrement différent : « On


s’entraîne une fois par jour et on double la séance une fois par
semaine. Dans ce cas-là, on vient dès le matin. Il y a une séance vidéo
pour le groupe avant chaque entraînement, confie le défenseur
Stéphane Sparagna au Dauphiné. On débute avec un échauffement
avec ballon, puis il y a beaucoup d’exercices tactiques. Il n’y a pas
beaucoup de jeu, mais des actions à devoir répéter en matchs. Quand
on double la séance, on mange ensemble à midi. Puis c’est la sieste, à
nouveau séance vidéo, collation et entraînement en fin de journée,
davantage basé sur le jeu. »
Pour l’aider au quotidien, à l’OM, Bielsa bénéficie d’un staff
pléthorique. Son bras droit qui l’a accompagné partout jusque-là pour
passer au crible la proposition du club se nomme Diego Reyes, un
Chilien de 33 ans, coordinateur principal de l’ensemble des
changements demandés par Bielsa pour rénover le centre Robert-
Louis-Dreyfus. Ce grand fan de l’Argentin travaille à ses côtés depuis
2008 avec la sélection chilienne et ne l’a jamais quitté depuis.
D’abord analyste vidéo, il est devenu l’un de ses collaborateurs les
plus proches.
C’est également sous son égide que débute chaque entraînement.
Présent une heure avant le groupe professionnel, ordinateur en
mains, il prend en charge une poignée de joueurs issus du centre de
formation qui préparent la séance en amont. À ses côtés, un visage
bien connu, celui de Franck Passi, coach intérimaire avant l’arrivée de
Bielsa et traducteur de la première conférence de presse de
l’Argentin. Présent aux entraînements, sa maîtrise de l’espagnol en
fait un rouage indispensable entre les joueurs et le staff. Dans la mise
en place des entraînements, la préparation et l’explication des
ateliers, l’Argentin peut compter sur un autre Rosarino, Javier
Torrente (45 ans, avec qui il a travaillé à l’Atlas Guadalajara, à Vélez
Sarsfield, à l’Espanyol Barcelone et avec la sélection argentine) ainsi
que sur Pablo Quiroga (un Argentin de 33 ans avec qui il a travaillé
au Chili et à l’Athletic Bilbao), le premier étant responsable du
secteur défensif, le second du secteur offensif. Le frère cadet de
Javier, Diego Torrente (42 ans), est, lui, responsable du secteur vidéo
assisté par Thomas Benedet.
Le travail préparatoire effectué, c’est aux côtés de Jan Van
Winckel, le préparateur physique et Frédéric Faure, son adjoint, que
le groupe professionnel débute l’entraînement. En cas de pépin
physique, le responsable de la cellule médicale est Christophe Baudot
et en cas d’incompréhension, le traducteur au quotidien chargé de
traduire la moindre parole de Marcelo Bielsa se nomme Fabrice
Olszweski. Les deux hommes se sont connus en 2008 quand le
Français servait de guide pour la sélection du Chili lors du festival
« Espoirs de Toulon ». Il aidait alors déjà personnellement Bielsa dans
toutes ses requêtes du quotidien, « des trajets en taxi à la traduction
du menu à l’hôtel », rapporte France Football. Ils s’entendaient si bien
que le technicien argentin souhaitait l’intégrer au sein de la
Fédération chilienne. En vain. Il était donc naturel qu’à son arrivée à
l’OM, il fasse appel à lui.
Outre les hommes, le travail de Bielsa compte toujours autant sur
une logistique de premier plan, si bien que le centre d’entraînement
prend des allures de camp militaire. L’ensemble du complexe a été
réaménagé, les espaces de vie ont été réorganisés, un échafaudage a
été conçu sur les hauteurs du terrain principal pour qu’une caméra
dédiée à l’équipe professionnelle filme chaque séance en plan large,
les alentours du centre d’entraînement ont été transformés en
parcours de santé pour le travail physique des joueurs et les
dimensions des terrains ont été calquées sur celles du stade
Vélodrome. Tout est organisé, noté, décortiqué.
Dans cette quête de perfection dans l’analyse des entraînements et
dans l’optimisation de ceux-ci, le 10 avril 2015, le club présente un
outil inédit et unique au monde : la Rodania Mobile, plus
communément appelée « Bielsamobile », pensée par Marcelo Bielsa
(il a envoyé son concept via un fichier pdf) et financée par Rodania,
l’horloger officiel du club.
Développée par les responsables d’OMTV, Jean-Robert Escande et
Olivier Guilbert, la Rodania Mobile est un outil doté d’un écran de
haute technologie qui permet à l’entraîneur d’expliquer les exercices
et d’analyser les séances en temps réel. Ce véhicule à vocation
éducative et pédagogique est équipé : d’un mécanisme qui permet la
captation HF en direct des entraînements ; d’un système en temps
réel de ralentis pour corriger les erreurs et clarifier les instructions
nécessaires ; d’un tableau blanc pour montrer les instructions
tactiques et d’un chronomètre digital pour avoir une parfaite maîtrise
du temps utilisé.
Ainsi, cette prouesse technologique permet de favoriser la
perception, l’attention et la concentration des joueurs (aussi bien les
professionnels que les joueurs du centre de formation), d’augmenter
l’efficacité des entraînements et d’accélérer le rythme des séances.
Toutes ces innovations et ce perfectionnisme à l’entraînement ont
un but précis : permettre à son équipe d’être dans les meilleures
dispositions possibles pour obtenir la victoire. Le technicien argentin
a une idée fixe du football qu’il veut mettre en place. Un football
particulier avec des codes tactiques à respecter.
« Je crois au protagonisme, à l’idée de prendre l’initiative du jeu, à
faire en sorte que le match se déroule dans la partie de terrain
adverse, à avoir le ballon et à éviter que l’adversaire ne l’ait, à le
récupérer rapidement, et à priver l’adversaire de la moindre minute
de possession. […] Pour moi, les efforts doivent se concentrer sur
notre création et non sur l’exploitation des erreurs adverses. C’est une
manière d’interpréter le jeu, et c’est la seule qui me plaît. »
Marcelo Bielsa s’est beaucoup livré sur l’aspect du jeu depuis le
début de sa carrière. Tout son parcours a été marqué par la
reconnaissance constante et unanime du football pratiqué par ses
équipes. Quand il est question du jeu de Marcelo Bielsa, il est
question d’une empreinte et d’un style. « La fonction que nous avons
en tant qu’entraîneurs est de faire en sorte qu’une équipe ait une
base, qu’elle ait un style, qu’elle joue d’une certaine manière,
explique-t-il sur le site Metodobielsa.com. Nous comprenons le style
comme la manière, la base choisie pour résoudre les situations qui se
présentent en match. Il s’agit simplement de choisir certains outils qui
constituent une manière de jouer. Il n’y en a pas beaucoup, mais il y a
plusieurs manières de jouer au football, différents styles de jeu. »
Bielsa énonce ainsi qu’il y a deux types d’entraîneurs : « Ceux qui
croient en ce qui est préétabli, programmé, préparé, et ceux qui
croient à la spontanéité, à l’inspiration, à la liberté. […] Tout indique
qu’aucune école n’est meilleure qu’une autre. Seulement, il y a des
individus qui mènent et croient à l’école du protagonisme et d’autres
qui croient à la spéculation. »
Son football résolument offensif, sans compromis, du Newell’s à
l’Olympique de Marseille, est permanent. Le natif de Rosario avoue
bien volontiers sur Metodobielsa.com que cette foi inébranlable en un
football proactif ne pourra jamais le quitter. « Je suis obsédé par
l’attaque. Je regarde des vidéos pour attaquer, pas pour défendre.
Mon travail défensif se résume en une phrase : “Nous courons tous.”
Le travail de récupération du ballon repose sur cinq ou six directives
et ciao. Le football offensif est infini. C’est pour ça qu’il est plus facile
de défendre que de créer. Courir est une décision de la volonté, créer
requiert l’indispensable ingrédient du talent. […] J’ai des idées que je
peux difficilement abandonner parce que ces idées font l’entraîneur
que je suis. Je suis plus à l’aise si l’équipe que je dirige passe
davantage de temps à attaquer qu’à défendre. Plus vite nous
récupérons le ballon, plus longtemps nous aurons la possession du
ballon. Ces efforts sont effectués de sorte que cette idée soit acceptée
et la bienvenue chez les joueurs. »
Dans le football moderne, il est usuel de voir les équipes presser
l’adversaire par séquence. Elles pressent la relance adverse avant de
relâcher leur effort afin de se repositionner dans une défense en zone
pour mieux déclencher une nouvelle séquence de pressing. Mais avec
Bielsa, le schéma de pressing est très différent : c’est du harcèlement.
Le joueur n’est pas chargé de cadrer le porteur du ballon, mais de le
presser. Et en cas de transmission, le pressing se poursuit.
Incessamment. Un pressing haut, continu, organisé et en nombre. Le
pressing s’exerce en plusieurs vagues et sur différentes zones :
pressing sur le porteur du ballon, mise sous pression des potentiels
destinataires et pressing qui s’intensifie particulièrement sur les côtés.
Il faut étouffer l’adversaire afin de couper les lignes de passes avec
l’objectif de récupérer le ballon le plus rapidement et le plus haut
possible.
Dans cette continuité d’étouffer l’adversaire par un pressing tout-
terrain, Bielsa s’appuie sur un principe tombé en désuétude : le
marquage individuel. Depuis le début des années 1990, période
durant laquelle l’AC Milan d’Arrigo Sacchi a dominé le football
européen, la grande majorité des équipes adoptent un marquage de
zone dans le but de contrecarrer les velléités adverses. Mais Bielsa
n’en a que faire. Il préfère un strict marquage individuel où chaque
joueur est tenu de suivre son adversaire direct. L’ailier prend son
latéral, le latéral s’occupe de son ailier, deux milieux de terrain se
chargent des deux milieux de terrain adverses les plus prédisposés à
la relance, et l’avant-centre répète les courses à haute intensité
jusqu’au gardien adverse. Le but ? Que l’adversaire n’ait qu’un seul
joueur libre (un défenseur), et ce afin de profiter constamment de la
supériorité numérique en couverture.
Oui, le principe défensif, celui du surnombre, structure le système
de jeu des équipes de Bielsa. Ce dernier s’adapte constamment à
l’organisation de jeu adverse pour garder une supériorité numérique
défensive par rapport aux attaquants adverses. Le principe est simple,
face à deux attaquants, Bielsa met en place une défense à trois et,
face à un avant-centre, il opte pour une défense à quatre avec deux
défenseurs centraux.
L’objectif de ces principes défensifs est clair : que les joueurs soient
idéalement placés en phase offensive. « Je choisis d’occuper les côtés
parce que c’est de là que proviennent la majorité des situations
dangereuses, soutient Bielsa dans ses conférences. Le contraire
signifie centraliser le jeu. Une étude réalisée sur l’origine des buts
révèle que 50 % des buts ont pour origine le jeu sur les côtés. Si une
équipe souhaite faire le jeu, elle doit aligner au minimum deux
joueurs sur chaque côté. » La consigne numéro un de l’Argentin est
d’utiliser au maximum la largeur du terrain. Le jeu doit s’orienter ou
se dérouler dans les couloirs par le biais des combinaisons via des
jeux en triangle. « Se démarquer non pas pour celui qui a le ballon,
mais pour celui qui va le recevoir, pour moi, c’est le football du futur,
défend Bielsa à propos de l’importance du troisième homme. C’est un
savoir très très important et imparable pour l’adversaire. Le football
offensif du futur va dépendre de la capacité des joueurs à développer
cela. » L’utilisation de la largeur, c’est aussi la meilleure manière
d’ouvrir les espaces et de les exploiter. Afin de maximiser les options
de passe, le porteur du ballon doit disposer de trois appels différents
et coordonnés pour que la phase offensive soit la plus fluide possible :
un appel à hauteur, un appel entre les lignes et un appel en
profondeur avec, en finalité du mouvement, un centre ou un
décalage.
Par ce travail préparatoire, les équipes de Bielsa se caractérisent
par leur verticalité et leurs projections sur les centres. Après la phase
de relance et la phase de construction, très souvent, les actions
débouchent sur un centre avec trois, quatre, voire cinq, joueurs à la
réception. Une finalité permise par un travail de fixation initial et de
coordination des deux côtés du terrain.
Fixation via une combinaison sur un côté ➢ renversement côté
opposé ➢ présence en nombre dans la surface adverse.

Schématiquement, voilà comment Bielsa résume sa synthèse


tactique lors de sa conférence à Amsterdam d’octobre 2016 : « Qu’est-
ce que je propose ? Une compatibilité défensive en fonction des
caractéristiques des joueurs et de leur quantité. Je défends avec un
joueur de plus que l’attaque adverse et les défenseurs doivent être
compatibles avec les caractéristiques des attaquants adverses. J’ai
donc deux principes défensifs : compatibilité entre l’attaquant
adverse et le défenseur, et la supériorité numérique. Les principes
offensifs ? J’en ai deux : le liant entre la relance et la finition, et
disposer de deux joueurs sur le côté droit, deux joueurs dans l’axe et
deux joueurs sur le côté gauche. Pour moi, la tactique s’arrête là. Le
reste, comme la polyvalence, l’adaptation au système adverse, ce ne
sont pas des notions que l’on apprend, mais que l’on doit ressentir,
expérimenter, vivre. »
Toniutti : « Obligé d’être efficace »
L’animateur du blog Les Chroniques tactiques Florent Toniutti a décortiqué de
près le travail de Marcelo Bielsa, en particulier à l’Athletic Bilbao et à
l’Olympique de Marseille. Il qualifie l’approche tactique de Bielsa de
« totalitaire ».

Quelles est la principale limite au style de jeu prôné par Marcelo Bielsa ?
Florent Toniutti : Son football est hyper-usant. Son marquage individuel
demande une attention de tous les instants. Tu ne peux pas te reposer sur un
partenaire devant toi qui tente, par exemple, de couper une ligne de passe. Tu ne
peux pas te permettre de lâcher le marquage. Tu es obligé d’être à fond dès que
l’équipe n’a plus la balle. C’est un rythme très compliqué à tenir pendant
90 minutes, et c’est la raison pour laquelle aucun autre entraîneur ne le fait à part
lui. La plupart des entraîneurs qui utilisent aujourd’hui le marquage individuel
l’exercent dans le cadre d’un marquage mixte entre un marquage individuel et un
marquage de zone. Dans le cadre d’un marquage de zone, le travail effectué par les
attaquants permet au reste de l’équipe – parce que les attaquants bloquent des
lignes de passe – de pouvoir gérer son positionnement en fonction de ce facteur et
pas uniquement en fonction de la position de l’adversaire qu’il faut suivre tout le
temps. Avec Bielsa, Marseille pressait toujours, donc l’attaquant devait toujours
sortir au pressing, ce qui obligeait les autres joueurs à suivre. C’est usant
physiquement et peut-être encore plus mentalement. D’autant qu’à l’entraînement,
nous sommes sur une approche analytique où on s’entraîne sur du onze contre zéro
et où on répète au décimètre près les sorties de balle en vue d’affronter
l’adversaire. Et ça, chaque semaine. C’est une approche hyper-totalitaire.

A-t-il d’autres faiblesses ?


L’autre limite, c’est qu’il ne s’adapte jamais. Il ne va pas changer ses principes.
Le contre-exemple, c’est Sampaoli, également présenté comme un entraîneur très
offensif. J’ai le souvenir d’un bel exemple : le match entre l’Olympique lyonnais et
le FC Séville au Parc OL en Ligue Europa durant la phase de groupes lors de la
saison 2016-2017. Le FC Séville avait besoin d’un match nul pour se qualifier et
Lyon devait gagner par deux buts d’écart pour se qualifier à leurs dépens.
Comment a procédé Sampaoli sur ce match ? Il leur a laissé la balle, le FC Séville a
attendu en utilisant une défense mixte entre marquage de zone et marquage
individuel pour procéder en contre. Durant la première mi-temps, le FC Séville a
deux très grosses occasions de buts par l’intermédiaire de Vitolo avec exactement la
même action : récupération de balle au milieu, sortie rapide du ballon pour Vitolo
en profondeur qui se présente face à Lopez. Il y a 0-0 à l’issue du match, ces deux
actions auraient dû plier le match, mais son plan de match était clair. Pourtant,
c’est un entraîneur avec des principes. Mais face à un objectif précis, il est capable
de changer d’options. Or, Bielsa va garder les mêmes principes : marquage
individuel, pressing tout-terrain et relance depuis la défense. Cela renvoie à son
approche philosophique du sport et du football et de sa volonté de véhiculer des
émotions. C’est aussi ça qui le rend à part.

Quelles différences tactiques avez-vous observées entre son travail en Espagne


et en France ?
Il ne disposait pas du même matériel entre l’Athletic Bilbao et l’Olympique de
Marseille. L’effectif dont il disposait à l’OM était un peu supérieur. La différence
entre les deux effectifs résidait surtout dans le profil des joueurs. À Marseille,
Bielsa a fait sa saison avec Giannelli Imbula en « 6 », mais Imbula n’était pas fait
pour ce rôle-là. À Bilbao, il avait déjà ce profil de joueur avec Ander Iturraspe qui
était fait pour jouer dans ces dispositions. Par ailleurs, à l’OM, pour avoir un pied
pour relancer, il était obligé de reconvertir Morel en défenseur central quand, à
Bilbao, il avait déjà des défenseurs centraux capables de relancer (Javi Martinez et
Fernando Amorebieta). Sinon, dans le jeu et l’animation, ce qu’il a fait avec l’OM et
Bilbao est assez semblable. Il était question d’avoir la balle, de ressortir d’un côté,
de fixer, d’avoir un « 6 » capable de renverser à l’opposé pour que ça débouche sur
un centre ou des projections dans la surface.
Les différences se caractérisaient surtout par la qualité des joueurs à certains
postes clés. Des qualités qui changeaient aux différents postes. À Marseille, il
disposait de Dimitri Payet alors que, à Bilbao, il ne disposait pas de meneur de jeu
puisqu’il alignait deux milieux relayeurs avec Ander Herrera et Oscar de Marcos.
André Ayew pouvait beaucoup apporter dans les airs à l’OM, ce que n’apportait pas
Iker Muniain, qui a un profil plus percutant. Idem, tu ne construis pas avec Brice
Dja DjéDjé comme avec Andoni Iraola, un très bon point de fixation sur le côté
droit. L’équipe basque avait une équipe plus homogène en termes de qualité que
l’OM, mais le club phocéen a été porté par des individualités comme Payet, Gignac,
Ayew, Morel, etc. Certains joueurs de l’OM étaient à des niveaux supérieurs à ce
moment-là de leur carrière que ceux de Bilbao à l’époque. Aujourd’hui, un joueur
comme Ander Herrera – supérieur à n’importe quel joueur de l’OM – n’était pas
encore arrivé à maturité quand Bielsa a débarqué. Le groupe à Bilbao était plus
jeune, alors qu’à l’OM il disposait déjà d’un groupe avec de l’expérience, accompli,
qui connaissait très bien la Ligue 1 et qui pouvait prétendre au podium. A
contrario, à Bilbao, davantage de joueurs ont grandi avec lui au niveau continental.
Il avait un effectif plus faible qui va peut-être se rapprocher de celui dont il va
disposer à Lille cette saison avec des joueurs moins accomplis, non internationaux
et qu’il va devoir porter. Pour lui et son projet de jeu, ça colle beaucoup plus à son
approche du foot, à ses qualités et à ses défauts.

Selon vous, ses principes de jeu sont-ils désuets, trop rigides ou trop exigeants
pour que ses équipes puissent être performantes durablement ?
Par l’exemple, en club, on constate que ça ne dure jamais très longtemps. En
sélection, il a l’avantage de ne les avoir que sur un laps de temps réduit chaque
année et s’il arrive à faire rapidement passer ses idées, c’est quelque chose qui peut
fonctionner. Comme dans le cadre d’une grande compétition. Ça n’avait pas
fonctionné avec la sélection d’Argentine lors de la Coupe du monde 2002, mais cela
était dû à un manque d’efficacité devant le but. C’est aussi le problème de proposer
un jeu aussi tourné vers l’avant et autant à risques tant avec le ballon que sans.
Sans efficacité, tu es foutu. Parce que si tu te crées des occasions, tu vas en subir
également. Quand ton style de jeu est aussi offensif, tu es obligé d’être efficace.
L’approche en elle-même est risquée et présente d’énormes défauts pour le plus
haut niveau.

Justement. Depuis son arrivée dans le football européen, l’entraîneur argentin


possède une certaine faculté pour perdre lors des matchs importants face à
des équipes réputées plus fortes (finale de Coupe du Roi contre le FC
Barcelone [0-3], finale de Ligue Europa contre l’Atlético Madrid [0-3] lors de
la saison 2011-2012 avec l’Athletic Bilbao, etc. ; face à l’Olympique lyonnais et
le Paris Saint-Germain avec l’OM lors de la saison 2014-2015 en Ligue 1, etc.).
La raison est-elle principalement tactique ?
Il a des principes de jeu sur lesquels il ne négocie pas. À partir de là, quand tu
te reposes sur le marquage individuel défensivement, mais aussi sur une équipe
qui, au moment de finir l’action, est très souvent en situation de déséquilibre pour
mettre beaucoup de monde dans la surface, face à une meilleure équipe – ou du
moins face à une équipe de grande qualité –, ce système peut ne pas suffire.
La seule possibilité, c’est de parvenir à surpasser ou à surprendre l’adversaire
dans l’intensité et dans le pressing. C’est ce qui s’est passé avec l’Athletic Bilbao
face à Manchester United sur un aller-retour [en huitièmes de finale de la Ligue
Europa lors de la saison 2011-2012]. Il y a une vraie corrélation entre les équipes
sur lesquels il bute, généralement de meilleures équipes sur le plan des
individualités. Néanmoins, face à ces équipes, ses principes lui donnent aussi la
possibilité de faire jeu égal si elles ne répondent pas au défi de l’intensité et à son
pressing.
Par contre, face à de plus faibles équipes et en cas d’efficacité devant le but,
avec ce style de jeu, la probabilité de remporter des matchs est beaucoup plus
grande. Elles seront dépassées sur le plan de l’intensité. Par conséquent, en
disposant de joueurs plus forts dans les duels, la récupération sera plus simple, plus
haute, ce qui signifie beaucoup d’occasions et a fortiori beaucoup plus de chances
de gagner.

Quelle est son influence dans le football moderne, dans le champ tactique, et
quels en sont les marqueurs ?
L’influence se mesure en fonction de ceux qui se revendiquent de son football
ou qui le considèrent comme un modèle. On parle de Guardiola, Berizzo,
Pochettino, Sampaoli, Tata Martino, Gallardo… Énormément de coachs argentins
sont passés par lui, en l’ayant eu comme coach ou en ayant travaillé avec lui. Même
Simeone, alors que leurs styles n’ont pas grand-chose à voir, si ce n’est sur l’idée du
pressing et cette envie d’aller harceler l’adversaire dès qu’il ressort le ballon. Bielsa
a marqué beaucoup de clubs, de coachs et de sélections. À l’Athletic Bilbao, Ernesto
Valverde a repris son équipe sur laquelle il a bâti, sur le plan du pressing
notamment. Partout où il est passé, il a laissé une trace, une empreinte dans
l’histoire des clubs ou des sélections, même lorsque son passage fut très court. C’est
la marque des coachs différents. En termes de style de jeu, on peut regrouper
certains coachs. Rapprocher Guardiola et Sampaoli d’un côté, Ancelotti, Conte,
Allegri de l’autre, Simeone avec Mourinho. Mais Bielsa est unique. C’est ce qui lui
donne cette aura, mais qui explique aussi pourquoi il est si clivant.
CHAPITRE V

Un patriarche autoritaire avec


ses joueurs

Souvent perçu à travers sa façon singulière de voir le football, le


rapport aux joueurs de Marcelo Bielsa paraît beaucoup plus ambigu.
Compte tenu de l’exigence qu’il demande à son entourage, et
notamment à ses joueurs, le technicien peut susciter chez ces derniers
des sentiments complexes qui ne se limitent pas au binaire « amour-
haine ».
Durant ses années au Newell’s, le natif de Rosario permettra à de
nombreux joueurs de devenir professionnels. Et il aura une relation
toute particulière avec deux d’entre eux : Eduardo Berizzo
(aujourd’hui entraîneur du FC Séville) et Darío Franco (entraîneur du
club argentin Aldosivi jusqu’en mai 2017). Les deux joueurs ont été
détectés au même moment, au même endroit, dans la localité de
Casilda, lors d’un tournoi de décembre 1983. Tous les deux jouaient
pour le club de Newerton de Cruz Alta et ont été mis à l’essai à
Newell’s une semaine durant avant de signer leur contrat dans la
foulée.
Bielsa a suivi Franco lors des grandes étapes de sa carrière, entre
joies et peines. « Il l’a soutenu après sa fracture tibia-péroné qui l’a
empêché de disputer la Coupe du monde 1994, l’a accompagné
jusqu’à l’aéroport lors de son départ de l’Argentine pour évoluer en
Europe, lui a écrit une lettre le jour de sa retraite et a fait le voyage
jusqu’à Cruz Alta pour lui présenter ses condoléances après la mort
de son père en 2006 », évoque notamment Roman Iucht dans La Vida
por el fútbol. Pour Berizzo, Bielsa est surtout précieux d’un point de
vue technique. Le joueur évoluait meneur de jeu ou ailier gauche
dans l’équipe de son village, mais Bielsa, frappé par son intelligence
de jeu, le repositionne dans un registre plus défensif, en défense
centrale et devant la défense, en « 5 » (milieu défensif en Argentine),
positions qu’il n’a jamais occupées jusque-là. Bielsa bouleverse ainsi le
destin de dizaines d’adolescents en modifiant leur mode de vie et leur
vision du football.
Pour d’autres, il fait preuve d’honnêteté, comme pour Claudio
Vivas, son futur fidèle collaborateur à l’Atlas Guadalajara, à Vélez
Sarsfield ainsi qu’avec la sélection argentine et l’Athletic Bilbao.
Gardien sans grand talent, il doit sa place dans l’équipe à son père,
José Vivas, dirigeant très aimé et respecté du Newell’s. Bielsa le
ramène ainsi à la réalité – ce que personne n’a osé faire jusque-là – en
lui expliquant qu’avec son niveau il n’a aucun espoir de faire partie de
ses plans. Et a posteriori, Vivas lui en a été reconnaissant.
Dans la liste des joueurs qui ont grandi sous son aile et qui iront
rejoindre de manière précoce l’équipe première du club de Rosario, il
y a Abel Balbo, buteur qui effectuera la majeure partie de sa carrière
en Italie. Il remportera la Coupe UEFA en 1999 avec Parme et la
Serie A avec l’AS Roma en 2001. On peut également citer Roberto
Sensini, infatigable milieu de terrain et illustre capitaine de
l’Albiceleste dans les années 1990, double vainqueur de la Coupe
UEFA avec Parme (1995, 1999) et vainqueur de la Serie A en 2000
avec la Lazio.
Et comment ne pas évoquer Gabriel Batistuta ? Issu de la petite
ville d’Avellaneda au nord de Santa Fe, il jouait dans le championnat
provincial de Rosario. Bielsa et Griffa voient un joueur grand, fort,
très bon de la tête et décèlent en lui un instinct hors pair. Mais le
joueur se montre dubitatif quant à l’idée de rejoindre le
Newell’s. Aussi Griffa décide-t-il de discuter avec son père – qui n’en
reste pas plus convaincu. Griffa émet alors l’idée que le joueur ne
joue qu’une année tout en continuant ses études, à Rosario. La suite,
on la connaît. Bielsa l’a toujours protégé et « Batigol » est devenu
l’attaquant le plus doué de sa génération.
La liste est encore longue, mais Mauricio Pochettino demeure sans
doute le cas le plus représentatif de ses découvertes. Tout commence
à Santa Isabel, près de Venado Tuerto, dans la province de Santa
Fe. Griffa et Bielsa y donnent une conférence. Dans la nuit, lors d’un
asado, est évoqué le nom de Mauricio Pochettino, un jeune plein de
talent en partance pour Rosario Central. À l’heure du départ, Griffa
fait part à Bielsa qu’ils ne rentreront pas à Rosario avant d’aller à
Murphy, la localité où vit le jeune Pochettino. Il est 2 heures du
matin, les parents dorment. Il n’y a pas de sonnette, les deux hommes
tapent alors à la fenêtre. Le père, surpris, leur demande ce qui se
passe. Griffa se présente, lui annonce qu’ils viennent pour voir son
fils. Le père les reçoit dans sa cuisine, les deux hommes évoquent le
garçon et ont la confirmation que Pochettino va signer pour Central.
Griffa propose que son fils aille faire un essai au Newell’s afin qu’il
fasse ensuite son choix. Il lui demande ensuite de voir le jeune
homme. Il dort, mais le père les amène dans la chambre puis soulève
sa couverture. Bielsa et Griffa sont alors impressionnés par le gabarit
du jeune adolescent. Pochettino signera au final pour Newell’s et
deviendra, à terme, un défenseur à la renommée mondiale.
Presque vingt ans plus tard, en 2003, alors que Marcelo Bielsa
débute son second mandat à la tête de la sélection argentine, après
avoir voyagé à travers le monde dans le but d’observer les joueurs
sélectionnables, il fera confiance à un joueur de 19 ans nommé Javier
Mascherano. Le jeune homme fera ses débuts en sélection face à
l’Uruguay le 16 juillet 2003 avant même de faire ses débuts avec son
club de River Plate. « Jamais, je n’aurais imaginé débuter ma carrière
en jouant pour la sélection avant de jouer pour mon club, confiera-t-il
la veille du match pour le quotidien argentin Río Negro. Personne ne
peut imaginer cela, parce que ça se passe rarement comme ça. Mais
par chance, les entraîneurs de jeunes regardent tous les joueurs, c’est
la raison pour laquelle j’ai eu cette possibilité d’être là. » Sa chance,
aussi, c’est que Bielsa l’observe de longue date. Mascherano a été
l’une des pièces maîtresses de l’Argentine vainqueur du
Sudamericano U20 2003 six mois plus tôt. Et, surtout, il l’a observé
quand il était un « sparring » de la sélection. Ainsi, peu importe les
risques et les critiques, il a jugé bon de lui faire confiance
indépendamment de son jeune âge.
Au sein d’un groupe, l’Argentin peut également se montrer
rassembleur, comme ce fut le cas à l’Olympique de Marseille.
Lors de l’hiver 2015, l’OM peine à retrouver son intensité et la
flamboyance de la première partie de saison. Le club phocéen
s’incline en Coupe de France face à Grenoble pour son premier match
de l’année 2015 (3-3, 4-5 aux t.a.b.) avant de chuter à Montpellier
(1-2, 20e journée) puis à Nice (1-2, 22e journée) en Ligue 1. Non
seulement l’OM n’est plus leader du championnat, mais le club
phocéen compte déjà quatre points de retard sur l’Olympique
lyonnais.
Vingt-quatrième journée. Après le match nul à Rennes (1-1)
durant lequel l’OM a montré ses difficultés à maîtriser son sujet,
Bielsa tient à réunir ses joueurs lors du premier entraînement de la
semaine. L’objectif est de leur rappeler la mission qui leur incombe :
celle de retrouver la foi à défaut de retrouver leur jeu. Un monologue
de six minutes devant son groupe que les caméras d’OMTV à travers
l’émission « Objectif Match » ont su immortaliser. « Même si on n’a
pas très bien défendu, j’ai trouvé qu’on s’est bien comportés
défensivement. On a eu très peu d’occasions de but, mais, en
revanche, les gars, j’ai beaucoup apprécié ce que j’ai vu en seconde
période, comme les efforts que je n’avais pas vus depuis longtemps.
Pour moi, Thauvin a eu une implication très significative, même
chose pour Payet. Ça fait longtemps que je ne les avais pas vus courir
autant. J’en profite d’ailleurs pour ouvrir une parenthèse pour vous
dire que l’accrochage entre Thauvin et Payet [pendant le match], je
m’en félicite. C’est une très bonne chose du moment que chacun fasse
preuve d’intelligence et que ce qui se passe sur le terrain soit
rapidement résolu en dehors de celui-ci. Je ne sais pas si tu te
souviens Michy [Batshuayi], lors d’un match précédent, Payet t’avait
fait remarquer qu’il avait marqué le défenseur central, mais que tu
n’avais pas pris le milieu récupérateur. Tu t’en souviens ? (Batshuayi
opine.) Je suis content de voir que ce genre de choses vous agace.
C’est bon de vous voir vous énerver sur le terrain. Ça veut dire que
vous prenez ça à cœur. Pourquoi je m’en félicite ? Parce que je n’avais
jamais vu Thauvin et Payet s’investir autant que dans le dernier
match. Je crois que je viens de dire “jamais”. Oui jamais, je ne vous
avais jamais vus ainsi. Nous avons aussi récupéré Gignac. Pas du
point de vue footballistique, mais il est redevenu cet émetteur
d’énergie dont nous avons besoin. J’ai beaucoup aimé Brice [Dja
Djédjé], j’ai apprécié l’envie de gagner de Mendy, la seconde période
d’Imbula était riche en contenu, Morel a été impeccable et devient
meilleur à chaque match. Je suis plein d’espoirs les gars. Ne croyez
pas que je confonde bien jouer et jouer mal. Je sais que nous n’avons
pas bien joué. Jamais on ne s’était procuré aussi peu d’occasions.
Mais j’ai vu l’attitude que je voulais voir. Notre rôle est de vous
transmettre de l’enthousiasme, mais on a aussi besoin que vous nous
transmettiez le vôtre. Parce que j’ai moi aussi besoin de vos messages
en retour pour pouvoir aller vers vous. »
Ce discours n’aura malheureusement pas les résultats escomptés.
À peine trois semaines plus tard, à la suite des matchs nuls face à
Reims (2-2), Saint-Étienne (2-2) et après avoir concédé trois buts en
deuxième mi-temps lors de la défaite au Vélodrome face à Caen (2-3)
pour le compte de la 27e journée, Marcelo Bielsa insiste de nouveau
sur la rigueur défensive à l’entraînement. Lors d’exercices spécifiques
sur le pressing (de deux minutes), l’entraîneur olympien rappelle à
l’ordre son groupe et notamment Michy Batshuayi, Dimitri Payet et
Florian Thauvin. Trois joueurs qu’il a pourtant pris en exemples trois
semaines auparavant. « Pour le pressing, on a vu que Thauvin et
Payet manquaient d’agressivité. Ce sont juste deux minutes. Michy
non plus, tu n’as pas été assez agressif. Ces deux minutes sont là pour
travailler l’agressivité. Vous devez prendre conscience que si ce
pressing échoue, l’attaque adverse va finir dans notre surface. Et ça
va vous demander de faire une course beaucoup plus longue. C’est
pour ça qu’il faut être très agressif ici, très agressif. Parce que si tu
n’es pas agressif au pressing là, il faudra courir jusqu’à notre camp,
là-bas. Même chose quand vous pressez le “6” et les défenseurs
centraux. Nous avons besoin de cette générosité. Plusieurs fois, Michy
va devoir défendre comme un “10”. Un sujet très important concerne
les deux défenseurs centraux et le milieu défensif. Le premier effort,
celui de Michy et Payet, est fondamental. Parce que si le récupérateur
sort comme sortait Seube dans le dernier match contre Caen, on ne
peut pas faire tout ça parce que le milieu défensif nous en empêche.
Il est très important de fixer rapidement les deux centraux et le
récupérateur. Ainsi, tout ce qu’on fera derrière fonctionnera. Nous
reproduisons ici des problèmes dans le jeu en les simulant pour les
résoudre. »
À propos du travail de Marcelo Bielsa lors des séances
d’entraînement, Dimitri Payet avouera, quelques mois plus tard dans
L’Équipe, éprouver le sentiment suivant : « Bielsa était fou dans sa
manière de fonctionner, dans le travail, dans la passion, dans la
manière de fêter les buts, les victoires. C’est un grand malade, mais
on a kiffé. Ses paroles étaient fortes, mais il y avait une telle sérénité,
un tel calme qui se dégageait de ses discours… En sortant d’une
causerie d’avant-match, une fois, j’ai regardé Steve Mandanda et je
lui ai dit : “Là, je peux mourir pour lui.” Il arrivait à nous motiver,
c’était un truc de ouf. Ses mots pouvaient nous emmener très loin,
vraiment. Il m’avait prévenu en début de saison. Il connaissait mon
potentiel et il voulait que je le montre à chaque match, chaque
entraînement, toute la saison. Le jour où j’ai un peu lâché, il m’a
sanctionné et sorti du groupe [pour le dernier match avant la trêve
hivernale, contre Lille]. Je n’avais pas le droit à l’erreur. »
Des propos qui ne sont pas sans rappeler ceux tenus par Óscar de
Marcos, milieu de terrain jusque-là remplaçant de l’Athletic Bilbao
sous les ordres de Joaquín Caparrós. Le natif de Laguardia sera le
troisième joueur le plus utilisé de l’effectif basque lors de ses deux
saisons au club avec l’Argentin (102 matchs disputés). Interrogé par
le quotidien El Mundo Deportivo, il confiera que sa relation avec
l’Argentin est à l’origine de sa transfiguration : « Avant l’arrivée de
Bielsa, je pensais être un joueur qui pouvait apporter quelque chose,
mais par moments, pas continûment. Lorsque Bielsa est arrivé, mon
état d’esprit n’a pas changé, puis il m’a donné cette confiance en
m’alignant match après match et en me parlant. Il m’a fait me sentir
un joueur important pour l’équipe et quand tu as confiance, tu
donnes 140 % de tes possibilités. »
Mais tous les joueurs n’ont pas ressenti ces mêmes sentiments de
transcendance ou de plaisir à évoluer sous ses ordres. Pour certains,
la cohabitation avec Marcelo Bielsa a été beaucoup plus compliquée à
appréhender compte tenu de leur personnalité ou de leur statut.
À l’université de Buenos Aires par exemple, la rigueur et l’autorité
de l’Argentin ne plaisent pas à tous les étudiants. Il est vrai qu’obéir
aux ordres d’un homme à peine plus âgé que vous peut paraître
humiliant. C’est le cas d’Eloy Del Val, capitaine de l’équipe, qui
n’apprécie que très peu le traitement égalitariste imposé aux joueurs.
Eduardo Botto, l’attaquant de pointe, déclare ainsi dans le quotidien
Olé en 2002 : « Ils s’affrontaient souvent avec Marcelo. Lors d’une
altercation, ils se sont rendus sur un terrain derrière le centre
universitaire. Ils disaient qu’ils n’allaient pas en venir aux mains, mais
les deux ont enlevé leurs montres et on pensait qu’ils allaient
s’entretuer. Mais non, il ne s’est rien passé, si ce n’est que le capitaine
a commencé à se battre à mort pour l’équipe. Bielsa a un caractère
très fort, mais on en a besoin pour mener un groupe. » Avant de se
montrer plus direct : « Avec lui, on a appris à jouer au football. »
Une autre figure du football mondial a connu le tempérament de
l’Argentin : José Luis Chilavert. À Vélez Sarsfield, avant une séance
d’entraînement, Bielsa est agacé. La raison ? Un joueur a tenu à la
presse des déclarations qui le dérangeaient. Le latéral gauche, Raúl
Cardozo, a exprimé son scepticisme quant à la philosophie de jeu de
l’Argentin. Des propos que Bielsa ne peut pas laisser passer. Avant la
séance, il demande alors à un de ses collaborateurs de réunir les
joueurs avant de commencer un discours qui met l’accent sur l’équité
entre les joueurs et la nécessité d’être convaincu par le système de jeu
adopté. Un postulat que ne partage absolument pas le leader de
l’équipe : José Luis Chilavert. Le gardien international paraguayen se
considère comme un titulaire à part entière, un leader qui a gagné
tous les titres et qui n’ose imaginer se trouver un jour remplaçant.
Dès lors, une véritable empoignade s’engage entre les deux hommes.
Face au refus catégorique de Chilavert d’approuver le principe de
Bielsa de considérer tous les joueurs sur un pied d’égalité, l’Argentin
lui propose de quitter le groupe s’il ne partage pas son point de vue.
Ni une ni deux, le gardien prend ses affaires et quitte le centre
d’entraînement d’Hindú Club au volant de sa BMW devant ses
coéquipiers, médusés. Droit dans ses bottes, Bielsa invitera quiconque
à le suivre en cas de désaccord, mais aucun joueur ne s’est levé, et
l’entraînement a pu débuter dans la foulée.
Le lendemain, le gardien paraguayen se rend au bureau du
président Raúl Gaméz pour lui signifier son désir de quitter le club et
le prie d’accepter la moindre offre dans l’optique d’un transfert. Selon
lui, son statut de meilleur gardien du monde selon l’IFFHS (trophée
qu’il remportera en 1997 et en 1998) n’est pas respecté. À quelques
mois du Mondial français, il n’y a pas de temps à perdre. « La relation
avec l’entraîneur n’est pas la meilleure qui soit, lui avoue-t-il alors,
rapportera le quotidien La Nación. Je veux que personne ne me
prenne de haut et je ne permets à personne de me manquer de
respect. En treize ans de carrière, je n’ai jamais eu de problèmes avec
mes entraîneurs, et encore moins à Vélez. » Si, finalement,
l’international paraguayen continue de s’entraîner, mais à l’écart du
groupe, au centre sportif de Liniers, ce différend perturbe tout de
même la présaison. Avant le début du Clausura 1998, Vélez fait le
voyage à Mendoza pour y affronter River Plate dans le cadre de son
dernier match amical. Une victoire (2-1) qui permet de calmer les
esprits et de ramener tout le monde à la raison. Très important pour
le groupe, Chilavert finit par retrouver l’effectif, se remettre au travail
physique et gagner sa place de titulaire. Calmement.

Un autre incident concernant Marcelo Bielsa a occupé les


premières pages des journaux sportifs en Argentine peu après la Copa
América 1999.
Le 1er juillet 1999, l’Argentine dispute son premier match de la
Copa América face à l’Équateur dans un groupe comprenant
l’Uruguay et la Colombie. Avec un doublé de Martín Palermo et un
but de Diego Simeone, l’Albiceleste débute idéalement le tournoi (3-
1). Mais les hommes de Bielsa terminent deuxièmes de leur groupe
après avoir été défaits par la Colombie lors du second match (0-3).
Pour les quarts de finale, l’Argentine hérite du Brésil, facile vainqueur
de sa poule. Malgré l’ouverture du score de l’Argentine par
l’intermédiaire de Juan Pablo Sorín, le Brésil l’emporte grâce à
Rivaldo (1-1, 32e) et Ronaldo (2-1, 48e). Pourtant, les Argentins ont
eu l’occasion d’égaliser après avoir obtenu un penalty. Martín Palermo
ayant loupé ses trois tentatives contre la Colombie, c’est Roberto
Ayala qui s’en est chargé. Et Dida l’a arrêté…
Après la déception de la défaite et cette élimination prématurée,
le groupe doit attendre vingt-quatre heures de plus au Paraguay
avant de rentrer en Argentine. Une fois arrivé au centre
d’entraînement de la Villa Olimpia, Bielsa profite de la mise au vert
pour, dans l’après-midi, faire le point avec chacun des joueurs afin de
lui exposer son point de vue sur leur campagne respective. Mais
l’avant-centre d’Independiente José Luis Calderón est
particulièrement mécontent. Il n’a pas joué une seule minute du
tournoi. Les deux hommes s’expliquent, parviennent difficilement à
s’accorder, mais les choses semblent s’être clarifiées. Dans la soirée,
Bielsa fait une nouvelle causerie, et le groupe se met d’accord sur le
caractère confidentiel de cette réunion. Mais, dès le lendemain,
Calderón se confie sur Radio Mitre pour critiquer sévèrement Bielsa
de ne pas l’avoir fait jouer volontairement. Il se plaint d’avoir été
sélectionné pour servir de « sparring ». En d’autres termes, d’avoir été
« utilisé ».
Alors que, dans la matinée du 13 juillet 1999, le groupe attend le
vol 910 de la compagnie Varig à l’aéroport Silvio Pettirossi, un proche
appelle Bielsa sur son portable pour lui relater les déclarations
explosives de l’attaquant. Après avoir fait les cent pas, Bielsa appelle
Ayala et Simeone, respectivement capitaine et vice-capitaine, pour
leur demander de réunir le groupe. Et la zone d’embarquement va
vite savoir ce qu’il en est. « Calderón ne mérite pas de faire partie de
cette équipe, c’est une merde », lâche Bielsa. « Et vous, un fils de
pute ! lui répond immédiatement l’attaquant en allant vers lui.
Pourquoi m’avoir amené ? Pour me promener ? »
En présence de journalistes et de photographes, Bielsa reproche
au joueur d’avoir violé le pacte en ayant dit publiquement ce qu’il n’a
pas exprimé la veille au soir devant ses coéquipiers. Les joueurs
doivent intervenir pour éviter que ça dégénère. Pekerman, assis à
l’autre bout de l’avion, saura ce qui s’est passé par l’intermédiaire du
médecin Donato Villani qui a passé un long moment à parler avec
Bielsa.
« Comment peut-on discuter dans le football professionnel si être
convoqué et appartenir à un groupe signifie participer ! se défend
Bielsa en conférence de presse quand il est interrogé sur le sujet.
C’est une alternative, mais on ne peut jamais en être certain. Berizzo,
Husain, Aimar ont les mêmes droits. Les règles du jeu ne sont pas
nouvelles. Si les vingt-deux joueurs veulent jouer, c’est impossible. Je
peux me tromper, mais ça n’autorise personne à réclamer quoi que ce
soit parce qu’il y a une règle élémentaire de vie commune entre
professionnels, qui est de ne pas discuter des décisions prises. »
Quant à la performance de l’Argentine lors de la Copa América, Bielsa
n’éprouvera pas le moindre regret. « La production de l’équipe a été
louable. Nous avons joué d’égal à égal face à l’une des meilleures
équipes au monde et nous méritions de l’emporter. […] Je suis fier de
mon travail parce que je le fais avec dévouement, sérieux et
professionnalisme. Je ne suis pas quelqu’un qui improvise. J’ai des
antécédents qui ne m’ont pas empêché d’être là où je suis. Si pour
avoir perdu un match, je dois admettre que les choses vont mal, je ne
le ferai pas. »

En Europe, Marcelo Bielsa va également connaître une période


agitée avec son groupe à l’Athletic Bilbao. Pourtant, durant celle-ci, le
club basque est encore en course pour remporter la Coupe du Roi, la
Ligue Europa et décrocher une qualification européenne via le
championnat. Le 23 avril 2012, lendemain de victoire face au Racing
Santander (1-0), Bielsa met en place une petite opposition entre les
remplaçants et l’équipe de Bilbao Athletic, la réserve du club.
L’attaquant Fernando Llorente, sorti à la 65e minute de jeu la veille car
il souffre de douleurs au genou, est peu enclin à jouer et décide d’en
faire part à Bielsa. Il préfère se préserver puisque, trois jours plus
tard, l’Athletic doit disputer la demi-finale retour de la Ligue Europa
face au Sporting Portugal. Sauf que l’attaquant va livrer un argument
qui ne va pas plaire à l’Argentin : sa capacité de récupération
moindre eu égard à son poids. Une excuse pour Bielsa. L’Argentin lui
reproche immédiatement son attitude et le prive d’opposition, relate
Jon Rivas dans son ouvrage Las Locuras de Bielsa. Trois jours plus
tard, l’Athletic se qualifie pour la seconde fois de son histoire en
finale de Coupe d’Europe grâce à un but de… Llorente à la
88e minute. Un match historique.
Pour autant, dans les vestiaires, après avoir obtenu cette
qualification, Bielsa se dirige vers Llorente et lui signifie, sous l’air
sidéré du reste du groupe, que l’affaire n’est pas terminée. Le match
suivant, face à Saragosse, Llorente commencera le match sur le banc.
Ce ne sera pas le premier et dernier accrochage entre les deux
hommes : le lundi 1er octobre, l’attaquant sera de nouveau exclu de
l’entraînement. Une nouvelle fois, Bielsa lui reproche son
comportement durant une séance d’opposition (8v8).
Quinze jours avant ce match face au Racing Santander, le groupe
a pu observer une scène analogue. Dans les vestiaires du stade José-
Alvalade de Lisbonne, alors que l’Athletic vient de s’incliner (1-2) face
au Sporting Portugal lors de la demi-finale aller de la Ligue Europa,
Bielsa tance le capitaine Andoni Iraola pour sa performance. Le
joueur, exaspéré, ne manque pas d’afficher, en sourdine, sa lassitude
face au comportement de son entraîneur. Élément indispensable à
l’équipe, le capitaine joue depuis plusieurs semaines sous infiltrations
et demeure même incertain pour l’Euro 2012. « Les dossiers
médicaux des médecins du club envoyés à la Fédération espagnole
stipulaient à Vicente Del Bosque qu’il était préférable que le joueur ne
soit pas convoqué », précise même Jon Rivas.
Idem avec Ander Herrera. Le milieu de terrain souffre d’une
pubalgie au printemps et suggère à son entraîneur de le mettre
quelque temps au repos pour qu’il soit au mieux de sa forme lors des
matchs clés de fin de saison, mais il fera face à l’incompréhension du
technicien argentin. En cette fin de saison 2011-2012, les cadres du
vestiaire ne comprennent pas l’attitude de leur entraîneur.
Quelques mois plus tard, on en saura encore davantage sur les
relations que Marcelo Bielsa peut entretenir avec son groupe à
l’Athletic Bilbao grâce à un document exceptionnel dans lequel il se
confesse à cœur ouvert. Nous sommes le 10 octobre 2012 et le club
ne se dépêtre pas de son passé. Le quotidien basque Deia lâche une
bombe. L’intégralité de la causerie (en audio) de Bielsa à ses joueurs
date du 26 mai 2012, c’est-à-dire au lendemain de la finale de Coupe
du Roi perdue contre le FC Barcelone (0-3). Dans celle-ci, on entend
Bielsa dans les vestiaires endosser l’échec des deux finales perdues,
mais aussi admonester ses joueurs. Ce discours révèle aux supporters
et au grand public du profond sentiment de honte ressenti par
l’Argentin. Des finales que ses ouailles n’ont pas su maîtriser.
Émotionnellement, sportivement, son équipe a échoué
lamentablement devant son peuple. Et ça, Marcelo Bielsa ne le digère
pas et le fait savoir. « Dans les prochains jours, le club et moi
déciderons si je reste ici, à l’Athletic, la saison prochaine. Si je ne vous
revois pas, je voulais vous saluer. Je veux vous dire brièvement que la
saison s’est très mal terminée, vraiment très mal. Je suis responsable
de la manière dont elle s’est terminée et je vous dis clairement
pourquoi : nous avons fait un grand match contre le Sporting
Portugal [victoire 3-1 lors de la demi-finale retour en Ligue Europa]
et à partir de là, tout a été négatif. Le match d’hier [contre le FC
Barcelone] l’a confirmé de mon point de vue. Parce que les joueurs
qui répondent à ma manière de penser, à ma manière de voir le
football comme De Marcos, Amorebieta, Susaeta, Muniain, n’ont pas
été à la hauteur du match. […] C’est une cicatrice, une blessure. Hier,
j’écoutais certains d’entre vous discuter, rigoler. Ça me semble
inadmissible, inadmissible, les gars, de mobiliser tout un peuple, de
décevoir tout un peuple en n’étant pas à la hauteur des espoirs
générés. J’ai vraiment honte d’avoir déçu les supporters de l’Athletic
Bilbao, parce que nous les avons déçus, les gars. […] Comment ne
pas se sentir responsable quand les joueurs qui sont supposés
représenter au mieux mon idée du football sont ceux qui ont montré
le moins d’implication lors de ces matchs ? Je ne sais pas si vous
voyez ce que je veux dire. […] En dehors de ça, vous devez aussi
prendre conscience que vous êtes très jeunes, que vous êtes des
millionnaires immatures qui n’ont pas de problèmes, que vous ne
vous souciez pas du futur parce que tout est résolu pour vous et vous
vous permettez de rire alors que certaines personnes reviennent de
Madrid à pied. Et alors qu’on vient de perdre une finale. »
CHAPITRE VI

Épopées et exploits

Durant l’écriture de cet ouvrage, il était question d’écrire un


chapitre sur les succès et, de facto, sur les échecs sportifs de Bielsa.
Seulement, réduire son travail à ces termes éculés n’était en accord ni
avec la complexité des performances obtenues ni avec les définitions
que Bielsa fait lui-même des termes précités. Il est donc préférable
d’utiliser les termes de « réussite » et de « malheur » pour tenter de
définir au mieux ses accomplissements plus ou moins heureux.
Comment évaluer le succès comme l’échec ? Certaines équipes
peuvent remporter des titres, mais s’agit-il mécaniquement d’un
succès ? D’autres n’ont jamais remporté le moindre titre, mais sont
restées dans l’histoire du football parce qu’elles ont laissé un héritage
inestimable pour l’histoire du jeu de ce sport et dans la mémoire des
gens. La Hongrie de 1954, l’Italie de 1970, les Pays-Bas de 1974, le
Brésil de 1982 – pour les équipes les plus connues – en sont de
parfaites illustrations. Reste que cette dualité échec/succès
accompagne où qu’il aille Marcelo Bielsa dès lors qu’il est question de
définir sa place sur l’échiquier des entraîneurs. Davantage considéré
comme un technicien aux idées offensives extrêmes, suffisantes pour
faire le spectacle, mais moins adapté pour faire gagner ses équipes,
l’Argentin a non seulement remporté quelques titres, mais ceux-ci ont
été accompagnés de grands moments d’émotion.

Ainsi, au milieu de l’année 1990, le Newell’s est un club en perte


de vitesse. Sous l’égide de José Yudica, il est parvenu à remporter le
championnat 1987-1988 et à atteindre la finale de la Copa
Libertadores avant d’enchaîner deux saisons décevantes (12e chaque
fois). Une page du club doit se tourner. L’heure de Bielsa d’entraîner
l’équipe professionnelle est arrivée.
Le Newell’s, considéré comme une des meilleures écoles du
football argentin, présente cette année-là un effectif avec des joueurs
du sérail dont l’âge moyen ne dépasse pas les 22 ans. Pour asseoir ses
idées, le plus jeune entraîneur de première division va bouger les
pièces du puzzle comme il l’entend, au point de mettre une charnière
centrale d’une moyenne d’âge de 19 ans avec Fernando Gamboa et
Mauricio Pochettino. Aux côtés du « professeur » Jorge Castelli,
préparateur physique du club, Bielsa a implanté un travail physique
épuisant pour ses joueurs avant le début de l’Apertura 1990 (tournoi
d’ouverture). L’objectif est qu’il satisfasse sa proposition : (re)faire de
Newell’s une équipe dynamique, solidaire, qui asphyxie l’adversaire à
la relance et qui, dès la récupération, broie par ses percussions
l’équipe adverse. Résultat ? Grâce à ses principes de jeu, en partie
hérités de l’ère Yudica, le Newell’s écrit l’histoire. Outre un pressing
de tous les instants, Bielsa exige en plus verticalité et polyvalence. En
moins de deux ans, le club obtient deux titres nationaux (champion
d’Argentine en 1991, victoire lors du tournoi de clôture 1992, le
Clausura) et termine finaliste de la Copa Libertadores, soit autant de
hauts faits que dans toute son histoire.
Mais tout a commencé dès sa première saison avec la victoire lors
de l’Apertura 1990.
Ce samedi 22 décembre 1990, 19e et dernière journée de
l’Apertura, le Newell’s est leader avec un point d’avance sur River
Plate. River reçoit Vélez Sarsfield, le Newell’s se déplace sur le terrain
de Ferro Carril Oeste pour y affronter San Lorenzo. La tension est à
son comble. Le Newell’s ne fait pas mieux que match nul (1-1), ce qui
oblige les joueurs et les supporters à attendre l’issue du match des
Millonarios. Le match ayant commencé légèrement après celui de
Newell’s, il reste six minutes de jeu. Tout le monde reste sur le terrain
à écouter la radio. Bielsa, lui, ne peut pas. Tourmenté par l’enjeu, il
préfère suivre ces moments interminables seul, reclus, isolé, loin de la
moiteur des lieux. Il quitte le stade. « Les six minutes les plus longues
de l’histoire, contera pour El Gráfico le milieu de terrain Cristian
Ruffini, buteur contre San Lorenzo. El Gringo Garfagnoli serrait
tellement la radio qu’on pensait qu’il allait la casser. À un moment, sa
tête a changé et j’ai craint le pire. Le doute m’a paru un siècle. Et
ensuite, j’ai exulté. J’ai alors pensé à mes parents, comme lors du but.
Dieu existe. J’ai tiré cinquante coups francs durant la saison et
cinquante autres à chaque entraînement. Le plus proche était à trois
mètres du but. Aujourd’hui, je la mets en lucarne quand on en a le
plus besoin. »
Selon les règles, Newell’s n’est pas encore champion car le club
doit disputer la finale à la fin de la saison face au vainqueur du
Clausura 1991, Boca Juniors. Mais cet Apertura signifie bien plus que
ça pour Bielsa : il a le crédit de ses joueurs et la légitimation de sa
façon de voir le football. Voilà pourquoi la fête, les pleurs, toutes ces
émotions qu’il n’a jamais ressenties auparavant et qu’il ne ressentira
plus jamais. Une finale aller-retour contre Boca Juniors que Newell’s
remportera finalement aux tirs au but (1-1 sur les deux matchs, 3-1
aux t.a.b.) le 9 juillet 1991.
« Je leur ai expliqué que les finales définissent les acteurs, que la
manière m’importait peu, que celui qui l’emporte est le meilleur et
que celui qui perd est le plus mauvais, livrera Bielsa lors d’une
interview pour El Gráfico à la suite du titre. Qu’il faut par conséquent
ne pas se laisser leurrer par les défaites dignes ou les victoires
morales. C’est à la vie, à la mort. C’est comme ça qu’ils ont joué et
c’est pourquoi aujourd’hui on fait la fête. […] J’ai rêvé à quelque
chose qui par chance s’est réalisé : faire jouer Newell’s à un football
différent où le principal risque est le mouvement et où chaque joueur
a son rôle à jouer. Me resteront certaines images : Tata Martino balle
aux pieds, tête levée avec le choix entre cinq options possibles.
Saldana monte, Ruffini repique, Boldrini part en profondeur, Berizzo
se défait du marquage et Zamora décroche », s’est-il réjoui.

Quelques années plus tard, de retour en Argentine à Vélez


Sarsfield pour la saison 1997-1998, l’entraîneur argentin réussira un
autre tour de force. Celui d’avoir su maintenir au sommet une équipe
qui n’en demandait pas tant.
En 1997, le président du club argentin de Vélez Sarsfield, Raúl
Gámez, souhaite entamer une nouvelle ère. Il faut dire que le club
vient de connaître le cycle le plus abouti de son histoire sous l’égide
de Carlos Bianchi puis d’Oswaldo Piazza. À l’époque, Vélez est un
grand club à l’échelle internationale qui a remporté plusieurs titres
avec en point d’orgue la Copa Libertadores 1994 au détriment du São
Paulo FC de Telê Santana et la Coupe intercontinentale la même
année face au Milan de Fabio Capello.
Après ces exploits nationaux et continentaux, le président Gámez
décide de mettre en place un nouveau projet. L’heure est venue
d’apporter un autre souffle, de tenter une nouvelle aventure, de
régénérer le groupe et de revoir la formation du club afin de
continuer sur la voie du succès. Dans cette quête, Gámez a sa petite
idée : enrôler Marcelo Bielsa. Et ça tombe bien, le Rosarino est libre.
Gámez va donc à Rosario avec son vice-président, Guillermo
Pizzoglio, ravi à l’idée de rencontrer l’entraîneur qui a permis à
Newell’s de retrouver les sommets. Ainsi, le 28 juin 1997, Bielsa est
présenté officiellement comme le nouvel entraîneur du club après
avoir signé son contrat d’une saison.
De retour au pays, c’est une nouvelle étape dans la carrière de
Bielsa, habitué jusqu’à maintenant à construire les équipes ou à les
faire grandir, moins à les maintenir à un niveau d’excellence. Là, il
doit enseigner une nouvelle manière de jouer à un effectif bardé de
titres. « Je vais diriger l’une des équipes le plus prestigieuses du
football argentin, déclare-t-il d’ailleurs lors de sa conférence de presse
de présentation. Je vais essayer d’imiter le Vélez de ces dernières
années qui se base sur le modèle le plus recommandé avec un effectif
dynamique où prime le collectif. »
Bielsa parvient très rapidement à exiger le meilleur de ses joueurs.
Les résultats suivront immédiatement avec quatre victoires lors des
cinq premiers matchs de la saison de l’Apertura dont une large
victoire (5-0) face au… Newell’s le 28 septembre 1997. Des débuts
prometteurs qui ne suffisent pas malgré tout à satisfaire les espoirs
placés au début de saison. Malgré huit victoires, huit matchs nuls et
trois défaites, Vélez termine quatrième de l’Apertura 1997.
Néanmoins, malgré la déception des résultats, Bielsa conquiert
rapidement les supporters dès le premier jour grâce au jeu développé.
Ils sont plus de deux cents à se réunir lors d’un banderazo
(rassemblement de supporters pour soutenir une cause, une équipe,
un joueur) avant le match contre Estudiantes de la Plata le 5 avril
1998, dans la dernière ligne droite du Clausura 1998. Une rencontre
qui se soldera par une victoire (2-1) et qui permettra à Vélez
d’enchaîner trois victoires consécutives : face à Independiente (3-0), à
Jujuy face à Gimnasia (2-0) et contre Colón (6-1). Aux deux tiers du
Clausura (12e journée), Vélez est candidat au titre.
Les victoires successives face à Rosario Central (2-1), Ferro (4-1)
et au Deportivo Español (1-0) ne font que conforter la supériorité du
club de Buenos Aires. Avec six points d’avance, en cas de victoire lors
de l’avant-dernier match face à Huracán, les hommes de Bielsa sont
champions. Les séances d’entraînement restent toujours aussi
intenses, les habitudes ne changent pas. Grâce à un but de Posse de la
tête au stade José-Amalfitani, Vélez est champion d’Argentine pour la
cinquième fois de son histoire. Les joueurs qui auront été les plus
sceptiques à son arrivée sur les changements tactiques apportés
(Chilavert, Pandolfi, Cardozo) seront, au final, les piliers d’une équipe
où le collectif n’a jamais autant pris tout son sens. Comme au
Newell’s, au coup de sifflet final, Bielsa ne reste pas sur le terrain
fêter son troisième titre de champion d’Argentine, préférant la
solitude et le calme des vestiaires.
Pour parachever l’exploit, les joueurs lui offrent la victoire (3-2)
lors de la dernière journée face à Gimnasia y Esgrima La Plata. Vélez
est sacré champion d’Argentine avec quarante-six points, soit six
points d’avance sur Lanús, deuxième, en remportant quatorze des
dix-neuf matchs du championnat et avec une moyenne de plus de
deux buts marqués par match (39) pour à peine un seul but encaissé
(meilleure défense avec 14 buts encaissés). Le retour en Argentine de
Bielsa est triomphal. Désormais, l’Europe l’attend.

Mais ce passage sur le sol européen au sein de l’Espanyol


Barcelone ne se passe pas comme prévu. Après seulement six matchs,
il revient sur ses terres argentines – où il a été dominateur en
championnat – pour en diriger la sélection. Il y démontrera toute
l’étendue de ses qualités. Mieux encore, il construira au début du
e
XXI siècle la plus grande équipe du continent sud-américain.
Le travail de Marcelo Bielsa à la tête de l’équipe d’Argentine met
du temps à se mettre en place. S’il est nommé officiellement le
8 septembre 1998, le sélectionneur argentin ne commence son
mandat qu’au début de l’année 1999 (son contrat ne prenait effet
qu’en janvier 1999) par des matchs amicaux (six dont trois en fin de
saison) qui doivent préparer l’Albiceleste pour la Copa América. Une
préparation délicate pour s’adapter à un poste inédit, à des
prérogatives différentes et à un calendrier difficile à appréhender,
surtout quand vous possédez des principes de jeu qui demandent un
minimum d’automatismes collectifs et des ressources physiques
insoupçonnées.
Reste qu’à la suite de la Copa América 1999 (de laquelle
l’Albiceleste sera éliminée en quarts de finale par le Brésil, 1-2),
l’Argentine montre des signes encourageants en battant le Brésil en
match amical (2-0, buts de Juan Sebastián Verón et d’Hernán Crespo)
ainsi que la Colombie (2-1, buts de Gabriel Batistuta et d’Ariel
Ortega). Avant même d’entamer les matchs qualificatifs à la Coupe
du monde 2002, l’Argentine fait le plein de confiance en mettant fin à
l’invincibilité sur douze matchs de l’Espagne de José Antonio
Camacho pour son dernier match de l’année 1999 (2-0, buts de Kily
González et Mauricio Pochettino) après avoir démontré une grande
intensité dans le pressing et de la justesse dans la construction.
Mercredi 29 mars 2000, l’Argentine dispute son premier match de
qualification pour le Mondial contre le Chili. Une véritable
démonstration de football. L’Albiceleste se montre agressive et
l’emporte aisément (4-1). Avant le match, durant sa causerie, Bielsa a
demandé à ses joueurs de penser aux supporters, obligés de se lever à
4 heures du matin et de se tuer à la tâche pour se payer un billet afin
de les voir jouer. Forte de ce succès, l’Argentine enchaîne par deux
victoires consécutives face au Venezuela (4-0) à Maracaibo et face à
la Bolivie (1-0). Bielsa est cependant conscient que ses hommes n’ont
pas encore affronté les adversaires les plus dangereux dans la lutte
pour la qualification. D’un autre côté, il s’enorgueillit du rendement
de son équipe. Et notamment de la mentalité de ses joueurs dans
l’approche des matchs, un facteur d’autant plus important face à des
adversaires plus faibles. Avec neuf points sur neuf possibles et une
moyenne de trois buts par match, la campagne reste jusque-là
encourageante.
Le véritable premier test a lieu contre la Colombie. Nous sommes
le 29 juin 2000, le stade de Bogota est en fusion. Pour mieux le faire
comprendre aux joueurs et au staff argentin, les télévisions de leur
hôtel mettent en boucle l’inoubliable débâcle (0-5) des éliminatoires
de la Coupe du monde 1994 où, au terme d’un match historique, les
hommes de Maturana ont giflé l’Albiceleste au Monumental, obligeant
l’Argentine à disputer un barrage face à l’Australie. L’ambiance est
électrique. Les éloges ne valent rien en cas de défaite, le groupe le
sait. Bielsa le ressent si bien qu’avant le match sa causerie met
l’accent sur l’orgueil, la fierté et l’ambition. « Faut-il qu’ils sachent
que, dans un combat de rue, la plupart du temps un des deux se bat
jusqu’au sang ? Les gars, il y a deux attitudes : celui qui a la vue du
sang recule et fuit, et celui qui en veut toujours plus et va chercher à
achever le combat. Je peux vous dire que dehors, sur le terrain et
dans les tribunes, il y a l’odeur du sang. »
Galvanisée comme jamais et en dominant totalement son
adversaire, l’Albiceleste l’emporte grâce à un doublé de Batistuta et à
un but de Crespo (3-1). Suivra une défaite au stade Morumbi face au
Brésil (1-3). Les suspensions et les blessures viendront un temps
émailler les qualifications, mais la sélection vit une campagne
extraordinaire. À partir du printemps 2001, les hommes de Bielsa ne
perdent plus un match. Et quand ils gagnent, c’est avec une maestria
éloquente dans le pressing et les enchaînements. Le sélectionneur
argentin osera même l’utilisation d’un 2-3-5 d’un autre âge en phase
offensive (Burgos – Pochettino, Samuel – Vivas, Simeone, Sorín –
Verón, Gallardo, Ortega, Crespo, Kily González) lors de la leçon de
football donnée au Venezuela, dernier du groupe, le 28 mars au
Monumental (5-0).
En mondovision, le sélectionneur argentin parvient à tirer le
maximum de toute une génération. Bielsa a le choix : Batistuta et/ou
Crespo sur le front de l’attaque, Ortega, Véron, Gallardo ou Aimar
dans la construction avec comme relais une profusion de joueurs
hybrides (Zanetti, Kily González, Sorín, Claudio Lopez) et des
capitaines exemplaires pour prévenir du moindre danger (Sensini,
Ayala, Samuel).
« C’est un des entraîneurs auxquels je me suis le plus identifié,
énonce Sorín dans La Vida por el fútbol, dans le processus
d’assimilation et dans le plaisir de faire partie de cette sélection. Il y a
eu trois étapes : la première, celle de l’impact et de l’adaptation ; la
deuxième, celle de comprendre clairement que cet ordre de défendre
est en lien avec le fait d’attaquer tout le temps ; et la troisième, celle
de l’explosion, celle de tout donner et plus que tu ne penses pour
l’équipe. »
À l’issue des éliminatoires, l’Argentine termine en tête de la zone
AmSud avec un total de 43 points pris sur 54 possibles. Treize
victoires, quatre matchs nuls, une seule défaite. 42 buts marqués, 15
buts encaissés. Plus que jamais, l’Argentine s’impose comme un des
grands favoris de la prochaine Coupe du monde 2002 en Corée du
Sud et au Japon.
Or, elle connaîtra l’une des plus grandes désillusions de son
histoire, éliminée dès la phase de poules de la Coupe du monde 2002.
Malgré cet échec retentissant et après avoir divisé le pays, Marcelo
Bielsa sera confirmé à la tête de l’Albiceleste, « l’une de ses plus
grandes victoires », jugera Juan Pablo Sorín. Julio Grondona, le
président de l’AFA, n’hésitera pas un seul instant avant de faire
confiance à nouveau à son sélectionneur national. « Bielsa est le
meilleur technicien pour la sélection parce que c’est le plus complet et
parce que la sélection, c’est sa vie », expliquera-t-il à la presse. Pour
tenter d’atténuer cette douleur omniprésente, deux ans plus tard, la
sélection olympique dirigée par l’Argentin réagira de la meilleure
manière qui soit.
En effet, quelques mois après la victoire de la Grèce à l’Euro 2004
à domicile, à l’occasion des Jeux olympiques d’Athènes, les héros ne
sont pas grecs, mais argentins. Marcelo Bielsa est heureux. Et il y a de
quoi. En finale des Jeux, l’équipe argentine de football est sacrée
championne, le seul titre qui manquait à son palmarès. Avant la
cérémonie de la remise des médailles, Bielsa est resté sur le terrain,
pour une fois. Il participe pleinement aux célébrations, reçoit des
accolades de toutes parts et embrasse le « succès » avec un plaisir
immense.
À travers ce triomphe, Bielsa obtient même plus que ce qu’il
n’aurait jamais imaginé. Un titre historique avec l’opportunité d’avoir
vu à l’œuvre de jeunes joueurs dans sa volonté de régénérer l’effectif
de la sélection. Le tournoi a été parfaitement maîtrisé. Avec un jeu
irrésistible, l’Argentine a dominé son groupe qui comprenait la
Serbie-Monténégro, la Tunisie et l’Australie. Neuf buts marqués,
aucun d’encaissé. Des conditions parfaites pour voir au-delà de la
compétition, profiter des lieux et d’un contexte peu commun. Ce n’est
pas tous les jours que des joueurs vivent avec d’autres athlètes au sein
d’une même résidence comme le village olympique. Une expérience
de vie inoubliable qui frustrera néanmoins Bielsa, dans l’incapacité de
suivre certains sports comme le hockey sur gazon de son collègue et
très respecté Sergio Vigil, sélectionneur de l’équipe argentine
féminine.
Pour les joueurs, familiarisés à un autre style de vie, c’est aussi
une expérience unique. Loin des privilèges de leur quotidien, ils
doivent retrouver des habitudes qu’ils ont abandonnées un temps. Se
lever aux aurores pour se préparer, se regrouper dans des salons
communs pour prendre le maté, vivre quotidiennement sans télé, ni
air conditionné. La veille du match contre le Costa Rica, Kily
González confie au quotidien costaricien Al Dia : « Pour moi, être aux
Jeux olympiques est un rêve qui se réalise. Être au village olympique
où tu rencontres des grands sportifs du monde entier est quelque
chose d’unique. Nous sommes habitués à l’hôtel, à être servi, mais ici
tu dois faire les choses par toi-même et c’est très bien. Nous nous
sommes très bien adaptés. »
La victoire face au Costa Rica (4-0) permet à l’équipe de se
qualifier pour les demi-finales face à l’Italie des Gilardino, Pirlo, De
Rossi et consorts pour la finale avant la lettre. Bielsa demandera à
Mascherano de suivre Pirlo à la trace afin d’entraver au maximum le
jeu de la Nazionale. La victoire fut écrasante : 3-0. Buts de Tévez,
Lucho González et Mariano González. Pour l’or, il reste à se
débarrasser du Paraguay.
Le jour de la finale étant programmé à 10 heures du matin, la
routine d’avant-match de la semaine est modifiée. La sieste est
supprimée par le préparateur physique, Luis Bonini, et les joueurs
comblent l’attente comme ils peuvent. Le 28 août 2004, avec une
courte victoire (1-0), l’Argentine est sacrée championne olympique,
cinquante-deux ans après la dernière médaille d’or pour le sport
argentin et huit ans après avoir été défaite par le Nigeria en finale des
JO d’Atlanta (1996). La performance est extraordinaire. Six matchs
gagnés, dix-sept buts inscrits, une sélection invaincue durant tout le
tournoi avec un Tévez meilleur buteur (8 buts).
Pour Roberto Ayala, ce match restera gravé en lui à jamais. Le
défenseur central souffre d’une fracture du ménisque externe, mais
continue de jouer jusqu’au coup de sifflet final : « À la mi-temps, j’ai
dit au médecin que j’avais une grosse douleur au niveau du genou et
il m’a donné des analgésiques, confie-t-il dans La Vida por el fútbol.
Mais après quelques minutes en seconde mi-temps, la douleur était
insupportable. Marcelo m’encourageait depuis le banc et me
demandait de faire fi de la douleur parce que c’était le dernier effort.
J’ai résisté en pensant à des images qui m’ont aidé à tenir. Je me suis
souvenu de la fin de match contre le Brésil lors de la finale de la Copa
América qu’on avait regardée avec “El Pupi” Zanetti et qui s’est
terminée par un coup de massue (finale perdue aux tirs au but). Me
sont aussi passés par la tête Bielsa et tout ce qu’il avait transmis aux
joueurs. Et puis l’effort du groupe, un groupe qui était prêt à tout
pour gagner quelque chose avec ce maillot. J’ai terminé à genoux en
remerciant Dieu. »
Durant la conférence de presse, après s’être réjoui de cette
consécration, Bielsa rend hommage au groupe qui a disputé le
Mondial 2002. « Je veux me souvenir des joueurs de la Coupe du
monde 2002. Je ressens une grande sensation d’injustice par le
traitement qu’a reçu cette équipe. Elle n’a pas obtenu ce qu’elle
méritait. Je sais que c’est difficile, mais j’espère qu’eux aussi
ressentent que ce bon moment est aussi le leur. »
Puis, deux semaines à peine après avoir conquis l’or olympique, il
convoque de nouveau la presse, le 14 septembre 2004. Bielsa a
décidé de démissionner. « J’ai renoncé à la sélection argentine. Les
raisons sont très simples. J’ai vu que je n’avais pas l’énergie pour
absorber les tâches que demande la sélection, que je n’ai plus cet
élan. La décision a commencé à mûrir à la sortie du match contre le
Pérou [en éliminatoires dix jours plus tôt, victoire 3-1] », confie-t-il
après avoir discuté longuement au téléphone avec chaque capitaine
qu’il avait eu durant son mandat. Je n’ai eu de problème avec
personne, je n’ai pas non plus manqué de soutien. Seulement, cela
demande beaucoup d’énergie et je ne l’ai plus. Quand cela arrive, il
ne faut pas insister. Ce n’est pas honnête de rester dans un endroit
sans avoir l’énergie que la tâche réclame. »

En dehors des titres remportés, Marcelo Bielsa peut également se


targuer d’avoir connu le succès par la voie de matchs mémorables.
6 novembre 2011, 12e journée de Liga, l’Athletic Bilbao accueille
le Barça de Guardiola à San Mamés. Il n’y a ni maître, ni élève, ni
question d’amitié entre Marcelo Bielsa et Pep Guardiola. Dans la
préparation du match, les deux entraîneurs utilisent des procédés
différents. Deux jours avant la rencontre, Pep Guardiola prépare des
oppositions de sept contre sept sur une petite partie du terrain avant
d’arrêter l’entraînement pour faire entrer les joueurs dans la salle
vidéo. Il leur montre des résumés de matchs de l’Athletic contre
Osasuna, Valencia CF et l’Atlético Madrid pour mieux leur faire
comprendre que la consigne numéro un sera de fuir leur pressing
tout-terrain. De son côté, l’Argentin fait davantage appel aux
sentiments et à l’engagement en jouant la corde de la solennité du
match. Ses hommes vont affronter la meilleure équipe au monde, un
rêve pour n’importe quel joueur, il est alors hors de question de ne
pas profiter de l’opportunité de l’emporter.
Ce match à San Mamés n’est pas un match comme les autres, c’est
la représentation d’une certaine idée du football. Les vingt-deux
acteurs se donnent corps et âme pour offrir une rencontre d’une
générosité extrême où se confondent noblesse et fureur. La pluie
diluvienne est un élément du décor au cœur d’un spectacle sublime.
Le nouvel Athletic face au meilleur Barça qui soit. Si les Blaugrana
priveront l’Athletic de la victoire (2-2, Lionel Messi égalise dans le
temps additionnel), les fans viennent d’assister à ce qu’ils n’ont plus
vu depuis longtemps : l’Athletic tutoyer le FC Barcelone par la voie du
jeu. Un match haletant d’une intensité rare, viscérale, marquée par
un pressing de tous les instants avec un Barça fidèle à lui-même
contre un adversaire qui n’a jamais montré pareil visage.
Après ce choc mémorable, les deux entraîneurs se féliciteront l’un
l’autre pour expliquer l’avènement d’un tel match. « J’ai dit à Bielsa
que ce sont des bêtes, confiera Pep Guardiola en conférence de
presse. Jamais nous n’avions joué face à une équipe aussi intense,
aussi agressive et qui te laisse si peu d’espaces. Cela montre qu’il est
un grand entraîneur, car il est déjà parvenu à s’approprier l’équipe en
très peu de temps. […] Je veux féliciter l’Athletic. Les vingt-deux
joueurs nous ont offert un grand spectacle. Ils ont été fantastiques. Ce
match fait partie des meilleurs matchs qu’il m’ait été donné de vivre ;
cela se produit lorsque les deux équipes souhaitent gagner le match.
Et celui qui l’emporte à la fin : c’est le public. Ce fut un hymne au
football. »
De son côté, Bielsa rendra hommage à la culture de jeu du Barça
de Guardiola : « Le jeu de Barcelone est une production
footballistique absolument novatrice qui a généré une culture, je vais
vous dire pourquoi. En Bolivie, par exemple, quand le joueur se
prépare à tirer au but, on entend le “uy” des gens avant le but. En
Argentine, quand il y a un débordement et un centre en retrait, on
entend aussi le “uy”. À Barcelone, quand ils veulent poser le jeu,
repartent de l’arrière et qu’ils commencent à jouer le corner à deux,
par exemple – ils décomposent le corner alors que la plupart des
entraîneurs demandent à ce qu’il soit exécuté de manière directe –,
on entend le “uy” avant le but. Ça, ça créerait de l’anxiété pour
n’importe qui parce que le public – émotif et passionné – est peu
tolérant, mais à Barcelone, ça suscite la reconnaissance des gens.
Cette équipe a transcendé les chiffres et son propre système de jeu. Le
message laissé par cette équipe, c’est le style. Et ce style est contre-
culturel parce qu’il va à l’encontre de ce qui se passe dans le football
d’aujourd’hui. »
Une semaine après ce match, l’Athletic confirmera sa performance
en l’emportant face au FC Séville à Sánchez-Pizjuán (1-2). Au fil des
semaines, la dimension de Bielsa ne cesse de croître. Toujours en
course dans les trois compétitions (Liga, Coupe du Roi, Ligue
Europa), l’équipe basque enchaîne douze rencontres consécutives en
étant invaincue. Et chaque jour qui passe confirme que Bielsa a la
mainmise sur son groupe dans la manière de jouer et dans l’approche
des matchs. Seulement cinq mois après son arrivée, l’Athletic est en
finale de la Coupe du Roi.
Hormis ce match extraordinaire, une autre période de la saison va
illuminer la saison 2012-2013 et marquer à jamais les mémoires : la
double confrontation en huitièmes de finale de la Ligue Europa face à
Manchester United.
L’aller à Manchester est un spectacle sublime (victoire 3-2 des
hommes de Bielsa). Et c’est peu dire ! L’Athletic vient de livrer l’un des
plus beaux matchs européens de son histoire. Manchester United a
totalement été dominé, cinquante-cinq ans après avoir éliminé
l’Athletic en quarts de finale de la Coupe d’Europe des clubs
champions 1956-1957 (6-5 à l’issue de la double confrontation).
Durant le premier quart d’heure de jeu, Manchester ne passe pas la
ligne médiane. Au cours de la rencontre, l’Athletic va vingt-six fois
dans la surface mancunienne. Manchester United ? Seulement dix
fois. Après la rencontre, le manager des Red Devils, sir Alex Ferguson,
confie qu’il est fasciné par l’Athletic de Bielsa : « Il faut rendre
hommage à l’effort et à la combativité que Bielsa transmet à ses
joueurs. C’est merveilleux de les voir jouer de cette manière. » Le
lendemain, la « une » du quotidien anglais The Independent est
éloquente : « United piétiné par Llorente & Cie ». « Manchester a été
secoué par les talents d’un groupe de joueurs très techniques arrivés
d’Espagne », relate l’article. Marcelo Bielsa est là depuis neuf mois,
mais il semble qu’il le soit depuis des années en ayant parfaitement
intégré les traits de ce club singulier.
Sept jours après, à San Mamés, les 40 000 supporters assistent à
un autre match magnifique avec des joueurs qui se sont livrés sans
limites. L’Athletic donne la même réponse qu’à Old Trafford (2-1).
« C’était fantastique », reconnaît une nouvelle fois en seigneur sir
Alex Ferguson. Même quelques années après l’élimination, Paul
Scholes se souviendra encore de cette double confrontation
inoubliable et livrera ces mots pour le site So Foot en février 2017 :
« C’était une expérience incroyable d’observer ce match depuis le
banc. On n’a pas très bien joué, la Ligue Europa n’était pas une
priorité comme aurait pu l’être la Ligue des champions. Mais j’ai été
bluffé par l’intensité que l’équipe de Marcelo Bielsa avait mise dans ce
match. Sur les deux rencontres, c’est peut-être l’équipe la plus
physique, la plus affûtée que j’ai pu voir de ma vie. Je n’avais jamais
vu toute une équipe courir autant, presser autant. Ils étaient brillants.
[…] À chacun des deux matchs, ils nous ont battus sur tous les plans.
Mais surtout physiquement. En les regardant, je me suis dit : “Eux, ils
ont été entraînés à la perfection.” Ils nous ont mangés tactiquement,
mais le plus impressionnant, ç’a été la supériorité physique. Ce que
Bilbao nous a imposé en 2012, plusieurs clubs essaient de le faire
aujourd’hui en Premier League, comme le Liverpool de Jürgen Klopp,
ou le Borussia Dortmund en Allemagne. Une pression intense, de tous
les instants, c’était nouveau pour moi de voir une équipe jouer de la
sorte. »
CHAPITRE VII

« Je suis l’auteur du plus grand


échec du football argentin »

Dans sa carrière, Bielsa ne connaîtra jamais de plus grande


douleur que celle de l’élimination au premier tour de la Coupe du
monde 2002 avec l’Argentine. Un échec qui a meurtri l’Argentin au
plus profond de sa chair et dont il ne se relèvera sans doute jamais.
Mais il ne s’agit pas de la première défaite éprouvante pour
l’entraîneur. Revenons à ses débuts, au Newell’s.
Bielsa y a déjà gagné quelques titres, mais aura également connu
une grande déception, celle de perdre la finale de la Copa
Libertadores 1992 face au São Paulo FC de Telê Santana (la deuxième
finale du Newell’s en quatre ans : celle de 1988 se joua sous les
ordres de José Yudica). Dès le premier match de la compétition, le
Newell’s ne peut pas plus mal commencer son tournoi en concédant
une sévère défaite à domicile (0-6) contre San Lorenzo. Les hommes
de Bielsa réagissent en l’emportant coup sur coup face à Coquimbo
Unido (3-0) et à Colo Colo (3-1). Puis, le 9 mars 1992, pour son
quatrième match du tournoi, le Newell’s concède le match nul (1-1)
face à l’Universidad Católica. À l’issue de la rencontre, Marcelo Bielsa
ne réagira pas tant à la performance de son équipe ce soir-là, mais
reconnaîtra qu’il reste marqué par la sévère défaite des siens face à
San Lorenzo survenue dix jours plus tôt.
« Après cette défaite me sont passées par la tête des choses
horribles. Je suis un type né pour gagner ou, du moins, qui fera tout
dans le but d’essayer de gagner et qui donnera tout dans le but
d’obtenir quelque chose. Je me suis senti blessé, avec l’envie de
m’enfermer dans un lieu obscur et, si nécessaire, de renoncer à la vie.
Je ne parle pas de mort parce que, dans l’existence des êtres humains,
il y a des choses beaucoup plus importantes qu’un résultat sportif,
mais plutôt de fuir la vie pour un moment, quelques heures, rejeter
cette possibilité qu’elle me donnait de continuer d’exister. Quand
nous sommes arrivés à Santa Fe pour jouer contre l’Unión en
championnat (trois jours plus tard), je me suis enfermé pendant plus
de cinq heures dans mon appartement, seul, sans même ouvrir la
fenêtre et en évitant toute lumière. »
Ce sera la seule et unique défaite des hommes de Bielsa dans cette
Copa Libertadores. Enfin, pas exactement. Après avoir terminé
premier de son groupe, la deuxième défaite de la Lepra aura lieu lors
du match retour de la finale face au São Paulo FC. À l’époque,
l’équipe brésilienne rafle tout sur son passage. Deux ans auparavant,
le président José Eduardo Mesquita Pimenta, avocat de 54 ans,
décide de faire confiance à un certain Telê Santana, sélectionneur du
fabuleux Brésil de 1982 et de 1986 pour prendre les rênes du club.
Récent vainqueur du Brasileirão en 1991 (le championnat brésilien)
et futur vainqueur du championnat de São Paulo, le club brésilien
entend bien confirmer sa dynamique à l’échelle continentale en finale
face au club de Rosario. Newell’s remportera le match aller (1-0) à
domicile avant qu’au match retour la bande à Raí et Cafu ne prenne
sa revanche au stade Morumbi (0-1) à l’issue de la séance des tirs au
but (1-1, 3-2 aux t.a.b.). « On savait qu’il pourrait y avoir match nul
et une séance de tirs au but », se souvient le gardien brésilien
Armelino Donizetti Quagliato dit « Zetti » dans l’ouvrage The
Outsider : A History of the Goalkeeper de Jonathan Wilson. « Donc
quinze jours avant la finale, poursuit-il, on a commencé à s’entraîner
avec Valdir de Moraes, l’entraîneur des gardiens. On s’est entraînés
plus que d’habitude. […] Newell’s s’était qualifié aux tirs au but
contre América de Cali en demi-finale. Valdir de Moraes avait vu tous
les matchs qu’ils avaient joués et avait pris des notes. J’essayais de me
souvenir de ces notes, mais j’étais si nerveux devant 70 000
spectateurs que c’était difficile. […] Quatre joueurs avaient suivi ce
qui avait été noté, un seul ne l’avait pas fait. Alec Sandro [membre du
staff] était debout dans le rond central et m’indiquait vers quelle
direction le ballon devait aller. » Bien aidé par les échecs de Berizzo
(poteau) et Mendoza (au-dessus), Zetti arrêtera ensuite le tir au but
de Gamboa. Cette première Copa Libertadores de l’histoire de São
Paulo appellera d’autres titres. Beaucoup d’autres : Coupe
intercontinentale face au Barça de Cruyff, Copa Libertadores 1993,
Coupe intercontinentale au détriment du Milan de Capello,
Supercopa Sudamericana, Copa Conmebol et deux Recopa
Sudamericana. De son côté, moins de trois semaines plus tard,
Newell’s se consolera en remportant le Clausura 1992 au terme d’une
année fantastique où le club ne perdra qu’un seul match du tournoi.

Au Mexique, Bielsa connaîtra les joies de s’occuper de la


formation des jeunes joueurs de l’Atlas Guadalajara avant de subir à
l’América les dures lois du football professionnel où le propriétaire est
roi. À son arrivée à l’Atlas, durant sa première saison, il prend en
main le centre de formation et dédie son temps à la recherche de
jeunes talents. Avec Mario Zanabria à la tête du club, l’Atlas effectue
une saison frustrante. En effet, malgré une deuxième partie de saison
encourageante, le club ne parvient pas à se qualifier pour la Liguilla
(les play-offs). Mais pour Bielsa, l’issue comptable n’est pas le plus
important, ce qui importe, c’est l’épanouissement des jeunes et leur
développement. Des vertus qu’il va pouvoir juger très rapidement
puisque l’Argentin devient l’entraîneur de l’Atlas la saison suivante
(1993-1994) à la suite du départ de Zanabria. Pour sa seconde saison
au club, il dispose néanmoins de quelques certitudes. À son arrivée
au club, il a soigneusement fait le choix de donner sa confiance à
certains joueurs qu’il avait connus au Newell’s tels qu’Eduardo
Berizzo, Cristian Domizzi ou Ricardo Lunari. Mais si l’équipe est
fidèle à son style, le club s’incline contre Santos Laguna dès les quarts
de finale de la Liguilla. L’année suivante est celle de la rupture. Avec
des résultats en berne (7 victoires en 22 matchs), des blessures à
répétition et des relations en interne qui se dégradent, Bielsa décide
de présenter sa démission car il s’estime responsable de la situation.
La victoire contre Gallos Blancos le 28 janvier 1995 (1-0, but de Jared
Borgetti) sera son dernier match à la tête de l’Atlas. Pour autant, son
idée de jeu et son travail effectué avec les jeunes vont faire des
envieux.
Et pour cause. À l’orée de la saison 1995-1996, Bielsa reçoit une
offre d’un autre club mexicain et pas n’importe lequel : l’América, le
plus titré du pays. La pression est grande et les exigences sont plus
importantes. Bielsa mène l’équipe en saison régulière et à deux
journées du terme, alors qu’il parvient à qualifier l’équipe pour les
play-offs, il est prié de quitter le club avant même de les disputer.
Motif ? Les joueurs sont lassés de la rigueur continuelle de Bielsa
malgré la qualification. Il aura ainsi suffi de quelques défaites au
printemps (dont celle lors du Clásico face à Cruz Azul) pour que les
propriétaires du club décident de se séparer de lui en mars 1996.
12 juin 2002, il est un peu plus de 17 h 30. Sur une énième
remise en jeu d’Ortega, l’arbitre émirati Ali Bujsaim siffle la fin du
match. Véron s’écroule au sol, Crespo pleure à chaudes larmes, les
supporters présents au stade Miyagi regardent dans le vide sans
comprendre ce qui vient de se passer. Voilà comment s’est terminée la
dernière sélection de Batistuta avec l’Albiceleste. L’Argentine vient de
subir contre la Suède la même punition que lors des trois matchs
précédents : entreprendre sans parvenir à l’emporter. Les occasions à
foison, les débordements incessants de Zanetti côté droit, les
déboulés de Sorín côté gauche, les combinaisons avec Aimar puis
Véron, et les coups de boutoir d’Ortega n’auront pas suffi. Il n’y aura
eu qu’un seul absent : le manque d’efficacité. De son côté, la Suède
ouvrira le score sur un coup franc d’Anders Svensson en seconde mi-
temps (59e), la première frappe cadrée du match des hommes de Lars
Lagerbäck et de Tommy Söderberg. L’Argentine égalisera sur penalty
par Ortega (1-1, 88e), mais les hommes de Bielsa ont dû s’arrêter là,
éliminés, troisièmes de leur groupe derrière la Suède et l’Angleterre
avec une victoire (1-0 face au Nigéria), une défaite (0-1 face à
l’Angleterre) et ce cruel match nul.
Lors des trois matchs, l’Argentine a constamment pris le jeu à son
compte (63 % de possession du ballon sur l’ensemble du tournoi)
pour faire la différence. En vain. Si la France se fait éliminer sans
parvenir à marquer le moindre but, l’Argentine en aura concédé
seulement deux : un penalty et un coup franc. Dans le vestiaire, c’est
la veillée funèbre. On n’entend que le silence. Puis les pleurs
déchirants de Marcelo Bielsa finissent par émouvoir tout le monde.
Face à la presse, le sélectionneur argentin affirme qu’au regard des
situations créées, l’équipe méritait de l’emporter. Et quand il est
interrogé sur les raisons de ne pas avoir fait jouer Batistuta et Crespo
en même temps, il explique qu’il a privilégié l’élaboration du jeu à la
présence dans la surface parce que sans une élaboration efficace la
présence dans la surface est inutile.
Sur le chemin du retour à l’hôtel, les joueurs restent
inconsolables. Une fois rentrés, certains ne souhaitent pas dîner,
incapables de se remettre de l’élimination. Puis Bielsa réunit ses
troupes pour les remercier de leur grandeur et l’émotion l’envahit de
nouveau. Alors, Germán Burgos, gardien remplaçant pendant le
tournoi, se lève pour aller l’embrasser. Dans l’émission « Espacio
Reservado » de juin 2015 sur Canal+ Liga, Diego Simeone, milieu de
terrain de l’époque, racontera la scène. « Germán, qui avait passé son
temps sur le banc de touche – et on peut imaginer la colère d’un type
qui a joué toutes les éliminatoires mis sur la touche pendant le
Mondial –, a été le premier à se lever pour le prendre dans ses bras.
On a tous pleuré. Il a fait ça lors du moment le plus important de sa
vie sportive parce qu’il ne savait pas qu’il ne disputerait plus de
Coupe du monde par la suite. Et ça, ça montre la force de Bielsa en
tant que manager, et sa noblesse. »
Avec Claudio Husain, Roberto Ayala, Walter Samuel, Matías
Almeyda, Diego Placente, Ariel Ortega et Pablo Aimar, Bielsa rentre le
jeudi 13 juin en Argentine direction l’aéroport d’Ezeiza, le samedi 15
à 7 h 22, après une escale à Francfort. Avant de parler aux médias, il
est accueilli par un groupe de supporters du Newell’s qui lui remet
une lettre qui exalte ses valeurs et son travail. Compte tenu des
circonstances, ce geste l’émeut aux larmes.
« Si je dois évaluer la performance, c’est un échec. Si certains
veulent un responsable pour en terminer avec cette question, le
responsable, c’est celui qui dirige cette équipe. Si vraiment, on veut
faire une analyse plus sérieuse, il faut revoir trois autres points. Dans
un premier temps, il s’agit de discuter du style, le même que nous
avons eu durant les quarante matchs précédents et avec lequel nous
avons connu le succès, déclarera Bielsa lors de son point presse pour
défendre son mandat. Le reproche aurait pu être celui de ne pas avoir
maintenu la conduite du style, sinon de l’avoir trahi. Le second point,
c’est la production, et je suis content de ce que l’équipe a fait dans ce
domaine. Et le troisième point, c’est la vigueur : là est le reproche. »
Quelques semaines plus tard, alors que toute l’Argentine est
encore groggy par l’élimination prématurée, le sélectionneur du Brésil
champion du monde, Luis Felipe Scolari, avouera à la presse qu’il a
renoncé à ses convictions durant la compétition pour préférer un
module tactique particulier.
16 juillet 2002, Scolari est en vacances au Chili, en famille. Invité
à évoquer le titre pour le quotidien La Nación, il reconnaît
ouvertement avoir copié le système tactique de l’Argentine de Bielsa.
« Oui, je le reconnais, j’ai copié Bielsa. Nous avons joué comme
l’Argentine. J’ai vu beaucoup de leurs matchs lors des éliminatoires et
j’ai décidé de changer le système pour le Mondial », révèle-t-il. Alors
que la Seleção évoluait jusque-là avec une ligne de quatre défenseurs,
Scolari choisit d’évoluer avec une ligne de trois dont deux stoppeurs
(pour faire face aux deux attaquants) au nom de la sacro-sainte
supériorité numérique défensive chère au technicien argentin.
Comment lui est venue cette idée ? En établissant un comparatif
entre les deux sélections. « On a joué avec Lucio, Edmilson et Roque
Junior, comme Bielsa a joué avec trois défenseurs centraux. Ils [les
Argentins] ont un milieu de terrain composé de Zanetti, Simeone et
Sorín, soit l’équivalent de Cafú, Gilberto Silva et Roberto Carlos.
Juninho Paulista était assimilable à Verón ; Ronaldinho, Rivaldo et
Ronaldo à Ortega, Batistuta et Kily González », poursuit-il.
Ce qui est encore plus saisissant sur le pragmatisme tactique de
Scolari, c’est que ce dernier avait pensé presque un an plus tôt qu’il
procéderait à de pareils changements. En juillet 2001, en difficulté
lors des éliminatoires de la zone AmSud, de son propre aveu, la
sélection brésilienne n’avait pas été dans une telle impasse depuis
1993, quand la Seleção s’était trouvée dans l’obligation de battre
l’Uruguay pour espérer se qualifier pour le Mondial 1994 aux États-
Unis. Deux jours après la défaite face au Mexique (0-1) en phase de
poules de la Copa América 2001 en Colombie (de laquelle le Brésil
sera éliminé dès les quarts de finale face au Honduras, 0-2), Luiz
Felipe Scolari avait livré une interview pour le quotidien La Nación
dans laquelle s’entremêlait inquiétude et relatif espoir. « Ce qu’on
cherche, c’est que le joueur brésilien reprenne confiance, avait-il
déclaré ce 14 juillet 2001. Une confiance que ne lui transmettent ni le
public ni le journalisme. Mon idée est de faire ce que l’Argentine a
fait avec Pékerman et Bielsa. Après l’élimination de la Coupe du
monde 1998, l’Argentine a formé une équipe de travail sérieuse et
compacte qui lui permet aujourd’hui de dominer clairement les
éliminatoires de la Coupe du monde 2002. J’aimerais que le Brésil ait
le même système que celui de Pékerman et de Bielsa. » Et à la
question sur sa façon de voir l’Argentine, voici comment il avait
analysé l’Albiceleste : « Belle ! Oui, c’est le mot : elle pratique un beau
football. Elle s’était fixé un objectif, et sur la base d’un travail sérieux
elle est en train de l’accomplir. Je crois que tout a commencé avec les
jeunes sélectionnés. En Argentine, les gens comprennent et sont
contents des choix, à tel point que presque personne ne remet en
question les absences de Riquelme et de Saviola. Voilà le luxe que
peut se permettre l’Argentine ! Les gens comprennent la philosophie
et le joueur argentin ressent une attirance spéciale pour le maillot de
son pays. Au Brésil, nous tentons de trouver cette identité qui
caractérise l’Argentin. J’aimerais faire ce que Bielsa fait : appeler
Sorín (que Scolari a d’ailleurs dirigé à Cruzeiro) pour qu’il raconte
certaines choses du football brésilien. Ça, c’est ce que je veux faire :
que le joueur ne soit pas seulement là pour jouer, mais aussi là pour
participer au processus. »
Au final, à peine un an plus tard, d’une position où il aurait pu
être le premier sélectionneur à ne pas parvenir à qualifier le Brésil
pour une Coupe du monde, Scolari remportera le Mondial en
dominant la compétition. Et de son côté, même lors de la plus grosse
désillusion de sa carrière, Bielsa a pu se dire qu’il aura participé à sa
manière au sacre du Brésil 2002. Une sorte de victoire morale ou
idéologique.
Deux ans après, l’Argentine de Bielsa aurait pu écrire l’histoire
autrement lors de la Copa América 2004, mais une fois de plus,
l’issue fut la même : défaite en finale aux tirs au but face au Brésil (2-
2, 4-2 aux t.a.b.) après avoir mené au score par deux fois. Adriano
égalise de façon miraculeuse dans le temps additionnel (90e+3) sur
un tir en pivot après un cafouillage consécutif à un long ballon dans
la surface. Si l’élimination de l’Argentine dès le premier tour de la
Coupe du monde 2002 est la plus grosse déception de sa carrière,
cette défaite est sans doute la plus cruelle de la carrière de Bielsa.
Pourtant, la compétition s’était parfaitement déroulée jusque-là
avec des victoires faciles (6-1) face à l’Équateur en match de poules
ou face à la Colombie (3-0) en demi-finale durant lesquels des
nouveaux venus nommés Lucho González, César Delgado, Andrés
D’Alessandro ou Mauro Rosales s’étaient éclatés. L’Argentine possédait
le jeu le plus abouti du tournoi, mais il a suffi d’une minute pour
changer le cours de l’histoire.
Bielsa n’exprimera aucun regret sur l’issue de la Copa América.
Pas même celui d’avoir remplacé Carlos Tévez par Facundo Quiroga
dans les derniers instants du match (90e+2) afin d’assurer le jeu
aérien défensif. Il se contentera de résumer la Copa América de la
façon suivante : « C’est la preuve qu’il y a des moments où même les
schémas tactiques n’ont aucune importance. Parfois, le football va où
bon lui semble. »
Après avoir entraîné la sélection chilienne de 2007 à 2011, Bielsa
commence une nouvelle ère en Europe, celle de la frustration et des
regrets.
Ainsi, avec l’Athletic Bilbao, il ne lui aura fallu attendre que deux
mois pour voir s’écrouler l’édifice majestueux qu’il avait construit les
neuf mois précédents. À la mi-mars de l’année 2012, à la suite de la
qualification pour les quarts de finale de la Ligue Europa obtenue au
détriment de Manchester United, les polémiques relatives au
calendrier rejaillissent face aux nombreuses rencontres qui attendent
l’Athletic en deux mois. Le club va simultanément disputer des
matchs européens, des matchs de championnat et la finale de la
Coupe du Roi. Les semaines avec des matchs tous les trois jours
s’annoncent rudes, mais Marcelo Bielsa n’en tient rigueur à personne.
Le club doit être performant quoi qu’il arrive. Mieux, il passe son
temps à défendre le calendrier de l’Athletic quand, de son côté, le
club s’indigne des décisions prises par la Ligue. Pour l’entraîneur
argentin, ce n’est pas le calendrier ou la fatigue physique qui décidera
du destin de l’Athletic, mais son jeu et sa capacité à affronter les
difficultés.
« J’admire les grandes équipes parce qu’elles jouent deux fois par
semaine face à des adversaires qui se transcendent pour les affronter,
déclare-t-il le 20 mars lors de sa conférence de presse avant
d’affronter l’Atlético Madrid pour le compte de la 29e journée de Liga.
C’est le propre des grandes équipes de jouer deux fois par semaine.
Dans la mesure où l’Athletic souhaite atteindre cette dimension,
l’équipe exprimera ou non sa capacité à en faire partie. Tout est une
question de règlement, et pour moi, ça me va. Dans tous les cas, ça
ne doit pas servir d’excuse ou de justification. Nous allons jouer ce
match avec le même enthousiasme et le même espoir. Le règlement
est le même pour tout le monde. »
Pour Bielsa, il n’y a aucune raison de ne pas faire confiance à la
même équipe tant que celle-ci est performante, surtout qu’il ne décèle
aucune faiblesse physique de ses joueurs. « Le cœur de la conduite
d’un groupe, c’est de considérer les joueurs comme égaux. […] Le
groupe sur lequel je compte est apte et suffisant. Vous pouvez me
croire ou non. J’ai dirigé le Newell’s en championnat et en Copa
Libertadores avec les mêmes joueurs. Quand un joueur cesse d’être le
meilleur à son poste, je le remplace. Je me fie à sa production. Ça n’a
rien à voir avec l’état physique ou le mental. […] En ce moment, s’il y
a bien quelque chose que nous faisons, c’est qu’on court plus que
jamais. Dans les dernières minutes contre Valence, on a couru avec
un dévouement extraordinaire pour ne pas perdre avec un écart plus
important (0-3, 28e journée). […] Je ne crois pas que l’équipe ne soit
pas assez forte pour jouer deux compétitions en même temps. Nous
pouvons gagner ou perdre, mais ce ne sont pas pour des limites
physiques. »
Un postulat qui lui donnera raison dans un premier temps
puisque, au soir du 26 avril, l’Athletic se qualifie pour une finale
européenne trente-cinq ans après sa dernière finale disputée en
venant à bout du Sporting Portugal en demi-finale retour de la Ligue
Europa (4-3 sur la double confrontation). En 1977, c’était contre la
Juventus Turin. En 2012, le rendez-vous est donné à l’Arena
Națională de Bucarest pour y affronter l’Atlético Madrid de Diego
Simeone.
Sauf que l’accumulation des matchs commence à laisser des
traces. Avant cette finale, l’Athletic vient de disputer son 62e match de
la saison (la plus longue de l’histoire du club en termes de matchs
joués), et ce sans compter les rencontres amicales.
Certains cadres du vestiaire connaissent des pépins multiples,
d’autres sont épuisés. Tant et si bien que ce 9 mai, face à l’Atlético
Madrid, l’Athletic n’est plus l’équipe des grands rendez-vous (0-3). À
l’issue du match, en conférence de presse, Marcelo Bielsa s’en veut
terriblement. « Cette défaite est de ma responsabilité. Nous n’avons
pas bien défendu. Nous n’avons pas été précis pour attaquer. Je sais
que cela relève directement de ma responsabilité. […] Le résultat est
juste parce que l’Atlético méritait de gagner, mais le score me paraît
exagéré car les différences observées sur le terrain ne correspondent
pas à la différence de niveau entre les deux équipes. »
25 mai 2012, 22 heures. Finale de la Coupe du Roi entre l’Athletic
Bilbao et le FC Barcelone. La deuxième en deux semaines pour
l’Athletic. La bande à Iraola, Muniain et De Marcos a l’occasion de
terminer la saison sur une bonne note, un titre que le club attend
depuis 1984. Mais l’attente laissera place à la douleur. L’équipe
basque est sèchement battue (0-3) comme elle l’avait été quinze jours
plus tôt. Les supporters viennent d’assister, incrédules, à l’impuissance
de leurs joueurs, très loin d’imaginer qu’ils verraient pareil spectacle.
Mais l’entraîneur argentin bénéficiera d’un inhabituel concert de
chants en son nom de plus de 25 000 supporters : « A lo loco se vive
mejor » (On vit mieux dans la folie) et « Bielsa quédate, Bielsa
quédate » (Bielsa reste). Le refrain à la mode à Bilbao.
Quand la presse le questionne sur son avenir, il répond qu’il n’est
pas seul à décider et que la question est malvenue. Le président du
club, Josu Urrutia, veut le conserver. Lui hésite. Alors il travaille du
matin au soir à Lezama, touché par l’issue de la saison avec ces deux
finales perdues et circonspect sur les potentialités de l’équipe. Puis,
après les dernières discussions avec Josu Urrutia et José María
Amorrortu, le directeur du centre de formation, l’information de sa
continuité au sein du club basque sera officialisée le 3 juin 2012 sur
le site officiel du club. Un soulagement qui ne va pas durer bien
longtemps.
« L’Athletic a une tradition, une histoire, des comportements qui
lui sont propres, une attache particulière avec le passé et une manière
de procéder. Mais les temps ont changé. Les réalités de l’industrie du
football où se confondent affaires et sentiments sont très différents et
il est naturel que l’Athletic soit en train de souffrir. […] Le club
n’opère pas avec les mêmes armes que les autres dans le football
professionnel. Mais je ne dis pas qu’il n’opère pas avec les mêmes
armes parce qu’il joue avec des joueurs basques. Je ne dis pas ça. Il
n’opère pas avec les mêmes armes parce qu’il a des critères non
commerciaux de développement dans une industrie éminemment
commerciale. » Dès sa première conférence de presse de la saison
2012-2013 du 22 août 2012 – soit trois jours après la défaite face au
Bétis Séville (3-5) comptant pour la première journée de Liga –,
Marcelo Bielsa met le doigt sur une réalité qui rattrapera le club
basque lors de cette seconde saison sous l’égide de l’Argentin.
L’intersaison a été mouvementée pour l’entité basque du point de
vue interne et les bons résultats sportifs de la saison précédente n’ont
pas amélioré la dynamique du club, qui doit faire face aux diverses
sollicitations. Durant l’intersaison, deux joueurs majeurs de l’effectif,
deux pièces maîtresses pour Bielsa et son idée de jeu, Javi Martínez et
Fernando Llorente, quittent le club ou souhaitent le quitter. Javi
Martínez effectuera son dernier entraînement à Lezama le 29 août
2012 avant de rejoindre le Bayern Munich pour 40 millions d’euros,
le prix de sa clause libératoire. Quant à Fernando Llorente, il est en
fin de contrat en juin 2013 et a des velléités de départ. Au téléphone,
il fait part de sa décision à son président de quitter le club, et ce pour
la plus grande colère des socios. Au final, face au choix du club de ne
vendre sous aucun prétexte son attaquant, ce dernier disputera
trente-six matchs durant la saison, mais vingt-huit en tant que
remplaçant avant de rejoindre la Juventus Turin, libre de tout
contrat. « Je sais que Javi et Llorente sont beaucoup plus importants
que moi pour l’Athletic. En réponse à ce qui est dit sur leur départ, je
leur ai demandé si j’étais un obstacle, si j’étais la raison de leur départ
et j’étais disposé à agir en conséquence. S’ils m’avaient dit que j’étais
un obstacle, je savais quoi faire », répondra Bielsa sur sa prétendue
responsabilité de leurs décisions respectives.
Malgré l’agitation, l’Argentin continue de travailler sur la
polyvalence demandée à ses joueurs. C’est à la fois une suite logique
à sa philosophie et une nécessité consciente de compenser les
absences de Javi Martínez et Fernando Llorente.
Voici les alternatives de postes envisagées par Bielsa pour certains
joueurs de son groupe :

Joueurs Poste habituel Alternative(s)

Jon Aurtenetxe Latéral gauche Défenseur central

Óscar De Marcos Milieu relayeur Latéral

Carlos Gurpegi Milieu défensif Défenseur central

Ibai Gómez Ailier gauche Ailier des deux côtés

Iñigo Pérez Milieu relayeur Latéral gauche

Ander Iturraspe Milieu défensif Défenseur central

Javi Martínez Milieu défensif Défenseur central, milieu


relayeur

Iker Muniain Ailier gauche Meneur de jeu

Jonás Ramalho Défenseur central Latéral gauche

Mikel San José Défenseur central Milieu défensif

Markel Susaeta Ailier des deux côtés Avant-centre

Gaizka Toquero Avant-centre Milieu relayeur, ailier droit


Mais ce travail reste insuffisant. Même s’il proclame à qui veut
l’entendre que « ce groupe, en termes de qualité, est potentiellement
égal au groupe de la saison passée », la saison tourne rapidement à la
grande déception. La faute aux blessures (Muniain et Ander Herrera
principalement), à une production collective moins aboutie, et ce
alors que le club est éliminé de la Ligue Europa prématurément (dès
la phase de groupes).
« Nous faisons plus qu’il n’en faut pour gagner. » C’était la tirade
en vogue des conférences d’après-match de l’Argentin. Les joueurs
font leurs matchs, mais la réussite les fuit. Le discours enjoué pour les
objectifs européens a laissé place, face aux contre-performances qui
s’enchaînent, à un discours désenchanté, à travers lequel il tente
d’expliquer la frustration continuelle, le sentiment dominant chez les
supporters. Quoi qu’il en soit, le technicien reste fidèle à ses principes
et à un vocabulaire qui lui est propre pour analyser au mieux
tourments et déceptions. Une communication symbolique de l’état du
club : combler le vide d’un club absent et qui finira douzième de Liga
dans l’anonymat général (avec seulement quatre points de moins que
la saison 2011-2012).
Au terme de la saison, Marcelo Bielsa reste dans l’expectative sur
sa continuité au sein du club basque. Mais peu importe l’issue des
négociations sur une potentielle prolongation de contrat, lors de ses
conférences de presse des 17 et 30 mai 2013, l’Argentin tient à
apporter ses nuances quant à son avenir et à livrer ses vérités. « Ici, je
gagne des sommes qui sont indécentes, mais ce qui lie un
professionnel à ce club n’est pas l’argent. Je peux gagner plus
d’argent que ce que je gagne actuellement dans d’autres clubs. Et
pour les succès sportifs, je peux opter pour d’autres endroits qui me
garantiront des succès sportifs parce que je sais combien il est difficile
d’atteindre le succès ici. Mais ce ne sont pas ces choses qui me lient
au football. Ni l’argent ni le succès sportif. Il se peut qu’on soit
beaucoup plus intéressé par les émotions générées pour la quête d’un
titre difficile à obtenir pour un club comme celui-ci que par gagner
des titres dans les clubs plus importants. […] Quand j’étais enfant, je
vivais dans un quartier où la grande nouveauté était d’avoir une
voiture. Et plus celle-ci était luxueuse plus la famille était reconnue.
Mais il y avait une différence pour nous, c’est que la reconnaissance
se déterminait en fonction de ce qu’on avait fait pour obtenir cette
voiture. » Après deux ans passés au club, il en profite également pour
établir son bilan : « Ce que je devais résoudre était difficile à résoudre
et je suis fier d’avoir mené à bien cette tâche avec ceux qui ont été à
mes côtés, les joueurs et le staff technique. Il était beaucoup plus
difficile de résoudre la situation que nous avons connue cette année
que ce que nous avons obtenu l’année passée. Je ne sais pas gérer le
succès, mais je sais gérer l’adversité. Ma conviction est qu’à l’avenir,
ce seront des joueurs plus matures, plus conscients, plus épanouis.
C’est pour ça que je me sens plus proche d’une équipe qui traverse
l’adversité que celle à la recherche du succès. Parce que celle qui a
connu le succès en sort blessée alors que celle qui a connu l’échec va
en sortir fortifiée. »
Le vendredi 7 juin, la sentence tombe : Marcelo Bielsa n’est plus
l’entraîneur de l’Athletic Bilbao.

Le 2 mai 2014, soit presque un an plus tard, l’arrivée de Bielsa à


l’Olympique de Marseille est annoncée officiellement. Lors de la
saison 2014-2015, l’Argentin vivra une première partie de saison
excellente à l’OM avant de connaître un scénario similaire à celui
qu’il a connu avec l’Athletic Bilbao. Quatre mois après son arrivée à
l’OM, tout va pour le mieux. Vingt-cinq points en dix journées de
championnat. Huit victoires, un match nul, une défaite, vingt-cinq
buts marqués, huit buts encaissés. L’Olympique de Marseille est en
tête de la Ligue 1 avec sept points d’avance sur le Paris Saint-
Germain. Son entraîneur loge toujours entre le centre Robert-Louis-
Dreyfus et l’hôtel Intercontinental où il commence à se faire
connaître. Notamment le soir d’OM-Rennes, où si la soirée avait bien
commencé (l’OM l’avait emporté 3-0 ce samedi 20 septembre) elle va,
en revanche, plutôt mal se terminer. « Il revient du Vélodrome et veut
voir le multiplex L1 sur BeIN Sports. Et là, impossible de le lui mettre,
même en rebranchant la box, on ne captait plus BeIN ! Il était
furieux », rapporte un membre du personnel de l’hôtel. Yoann Riou,
alors journaliste pour France Football, synthétise : « Il aime regarder
des matchs au bar de l’Intercontinental en prenant des notes, boire
du Coca Light et déguster de petits carrés de chocolat à la fin des
repas. Et quand bien même ce palace dispose d’un restaurant
gastronomique et d’une brasserie, il aime se faire livrer une pizza
d’un établissement situé tout près. »
Bielsa profite de la ville, et Marseille le lui rend bien avant le
premier choc à Gerland face à un prétendant au titre, l’Olympique
lyonnais, quatrième à huit points. Ce sommet de la 11e journée de L1,
c’est l’occasion de creuser un peu plus l’écart, mais dominateur sans
être efficace, l’OM échoue sur la plus petite des marges (0-1) avant
de s’incliner de nouveau deux semaines plus tard face au Paris Saint-
Germain (0-2, 13e journée) au Parc des Princes pour un dur retour
aux réalités. L’OM termine néanmoins la phase aller leader du
championnat avec deux points d’avance sur l’OL à la trêve hivernale.
Une première depuis douze ans. Mais, dès la reprise, les Marseillais se
montrent incapables de répéter les efforts. Au-delà des absents
(Nicolas Nkoulou et André Ayew sont à la Coupe d’Afrique des
Nations) et des blessés (Romain Alessandrini et Abdelaziz Barrada),
la situation dans le jeu inquiète si bien que la question physique
demeure au centre des débats. Lors de la conférence de presse avant
le déplacement des Marseillais à Toulouse (28e journée), Bielsa tient à
répondre à toutes ces interrogations : « Physiquement, si je me fie à
nos évaluations après chaque match, notre condition est ascendante.
L’équipe court plus que jamais. […] Quant à la référence sur la
fatigue mentale, je ne peux pas l’écarter. Mais comme pour tous ceux
qui travaillent dans ce domaine, on sait que lutter pour des objectifs
et ne pas pouvoir les atteindre use le mental des joueurs. Ce qu’il faut
savoir, c’est si la fatigue mentale génère les mauvais résultats ou si ce
sont les mauvais résultats qui provoquent cette fatigue mentale. Et
certainement lors du dernier match, il y a eu des choses de cette
nature. […] Ce que j’essaie de faire dans l’adversité, c’est de renforcer
mes convictions et ne pas agir aveuglément en niant des
changements qui doivent être faits. Mais j’ai clairement observé que,
dans la dynamique négative, tout le monde t’abandonne : les médias,
le public, les joueurs. Et c’est naturel. C’est le propre de la condition
humaine. On s’approche de celui qui sent bon. Et la réussite fait que
celui qui vit cette réussite sent encore meilleur et on s’éloigne de celui
qui sent mauvais, la défaite le rend malodorant. […] C’est une loi de
vie et c’est comme ça que je le comprends. Et je l’accepte. Et je ne
demande ni ne réclame quoi que ce soit. »
Si la quête du titre devient rapidement vaine en raison d’un mois
d’avril cauchemardesque (quatre défaites en autant de matchs), l’OM
se battra jusqu’à la dernière journée dans l’objectif de décrocher la
troisième place qualificative pour le tour préliminaire de la Ligue des
champions. Au final, l’OM terminera quatrième du championnat
derrière le PSG, l’Olympique lyonnais et l’AS Monaco malgré quatre
victoires consécutives sur les quatre derniers matchs.
Après la dernière rencontre de la saison (réception de Bastia),
Marcelo Bielsa exprime en conférence de presse sa frustration sur
l’issue de la saison. « Il n’a pas manqué grand-chose pour réussir à
avoir un meilleur classement que celui que nous avons obtenu. C’est
frustrant car il n’y a pas eu beaucoup de matchs où la défaite était
méritée et où notre jeu était inférieur. Si on regarde tous nos matchs,
vous allez trouver facilement six à huit matchs où nous aurions pu
obtenir des points qui nous ont finalement échappé. »
Durant la saison, l’OM aura battu plusieurs records : celui des
victoires consécutives sur une saison dans son histoire (8), du record
d’affluence sur une saison (1 009 465 spectateurs) et du nombre de
buts marqués depuis la saison 1971-1972 (76). Le club phocéen peut
également se targuer d’avoir été la sixième attaque d’Europe des cinq
grands championnats européens derrière le Real Madrid (118), le FC
Barcelone (110), le PSG (83), Manchester City (83) et le Bayern
Munich (80) avec deux buts en moyenne par match. Mais la
préoccupation principale des supporters était de savoir si Marcelo
Bielsa allait de nouveau être l’entraîneur du club pour la saison 2015-
2016.
L’Argentin avait dû attendre un peu moins de trois semaines avant
de renouveler son contrat avec l’Athletic Bilbao. À l’OM, les
supporters attendront longtemps, très longtemps, avant d’avoir une
information officielle sur son avenir à Marseille. La direction du club
et Marcelo Bielsa passeront le début de l’été à négocier. Des
informations circulent sur l’avancée des négociations entre les deux
parties (mieux, Bielsa aurait été favorable à une prolongation de
deux ans) et certaines décisions laissent présager un dénouement
favorable puisque l’Argentin a retardé ses vacances pour préparer à
Marseille la saison 2015-2016. Le président Vincent Labrune semble
alors confiant. « Marcelo et son staff ont appris à connaître la Ligue 1.
Ils ont visionné tous les matchs de toutes les équipes de toute la
saison, a fait savoir le 11 juin le président olympien sur les ondes de
RMC. Sans trahir de secret, dans la première liste que m’a proposée
Marcelo, il s’agit d’une trentaine de joueurs, exclusivement des
joueurs de Ligue 1 repérés tout le long de la saison. On va fortement
se concentrer sur des joueurs de Ligue 1, mais on ne s’interdira pas
de prendre peut-être un joueur à l’étranger. On a beaucoup travaillé,
on a eu beaucoup de réunions depuis un mois. Je pense que la
volonté profonde de Marcelo est de rester avec nous, sinon il ne
dépenserait pas toute cette énergie depuis un mois. Il a retardé ses
vacances pour avancer sur le profil de l’effectif. À titre personnel, je
ne conçois pas qu’il ne soit pas avec nous parce qu’on doit bâtir et
construire avec lui un club. On ne peut pas changer d’entraîneur tout
le temps, tous les ans. »
20 juin. À l’approche de la reprise de l’entraînement, l’Olympique
de Marseille publie un communiqué sur le déroulement du début de
la présaison. Ledit communiqué fait état que « seize joueurs de
l’Olympique de Marseille reprendront l’entraînement ce lundi 22 juin,
pour préparer la saison 2015-2016. Les trois premiers jours seront
consacrés à des tests physiques et médicaux individualisés placés sous
la responsabilité de Jan Van Winckel, le préparateur physique, et du
docteur Christophe Baudot, responsable de la cellule médicale. Du
jeudi 25 juin au mercredi 1er juillet, la préparation se poursuivra par
un stage en Espagne avec Franck Passi et Pablo Quiroga. » Avant de
préciser : « Marcelo Bielsa, qui a repoussé ses vacances au 16 juin
pour travailler avec la direction du club sur le recrutement et la
préparation de la présaison, rentrera à Marseille au début du mois de
juillet. » Ce n’est pas la première fois que Marcelo Bielsa repousse sa
reprise, on l’a déjà vu. Il sera finalement de retour de ses vacances en
Argentine le 6 juillet et dirigera le deuxième entraînement de la
journée.
Seulement, les jours passent, les entraînements s’accumulent, les
matchs de présaison s’intensifient, mais toujours aucune information
sur une signature imminente ne filtre. Avant le premier match de la
saison face au Stade Malherbe de Caen, Marcelo Bielsa tient bien sa
traditionnelle conférence de presse (le 6 août) pour évoquer le
mercato, la non-venue de Fernando Roncaglia, les arrivées de Lassana
Diarra et d’Abou Diaby, mais de son avenir il n’a que ces mots : « Les
termes du contrat ont été vus avec le président, mais nous ne l’avons
pas encore signé. » Un journaliste l’interpellera de nouveau sur la
question pour en savoir la raison. « Je le répète, nous sommes
d’accord sur les termes du contrat avec le président et j’ignore ce qu’il
manque pour que ce soit officiel. »
Et puis lors de la conférence de presse d’après-match (0-1),
tremblement de terre, Marcelo Bielsa annonce sa démission.
CHAPITRE VIII

Un rapport compliqué avec


les institutions

Les relations n’ont pas toujours été simples entre Marcelo Bielsa et
les différentes institutions pour lesquelles il a travaillé. Sûrement
parce que sa passion du jeu et son travail quotidien ont toujours été
destinés en premier lieu aux supporters et à ses joueurs, ensuite à ses
employeurs. Certaines de ses décisions ont pu nuire à l’image de
l’institution s’il jugeait que les supporters ou les joueurs étaient floués
par une situation donnée. Et ça, il ne peut pas le supporter.
8 juin 1998, alors que Marcelo Bielsa vient de permettre à Vélez
Sarsfield de remporter officiellement le Clausura 1998 deux jours
plus tôt, le club de l’Espanyol Barcelone annonce l’arrivée de
l’Argentin. Le 10 juin, il signe un contrat d’une saison en faveur du
club catalan après avoir écouté chez lui, à Rosario, l’offre de son
président, Daniel Sánchez Llibre, et de son directeur général,
Fernando Molinos. Pendant la Coupe du monde en France, Bielsa
établit le programme de la présaison que ses adjoints, Luis María
Bonini et Claudio Vivas, doivent mettre en œuvre. Comme il l’a fait
jusqu’à présent, il met en place des séances d’entraînement
biquotidiennes (il a fait venir d’Argentine ses rubans pour diviser le
terrain en zones car le club n’en avait pas) et fait appel à un joueur
avec qui il a déjà travaillé, Martin Posse, son attaquant attitré du
Vélez champion. Par ailleurs, Bielsa se met d’accord avec le président
Sánchez Llibre pour ne pas considérer la Coupe Intertoto comme une
priorité absolue compte tenu des lourdes charges de travail qui
attendent les joueurs. Les principes de jeu sont rapidement assimilés,
la présaison se déroule sous les meilleurs auspices. Les joueurs
enchaînent les matchs amicaux de très bon niveau, mais un
événement imprévu va bouleverser l’ordre établi.
Après la Coupe du monde, l’Argentine est sans sélectionneur à la
suite du départ de Daniel Passarella. José Pékerman, jusque-là
responsable du secteur Jeunes, est désigné directeur général des
sélections nationales, par le président de la Fédération argentine de
football Julio Grondona, afin de les restructurer. Lors d’un voyage en
Espagne pour disputer un tournoi avec l’Albiceleste, Pékerman appelle
Bielsa et l’invite à dîner pour parler football. Bielsa accepte en
pensant à une simple rencontre amicale où Pékerman lui demandera
des vidéos de trois des quatre Argentins du groupe, Posse, Pochettino
et Esnáider. Que nenni. Il recevra une offre, celle de diriger
l’Albiceleste. « Le rêve de sa vie », avouera-t-il au président Sánchez
Llibre.
C’est le 15 août 1998, à l’hotêl Princesa Sofía à Barcelone, près du
Camp Nou, que Pékerman expose à Bielsa son projet et son choix de
faire de lui le prochain sélectionneur de l’Argentine. Sauf qu’en se
mettant d’accord avec Pékerman, l’entraîneur de l’Espanyol doit avant
tout mettre un terme à son aventure espagnole. Bielsa a ainsi
communiqué au président Sánchez Llibre qu’il avait reçu une offre de
sa sélection et qu’il pensait l’accepter. Néanmoins, l’Argentin aura
beaucoup de mal à faire valoir les termes de son contrat en dépit
d’une clause qui mentionne qu’il peut mettre fin à celui-ci s’il est
appelé par la sélection de son pays. Si le président Sánchez Llibre ne
s’oppose pas à son départ, c’est le conseil d’administration qui mettra
son veto à tout départ. Et notamment un homme, Fernando Molinos,
directeur général du club. Interviewé par le magazine So Foot en
septembre 2014, il expliquait pourquoi : « La clause ne disait pas
explicitement qu’on lui donnerait sa liberté au cas où la Fédération
argentine frapperait à sa porte ou presque. Tout ce que cette clause
disait, c’est que l’Espanyol étudierait cette éventualité au cas où elle
se présenterait. »
Malgré l’impatience de Bielsa devant la tournure des événements
et des tractations juridiques, il fait le choix de continuer de travailler
avec l’effectif jusqu’à ce que l’accord soit trouvé. Durant cette période,
l’Espanyol Barcelone parvient à battre la Juventus en amical, tout
juste finaliste de la Ligue des champions (1-0, but de Posse) avant
d’enchaîner par une victoire lors de la première journée de Liga aux
dépens de Tenerife (2-1). Il faudra attendre le surlendemain de cette
journée inaugurale pour que le cauchemar de Bielsa prenne fin avec
l’annonce officielle du président Sánchez Llibre de laisser la
possibilité à l’entraîneur argentin de négocier avec sa fédération.
Quelques jours plus tard, le 8 septembre 1998, la présentation
officielle a lieu aux côtés de Julio Grondona, Pékerman et Hugo
Tocalli. Bielsa est arrivé avec une heure d’avance, à 9 h 30, et
repartira sans déjeuner en Espagne, direction Barcelone pour
continuer de travailler. Conséquence de cette nouvelle configuration
où Bielsa doit se dédoubler pour guider l’Espanyol et la sélection – la
nuit, il confiera des tâches à ses collaborateurs –, le club catalan ne
gagnera plus sous ses ordres. Après une nouvelle défaite à l’extérieur
à Valladolid (1-2) le 18 octobre 1998, l’Espanyol est relégable (18e).
À la veille du derby catalan, alors que Bielsa avait l’occasion de
croiser la route du FC Barcelone de Louis Van Gaal, un de ses
entraîneurs modèles, les dirigeants préfèrent lui donner congé après
avoir nommé Miguel Brindisi à la tête du club.

Douze ans plus tard, Bielsa est au Chili, dont il entraîne la


sélection depuis 2007. Après l’élimination de cette dernière par le
Brésil lors des huitièmes de finale de la Coupe du monde 2010,
Marcelo Bielsa est en fin de contrat et l’avenir lui présente plusieurs
défis. Pour faire le vide, il s’est reposé auprès des siens, entre Rosario
et Máximo Paz, pour son 55e anniversaire. Puis il a analysé l’offre du
président de la Fédération du football chilien, Harold Mayne-Nicholls,
qui lui permet de continuer son travail sur la formation des jeunes
joueurs et de mettre en avant la sélection nationale. Toujours
intéressé à l’idée de développer ce qu’il a entamé, Bielsa répond
favorablement à Mayne-Nicholls, et les deux hommes parviennent à
un accord pour un contrat d’une durée de cinq ans. Celui-ci présente
deux nouveautés : une clause mentionne la révision du contrat si lors
des élections de l’année suivante les dirigeants actuels doivent partir ;
Bielsa a signé un contrat d’une longue durée parce que l’édition de la
Copa América 2015, vouée à être sa dernière compétition avec la
Roja, peut se jouer à domicile, au Chili (à l’époque des négociations,
le Brésil et le Chili étaient en lice pour organiser la compétition).
2 août 2010, Harold Mayne-Nicholls officialise à la presse le
renouvellement de contrat de l’Argentin. Une décision qui va
fortement diviser le football chilien. Pour les principaux dirigeants
des grands clubs (Colo Colo, Universidad Católica et l’Universidad de
Chile), Mayne-Nicholls accorde trop d’importance à la sélection
nationale au détriment du développement du football local. Sa
volonté de répartir équitablement les recettes générées entre les clubs
et d’investir une part des revenus pour le développement des
divisions inférieures ne fait pas consensus.
Face à cette situation, les opposants à Mayne-Nicholls ont profité
des nouvelles élections de la présidence de l’ANFP (Association
nationale du football professionnel) pour présenter une liste
opposante. Leur principale réforme ? Un système de draft identique
au championnat mexicain et honni par Bielsa. Lié depuis août 2007
au président en place en raison de leur vision commune du football,
l’Argentin s’inquiète de la nouvelle situation et convoque une
conférence de presse extraordinaire à la veille des résultats de
l’élection. Deux heures et vingt minutes de cours magistral !
« Si je souhaite conserver le droit de ne pas penser comme les
autres, il est nécessaire d’accepter que les autres ne pensent pas
comme moi, énonce-t-il. Le jour où Harold doit quitter la présidence,
j’abandonnerai ma fonction. Je sais parfaitement que je ne peux pas
travailler aux côtés de monsieur Segovia (l’adversaire de Mayne-
Nicholls lors de ces élections). Je n’ai rien en commun avec lui. C’est
impossible. Sans confiance, on ne peut pas travailler. […] Je veux
rester dès l’instant que l’actuel président exerce sa charge. Et s’il
prolonge son mandat, je l’accompagnerai. »
Le 4 novembre 2010, si l’opinion est plutôt favorable à la
reconduction du ticket Mayne-Nicholls-Bielsa, c’est Jorge Segovia,
président du club de l’Union Española et représentant de l’opposition,
qui est élu. Sauf que la liste de Mayne-Nicholls conteste l’élection au
regard du cumul des mandats du nouveau président élu. Segovia ne
peut pas être à la fois président de l’ANFP, de l’Union Española et
patron d’une université privée (Universidad Internacional SEK). Le
22 novembre, après six heures de réunion, le directoire de l’ANFP
invalide son élection pour conflit d’intérêts en vertu de l’article 164
de l’ANFP. « Le directoire a constaté l’existence de plusieurs contrats
entre l’Union Española et des sociétés ou entreprises pour lesquelles
M. Segovia est le directeur ou le propriétaire direct », explicite le
point 8 du communiqué.
Deux mois plus tard, le 7 janvier 2011, lors de nouvelles élections,
le candidat de Segovia, Sergio Jadue, est élu nouveau président de
l’ANFP. Pendant cette période transitoire, Marcelo Bielsa n’a pas réagi
sur l’issue du scrutin, ni dans un sens ni dans un autre. De son côté,
Sergio Jadue est disposé à faire confiance à l’entraîneur argentin.
C’est ainsi qu’il s’est rendu le 19 janvier à Juan-Pinto-Durán pour
prendre le pouls de la sélection à trois jours d’un match amical contre
les États-Unis. À l’issue de cette rencontre cordiale, Jadue tente de
jouer plusieurs cartes afin de prévenir tout départ du sélectionneur
chilien. Il prend la décision de confier au directeur de la Fédération
chilienne de football, Julio Venegas, la prise en charge de la
délégation qui fera le voyage pour le match face aux États-Unis et
confirme à la fois Fernando Estévez à la tête de la communication de
la sélection ainsi que Juan Carlos Berliner comme directeur des
sélections chiliennes. Des décisions qui ne sont pas anodines. Berliner
et Venegas sont deux proches de Bielsa. Berliner est même un ami
personnel du technicien et leurs femmes respectives se sont liées
d’amitié depuis que l’Argentin est arrivé au Chili.
Il faudra attendre le 27 janvier pour que Jadue et Bielsa se
rencontrent pour la première fois pour évoquer l’avenir de l’Argentin.
Aucun accord ne sera conclu au terme de cette entrevue. Pendant la
fin du mois de janvier, Juan Carlos Berliner va jouer le rôle
d’intermédiaire entre Juan-Pinto-Durán, où vit Bielsa, et le siège de
Quilin, où se trouve la direction de l’ANFP, en communiquant aux
deux camps respectifs les exigences de chacun.
Le 2 février, autour de 14 heures, face à l’indécision de
l’entraîneur argentin, à la demande de Sergio Jadue, les deux
hommes se réunissent à Juan-Pinto-Durán pour définir clairement les
choses. Bielsa est-il décidé à rester le sélectionneur du Chili ? Le
président de l’ANFP lui confie son intention de le conserver dans sa
fonction et l’Argentin l’aurait informé qu’il lui donnerait sa décision
par écrit. Mais à peine huit heures plus tard, à 22 h 08 précisément,
Sergio Jadue convoque la presse. Marcelo Bielsa ne lui a toujours pas
répondu, mais pour Jadue, son silence est le signe de sa continuité.
« J’interprète son silence de manière optimiste. Marcelo Bielsa reste.
Cette nuit, je peux confirmer que notre sélectionneur continue son
mandat », annonce-t-il fièrement. Sauf que Bielsa n’était en réalité
plus disposé à travailler avec la nouvelle administration. Nous
sommes le vendredi 4 février, il est 16 heures et Marcelo Bielsa tient
sa dernière conférence de presse au centre d’entraînement de Juan-
Pinto-Durán pour mettre fin à cette situation. Vêtu d’un tee-shirt
Adidas qui n’est pas celui de la sélection, pendant vingt-cinq minutes
et avec une grande émotion, il lit son communiqué de démission de
son poste de sélectionneur du Chili en précisant : « Sergio Jadue a agi
de manière à ce que je comprenne que je ne devais pas avoir
confiance en lui. »
Sitôt la conférence de presse terminée, Bielsa quitte le complexe
sportif pour se rendre dans un hôtel proche de l’aéroport Arturo-
Merino-Benítez, où il passera la nuit. Selon ses proches, « après avoir
démissionné de son poste de sélectionneur du Chili, il ne se sentait
pas d’occuper les installations de la sélection », rapporte un article de
La Tercera du 6 février 2011. Le lendemain matin, il prend le premier
vol direction Rosario aux côtés de Gabriel Aravena, son secrétaire
personnel.
C’est ainsi que Marcelo Bielsa a bouclé le chapitre chilien de sa
vie. En laissant un pays qui l’a respecté et estimé depuis le premier
jour.
Cinq mois plus tard, Marcelo Bielsa traverse l’Atlantique pour
entraîner à nouveau un club espagnol, l’Athletic Bilbao. L’un des
épisodes les plus rocambolesques de son passage dans ce club restera
son altercation avec le maître d’œuvre lors des travaux menés lors de
l’été 2012. Après sa prolongation de contrat, le 3 juin 2012, Bielsa ne
part pas en vacances pour revenir au pays et profiter des siens. Il
reste une semaine de plus à Bilbao afin d’anticiper la saison 2012-
2013 et de faire une mise au point. Ainsi, avec la direction, il a mis en
avant le travail préparatoire à mener afin que les joueurs soient dans
les meilleures dispositions possible pour la saison. Et parmi ses
propositions, il y avait un gros chantier : améliorer les structures du
centre d’entraînement de Lezama.
Pourquoi ? Avant tout parce que Bielsa a décidé que la présaison
devait se dérouler au sein du centre d’entraînement du club. Et puis,
surtout, parce que cette résolution est le fruit d’une réflexion qu’il a
menée avec ses joueurs. C’est lors de sa dernière conférence de presse
au club, le 30 mai 2013, qu’il expliquera son choix. « À l’issue des
deux finales, j’ai souffert d’un profond sentiment de revanche pour ce
qui s’était passé parce que je me sentais responsable du fait que
l’équipe n’ait pas su trouver de réponses pour être compétitive. L’une
des solutions était d’améliorer les conditions de travail pour se
rapprocher de ce qui se fait dans les plus grands clubs au monde. »
Bielsa rentre ensuite en Argentine. Même là-bas, il n’a de cesse de
se tenir au courant quotidiennement de l’avancée des travaux. Il a eu
vent au téléphone de quelques retards. Ainsi, le 3 juillet, jour de son
retour, alors que les travaux sont censés être terminés, Lezama est
toujours en chantier et non seulement les travaux ne sont pas
terminés, mais ils n’ont pas de date d’achèvement. Passablement
énervé, le premier réflexe de Bielsa est de demander des explications
au directeur sportif, José María Amorrortu, avant de faire la
rencontre, dans son bureau, du maître d’œuvre de l’entreprise chargé
des travaux (Balzola). Après cette entrevue et compte tenu des
rumeurs sur le caractère houleux de cette dernière, Marcelo Bielsa
convoque une conférence de presse. La crise interne couve. « Ce que
nous sommes en train de faire durant cette présaison à Lezama me
discrédite en tant qu’entraîneur auprès des joueurs parce que je suis
le seul responsable des conditions de travail qui sont ce qu’elles sont
aujourd’hui, regrette Bielsa. Ça me touche parce que je dois assumer
face aux joueurs le travail dans ces conditions : regardez les
conditions dans lesquelles doit travailler un effectif qui vaut
300 millions d’euros. C’est la raison pour laquelle j’ai demandé à
parler avec le maître d’œuvre. Je lui ai dit : “Ce travail est mal fait et
vous le savez, il n’est pas terminé, il est mal fait et vous avez une
responsabilité pour qu’il soit bien réalisé.” J’ai considéré que le club
était en train d’être trompé, qu’il n’était pas respecté par rapport à ce
qui avait été promis et qu’agir de la sorte relevait de l’escroquerie et
du vol. J’ai assumé le fait que je devais me plaindre. Je l’ai offensé et
lui, logiquement, m’a répondu avec la même agressivité. Je lui ai dit
de partir, je l’ai saisi et j’ai utilisé la force. Je ne l’ai pas respecté parce
qu’il assumait que le travail était incomplet et mal fait en sachant
qu’il était mal fait. » L’Argentin va jusqu’au bout du processus pour
que l’employé ou l’entreprise agisse judiciairement contre lui.
« Quand il est parti, il a dit que je l’avais frappé et qu’il allait se
plaindre de ce qui s’était passé, mais il n’a pas porté plainte. Ainsi, j’ai
déposé une plainte dans laquelle je m’accuse parce qu’il pouvait
envisager de le faire. Ma réaction envers cet homme était injuste. »
En remettant en cause l’inaction de la direction sportive ainsi que
son mutisme, les déclarations de l’Argentin enflamment rapidement
les médias basques puis nationaux. Le lendemain, le club, menacé de
plainte par les avocats du constructeur, se désolidarise publiquement
des propos de Bielsa. À la lecture du communiqué, surpris, Bielsa
demande une réunion d’urgence avec le conseil d’administration au
palais Ibaigane. Tous les membres du conseil d’administration de
l’Athletic – y compris le directeur général, Jon Berasategi, en
vacances cette semaine-là – sont convoqués au siège social du club.
La possible démission de Bielsa est évoquée. Mais Bielsa demande
seulement des explications. Marcelo Bielsa mettra un point final à cet
été agité en publiant sur un compte Facebook qu’il a créé
spécifiquement (avec l’aide d’un proche) le message suivant : « Si
personne ne s’est trompé, pourquoi l’équipe première ne dispose-t-
elle pas en temps et en heure des installations pour la présaison ?
[…] Je peux accepter d’être désavoué, mais pas le moindre mensonge
a été démontré. Ce qui s’est passé modifie nos relations. Je peux
continuer à exercer ma tâche comme c’est le cas à l’heure actuelle. Je
maintiens l’engagement pris avec l’institution. »
Le lendemain, Bielsa est à l’entraînement à Lezama. Cet
événement, l’Argentin en fera la raison numéro un de l’« échec » de sa
seconde saison sous les couleurs de l’Athletic. « Je pense que nous
avons perdu quatre-vingts jours parce que se projeter fait partie du
succès, exprimera-t-il lors de sa conférence de presse du 22 août
2012. Il serait absurde de ne pas reconnaître que ce que nous avons
envisagé est remis en question parce que tous les jours s’ajoute une
difficulté différente. […] J’ai commis toutes les erreurs qui ont eu
lieu, mais il y a bien longtemps que je fais en sorte qu’on ne me traite
pas comme un menteur. Le club m’a traité de menteur et je ne peux
pas ne pas prendre position face à ça. »

Deux ans plus tard, à l’Olympique de Marseille, un épisode de son


passage au club phocéen fera à nouveau parler l’opinion : sa
conférence de presse sur le fonctionnement du club lors du mercato
estival. La première fracture entre le club et son entraîneur. Jeudi
4 septembre, alors que l’OM semble trouver un semblant de
dynamique en restant sur deux victoires consécutives en Ligue 1,
Marcelo Bielsa profite de la trêve internationale pour mettre les
choses au clair sur la gestion du mercato. La scène se passe lors de la
conférence de presse avant le match amical contre Arles-Avignon, une
rencontre destinée à donner du temps de jeu aux non-internationaux.
Ce point presse n’est pas au programme, il a été organisé par Bielsa
lui-même. Nous sommes jeudi midi, l’OM envoie un mail à la presse
pour signifier que l’entraîneur olympien parlera à 16 heures aux
médias, et ce à la plus grande surprise de ceux-ci. Le sujet principal
ne sera pas le match amical contre Arles-Avignon. Bielsa a un
message à faire passer pour une question de transparence et de vérité
sur le fonctionnement du club. Cette conférence de presse de
cinquante-deux minutes diffusée en direct sur le Web entrecoupée par
des problèmes de son ne sera jamais disponible sur le site officiel du
club. « Le mercato est terminé et le bilan est négatif. Il n’y a pas eu de
concordance entre ce que l’on attendait et ce qui a été finalisé,
énonce d’abord Bielsa. Je pense que le président [Vincent Labrune] a
pris avec moi des engagements qu’il savait intenables. […] J’assume
mon rôle avec optimisme, joie et espoir devant les compétitions qui
nous attendent, mais la manière de procéder et les décisions prises
me déçoivent. Tout est mélangé et mal résolu. J’ai appris la vente de
Lucas Mendes le jour où il n’a pas participé à l’entraînement parce
qu’il voyageait au Qatar. J’ai appris l’achat de Doria le lundi en milieu
d’après-midi, le 1er septembre, soit le dernier jour du mercato quand il
est venu faire sa visite médicale. Aucun des joueurs qui est arrivé à
l’OM n’est venu à mon initiative. J’ai proposé douze options et
aucune ne s’est concrétisée. […] Un des axes que j’avais établis avec
le président, c’est qu’on n’allait pas faire venir des joueurs étrangers
parce que le club ne dispose pas de la structure suffisante pour
évaluer des joueurs qui n’évoluent pas dans le championnat français.
Vis-à-vis de cette arrivée de Doria sans mon accord, je dois marquer
ma position parce qu’il y a aussi un projet d’investissement qui est
affecté par ce genre de décisions. Les décisions doivent avoir une
cohérence. Il y a un joueur qui part du club par surprise comme
Mendes qui était là depuis deux ans, titulaire depuis la saison
dernière, déjà acclimaté, et tout cela part à vau-l’eau. […] La décision
de remplacer Mendes par Doria n’améliore pas le potentiel de
l’équipe. Ce n’est pas une histoire de comparaison, mais de réalités.
L’un est déjà ancré au foot français, l’autre est une grande promesse
de 19 ans avec tout le travail qui lui reste à accomplir. Et le plus
grave, c’est que je n’ai pas pu donner mon avis. »
À la suite de cette conférence de presse extraordinaire, le
président de l’OM Vincent Labrune, alors en vacances, fixera un
rendez-vous à Marcelo Bielsa le lundi 15 septembre à la
Commanderie, au lendemain de la victoire face à Évian (1-3) lors de
la 5e journée de L1. Après le déroulement de celle-ci, le président de
l’OM publiera le communiqué suivant : « Nous avons eu une
discussion franche, approfondie et respectueuse. Elle a permis de
lever certains malentendus et incompréhensions réciproques. Marcelo
m’a tenu un discours de vérité et j’ai compris qu’il n’avait pas cherché
à polémiquer, mais à faire part de son ressenti aux supporters. Cette
discussion aura permis d’identifier certains problèmes de
communication interne liés à notre nouvelle organisation, mais elle
aura surtout permis de retrouver une plus grande fluidité dans notre
relation. Désormais, l’incident est clos. »
CHAPITRE IX

Le « bielsisme »

Partout où il passe, Marcelo Bielsa transforme les institutions et


les âmes. Les clubs et les sélections héritent de structures nouvelles,
d’une image de marque mondialisée quand les joueurs et les
supporters, eux, sont confrontés à des émotions nouvelles, à un
langage particulier et à une immense culture. Celle d’un jeu singulier
et d’une façon différente de considérer leur travail et leur passion.
Avec l’Argentin, le football est une épopée sans fin, avec style, et ce
tout en gardant la victoire en point de mire. Un combat où
s’entremêlent dépense physique extrême, immenses déceptions,
rigidité des principes et exploits mémorables, progression (avec pour
les joueurs des convocations en sélections et pour le club des plus-
values conséquentes) et préceptes de vie. Mais l’héritage de Bielsa ne
se limite pas à cela. Le « bielsisme » est devenu une école. Des
conférences, des rencontres sont régulièrement organisées pour
évoquer, analyser, comprendre le travail de l’Argentin. Prophète en
son pays, Bielsa a même donné son nom au stade des Newell’s Old
Boys, le club de sa ville natale, le 22 décembre 2009. Bielsa dirigeait
alors le Chili lors des qualifications pour la Coupe du monde 2010,
mais il avait évidemment fait le déplacement, conscient d’être le
meilleur ambassadeur de Newell’s Old Boys depuis vingt ans. Sa joie
euphorique lors du titre 1990 au cri de « Newell’s carajo, Newell’s ! »
et ses déclarations successives à propos de son amour de Newell’s
montrent que ce club, il l’a dans le sang.
Pour cette soirée exceptionnelle, Bielsa n’est pas en costume, mais
dans sa tenue de sport caractéristique, polo gris et lunettes au cou. À
son arrivée sur la pelouse, vers 20 h 20, il est souriant et
reconnaissant. Il salue la foule, profite des chants qui lui sont dédiés
avant de recevoir un ballon en verre, sa carte de socio en qualité de
membre honoraire et une maquette de ce qui est dorénavant son
propre stade. Tous les jeunes du club sont présents pour l’occasion.
Un match aura même lieu avec la présence de plus de quarante
gloires du club, parmi lesquelles Sebastián Domínguez, Juan Carlos
Montes, José Yudica, Lucas Bernardi, Ezequiel Garay, Julio Saldaña,
Toto Berizzo, Juan Manuel Llop, Julio Zamora, Mario Zanabria et
bien d’autres. Lionel Messi avait accepté l’invitation, mais l’appel de
la sélection argentine pour une rencontre face à la Catalogne l’a privé
de l’événement.
Bielsa, lui, profite d’une nuit inoubliable. D’une reconnaissance
qui dépasse toute victoire, tout titre. Cette nuit du 22 décembre
récompense non seulement un entraîneur, mais aussi un homme et
une façon de voir la vie. Au-delà du mythe, Marcelo Bielsa s’est mué
en légende. « Je ne sais pas comment l’expliquer sans que cela ne
paraisse vaniteux, mais quand les demandes sont aussi importantes et
ont pour origine l’affection, il est très difficile de raisonner, expliqua-
t-il en conférence de presse. On se soumet aux règles du cœur et on
finit par accepter ce qui, logiquement, paraît injuste ou démesuré. Je
comprends que c’est démesuré d’être reconnu de cette façon. Quelque
part, je comprends aussi que ce n’est pas juste du tout. Mais quand le
message est l’affection et l’amour, on s’y soumet avec plaisir et
bonheur. »
Durant ses deux saisons à la tête de Newell’s, par sa jeunesse pour
le poste, sa réussite sportive et le football déployé par son équipe,
l’Argentin a profondément marqué les esprits à Rosario.
La presse de l’époque nous permet de prendre conscience de
l’empreinte laissée par le Newell’s de Bielsa en Argentine.
Ainsi, d’un article d’Estadio du dimanche 23 décembre 1990 au
lendemain du titre de l’Apertura 1990 : « Newell’s remporte
l’Apertura au terme d’un tournoi accompli, incontestable et mérité.
Réduire ses mérites au seul fait d’avoir obtenu plus de points que les
autres serait une manière de déconsidérer son exploit. Newell’s l’a
emporté parce que l’équipe a su développer sa propre identité,
héritière directe de l’école rosarina, fidèle aux principes et aux
convictions de ne jamais abandonner. Une formation compacte sur
tous les recoins du terrain capable de réaliser un travail tactique idéal
pour récupérer le ballon d’un côté et, de l’autre, d’occuper
parfaitement la moitié de terrain adverse et de surprendre en tous
lieux. »
Un autre d’El Gráfico du 25 décembre 1990 : « Le développement
institutionnel et sportif de Newell’s Old Boys, une constante du club
rosarino dans ses 87 ans d’existence, s’est exprimé de manière
éloquente ces derniers temps à travers le football. Newell’s est un
généreux fournisseur de jeunes talents surgis d’une école qui
comprend la qualité, la discipline, le bon geste et le risque technique.
Ce nouveau triomphe des Rojinegros est le résultat d’un projet
ambitieux accompli tout au long de la décennie. Les joueurs sont
différents, le style de jeu a changé, mais, dans l’essence, ce vainqueur
du Torneo Apertura est inextricablement lié au splendide champion
de la saison 1988-1989. […] Ces gamins d’aujourd’hui – avec la
sagesse de Tata Martino, le volume de jeu inébranlable de Juan
Manuel Llop, l’énergie de Franco, de Ruffini et le jeu de Julio César
Saldaña – sentent couler dans leurs veines le sang des éléments de
cette lignée inoubliable : Belén, José Cantelli, René Pontoni,
Morosano et Silvano Ferreyra. Cette grandeur de vieux cracks de
Newell’s continue de vivre avec cette brigade disciplinée que gère
Marcelo Bielsa, le plus jeune technicien et un des plus prometteurs du
football argentin. »
Toujours El Grafico, mais du 7 juillet 1992, après avoir remporté
le Clausura : « Pendant près de deux ans à la tête de l’équipe [il a
débuté contre Platense le 19 août 1990 et est parti le 5 juillet 1992
contre le même adversaire], Bielsa a glané deux titres d’Argentine, a
atteint une finale de Copa Libertadores et s’est rempli les oreilles d’un
cri du peuple de Newell’s : “El Loco no se va, el Loco no se va…”
Rojinegro dans l’âme, lui sait que Newell’s n’est pas le résultat
d’hommes providentiels, aussi bons soient-ils, mais d’une façon de
vivre le football qui perdure depuis quatre-vingt-neuf ans. »
Dans le même numéro d’El Gráfico, mais dans un autre article :
« Dans le travail de la semaine, la recherche obsessionnelle de
motiver les âmes, dans la recherche des options tactiques, dans
l’exigence permanente d’objectifs nouveaux et ambitieux, c’est un
homme de la maison qui défend ses couleurs sur le terrain : Marcelo
Alberto Bielsa. Là est la grande clé du Newell’s champion du Clausura
1992, comme des victoires de l’Apertura 1990 et de la saison 1990-
1991 : dans la force spirituelle renouvelée de son école sportive, dans
la validité d’un style, d’une manière de vivre qui est une façon de
ressentir et de vibrer avant le fait sportif. […] Logiquement, il existe
d’autres clés qui se rajoutent aux concepts techniques et tactiques.
L’équipe de Bielsa a justement été ça : une équipe. Unie, compacte,
solidaire. Au-delà des qualités techniques de ses éléments, elle a
concrétisé la transition défense-attaque qui vient ôter le rêve d’autres
entraîneurs depuis Rinus Michels avec les Pays-Bas de 1974 : passer
de la défense à l’attaque et de l’attaque à la défense en moins de six
secondes. »

À Vélez Sarsfield, l’héritage de Bielsa sera celui d’avoir marqué les


esprits par le jeu en succédant à une équipe victorieuse, une des plus
belles de l’histoire du club. Lors de son départ pour rejoindre
l’Espanyol Barcelone, Bielsa laissera l’intégralité de son travail
d’analyse des adversaires effectué avec son staff technique ainsi que
les informations sur les joueurs pour les entraîneurs qui lui
succéderont. Il laissera également au club de nouveaux terrains et des
infrastructures performantes au centre d’entraînement. C’est son
épouse Laura, architecte, qui l’a aidé à esquisser les plans du futur
centre fonctionnel et moderne pour les entraînements et les mises au
vert : la Villa Olímpica.
Bielsa n’est resté qu’une saison, mais le temps aura été suffisant
pour montrer qu’avec des certitudes et des idées un homme est
capable de bouleverser l’état d’esprit d’un groupe dans son ensemble.
Qu’un homme peut enseigner à ses joueurs une autre manière de
faire pour parvenir au même but. Et qu’après avoir vécu une période
faste, il est toujours possible d’apporter un œil nouveau car
transcendant. Pour Bielsa, là est le « succès ». Le titre remporté n’est
qu’une conséquence.
À Bilbao, la décision unanime du conseil d’administration de
licencier Marcelo Bielsa ne surprend personne bien que l’entraîneur
argentin mobilise en masse. Depuis longtemps, le stade San Mamés
chante en son nom. Des « Bielsa, quédate ! » (Bielsa, reste !) sont
repris unanimement dès que l’Athletic joue à domicile lors de la
saison 2012-2013 malgré des résultats en dents de scie. Un soutien
que La Catedral n’a jamais caché et qui s’intensifie une fois le
maintien acté.
L’ironie veut que ce soutien soit même partagé par les supporters
adverses. « Bielsa, quédate ! España lo necesita » (Bielsa reste !
L’Espagne a besoin de toi) crient les supporters du Rayo Vallecano
lorsque l’Athletic fait le déplacement au stade Vallecas lors de la
dernière journée de Liga 2012-2013 (2-2). Si ce n’est pas au stade, la
contestation de la décision de la présidence s’exprime par le
déploiement de banderoles en l’honneur de l’Argentin le long des
grilles du siège du club, par des inscriptions sur les murs de la ville :
« Gracias Bielsa por hacernos soñar » (Merci Bielsa pour nous avoir
fait rêver), ou de publications via Internet.
D’autres, à défaut de défendre le mandat du coach, protestent
contre la procédure et dénoncent le processus politique. En voulant la
tête de Bielsa, le président Urrutia signe là l’échec de son mandat et
donc se doit de démissionner. Les revendications sont minoritaires,
mais plus radicales : « Si Bielsa no se queda, Urrutia kanpora » (Si
Bielsa ne reste pas, Urrutia dehors), peut-on entendre dans les
travées de La Catedral. D’autres sont placardées au siège du club :
« Urrutia, tu as gagné les élections grâce à l’apport de Monsieur
Marcelo Bielsa et non pour ta personne. C’est pour ça que j’ai voté
pour toi. À travers son départ, tu as donné un coup de pied à
“l’essence basque” [ses valeurs] et, avec elle, à ton projet. » Ou
encore : « Le club n’est pas ta cave, Urrutia dégage. »
Son passage a laissé une infinité d’anecdotes et la sensation d’un
projet qui n’est pas arrivé à son terme. Une fois son départ acté,
quelques histoires cocasses filtrent. Telle celle-ci lors de son départ de
San Mamés : un socio de l’Athletic l’attend pour le soutenir et dire au
revoir à un homme qu’il admire. Bielsa sort du stade et se dirige très
aimablement vers ce supporter. Lors de la conversation, Bielsa prête
attention à un badge que ce fan porte : une photo qui le représente
avec la légende « Bielsa Karajo » (Bielsa, nom de Dieu). À la vue de
cet insigne, l’entraîneur argentin lui fait part de son souhait de garder
ce badge en souvenir. Bien entendu, le socio lui cède volontiers,
enchanté. Marcelo lui confie qu’il ne peut pas accepter ce cadeau sans
lui en donner un en retour. Alors il retire sa montre pour la lui offrir.
Le fan doute avant d’accepter cet échange face à la différence de
valeur, mais Marcelo Bielsa insiste. Entre la valeur marchande et la
valeur sentimentale, l’Argentin a tranché depuis longtemps.

Si le dernier match de Bielsa à la tête du Chili a lieu en


février 2011, le véritable adieu se produit le 17 novembre 2010 face à
l’Uruguay. Le dernier match de Bielsa de l’année 2010 à la tête de la
sélection du Chili, une rencontre amicale contre l’Uruguay (2-0, buts
d’Alexis Sanchez et d’Arturo Vidal) est un prétexte à l’événement.
Celui de rendre hommage à l’Argentin une dernière fois après un
amour passionnel entre lui et le peuple chilien lors d’un mandat
inoubliable.
Tout a été organisé dans le moindre détail. À 18 heures, un
rassemblement de supporters a lieu, près du centre d’entraînement de
Juan-Pinto-Dúran avec des tifos et des chants en l’honneur de
l’Argentin : « Bielsa, perdonalos, no saben lo que hacen » (Bielsa,
pardonne-les, ils ne savent pas ce qu’ils font). Mais le moment le plus
émouvant a lieu sur le terrain, avant le coup d’envoi quand un groupe
de supporters lui offre un immense drapeau du Chili sur lequel est
inscrit : « Don Marcelo Bielsa, el pueblo chileno lo agredece » (Monsieur
Marcelo Bielsa, le peuple chilien vous remercie). Et durant la
procession, le stade en fusion se met à crier : « Bielsa no se va »
(Bielsa ne part pas). L’Argentin, très touché, salue la foule de ce
cadeau et de l’ovation.
Après le match, Bielsa ému et mélancolique, ne peut s’empêcher
de parler du jeu déployé. « Aujourd’hui, j’ai eu le sentiment d’avoir vu
une équipe très indépendante, qui n’avait pas besoin d’être piquée et
qui savait par elle-même le chemin à suivre pour remporter le
match », déclare-t-il en conférence d’après-match. Pour l’occasion, des
milliers de fans ont arboré des maillots noirs en signe de deuil via
une campagne des réseaux sociaux. Des maillots noirs à l’effigie de
Marcelo Bielsa avec la légende suivante : « Gracias Bielsa » pour
rendre hommage à l’architecte du projet. La presse chilienne se
montre également unanime sur l’impact de Bielsa au Chili. « Adiós,
Bielsa querido » (Au revoir Bielsa bien-aimé), titre le quotidien Las
Ultimas Noticias le lendemain du match.
Le peuple chilien retiendra de lui son respect, sa manière de se
comporter et son éthique irréprochable. Bielsa est arrivé au Chili avec
tous les défauts : étranger et argentin. On l’a regardé de côté, les
joueurs le traitaient avec respect, mais sans admiration et le pays
aurait sans doute préféré l’arrivée d’un autre sélectionneur. Mais à
force de travail, de sérieux et sans douter des résultats, Bielsa
gagnera l’affection du peuple chilien. C’est ainsi qu’à Santiago, au
Stade Monumental, ils peuvent dire au revoir à l’homme qui a
réinstallé le Chili à la table des grandes nations du football sud-
américain.
Marcelo Díaz, le milieu chilien, double vainqueur des Copa
América 2015 et 2016, ne tarit pas d’éloges sur un entraîneur qui ne
l’a pourtant jamais sélectionné entre 2007 et 2010. « Bielsa a changé
le football d’une manière indéniable. Sa façon et son style de jeu ont
retenu l’attention, mais, surtout, il a changé la mentalité du
footballeur chilien. Avant, le joueur chilien était un peu plus…
médiocre. Si t’affrontais l’Espagne, le Brésil ou l’Allemagne, tu
abordais le match en pensant à la défaite. Aujourd’hui, avant ce type
de match, le joueur chilien est persuadé qu’il peut le remporter. On
ne craint plus personne parce qu’on sait qu’en jouant en équipe, on
peut faire mal à n’importe qui. Il n’y a plus de complexe. »
Encore en 2017, la popularité de Bielsa au Chili est unique et
indiscutable. Au-delà d’avoir régénéré le football chilien en ayant
permis au Chili de disputer une Coupe du monde douze ans après la
dernière, de qualifier la sélection pour les huitièmes de finale de
celle-ci, Bielsa est considéré par certains comme le meilleur
sélectionneur de l’histoire du pays après avoir passé son mandat à
loger au Juan-Pinto-Durán tel un ermite dans un 6 mètres carrés.
Bielsa est parvenu à charmer les Chiliens, pas seulement à travers
son football, mais par sa simplicité. Par son plaisir de faire les
marchés ou de participer aux réunions de quartier. Les joueurs n’ont
pas appris le professionnalisme, mais sa façon de ressentir le jeu, et
les amoureux du football ont appris la rigueur : celle du style.
Claudio Borghi, son successeur en 2011, ne s’en est pas relevé parce
qu’on ne lui demandait plus seulement de gagner, mais aussi de
« bien jouer ». Il a fallu alors l’arrivée à la tête du pays de Jorge
Sampaoli (2012-2016), fort de ses exploits avec l’Universidad de
Chile, pour que le Chili reprenne vie.
Il n’est donc pas anodin si, à l’occasion de la Coupe du monde
2010, Johan Cruyff consacre une de ses chroniques au jeu proposé
par le Chili de Bielsa. Le sélectionneur chilien pouvait difficilement
recevoir plus bel hommage. Dans le quotidien néerlandais De
Telegraaf, durant cet été 2010, Johan Cruyff livre une chronique
dithyrambique sur l’Argentin : « La meilleure équipe que j’ai vue
jusqu’à maintenant dans le tournoi a été le Chili, écrit l’ancien joueur
de l’Ajax. Une équipe au sein de laquelle les joueurs ont toujours une
solution pour pouvoir jouer et combiner. Qu’on me comprenne bien,
la sélection du Chili a des individualités, mais elle possède en plus
une grande quantité de mouvements déjà préparés. Elles se créent
donc une infinité d’occasions de buts, plus que toutes les autres
sélections réunies. »
Après s’être qualifié pour les huitièmes de finale de la Coupe du
monde 2010, le Chili reçoit les éloges de personnalités très respectées
dans le monde du football telles que Vicente Del Bosque, le
sélectionneur futur vainqueur de la Coupe du monde, ou Dunga,
sélectionneur du Brésil. Des techniciens qui apprécient la résilience
de cette sélection et son identité. Cruyff, lui, va même plus loin en
osant l’analogie avec une équipe mythique du football mondial qu’il
personnifie à lui seul, les Pays-Bas de 1974. « Le Chili est, de loin,
l’équipe la plus offensive de cette Coupe du monde même si elle ne
possède pas ce joueur de grande classe qui fait la différence. Si on la
compare avec les Pays-Bas d’autrefois, le Chili a aujourd’hui assumé
notre rôle. Notre idée a toujours été de faire plaisir au public en
utilisant la qualité de nos joueurs dans le but d’offrir un football
différent », poursuit-il dans sa chronique pour De Telegraaf. Avant de
conclure : « Aujourd’hui, le Chili assume ce rôle et bien qu’il ne
gagnera probablement pas la Coupe du monde, il a sans doute
enseigné aux gens qu’il y a autre chose que la victoire. […] La
possibilité d’obtenir le titre est si mince et la capacité d’offrir du
spectacle et du plaisir est si grande qu’il est agréable de voir que le
Chili a parfaitement compris sa mission. »
L’héritage de Bielsa, c’est aussi l’admiration qu’il suscite de ses
pairs. Trois d’entre eux admirent l’Argentin avec, pour chacun d’eux,
des raisons singulières.
À commencer par son disciple revendiqué Jorge Sampaoli.
« J’étais tous les jours pendu au football. Littéralement. À tel point
que j’étais “bielsadépendant”. Dès que je sortais ou que j’allais courir,
j’écoutais des cassettes de Bielsa, affirme Sampaoli dans le mensuel
argentin El Gráfico de février 2012. Je suivais et j’enregistrais tous ses
discours. J’étais obsédé par son Newell’s et je connaissais son travail
depuis qu’il était en fonction avec les divisions inférieures du club.
J’ai été jusqu’à Córdoba (centre-nord de l’Argentine) où il donnait
une conférence avec Carlos Griguol. Je me suis toujours identifié à sa
philosophie, à son projet de football d’attaque, à sa manière dont il
voyait le jeu. » Par ailleurs, dans l’ouvrage Leones. Las historias de la U
más exitosa de todos los tiempos de Rodrigo Fluxá et Gazi Jalil, le
même Jorge Sampaoli confie : « Pendant longtemps, il fut comme une
sorte d’idole. Je passais au moins quatorze heures par jour à penser à
lui. Je regardais ses discours, ses matchs. Je me souviens que je
sortais courir avec des enregistrements des conférences de Marcelo et
j’essayais d’automatiser ce que j’écoutais. Toute la journée, Bielsa
était dans ma tête. »
Puis Sampaoli est passé de la théorie à la pratique. Alors que
Bielsa est à la tête de l’Albiceleste (1998-2004), Sampaoli parcourt les
350 kilomètres qui relient Casilda, sa ville natale, à Buenos Aires, au
centre d’entraînement. Arrivé sur place et après avoir crapahuté le
long du grillage, il observe avec attention les indications que Bielsa
donne aux joueurs de la sélection au centre d’entraînement d’Ezeiza
malgré les 300 mètres qui le séparent du champ d’action. « Des
exercices tactiques fabuleux », avouera-t-il. En décembre 2007,
Sampaoli débarque au Chili pour devenir l’entraîneur de l’équipe
O’Higgins par la volonté personnelle du président Ricardo Abumohor.
Mais sa venue dans ce pays a également une autre origine. « La
véritable raison pour laquelle j’ai décidé de venir au Chili, c’est parce
que Bielsa [y] travaille, rien de plus », concédera-t-il a posteriori.
En observant son idole, Sampaoli intériorise ses idées, si bien que
ce travail se répercute sur ses équipes. À l’Universidad de Chile dans
un premier temps, où il remportera deux Apertura (2011, 2012), le
Clausura 2011 et la Copa Sudamericana 2011, en utilisant une
défense à trois durant la quasi-intégralité du tournoi. « Il faut être
clair sur la manière dont j’ai commencé à la “U”, clame-t-il. Nous
avons tenté d’imiter la méthodologie de Marcelo avec la même
conviction dans la défense de l’idée. J’essaie de ressentir la même
chose que ce qu’il ressent pour faire en sorte que les équipes
fonctionnent à travers cette idée. C’est l’un des meilleurs entraîneurs
au monde, si ce n’est le meilleur. »
Comme Bielsa, Sampaoli est argentin, comme Bielsa, il a été
joueur au Newell’s (il n’est pas passé professionnel à cause d’une
double fracture tibia-péroné de la jambe). Comme Bielsa, il promeut
la jeunesse et ce principe tactique : équipe courte comprenant trois
défenseurs, un meneur de jeu et trois attaquants. Place au pressing
vertigineux, aux triangulations et au jeu rapide vers l’avant. Comme
Bielsa, avec Sampaoli, c’est aussi la vidéo pour examiner le jeu de ses
hommes et… c’est la vidéo pour décortiquer le jeu adverse. Lorsqu’il
prend les rênes du Chili en succédant à Claudio Borghi en
décembre 2012, dans la préparation de la Coupe du monde 2014, il
va voir Gonzalo Jara, alors joueur de Nottingham Forest, dans la nuit
du 9 au 10 février 2014 afin de faire un point sur sa situation
personnelle et ce qu’il attend de lui. Le défenseur raconte au
quotidien chilien La Tercera : « Le “profe” Sampaoli était là pour
quelques jours. […] Il m’a donné des informations sur les équipes et
les joueurs que nous affronterons. Il sait tout. Il sait quand tel joueur
joue, quand tel autre ne joue pas, les types d’entraînements de
chacun, les kilomètres que tu cours, jusqu’au nombre de sprints que
tu fais. Il m’a aussi montré des vidéos des derniers matchs que j’ai
joués avec la sélection, en particulier celui contre l’Espagne. Il m’a dit
lors de quelles situations j’avais bien joué, mal joué, celles où je
devais m’améliorer en fonction d’une configuration d’une ligne de
trois ou quatre défenseurs. » Une situation qui en dit long sur la
minutie de Sampaoli, déjà dans l’individualisation de la préparation
afin d’arriver à la Coupe du monde dans les meilleures dispositions.
L’arrivée de l’Argentin à la tête de la sélection nationale chilienne
suscite également le retour des discours enflammés adressés aux
joueurs. « Je crois que la seule manière de réussir est d’unir des
joueurs qui prennent du plaisir à jouer. […] Quand tu réussis dans
cette société individualiste, c’est par l’engagement à quelque chose
d’intangible, avec humilité. C’est comme cela que tout le monde va
dans le même sens, et ce, peu importe le background social ou
culturel des joueurs », déclare-t-il sur le site officiel de la FIFA en
décembre 2013.
En dépit de son attachement certain aux idées de Bielsa, Sampaoli
développe aussi les siennes. « Marcelo fait partie des meilleurs
entraîneurs de l’histoire du football mondial. Les comparaisons et les
recherches de similitudes ne sont pas bienvenues car il est au-dessus
de tous les entraîneurs, ou en tout cas de la majorité d’entre eux. Je
me félicite d’avoir beaucoup écouté Bielsa et d’avoir appris beaucoup
de choses de lui. Mais par la suite, j’ai trouvé mon identité ; je suis
devenu un entraîneur avec la même ligne directrice, mais avec des
idées différentes. »
Dans le cadre du séminaire « Somes Futbol » au Brésil le 8 mai
2017, interrogé sur la dimension prise par Sampaoli après ses succès
au Chili, ses débuts en Europe et la comparaison répétée entre les
deux hommes, Bielsa va même plus loin. « Je pense que Sampaoli
n’est pas mon disciple. Premièrement, parce que ce mot n’est pas
compatible avec moi et deuxièmement parce que j’ai remarqué qu’il
est meilleur que moi. Je ne dis pas ça par fausse modestie. Une des
qualités des entraîneurs est la flexibilité, c’est-à-dire ne pas tomber
amoureux de ses propres idées. Mais en même temps, il faut
s’éprendre pour convaincre. Donc il y a un mélange d’humilité et une
conviction nécessaire pour défendre les idées choisies. Moi, je ne cède
jamais sur mes idées et je ne le vois pas comme une qualité, mais
comme un défaut. Sampaoli, lui, est flexible parce qu’il a un pouvoir
d’adaptation que je n’ai pas. Et cela le rend meilleur que moi,
indubitablement. Parce qu’il a résolu des choses en ajustant sa
position originale de départ. »
De fait, Sampaoli mène sa propre réflexion pour faire évoluer la
sélection chilienne à son arrivée. En s’appuyant sur le travail de
Bielsa, il varie les systèmes (3-4-1-2 et 4-3-3) en prônant dans une
moindre mesure la verticalité du jeu pour privilégier l’optimisation de
la possession du ballon. Il met ainsi tous les atouts de son côté en
faisant appel à Juan Manuel Lillo, ami de Pep Guardiola et chantre du
jeu de position, domaine dans lequel le Chili devait progresser pour
gagner en flexibilité. Et le Chili remportera la Copa América 2015 à
domicile au terme d’un tournoi maîtrisé.
En revanche, dans la méthodologie, l’actuel sélectionneur de
l’Argentine est aussi minutieux que son maître à penser. Dans son
bureau de Juan-Pinto-Durán au Chili, une étagère regroupe dans
l’ordre alphabétique et chronologique le détail des saisons de tous les
joueurs suivis. Un des petits cahiers de l’étagère a pour titre : « Jorge
Valdivia 2013 ». Il s’agit de quarante pages récapitulatives de toute la
saison du meneur de jeu de la Roja, match après match, comprenant
des données sous forme de tableaux, de graphiques et son influence
dans les zones de jeu, agrémentées d’informations écrites à la main.
Un travail qui n’est pas sans rappeler le travail de Bielsa. Mais ne lui
demandez pas de le rencontrer, ça ne l’intéresse pas plus que ça. « J’ai
eu trois discussions téléphoniques avec lui avant que je n’arrive à la
“U” et beaucoup de monde me demandait de prendre un café ou de
manger avec lui. Mais à vrai dire, je n’ai pas besoin de cela. Je ne vois
pas ça comme quelque chose de nécessaire. Je préfère le voir comme
un mythe et je veux rester avec cette idée. »

Deuxième personne à admirer Marcelo Bielsa, Pep Guardiola. « Au


Qatar et à Rome, j’ai joué avec Gabriel Batistuta et c’est “Bati” qui m’a
parlé des mérites aussi bien en tant qu’entraîneur qu’en tant
qu’homme de Marcelo Bielsa, confie l’entraîneur espagnol dans El
Gráfico en juin 2013. Il m’a reçu à Rosario, nous avons discuté
pendant des heures, il m’a tout donné. Je pense que vous avez le
devoir, en tant que contemporains, de reconnaître envers Marcelo
Bielsa et César Luis Menotti ce qu’ils ont fait non seulement pour le
football argentin, mais pour le football mondial. » Quand, à
l’automne 2006, Pep Guardiola se déplace à Máximo Paz, dans la
province de Santa Fe, pour rendre visite à Marcelo Bielsa, sa
fascination pour l’entraîneur argentin n’est pas nouvelle. À l’occasion
de la Coupe du monde 2002, l’Espagnol a été impressionné par
l’Argentine de Bielsa, éliminée dès le premier tour de la Coupe du
monde. « Pour moi, l’équipe la plus intéressante du tournoi reste
l’Argentine, même s’ils n’ont pas passé la première phase. Je crois
qu’ils ont très bien joué, même si, on le sait, on vit dans un monde où
si tu gagnes tu es bon, et si tu perds, tant pis si tu as essayé, peu
importe que tu aies eu le ballon, que l’équipe ait été parfaitement
organisée et que tu aies parié sur un 3-4-3 comme l’a fait Bielsa. Tu
perds et on te dit que c’est un fiasco. Moi, je le vois d’une autre
façon. »
Guardiola se rendra au lieu de villégiature de l’Argentin pour ce
qui demeure leur unique rencontre à ce jour. À cette occasion,
l’apprenti du jeu ne rend pas visite à un simple entraîneur de football.
Il est habité par une multitude de questions. Comment parvient-il à
enseigner des valeurs par le jeu et l’entraînement quotidien ?
Comment expliquer cette intensité dans la tâche ? Comment parvient-
il à convaincre ses joueurs de l’accepter ? Comment expliquer son
rapport au football ? Comment expliquer son rapport à la vie ?
C’est précisément le 10 octobre 2006 que les deux hommes se
rencontrent. Bielsa, sans activité depuis deux ans, accueille un jeune
retraité des terrains (depuis le 29 avril) tout juste titulaire de son
diplôme d’entraîneur voilà maintenant trois mois. Déterminé par sa
quête de connaissances sur sa nouvelle profession, Guardiola passe
son temps à dialoguer avec les entraîneurs qu’il admire. C’est
naturellement qu’il s’est rendu en Argentine afin de rencontrer le
gratin du football argentin : Ricardo La Volpe, César Luis Menotti et
Marcelo Bielsa. Pour l’occasion, ce dernier met les petits plats dans les
grands. À l’heure de l’asado, il a envoyé un ami jusqu’à Buenos Aires
direction l’hôtel Palermo pour qu’il serve de chauffeur à son hôte
ainsi qu’à son ami David Trueba, cinéaste, compagnon de voyage de
l’ancien Blaugrana et unique témoin de cette rencontre mémorable.
Après avoir franchi les portes du domaine, les trois hommes
commencent une longue discussion de onze heures qui a débuté à la
mi-journée pour se terminer peu avant minuit. Pour briser la glace, le
premier sujet de discussion abordé est le cinéma. Trueba est interrogé
pendant presque une heure par Bielsa, amoureux du septième art. « Il
m’a dit qu’il voyait près de deux films par jour. Nous avons beaucoup
parlé jusqu’au moment où je me suis arrêté et lui ai dit : “Bon, vous
n’êtes pas là pour parler de cinéma, non ?” De là a commencé la
discussion footballistique avec d’incessants échanges à propos de
concepts, des débats frénétiques à propos de différentes équipes, des
analyses de position, des anecdotes… Ils ont commencé et ils ne se
sont plus arrêtés », racontera Trueba dans l’ouvrage Che Pep de
Vicente Muglia. Et de continuer. « Ce fut une discussion intense. Ils
consultaient l’ordinateur pour les thèmes sur lesquels ils ne se
mettaient pas d’accord et mettaient en scène différentes actions de
jeu. Marcelo a persisté à expliquer une situation et m’a obligé à me
mettre en position de défenseur contre deux chaises. Et de là, ils ont
continué leur discussion et moi j’essayais de marquer et d’éviter que
les chaises ne me dribblent… »
Guardiola écrit les concepts dans son carnet et les deux hommes
ne voient pas les heures passer, trop occupés qu’ils sont à évoquer
leurs visions communes : l’obsession pour l’attaque et la volonté
farouche de récupérer rapidement le ballon à la perte. Des préceptes
exprimés à merveille à travers l’Ajax de Van Gaal auquel ils vouent un
culte commun. « Ce fut un honneur qu’il m’ouvre les portes de sa
maison et d’avoir ainsi pu partager toute la journée avec lui en
parlant de football. Ce fut formidable. Il m’a beaucoup appris »,
concédera l’Espagnol.
Quelques années plus tard, lors de son passage à l’Athletic Bilbao
(2011-2013), Marcelo Bielsa évoquera cette rencontre avant l’une de
leurs confrontations. « Je crois que je suis parvenu à l’ennuyer à la
onzième heure », déclarera-t-il avec humour. Pep Guardiola reviendra
une nouvelle fois se ressourcer en Argentine, en 2013. Il profitera de
l’occasion pour exprimer à quel point il avait apprécié son premier
séjour après avoir rencontré Bielsa. « C’est un honneur pour moi
d’être en Argentine pour la seconde fois. Quand j’étais venu il y a sept
ans, jamais je n’aurais imaginé parler dans ce merveilleux théâtre. Je
veux remercier les personnes qui ont rendu cela possible : César Luis
Menotti et Marcelo Bielsa. Quand j’avais mis un terme à ma carrière
de joueur et que j’avais le désir d’entraîner, ils m’ont considéré
comme leur fils et ont été d’une générosité sans borne. »
Bielsa et Guardiola se reverront en Espagne, où l’Argentin signera
en faveur de l’Athletic Bilbao à l’été 2011. L’occasion pour l’entraîneur
du Barça de rendre à nouveau hommage à son homologue tout au
long de la saison. Comme le samedi 5 novembre 2011, à la veille de
la rencontre entre l’Athletic Bilbao et le FC Barcelone comptant pour
la 12e journée de Liga. Dans le cadre de sa conférence d’avant-match,
Pep Guardiola se réjouit à l’idée de rencontrer l’Argentin. « Nous nous
sommes rencontrés une fois dans notre vie. Je ne dirai pas que nous
sommes amis, mais je ne le remercierai jamais assez pour sa
gentillesse de m’avoir reçu chez lui. J’étais très intéressé à l’idée de le
connaître parce que des anciens joueurs qui avaient joué pour lui
étaient élogieux à son égard. J’ai eu la chance de le connaître et cette
rencontre a renforcé ce qu’on m’avait dit de lui. J’ai une admiration
pour ce qu’il a fait dans le monde du football, le courage de ses
équipes et ce, peu importe l’adversaire, où qu’ils jouent, que ce soit
dans une grande équipe ou une petite, favorite ou non. Les équipes
de Bielsa jouent toujours l’attaque, avec une très grande agressivité.
Elles ne te laissent pas respirer, arrivent à sept dans la surface,
perdent le ballon et défendent à onze. C’est une grande chance de
pouvoir l’affronter. »
L’Espagnol s’exprimera à d’autres occasions au cours de cette
saison 2011-2012 à l’égard de l’Argentin. D’abord au lendemain de
l’élimination de Manchester United (16 mars 2012) par les Basques
en huitièmes de finale de la Ligue Europa, où le Catalan réagira à
l’exploit par ces mots : « Il faut féliciter l’Athletic. Nous sommes face
au meilleur entraîneur de la planète. Il est parvenu en très peu de
temps à faire en sorte que ses joueurs jouent en fonction de sa
manière de comprendre le jeu. […] Tous les matchs de l’Athletic sont
un cadeau pour les spectateurs. […] C’est un cadeau qu’il soit dans ce
championnat et que nous puissions apprendre de lui. » Puis à
l’occasion du match retour de championnat entre l’Athletic et le FC
Barcelone le 30 mars 2012, il louera de nouveau l’impact de Bielsa et
de l’Athletic cette saison-là : « C’est la révélation en Europe cette
saison. C’est un plaisir pour le spectateur de les voir, ils courent tous
d’un bout à l’autre du terrain. Demain sera un match compliqué et
dur dans l’exigence. Ce sera beau. […] Ils ne te laissent pas d’espaces
pour respirer et dans les situations de un-contre-un, ils font trente à
quarante courses dans le match. Plus le temps passe et plus son
équipe est la sienne. S’ils disposaient de plus de repos, ils seraient
imbattables. Il est particulier et son équipe est spéciale. […] J’ai une
admiration personnelle et professionnelle. C’est le meilleur, et c’est un
plaisir de l’affronter à nouveau. »
La dernière fois qu’il lui rendra hommage, ce sera à l’occasion de
l’officialisation de la signature de l’Argentin en faveur du LOSC, en
mars 2017, lors d’une conférence de match avec Manchester City :
« Mon admiration pour Marcelo Bielsa est grande car il rend les
joueurs meilleurs et même bien meilleurs. Je n’ai jamais rencontré
quelqu’un qui ne disait pas du bien de Marcelo Bielsa. Ils sont tous
reconnaissants pour l’influence qu’il a eue durant leur carrière. C’est
quelqu’un qui m’a beaucoup aidé, qui m’a donné de bons conseils
chaque fois que j’ai eu l’occasion de lui parler. Quand on parle des
entraîneurs, on se concentre souvent sur leur palmarès. Ce n’est pas
important le nombre de titres qu’il a gagnés dans sa carrière. Nous
sommes jugés sur notre palmarès, mais son palmarès, c’est beaucoup
moins important que la façon dont il influence le football, ses joueurs
et c’est pourquoi, pour moi, c’est le meilleur entraîneur au monde.
J’ai hâte de le voir à Lille l’an prochain. Je suis sûr que son influence
dans ce club sera énorme. »

Troisième admirateur de Bielsa présenté ici, Eduardo Berizzo,


sans nul doute le meilleur élève de Bielsa. Champion d’Argentine au
Newell’s en 1990 avec Bielsa à sa tête, après sa carrière, le défenseur
central a ensuite fait ses classes aux côtés du natif de Rosario avant
de prendre son envol. « L’influence est totale parce que j’ai été son
adjoint lors de mes débuts d’entraîneur. J’ai connu sa manière de
penser, je me suis nourri de son savoir et je lui suis reconnaissant de
m’avoir donné cette opportunité », confie-t-il lors de sa première
conférence de presse dans sa nouvelle peau, celle d’entraîneur
d’Estudiantes de la Plata en 2011. « Bielsa est très généreux et
enrichit les gens qui travaillent autour de lui, poursuit-il. J’espère
pouvoir transférer ce que j’ai appris et me développer en tant
qu’entraîneur à partir de ses idées. »
« Ce fut une grande opportunité pour moi d’avoir pu travailler aux
côtés d’un entraîneur comme Bielsa, de son niveau et de son savoir,
disait-il encore le 2 octobre 2014, dans le cadre d’une interview pour
la Liga. Ce fut un grand apprentissage. Je l’ai connu en étant un
joueur sous ses ordres, mais je ne connaissais pas de l’intérieur le
laboratoire de ses idées. À cette époque, j’ai eu la chance de vivre aux
côtés d’un des meilleurs entraîneurs au monde. Avec moi, il fut
comme un guide, quelqu’un qui m’a éduqué et m’a appris à diriger. Il
m’a enseigné le perfectionnisme, l’intention permanente de faire le
travail au mieux, la rigueur du travail. Il m’a enseigné que rien n’est
acquis, que tout est encore à découvrir. Qu’il faut travailler
honnêtement et ne pas faire de cette honnêteté seulement une image,
mais la racine et l’arbre d’une profession qu’il a rendue plus digne. »
Marcelo Bielsa a toujours été omniprésent dans la vie de Berizzo.
Dans la droite lignée de la politique de formation de Newell’s, Bielsa
avait repéré le jeune adolescent quand il entraînait les jeunes du club
rojinegro. « C’est un peu la personne qui m’a amené à devenir
footballeur, a-t-il concédé pour l’émission “A pie de césped” de
Movistar+. J’avais 14 ans et je jouais dans l’équipe de mon quartier à
Cruz Alta, à Cordoba. La génération 1969 était dans la même division
que celle de Bielsa où il dirigeait les jeunes de Newells, et on a gagné
contre eux. À la fin du match, je me souviens d’une conversation
entre lui, mon père et le père de mon coéquipier, Dario Franco. Il
nous a invités à rejoindre le Newell’s et nous sommes allés là-bas en
décembre 1983. On a passé quelques années là-bas, et Bielsa m’a
formé. »
Après Newell’s, le destin les a réunis de l’autre côté du golfe de
Panama, à l’Atlas Guadalajara. Lors de son arrivée au Mexique, Bielsa
veut emmener avec lui des joueurs qu’il connaît déjà et dont il est
certain du niveau de performance. C’est ainsi qu’il fait appel à
Berizzo. Le défenseur argentin est réputé pour être l’un des jeunes les
plus assidus. « Berizzo était un joueur qui se détachait des autres
aussi bien par sa lecture du jeu et ses appréciations tactiques en
match que par ses qualités techniques et physiques », confie en
février 2015 pour la Voz de Galicia Luis Bonini, fidèle de Bielsa et
préparateur physique de l’Atlas à l’époque. Au Mexique, Toto Berizzo
surprend davantage l’opinion que Bielsa pour une simple et bonne
raison : avoir dépassé toutes les attentes placées en lui. Considéré
comme le meilleur défenseur du pays, Berizzo est devenu le leader de
la défense de l’Atlas et verra symboliquement son maillot retiré (le
no 2) avant de rentrer et signer en faveur de River Plate. Il continuera
sa carrière à l’Olympique de Marseille, au Celta Vigo et à Cadix, avant
de se tourner très vite vers une carrière d’entraîneur pour, dès 2007,
rejoindre le staff technique de Bielsa au sein de la sélection chilienne.
À ses côtés, en 2010, il permet au Chili de disputer à nouveau la
Coupe du monde après douze ans d’absence.
« Je me sens chanceux d’avoir vécu cette période avec l’un des
meilleurs entraîneurs au monde. Avec moi, il a été comme un
collègue qui m’a éduqué sur la façon dont il fallait commencer. […]
C’était ma première expérience et pour moi, tout était nouveau. J’ai
appris et j’ai grandi. Pour moi, c’est une grande référence. J’ai joué
avec ses idées et j’ai apprécié de jouer à travers celles-ci parce que ça
m’a fait sentir que j’étais un meilleur footballeur, plus courageux, plus
important… Et par la suite, j’ai aimé intégrer ses idées parce que ce
sont des idées fortes, argumentées et très appréciées. » Luis Bonini,
encore lui, mettra en avant ses qualités dans La Voz de Galicia :
« Berizzo a de très bonnes capacités d’apprentissage. Il s’est
rapidement, et pratiquement converti comme le bras droit de Marcelo
Bielsa du point de vue technico-technique. Il a de grandes qualités
pour corriger les erreurs, que ce soit durant les exercices
d’entraînement que dans le travail individuel. »
Après la Coupe du monde 2010, Berizzo décidera de débuter sa
carrière d’entraîneur principal à Estudiantes de la Plata, le club de
Juan Sebastián Verón, avant de faire les beaux jours du club chilien
d’O’Higgins (en remportant l’Apertura 2013 puis la Supercoupe du
Chili) et du Celta Vigo. « Je crois qu’un entraîneur doit développer ses
idées d’entrée et convaincre ses joueurs. L’idée est au-dessus du
système, cela concerne la manière d’attaquer et de récupérer le
ballon », soutient-il. Sous son joug, si O’Higgins s’est distingué par
l’efficacité de ses transitions offensives, en Espagne, le Celta Vigo s’est
singularisé par sa maîtrise technique en phase de construction, son
pressing agressif et la mise en place d’un marquage individuel
efficient. Pour autant, Berizzo ne se considère pas comme le digne
héritier de Bielsa, préférant attribuer ce legs à Jorge Sampaoli. Deux
hommes qui appartiennent à la même matrice idéologique et
sentimentale. Les deux se sont nourris de l’école Newell’s, les deux
ont une histoire avec le Chili (aussi bien en club qu’en sélection) et
les deux hommes ont dû vivre avec la fascination suscitée par un
même homme, que dis-je, le même saint : San Marcelo Bielsa.
En Argentine, au Mexique, en Espagne ou en France, la passion
que suscite Marcelo Bielsa est la même. Partout, il est apprécié pour
les mêmes qualités dont une en particulier, celle de ne pas distinguer
le football et la vie. Son engagement pour le jeu a toujours été
viscéral à travers l’honnêteté, l’audace, la discipline et l’exigence,
parce que la victoire auréolée d’émotions est à ce prix. Au sein d’une
industrie, il défie les lois de l’organisation humaine par une exigence
morale au-delà de tous soupçons. Et si rester fidèle à ses convictions
est une étape dans la quête du bonheur, le football peut compter sur
Marcelo Bielsa, à la fois entraîneur et apôtre en mission.
Annexes

1. Les équipes entraînées par Marcelo


Bielsa
Newell’s Old Boys (Argentine, 1990-1992)
CF Atlas (Mexique, 1992-1994)
Club América (Mexique, 1995-1996)
Vélez Sarsfield (Argentine, 1997-1998)
Espanyol Barcelone (Espagne, 1998)
Argentine (1998-2004)
Chili (2007-2011)
Athletic Bilbao (Espagne, 2011-2013)
Marseille (2014-2015)
Lille (2017-)

2. Les systèmes de jeu selon Bielsa


Les 10 systèmes de jeu reconnus

Avec une ligne de 4 défenseurs Avec une ligne de 3 défenseurs

4-2-1-3 3-3-1-3

4-3-3 3-4-3

4-3-1-2 3-4-1-2

4-2-4 3-3-4

4-2-2-2 3-3-2-2

Adaptation positionnelle pour faire face aux cinq systèmes de jeu composés d’une
défense à 4

Système de jeu adverse Système de jeu adopté

vs 4-2-1-3 4-3-3

vs 4-3-3 4-2-1-3

vs 4-3-1-2 3-3-1-3

vs 4-2-4 3-4-3

vs 4-2-2-2 3-3-1-3

Adaptation positionnelle pour faire face aux cinq systèmes de jeu composés d’une
défense à 3

Système de jeu adverse Système de jeu adopté

vs 3-3-1-3 4-3-1-2

vs 3-4-3 4-2-4

vs 3-4-1-2 3-3-2-2

vs 3-3-4 3-3-4

vs 3-3-2-2 3-4-1-2
6 oppositions répétées chacune deux fois suffisent pour passer en revue
les 10 systèmes reconnus

Oppositions Systèmes de jeu

1 4-2-1-3 vs 4-3-3

2 4-3-1-2 vs 3-3-1-3

3 4-2-4 vs 3-4-3

4 4-2-2-2 vs 3-3-1-3

5 3-4-1-2 vs 3-3-2-2

6 3-3-4 vs 3-3-4

7 4-3-3 vs 4-2-1-3

8 3-3-1-3 vs 4-3-1-2

9 3-4-3 vs 4-2-4

10 3-3-1-3 vs 4-2-2-2

11 3-3-2-2 vs 3-4-1-2

12 3-3-4 vs 3-3-4
4-2-1-3 4-3-3

4-3-3 4-2-1-3

4-3-1-2 3-3-1-3

4-2-4 3-4-3

4-2-2-2 3-3-1-3

4-2-1-3 se mue en 3-3-1-3 4-3-1-2

4-3-3 se mue en 3-4-3 4-2-4

4-3-1-2 se mue en 3-4-1-2 3-3-2-2

4-2-4 se mue en 3-3-4 3-3-4

4-2-2-2 se mue en 3-3-2-2 3-4-1-2

3. La polyvalence selon Bielsa


La polyvalence : chaque joueur doit être capable d’occuper 3 postes alternatifs
en dehors de son poste initial
Polyvalence requise en fonction des postes

Poste initial Les 3 postes alternatifs

Latéral droit Défenseur central Milieu de terrain Ailier


relayeur

Latéral gauche Défenseur central Milieu de terrain Ailier


relayeur

Défenseur central Libre Latéral Milieu de terrain


droit défensif

Défenseur central Libre Latéral Milieu de terrain


gauche défensif

Milieu de terrain Latéral Libre Milieu de terrain


défensif relayeur

Milieu de terrain Milieu de terrain Ailier Milieu de terrain


relayeur défensif offensif

Milieu de terrain Milieu de terrain Ailier Avant-centre


offensif relayeur

Avant-centre Milieu de terrain Ailier Avant-centre


offensif

Ailier droit Latéral Milieu de terrain Avant-centre


offensif

Ailier gauche Latéral Milieu de terrain Avant-centre


offensif

4. Le style de jeu
Éléments qui permettent de définir le style de jeu

Prédominance du protagonisme sur la spéculation

Attitude face au règlement

Décider du choix des joueurs pour chaque poste en donnant la priorité aux
caractéristiques offensives sur les caractéristiques défensives sans occulter les exigences de
la fonction

Choix du système tactique de base

Positionnement des attaquants compensé sur tout le front de l’attaque

Considérer avec la même importance la récupération du ballon et la possession du ballon

Développer un jeu à travers les trois lignes de l’équipe (défense – milieu – attaque)

Intention de récupérer le ballon dès la perte et dans la zone où ce dernier a été perdu

Méthode d’entraînement en accord avec le style de jeu choisi

5. Énumération et description
des situations de jeu rencontrées
et des actions utilisées pour
les résoudre
Aspects offensifs du jeu, actions liées à la Aspects défensifs du jeu, actions liées à
possession du ballon, à la création et à la récupération du ballon, à l’opposition
l’attaque et à la défense

Passes, contrôles, une-deux, dribbles Gestes techniques pour récupérer le ballon

Démarquage Coordination défensive positionnelle

Centres Jeu aérien défensif

Frappes Gardiens

Coups de pied arrêtés offensifs Coups de pied arrêtés défensifs

Actions de jeu qui se déroulent dans Pressing sur la relance de l’équipe adverse
différentes zones du terrain

6. Exercices autour desquels Bielsa


organise son entraînement
Aspects offensifs du jeu - Actions liées à la possession du ballon, à la création
et à l’attaque

Passes – Passes en profondeur : différentes


façons de transmettre le ballon selon la distance,
la trajectoire, la direction et la vitesse (3)

Contrôles : se produisent des démarquages


préalables (2)

Passes en profondeur, contrôles, Une-deux à travers le jeu de passes


une-deux, dribbles (49) Entre 2 joueurs : conduite de balle et passe (11)
Entre 2 joueurs : 2 passes, la première passe est en
première intention (8) Entre 3 joueurs : 2 passes,
celui qui transmet le premier ballon ne reçoit pas
la seconde passe (17)

Dribbles : Dribbles, changements de direction et


rapidité dans la conduite de balle (8)

Démarquages individuels : provoquent des


contrôles dans des espaces libres ou loin des
Démarquage (4)
adversaires (2) Démarquages combinés :
permutations (2)

Centres depuis les côtés : passes en profondeur


Centres (2)
vers la surface (2)

Routine : frappes au but (12). Possibilité de


Frappes au but (12)
dribbler avant de frapper

Frappes sur coups de pied arrêtés (2) : les


joueurs doivent surgir dans la surface adverse à la
Coups de pied arrêtés offensifs (2)
suite d’un centre. Coups francs directs. Touches
longues vers la surface.

Zones du terrain (19) Déroulement du jeu depuis son propre camp :


relance (11) Création de l’espace entre la
première et la seconde ligne défensive adverse
(défense – milieu de terrain) Jeu offensif par les
côtés (4). Possibilité de dribbler Jeu offensif par
l’axe (4). Possibilité de dribbler Contrecarrer
l’intention adverse de provoquer le hors-jeu.
Possibilité de dribbler

Aspects défensifs du jeu. Actions liées à la récupération du ballon, à la défense


et à l’opposition

Routine défensive : Actions pour récupérer


Récupération du ballon (26)
le ballon (26) Collectives ou individuelles

Couverture : Adaptation à l’absence d’un


coéquipier éliminé (4) Libero extérieur :
Situation de défense libre sur un côté et non
Coordination défensive positionnelle
dans l’axe (2) Permutations : Éviter la
(28)
poursuite (8) Relais : Couvrir l’absence d’un
coéquipier qui attaque (5) Adaptation aux
changements du système adverse (9)

Relance longue (1)


Jeu aérien (4) Jeu aérien face au jeu (1)
Jeu aérien depuis les côtés (2)

Actions durant lesquelles le gardien doit


agir (4) Considérer quand il faut
Gardiens (4)
intervenir comme un joueur de champ. Jeu
au pied.

Ballons sur phases arrêtées défensives (2)


Coups de pieds arrêtés défensifs (2) Penaltys. Touches longues dans la surface.
Touches courtes.

Eviter que l’adversaire relance le jeu à


Pressing sur la relance adverse travers une passe choisie avec facilité
Presser, gêner la relance
Bibliographie

Ouvrages
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Chile, 2014.
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Bielsa, Rocket Bird London, 2016.
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exitosa de todos los tiempos, El Mercurio, 2012.
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SENOSIAIN Ariel, Lo suficientemente loco, Corregidor, 2011.
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Interview de Kily González : « Con la camiseta no se gana », Juan
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« Bielsa le agradece a Newell’s donando dos millones de dólares »,
Andrés Actis, 15 octobre 2014.

Conclusion,
« Las obras del hotel en Bella Vista no están paradas », Pablo
Martinez, 15 mars 2016.

Corriere Dello Sport,


« Lazio, Tare : ‘Bielsa ? Ci sono stati ostacoli esterni.’ Gentile :
‘Chiederemo i danni’ », 9 juillet 2016.

De Telegraaf,
Chronique de Johan Cruyff, juin 2010.

El Desmarque,
« Berizzo, el alumno aventajado de Bielsa », María Trigo, 14 avril
2016.

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Interview de Jorge Griffa : « Capacidad, oportunidad y suerte, las
tres deben estar en el fútbol », Diego Borinsky, 4 novembre
2016
« Sólo lo pido a Dios… », Daniel Czwan, 25 décembre 1990.
« Herederos de un historia gloriosa », Juvenal, 25 décembre 1990.
« De la mano del loco… », Alfredo Alegre, 9 juillet 1991.
« Al gran fútbol argentino, salud ! », 9 juillet 1991.
« La alegria es toda rojinegra », Alfredo Alegre, 7 juillet 1992.
« La vigencia de una escuela », Juvenal, 7 juillet 1992.
« Sampaoli : ‘Miro fútbol argentino y no le encuentro atractivo’ »,
Andrés Burgo, février 2012.
« Guardiola, charla técnica », Diego Borinsky, 9 juin 2013.

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Interview d’Oscar de Marcos : « Con Bielsa me sentí jugador de
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H. 12 août 2007.
« Tres miradas sobre Bielsa », Antonio Martínez, 17 octobre 2009.

El Mundo,
« ‘Adiós, Bielsa querido’ », Agencia EFE, 21 novembre 2010.
El Periodista,
« El espia de Bielsa », Andrés Ampuero, 18 janvier 2008.

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« Bielsa, un fou chez les fadas », Florent Torchut, 29 avril 2014.
« Il fait suer ce Bielsa », Mathieu Kouyate, 1er juillet 2014.
« Bielsa, toute la ville en est dingue », Yoann Riou, 14 octobre
2014.
« Bielsa, la face cachée », Yoann Riou, 4 novembre 2014.
« Bielsa, sa marche à l’ombre », Florent Torchut, 14 mars 2017.

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« Bielsa chef de chantier », Joël Domenighetti, 4 mai 2017.
« La leçon de foot de Marcelo Bielsa », Joël Domenighetti, 20 mai
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« Dimitri Payet : Le bon, le brut et le diamant », Vincent Garcia,
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« Newell’s, dueño del Apertura », 23 décembre 1990.

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Interview de Jorge Sampaoli, « Le Chili peut créer la surprise »,
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« Borghi : el juego de las apariencias », Guadalupe Diego, 10 juin
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Interview de Mauricio Isla, « El trabajo de Sampaoli da gusto
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Interview de Luis Bonini, « No dudaba de que tenía capacidad
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« De Junín a Marsella, de la mano de Bielsa », Juan Azor,
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Interview de Rod Fanni : « Avec Bielsa, on devait connaître trois
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Interview d’Arrigo Sacchi : « Le collectif est meilleur que
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Interview de Fernando Molinos : « Marcelo, il vous irradie de
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Interview de Paul Scholes : « Si j’avais été espagnol, je n’aurais
jamais eu à tacler », Nicolas Jucha, 16 février 2017.

Terra,
« Scolari admitió que copió el esquema de Bielsa », Franco
Robledo, 16 juillet 2002.

Winflag11 Magazine,
Traduction de Raúl Vergara, « Johan Cruyff y el Chile de Marcelo
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Autres sources : frasesbielsistas.blogspot.fr,


metodobielsa.blogspot.fr, OM.net, OMTV (« Objectif Match »),
RMC, YouTube (« Conferencia Bielsa 06 07 2011 parte1 mp4 »,
« Los ocho minutos de charla de Bielsa a los jugadores tras perder
las dos finales », « Asado Reservado con Diego “Cholo”
Simeone »).
Remerciements

Un grand merci à Adrien Verrecchia, qui m’a persuadé d’écrire ce


livre, ainsi qu’à Florent Toniutti pour sa précieuse contribution. R. L.
Directeur : Jean-Louis Hocq
Responsable d’édition : Jean-Philippe Bouchard
Assistant d’édition : Maxime Lafon
Couverture : Thierry Sestier
Mise en pages : Nord Compo
Fabrication : Emmanuelle Laine
© 2017, Éditions Solar

« Cette œuvre est protégée par le droit d’auteur et strictement réservée à


l’usage privé du client. Toute reproduction ou diffusion au profit de tiers, à
titre gratuit ou onéreux, de tout ou partie de cette œuvre, est strictement
interdite et constitue une contrefaçon prévue par les articles L 335-2 et
suivants du Code de la Propriété Intellectuelle. L’éditeur se réserve le droit
de poursuivre toute atteinte à ses droits de propriété intellectuelle devant
les juridictions civiles ou pénales. »

EAN : 978-2-263-15377-8

Code éditeur : S15377

Dépôt légal : août 2017

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