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Aucune partie de cette publication ne peut être reproduite, enregistrée ou
transmise sous aucune forme ou par aucun moyen électronique, mécanique,
photocopiée ou autre, sans la permission écrite de l'auteur.
Ceci est une oeuvre de fiction. Les noms, personnages, entreprises, lieux,
événements et incidents évoqués sont soit les produits de l'imagination de
l'auteur, soit utilisés de manière totalement fictive. Toute ressemblance avec
des personnes réelles, vivantes ou mortes, ou à des événements véridiques
est une pure coincidence.
AVERTISSEMENT : Ce livre romantique contient des scènes à
caractère sexuel et est très fortement déconseillé aux lecteurs de moins
de 18 ans.
CE QUI AURAIT PU ÊTRE
SARAH S. COPE
SOMMAIRE
Heather
San Francisco. C’est parti. Le temps est dégagé quand je sors de l’aéroport
international, prête à démarrer un nouveau chapitre de ma vie. Une fois
dans le taxi, j’ai le temps de me préparer mentalement. J’espère qu’ils
étaient sérieux quand ils m’ont parlé du logement. Je dois être un peu
dingue pour emménager dans un appartement que je n’ai jamais vu, dans
une ville que je ne connais pas, et sans aucune connaissance sur place. Mais
mon futur patron, ou devrais-je dire, mon tout nouveau patron, m’a assuré
que tout était « réglo ». Le chauffeur du taxi ne décroche pas un mot, mais
ça me va très bien. Je n’ai pas franchement envie de discuter avec lui. Je
suis bien trop concentrée sur moi-même. Et si tout ça n’était qu’une horrible
erreur ? Si je faisais la plus grosse bêtise de ma vie ?
Quand j’ai obtenu mon diplôme de journalisme, ma mère était encore là.
Elle m’a soutenue, encouragée, elle a cru en moi. Elle s’est privée de pas
mal de choses pour me permettre d’aller à l’université, prenant même un
second job, pour finir par y laisser sa santé. Son putain de cancer
foudroyant nous a surpris toutes les deux. Il n’y avait plus que nous de toute
façon, papa étant déjà parti depuis des années. Comment a-t-elle pu me
faire ça ? Comment a-t-elle pu croire que je m’en sortirais sans elle ? Entre
la célébration de mon diplôme et les recherches d’un nouvel emploi, elle
n’aura même pas pu me voir faire mes premiers pas de journaliste. Quel
gâchis !
Heather, arrête de te pourrir la vie avec ces pensées parasites.
Je dois être positive, pas vrai ? C’est ce qu’a dit mon thérapeute. C’est
tellement pathétique. Je n’ai aucun ami, aucun membre restant dans ma
famille avec qui partager ma peine. Je suis toute seule. Ça me donnera au
moins l’occasion de me concentrer sur mon travail. Quand j’ai vu cette
annonce pour un poste de pigiste au San Francisco Chronicle, j’ai tenté ma
chance. Le recrutement s’est fait par appel visio, et n’a pas duré bien
longtemps. J’imagine que tous les documents que j’avais envoyés
auparavant étayaient bien mon CV. Durant l’entretien, le rédacteur en chef
du journal a eu l’air satisfait, et il m’a informée que ma période d’essai
serait de deux mois. Je n’ai plus qu’à faire mes preuves.
Me voici maintenant dans un tout nouvel endroit, beaucoup plus grand que
les petites villes auxquelles j’ai été habituée pendant mon enfance, prête à
faire parler de moi. Il y a bien un moment où la roue doit tourner, et je
pense qu’il est arrivé pour moi.
Le chauffeur de taxi me dépose devant les locaux du journal, sort mes
quatre valises, qui contiennent tout ce que j’ai, et part après que j’ai payé la
course. Débarquer sur les lieux de son nouvel emploi avec ses bagages n’est
pas forcément l’idéal, mais n’ayant toujours pas reçu l’adresse de cet
appartement qui est proposé avec le poste, je n’avais pas vraiment d’autre
solution.
J’entre dans le hall d’entrée bien entretenu et essaie de laisser mes valises
dans un coin. J’ai déjà l’impression de sentir l’effervescence des
journalistes qui pullulent à l’intérieur. Je me dirige vers l’accueil, assez
modeste, et tente de capter l’attention de la femme derrière le comptoir.
— Bonjour ! Je suis Heather Collins. Je viens d’être engagée comme pigiste
et…
— Bonjour, tenez, prenez ceci, dit la jeune femme en me tendant un petit
post-it rose.
— Hum, merci, qu’est-ce que c’est ?
— Premier étage, bureau tout au fond de la pièce, droit devant vous. M.
Follett va vous recevoir.
— Très bien… merci. Euh, est-ce que mes bagages sont en sécurité juste
ici ? demandé-je en pointant du doigt mes valises tout près de l’entrée.
— Bien sûr. J’y jetterai un œil jusqu’à votre retour.
— Merci… euh…
— Norah.
— Très bien. À plus tard, Norah.
Je grimpe les quelques marches qui mènent à l’étage en quelques secondes,
un peu nerveuse à l’idée de rencontrer mon nouveau patron, Jo Follett. Je
n’ai eu que deux échanges par écrit avec lui, et un seul à l’oral. Il m’a l’air
d’être un homme assez occupé et plein d’énergie. J’arrive au cœur du
journal. Plusieurs journalistes, pigistes, documentalistes et autres, sont
occupés à leur poste de travail, derrière leurs ordinateurs. Ils parlent assez
fort et tout le monde bouge beaucoup. Je n’arrive pas vraiment à compter le
nombre de personnes, tellement ça fourmille dans tous les sens. Une petite
pièce exiguë se trouve sur la gauche dès qu’on arrive, et c’est apparemment
là que tout le monde vient chercher son café, à en juger par la grosse
machine qui trône sur un plan de travail un peu usé et les deux frigos qui
ronronnent dans la pièce mal éclairée. Une petite table y est également
installée avec trois chaises autour, laissant peu de place pour circuler. Dans
la grande pièce principale, tous les postes de travail sont disposés face à
face, avec de très fines cloisons en verre qui ne cachent pas grand-chose, et
permettent aux journalistes de se parler sans avoir à se lever.
— Marty ! J’ai terminé les recherches que tu m’as demandées ! Je lance
l’impression ! dit quelqu’un.
Rectification. Les journalistes se crient dessus à travers la pièce sans se
lever. Les murs sont peints dans tes tons clairs et modernes, et décorés
d’articles de journaux encadrés. Quelques prix trônent également sur des
étagères bien fixées, et des plantes de différents styles sont présentes un peu
partout dans la pièce. J’avance tant bien que mal dans ce capharnaüm pour
me rendre dans le bureau au fond de la pièce, que j’ai encore du mal à
apercevoir de si loin. Personne ne semble prêter attention à moi, j’évite
donc de fixer mes nouveaux collègues quand je passe près d’eux. Je suis
pratiquement arrivée quand je vois un homme sortir du bureau du rédacteur
en chef, semblant légèrement énervé. Il est grand, brun, a les yeux bleus, et
ne semble même pas me voir quand il me rentre dedans quasiment de plein
fouet.
— Désolé, je suis pressé, dit-il sans même lever un œil vers moi.
Super, j’espère qu’ils ne sont pas tous comme ça. Je frappe trois coups à la
porte ouverte du rédacteur en chef, attendant qu’il me fasse signe d’entrer.
— Hum… oui, c’est à qui ? demande-t-il alors que j’entre dans la pièce.
Je lui tends le morceau de papier sur lequel est inscrit mon nom, l’heure du
« rendez-vous » ainsi que l’intitulé de mon poste.
— Ah oui ! Mlle Collins ! Il me semblait bien que vous deviez arriver
aujourd’hui, dit-il en me tendant la main.
— Merci, oui, c’est bien ça. Comment allez-vous ? demandé-je en lui
serrant fermement la main.
— Bien, assez occupé comme vous pouvez le constater, mais que voulez-
vous, c’est toujours comme ça ici. Si on veut être au top et les premiers à
réagir, on ne doit pas s’endormir ! lance-t-il en riant presque à sa phrase.
— Hum… vous avez raison !
— Vous commencez bien officiellement demain, c’est ça ?
— Tout à fait. Je viens littéralement d’arriver de l’aéroport et…
— Oui, j’imagine que vous voulez pouvoir prendre possession de
l’appartement pour vous installer le plus rapidement possible, n’est-ce pas ?
— Exactement. J’espère que je vais prendre mes marques assez vite, dis-je
un peu plus détendue.
— Parfait. Tenez, voici la clé du logement. J’ai un accord avec quelques
agents immobiliers du coin qui me permet de proposer des logements quand
j’engage des gens qui ne sont pas du coin. Ça m’aide beaucoup pour le
recrutement, et ces logements sont de toute façon uniquement du
dépannage.
Je récupère la clé et la glisse dans mon sac à main.
— Du dépannage ? Comment ça ? Il s’agit bien d’un meublé, comme vous
l’avez précisé ?
— Oui, bien sûr. Ce que je veux dire, c’est que malheureusement, plusieurs
pigistes sont passés avant vous, et ils ne restent pas tous. Soit ils
abandonnent, soit ils trouvent un autre poste ailleurs. Ceux qui restent ont
ensuite envie d’avoir un endroit bien à eux, si vous voyez ce que je veux
dire.
— Je crois, oui.
— Ne vous en faites pas, tout est bien propre et en très bon état. Les
propriétaires remplacent les meubles de temps en temps et entretiennent
bien l’endroit.
Il griffonne quelque chose sur un post-il et me le tend.
— Voici votre nouvelle adresse ! J’espère que l’endroit vous conviendra.
Faut-il que je fasse envoyer un taxi pour vous y amener ?
— Ce serait sympa, oui. Je n’ai pas de voiture et quatre grosses valises
m’attendent en bas.
— D’accord, donnez-moi un instant, dit-il en décrochant son téléphone et
en appelant quelqu’un.
J’observe tout autour de moi et constate que son bureau est plutôt bien
rangé. Pas mal de journaux sont disposés çà et là, des récompenses
personnelles sont accrochées au mur, et une photo de sa famille est à moitié
visible sur son bureau. Il a l’air plutôt épanoui et bien établi.
— Oui, merci d’appeler un taxi pour Mlle Collins. Oui, voilà. Merci Norah,
dit-il avant de raccrocher rapidement.
— C’est vraiment gentil, merci, dis-je calmement.
— Il n’y a pas de quoi. On essaie tous de s’entraider ici quand c’est
possible. J’essaie de veiller à la bonne entente entre les collègues.
D’ailleurs, venez, je vais vous présenter rapidement, dit-il en se levant.
Je sors du bureau à sa suite, puis il se met à interpeller mes nouveaux
collègues.
— Hey ! Votre attention s’il vous plaît ! lance-t-il d’une voix forte.
Tout le monde arrête ce qu’il est en train de faire pour river les yeux sur
moi.
— Voici la nouvelle pigiste, Heather Collins. Elle commence dès demain et
nous vient tout droit de Diamond, dans l’Oregon. Je compte sur vous pour
lui apprendre les ficelles du métier et la faire se sentir à l’aise. Vous lui
expliquerez aussi le fonctionnement du journal concernant les dates de
rendu des premiers jets d’articles. N’hésitez pas à l’aider si elle a besoin de
contacts pour commencer à trouver des sujets. Rappelez-vous, nous
sommes une équipe. Vous avez besoin de moi pour signer vos chèques et
j’ai besoin de vous pour être capable d’en rédiger ! dit-il d’un ton un peu
plus amusé, ce qui récolte plusieurs rires dans l’assemblée.
— Enchantée, j’ai hâte de commencer à travailler avec vous tous, dis-je de
manière beaucoup plus réservée.
— Très bien, maintenant, au boulot ! Il faut absolument boucler le numéro
de demain avant ce soir dix-huit heures. Et vous, n’hésitez pas à vous
perdre un peu en ville dès que vous en avez l’occasion. Le meilleur moyen
de trouver des choses à raconter, c’est d’être au cœur de l’action. Repérez
les lieux, fondez-vous parmi les habitants et appréciez cette nouvelle vie,
dit-il en me gratifiant d’un large sourire.
Tout le monde reprend son activité et le rédacteur en chef me donne congé.
Quand je retrouve la réceptionniste en bas, mes bagages sont toujours là.
Dieu merci. Il y a toute ma vie là-dedans. Aussi pathétique que cela puisse
paraître.
— Mlle Collins ?
— Oui ?
— Le taxi devrait arriver d’ici cinq minutes. Vous pouvez patienter ici si
vous souhaitez.
— Merci, dis-je en prenant un des sièges qui se trouvent dans le hall
d’entrée.
Où est-ce que j’aurais pu attendre, de toute façon ? J’essaie de me rappeler
ce que m’a dit M. Follett. Il veut que je me perde en ville ? C’est ça ?
J’imagine que c’est sa façon de me conseiller de faire un tour dans les
environs. Il n’a pas tort, dans un sens. C’est en en découvrant un peu plus
sur le quartier et sur ce qui se passe dans les parages, que j’arriverai à
m’intégrer. Et c’est exactement ce que j’ai besoin de faire.
Quelques minutes plus tard, je tends l’adresse au chauffeur de taxi qui me
conduit à mon nouvel appartement. Il fronce les sourcils, mais ne dit rien. Il
longe la rue dans laquelle se situe le journal pendant quelques secondes,
puis tourne à gauche et s’arrête presque immédiatement.
— Est-ce qu’il y a un problème ? demandé-je au chauffeur.
— Non, vous êtes bien arrivée à destination. La course est déjà réglée, à
vrai dire j’ai déjà fait ça quelques fois pour M. Follett.
— Hum, d’accord, très bien.
Il m’aide à sortir mes bagages de la voiture alors que je récupère la clé qui
est dans mon sac.
— Est-ce que vous voulez de l’aide pour monter vos bagages ? demande-t-
il.
— Non, merci, ça devrait aller. Merci d’avoir proposé.
— Très bien, passez une bonne journée !
Le taxi repart et j’ouvre la porte d’entrée de l’appartement, faisant rouler
mes quatre bagages tant bien que mal. Il se situe au troisième étage, qui est
aussi le dernier, et il n’y a pas d’ascenseur. De quoi me mettre en forme.
Après avoir monté tous mes bagages, je suis à bout de souffle. Quand
j’ouvre la porte de mon appartement, je prends une grande inspiration et
entre avec un peu d’appréhension.
L’endroit est très propre, cosy. Je pose mes valises dans l’entrée et
m’enferme à double tour. Très bien. Un état des lieux global s’impose,
ensuite je vais pouvoir tout déballer. Sur la gauche, après avoir passé un
couloir étroit, se trouve la petite cuisine ouverte et tout équipée, qui donne
directement sur la petite pièce à vivre comprenant une table ronde et six
chaises. Un petit salon se trouve ensuite sur la droite, meublé d’un canapé
blanc cassé, d’une grande télévision et de systèmes de commande vocale
pour presque tout… c’est assez moderne et pourtant pas impersonnel. Dans
le petit couloir de l’entrée, sur la droite, il y a une porte derrière laquelle se
situe ma chambre. Composée d’un grand lit, de deux commodes, d’un petit
dressing, ainsi que de deux tables de chevet assorties, elle n’a rien
d’extraordinaire. La salle de bains est juste en face. Traditionnelle, mais
extrêmement propre. Me voilà rassurée.
Une heure plus tard, j’ai sorti et rangé toutes mes affaires. Mon estomac
semble se réveiller et je remarque que c’est l’heure du déjeuner. Je vais
tenter d’appliquer les conseils de mon patron tout de suite. C’est le moment
d’aller découvrir un endroit sympa ou manger.
Deux semaines se sont envolées sans que je m’en aperçoive. C’est fou
comme le temps passe vite quand on est occupé… Quelques collègues
disent que je m’en sors plutôt bien. Même si je ne suis encore proche de
personne. Les autres journalistes sont pour la plupart accueillants et
serviables et j’espère vraiment que cette ambiance de travail va durer. J’ai
déjà quelques endroits favoris dans le quartier, qui est rapidement devenu le
mien, puisque j’habite littéralement au bout de la rue. De plus, j’apprécie
particulièrement le fait de pouvoir me rendre au travail en marchant. J’ai
remarqué que ça me détendait énormément. Pour le moment, je n’ai écrit
que quelques petits articles secondaires, mais ils ont à chaque fois été
validés rapidement par Jo. J’ai également remarqué que les meilleurs
articles du journal ne se retrouvaient pas forcément dans les premières
pages. Les gros titres servent surtout à faire vendre, mais ne reflètent pas
toujours la réalité. Je pense que beaucoup enjolivent les choses, et je ne suis
pas totalement à l’aise avec ça. Cela dit, il faut bien que je commence
quelque part. Tant que j’arrive à écrire, je suis satisfaite. Aujourd’hui,
justement, je suis censée aller voir mon rédacteur en chef.
Une fois dans son bureau, il n’y va pas par quatre chemins.
— Bonjour, Heather. Alors, bien reposée ? J’espère que tu es en forme ?
— Bien sûr ! dis-je, un peu intriguée par son ton.
— Parfait, car je vais te donner une chance. Un sujet intéressant.
— Oh ? Euh… d’accord ?
— Tu as bien travaillé depuis que tu as commencé, même si c’est encore
tout frais. Tes articles sont plutôt bons, bien qu’encore assez…
conventionnels.
— Conventionnels ?
— Oui. Il n’y a rien de spécial qui s’en dégage pour l’instant, mais c’est
normal, tu es là pour apprendre. Il te faut juste faire preuve d’un peu plus de
piquant et ne pas hésiter à prendre un ton plus… mordant ! Je sais, je sais,
tu n’as pas encore eu l’occasion de l’être à cause des sujets que tu as traités
jusque-là, mais cela va changer. Ça va même changer assez vite, je pense.
— Comment ça ?
— Je pense que tu as un énorme potentiel, et on est tombés sur un sujet
assez intéressant. J’ai décidé de te le confier.
— Très bien, de quoi s’agit-il ?
— Tu vas interviewer l’homme d’affaires le plus populaire de San
Francisco.
— Hum. Quel est son nom ?
— Noah Hill, me lance-t-il tout naturellement.
Noah Hill.
Pourquoi ai-je l’impression de connaître ce nom…
2
Noah
Mon réveil sonne quelques heures plus tard, m’indiquant qu’il est temps de
me préparer pour mon premier rendez-vous de la journée. Je m’éclipse dans
une des salles de bains sans même un dernier regard à Kirsten, qui dort
encore. Gloria, mon employée de maison, a l’habitude. Quand Kirsten se
lèvera, elle lui préparera un bon petit déjeuner. Ensuite, elle lui indiquera
une des salles de bains si elle souhaite se rafraîchir, puis elle la
raccompagnera jusqu’à la porte, en lui souhaitant une bonne journée. Rien
de plus. Pas de « à bientôt », pas de « ravie d’avoir fait votre connaissance »
ou quoi que ce soit de la sorte. Ensuite, elle changera les draps et fera un
bon coup de ménage dans la chambre. Ça a toujours été comme ça, et je ne
vois pas pourquoi ça changerait.
Une fois mon costume enfilé, je n’ai plus qu’à faire quelques pas pour
monter dans ma berline, où Stephan attend déjà. Les locaux de la chaîne ne
sont pas très loin, mais j’ai de quoi m’occuper sur mon téléphone en
consultant mon agenda de la journée et en vérifiant également les autres
rendez-vous de la semaine. Apparemment, j’ai encore une interview. Celle-
ci se déroulera directement sur les lieux de ma dernière acquisition : les
bureaux de la chaîne KGO-TV, situés au troisième étage des locaux du
ABC Broadcast Center. J’espère que l’endroit sera adapté et que nous ne
serons pas trop dérangés.
Lorsque j’arrive dans les locaux, je suis accueilli assez rapidement par
plusieurs personnes. Mon assistante a déjà fait porter mon petit déjeuner
dans une des loges prêtées par les co-présentateurs du journal télévisé de
l’après-midi. Je suis encore nouveau dans le domaine, mais j’ai fait mes
recherches.
Une demi-heure plus tard, nous sommes tous rassemblés dans une salle de
briefing afin que je sois présenté à tous.
— Écoutez-moi tous, je vous présente Noah Hill, le nouveau propriétaire de
la chaîne.
— Bonjour à tous, dis-je en adressant un sourire assez franc aux personnes
en face de moi.
— Comme vous le savez, M. Hill n’est pas là pour modifier quoi que ce soit
dans notre fonctionnement…
— Non, je suis juste là pour récolter le fruit de votre travail, dis-je sur un
ton humoristique.
La plupart des personnes présentent rient et les présentations se
poursuivent. Je suis ensuite présenté personnellement à chaque employé.
Tous sont indispensables au bon fonctionnement d’une chaîne de télé.
Même si j’ai des idées à soumettre, je sais que je vais devoir rester à ma
place. Cette chaîne a toujours bien fonctionné sans moi, alors autant ne pas
la faire couler. J’aurais simplement mon mot à dire concernant le
recrutement des futurs employés qui pourraient être amenés à rejoindre
l’équipe, et ça me convient. J’encaisse l’argent, certes, mais je distribue
également les chèques. Je pense que chacun est compétent dans son
domaine et que je n’ai pas de soucis à me faire.
— M. Hill ?
— Oui ?
— Bonjour, je suis Traci Lebron, me lance une jolie blonde en me serrant la
main.
— Enchanté. Je vous reconnais. Vous êtes la star de la chaîne, c’est ça ?
— Oh, je n’aime pas trop ce terme, disons plutôt que je suis le visage de
KGO-TV.
— Oui, vous êtes la reine de l’info. Tout le monde vous connaît, j’aurais été
dans de beaux draps si ça n’avait pas été mon cas, surtout en tant que votre
nouveau patron…
— En effet. Alors, que pensez-vous de l’envers du décor ?
— C’est très intéressant, je dois l’admettre. Peu de gens imaginent qu’il
faut autant de personnes pour produire un journal télévisé de qualité. Et il
n’y a pas que ça. C’est carrément toute une chaîne spécialisée dans l’info,
ce qui signifie qu’il y a toujours à faire.
— Exactement. En tout cas, je suis ravie que vous ayez rejoint l’aventure.
Je vous souhaite la bienvenue.
— Merci, c’est très gentil de votre part.
— Disons qu’il était temps que votre prédécesseur prenne sa retraite.
— Ah, ces vieux hommes d’affaires, ils n’en ont jamais assez, n’est-ce pas ?
Ils ne savent pas quand s’arrêter.
— Voilà… c’est une manière très polie de dire les choses.
— En même temps, je peux les comprendre. On doit y réfléchir à deux fois
avant de céder une chose qui nous rapporte des millions chaque année.
— Arrêtez. Il a tellement d’argent qu’il ne sait plus quoi en faire. Il devrait
peut-être s’inspirer de vous, dit-elle en me lançant un petit sourire
charmeur.
— Vous me flattez, vraiment.
— Voyons ! Je sais très bien où vous allez ce soir, ajoute-t-elle en me
faisant un clin d’œil.
— Ah oui ? Et où ça ?
— À l’œuvre de charité ! Vous pensiez peut-être qu’en tant que « reine de
l’info », je ne serais pas au courant de la soirée caritative que vous avez
organisée ce soir ? Ce serait un comble !
— J’en suis conscient. Mais j’évite de dire que j’en suis l’organisateur. Ce
soir, ce n’est vraiment pas moi qui dois être mis en avant.
— C’est très noble de votre part…
— Est-ce que… ça vous intéresserait de venir ? Vous et votre co-
présentateur ? Je peux vous faire parvenir deux invitations si vous le
souhaitez.
— Ce serait un honneur. John et moi pourrions vouloir nous délester de
quelques milliers de dollars après tout.
— Très bien. Je vous fais parvenir ça dans la journée.
— Merci beaucoup. Je vous laisse, je dois me préparer pour…
— Bien entendu.
Elle quitte la pièce et je me retrouve coincé entre plusieurs personnes qui
souhaitent toutes me parler. La matinée est loin d’être terminée.
Quand je rentre à la maison, la chambre dans laquelle j’ai « dormi » la
veille, est déjà rangée et les draps sont changés. Gloria est vraiment une
perle. Ma mère emploie encore la sienne, qui a été à notre service depuis
bien avant ma naissance, vingt-sept ans plus tôt. Gloria m’a également vu
grandir en quelque sorte, car elle avait une dizaine d’années quand je suis
venu au monde. Il est arrivé qu’elle me garde quelques fois quand mes
parents devaient s’absenter. Je me dirige vers ma propre chambre, retire
mes chaussures et ma cravate, puis je déboutonne ma chemise. Je sens les
effluves du bon petit en-cas qu’elle m’a préparé d’ici. Il ne m’en faut pas
plus pour que je descende rapidement.
— Gloria, c’est vraiment gentil.
— De rien. Je sais que vous avez eu une longue journée, et que la soirée
promet d’être encore plus longue.
— Comment vous le savez ?
— Vous croyez que je n’ai pas l’habitude ? Les galas de charité font partie
des choses que vous appréciez le moins, dit-elle en faisant des mimiques
avec ses yeux.
— Vous n’avez pas tort. Dans ce genre de réception, c’est encore la façade
qui prime. Il faut parler à des tas de gens avec qui on n’a pas forcément
envie de discuter, flatter l’ego de certaines personnes qui ont une réputation
de pingre, ou encore quasiment supplier quelqu’un de faire un don en
échange d’un service ou d’une apparition quelque part.
— C’est un bon échange de services, vous ne croyez pas ?
— Si, vous n’avez pas tort. Si seulement les choses étaient plus simples,
dis-je en mordant dans mon sandwich à la viande.
— Plus simples pour qui ? Vous ou eux ?
— Hum. Je ne sais pas. Les riches pourraient juste donner un peu de leur
argent sans qu’on doive les supplier. Ça devrait venir d’eux, pas d’autres
riches qui quémandent quelques milliers de dollars pour une cause dont ces
derniers n’avaient même encore jamais entendu parler.
— Je doute qu’il reste des personnes ne connaissant pas « Les enfants de
San Francisco ». Vous aidez des petits qui ont perdu leurs parents, vous leur
donnez la possibilité d’avoir un avenir. Ça n’a rien d’inutile !
— Vous voyez ce que je veux dire. Bien sûr que je suis heureux d’aider
trois fois par ans des associations, mais j’ai l’impression que c’est encore
trop peu.
— C’est déjà plus que ce que font la plupart des gens que vous côtoyez.
Arrêtez de vouloir toujours tout gérer. Vous faites ce que vous pouvez, et
vous le faites bien.
— Merci Gloria.
— Regardez, pour rompre avec vos petites amies, vous savez déléguer :
vous me laissez gérer. Vous devriez vraiment vous autoriser à souffler un
peu.
— Gloria ! dis-je en riant. Ce ne sont pas mes petites amies…
— Oui, je sais, juste des… amies de passage, répond-elle en souriant.
— C’est ça.
— J’ai appris à ne plus trop poser de question, Monsieur Hill. Mais je sais
que ce n’est pas ce qu’il vous faut. Au bout d’un certain temps, quand on a
assez joué, vient le moment de se poser et de réfléchir à ce qu’on veut
vraiment. Une existence accomplie sur le plan professionnel, enrichissante
au niveau culturel, entrepreneurial et caritatif, mais vide de sens au niveau
personnel et social c’est un peu triste. Ne vaudrait-il pas mieux trouver
quelqu’un pour vous vous accompagner à chaque étape ?
— Outch.
— Ne m’en voulez pas. Vous avez toujours apprécié mon franc-parler. Je
dis juste les choses comme elles sont.
— Je le sais. Et le pire, c’est que vous n’avez pas tort. Il faut juste que je me
réveille. Maintenant, il ne reste qu’à savoir quand.
— Et vous pensez que vous allez planifier ça aussi ? lance-t-elle en riant et
en faisant d’étranges bruits avec la bouche.
— Au fait. Ce sandwich est vraiment succulent, réponds-je en détournant sa
remarque.
— Hum…
— Gloria ? Est-ce que vous pourriez me sortir un costume pour ce soir ?
— Oui, bien sûr. Lequel ? Vous en avez tellement.
— Je pense que le… Dior devrait convenir.
— Très bien, c’est comme si c’était fait.
Quelques heures plus tard, j’avance vers l’estrade, face à une foule présente
spécialement pour l’occasion. C’est le moment de faire mon petit discours
afin de présenter l’association caritative et de capter l’attention des
potentiels donneurs.
3
Heather
Une petite semaine passe et je suis prête pour cette putain d’interview. Noah
Hill ne m’a pas laissé que de bons souvenirs. J’étais tellement insignifiante
à l’époque… mais hors de question qu’il ait une mauvaise opinion de moi
aujourd’hui. C’est pourquoi j’avais besoin de ce nouveau tailleur, qui fait
très professionnel. Je ne peux pas aller interviewer l’homme le plus riche du
coin dans un tailleur bon marché. Qu’est-ce que ça dirait de moi ? J’ai
également coiffé mes cheveux bruns dans un chignon soigné, ce qui change
de ma coiffure habituelle. Je ne me prends jamais autant la tête d’habitude.
Je redeviens la petite adolescente nerveuse et coincée, comme à l’époque du
lycée. Comment arrive-t-il encore à avoir cet effet sur moi, alors que je ne
l’ai pas vu depuis quasiment dix ans ?
Comme si ce n’était pas déjà assez stressant de devoir interviewer un riche
héritier qui a tout ce qu’il veut, il faut aussi que ça tombe sur lui, ce qui ne
fait qu’ajouter à ma nervosité maladive. Je sors du taxi difficilement,
engoncée dans ma jupe crayon un peu trop étroite et portant des talons alors
que je n’en ai pas l’habitude. Une chaîne de télévision. Sa dernière
acquisition. Ce sera certainement ma façon de démarrer l’interview. J’ai
opté pour la tactique spécifique qui consiste à poser des questions
complètement superficielles et d’y intercaler quelques questions «
juteuses », comme aime le dire Jo.
Je me présente à l’accueil, et on m’accompagne jusqu’au bureau où je dois
rencontrer Noah. Est-ce qu’il va me reconnaître ? Qu’est-ce que je vais
dire ? Un truc du style « Oh Noah ! Ça faisait longtemps ! Quelle
coïncidence ! Tu es toujours aussi riche et je suis toujours aussi…
pathétique. » Tu parles. J’essaie de respirer calmement, mais je sens
quelques gouttes de sueur perler sur mon front. Super.
— Mademoiselle Collins ? Vous pouvez entrer, M. Hill est prêt à vous
recevoir, me dit la femme qui m’a accompagnée jusqu’ici.
Elle disparaît presque instantanément, et je mets un pied devant l’autre. Les
paumes de mes mains sont moites. Ma sacoche semble peser de plus en plus
au fur et à mesure que j’entre dans la pièce. Le bureau est assez clair, grâce
aux multiples fenêtres qui font face à la porte d’entrée. Je ne vois personne.
J’avance encore un peu.
— Il y a quelqu’un ? demandé-je, pouvant pratiquement entendre les
battements de mon propre cœur.
Au bout de quelques secondes, quelqu’un sort d’une petite pièce ouverte sur
le côté gauche. C’est lui. C’est bien lui. Noah Hill. Bon sang. Il n’a
quasiment pas changé.
Si. Il est encore beaucoup plus beau qu’au lycée.
— Bonjour, vous êtes là pour l’interview, n’est-ce pas ? dit-il alors qu’il
tient deux verres entre ses mains.
— Hum, oui, c’est ça.
Il pose les verres sur son bureau et va s’y installer, m’invitant à m’asseoir
en face de lui.
— J’ai pris la liberté de vous servir une limonade, j’espère que ça vous
convient. Sinon j’ai aussi de l’eau ou du café…
— Ça ira très bien, merci, dis-je en me raclant discrètement la gorge.
Je bois une petite gorgée, puis je repose le verre et ouvre ma sacoche,
comportant mes notes et la liste des questions que j’ai apportées. Je sors
également mon portable et cherche l’application d’enregistrement.
— Vous êtes d’accord pour que l’interview soit enregistrée ? C’est pour
m’aider à rédiger mon article, au cas où j’oublierais de prendre certaines
notes, dis-je sans le regarder.
— Bien sûr, ce n’est pas un problème, répond-il.
Il me semble entendre au ton de sa voix qu’il a souri en disant ça.
— Très bien alors, si vous êtes prêt, c’est quand vous voulez, dis-je en
enclenchant l’enregistrement.
— Vous… vous ne vous êtes même pas présentée.
— Désolée, je suis… Mlle Collins, nouvelle pigiste pour le San Francisco
Chronicle, dis-je en le regardant brièvement.
Grossière erreur. Pourquoi j’ai fait ça ? Ses yeux sont encore plus verts que
dans mes souvenirs. Sa coupe moderne et un peu rasée sur les côtés met son
blond en valeur. On dirait qu’il rentre de vacances. Évidemment. Il me fait
un grand sourire et une lueur de malice semble percer dans son regard.
— Enchanté, Mlle Collins.
— Bien, pouvons-nous commencer ?
— Je n’attends que ça, dit-il sur un ton enjôleur.
Ça va être encore plus compliqué que prévu. Il n’a pas l’air de m’avoir
reconnue, pourtant, tous mes sens sont en alerte. J’ai l’impression de guetter
la moindre de ses réactions, encore une fois, comme à l’époque du lycée. Je
n’ai vraiment pas du tout changé depuis tout ce temps ? Il faut vraiment que
je sorte avec quelqu’un.
— Très bien. Vous venez d’acquérir la chaîne KGO-TV, dans les locaux de
laquelle nous sommes d’ailleurs en train de réaliser cette interview. Est-il
décent de demander le montant de la transaction ? demandé-je en me
concentrant sur la feuille devant moi.
— Eh bien ! dit-il en éclatant de rire, c’est une façon d’entrer dans le vif du
sujet ! Vous ne gardez pas les questions juteuses pour plus tard ?
— Hum… c’est votre toute dernière acquisition et je pense que nos lecteurs
sont curieux de connaître la valeur d’une chaîne de télévision spécialisée
dans les news. Est-ce que l’argent est un sujet tabou pour vous ?
— Pas du tout.
— Pourtant, vous n’avez toujours pas répondu à ma question, dis-je en
insistant.
— Hum… si vous tenez tant à avoir le chiffre, je vais bien sûr vous le
donner.
— Je vous écoute.
— 730.
— Mille ? J’en prends note.
— Millions. Vous êtes sûre de savoir de quoi vous parlez ?
— Bien sûr. J’ai juste… hum. Personne ne m’a jamais parlé de la valeur
d’une chaîne de télévision. Je suis juste un peu surprise.
— Je peux le comprendre.
— Très bien. J’imagine qu’avec cet argent dépensé, il va falloir en gagner
pas mal pour que l’investissement soit rentable.
— En effet.
— Comment comptez-vous vous y prendre ?
— En ne changeant quasiment rien à ce qui a déjà été fait. Ce qui nous
rapporte le plus est la publicité, à vrai dire, c’est avec ça qu’on peut faire
fonctionner une chaîne correctement. Mais c’est un système beaucoup plus
complexe qu’il n’y paraît. J’imagine que votre interview ne va pas
uniquement se concentrer sur ce sujet ? lance-t-il en prenant totalement de
court.
— Non, bien sûr que non. Hum. Cela dit… pourquoi avoir choisi de
racheter une chaîne de news ? Les autres domaines dans lesquels vous êtes
déjà impliqué sont bien variés : entreprises de luxe, domaine viticole en
France, plusieurs country clubs dans le pays, des chevaux de course,
l’exploitation d’un puits de pétrole… vous n’avez pas peur de vous perdre ?
— Justement. J’aime la diversité. Être là où on ne m’attend pas. Je
m’intéresse à beaucoup de choses sur un plan personnel, et les news en font
partie.
— Vraiment ? C’est-à-dire ?
— Je suis vraiment admiratif des journalistes, plus particulièrement de ceux
qui vont sur le terrain. Surtout quand il y a des évènements dangereux ou
imprévus.
— Vous faites sans doute référence aux reporters de guerre ou aux envoyés
spéciaux…
— C’est cela. Non pas que je dénigre votre travail, pas du tout, dit-il en me
faisant carrément un clin d’œil.
Complètement déplacé. Si je ne le connaissais pas déjà un peu, je pourrais
m’en offusquer. Mais c’est Noah. Qu’est-ce que je raconte ! Il croit qu’il
peut me berner aussi facilement ? Encore ? C’est ce qu’on va voir.
— En parlant de diversification, il semblerait qu’il y ait un autre domaine
dans lequel vous aimez… explorer.
— Oui ?
— Les femmes.
Il ouvre de grands yeux et semble réellement étonné. Tu ne l’as pas vu venir
celle-là, Noah Hill.
— Qu’insinuez-vous ?
— On ne vous connaît aucune fiancée officielle, cependant, on vous a déjà
vu au bras de bon nombre de femmes. À vrai dire, leur nombre est plutôt
impressionnant, dis-je en tentant de cacher la nervosité dans ma voix.
— Vous avez les chiffres ? Vous semblez y accorder une telle importance,
rétorque-t-il avec un rictus.
— Je dis simplement que vous êtes un homme à femmes. Avez-vous peur
de l’engagement ? Ou peut-être craignez-vous de vous lasser trop vite, peut-
être ?
— Je doute que cette question soit pertinente.
— Détrompez-vous. Vous êtes apparemment l’homme de l’état. Tout le
monde vous connaît, et les femmes ont l’air de vous courir après. Pourquoi
ne pas en choisir une ? demandé-je sans me démonter.
— Est-ce que vous allez bien ?
— Pardon ?
— J’ai l’impression que vous avez un petit coup de chaud, je me trompe ?
demande-t-il en se levant de sa chaise.
— Non, tout va bien, dis-je, mentant.
— Votre corps dit le contraire. Votre veste est bien trop chaude pour la
saison, et vous semblez avoir un peu de mal à respirer. Vous pouvez vous
mettre un peu plus à l’aise. Je ne vais pas vous sauter dessus si vous restez
en chemisier.
Putain. Il est vraiment agaçant. Je me lève rapidement, retire ma veste, et je
me sens tout de suite beaucoup mieux.
— Alors, ce n’est pas un peu plus confortable ? dit-il en se rasseyant
derrière son bureau.
— Bien sûr. Mais vous n’avez toujours pas répondu à ma question.
— Quelle question ?
— Sur une… petite amie potentielle.
— Je suis libre comme l’air.
— Ça, j’avais compris, dis-je en sentant le rouge me monter aux joues.
— Vous pensez donc que je devrais me caser avec une des femmes qui me
courent après, Mlle Collins ? Ne pensez-vous pas qu’il y ait des femmes
beaucoup plus intéressantes qu’elles ? Celles qui n’ont aucune idée de qui
je suis réellement par exemple ? Sous ce vernis de perfection et sous les
milliards ?
Il vient vraiment de dire ça ? Il se considère comme parfait ? Une pointe
d’irritation commence à remonter en moi alors que je m’apprête à poser ma
prochaine question.
4
Noah
— Vous pensez que personne n’est capable de voir à travers cette fameuse
couche de vernis ? Que personne ne comprend qui vous êtes réellement ?
demande-t-elle, visiblement irritée.
— Eh bien, puisque vous avez l’air de connaître tous mes secrets, éclairez-
moi ! dis-je, amusé.
— Vous avancez. À grands pas. Tout ce que vous faites est dans le but de
vous enrichir, non pas que vous en ayez réellement besoin. Je pense que
tout ce qui compte pour vous, c’est le profit, et que vous êtes prêt à tout
pour réussir. Vous savez toujours tirer le meilleur parti des gens pour
obtenir ce que vous souhaitez, est-ce que je me trompe ?
— Heather, et si on arrêtait ce ton beaucoup trop sérieux ? dis-je en me
levant.
Dès qu’elle a mis un pied dans le bureau, je l’ai reconnue. Elle a quelque
peu changé, niveau physique. Elle était plutôt mignonne à l’époque, mais sa
beauté a vraiment éclaté avec le temps. Ses yeux noisette sont envoûtants,
et le pire, c’est qu’elle ne semble même pas le remarquer. Ce qui a
beaucoup changé en revanche, c’est sa façon de parler, son assurance. Elle a
pris confiance en elle, et même si je la sens stressée par notre échange, elle
a réussi à devenir ce qu’elle a toujours souhaité être : une journaliste
passionnée.
— Comment ça ? dit-elle en se raclant la gorge.
— Tu devrais boire un peu de limonade, ça te fera du bien.
Je choisis de m’asseoir à côté d’elle pour faciliter notre échange.
— C’est moi, ou tu es très tendue ? demandé-je en la regardant
prudemment.
— Hum. Oui, désolée je… mais… tu m’as reconnue ?
— Évidemment. Le lycée, c’était il y a quasiment une décennie, mais
heureusement, notre mémoire ne nous fait pas encore défaut à nos âges.
— C’est vrai. Je suis… j’aurais dû te dire tout de suite que je t’avais
reconnu. Je… j’imagine que j’ai voulu rester professionnelle.
— Je comprends tout à fait. Mais pour une raison ou pour une autre, tu
sembles te mettre une pression énorme concernant cette interview.
— Il faut que je la réussisse. C’est un tout nouveau job pour moi et…
— Ne t’en fais pas, tout va bien se passer, dis-je en remarquant qu’elle se
triture les mains depuis tout à l’heure.
— Franchement, je ne comprends pas moi-même pourquoi je suis aussi
nerveuse.
— C’est de me revoir après toutes ces années, qui te mets dans cet état ?
lancé-je, amusé.
— Noah !
— Ça va ! Je te taquine, désolé !
Elle pouffe légèrement, mais semble reprendre son calme presque
immédiatement.
— On va faire les choses différemment, si tu es d’accord. Vois ça comme
une conversation… entre anciens camarades de lycée. Tu n’as pas besoin
d’adopter un ton formel, après tout, tu vas bien rédiger un article, non ?
— Oui.
— Tu vas donc choisir les passages les plus intéressants pour ta rédaction et
laisser le reste. Faisons simple. Un échange de questions-réponses, mais
dans les deux sens. Si tu m’en disais un peu plus sur toi ?
Je vois qu’elle réfléchit quelques instants, puis prend une profonde
inspiration et acquiesce.
— Très bien. Cette interview est complètement biaisée de toute façon.
— Comment ça ?
— Eh bien tout le monde te connaît, je ne vois pas ce que je pourrais
apporter de plus te concernant…
— Peut-être que tu vas découvrir des cadavres dans mes placards ? tenté-je
de plaisanter.
— Noah, ce n’est pas drôle. Je viens tout juste de démarrer au journal et je
n’ai pas envie de foirer le premier sujet qui sort un peu de l’ordinaire.
Jusqu’à présent, je n’ai écrit que des articles sur des petites choses
quasiment insignifiantes à l’échelle de la ville. Mais là, mon patron m’a dit
que l’article serait probablement en seconde page du journal.
— En seconde page ? Pourquoi pas en première ? dis-je en riant.
— Tu ne t’arrêtes jamais ? dit-elle en riant.
— Tu me connais…
— Hum… oui… justement. Qu’est-ce que…
— À mon tour de te poser quelques questions. Tu es donc allée à
l’université après le lycée, c’est ça ?
— Oui, alors que tu as déménagé à l’autre bout du pays pour tes études, je
n’ai pas bougé pour poursuivre les miennes, et j’ai obtenu mon master en
journalisme très récemment. Puis, ma mère est morte.
— Tu…
Merde. Je ne m’attendais pas du tout à ça.
— Je suis désolé pour ta mère… je ne sais vraiment pas quoi te dire. Elle
était encore jeune.
— Oui. Son… son cancer a été foudroyant. Elle est partie en trois mois.
— C’est terrible.
— Le pire, c’est qu’elle n’a même pas pu me voir exercer le métier pour
lequel elle s’est tant sacrifiée…
— Je vois… tu as donc quitté Diamond pour démarrer une nouvelle vie ?
— Quelque chose dans le genre. Et toi ? Tu es allé à Columbia, c’est ça ?
Comme tu as toujours rêvé ?
— Oui. Partir à New York n’a pas été facile… j’ai choisi d’étudier les
sciences économiques à la Business School, comme tu t’en doutes.
— Le chemin qu’avait suivi ton père avant toi. C’est une université très
prestigieuse. Ils doivent être fiers.
— Ma mère l’est, oui. Mon père… il nous a quittés deux ans après mon
entrée à Columbia.
— Je sais, et j’en suis navrée. Ça n’a pas dû être facile de marcher dans ses
pas…
— En effet. Mais j’ai su rebondir. Nous avons une grande famille et tu sais
ce que pense ma mère du fait de montrer ses émotions en public…
— Hum, oui, je crois. Elle avait fait une sacrée scène à ta sœur quand elle
avait fondu en larmes après le savon qu’elle lui a passé en débarquant à la
fête d’anniversaire de ses quinze ans !
— Exact. C’est drôle que tu te souviennes de ça !
— Pas tant que ça. Elle avait invité quasiment tout le lycée chez vous.
— Oui, c’est vrai… bref, toujours est-il qu’après avoir obtenu mon
diplôme, j’ai tout de suite investi dans une boîte qui développe des
applications mobiles…
— Et c’était très bien vu. C’est ce qui t’a fait démarrer, n’est-ce pas ?
— Tout à fait. Même si j’avoue que faire partie d’une famille riche facilite
bien des choses… mais depuis, tout ce que j’ai, je l’ai gagné à la sueur de
mon front.
— Ce n’est pas totalement vrai. Tu as quand même touché quelque chose à
la mort de ton père, j’imagine…
— Quelqu’un a fait des recherches sur moi, on dirait.
— C’est un peu la procédure avant d’interviewer quelqu’un…
— D’accord… et toi alors, que deviens-tu ? Tu as débarqué à San Francisco
tout récemment ?
— Il y a moins d’un mois. C’est tout frais, oui.
— Qu’est-ce que tu en penses ?
— J’ai encore du mal à m’habituer à la pente de certaines rues, mais les
choses que j’ai pu voir pour l’instant sont plutôt pas mal.
— Tu as probablement déjà fait toutes les attractions touristiques, j’imagine
?
— Hum. Non. Du tout.
— Quoi ? Mais c’est une honte, Mademoiselle Collins ! dis-je en me
moquant.
— Pas tant que ça. Je suis très concentrée sur mon travail, c’est ce qui
compte vraiment pour moi.
— Oh. Et tu as dû laisser tes amis et peut-être même un petit ami à
Diamond ?
— Te voilà dans le rôle de l’interviewer. Mais non… pas d’amis, ni de petit
ami…
— Hum… je vois.
— Plutôt pathétique, hein ? dit-elle laconiquement.
— Pas du tout, c’est juste que… tu t’es donné les moyens de réaliser ton
rêve : être journaliste.
— Je débute à peine. Pas encore de quoi jubiler.
— Oh, mais je sens que ça va changer, tu as l’air d’être douée et
professionnelle. Il ne faut juste pas que tu te laisses manger par le stress…
— Hum… oui, c’est plutôt un bon conseil.
— Je sais.
— Frimeur.
— Rabat-joie.
Nous sourions tous les deux et l’interview se poursuit. Elle est beaucoup
plus détendue une fois que la gêne est passée. Outre quelques petites
questions un peu étranges, le reste de l’interview est assez classique.
Dès qu’elle a terminé, Heather se lève pour mettre fin à l’entrevue.
— Bon, c’est terminé, je crois que j’ai tout ce qu’il me faut. Je te remercie
de m’avoir accordé du temps, dit-elle en stoppant la fonction enregistrement
sur son téléphone.
— Il n’y a pas de quoi. C’était très sympa, dis-je en tentant de ne pas trop
me focaliser sur sa tenue.
Il faut avouer qu’elle la met plutôt bien en valeur. Dommage que ses
cheveux soient attachés dans ce chignon tout serré. Il me semble qu’elle
avait déjà une belle chevelure à l’époque.
— Heather ?
— Oui ?
— Est-ce que tu sais quand l’interview sortira ?
— Eh bien, mon rédacteur en chef doit encore le valider, mais
normalement, si cela lui convient, avant la fin de la semaine, répond-elle en
souriant.
— Très bien ! J’ai hâte de voir ça ! Voir son nom sous un article, dans un
grand journal, ça doit être quelque chose, tout de même !
— Je t’avoue que c’était plutôt pas mal, même si les sujets n’étaient pas
spécialement hyper excitants jusque-là. Mais ça pourrait changer avec ton
interview, si le résultat plaît à mon boss, bien sûr.
— J’ai confiance en ton travail. Je me souviens que tu étais déjà douée pour
écrire, à l’époque du lycée, dis-je en me levant à mon tour.
— Oh, tu te souviens de ça ?
— Bien sûr… dis-moi, est-ce que tu fais quelque chose là, tout de suite ?
— Euh, pas spécialement, pourquoi ?
— Je me demandais si peut-être, tu accepterais aller prendre un verre avec
moi, en souvenir du lycée ? Qu’en dis-tu ?
Je vois ses joues rosir légèrement, et je trouve ça adorable. Alors comme ça,
je lui fais toujours de l’effet. Je ne peux m’empêcher de sourire légèrement.
Elle réfléchit quelques instants, puis prend la parole.
— C’est très gentil, mais je vais passer mon tour. J’aimerais me mettre à
rédiger mon article dès que possible, tant que c’est encore frais dans ma
tête.
— Très bien… une prochaine fois peut-être ?
— Nous verrons bien… si jamais on se recroise, ajoute-t-elle d’une façon
mystérieuse.
— D’accord. Merci d’avoir fait le déplacement jusqu’ici, ça me facilitait les
choses cette semaine.
— Pas de problème. Bon, j’y vais.
— OK. À un de ces jours…
Elle me tend la main, et je la lui serre en plongeant mes yeux dans les siens.
J’avais oublié à quel point ils étaient beaux.
— Au revoir, Heather.
— Au revoir, Noah.
Elle quitte mon bureau et il me faut quelques secondes pour m’asseoir sur
ma chaise. Je n’arrive pas à croire que nos routes se soient à nouveau
croisées. Elle a réussi dans le domaine qui l’attirait depuis le lycée, ce qui
est super pour elle. Je n’avais pas pensé à elle depuis toutes ces années.
À vrai dire, quand nos chemins se sont séparés naturellement à la fin du
lycée, nous n’avons pas vraiment pris la peine de prendre des nouvelles des
uns et des autres. Cela vaut aussi pour mes anciens camarades, y compris
mes ex-petites amies. Déjà à l’époque, je m’amusais bien avec les filles.
J’étais un garçon assez populaire, et étant capitaine de l’équipe de football,
j’avais pas mal de succès. Ça n’a pas trop changé aujourd’hui, si ce n’est
qu’à l’époque, j’essayais de cacher le fait que ma famille avait de l’argent.
Les gens m’appréciaient ou non, mais ils ne me jugeaient pas par rapport à
la taille de mon portefeuille.
C’est bien différent aujourd’hui. Parfois, je n’arrive plus à savoir si les gens
me côtoient juste pour mon argent, mes connexions avec certains milieux,
ou s’ils m’apprécient pour la personne que je suis. C’est devenu un peu
compliqué, encore plus avec les femmes. Il m’est arrivé d’essayer de
m’engager dans des relations un peu plus sérieuses il y a quelques années,
mais je me suis toujours retrouvé coincé d’une manière ou d’une autre dans
quelque chose de faux et de complètement superficiel. Et j’ai même été
blessé. Alors, j’ai préféré arrêter les frais. Depuis, je m’amuse, sans attache.
Sans vouloir exagérer, je sais que je n’ai qu’à entrer dans une pièce pour
capter l’attention d’une femme. Sachant très bien qui je suis, elle se met en
tête de me harponner, ou de se laisser séduire, en fonction de son caractère,
et le petit jeu commence très vite. Elle obtient ce qu’elle veut, à savoir la
satisfaction de m’avoir eu dans son lit, et j’obtiens également ce que je
veux, ce qui se résume à une nuit ou un moment de bon temps, sans
promesses et sans attentes. Ma réputation me précède et tout le monde sait
que je ne suis pas le genre d’homme à vouloir une relation stable. Du
moins, pas pour le moment, et cela me convient bien. Je peux pouvoir en
profiter au maximum, sans avoir à en assumer les conséquences.
Tout de même. Heather a refusé ma proposition de prendre un verre. Cela
faisait bien longtemps qu’une femme n’avait pas refusé d’aller quelque part
avec moi, et ça me fait un drôle d’effet. Mais je ne vais pas m’en formaliser.
Je sors mon téléphone et compose un numéro enregistré.
— Bonjour… Dana ? demandé-je en prenant un ton enjôleur.
— Oui ?
— C’est Noah Hill. Nous nous sommes croisés au dernier gala de charité
que j’ai donné…
— Oh mon Dieu, oui, bien sûr. M. Hill. Comment allez-vous ?
— Plutôt bien. Je me demandais si vous seriez libre ce soir ?
— Oh… bien sûr. Qu’avez-vous en tête ?
— Hum… peut-être un dîner dans un restaurant chic, puis on pourrait aller
prendre un verre en ville, et terminer la soirée chez moi ?
— Ça me semble plutôt bien ! Pour quelle heure dois-je être prête ?
demande-t-elle avec une pointe d’excitation dans la voix.
— Est-ce que dix-neuf heures vous conviendrait ?
— Oui, c’est parfait. Je vous envoie l’adresse où venir me chercher par
message ?
— S’il vous plaît, oui. Quel type de cuisine préférez-vous ?
— Je ne suis pas très difficile. J’aime découvrir de nouvelles choses.
Surprenez-moi.
— Très bien. Je vous dis à ce soir.
— À plus tard. Merci d’avoir appelé, dit-elle avant de raccrocher.
Je repose mon téléphone sur mon bureau et je pense déjà à cette longue
paire de jambes que j’avais remarquée lors du gala. Je savais que je finirais
par l’appeler tôt ou tard. Rien qu’à cette soirée, une dizaine de femmes
m’ont abordé, dont deux qui étaient mariées. C’est ma limite. Je me fais
plaisir, certes, mais je refuse de passer ne serait-ce qu’une nuit avec une
femme mariée. Ce n’est pas quelque chose que j’aimerais qu’on me fasse si
j’étais en couple. Je ne vois pas pourquoi je le ferais à quelqu’un d’autre. Je
n’ai plus qu’à contacter l’un de mes restaurants préférés, dans lequel j’ai
mes habitudes et où il m’est assez facile d’obtenir une place.
La soirée s’annonce encore intéressante.
5
Heather
Bordel de m… !!!
Sérieusement ? C’est une blague ! Quel était donc le but de cette interview ?
Si c’était pour inventer des réponses ou parler uniquement des choses qui
l’arrangeaient, pourquoi avoir pris la peine de venir donner l’interview en
personne ? Elle aurait pu dire qu’elle m’avait rencontré sans même prendre
la peine de déplacer son joli cul hors de son journal. Bon sang ! Elle
n’imagine pas les dégâts que cela peut avoir sur ma réputation, sans parler
des gens avec qui je travaille, et de ceux qui travaillent pour moi. De tout
mon entourage, à vrai dire. Moi qui pensais qu’elle était tendue et qu’elle
n’était pas très à l’aise, visiblement, je me trompais. C’est elle qui a mené
sa barque comme une pro, m’amenant là où elle voulait que j’aille ! Et dire
que j’ai été prévenant et gentil, en souvenir du bon vieux temps.
Franchement, elle s’est bien foutue de moi ! Comment ai-je pu être aussi
con ? Je pensais qu’elle était passée au-dessus de ce qui s’était passé à
l’époque du lycée, qu’elle avait oublié toute cette histoire entre Paty, elle et
moi. J’aurais dû me douter que non.
Je suis pourtant conscient de lui avoir fait de l’effet. Je n’ai pas pu inventer
ça, si ? Ou alors j’ai tellement l’habitude que toutes les femmes me courent
après que je l’ai imaginé ? Bon sang, quel con ! Je me suis confié à elle, elle
s’est confiée à moi… et si tout ce qu’elle m’a dit n’était en fait qu’un tissu
de mensonges ? Sa mère est-elle vraiment morte ? Ou est-ce qu’elle a dit ça
uniquement pour m’amadouer et me soutirer certaines informations… après
tout, certains passages sont vrais dans cet article, mais la quasi-totalité n’est
qu’un gros tas de merde ! Pourquoi a-t-elle fait ça ? Pour essayer de coller
au style du journal ? Le San Francisco Chronicle… OK, ils produisent de
bons articles sur les news locales et ils ont des reporters de qualité, mais de
temps en temps, certains de leurs articles sont complètement hors de
propos. Même si je sais que beaucoup de gens aiment cette partie un peu
plus trash, comme quand ils ont démasqué un politicien qui harcelait
certaines de ses collaboratrices, ou quand ils ont révélé la corruption
sévissant dans le service de police… pourtant, ils n’avaient encore jamais
travesti la vérité à ce point. Pas avant qu’elle ne débarque au journal du
moins. Ce ne doit pas être une coïncidence. Certains passages sont
complètement absurdes.
« Les diverses activités de M. Hill lui permettent certes de rencontrer de
potentiels nouveaux collaborateurs, mais c’est aussi un moyen pour lui
d’augmenter le nombre de ses conquêtes. À croire que le milliardaire le plus
célèbre de la côte ouest tient une sorte de carnet des comptes, précisant le
titre de la jeune femme si elle en possède un, la durée probable de leur
relation et l’endroit où il l’a rencontrée. » Jamais je ne ferais une chose
pareille. Je lui ai simplement fait comprendre que je n’avais pas de mal à
séduire, rien d’autre ! Aurait-elle mal interprété les choses à ce point ?
« Les entreprises à plusieurs millions sont-elles la source principale de
revenus du bel homme d’affaires, ou tire-t-il ses revenus d’une source
beaucoup plus charnelle et secrète que ce qu’il laisse entendre ? » Elle
insinue carrément que ces femmes me paient pour passer une nuit avec
elle ! J’ai l’air d’un gigolo ? Sérieusement ?
« Que penserait le regretté Joshua Hill de son propre fils, s’il découvrait
qu’il ne peut même pas se tenir convenablement quand il est interviewé par
une journaliste sérieuse et professionnelle ? » Je n’arrive pas à croire qu’elle
ait mentionné mon père dans son article. Surtout après la tournure qu’avait
pris notre conversation… et en plus, elle croit que je lui ai fait du rentre-
dedans… Bon, j’admets que j’ai peut-être un peu flirté avec elle, mais je
voulais voir si elle était toujours sensible à mon charme… Est-ce que toutes
ses réactions étaient feintes ? Elle ne peut pas être aussi bonne actrice. Pas
la Heather dont je me souviens. Elle qui était tout innocente, toujours prête
à aider les autres et qui faisait passer tout me monde avant elle ? Comment
a-t-elle pu en arriver là ? Est-elle prête à tout pour essayer de se faire un
nom ou une réputation dans le milieu ? Quoi de mieux que de tester son
manège sur un milliardaire qui a beaucoup à perdre ? Putain, il va vraiment
falloir que je tire cette histoire au clair. J’ai également l’impression que les
femmes risquent de me fuir comme la peste à présent. Ce qui était censé
être une interview classique va se transformer en cauchemar. Les réseaux
sociaux vont s’en donner à cœur joie. Ce qui pourrait être le plus
préjudiciable, ce sont les réactions que cela pourrait engendrer sur les
potentiels donateurs invités aux œuvres caritatives dont je m’occupe.
Pourquoi n’a-t-elle pas pensé à ça ? Je lui ai pourtant dit que cela comptait
énormément pour moi… bon sang. Je ne sais plus quoi en penser. Il faut
que je me pose.
Je rentre à la maison et me dirige directement vers la cuisine. J’attrape une
bière dans le frigo, et Gloria apparaît aussitôt.
— Monsieur Hill, vous êtes rentré pour le déjeuner ? Pourquoi ne m’avez-
vous rien dit ? me demande-t-elle, affolée.
— Ce n’était pas prévu, Gloria. J’ai annulé tous mes rendez-vous de
l’après-midi.
— Oh, ça vous a vraiment touché, on dirait.
— Vous avez lu l’article ? demandé-je horrifié.
— Hm. Elle n’est pas claire cette histoire, mais c’est tout de même étrange.
— Quoi donc ?
— Eh bien, qu’elle ait écrit de telles absurdités sur vous ! Qui voudrait vous
faire ça ? Pourquoi ?
— Je n’en ai aucune idée, Gloria.
— Heather Collins… il s’agit bien de cette fille que vous aviez em….
— C’est bien elle, oui.
— Hm. Encore plus étonnant alors. Je croyais que vous lui plaisiez et
qu’elle était un peu… obsédée par vous. Pourquoi irait-elle inventer tout ça
maintenant ?
— Gloria ! Si seulement je le savais ! Je ne sais pas ce qui se passe dans son
cerveau ! Elle a peut-être complètement perdu les pédales à la mort de sa
mère, si elle est vraiment morte ! Ou alors elle m’a juste mené en bateau
afin de me nuire, par jalousie envers ma fortune ! Qu’est-ce que j’en sais ?
Gloria me regarde sans rien dire et secoue la tête.
— Je suis désolé Gloria, je n’aurai pas dû crier comme ça. Vous n’y êtes
pour rien.
— Ce n’est pas bien grave, vous êtes énervé, et franchement, je peux
comprendre. Toutes ces conneries étalées en première page, il y a de quoi
être contrarié, je vous le dis !
— Merci Gloria…
— Voulez-vous manger quelque chose ? Je peux vous faire une bonne
omelette ? Je sais que ça vous réconforte de manger quelque chose quand
vous êtes dans cet état.
— Hm… Je veux bien oui, merci.
— À la bonne heure ! Tenez, installez-vous confortablement à table pendant
que je vous prépare ça.
— Très bien. Qu’est-ce que je ferais sans vous, Gloria ?
— Oh, vous seriez probablement déjà mort de faim ou de soif. Mais n’y
pensez plus. Laissez cette histoire se tasser quelques jours, et voyez ensuite
ce que vous voulez faire, dit-elle en cassant quelques œufs dans un saladier.
— Ce que je compte faire ? Que voulez-vous dire ?
— Il me semble pourtant que c’est clair. Vous devez parler avec
Mademoiselle Heather de l’article et lui demander des explications.
— Je suis bien trop en colère pour ça.
— Pas aujourd’hui. Attendez un peu que ça retombe. Mais ne laissez pas les
choses s’envenimer. Surtout si ça vous cause des ennuis. Personne ne
devrait se mêler de la vie des autres comme ça !
J’écoute Gloria ruminer tandis qu’elle me prépare une de ses bonnes
omelettes. Quand j’ai terminé mon assiette, je me sens un peu mieux, mais
pas totalement. Gloria étant partie pour l’après-midi, je décide d’aller faire
une sieste.
Deux jours passent et cette étrange sensation ne me quitte pas. Il faut que
j’évacue ce que j’ai dans la tête. Entre la sensation d’avoir été
complètement roulé dans la farine et le fait et que j’ai été déstabilisé par
Heather, je ne sais clairement plus où j’en suis. Il faut que j’appelle
quelqu’un. Quelqu’un qui sait organiser des fêtes comme personne.
Trois heures plus tard, j’enchaîne les verres et je ne sais plus où donner de
la tête. Je ne m’étais plus lâché comme ça depuis le lycée. Je ne connais pas
la plupart des gens qui sont chez moi, mais tout le monde à l’air de prendre
du bon temps, alors pourquoi pas moi ? Je repère quelques filles « de bonne
famille » qui ne refusent jamais une fête un peu plus trash, mais qui ont la
décence de ne pas en parler devant nos familles respectives. Elles savent
aussi bien se tenir en société qu’être délurées quand il faut. Elles sont
légèrement plus jeunes que moi, probablement en troisième ou quatrième
année d’un master de je ne sais quoi dans une université prestigieuse.
Quand j’ai donné carte blanche pour l’organisation de la fête, c’est
exactement ce que j’avais en tête. De la musique à fond, de l’alcool, des
gens de tous horizons, et surtout pas de limite dans l’éclate. C’est comme si
je retombais un peu dans mes jeunes années à l’université. À cette époque,
je m’éclatais vraiment ! Je n’ai jamais rien fait qui aurait pu contrarier ma
mère, cela dit. Elle avait déjà bien trop changé depuis la mort de mon père.
La soirée touche à sa fin, et tout le monde rentre chez soi. Tout le monde,
mis à part trois superbes créatures avec qui j’ai pu finir la soirée en beauté,
dans le salon.
Au petit matin, je suis réveillé par quelque chose de bien désagréable :
Gloria qui me donne un coup de torchon sur la tête.
— Hey ! Gloria ! Hmm… désolée pour tout ce bazar… j’ai… j’ai fait une
petite fête hier, dis-je en vérifiant que je ne suis pas nu.
— Oh, j’en ai vu d’autres, vous savez. Je viens vous voir, car il y a
quelqu’un qui demande à vous parler, dit-elle d’une voix un peu plus basse.
— Ah bon ? Et qui ? dis-je en chuchotant à mon tour.
— Mademoiselle Collins, dit-elle en indiquant le hall d’entrée et en prenant
un air pincé.
En effet, Heather se trouve à quelques pas de là, ayant une vue imprenable
sur les restes de la soirée de la veille ainsi que sur les trois paires de jambes
qui occupent l’espace près de moi. Des bouteilles d’alcool, des verres et des
gobelets divers jonchent le sol et des restes d’une substance non identifiée
se trouvent près du canapé. Voilà qui ne va pas aider à nier les accusations
de son article. Je sens déjà l’affreux mal de tête pointer le bout de son nez.
Il me faut de l’aspirine. Clairement.
— Très bien… pouvez-vous lui demander de m’accorder dix minutes, le
temps que je sois un peu plus présentable ? Et que si elle veut parler, on
devra le faire dehors, accompagné d’un café. J’ai au moins besoin de ça
pour effacer la soirée d’hier.
— D’accord. Je vais lui dire.
— Merci Gloria.
Alors que Gloria se dirige vers Heather, je pars en catimini et m’éclipse par
une porte me permettant d’éviter de tomber directement sur elle. De quoi
veut-elle parler, d’abord ? J’espère qu’elle n’est pas là pour remuer le
couteau dans la plaie, car je ne suis pas vraiment d’humeur pour ça. Je saute
dans la douche, puis je prends soin de bien me brosser les dents. Rien de
pire qu’une haleine de lendemain de fête.
Dix minutes plus tard, j’ai rejoint Heather et nous nous dirigeons vers un
petit café pas très loin.
— Noah, je…
— Franchement, je ne sais même pas par où commencer ! Je suis tellement
furieux ! crié-je sans même lui laisser le temps d’en placer une.
— Écoute, je comprends que tu…
— Non, toi tu vas m’écouter. Je ne sais pas ce qui t’est passé par la tête,
mais tu as dû prendre un sacré coup. Comment as-tu pu écrire ce tissu de
mensonges sur moi ? Je ne t’aurais jamais crue capable d’une telle chose.
— Laisse-moi au moins t’expliquer ! dit-elle alors que nous continuons à
marcher à vive allure.
— Il n’y a pas grand-chose à dire ! Tu as demandé à me voir pour une
interview, j’ai joué le jeu. J’ai répondu honnêtement à toutes tes questions.
Je savais que je pourrais montrer certains aspects de ma personnalité qui
n’étaient pas connus de tous, mais bon sang, que tu ailles jusqu’à inventer
de telles choses !
— Stop ! Je ne suis pas responsable de ce merdier !
— Tu te fous de moi ? C’est bien ton nom qui figure en bas de l’article,
non ?
— Oui ! Mais je t’assure que je n’y suis pour rien ! J’ai remis mon article à
Jo et…
— Et quoi ? Comme par magie, il s’est transformé ?
— Il y a un peu de ça ! ajoute-t-elle alors que nous venons juste de nous
engager sur le passage piétons.
— Développe, dis-je en regardant la vitrine du café juste devant nous.
— J’ai remis mon article à mon rédacteur en chef et il l’a réécrit. Je n’étais
pas au courant, je t’assure !
— Et les détails concernant ma vie personnelle, il les a inventés eux aussi ?
demandé-je, encore énervé par la situation.
— Il a également demandé à voir mes notes. Elles contenaient la
retranscription exacte de notre entrevue. Il a pris ce qu’il voulait, l’a mixé à
sa sauce, et ça a donné ce ramassis de conneries !
— Enfin une chose sur laquelle nous sommes d’accord !
— Hey ! Je suis venue pour m’excuser, même si ce n’est pas ma faute, et
tout ce que tu fais, c’est me hurler dessus ! Je ne suis pas venue pour ça !
— Quoi ? Tu t’attendais peut-être à ce que je t’accueille les bras ouverts ?
Tu te moques de moi ?
— Pas du tout ! Je voulais simplement te dire que je n’étais pas responsable
de ce torchon !
— Évidemment ! Tu n’es jamais responsable de rien !
— Quoi ?
— Tu as très bien entendu.
Les quelques passants dans la rue nous regardent étrangement quand ils
nous croisent.
— Qu’est-ce que tu racontes ?
— Tu crois que tu es la seule à te souvenir de l’époque du lycée ? Tu crois
que j’ai oublié que par ta faute, j’ai perdu mon premier amour ?
— Quoi ? Mais c’est une blague ? crie-t-elle, excédée.
— Pas du tout ! Paty n’a jamais voulu me reprendre après que tu m’as
embrassé.
— Que je… attends, tu inverses complètement les rôles ! Bon sang, c’est
n’importe quoi. Qu’est-ce que ça vient faire là de toute façon ! J’ai été bien
bête de vouloir m’excuser alors que je n’y suis pour rien ! dit-elle en
commençant à faire demi-tour.
— Heather, attends ! Je suis désolé ! Tu débarques pour discuter, mais tout
est encore confus dans ma tête. Reste, on va prendre un café et régler cette
histoire une fois pour toutes, dis-je en lui tenant le bras fermement pour la
ramener vers moi.
— Non ! Ça ne sert à rien, c’est complètement con, Noah ! Bordel,
j’aimerais ne t’avoir jamais rencontré !
— Heather, enfin, dis-je en tirant un peu plus sur son bras.
— Lâche-moi ! me lance-t-elle avant de se dégager violemment de mon
étreinte, dans un mouvement qui la fait basculer vers la route.
C’est précisément ce moment que choisit le conducteur de la voiture rouge
pour venir la percuter de plein fouet. Elle est projetée par-dessus le pare-
brise et le toit, avant de retomber lourdement sur le sol. Plusieurs personnes
se mettent à crier, moi y compris. La voiture ne s’arrête même pas, et je n’ai
pas le temps de réaliser ce qui se passe, qu’elle est déjà loin.
— Heather ! Heather ! Bon sang ! dis-je, n’en croyant pas mes yeux.
— J’appelle les secours ! dit quelqu’un dans le petit attroupement qui s’est
formé autour de nous.
— Que personne ne la touche, on ne connaît pas l’étendue de ses blessures,
dis-je, ayant complètement retrouvé mes esprits.
Du sang coule de plusieurs endroits de son corps, y compris de son nez et
de ses oreilles. Mon cœur bat à mille à l’heure. Je commence à me sentir
vraiment mal. Des frissons horribles remontent le long de ma colonne
vertébrale. Tout s’est passé si vite ! Je me penche vers elle, et colle mon
oreille près de son nez afin de déterminer si elle respire. C’est le cas. Elle
est vivante.
Mais qu’est-ce que j’ai fait ?
7
Heather
Quand j’arrive devant chez Noah, je suis surprise par tout son système de
sécurité. Je veux dire, évidemment. Il est riche. Il doit protéger ses biens.
Mais bon sang, c’est sacrément sophistiqué ! De l’extérieur, on aperçoit
uniquement les étages de la maison, dissimulée à demi par quelques arbres,
et un peu décalée de ce qui semble être l’allée principale de la propriété.
Découvrir où il habitait n’a pas été une mince affaire, mais mes qualités de
fouineuse finissent toujours par payer. Je ne lâche jamais l’affaire. J’espère
simplement qu’il est prêt à discuter. Je sonne à l’interphone vidéo du grand
portail et quelqu’un me répond rapidement.
— Oui ?
— Euh, bonjour… je… je viens pour voir Noah. Est-ce qu’il est là ?
demandé-je, incertaine quant à l’identité de la personne à qui je m’adresse.
— Qui le demande ?
— Mademoiselle Collins.
— Miss Heather ? me demande une voix qui me rappelle quelque chose.
— Gloria ? dis-je en reconnaissant soudain mon interlocutrice.
— Oui ! Je ne vous avais pas reconnue, attendez, je vous ouvre, dit-elle
enfin.
Mon taxi m’ayant déposée à quelques rues d’ici, je me sens un peu ridicule
lorsque je passe l’énorme portail à pied. Je remonte l’allée menant jusqu’à
l’énorme propriété. Bon sang. C’est ici qu’il vit ? C’est complètement
insensé ! La propriété est imposante et la maison construite dans un style
assez moderne, possède tout de même quelques touches d’ancien. Je sais
que nous sommes dans l’un des quartiers les plus riches de la ville, mais
c’est tout de même quelque chose de voir une de ces maisons de ses propres
yeux. Déjà, je vois la porte d’entrée s’ouvrir et Gloria m’accueillir avec un
grand sourire.
— Bonjour Miss Heather ! me lance-t-elle alors que je reste sur le perron.
— Bonjour Gloria. Ça fait un bail, hein ?
À vrai dire, on ne se connaît pas vraiment, mais je l’ai souvent croisée dans
mon adolescence. Je sais qu’elle a toujours été très présente pour Noah, et
elle m’a toujours fait l’effet d’une femme sympathique. Toujours aux petits
soins, à anticiper les moindres besoins et désirs de la famille, tout comme sa
mère avant elle.
— Oui, oui ! Alors comme ça, vous venez voir M. Hill ?
— Oui, mais, il ne sait pas que je suis là. Je ne l’ai pas prévenu. J’aimerais
discuter avec lui… de certaines choses, dis-je en restant vague.
— Oh, je vois, je vais vous le chercher. Ne restez pas là, entrez.
J’entre dans la magnifique demeure et j’en ai le souffle coupé. Tout ici sent
le luxe à plein nez. Je n’ai pas vraiment l’habitude. Le sol du hall d’entrée
est en marbre. En marbre ! Un énorme chandelier en cristal pend du haut
plafond, et des moulures sont savamment disposées sur certaines parties des
murs. Le mobilier est épuré, mais luxueux, et tout est impeccablement
propre.
— Je reviens, M. Hill est… oh hum… il n’est pas très loin, dit-elle en se
dirigeant vers ce qui ressemble à un salon.
En total désordre, détonnant complètement avec l’impeccabilité de la
maison. On dirait qu’il a fait la fête. Il est… ce sont… combien ? Trois
paires de jambes que je distingue à ses côtés ? Bon sang. Fidèle à sa
réputation, finalement. Après plusieurs longues secondes, Gloria revient.
— M. Hill arrive, il… hum… il demande si vous pouvez patienter quelques
minutes… le temps qu’il se rafraîchisse. Il veut bien discuter avec vous,
uniquement si vous l’accompagnez à l’extérieur pour prendre un café.
— Très bien. C’est d’accord, dis-je en tentant de jeter un nouveau coup
d’œil au salon.
Il a disparu. Je ne sais pas où il est passé. Il a certainement emprunté une
porte dérobée pour m’éviter. Je sens le stress monter en l’attendant.
J’avance un peu, par pure curiosité. J’ai l’impression qu’il y a un nombre
incalculable de pièces, et je pense à cette pauvre Gloria qui doit
certainement gérer seule l’intendance de cette maison. Quel boulot !
Dix minutes plus tard, Noah revient frais et dispo. Il porte un vieux jean et
un tee-shirt simple mais de marque, ce qui lui donne un côté décontracté
que je ne lui connaissais pas encore. Ça lui va plutôt bien ! Bon, j’essaie de
me préparer mentalement…
— Salut, dit-il d’un ton froid.
— Salut, dis-je en essayant de ne pas me vexer.
— Je te préviens, j’ai la gueule de bois. Il me faut absolument du café.
— Très bien. Je te suis.
Nous avançons au pas de course vers une destination inconnue. Cette
discussion s’annonce un peu plus compliquée que ce que j’avais prévu.
Je ne sais pas combien d’heures ont passé, mais quand nous ouvrons les
yeux, le docteur entre dans la chambre.
— Comment va-t-elle ? demande le docteur Abrahms en pointant le menton
vers Heather.
— Ça pourrait être pire, dis-je en me redressant.
— Vous savez que je suis réveillée et que je peux entendre tout ce que vous
dites ? dit finalement Heather.
— Bien sûr… dit à nouveau le docteur.
— Heather, je suis tellement désolé…
— Mlle Collins, j’ai en effet demandé à M. Hill de vous faire part de
certaines choses, car je pense que ça peut être bénéfique pour vous sur le
long terme. Cependant, vos blessures physiques vont vous mettre
temporairement en arrêt de travail…
— De… travail ? Mais j’ai… je suis lycéenne…
— Non… tu… je t’ai expliqué, Heather…
— Laissez… elle peut mettre du temps à l’assimiler, c’est tout à fait normal.
Quand elle réagit de cette façon, poursuivez dans ce que vous voulez lui
dire et ne vous focalisez pas trop sur ce qu’elle répond.
— Très bien… c’est vous le professionnel.
— Alors… comme je disais… vous allez avoir besoin d’aide pour les
tâches du quotidien… et de quelqu’un qui s’occupe de vous également…
— Je… je pourrais le faire, proposé-je en regardant Heather.
Ses yeux semblent soudain s’éclairer, mais son regard s’assombrit assez
vite.
— Tu serais d’accord, Heather ?
— Hum… je suppose que je n’ai pas vraiment le choix, si ?
— En effet… c’est juste que…
— Ta mère est décédée, Heather. Il n’y a pas si longtemps, d’ailleurs.
Ses yeux se figent et se remettent à couler sans interruption, mais elle ne dit
rien.
— Je suis navré pour vous, Mlle Collins, mais il fallait que vous le
sachiez… étant donné que M. Hill propose de vous aider…
— Je pense que j’avais plus ou moins deviné par moi-même, arrive-t-elle à
dire.
— Quoi ? Comment ça ? dis-je, intrigué.
— Franchement, il m’arrive un truc comme ça, aussi grave, et ma mère
n’est pas là ? Si c’est arrivé il y a trois jours, elle aurait dû être là. La seule
raison qui peut expliquer son absence c’est… c’est qu’elle est bel et bien
morte…
Sa voix se brise à nouveau et j’ai l’impression que je vais m’écrouler à ses
côtés. C’est tellement injuste. Elle est passée à travers ça en étant adulte, et
c’était déjà assez difficile à vivre, mais en ce moment, son cerveau semble
croire qu’il a dix-sept ans, et vivre la perte d’un parent, en particulier à cet
âge, c’est vraiment horrible. J’aurais aimé qu’elle n’ait jamais à revivre ce
moment.
— Est-ce qu’elle… a souffert ? demande-t-elle en me suppliant du regard.
— Je…
— Non, ne me dis rien, ajoute-t-elle.
— Heather…
— Non, il vaut mieux que je ne sache pas. Si jamais elle est morte des
suites d’une longue maladie, je ne veux pas le savoir. Si ça a été soudain,
non plus. Elle est morte. C’est déjà bien assez horrible de toute façon.
— Je suis désolé, Heather, dis-je en me rasseyant auprès d’elle.
— Ce n’est pas ta faute…
— Très bien… je viendrai vous chercher demain matin pour un nouveau
scanner, et nous pourrons décider si une sortie est envisageable.
— D’accord. Et si c’est le cas ? demande-t-elle les yeux pleins d’espoir.
— Tu pourrais rester un moment avec moi, enfin… ma maison est bien
assez grande pour ça et j’ai des gens qui m’aident. Qu’en dis-tu, ça pourrait
être bien pour toi, non ? proposé-je.
— Tu es sûr que ça ne te dérange pas ?
— Pas du tout… je vais essayer de faire récupérer tes affaires. Tu dois juste
te concentrer sur ta guérison, d’accord ?
— D’accord.
— Je vous laisse, j’ai d’autres patients à voir.
— Bien sûr docteur… merci encore.
— Au revoir docteur.
Le docteur Abrahms quitte la pièce et je me retrouve avec Heather blottie
contre moi. Je dois avouer que ce n’est pas désagréable de la sentir si
proche. Elle n’a aucune hostilité envers moi et franchement, c’est un
soulagement. J’ai vraiment envie qu’elle aille mieux. Je dois l’aider.
— Noah ?
— Oui ?
— Tu… tu es resté. C’est vraiment gentil de ta part… je ne comprends pas
encore tout, mais si tout ce temps est vraiment passé, et que tu es là… c’est
que nous sommes amis, non ?
— Hum… je…
— Je suis tellement rassurée ! Je suis contente qu’on ne se soit pas perdus
de vue après le lycée, et si tu fais partie de ma vie, c’est que tu es quelqu’un
d’important pour moi. C’est tout ce que je sais.
Je réfléchis à ses paroles. Elles ne sont pas si bêtes que ça. Je veux dire… je
n’étais pas vraiment important pour elle… mais maintenant si. Elle se
raccroche à moi. Je peux devenir quelqu’un sur qui elle peut compter. Ça a
l’air de vraiment lui faire plaisir. Tout le monde mérite d’avoir un ami
proche qui le soutient dans les mauvais moments comme dans les bons.
Deux jours plus tard, Heather a enfin eu le feu vert pour quitter l’hôpital, et
nous arrivons à la maison ensemble. Tout mon personnel est au courant de
la situation, et je sais déjà que Gloria va m’être d’une grande aide. J’espère
qu’Heather va vite trouver ses marques et qu’elle va se remettre de ses
blessures. Je pousse son fauteuil roulant dans l’allée qui mène à la maison.
— Waouh ! Tu habites ici ? s’écrie Heather, admirative.
— Oui ! La maison te plaît ?
— Elle est démente ! Mais… c’est trop bizarre… j’ai une impression de
déjà vu ! Tu sais, comme si j’avais déjà vécu cette situation…
— Je vois… c’est… hum…
— Oh, je sais, mon cerveau est un peu en compote en ce moment, je dis
sûrement des conneries.
Nous arrivons devant la porte d’entrée, et je n’ai pas le temps de l’ouvrir
que Gloria nous accueille.
— Monsieur Hill ! Mademoiselle Collins !
— Gloria ! dit Heather, les yeux brillants.
Elle ne se souvient pas de ces neuf dernières années, et pourtant, elle se
souvient de Gloria ? Hum… j’imagine que pour elle, c’est comme si elle
l’avait vue quelques jours plus tôt… ce qui n’est pas totalement faux.
— Entrez, entrez ! Je vous ai préparé un bon petit plat pour vous souhaiter
la bienvenue.
Nous entrons et je referme la porte derrière moi. Je me rends compte que
c’est la première fois qu’une femme va habiter avec moi.
9
Heather
Deux jours plus tard, c’est complètement dépité que je rentre assez tard
chez moi. J’ai failli y passer ! Un incendie s’est déclaré dans les locaux de
la chaîne, et je me suis retrouvé coincé dans les bureaux, à l’étage.
Heureusement, l’intervention des pompiers a permis une évacuation rapide
de toutes les personnes sur place, et n’y a que quelques blessés légers. On
ne connaît pas encore les causes de l’incendie, mais il semblerait que ce ne
soit pas un accident. C’est presque impossible, pas avec toutes les normes
de sécurités qui sont imposées là-bas. Quand je pense que j’aurais vraiment
pu rester coincé… Que serait devenue Heather ? Bien sûr, elle aurait su se
débrouiller et ses blessures auraient bien fini par guérir un jour, mais pour
ce qui est de sa mémoire, rien n’est moins sûr. Il lui faut vraiment
quelqu’un pour l’aider à se souvenir, mais il faut que ça soit une personne
qui lui veut également du bien. Et pour le moment, on ne peut pas dire que
son entourage regorge de candidats adaptés. Il faut vraiment qu’on sorte un
peu de la maison. Elle doit se faire des connaissances en ville, ou elle va
finir par devenir folle. J’ai conscience que la maison est assez grande pour
qu’elle ne se sente pas trop enfermée, mais tout de même. Je sais qu’au bout
d’un moment, on peut devenir fou à rester enfermé entre quatre murs. C’est
quelque chose que j’ai déjà expérimenté par le passé.
Heather a une force de caractère incroyable. Elle apprend des choses
terribles au fur et à mesure que le temps passe, et elle encaisse tout, sans
broncher. Je ne sais pas comment ça se passe dans sa tête, mais elle a un
sacré mental. Même avant que tout ça n’arrive. Elle avait l’air d’être sûre
d’elle, bien dans ses baskets.
À chaque fois que je la porte pour la monter ou la descendre, je respire
discrètement son parfum. Elle sent tellement bon. Je sais qu’elle prend le
temps de se parfumer. Elle pourrait s’en foutre complètement, pourtant,
c’est un geste qu’elle fait chaque matin. J’aime à croire qu’elle le fait un
peu pour moi. Après tout, il n’est pas interdit de flirter un peu, non ? Elle
n’est pas insensible à mon charme, et apparemment moi non plus.
Dernièrement, certains traits de caractère ressortent un peu plus, comme son
assurance ou sa franchise, tout comme son esprit analytique et sa logique.
Je suis persuadé qu’elle va retrouver la mémoire, même si pour le moment,
je n’ai aucune idée de quand cela va se produire.
Je pousse la porte d’entrée et je suis accueilli par un son très mélodieux :
celui du piano présent dans un des salons de la maison. Quand je découvre
que c’est Heather qui en joue, je suis estomaqué. Non seulement elle joue
avec une seule main, sa main gauche, mais en plus, elle est douée !
— Waouh, dis-je en arrivant derrière elle, ce qui la fait sursauter.
— Noah ! Je ne t’avais pas entendu !
— Désolé, je ne voulais pas te faire peur, dis-je en m’asseyant sur le siège
près d’elle.
— Je sais jouer du piano ! dit-elle d’une voix enjouée.
— Apparemment oui ! Et même plutôt bien.
— C’est tellement frustrant !
— Quoi donc ?
— Eh bien, pour commencer, ce plâtre commence vraiment à être pénible.
J’ai envie d’utiliser mes deux mains, mais je ne peux pas.
— D’accord…
— Ensuite… j’ai oublié comment faire plein de choses, mais je découvre
que je sais faire des trucs dont je n’avais aucune idée.
— Je crois que je vois ce que tu veux dire. Hélas, le docteur Abrahms ne
nous a pas fourni de manuel quand tu es sortie de l’hôpital.
— Il aurait dû ! Franchement, c’est n’importe quoi ! Comment suis-je
censée comprendre qui je suis, si je n’ai pas connaissance de ce que je peux
faire ?
— Sois patiente… je sais que c’est beaucoup demander en ce moment, mais
malheureusement tu ne peux pas faire grand-chose de plus. Tout va te
revenir, tu verras.
— Tu en es sûr ?
— Je le pense en tout cas.
Elle se remet à pianoter délicatement et je reste là, à la regarder. J’ai
l’impression d’être plus proche d’elle que je ne l’ai jamais été, pourtant elle
n’est pas totalement là. C’est très étrange comme sensation. J’ai envie de la
prendre dans mes bras et de la serrer contre moi, mais j’ai peur de gâcher ce
moment, alors je m’abstiens.
Quand elle a terminé de jouer, elle pose la tête sur mon épaule, et nous
restons quelques instants sans rien dire. Je peux sentir son parfum, et c’est
en train de jouer avec mes nerfs.
— Tu sens la fumée… dit-elle sans bouger.
— Hum… oui… je t’expliquerai ça plus tard.
Elle pousse un léger soupir, mais n’insiste pas.
— Il y a eu un incendie dans les locaux de la chaîne.
— Quoi ? dit-elle en se redressant immédiatement.
— Rien de grave… enfin, il y a eu quelques dégâts, mais heureusement, pas
de blessés graves.
— Mon Dieu, mais c’est horrible ! Tu es sûr que tu vas bien ?
— Oui, tout à fait sûr. Je ne voulais pas te contrarier avec ça.
— Je ne suis pas en sucre, tu sais.
— Je m’en rends compte. C’est juste qu’avec tout ce que tu traverses
actuellement, je ne voulais pas te rajouter de stress inutile.
— Je comprends. C’est très gentil, mais je suis plus solide que j’en ai l’air !
— Hm.
— Est-ce que tu sais à quoi c’est dû ? demande-t-elle, de la curiosité dans la
voix.
— Comment ça ?
— L’incendie ? Vous avez des pistes ? Des suspects ? Quelque chose dans le
système de sécurité était défaillant ?
Je la regarde, un peu perplexe. Le cerveau est en effet vraiment très étrange.
— Euh, on penche pour un incendie volontaire… des inspecteurs vont
enquêter en se basant sur les comptes rendus des pompiers et ensuite on
pourra décider de la marche à suivre. Franchement, je ne sais pas qui
pourrait vouloir faire brûler ce bâtiment…
— Moi non plus.
— Tu as déjà mangé ?
— Oui… je ne te voyais pas arriver, alors je ne t’ai pas attendu.
— Tu as bien fait.
— Et toi ? Tu dois avoir faim.
— Non, justement. Toute cette histoire d’incendie m’a coupé l’appétit.
— Je comprends.
— Tu veux boire quelque chose ? J’ai besoin d’un verre…
— Hum… je veux bien, mais… une boisson sans alcool pour moi. Le
docteur a dit qu’il valait mieux que j’évite l’alcool pendant un moment, le
temps que mon cerveau se remette. En plus, ce n’est pas forcément
compatible avec les médicaments que je prends.
— D’accord. Va pour une limonade alors.
— Merci.
Je pars chercher les boissons et quand je reviens, elle n’est plus près du
piano.
— Heather ?
— Par ici ! dit-elle au loin.
— Où es-tu ?
— Désolée, ta maison est trop grande. Je suis dans le salon cinéma.
— J’arrive.
Je la rejoins en quelques secondes, et je la vois, assise bien droite dans son
fauteuil.
— Tu as envie de regarder un film ? demandé-je patiemment.
— Oui, si tu veux bien le regarder avec moi. Ça pourrait te changer les
idées, non ?
— Tu as raison. Je pense même que c’est une excellente idée.
Je pose les deux verres sur la petite desserte à côté du sofa confortable.
— Tu veux que je t’aide à t’installer sur le sofa ?
— Oh, je veux bien oui. J’ai un peu mal aux fesses à force de rester tout le
temps dans ce machin…
— OK… attends, viens là ! dis-je en la portant dans mes bras et en la
déposant doucement sur le sofa.
— Merci.
— Tiens… hop, on va caler ta jambe avec ce pouf.
— C’est parfait. Merci beaucoup !
— Tu as une idée précise de ce que tu aimerais voir ? dis-je en m’asseyant à
sa gauche.
— Je ne sais pas, qu’est-ce que tu as à me proposer ?
— À peu près tout…
— Hum… c’est vrai, j’avais oublié.
— Alors, tu voudrais plutôt regarder quelque chose de drôle ? Ou un
thriller ? Une comédie romantique peut-être ?
— Hm. Pourquoi pas.
— Bridget Jones ?
— Déjà vu…
— Le Bébé de Bridget Jones ?
— Quoi ? Tu plaisantes ?
— Tu ne me crois pas ?
— Euh, non, ce n’est pas ça. Je trouve seulement ça un peu étonnant
comme suite. Allez, j’ai bien envie de me laisser tenter.
— Imagine le nombre de films que tu peux à nouveau voir comme si c’était
la première fois !
— J’avoue que je n’avais jamais envisagé les choses sous cet angle. Et ce
serait pareil pour les dernières tendances musicales… D’un côté c’est un
peu flippant, mais c’est aussi assez cool je trouve.
— Je suis tout à fait d’accord avec toi. Imagine le plaisir de découvrir
sixième sens pour la première fois !
— Tu m’étonnes ! Mais n’allons pas aussi loin. Si on se concentre sur les
films de cette dernière décennie, je pense qu’on a déjà de quoi faire.
— C’est vrai, dis-je en me rapprochant un peu d’elle.
Je mets le film en route et je vois qu’elle est tout de suite happée par ce
qu’elle regarde. Pour ma part, j’ai du mal à détacher mes yeux d’elle. C’est
comme si c’était la Heather que j’avais découvert il y a quelques jours, mais
avec son côté un peu insouciant des années lycée. J’ai terriblement envie de
l’embrasser. Mais là encore, je pense que ce n’est pas le bon moment. Ça ne
serait pas juste pour elle. Je pense que la Heather de l’époque du lycée
aurait terriblement envie que je pose mes lèvres sur les siennes, mais qu’en
est-il de la Heather du présent ? Aurait-elle envie d’être embrassée par celui
qui est responsable de son accident ? Aurait-elle envie d’être embrassée
alors qu’elle « aurait souhaité ne jamais m’avoir rencontré » ? J’en doute
fort.
Et je ne peux pas faire comme si je l’ignorais.
11
Heather
Faire découvrir la ville à Heather ces derniers jours a été quelque chose de
vraiment agréable. Le fait qu’elle n’ait plus besoin de son fauteuil pour se
déplacer nous a pas mal aidés. J’ai moi-même pu redécouvrir des endroits
emblématiques que je ne prends pas assez le temps de regarder quand je
suis en ville. Cette petite pause dans mon travail ne me fait pas de mal après
tout. J’ai l’impression d’être un peu plus en phase avec moi-même, mais je
ne saurais dire si c’est grâce au temps que je m’accorde ou aux moments
que je passe avec Heather. Je dois bien reconnaître que j’aime beaucoup sa
présence. Je n’aurais jamais imaginé autant apprécier la compagnie d’une
femme qui n’a pas passé la nuit avec moi. J’imagine qu’il n’y a que les
idiots qui ne changent pas d’avis. J’aime l’entendre rire quand nous
regardons des comédies dans le salon cinéma, j’aime la regarder dévorer
des livres ou les bons petits plats que Gloria nous prépare… oui, je crois
que je me suis habitué à l’avoir à la maison. Même si je ressens toujours
une pointe de culpabilité à certains moments.
Elle n’a aucun souvenir de l’accident, et je redoute sa réaction quand elle
retrouvera la mémoire. Alors pour l’instant, je me contente de prendre ce
qu’il y a à prendre et de vivre au jour le jour, comme nous l’a conseillé le
docteur Abrahms. Pouvoir lui raconter mes journées de travail, débattre de
certaines choses avec elle, lui demander son avis sur d’autres… c’est
vraiment agréable.
Gloria est en train de préparer le repas alors que je termine de répondre à
mes emails pour le travail. Je sors de mon bureau et me dirige vers la
cuisine, pressé de goûter aux lasagnes délicieuses qui embaument une
bonne partie de la maison.
— Noah ??
— Heather ? Tout va bien ?
— Oui… tu peux venir s’il te plait ?
— Tu es à l’étage ?
— Dans ma chambre, oui.
Sa chambre… hm. Je ne sais pas comment je me sens à propos de ça. Elle a
l’air d’avoir trouvé ses marques ici, ce qui n’est pas pour me déplaire. Je
monte les escaliers rapidement, puis je la retrouve dans sa chambre.
— Tu pourrais m’aider, s’il te plait ? lance-t-elle en se débattant avec son
chemisier.
La vue qui s’offre à moi est incroyable. Heather est en sous-vêtements, ses
fesses bien apparentes dans son shorty en dentelle rose poudré. Sa poitrine
est légèrement cachée par le chemisier qui n’est pas boutonné, mais je
remarque immédiatement qu’elle est mise en valeur par un joli soutien-
gorge assorti au shorty. Je m’éclaircis la gorge avant de m’avancer vers elle.
— Hm… tu veux que je t’aide… à le fermer, c’est ça ?
Une pointe d’espièglerie semble passer dans son regard, puis elle me sourit.
— Oui, s’il te plait. J’aurais bien demandé à Gloria, mais elle est occupée à
la cuisine… je ne voulais pas la déranger.
— Très bien… tu es consciente que… tu ne portes pas de pantalon, ni de
jupe ? demandé-je en boutonnant le bas de son chemisier.
— Hm. C’est un problème ? Tu es gêné ? demande-t-elle en se hissant
légèrement sur la pointe des pieds.
— Pas vraiment… je me demandais juste si tu le savais, c’est tout.
Son parfum est incroyable. Je suis tellement proche d’elle que si je penchais
la tête en avant, je pourrais sans doute coller mon nez contre son cou.
— Et toi… tu es conscient que… tu boutonnes mal mon chemisier ?
Je fronce légèrement les sourcils et je regarde les boutons qui ne sont pas
mis correctement.
— Mince. Ce que je suis maladroit ! Je vais devoir recommencer alors,
excuse-moi, réponds-je en la regardant droit dans les yeux.
Elle pince les lèvres puis se met à regarder ses pieds. Je défais les quelques
boutons mal positionnés puis je recommence, toujours en partant du bas. Je
déglutis lentement en essayant de rester concentré.
— Pourquoi tu… hm… pourquoi tu commences par le bas du chemisier ?
demande-t-elle en me regardant faire.
— Je… eh bien, il me semble que c’est évident.
— Comment ça ?
— C’est comme ça qu’il faut faire, non ?
— Hm… je ne sais pas. En général, je commence par le haut, enfin… je
crois ?
Je souris et continue lentement ma tâche. Mes doigts frôlent la soie douce
ainsi que sa peau, et pourtant, c’est moi qui ai l’impression de frissonner.
— Je ne vais pas te mentir, c’est quelque chose de plutôt plaisant à faire…
— D’accord… je ne vois pas trop pourquoi, mais si tu le dis…
Sur le coup, j’ai l’impression de me prendre un vent monumental. Une fois
sa chemise fermée, elle rouvre deux boutons de sa main gauche, afin de
laisser un petit décolleté très agréable à regarder. Je sens que je ne suis pas
tout à fait dans mon état normal.
— On se retrouve pour manger ? Je pense que c’est bientôt prêt, je te laisse,
dis-je en quittant précipitamment sa chambre.
Je lui jette un dernier regard avant de passer la porte, et je me dirige vers ma
propre chambre. Elle avait l’air perplexe.
C’était quoi, ça ? Une minute, j’ai l’impression qu’elle me taquine, et la
suivante, elle semble indifférente à mes sous-entendus. Peut-être que j’ai
mal interprété les choses ? Je m’assois sur mon lit et tente de reprendre mon
calme. Si j’avais encore des doutes sur mon attirance physique pour elle, ils
ont été dissipés, et pas qu’un peu. Le pire, c’est qu’elle ne semble pas avoir
conscience de l’effet qu’elle me fait. Ou alors, est-ce un jeu pour elle ?
Je sais très bien ce qu’elle pensait de moi à l’époque… ce qu’elle ressentait
aussi. Est-ce que ça a vraiment changé ? N’a-t-elle vraiment aucune idée de
son sex-appeal ? Ou bien est-ce tout à fait le contraire ? Je suis un peu
perdu, j’ai l’impression que mes pensées se mélangent. Je ne peux pas
m’autoriser à craquer pour elle. Impossible. Je vais forcément tomber de
haut quand elle va reprendre ses esprits. Une partie de moi souhaiterait que
ce ne soit jamais le cas. Je me déteste de penser ça. Est-ce vraiment si mal
d’aimer notre relation comme elle est aujourd’hui ? De la laisser évoluer à
son rythme ? Des images très vives de son shorty me reviennent à l’esprit et
il faut absolument que je les chasse. Pourquoi ne m’a-t-elle pas appelé
après avoir enfilé une jupe ou un jean ? Deux coups brefs sont frappés à ma
porte.
— Noah ? demande Heather, entièrement vêtue.
— Hm ?
— Gloria vient de nous dire que le repas est servi, tu n’as pas entendu ?
— Oh… D’accord… j’arrive tout de suite.
— Tout va bien ? demande-t-elle avant d’entrer dans ma chambre.
— Oui, ça va… pourquoi ?
— Je ne sais pas… je te trouve un peu pâle.
Elle s’approche de moi et reste debout alors que je lève les yeux vers elle.
Elle pose sa main sur mon front.
— Hm… pas de température…
— Depuis quand est-ce que la main sur le front est fiable ? demandé-je, un
peu amusé.
Mais tout ce que je retiens c’est ce bref contact qui m’a électrisé en un
instant.
— Je ne peux pas connaître ta température exacte, c’est vrai, mais au moins
ton front n’est pas brûlant, ce qui est plutôt bon signe.
— D’accord…
— Allez, on devrait descendre…
— On devrait oui.
Elle se tient droite devant moi, et je ne suis qu’à quelques centimètres
d’elle. J’ai une terrible envie d’enrouler mes bras autour de sa taille et de
poser ma tête contre son ventre… ou sa poitrine.
— J’ai vraiment très faim, me dit-elle en me tendant la main.
— Et moi donc, ajouté-je en la prenant et en me levant.
Quelques instants plus tard, nous savourons les délicieuses lasagnes de
Gloria et je peux affirmer qu’Heather se régale autant que moi.
Trois jours passent sans que rien de spécial ne se produise, si ce n’est
l’étrange sensation au fond de moi dès qu’Heather apparaît dans une pièce.
Elle s’est assez vite réhabituée à marcher, et avoir la possibilité de jeter un
œil à son fessier de temps en temps n’est pas pour me déplaire. Elle a du
mal à tenir en place. Il faut dire que la maison et ses alentours sont vastes,
et qu’elle a de quoi explorer.
Aujourd’hui, nous avons décidé de passer l’après-midi au parc. Nous nous
sommes installés tranquillement sur une couverture dans l’herbe, et Heather
a la tête posée sur mes genoux.
— Tu n’as pas envie de te dégourdir un peu les jambes ? demandé-je en
posant mon exemplaire de La ligne verte sur le côté.
— Pourquoi pas ? On pourrait peut-être aussi se trouver quelque chose à
grignoter ? J’ai un petit creux.
Heather me tend son exemplaire de Mansfield Park et je le pose au-dessus
de mon livre. Je l’aide à se relever, puis je hoche la tête une fois vers l’un de
mes gardes du corps. Ils sont trois aujourd’hui. Mark peut surveiller nos
affaires, les deux autres continueront à scruter les environs.
— C’est vraiment une journée agréable, me dit Heather alors que nous
marchons à la recherche d’un stand de nourriture.
— C’est vrai. C’est une journée de rêve. Il fait chaud, mais pas trop, et la
petite brise qui souffle n’est pas désagréable.
— Je n’arrive pas à croire que nous sommes ici depuis presque trois heures
déjà.
— Le temps passe vite quand on est absorbé par sa lecture, dis-je, amusé.
— Oh, je te le confirme. Ça change de lire ici. Ce n’est pas le plus
confortable, mais je ne dis jamais non à un peu d’air frais. J’imagine que
j’aime beaucoup marcher en temps normal.
— En temps normal ?
— Disons… d’habitude, avant… Je ne sais pas…
— Heather…
— Oui ?
— Tu sais… tu n’es pas forcée d’aimer les choses que tu aimais avant, et
vice-versa. Tu peux très bien essayer de découvrir de nouvelles choses, tu
seras peut-être surprise.
— De nouvelles choses ? Comment saurais-je si ce sont de nouvelles
choses, vu que je n’aurais potentiellement aucun souvenir de les avoir
essayées ?
— Je ne sais pas, je disais juste ça comme ça… je veux simplement dire
que tu n’es pas forcée de te rappeler ce que tu aimais, ce n’est pas grave. Je
comprends que tu veuilles retrouver tes souvenirs, mais peut-être que sur ce
point, en ce qui concerne les choses que tu aimes, il faut laisser couler…
— Laisser couler…
— Te laisser surprendre. Je doute fort que tu te découvres une passion pour
une chose que tu détestais faire avant, et c’est la même chose pour ce qui
est de tes habitudes alimentaires. Je ne vois pas pourquoi ton corps aurait
envie d’un burger riche en viande si tu étais végétarienne par exemple …
— Tu… tu crois que j’aurais pu être végétarienne ? demande-t-elle, à moitié
horrifiée.
— Toi ? Impossible. Pas vu la façon dont tu te régales dès que Gloria
prépare un truc à base de viande.
— J’espère que tu dis vrai. Je me sentirais vraiment mal sinon. Imagine, tu
te réveilles un jour et toutes tes convictions ont disparu. C’est difficile à
vivre. Aucune attente, aucune croyance immuable…
— J’imagine que ce doit être un peu effrayant.
— Oui… c’est comme si j’étais coincée. Comme si je n’avais qu’une demi-
identité. J’imagine… enfin, j’espère avoir évolué depuis la fin du lycée…
Sinon, bonjour l’angoisse.
— Je pense que je vois ce que tu veux dire.
— On se construit avec nos expériences de vie et nos souvenirs. Ne plus
avoir de trace de tout ça, c’est assez perturbant. Je suis comme une toile
vierge sur laquelle il faut tout recommencer.
— Vierge ? Vraiment ? lancé-je pour détendre l’atmosphère.
— Noah ! Tu es sérieux ? dit-elle en me donnant un coup de coude dans les
côtes.
— Quoi ? J’ai bien le droit de me moquer un peu, non ?
— Hm. Oh ! Regarde, ce ne serait pas un stand de beignets, là-bas ?
— Ah ! Bien vu !
Nous nous dirigeons tous les deux vers le stand au parasol bien voyant et
faisons la queue. Le vendeur tend aux trois personnes devant nous trois
énormes beignets remplis de sucre, puis ils repartent.
— Bonjour ! Que souhaitez-vous ?
— Hm… pour moi ce sera fraise s’il vous plaît. Heather ?
— Chocolat. Évidemment, dit-elle, amusée.
Je sors quelques billets pour payer, et Heather récupère les beignets. Nous
nous décalons sur le côté et elle me tend le mien. Nous croquons tous les
deux une bonne bouchée, tout en souriant bêtement.
— Hm ! Délichieux ! dit-elle, la bouche pleine de chocolat et de sucre.
— Ch’est vrai ! Pas mal ! ajouté-je en essayant de ne pas m’en mettre
partout.
Heather s’approche de moi et passe son doigt sur le côté de ma bouche, afin
d’y récupérer un peu de confiture de fraise. Elle suce son doigt rapidement
avant de me sourire.
— C’est pas mal à la fraise, aussi. Tu veux goûter le mien ? demande-t-elle
en me tendant le sien.
— Oui, pourquoi p…
Soudain, un sifflement brutal retentit, suivi rapidement d’un autre. La
panique. Les gens crient et se mettent à courir. Par réflexe, Heather et moi
nous baissons, puis je passe le bras au-dessus de sa tête.
— Qu’est-ce que c’est que…
— Des coups de feu. Ce sont des coups de feu ! dis-je, affolé.
Deux autres détonations retentissent, et je tente d’avancer avec Heather tout
en restant accroupi. Mark plonge soudainement devant nous, quand un
dernier coup de feu se fait entendre. Il s’effondre à nos pieds.
— Maaaark ! crie Heather.
— Il est touché au bras ! lancé-je en essayant de voir d’où viennent les
coups de feu.
— Merde !
— Tu vas bien ? Heather, tu vas bien ? dis-je en essayant de voir si elle a été
touchée.
— Oui, je n’ai rien, c’est juste mon bras qui me gêne.
— Très bien. Reste près de moi.
Quelques secondes passent, mais plus de coups de feu. Les gens courent
partout, en direction de leur voiture ou du métro pas très loin, certains
appellent la police. Je ne pense qu’à une seule chose. Rentrer le plus vite
possible à la maison, en sécurité, avec Heather. Bryan, un autre de mes
gardes du corps, nous rapatrie jusqu’à la berline où Stephan, mon chauffeur,
attendait.
— Monsieur ! Est-ce que vous allez bien ?
— Nous allons bien Stephan, mais je n’ai pas vraiment envie de m’éterniser
ici.
— Je comprends.
— Bryan, va aider Mark avec Carl, et foncez droit à l’hôpital. Tiens-moi au
courant.
— Très bien monsieur.
Heather et moi nous glissons sur les sièges arrière, et Stephan quitte
rapidement les lieux.
— Est-ce que tu es sûre que tout va bien ? demandé-je à Heather en
l’examinant de plus près.
— Oui, je t’assure, les balles nous ont juste frôlés !
— On est passé très près, en effet…
Je passe mes mains sur le visage d’Heather, et je sens ses joues humides.
Elle pleure légèrement, ce que je peux aisément comprendre. Un fou vient
de tirer dans la foule. Nous étions au mauvais endroit, au mauvais
moment… encore. Mais est-ce vraiment une coïncidence ? Mon côté parano
refait soudain surface. Je sais que je peux parfois attirer la jalousie… mais
quand même. Aller jusqu’à tirer sur quelqu’un ? Je ne sais pas trop quoi en
penser. Heather ne dit plus rien jusqu’à ce que nous soyons à la maison.
Quand nous sommes enfin assis sur le canapé du salon, elle se cale
instinctivement contre moi.
Une heure plus tard, mon téléphone sonne.
— Oui ?
— Monsieur, c’est juste pour vous faire savoir que Mark n’a rien de grave.
La balle a traversé l’épaule et elle est ressortie. Ça devrait aller.
— Très bien.
— Vous devriez limiter les déplacements, le temps que la police retrouve le
tireur.
— Je vais essayer. Merci Bryan.
Je raccroche, et Heather soupire légèrement.
— Il n’a rien de grave donc ? demande Heather tout en gardant la tête
contre mon torse.
— Non, tout ira bien. Tout ira bien, je te le promets…
Suis-je réellement en train de lui faire cette promesse ?
Une promesse que je ne suis pas sûr de pouvoir tenir ?
13
Heather
Noah devait régler certaines choses avec ses gardes du corps, je suis donc
montée dans ma chambre pour être un peu seule. Je n’arrive pas à croire
qu’on se soit retrouvés au beau milieu d’une fusillade ! Est-ce qu’on était
juste au mauvais endroit au mauvais moment ? J’essaie de prendre de
grandes respirations, mais je constate que mes mains tremblent toujours un
peu. Je suis censée me reposer et attendre que la mémoire me revienne,
mais je me retrouve dans des situations un peu compliquées… ce n’est pas
normal. Qu’est-ce que le docteur Abrahms dirait s’il avait connaissance de
cette information ? Est-ce que Noah compte lui dire ? Je suis pratiquement
certaine qu’assister à quelque chose d’aussi choquant n’est pas bénéfique
pour ma guérison. Et si je ne retrouvais jamais la mémoire ? Et si mes
pensées restaient à jamais bloquées dans les limbes ?
Tout se mélange dans ma tête. J’ai déjà du mal à assimiler que tant d’années
ont passé et que je suis devenue une journaliste accomplie. Enfin, si j’en
crois ce que me dit Noah. C’est quand même fou que je n’aie aucun
souvenir de mon travail. Et mon patron dans tout ça ? Avec tout ce qui
m’est arrivé, je n’ai pourtant reçu aucune nouvelle de sa part, ni de celle de
mes collègues… à moins que tout passe par Noah ? Non. Ce serait quand
même dingue. Quel genre de patron accepterait qu’une de ses employées ne
vienne pas travailler pendant plusieurs semaines ? Je plisse les yeux et
essaie de me concentrer pour tenter d’imaginer l’endroit où je pourrais
travailler. Je n’en ai aucune idée. Nous n’en parlons jamais.
Je ne sais pas non plus réellement en quoi consiste le travail de Noah. Tout
ce que je sais, c’est qu’il peut se permettre de travailler depuis chez lui.
Quand je prends le temps de regarder autour de moi, j’ai encore du mal à
me faire à l’idée qu’il soit devenu un homme d’affaires si riche. Certes, il
partait déjà avec des facilités, mais je pense qu’il a vraiment su bâtir sa
fortune par lui-même. Il est encore plus intéressant qu’à l’époque du
lycée… pour ce que je m’en souviens. Sa maison, enfin sa propriété plutôt,
est impressionnante. Tout est décoré avec soin, et j’ai remarqué quelques
tableaux qui doivent valoir pas mal d’argent. Il aurait pu avoir des goûts
extravagants, mais il n’en n’est rien. La maison n’est emplie que de choses
de bon goût.
C’est tellement frustrant. J’aimerais que quelqu’un me secoue la tête et que
tout rentre dans l’ordre, mais je sais que ce n’est pas comme ça que ça
fonctionne. On m’a dit d’être patiente, mais honnêtement, je ne sais pas si
j’en suis capable.
Ma tête me fait mal depuis une bonne demi-heure. Le docteur Abrahms m’a
prescrit des pilules dans le cas où ça arriverait. Il faut juste que j’essaie de
me rappeler où elles sont rangées.
Je descends dans la cuisine et commence à fouiller quelques placards.
Qu’est-ce qu’on en a fait ? Réfléchis, Heather. Où est-ce que les gens
rangent leurs médicaments ? Maman rangeait toujours les siens dans
l’armoire à pharmacie de la salle de bain, juste derrière le miroir. Je remonte
dans ma chambre et vais chercher dans la salle de bain attenante, sans
succès. Je vais essayer autre part. J’entre dans la chambre de Noah pour lui
demander, mais il n’y est pas. À la place, j’entends l’eau couler dans sa
salle de bain, et je me dirige instinctivement vers lui, sans faire de bruit. Je
ferme les yeux quelques secondes avant de les rouvrir sur Noah, sous la
douche, et le moins qu’on puisse dire, c’est que la vue est agréable. Les
parois transparentes laissent voir la quasi-totalité de son corps. Ce n’est pas
la première fois que je le surprends à moitié nu, car je suis déjà passée
devant sa chambre au moment où il se changeait, mais c’est la première fois
que je le vois complètement nu, même si une partie des parois est floutée
aux endroits stratégiques. Cependant, je peux facilement imaginer…
L’odeur de son gel douche est enivrante. Pourquoi tu restes là, espèce de
cruche ? Et s’il te remarque ? Il a les yeux fermés. Et s’il les ouvre ? Je
dirais que je me suis trompée de salle de bains ? Ressaisis-toi, Heather !
Pourquoi es-tu ici, à la base ?
Les médicaments pour la tête. J’ouvre délicatement l’armoire à pharmacie
et trouve un petit sachet qui contient deux boîtes de pilules à mon nom. Que
font-elles là ? Je referme l’armoire et jette un dernier coup d’œil à Noah, en
m’assurant que ses yeux soient toujours fermés. Bon sang, son corps est
magnifique. Mais je ne peux pas traîner ici. Je sors de la salle de bain en
catimini, puis de sa chambre, avant de redescendre vers la cuisine. La
maison est si calme. Pourquoi Gloria n’est-elle pas là, d’ailleurs ? Je sors
deux pilules de la boîte et les avale avec un grand verre d’eau, puis je
retourne dans ma chambre. Je m’allonge sur mon lit, même si je suis encore
encombrée à cause de ce foutu bras. Combien de temps vais-je encore rester
comme ça ? Et si Noah me mettait à la porte dès que je serais rétablie ?
Pourquoi est-ce que je me prends la tête avec des choses pareilles ? Je ferme
les yeux quelques instants. Les coups de feu me reviennent en mémoire.
Qu’est-ce qu’on foutait au milieu de tout ça ? Et si… en fait, ce n’était pas
un hasard ? Quelqu’un aurait-il pu vouloir me viser ? Ai-je des ennemis ?
Après tout, mon travail de journaliste contrarie peut-être certaines
personnes ?
Non, Noah m’aurait mise au courant, n’est-ce pas ? J’essaie de faire le tri,
mais c’est assez compliqué. Je sens que des larmes coulent le long de mes
joues. Pourquoi a-t-il fallu que cet accident arrive ? Tout allait bien avant,
non ? Pourquoi ai-je une drôle de sensation permanente dès que Noah est
près de moi ? Est-on si proches que ça ? J’ai envie qu’on soit proches. Plus
que tout.
Je me réveille en sursaut quand je sens que quelqu’un m’effleure le bras.
Évidemment, c’est Noah.
— Heather ? Désolé, je ne voulais pas te faire peur.
— Noah…
— Est-ce que tout va bien ? demande-t-il en s’accroupissant près du lit.
— Hm… j’ai dû m’endormir… ma tête… j’avais mal à la tête.
— Tu as mal à la tête ? Est-ce que c’est un simple mal de tête ou tu penses
que c’est…
— Non, ça va Noah. J’ai trouvé les comprimés que m’a prescrit…
Abrahms. Ça va mieux, ce n’était pas trop intense. Je crois que je suis
encore un peu sous le choc.
— C’est tout à fait compréhensible. Quelqu’un a tiré dans la foule, et nous
étions juste au milieu…
— Noah ?
— Oui ?
— Est-ce que tu penses que… que quelqu’un aurait pu me viser
directement ? demandé-je en guettant sa réaction.
— Quoi ? Pourquoi ça ? répond-il en arquant un sourcil et en me frottant
l’épaule.
— Je ne sais pas. Peut-être que j’ai des ennemis ?
— C’est impossible tu…
— Tu dis que tu ne sais pas tout de ma vie. Peut-être que je côtoie de
mauvaises personnes ?
— Ça m’étonnerait beaucoup. Tu es quelqu’un d’intègre et…
— Mais je n’en ai aucun souvenir. Je pourrais tout aussi bien sortir de
prison, je n’en saurais rien.
— N’exagère pas. Je…
Il écarte une mèche de cheveux de mon visage pour venir la placer derrière
mon oreille.
— Est-ce que tu as faim ?
— Hm… oui, je crois.
Mon estomac choisit ce moment précis pour se manifester.
— Je vois… si tu veux bien descendre, je nous ai préparé quelque chose.
— Tu as cuisiné ? Toi ?
— Oui. Ça a l’air si incroyable que ça ? demande-t-il d’un air faussement
vexé.
— Non, c’est juste que… je ne sais pas. Je pensais que tu avais pris
l’habitude que Gloria s’occupe de toi, c’est tout.
— Oh, ne te méprends pas, c’est le cas. J’ai juste dit à Gloria de rentrer
chez elle. J’avais envie de cuisiner. Ça me détend, parfois.
— Tu es tendu ? dis-je en me redressant dans le lit.
— Hm…
— C’est vrai… les balles ne sont pas passées loin de nous, ajouté-je en
regardant le sol.
— Hé ! Ça va aller, d’accord ? Il faut juste qu’on oublie ce moment et tout
ira bien.
— D’accord… En revanche, je ne sais pas si ça sera si facile.
— La police mène son enquête, et je suis sûr qu’on sera très vite rassurés
quand ils nous confirmeront que nous étions simplement là au mauvais
moment…
— J’espère vraiment que tu as raison…
— Allez, le repas est servi…
— Je viens. Je vais juste me passer un coup d’eau fraîche sur le visage, et je
descends.
— Parfait. À tout de suite alors.
Il quitte la chambre et je vais me rafraîchir dans la salle de bain. J’ai
vraiment une mine de déterrée. Je recoiffe rapidement mes cheveux bruns et
je me passe de l’eau sur le visage. Noah Hill a cuisiné pour moi… enfin,
pour nous. C’est tellement improbable. Vraiment ? Après tout, qu’est-ce que
j’en sais ?
Quand j’arrive dans la cuisine, je sens les doux effluves d’un poulet rôti,
accompagnés d’une odeur de pain à l’ail, de légumes vapeur et d’une pointe
de muscade qui émane de la purée de pommes de terre. Je me mets à table
et laisse Noah me servir.
— Ça a l’air vraiment très bon, dis-je en humant le fumet qui s’échappe de
mon assiette.
— Merci. Je ne veux pas me vanter, mais c’est vrai que ça sent bon…
— Carrément. Merci beaucoup.
— Ne me remercie pas, ça me fait plaisir. J’espère que le goût sera aussi
bon que l’odeur.
Nous goûtons tous les deux un morceau de poulet avec la purée.
— C’est vraiment délicieux, dis-je en prenant une autre bouchée.
— Hm, pas mal oui…
Noah me sourit et je dévore mon assiette. C’est vraiment très bon.
— Heather… j’ai parlé avec mes gardes du corps et ils me suggèrent de
limiter nos déplacements pendant un temps…
— Je vois…
— Ils pensent qu’il ne faut prendre aucun risque, au moins le temps que la
police ait une piste sérieuse.
— D’accord… Heureusement, il y a de quoi faire dans la maison.
— Oui…
Le repas se termine en silence, et mille pensées se bousculent dans ma tête.
Noah débarrasse la table, puis vient se rasseoir à côté de moi.
— J’ai également préparé un dessert… j’espère que tu as encore un peu
faim.
— Un dessert ? Mais, tu as eu le temps de faire ça à quel moment ?
— Pendant que tu dormais…
— C’est vrai… j’ai dormi longtemps ?
— Presque trois heures.
— Ah, ça explique pas mal de choses… Que nous as-tu préparé de bon ?
demandé-je, intriguée.
— De la mousse au chocolat. Tu aimes ça ?
— Je pense que je ne prends pas trop de risques en disant oui. Surtout
quand c’est fait maison.
— Que dirais-tu de prendre le dessert près de la piscine ?
— Près de la piscine ?
— Pourquoi pas ? Il fait plutôt doux ce soir…
— D’accord.
— Parfait. Si tu veux, tu n’as qu’à choisir un livre et je te rejoins dans
quelques minutes avec le dessert.
— Super. Merci Noah.
Je vais rapidement choisir un livre dans sa bibliothèque et je me dirige vers
la piscine, qui se situe un peu plus haut dans la propriété. Nous ne sommes
pas venus ici souvent, car c’était trop frustrant pour moi de voir une étendue
d’eau sans pouvoir m’y baigner. L’endroit est magnifique. Tout y est bien
pensé.
J’arrive au bord de la piscine, et c’est encore plus beau de nuit. Des
éclairages sont disséminés un peu partout autour, et un petit salon
d’extérieur se trouve juste devant le grand bassin bleu clair, lui aussi bien
éclairé. Si je n’avais pas le bras plâtré, je sauterais dedans. Les jardiniers
qu’il a engagés font très bien leur travail. Des rosiers et des petits arbres
fruitiers se mélangent avec d’autres variétés de fleurs, donnant l’impression
d’un jardin sauvage bien entretenu. Je remarque que les plantes sont
différentes de celles présentes dans le jardin qui jouxte la maison.
Je m’installe sur un des sièges devant la piscine et je rêvasse. Quelques
instants plus tard, Noah revient avec deux jolies mousses au chocolat, une
bouteille de champagne et deux flûtes.
— C’est en quel honneur ?
— Disons que… c’est pour oublier la partie désagréable de la journée. Je
refuse que le taré qui a tiré gâche le souvenir d’un après-midi quasi parfait.
— Quasi parfait ?
— Hm. Je me comprends…
— Très bien.
Noah fait sauter le bouchon du champagne, qui atterrit dans la piscine. Il
nous sert un verre, puis nous mangeons le dessert.
— C’est exquis. Ça va très bien avec le champagne, dis-je en levant mon
verre.
— Tout va avec le champagne… les fruits, le chocolat…
— Les hamburgers ?
— Pourquoi pas ! dit-il en riant.
D’un coup, il se lève, enlève ses vêtements et prend sa flûte à champagne.
— Noah ? Qu’est-ce que tu fais ?
— Le champagne va aussi très bien avec la piscine…
— Mais… tu n’es même pas en maillot de bain…
— Et alors ? dit-il en descendant lentement dans la piscine.
— Tu es un peu…
— Quoi ? Spontané ? Allez, viens !
— Je crois que ça va être un peu compliqué avec mon bras…
— Tu veux de l’aide pour te déshabiller ?
Je sens mon visage se réchauffer, mais j’essaie de ne pas lui montrer.
— Tu penses que je suis incapable de me débrouiller seule ?
— Tu as encore besoin d’aide pour t’habiller, me taquine-t-il alors qu’il est
presque complètement immergé dans l’eau.
— Pour m’habiller. Pas pour me déshabiller. Et seulement si ça comprend
des boutons… bref…
— Tu parles, tu parles…
— OK. J’arrive.
Il m’a provoquée. Je me défais tant bien que mal de mon jean et de mon
débardeur, pour me retrouver en sous-vêtements avant de descendre
lentement dans la piscine.
— Je devrais faire attention à ne pas mouiller ça…
— Peu importe. On te l’enlève dans trois jours, non ?
— C’est vrai. J’ai presque failli oublier…
— Des regrets ?
— Aucun.
— Tu me rassures. Allez, trinquons.
— Euh…
— Où est ton verre ?
— Je l’ai laissé sur la table basse…
— Attends, ne bouge pas.
Noah sort rapidement de la piscine, et son boxer… disons qu’il lui colle à la
peau. Son fessier bombé ressort bien sous le tissu noir. Quand il fait volte-
face avec ma flûte à champagne, je suis subjuguée par ses muscles bien
dessinés et la fine bande de poils qui part de son nombril pour descendre
jusqu’à son boxer. Bon sang. Je mets la tête sous l’eau pendant quelques
secondes avant de refaire surface.
— Oh. Qu’est-il arrivé à « je devrais faire attention à ne pas mouiller ça ? »
— Hm… J’avais très envie de mettre la tête sous l’eau.
— Tiens, me dit-il en me tendant ma flûte.
— À cette journée. Oublions la fin d’après-midi.
— Je suis d’accord. À cette journée.
Nous buvons notre seconde coupe de champagne de la soirée et je sens mon
corps se réchauffer. L’eau de la piscine a la température parfaite, mais la
proximité de nos deux corps me donne la chair de poule. Noah avance
encore un peu vers moi. J’ai à peine le temps de comprendre ce qu’il fait
que ses lèvres sont posées sur les miennes. Le baiser qu’il y dépose est
chaud et humide, avec le goût du chocolat et du champagne. Mon corps a
une réponse immédiate : je sens littéralement la pointe de mes seins durcir.
Je déglutis lentement, et une petite décharge parcourt ma tête. L’espace de
quelques secondes, je ferme les yeux, et des images me reviennent comme
un coup de fouet. Les couloirs du lycée. Noah. Moi. Sa bouche qui
approche de la mienne. C’est furtif, insaisissable. J’ouvre les yeux et c’est
déjà terminé. Qu’est-ce que c’était ? De véritables souvenirs ? Des
souvenirs mélangés ? Mon imagination ? Est-ce que le présent est venu se
mêler à mes souvenirs du lycée ? Aucune idée.
La température a encore augmenté. Sans m’en rendre compte, j’ai terminé
mon champagne, et Noah a reposé nos flûtes sur le bord de la piscine. Il
revient vers moi, m’entoure de ses bras et nous nageons doucement vers le
bord, qui monte graduellement. Il est maintenant allongé dans l’eau, la
partie supérieure de son corps est relevée, et je suis sur lui. Cette fois, c’est
moi qui l’embrasse. Nos lèvres se touchent pour la seconde fois, et c’est
encore meilleur. Je me laisse porter par le moment. J’essaie de ne pas
réfléchir. J’ai tellement chaud. Je ne savais même pas que c’était possible
dans une piscine. J’ai l’impression que mon plâtre s’est un peu ramolli. À
l’inverse du bas ventre de Noah. Je peux littéralement sentir son excitation
sous mon corps. Nos langues jouent l’une avec l’autre, et Noah passe ses
mains sur mon fessier, le malaxant allégrement. Mes joues me brûlent.
J’ouvre les yeux pour profiter du spectacle. Il est vraiment bien gaulé… Son
baiser se fait plus sauvage, plus brusque, et j’aime beaucoup. Je gémis sans
trop réfléchir, et je sens un sourire se dessiner sur ses lèvres. Ses mains ont
maintenant attrapé ma poitrine, et il la caresse doucement à travers le tissu,
m’excitant de plus en plus. Ma main gauche, la seule de libre, descend vers
son boxer et vient tâter son membre rendu si dur par notre excitation
mutuelle. C’est tellement bon.
— Noah…
— Heather… c’est…
— Divin…
— Tellement bon.
— Touche-moi.
— J’ai très envie de toi…
Je ne réponds rien, mais mon corps lui donne le signal. D’un geste habile, il
enlève mon shorty et je me retrouve les fesses à l’air, à califourchon sur lui.
La sensation est plutôt agréable. Noah nous remonte tous les deux
lentement afin que nos corps soient un peu moins immergés. Ne tenant plus,
j’attrape son membre et le sors de son boxer en le caressant de haut en bas.
Noah semble apprécier, car il me mord doucement le cou tout en le léchant.
Après quelques mouvements lents avec ma main, je me place dessus et
viens m’empaler sur sa longueur épaisse. Je lâche un soupir de satisfaction
et commence à remuer sur lui. Ses yeux me dévorent, il semble surpris. Je
ne peux m’empêcher de sourire. J’ai l’impression d’avoir attendu ce
moment pendant longtemps. Toutes ces années au lycée à lui courir après…
Sentir ses mains sur moi, c’est comme une récompense. Je bouge de plus en
plus vite, et les clapotis de l’eau mélangés au choc de nos deux corps
composent une musique dont je ne pourrais jamais me lasser. Ses mains
sont agrippées à mes fesses, et il accompagne les mouvements de mon
bassin en les pétrissant de bon cœur.
Nous sommes pratiquement assis sur le bord de la piscine. J’ai presque
oublié mon plâtre, et j’arrive étrangement bien à me servir de ma main
gauche. Je passe mes doigts dans ses cheveux, les tirant légèrement vers
l’arrière. Noah se laisse faire, m’offrant sa pomme d’Adam. Ma bouche
vient se plaquer dessus, l’embrassant, la mordillant, la léchant. Il agrippe
mes fesses un peu plus fermement et bouge également son bassin, donnant
des coups de reins plus profonds et secs. Je sens un orgasme arriver… du
moins j’en ai bien l’impression.
Mon corps de femme adulte réagit comme s’il savait ce qu’il faisait, comme
s’il reprenait possession des lieux. Je me sens divinement bien. Je crois que
je suis plutôt douée à ce jeu-là. D’un coup, Noah nous fait pivoter, et les
rôles sont inversés. Il est au-dessus, et je m’agrippe à son cou alors qu’il
continue ses mouvements de bassin. Je suis clouée sur place, prisonnière de
son corps. Ses bras sont de chaque côté de moi et j’accueille ses coups de
reins avec un plaisir non dissimulé. Mon corps tremble un peu, ma
respiration se fait de plus en plus courte et Noah de son côté, émet quelques
sons plutôt plaisants.
— Hm… Noah, ne t’arrête pas, dis-je en m’agrippant fermement à sa taille
avec mon bras valide.
— Heather… Heather… tu me rends dingue… hmmm…
Nous nous fixons tous les deux du regard alors qu’il poursuit son œuvre sur
mon corps prêt à céder. Je sens une vague monter en puissance, qui explose
tout sur son passage, et je ne peux m’empêcher de gémir bruyamment.
— Noah ! Hm… Ahhhh !
— Ahhh… Hmmm… Ah… ah…
Noah jouit instantanément quand il m’entend, comme pour accompagner
l’éclatement de mon orgasme. Ça me fait un effet monstre. Tous mes
membres tremblent, et pourtant, je ne voudrais être nulle part ailleurs qu’ici,
dans cette piscine, à moitié nue, avec l’homme de mes rêves qui vient de
me faire vivre quelque chose d’incroyable.
Après tout, c’est le premier orgasme dont je me souvienne.
14
Noah
Quelques jours ont passé, et Heather n’a plus aucun plâtre qui la gêne. Elle
a retrouvé l’usage de son bras et semble heureuse. Elle est juste un peu
maladroite, parfois. Personnellement, je trouve ça plutôt mignon.
Cet après-midi, j’ai envie d’aller prendre un café avec elle dans un endroit
où nous nous rendons assez souvent. Je vais la voir sans sa chambre pour
lui proposer. Elle est en train de lire lorsque je frappe trois coups à la porte.
— Heather ? Je ne te dérange pas ?
— Non, pas du tout. Qu’y a-t-il ?
— Ça te dirait d’aller au Blue Bottle ? J’ai bien envie d’un bon café et
d’une petite pâtisserie.
— Oh ! Carrément ! dit-elle en sautant presque de son lit.
— Super, personnellement je suis prêt !
— Donne-moi cinq minutes, et je serai prête à partir !
— Parfait.
Après avoir demandé à Stephan de nous conduire, nous montons dans la
berline pour nous rendre au café. En temps normal, j’y serais allé à pied,
mais mes gardes du corps ont tous insisté pour que nous prenions la voiture.
Nous sommes sur la route depuis cinq minutes, quand je remarque
qu’Heather regarde nerveusement vers l’arrière.
— Qu’y a-t-il ? demandé-je d’une voix calme.
— Oh, rien… c’est juste que…
— Oui ?
— Mark et Bryan nous accompagnent ?
— Bien sûr. Comme d’habitude.
— D’accord. Dans ce cas, tout va bien.
Quel con ! Je n’ai pas pensé à ce que cette sortie pouvait lui faire ressentir.
Une source de stress inutile. Mais on ne peut tout de même pas s’empêcher
de vivre, n’est-ce pas ?
Quinze minutes plus tard, après avoir poussé la porte du café et passé
commande, nous nous installons à notre table habituelle.
— C’était une bonne idée tout compte fait. Ça fait du bien de sortir de la
maison, dit Heather en prenant une grande inspiration.
— Oui. Et puis, j’aime vraiment cet endroit.
— Je suis d’accord.
— C’est bien de voir d’autres personnes autour de nous. De plus, Mark et
Bryan ne sont pas loin.
— Oui, j’ai vu ça. Comment était ta matinée ?
— Plutôt calme. Des affaires classiques à régler, un gala de charité à
organiser… la routine, dis-je d’un ton nonchalant.
— Tu en organises souvent, des galas de charité ?
— Hm… ça arrive, réponds-je en me rappelant notre échange quelques
semaines plus tôt.
— Tu aimes ça ?
— Je trouve ça gratifiant, mais j’essaie de ne pas trop l’ébruiter.
— Pourquoi ça ?
— J’aime la discrétion. Je n’ai pas besoin que ce soit étalé à la une des…
hm. Disons que je préfère œuvrer dans l’ombre.
— Je vois. C’est tout à ton honneur. Les personnes qui font le bien et qui ne
le crient pas sur tous les toits sont encore plus impressionnantes, selon moi.
Nous sommes tellement pris dans notre discussion que nous avons à peine
remarqué que notre commande a été déposée sur notre table.
— Oh, c’est servi, dit Heather.
— Tu as pris quelque chose de nouveau ?
— Oui, je voulais essayer. Et toi ?
— Je suis resté sur l’habituelle tarte pralinée.
— C’est vrai qu’elle est bonne.
Elle croque un bon morceau de sa pâtisserie, à l’étrange pâte verte, et son
visage se transforme en une grimace disgracieuse.
— Oh, je crois qu’on a un verdict défavorable ici.
— Hm… beurk ! Apparemment, je n’aime pas la pistache…
Elle repousse sa pâtisserie vers le centre de la table, et fait passer le goût
avec une grande gorgée de son café latte.
— Tu veux échanger ? proposé-je en lui tendant ma part intacte de tarte
pralinée.
— Quoi ? Pourquoi ? Non ! Tant pis pour moi !
— J’insiste. Ça ne me dérange pas. J’aime bien la pistache.
Elle réfléchit quelques secondes puis finit par accepter en hochant la tête.
— Tiens, ça me fait plaisir.
— Merci, Noah.
Elle croque dans la tarte au praliné et un sourire gêné apparaît sur son
visage.
— Hum ! C’est vraiment trop bon.
— Je confirme, dis-je en prenant un morceau de son gâteau à la pistache.
— Bon… et ce soir. On a quelque chose de prévu ? lance-t-elle de façon
tout à fait naturelle.
— Euh… pas encore non, mais ça peut s’arranger. Tu as des idées ?
— Ça fait un moment que je ne suis pas allée au cinéma… enfin, j’ai
l’impression, dit-elle en levant les yeux au ciel.
— D’accord, je vois, dis-je en riant.
— Il y a quelque chose de drôle ?
— Pardon, je suis désolé, c’est juste que… quand tu dis quelque chose, tu
ne sais jamais si c’est vrai ou non et disons que parfois, ça me fait sourire.
— Ah, tu te moques ? dit-elle la bouche pleine du dernier morceau de tarte.
— Hm. Tu t’es régalée ? Tu ne m’en as même pas proposé un petit
morceau…
Son expression se fige et ses yeux s’ouvrent en grand alors qu’elle avale sa
dernière bouchée.
— Je suis désolée ! Tu pourrais en commander une autre part, non ? dit-elle
d’un air gêné.
— Hey ! Je te taquine Heather. Je sais très bien que je peux tout aussi bien
en commander une autre. Je crois juste que c’est assez de sucre pour la
journée…
— Hm… d’accord…
Une heure plus tard, nous sommes sur la route du retour, bien installés à
l’arrière de la voiture. Une musique moderne se fait entendre au-dessus du
ronronnement du moteur. Heather a la tête calée sur mon épaule et les deux
mains sur le ventre.
— Heather ? Tout va bien ?
— Hm ? Je… je ne sais pas, dit-elle d’une toute petite voix.
— Qu’est-ce qui ne va pas ?
— J’ai terriblement mal au ventre. Vraiment très mal, dit-elle en se
tortillant.
— Tu crois que c’est mal passé ? Tu as… hm… tu as besoin d’aller aux
toilettes ?
— Non, ce n’est pas ça… c’est comme… je ne sais pas… tu sens cette
odeur ?
— Quelle odeur ?
— Ça me prend au nez, j’ai l’impression que c’est sur moi… j’ai chaud,
je… je me sens vraiment mal… j’ai…
Je sens sa tête beaucoup plus lourde sur mon épaule, puis son corps se
relâche complètement.
— Heather ? Heather ! crié-je en tâtant son front brûlant.
Je commence sérieusement à paniquer quand je vois qu’elle ne me répond
pas, et pire, qu’elle semble avoir perdu connaissance.
— Monsieur ?
— Stephan, à l’hôpital, vite, dis-je en ayant un drôle de pressentiment.
— Oui monsieur.
Stephan change de route et accélère, alors que j’essaie d’écouter si Heather
respire. C’est le cas, heureusement. Je lui tapote doucement le visage.
— Heather ? Tu m’entends ? Réveille-toi !
Son corps se met à trembler, à convulser, et je fais de mon mieux pour la
tenir correctement. Que se passe-t-il ? Elle est brûlante. Son pouls accélère
dangereusement. Je soulève ses paupières et remarque que ses pupilles sont
dilatées. Bon sang !
— Stephan, il faut faire vite. Elle ne va vraiment pas bien.
— Qu’est-ce qu’elle a ?
— Je n’en ai aucune idée ! Mais vu son état, ce n’est clairement pas bon.
Je t’en supplie ! Que se passe-t-il bon sang ? Reste avec moi. Reste avec
moi.
Mon cœur bat à cent à l’heure et des larmes menacent de jaillir de mes
yeux.
Ne meurs pas. Je te l’interdis.
15
Heather
Heather. Ma belle Heather. Dès l’instant où je t’ai vue, j’ai su que tu étais
faite pour moi. Si belle. Si gentille. Si intelligente. Tu t’intéresses à tout. Tu
es spéciale. Mais tu ne sais pas que j’existe.
Heather Collins. Nous sommes dans la même classe, mais tu ne me vois
pas. J’essaie de te parler, mais tu ne m’entends pas. J’essaie de me
rapprocher, mais tu ne poses même pas un regard sur moi. Non. Pourquoi le
ferais-tu ? Tu n’as d’yeux que pour le beau Noah. Le riche Noah. Le parfait
Noah. Tu t’arranges pour être toujours près de lui, mais il ne te voit pas. Tu
essaies de faire partie de ses amis, mais il t’ignore complètement.
Je suis là, moi. Pourquoi tu ne me vois pas, Heather ? Pourquoi tu agis
comme ça ? Tu es tellement parfaite. Tu vaux bien plus que cette Paty… il
ne veut pas te voir. Il ne te mérite pas. Regarde-moi, aime-moi. Écoute-moi.
Remarque-moi.
Tu es tellement intelligente. Tu surpasses toutes les autres. Tu as été créée
pour moi. Ce n’est pas pour rien que Noah ne te voit pas. Tu m’es destinée.
Nous sommes faits l’un pour l’autre. Je pourrais te rendre heureuse, tu sais,
mais tu ne me vois pas. Choisis-tu délibérément de ne pas me voir ? Non, tu
es juste trop prise par ce petit blondinet au compte en banque bien fourni.
Je ne te pensais pas si matérialiste. Si superficielle. L’es-tu ?
Probablement que non. Je dois me faire des idées.
Je dois me faire remarquer. Je dois être là pour toi. Je veux être important
pour toi, car tu mérites toute l’attention du monde. Tu sais que sans toi, je
serais probablement dans une institution spécialisée ? J’ai soi-disant des
troubles du comportement. Ils ne comprennent rien. Je suis juste un peu
plus sensible et perspicace que les autres. Je ne veux blesser personne.
Juste que tu me remarques. Juste que tu te donnes la chance d’être avec
quelqu’un qui saura t’aimer comme tu le mérites, qui saura t’apprécier à ta
juste valeur. Quelqu’un qui ne te rendra jamais triste, qui ne voudra que ton
bonheur, qui ne t’humiliera jamais.
Le bal de promo. Qu’est-ce que tu es belle ! Ton cavalier choisi à la
dernière minute ne vaut rien. Tu n’as d’yeux que pour Noah, une fois de
plus. C’est vrai que c’est un beau garçon. Mais qu’est-ce qu’il est stupide !
Il l’est forcément, pour ne pas réaliser à quel point tu es intéressante et bien
plus jolie que sa petite-amie.
Les couloirs du lycée. Les casiers. Toi et Noah. Noah près de toi. Noah sur
toi. Noah qui te goûte. Pourquoi en a-t-il le droit ? Je croyais qu’il ne te
voyait pas. T’a-t-il enfin remarquée ? A-t-il réalisé son erreur ? Tu sembles
être aux anges, ton visage est radieux. Ton sourire veut tout dire. Le sien ne
vaut rien.
Paty n’est pas loin. Elle observe, même si tu ne le sais pas. Noah qui fait la
girouette, ce qui était prévisible. Tu es triste. Dévastée. Humiliée. Je me
sens si mal pour toi ! J’ai bien envie de te prendre dans mes bras, mais tu
ne me connais pas. Tu ne me vois pas ! Tu ne sais pas que je suis caché tout
près. Tu vas mettre du temps à t’en remettre. Je ne veux pas te laisser.
C’est la fin du lycée et tout ce qui compte pour moi, c’est d’être près de toi.
Je m’intéresse à ce que tu fais. Je veux faire la même chose que toi. Peut-
être me mettre un peu au sport, pour que tu puisses enfin me remarquer.
Encore une fois, c’est un échec. Tu es concentrée sur tes études et tu ne vois
pas que je suis pourtant à portée de main. Tu n’aurais qu’un mot à dire et
je pourrais te rendre heureuse éternellement. Pourquoi est-ce que tu
décides de te saboter comme ça ? Noah t’a bien amochée. Tu vaux tellement
plus que ce gosse de riches. Tellement mieux que toutes celles qui passent
près de moi et me voient. Je veux être prêt pour toi. Il faut que je
m’entraîne. Je ne veux pas me retrouver incapable quand le moment sera
venu de te faire l’amour. Car tu finiras bien par me remarquer, n’est-ce
pas ?
Le journalisme s’avère être quelque chose de très intéressant. On peut en
apprendre plus sur les gens, noter leurs habitudes, les épier, se faire discret,
un peu comme un agent secret. Se fondre dans le décor est un peu l’une de
mes spécialités, et jamais je n’aurais pensé qu’elle puisse me servir à me
rapprocher autant de toi. Quand j’ai su que tu allais interviewer Noah,
j’étais dépité. Pourquoi le revoir après toutes ces années ?
Quand je t’ai bousculée en sortant du bureau, tu ne m’as pas vu. Tu ne
m’as pas reconnu. Sais-tu au moins qui je suis ? Sais-tu que tu es devenue
ma seule raison de vivre depuis l’instant où j’ai posé mes yeux sur toi ? Tu
dois le savoir. Tu es une femme intelligente. Je refuse de croire que tu ne
sois pas consciente de ton charme et de ta beauté. Je vais te montrer. Si
seulement tu n’avais pas revu Noah.
Tu étais contrariée, encore. Vous vous êtes disputés. Il n’a pas su te retenir
quand cette voiture t’a percutée. Il n’a rien vu venir. Je n’ai rien vu venir.
D’où sortait-elle, cette voiture ? Tout ça, c’est la faute de Noah. Il n’est
vraiment bon à rien.
Il faut qu’il paie pour son manque d’attention. Il ne mérite pas de te
connaître. N’aurais-je donc jamais ma chance ?
Puis tu as perdu la mémoire. Ça aurait pu être positif, mais il a fallu qu’il
joue les grands seigneurs. Qu’il s’occupe de toi, qu’il vienne te sauver, qu’il
vienne t’aimer. C’est tellement dégoûtant. Tellement répugnant. Après la
façon dont il t’a traitée ? Le pire dans tout ça, c’est que tu ne t’en rends
même pas compte ! Comment le pourrais-tu ? Tu n’es plus vraiment toi-
même, juste une ancienne version. Pas vraiment celle que je préfère. J’ai dû
agir. Il fallait que je fasse quelque chose, pour notre bien à tous les deux. Je
ne pouvais plus être spectateur de cette horrible mascarade.
Ce qui nous amène à ce moment précis. Je n’ai jamais voulu tout ça. Je ne
veux pas te faire de mal. Je ne veux pas te blesser. Et pourtant, je suis là,
derrière toi, pointant une arme sur toi. Maintenant tu me vois. Tout le
monde me voit. Es-tu heureuse de me voir, ma jolie Heather ?
19
Noah
Depuis qu’Heather est partie hier matin, tout semble complètement inutile.
Tout a perdu son sens. La maison me semble bien vide. Comment ai-je pu
être aussi stupide ? Pourquoi ne lui avoir rien dit depuis le départ ? Ça aurait
pu éviter un tas de choses. Je fais tourner l’alcool présent dans le fond de
mon verre en ressassant les évènements des dernières quarante-huit heures.
J’ai remarqué qu’elle était différente, j’aurais dû insister un peu plus.
Pourquoi a-t-elle attendu le lendemain pour m’avouer tout ça ? Elle voulait
réellement me faire du mal ? Elle voulait se venger ? J’imagine qu’elle a eu
ce qu’elle souhaitait. En même temps, je ne peux pas la blâmer.
Je lui ai tout caché depuis l’accident. Et je suis sûr qu’elle va encore en
découvrir davantage en menant son enquête. Elle va péter les plombs quand
elle va comprendre que c’est moi qui paie le journal pour qu’elle garde son
emploi. Qu’est-ce que je suis con ! Si je ne lui avais pas manqué de respect
à l’époque du lycée… si j’avais pris en compte ses sentiments au lieu de me
concentrer sur la querelle amoureuse que je vivais avec Paty… tout aurait
été différent. Certes, j’étais jeune et con, mais quand même. Je donnerais
n’importe quoi pour changer le passé, mais je sais pertinemment que c’est
impossible.
Il me reste au moins les souvenirs d’elle dans cette maison. Je scrute la
bibliothèque et tous les espaces vides laissés par l’absence de ses romans
préférés. Elle n’a pas vraiment eu le choix, j’ai fait déposer plus de la
moitié de ma bibliothèque avec ses affaires. Maintenant, tout ce vide ne fait
qu’accentuer son absence. Elle prenait peu de place dans la maison, mais
occupait tout l’espace de mon cœur. Pour une fois que je m’ouvre à une
femme… pour une fois que j’ose m’attacher à quelqu’un… ça m’apprendra.
J’aurais dû me contenter de subvenir à ses besoins et de l’aider avec les
tâches du quotidien. Pourquoi me suis-je laissé emporter par mes propres
sentiments ? C’est si facile de l’aimer. Elle est un mélange subtil entre la
Heather de l’époque et celle du présent. La douceur mêlée à la spontanéité.
L’impertinence mélangée à l’intelligence. Elle est tout ce qu’on peut désirer.
Sans oublier son corps, et la façon dont elle s’en sert. Jamais je n’aurais
soupçonné une telle confiance en elle et certainement pas s’exprimant de
cette façon. Par son sex-appeal. Sa puissance et son assurance qui
s’expriment à travers sa féminité, pour révéler toute l’audace de sa
personnalité. La première fois où nous avons fait l’amour a suffi à me faire
perdre la tête. Et j’ai tout gâché, une fois de plus.
— M Hill ?
Je manque de sursauter quand Gloria interrompt le fil de mes pensées.
— Désolée, je ne voulais pas vous faire peur.
— Pourquoi vous ne prenez pas votre journée, Gloria ?
— J’ai encore pas mal de choses à faire… et je n’ai pas envie de vous
laisser ruminer tout seul, dit-elle en s’approchant de moi.
— C’est gentil Gloria, mais je ne suis pas de très bonne compagnie en ce
moment…
— Je vois surtout que vous vous sentez mal, et je n’aime pas vous voir
comme ça.
— Comment voulez-vous que je me sente ? J’ai tout foiré avec Heather.
— Je suis désolée, ces choses-là ne me regardent peut-être pas, mais…
peut-être que vous pouvez encore tout arranger ?
— Je crains qu’il ne soit trop tard pour ça.
Je me lève et me dirige vers le Minibar.
— Asseyez-vous, Gloria.
— Comment ? répond-elle, presque choquée.
— C’est bon. Depuis le temps que vous travaillez pour moi… je ne vous ai
jamais vue vous asseoir un seul instant. Asseyez-vous.
— Très bien…
Elle s’assied, mais je vois qu’elle est mal à l’aise.
— Je vous sers quelque chose à boire ?
— Monsieur… je suis en plein service…
— Comme je vous l’ai dit, c’est exceptionnel. Je ferais comme si je n’avais
rien vu.
— Ce n’est pas sérieux.
— Je déteste boire seul.
— Alors, ne buvez pas ! Ressaisissez-vous !
— Un bourbon ?
— M Hill !
— Allez Gloria, relâchez-vous un peu, vous le méritez bien.
Après quelques longues secondes d’hésitation, elle accepte que je lui serve
un verre.
— Comment savez-vous que j’apprécie le bourbon ?
— On a déjà parlé plusieurs fois, je vous en ai même offert à Noël à
plusieurs reprises.
— C’est vrai… merci M Hill, dit-elle en prenant le verre.
Elle boit une gorgée raisonnable, puis me fixe de ses grands yeux marron
intenses.
— Quoi ? dis-je en arquant un sourcil.
Elle sourit, puis s’éclaircit rapidement la gorge.
— Alors, vous allez faire quelque chose ? Pour Miss Heather ?
— Je… je ne sais pas Gloria. Je crois que tout est vraiment foutu cette fois.
— Que s’est-il passé ? Si je comprends bien, elle a retrouvé la mémoire,
c’est ça ?
— Oui. Et elle n’a pas aimé ce qu’elle a découvert !
— Ce qu’elle a découvert ?
— Je suis en partie responsable de son accident.
— Quoi ? Mais enfin, vous dites n’importe quoi !
— Si. Nous étions en train de nous disputer quand elle a voulu se dégager et
qu’elle a reculé droit sur la route… au moment où la voiture…
— M Hill ! Vous n’y êtes pour rien ! Vous étiez juste là ! Ce n’est pas vous
qui l’avez poussée que je sache !
— Non.
— Eh bien arrêtez d’y penser ! Si vous n’aviez pas été là, si vous n’aviez
pas agi… et ce par deux fois, elle ne serait probablement plus là pour en
parler. Qu’est-ce qui peut tant la contrarier ?
— C’est un peu compliqué. Ça remonte à l’époque du lycée.
— Vous voulez dire, quand vous l’avez embrassée dans le seul but de
rendre cette pimbêche de Paty jalouse. Qu’elle s’est sentie trahie, mettant
probablement des années à s’en remettre, alors qu’elle en pinçait pour vous
depuis des années. Vous ne l’aviez jamais vraiment regardée, mais tout le
monde voyait qu’elle était complètement éprise de vous, sauf vous.
Je reste choqué quelques secondes.
— Eh bien, le bourbon vous délie la langue, Gloria.
— Je… pardonnez-moi monsieur, je me suis peut-être un peu emportée.
— Non, au contraire. C’est bien quand vous me parlez franchement, ça me
remet les idées en place. Je n’avais juste pas conscience… que vous en
saviez autant sur moi.
— On ne parle pas beaucoup, nous le personnel de maison, mais on voit
tout. Et puis, je la croisais souvent à la sortie du lycée quand je passais pour
aller faire des courses avec ma mère pour la vôtre… tout ça, ça reste.
— C’est ce que je vois.
— Hm.
— Donc… vous pensez qu’elle est partie comme ça, car elle est encore
blessée à cause de mon comportement au lycée ?
— Probablement. Je veux dire, je ne suis pas dans sa tête, mais elle n’est
pas insensible. Avec tout ce qu’elle a vécu dernièrement, ça a dû lui faire un
choc quand tout s’est mélangé et qu’elle a repris ses esprits. Il ne faut pas
lui en vouloir pour ça.
— Je sais bien. Je ne lui en veux pas, je suis juste blessé. Mais j’imagine
que je l’ai un peu cherché.
— Peut-être juste un peu. Mais ne soyez pas trop dur avec vous-même.
Laissez-lui le temps de se retourner, mais essayez tout de même de
reprendre contact avec elle. Une fois sa colère retombée, si elle veut
vraiment tirer un trait sur tout ça, alors il faudra la laisser partir, même si ça
fait mal. Personne ne peut forcer quelqu’un à nous aimer.
— Vous… vous avez totalement raison, avoué-je en avalant la dernière
gorgée de mon verre.
— Je ne dis pas que Miss Heather ne ressent rien pour vous. Simplement
que ses sentiments sont sûrement un peu confus, entre ceux qu’elle
éprouvait pour vous dans le passé, et ce qu’elle a pu ressentir ces dernières
semaines.
— Vous êtes très sensée, Gloria.
— Je suis sûre que vous l’auriez compris par vous-même… vous n’avez
simplement pas… l’habitude de penser à ce qu’une femme peut ressentir,
sans vouloir vous manquer de respect.
— Comment ça ?
— D’habitude, vous ne vous impliquez pas autant. Ce sont des femmes de
passage, mais Miss Heather, ce n’est pas n’importe quelle femme. Elle a
quelque chose de spécial. Je l’aime bien.
— Moi aussi Gloria, moi aussi.
— Bon, c’est pas tout ça, mais le repassage ne va pas se faire tout seul,
conclut-elle en terminant son verre et en prenant le mien au passage.
— Gloria ? Vous me retirez mon verre ?
— Monsieur, c’est le beau milieu de la matinée. Vous avez bu un verre,
c’est déjà trop. Essayez de réfléchir à ce que vous allez faire ensuite. Je
vous laisse tranquille, j’ai du travail.
Elle me laisse seul dans la bibliothèque et je secoue la tête devant la facilité
avec laquelle elle m’a dit les choses que je savais probablement déjà.
Heather. Sa présence me manque tant. Je l’ai blessée. Je m’en veux. Mais
elle va certainement réfléchir de son côté. Je suis sûr qu’elle a pris au moins
autant de plaisir que moi à notre petit jeu de séduction. A-t-elle vraiment
envie de renoncer à tout ça ? Est-ce qu’il lui faut juste quelques jours pour
faire le point sur sa vie, et décider ce dont elle a envie ? Pour l’instant, je ne
peux rien faire de plus, je suis obligé d’attendre que ce soit elle qui revienne
vers moi, si elle en a envie.
Je m’apprêtais à aller faire quelques longueurs dans la piscine quand mon
téléphone sonne.
— Oui ?
— M Hill.
— Salut Mark. Alors, des nouvelles concernant notre enquête personnelle ?
— Quoi ?
— Tu appelles pour les résultats plus poussés des analyses de…
— Non, pas du tout. Désolé. C’est pour autre chose. Vous vous souvenez de
celui qui n’arrêtait pas d’envoyer sa candidature à la chaîne et qui écrivait
des lettres et des lettres pour se faire engager ?
— Oui, bien sûr.
— Eh bien, apparemment, ils l’ont engagé.
— Et alors, quelque chose ne va pas ?
— Vous devriez vous mettre en route tout de suite pour les locaux de la
chaîne, monsieur.
— Mark ! Tu me fais peur, dis-je en attrapant les clés de la berline.
— Il faut que vous gardiez votre calme, d’accord ?
— Bon sang ! Tu vas me dire ce qui se passe, bordel ?
On repassera pour le calme.
— C’est… eh bien, cette personne qui travaille maintenant à la chaîne… cet
homme… il retient des gens en otage.
— Quoi ? Mark, je ne comprends pas un mot de ce que tu me dis.
Je grimpe dans la berline, je démarre et connecte mon téléphone sur le
Bluetooth de la voiture.
— Mark !
— M Hill. Le forcené retient plusieurs otages… en direct à la télévision.
Les caméras tournent, et il a une arme pointée sur eux. Elle est chargée. Il a
déjà tiré un coup en l’air.
— Bon sang !
J’accélère en tentant de garder mon calme, mais cette fois, ça va trop loin.
C’est quoi encore, cette histoire de fou ?
— Je… je suis désolé, mais ce n’est pas tout, M Hill.
— Qu’est-ce qu’il y a encore ?
— Le… l’homme qui menace…
— Mark, crache le morceau !
— Heather fait partie des otages.
— QUOI ?
Je manque de rentrer dans une voiture et de tout lâcher quand j’entends ça.
— Monsieur ? Monsieur, tout va bien ?
— Attends, tu veux dire qu’Heather est présente ? Qu’est-ce qu’elle fiche
là-bas ?
— C’est un peu long à expliquer… elle a décidé de mener son enquête, et
ça l’a conduite jusqu’ici. Elle vous expliquera certainement pour les détails.
— Bon sang, mais que se passe-t-il encore ?
— Il a des demandes monsieur.
— Des demandes… mais… qu’est-ce qu’il veut ?
— Vous.
— Hein ?
— Il demande à vous voir le plus vite possible. Il a menacé toute la chaîne,
et a dit qu’il tirerait dans la tête des journalistes en direct si on osait couper
les caméras…
— Attends… tu veux dire que…
— Le pays entier peut voir ce qui est en train de se passer, oui.
Un mauvais pressentiment me traverse et me hérisse l’échine. Pourquoi
Heather s’est-elle retrouvée dans les locaux de la chaîne ? Cet homme est-il
impliqué dans autre chose ? C’est forcément le cas, sinon Heather ne serait
pas là-bas.
— Monsieur, vous êtes toujours en ligne ?
— Oui, je suis toujours là je… je suis en route… je fais le plus vite
possible.
— Je… je ne crois pas qu’il veuille réellement blesser Heather.
— Je ne sais pas si ça me rassure beaucoup.
— Il divague un peu. Il raconte pas mal d’âneries.
— Et Heather, comment va-t-elle ? Bon sang, elle a vécu bien assez de
traumatismes pour toute une vie, merde !
— Elle a l’air d’aller bien. Elle est étrangement calme, même si ses mains
tremblent un peu.
— D’accord… je fais au plus vite. Essaie de la garder en vie. Je t’en
supplie.
Je coupe la conversation et pousse un hurlement de rage en doublant toutes
les voitures sur mon passage. Je veille toutefois à ne pas faire n’importe
quoi, je n’ai pas envie de me faire arrêter, je perdrais trop de temps. La
police. Ils doivent forcément être au courant, si c’est en direct à la
télévision. Ils devraient agir vite. Ils pourraient même arriver avant moi.
Pourquoi ai-je l’impression que les choses vont mal tourner ? Je n’ai
vraiment pas envie qu’Heather soit de nouveau blessée. Ce serait trop
difficile pour elle émotionnellement. Qu’est-ce qui a pu l’amener sur la
piste d’un employé de la chaîne ? Ça n’a aucun sens. Un nouvel employé,
qui plus est. C’est totalement…
Je secoue la tête et essaie de rester concentré sur la route. Dire que trois
jours plus tôt, tout allait pour le mieux.
J’arrive près des locaux de la chaîne et déjà, une multitude de journalistes
sont sur le pied de guerre, à guetter ce qui est en train de se passer, dont le
San Francisco Chronicle. Ces rapaces. Ils n’ont vraiment pas honte. Je me
fraie un chemin parmi les journalistes pour tenter d’entrer.
— Monsieur Hill ? Monsieur Hill ? Pouvez-vous nous en dire plus sur la
situation actuelle dans les locaux de la KGO-TV ?
— Monsieur Hill, que se passe-t-il ? Connaissez-vous le preneur d’otages ?
— … Hill, selon les dernières nouvelles, il s’agirait d’un… Blackstone…
vous dit quelque chose ?
Toutes les voix se mêlent les unes aux autres. Je fonce dans le tas et
parviens à m’extirper de la foule juste avant de pénétrer dans les locaux de
la chaîne. Blackstone… pourquoi ce nom semble familier ? Je me précipite
à l’étage concerné, les battements de mon cœur retentissant à une allure
folle, et quand j’arrive parmi les membres de la chaîne, le silence règne. Les
projecteurs sont braqués sur la petite installation centrale. Les lumières
éclairent les décors du plateau et les personnes qui se trouvent en ce
moment même à l’antenne. Les deux journalistes phares, recroquevillés
avec les mains sur la tête devant le bureau du journal télévisé. Heather, les
mains tremblantes, fixant la caméra de ses beaux yeux noisette, qui semble
terrorisée à cause de l’arme pointée à l’arrière de sa tête. Et, le doigt sur la
gâchette, un homme. Brun. Même pas la trentaine. Les yeux d’un bleu
électrique.
Un horrible frisson me parcourt quand je me rends compte que je le
connais.
Qu’Heather le connaît !
Blackstone.
Keith Blackstone.
Il était au lycée avec nous.
20
Keith
J’ai les oreilles qui sifflent. Tout est flou. Noah est au sol. Je suis couverte
de sang. Mes bras, mes mains, mes jambes tremblent. Je me jette sur Noah
et prends son visage entre mes mains.
— Noah ! Noah ! Reste avec moi ! Je t’interdis de mourir, tu entends !
— Heather… hmm… ça fait…
— Chuuut ! Ne parle pas ! Je n’en ai pas encore terminé avec toi, d’accord ?
Alors, accroche-toi !
Tout se passe comme si je n’étais pas présente. C’est comme un mauvais
film en version accélérée. Les secours sont déjà sur place et placent Noah
sur un brancard. On me demande si je veux l’accompagner. Toutes les
personnes présentes relâchent la pression en pleurant ou en s’énervant. Ça
s’est passé si vite. Ce psychopathe a été abattu. Jamais je n’aurais cru qu’il
aurait pu être responsable de tout ça.
Quand je suis venue le confronter après avoir découvert qu’il devait avoir
un lien avec l’article, il a semblé très étonné de me voir. Il semblait presque
incrédule. On aurait dit qu’il avait vu un fantôme. Je comprends maintenant
pourquoi. Il préparait son coup depuis si longtemps. Mon accident a juste
un peu ralenti les choses. Il aurait peut-être été un peu plus radical si je
n’avais pas perdu la mémoire. Il a dû savoir que Noah s’occupait de moi et
c’est ce qui l’a poussé à agir de façon méthodique. Je pense qu’au début, il
a surtout voulu effrayer Noah. Il n’a pas vraiment réussi sur ce point. Noah
était si concentré sur ma guérison qu’il a probablement été moins
précautionneux et méfiant qu’en temps normal. Je l’ai complètement
accaparé. Comment pourrais-je encore lui en vouloir ? À présent, c’est moi
qui vais avoir du mal à me pardonner.
Je me retrouve dehors, dans la confusion la plus totale. Plusieurs chaînes de
télé sont en train de relater les faits en direct. Je veux juste sortir de cet
enfer.
— Madame ? Madame ? me dit un des pompiers présents.
— Oui ?
— Est-ce que vous souhaitez l’accompagner ?
— Je… oui, bien sûr.
— On vous suit, ajoute Mark en pointant Stephan du menton.
Sans trop m’en rendre compte, je me retrouve à attendre des nouvelles de
Noah dans la salle d’attente des urgences.
Au bout de deux longues heures, un chirurgien vient me voir.
— Bonjour… vous accompagnez bien monsieur Hill ?
— Oui.
— Il va s’en sortir. La balle est entrée dans l’épaule, mais n’en n’était pas
ressortie. C’était un peu plus long et compliqué à cause de l’angle de tir,
mais nous avons réussi à la retirer. Ses jours ne sont pas en danger.
— Bon sang ! Dieu merci !
— Nous vous ferons savoir quand il sera dans sa chambre. Vous pourrez
aller le voir à ce moment-là.
— Très bien. Merci beaucoup.
Le chirurgien me salue d’un signe de la tête et repart aussitôt. Je retourne
m’asseoir sur un des fauteuils de la salle d’attente stérile en poussant un
gros soupir de soulagement. J’ai envie de pleurer. De crier. De hurler.
Tout ça était complètement fou. Pourquoi Noah s’est-il avancé si près, si
soudainement ? Mark savait-il que la police était en chemin ? Pourquoi ont-
ils pris le risque d’abattre Keith alors que nous étions si proches d’eux ? Et
en direct à la télévision ? J’imagine déjà les gros titres. Avec un peu de
chance, les caméras ont pu se déporter à temps pour ne pas filmer l’horreur
en live. Je ne tiens pas particulièrement à revoir ces images.
Mais qu’est-ce qui m’a pris de lui en vouloir ? Il n’y était pour rien. J’ai
réagi comme une gamine. Ce jour-là, déjà, ma réaction a été un peu
démesurée, ce qui a conduit à l’accident. Je ne pardonnerais cependant
jamais au type qui s’est barré sans se retourner. J’espère qu’ils le
retrouveront, mais j’en doute. Tout ce qui compte, c’est que je sois en vie
maintenant. Que Noah soit en vie. Que Keith soit mort.
S’il avait visé un peu plus haut… il l’aurait certainement touché à la tête.
Qu’est-ce que j’aurais fait ? Je m’en serais probablement voulu à vie, car
pour le coup, ça aurait été ma faute. Mon accident n’était la faute de
personne. Je repense à toutes les choses que j’ai vécues avec Noah et je me
sens soudainement nostalgique. Ces moments-là sont probablement les
meilleurs de ma vie. Si on met de côté les drames et la folie. Je me sens
bien quand je suis avec lui. Notre connexion est réelle. Quand nos corps
interagissent ensemble c’est… presque magique. Je peux être moi-même
quand je suis au lit avec lui. C’est quelque chose que je ne croyais même
plus possible.
Il faut encore que ma tête assimile les derniers évènements. Nous avons
vécu en condensé ce que peu de gens vivent sur toute une vie. Je parle bien
sûr des choses déplaisantes. Nous avons tellement peu exploré le côté
plaisant de notre relation, car je ne peux le nier… c’est bien une relation qui
est née de tout ça. Et s’il avait fallu qu’on vive tout ça pour se retrouver
tous les deux ? Peut-être que ne souhaiterais finalement rien changer de ce
qui m’est arrivé, même si c’était difficile de perdre mes souvenirs. Il y a
quand même eu des exceptions, ne plus me souvenir de la douleur que m’a
causé la mort de ma mère… c’était incroyable, mais ça n’a pas duré. En
tout cas, je sais maintenant que j’ai envie d’être avec Noah. Vraiment.
Je pousse la porte de sa chambre d’hôpital, un peu plus d’une heure après
que le chirurgien m’ait parlé.
— Noah ! dis-je en allant à son chevet.
Il est un peu groggy, mais il sourit.
— Heather… tu es venue ? demande-t-il, les yeux pétillants.
Je tire un siège et m’installe à côté de son lit, puis je prends sa main dans
les miennes. Son bras droit est en écharpe, et un bandage recouvre la
blessure à son épaule.
— Bien sûr… tu croyais que j’allais te laisser seul ?
— Je… je ne sais plus trop quoi croire maintenant… tout ça est tellement
fou.
— Je sais… La police a abattu Keith. Il était mentalement instable, depuis
longtemps déjà. Il a toujours su se fondre dans la masse, mais il n’a pas
supporté de nous voir ensemble. C’est ce qui l’a poussé à faire toutes ces
choses.
— C’est vraiment triste…
— Dans un sens, oui. Je n’irais pas jusqu’à dire que je le comprends,
mais… enfin… quand il a parlé du fait que je ne le voyais pas… ça m’a
rappelé les sensations que j’avais au lycée.
— Tu… c’est ce que tu ressentais vis-à-vis de moi ?
— Oui… c’est un peu embrassant, mais…
— Je n’en avais aucune idée Heather, crois-moi.
— Allez… tu savais bien que j’en pinçais pour toi, non ?
— Oui… mais ce que je veux dire c’est que je pensais que c’était juste un
coup de cœur de lycée… jamais je n’aurais pu imaginer…
— Tu étais mon monde, Noah, même si tu ne me voyais pas. C’est pour ça
que j’ai été doublement blessée par ce qui s’est passé au bal de promo…
— Heather, je suis tellement désolé ! J’ai vraiment agi comme un con. Non
seulement à ce moment-là, mais aussi quand tu as perdu la mémoire.
J’aurais dû être plus honnête avec toi.
— Sincèrement, ce n’est pas si grave. Je ne sais pas du tout comment
j’aurais réagi si j’avais été à ta place. Tu as pris soin de moi, tu m’as
accueillie chez toi, tu as veillé à ce que je ne manque de rien. Je n’ai pas le
droit de t’en vouloir.
— Heather… je suis tellement heureux que tu sois de nouveau dans ma vie.
Mais j’aurais préféré que tu n’aies pas à vivre tous ces drames.
— Ce qui est fait est fait, Noah. Il faut qu’on aille de l’avant.
— Tu veux dire…
— Ensemble. Si tu es d’accord. Le chirurgien m’a bien expliqué que tu
allais être un peu gêné avec ton bras… et le moins que je puisse faire, c’est
t’aider pour ton quotidien, même si j’espère que tu lèveras un peu le pied
avec le travail.
— Très franchement, je ne pense même pas à ça en ce moment, me dit-il en
pressant sa main dans les miennes.
— Tu serais donc d’accord… pour que je revienne chez toi ?
— Bien sûr, ça me ferait vraiment plaisir.
— Tant mieux, car j’ai déjà demandé à Mark et Stephan d’aller récupérer
toutes mes affaires chez moi… enfin dans mon appartement… à vrai dire,
ce n’est plus vraiment chez moi.
— D’accord. Tout ce que tu voudras, Heather.
Deux jours plus tard, Noah et moi sommes en train de lire près de la piscine
quand Mark nous rejoint.
— M Hill ?
— Mark. Je te l’ai dit… tu peux me tutoyer maintenant… après tout ce
qu’on a vécu dernièrement…
— Pardon… c’est l’habitude. Noah. On a bien eu confirmation avec la
police que Keith était responsable de l’incident du ainsi que de
l’empoisonnement. Une perquisition a eu lieu à son domicile et il n’avait
rien dissimulé. Il pensait sans doute ne jamais se faire attraper.
— Vraiment con, si tu veux mon avis, dit Noah en regardant Mark d’un air
sceptique.
— Je suis d’accord. Pour ce qui est de l’incendie, c’est pareil. Il avait les
plans des locaux de la chaîne, ainsi qu’un reste du produit qui a servi à
démarrer le feu.
— Je ne comprends pas qu’il ait été assez stupide pour tout laisser chez lui,
franchement, dis-je, étonnée par ce que j’entends.
— Personnellement, ça ne m’étonne qu’à moitié. Son but était de se
rapprocher de toi, Heather. Tout ce qui comptait, c’était que tu le remarques,
ajoute Mark.
— Ça, c’est plutôt réussi…
— Bon sang, dire que nous sommes allés au lycée avec ce type, et pire,
qu’il était à l’université avec moi. Dans le même cursus. Ça me donne la
chair de poule.
— Tu n’as plus besoin de t’en soucier maintenant… la police l’a abattu. Tu
as vu son corps, contrairement à moi, dit Noah un peu plus bas.
— Hé ! Il est bien mort, crois-moi. C’est juste que depuis que j’ai retrouvé
mes souvenirs, les plus traumatiques remontent sans cesse à la surface, et
celui-ci en fait partie.
— Je suis désolé Heather. Je n’aurais pas dû…
— Arrête de t’en faire pour moi, tu veux bien ? Bon… j’ai un peu chaud. Tu
as amené ton maillot, Mark ?
— Hein ?
— Allez, tu as bien le droit à un peu de détente, non ? Où est Stephan ? On
pourrait lui dire de venir aussi ?
— Stephan est en congé… étant donné que j’ai décidé de rester à la maison
quelque temps…
— D’accord, je vois, dis-je, amusée.
Mark sourit et repart à son poste, pas très loin de nous. Je ne comprendrais
jamais comment font les gardes du corps pour rester si stoïques.
— Noah ?
— Oui ?
— Il faut que je te parle de quelque chose.
— Hm… dis-moi.
— Il va falloir que je me trouve un nouvel emploi, tu sais.
— Comment ça ?
— Attends ? Tu croyais que j’allais continuer de bosser pour ce con de
Follett ? Non merci. J’ai lâché mon job ce matin même. Si tu avais vu sa
tête.
— Tu es sérieuse ?
— Bien sûr. Je pourrais aussi bien trouver un emploi autre part.
— C’est bien pour toi Heather, vraiment. Tu as complètement raison. Je
suis sûr que tu peux faire tout ce que tu veux, que ce soit du journalisme ou
autre.
— Merci. Mais je pense que je vais rester dans cette branche. Je n’ai pas
vraiment eu l’occasion de l’explorer comme je le souhaitais.
Je me lève puis me dirige vers la piscine, marchant lentement sur la pente
pour m’immerger dans l’eau, offrant à Noah la vue sur mon fessier.
— Tu veux me rejoindre ?
— J’en ai très envie, mais j’ai mon épaule et…
— Ton pansement est situé assez haut, non ? Tu peux au moins te rafraîchir
un peu, tu ne crois pas ?
— D’accord…
Il ne se fait pas prier pour me rejoindre et avance dans l’eau jusqu’au
niveau de sa taille. Je le colle un peu, lui rafraîchissant le dos avec ma
poitrine trempée, puis je lui fais face. Nos lèvres se trouvent très facilement,
de la plus douce des manières. Je le fais reculer tout en continuant à
l’embrasser, pour le ramener près du bord.
— Il ne faut pas mouiller le pansement, ça m’embêterait de devoir tout
recommencer.
Après avoir fait venir une infirmière à notre retour à la maison, j’ai appris à
lui changer son pansement moi-même. Il s’assied sur la partie inclinée de la
piscine, ayant de l’eau uniquement jusqu’à la taille.
— Le bas de ton écharpe touche l’eau, mais franchement, je ne pense pas
que ce soit gênant, tant que la partie supérieure reste hors de l’eau…
— Je ne pense pas que ce soit gênant, en effet, ajoute Noah, me dévorant du
regard.
— Hm… dis… je pensais à quelque chose.
— Oui ? Quoi ?
— Pendant ta convalescence… est-ce que tu souhaiterais que je t’apprenne
à jouer du piano ?
— Tu es sérieuse ?
— Oui, pourquoi ?
— Tu as remarqué que j’ai un bras hors service, j’imagine ?
— Bien sûr. Mais… tu as toujours l’autre, non ? Tu pourrais déjà apprendre
les bases. Je suis sûre d’être une excellente professeure. Si tu apprends bien,
tu seras récompensé.
— Ah ? Tout de suite, ça devient plus intéressant. Tu sais comment captiver
mon attention.
— Arrête de dire des bêtises.
Nos bouches se trouvent une fois de plus, et nos langues dansent à
l’unisson. Du coin de l’œil, je trouve Mark, qui me signifie d’un
mouvement de tête qu’il a compris. Il disparaît en quelques secondes à un
endroit d’où il ne peut pas nous voir.
— Hum… la piscine restera toujours un de mes endroits préférés… c’est si
spécial.
— Ah bon ? Pourquoi ça ? Tu aimes être mouillée quand on fait l’amour ?
me demande Noah d’une voix enjôleuse.
— Pas du tout ! Enfin si… mais… disons que ce n’est pas…
— Hey ! Je te taquine. Tu crois sincèrement que j’oublierais l’endroit où
nous avons fait l’amour pour la première fois ? C’était tellement inattendu.
Incroyable…
— Et tellement bon ! dis-je en entrecoupant notre échange de petits baisers.
Ma main trouve son short de maillot de bain et le taquine légèrement.
— Je vois que tu es d’humeur joueuse. Ça tombe très bien.
— Noah ! Comment est-ce que je pourrais te résister ? Tu t’es vu,
sérieusement ?
Il éclate de rire et me rapproche de lui avec son bras valide. Ma poitrine se
presse contre son torse et l’air se réchauffe entre nous. Il aspire ma langue
dans sa bouche et me fait perdre la tête.
Le temps est dégagé, le soleil chauffe nos peaux humides. Des voiles
d’ombrages sont disposés un peu partout, si bien que nous pouvons profiter
d’un peu d’ombre tout en étant dans l’eau. C’est parfait.
— Hmm… Heather, dit-il interrompant notre baiser.
— Oui Noah ?
— J’ai très envie de toi…
— Dis-moi, y a-t-il des moments où ce n’est pas le cas ? demandé-je
amusée.
Il plaque sa main gauche sur mon fessier et la mienne passe sous son short.
Nous nous embrassons langoureusement alors qu’un fond de musique
classique se fait entendre dans les enceintes du jardin.
Ce moment est parfait.
22
Noah
Un an plus tard
Nous sommes installés sur nos sièges depuis près de vingt minutes quand
l’hôtesse de l’air de notre jet privé nous apporte des cocktails.
— Monsieur Hill, mademoiselle Collins, l’avion s’apprête à décoller.
Restez bien attachés.
— Merci, Sofia, dit Heather en prenant les cocktails en main.
Elle me regarde avec un petit air malicieux.
— Tu es au courant que je peux tenir mon verre moi-même depuis plus de
neuf mois, rassure-moi ?
— Bien sûr, répond-elle en riant.
— Ah… je me demandais.
— Tiens, à nos vacances.
— Merci Heather.
Nous trinquons tous les deux avant d’engloutir la moitié de notre verre.
L’avion décolle tranquillement, nous collant au fond de nos sièges.
— À nos vacances bien méritées, ajouté-je en lui souriant.
— Je suis tellement heureuse des décisions que tu as prises dernièrement…
je sais que ça n’a pas dû être facile pour toi. Je suis certaine que tu trouveras
toujours un moyen de te consacrer encore plus à tes œuvres de charité, cela
dit.
— Oui, mais maintenant, tu es là pour m’aider. Revendre toutes les
entreprises que j’avais acquises est la meilleure décision que j’ai prise
depuis bien longtemps. Je peux largement me permettre de ne plus travailler
pour le reste de mes jours, et de profiter de toi autant que j’en ai envie !
— Noah !
— Quoi ? C’est la vérité !
— Pas autant que tu le voudrais, je sais…
— Oui. Mais c’est aussi ton choix. Je le comprends parfaitement.
— Je ne peux pas rester sans rien faire, tu le sais bien. Je suis ravie que tu
m’aies permis de continuer à vivre ma passion. Monter tout un journal, ce
n’est pas une chose aisée. Tu m’as aidée à chaque étape, et pour ça, je ne te
remercierai jamais assez.
— Tu n’as pas besoin de le faire. Je suis vraiment content que tu puisses
faire ce que tu aimes, sans devoir obéir à une ligne éditoriale stupide qui ne
correspond pas à tes valeurs.
— J’ai bien aimé t’interviewer, cela dit.
— Ah oui ? Et tu as aussi aimé la partie qui disait n’importe quoi dans
l’article ? dis-je pour la taquiner.
— Noah ! Arrête avec ça ! Tu sais bien que…
— Oui, pardon, mais c’était trop tentant. Te voir t’énerver… je t’avoue que
ça a tendance à m’exciter.
— Tu pourrais me citer une chose que je fais qui ne t’excite pas ?
— Hm… je ne sais pas.
— Quand je cuisine peut-être ?
— Perdu.
— Quand je me rase les jambes ?
— Tu as tout faux.
— Tu n’y mets pas du tien.
— Peu importe. Tu n’es pas ravie de l’effet que tu me fais ?
— Bien sûr que si, répond-elle en s’approchant un peu plus de moi.
— Fais attention, nous ne sommes pas seuls ici…
— C’est vrai. Bon sang, bonjour pour la spontanéité.
— Oh, je sais que quand tu le veux vraiment, tu arrives à te débarrasser de
Mark, de Carl et de Bryan.
— Tu n’as jamais rien trouvé à redire, il me semble…
— Pas faux.
— Ils étaient vraiment obligés de nous accompagner ?
— Je préfère, oui. J’aurais l’esprit un peu plus tranquille. Après tout, je
reste quand même une cible potentielle à cause de ma fortune, et ça, je n’y
peux pas grand-chose…
— Oui… Ça pourrait être pire, cela dit. Je ne vais pas m’en plaindre. Trois
semaines d’affilée à l’île Maurice… je connais peu de gens qui refuseraient.
— Je sais. Bryan et Mark nous surveilleront de loin, ne t’inquiète pas. Ils
pourront même profiter de la plage et de tous les équipements de l’hôtel
quand ils le souhaiteront, du moment qu’il y en a toujours un de disponible,
au cas où…
— Après tout, ils n’ont pas l’air mécontents de venir avec nous, ajoute-t-
elle en jetant un œil aux gardes du corps en pleine partie de cartes.
Le téléphone d’Heather vibre plusieurs fois et elle le vérifie.
— Ce sont tes amis ?
— Oui. Ashley, Martha, Enrique et Stacy… enfin mon groupe sur
WhatsApp. Ils nous souhaitent de bonnes vacances et espèrent qu’on
rentrera bronzés et en forme. Ah, Stacy me demande aussi de ne pas les
oublier les SOUVENIRS. Elle a écrit en majuscules.
— Ça ne m’étonne pas d’elle…
— Elle est tellement drôle. Elle aime faire dans l’ironie et le second degré,
dit Heather en riant.
Voir Heather se faire des amis grâce à son nouveau travail est quelque chose
de très important à mes yeux. Je n’aurais pas voulu que tout tourne tout le
temps autour de moi. Et il s’avère que leurs compagnons respectifs sont
également devenus des amis pour moi. Comme ça, le cercle s’agrandit.
— Heather. Il faut que je te parle de quelque chose.
— Oui ? Dis-moi ?
— Eh bien, tu sais, on avait discuté de ma mère… je voulais te la présenter
et…
— Non, ça ne me dit rien. Je ne m’en souviens pas, dit-elle en esquissant un
sourire tout en regardant le plafond de l’avion.
— Ah, ah… tu es hilarante. Allez ! Écoute-moi…
— D’accord. Tu as toute mon attention.
— Je lui ai proposé de nous rejoindre pendant le voyage.
— Sérieusement ?
— J’espère que ça ne te gêne pas ?
— Pas du tout ! Quand la verrons-nous ? J’ai hâte de faire sa connaissance.
— Elle arrivera pour la dernière semaine. Je veux profiter de toi un
maximum avant qu’elle ne t’accapare.
— Comment ça ?
— Oh… il est évident qu’elle va t’adorer.
— Tu crois vraiment ? me demande-t-elle en attrapant mes mains.
— Bien sûr. Pourquoi en serait-il autrement ?
— Je n’en sais rien… on ne sait jamais. En tout cas, ça me fait chaud au
cœur que tu te sois rapproché d’elle cette année, même si je n’ai pas pu
assister à tout ça.
— Oui, c’était un peu… compliqué, on va dire. Mais nous aurons le temps
d’en discuter tous ensemble. Actuellement, elle est tellement investie dans
ses œuvres de charité et dans son cercle d’amis, qu’elle a à peine le temps
de s’occuper d’elle. Depuis la mort de mon père… enfin… elle a dû trouver
un nouveau sens à sa vie.
— Je comprends. Ça n’a vraiment pas dû être facile pour elle. Surtout avec
les entreprises que ton père a laissées et qu’elle a dû gérer…
— Oui… bon, ne parlons plus de ça, je n’ai pas envie de me miner le moral.
Quelle est la première chose que tu as envie de faire en arrivant ?
— La première chose ? dit-elle avec petit sourire en coin.
— Bon allez, la deuxième chose.
— Ah, ah ! Pour être sérieuse une minute… je crois que le premier truc que
j’aurais envie de faire est de plonger dans l’eau. Ça me semble évident.
— Très bon choix.
Nous nous embrassons, puis nous décidons de dormir un peu pour être en
forme. Le vol risque d’être long.
Déjà une semaine que nous sommes sur cette île paradisiaque, et le moins
qu’on puisse dire, c’est qu’on s’habitue très vite à une vie de farniente.
Aucun souci à gérer, plus de coup de fil intempestif, pas d’incendie qui
risque de vous tuer au travail, ni de poison dans la nourriture. Non. Juste le
plaisir de se faire plaisir. Heather est rayonnante, même si je la soupçonne
de rester à l’affût des news de San Francisco quand je la vois parfois
pianoter sur son téléphone. Le soleil a déjà bien doré nos peaux, et le bruit
de vagues nous berce tranquillement sur cette plage privée aux eaux
turquoise. Bryan et Mark ne sont pas très loin, occupés à régler leurs
téléphones pour prendre la millième photo de la plage depuis que nous
sommes arrivés.
Heather lit son livre tranquillement dans son bikini fuchsia, tandis que je
sirote un Maï Thaï en contemplant la vue.
— Heather ? Tu n’as pas trop chaud ?
— Non, et toi ?
— Ça chauffe un peu. Je vais me rafraîchir, tu veux venir avec moi ?
— Hm. Je termine mon chapitre et je te rejoins, d’accord ?
— Ça me va. Mais je risque peut-être d’en profiter pour retirer mon short
sous l’eau…
Je la laisse à sa lecture alors qu’elle explose de rire. Au bout d’une dizaine
de minutes, comme je ne la vois toujours pas venir, je décide de retourner
sur la plage.
— Alors ? Je pensais que tu finissais ton chapitre ?
— Oui… euh, désolée, ce livre est beaucoup trop bon ! rétorque-t-elle sans
même me regarder…
— Heather… tu ne me regardes plus, dis-je avec une voix dramatique.
— Quel bébé ! dit-elle avant de poser son livre sur la petite table entre nos
transats.
— Ah, ça y est !
Elle me sourit franchement, et je manque de tomber à la renverse, comme à
chaque fois. Elle prend une gorgée de son cocktail, puis se racle la gorge
avant de m’examiner de la tête aux pieds.
— Tu vas bien ?
— Oui, pourquoi ? demandé-je, interloqué.
— Oh, pour rien, juste une drôle d’impression.
Bon sang. Je m’éclaircis la gorge avant de prendre une grande inspiration.
Pour ajouter de l’effet, je m’approche d’elle et je pose un genou à terre.
— Miss Heather Collins. Les choses ont démarré entre nous il y a un petit
moment maintenant…
— Noah… je….
Elle semble choquée et des larmes se forment immédiatement dans ses
yeux.
— Nous avons déjà vécu mille et une choses ensemble, et nous avons
appris qu’à deux, nous sommes meilleurs. Tu me combles de bonheur
chaque jour que tu passes avec moi, et j’espère que tu continueras de le
faire en acceptant de devenir ma femme. Acceptes-tu de m’épouser ?
Heather me saute dans les bras, et nous finissons tous les deux dans le sable
brûlant.
— Oui, oui Noah Hill, j’accepte de t’épouser !
Nous nous embrassons langoureusement pendant que Mark et Bryan nous
filment en se rapprochant, mais sans nous interrompre.
Wyatt a un grand sourire sur le visage lorsque je rentre dans l’Angel Snake.
J’ai encore mon casque à la main et Teddy sur les talons. Je me doute que
quelque chose se prépare au vu de l’attitude de mon président. Je pose mon
casque sur la première table que je vois et avance vers le Prez.
—Salut Wyatt.
— Ah voilà mon second, Tyler.
Ouais je confirme, quelque chose se prépare et je ne suis pas sûr que ça va
me plaire.
— Mon grand, je suis ravi que tu arrives.
—Dis-moi tout.
— Je viens d’avoir le Prez des Viper de Mexico. Aldo et Fred sont revenus
tout à l’heure et c’est bon, on a un accord.
Il me donne une grande claque dans le dos, visiblement ravi de la tournure
des événements.
— Et comment réagissent les Russes ?
— Pas très bien, fils. D’ailleurs, on risque d’en voir un ou deux débarquer
mais le gros de l’affaire est en place.
Les Viper traitaient avec une branche de la mafia russe jusqu’à très
récemment. Il y a fort à parier que les Russes ne vont pas accepter qu’on
leur vole aussi facilement le marché de plusieurs milliers de dollars.Ça plus
la surveillance de Brown qui devient de plus en plus oppressante, j’ai bien
peur que la situation ne dérape rapidement.
— Et Brown ?
— Ce petit connard de flic ? T’inquiète, j’ai la situation en main. Mais je
veux que tu sois celui qui va gérer la transaction avec les Viper.
Je suis le vice-président du club et le deal avec les Viper est l’un des plus
importants qu’on ait depuis pas mal de temps. On parle quand même de
cinquante kilos de cocaïne pure toutes les semaines. Il va falloir se
rapprocher de nos vendeurs, voir pour le système de diffusion et la manière
la plus sûre d’acheminer la coke. Bref, ça va être un gros bordel, c’est
normal que Wyatt me veuille sur le coup, même si moi en ce moment, je
suis en plein questionnement.
Le club, c’est toute ma vie, Wyatt m’a pris sous son aile quand j’étais
encore en dernière année de lycée et il a été le père que je n’ai jamais eu.
Ma mère était une loque vivante shootée à l’alcool et à la drogue et elle ne
s’est jamais occupée de moi. Quand Wyatt est rentré dans ma vie, il m’a
posé des limites, une famille dans le club des Brother Hood et une vie. Une
vie pour laquelle je me pose de plus en plus de questions.
— Ok, pas de soucis, je prends Teddy avec moi.
Il esquisse un nouveau sourire.
— Je ne voyais pas les choses autrement. Tu as à peu près un mois pour
planifier la première livraison avec Teddy et les Viper, je te fais confiance,
fils. Avec ce deal, on devient les premiers sur Riverfront. Donc prépare bien
ton coup.
Des éclats de voix se font entendre dans la salle. Mes frères ont vraiment
l’air survoltés ce soir. Je jette un coup d’œil dans la salle et vois un
rassemblement dans le fond.
— Qu’est-ce qu’il se passe ?
— Oh pas grand-chose, les gars ont besoin de se détendre.
— Et du coup ?
— Ils viennent d’organiser une petite séance improvisée avec des gars du
coin.
Les cris se font de plus en plus forts et les gars frappent dans leurs mains,
une partie semble complètement hilare.
— Bon, fils, prends un verre et détends-toi, tu pourrais peut-être rejoindre
tes frères et profiter du spectacle.
Wyatt ponctue sa phrase en me donnant une tape dans le dos une nouvelle
fois. Il fait un geste à une jeune fille très peu vêtue qui visiblement ne
demande pas mieux que de le suivre. Il se met sur le coin du bar et la jeune
donzelle se scotche dans ses bras, les lèvres déjà dans son cou.
Je fais un signe au barman qui comprend immédiatement et m’apporte un
verre de whisky sec. Le liquide ambré me brûle légèrement la gorge, c’est
mon premier verre de la journée et il me faut un peu de temps pour me
mettre dans le bain. Je reprends une gorgée mais les bruits qui viennent du
fond de la salle me rendent de plus en plus curieux. Je délaisse donc mon
verre et m’approche de mes frères.
Les gars sont survoltés et la tension est palpable. Je me rapproche d’Ugo,
un grand gars chauve baraqué comme une montagne. Il a trois ans de plus
que moi et je le connais depuis mon arrivée dans le club. Il rit de bon cœur.
Je lui donne une claque sur l’épaule et regarde le spectacle qui s’offre à
moi.
— Merde, c’est qui ces mecs ?
Au centre du regroupement de mes frères, je vois Marvin et Greg, deux
frères qui s’en prennent à trois gars qui semblent être à peine majeurs. Ils
semblent en difficulté, ils ont du sang plein le visage et semblent ne pas
pouvoir marcher. Mes frères se les envoient de l’un à l’autre et dès que l’un
essaye de lever les bras, il se prend de violents coups dans le visage.
—C’est rien, des petits merdeux qui voulaient trouver le grand frisson.
— Mais encore ? Je veux dire, vu leur état…
— Ils sont entrés ici pour tenter de trouver de l’alcool, des filles et de la
baston. Ils ont trouvé de l’alcool et de la baston.
Je crois comprendre que ces mecs sont, comme beaucoup d’autres, venus
pour se frotter aux Brother Hood. Mais là, ça tourne au carnage. Malgré
moi et sans vraiment tout connaitre de l’histoire, je prends mon ton
autoritaire.
— Ok les gars, mettez-moi ces trois tordus dehors.
Les gars sont visiblement déçus de mon ordre.
— Putain Tyler !
— Les gars, avec Brown sur nos talons, on n’a pas besoin de plainte pour
agression sur des petits bourges de merde.
Les huées s’élèvent mais mes frères savent que je fais ça pour notre bien à
tous. Ugo attrape l’un des gars par le col, le gars a un œil fermé et du sang
qui coule de sa bouche, je ne remarque que maintenant qu’il a un blouson
d’une université du coin. Ok ! Je vois le genre, des petits fils à papa qui
voulaient se frotter aux grands méchants bikers. Marvin et Greg s’occupent
de jeter dehors les deux autres, qui ne sont pas dans un meilleur état que le
premier.
En quelques secondes, le bar a retrouvé son atmosphère traditionnelle. La
musique reprend de sa ferveur, les filles qui sont présentes se déhanchent ou
se pendent aux bras de certains de mes frères. Oui, à l’Angel Snake,
l’ambiance est caliente ou violente. C’est notre monde, celui qu’on a choisi,
celui qui mêle liberté et borderline. Oui, on est des frères, on est unis mais
j’avoue que le côté hors la loi commence à me peser. J’ai envie de pouvoir
sortir sans regarder derrière moi, de pouvoir aller où je veux sans me méfier
des gens qui m’entourent.
Ugo vient s’assoir à côté de moi et fait un signe au barman. Rapidement,
une bière arrive sur le comptoir.
— Vous étiez vraiment obligés de les mettre dans un tel état ?
— Tyler, détends-toi, on rigolait c’est tout.
Teddy se pointe derrière moi avec une des filles à son bras.
— Je suis d’accord avec Tyler, c’étaient des gosses.
— Ils sont venus et ont commencé à nous chercher en voulant se mesurer à
nous.
— On n’a pas besoin de prouver quoi que ce soit à qui que ce soit.
Un sourire sur le visage, Ugo prend une gorgée de son breuvage.
— Enfin voilà, sinon vous avez fait quoi aujourd’hui ?
Je pose la question plus pour faire la discussion qu’autre chose. Du coin de
l’œil, je vois que Wyatt part dans son bureau avec la fille qui était avec lui.
— Waouh mon gars, si tu savais.
Une lueur étrange brille dans les yeux d’Ugo. Ça pique ma curiosité.
—Dis-moi.
— Mec, j’ai rencontré un ange aujourd’hui.
J’ai envie de rire.
— Un ange, rien que ça ?
— Ouais, écoute, Wyatt nous a envoyés récupérer de l’argent aujourd’hui.
Il n’est pas très compliqué de savoir où ils étaient.À l’heure actuelle, on a
qu’un seul mec qui nous doit du fric. Ce n’est pas un mauvais bougre, c’est
juste un petit vieux qui ne comprend pas vraiment où il a mis les pieds.
— Le comptable, c’est ça ?
— Ouais, on y a été, Marvin, Fred et moi et là, mon gars, on est arrivés en
plein repas de famille, et on a rencontré la fille du mec.
Je peux dire qu’Ugo est tout émoustillé par le souvenir de cette jeune fille.
J’avoue que ça m’amuse.
— Ah oui ?
— Putain mon gars, cette nénette, c’est pas le genre de fille qui traine avec
nous normalement, tu vois.
Il pointe du doigt la fille au bras de Teddy. C’est une très jolie blonde avec
des formes vertigineuses, elle a probablement les seins refaits et elle ne
porte qu’une robe très courte rouge qui dévoile la plus grosse partie de son
corps. C’est vrai qu’on est très loin de l’image de l’ange, le côté blond peut-
être.
— Elle n’est pas super grande, mais putain, mon gars, elle a un truc de fou.
— Et sinon vous avez récupéré l’argent ?
— Tu penses, le gars n’avait rien dit à sa femme et à sa fille. Du coup elles
nous ont demandé un délai.
— Laisse-moi deviner tu as dit oui si elle venait en personne ?
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