Apprendre à aimer le Québec ?

https://www.ledevoir.com/opinion/idees/799956/correspondance-sur-notre-
impuissance-apprendre-aimer-quebec

1. [Accueil]
2. [Opinion]
3. [Idées]

Photo: Télé-Québec «Ma génération a pu vivre l’expérience d’une société qui se

transformait, qui n’en avait pas que pour les privilégiés, qui donnait un nouveau visage à
la démocratie et à l’égalité, qui s’ouvrait aux autres et nourrissait un grand projet», écrit
l'auteur.

Gérard Bouchard

L’auteur est historien, sociologue, écrivain et enseignant retraité.

14 octobre 2023 Idées

 Idées

Cher Philippe,

Vos courriels, comme ceux que je reçois parfois de jeunes comme vous, m’intriguent et,
bien franchement, me bouleversent. Mais n’allez pas penser que je vous en blâme, loin de
là.

Vous me dites faire partie de « cette génération qui est peut-être en train de rater le défi
qu’elle devrait assumer », qu’elle avait « toutes les désillusions à surmonter », qu’elle Commentaire [FM1]: Le conditionnel
pour donner un conseil
est aux prises avec le « découragement », ce qui a engendré « le cynisme, l’abandon ». Et
vous ne vous êtes « jamais reconnu dans la culture québécoise ». Vous ajoutez :
« J’aurais aimé être fier, j’ai essayé, rien à faire. » Vous n’avez pas trouvé dans notre Commentaire [FM2]: Le conditionnel
passé pour exprimer un regret
histoire de « récits suffisamment beaux, clairs et assumés ». Ayant fréquenté nos
« classiques », vous pensez que nos intellectuels « n’ont pas su [dresser] l’échelle de Commentaire [FM3]: J’annonce ce qui
s’est passé
valeurs permettant de se forger une fierté ». En résumé, vous me dites votre incapacité à
aimer le Québec.

À lire aussi

La réponse de Philippe Girard à Gérard Bouchard: «L'héritage de la survivance»

Je vais vous surprendre : je suis arrivé à l’âge adulte dans des dispositions semblables aux
vôtres. On ne m’avait pas vraiment inculqué la fierté d’être Québécois. Pourquoi ?
Ce qu’on m’avait donné à lire depuis l’école primaire respirait le patriotisme artificiel Commentaire [FM4]: Dans les deux
cas : antériorité = plus-que-parfait
exprimé dans un lyrisme faux, englué dans une religiosité simpliste. À vingt ans, j’ai fait
un grand ménage, abandonnant aussi la religion (je n’ai pas pris de risque…) et j’ai tout Commentaire [FM5]: J’annonce ce qui
recommencé. s’est passé

Dans mon cas, j’ai pu me ressaisir d’abord grâce à de nouveaux historiens qui Commentaire [FM6]: J’annonce ce qui
s’est passé
racontaient notre passé autrement, grâce à un récit plus vrai, affranchi. Je découvrais
dans notre histoire une tension, un parcours émouvant qui m’interpellait. Je découvrais Commentaire [FM7]: Le contexte de
aussi des romanciers et des artistes qui faisaient rêver en célébrant un pays neuf et libre. ce qui s’est passé est à l’imparfait

Et qui faisaient voir chez des personnages souvent bien modestes des prédécesseurs qui
s’étaient redressés et, dans certains cas, sacrifiés pour que leurs descendants puissent Commentaire [FM8]: Pour que = verbe
aller la tête haute. au subjonctif

Ma génération a pu vivre l’expérience d’une société qui se transformait, qui n’en avait
pas que pour les privilégiés, qui donnait un nouveau visage à la démocratie et à
l’égalité, qui s’ouvrait aux autres et nourrissait un grand projet — vous devinez lequel. Commentaire [FM9]: Voici un exemple
Voilà de quoi s’est nourrie ma jeunesse. Cela dit, je ne me donne surtout pas en exemple, de plusieurs subordonnées relatives dans
une phrase, pour donner de l’emphase.
je sais que je suis issu d’une époque révolue. En ce temps-là, il était plus facile d’aimer
le Québec. Commentaire [FM10]: Contexte dans
le passé = imparfait

Puis, tout a changé. Le grand projet québécois ne s’est pas réalisé, plongeant une
grande partie de notre société dans la morosité. Plusieurs Québécois de ma génération se
sont trouvés désemparés par l’échec de nos rêves. Par dépit, des intellectuels se sont
employés à dénoncer notre médiocrité, notre impuissance, ils ont donné libre cours à leur
dépit, à leur sentiment de vaincu, et ils l’ont décliné sans penser que ce message
déprimant allait être intériorisé par la génération qui suivait. Notre avenir semblait vide
de rêve, de héros. Vous vous percevez peut-être comme un descendant, un héritier de
notre échec collectif. Comment vous en blâmer ?

Mais depuis, tout a changé encore une fois. L’ancien « vaste monde » s’est rapetissé,
s’est rapproché. Il a ouvert d’autres horizons, d’autres frontières, il a ébranlé de vieilles
allégeances, a suscité d’autres rêves. Peut-être, comme il m’est arrivé à vingt ans, y
trouverez-vous à vaincre votre abandon, votre cynisme (je reprends vos mots) ? Peut-être
arriverez-vous à renaître intellectuellement, humainement ? Vous me dites que « c’est un
pari perdu d’avance ». Est-ce bien vrai ?

J’essaie de m’imaginer dans votre situation ; qu’est-ce que je ferais ? Je me tournerais Commentaire [FM11]: Une hypothèse
d’abord probablement vers le passé (oui, le passé) pour redécouvrir ce qui nous honore. dans laquelle il n’y a pas « si »

Je pense à ces pionniers et pionnières qui, à force d’audace, de ténacité, d’altruisme, ont Commentaire [FM12]: Deux
conséquences imaginées dans le présent =
fait avancer notre société : les femmes opprimées qui ont lutté pour leur émancipation, conditionnel présent
toutes ces familles qui ont défriché le territoire dans la plus grande pauvreté, ceux qui ont
fait triompher la cause des ouvriers exploités, qui ont mené le grand combat de la liberté,
qui ont dû surmonter bien des misères pour créer une vie de l’esprit et, enfin, celles et
ceux qui ont été les artisans du grand projet québécois.

Ce passé-là n’est-il pas une école de dignité, de courage, de fierté ? Ces femmes et
ces hommes ne méritent-ils pas reconnaissance et respect ? Est-ce qu’ils ne donnent
pas le goût de les relayer soit en reprenant là où ils ont laissé, soit en ouvrant d’autres Commentaire [FM13]: Exemple de
questions rhétoriques à la forme négative
voies ? Est-ce qu’ils ne font pas aimer un peu le Québec ? (voir le diaporama), dont la réponse est
évidente : Oui, ce passé est une école de
Je dis que le monde a changé. N’est-ce pas à cette échelle maintenant que vous pourriez fierté, oui, ces femmes et ces hommes
méritent reconnaissance et respect….
vous définir, trouver des inspirations, un avenir ? Mais on ne peut pas travailler sur
Commentaire [FM14]: Autre question
tout l’univers, il faut commencer par le morceau qui se trouve à proximité. Alors, par ce rhétorique
chemin-là, vous retrouverez peut-être le Québec, mais sous un autre jour, une société à
Commentaire [FM15]: Situation
redécouvrir, à réinventer. À fréquenter ce Québec-là et en le comparant, vous en viendrez imaginée dans le présent = conditionnel
peut-être à penser qu’il n’est pas si mal après tout. Vous pourriez même l’aimer pour présent
ce qu’il est et parce qu’il pourrait vous donner accès à quelque chose de plus grand.

En d’autres mots, vous pourriez essayer de devenir l’intellectuel que vous n’avez pas
trouvé, vous appliquer à construire le Québec dont vous rêviez et contribuer à tracer une Commentaire [FM16]: Exemple de
autre histoire qui inspirera, à vous-même et à vos descendants, de la fierté. N’est-ce pas l’utilisation de « dont »
Rêver DE quelque chose
ce qu’ont fait toutes celles et tous ceux qui, n’aimant pas leur nation, se sont employés à
en faire autre chose ?

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des
idées en accueillant autant les analyses et commentaires de ses lecteurs que ceux de
penseurs et experts d’ici et d’ailleurs. Envie d’y prendre part? Soumettez votre texte à
l’adresse opinion@ledevoir.com. Juste envie d’en lire plus? Abonnez-vous à notre
Courrier des idées.