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posté à 11h44, par Olivier Cyran
533 commentaires
Post-scriptum 11 janvier 2015 : à tous ceux qui estiment que cet article serait une validation a priori de l’attaque terroriste
ignoble contre Charlie hebdo (ils l’auraient bien cherché), la rédaction d’Article11 adresse un vigoureux bras d’honneur.
Charognards ! Pour que les choses soient bien claires, il y a ce texte.
Je n’ignore pas, Charb, que tu as reçu des menaces de mort et qu’il y a peut-être des dingues quelque part qui en veulent à ta
peau. Cela me désole. Malgré tout ce que je vous reproche, à toi et aux autres, je ne me réjouis pas de t’imaginer avec deux flics
collés en permanence à tes semelles et qui coûtent un bras à votre république chérie. Je crains aussi que tes molosses ne
déteignent sur toi comme Val a déteint sur toute l’équipe. Mais si vraiment vous tremblez à l’idée que les musulmans de France
se métamorphosent en serial killers de la guerre sainte, peut-être trouverez-vous un brin d’apaisement en voyant la manière
placide dont les intéressés réagissent aux attaques réelles ou symboliques qui sont leur lot quotidien. Quand une mosquée est
recouverte de tags racistes, croyez-vous que ses responsables ou les fidèles du coin se répandent en cris de vengeance ou en
promesses de mettre l’Élysée à feu et à sang ? Non, à chaque fois ils déclarent s’en remettre tout simplement à la « justice de leur
pays ». Parmi ceux que je connais, l’écume médiatique de vos prouesses ne fait qu’ajouter une petite couche supplémentaire à
leur lassitude. Pas sûr que j’aurais la même patience.
Bunkérisés derrière vos zygomatiques, vous revendiquez le droit sacré de « rire » pareillement des imams, des curés et des
rabbins. Pourquoi pas, si encore vous appliquiez vraiment ce principe. On oublie l’épisode Siné ou il faut vous faire un
dessin ? U n constat avéré d’islamophobie, et c’est l’éclat de rire. U ne mensongère accusation d’antisémitisme, et c’est la porte.
Cette affaire remonte aux années Val, mais la pleutre approbation que votre patron d’alors a recueilli auprès de « toute la
bande », et plus particulièrement auprès de toi, Charb, démontre que le deux
poids deux mesures en vigueur à cette époque n’était pas le fait d’un seul
homme. La même règle a perduré. À ce jour, me dit-on, le numéro spécial
« Charia Hebdo » ne s’est toujours pas dédoublé en un « Talmud Hebdo ».
Croyez bien que je ne le regrette pas.
Vous vous réclamez de la tradition anticléricale, mais en feignant d’ignorer
en quoi elle se différencie fondamentalement de l’islamophobie : la
première s’est construite au cours d’une lutte dure, longue et acharnée
contre un clergé catholique effectivement redoutable de puissance, qui avait
– et a encore – ses journaux, ses députés, ses lobbies, ses salons et son immense
patrimoine immobilier ; la seconde s’attaque aux membres d’une confession
minoritaire dépourvue de toute espèce d’influence sur les sphères de
pouvoir. Elle consiste à détourner l’attention des intérêts bien nourris qui
gouvernent ce pays pour exciter la meute contre des citoyens qui déjà ne
sont pas à la fête, si l’on veut bien prendre la peine de considérer que, pour
la plupart d’entre eux, colonisation, immigration et discrimination ne leur
ont pas assigné la place la plus reluisante dans la société française. Est-ce trop
demander à une équipe qui, selon vos termes, « se partage entre tenants de
la gauche, de l’extrême gauche, de l’anarchie et de l’écologie », que de
prendre un tantinet en compte l’histoire du pays et sa réalité sociale ?
J’aime bien les bouffeurs de curés, j’ai grandi avec et ils m’ont inculqué quelques solides défenses contre les contes de fées et les
abus de pouvoir. C’est en partie cet héritage-là qui me fait dresser les poils devant l’arrogante paresse intellectuelle du
bouffeur de musulmans. La posture antireligieuse lui offre un moyen commode de se prélasser dans son ignorance, de faire
passer pour insolents ses petits réflexes de contraction mentale. Elle donne du lustre à un manque béant d’imagination et à un
conformisme corrodé par les yeux doux de l’extrême droite16.
« Encoder le racisme pour le rendre imperceptible, donc socialement acceptable », c’est ainsi que Thomas Deltombe définit la
fonction de l’islamophobie, décrite aussi comme une « machine à raffiner le racisme brut »17. Les deux formules vous vont
comme un gant. Ne montez donc pas sur vos grands chevaux quand vos détracteurs usent de mots durs contre vous. Ces
derniers jours, vous avez hurlé au scandale parce qu’un rappeur pas très futé réclamait un « autodafé pour ces chiens de
Charlie Hebdo » au détour d’un titre collectif inséré dans la BO du film La Marche. Comme si votre journal n’était qu’amour et
poésie, vous avez fait savoir à la terre entière que vous étiez « effarés » par tant de « violence ». Pourtant, vous ne vous êtes pas
offusqués lorsque le rappeur tunisien Weld El 15 a assimilé les policiers de son pays à des « chiens bons à égorger comme des
moutons ». Au contraire, vous l’avez interviewé avec tous les égards dus à un « combattant de la liberté d’expression18 ». Les
violences verbales de Weld El 15 trouvent grâce à vos yeux parce qu’elles visent un régime à dominante islamiste qui veut le
renvoyer en prison. Mais quand la métaphore canine se retourne contre vous, ce n’est plus du tout la même chanson. Envolée,
la liberté d’expression : ralliement à la rengaine néoconservatrice sur le rap comme « appel à la haine » et « chant religieux
communautariste »19.
La machine à raffi ner le racisme brut n’est pas seulement lucrative, elle est aussi extrêmement susceptible.
Bien à vous,
Olivier Cyran
*
Édit Article11 en date du 17 décembre : pour cause de trolls multiples et insistants, les commentaires sous cet article sont
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