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NOUVELLE BIBLIOTHEQUE

DES

CLASSIQUES FRANÇAIS
POÉSIES
DE

MALHERBE.

DE L’IMPRIMERIE. DE LAGHEVARDIERE
RUR OU COLOMBIER , N° 3o, A PARIS.

PARIS,
LEGOINTE, LIBRAIRE,
QUAI DUS AVGVST1XS, N. 4g.

l82 9.
NOTICE
SUR I.A VIE ET LES OUVRAGES

DE MALHERBE.
IVIaeherbe et Balzac sont les premiers de nos

écrivains , l’un en vers , l’autre en prose , qui ont


le plus contribué à perfectionner notre langue. Ron­
sard , par une imitation servile des formes grecques
et latines, avoit fait de l’idiôme de Montaigne et
d’Amyot un langage pédantesque. Malherbe sut
donner à notre versification le caractère qui lui con­
venait, en l’assujettissant aux réglés d’une élocution
douce , élégante et facile. Il rectifia le goût de nos
écrivains . et prépara ce beau siecle de Louis XIV qui
a rendu la France si féconde en hommes de génies
ce qui fit dire à Boileau :

i Enfin Malherbe vint, et, le premier en France,


lit sentir dans les vers une juste cadence,
B un mot mis en sa place enseigna le pouvoir,
Et réduisit la muse aux réglés du devoir.
Par ce sage écrivain la langue réparée
K’offrit plus rien de rude à l’oreille'epurée ;
fies stances avec grâce apprirent à tomber,
fit le vers sur le vers n’osa plus enjamber.
ET LES OUVRAGES DE MALHERBE. vîj
VJ NOTICE SUR LA VIE
« Les ouvrages de Malherbe, dit l’auteur de sa vie
Tout reconnut ses lois, et ce guide fidele
« qu’on trouve dans les Annales poétiques , tome
Aux auteurs de ce temps sert encor de modèle.
« XIII, ont appris à Rousseau à le surpasser lui-
Marchez donc sur ses pas ; aimez sa purete,
« même : mais il eût peut-être été plus loin que ce
Et de son tour heureux imitez la clarté.
« dernier, s’il eût pu, comme lui, consacrer à perfec-
Malherbe travailloit difficilement. Son goût,rendu « tionner son génie un temps qu’il fut obligé d’em-
sévere par une étude approfondie de son art, semble « ployer à créer son art.
l’avoir éloigné de ce qu’on appelle les fictions poéti­ « Avant lui nos meilleurs poètes avoient du génie
ques ; à moins qu’on n’attribue cet éloignement à son « et une vaste érudition ; le goût leur étoit absolu­
peu d’imagination , défaut que lui reprochent ses es ment étranger. C’est Malherbe qui, dans un siecle
critiques les plus éclairés. « où la versification étoit encore si informe , et dans
Ses premiers ouvrages ne l’élevent pas beaucoup « le genre de poésie le plus difficile sans doute après
au-dessus des écrivains de son siecle. Le succès de sa « le poeme épique, dònna le premier aux muscs fran-
picce intitulée, les Larmes de saint Pierre, dut « çoises cette sublimité d’idées , cette clarté et cette
bien l’étonner, quand il eut mis au jour l’ode ,Dons « richesse d’expression , ces mouvements variés de
un nouveau labeur, etc. Quelle immense carrière « I éloquence poétique, cet heureux mélange d’images
il avoit parcourue ! « et de sentiments , et sur-tout cette harmonie conti-
Pour ceux qui aiment à suivre les progrès de sou « nue, si nécessaire à lapoésie, ouplutôtsans laquelle
génie, l’on a eu soin, en distribuant ses poésies en «la poésie n’existe point. C’est parcequ’il aimoit et
différents livres , d’indiquer dans une table chrono­ « qu’il connoissoit les effets harmonieux qu’il se
logique les époques où la tradition nous apprend «fit une loi de la richesse des rimes, persuadé
qu’elles furent composées ou mises au jour. « qu’elle ajoute à l’harmonie , et que l’harmonie
Ce n’est point le génie à son aurore ni à son cou­ « est essentielle, sur-tout à la poésie lyrique. C’est un
chant qu’il faut juger, mais lorsqu’arrivé à son plus « secret que n’ignoroit point Rousseau , qui par-là sut
haut degré d’élévation il s’ouvre une nouvelle car­ « ajouter à la mélodie de son style. Ou peut même lui
rière , et laisse bien loin derrière lui ses contempo. aire un reproche que n’a point mérité Malherbe;
rains. U faut le voir de son point de départ, l’envisa­ t d avoii sacrifié quelquefois la propriété de
ger à la hauteur où il s’est élevé , et le comparer avec “ 1 expression à la richesse de la rime.
les rivaux qui l’ont précédé ou suivi.
vJij NOTICE SUS. LA VIE ET LES OUVRAGES DE MALHERBE. ix
.< Un autre avantage de Malherbe sur son rival, François de Malherbe étoit né à Caen, vers l’an
« avantage qu’il doit peut-être à un reste de naïveté i555. Il étoit de la maison de Malherbe S.-Aignan
« que nos premiers poëtes avoient transmis à son qui suivit en Angleterre l’armée de Robert III, duc
« siècle, c’est qu’il a plus de grâce dans son style, de Normandie. Le pere de Malherbe, réduit par sa
« comme Rousseau a une énergie et une noblesse plus fortune à être assesseur de Caen, embrassa la religion
« soutenues. » reformée avant de.mourir. Son fils en fut très affligé.
Malherbe a donc créé la langue des poëtes françois. n’avoit alors que rq ans. Plus avancé en âge peut
On trouvoit chez lui une école de bon goût et de lit­ être eût-il été moins sensible à ce changement de son
térature où venoient quelques amis qui s’honoroient pere. On voit par plusieurs de ses bons mots et par
du titre de ses disciples. Les plus connus furent Co- quelques traits de sa vie qu’il tenoit peu aux préjugés
lomby , qu’il ne trouvoit point propre à la poésie ; de son siecle , et qu’il ne leur donnoit d’autre impor­
Maynard, celui de tous qui, à son avis, savoit le tance que celle que tout homme sage doit aux bien­
mieux faire des vers , mais qui manquoit de force : séances de la société. Toutefois le chagrin qu’eut
etRacan, à qui il ne manquoit que de travailler un notre poete de cette abjuration le fit partir pour la
peu plus les siens. wvence ou il suivit le grand prieur, Henri d’An-
Ce que Racan nous apprend des notes critiques de gouleme , fris naturel de Henri II.
la main de Malherbe, trouvées sur un exemplaire de , Pendant qu’il étoit attaché à ce prince, qui fut tué
Desportes , prouve la sévérité de la doctrine de son a A*x en r585, il épousa Magdeleine de Coriolis
maître , et la finesse de son goût. fdle d un president et veuve d’un conseiller au parle-
On ne répétera brièvement sur sa vie que le peu Z°, 11 7e"'
d’anecdotes transmises par ses contemporains, qui eut le malheur de survivre. Une de ses filles mourut
peuvent le plus servir à la connoissance de sa per­ < e la peste entre ses bras. Il perdit un fils tué en
sonne et de son caractère. Il est rare qu’un homme ment^fV füt “ douloureuse-
de génie n’ait point quelque originalité piquante qui Rocl H CCte’ qUl1 reUdit CXPrès au siege delà
sert à le distinguer du commun des hommes de son c telle pour demander justice au roi.
siecle. Quant à son esprit , le lecteur le retrouve * ’ayant pu l’obtenir , il résolut de se battre contre
mieux dans ses ouvrages que dans un éloge. n’étoT n S<3S amiS lui rePréscntant que la partie
Pas égalé entre un vieillard de soixante-douze
ET LES OUVRAGES DE MALHERBE. xj
s NOTICE SUR LA VIE
cardinal lui répondit « Que depuis que sa majesté lui
ans et un jeune homme de vingt-cinq , C est pour
« fajsoit l’honneur de Remployer dans ses affaires , il
cela que je veux me battre, répondit-il, je ne
« avoit abandonné cet exercice , et que d’ailleurs il ne
hasarde qu’un denier contre une pistole.
« falloit plus que qui que ce soit s’en mêlât après un
Ce fils paroit avoir mérité les regrets de son pere.
« gentilhomme de Normandie , établi en Provence ,
Il avoit du talent pour la poésie. Ses vers, où 1 on
« nommé Malherbe, qui avoit porté la poésie fran-
trouvoit du feu et de l’imagination, ne sont point
« çoise à un si haut point que personne n’en pouvoit
parvenus jusqu’à nous.
« jamais approcher ». Le roi retint le nom de Mal­
Malherbe perdit sa mere vers l’an t6i5, dans un
herbe , qui ne vint à la cour que trois ou quatre
âge fort avancé. Il avoit lui-même alors soixante
ans après , quand ses affaires particulières l’eurent
ans. La reine mere, à cette occasion, lui envoya
amené à Paris en i6o5.
un gentilhomme , à qui, pour remerciement, il dit
Au retour d’un voyage que le roi fit dans le
« Qu’il ne pouvoit se revancher de l’honneur que
Limousin , Malherbe lui présenta les stances qui
« lui faisoit la reine, qu’en priant Dieu que le roi son
commencent , O Dieu , dont les bontés de nos
« fils pleurât sa mort aussi vieux qu’il pleuroit celle
larmes touchées , etc. Ce fut le prélude de sa fa­
« de sa mere. »
veur. Il eut bientôt le titre de gentilhomme ordinaire
Quelques traits de sa vie militaire, rapportés dans
de la chambre du roi, une pension de mille livres du
les mémoires de Racan, prouvent qu il avoit de la
duc de Bellegarde , qui le logea chez lui, l’admit à sa
bravoure. Pendant la ligue, lui et le nomme de In Ro­
table, et lui entretint un domestique et un cheval.
que , qui avoit été comme lui gentilhomme du duc
U lit chez le grand écuyer la conuoissance de Racan
d’Angoulême, poussèrent si vivement M. de Sully
alors page de la chambre du roi. Le goût de celui-ci
l’espace de deux ou trois lieues, que ce ministre en
pour les vers l’attacha à Malherbe , qui cultiva ses
garda toujours du ressentiment contre Malherbe , et
heureuses dispositions ; et l’amitié qu’ils contractè­
nuisit beaucoup à la fortune que semhloit lui pro­
rent , malgré la disproportion de l’âge , dura sans
mettre l’estime de Henri IV.
altération entre le maître et le disciple jusqu’à la
L’ode qu’adressa notre poète à Marie de Médicis
mort du premier.
sur son arrivée en France lui avoit fait la plus
Malgré la considération dont Malherbe jouis-
grande réputation. Henri IV ayant un jour demandé
soita la cour, Henri IV, pour qui il faisoit des
au cardinal du Perron s’il ne faisoit plus de vers , le
xij NOTICE SUR LA VIE ET LES OUVRAGES DE MALHERBE. xiij
pièces galantes s pus le nom d’Alcandre , ne paroît sa liberté : les prêtres et les grands l’égaroient par
pas l’avoir élevé a a-dessus de cette heureuse mé­ le fanatisme pour le ramener à la servitude.
diocrité qu’Horace appelle le trésor du sage. Au­ L’esprit public s’étoit corrompu à tel point que
guste ne faisoit point faire à Virgile ni à Horace les plus sages, au lieu de songer à la liberté de leur
des vers pour ses maîtresses , mais récompensoit patrie, ne s’oceupoient qu’à la tirer de l’abyme de
mieux que Henri IV les louanges qu’ils lui adres- maux où l’avoient plongée les guerres civiles. La
soient. France dévastée avoit besoin de se reposer sous un
Racan nous dit que son maître logeoit ordinai­ maître : Henri IV régna.
rement en chambre garnie , qu’d étoit assez mal Malherbe, tout en flattant ce prince qui avoit des
meublé , et qu’il n’avoit que sept à huit chaises de qualités aimables, ne laissoil pas de conserver un
paille. Lorsqu’elles étoient occupées , s’il lui surve- reste de fierté républicaine qui ne fut entièrement
noit quelqu’un , il crioit à travers la porte , Atten­ abattue que sous Louis XIV. Il n’est donc pas sur­
dez ; il n’y a plus de chaises. prenant que ce poète n’ait jamais pu acquérir cette
Ceux qui l’ont connu particulièrement attestent souplesse de courtisan qui se familiarise avec tons
qu’il étoit plein de franchise et d’honnêteté dans le les vices, et s en fait des moyens de fortune. Quel­
commerce ordinaire de la vie , quoique vif et brus­ ques unes de ses reparties prouvent qu’il n’étoit pas
que par caractère , et même un peu sujet à la misan­ dupe des grands qu’il louoit dans ses vers.
thropie. Il disoit des femmes , qu’en général il aimoit Une princesse de Condé, dans la prison où étoit
beaucoup , « Dieu , qui s’est repenti d’avoir fait son mari, y étant accouchée de deux enfants morts,
* l’homme , ne s’est jamais repenti d’avoir fait la un conseiller du parlement de Provence regrettoit
« femme. » beaucoup la perte que l’état faisoit de deux princes
S’il n’avoit des hommes qu’une opinion médiocre, du sang : « Eh ! monsieur, lui dit Malherbe, conso-
ce mépris ne lui seroit-il pas venu de son commerce « lez-vous, vous ne manquerez jamais de maître. »
habituel avec les grands ? D’ailleurs dans quel siecle Quelque temps après la mort du maréchal d’An-
a-t-il vécu ? Dans un temps orageux ou la société cre, notre poète allant un matin rendre visite à la
dissoute ’avoit vu toutes les passions humaines dé­ duchesse de Bellegarde, on lui dit qu’elle étoit allée
chaînées faire de la France entière un théâtre de à la messe. « A la messe répondit-il : que diantre
carnage et de discorde. Le peuple comhattoit pour “ peut-elle demander à Dieu, après qu’il nous a dé-
xiv NOTICE SUR LA VIE ET LES OUVRAGES DE MALHERBE. xv
« livrés du maréchal d’Ancre ? » 11 ne paroit pas qu’il se fût rendu familiers les
L’archevêque de Rouen , de Harlay , pour lui faire poètes grecs, qu’il estimât beaucoup Pindare , dont
entendre un de ses sermons, le retint à dîner. Mal­ les odes lui sembloient dû galimatias. A l’égard des
herbe s’endormit au sortir de table. Ce prélat le fai­ latins, il aimoit Stace, Séneque le tragique, Juvé-
sant réveiller pour le mener au sermon, il le pria nal, Ovide , Martial , sur-tout Horace , qu’il appe­
de l’en dispenser, attendu qu’il dormir oit bien sans lât son bréviaire. Sans se piquer d’érudition, il
cela. s’étoit fait une étude continuelle de sa langue , et
Il ne connoissoit point l’art de ménager l’amour- ne s’occupoit qu’à la débarrasser du jargon barbare
propre. Un de ses neveux le venant voir à la sortie des poètes ses devanciers et ses contemporains.
du college, où il avoit passé neuf ans , il lui demanda Henri IV parloit sa langue gasconne ; on se doute
ce qu’il savoit ; et lui ouvrant un Ovide, le jeune bien que tous les courtisans dévoient la parler. Pour
homme s’embarrassa dès la première phrase. « Mon les dégasconniser, Malherbe reprenoit librement jus­
« neveu, croyez-moi, lui dit-il, soyez brave, vous qu’aux princes mêmes. Aussi l’appeloit-on le tyran
« ne valez rien à autre chose. » des mots et des syllabes.
Un homme de robe et de condition lui montrant Il défendit jusqu’à la mort le purisme qu’il avoit
des vers faits pour une femme , Malherbe , après toujours professé. Une heure avant de mourir,
les avoir lus , lui demanda s’il avoit été condamné après une espece d’agonie, il se réveilla comme en
a être pendu ou à faire ces vers-là. sursaut pour reprendre sa garde sur un mot qui lui
Les mauvais vers des princes ne lui en imposoient eboquoit l’oreille. Son confesseur l’ayant repris de
pas davantage. Il dit un jour à son protecteur , le sa vivacité ; « Monsieur , répondit Malherbe , je
duc d’Angoulème , qui lui en montroit de sa façon , « défendrai jusqu’au dernier soupir la pureté de la
« Qu il falloit les supprimer, parcequ’il n’étoit pas « langue françoisè. »
“ convenable à un prince de donner un ouvrage à Le confesseur lui-même lui représentant le bon­
« moins qu’il ne fût parfait. » heur de l’autre vie d’une maniéré peu éloquente,
Avec le goût d’un peu de causticité , il dut sou­ et lui demandant s’il ne sentoit pas un grand désir
vent se faire des ennemis , sur-tout parmi ses con­ de jouir bientôt de cette félicité ; Malherbe lui ré-
frères les poètes; nation légère, mais d’humeur très pom it, « Ne ni en parlez plus , votre mauvais style
irritable quand on ra’adinire point assez ses vers. " m en dégoûte. »

r
ET LES OUVRAGES DE MALHERBE, xvij
S xvj NOTICE SUR LA VIE
cial, en améliorant le goût et les mœurs.
Dans un siecle fanatisé par les prêtres , Malherbe Quoique sa noblesse date de plus loin que celle
paroît avoir eu j usqu’à sa mort assez de philosophie de Montaigne, cependant, plus philosophe que lui,
pour s’être garanti depuis l’âge de raison des préju­ d en tiroit peu de vanité, et ne la fit pas même ser­
gés religieux qui avoient dissous tous les liens natu­ vir a sa fortune. Malgré les préjugés de sa caste, il
rels de la société. A la sollicitation de ses amis , il
ne crut pas que l’ignorance fût un titre pour briguer
remplit tous les devoirs d’usage exigés des mourants les hautes dignités, ni qu’elle lui donnât le droit de
dans l’église catholique. mépriser les lettres et ceux qui les cultivent. Son
II mourut à Paris l’an 162S , et fut inhumé dans nom nous seroit-il encore cher, s’il avoit fait plus
l’église de S.-Germain-TAuxerrois. de cas de la noblesse des parchemins que de celle du
Le premier de nos poètes, lyriques , il fut aussi genie ? Il disoit souvent à Racan « Que c’étoit une
tout à-la-fois bon fils, bon pere, bon mari, bon « folie de vanter sa noblesse ; que plus elle étoit an-
ami, bon maître, et excellent citoyen. Il n’eut d’au­
« cienne , plus elle étoit douteuse; qu’il ne falloit
tre ambition que la gloire littéraire ; que cependant « qu’une Julie pour pervertir le sang des Césars. ».
il savoit apprécier , en disant « Qu’il y avoit de la Comme noble, le nom de Malherbe seroit déjà
« sottise à faire un métier de la poésie ; qu’on n’en oublie ; mais comme poète il nous intéresse. Nous
« devoit point espérer d’autre récompense que son
aimons a connoître sa personne et son caractère.
«plaisir; qu’enfin un bon poète n’étoit pas plus Ce que nous en avons pu recueillir suffira pour
« utile à l’état qu’un bon joueur de quilles. » I offrir à la postérité tel que l’ont vu ses contempo­
Eùt-il pensé de même, si le langage poétique , qui rains. Ses ouvrages feront apprécier son gère, en ne
ne servoit de son temps qu’à cadencer des riens e jugeant que d’après les obstacles qu’il eut à vain­
inutiles , eût, à l’aide d’une raison éloquente, mon­ cre , d’après les obligations que lui aura éternelle­
tré sur la scene le danger des passions , étalé dans ment notre langue.
des vers harmonieux des maximes utiles , poursuivi,
comme Voltaire, dans ses ouvrages légers ou sérieux,
tous les préjugés funestes au bonheur de l’humanité?
Sans doute il eût regardé la poésie comme un art
précieux , comme une des plus grandes puissances
du génie , la plus propre à perfectionner l’art so-
TABLE
PAR ORDRE CHRONOLOGIQUE

DES PIECES
CONTENUES DANS CETTE EDITION.

1585 Epigramme sur le portrait d’Etienne Pas-


quier, que l’on avoit peint sans mains.
Page. 194
1586 Stances. Si des maux renaissants, etc. 60
1587 Les Larmes de saint Pierre , imitées du
Tansille, gj
15g 1 Stances pour M. le duc de Montpensier,
qui demandoit en mariage madame Ca­
therine , 74
1596 Ode an roi Henri le Graud , sur la ré­
duction de Marseille à son obéissance, 1
Id. Fragments d’une ode sur le même sujet, 3
Id. Stances. Enfin cette beauté, etc., 76
159S Stances. Beauté, mon cher souci, 78
1599 Stances. Consolation à Caritée, 7^
Id. Stances. Consolation à M. du Perrier, 82
1600 Ode à la reine Marie de Médicis, sur .sa
bienvenue en France, 5
1603 Sonnet à Jean Rabel, peintre,
1604 Stances. Prosopopée d’Ostende, 85
LL Stances. Aux ombres de Damon, 86
Id. Stances. Paraphrase du psaume VIII, 89
1605 Stances pour les paladins de France, as­
saillants dans un combat de barrière, 91
TABLE. TABLE. xxj
XX
s6o8 Sonnet à la même, Page 178
1605 Sonnet à madame la princesse douai­
Id. Stances à madame la princesse de Conti,
rière , pour l’inviter à revenir' de Pro­
pour M. le duc de Bellegarde , iO/,
vence, Page 172 1609 Sonnet à l’occasion de la goutte dont
Id. Stances. PrierepourleroiHenrileGrand, Henri le Grand fut attaqué en 1609, *79
allant en Limosin, ' g3 Id. Stances de la renommée au roi Henri
1606 Ode au sujet de l’attentat commis sur le le Grand, dans le ballet delà reine, 106
Pont-neuf en la personne de Henri le Id. Stances pour Henri le Grand, sous le
Grand par de Lisle, 12 nom d’Alcandre, au sujet de l’absence
Id. Stances aux dames , pour les demi-dieux de la princesse de Condé sous le nom
marins, 97 d’Oranthe, IOg
Id. Ode au roi Henri le Grand, sur l’heu­ Id. SrANCEspour Alcandre,sur le même sujet, ni
reux succès du voyage de Sédan, 19 Id. Stances. Alcandre plaint la captivité de
Id. Chanson faite conjointement avec la du­ sa maîtresse , 1 14
chesse de Bellegarde et le marquis de Id. Stances pour Alcandre, au retour d’O­
Racan, i55
ranthe a Eontaine-Bleau , 117
Id. Stances pour M. le duc de Bellegarde ,
Id. Chanson pour Henri le Grand, sur l’ab­
à une femme qui le croyoit amoureux
sence de la princesse de Condé, i58
d’elle 99
Id. Sonnet à monseigneur le Dauphin, de­
1 607 Sonnet au roi Henri le Grand, 172
puis roi Louis XIII, 180
Id. Sonnet au preme, 173 Id. Stances composées en Bourgogne, 118
1608 Chanson sur le départ de la vicomtesse 1610 Epigramme sur Marie de Bourbon , fille
d’Auchi, 15 7 du prince de Conti,
Id. Ode à M. le duc de Bellegarde, 26 Id. Sonnet. Epitaphe de la même, j8i
Id. Sonnet à M. de Elurance, sur son livre Id. Sonnet au roi Henri le Grand, pour le
de l’Art d'embellir, 174 premier ballet du Dauphin, Ibid.
id. Sonnet sur l’absence de la vicomtesse Id. Stances au roi Henri le Grand, pour de
d’Auchi, 175 petites nymphes, I2i
Id. Stances pour la même, 101 Id. Stances sur la mort de Henri le Grand,
Id. Sonnet pour la même, 173 au nom du duc de Bellegarde, 123
Id. Stances sur l’éloignement prochain de Id. Ode a la reine Marie de Médicis . sur les
la comtesse de la Roche ou de la vi­ heureux succès de sa régence , 34
comtesse d’Auchi, 102 Id. I'ragment. Variante de la quatorzième
Id. Sonnet pour la vicomtesse d’Auchi, 176 strophe de l’ode précédente , 3g
Id. Sonnet fait à Eontaine-Bleau, surl’ab­ 1611 Sonnet a la reine Marie de Médicis, sur
sence de la même, 177 la mort du duc d’Orléans son fds, 1S2
Id. Sonnet sur le même sujet, 178
ih
xxij TABLE. TABLE. xxiij
1611 Sonnet. Epitaphe du même, Page i83 1616 Stances pour le même sur la guérison
Id. Stances à la reine Marie de Médicis, pen­ de Chrysante, Page 141
dant sa régence, 125 1617 Epigramme pour les poésies de M. de
Id. Sonnet à M. du Maine, 184 Lortigues, 196
1612 Stances chantées par les Sibylles, 127 Id. Stances. Fragment d’une prophétie contre
Id. Stances chantées à la suite des précé­ le maréchal d’Ancre , 142
dentes , i3o 3619 Stances pour le comte de Charni, 143
Id. Couplet chanté à la suite des deux pièces Id. Epigramme sur une image de sainte Ca­
précédentes, i3a therine, 197
Id. Sonnet à la reine Marie de Médicis, pour Id. Epigramme imitée de Martial, Ibid.
M. de la Ceppede , i85 Id. Sonnet à madame la princesse de Conti, 187
i6i3 Epigramme sur la Pucelle d’Orléans, iq5 Id. Stances spirituelles, 144
Id. Epigramme sur sa statue sans inscrip­ 1620 Epigramme mise au-devant du livre inti­
tion , Ibid. tulé, le Pourtraict de l’Eloquence
1614 Fragment d’une ode à la reine Marie de françoise, 198
Médicis pendant sa régence, 39 1621 Epigramme pour servir d’épitaphe à un
Id. Fragment au sujet de la guerre des prin­ grand, Ibid.
ces, 133 Id. Sonnet à monseigneur le duc d’Orléans, 188
Id. Stances. Paraphrase dupsaumeCXXVIII, Id. Stances à M. de Verdun, 146
sur la même guerre, Ibid. 1622 Inscriptionpour le portrait deCassandre, 199
Id. Fragment au sujet de la même guerre, 135 Id. Stances pour M. le comte de Soissons, 149
Id. Fragment sur le même sujet, Ibid. Id. Chanson à la marquise de Rambouillet, 166
Id. Sonnet. Epitaphe de la femme de M. 1623 Sonnet au roi Louis XIII, après la guerre
Pujet, 186 de 1021 contre les huguenots, 188
Id. Epigramme. Dédicace de l’épitaphe qui Id. Fragment d’une ode au cardinal de Ri­
précédé, Ibid. chelieu , 46
Id. Epigramme pour mettre au-devant des 1624^ Sonnet au même, jgq
Heures de la vicomtesse d’Auchi, 196 Id. Sonnet au roi LouisXIII, iyo
Id. Epigramme sur le même sujet, Ibid. Id. Sonnet au marquis delàVieuville, 191
Id. Chanson. Sus, debout, etc. 160 Id. I’ragment. Vers pour la marquise de
i6i5 Stances pour le ballet du triomphe de Rambouillet, 19g
Pallas, 136 1625 Sonnet pour le cardinal de Richelieu, 191
Id. Chanson chantée dans le même ballet, 162 1626 Inscription pour la fontaine de Ram­
Id. Stances sur le mariage de Louis XIII, i3g bouillet, 200
1616 Chanson pour le duc de Bellegarde, i63 1627 Ode au roi Louis XIII, allant châtier les
Id. Chanson pour le même, 164 Rochellois, f} 7
xxiv TABLE.
1628 Fragment sur la prise prochaine de la POÉSIES
Rochelle, Page 200
Id. Sonnet sur la mort de son fils i 192
Id. Ode à M, de la Garde sur son Histoire
sainte, 53 DE MALHERBE.
PIECES SANS DATE.

Fragment d’une ode, 57


Fragment d’une ode pour le roi,
Fragment d’une ode. Invective contre les mi­
58
LIVRE premier.
gnons de Henri III, Ibid.
Stances pour une Mascarade, i5i
Stances. Quoi donc ! ma lâcheté, etc. 132
Stances. Paraphrase d’une partie du psaume ODE
CX.LV, i54
Chanson. C’est faussement qu’on estime, etc. 167 AU roi HENRI LE GRAND,
Chanson. Est-ce à jamais, folle espérance, etc. 169
Sonnet sur la mort d’un gentilhomme assassiné, 19 .8 sur la réduction de Marseille à l’obéissance de ce roi, sous
Fragment sur une baigneuse, 201 es ordres du duc de Guise, gouverneur de Provence.
Epigramme. Tu dis, Colin, etc. Ibid.
EpiTArnE d’un gentilhomme mort à cent ans, Ibid. i596.
Epitaphe de M. d’Is, 202 Enfin, après tant d’années ,
EriGRAMME à M. Colletet, Ibid
Voici l’heureuse saison
Où nos miseres bornées
Vont avoir leur guérison.
Les dieux ,longs à se résoudre,
Ont fait un coup de leur foudre,
fin de ea table. Qui montre aux ambitieux
Que les fureurs de la terre
Ne sont que paille et que verre
A la colere des cieux.

Peuples , a qui la tempête


A fait faire tant de vœux.
LIVRE K ODES. 3
Quelles fleurs à cette fête En sa première franchise ;
Couronneront vos cheveux ? Et les maux qu’elle enduroit
Quelle victime assez grande Ont eu ce bien pour échange ,
Qu’elle a vu parmi la fange
Donnerez-vous pour offrande ?
Fouler ce qu’elle adoroit.
Et quel Indique séjour
Une perle fera naître
Déjà tout le peuple more
D’assez dé lustre pour être
A ce miracle entendu ;
La marque d’un si beau jour?
A l’un et l’autre Bosphore
Le bruit en est répandu :
Cet effroyable colosse,
Toutes les plaines le savent
Cazaux, l’appui des mutins ,
Que l’Inde et l’Euphrate lavent;
A mis le pied dans la fosse
Et déjà, pâle d’effroi,
Que lui eavoient les destins.
Il est bas, le parricide : Memphis se pense captive ,
Un Alcide , fils d’Alcide , Voyant si près de sa rive
A qui la France a prêté Un neveu de Godefroi.
Son invincible génie ,
A coupé sa tyrannie
D’un glaive de liberté.

Les aventures du monde


FRAGMENTS
Vont d’un ordre mutuel, D’UNE ODE AU ROI HENRI LE GRAND,
Comme on voit au'bord de l’onde
Un reflux perpétuel. sur le même sujet que la précédente.
L’aise et l’ennui de la vie
Ont leur course entresuivie i596.
Aussi naturellement
Que le chaud et la froidure ; oit que, de tes lauriers la grandeur poursuivant,
Et rien, afin que tout dure,
Ne dure éternellement. 5
? un cœur ou l’ire juste et la gloire commande
r u passes comme un foudre en la terre flamande,
D’Espagnols abattus la campagne pavant ;
Cinq ans Marseille , volée Soit qu’en sa derniere tête
A son j uste possesseur, L’hydre civile t’arrête ;
Avoit langui désolée Roi, que je verrai jouir
Aux mains de cet oppresseur. De l’empire de la terre,
Enfin le temps l’a remise
4 LIVRE I. O DES. 5
Laisse le soin de la guerre ,
Et pense à te réjouir.

Nombre tous les succès où ta fatale main, ODE


Sous l’appui du bon droit aux batailles conduite,
De tes peuples mutins la malice a détruite A LA REINE MARIE DE MEDICIS,
Par un heur éloigné de tout penser humain.
Jamais tu n’as vu journce SUR SA BIEN-VENUE EN FRANCE,
De si douce destinée ;
Non celle où tu rencontras présentée à Aix, l’année 1600.
Sur la Dordogne en désordre
L’orgueil à qui tu iis mordre
La poussière de Couiras. 1 e ur les, qu’on mette sur la tête
Tout ce que la terre a de fleurs ;
Cazaux, ce grand Titan qui se moquoit des cieux Peuples, que cette belle fête
A vu par le trépas son audace arrêtée ; A jamais tarisse nos pleurs :
Et sa rage inlidele , aux étoiles montée, Qu’aux deux bouts du monde se voie
Du plaisir de sa cliùte a fait rire nos yeux. Luire le feu de notre joie ;
Et soient dans les coupes noyés
Les soucis de tous ces orages
Que pour nos rebelles courages
Les dieux nous avoient envoyés.
Ce dos chargé de pourpre et rayé de clinquants
A dépouillé sa gloire au milieu de la fange, A ce coup iront en fumée
Les dieux , qu’il ignoroit, ayant fait cet échange Les vœux que faisoientnos mutins
Pour venger en un jour ses crimes de cinq ans. En leur aine encore affamée
La mer en cette furie De massacres et de butins.
A peine a sauvé Dorie ; Nos doutes seront éclaircies ;
Et le funeste remords Et mentiront les prophéties
Que fait la peur des supplices De tous ces visages pâlis
A laissé tous ses complices Dont le vain étude s’applique
Plus morts que s’ils étoient morts. A chercher l’an climactérique
De l’éternelle fleur de lis.

Aujourd'hui nous est ameuée


Cette princesse que la foi
ODES. 7
fi LIVB.E I.
De vives atteintes blessée,
D’amour ensemble et d’hyménée Sans l’honneur de la royauté
Destine au lit de notre roi. Qui lui fit celer son martyre ,
La voici, la belle Marie, Eût-il voulu de son empire
Belle merveille d’Hétrurie, Faire échange à cette beauté 1
Qui fait confesser au soleil,
Quoi que l’âge passé raconte , Dix jours, ne pouvant se distraire
Que du ciel, depuis qu’il y monte, D u plaisir de la regarder,
Ne vint jamais rien de pareil. Il a par un effort contraire
Essayé de la retarder.
Telle n’est point la Cythérée , Mais à la fin, soit que l’audace
Quand, d’un nouveau feu s’allumant, Au meilleur avis ait fait place,
Elle sort pompeuse et parée Soit qu’un autre démon plus fort
Pour la conquête d’un amant: Aux vents ait imposé silence,
Telle ne luit en sa carrière Elle est hors de sa violence,
Des mois l’inégale eourriere : Et la voici dans notre port.
Et telle dessus l’horizon
L’Aurore au matin ne s’étale, La voici, peuples, qui nous montre
Quand les yeux même de Céphale Tout ce que la gloire a de prix ;
En feroient la comparaison. Les fleurs naissent à sa rencontre
Dans les cœurs et dans les esprits :
L’antique sceptre de sa race, Et la présence des merveilles
Où l’heur aux mérites est joint, Qu’en oyoient dire nos oreilles
Lui met le respect en la face ; Accuse la témérité
Mais il ne l’enorgueillit point. De ceux qui nous l’avoient décrite
Nulle vanité ne la touche; D’avoir figuré son mérite
Les grâces parlent par sa bouche ; Moindre que n’est la vérité.
Et son front, témoin assuré
Qu’au vice elle est inaccessible, O toute parfaite princesse,
Ne peut que d’un cœur insensible L’étonnement de l’univers,
Etre vu sans être adoré. Astre par qui vont avoir cesse
Nos ténèbres et nos hivers,
Quantesfois, lorsque sur les ondes, Exemple sans autres exemples,
Ce nouveau miracle flotîoit, Future image de nos temples
Neptune en ses caves profondes Quoi que notre foible pouvoir
Plaignit-il le feu qu’il sentoit ! En votre accueil ose entreprendre-,
Et quantesfois en sa pensée
8 LIVRE I. ODES. 9
Peut-il espérer île vous rendre Cependant notre grand Alcide,
Amolli par vos doux appas ,
Ce que nous vous allons devoir?
Perdra la fureur qui, sans bride,
L’emporte à chercher le trépas :
Ce sera vous qui de nos villes
Et cette valeur indomtée
Ferez la beauté refleurir,
De qui l’honneur est l’Eurysthée,
Vous, qui de nos haines civiles
Puisque rien n’a su l’obliger
Ferez la racine mourir ;
A ne nous donner plus d’alarmes,
Et par vous la paix assurée
Au moins pour épargner vos larmes,
N’aura pas la courte durée
Aura peur de nous affliger.
Qu’esperent infidèlement,
Non lassés de notre souffrance ,
Si l’espoir qu’aux bouches des hommes
Ces François qui n’ont de la France
Nos beaux faits seront récités
Que la langue et l'habillement.
Est l’aiguillon par qui nous sommes
Par vous nu Dauphin nous va naître, Dans les hasards précipités ;
Que vous-même verrez un jour Lui, de qui la gloire semée
De la terre entière le maître , Par les voix de la renommée
Qu par armes, ou par amour ; En tant de parts s’est fait ouir
Et ne tarderont ses conquêtes , Que tout le siecle en est un livre ,
Dans les oracles déjà prêtes, N’est- il pas indigne de vivre ,
Qu’autant que le premier coton S’il ne vit pour se réjouir ?
Qui de jeunesse est le message
Qu’il lui suffise que l’Espagne ,
lardera d’être en son visage
Réduite par tant de combats
Et de faire ombre à son menton.
A ne l’oser voir en campagne,
A mis l’ire et les armes bas :
Qb ! combien lors aura de veuves
La gent qui porte le turban ! Qu’il ne provoque point l’envie
Que de sang rougira les fleuves Du mauvais sort contre sa vie ;
Qui lavent les pieds du Liban ! Et puisque, selon son dessein ,
Que le Bosphore en ses deux rives Il a rendu nos troubles calmes,
Aura de sultanes captives ! S’il veut davantage de palmes,
Et que de meres à Mempliis , Qu’il les acquière en votre sein.
En pleurant, diront la vaillance
De son courage et de sa lance, C est la qu’il faut qu’à son génie,
Aux funérailles de leurs fils! Seul arbitre de ses plaisirs ,

r.
LIVRE I. ODES. 11
IO
A la fin, quand on l’importune ,
Quoi qu’il demande , il ne dénie
Ce qu’elle avoit fait prospérer
Rien qu’imaginent ses désirs :
Tombe du faîte an précipice,
C’est là qu’il faut que les années
Et, pour l’avoir toujours propice,
Lui coulent comme des journées , Il la faut toujours révérer.
Et qu’il ait de quoi se vanter
Que la douceur qui tout excede Je sais bien que sa Carmagnole
N’est point ce que sert Ganymede Devant lui se représentant,
A la table de Jupiter. Telle qu’une plaintive idole ,
Va son courroux sollicitant,
Mais d’aller plus à ces batailles Et l’invite à prendre pour elle
Où. tonnent les foudres d’enfer, Une légitime querelle :
Et lutter contre des murailles Mais doit-il vouloir que pour lui
D’où pleuvent la flamme et le fer ;
Nous ayons toujours le teint blême,
Puisqu’il sait qu’en ses destinées
Cependant qu’il tente lui-même
Les nôtres seront terminées ,
Ce qu’il peut faire par autrui ?
Et qu’après lui notre discord
N’aura plus qui domte sa rage ,
Si vos yeux sont toute sa braise,
N’est-ce pas nous rendre au naufrage,
Et vous la fin de tous ses vœux,
Après nous avoir mis à bord?
Peut-il pas languir à son aise
En la prison de vos cheveux,
Cet Achille de qui la pique Et commettre aux dures corvées
Faisoit aux braves d’Ilion Toutes ces âmes relevées
La terreur que fait en Afrique Que, d’un conseil ambitieux,
Aux troupeaux l’assaut d’un lion, La faim de gloire persuade
Bien que sa mere eût à ses armes D’aller , sur les pas d’Encelade ,
Ajouté la force des charmes, Porter des échelles aux cieux?
Quand les destins l’eurent permis,
N’eut-il pas sa trame coupée Apollon n’a point de mystère,
De la moins redoutable épée Et sont profanes ses chansons,
Qui fût parmi ses ennemis ? Ou, devant que le Sagittaire
Deux fois ramene les glaçons,
Les Parques d’une même soie
Le succès de leurs entreprises,
Ne dévident pas tous nos jours;
De qui deux provinces conquises
Ni toujours par semblable voie
Ont déjà fait preuve, à leur dam ,
Ne font les planètes leur cours.
favorisé de la victoire ,
Quoi que promette la Fortune,
LIVRE T. ODES. r3
Changera la fable en histoire O que du siecle de nos peres
De Phaéton en l’Eridan. Le nôtre s’est fait différent !
La France, devant ces orages,
Nice, payant avecqne honte Pleine de mœurs et de courages
Un siégé autrefois repoussé, Qu’on ne pouvoit assez louer,
Cessera de nous mettre en compte S’est faite aujourd’hui si tragique ,
Barberousse qu’elle a chassé ; Qu’elle produit ce que l’Afrique
Guise en ses murailles forcées Auroit vergogne d’avouer.
Remettra les bornes passées
Quelles preuves incomparables
Qu’avoit notre empire marin ;
Peut donner un prince de soi,
Et Soissons, fatal aux superbes,
Que les rois les plus adorables
Fera chercher parmi les herbes
En quelle place fut Turin. N’en quittent l’honneur à mon roi?
Quelle terre n’est parfumée
Des odeurs de sa renommée?
Et qui peut nier qu’après Dieu ,
Sa gloire, qui n’a point d’exemples,
ODE N’ait mérité que dans nos temples
au sujet de l’attentat commis sur le Pont-neuf, en la On lui donne le second lieu ?
personne de Henri le Grand, le ig décembre i6o5 ,
par Etienne de Lisle , procureur à Senlis. Qui ne sait point qu’à sa vaillance
Il ne se peut rien ajouter,
Qu’on reçoit de sa bienveillance
1606.
Tout ce qu’on en doit souhaiter ,
Et que, si de cette couronne
Q u e direz-vous, races futures ,
Que sa tige illustre lui donne
Si quelquefois un vrai discours
Les lois ne l’eussent revêtu,
Vous récite les aventures
De nos abominables jours ? Nos peuples d’un juste suffrage
Lirez-vous sans rougir de honte Ne ponvoient, sans faire naufrage,
Que notre impiété surmonte Ne l’offrir point à sa vertu
Les faits les plus audacieux
Et les plus dignes du tonnerre Toutefois,ingrats que nous sommes,
Qui firent jamais à la terre Barbares et dénaturés
Sentir la colere des cieux ? Plus qu’en ce climat où les hommes
Par les hommes sont dévorés,
O que nos fortunes prospères Toujours nous assaillons sa tête
Ont un change bien apparent !
1/, LIVRE I. ODES. iô
De quelque nouvelle tempête , N’ayant aucune connoissance,
Et, d'un courage forcené N’a point aussi d’affection.
Rejetant son obéissance,
Lui défendons la jouissance Mais, o planete belle et claire ,
Du repos qu’il nous a donné Je ne parle pas sagement ;
Le juste excès de la colere
La main de cet esprit farouche M’a fait perdre le jugement.
Qui, sorti des ombres d’enfer, Ce traître, quelque frénésie
D’un coup sanglant frappa sa bouche, Qui travaillât sa fantaisie ,
A peine avoit laissé le fer, Eut encore assez de raison
Et voici qu’un autre perfide , Pour ne vouloir rien entreprendre,
Où la même audace réside , Bel astre, qu’il n’eût vu descendre
Comme si détruire l’état Ta lumière sous l’horizon.
Tenoit lieu de juste conquête ,
De pareilles armes s’apprête Au point qu’il écuma sa rage ,
À faire un pareil attentat ! Le Dieu de Seine ¿toit dehors
A regarder croître l’ouvrage
O soleil, ô grand luminaire ! Dont ce prince embellit ses bords.
Si jadis l’horreur d’un festin Il se resserra tout-à-l’heure
Eit que de ta route ordinaire Au plus bas lieu de sa demeure ;
Tu reculas vers le matin, Et ses Nymphes dessous les eaux ,
Et d’un émerveillable change Toutes sans voix et sans haleine,
Te couchas aux rives du Gange, Pour se cacher furent en peine
D’où vient que ta sévérité, De trouver assez de roseaux.
Moindre qu’en la faute d’Atrée,
Ne punit point cette contrée La terreur des choses passées,
D’une éternelle obscurité? A leurs yeux se ramentevant,
Faisoit prévoir à leurs pensées
Non, non : tu luis sur le coupable Plus de malheurs qu’auparavant ;
Comme tu fais sur l’innocent ; Et leur étoit si peu croyable
Ta nature n’est point capable Qu’en cet accident effroyable
Du trouble qu’une ame ressent: Personne les pût secourir,
Tu dois ta flamme à tout le monde; Que, pour en être dégagées,
Et tou allure vagabonde, Le ciel les auroit obligées
Comme une servile action S’il leur eût permis de mourir.
Qui dépend d’une autre puissance ,
i6 LIVRE I. ODES.
Revenez, belles fugitives -, De tant d’infideles esprits.
De quoi versez-vous tant de pleurs ? Leur présence n’est qu’une pompe ;
Assurez vos âmes craintives , Avecque peu d’art on les trompe.
Remettez vos chapeaux de fleurs : Mais de quelle dextérité
Le roi vit ; et ce misérable, Se peut déguiser une audace,
Ce monstre vraiment déplorable , Qu’en l’ame aussitôt qu’en la face
Qui n’avoit j amais éprouvé Tu n’en lises la vérité ?
Que peut un visage d’Alcide,
A commencé le parricide , Grand démon d’éternelle marque,
Mais il ne l’a pas achevé. Fais qu’il te souvienne toujours
Que tous nos maux en ce monarque
Pucelles, qu’on se réjouisse, Ont leur refuge et leur secours :
Mettez-vous l’esprit eu repos ; Et qu’arrivant l’heure prescrite
Que cette peur s’évanouisse , Que le trépas, qui tout limite,
Vous la prenez mal-à-propos : Nous privera de sa valeur,
Le roi vit; et les destinées Nous n’avons jamais eu d’alarmes
Lui gardent un nombre d’années Où nous ayons versé des larmes
Qui fera maudire le sort Pour une semblable douleur.
A ceux dont l’aveugle manie
Dresse des plans de tyrannie •Te sais bien que par la justice ,
Pour bâtir quand il sera mort. Dont 1 a paix accroît le pouvoir,
Il fait demeurer la malice
O bienheureuse intelligence, Aux bornes de quelque devoir ;
Puissance, quiconque tu sois , Et que son invincible épée
Dont la fatale diligence Sous telle influence est trempée
Préside à l’empire françois ! Qu’elle met la frayeur par-tout
Toutes ces visibles merveilles Aussitôt qu’on la voit reluire :
De soins, de peines, et de veilles, Mais quand le malheur nous veut nuire ,
Qui jamais ne t’ont pu lasser, De quoi ne vient-il point à bout ?
N’ont-elles pas fait une histoire
Qu’en la plus ingrate mémoire Soit que l’ardeur de la priere
L’oubli ne sauroit effacer ? Le tienne devant un autel,
Soit que l’honneur à la barrière
Ces archers aux casaques peintes L’appelle à débattre un cartel,
Ne peuvent pas n’être surpris, Soit que dans la chambre il médite,
Ayant à combattre les feintes Soit qu’aux bois la chasse l’invite,
18 LIVRE I. ODES. ij
Jamais ne t’écarte si loin, Conduis-le , sous leur assurance,
Qu’aux embûches qu’on lui peut tendre Promptement jusques au sommet
Tu ne sois prêt à le défendre, De l’indubitable espérance
Sitôt qu’il en aura besoin. Que son enfance leur promet ;
Et pour achever leurs journées ,
Garde sa compagne fidele, Que les oracles ont bornées
Cette reine dont les bontés Dedans le trône impérial,
De notre foiblesse mortelle Avant que le ciel les appelle ,
Jous les défauts ont surmontés. Fais-leur ouir cette nouvelle,
Fais que jamais rien ne l’ennuie ; Qu’il a rasé l’Escurial.
Que toute infortune la fuie ;
Et qu’aux roses de sa beauté ’W'WWW'WV-WWVVWVWW'VVW
E’âge, par qui tout se consume ,
Redonne , contre sa coutume ,
La grâce de la nouveauté. ODE
AU ROI HENRI LE GRAND,
Serre d’une étreinte si ferme
Le nœud de leurs chastes amours, ? l’heureux succès du voyage de Sedan, entrepris pour
Que la seule mort soit le terme réduire le duc de Bouillon, en mars et avril 1606.
Qui puisse en arrêter le cours.
Bénis les plaisirs de leur couche ,
Et. fais renaître de leur souche Enfin après les tempêtes
Des scions si beaux et si verds , Nous voici rendus au port;
Que de leurs feuillages sans nombre Enfin nous voyons nos têtes
A jamais ils puissent faire ombre Hors de l’inj ure du sort :
Aux peuples de tout l’univers. Nous n’avons rien qui menace
De troubler notre bonace ;
Sur-tout pour leur commune joie Et ces matières de pleurs ,
Dévide aux ans de leur dauphin , Massacres, feux , et rapines ,
A longs filets d’or et de soie, De leurs funestes épines
Un bonheur qui n’ait point de fin : Ne gâteront plus nos fleurs.
Quelques vœux que fasse l’envie ,
Conserve-leur sa chere vie - Nos prières sont ouies ,
Et tiens par elle ensevelis Tout est réconcilié ;
D’une bonace continue Nos peurs sont évanouies,
Les aquilons, dont sa venue Sédan s’est humilié.
A garanti les fleurs de lis.
20 LIVRE I. ODES.
A peine il a vu le foudre Les chênes et leurs racines,
Parti pour le mettre en poudre, Ote aux campagnes voisines
Que, faisant comparaison L’espérance des moissons.
De l’espoir et de la crainte,
Pour éviter la contrainte Tel, et plus épouvantable,
Il s’est mis à la raison. S’en alloit ce conquérant,
A son pouvoir indomtable
Qui n’eût cru que ses murailles, Sa colere mesurant.
Que défendoit un lion, Son front avoit une audace
Eussent fait des funérailles Telle que Mars en la Thrace •,
Plus que n’en fit Ilion ; Et les éclairs de ses yeux
Et qu’avant qu’être à la fête Etoient comme d’un tonnerre
De si pénible conquête Qui gronde contre la terre
Les champs se fussent vêtus Quand elle a fâché les cieux.
Deux fois de robe nouvelle ,
Et le fer eût en j avelle Quelle vaine résistance
Deux fois les bleds abattus ? A son puissant appareil
N’eût porté la pénitence
Et toutefois , ô merveille ! Qui suit un mauvais conseil,
Mon roi, l’exemple des rois. Et vu sa faute bornée
Dont la grandeur nompareille D’une chûte infortunée ,
Fait qu’on adore ses lois, Comme la rébellion
Accompagné d’un génie Dont la fameuse folie
Qui les volontés manie, Fit voir à la Thessalie
L a su tellement presser Olympe sur Pélion ?
D’obéir et de se rendre,
Qu’il n’a pas eu pour Je prendre Voyez comme en son courage ,
Loisir de le menacer. Quand on se range au devoir ,
La pitié calme l’orage
Tel qu’à vagues épandues Que l’ire a fait émouvoir:
Marche un fleuve impérieux A peine fut réclamée
De qui les neiges fondues Sa douceur accoutumée,
Rendent le cours furieux : Que, d’un sentiment humain
Rien n’est sûr en son rivage ; Frappe non moins que de charmes,
Ce qu’il trouve, il le ravage, Il lit la paix, et les armes
Et, traînant comme buissons Lui tombèrent de la main.
22 LIVRE I. ODES.
Arriéré, vaines chimères Qu’on en voit déjà le bout ;
De haines et de rancœurs ; Et la fortune, amoureuse
Soupçons de choses ameres, De la vertu généreuse,
Eloignez-vous de nos cœurs : Trouve de si doux appas
Loin, bien loin, tristes pensées A te servir et te plaire,
Ou nos miseres passées Que c’est la mettre en colere
Nous avoient ensevelis Que de ne l’employer pas.
Sous Henri, c’est ne voir goutte
Que de révoquer en doute Use de sa bienveillance,
Le salut des fleurs de lis. Et lui donne ce plaisir
Qu’elle suive ta vaillance
O roi qui du rang des hommes A quelque nouveau désir.
T’exceptes par ta honte , Où que tes bannières aillent,
Roi qui de l’âge où nous sommes Quoi que tes armes assaillent,
Tout le mal as surmonté ! Il n’est orgueil endurci
Si tes labeurs , d’où la France Que , brisé comme du verre ,
A tiré sa délivrance, A tes pieds elle n’atterre,
Sont écrits avecque foi, S’il n’implore ta merci.
Qui sera si ridicule
Qu’il ne confesse qu’Hercule •Te saij bien que les oracles
Fut moins Hercule que toi ? Prédisent tous qu’à ton fils
Sont réservés les miracles
De combien de tragédies , De la prise de Memphis ;
Sans ton assuré secours, Et que c’est lui dont l’épée
Etoient les trames ourdies Au sang barbare trempée,
Pour ensanglanter nos jours Quelque jour apparoissant
Et qu’auroit fait l’innocence, A la Grece qui soupire ,
Si l’outrageuse licence, Fera décroître l’empire
De qui le souverain bien De l’infidele croissant.
Est d’opprimer et de nuire,
N eut trouvé pour la détruire Mais tandis que les années
Un bras fort comme le tien? Pas à pas font avancer
L’âge où de ses destinées
Mon roi, connois ta puissance, La gloire doit commencer,
Elle est capable de tout ; Que fais-tu, que d’une armée
Tes desseins n’ont pas naissance, A te v enger animée,
24 LIVRE I.
ODES.
Tu ne mets dans le tombeau Va, monarque magnanime ;
Ces voisins dont les pratiques Souffre à ta juste douleur
De nos rages domestiques Qu’en leurs rives elle imprime
Ont allumé le flambeau ? Les marques de ta valeur:
L’astre dont la course ronde
Quoique les Alpes chenues Tous les jours voit tout le monde
Les couvrent de toutes parts , N’aura point achevé l’an ,
Et fassent monter aux nues Que tes conquêtes ne rasent
Leurs effroyables remparts ; Tout le Piémont, et n’écrasent
Alors que de ton passage La couleuvre de Milan.
On leur fera le message.
Qui verront-elles venir, Ce sera là que ma lyre ,
Envoyé sous tes auspices , Faisant son dernier effort,
Qu’aussitot leurs précipices Entreprendra de mieux dire
Ne se laissent applanir?
Qu un cygne près de sa mort;
Et, se rendant favorable
Crois-moi, contente l’envie
ton oreille incomparable,
Qu ont tant de j eunes guerriers Te iorcera d’avouer
D’aller exposer leur vie
Qu’en l’aise de la victoire
Pour t’acquérir des lauriers ; Rien n’est si doux que la gloire
Et ne tiens point otieuses De se voir si bien louer.
Ces âmes ambitieuses
Qui, jusques où le matin Il De faut pas que lu penses
Met les étoiles en fuite, Trouver de l’éternité
Oseront sous ta conduite En ces pompeuses dépenses
Aller quérir du butin. Qu’invente la vanité ;
Tous ces chefs-d’œuvres antiques
Déjà le Tésin tout morne Ont à peine leurs reliques :
Consulte de se cacher, Par les Muses seulement
Voulant garantir la corne L’homme est exempt de la Parque;
Que tu lui dois arracher : Et ce qui porte leur marque
Et le Po , tombe certaine Demeure éternellement.
De 1 audace trop hautaine ,
Tenant baissé le menton Par elles traçant l’histoire
Dans sa caverne profonde, De tes faits laborieux,
S’apprête à voir eu son onde Je défendrai ta mémoire
Choir un. autre Phaéton. 2
uG LIVRE I.
ODES.
Du trépas injurieux ; Et de qui le cerveau léger,
Et quelque assaut que te fasse Quelque service qu’on leur fasse,
L’oubli, par qui tout s’efface, Ne se peut jamais obliger.
Ta louange, dans mes vers
D’amaranthe couronnée, La vertu, qui de leur étude
N’aura sa fin terminée Est le fruit le plus précieux,
Qu’en celle de l’univers. Sur tous les actes vicieux
Leur fait haïr l’ingratitude ;
Et les agréables chansons,
Par qui leurs doctes nourrissons
ODE Savent charmer les destinées,
Récompensent un bon accueil
A M. LE DUC DE BELLEGARDE, De louanges que les années
grand écuyer de France. Ne mettent point dans le cercueil.

Les tiennes, par moi publiées ,


1608. Je le jure sur les autels ,
En la mémoire des mortels
-A. la fin c’est trop de silence Ne seront jamais oubliées ;
En si beau suj et de parler ;
Et l’éternité que promet
Le mérite qu’on veut celer La montagne au double sommet
Souffre une injuste violence. N’est que mensonge et que fumée,
Bellegarde, unique support Ou je rendrai cet univers
Où mes voeux ont trouvé leur port, Amoureux de ta renommée,
Que tarde ma paresse ingrate Autant que tu l’es de mes vers.
Que déjà ton bruit nompareil
Aux bords du Tage et de l’Euphrate Comme, en cueillant une guirlande ,
N’a vu l’un et l’autre soleil ? L’homme est d’autant plus travaillé
Que le parterre est émaillé
Les Muses , hautaines et braves , D’une diversité plus grande;
Tiennent le flatter odieux , Tant de fleurs de tant de côtés
Et, comme parentes des Dieux , baisant paroitre en leurs beautés
Ne parlent jamais en esclaves : L’artifice de la nature,
Mais aussi ne sont-elles pas Il tient suspendu son désir,
De ces beautés dont les appas Et ne sait en cette peinture
Ne sont que rigueur et que glace, N i que laisser, ni que choisir :
28 LIVRE I. ODES. 29
Ainsi, quand , pressé de la honte Estimable aux races futures;
Dont me fait rougir mon devoir, Non pas à toi, qui, revêtu
J'e veux une œuvre concevoir De tous les dons que la vertu
Qui pour toi les âges surmonte , Peut recevoir de la fortune,
Tu me tiens les sens enchantés Connois que c’est que du vrai bien ,
De tant de rares qualités Et ne veux pas, comme la lune
Où brille un excès de lumière , Luire d’autre feu que du tien.
Que plus je m’arrête à penseï’
Laquelle sera la première , Quand le monstre infâme d’Envie ,
Moins je sais par où commencer. A qui rien de l’autrui ne plaît,
Tout lâche et perfide qu’il est,
Si nommer en son parentage Jette les yeux dessus ta vie ,
Une longue suite d’aïeux Et te voit emporter le prix
Que la gloire a mis dans les cieux Des grands cœurs et des beaux esprits
Est réputé grand avantage, Dont aujourd’hui la France est pleine
De qui n’est-il point reconnu Est-il pas contraint d’avouer
Que toujours les tiens ont tenu Qu’il a lui-même de la peine
Les charges les plus honorables A s’empêcher de te louer ?
Dont le mérite et la raison,
Quand les destins sont favorables, Soit que l’honneur de la carrière
Parent une illustre maison ? T’appelle à monter à cheval ,
Soit qu’il se présente un rival
Qui ne sait de quelles tempêtes Pour la lice ou pour la barrière,
Leur fatale main autrefois , Soit que tu donnes ton loisir
Portant la foudre de nos rois, A prendre quelque autre plaisir
Des Alpes a battu les têtes ? Eloigné des molles délices ;
Qui n’a vu dessous leurs combats Qui ne sait que toute la cour
Le Pô mettre les cornes bas , A regarder tes exercices
Et les peuples de ses deux rives , Comme à des théâtres accourt ?
Dans la frayeur ensevelis,
Laisser leurs dépouilles captives Quand tu passas en Italie,
A la merci des Heurs de lis ? Où tu fus quérir pour mon roi
Ce joyau d’honneur et de foi
Mais de chercher aux sépultures Dont l’Ame à la Seine s’allie,
Des témoignages de valeur, Thétis ne suivit-elle pas
C’est à ceux qui n’ont rien du leur Fa bonne grâce et tes appas
2.
3o ODES. 31
LIVRE I.
Comme un objet émerveillable? S’il n’eût, par un bras homicide
Et jura qu’avecque Ja$on Dont rien ne repoussoit l’effort,
Jamais Argonaute semblable Sur Ilion vengé le tort
N’alla conquérir la toison. Qu’avoit reçu le jeune Atride,
De quelque adresse qu au giron
Tu menois le blond Hyménée, Ou de Phénix, ou de Cliiron,
Qui devoit solemnellement Il eût fait son apprentissage,
De ce fatal accouplement Notre âge auroit-il aujourd’hui
Célébrer l’heureuse journée. Le mémorable témoignage
Jamais il ne fut si paré, Que la Grece a donné de lui ?
Jamais en son habit doré
Tant de richesses n’éclaterent ; C’est aux magnanimes exemples
Toutefois les Nymphes du lieu , Qui sous la bannière de Mars
Non sans apparence , doutèrent Sont faits au milieu des hasards
Qui de vous deux étoit le Dieu. Qu’il appartient d’avoir des temples ;
Et c’est avecque ces couleurs
De combien de pareilles marques , Que l’histoire de nos malheurs
Dont on ne me peut démentir, Marquera si bien ta mémoire ,
Ai-je de quoi te garantir Que tons les siècles à venir
Contre les menaces des Parques , N’auront point de nuit assez noire
Si ce n’est qu’un si long discours Pour en cacher le souvenir.
A de trop pénibles détours,
Et qu’à bien dispenser les choses En ce long temps où les manies
Il faut meler pour un guerrier D’un nombre infini de mutins
A peu de myrte et peu de roses Poussés de nos mauvais destins
l’orce palme et force laurier .' Ont assouvi leurs félonies,
Par quels faits d’armes valeureux ,
Achille étoit haut de corsage ; Plus que nul autre aventureux,
L’or éclatoit en ses cheveux ; N’as-tu mis ta gloire en estime,
Et les dames avecque vœux Et déclaré ta passion
Soupiroient après son visage ; Contre l’espoir illégitime
Sa gloire a danser et chanter, De la rebelle ambition.'
lirer de 1 arc , sauter, lutter,
A nulle autre n’etoit seconde : Tel que d’un effort difficile
Mais s il n eut rien eu de plus beau , Un fleuve au travers de la mer,
Son nom , qui vole par le monde, Sans que son goût devienne amer,
Seroit-il pas dans le tombeau ?
3a LIVRE I. ODES. 33
Passe d’Elide en la Sicile; Et toujours par dignes ouvrages
Ses flots par moyens inconnus Témoigné le mépris du sort
En leur douceur entretenus Que sait imprimer aux courages
Aucun mélange ne reçoivent, Le soin de vivre après la mort ?
Et dans Syracuse arrivant
Sont trouvés de ceux qui les boivent Mais quoi ! ma barque vagabonde
Aussi peu salés que devant: Est dans les syrtes bien avant,
Et le plaisir, la décevant,
Toujours l’emporte au gré de fonde.
lel, entre ces esprits tragiques ,
Bellegarde, les matelots
Ou plutôt démons insensés,
Jamais ne méprisent les flots ,
Qui de nos dommages passés
Quelque phare qui leur éclaire
Tramoient les funestes pratiques,
Tu ne t’es jamais diverti Je ferai mieux de relâcher,
De suivre le juste parti, Et borner le soin de te plaire,
Mais, blâmant l’impure licence Par la crainte de te fâcher.
De leurs déloyales humeurs ,
As toujours aimé l’innocence, L’unique but où mon attente
Et pris plaisir aux bonnes moeurs. Croit avoir raison d’aspirer,
C’est que tu veuilles m’assurer
Depuis que, pour sauver sa terre Que mon offrande te contente :
Donne-m’en d’un clin de tes yeux
Mon roi, le plus grand des humains,
Un témoignage gracieux ;
Eut laissé partir de ses mains
Et si tu la trouves petite,
Le premier trait de son tonnerre ,
Ressouviens-toi qu’une action
■i usqu a la fin de ses exploits,
Ne peut avoir peu de mérite
Que tout eut reconnu ses lois,
Ayant beaucoup d’affection.
A-t-il jamais défait, armée,
Pris ville, ni forcé rempart,
Ainsi de tant d’or et de soie
Ou ta valeur accoutumée
Ton âge dévide son cours.
N ait eu la principale part?
Que tu reçoives tous les jours
Nouvelles matières de joie
Soit que près de Seine et de Loire
Ainsi tes honneurs fleurissants
Il pavât les plaines de morts,
De jour en jour aillent croissants,
Soit que le Rhône outre ses bords
Malgré la fortune contraire .’
Lui vît faire éclater sa gloire,
Et ce qui les fait trébucher
Ne l’as-tu pas toujours suivi,
De toi ni de Termes ton frere
Ne l’as-tu pas toujours servi,
Ne puisse jamais approcher 1
34 LIVRE I. ODES. 3à
Quand la faveur, à pleines voiles , En cette aventure effroyable
Toujours compagne de vos pas , A qui ne sembloit-il croyable
Vous feroit devant le trépas Qu’on alloit voir une saison
Avoir le front dans les étoiles, Où nos brutales perfidies
Et remplir de votre grandeur Feroient naître des maladies
Ce que la terre a de rondeur ; Qui n’auroient jamais guérison?
Sans être menteur , je puis dire
Qui ne pensoit que les Furies
Que jamais vos prospérités
Viendroient des abymes d’enfer
N’iront jusqnes où je desire,
En de nouvelles barbaries
Ni jusqnes où vous méritez.
Employer la flamme et le fer ;
Qu’un débordement de licence
Feroit souffrir à l’innocence
Toute sorte de cruautés ,
ODE Et que nos malheurs seroient pires
A LA REINE MARIE DE MEDICIS, Que naguère sous les Busires
Que cet Hercule avoit donnés?
sur les heureux succès de sa régence
Toutefois, depuis l’infortune
[6io. De cet abominable jour
A peine la quatrième lune
N, I ymphe qui jamais ne sommeilles,
Acheva de faire son tour ;
Et la France a les destinées
Et dont les messages divers
Pour elle tellement tournées
En un moment sont aux oreilles
Contre les vents séditieux,
Des peuples de tout l’univers,
Qu’au lieu de craindre la tempête
Vole vite; et de la contrée
Il semble que jamais sa tête
Par où le j our fait son entrée ,
J usqu’au rivage de Calis, Ne fut plus voisine des cieux.
Conte sur la terre et sur l’onde
Au-delà des bords de la Meuse
Que l’honneur unique du monde,
C’est la reine des fleurs de lis. L’Allemagne a vu nos guerriers
Par une conquête fameuse
Quand son Henri, de qui la gloire Se couvrir le front de lauriers.
Fut une merveille à nos yeux, I out a fléchi sous leur menace ;
Loin des hommes s’en alla hoire L’aigle même leur a fait place,
Le nectar avecque les Dieux, Et, les regardant approcher
36 LIVRE I. ODES. ■37
Comme lions à qui tout cede, Assez de funestes bataille»
N ’a point eu de meilleur remede Et de carnages inhumains
Que de fuir et se cacher. Ont fait en nos propres entrailles
Rougir nos déloyales mains :
Donne ordre que sous ton génie
O Reine, qui,pleine de charmes
Se termine cette manie,
Pour toute sorte d’accidents,
Et que, las de perpétuer
As borné le flux de nos larmes
Une si longue malveillance,
En ces miracles évidents,
Nous employions notre vaillance
Que peut la fortune publique
Ailleurs qu’à nous entretuer.
Te vouer d’assez magnifique,
Si, mise au rang des Immortels ,
La discorde aux crins de couleuvres,
Dont ta vertu suit les exemples,
Peste fatale aux potentats,
Tu n’as avec eux dans nos temples
Des images et des autels ? Ne finit ses tragiques oeuvres
Qu’en la fin même des états.
Que sauroit enseigner aux princes D’elle naquit la frénésie
Le grand démon qui les instruit, De la Grcce contre l’Asie ;
Dont ta sagesse en nos provinces Et d’elle prirent le flambeau
Chaque jour n’épande le fruit? Dont ils désolèrent leur terre
Et qui j ustement ne peut dire, Les deux freres de qui la guerre
Ne cessa point dans le tombeau.
A te voir régir cet empire,
Que, si ton heur était pareil C’est en la paix que toutes choses
A tes admirables mérites , Succèdent selon nos désirs ;
I u ferois dedans ses limites Comme au printemps naissent les roses ,
Lever et coucher le soleil ? En la paix naissent les plaisirs ;
Elle met les pompes aux villes,
Le soin qui reste à nos pensées, Donne aux champs les moissons fertiles,
O bel astre! c’est que toujours Et, de la majesté des lois
Nos félicités commencées Appuyant les pouvoirs suprêmes ,
Puissent continuer leur cours. Fait demeurer les diadèmes
Tout nous rit, et notre navire Fermes sur la tête des rois.
A la bonace qu’il desire:
Mais si quelque injure du sort Ce sera dessous cette égide
Provoquoit l’ire de Neptune , Qu’invincible de tous côtés
Quel excès d’heureuse fortune
1 u verras ces peuples sans bride
Nous garantiroit de la mort? 3
38 LIVRE I. ODES. 3y
Obéir à tes volontés ; Et trois ou quatre seulement,
Et, surmontant leur espérance, Au nombre desquels on me range,
Remettras en telle assurance Peuvent donner une louange
Leur salut, qui fut déploré, . Qui demeure éternellement.
Que vivre au siecle de Marie,
Sans mensonge et sans flatterie ,
Sera vivre au siecle doré.
FRAGMENT.
Les Muses, les neuf belles fées Variantes des six derniers vers de la quatorzième
Dont les bois suivent les chansons, strophe de l’ode précédente.
Rempliront de nouveaux Orphées
La troupe de leurs nourrissons ; 1610.
Tous les vœux seront de te plaire ;
Ü Et si ta faveur tutélaire Et quand j’aurai peint ton image
Fait signe de les avouer,
Comme j’en prépare l’ouvrage,
Jamais ne partit de leurs veilles Sans doute on dira quelque j our :
Rien qui se compare aux merveilles Quoi que d’Apelle on nous raoonte,
Qu’elles feront pour te louer. Malherbe pouvoit à sa honte .
Achever la mere d’Amour.
En cette hautaine entreprise,
Commune à tous les beaux esprits,
Plus ardent qu’un athlete à Pise,
Je me ferai quitter le prix ; ODE
Et quand j’aurai peint ton image,
Quiconque verra mon ouvrage, A. LA REINE MARIE DE MEDICIS,
Avoûra que Fontaine-Bleau,
Le Louvre, ni les Tuileries , pendant sa régence, après la première guerre des princes,
En leurs superbes galeries en i6i4-
N’ont point un si riche tableau.
fragment.
Apollon à portes ouvertes
Laisse indifféremment cueillir
Les belles feuilles toujours vertes
Qui gardent les noms de vieillir. Si quelque avorton de l’envie
Mais l’art d’en faire des couronnes
N’est pas su de toutes personnes ; Ose encore lever les yeux,
ko LIVRE I. ODES. 4!
Je veux bander contre sa vie lait ouir, du Gange à l’Ibere,
L’ire de la terre et des cieux , Sa louange à tout l’univers,
Et dans les savantes oreilles Permesse me soit un Cocyte,
Verser de si douces merveilles , Si jamais je vous sollicite
Que ce misérable corbeau, De m’aider à faire des vers !
Comme oiseau d’augure sinistre
Banni des rives du Caïstre, Aussi bien, chanter d’autre chose
S’aille cacher dans le tombeau. Ayant chanté de sa grandeur,
Seroit-ce pas après la rose
Venez donc, non pas habillées Aux pavots chercher de l’odeur,
Comme on vous trouve quelquefois Et des louanges de ta lune
Eu jupes dessous les feuillées Descendre à.la clarté commune
Dansant au silence des bois : D’un de ces feux du firmament
Venez en robes où l’on voie Qui, sans profiter et sans nuire,
Dessus les ouvrages de soie N’ont reçu l’usage de luire
Les rayons d’or étinceler ; Que par le nombre seulement?
Et chargez de perles vos têtes
Comme quand vous allez aux fêtes Entre les rois à qui cet âge
Où les Dieux vous font appeler. Doit son principal ornement,
Ceux de la Tamise et du Tage
Quand le sang bouillant en mes veines Font louer leur gouvernement :
Me donnoit de j eunes désirs, Mais en de si calmes provinces,
Tantôt vous soupiriez mes peines, Où le peuple adore les princes ,
Tantôt vous chantiez mes plaisirs : Et met au degré le plus haut
Mais aujourd’hui que mes années L’honneur du sceptre légitime ,
Vers leur fin s’en vont terminées Sauroit-on excuser le crime
Siéroit-il bien à mes écrits De ne régner pas comme il faut?
D’ennuyer les races futures
Des ridicules aventures Ce n’est point aux rives d’un fleuve
D’un amoureux en cheveux gris? Où dorment les vents et les eaux
Que fait sa véritable preuve
Non, vierges, non : j e me retire L’art de conduire les vaisseaux :
De tous ces frivoles discours ; Il faut en la plaine salée
Ma reine est un but à ma lyre Avoir lutté contre Malée,
Plus juste que nulles amours ; Et, près du naufrage dernier,
Et quand j’aurai, comme j’espere, S’être vu dessous les Pléiades
LIVRE I. ODES. 43
Eloigné de ports et de rades , Qui n’ouit la voix de Bellone,
Pour être cru ton marinier. Lasse d’un repos de douze ans,
Telle que d’un foudre qui tonne,
Ainsi quand la Grèce, partie Appeler tous ses partisans,
D’où le mol Anaure couloit, Et déj'a les rages extrêmes
Traversa les mers de Scythie Par qui tombent les diadèmes
En la navire qui parloit, Faire appréhender le retour
Pour avoir su des Cyanées De ces combats dont la manie
Tromper les vagues forcenées, Est l’éternelle ignominie
Les pilotes du fils d’Eson, De Jarnac et de Moncontour !
Dont le nom jamais ne s’efface ,
Ont gagné la première place Qui ne voit encore à cette heure
En la fable de la Toison. Tous' les infidèles cerveaux
Dont la fortune est la meilleure
Ainsi, conservant cet empire Ne chercher que troubles nouveaux,
Où l’infidélité du sort, Et ressembler à ces fontaines
Jointe a la notre encore pire, Dont les conduites souterraines
Alloit faire un dernier effort, Passent par un plomb si gâté,
Ma reine acquiert à ses mérites Que, touj’ours ayant quelque tare
Un nom qui n’a point de limites, Au même temps qu’on les répare
Et, ternissant le souvenir L’eau s’enfuit d’un autre côté?
Des reines qui l’ont précédée ,
La paix ne voit rien qui menace
Devient une éternelle idée
De faire renaître nos pleurs ;
De celles qui sont à venir.
Tout s’accorde à notre bonace;
Aussitôt que le coup tragique Les hivers nous donnent des fleurs ;
Et si les pâles Euménides
Dont nous fûmes presque abattus
Pour réveiller nos parricides
Eut fait la fortune publique
L’exercice de ses vertus, Toutes trois ne sortent d’enfer,
Le repos du siecle où nous sommes
En quelle nouveauté d’orage
Va faire à la moitié des hommes
Ne fut éprouvé son courage
Ignorer que c’est que le fer.
Et quelle malice de flots,
Par des murmures effroyables,
A, des vœux a peine payables Thémis, capitale ennemie
N’obligerent les matelots ! Des ennemis de leur devoir,
Comme un rocher est affermie
44 LIVRE I. ODES. 45
En son redoutable pouvoir ; Que tient l’Egypte ensevelis,
Elle va d’un pas et d’un ordre Aller si près du bout du monde,
Où la censure n’a que mordre ; Que le soleil sorte de l’onde
Et les lois, qui n’exceptent rien Sur la terre des fleurs de lis?
De leur glaive et de leur balance,
Font tout perdre à la violence Certes ces miracles visibles,
Qui veut avoir plus que le sien. Excédant le penser humain,
Ne sont point ouvrages possibles
Nos champs même ont leur abondance A moins qu’une immortelle main:
Hors de l’outrage des voleurs ; Et la raison ne se peut dire
Les festins, les jeux et la danse De nous voir en notre navire
En bannissent toutes douleurs. A si bon port acheminés ;
Rien n y gémit, rien n’y soupire ; Ou, sans fard et sans flatterie ,
Chaque Amarylle a son Tityre : C’est Pallas que cette Marie
Et, sous l’épaisseur des rameaux, Par qui nous sommes gouvernés.
Il n’est place où l’ombre soit bonne
Qui soir et matin ne résonne Mais qu’elle soit Nymphe ou Déesse,
Ou de voix ou de chalumeaux. De sang immortel ou mortel,
Il faut que le monde confesse
Puis, quand ces deux grands hyménées Qu’il ne vit jamais rien de tel :
Dont le fatal embrassement Et quiconque fera l’histoire
Doit applanir les Pyrénées De ce grand chef-d’œuvre de gloire,
Auront leur accomplissement, L’incrédule postérité
Rejettera son témoignage,
Devons-nous douter qu’on ne voie ,
Pour accompagner cette joie, S’il ne la dépeint belle et sage,
L’encens germer en nos buissons, Au-deçà de la vérité.
La myrrhe couler en nos rues,
Et sans l’usage des charrues Grand Henri, grand foudre de guerre
Nos plaines j aunir de moissons ? Que , cependant que parmi nous
Ta valeur étonnoit la terre,
Quelle moins hautaine espérance Les destins firent son époux ;
Pourrons-nous concevoir alors, Roi dont la mémoire est sans blâme,
Que de conqueter à la France Que dis-tu de cette belle ame,
La Propontide en ses deux bords, Quand tu la vois si dignement
Et, vengeant de succès prospères Adoucir toutes nos absynthes,
Les infortunes de nos peres Et se tirer des labyrinthes
Où la met ton éloignement ? 3.
/,8 LIVRE I. ODES. «9
Fais choir en sacrifice au démon de la France Beau d’un soin assidu travailler à leurs forts,
Les fronts trop élevés de ces âmes d’enfer ; Et creuser leurs fossés j usqu’à faire paroître
Et n’épargne contre eux, pour notre délivrance, Le jour entre les morts :
Ni le feu ni le fer.
I.aisse-les espérer , laisse-les entreprendre.
Assez de leurs complots l’infidele malice Il suffit que ta cause est la cause de Dieu.
A nourri le désordre et la sédition : Et qu’avecque ton bras elle a pour la défendre
Quitte le nom de Juste, ou fais voir ta justice Les soins de Richelieu ;
En leur punition.
Richelieu, ce prélat de qui toute l’envie
Le centième décembre a les plaines ternies, Est de voir ta grandeur aux Indes se borner ,
Et le centième avril les a peintes de fleurs, Et qui visiblement ne fait cas de sa vie
Depuis que parmi nous leurs brutales manies Que pour te la donner.
Ne causent que des pleurs.
Rien que ton intérêt n’occupe sa pensée,
Dans toutes les fureurs des siècles de tes peres Nulr divertissements ne l’appellent ailleurs ;
Les monstres les plus noirs firent-ils jamais rien Et de quelques bons yeux qu’on ait vanté Lyncée,
Que l’inhumanité de ces cœurs de viperes Il en a de meilleurs.
Ne renouvelle au tien?
Son ame toute grande est une ame hardie ,
Par qui sont aujourd’hui tant de villes désertes, Qui pratique si bien l’art de nous secourir,
Tant de grands bâtiments en masures changés, Que, pourvu qu’il soit cru, nous n’avons maladie
Et de tant de chardons les campagnes couvertes , Qu’il ne sache guérir.
Que par ces enragés ?
Le ciel, qui doit le bien selon qu’on le mérite,
Les sceptres devant eux n’ont point de privilèges , Si de ce grand oracle il ne t’eût assisté ,
Les immortels eux même en sont persécutés ; Par un autre présent n’eût jamais été quitte
Etc’est auxplus saints lieux que leurs mains sacrilèges Envers ta piété.
Font plus d’impiétés.
Va, ne différé plus tes bonnes destinées ;
Marche, va les détruire, éteins-en la semence ; Mon Apollon t’assure et t’engage sa foi
Et suis j usqu’a leur fin ton courroux généreux , Qu’employant ce Tiphys, Syrtes et Cyanées
Sans jamais ecouter ni pitié ni clémence Seront havres pour toi.
Qui te parle pour eux.
Certes, ou je me trompe , ou déjà la Victoire,
Ib ont beau vers le ciel leurs murailles accroître, Qui son plus grand honneur de tes palmes attend,
5o LIVRE I. ODES. ai
Est aux bords de Charente en son habit de gloire, Déjà l’étonnement leur fait la couleur blême ;
Pour te rendre content. Et ce lâche voisin qu’ils sont allés quérir,
Misérable qu’il est, se condamne lui-même
Je la vois qui l’appelle, et qui semble te dire : A fuir ou mourir.
Roi, le plus grand des rois, et qui m’es le plus cher,
Si tu veux que je t’aide à sauver ton empire, Sa faute le remord : Mégere le regarde ,
Il est temps de marcher. Et lui porte l’esprit à ce vrai sentiment,
Que d’une injuste offense il aura, quoiqu’il tarde,
Que sa façon est brave et sa mine assurée ! Le juste châtiment.
Qu elle a fait richement son armure étoffer !
Et qu il se connoit bien à la voir si parée Bien semble être la mer une barre assez forte
Que tu vas triompher ! Pour nous ôter l’espoir qu’il puisse être battu :
Mais est-il rien de clos dont ne t’ouvre la porte
Telle, en ce grand assaut où des fils de la Terre Ton heur et ta vertu ?
La rage ambitieuse à leur honte parut
Elle sauva le ciel, et rua le tonnerre Neptune , importuné de ses voiles infâmes ,
Dont Briare mourut. Comme tu paraîtras au passage des flots
Voudra que ses Tritons mettent la main aux rames,
Déjà de tous côtés s’avançoient les approches • Et soient tes matelots.
Ici couroit Mimas, là Typhon se battoit, ?
Et là suoit Euryte à détacher les roches Là rendront tes guerriers tant de sortes de preuves,
Qu’Encelade j etoit. Et d’une telle ardeur pousseront leurs efforts ,
Que le sang étranger fera monter nos fleuves
A peine cette vierge eut l’affaire embrassée, Au-dessus de leurs bords.
Qu aussitôt Jupiter en son trône remis
Vit selon son désir la tempête cessée , Par cet exploit fatal en tous lieux va renaître
Et n'eut plus d’ennemis. La bonne opinion des courages françois ;
Et le monde croira, s’il doit avoir un maître ,
Ces colosses d’orgueil furent tous mis en poudre, Qu’il faut que lu le sois.
Et tous couverts des monts qu’ils avoient arrachés ;
Phlegre qui les reçut pue encore la foudre 0 que pour avoir part en si belle aventure,
Dont ils furent touchés. Je me souhaiterais la fortune d’Eson,
Qui, vieil comme je suis, revint contre nature
L’exemple de leur race à jamais abolie En sa j eune saison.'
Devoil sous ta merci tes rebelles ployer:
Mais seroit-ce raison qu’une même folie De quel péril extrême est la guerre suivie
N’eût pas même loyer?
5» LIVRE I. 53
ODES.
Où je ne fisse voir que tout l’or du Levant Quel rival assez vain prétendra que la sienne
N’a rien que je compare aux honneurs d’une vie Ait de quoi m’égaler ?
Perdue en te servant ?
Le fameux Amphion, dont la voix nompareille
loutes les autres morts n’ont mérite ni marque; Bâtissant une ville étonna l’univers,
Celle-ci porte seule un éclat radieux, Quelque bruit qu’il ait eu, n’a point fait de merveille
Qui fait revivre l’homme, et le met de la barque
Que ne fassent mes vers.
A la table des Dieux.
Par eux de tes beaux faits la terre sera pleine ;
Mais quoitous les pensers dont les âmes hien nées
Et les peuples du Nil qui les auront ouis
Excitent leur valeur et flattent leur devoir,
Que sont-ce que regrets , quand le nombre d’années Donneront de l’encens comme ceux de la Seine
Aux autels de Louis.
Leur ôte le pouvoir ?

Ceux à qui la chaleur ne bout plus dans les veines


Lu vam dans les combats ont des soins diligents •
Mars est comme l’Amour ; ses travaux et ses peines ODE
Veulent de jeunes gens.
‘ A M. DE LA GARDE,
Je suis vaincu du temps, je cede à ses outrages ;
Mon esprit seulement, exempt de sa rigueur. au sujet de sou Histoire Saiule.
A de quoi témoigner en ses derniers ouvrages’
1628.
Sa première vigueur.

Les puissantes faveurs dont Parnasse m’honore L a o a r d e , tes doctes écrits


Montrent les soins que tù as pris
INon loin de mon berceau commencèrent leur cours
A savoir tant de belles choses;
Jeïes possédai jeune, et les possédé encore
Et ta prestance et tes discours
A la fin de mes jours.
Etalent un heureux concours
Ce que j’en ai reçu je veux te le produire • De toutes les grâces ecloses.
Tu verras mon adresse ; et ton front cette fois
Sera ceint de rayons qu’on ne vit jamais luire Davantage tes actions
Sur la tete des rois. Captivent les affections
Des cœurs, des yeux, et des oreilles ;
Soit que de tes lauriers ma lyre s’entretienne, Forçant les personnes d’honneur
Soit que de tes bontés je la fasse parler, De te souhaiter tout bonheur
Pour tes qualités nompareifles.
54 LIVRE I. ODES. 55
Tu sais bien que je suis de ceux Nos esprits fibres et contents
Qui ne sont j amais paresseux Sous l’influence d’un bon astre !
A louer les vertus des hommes ; Que viye et meure qui voudra :
Et dans Paris en mes vieux ans La constance nous résoudra
Je passe à ce devoir mon.temps, Contre l'effort de tout désastre.
Au malheureux siecle où nous sommes.
Le soldat, remis par son chef,
Mais, las ! la perte de mon fils , Pour se garantir de méchef,
Ses assassins d’orgueil bouffis, En état de faire sa garde,
Ont tonte ma vigueur ravie ; N’oseroit pas en déloger
L’ingratitude et peu de soin Sans congé, pour se soulager,
Que montrent les grands au besoin Nonobstant que trop il lui tarde.
De douleurs accablent ma vie.
Car, s’il procédoit autrement,
Je ne désiste pas pourtant Il seroit puni promptement
D’être dans moi-même content Aux dépens de sa propre vie.
D’avoir vécu dedans le monde , Le parfait chrétien tout ainsi,
Prisé , quoique vieil, abattu, Créé pour obéir aussi,
Des gens de bien et de vertu ; Y tient sa fortune asservie.
Et voilà le bien qui m’abonde.
D ne doit pas quitter ce lieu
Nos jours passent comme le vent; Ordonné par la loi de Dieu ;
Les plaisirs nous vont décevant; Car l’ame qui lui est transmise
Et toutes les faveurs humaines Félonne ne doit pas fuir
Sont hémérocalles, d’un jour : Pour sa damnation encourir ,
Grandeurs, richesses , et l’amour, Et être en l’Erebe remise.
Sont fleurs périssables et vaines.
Désolé j e tiens ce propos,
Nous avons tant perdu d’amis , Voyant approcher Atropos
Et de biens par le sort transmis Pour couper le nœud de ma trame :
Au pouvoir de nos adversaires.' Et ne puis ni veux l’éviter,
Neanmoins nous voyons, du port, Moins aussi la précipiter ;
D’autrui les débris et la mort, Car Dieu seul commande à mon ame.
En nous éloignant des corsaires.
Non, Malherbe n’est pas de ceux
Ainsi puissions-nous voir long-temps Que l’esprit d’enfer a déceus
SG LIVRE I. ODES. S
Pour acquérir la renommée ■le veux vous dire franchement,
De s’être affranchis de prison Et de ma façon librement,
Par une lame, ou par poison, Que votre Histoire est une école.
Ou par une rage animée.
Pour moi, dans ce que j’en ai veu ,
Au seul point que Dieu prescrira J’assure qu’elle aura l’aveu
Mon ame du corps partira De tout excellent personnage :
Et, puisque Malherbe le dit,
Sans contrainte ni violence ;
Cela sera sans contredit ;
De l’enfer les tentations ,
Car c’est un très juste présage.
Ni toutes mes afflictions,
Ne forceront point ma constance.
Toute la France sait fort bien
Que je n’estime ou reprends rien
Mais , la Garde, voyez comment
On se disvague doucement, Que par raison et par bon titre,
Et comme notre esprit agrée Elque les doctes de mon temps
De s’entretenir près et loin, Ont toujours été très contents
Encor qu’il n’en soit pas besoin , De m’élire pour leur arbitre.
Avec l’objet qui le récrée.
La Garde , vous m’en croirez donc ,
Que si gentilhomme fut onc
J’avois mis la plume à la main
Digne d’éternelle mémoire,
Avec l’honorable dessein Par vos vertus vous le serez ,
De louer votre sainte Histoire : Et votre los rehausserez
Mais l’amitié que je vous dois Par votre docte et sainte Histoire.
Par-delà ce que je voulois
A fait débaucher ma mémoire.

Vous m’étiez présent à l’esprit


En voulant tracer cet écrit ; F Pt A G M E N T.
Et me sembloit vous voir paroître
Brave et galant en cette cour,
O u les plus huppés à leur tour
Tantôt nos navires, braves
Tachoient de vous voir et connoître
De la dépouille d’Alger,
Mais ores à moi revenu, Viendront les Mores esclaves
Comme d’un doux songe avenu A Marseille décharger ;
Tantôt, riches de la perte
Qui tous nos sentiments cajole,
$3 LIVRE I. ODES. ;’9
De Tunis et de Biserte, L’empire de la fleur de lis :
Sur nos bords étaleront Et toutefois leur entreprise
Le coton pris en leurs rives, Etoit le parfum d’un collet,
Que leurs pucelles captives Le point coupé d’une chemise,
En nos maisons fileront. Et la figure d’un ballet.

De leur mollesse léthargique


Le Discord, sortant des enfers,
Des maux que nous avons soufferts
FRAGMENT. Nous ourdit la toile tragique.
EIN D’UNE ODE POUR LE ROI. La justice n’eut plus de poids ;
L’impunité chassa les lois ;
Je veux croire que la Seine Et le taon des guerres civiles
Aura des cygnes alors Piqua les âmes des méchants
Qui pour toi seront en peine Qui firent avoir à nos villes
De faire quelques efforts : La face déserte des champs.
Mais, vu le nom que me donne
Tout ce que ma lyre sonne,
Quelle sera la hauteur
De l’hymne de ta victoire,
Quand elle aura cette gloire riH nu LIVRE rKEMIïB.
Que Malherbe en soit l’auteur

FRAGMENT
D’UNE ODE.

Invective contre les mignons de Henri III.

Les peuples, pipés de leur mine,


Les voyant ainsi renfermer,
Jugeoient qu’ils parloient de s’armer
Pour conquérir la Palestine,
Et borner de Tyr à Calis ’
POÉSIES STANCES.
Vous aurez des enfants, des douleurs incroyables.
6l

Qui seront près de vous, et crîront alentour ;

DE MALHERBE. ^ors fuiront de vos yeux les soleils agréables ,


V laissant pour jamais des étoiles autour.

Si je passe en ce temps dedans votre province


Vous voyant sans beautés, et moi rempli d’honneur,
yar peut-être qu’alors les bienfaits d’un grand prince
farîront ma fortune avecque le bonheur :
LIVRE SECOND.
Ayant un souvenir de ma peine fidele,
Mais n’ayant point à l’heure autant que j’ai d’ennuis
STANCES. Ie dirai : Autrefois cette femme fut belle,
je fus autrefois plus sot que je ne suis.
i586.

S x des maux renaissants avec ma patience LES LARMES


N’ont pouvoir d’arrêtei' un esprit si hautain,
Le temps est médecin d’heureuse expérience : DE SAINT PIERRE,
Son remede est tardif, mais il est bien certain.
IMITÉES DU TAHSUU.

Le temps à mes douleurs promet une allégeance,


Et de voir vos beautés se passer quelque jour; AU ROI HENRI III.
Lors j’e serai vengé, si j’ai de la vengeance i587.
Pour un si beau sujet pour qui j’ai tant d’amour.

Vous aurez un mari sans être guere aimée,


c e n’est pas en mes vers qu’une amante abusée
es appas enchanteurs d’un parj ure Thésée,
Ayant de ses désirs amorti le flambeau ; Apres l’honneur ravi de sa pudicité,
Et de cette prison de cent chaînés formée aissée ingratement en un borxl solitaire,
Vous n’en sortirez point que par l’huis du tombeau- ’a't, de tous les assauts que la rage peut’faire,
ne fidele preuve à l’infidélité.
Tant de perfections qui vous rendent superbe,
Les restes d’un mari, sentiront le reclus ; Les ondes que j’épands d’une éternelle veine
(=>

Et vos jeunes beautés flétriront comme l’berhe


ns un courage saint ont leur sainte fontaine,
a

Que l’on a trop foulée et qui ne fleurit plus.


amour de la terre et le soin de la chair
4
STANCES. G3
f)2 LIVRE I I. Aux portes de la peur abandonne son maître ,
Aux fragiles pensers ayant ouvert la porte , Et jure impudemment qu’il ne le connoît pas.
Une plus belle amour se rendit la plus forte,
Et le lit repentir aussitôt que pécher. A peine la parole avoit quitté sa bouche,
Qu’un regret aussi prompt en son ame le touche ;
Henri, de qui les yeux et l’image sacrée , Et mesurant sa faute à la peine d’autrui,
Font un visage d’or à cette âge ferrée, Voulant faire beaucoup , il ne peut davantage
Ne refuse à mes vœux un favorable appui ; Que soupirer tout bas, et se mettre au visage
Et si pour ton autel ce n’est chose assez grande, Sur le feu de sa honte une cendre d’ennui.
Pense qu’il est si grand qu’il n auroit point d offrande
S’il n’en recevoit point que d’égales a lui. Les arcs qui de plus près sa poitrine joignirent,
Les traits qui plus avant dans le sein l’atteignirent,
La foi qui fut au cœur d’où sortirent ces larmes Ce fut quand du Sauveur il se vit regardé :
Est le premier essai de tes premières armes , Les yeux furent les arcs, les œillades les fléchés
Pour qui tant d’ennemis à tes pieds abattus-, Qui percerent son ame, et remplirent de breches
Pâles ombres d’enfer,poussière delà terre» Le rempart qu’il avoit silâehement gardé.
Ont connu ta fortune, et que l’art de la guerre
A moins d’enseignements que tu n’as de vertus. Cet assaut, comparable à l’éclat d’une foudre,
housse et jette d’un coup ses défenses en poudre;
De son nom de rocher, comme d’un bon augure, Ne laissant rien citez lui que le même penser
Un éternel état l’église se figure ; D’un homme qui, tout nu de glaive et de courage ,
Et croit, par le destin de tes justes combats, Voit de ses ennemis la menace et la rage,
Que, ta main relevant son épaule courbée, Qui le fer en la main le viennent offenser.
Un jour qui n’est pas loin elle verra tombée
La troupe qui l’assaut et la veut mettre bas. Ces beaux yeux souverains qui traversent la terre
Mieux que les yeux mortels ne traversent le verre,
Mais le coq a chanté pendant que je m’arrête Et qui n^rrt rien de clos à leur juste courroux,
A l’ombre des lauriers qui t’embrassent la tête ; Entrent victorieux en son ame étonnée ,
Et la source déjà commençant à s’ouvrir Comme dans une place au pillage donnée,
A lâché les ruisseaux qui font bruire leur trace, Et lui font recevoir plus de morts que de coups.
Entre tant de malheurs estimant une grâce
Qu’un monarque si grand les regarde courir. La mer a dans le sein moins de vagues courantes ,
Qu’il n’a dans le cerveau de formes différentes
Ce miracle d’amour, ce courage invincible, Lt n’a rien toutefois qui le mette en repos ;
Qui n’espéroit jamais une chose possible Car aux flots de la peur sa navire qui tremble
Que rien finit sa foi que le même trépas, Ne trouve point de port, et toujours il lui semble
De vaillant fait couard, de fidele fait traître ,
64 LIVRE II. STANCES. 6a

Que des yeux de son maître il entend ce propos : La place lui déplaît où la troupe maudite
Son Seigneur attaché par outrages dépite ;
Eh bienoù maintenant est ce brave langage, Et craint tant de tomber en un autre forfait,
Cette roche de foi, cet acier de courage ? Qu’il estime déjà ses oreilles coupables
Qu’est le feu de ton zele au besoin devenu ? D’entendre ce qui sort de leurs bouches damnables,
Où sont tant de serments qui juroient une fable ? Et ses yeux d’assister aux tourments qu’on lui fait.
Comme tu fus menteur, suis-je pas véritable ?
Et que t’ai-je promis qui ne soit avenu ? Il part; et la douleur qui d’un morne silence
Entre les ennemis couvroit sa violence,
Toutes les cruautés de ces mains qui m’attachent, Comme il se voit dehors, a si peu de compas ,
Le mépris effronté que ces bourreaux me crachent, Qu’il demande tout haut que le sort favorable
Les preuves que je fais de leur impiété , Lui fasse rencontrer un ami secourable
Pleines également de fureur et d’ordure, Qui, touché de pitié, lui donne le trépas.
Ne me sont une pointe aux entrailles si dure
Comme le souvenir de ta déloyauté. En ce piteux état il n’a rien de fidele
Que sa main qui le guide où l’orage l’appelle ;
Je sais bien qu’au danger les autres de ma suite Ses pieds, comme ses yeux, ont perdu la vigueur ;
Ont eu peur de la mort et se sont mis en fuite ; Il a de tout conseil son aine dépourvue ,
Mais toi, que plus que tous j’aimai parfaitement, Et dit en soupirant que la nuit de sa vue
Pour rendre en me niant ton offense plus grande, Ne l’empêche pas tant que la nuit de son cœur.
Tu suis mes ennemis, t’assembles à leur bande,
Sa vie, auparavant si chèrement gardée ,
Et des maux qu’ils me font prends ton ébattement.
Lui semble trop long-temps ici bas retardée ;
C’est elle qui le fâche, et le fait consumer ;
Le nombre est infini des paroles empreintes
Il la nomme parjure, il la nomme cruelle ;
Que regarde l’apôtre en ces lumières saintes ;
Et toujours se plaignant que sa faute vient d’elle
Et celui seulement que sous une beauté
Il n’en veut faire compte et ne la peut aimer.
Les feux d’un œil humain ont rendu tributaire
Jugera sans mentir quel effet a pu faire
Va, laisse- moi, dit /.l, va, déloyale vie ;
Des rayons immortels l’immortelle clarté.
Si de te retenir autrefois j’eus l’envie,
Il est bien assuré que l’angoisse qu’il porte Et si j’ai désiré que tu fusses chez moi,
Ne s’emprisonne pas sous les clefs d’une porte, Puisque tu m’as été si mauvaise compagne,
Et que de tous côtés elle suivra ses pas ; Ton infidèle foi maintenant je dédagne ;
Mais pour ce qu il la voit dans les yeux de son maîîrc, Quitte moi, je te pri’, je ne veux plus de toi.
11 se veut absenter, espérant que peut-être
Il la sentira moins en ne la voyant pas. Sont-ce tes beaux desseins, mensongère et méchante
4.
66 LIVRE II. STANCES. 67
Qu’une seconde fois ta malice m’enchante, Sans jamais en son aise un mal-aise éprouver,
Et que, pour retarder une heure seulement S’il demande à ses jours davantage de terme,
La nuit déjà prochaine à ta courte journée. Que fait-il, ignorant, qu’attendre de pied ferme
Je demeure en danger que l'ante, qui est née De voir à son beau temps un orage arriver ?
Pour ne mourir jamais , meure éternellement?
Et moi, si de mes jours l’importune durée
Non, ne m’abuse plus d’une lâche pensée ; Ne m’eût en vieillissant la cervelle empilée,
Le coup encore frais de ma chute passée Ne devois-je être sage, et me ressouvenir
Me doit avoir appris à me tenir debout, D’avoir vu la lumière aux aveugles rendue,
Et savoir discerner de la treve la guerre, Rebailler aux muets la parole perdue,
Des richesses du ciel les fanges de la terre, Et faire dans les corps les âmes revenir?
Et d’un bien qui s’envole un qui n’a point de bout.
De ces faits non communs la merveille profonde,
Si quelqu’un d’aventure en délices abonde , Qui, par la main d’un seul, étonnoit tout le monde,
Il se perd aussitôt, et déloge du monde ■ Et tant d’autres encor, me dévoient avertir
Qui te porte amitié, c’est à lui que tu nuis ; Que, si pour leur auteur i’endurois de l’outrage,
Ceux qui te veulent mal sont ceux que tu conserves; Le même qui les fit, en faisant davantage,
1 u vas à qui te fuit, et toujours le réserves Quand on m’offenseroit, me pouvoit garantir.
A souffrir, en vivant, davantage d’ennuis.
Mais , troublé par les ans, j’ai souffert que la crainte
On voit par ta rigueur tant de blondes jeunesses, Loin encore du mal, ait découvert ma feinte ;
Tant de riches grandeurs, tant d’heureuses vieillesses, Et sortant promptement de mon sens et de moi,
En fuyant le trépas , au trépas arriver ; Ne me suis apperçu qu’un destin favorable
Et celui qui chétif aux miseres succombe, M’offroit en ce danger un sujet honorable
Sans vouloir autre bien que le bien de la tombe, D’acquérir par ma perte un triomphe à ma foi.
N ayant qu’un jour à vivre il ne peut l’achever !
Que je porte d’envie à la troupe innocente
Que d’hommes fortuir.és en leur âge première, De ceux qui, massacrés d’une main violente,
Trompés de l’inconstance à nos ans coutumière, Virent dès le matin leur beau jour accourci.'
Du depuis se sont vus en étrange langueur, Le fer qui les tua leur donna cette grâce,
Qui fussent morts contents, si le ciel amiable, Que, si de faire bien ils n’eurent pas l’espace,,
Ne les abusant pas en ton sein variable, Ils n’eurent pas le temps de faire mal aussi.
An temps de leur repos eût coupé ta longueur !
De ces j eunes guerriers la flotte vagabonde
Quiconque de plaisir a son amc assouvie , Alloit courre fortune aux orages du monde,
Plein d honneur et de bien, non sujet à l’envie Et déjà pour voguer abandonnoit le bord,
‘ Z

63 LIVRE II. STANCES. 6y


Quand l’aguet d’un pirate arrêta leur voyage ; A quiconque osera d’une ame belle et forte
Mais leur sort fut si bon que d’un même naufrage Pour vivre dans le ciel en la terre mourir.
Ils se virent sous l’onde et se virent au port.
0 désirable lin de leurs peines passées !
Ce furent de beaux lis qui, mieux que la nature, Leurs pieds , qui n’ont jamais les ordures pressées,
Mêlant à leur blancheur l’incarnate peinture Ln superbe plancher des étoiles se font;
Que tira de leur sein le couteau criminel, ' Leur salaire payé les services précédé ;
Devant que d’un hiver la tempête et l’orage Premier que d’avoir mal ils trouvent le rcmede,
A leur teint délicat pussent faire dommage, Et devant le combat ont les palmes au front.
S en allèrent fleurir au printemps éternel.
Que d’applaudissements, de rumeur et de presse,
Ces enfants bienheureux , créatures parfaites, Que dç feux, que de jeux, que de traits de caresse,
Sans l’imperfection de leurs bouches muettes, Quand là-haut en ce point on les vit arriver {
Ayant Dieu dans le cœur ne le pureut louer ; Et quel plaisir encore à leur courage tendre,
Mais leur sang leur en fut un témoin véritable : Voyant Dieu devant eux en ses bras les attendre,
Et moi, pouvant parler, j’ai parlé, misérable, 1 pour leur faire bonneui les anges se lever !
Pour lui faire vergogne et le désavouer J
vous, femmes, trois fois, quatre fois bienheureuses,
Le peu qu’ils ont vécu leur fut grand avantage , ccs jeunes Amours les meres amoureuses,
Et le trop que je vis ne me fait que dommage, Que faites-vous pour eux si vous les regrettez ?
Cruelle occasion du souci qui me nuit.’ Vous fâchez leur repos et vous rendez coupables,
Quand j’avois de ma foi l’innocence première , Ou de n’estimer pas leurs trépas honorables ,
Si la nuit de ma mort m’eùt privé de lumière, Ou de porter envie à leurs féliçités.
Je n aurois pas la peur d’une éternelle nuit.
Le soir fut avancé de leurs belles journées ;
Ce fut en ce troupeau que , venant à la guerre Mais qu’eussent-ils gagné par un siecle d’années ?
Pour combattre l’enfer et défendre la terre , Ou que leur avint-il en ce vite départ,
Le Sauveur inconnu sa grandeur abaissa ; Que laisser promptement une basse demeure,
Par eux il commença la première mêlée ; Qui n’a rien que du mal, pour avoir de bonne heure
Et furent eux aussi que la rage aveuglée -^Ux plaisirs éternels une éternelle part?
Du contraire parti les premiers offensa.
Sl vos yeux, pénétrant jusqu’aux choses futures ,
Qui voudra se vanter, avec eux se compare, Vous pouvoient enseigner leurs belles aventures,
D avoir reçu la mort par un glaive barbare, °us auriez tant de bien en si peu de malheurs,
Et d etre allé soi-même au martyre s’offrir; <ue vous ne voudriez pas pour l’empire du monde
L honneur leur appartient d’avoir ouvert la porte avoir eu dans le sein la racine féconde .
7O LIVRE II.
STANCES. 7i
D’où naquit entre nous ce miracle de fleurs.
Le vieillard , qui n’attend une telle rencontre ,
Sitôt qu’au dépourvu sa fortune lui montre
Mais moi, puisque les lois me défendent 1 outrage
Le lieu qui fut témoin d’un si lâche méfait,
Qu’entre tant de langueurs me commande la rage,
De nouvelles fureurs se déchire et s’entame,
Et qu’il ne faut soi-même éteindre son flambeau, Et de tous les pensers qui travaillent sou ame
Que m’est-il demeuré pour conseil et pour armes,
L’extrême cruauté plus cruelle se fait.
Que d’écouler ma vie en un fleuve de larmes ,
Et la chassant de moi l’envoyer au tombeau? Toutefois il n’a rien qu’une tristesse peinte ,
Ses ennuis sont des jeux , son angoisse une feinte,
.Te sais bien que ma langue ayant commis 1 offense. Son malheur un bonheur, et ses larmes un ris,
Mon cœur incontinent en a fait penitence. Au prix de ce qu’il sent quand sa vue abaissée
Mais quoi ! si peu de cas ne me rend satisfait. Remarque les endroits où la terre pressée
Mon regret est si grand, et ma faute si grande, A des pieds du Sauveur les vestiges écrits.
Qu’une mer éternelle à mes yeux je demande
Pour pleurer à jamais le péché que j’ai fait.
C’est alors que ses cris en tonnerres s’éclatent,
Ses soupirs se font vents qui les chênes combattent ;
Pendant que le ebétif en ce point se lamente,
Et ses pleurs , qui tantôt descendoient mollement,
S’arrache les cheveux, se bat et se tourmente,
Ressemblent un torrent qui, des hautes montagnes,
En tant d’extrémités cruellement réduit,
Ravageant et noyant les voisines campagnes ,
Il chemiue toujours ; mais rêvant à sa peine , Veut que tout l’univers ne soit qu’un élément.
Sans donner à ses pas une réglé certaine,
Il erre vagabond où le pied le conduit. U y fiche ses yeux, il les baigne, il les baise ,
Il se couche dessus , et seroit à son aise
A la fin égaré, car la nuit qui le trouble S’il pouvoit avec eux à jamais s’attacher.
Par les eaux de ses pleurs son ombrage redouble, H demeure muet du respect qu’il leur porte :
Soit un cas d’aventure , ou que Dieu l’ait permis, Mais enfin la douleur, se rendant la plus forte ,
Il arrive au jardin où la bouche du traître, Lui fait encore un coup une plainte arracher.
Profanant d’un baiser la bouche de son maître,
Pour en priver les bons aux méchants l’a remis. Pas adorés de moi, quand par accoutumance
Je n’aurois comme j’ai de vous la connoissance,
Comme un homme dolent, que le glaive contraire Tant de perfections vous découvrent assez;
A privé de son fils et du titre de pere, Vous avez, une odeur de parfums d’Assyrie ;
Plaignant deçà delà son malheur avenu, Les autres ne l’ont pas; et la terre flétrie
S’il arrive en la place où s’est fait le dommage, Est belle seulement où vous êtes passés.
L’ennui renouvelé plus rudement l’outrage
En voyant le sujet à ses yeux revenu : Peaux pas de ces seuls pieds que les astres conftoissent
STANCES. 73
72 LIVRE II.
Pendant que je me trouve au milieu de tes pas ,
Comme oi'es à mes yeux vos marques apparaissent! Désireux de l’honneur d’une si belle tombe,
Telle autrefois de vous la merveille me prit, Afin qu’en autre part ma dépouille ne tombe,
Quand, déjà demi clos sous la vague profonde, Puisque ma lin est près , ne la recule pas.
Vous ayant appelés, vous affermîtes l’onde ,
Et, m’assurant les pieds , m’étonnâtes l’esprit. En ces propos mourants ses complaintes se meurent
Mais vivantes sans fin ses angoisses demeurent,
Mais, ô de tant de biens indigne récompense ! Pour le faire en langueur à jamais consumer.
O dessus les. sablons inutile semence ! Eaudis la nuit s’en va , ses lumières s’éteignent.
Une peur, ô Seigneur, m’a séparé de toi; Et déjà devant lui les campagnes se peignent
Et d’une ame semblable à la mienne parjure, Du safran que le jour apporte de la mer.
Tous ceux qui furent tiens , s’ils ne t’ont fait injure
Ont laissé ta présence et t’ont manqué de foi. L’aurore d’une main , en sortant de ses portes ,
fient un vase de fleurs languissantes et mortes :
De douze, deux fois cinq, étonnés de courage, Elle verse de l’antre une cruche de pleurs ;
Par une lâche fuite évitèrent l’orage, Et, d’un voile tissu de vapeur et d’orage
Et tournèrent le dos quand tu fus assailli ; Couvrant scs cheveux d’or, découvre en son visage
L’autre, qui fut gagné d’une sale avarice, fout ce qu’une ame sent de cruelles douleurs
Fit un prix de ta vie à l’injuste supplice ;
Et l’autre en te niant plus que tous a failli. Le soleil, qui dédaigne une telle carrière,
Puisqu'il faut qu’il déloge, éloigne sa barrière ;
C’est chose à mon esprit impossible à comprendre, Mais , comme uu criminel qui chemine au trépas ,
Et nul autre que toi ne ine la peut apprendre, Montrant que dans le coeur ce voyage le fâche,
Comme a pu ta bonté nos outrages souffrir. fl marche lentement, et desire qu’on sache
Et qu attend plus de nous ta longue patience, Que, si ce n’étoit force, il ne le ferait pas.
Sinon qu’à l’homme ingrat la seule conscience
Doive être le couteau qui le fasse mourir? Ses yeux par un dépit en ce monde regardent;
Ses chevaux tantôt vont et tantôt se retardent,
Toutefois tu sais tout, tu connois qui nous sommes Eux-mêmes ignorants de la course qu’ils font :
1 u vois quelle inconstance accompagne les hommes Sa lumière pâlit, sa couronne se cache ;
Faciles a fléchir x d il faut endurer. Aussi n’en veut-il pas cependant qu’on attache
Si j ai fait comme un homme en faisant une offense, A celui qui l’a fait des épines au front.
Tu feras comme Dieu d’en laisser la vengeance ,
Et m oter un sujet de me désespérer. Au point accoutumé les oiseaux qui sommeillent
Apprêtés à chanter dans les bois se réveillent ;
Au moins , si les regrets de ma faute avenue Mais , voyant ce matin des autres différent.
M ont de ton amitié quelque part retenue, 5
74 LIVRE II. STANCES. 7
Remplis d’étonnement ils ne daignent paroître, Je ne suis pas ensemble aveugle et téméraire ;
Et font à qui les voit ouvertement connoître Je connois bien l’erreur que l’amour m’a fait faire,
De leur peine secrete un regret apparent. Cela seul ici-bas surpassoit mon effort ;
Mais mon ame qu’à vous ne peut être asservie,
Le jour est déjà grand, et la honte plus claire Les Destins n’ayant point établi pour ma vie
De l’apôtre ennuyé l’avertit de se taire ; Hors de cet océan de naufrage ou de port.
Sa parole se lasse, et le quitte au besoin:
Il voit de tous côtés qu’il n’est vu de personne ; beauté par qui les Dieux, las de notre dommage,
Toutefois le remords que son ame lui donne Ont voulu réparer les défauts de notre âge,
Témoigne assez le mal qui n’a point de témoin. Je mourrai dans vos feux, éteignez-les ou non ,
Comme le fils d’Alcmene, en me brûlant moi-même;
Aussi l’homme qui porte une ame belle et haute, H suffit qu’en mourant dans cette flamme extrême
Quand seul en une part il a fait une faute , Une gloire éternelle accojnpagne mon nom.
S’il n’a de jugement son esprit dépourvu ,
Il rougit de lui-même, et, combien qu’il ne sente On ne doit point, .sans sceptre, aspirer où j’aspire;
Rien que le ciel présent et la terre présente , C est pourquoi, sans quitter les lois de votre empire,
Pense qu’en se voyant tout le monde l’a vu. • e veux de mou esprit tout espoir rejeter.
Qui cesse d’espérer, il cesse aussi de craindre ;
Ut, sans atteindre au but où l’on ne peut atteindre ,
Ce m’est assez d’honneur que j’y voulois monter.

Je maudis le bonheur où le ciel m’a fait naître,


STANCES Qui m’a fait desirer ce qu’il m’a fait connoître :
pour M. le duc de Montpensier, qui demandoit en maria#® Il faut ou vous aimer, ou ne vous faut point voir.
madame Catherine , princesse de Navarre, sœur J® U’astre qui luit aux grands en vain à ma naissance
Henri IV. Upandit dessus moi tant d’heur et de puissance,
Si pour ce que je veux j’ai trop peu de pouvoir.
1591 ou 1592.
liais il le faut vouloir, et vaut mieux se résoudre,
Iieau ciel par qui mes jours sont troubles ou sou1 n aspirant au ciel ,être frappé de foudre,
calmes, Qti aux desseins de la terre assuré se ranger.
Senle terre où je prends mes cyprès et mes palmeS ’ ' ,ai moins de repentir, plus je pense à ma faute ;
Catherine, dont l’œil ne luit que pour les Dieux, la beauté des fruits d’une palme si haute
Punissez vos beautés plutôt que mon courage , " fait par le plaisir oublier le danger.
Si, trop haut s élevant, il adore un visage
Adorable par force a quiconque a des yeux.
LIVRE IL STANCES. 77
Peuple qui me veux mal, et m’imputes à vice
H’avoir été payé d’un fidele service,
Uù trouves-tu qu’il faille avoir semé son bien ,
STANCES. Et ne recueillir rien ?
1596. ' oudrois-tu que ma dame , étant si bien servie,
Enfin cette beauté m’a la place rendue Pefusât le plaisir où l’âge la convie ,
Pt qu’elle eût des rigueurs à qui mon amitié
Qu’elle a voit contre moi si long-temps défendue : Ne sût faire pitié ?
Mes vainqueurs sont vaincus ; ceux qui m’ont fai tlal°'
La reçoivent de moi. Ces vieux contes d’honneur, invisibles chimères ,
Qui naissent aux cerveaux des maris et des meres,
J’honore tant la palme acquise en cette guerre , Ptoient-ce impressions qui pussent aveugler
Que, si, victorieux des deux bouts de la terre, Un jugement si clair ?
J’avois mille lauriers de ma gloire témoins ,
Je les priserois moins. ùhn, non : elle a bien fait de m’être favorable ,
' oyant mon feu si grand et ma foi si durable ,
Au repos où je suis tout ce qui me travaille, Pt j’ai bien fait aussi d’asservir ma raison
C’est le doute que j’ai qu’un malheur ne m’assaille En si belle prison.
Qui me sépare d’elle, et me fasse lâcher
Un bien que j’ai si cher. C’est peu d’expérience à conduire sa vie,
De mesurer son aise au compas de l’envie ,
Il n’est rien ici-bas d’éternelle durée : P* perdre ce que l’âge a de fleur et de fruit,
Une chose qui plait n'est jamais assurée : Pour éviter un bruit.
L’épine suit la rose ; et ceux qui sont contents
Ne le sont pas long-temps De moi, que tout le monde à me nuire s’apprête,
De ciel à tous ses traits fasse un but de ma tête
Et puis qui ne sait point que la mer amoureuse ic me suis résolu d’attendre le trépas ,
En sa bonace meme est souvent dangereuse, Et ne la quitter pas.
Et qu’on y voit toujours quelques nouveaux roche'
Inconnus aux nochers? P'ns j’y Vüis de hasard, plus j’y trouve d’amorce •.
D>1 le danger est grand, c’est là que je m’efforce :
Déjà de toutes parts tout le monde m’éclaire : PQ un sujet aisé moins de peine apportant
Et bientôt les jaloux, ennuyés de se taire, Je ne brûle pas tant.
Si les vœux que je fais n'en détournent l’assaut.
Vont médire tout haut. Cn. courage élevé toute peine .surmonte ;
78 LIVRE II. STANCES. 79
Les timides conseils n’ont rien que de la honte ; lie ne m’en séparer qu'avecque le trépas ;
Et le front d’un guerrier aux combats étonné S il arrive autrement, ce sera votre faute
J amais n’est couronné. lie faire des serments et ne les tenir pas.

Soit la fin de mes jours contrainte ou naturelle,


S’il plaît à mes destins que j e meure pour elle ,
Amour en soit loué : je ne veux un tombeau STANCES.
Plus heureux ni plus beau.
CONSOLATION A CARITÉE.

i599-
STANCES. Ainsi, quand Mausole fut mort,
i598. Artémise accusa le sort,
De pleurs se noya le visage,
Keauté, mon cher souci, de qui l’ame incertaine Et dit aux astres innocents
A, comme l’océan , son flux et son reflux , Tout ce que fait dire la rage
Pensez de vous résoudre à soulager ma peine , Quand elle est maîtresse des sens.
Ou je me résoudrai de ne la souffrir plus.
Ainsi fut sourde au reconfort,
Vos yeux ont des appas que j’aime et que je prise, Quand elle eut trouvé dans le port
Et qui peuvent beaucoup dessus ma liberté : La perte qu’elle avoit songée,
Mais pour me retenir, s’ils font cas de ma prise, Celle de qui les passions
Il leur faut de l’amour autant que de beauté. Firent voir à la mer Egée
Le premier nid des alcyons.
Quand je pense être au point que cela s’accomplis^’
Quelque excuse toujours en empêche l’effet; Vous n’êtes seule en ce tourment
C’est la toile sans fin de la femme d’Ulysse, Qui témoignez du sentiment,
Dont l’ouvrage du soir au matin se défait. O trop fidele Caritée !
En toutes âmes l’amitié,
Madame, avisez-y ; vous perdez votre gloire De mêmes ennuis agitée.
De me 1 avoir promis et vous rire de moi. Fait les mêmes traits de pitié.
S il ne vous en souvient, vous manquez de mémoire»
Et s il vous en souvient, vous n’avez point de foi. De combien de jeunes maris,
Eu la querelle de Paris,
J avois toujours fait compte, aimant chose si haute» Tomba la vie entre les armes^
LIVRE ÎI. STANCE S. 8
Qui fussent retournés un jour, Et livriez de si belles choses
Si la mort se payoit de larmes , A la merci de la douleur?
A Mycenes faire l’amour
Remettez-vous l’amp en repos ,
Mais le destin, qui fait nos lois, Quittez ces funestes propos ;
Est jaloux qu’on passe deux fois Et, par la fui de vos tempêtes
Au-deçà du rivage blême ; Obligeant tous les beaux esprits,
Et les Dieux ont gardé ce don Conservez au siecle où vous êtes
Si rare que Jupiter même Ce que vous lui donnez de prix.
Ne le sut faire à Sarpedon.
Amour, autrefois en vos yeux
Pourquoi donc , si peu sagement Pleiu d’appas si délicieux,
Démentant votre jugement , Devient mélancolique et sombre,
Passez-vous en cette amertume Quand il voit qu’un si long ennui
Le meilleur de votre saison , Vous fait consumer pour une ombre
Aimant mieux plaindre par coutume Ce que vous n’avez que pour lui.
Que vous consoler par raison ?
S’il vous ressouvient du pouvoir
Nature fait bien quelque effort Que ses traits vous ont fait avoir
Qu’on ne peut condamner qu’à tort : Quand vos lumières étoient calmes,
Mais que direz-vous pour défendre Permettez.-lui. de vous guérir .
Ce prodige de cruauté Et ne différez point les palmes
Par qui vous semble/, entreprendre Qu’il brûle de vous acquérir.
De ruiner votre beauté?
Le temps d’un insensible cours
Que vous ont fait ces beaux cheveux Nous porte à la fin de nos jours ;
Dignes objets de tant de vœux , C’est à notre sage conduite ,
Pour endurer votre colere , Sans murmurer de ce défaut,
Et, devenus vos enuemis , De nous consoler de sa fuite,
Recevoir l’injuste salaire En le ménageant comme il faut.
D’un crime qu’ils n’ont point commis

Quelles aimables qualités


En celui que vous regrettez
Ont pu mériter qu’à vos roses
Vous ôtiez leur vive couleur,
5.
LIVRE IL STANCES- 83
8a
Ou qu’elle eût moins senti la poussière funeste
Et les vers du cercueil ?

Non, non, mon du Perrier ; aussitôt que la Parque


STANCES. Ote l’ame du corps ,
CONSOLATION A M. DU PERKIER. L’age s’évanouit au-decà de la barque,
Et ne suit point les morts.
l599-
Tithon n’a plus les ans qui le firent cigale ;
Ta douleur, du Perrier, sera donc éternelle ? Et Pluton aujourd’hui,
Sans égard du passé, les mérites égale
Et les tristes discours
Que te met eu l’esprit l’amitié paternelle D’Archemore et de lui.
L’augmenteront toujours ?
Ne te lasse donc plus d’inutiles complaintes :
Le malheur de ta fille au tombeau descendue Mais, sage à l’avenir,
Par un commun trépas, Aime une ombre comme ombre, et des cendres é teintes
Est-ce quelque dédale où ta raison perdue Eteins le souvenir.
Ne se retrouve pas ?
C’est bien, j e le confesse, une j uste coutum e
Que le cœur affligé,
Je sais de quels appas son enfance étoit pleine,
Par le canal des yeux vuidant son amertume ,
Et n'ai pas entrepris , Cherche d’étre allégé.
Injurieux ami, de soulager ta peine
Avecque son mépris. Même quand il avient que la tombe sépare
Ce que nature a joint,
Mais elle étoit du monde, où les plus belles choses
Celui qui ne s’émeut a l’ame d’un barbare,
Ont le pire destin ;
Ou n’en a du tout point.
Et rose elle a vécu ce que vivent les roses,
L’espace d’un matin. Mais d’être inconsolable et dedans sa mémoire
Enfermer un ennui,
Puis quand ainsi seroit que, selon ta priere,
N’est-ce pas se haïr pour acquérir la gloire
Elle auroit obtenu
De bien aimer autrui?
D’avoir en cheveux blancs terminé sa carrière ,
Qu’en fût-il avenu ? Ihiam, qui vit ses fils abattus par Achille,
Penses-tu que plus vieille en la maison céleste Dénué de support
Lt hors de tout espoir du salut de sa ville,
Elle eût eu plus d’accueil,
Reçut du réconfort.
84 LIVRE II. STANCES.
François, quand la Castille, inégale à ses amies , Il est mal à propos ;
Lui vola son Dauphin , Vouloir ce que Dieu veut est la seule science
Sembla d’un si grand coup devoir jeter des larmes Qui nous met en repos.
Qui n’eussent point de fin.

Il les sécha pourtant, et, comme un autre Alcide,


Contre fortune instruit, STANCES.
Fit qu’à ses ennemis d’un acte si perfide
PROSOPOPÈE D’OSTENDE,
La honte fut le fruit.
imitée du latin de Hugues Grotius.
Leur camp, qui la Durance avoit presque tarie
De bataillons épais,
Entendant sa constance, eut peur de sa furie , 1604.
Et demanda la paix.
1 rois ans déjà passés , théâtre de la guerre,
De moi déjà deux fois d’une pareille foudre •l’exerce de deux chefs les funestes combats,
Je me suis vu perclus ; Et fais émerveiller tous les yeux de la terre
Et deux fois la raison m’a si bien fait résoudre, De voir que le malheur ne m’ose mettre bas.
Qu’il ne m’en souvient plus.
A. la merci du ciel en ces rives je reste,
Où je souffre l’hiver froid à l’extrémité;
Non qu’il ne me soit grief que la terre possédé
Ce qui me fut si cher ;
Lorsque l’été revient, il m’apporte la peste ,
Mais en un accident qui n’a point de remede Et le glaive est le moins de ma calamité.
Il n’en faut point chercher.
Tout ce dont la Fortune afflige cette vie
La Mort a des rigueurs à nulle autre pareilles : Pêle-mêle assemblé , me presse tellement,
On a beau la prier ; Quç c’est parmi les miens être digne d envie
La cruelle qu’elle est se bouche les oreilles, Que de pouvoir mourir d’une mort seulemenl.
Et nous laisse crier.
Que tardez-vous, Destins ? Ceci n’est pas matière
Qu’avecque tant de doute il faille décider ;
Le pauvre en sa cabane, où le chaume le couvre ,
Est sujet à ses lois ; Toute la question n’est que d’un cimetiere :
Et la garde qui veille aux barrières du Louvre Prononcez librement qui le doit posséder.
N’en défend point nos rois.

De murmurer contre elle et perdre patience


8G LIVRE IL STANCES. S7
Et qui, plus que l'honneur estimant les plaisirs,
Sous le masque trompeur de leurs visages blêmes ,
Acte digne du foudre 1 en nos obsèques mêmes
STANCES. Conçoivent de nouveaux désirs.

AUX OMBRES DE DAMON. Elles savent assez alléguer Artémise ,


Disputer du devoir et de la foi promise :
FRAGMENT. Mais tout ce beau langage est de si peu d’effet,
Qu’à peine en leur grand nombre une seule se treuve
1604. De qui la foi survive, et qui fasse la preuve
Que ta Carinice te fait.

Depuis que tu n’es plus, la campagne déserte


1l J - ornecomme aulrefois nous reverrait encore , A dessous deux hivers perdu sa robe verge,
Ravis île ces nensers que le vulgaire ignore Et deux fois le printemps l’a repeinte de fleurs,
Egarer à l’écart nos pas et nos discours ; Sans que d’aucun discours sa douleur se console .
Et couches sur les fleurs, comme étoiles semées, Et que ni la raison ni le temps qui s’envole
Rendre en si doux ébat les heures consumées , Puisse faire tarir ses pleurs.
Que les soleils nous seraient courts.
Le silence des nuits, l’horreur des cimetières,
Mais, ô loi rigoureuse à la race des hommes De son contentement sont les seules matières ;
G est un point arrête que tout ce que nous soniiMh Tout ce qui plaît déplaît à son triste penser ;
Issus de peres rois et de peres bergers, Et si tous ses appas sont encore en sa face,
La t’arque également sous la tombe nous serre ; C’est que l’Amour y loge, et que rien qu’elle fasse
Et les mieux établis au repos de la terre N’est capable de l’en chasser.
N’y sont qu’hôtes et passagers.

L’or t ce que la grandeur a de. vains équipages,


D'habillements de pourpre, et de suite de pages,
Quand le terme est échu n’alonge point nos jours. Mais quoi ! c’est un chef-d’œuvre où tout mérite
11 faut aller tout nus où le destin commande : abonde,
Et. .le toutes douleurs la douleur la plus grande, En miracle du ciel, une perle du monde ,
(■ est qu il faut laisser nos amours : Un esprit adorable à tous autres esprits ;
Et nous sommes ingrats d’une telle aventure,
Amours qui, la plupart infidèles et feintes, M nous ne confessons que jamais la nature
l'ont gloire de manquer a nos cendres éteintes, N’a rien fait de semblable prix.
88 LIVRE II. STANCES. 89
J'ai vu maintes beautés à la cour adorées , Rien ne peut applanir son. humeur inégale ;
Qui, des vœux des amants à l’euvi désirées, Ses flammes d’aujourd’hui seront glaces demain :
Aux plus audacieux otoient la liberté : Et s’il s’en rencontre une à qui cela n’avienne,
Mais de les approcher d’une chose si rare, Pais compte, cher esprit, qu’elle a, comme la tienne
C est vouloir que la rose au pavot se compare, Quelque chose de plus qu’humain.
Et le nuage à la clarté.

Celle a qui dans tues vers, sous le nom de Nérée ,


J’allois bâtir un temple éternel en durée , S T ANCE S.
Si sa déloyauté ne l’a voit abattu,
Lui peut bien ressembler du front, ou de la joue: PARAPHRASE DU PSAUME VIII.
Mais quoi! puisqu a ma honte il faut que je l’avoui
Elle n’a rien de sa vertu. 1604.

L ame de cette ingrate est une aine de cire , 0 Sagesse éternelle , à qui cet univers
Matière à toute forme incapable d’élire, Doit le nombre infini des miracles divers
Changeant de passion aussitôt que d’objet ; Qu’on voit également sur la terre et sur l’onde !
Et de la vouloir vaincre avecque des services, Mon Dieu, mon Créateur,
Après qu on a tout fait, on trouve que ses vices Que ta magnilicence étonne tout le monde !
Sont de l’essence du sujet. Et que le ciel est bas au prix de ta hauteur !

Souvent de tes conseils la prudence fidele Quelques blasphémateurs, oppresseurs d’innocents.


M’a voit sollicité de me séparer d’elle, A qui l’excès d’orgueil a fait perdre le sens,
Et de m assujettir a de meilleures lois : De profanes discours ta puissance rabaissent :
Mais 1 aise de la voir avoit tant de puissance Mais ta naïveté
Que cet ombrage faux m’ôtoit la connoissance Dont mêmes au berceau les enfants te confessen!
Du vrai bien où tu m’appelois. Clôt-elle pas la bouche à leur impiété ?

Enfin, après quatre ans, une juste colere De moi, toutes les fois que j’arrête les yeux
A voir les ornements dont tu pares les cieux ,
Que le flux de ma peine a trouvé son reflux: l'i me sembles si grand et nous si peu de chose,
Mes sens qu’elle aveugloit ont connu leur offense; Que mon entendement
Je les en ai purgés, et leur ai fait défense Ne peut s’imaginer quelle amour te dispose
De me la ramcntevoir plus. C nous favoriser d’un regard seulement.

La femme est une mer aux naufrages fatale; n’est foiblesse égale à nos infirmités ;
go LIVRE II. STANCES. 91
Nos plus sages discours ne sont que vanités,
Et nos sens corrompus n’ont goût qu’à des ordures
Toutefois, ô bon Dieu,
Nous tQ sommes si chers, qu’entre tes créatures,
Si 1 ange a le premier, l’homme a le second heu. STANCES
pour les paladins de France, assaillants dans un combat
Quelles marques d’honneur se peuvent ajouter de barrière.
A ce comble de gloire où tu l’as fait monter?
Et, pour obtenir mieux, quel souhait peut-il faire, i6o5.
Lui que, jusqu’au Ponent, *
Depuis où le soleil vient dessus l’hémisphere, Eh quoi donc! la France féconde
Ton absolu pouvoir a fait son lieutenant ? En incomparables guerriers
Aura jusques au bout du monde
Sitôt que le besoin excite son désir, Planté des forêts de lauriers,
Qu est-ce qu en ta largesse il ne trouve à choisir? Et fait gagner à ses armées
Et, par ton réglement, l’air, la mer, et la terre, Des batailles si renommées ,
N’entretiennent-ils pas Afin d’avoir cette .douleur
Une secrete loi de se faire la guerre D’ouïr démentir ses victoires,
A qui déplus de mets fournira ses repas? Et nier ce que les histoires
Ont publié de sa valeur ?
Certes je ne puis faire, er ce ravissement,
Que rappeler mon ame, et dire bassement : Tant de fois le Rhin et la Meuse,
O Sagesse éternelle, en merveilles féconde Par nos redoutables efforts,
Mon Dieu, mon Créateur, Auront vu leur onde écumeuse
Que ta magnificence étonne tout le monde ! Regorger de sang et de morts ;
Et que le ciel est bas au prix de ta hauteur.’ Et tant de fois nos destinées
Des Alpes et des Pyrénées
Les sommets auront fait branler,
Afin que je ne sais quels Scythes,
Bas de fortune et de mérites,
Présument de nous égaler ?

Non, non : s il est vrai que nous sommes


Issus de ces nobles aïeux
Que la voix commune des hommes
A fait asseoir entre les Dieux,
STANCES. 93
92 LIVRE IL
Donneront à votre couronne
Ces arrogants, à leur dommage, Tout ce que le ciel environne ,
Apprendront un autre langage, Quand vous le voudrez acquérir.
Et, dans leur honte ensevelis,
Feront voir à toute la terre
Qu’on est brisé comme du verre
Quand on choque les fleurs de lis.
STANCES.
Henri, l’exemple des monarques l'riere pour le roi Henri le Grand, allant en Limosin.
Les plus vaillants et les meilleurs,
Plein de mérites et de marques l6o5.
Qui jamais ne lurent ailleurs ;
Bel astre vraiment adorable,
De qui l’ascendant favorable
O Dieu, dont les bontés de nos larmes touchées
Dnt aux vaines fureurs les armes arrachées,
En tous lieux nous sert de rempart,
Et rangé l’insolence aux pieds de la raison,
Si vous aimez votre louange,
Puisqu’à rien d’imparfait ta louange n’aspire,
Desirez-vous pas qu’on la venge
Achevé ton ouvrage au bien de cet empire,
D’une injure où vous avez part ?
Et nous rends l’embonpoint comme la guérison.
Ces arrogants, qui se défient
Nous sommes sous un roi si vaillant et si sage ,
De n’avoir pas de lustre assez, Et qui si dignement a fait l’apprentissage
Impudemment se glorifient De toutes les vertus propres à commander,
Aux fables des siècles passés ; Qu’il semble que cet heur nous impose silence,
Et d’une audace ridicule Et qu’assurés par lui de toute violence
Nous content qu’ils sont fils d’IIercule Nous n’avons plus sujet de te rien demander.
Sans toutefois en faire foi :
Mais qu’importe-t-il qui puisse être Certes quiconque a vu pleuvoir dessus nos têtes
Ni leur pere ni leur ancêtre ,
Les funestes éclats des plus grandes tempêtes
Puisque vous êtes notre roi ?
Qu’exciterent jamais deux contraires partis,
Et n’en voit aujourd’hui nulle marque paroître,
Contre l’aventure funeste
En ce miracle seul il peut assez connoître
Que leur garde notre courroux
Quelle force a la main qui nous a garantis.
Si quelque espérance leur reste ,
C est d obtenir grâce de vous ,
Niais quoi.’ de quelque soin qu’incessamment il veille,
Et confesser que nos épées,
Si fortes et si bien trempées Quelque gloire qu’il ait à nulle autre pareille,
Et quelque excès d’amour qu’il porte à notre bien,
Qu’il faut leur céder ou mourir,
94 LIVRE II. STANCES,
Comme échapperong-nous en des nuits si profondes Et rendra les desseins qu’ils feront pour lui nuire
Parmi tant de rochers que lui cachent les ondes, Aussitôt confondus comme délibérés.
Si ton entendement ne gouverne le sien ?
La rigueur de ses lois, après tant de licence,
Un malheur ineonnu glisse parmi les hommes, bedonnera le cœur à la foible innocence
Qui les rend ennemis du repos où nous sommes: Que dedans la misere on faisoit envieiliir.
La plupart de leurs vœux tendent au changement; A ceux qui l’oppressoient il ôtera l’audace ;
Et comme s’ils vivoient des miseres publiques, Et, sans distinction de richesse ou de race,
Pôui’ les renouveler ils font tant de pratiques, Tous de peur de la peine auront peur de faillir.
Que qui n’a point de peur n’a point de jugement.
La terreur de son nom rendra nos villes fortes,
En ce fâcheux état ce qui nous reconforte, Ou n’en gardera plus ni les murs ni las portes,
C’est que la bonne cause est toujours la plus forte, Les veilles cesseront au sommet de nos tours ;
Et qu un bras si puissant t’ayant pour son appui, Le fer mieux employé cultivera la terre ;
Quand la rébellion , plus qu’une hydre féconde, Et le peuple qui tremble aux frayeurs de la guerre,
Auroit pour le combattre assemblé tout le monde, Si ce n’est pour danser, n’orra plus de tambours.
Tout le monde assemblé s'enfuiroit devant lui.
Loin des mœurs de son siecle il bannira les vices,
Conforme donc, Seigneur, ta grâce a nos pensées j L’oisive nonchalance et les molles délices
Ote-nous ces objets qui des choses passées Qui nous avoient portés jusqu’aux derniers hasards ;
Ramènent à nos yeux le triste souvenir ; Les vertus reviendront de palmes couronnées,
Le comme sa valeur, maitresse de l’orage, Et ses justes faveurs aux mérites données
A nous donner la paix a montré son courage, Feront ressusciter l’excellence des arts.
Fais luire sa prudence à nous l’entretenir.
La foi de ses aïeux, ton amour et ta crainte,
Il n’a point son espoir au nombre des armées, Dont il porte dans l’ame une éternelle empreinte,
Etant bien assuré que ces vaines fumées D actes de piété ne pourront l’assouvir;
IN ’ajoutent que de l’ombre à nos obscurités. Il étendra ta gloire autant que sa puissance ;
L’aide qu’il veut avoir, c’est que tu le conseilles; Et n’ayant rien si cher que ton obéissance,
Si tu le fais, Seigneur, il fera des merveilles , Dn tu le fais régner il te fera servir.
Et vaincra nos souhaits par nos prospérités.
In nous rendras alors nos douces destinées;
Les fuites des méchants tant soient-elles sécrétés, Aous ne reverrons plus ces fâcheuses années
Quand il les poursuivra, n’auront point de cachette5, Qni pour les plus heureux n’ont produit que des
Aux lieux les plus profonds ils seront éclairés : pleurs.
Il verra sans effet leur honte se produire , °ute sorte de biens comblera nos familles,
yf> LIVRE IL
STANCES. 97
La moisson (le nos champs lassera les faucilles, Que ta bonté propice ait jamais couronné !
Et les fruits passeront la promesse des fleurs.
Cependant son Dauphin d’une vitesse prompte
La fin de tant d’ennuis dont nous fûmes la proie des ans de sa jeunesse accomplira le compte;
Nous ravira les sens de merveille et de joie ; Et, suivant de l’honneur les aimables appas ,
Et d’autant que le monde est ainsi composé de faits si renommés ourdira son histoire,
Qu’une bonne fortune en craint une mauvaise, Que ceux qui dedans l’ômbre éternellement noire
Ton pouvoir absolu, pour conserver notre aise, Ignorent le soleil ne l’ignoreront pas.
Conservera celui qui nous l’aura causé.
Par sa fatale main qui vengera nos pertes
Quand un roi fainéant, la vergogne des princes, E’Espagne pleurera ses provinces désertes,
Laissant à ses flatteurs le soin de ses provinces. Ses châteaux abattus et ses camps déconfits ;
Entre les voluptés indignement s’endort, Et si de nos discords l’infâme vitupéré
Quoique l’on dissimule, on en fait peu d’estime;
pu la dérober aux victoires du pere,
Et, si la vérité se peut dire sans crime, Nous la verrons captive aux triomphes du fds.
C’est avecque plaisir qu’on survit à sa mort.

Mais ce roi, des bons rois l’éternel exemplaire,


Qui de notre salut est l’ange tutélaire,
L’infaillible refuge et l’assuré secours, STANCES
Son extrême douceur ayant domté l’envie,
aux dames, pour les demi-dieux marins conduits par
De quels jours assez longs peut-il borner sa vie,
Neptune, dans le carrousel des quatre éléments, en
Que notre affection né les juge trop courts? mars 1606.

Nous voyons les esprits nés à la tyrannie ,


Ennuyés de couver leur cruelle manie,
Tourner tous leurs conseils à notre affliction ;
O qu’une sagesse profonde
Aux aventures de ce monde
Et lisons clairement dedans leur conscience Préside souverainement !
Que , s’ils tiennent la bride à leur impatience, Et que l’audace est mal apprise
Nous n’en sommes tenus qu’à sa protection.
De ceux qui font une entreprise
Sans douter de l’évènement.'
Qu’il vive donc, Seigneur, et qu’il nous fasse vn'i‘
Que de toutes ces peurs nos âmes il délivre,
Le renom que chacun admire
Et, rendant l’univers de son heur étonné,
Du prince qui tient cet empire
Ajoute chaque jour quelque nouvelle marque
Nous avoit faits ambitieux
Au nom qu’il s’est acquis du plus rare monarque
De mériter sa bienveillance.
6
93 LIVRE IL
Et donner à notre vaillance ST AN CES. 99
Le témoignage de ses yeux.

Nos forces, par-tout reconnues,


Faisoient monter jusques aux nues
Les desseins de nos vanités ; S T ANGE S
Et voici qu’avecque des charmes
Un enfant qui n’avoitpoint d’armes pour M. le duc de Bellegarde, a une femme qui s’étoit
Nous a ravi nos libertés. imaginée qu’il étoit amoureux d’elle.

Belles merveilles de la terre , 1606.


Doux sujets de paix et de guerre ,
Pouvons-nous avecque raison P hilis , qui ine voit le teint blême,
Ne bénir pas les destinées Les sens ravis hors de moi-même,
Par qui nos âmes enchaînées Et les yeux trempés tout le jour ,
Servent en si belle prison ? Cherchant la cause de ma peine,
Se figure , tant elle est vaine,
L’aise nouveau de cette vie Qu’elle m’a donné de l’amour.
Nous ayant fait perdre l’envie
De nous en retourner chez nous, Je suis marri que la colere
Soit notre gloire ou notre houle, Me porte jusqu’à lui déplaire ;
Neptune peut bien faire compte Mais pourquoi ne m’est-il permis
De nous laisser avecque vous. De lui dire qu’elle s’abuse,
Pnisqu’à ma honte elle s’accuse
Nous savons quelle obéissance De ce qu’elle n’a point commis ?
Nous oblige notre naissance
De porter à sa royauté ; En quelle école nompareille
Mais est-il ni crime ni blâme Auroit-elle appris la merveille
Dont vous ne dispensiez une aine De si bien charmer ses appas,
Qui dépend de votre beauté ? Que je pusse la trouver belle,
Pâlir, languir, transir pour elle ,
Qu’il s’en aille à ses Néréides Et ne m’en appercevoir pas ?
Dedans ses cavernes humidas,
Et vive misérablement O qu’il me seroit désirable
Confiné parmi ses tempêtes ; Que j e ne fusse misérable
Quant à nous, étant où vous êtes, Que pour être dans sa prison !
Nous sommes en notre élément. Mon mal ne m’étonneroit gueres,
I
STANCES. toi

Et les herbes les plus vulgaires


M’en donneroient la guérison.

Mais, ô rigoureuse aventure STANCES


Un chef-d’œuvre de la nature pour la vicomtesse d’Âucby.
Au lieu du monde le plus beau
Tient ma liberté si bien close, 1608.
Que le mieux que je m’en propose
C’est d’en sortir par le tombeau. Laisse-moi , raison importune ,
Cesse d’affliger mon repos ,
Pauvre Pbilis mal avisée, En me faisant mal-à-propos
Cessez de servir de risée ,
Désespérer de ma fortune ;
Et souffrez que la vérité
Tu perds temps de me secourir,
Vous témoigne votre ignorance,
Afin que, perdant l’espérance, Puisque je ne veux point guérir.
Vous perdiez la témérité.
Si l’amour en tout son empire ,
C’est de Glycere que procèdent Au jugement des beaux esprits ,
N’a rien qui ne quit te le prix
Fous les ennuis qui me possèdent,
A celle pour qui je soupire ,
Sans remede et sans reconfort. D’où vient que tu me veux ravir
Glycere fait mes destinées ; L’aise que j’ai de la servir ?
Et, comme il lui plaît, mes années
Sont ou près ou loin de la mort. A quelles roses ne fait honte
De son teint la vive fraîcheur?
C’est bien un courage de glace Quelle neige a tant de blancheur
Où la pitié n’a point de place, Que sa gorge ne 1 a surmonte ?
Et que rien ne peut émouvoir ; Et quelle flamme luit aux cieux
Mais quelque défaut que j’y blâme
Claire et nette comme ses yeux ?
Je ne puis Voter de mon ame,
Non plus que vous y recevoir. Soit que de ses douces merveilles
Sa parole enchante les sens,
Soit que sa voix de ses accents
Frappe les cœurs par les oreilles,
A qui ne fait-elle avouer
Qu’on ne la peut assez louer ?
6.
102 LIVRE IL STANCES. io3
Tout ce que d’elle on me peut dire, Beaux yeux, à qui le ciel et mon consentement,
C’est que son trop chaste penser, Pour me combler de gloire , ont donné justement
Ingrat à me récompenser, Dessus mes volontés un empire suprême,
Se moquera de mon martyre ; Que ce coup m’est sensible ! et que tout à loisir
Supplice qui jamais ne faut Je vais bien éprouver qu’un déplaisir extrême
Aux désirs qui volent trop haut. Est toujours à la fin d’un extrême plaisir.'

Je l’accorde, il est véritable ; Quel tragique succès ne dois-je redouter


Je devois bien moins desirer : Du funeste voyage où vous m’allez ôter
Mais mon humeur est d’aspirer Pour un terme si long tant d’aimables délices,
Où la gloire est indubitable. Puisque, votre présence étant mon élément,
Les dangers me sont des appas : ■le pense être aux enfers et souffrir leurs supplices,
Un bien sans mal ne me plaît pas. Lorsque je m’en sépare une heure seulement.'

Je me rends donc sans résistance Au moins si je voyois cette fïere beauté


A la merci d’elle et du sort ; Préparant son départ cacher sa cruauté
Aussi-bien par la seule mort Dessous quelque tristesse ou feinte ou véritable ;
Se doit faire la pénitence L espoir qui volontiers accompagne l’amour,
D’avoir osé délibérer Soulageant ma langueur la rendroit supportable,
Si je la devois adorer. Et me consoleroit jusqu es à son retour.

Mais quel aveuglement me le fait desirer ?


Avec quelle raison me puis-je figurer
STANCES Que cette aine de roche une grâce m’octroie ,
Pt qu’ayant fait dessein de ruiner ma foi,
sur l’éloignement prochain de la comtesse de la Rocl)« Son humeur se dispose à vouloir que je croie
ou de la vicomtesse d’Aucliy. Qu’elle a compassion de s’éloigner de moi ?

1608. Puis étant son mérite infini comme il est,


Jt e dernier de mes jours est dessus l’horizon ; Dois-je pas me résoudre à tout ce qui lui plaît,
Quelques lois qu’elle fasse et quoi qu’il m’en aviennc
Cehe dont mes ennuis avoient leur guérison Sans faire cette injure à mon affection,
S en va porter ailleurs ses appas et ses charmes. D appeler sa douleur au secours de la mienne,
Je fais ce que je puis, l’en pensant divertir : Pt chercher mon repos en son affliction ?
Mais tout m est inutile, et semble que jnes larmes
Excitent sa rigueurà la faire partir. Non, non: qu’elle s’en aille à son contentement,
jo4 LIVRE II. STANCES. ïo5
Ou dure, ou pitoyable, il n’importe comment ; Ils auront donc ce déplaisir ,
Je n’ai point d’autre vœu que ce qu’elle souhaite : Que je meure après un désir
Et quand de mes souhaits j e n’aurois jamais rien Où la vanité me convie ;
Le sort en est jeté, l’entreprise en est faite, Et qu’ayant juré si souvent
Je ue saurois brûler d’autre feu que le sien. D’être auprès d’eux toute ma vie,
Mes serments s’en aillent au vent !
Je ne ressemble point à ces foibles esprits
Qui, bientôt délivrés comme ils sont bientôt pris Vraiment je puis bien avouer
En leur fidélité n’ont rien que du langage : Que j’aurois tort de me louer
Toute sorte d’obj ets les touche également : Par-dessus le reste des hommes ;
Quant à moi, je dispute avant que je m’engage; Je n’ai point d’autre qualité
Mais quand je l’ai promis, j’aime éternellement. Que celle du siecle où nous sommes,
La fraude et l’infidélité.

Mais à quoi tendent ces discours,


STANCES O beauté qui de mes amours
Etes le port et le naufrage ?
A MADAME LA PRINCESSE DE CONTI, Ce que je dis contre ma foi,
N’est-ce pas un vrai témoignage
pour M. le duc de Bellegarde. Que je suis déjà hors de moi?

1608. Votre esprit, de qui la beauté


Dans la plus sombre obscurité
D u re contrainte de partir, Se fait une insensible voie,
Ne vous laisse pas ignorer
A quoi j e ne puis consentir,
Et dont je ne m’ose défendre, Que c’est le comble de ma joie
Que ta rigueur a de pouvoir! Que l’honneur de vous adorer.
Et que tu me fais bien apprendre
Quel tyran c’est que le devoir ! Mais pourrois-je n’obéir pas
Au destin, de qui le compas
J’aurai donc nommé ces beaux yeux Marque à chacun son aventure,
Tant de fois mes rois et mes dieux, Puisqu’en leur propre adversité
Pour aujourd’hui n’en tenir compte, Les Dieux, tout-puissants de nature,
Et permettre qu’à l’avenir Cedent à la nécessité ?
On leur impute cette honte
De ne m’avoir su retenir ' Pour le moins j’ai ce reconfort,
STANCES. 107
I06 LIVRE II.
Qui de si dignes qualités
Que les derniers traits de la mort Tirent ur cœur à leur service,
Sont peints en mon visage blême, Que leur souhaiter plus d’appas,
Et fon»voir assez clair à tous C’est vouloir avec injustice
Que c’est m’arracher à moi-même Ce que les cieux ne peuvent pas.
Que de me séparer de vous.
L’Orient, qui de leurs aïeux
Un lâche espoir de revenir Sait les titres ambitieux,
Tâche en vain de m’entretenir : Donne à leur sang un avantage
Ce qu’il me propose m’irrite ; Qu’on ne leur peut faire quitter
Et mes vœux n’auront point de lien, Sans être issu du parentage
Si par le trépas j e n’évite Ou de vous ou de Jupiter.
La douleur de vous dire adieu.
Tout ce qu’à façonner un corps
Nature assemble de trésors
Est en elles sans artifice ;
STANCES Et la force de leurs esprits,
D’où j aillais n’approche le vice ,
de la Renommée au roi Henri le Grand, dans le balle1 Fait encore accroître leur prix.
de la reine, dansé au mois de mars 1609.
Elles souffrent bien que l’Amour
Par elles fasse chaque jour
t r, e 1 n f. de langues et de voix, Nouvelle preuve de nés charmes ;
O Roi, le miracle des rois, Mais sitôt qu’il les veut toucher,
Je viens de voir toute la terre, Il reconuoît qu’il n’a point d’armes
Et publier en ses deux bouts Qu’elles ne fassent reboucher.
Que pour la paix ni pour la guerre
Il n’est rien de pareil à vous. Loin des vaines impressions
De toutes folles passions
Par ce bruit je vous ai donné La vertu leur apprend à vivre ,
Un renom qui n’est terminé Et dans la cour leur fait des lois
Ni de fleuve ni de montagne ; Que Diane auroit peine à suivre
Et par lui j’ai fait desirer Au plus grand silence des bois.
A la troupe que j’accompagne
De vous voir et vous adorer. Une reine qui les conduit
De tant de merveilles reluit,
Ce sont douze rares beautés,
10S LIVRE II.
S T A N C E S. roq
Que le soleil, qui tout surmonte,
Quand même il est plus flamboyant,
S’il étoit sensible à la honte,
Se cacheroit en la voyant.
STANCES,
Aussi le temps a beau courir,
Pour Henri le Grand, sous le nom d’Alcandre, au sujet
Je la ferai toujours fleurir de l’absence de la princesse de Condé, sous le nom
Au rang des choses éternelles ; d’Oranthe.
Et non moins que les immortels ,
Tant que mon dos aura des ailes, 1609.
Son image aura des autels.
Donc cette merveille des cieux,
Grand Roi, faites-leur bon accueil ;
Pour ce qu’elle est chere à mes yeux,
Louez leur magnanime orgueil
En sera toujours éloignée !
Que vous seul ayez fait ployable ;
Et mon impatiente amour,
Et vous acquérez sagement,
Par tant de larmes témoignée,
Afin de me rendre croyable ,
N’obtiendra jamais son retour
La faveur de leur jugement.
Mes vœux donc ne servent de rien
Jusqu’ici vos faits glorieux Les Dieux , ennemis de mou bien ,
Peuvent avoir des envieux: Ne veulent plus que je la voie
Mais quelles âmes si farouches Et semble que les rechercher
Oseront douter de ma foi, De me permettre cette joie
Quand on verra leurs belles bouches Les invite à me l’empêcher 1
Les raconter avecque moi ?
O beauté , reine des beautés,
•Seule de qui les volontés
Président à ma destinée,
Pourquoi n’est comme la Toison
Votre conquête abandonnée
A l’effort de quelque Jason?

Quels feux , quels dragons, quels taureaux,


Quelle horreur de monstres nouveaux ,
Et quelle puissance de charmes
Garderoit que jusqu’aux enfers
7
I IO LIVRE IL STANCES. 111
Je n’allasse avecque mes armes Ainsi d’une mourante voix.
Rompre vos chaînes et vos fers? Alcandre, an silence des bois ,
Témoignoit ses vives atteintes ;
N’ai-je pas le cœur aussi haut, Et son visage sans couleur
Et pour oser tout ce qu’il faut Faisoit connoître que ses plaintes
Un aussi grand désir de gloire , Etoient moindres que sa douleur.
Que j’avois lorsque je couvri
D’exploits d’éternelle mémoire Oranthe, qui par les zéphyrs
Les plaines d’Arques et d’Ivry ? Reçut les funestes soupirs
D’une passion si fidele,
Mais quoil ces lois dont la rigueur Le cœur outré de même ennui,
Retient mes souhaits en langueur Jura que, s’il mouroit pour elle ,
Régnent avec un tel empire, Elle mourroit avecque lui.
Que, si le ciel ne les dissout ;
Pour pouvoir ce que je desire,
Ce n’est rien que de pouvoir tout.

Je ne veux point, en ;ne flattant, STANCES


Croire que le sort inconstant
pour Alcandre, sur le même sujet que les précédentes.
De ces tempêtes me délivre ;
Quelque espoir qui se puisse offrir,
Il faut que je cesse de vivre, 1609.
Si je veux cesser de souffrir. Quelque ennui donc qu’en cette absence
Arriéré donc ces vains discours, Avec une injuste licence
Qu’après.les nuits viennent les jours, Le Destin me fasse endurer,
Et le repos après l’orage. Ma peine lui semble petite
Autre sorte de reconfort Si chaque jour il ne l’irrite
Ne me satisfait le courage, D’un nouveau sujet de pleurer'.’
Que de me résoudre à la mort.
Paroles que permet la rage
C’est là que de tout mon tourment A l’innocence qu’on outrage,
Se bornera le sentiment ; C’est aujourd’hui votre saison ;
Ma foi seule, aussi pure et belle, Faites-vous ouïr en ma plainte :
Comme le sujet en est beau, Jainais l’ame n’est bien atteinte,
Sera ma compagne éternelle, Quand ôn parle avecque raison.
Et me suivra dans le tombeau.
STANCES. t 13
C’est de moi qu’il faut qu’il procédé ,
T 12 LIVRE II. Sans les importuner de rien :
O fureurs dont même les Scythes J’ai su faire la délivrance
N’useroient pas vers des mérites Du malheur de toute la France ;
Qui n’ont rien de pareil à soi ! Je la saurai faire du mien.
Madame est captive ; et son crime
C’est que je l’aime, et qu’on estime Hâtons donc ce fatal ouvrage ;
Qu’elle en fait de même de moi. Trouvons le salut au naufrage ;
Et multiplions dans les bois
Rocher où mes inquiétudes Les herbes dont les feuilles peintes
Viennent chercher les solitudes Gardent les sanglantes empreintes
Pour blasphémer contre le sort, De la fin tragique des rois.
Quoiqu’insensibles aux tempêtes,
•le suis plus rocher que vous n’êtes Pour le moins, la haine et l’envie
De le voir et n’être pas mort. Ayant leur rigueur assouvie,
Quand j’aurai clos mon dernier jour,
Assez de preuves à la guerre , Oranthe sera sans alarmes,
D’un bout à l’autre de la terre , Et mon trépas aura des larmes
Ont fait paroître ma valeur ; De quiconque aura de l’amour.
Ici je renonce à la gloire,
Et ne veux point d’antre victoire A ces mots tombant sur la place ,
Que de céder à ma douleur. Transi d’une mortelle glace,
Alcandre cessa de parler ;
Quelquefois les Dieux pitoyables La nuit assiégea ses prunelles ;
Terminent des maux incroyables : Et son ame , étendant les ailes ,
Mais, en un lieu que tant d’appas Fut toute prête à s’envoler.
Exposent à la jalousie,
Ne seroit-ce pas frénésie Que fais-tu, monarque adorable,
De ne les en soupçonner pas? Lui dit un démon favorable?
En quels termes te réduis-tu ?
Qui. ne sait combien de mortelles Veux-tu succomber à l’orage,
Les ont fait soupirer pour elles , Et laisser perdre à ton courage
Et, d’un conseil audacieux, Le nom qu’il a pour sa vertu ?
En bergers, bêtes et satyres,
Afin d’appaiser leurs martyres , N’en doute point, quoi qu’il avienne,
Les ont fait descendre des cieux? La belle Oranthe sera tienne;

Non, non; si je veux un rcmede ,


LIVRE II. STANCES. 11!)
114
C’est chose qui ne peut faillir. D’un funeste dessein ;
Le temps adoucira les choses, Je ne trouve la paix qu’à me faire la guerre ;
Et tous deux vous aurez des roses Et si l’enfer est fable au centre de la terre,
Plus que vous n’en sauriez cueillir. , Il est vrai dans mon sein.

Z%.5X--WV'WV'VVV'WV-WV'V'VV'WW'W'V'VWVWW'V»'' ’'.'* Depuis que le soleil est dessus l’hémisphcre,


Qu’il monte ou qu’il descend, il ne me voit rien faire
Que plaindre et soupirer.
STANCES. Des autres actions j’ai perdu la coutume ;
Alcandre plaint la captivité de sa maîtresse. Et ce qui s’offre à moi, s’il n’a de l’amertume
Je ne puis l’endurer.
1609.
Comme la nuit arrive, et que par le silence
Que d’épines, Amour, accompagnent tes roses ! Qui fait des bruits du j our cesser la violence
Que d’une aveugle erreur tu laisses toutes choses L’esprit est relâché,
A la merci du sort Je vois de tous côtés sur la terre et sur l’onde
Qu’en tes prospérités à bon droit on soupire ! Les pavots qu’elle seme assoupir tout le monde,
Et qu’il est mal-aisé de vivre en ton empire, Et n’en suis point touché.
Sans desirer la mort !
S’il m’avient quelquefois de clorre les paupières
Je sers, je le confesse, une jeune merveille , Aussitôt ma douleur en nouvelles maniérés
En rares qualités à nulle autre pareille, Fait de nouveaux efforts ;
Seule semblable à soi ; Et de quelque souci qu’en veillant je me ronge,
Et, sans faire le vain, mon aventure est telle, Il ne me trouble point comme le meilleur songe
Que de la même ardeur que je brûle pour elle Que je fais quand je dors.
Elle brûle pour moi.
Tantôt cette beauté , dont ma flamme est le crime
Mais parmi tout cet heur, ô dure destinée, M’apparoit à l’autel, où , comme une victime,
Que de tragiques soins, comme oiseaux de Pbinée, On la veut égorger.
Sens-j e me dévorer î Tantôt je me la vois d’un pirate ravie;
Et ce que je supporte avecque patience, Et tantôt la fortune abandonne sa vie
Ai-je quelque ennemi, s’il n’est sans conscience, A quelque autre danger.
Qui le vît sans pleurer ?
En ces extrémités la pauvrette s’écrie :
La mer a moins de vents qui ses vagues irritent, Alcandre, mon Alcandre, ôte-moi, je te prie,
Que je n’ai de pensers qui tous me sollicitent Du malheur où je suis !
11«> LIVRE II.
La fureur me saisit, je mets la main aux armes ’. STANCES. 11
Mais son destin m’arrête ; et lui donner des larmes.
C’est tout ce que je puis.

Voilà comme je vis, voilà ce que j’endure S TANCES


Pour une affection que je veux qui me dure
Au-delà du trépas. pour Alcandre, au retour d’Oranthe à Fontaiue-Bleau.
Tout ce qui me la blâme offense mon oreille ;
Et qui veut m’affliger, il faut qu’il me conseille 1609.
De ne m’affliger pas. -Revenez, mes plaisirs, ma dame est revenue;
On me dit qu’à la fin toute chose se change, Et les vœux que j’ai faits pour revoir sesbeauxyeux,
Et qu avecque le temps les beaux yeux de mon aage Rendant par mes soupirs ma douleur reconnue ,
Reviendront m’éclairer. Out eu grâce des cieux.
Mais voyant tous les jours ses chaînes se restreindre
Désolé que je suis , que ne dois-je point craindre ? Ecs voici de retour ces astres adorables
Ou que puis-je espérer? Du prend mon océan son flux et son reflux;
boucis, retirez-vous ; cherchez les misérables ;
Non, non, je veux mourir ; la raison m’y convie; Je ne vous coanois plus.
Aussi bien le sujet qui m’en donne l’envie
Ne peut être plus beau ; Peut-on voir ce miracle où le soin de nature
Et le sort, qui détruit tout ce que je consulte, A semé comme fleurs tant d’aimables appas ,
Me fait voir assez clair que jamais ce tumulte Et ne confesser point qu’il n’est pire aventure
N’aura paix qu’au tombeau. Que de ne la voir pas?

Ainsi le grand Alcandre aux campagnes de Seine Certes l’autre soleil d’une erreur vagabonde
laisoit, loin de témoins, le récit de sa peine, Court inutilement par ses douze maisons ;
Et se fondoit en pleurs. C’est elle, et non pas lui, qui fait sentir au monde
Le fleuve en fut ému, ses Nymphes se cachèrent, Le change des saisons.
Et l’herbe du rivage où ses larmes touchèrent
Perdit toutes ses fleurs. Avecque sa beauté toutes beautés arrivent ;
Ces déserts sont jardins de l’un à l’autre bout ;
1 ant l’extrême pouvoir des grâces qui la suivent
Les pénétré par-tout.'

' ( s bois eu ont repris leur verdure nouvelle ;


' orage en est cessé , l’air en est éclairci ;
ïl8 LIVRE IL STANCES. IlfJ
•le pese mes discours, je me trouble et m’étonne,
Et même ces canaux ont leur course plus belle ,
Tant j’ai peu d’assurance à la foi de personne :
Depuis qu’elle est ici.
Mais à vous je suis libre, et n’ai rien de secret.
De moi, que les respects obligent au silence ,
Vous lisez bien eu mon visage
J’ai beau me contrefaire et beau dissimuler ;
Ce que je souffre en ce voyage
Les douceurs où je nage ont une violence
Dont le' ciel m’a voulu punir ;
Qui ne se peut celer. Et savez bien aussi que je ne vous demande,
Etant loin de ma dame, une grâce plus grande
Mais, ô rigueur du sort.’ tandis que je m’arrête
Que d’aimer sa mémoire et m’en entretenir.
A chatouiller mon ame en ce contentement,
Je ne m’apperçois pas que le destin m’apprête
Dites-moi donc sans artifice,
Un autre partement.
Quand je lui vouai mon service,
Arriéré ces pensers que la crainte m’envoie ; Faillis-je en mon élection ?
N est-ce pas un objet digne d’avoir un temple ,
Je ne sais que trop bien l’inconstance du sort :
Et dont les qualités n’ont jamais eu d’exemple ,
Mais de m’ôter le goût d’une si chere joie,
Comme il n’en fut jamais de mon affection?
C’est me donner la mort.
Au retour des saisons nouvelles,
Choisissez les fleurs les plus belles
De qui la campagne se peint;
STANCES En trouverez-vous une où le soin de nature
Ait avecque tant d’art employé sa peinture ,
composées en Bourgogne. Qu’elle soit comparable aux roses de son teint?
1609. Peut-on assez vanter l’ivoire
De son front, où sont en leur gloire
0 onirniCEs de ma servitude,
La douceur et la majesté :
Pensers, où mon inquiétude Ses yeux, moins à des yeux qu’à des soleils semblables ;
Trouve son repos désiré, Et de ses beaux cheveux les nœuds inviolables,
Mes iideles amis et mes vrais secrétaires, où n’échappa jamais rien qu’elle ait arrêté?
Ne m’abandonnez point en ces lieux solitaires;
C’est pour l’amour de vous que j’y suis retiré.
Ajoutez à tous ces miracles
Sa bouche de qui les oracles
Par-tout ailleurs j e suis en crainte ;
Ont toujours de nouveaux trésors;
Ma langue demeure contrainte;
tenez garde à ses mœurs , considérez-la toute :
Si je parle, c’est à regret ;
STANCES. 12 I
i2O LIVRE 11,
Peut-être qu’à cette meme heure
Ne mavoûrez-vous pas que vous êtes en doute Que je languis, soupire et pleure,
Ce qu’elle a plus parfait, ou l’esprit, ou le corps? De tristesse me consumant,
Elle, qui n’a souci de moi ni de mes larmes,
Mon roi, par son rare mérite, Etale ses beautés, fait montre de ses chai mes,
A fait que la terre est petite Et met en ses filets quelque nouvel amant.
Pour un nom si grand que le sien ;
Mais si mes longs travaux faisoient cette conquête Tout beau, pensers mélancoliques,
Quelques fameux lauriers qui lui couvrent la tete, Auteurs d’aventures tragiques,
Il n’en auroit pas un qui fût égal au mien. De quoi m’osez-vous discourir ?
Impudents boute-feux de noise et de querelle,
Aussi quoique l’on me propose Ne savez-vous pas bien que je brûle pour elle ,
Que l’espérance m’en est close, Et que me la blâmer c’est me faire mourir ?
Et qü’on n’en peut rien obtenir;
Puisqu’à si beau dessein mon désir me convie , Dites-moi qu’elle est sans reproche-,
Sou extrême rigueur me coûtera la vie, Que sa constance est une roche,
Ou mon extrême foi m’y fera parvenir. Que rien n’est égal à sa foi.
Prêchez-moi ses vertus, contez-m’en dos merveilles,
Si les tigres les plus sauvages C’est le seul entretien qui plaît à mes oreilles :
Enfin apprivoisent leurs rages, Mais pour en dire mal n’approchez point de moi.
Flattés par un doux traitement;
Par la même raison pourquoi n’est-il croyable
Qu’à la fin mes ennuis la rendront pitoyable,
Pourvu que je la serve à son contentement?
STANCES
Toute ma peur est que l’absence
Ne lui donne quelque licence AU ROI HENRI LE GRAND,
De tourner ailleurs ses appas ;
Et qu’étant, comme elle est, d’un sexe variable, pour de petites Nymphes, menant l’Amour prisonnier.
Ma foi, qu’en me voyant elle avoit agréable,
Ne lui soit contemptible en ne me voyant pas. 1610.

Amour a cela de Neptune, À. la fin tant d’amants, dont les âmes blessées
Que toujours à quelque infortune Languissent nuit et jour,
Il se faut tenir préparé ; Verront sur leur auteur leurs peines renversées,
Scs infidèles îlots ne sont point sans orages , Et seront consolés aux dépens de l’Amour :
Aux jours les plus sereins on y fait des naufrage*»
même dans le port on est mal assuré.
122 livre il STANCES. 12 3
Ce public ennemi, cette peste du monde , L’ombre de vos lauriers admirés de 1 envie
Que l’erreur des humains Fait l’Europe trembler ;
Fait le maître absolu de la terre et de Fonde, Attachez bien ce monstre , ou le privez de vie ,
Se trouve à la merci de nos petites mains. Vous n’aurez jamais rien qui vous puisse troublei.

Nous le vous amenons dépouillé de ses armes ,


O roi, l’astre des rois ;
S.“?“®? V°tre bonté’ moquez-vous de ses larmes, STANCES
lui faites sentir la rigueur de vos lois.
sur la mort de Henri le Grand, au nom du duc de
Commandez que sans grâce on lui fasse justice ; Bellegarde.
11 sera mal-aisé
Que sa vaine éloquence ait assez d’artifice 1610.
I our démentir les faits dont il est accusé.
Ei n fin l’ire du ciel et sa fatale envie,
Jamais ses passions, par qui chacun soupire Dont j’avois repousse tant d injustes elforts,
Ne nous ont fait d’ennui : ’ Ont détruit ma fortune, et, sans m’ôter la vie,
Mais c’est un bruit commun que dans tout votre M’ont mis entre les morts.
empire
II n’est point de malheur qui ne vienne de lui. Henri, ce grand Henri, que les soins de nature
Avoient fait un miracle aux yeux de l’univers,
Mars, qui met sa louange à déserter la terre, Comme un homme vulgaire est dans la sépulture
Par des meurtres épais, A la merci des vers.
W a rien de si tragique aux fureurs de la guerre
Comme ce déloyal aux douceurs de la paix. Belle ame, beau patron des célestes ouvrages,
Qui fus de mon espoir l'infaillible recours,
Mais, sans qu’il soit besoin d’en parler davantage, Quelle nuit fut pareille aux funestes ombrages
V otre seule valeur, Où tu laisses mes j ours ?
Qui de son impudence a ressenti l'outrage
v ous fournit-elle pas une juste douleur? ’ C’est bien à tout le monde une commune plaie,
Et le malheur que j’ai chacun l’estime sien :
Ne mêlez rien de lâche à vos hautes pensées ; Mais en quel autre cœur est la douleur si vraie
„ ... , Par quelques appas Comme elle est dans le mien ?
Qr ,1 d™de merci de »es fautes pls»fe.
Imitez son exemple a ne pardonner pas. Ta fidele compagne, aspirant à la gloire
Que son affliction ne se puisse imiter,
S TAN CES. 12 5
I24 LIVRE H. Après cet essai fait, s’il demeure inutile,
Seule de eet ennui nie débat la victoire , Je ne connois plus rien qui la puisse toucher ;
Et me la fait quitter. , Et sans doute la France aura comme Sipyle
Quelque fameux rocher.
E image de ses pleurs, dont la source féconde
■^amais depuis ta mort ses vaisseaux n’a taris, Pour moi, dont la foiblesse à l’orage succombe,
C est la Seine en fureur qui déborde son onde Quand mon heur abattu pourroit se redresser ,
Sur les quais de Paris. J ai mis avecque toi mes desseins en la tombe ;
Je les y veux laisser.
Nulle heure de beau temps ses orages n’essuie,
Et sa grâce divine endure en ce tourment Quoi que pour m’obliger fasse la destinée ,
Ce qu’endure une fleur que la bise ou la pluie Et quelque heureux succès qui me puisse arriver,
Bat excessivement. Je n’attends mon repos qu’en l’heureuse journée
Où je t’irai trouver.
Quiconque approche d’elle a part à son martyre,
Et par contagion prend sa triste couleur • Ainsi, de cette cour l’honneur et la merveille,
Car, pour la consoler, que lui saur oit-on’dire Alcippe soupiroit, prêt à s’évanouir.
En si juste douleur? On l’auroit consolé ; mais il ferma l’oreille ,
De peur de rien ouir.
Reviens la voir, grande ame : Ôte-Iui cette nue
Dont la sombre épaisseur aveugle sa raison ;
-t lais du meme lieu d’où sa peine est venue
Venir sa guérison. STANCES
Bien que tout reconfort lui soit une amertume A LA REINE MARIE DE MÉDICIS,
Avec quelque douceur qu’il lui soit présente,
Elle prendra le tien, et, selon sa coutume, pendant sa régence.
Suivra ta volonté.
1611.
Quelque soir en sa chambre apparois devant elle,
le sang a la bouche et le visage blanc, Objet divin des âmes et des yeux,
Comme tu demeuras sous l’atteinte mortelle Reine, le chef-d’œuvre des cieux,
Qui te perça le flanc: Quels doctes vers me feront avouer
Digne de te louer?
livnip ? ÎCl fUS ’ quan(i aux monts de Savoie
Hymen en robe d’or te la vint amener; Les monts fameux des vierges que je sers
u tel qu a Samt.Denys, entre nos cris de joie,
-1 U la fia couronner.
12Ô livre II. STAN CES. 127

Ont-ils des fleurs en leurs déserts, Le soin du ciel te gardant aussi-bien


Qui, s’efforçant d’embellir ta couleur, Que nous garde le tien !
Ne ternissent la leur?
Puisses-tu voir sous le bras de ton fils
Le Thermodon a vu seoir autrefois Trébucher les murs de Memphis,
Des reines au trône des rois : Et de Marseille au rivage de Tyr
Mais que vit-il par qui soit débattu Son empire aboutir !
Le prix à ta vertu ?
Les vœux sont grands : mais avecque laison
Certes nos lis, quoique bien cultivés, Que ne peut l’ardente oraison!
Ne s’etoient jamais élevés Et, sans flatter, ne sers-tu pas les Dieux
Au point heureux ou les destins amis Assez pour avoir mieux ?
Sous ta main les ont mis.

A leur odeur 1 Anglois se relâchant


Notre amitié va recherchant ; STANCES
Et l’Espagnol, prodige merveilleux
Cesse d’étre orgueilleux. chantées parles Sibylles, le premier jour des fêtes du
camp de la Place royale, données les 5, 6 et 7 avril
De tous cotés nous regorgeons de biens ; 1612, pour la publication des mariages arrêtes du roi
Louis XIII avec l’infante d’Espagne Anne d’Autriche ;
Et qui voit l’aise où tu nous tiens
et de madame Elisabeth, sœur de ce roi, avec le prince,
De ce vieux siecle aux fables récité
depuis roi d’Espagne, Philippe IV.
Voit la félicité.
l6l2.
Quelque discord murmurant bassement
Nous fit peur au commencement:
Mais sans effet presque il s’évanouit li SIBYLLE PERSIQUE.

Plutôt qu’on ne l’ouit.


Pour la reine.
Tu menaças l’orage paroissant, Que Bellcne et Mars se détachent,
Et, tout soudain obéissant,
Il disparut comme flots courroucés Et de leurs cavernes arrachent
Que Neptune a tancés. Tous les vents des séditions ;
La France est hors de leur furie,
Que puisses-tu, grand soleil de nos jours, Tant qu’elle aura pour alcyons
Taire sans lin le meme cours, L’heur et la vertu de Marie.
is3 LIVRE II.
LA SIBYLLE L IB Y QUE. STANCES. I2(J
Pour la reine. La Discorde ici n’est mêlée,
Cesse, Pô, d’abuser le monde : Et Tbétis n’y soupire point
Il est temps d’ôter à ton onde Pour avoir épousé Pélée.
Sa fabuleuse royauté.
LA SIBYLLE SAMIENNE.
L’Arne, sans en faire autres preuves,
Ayant produit cette beauté, Au roi.
S’est acquis l’empire des fleuves. Roi que tout bonheur accompagne,
Vois partir du côte d’Espagne
LA SIBYLLE DELPHIQUE.
Un Soleil qui te vient chercher.
Sur le double mariao-c. O vraiment divine aventure,
U
Que ton respect fasse marcher
La France à l’Espagne s’allie ;
Leur discorde est ensevelie , Les astres contre leur nature.'
Et tous leurs orages finis.
LA SIBYLLE CUOTANE.
Armes du reste de la terre ,
Contre ces deux peuples unis Au roi.
Qu’êtes-vous que paille et que verre?
O que l’heur de tes destinées
Poussera tes jeunes années
LA SIBYLLE C U M É E.
A de magnanimes soucis !
Sur le meme sujet. Et combien te verront répandre
De sang des peuples circoncis
Arriéré ces plaintes communes Les flots qui noyèrent Léandre.'
Que les plus durables fortunes
Passent du jour au lendemain ; LA SIBYLLE H E LL F. S T O N T IQ U E.
Les nœuds de ces grands hyménées
Sont ils pas de la propre main Au roi.
De ceux qui font les destinées ?
Soit que le Danube t’arrête.
Soit que l’Euphrate à sa conquête
LA SIBYLLE ERYTHRÉE.
Te fasse tourner ton désir ;
Sur le meme sujet. Trouveras-tu quelque puissance
laisez-vous, funestes langages, A qui tu ne fasses choisir
Qui jamais ne faites présages Du la mort, ou l’obéissance?
Où quelque, malheur ne soit joint ;
i3o LIVRE IL STANCES. i3i

LA SIBYLLE PHRYGIENNE. A ce coup s’en vont les Destins


Entre les j eux et les festins
A la reine. Nous faire couler nos années,
Courage, Reine sans pareille, Et commencer une saison
L’esprit sacré qui te conseille Où nulles funestes journées
Est, ferme en ce qu’il a promis. Ne verront jamais 1 horizon.
Achevé, et que rien ne t’arrête;
Le ciel tient pour ses ennemis Ce n’est plus comme auparavant,
Les ennemis de cette fête. Que, si l’Aurore en se levant
D’aventure nous voyoit rire,
LA SIBYLLE TIBURTINE.
On se pouvoit bien assurer,
Tant la Fortune avoit d’empire ,
A la reine. Que le soir nous verroit pleurer.
Sous ta bonté s’en va renaître
Le siecle où Saturne fut maître ; De toutes parts sont éclaircis
Thémis les vices détruira ; Les nuages de nos soucis ;
L’Honneur ouvrira son école ; La sûreté chasse les craintes ;
Et dans Seine et Marne luira Et la Discorde, sans flambeau,
Même sahlon que dans Pactole. Laisse mettre avecque nos plaintes
Tous nos soupçons dans le tombeau.

O qu’il nous eût coûte de morts,


O que la France eut fait d efforts,
STANCES Avant que d’avoir par les armes
chantées à la suite des précédentes par une Sibylle,
Tant de provinces qu’en un jour,
nom de tous les François. Belle Reine , avecque vos charmes
Vous nous acquérez par amour!
l6l2.
Qui pouvoit, sinon vos bontés ,
D o n c après un si long séjour, Faire à des peuples indomtés
Laisser leurs haines obstinées,
Fleurs de lis, voici le retour
De vos aventures prospères 3 Pour jurer solemnellement,
Et vous allez être à nos yeux En la main de deux Hymenees,
Fraîches comme aux yeux de nos peres. D’être amis éternellement?
Lorsque vous tombâtes des cieux.
Fleur des beautés et des vertus,
LIVRE II. STANCES. i33
t 32
Après nos malheurs abattus
D’une si parfaite victoire,-
Quel marbre à la postérité
Fera paroître votre gloire FRAGMENT
Au lustre qu’elle a mérité ? au sujet de la guerre des princes.
Non, non, malgré les envieux,
1614.
La raison veut qu’entre les Dieux
Votre image soit adorée ;
Et qu’aidant comme eux aux mortels,
Lorsque vous serez implorée, ^lez à la malbeure, allez, âmes tragiques,
Comme eux vous ayez des autels. Qui fondez votre gloire aux miseres publiques.
Et dont l’orgueil ne connoît point de lois ;
Nos fastes sont pleins de lauriers
es fléau« de la France et les pestes du monde.
De toute sorte de guerriers :
Mais, hors de toute flatterie, Sffiais pas un de vous ne reverra mon onde;
begardez-la pour la derniere fois.
Furent-ils jamais embellis
Des miracles que fait Marie
Pour le salut des fleurs de lis ?
STANCE S.
PARAPHRASE DU PSAUME CXXVIII,
COUPLET
nom du roi Louis XIII, à l’occasion de la première
chanté par toutes les Sibylles, à la suite des deux pièces guerre des princes.
précédentes.
1614.
1612.
A ce coup la France est guérie :
L Ks funestes complots des âmes forcenées
xUi pensoient triompher de mes j eunes années
Peuples, fatalement sauvés,
j 111 d’un commua assaut mon repos offensé.
Payez les vœux que vous devez
'tllr rage a mis au jour ce qu’elle avoit de pire,
A la sagesse de Marie.
Certes, je le puis dire :
Ma
' Ie puis dire aussi qu’ils n’ont rien avancé.
8
ï34 L IVRE IL STANCES. i35
J’étois dans leurs filets, c’étoit fait de ma vie ;
Leur funeste rigueur, qui 1 avoit poursuivie ,
Méprisoit le conseil de revenir a soi;
Et le contre aiguisé s’imprime sur la terre FRAGMENT
Moins avant que leur guerre
N’espéroit imprimer ses outrages sur moi. au sujet de la même guerre.

Dieu, qui de ceux qu’il aime est la garde éternelle. 1614.


Me témoignant contre eux sa bonté paternelle,
A selon mes souhaits termine mes douleurs.
Il a rompu leur piege ; et de quelque artifice 0 toi qui d’un clin d’œil sur la terre et sur l’onde
Qu’ait usé leur malice, Fais trembler tout le monde,
Ses mains, qui peuvent tout, m’ont dégagé des leurs J|(:u, qui toujours es bon et toujours l’as été,
^erras-tu concerter à ces âmes tragiques
La gloire des méchants est pareille à cette herbe Leurs funestes pratiques ?
Qui, sans porter j amais ni javelle ni gerbe, Ne tonneras-tu point sur leur impiété ?
Croît sur le toit pourri d’une vieille maison.
On la voit seche et morte aussitôt qu’elle est nee; vois en quel état est aujourd’hui la France,
Et vivre une journée Hors d’humaine espérance.
Est réputé pour elle une longue saison. fes peuples les plus fiers du couchant et du nord
'lu sont alliés d’elle , ou recherchent de l’être ;
Rien est-il mal-aisé que l’injuste licence Et ceux qu’elle a fait naître
Qu’ils prennent chaque jour d’affliger 1 innocence Tournent tous leurs conseils pour lui donner la mort !
En quelqu’un de leurs vœux ne puisse prospérer
Mais tout incontinent leur bonheur se retire,
Et leur honte fait rire
Ceux que leur insolence avoit fait soupirer. FRAGMENT
sur le même sujet.

1614.

^mes pleines de vent, que la rage a blessées ,


°ünoissez votre faute, et bornez vos pensées
i36 LIVRE II.
STANCES. î3
En un j nste compas ; Sont-ce pas des effets que même en Arcadie
Attachez votre espoir a de moindres conquêtes . Quoi que la Grèce die,
Rriare avoit cent mains, Typhon avoit cent tetes, Les plus fameux pasteurs n’ont jamais égalés ?
Et ce que vous tentez leur coûta le trépas.
Voyez des bords de Loire et des bords de Garonne
Soucis , retirez-vous ; faites place à la joie, Jusques à ce rivage où Thétis se couronne
Misérable douleur dont nous sommes la proie ; De bouquets d’orangers,
Nos vœux sont exaucés. A qui ne donnez-vous une heureuse bonace ,
Les vertus de la reine et les bontés célestes Loin de toute menace
Ont fait évanouir ces orages funestes, Et de maux intestins et de maux étrangers ?
Et dissipé les vents qui nous ont menacés.
Où ne voit-on la paix, comme un roc affermie,
faire à nos Géryons détester l’infamie
De leurs actes sanglants ;
STANCES. Et la belle Cérès, en javelles féconde,
Récit d’un berger au ballet du Triomphe de Pallas -J Oter à tout le monde
La peur de retourner à l’usage des glands ?
madame Elisabeth , princesse d’Espagne, represe
Pallas. Ce ballet fut exécuté le 19 mars i6i5, ü Aussi dans nos maisons, en nos places publiques ,
grande salle de Bourbon, lorsque Louis XIII et la Ce ne sont que festins, ce ne sont que musiques
sa merese disposoient à partir pour aller condmr
De peuples réjouis ;
princesse et recevoir en même temps 1 mlante Et, que l’astre du jour ou se leve ou se couche
d’Autriche que le roi devoit épouser.
Nous n’avons en la bouche
Que le nom de Marie et le nom de Louis.
x6i5.
Certes une douleur quelques âmes afflige
Houlett e de Louis , houlette de Marie, Qu un fleuron de nos lis séparé de sa tige
Dont le fatal appui met notre bergerie Soit prêt à nous quitter :
Hors du pouvoir des loups, J lais quoi qu’on nous augure et qu’on nous fasse
Vous placer dans les cienx en la même contrée craindre,
Des balances d’Astrée, ? Elise est-elle à plaindre
Est-ce un prix de vertu qui soit digne de vous un bien que tous nos vœux lui doivent souïatèïs?
Vos pénibles travaux sans quinos pâturages, f^em*'^eu flui pour elle soupire
Battus depuis cinq ans de grêles et d’orages. •1 fin du couchant termine son emp ' '
S’en aboient désolés. En la source du jour;
STANCES. i3q
l38 livre II. Et les perles sans nombre
Elle va dans ses bras prendre part à sa gloire : Germeront dans la Seine au milieu des graviers.
Quelle malice noire
Peut sans aveuglement condamner leur amour. Dieux, qui de vos arrêts formez nos destinées,
Donnez un dernier terme a ces grands hyménées,
Il est vrai qu’elle est sage, il est vrai qu’elle est belle ; C’est trop les différer ;
Et notre affection pour autre que pour elle L’Europe les demande , accordez sa requete.
Ne peut mieux s’employer : Qui verra cette fête
Aussi la nommons-nous la Pallas de cet âge. Pour mourir satisfait n’aura que desirer.
Mais que ne dit le Tage ,
De celle qu’en sa place il nous doit envoyei.

Esprits mal-avisés, qui blâmez un échange STANCES


Où se prend et se baille un ange pour un ange,
Jugez plus sainement. sur le mariage du roi Louis XIII avec Anne d’Autriche,
Notre grande bergere a Pan qui la conseille; infante d’Espagne.
Seroit-ce pas merveille
Qu’un dessein quelle eût fait n’eût bon évènemen ■ 16 x 5.
C’est en rassemblement de ces couples celestes Morse , entre les devins l’Apollon de cet âge,
Que, si nos maux passés ont laissé quelques restes, Avoit toujours fait espérer
Ils vont du tout finir. Qu’un soleil qui naîtroit sur les rives du Tage
Mopse qui nous l’assure a le don de prédire ; En la terre du lis nous viendroit éclairer.
Et les chênes d’Epire
Savent moins qu’il ne sait les choses a venir • Cette prédiction sembloit une aventure
Contre le sens et le discours ,
Un siecîe renaîtra, comblé d’heur et de joie, N’étant pas convenable aux réglés de nature
Où le nombre des ans sera la seule voie Qu’un soleil se levât où se couchent les jours.
D’arriver au trépas.
Tous venins y mourront comme au temps de nos pe ' Anne, qui de Madrid fut l’unique miracle,
Et même les viperes Maintenant l’aise de nos yeux,
Y piqueront sans nuire, ou n’y piqueront pas. Au sein de notre Mars satisfait à l’oracle,
Et dégage envers nous la promesse des cieux.
La terre en tous endroits produira toutes choses,,
Tous métaux seront or, toutes fleurs seront rose- bien est-elle un soleil ; et ses yeux adorables,
Tous arbres oliviers

; "I k,.ej
llf JJ* Déjà vus de tout l’horizon,
L’an n’aura plus d’hiver, le jour n’aura plus
STANCES. 14 i
i4o LIVRE IL
Font croire que nos maux seront maux incurables
Si d’un si beau remede ils n’ont leur guérison.

Quoi que l’esprit y cherche, il n’y voitquedes chaînes STANCES


Qui le captivent à ses lois. pour M. le duc de Bellegarde, sur la guérison
Certes, c’est à l’Espagne à produire des reines, de Clirysante.
Comme c’est à la France à produire des rois.
x6i6.
Heureux couple d’amants, notre grande Marie
A. pour vous combattu le sort ; Les destins sont vaincus, et le flux de mes larmes
Elle a forcé les vents, et domté leur furie : De leur main insolente a fait tomber les armes ;
C’est à vous à goûter les délices du port. Amour en ce combat a reconnu ma foi :
Lauriers, couronnez-moi.
Goûtez-les, beaux esprits, et donnez connoissance.
En l’excès de votre plaisir, Quel penser agréable a soulagé mes plaintes,
Qu’à des cœurs bien touchés tarder la jouissance, Quelle heure de repos a diverti mes craintes ,
C’est infailliblement leur croître le désir. Tant que du cher objet en mon ame adoré
Le péril a duré ?
Les fleurs de votre amour, dignes de leur racine,
Montrent un grand commencement: J’ai toujours vu ma dame avoir toutes les marques
Mais il faut passer outre, et des fruits de Lucine De n’ètre point sujette à l’outrage des Parques :
l'aire avoir à nos vœux leur accomplissement. Mais quel espoir de bien, en l'excès de ma peur,
N’estimois-je trompeur ?
Réservez le repos à ces vieilles années
Par qui le sang est refroidi. Aujourd’hui c’en est fait, elle est toute guérie;
iout le plaisir des jours est en leurs matinées : Et les soleils d’avril, peignant une prairie,
La nuit est déjà proche à qui passe, midi. Eu leurs tapis de fleurs n’ont jamais égalé
Son teint renouvelé.

Je ne la vis jamais si fraîche ni si belle ;


Jamais de si bon cœur j e ne brûlai pour elle ;
Et ne pensai jamais avoir tant de raison
De bénir ma prison.

Dieux, dont la providence et les mains souveraines, .


STANCES. 143
l42 LIVRE II.
Et dont l’orgueil ne connoît point de lois.
Terminant sa langueur, ont mis fin à mes peines , En quelque haut dessein que ton esprit s’égare,
Vous saurois-je payer avec assez d’encens Les j ours sont à leur fin, ta chute se prépare :
L’aise que j e ressens ? Regarde-moi pour la derniere fois.
Après une faveur si visible et si grande, C’est assez que cinq ans ton audace effrontée,
Je n’ai plus à vous faire aucune autre demande ; Sur des ailes de cire aux étoiles montée,
Vous m’avez tout donné, redonnant à mes yeux Princes et rois ait osé défier:
Ce chef-d’œuvre des cieux. ha fortune t’appelle au rang de ses victimes ;
Et le ciel, accusé de supporter tes criinès,
Certes, vous êtes bons ; et combien que nos crimes Est résolu de se justifier.
Vous donnent quelquefois des courroux légitimes,
Quand des cœurs bien touchés vous demandent
secours,
Ils l’obtiennent toujours.
STANCES
Continuez, grands dieux ; et ne faites pas dire, pour le comte de Charni, qui recherchoit en mariage
Ou que rien ici-bas ne connoît votre empire, mademoiselle de Castille, qu’il épousa en 169.0.
Ou qu’aux occasions les plus dignes de soins
Vous en avez le moins. 1619.

Donnez-nous tous les ans des moissons redoublées, Ex fin ma patience et les soins que j'ai pris
Soient touj ours de nectar nos rivières comblées ; Ont, selon mes souhaits, adouci les esprits
Si Chrysante ne vit et ne se porte bien, Dont l’iüjuste rigueur si long-temps m’a fait plaindre.
Nous ne vous devons rien. Cessons de soupirer:
Grâces à mon destin , je n’ai plus rien â craindre,
Et puis tout espérer.
STANCE S. Soit qu’étant le soleil dont je suis enflammé
Fragment d’une prophétie du dieu de la Seine contre Ee plus aimable objet qui jamais fut aimé,
le maréchal d’Ancre. On ne m’ait pu nier qu’il ne fût adorable ,
Soit que d’un oppressé
1617. he droit bien reconnu soit toujours favorable,
Les Dieux m’ont exaucé.
Va-t’en à la malheure, excrément de la terre , Na'guere qne j’oyois la tempête souffler
Monstre qui dans la paix fais les maux de la guerre,
STANCES. i45
fU LIVRE II. Mais pour ce que sa gloire en merveilles abonde ,
Que je voyois la vague en montagne s’enfler, Et que tant de beautés qui reluisent au monde
Et Neptune à mes cris faire la sourde oreille, Sont des ouvrages de ses mains.
A-peu-près englouti,
Eussé-je osé prétendre à l’heureuse merveille Sa providence libérale
D’en être garanti ? Est une source générale
Toujours prête à nous arroser.
Contre mon jugement les orages cessés L’aurore et l’occident s’abreuvent en sa course ;
Ont des calmes si doux en leur place laissés, y puise en Afrique, on y puise sous l’Ourse ;
Qu’aujourd’hui ma fortune a l’empire de l’onde; Et rien ne la peut épuiser.
Et j e vois sur le bord
Un ange , dont la grâce est la gloire du monde, N’est-ce pas lui qui fait aux ondes
Qui m’assure du port. Germer les semences fécondes
D’un nombre infini de poissons ;
Certes, c’est lâchement qu’un tas de médisants , . Qui peuple de troupeaux les bois et les montagnes,
Imputant à l’amour qu’il abuse nos ans , fienne aux prés la verdure, et couvre les campagnes
De frivoles soupçons nos courages étonnent ; De vendanges et de moissons ?
Tous ceux à qui déplaît
L’agréable tourment que ses flammes nous donnent Il est bien dur à sa justice
Ne savent ce qu’il est. De voir l’impudente malice
Dont nous l’offensons chaque jour :
S’il a de l’amertume à son commencement, Mais , comme notre pere, il excuse nos crimes ;
Pourvu qu’à mon exemple on souffre doucement, Et même ses courroux, tant soient-ils légitimes,
Et qu’aux appas du change une ame ne s’envole, Sont des marques de son amour.
On se peut assurer
Qu’il est maître équitable, et qu’enfin il console Nos affections passagères,
Ceux qu’il a fait pleurer. Tenant de nos humeurs légères,
Se font vieilles en un moment ;
quelque nouveau désir comme un vent les emporte :
u sienne, toujours ferme et toujours d’une sorte
STANCES SPIRITUELLES. Se conserve éternellement.
1619.
I J o u e 7. Dieu par toute la terre,
Non pour la crainte du tonnerre
Dont il menace les humains,
9
146 LIVRE II. STANCES. ,
Ne I ' S CS’: nett°yé de vices
Ul ait point de vœux qui ne soient exaucés.

STANCES Neptune en la fureur des flots,


Invoqué par les matelots,
A M. LE PREMIER PRESIDENT DE VERDUN, ¿t ^emet l’espoir en leurs courages ;
Ce pouvoir si grand dont il est renommé
pour le consoler de la mort de sa première femme. N est connu que par les naufrages
°nt il a garanti ceux qui l’ont réclamé.
1621 OU 1622.
Tluton est seul entre les Dieux
S A.CR É ministre de Thémis, Dénué d’oreilles et d’yeux
Verdun, en qui le ciel a mi3 Il A quiconque le sollicite :
Une sagesse non commune, leT°re sa proie aussitôt qu’il la prend •
Sera-ce pour jamais que ton. cœur abattu r Et , quoi qu’on lise d’Hippolyte,
Laissera sous une infortune, “ T1 une fois il tient, jamais il ne le rend.
Au mépris de ta gloire, accabler ta vertu ?
S’il étoit vrai que la pitié
Toi de qui les avis prudents De voir un excès d’amitié
En toute sorte d’accidents I . Lui fit faire ce qu’on desire,
Sont loués même de l’envie, <Ul Revoit le fléchir avec plus de couleur
Perdras-tu la raison jusqu’à te figurer j . Que ce fameux j oueur de lyre
Que les morts reviennent en vie, ttl jusqu’aux enfers lui montrer sa douleur?
Et qu’on leur rende l’ame à force de pleurer?
Cependant il eut beau chanter,
Tel qu’au soir on voit le soleil beau crier, presser et flatter,
Se jeter aux bras du sommeil, t] s en revint sans Eurydice;
Tel au matin il sort de l’onde. a Vaine faveur dont il fut obligé
Les affaires de l’homme ont un autre destin: Vu’ ' Ut une s‘ n°ire malice,
Après qu’il est parti du monde, 1 Un absolu refus l’auroit moins affligé.
La nuit qui lui survient n’a jamais de matin.
^lais quand tu pourrois obtenir
Jupiter, ami des mortels, \<te la mort laissât revenir
Ne rej ette de ses autels P v0u 1 C^e d°nt tu pleures l’absence,
Ni requêtes ni sacrifices: o°',S"tG remettre en un siecle effronté
H reçoit en ses bras ceux qu’il a menacés ; Qtti, plein d’une extrême licence,
i48 LIVRE II.
Ne fer oit que troubler sou extrême bonté? STANCES. ’49
La .1 ustice, le glaive en main,
Que voyons-nous que des Titans Est un pouvoir autre qu’humain
De bras et de jambes luttants ' Contre les révoltes civiles :
Contre les pouvoirs légitimes ; e seule fait l’ordre; et les sceptres des rois
Infâmes rejetons de ces audacieux N’ont que des pompes inutiles,
Qui, dédaignant les petits crimes, 1 s ne sont appuyés de la force des lois.
Pour en faire un illustre attaquèrent les cienx ;

Quelle horreur de flamme et de fer


N’est éparse, comme en enfer, STANCES
Aux plus beaux lieux de cet empire.
Pour M. le comte de Soissons, à qui l’on faisoit espérer
Et les moins travaillés des injures du sort
Peuvent-ils pas justement dire *IU il épouseroit madame Henriette Marie de France,
depuis reine d’Angleterre.
Qu’un homme dans la tombe est un navire an P‘
X JL •
Crois-moi, ton deuil a trop duré,
Tes plaintes ont trop murmuré ;
’E délibérons plus, allons droit à la mort ;
Chasse l’ennui qui te possédé,
a histesse m’appelle à ce dernier effort,
Sans t’irriter en vain contre une adversité Et l’honneur m’y convie :
Que tu sais bien qui n’a remede Je n’ai que trop gémi.
Autre que d’obéir à la nécessité. 1 parmi tant d’ennuis j’aime encore ma vie,
Je suis mon ennemi.
Rends à ton ame le repos
Qu elle s’ôte mal-à-propos
y. eaux yeux, beaux objets de gloire et de grandeur,
Jusqu’à te dégoûter de vivre ; *Ve source de flamme où j’ai pris une ardeur
Et si tu n’as l’amour que chacun a pour soi,
Qui toute autre surmonte , ~
Aime ton prince et le délivre
Puis-je souffrir assez
Du regret qu’il aura s’il est privé de toi.
r expier le crime et réparer la honte
De vous avoir laissés ?
Quelque jour ce jeune lion
Choquera la rébellion, Quel
Èt fl" Un dira pour moi que je fais mon devoir,
En sorte qu’il en sera maître : lue les volontés d’un absolu pouvoir
Mais quiconque voit clair ne connoît-il pas b1
Sont de justes contraintes :
Que, pour l’empêcher de renaître ,
Il faut que ton labeur accompagne le sien? Mais a quelle autre loi

L
i5o LIVRE IL STANCES. i5i
Doit un parfait amant des respects et des crainte5 Quelle seroit ma gloire ! et pour quelle aventure
Qu’à celle de sa foi? Voudrois-je être vivant?

Quand le ciel offriroit à mes jeunes désirs


Les plus rares trésors et les plus grands plaisirs
Dont sa richesse abonde, STANCES
Que saurois-je espérer
A quoi votre présence, ô merveille du monde, pour une mascarade.
Ne soit à préférer ? GEUx-ci,de qui vos yeux admirent la venue,
On parle de l’enfer et des maux éternels Pour un fameux honneur qu’ils brûlent d’acquérir,
Baillés en châtiment à ces grands criminels Partis des bords lointains d’une terre inconnue,
Dont les fables sont pleines : S’en vont au gré d’Amour tout le monde courir.
Mais ce qu’ils souffrent tous , Ce grand démon qui se déplaît
Le souffré-je pas seul en la moindre des peines D’être profané comme il est,
D’être éloigné de vous ? Par eux veut repurger son temple ;
Et croit qu’ils auront ce pouvoir
J’ai beau par la raison exhorter mon amour Que ce qu’on ne fait par devoir
De vouloir réserver à l’aise du retour On le fera par leur exemple.
Quelques restes de larmes ;
Misérable qu’il est ! Ce ne sont point esprits qu’une vague licence
Contenter sa douleur et lui donner des armes, Porte inconsidérés à leurs contentements ;
C’est tout ce qui lui plaît. L’or de cet âge vieil où régnoit l’innocence
N’est pas moins en leurs mœurs qu’en leurs accou­
Non, non; laissons-nous vaincre après tant de trements .
combats ; La foi, l’honneur et la raison ,
Allons épouvanter les ombres de là-bas Gardent la clef de leur prison ;
De mon visage blême ; Penser au change leur est crime,
Et,sans nous consoler, Leurs paroles n’ont point de fard ;
Mettons fin à des jours que la Parque eUe-©é)UC Et faire les choses sans art
A pitié de filer. Est l’art dont ils font plus d’estime.

Je connois Charigene, et n’ose desirei' Composez-vous sur eux, âmes belles et hautes,
Qu’elle ait un sentiment qui la fasse pleurer retirez votre humeur de l’infidélité ;
Dessus ma sépulture ; assez-vous d’abuser les jeunesses peu eautes,
Mais, cela m’arrivant, 1 de vous prévaloir de leur crédulité.
STANCES. i53
LIVRE II. Je ne céderai point, que du même pouvoir
N’ayez jamais impression Dont on m’ôte ma dame on ne m’ôte la vie.
Que d’une seule passion ,
A quoi que l’espoir vous convie. Mais où va ma fureur ? quelle erreur me transporte,
Bien aimer soit votre vrai bien ; De vouloir en géant aux astres commander ?
Et, bien aimés, n’estimez rien Ai-je perdu l’esprit, de me persuader
Si doux qu’une si douce vie. Que la nécessité ne soit pas la plus forte ?

On tient que ce plaisir est fertile de peines, Achille, à qui la Grece a donné cette marque
Et qu’un mauvais succès l’accompagne souvent• D’avoir eu le courage aussi haut que les cieux,
Mais n’est-ce pas la loi des fortunes bumaiues l’ut en la même peine, et ne put faire mieux
Qu’elles n’ont point de havre à l’abri de tout vent Que soupirer neuf ans dans le fond d’une barque.
Puis cela n’avient qu’aux amours
Où les désirs , comme vautours Je veux, du même esprit que ce miracle d’armes,
Se paissent de sales rapines Chercher en quelque part un séjour écarté
Ce qui les forme les détruit : Où ma douleur et moi soyons en liberté,
Celles que la vertu produit Sans que rien qui m’approche interrompe mes larmes.
Sont roses qui n’ont point d’épines.
bien sera-ce à jamais renoncer à la joie
D’être sans la beauté dont l’objet m’est si doux :
Mais qui m’empêchera qu’en dépit des jaloux
Avecqne le penser mon ame ne la voie ?
STANCES.
Le temps qui toujours vole, et sous qui tout succombe,
fléchira cependant l’injustice du sort,
u o i donc .' ma lâcheté sera si criminelle ; Ou d’un pas insensible avancera la mort
Et les vœux que j’ai faits pourront si peu sur ®01’ Qui bornera ma peine au repos de la tombe.
Que je quitte ma dame, et démente la foi
Dont je lui promettois une amour éternelle? La fortune en tous lieux à l’homme est dangereuse;
Quelque chemin qu’il tienne, il trouve des combats :
Que ferons-nous, mon cœur? Avec quelle sclJin<^sp Mais, des conditions où l’on vit ici-bas,
Vaincrons-nous les malheurs qui nous sontpiep3 Certes celle d’aimer est la plus malheureuse.
Courrons-nous le hasard comme désespères. ?
Ou nous résoudrons-nous à prendre patience.

Non, non; quelques assauts que me donne 1 envie,


Et quelques vains respects qu’allegue mon devon,
x54 LIVRE IL
POÉSIES
STANCES.
PARAPHRASE d’uNE PARTIE DU PSAUME CXLV.
DE MALHERBE.
N ’espérons plus,mon ame,aux promesses du monde;
Sa lumière est un verre, et sa faveur une onde
Que toujours quelque vent empêche de calmer.
Quittons ces vanités, lassons-nous de les suivre :
LIVRE TROISIEME.
C’est Dieu qui nous fait vivre,
C’est Dieu qu’il faut aimer.

En vain, pour satisfaire à nos lâches envies , CHANSON


Nous passons près des rois tout le temps de nos vies faite conjointement avec la duchesse de Bellegarde et le
A souffrir des mépris et ployer les genoux : marquis de Racan.
Ce qu’ils peuvent n’est rien ; ils sont, comme nous
sommes, 1606.
Véritablement hommes,
Et meurent comme nous. Qu’autres que voas soient désirées,
Qu’autres que vous soient adorées,
Ont-ils rendu l’esprit, ce n’est plus que poussière Cela se peut facilement :
Que cette majesté si pompeuse et si liere Mais qu’il soit des beautés pareilles
Dont l’éclat orgueilleux étonnoit l’univers ; A vous , merveille des merveilles,
Et, dans ces grands tombeaux où leurs âmes ha utameS Cela ne se peut nullement.
Font encore les vaines,
Ils sont mangés des vers. Que chacun sous votre puissance
Captive son obéissance,
Là se perdent ces noms de maîtres de la terre, Cela se peut facilement:
D’arbitres de la paix, de foudres de la guerre ; Mais qu’il soit une amour si forte
Comme ils n’ont plus de sceptre, ils n’ont plus de Que celle-là que je vous porte,
flatteurs ; Cela ne se peut nullement.
Et tombent avec eux d’une chute commune
Tous ceux que leur fortune Que le fâcheux nom de cruelles
Faisoit leurs serviteurs. Semble doux à beaucoup de belles ,
Cela se peut facilement :
FIK DU LIVRE SECOND,
i56 LIVRE III. CHANSONS. i57
Mais qa’en leur ame trouve place
VWV.-V-W-H.V.V-V'W-*
Rien de si froid que votre glace ,
Cela ne se peut nullement.
CHANSON
Qu’autres que moi soient misérables
Par vos rigueurs inexorables, sur le départ de la vicomtesse d’Auchy.
Cela se peut facilement :
Mais que de si vives atteintes 1608.
Parte la cause de leurs plaintes, lis s’eu vont ces rois de ma vie,
Cela ne se peut nullement.
Ces yeux, ces beaux -yeux,
Qu’on serve bien lorsque l’on pense Dont l’éclat fait pâlir d’envie
En recevoir la récompense , Ceux mêmes des cieux.
Cela se peut facilement: Dieux, amis de l’innocence,
Mais qu’une autre foi que la mienne Qu’ai-je fait pour mériter
N’espere rien et se maintienne, Les ennuis où cette absence
Cela ne se peut nullement. Me va précipiter ?

Qu’à la fin la raison essaie Elle s’en va cette merveille


Quelque guérison à ma plaie , Pour qui nuit et jour,
Cela se peut facilement : Quoi que la raison me conseille,
Mais que d’un si digne servage Je brûle d’amour.
La remontrance me dégage, Dieux, amis de l’innoceuce ,
Cela ne se peut nullement. Qu’ai-je fait pour mériter
Les ennuis où cette absence
Qu’en ma seule mort soient finies Me va précipiter ?
Mes peines et vos tyrannies ,
Cela se peut facilement: En quel effroi de solitude
Mais que jamais par le martyre Assez écarté
De vous servir je me retire, Mettrai-je mon inquiétude
Cela ne se peut nullement. En sa liberté?
Dieux, amis de l’innocence ,
Qu’ai-je fait pour mériter
Les ennuis où cette absence
Me va précipiter ?
i58 LIVRE III. CHANSONS.
Les affligés ont en leur peine Aimeroit ma vie
Recours à pleurer : S’il me donnoit la mort !
Mais quand mes yeux seroient fontaines,
Que puis-j e espérer ? Quelles pointes de rage
Dieux, amis de l’innocence, Ne sent mon courage
Qu’ai-je fait pour mériter De voir que le danger,
Les ennuis où cette absence En vos ans les plus tendres ,
Me va précipiter ? Menace vos cendres
D’un cercueil étranger !

Je m’impose silence
CHANSON En la violence
Que me fait le malhety :
pour Henri le Grand, sur la dernière absence de la Mais j’accrois mon martyre ;
princesse de Condé. Et n’oser rien dire
M’est douleur sur douleur.
1609.
Aussi suis-je un squelette ;
Q u e n’êtes-vous lassées, Et la violette
Mes tristes pensées, Qu’un froid hors de saison,
De troubler ma raison , Ouïe soc, a touchée ,
Et faire avecque blâme De ma peau séchée
Rebeller mon ame Est la comparaison.
Contre ma guérison
Dieux, qui les destinées
Que ne cessent mes larmes., Les plus obstinées
Inutiles armes î Tournez de mal en bien,
Et que n’ôte des cieux Après tant de tempêtes
La fatale ordonnance Mes justes requêtes
A ma souvenance N’obtiendront-elles rien ?
Ce qu’elle ôte à mes yeux
Avez-vous eu les titres
O beauté nompareille, D’absolus arbitres
Ma chere merveille, De l’état des mortels
Que'le rigoureux sort Pour être inexorables
Dont vous m’êtes ravie Quand les misérables
i6o LIVRE III.
CHANSONS. l6l
Implorent vos autels? Toute chose aux délices conspire,
Mettez-vous eu votre humeur de rire;
Mon. soin n’est point de faire Les soins profonds d’où les rides nous viennent
En l’autre hémisphère A d’autres ans qu’aux vôtres appartiennent.
Voir mes actes guerriers,
Et jusqu’aux bords de l’onde II fait chaud; mais un feuillage sombre
Où finit le monde Loin du bruit nous fournira quelque ombre
Acquérir des lauriers. Où nous ferons parmi les violettes
Mépris de l’ambre et de ses cassolettes.
Deux beaux yeux sont l’empire
Pour qui je soupire ; Près de nous sur les branches voisines
Sans eux rien ne m’est doux ; Des genêts, des houx et des épines ,
Donnez-moi cette joie Le rossignol, déployant ses merveilles ,
Que je les revoie , Jusqu’aux rochers donnera des oreilles.
Je suis Dieu comme vous.
Et peut-être à travers des fougères
X/W-'W.
Verrons-nous, de bergers à bergeres ,
Sein contre sein et bouche contre bouche,
CHANSON. Naître et finir quelque douce escarmouche.

2614. C’est chez eux qu’Amour est à son aise ;


Il y saute, il y danse, il y baise,
Sus, debout, la merveille des belles
Et foule aux pieds les contraintes serviles
Allons voir sur les herbes nouvelles De tant de lois qui le gênent aux villes.
Luire un émail dont la vive peinture
Défend à l’art d’imiter la nature. O qu’un jour mon ame auroit de gloire
D’obtenir cette heureuse victoire,
L’air est plein d’une haleine de roses , Si la pitié de mes peines passées
Tous les vents tiennent leurs bouches closes ; Vous disposoit à semblables pensées!
Et le Soleil semble sortir de l’onde
Pour quelque amour plus que pour luire au monde. Votre honneur, le plus vain des idoles,
Vous remplit de mensonges frivoles :
On diroit, à lui voir sur la tête Mais quel esprit que la raison conseille.
Ses rayons comme un chapeau de fêle, S il est aimé, ne rend point la pareille ?
Qu’il s’en va suivre en si belle journée
Encore un coup la fille de Pénée.
IÔ2 LIVRE III. CHANSONS. i63

CHANSON CHANSON
chantée au ballet du Triomphe de Pallas. pour M. le duc de Bellegarde, amoureux d’une dame de
la plus haute condition qui fût en France, et même eu
i6i5. Europe.

Cette Anne si belle, 1616.


Qu’on vante si fort, Me s yeux, vous m’êtes superflus:
Pourquoi ne vient-elle?
Vraiment elle a tort. Cette beauté qui m’est ravie
Fut seule ma vue et ma vie •
Son Louis soupire Je ne vois plus ui ne vis plus.
Après ses appas ; Qui me croit absent, il a tort-
Que veut-elle dire Je ne le suis point, je suis mort.
De ne venir pas ? ' »
O qu’en ce triste éloignement,
S’il ne la possédé Ou la nécessité me traîne,
Il s’en va mourir ; Les Dieux me témoignent de haine,
Donnons-y remede, Et m’affligent indignement !
Allons la quérir. Qui me croit absent, il ? tort •
Je ne le suis point, je suis mort.
Assemblons, Marie,
Ses yeux à vos yeux ; Quelles fléchés a la douleur
Notre bergerie Dont mon ame ne soit percée ?
N’en vaudra que mieux. Et quelle tragique pensée
N’est peinte en ma pâle couleur?
Hâtons le voyage ; Qui me croit absent, il a tort ;
Le siècle doré Je ne le suis point, je suis mort.
En ce mariage
Nous est assuré. Certes, ou l’on peut m’écouter
J ai des respects qui me font taire :
Mais en un réduit solitaire
Quels regrets ne fais-je éclater!
CHANSONS. i65
164 LIVRE III.
Et que vous allez faire un second Ixion
Qui me croit absent, il a tort ; Cloué là-bas sur une roue
J e ne le suis point, je suis mort. Pour avoir trop permis à son affection ?

Quelle funeste liberté Bornez-vous, croyez-moi, dans an juste compas ,


Ne prennent mes pleurs et mes plaintes, Et fuyez une mer qui ne s’irrite pas
Quand je puis trouver à mes craintes Que le succès n’en soit funeste.
Un séjour assez écarté.' Le calme jusqu’ici vous a trop assurés ;
Qui me croit absent, il a tort ; Si quelque sagesse vous reste,
Je ne le suis point, je suis mort. Connoissez le péril, et vous en retirez.

Si mes amis ont quelque soin Mais, o conseil infâme ! ô profanes discours
De ma pitoyable aventure, Tenus indignement des plus dignes amours
Qu’ils pensent à ma sépulture ; Dont jamais ame fut blessée !
C’est tout ce de quoi j’ai besoin. Quel excès de frayeur m’a su faire goûter
Qui me croit absent, il a tort; Cette abominable pensée
Je ne le suis point, je suis mort. Que ce que je poursuis me peut assez coûter?

D’où s’est coulée en moi cette lâche poison


D’oser impudemment faire comparaison
CHANSON De mes épines à mes roses ;
Moi, de qui la fortune est si proche des cieux,
pour M. le duc de Bellegarde, amoureux de la même Que je vois sous moi toutes choses,
dame. Et tout ce que j e vois n’est qu’un point à mes yeux ?

1616. Non, non, servons Chrysante ; et, sans penser à moi,


Pensons à l’adorer d’une aussi ferme foi
C’est assez, mes désirs, qu’un aveugle penser Que son empire est légitime.
Trop peu discrètement vous ait fait adresser Exposons-nous pour elle aux injures du sort;
Au plus haut obj et de la terre ; Et, s’il faut être sa victime,
Quittez cette poursuite, et vous ressouvenez En un si beau danger moquons-nous de la mort.
Qu’on ne voit jamais le tonnerre
Pardonner au dessein que vous entreprenez. Ceux que l’opinion fait plaire aux vanités
Eont dessus leurs tombeaux graver des qualités
Quelque flatteur espoir qui vous tienne enchantés, Dont à peine uu Dieu serait digne :
Ne connoissez-vous pas qu’en ce que vous tentez Moi, pour un monument et plus grand et plus beau,
Toute raison vous désavoue .
i66 LIVRE III. CHANSONS. 167
Je ne veux rien que cette ligne : Que mon ardeur insensée
L'exemple des amants est clos dans ce tombeau. En trop haut lieu borne sa guérison ;
Et voudriez bien, pour la finir,
M’ôter l’espérance de rien obtenir.

CHANSON Vous vous trompez : c’est aux foibles courages


Qui toujours portent la peur au sein
A LA MARQUISE DE RAMBOUILLET, De succomber aux orages,
Et se lasser d’un pénible dessein.
sous le nom de Rodanthe. De moi, plus je suis combattu,
Plus ma résistance montre sa vertu.
1G22 ou 1623.
Loin de mon front soient ces palmes communes
Chers beauté que mon aine ravie Où tout le monde peut aspirer ;
Comme son pôle va regardant, Loin les vulgaires fortunes,
Quel astre d’ire et d’envie Où ce n’est qu’un, jouir et desirer.
Quand vous naissiez marquoit votre ascendant, Mon goût cherche l’empêchement ;
Que votre courage endurci, Quand j’aime sans peine , j’aime lâchement.
Plus je le supplie, moins ait de merci?
Je connais bien que dans ce labyrinthe
En tous climats, voire au fond de la Thrace, Le ciel injuste m’a réservé
Après les neiges et les glaçons, Tout le fiel et tout l’absynthe
Le beau temps reprend sa place, Dont un amant fut jamais abreuvé:
Et les étés mûrissent les moissons : Mais je ne m’étonne de rien ;
Chaque saison y fait son cours ; Je suis à Rodanthe , je veux mourir sien.
En vous seule on trouve qu’il gele toujours.

J’ai beau me plaindre et vous conter mes peines


Avec prières d’y compatir ; CHANSON.
J’ai beau m’épuiser les veines,
Et tout mon sang en larmes convertir ;
Un mal au-deçà du trépas,
C’est faussement qu’on estime
Tant soit-il extrême, ne vous émeut pas. Qu’il ne soit point de beautés
Où ne se trouve le crime
Je sais que c’est: vous êtes offensée, De se plaire aux nouveautés.
Comme d’un crime hors de raison,
i68 LIVRE III.
CHANSONS. 169
Si ma dame avoit envie
D’aimer des objets divers ,
Seroit-elle pas suivie
Des yeux de tout l’univers ?
CHANSON.
Est-il courage si brave
Qui pût avecque raison Est-ce à jamais, folle Espérance,
r, Fuir d’être son esclave
Et de vivre en sa prison ? Que tes infidèles appas
Empêcheront la délivrance
Toutefois cette belle ame, Que me propose le trépas ?
A qui l’honneur sert de loi,
Ne hait rien tant que le blâme La raison veut, et la nature ,
D’aimer un autre que moi. Qu’après le mal vienne le bien :
Mais en ma funeste aventure
Tous ces charmes de langage Leurs réglés ne servent de rien.
Dont on s’offre à la servir
Me l’assurent davantage, C’est fait de moi, quoi que je fasse.
Au lien de me la ravir. J’ai beau plaindre et beau soupirer
Le seul remede en ma disgrâce ,
Aussi ma gloire est si grande C’est qu’il n’en faut point espérer.
D’un trésor si précieux,
Que j e ne sais quelle offrande Une résistance mortelle
M’en peut acquitter aux deux. Ne m’empêche point son retou" ;
Quelque Dieu qui brûle pour elle
Tout le soin qui me demeure Fait cette injure à mon amour.
N’est que d’obtenir du sort
Que ce quelle est à cette heure Ainsi trompé de mon attente ,
Elle soit jusqu’à la mort. Je me consume vainement ;
Et les remedes que je tente
De moi, c’est chose sans doute Demeurent sans évènement.
Que l’astre qui fait les jours
Luira dans une autre voûte Toute nuit enfin se termine ;
Quand j’aurai d’autres amours. Ta mienne seule a ce destin,
Que d’autant plus qu’elle chemine,
Moins elle approche du matin.
1o
LIVRE III.
1 7O
Adieu donc , importune peste ,
POÉSIES
A quoi j’ai trop donné de foi.
Le meilleui' avis qui m’en reste ,
C’est de me séparer de toi.
DE MALHERBE
'^VV"V'VVXTk.V-V-VV-X-VV-WV-»."VW-VVT.-VV'WV-V^v-vv VVVv-l/V
Sors de mon ame , et t’en vas suivre
Ceux qui désirent de guérir.
Plus tu me conseille de vivre ,
Plus je me résous de mourir.
LIVRE QUATRIEME
SONNET
A JEAN RABEL, PEINTRE,
PIN nu LIVRE TROISIEME.
sur un livre de fleurs qu’il avoit peintes.

1602 ou i6o3.
Q u ït q tus louanges nompareilles
Qu’ait Apelle encore aujourd’hui,
Cet ouvrage plein de merveilles
Met Rabel au-dessus de lui.

L’art y surmonte la nature ;


Et, si mon j ugement n’est vain ,
Flore lui conduisoit la main
Quand il faisoit cette peinture.

Certes il a privé mes yeux


De l’objet qu’ils aiment le mieux,
N y mettant point de marguerite :

Mais p ou voit-il être ignorant


Qn une fleur de tant de mérite
Auroit terni le demeurant?
172 LIVRE IV. SONNETS. 173
Et qu’après le trépas ce miracle de guerre
Soit encore effroyable en sa postérité.
SONNET Leur courage , aussi grand que leur prospérité,
A MADAME LA PRINCESSE DOUAIRIERE, Tous les forts orgueilleux brisera comme verre .
pour l’inviter à revenir de Provence à Paris. Et qui de leurs combats attendra le tonnerre
Aura le châtiment de sa témérité.
l6o5.
Le cercle imaginé qui de même intervalle
(J u o 1 donc ! grande princesse en la terre adorée, Du nord et du midi les distances égale
Et que même le ciel est contraint d’admirer , De pareille grandeur bornera leur pouvoir.
Vous avez résolu de nous voir demeurer
En une obscurité d’éternelle durée ? Mais étant fils d’un pere où tant de gloire abonde,
Pardonnez-moi, Destins, quoi qu’ils puissent avoir,
La flamme de vos yeux, dont la cour éclairée Vous ne leur donnez rien s’ils n’ont chacun un monde.
A vos rares vertus ne peut rien préférer,
Ne se lasse donc point de nous désespérer,
Et d’abuser les vœux dont elle est desirée ?
SONNET
Vous êtes en des lieux où les champs toujours verds, AU ROI HENRI LE GRAND.
Pour ce qu’ils n’ont jamais que de tiedes hivers,
Semblent en apparence avoir quelque mérite : 1607 ou 1608.

Mais si c’est pour cela que vous causez nos pleurs, M on Roi, s’il est ainsi que des choses futures
Comment faites-vous cas de chose si petite, L’école d’Apollon apprend la vérité,
Vous de qui chaque pas fait naître mille fleurs? Quel ordre merveilleux de belles aventures
Na combler de lauriers votre postérité !
V-WW-VV-V*. **
Que vos jeunes lions vont amasser de proie,
SONNET Soit qu’aux rives du Tage ils portent leurs combats,
AU ROI HENRI LE GRAND. Soit que, de l’Orient mettant l'empire bas,
Us veuillent rebâtir les murailles de Troie !
1607.
Us seront malheureux seulement en un point ;
Je le connois, Destins , vous avez arreté C est que, si leur courage à leur fortune joint
Qu’aux deux fils de mon roi se partage la terre, ■A-Voit assujetti l’un et l’autre hémisphère,
10.
i74 LIVRE IV. SONNETS. i75
Votre gloire est si grande en la bouche de tous ,
Que toujours on dira qu’ils ne pouvoient moins fai
Puisqu’ils avoient l’honneur d’être sortis de vous.
SONNET•
sur l’absence de la vicomtesse d’Auchi.
SONNET 1608.
A M. DE FLURANCE,
u e n astre malheureux ma fortune a bâtie ,
sur son livre de l’Art d’embellir. A quelles dures loÎ3 m’a le ciel attaché,
Que l’extrême regret ne m’ait point empêché
1608. De me laisser résoudre à cette départie ?

o y A N t ma Caliste si belle Quelle sorte d’ennuis fut jamais ressentie


Que l’on n’y peut rien desirer, Egale au déplaisir dont j’ai i’esprit touché ?
J e ne me pouvois ligurer Qui jamais vit coupable expier son péché
Que ce fût chose naturelle. D’une douleur si forte et si peu divertie?

.T’ignorois que ce pouvoit être On doute en quelle part est le funeste lieu
Qui lui coloroit ce beau teint Que réserve aux damnés la justice de Dieu ,
Où l’Aurore même n’atteint Et de beaucoup d’avis la dispute en est pleine :
Quand elle commence de naître.
Mais, sans être savant et sans philosopher,
Mais, Flurance, ton docte écrit Amour en soit loué, je n’en suis point en peine ;
M’ayant fait voir qu’un bel esprit Où Caliste n’est point, c’est là qu’est mon enfer.
Est la cause d’un beau visage ,

Ce ne m’est plus de nouveauté,


Puisqu’elle est parfaitement sage,
SONNET
Qu’elle soit parfaite en beauté. pour la même.

1608.

•in n est rien de si beau comme Caliste est belle,


C est une œuvre où nature a fait tous ses efforts ;
I?6 LIVRE IV. SONNETS.
Et notre âge est ingrat qui voit tant de trésors, Mais, ô de mon erreur l’étrange nouveauté !
S’il n’éleve à sa gloire une marque éternelle. •Te vous souhaite douce, et toutefois j’avoue
Que je dois mon salut à votre cruauté.
La clarté de sonteint n’est pas chose mortelle :
Le baume est en sa bouche, et les roses dehors ;
Sa parole et sa voix ressuscitent les morts ,
Et Part n’égale point sa douceur naturelle. SONNET
La blancheur de sa gorge éblouit les regards ; fait à Fontaine-Bleau, sur l’absence de la même.
Amour est en ses yeux, il y trempe ses dards,
Et la fait reconnoître un miracle visible. 1608.

En ce nombre infini de grâces et d’appas, B eatjx et grands bâtiments d’éternellq structure ,


Qu’en dis-tu, ma raison? crois-tu qu’il soit possible Superbes de matière et d’ouvrages divers,
D’avoir du jugement, et ne l’adorer pas? Où le plus digne roi qui soit en l’univers
Aux miracles de l’art fait céder la nature :

Beau parc et beaux jardins qui, dans votre clôture,


SONNET Avez toujours des fleurs et des ombraqes verds
pour la même. Non sans quelque démon qui défend aux hivers
D’en effacer jamais l’agréable peinture :
1608.
Lieux qui donnez aux cœurs tant d’aimables désirs,
33 e auté, de qui la grâce étonne la nature, Bois, fontaines, canaux, si parmi vos plaisirs
Il faut donc que je cede à l’injure du sort, Mon humeur est chagrine et mon visage triste,
Que j e vous abandonne, et, loin de votre port,
M’en aille an gré du vent suivre mon aventure .' Ce n’est point qu’en effet vous n’ayez des appas ;
Mais, quoi que vous ayez, vous n’avez point Caliste,
Il n’est ennui si grand que celui que j’endure ; Et moi je ne vois rien quand je 11e la vois pas.
Et la seule raison qui m’empêche la mort,
C’est le doute que j’ai que ce dernier effort
Ne fut mal employé pour une ame si dure.

Caliste, où pensez-vous ? qu’avez-vous entrepris?


Vous résoudrez-vous point à borner ce mépris
Qui de ma patience indignement se joue?
17$ LIVRE IV. SONNETS. J79
Leur rigueur me dégoûte, et fait que je soupire
Que ce qui s’est passé n’est à recommencer.

SONNET Plus en vous adorant je me pense avancer,


sur le même sujet que le précédent. Plus votre cruauté , qui toujours devient pire ,
Me défend d’arriver au bonheur où j’aspire,
1608. Comme si vous servir étoit vous offenser.

Calxste, en cet exil j’ai l’ame si gênée , Adieu donc, o beauté, des beautés la merveille I
Qu’au tourment que je souffre il n’est rien de pareil j H faut qu’à l’avenir ma raison me conseille,
Et ne saurois ouir ni raison ni conseil, Et dispose mon ame à se laisser guérir.
Tant je suis dépité contre ma destinée.
Vous m’étiez un trésor aussi cher que la vie :
J’ai beau voir commencer et finir la journée, Mais puisque votre amour ne se peut acquérir,
En quelque part des cieux que luise le soleil ; Comme j’en perds l’espoir j’en veux perdre l’envie.
Si le plaisir me fuit, aussi fait le sommeil,
Et la douleur que j’ai n’est jamais terminée.

Toute la cour fait cas du séjour où je suis , SONNET


Et, pour y prendre goût, j e fais ce que je puis ;
à l’occasion de la goutte dont Henri le Grand fut attaqué
Mais j’y deviens plus sec plus j’y vois de verdure. au mois de janvier 1609.
En ce piteux état si j’ai du reconfort, Quo 1 donc ! c’est un arrêt qui n’épargne personne
C’est, ô rare beauté, que vous êtes si dure,
Qu’autant près comme loin je n’attends que la mort. Que rien n’est ici-bas heureux parfaitement,
Et qu’on ne peut au monde avoir contentement
Qu’un funeste malheur aussitôt n’empoisonne .’

La santé de mon prince en la guerre étoit bonne,


SONNET H vivoit aux combats comme en son élément ;
à la même. Depuis que dans la paix il régné absolument,
Tous les jours la douleur quelque atteinte lui donne!
1608.
Dieux, à qui nous devons ce miracle des rois
C/ est fait, belle Caliste ,il n’y faut plus penser ; Qui du bruit de sa gloire et de ses justes lois
Il se faut affranchir des lois de votre empire ; Invite à l’adorer tous les yeux delà terre,
l8o LIVRE IV. SONNETS. 1S1
Puisque seul après vous il est notre soutien ,
Quelques malheureux fruits que produise la guerre.
N’ayons jamais la paix, et qu’il se porte bien ! SONNET.
Epitaphe de mademoiselle de Conti, morte douze ou
quatorze jours après sa naissance.

SONNET 1610.

A MONSEIGNEUR LE DAUPHIN, Tu vois, passant, la sépulture


D’un chef-d’œuvre si précieux,
depuis roi Louis XIII. Qu’avoir mille rois pour aïeux
Fut le moins de son aventure.
1609.
O quel affront à la nature,
Que l’honneur de mon prince est cher aux destinées Et quelle injustice des cieux,
Que le démon est grand qui lui sert de support ! Qu’un moment ait fermé les yeux
Et que visiblement un favorable sort D’une si belle créature .'
Tient ses prospérités l’nne à l’autre enchaînées !
On doute pour quelle raison
Ses filles sont encore en leurs tendres années, Les destins si hors de saison
Et déjà leurs appas ont un charme si fort, De ce monde l’ont appelée ;
Que les rois les plus grands du ponant et du nord
Brûlent d’impatience après leurs hyménées. Mais leur prétexte le plus beau ,
C’est que la terre étoit brûlée
Pensez à vous, Dauphin; j’ai prédit en mes vers S’ils n’eussent tué ce flambeau.
Que le plus grand orgueil de tout cet univers
Quelque jour à vos pieds doit abaisser la tête.
Mais ne vous flattez point de ces vaines douceurs• SONNET
Si vous ne vous hâtez d’en faire la conquête,
Vous en serez frustré par les yeux de vos sœurs. AU ROI HENRI LE GRAND,
P°ur le premier ballet de monseigneur le dauphin, dansé
au mois de janvier iôio,
y
Ce cICI deton fctat plus grande merveille,
' ds ou ta vertu reluit si vivement ;
1r
,82 LIVRE IV. S O N N E T S. iS3
Approche-toi, mou Prince, et vois le mouvement Pt Gn ^Ul votre ame a borné ses amours
Qu’en ce jeune Dauphin la musique réveille. oit ien obligé de vous donner des jours
Qtu ussent sans orage et qui n’eussent point d’ombre
Qui témoigna jamais une si juste oreille
A remarquer des tons le divers changement ? **ais ayant de vos fils les grands cœurs découverts
Qui jamais à les suivre eut tant de jugement, a-t-il pas moins failli d’en ôter un du nombre,
Ou mesura ses pas d’une grâce pareille P vue d en partager trois en un seul univers ?

Les esprits de la cour, s’attachant par les yeux


A voir en cet objet un chef-d’œuvre des cieux,
Disent tous que la France est moins qu’il ne mérite : SONNET.
Epitaphe du même duc d’Orléans.
Mais moi, que du futur Apollon avertit,
•Te dis que sa grandeur n’aura point de limite
1611.
Et que tout l’univers lui sera trop petit,
Pu us Mars que Mars de la Thrace
Mon pere victorieux
Aux rois les plus glorieux
SONNET Ota la première place.
A LA REINE MARIE DE MEDICIS,
Ma mere vient d’une race
sur la mort de monseigneur le duc d’Orléans , son Si fertile en demi-dieux ,
second fils. Que son éclat radieux
Toutes lumières efface.
l6l I.
Je suis poudre toutefois,
C o N s oiez-v o u s, madame; appaisez votre plainte Tant la Parque a fait ses lois
La France, à qui vos yeux tiennent heu de soleil, Egales et nécessaires.
Ne dormira jamais d’un paisible sommeil,
Tant que sur votre front la douleur sera peinte. Rien ne m’en a su parer.
Apprenez, âmes vulgaires.
Rendez-vous à vous-même, assurez votre crainte, A mourir sans murmurer.
Et de votre vertu recevez ce conseil ,
Que souffrir sans murmure est le seul appareil
Qui peut guérir l’ennui dont vous êtes atteinte.
184 LIVRE IV.
SONNETS. iS5

SONNET
SONNET
A M. DU MAINE,
A LA REINE MARIE DE MÉDICIS,
sur ses OEuvres spirituelles.
Pour M. de la Ceppede, premier président de la chambre
l6ll. des comptes de Provence, au sujet de ses Théorèmes
Spirituels sur la vie et la passion de Notre Seigneur,
Tu me ravis, du Maine ,il faut que je l’avoue ;
Et tes sacrés discours me charment tellement, 1612.
Que le monde aujourd’hui ne m’étant plus que UOi , T,
Je me tiens profané d’en parler seulement. estime la Ceppede, et l’honore, et l’admire,
ommeun des ornements des premiers de nos jours :
Je renonce à l’amour, je quitte son empire, is qu a sa plume seule on doive ce discours,
Et ne veux point d’excuse a mon impiété, ærtes sans le flatter je n’oserois le dire.
Si la beauté des cieux n’est l’unique beauté
Dont on m’orra jamais les merveilles écrire. L’esprit du Tout-Puissant, qui ses grâces inspire
A celui qui sans feinte en attend le secours ,
Caliste se plaindra de voir si peu durer Pour élever notre ame aux célestes amours ?
La forte passion qui me faisoit jurer Sur un si beau sujet l’a fait si bien écrire.
Qu elle auroit en mes vers une gloire éterne > •
^eine, l’heur de la France et de tout l’univers ,
Mais si mon jugement n’est point hors d< son h \ui voyez chaque jour tant d’hommages divers
Dois-je estimer l’ennui de me séparer d elle^ <ue présente la muse aux pieds de votre image ;
Autant que le plaisir de me donner à Dieu :
^*en que votre bonté leur soit propice à tous,
yU je n y connoi-s rien, ou, jevant cet oavra„e,
°Us n en vîtes jamais qui fût digne de vous.
LIVRE IV. SONNETS. ï37
k 86
Je suis obligé de te rendre.
Ce que j e fais te sert de peu,
Mais au moins tu vois en la cendre
SONNE T. Comme j’en conserve le feu.
Epitaphe de la femme de M. Puget, qui fut dans la suite
évêque de Marseille.
T 614 -
SONNET
( Le mari parle. ) A MADAME LA PRINCESSE DE CONTI.
Ceuue qu’avoit Hymen à mon cœur attachée,
1619.
Et qui fut ici-bas ce que j’aimois le mieux,
Allant changer la terre à de plus dignes lieüx, ■R-ace de mille rois, adorable Princesse,
Au marbre que tu vois sa dépouille a cachée.
Dont le puissant appui de faveurs m’a comblé,
Comme tombe une fleur que la bise a séchée , Si faut-il qu’à la fin j’acquitte ma promesse,
Et m allégé du faix dont je suis accablé.
Ainsi fut abattu ce chef-d’œuvre des cieux;
Et, depuis le trépas qui lui ferma les yeux,
Telle que notre siecle aujourd’hui vous regarde
L’eau que versent les miens n’est jamais étanche«"
Merveille incomparable en toute qualité,
Telle je me résous de vous bailler en garde
Ni prières ni vœux ne m’y purent servir ;
Aux fastes éternels de la postérité.
La rigueur de la mort se voulut assouvir,
Et mon affection n'en put avoir dispense. Je sais bien quel effort cet ouvrage demande :
Mais si la pesanteur d’une charge si grande
Toi dont la piété vient sa tombe honorer,
Résiste à mon audace et me la refroidit,
Pleure mon infortune ; et, pour ta récompense,
J amais autre douleur ne te fasse pleurer .’ ^ois-je pas vos bontés à mon aide paroitre,
Et parler dans vos yeux un signe qui me dit
EPIGRAMME Que c’est assez payer que de bien reconnoître?
> • ' JiC
Vu nom de M. Puget, pour servir de dédicace a 1 cpitap
précédente. »
i6l/t.
Belle ame qui fus mon flambeau,
Reçois l’honneur qu’en ce tombeau
i88 LIVRE IV. SONNETS. l8g
Mais le mauvais destin qu’ont les témérités
fait peur a ma foiblesse et m’en ôte l’envie.
SONNET
A MONSEIGNEUR LE DUC D’ORLÉANS. A quel front orgueilleux n’a l’audace ravie
be nombre des lauriers qu’il a déjà plantés?
1621. Et ce que sa valeur a fait en deux étés
Alcide l’eût-il fait en deux siècles de vie ?
Muses , quand finira cette longue remise-
De contenter Gaston et d’écrire de lui? Il arrivoit à peine à l’âge de vingt ans,
Le soin que vous avez de la gloire d’autrui Quand sa juste colere assaillant nos Titans
Peut-il mieux s’employer qu’à si belle entreprise. l^ous donna de nos maux l’heureuse délivrance.

En ce malheureux siecle où. chacun vous méprisé, Certes , ou ce miracle a mes sens éblouis,
Et quiconque vous sert n’en a que de 1 ennui, u Mars s’est mis lui-même au trône de la France,
Misérable neuvaine, où sera votre appui, t s est fait notre roi sous le nom de Louis.
S’il ne vous tend les mains et ne vous favorise?

Je crois bien que la peur d’oser plus qu’il ne faut,


Et les difficultés d’un ouvrage si haut, SONNET
Vous ôtent le désir que sa vertu vous donne : A M. LE CARDINAL DE RICHELIEU.
Mais tant de beaux objets tous les jours s’augmentant* 1624.
Puisqu’en âge si bas leur nombre vous étonné ?
Comme y fournirez-vous quand il aura vingt ans. A ce coup nos frayeurs n’auront plus de raison,
Grande ame aux grands travaux sans repos adonnée:
Puisque par vos conseils la France est gouvernée
lout ce qui la travaille aura sa guérison.
SONNET
AU ROI LOUIS XIII, Ici que lut rajeuni le vieil âge d’Eson ,
,re?e ceGe princesse en vos mains résignée
après la guerre de 1621 et 1622 contre les huguenot' aincra de ses destins la rigueur obstinée,
-t reprendra le teint de sa verte saison.
l623.
bon sens de mon roi m’a toujours fait prédire
Muses , je suis confus ; mon devoir me convie
p U< es fruits de la paix combleroient son empire,
A louer de mon roi les rares qualités ; comme un demi-dieu le feroient adorer:
rr,
,yo LIVRE IV. SONNETS. 191
Mais voyant que le vôtre aujourd’hui le seconde ,
Je ne lui promets pas ce qu’il doit espérer ,
Si je ne lui promets la conquête du monde. SONNET
A M.LE MARQUIS DE LA VIEUVILLE ,
sur-intendant des finances.
SONNET 1624.
AU ROI LOUIS XIII. ï
1, est vrai, la Vieuville , et quiconque le nie
Condamne impudemment le bon goût de mon roi ;
1624«
Aous devons des autels à la sincere foi
Dont ta dextérité nos affaires manie.
O u’avec une valeur à nulle autre seconde ,
Et qui seule est fatale à notre guérison, les soins laborieux, et ton libre génie
Votre courage,mûr en sa verte saison,
^U1 hors de la raison ne connoît point de loi,
Nous ait acquis la paix sur la terre et sur l’onde ;
nt mis fin aux malheurs qu’attiroit après soi
De nos profusions l’effroyable manie.
Que l’hydre de la France, en révoltes féconde,
Par vous soit du tout morte ou n’ait plus de poison- Tout ce qu’à tes vertus il reste à desirer ,
Certes c’est un honheur dont la juste raison C’est que les beaux esprits les veuillent honorer
Promet à votre front la couronne du monde. Et qu en 1 eternite la muse les imprime.
Mais qu’en de si beaux faits vous m’ayez pour témoin, •T en ai bien le dessein dans mon ame formé :
Connoissez.-le, mon Roi, c’est le comble du soin Mais je suis généreux, et tiens cette maxime ,
Que de vous ohîigei’ ODt eu les destinées. Qu’il ne faut point aimer quand on n’cst point aimé.

Tous vous savent louer, mais non également :


Les ouvrages communs vivent quelques années;
Ce que Malherbe écrit dure éternellement. SONNET
pour M. le cardinal de Richelieu, premier ministre
d’état.

162.5 OU 1626.
Pku p r. e s, ça, de 1 encens ; peuples, çà des victimes
ce grand cardinal, grand chef-d’œuvre des cieux,
ig2 LIVRE IV. SONNETS- i93
Qui n’a but que la gloire, et n’est ambitieux l'ais que de ton appui j e sois fortifié ;
Que do faire mourir l’insolence des crimes ! Ta justice t’en prie, et les auteurs du crime
Sont fils de ces bourreaux qui t’ont crucifié.
A quoi sont employés tant de soins magnanimes
Où son esprit travaille et fait veiller ses yeux,
Qu’à tromper les complots de nos séditieux,
Et soumettre leur rage aux pouvoirs légitimes ? SONNET
Le mérite d’un bomme ou savant ou. guerrier sur la mort d’un gentilhomme qui fut assassiné.
Trouve sa récompense aux cbapeaux de laurier Belle ame , aux beaux travaux sans repos adonnée,
Dont la vanité grecque a donne les exemples.
Si parmi tant de gloire et de contentement
Le sien, j e l’ose dire, est si grand et si haut, Rien te fâche la-bas, c’est l’ennui seulement
Que, si comme nos dieux il n a place en nos teinp es, Qu’un indigne trépas ait clos ta destinée.
Tout ce qu’on lui peut faire est moins qu’il ne lui faut.
Tu penses que d’Ivry la fatale journée ,
k,V'WW/WV-V-VV'W%A/VVWVA.’V Ou ta belle vertu parut si clairement,
Avecque plus d’honneur et plus heureusement
SONNET Auroit de tes beaux jours la carrière bornée.
sur la mort de son fils. Toutefois, bel esprit, console ta douleur ;
1628. Il faut par la raison adoucir son malheur,
Et telle qu’elle vient prendre son aventure.
üe mon fils ait perdu sa dépouille mortelle,
Ce fils qui fut si brave , et que j’aimai si fort, Il ne se fit j amais un acte si cruel :
Je ne l’impute point à l’injure du sort, Mais c’est un témoignage à la race future
Puisque finir à l’homme est chose naturelle. Qu’on ne t’auroit su vaincre en un juste duel.

Mais que de deux marauds la surprise infidèle


Ait terminé ses j ours d’une tragique mort ; FIN DU LIVRE QUATRIEME.

En cela ma douleur n’a point de reconfort,


Et tous mes sentiments sont d’accord avec elle.

O mon Dieu , mon Sauveur, puisque, parla raison


Le trouble de mon ame étant sans guérison ,
Le vœu de la vengeance est un vœu légitime,
EPIG1UMMES, etc. i95
POÉSIES L’histoire des siècles passés ;
Tout cela n’est qu’une chimere.
DE MALHERBE. Il faut dire, pour dire assez,
Elle est belle comme sa mere.

LIVRE CINQUIEME. EPIGRAMME


sur la Pucelle d’Orléans, brûlée par les Anglois.

1613.
EPIGRAMME
sur le portrait d’Etienne Pasquier, avocat au parlement L’k ukemi, tous droits violant,
de Paris, que l’on avoit peint sans mains. Belle amazone , en vous brûlant,
Témoigna son ame perfide:
i585. Mais le destin n’eut point de tort ;
Celle qui vivoit comme Alcide
Il ne faut qu’avec le visage Devoit mourir comme il est mort.
L’on tire tes mains au pinceau :
Tu les montres dans ton ouvrage,
Et les caches dans le tableau.
EPIGRAMME
sur ce que la statue érigée en l’honneur de la Pucelle, sur
le pont de la ville d’Orléans, étoit sans inscription.
EPIGRAMME
1613.
sur mademoiselle Marie de Bourbon, fille de François
de Bourbon prince de Conti, et de Louise Marguerite Passants, vous trouvez à redire
de Lorraine, fille de Henri I, duc de Guise. Qu’on ne voit ici rien gravé
De l’acte le plus relevé
1610. Que jamais l’histoire ait fait lire:
]N"’Égalons point cette petite La raison qui vous doit suffire ,
C’est qu’en un miracle si haut
Aux déesses que nous récite Il est meilleur de ne rien dire
Que ne dire pas ce qu’il faut.
r96 LIVRE V. EPIGRAMMES, etc.
Ce livre se moque de vous :
Mars et les Muses le défendent.
EPIGRAMME
pour mettre au-devant des Heures de la vicomtesse
d’Àuclii.
EPIGRAMME
sur une image de sainte Catherine.
La N T que vous serez sans amour,
Caliste, priez nuit et jour, 1619.
Vous n’aurez point miséricorde.
Ce n’est pas que Dieu ne soit doux :
L’art, aussi-bien que la nature,
Mais pensez-vous qu’il vous accorde Eut fait plaindre cette peinture :
Ce qu’on ne peut avoir de vous? Mais il a voulu figurer
Qu’aux tourments dont la cause est belle
La gloire d’une aine fidele
Est de souffrir sans murmurer.
EPIGRAMME
sur le même sujet.

1614. EPIGRAMME
Prier Dieu qu’il vous soit propice imitée de la quarantième du sixième livre de Martial.
Tant que vous me tourmenterez,
C’est le prier d’une injustice: 1619.
Faites-moi grâce , et vous l’aurez. Jeanne, tandis que tu fus belle,
Tu le fus sans comparaison ;
Anne à cette heure est de saison,
EPIGRAMME Et ne vois rien si beau comme elle.
pour mettre au-devant des poèmes divers du sieur de
Je sais que les ans lui mettront
Lortigues, Provençal.
Comme à toi les rides au front,
1617. Et feront à sa tresse blonde
Meme outrage qu’à tes cheveux.
Vous dont les censures s’étendent Mais voilà comme va le monde :
Dessus les ouvrages de tous, Je te voulus, et j e la veux.
LIVRE V. EPIGRAMMES, etc. ''J'.)

INSCRIPTION
EPIGRAMME
pour le portrait de Cassandre, maîtresse de Ronsard.
mise au-devant du livre intitulé : le Pourtraict de l’Elo­
quence françoise, avec dix Actions oratoires, de Jean 1622.
du Pré, écuyer, seigneur de la Porte, conseiller du roy
L’art, la nature exprimant,
et général eu sa cour des aydes de Normandie.
En ce portrait m’a fait telle ;
1620. Si n’y suis-je pas si belle
Qu’aux écrits de mon amant.
X u faux, du Pré , de nous pourtraire
Ce que l’éloquence a d’appas ;
Quel besoin as-tu de le faire? FRAGMENT
Qui te voit ne la voit-il pas ?
pour madame la marquise de Rambouillet.

1624 OU 1625.
EPIGRAMME
pour servir d’épitaphe à un grand.
Et maintenant encore en cet âge penchant
1621. Où mon peu de lumière est si près du couchant,
Quand j e verrois Helene, an monde revenne
Cet Absynthe au nez de barbet En l’état glorieux où Paris l’a connue,
En ce tombeau fait sa demeure. Faire à toute la terre adorer ses appas,
Chacun en rit, et moi j’en pleure ; N’en étant point aimé, je ne l’aimerois pas.
Je le voulois voir au gibet. Cette belle bergere à qui les destinées
Sembloient avoir gardé mes dernieres années
Eut en perfection tous les rares trésors
Qui parent un esprit et font aimer un corps :
Ce ne furent qu attraits, ce ne furent que charmes;
Sitôt que je la vis je lui rendis les armes ;
Un objet si puissant ébranla ma raison;
Je voulus être sien, j’entrai dans sa prison ,
EPIGRAMMES, etc. 201
200 LIVRE V.
Et de tout mon pouvoir essayai de lui plaire,
Tant que ma servitude espéra du salaire. FRAGMENT.
Mais comme j’apperçus l’infaillible danger
Où, si je poursuivois, je m’allois engager,
Le soin de mon salut m’ôta cette pensée ;
Elle étoit jusqu’au nombril
J’eus honte de brûler pour une ame glacée,
Sur les ondes paroissante,
Et, sans me travailler à lui faire pitié,
Telle que l’aube naissante
Restreignis mon amour aux termes d’amitié.
Peint les roses en avril.

INSCRIPTION EPIGRAMME.
pour la fontaine de l’hôtel de Rambouillet.
i u dis, Colin, de tous côtés
i625 ou 1626. Que mes vers , à les ouir lire,
Te font venir des crudités ,
V o 1 s - T u, passant, couler cette onde , Et penses qu’on en doive rire.
Cocu de long et de travers,
Et s’écouler incontinent ?
Ainsi fuit la gloire du monde , Sot au-dela de toutes bornes,
Et rien que Dieu n’est permanent. Comment te plains-tu de mes vers
Toi qui souffres si bien les cornes ?

FRAGMENT EPITAPHE
sur la prise de la Rochelle. d’un gentilhomme de ses amis, qui mourut âgé de
cent ans.
1628.
Enfin mon roi les a mis bas, attends , passant, que de ma gloire
Ces murs qui de tant de combats .le te fasse une longue histoire
Furent les tragiques matières; Pleine de langage indiscret.
La Rochelle est en pondre, et ses champs désertés Qui se loue irrite l’envie.
N’ont face que de cimetières •luge de moi par le regret
Où gisent les Titans qui les ont habites. Qu eut Ja mort de m’ôter la vie.
T

■2(V2 LIVRE V.

EPITAPHE
de monsieur d’Is, parent de l’auteur.

Ici dessous gît monsieur d’Is.


Plût or à Dieu qu’ils fussent dix,
Mes trois sœurs, mon pere et ma mere ,
Le grand Eléazar mon frere,
Mes trois tantes, et monsieur d’Is !
Vous les nommé-je pas tous dix?

EPIGRAMME
A MONSIEUR COLLETET,

sur la mort de sa sœur.

En vain, mon Colletet, tu conjures la Parque


De repasser ta sœur dans la fatale barque;
Elle ne rend jamais un trésor qu’elle a pris.
Ce que l’on dit d’Orphée est bien peu véritable.
Son chant n’a point forcé l’empire des esprits ,
Puisqu’on sait que l’arrêt en est irrévocable.
Certes, si les beaux vers faisoient ce bel effet,
Tu ferois mieux que lui ce qu’on dit qu’il a fait.

FIN.
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