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Léa Perrin
Chapitre 1 Bo
Ève partie travailler, sa garde ayant débuté bien plus tôt que ce qui
était normalement programmé, je décide de me consacrer entièrement à
l’organisation d’un moment qui sera pour elle relaxant. Confection d’un
excellent diner, préparation de son dessert préféré… Tout ça pour
l’accueillir à la fin d’une harassante journée.
Ève et moi, nous connaissons depuis l’université. Élève brillante,
fascinante, comment ne pas être attiré et succomber à cette beauté cultivée,
à l’esprit affuté, et aux discussions aussi intéressantes que recherchées ? J’ai
tout de suite été séduit… Même si je ne fus pas le premier à la mettre dans
mon lit, contre toute attente, c’est avec moi qu’elle a fini.
Major de promo avec une année d’avance sur le cursus, elle fut
directement parachutée du NYU Meyers College[6] au Lenox Hill
Hospital[7] pour prendre la tête d’une équipe d’infirmières. Depuis, elle n’a
cessé de se démener, d’abord par passion puis par fierté, pour garantir notre
confort financier. Parce que son mec est un raté, avec un salaire à faire pitié.
Une fois la soirée organisée pour que ma petite amie puisse un peu
profiter, je visite une nouvelle fois monsieur Lapzinsky. Assuré qu’il va
bien et la chienne sortie, je passe le reste de mon après-midi à enquêter sur
le rendez-vous professionnel qui m’a été donné.
Demain, la NFL[8] ouvrira sa présaison. Le genre de match que je ne
rate jamais à la télévision. Le MetLife Stadium sera évidemment bondé
pour la rencontre qui opposera les Giants de New York aux Chargers de
L.A.[9] Je spécule sur l’identité de l’enfant. Ryker Jensen étant agent, la
probabilité qu’il s’agisse du gamin d’un des Giants est énorme,
statistiquement parlant.
Un salaire plus qu’alléchant, je dirais même indécent. Il ne me reste
plus qu’à patienter maintenant, pour avoir les tenants et les aboutissants.
J’ai tellement hâte d’y être, tout en m’inquiétant bizarrement. Et si je n’étais
pas à la hauteur de la mission, avec l’élève en question ?
Non, mais… bien entendu que tu le seras ! Ne t’en fais pas ! Tu
t’attends à quoi ? Ce môme sera sans doute un cas tout à fait lambda. Un
enfant parmi tant d’autres, dans tous ceux que tu rencontreras. Ces riches
personnalités gagnent tellement de blé qu’elles ne savent même plus
comment le dépenser et n’ont plus le sens des responsabilités. La somme
qu’on t’a proposée n’a certainement rien à voir avec une quelconque
difficulté. Une fois que ces mecs commencent à être trop payés, ils se
mettent à balancer les billets. Tout ça n’a aucun rapport avec la mission
qu’on veut te confier !
C’est vrai, pourquoi m’inquiéter ? Je ferai sûrement face à un gamin
renfermé, qui a du mal à trouver sa place entre un père adulé et une mère
effacée ou trompée. Ou peut-être des parents divorcés… pour passer en
revue tous les clichés.
Allez ! Ça va marcher ! Je le sens, je le sais ! Ce matin, quand je me
suis levé, je ressentais bien que le vent allait tourner.
Chapitre 4 Bo
I didn’t know I was broken
Until you had my heart awakened
Je ne savais pas que j’étais brisé
Jusqu’à ce que tu réveilles mon cœur
Je rentre chez moi en traînant des pieds. Déçu, choqué, perdu, mais
aussi décontenancé. La dispute qui s’ensuit avec Ève avant qu’elle ne parte
bosser lorsque je lui annonce que mon « plan job » a foiré, n’arrange pas le
curieux état de flottement dans lequel je peux me trouver. Bien au contraire,
après cette énième dispute sur notre situation financière, je commence à
douter de la solidité du couple qu’Ève et moi pouvons former…
À peine deux jours après avoir été opérée, j’ai signé une décharge
pour quitter ma chambre aseptisée, contre l’avis du médecin qui m’a
soignée. Rejoindre l’équipe pour repartir en tournée, et reprogrammer les
deux dates qui ont dû être reportées est la seule et unique chose dont
j’entends parler. Mon état de santé, tout le monde semble s’en moquer.
Ce soir, après quelques jours off contraints et forcés, je dois
enflammer le Madison Square Garden pour un concert à guichets fermés.
Tout juste 7 jours après avoir été hospitalisée. J’aurais tant voulu pouvoir
encore me reposer. Je suis tellement épuisée…
J’observe mon reflet. La maquilleuse va avoir du boulot pour
masquer les cernes bleutés et mes joues creusées qui cherchent à me
défigurer. Mais poudre et liner sont mes alliés. Didie aura juste besoin de
forcer un peu sur certains traits pour camoufler, elle est habituée.
Je détaille ma silhouette dans son intégralité. Comment peuvent-ils
tous me considérer comme un idéal qui fait rêver ? Je me ferais presque
gerber. Mes jambes sont devenues si maigres qu’un coup de vent pourra
bientôt me faire tomber. Je soulève mon débardeur et décolle le pansement
pour regarder le travail du charcutier. La cicatrisation a l’air de bien se
passer. Pourvu que ma peau ne décide pas de craquer quand je vais me
mettre à danser. À peine 7 jours que j’ai été opérée, je suis normalement
encore censée me reposer, mais…
« Tu dois honorer les engagements que nous avons signés ! » n’a-t-il
pas cessé de me répéter.
Comme si c’était ma faute, si mon corps cherche à hurler !
La boule qui s’est installée dans ma gorge il y a quelque temps
refuse de s’en aller. Si elle continue d’enfler, je ne parviendrai bientôt plus à
chanter. Je m’observe de la tête au pied, d’un œil critique et avisé. Des
larmes voudraient monter, mais hors de question de leur céder ! Je ne suis
pas faible, je ne l’ai jamais été et ce n’est pas maintenant que je vais lâcher !
Trois coups sur la porte de ma loge viennent me reconnecter. Je
recompose mon visage, reprends ma posture guerrière, conquérante et fière.
Et quand un type s’introduit sans que je l’y aie autorisé et s’avance, je
m’adresse à lui avec défiance tout en le scrutant avec méfiance :
— On peut savoir qui vous êtes ? Et surtout comment vous êtes
entré ?
— J’ai demandé au mec posté…
Je lui lance un regard aussi stupéfait qu’agacé.
— Les gardes du corps, c’est plus ce que c’était, marmonné-je plus
pour moi-même, que pour le gars en train de me dévisager. On les paie
grassement, mais ils ne font leur boulot qu’à moitié.
Je m’époumone pour convoquer celui qui est censé empêcher
quiconque de venir me déranger. Surtout avant que j’aie terminé de me
préparer :
— Scott ! Radine-toi vite fait !
Il arrive au pied levé.
— Est-ce que je peux vous aider ? m’interroge le grand dadais.
— Du tout, imbécile ! J’t’appelle pour jouer aux cartes ! J’ai rien
d’autre à faire, et j’en ai marre de m’ennuyer…
Ses yeux de merlan frit m’indiquent qu’il n’a pas compris.
— Je plaisante ! expliqué-je pour l’éclairer.
Son allure de benêt ne paraît pas vouloir s’effacer.
Va falloir penser à mieux recruter. Si un jour il doit se servir de son
arme, il serait préférable qu’il sache exactement ce qu’il est censé en faire.
Et lui, là, ne semble pas avoir toutes ses lumières…
Pendant que je galère avec un de mes employés, « Joe l’incruste »
observe la scène en se marrant, juste à côté.
Heureusement qu’il n’a pas l’air venu dans le but de m’agresser,
sinon avec cette « tanche » pour me protéger, il aurait eu 10 fois le temps de
me brutaliser !
— Vire-moi ce mec que tu n’aurais pas dû laisser passer ! ordonné-
je puisque ça s’avère visiblement être une nécessité.
— Mais, c’est que…
— C’est que quoi ? Tu te rappelles au moins pourquoi t’es payé, ou
je dois de nouveau te l’expliquer ?
Je savais qu’il n’avait pas inventé la poudre, mais faudrait voir à ne
pas exagérer !
— Oh, je n’ai pas oublié, mademoiselle Marlon. C’est simplement
que c’est monsieur Jensen qui m’a dit de le faire entrer pour qu’il vienne
vous parler…
Mes pupilles naviguent de ma « tanche » de garde du corps à « Joe
l’incruste » qui continue de se bidonner.
— OK… alors toi, Scott, maintenant tu retournes sagement dans ce
couloir, et tu ne laisses PLUS PERSONNE RENTRER…
Aura-t-il mieux capté en ayant appuyé sur chaque syllabe que j’ai
prononcée ? Pas gagné…
— … et vous, monsieur « je maintiens le suspense sur mon identité,
uniquement pour me moquer », vous m’expliquez exactement quel est le
domaine d’activité sur lequel vous intervenez, pour que Jensen vous ait
demandé de venir m’emmerder…
— Je suis là pour travailler. Je viens d’être engagé.
— Mais encore… précisez. Vous savez, tout le monde ici vient pour
bosser. Mais seulement deux ou trois sont autorisés à se pointer dans ma
loge, et surtout sans que j’aie besoin d’approuver… Et ça, parce que leur
métier, c’est justement de m’aider à me préparer pour le show que je dois
donner…
Le type continue de me regarder sans rien ajouter, en souriant
comme s’il était possédé.
Mais qu’est-ce que c’est que ce… ?
— Hey ! Tu sais plus parler ? J’t’ai demandé ce que tu fichais dans
le…
— J’ai été engagé pour m’occuper de toi, me coupe-t-il avant que
j’aie pu terminer.
Je suis tellement agacée que j’ai fini par le tutoyer. Ce qu’il n’a pas
manqué de faire aussi.
— La blague !
— J’ai l’air de plaisanter ?
Pourtant, tes yeux noisette continuent de sourire, bébé…
Je l’observe dans son intégralité. Ses cheveux d’un blond foncé
n’ont pas dû croiser un ciseau depuis une éternité. Mais bien qu’ils se
posent sur ses épaules, ce détail ne lui donne pas pour autant une allure
négligée. Quant à sa barbe, elle aussi, ça doit bien faire plus de 2 semaines
qu’elle n’a pas été taillée. D’ailleurs, en parlant de tailler… si d’autres
parties chez lui ont été délaissées, je veux bien me dévouer. Il n’est pas
physiquement désagréable à mater. Et j’avoue que je me ferais une joie de
le délester de ce qui doit se trouver dans ses petits paquets ! Jean près du
corps et t-shirt ajusté sur des bras juste plutôt musclés, 1m75 à peu près, ce
n’est pas forcément le genre de mec sur lequel je me retournerais. Mais à
bien y regarder, il a un petit quelque chose de plus qui suscite mon intérêt.
Comme le fait qu’il avoisine probablement la trentaine et que les gamins
tout juste sortis de la puberté, je commence à en avoir assez. Un homme
mûr, ça pourrait me changer. Sauf que…
Ce que LUI prévoit lorsqu’il dit qu’il va s’occuper de moi, ce n’est
certainement pas ce que j’entends moi.
— J’ai pas besoin que tu sois là. Y’a déjà assez de monde qui
s’occupe de moi !
— Désolé, mais c’est pas avec moi qu’il va falloir voir ça…
— T’inquiète ! Je vais régler ça avec qui de droit !
Je quitte ma loge en fulminant, partant à la recherche de celui qui
n’est pas résolu à arrêter de me pourrir la vie, décidément. Mes talons
claquent au sol en résonnant, leur vibration se répercutant dans mon
abdomen jusqu’à la douleur. Je l’étouffe comme je devrai le faire ce soir
pour monter sur scène et assurer le show.
Chapitre 8 Marlon
I’ve made too much mistakes
My heart is no longer ready to fake
J’ai fait beaucoup trop d’erreurs
Mon cœur n’est plus prêt à faire semblant
But when I’m down and feelin’ blue — Mais quand je suis au plus bas et
que je suis déprimée
I close my eyes so I can be with you — Je ferme les yeux pour être avec
toi
Oh, baby be strong for me — /Oh, bébé sois fort pour moi
Baby belong to me — Bébé, appartiens-moi
Help me through, help me, need you — Aide-moi jusqu’au bout, j’ai
besoin de toi
Les dernières notes meurent, entraînant des larmes avec elles, dans
des yeux déjà chargés d’étincelles. Comme connecté à elle, son public
semble capter quelque chose qui, à moi, est en train de m’échapper. Le noir
complet se fait et Marlon disparaît. L’issue de 2 h 30 d’un show qui m’a
totalement scié, et dont le final me laisse un goût que je ne parviens à
identifier.
Chapitre 11 Marlon
I don’t want to be alone
I’m sad to spend my life on my own
Je ne veux pas être seule
Je suis triste de passer ma vie toute seule
Le moins que l’on puisse dire, c’est que Bowww n’est pas à l’aise
face à moi. Et pas besoin que je sois à moitié à poil pour ça. Les seules fois
où nos regards se sont croisés, c’est parce qu’il ne l’a pas fait exprès et il ne
tarde jamais à se détourner. Même à l’heure de me complimenter, ses yeux
me fuient quand moi je ne fais que chercher les siens pour m’y noyer. Mais
Bo préfère m’éviter en se réfugiant dans une conversation aux détails si
insignifiants qu’il ose tout juste les aborder.
— Ce que je voulais dire, c’est que… ce matin, j’ai admiré la façon
dont tu as géré. Sincèrement, tu m’as bluffé !
Whaou ! Que s’est-il passé ? Bo et moi parlons sans nous agresser.
La terre a dû changer de sens pour tourner…
— Tu sais… malheureusement, je suis habituée, avoué-je désabusée.
Ce sont des choses qui peuvent se produire, dans ce métier. On essaie
souvent de vous déstabiliser, mais ça fait assez longtemps que je cours les
plateaux télé pour connaître les pièges que je peux y rencontrer…
Ses pupilles viennent trouvent les miennes pour s’y planter, et
davantage me troubler.
— Marlon, je… n’ignore pas que ma présence t’a été imposée,
semble-t-il chercher à s’excuser. Mais j’aimerais vraiment que toi et moi, on
arrive à discuter.
— Tu vois, on le fait !
— Marlon, sérieusement… je voudrais en apprendre plus,
sincèrement. Mais que les choses viennent de toi. Et que les infos n’aient
pas été déformées avant d’arriver jusqu’à moi. Parle-moi…
Son honnêteté me désarme sans que je n’aie rien vu arriver. Sauf
que… je ne suis pas habituée à me livrer et sans réfléchir, je me renferme et
sors mes piques pour me protéger :
— Lis la presse ou va sur le net, pour ça. Ça suffira !
— Eh bien justement. Tu te défends d’être celle qu’on prétend. Que
les médias orientent l’opinion délibérément…
— Tout ça, c’est un rôle pour tous les amadouer. Tu comprends ?
Je mens honteusement. Pourtant, au moment où je lâche les mots
que je viens de prononcer, je regrette de l’avoir fait. Je passe mon temps à
rêver qu’on m’aime pour qui je suis réellement. Mais quand l’occasion se
pointe de me présenter sous mon vrai jour, peu importe comment, je trouve
le moyen de saper le moment que j’attends. Je suis idiote, véritablement !
— En es-tu certaine, vraiment ?
Je force un rire empli de sarcasme alors que ses yeux s’étrécissent
exagérément. Il ne me croit pas, je le sens.
— T’es aussi stupide que les autres, Bowww, assené-je froidement.
Tu t’es fait berner tellement facilement.
— Tu crois ça ? En tout cas, celle que je vois, moi, elle chante avec
ses tripes et met tout son cœur dans sa musique.
— Alors toi aussi, tu penses que je déballe mon âme à chaque
refrain ? Que je me sers de mes chansons pour évacuer mon chagrin ?
Ses yeux se plissent comme s’il ne saisissait rien.
— Et si ce rôle que tu tiens, c’était au contraire cette gamine qui ne
veut pas qu’on comprenne qu’elle hurle pour qu’on lui tende la main ?
Je lâche un nouveau rire, mais une vive douleur m’étreint.
— Et à ton avis, de quoi pourrais-je bien avoir besoin ?
— À toi de me le dire…
— La réponse est : de rien. Alors, range ta cape, Zorro. J’me
débrouille très bien.
Mais alors que j’ai encore repoussé Bo l’air de rien, le petit quelque
chose qui me picote le creux des reins quand je le vois, me rappelle que ce
n’est certainement pas comme ça que je parviendrai à ce que j’envisage
pour lui et moi.
Mon cœur crie et bouscule ma raison. Je l’entends, mais même si je
reste tigre, ça ne m’empêche pas pour amadouer de vouloir me faire passer
pour un chaton.
— En fait, Bowww… moi aussi j’aimerais bien qu’on puisse
creuser…
Mes paroles semblent l’étonner.
— C’est vrai ?
— C’est vrai. Et j’ai justement quelques minutes à tuer.
Autumn apparaît dans l’entrebâillement de la porte, mais je lui fais
discrètement signe de s’éclipser. Ce qu’elle capte immédiatement, vu la
conversation que nous avons eue ce matin dans l’avion en arrivant.
Mais Bo, qui paraît lui aussi comprendre sur quel terrain je veux
l’emmener, profite de la micro-interruption de mon amie costumière pour
tenter de se défiler.
— Je… j’ai… enfin… Je crois qu’il est l’heure pour toi de t’habiller,
je vais te laisser !
— Autumn vient de s’en aller, lancé-je en le plaquant contre la porte
tandis qu’il pose la main sur la poignée. Alors tu vas devoir m’aider. Toute
seule, je ne vais jamais arriver à enfiler le bout de tissu qu’elle m’a prévu !
Coincé, Bo l’est autant au sens propre qu’au figuré, collée comme je
suis à son torse dans le but de l’inciter à rester. Je m’avoue que lire cette
panique sur son visage troublé me donne envie de ricaner.
— OK… heu… Qu’est-ce que tu dois porter ?
Je me plante dans ses prunelles inquiètes, tout en me hissant sur la
pointe des pieds pour que nos lèvres ne soient plus si éloignées. Ce que je
désire, c’est qu’il sente le souffle chaud des mots que je vais prononcer. Ma
poitrine toujours calée contre son torse que je pressens musclé, je devine
son cœur battre si fort que j’en veux encore. Parce que je n’ai jamais connu
ces sensations-là, tout contre moi…
— Je te préviens, murmuré-je un sourire en coin. N’aie pas l’idée de
te carapater, parce que je te jure que je serai incapable de m’habiller. Et je
n’aurai pas le temps de retrouver où Autumn est allée…
Il cille légèrement, mais lorsqu’il se détend, je comprends qu’il va
rester et qu’il ne va pas me lâcher. Je m’écarte doucement, très doucement,
tout en laissant ma main traîner un peu plus qu’il ne le faudrait sur ses
pectoraux contractés. Je file sur mon portant récupérer la longue robe de
soie noire qu’Autumn a dégotée. Exactement ce que je voulais.
Je la pose délicatement sur le bras du canapé pour ne pas la froisser,
et pivote vers Bo qui n’ose toujours pas s’avancer. Parce qu’il sait ce qui va
se passer et qu’il en est déjà horriblement gêné.
— Approche-toi, Bo…
Ce qu’il fait à pas feutrés.
— Cette robe est serrée. Extrêmement serrée, et je dois faire
attention de ne pas me décoiffer ou me démaquiller quand je vais l’enfiler…
— Franchement… j’y connais rien, mais… il m’aurait été d’avis de
t’habiller en premier… ne peut-il s’empêcher de noter.
L’intelligence de sa réflexion a le mérite de me faire marrer.
— Autumn ! T’es virée ! crié-je du fond de ma loge pour continuer
à plaisanter. J’ai trouvé plus compétent pour te remplacer !
J’harponne ses yeux et les garde en otage. Et comme s’il ne le
réalisait pas vraiment, Bo qui maintenait une distance de sécurité se met à
avancer. J’en profite pour détacher mon peignoir et le laisser tomber.
Comme d’habitude, rien d’autre en dessous qu’un minuscule string qui a du
mal à voiler ce qui peut me rester d’intimité. Mon « assistant » peine à
déglutir et continue de lutter pour ne pas me regarder. J’attrape la robe et la
lui tends pour lui expliquer :
— C’est par le haut qu’il faut la passer… Tu vas devoir faire
attention qu’elle ne frotte pas mon visage… Une tâche de fond de teint et ce
sera la fin… Quant à mes cheveux et bien… Advienne que pourra ! Si on se
foire, tu me recoifferas ! gloussé-je pour tenter de le dérider.
Peine perdue, il est trop tendu. D’ailleurs, en parlant d’être tendu…
je ne peux m’empêcher de jeter un œil à son entrejambe qui semble avoir
un peu gonflé. Mais à mon goût, pas assez. Je devine qu’il est bien trop
angoissé pour laisser le piquet totalement se dresser ! Du reste, si on avait
eu le temps, j’aurais fait ce qu’il fallait pour l’aider…
— C’est sûr que si ça avait pu se faire dans la facilité, on aurait
risqué de s’ennuyer, râle-t-il comme s’il était fâché.
Grogner. Son moyen à lui de souffler pour déstresser. Et peut-être
aussi d’oublier que je suis pratiquement nue devant lui.
— Putain, mais dans quel guêpier vous me fourrez ! J’suis un mec,
moi ! Ces histoires-là, normalement, je ne suis pas concerné !
— Allez, Bowww le grincheux… Suffit de grommeler, maintenant.
C’est l’heure du grand moment…
J’engouffre ma tête dans le tissu, l’enfilant par le bas et le préviens
une dernière fois tout en le provocant, pas du tout innocemment :
— Bowww, c’est maintenant qu’on voit si tu es habile de tes
doigts…
Je hisse mes bras, les lève au-dessus de moi et le guide alors qu’il
n’entend que ma voix :
— Fais glisser l’étoffe lentement… doucement…
Je devine qu’il se débrouille pour ne raser que mes flans très
légèrement. Pourtant, c’est comme si sans vraiment me toucher, ses doigts
étaient capables de me brûler.
Soudain, la robe semble avoir du mal à passer par-dessus la pointe
de mes seins dressés. Et mes piercings ne doivent rien arranger. Quand je
sens ses doigts agripper la soie à cet endroit et frôler l’une de mes aréoles
sans le chercher, je ne vois pas son visage, mais je suis certaine que le
malaise n’est pas loin de le faire flancher. Quant à moi, je ne sais plus si ce
qui rend ma respiration si compliquée, c’est d’être engoncée dans un
morceau de tissu dont ma tête ne parvient à s’extirper, ou d’être
terriblement excitée.
— Voilà ! Ça y est ! expire soudain Bo alors que mes poumons
s’offrent une bouffée d’air frais.
La lumière revient sur un visage totalement empourpré.
— Dis donc, Bowww… la canicule a sur toi des effets qui devraient
t’inquiéter…
OK, c’est pas super sympa de me moquer… mais je compte bien me
rattraper !
— Merci mon assistant de m’avoir secondée ! gloussé-je comme
une gamine en lui collant un furtif baiser qu’il n’a pas le temps de voir
arriver.
Je file vérifier mon maquillage et replace les mèches qui ont été
quelque peu « bousculées. »
— Parfaits… mes cheveux sont parfaits… le conforté-je d’un clin
d’œil appuyé. Je suis certaine qu’on va m’envier mon coiffeur et vouloir se
l’arracher pour les prochains défilés !
Un sourire à Bo qui se détend maintenant, avant d’enfiler mes
escarpins Versace.
— Talons aiguilles… le cauchemar des filles… J’en appelle encore
à votre aide pour avoir la gentillesse de me conduire…
C’est cet instant qu’R.J. choisit pour enfoncer la porte et me
ramener à mes obligations de la soirée :
— Marlon ! Dans 5 minutes, tu es sur scène ! m’ordonne-t-il de ce
grain de voix légendaire qui ferait trembler jusqu’à Boston sans même qu’il
l’ait élevée.
Je ne réponds pas et quand Bo me tend son bras, je m’y accroche
comme s’il y avait bien plus que ça. Nous nous dirigeons ensemble vers la
grande salle et je me cale sur chacun de ses pas. Arrivés en bas des marches
qui doivent me conduire à l’auditorium bondé, pour la première fois depuis
des années, le stress commence à monter.
— Ça va aller, murmure Bo pour me rassurer. Si tu fais la même
chose que ce que j’ai vu cet après-midi quand tu répétais, tu vas les scotcher
à leurs sièges et ils ne pourront plus repartir après que tu aies fini de
chanter.
Le clin d’œil qu’il me sert fait voleter des papillons dans mon
estomac qui a brusquement des envies de rébellion.
— Merci de m’avoir accompagnée jusque-là…
Je lâche son bras et m’enferme dans ma bulle de concentration :
— Allez, Marlon ! On y va, c’est à toi !
Chapitre 15 Bo
Let’s talk about sex
And leave out all the rest
Parlons de sexe
Et laissons de côté tout le reste
Le concert a été plus qu’un immense succès et pour une fois, les
médias se rejoignent pour encenser la petite fiancée que l’Amérique ne
parvient pas à délaisser, malgré ses écarts de conduite répétés.
Ce soir, Marlon a bien failli me tuer, mais s’il faut ça pour que nous
réussissions à nous rapprocher et que je puisse essayer de la cerner… Je
dois à tout prix remplir la mission que Jensen m’a confiée… Et si pour cela,
je dois soumettre mon cœur à des conditions extrêmes, alors je suis prêt à le
supporter. Même si j’ai conscience que chaque jour sera une forme
d’épreuve que je devrai supporter.
Tout le temps de l’enfilage de cette maudite robe, c’est à Ève que je
pensais. Comme si j’avais quelque chose à me reprocher et quelque chose
me dit que des coups comme ça, il risque encore de m’en arriver. Cette
gamine a beau n’avoir que 17 ans, elle sait parfaitement jouer de sa
sensualité. Jusqu’à éveiller des désirs pas forcément sains chez le plus
coincé des hommes que la terre ait pu porter. Si elle continue comme ça, à
vouloir jouer sans arrêt, je vais finir par n’avoir qu’une envie : celle de me
tailler. Et ce qui est certain, surtout, c’est que je vais finir par la détester !
Rentré à l’hôtel, je trouve enfin le temps d’appeler Ève pour lui
demander comment s’est déroulée sa journée :
— Oh, tu sais… se retient-elle de soupirer, je n’ai pas grand-chose à
raconter. Le train-train quotidien, mais en même temps, j’ai été
surchargée… Je suis exténuée ! Mais je t’ai déjà dit à quoi mon boulot
pouvait ressembler. Alors que tu sois là ou pas, tu sais, ça ne va rien
changer…
Un nœud semble se former dans ma gorge pour m’étrangler.
— Et sinon ? Est-ce que je vais un peu te manquer ? suis-je tenté de
demander l’estomac recroquevillé.
— Bien sûr, répond-elle presque mécaniquement, la voix sans un
soupçon de sentiment.
OK, dis comme ça, ça aurait presque l’air d’être vrai…
— Et toi ? Raconte-moi…
Ouf, un peu d’intérêt de sa part et me voilà requinqué.
— Tu aurais dû assister au concert de ce soir ! C’était
époustouflant ! Ça m’écorche presque la bouche de jeter ça, mais cette
gamine n’est pas devenue une star par hasard, tu aurais dû la voir !
Mais j’ai à peine commencé à parler qu’Ève ne tarde pas à me
couper :
— Oh ! Je suis désolée, je dois y aller, on vient de me bipper !
J’ai tout juste le temps de lui lancer 3 mots et de l’entendre
s’adresser à quelqu’un à côté. Ça fait juste deux fois dans la même journée.
On va bientôt ne plus du tout se parler…
— D’accord, bon, bah… On se rappelle plus tard…
Et sinon, si je t’ennuie, n’hésite pas à me le faire savoir…
Elle a raccroché avant même que nous ayons eu l’occasion de nous
dire « au revoir ». Un épais ruban de déception s’enroule autour de mon
cœur pour l’étreindre avec délectation.
J’allume la télévision pour tomber sans le chercher sur une
journaliste qu’il me semble justement avoir croisée ce soir. J’attrape la
télécommande et remonte le son sans vraiment m’en apercevoir. Et capté
par le retour de la chroniqueuse, visiblement enchantée de la représentation
donnée, j’oublie presque que le fossé entre Ève et moi s’est creusé bien plus
vite que je ne l’aurais pensé.
« […] Lorsque Marlon est entrée sur scène dans une robe de soie
couleur ébène, les respirations se sont coupées […] une classe folle, une
élégance que personne n’attendait […] Vêtue d’une tenue chic au style
sobre et classique, Marlon, magnifique, a su nous époustoufler et
conquérir l’Auditorium complet […] subjugué par son timbre, envoûté
par son aura […] une voix grave et puissante, aussi déchirante
qu’ensorcelante sublimée par les instruments de l’Orchestre
Symphonique de Cincinnati […] »
Des images reviennent me percuter. Pas forcément celles que je
voudrais… Je me revois dans cette loge, soufflé par tant de beauté et en
même temps trop torturé pour oser la regarder. Parce que je suis incapable
d’accepter l’idée que je pourrais apprécier ce qu’elle ne fait que
continuellement déballer, mais pire… J’aimerais enfouir le fait que j’ai
ressenti quelque chose de particulier lorsque mes doigts l’ont frôlée.
Je secoue la tête pour me raisonner.
Bo, tu n’es qu’un obsédé ! Il va falloir te faire soigner !
Ce vice-là porte un nom. Même si dans ce pays, c’est à 16 ans que la
majorité sexuelle est fixée, j’ai tout de même l’impression que c’est mal
agir, de la regarder avec des yeux emplis de convoitise et désir. Et je suis
d’autant plus incapable d’assumer qu’une gamine m’attire, que je devrais
plutôt penser à ma relation qui semble partir à la dérive. Parce que, comme
un imbécile, j’ai pris ma compagne pour acquise. Quand nous nous sommes
parlé il y a 5 minutes, je l’ai trouvé froide comme la banquise. Alors si ma
petite amie réfléchit toujours pour me dire si elle nous imagine un avenir, je
serais bien malin de songer à lorgner le corps de rêve d’une jeune femme
tout juste sortie de la puberté !
Ouais, je sais, c’est exagéré. Mais je fais comme je peux pour
détourner mes pensées.
Trois coups toqués me font sursauter.
— Mademoiselle Marlon vous a demandé, m’apprend Scott, venu
m’informer.
Je supporte depuis ma chambre une musique entêtante bourdonner.
Je devine que Marlon a encore organisé une des fêtes dont elle a
visiblement le secret. Je reconsidère ce que j’ai vu le premier jour, lorsque
j’ai accompagné Jensen la chercher. Et tout à coup, je n’ai pas envie de
passer la porte de la suite où j’entends les cris de jeunes déchaînés.
Scott ouvre et m’incite à entrer. Je balaie la suite du regard, les yeux
plissés comme si je pouvais faire baisser le volume sonore par la pensée. Le
Boom Boom d’un rap étranger m’agresse les oreilles, sans que j’en
comprenne le sujet. Canettes et bouteilles d’alcools divers éparpillées
annoncent la couleur d’une nuit qui sera bien arrosée. Apparemment, pas
encore d’autre artifice n’a été dégainé pour sublimer la soirée, mais ça ne
saurait sûrement tarder.
Dans un coin, Autumn danse un verre à la main, en se faisant
dragouiller. Quand nos pupilles se croisent, elle lève son gobelet en mimant
du bout des lèvres le fameux « cheers » pour me souhaiter la bonne santé.
Je lui offre un signe de tête et continue à louvoyer entre les âmes qui ne
demeureront vraisemblablement pas esseulées. Mais celle qui voulait me
parler préfère encore rester cachée…
Marlon aime jouer, provoquer… je ne la connais pas véritablement,
mais ça, c’est un point chez elle que j’ai parfaitement cerné.
Je dérange un couple qui ne cesse de se bécoter. Enfin… ce n’est
pas exactement le terme approprié. Parce qu’à ce stade, les amygdales de la
demoiselle doivent être admirablement nettoyées…
J’interroge un mec qui ne fait que me dévisager :
— Marlon ? Vous savez où je peux la trouver ?
— Comment ? J’ai pas compris ce que vous cherchez ? crie-t-il pour
couvrir la musique qui doit tabasser les tympans de tout le quartier. La
dope ? C’est de l’autre côté que tu peux t’en procurer !
Raté ! Ce n’est pas ce que je t’ai demandé, mais ton conseil est
peut-être avisé. En trouvant ces artifices, je tomberai peut-être sur celle qui
m’a « convoqué ».
En passant à côté de l’enceinte, je baisse le son, quitte à vexer :
— Hey, vieux, pousse les watts, s’il te plaît !
Je ne calcule pas et continue d’avancer. Je sais que Marlon et son
personnel s’étalent sur deux étages entiers, mais je serais épaté si d’ici 10
minutes, un membre de la sécurité ne débarquait pas pour virer les invités.
À moins que la grande Marlon n’ait payé pour sa tranquillité…
Quand on n’a pas d’argent, on ne pense pas forcément qu’il peut tout
acheter…
Je pénètre dans la seule pièce que je n’ai pas encore explorée. Une
chambre séparée, certainement avec sa salle de bains privée. À peine la
porte passée j’entends le battant claquer, et qu’on ferme le loquet. Je n’ai
pas le temps de me retourner que je me retrouve le dos plaqué. La seconde
d’après, les lèvres de Marlon se posent dans mon cou, et je sens sa main
relever mon t-shirt et s’inviter dessous. Un frisson me parcourt de la tête au
pied…
— Marlon ! Qu’est-ce que tu fais ? ne puis-je m’empêcher de crier.
— T’as pas deviné ? J’ai envie de baiser.
Mon sexe palpite, tout à coup presque serré dans mon jean délavé.
Mais je refuse de m’arrêter à des mots destinés à me chauffer, quand je ne
compte pas céder.
Je pourrais pourtant me laisser tenter, si j’étais capable d’accepter
toutes les données…
Mais je ne suis pas du genre à être facilement désarçonné. Et avec
les parents que j’ai, j’ai toujours mis un point d’honneur à ne pas dériver.
Tout pour ne pas leur ressembler.
— Et tu t’es dit « Tiens, si je prenais le premier qui passait ? » ne
puis-je que supposer.
— Bowww, Bowww, Bowww… J’crois que t’as rien pigé. J’ai
envie de TE baiser depuis le jour où nos regards se sont croisés…
Tout à coup, je sens qu’elle me pose la main au paquet et…
Bon sang !
J’ai beau tout faire pour essayer de contenir les conséquences de son
geste, je me mets à immédiatement à gonfler. En même temps, comment
lutter, quand les doigts effilés d’une jeune femme qui vous cherche viennent
flirter avec votre virilité ? Je pourrais toujours le dire avec subtilité et faire
une phrase bien tournée… je bande et je ne peux pas le cacher. Marlon me
fait de l’effet.
— Tu sens l’alcool à plein nez ! Qu’est-ce que tu as avalé ?
— Juste un tout petit cocktail, mais j’te jure, j’suis pas bourrée. Et je
n’ai pas besoin de picoler pour avoir envie de t’allumer, au cas où tu
n’aurais pas remarqué…
— Tu t’es arrangée pour que j’en aie une vague idée, mais, ôte-moi
d’un doute… À quel moment ai-je pu te laisser penser que je pourrais être
OK ?
— J’le vois dans ta façon de me regarder, de baver… analyse-t-elle,
ses lèvres bien trop près.
— Ma pauvre, mais tu as rêvé ! Tu es peut-être une artiste adulée,
mais ça ne veut pas dire pour autant que tout le monde doit tomber à tes
pieds !
— Je ne connais personne qui refuserait de se taper une star, si on
lui proposait…
— Sous-entendu « personne qui déclinerait de coucher avec toi,
c’est ça ? »
Un rapide coup d’œil par-dessus son épaule me permet d’aviser un
plateau argenté posé sur le chevet. Plateau portant encore des traces de
particules blanches que je n’ai pas besoin de faire analyser. Je devine que
Marlon vient probablement de se « repoudrer le nez » et que dans ces
conditions, ça va être compliqué de discuter… La drogue ajoutée à l’alcool,
à l’intérieur elle doit détonner.
— Tu as une occasion rêvée, que d’autres t’envieraient, avance-t-
elle sans hésiter. Ce serait dommage de la laisser passer…
— Une occasion rêvée ? Ce n’est pas de ça que je rêve, moi, en tout
cas. Et j’ai accessoirement une petite amie que je ne compte pas tromper.
Sa langue caresse lentement et sciemment sa bouche rosée.
— Tu veux l’inviter ? chuchote-t-elle en se hissant sur la pointe des
pieds.
Nos lèvres sont prêtes à se toucher.
— Raconte-moi, Marlon, c’est quoi l’idée ? Que tout le pays te
passe dessus ? grincé-je particulièrement acerbe. Parce que si c’est ça, ne
t’en fais pas. Même si tu en rates 2 ou 3, au rythme où tu vas, je pense que
tu auras bientôt terminé. Et pour ceux qui comme moi n’auront pas voulu se
laisser tenter, tu n’auras qu’à estimer que tu as un pourcentage de déchets
toléré.
J’ai conscience que mes mots sont durs et pourraient l’offenser. En
même temps, j’ai un peu l’impression de ne pas être très loin de la réalité.
— Oh, Bowww… Pourquoi t’es agacé ? minaude-t-elle en faisant
glisser ses ongles le long de mon torse qui s’en trouve électrisé. Justement !
Ce soir, j’ai du temps à te consacrer, alors tu vois, faut pas chouiner. Ton
tour est arrivé !
— Mais… C’est quoi que tu n’as pas compris dans « je ne suis pas
intéressé » ?
— Tu fais « style » que tu n’es pas tenté, pour la forme, je le sais…
mais allez ! J’ai une idée pour que tu te laisses séduire… Si tu veux, tu peux
filmer. J’ai tout un tas de scénarios en projet. Et Bowww… tu serais le mec
idéal dans le rôle principal…
Quand elle entreprend encore de m’embrasser, la colère, sur le point
de me dépasser, m’incite à plaquer Marlon contre le mur pour qu’elle cesse
de me toucher. Nos places échangées, un peu violemment, je l’admets, je lui
tiens les mains fermement pour la calmer.
— Merci, mais ça va aller ! Je ne suis pas un acteur né.
— Tu me fais mal… gémit-elle de façon exagérée.
Mon cœur se soulève à l’idée que cela puisse être vrai, et je desserre
ma prise sur ses poignets. Un sourire apparaît immédiatement sur ses lèvres.
Marlon sait manipuler et en abuser. Je viens d’en faire les frais, mais
qu’importe. Je ne suis pas un mec violent, elle ne parviendra pas à me
pousser dans ce genre de retranchements.
— Tu voulais qu’on puisse échanger… Mêler nos fluides corporels,
c’est un bon moyen de commencer…
— Mais ma parole, tu as un vrai problème ! Tu sais que toutes les
addictions se font soigner ? Tu devrais peut-être y songer !
— Allez, Bowww, ne fais pas ton rabat-joie. Détends-toi, on va bien
s’amuser…
Je comprends que dans l’état dans lequel elle est, elle ne fera
qu’insister et que je ferais mieux de filer. Elle fera ce qu’elle veut de sa
soirée, mais ce ne sera pas moi celui qui la ferai grimper.
— Marlon… je vais m’en aller et on reparlera de tout ça demain,
quand tu auras cuvé et… éliminé tout ce que tu viens de t’empiffrer, osé-je
ajouter en jouant sur les mots, sans pourtant avoir envie de plaisanter.
— Bowwwwwwww, tu peux pas me laisser !
Je vais me gêner !
Mon prénom désespérément allongé, je la vois déjà de là tout tenter
pour m’en empêcher, mais je ne dois surtout pas céder.
— Si tu veux pas de moi, je prends le premier qui voudra…
— Super ! Tu devrais trouver des candidats, parmi tes amis qui sont
par là.
— Ces gens-là ? Je ne les connais même pas ! J’ai demandé à un de
mes gardes du corps d’aller piocher du monde dans un bar, un peu plus bas.
Comme chaque fois… Une petite fête chez Marlon, en général, ils ne
déclinent pas…
Une pointe me triture l’estomac. La vie de Marlon n’est-elle faite
que de ça ? De soirée en compagnie d’inconnus que son personnel tope çà
et là ? Ou est-ce qu’elle me ment pour mieux me manipuler, encore une
fois ?
Je me refuse à penser qu’elle n’a que des aventures avec des gars
comme ça. Et puis… qu’est-ce que ça peut me faire, d’abord ? Et pourquoi
je songe à ça ?
Je l’écarte doucement pour ouvrir la porte et sors avec la ferme
intention de ne pas me retourner. C’est sans compter Marlon, bien décidée à
me faire culpabiliser :
— Hey, toi ! A ! Viens avec moi ! J’ai envie de baiser !
— C’est moi, A ? s’étonne un type en se pointant du doigt.
— Ce sera celui qui voudra ! Je m’en moque du moment que ce soir,
quelqu’un me fait décoller !
Le mec vérifie si aucun « concurrent » ne se met sur les rangs.
— Eh bien, apparemment, t’es le grand gagnant ! le désigne encore
Marlon en lui faisant signe d’approcher.
Je me retourne pour lui lancer un œil désapprobateur juste avant
qu’elle ait refermé. Le dernier regard qu’elle me jette, mélange de dédain et
de désintérêt, compresse mon cœur comme si on voulait le broyer.
Je sais que Marlon n’a dardé ces yeux-là sur moi que pour me
torturer. Parce que jouer avec les hommes, c’est visiblement ce qui lui plaît.
Sauf que je n’aurais pas pensé avant ce soir que sur moi, sa petite
comédie pourrait fonctionner…
Chapitre 16 Bo
You tossed my mind into au puzzle
I didn’t guess you could cause me trouble
Tu as jeté mon esprit dans un puzzle
Je n’avais pas deviné que tu pourrais me causer des problèmes
Can’t you see the world makes me afraid? — Ne vois-tu pas que le
monde me fait peur ?
You should protect me but you don’t — Tu devrais me protéger mais tu
ne le fais pas
You still forbid and just invade — Tu continues d’interdire et ne fais
qu’envahir
When me, I’m just able to cry and hope — Quand moi, je suis juste
capable de pleurer et d’espérer
Alors que la dernière note s’éteint sous mes mains, les paroles
résonnent encore à m’envahir de chagrin. Le silence s’alourdit. Moment
opportun pour le briser. Une question me brûle les lèvres et si je dois oser la
poser, c’est maintenant ou jamais !
— Cette chanson parle de toi, n’est-ce pas ? Je ne me trompe pas ?
J’entends en boucle les propos qu’elle m’a jetés hier, lorsqu’elle a
voulu me laisser penser que ses titres ne servaient qu’à illustrer le rôle
qu’elle s’efforce de jouer. Que leurs paroles n’étaient en rien son âme, sa
vérité. Qu’il ne fallait pas tout interpréter. J’ai pourtant eu l’impression que
chaque mot qu’elle vient de prononcer a résonné jusqu’à me transpercer.
Marlon pivote vers moi, toujours assise au même endroit. Sur mes
genoux qui l’accueillent étrangement, comme s’ils n’avaient été moulés que
pour ça.
— Je t’ai dit, Bowww… Tout ce que j’écris, ce n’est pas forcément
ma vie que je confie…
Nos regards dérivent. Nos pupilles s’ancrent et se figent, mon cœur
dérape comme sur du givre. Ma bouche s’ouvre pour se refermer aussitôt,
incapable de prononcer le moindre mot. Ses billes vertes zébrées de noisette
glissent sur ma peau. Une sensation électrisante dévale jusqu’au bas de mon
dos.
Que se passe-t-il à ce moment-là ? Je ne sais pas. Je cligne des yeux
alors que Marlon semble vouloir s’approcher de moi et…
— Ah ! Marlon, tu es là ! crie Jensen en arrivant à pas de géant.
Viens, on a besoin de toi !
Un courant d’air froid s’immisce entre elle et moi quand elle s’en
va. Et alors que je ne m’y attends pas, Jensen aboie :
— Et vous, je ne vous paie pas pour ça ! Alors que je ne vous revois
pas poser vos pattes sur elle comme ça.
— Mais, ce n’était pas…
L’image que la scène pouvait renvoyer me frappe brutalement de
plein fouet.
Hey merde !
Ça a dû avoir l’air d’autre chose que ce que c’était…
Chapitre 17 Bo
If you stay with me tonight
Everything’s gonna be alright
Si tu restes avec moi cette nuit
Tout ira bien
Chorus:
This life is not the one I wanted — Cette vie n’est pas celle que je
voulais
I’m sickened and disgusted — Je suis malade et dégoûtée
This life is not the one I wanted — Cette vie n’est pas celle que je
voulais
I just hoped to be loved and trusted — J’espérais juste être aimée et
digne de confiance
Stop saying I must keep quiet — Arrêtez de dire que je dois me taire
I Could be able to start a riot — Je serais capable de déclencher une
émeute
Cross all the lines, not telling lies — De franchir toutes les lignes, sans
mentir
I need to shout, to take off my disguise — J’ai besoin de crier, d’enlever
mon déguisement
Chorus:
This life is not the one I wanted — Cette vie n’est pas celle que je
voulais
I’m sickened and disgusted — Je suis malade et dégoûtée
This life is not the one I wanted — Cette vie n’est pas celle que je
voulais
I just hoped to be loved and trusted — J’espérais juste être aimée et
digne de confiance
They say “your life is such a dream” — Ils disent “Ta vie est tel un
rêve”
I’d give everything if you asked — Je donnerais tout si on me le
demandait
Some days I’d like to scream — Certains jours, j’aimerais crier
Or at least, just to strike — Ou du moins juste frapper
Chorus:
This life is not the one I wanted — Cette vie n’est pas celle que je
voulais
I just hoped to be loved and trusted — J’espérais juste être aimée et
digne de confiance
This life is not the one I wanted — Cette vie n’est pas celle que je
voulais
I just hoped to be someone’s sacred — J’espérais juste être sacrée
pour quelqu’un
I just hoped to be someone’s sacred — J’espérais juste être sacrée
pour quelqu’un
I just hoped to be someone’s sacred… — J’espérais juste être sacrée
pour quelqu’un…
Alors que les dernières notes se taisent, j’ai comme une révélation
au sujet de ma « mission ». Depuis le début, tout est là devant moi. Devant
nous tous, que ce soit Jensen, les médias, mais le monde n’entend pas. Si
Marlon se comporte comme ça, je crois que c’est parce qu’elle est fatiguée
de cette vie-là. Dans cette chanson, elle ouvre son cœur pour crier haut et
fort que sa carrière a fait son malheur.
« Je veux juste voir autre chose que des chambres d’hôtel hors de
prix et des plateaux télé. Pouvoir prendre le temps de visiter, en passer un
peu moins à bosser… » m’a-t-elle raconté en prenant soin d’alléger les
maux qu’elle gardait.
Ce que j’entends également, c’est que Marlon espérait aussi être
aimée. Ce soir, avec Justin, ils se sont retrouvés, la boucle est bouclée.
Désormais, je suis certain qu’elle pourra évoluer apaisée et qu’au fil des
mois, elle cessera de faire parler pour autre chose que de nouveaux projets.
Soudain, tout le monde entonne un « Happy Birthday. »
Bon sang ! En plus, « Justin le parfait » a quelque chose à fêter !
Les regards du public sont polarisés. Ce concert est un énième
succès. Je me force à contempler les deux célébrités qui, sur scène, étalent
leur amour aux yeux des fans, oubliant toute notion d’intimité.
Les paroles de Marlon reviennent me hanter :
« Ma vie est un spectacle perpétuel »
Et si moi, je l’ai oublié, ces deux-là en ont conscience et y sont
surtout habitués. Ce soir, ils ont apparemment décidé d’en jouer…
La soirée bat son plein dans les « quartiers » d’à côté. Mon côté
malsain m’incite à aller frapper pour leur dire de se calmer.
Malsain et aussi un peu maso ! Tu ferais mieux de continuer à
appeler ta petite amie pour lui remémorer qui tu es, car elle t’a visiblement
oublié…
Aussi immense soit-elle, la suite est bondée. Quand je pénètre dans
la pièce, les murs semblent tanguer. Comme chaque fois, la musique a été
poussée à son maximum et les enceintes ne font que hurler. Mais ce n’est
pas le son qui me fait vaciller. Je n’ai pas besoin de chercher pour que mes
yeux se posent sur celle qu’ils espéraient. Adossée à un mur, Marlon a de
quoi s’occuper. Pas de doute qu’elle ne s’ennuiera pas, mais… je ne m’étais
pas imaginé le couple qu’elle forme avec Justin, aussi libéré.
Ce dernier s’affaire à laisser sa marque dans le cou de la star de la
soirée, sa main glissée dans ses dessous, s’activant à la caresser… pendant
qu’un autre type dévore un de ses seins dressés. Tout ça aux yeux de tous,
sans s’en cacher…
Une nana fait le tour de la pièce pour proposer un des nombreux
produits de la sauterie. Marlon se paie le luxe de s’offrir un rail sans même
qu’aucun de ses deux amants n’ait idée de la délaisser. Mes jambes peinent
à me porter.
Mais prêt à m’écrouler, je file sans réfléchir vers « ma protégée » en
me mettant à crier :
— Marlon ! Qu’est-ce que tu fais ?
— Tu le vois pas, ce que je fais ? me provoque-t-elle, clairement
défoncée.
Justin arrête un instant de bouger sa main, sans pour autant la retirer
de la culotte où elle est glissée. Comme s’il venait juste de remarquer ma
présence et que ça le gênait. Sauf que je sais parfaitement qu’il n’en a rien à
cogner !
Ouais, je suis carrément outré, et ça se ressent un peu sur les mots
qui peuvent traverser mes pensées…
— Hey, vieux ! Tu te prends pour son père, ou quoi ?
— Bah, on se demande où il est, son père, dans ces moments-là !
Marlon se marre :
— Pas là, tu vois !
— Marlon, arrête ça ! Qu’est-ce que ça t’apporte de continuer à
vivre comme ça ?
— Oh, oh, oh… Bowww, Bowww, Bowww… Tu t’imagines quoi?
Que parce qu’on s’est fait une petite virée, toi et moi une fois, tu sais ce qui
est bien pour moi ou pas ? Tu as cru quoi ? Que je m’étais ouverte comme
dans les putains de contes de fées, et qu’à présent tu pourrais lire en moi à
volonté ? Je vais t’apprendre quelque chose, mon gars ! Une soirée pour me
connaître véritablement, ça ne suffit pas !
Ces derniers mots me laissent aussi perplexe qu’ils me vexent.
— Allez, mec ! Maintenant, soit tu joues avec nous, soit tu
dégages ! m’invite Justin sans aucun complexe.
La langue de Marlon passe sur ses lèvres avec un intérêt non feint,
avant de disparaître dans la bouche de l’autre type qui vient réclamer de
quoi satisfaire sa faim.
Je refuse net :
— Ça va pas, ou quoi ?
— OK, alors si c’est pas ton délire, barre-toi ! m’ordonne Justin,
cette fois.
Aucun n’a la décence d’attendre que je sois parti pour reprendre et
recommencer à l’entreprendre. Je redeviens transparent et choisis de ne pas
faire d’esclandre, en quittant les lieux comme si je marchais sur des
cendres. Les cendres encore chaudes d’une sorte d’affection tout juste
naissante…
J’avance au radar dans le couloir, me rejouant les images en ayant
perdu tout espoir. Marlon ne sera jamais sauvée si même en couple, elle ne
cesse de dériver. Pour autant, puis-je déjà abandonner sans avoir vraiment
essayé de l’aider ?
Je fonce de nouveau dans la direction opposée et défonce
pratiquement la porte pour entrer sauf que… je reste paralysé.
Je n’ai pas quitté la suite plus de deux minutes et quand je reviens,
je ne comprends plus rien.
Toujours contre le mur où je l’ai laissée, Marlon se fait à présent
baiser. Sauvagement baiser. Il faut dire ce qui est, sans édulcorer.
Littéralement labourer par le type qui lui bouffait les seins quand j’ai
déserté. Il s’enfonce en elle encore et encore, avec une énergie que je
pourrais lui envier. Pendant que Justin est lui-même occupé à sauter une
autre nana sur le canapé. Enfin… disons que la fille s’attelle à le
chevaucher… et que tout ce petit monde était tellement pressé qu’ils n’ont
même pas pris le temps de se déshabiller.
Je crois halluciner. Ou plutôt, je suis conforté dans le fait que, si
l’univers du show-business peut parfois nous tromper, il n’est fait que de
luxure et d’excès.
Suis-je le seul à être choqué ? J’en viens à le penser, car autour de
moi, personne ne s’est arrêté sur la scène, et chacun continue à danser, à
picoler ou à sniffer.
Marlon a certainement un jour été une jeune fille pure et innocente.
Qu’a-t-il bien pu se passer, pour qu’elle ne vive plus désormais que pour
s’approcher au plus près de ce qu’elle sait fait pour brûler ? Ne voit-elle pas
que si elle persévère, ses petites ailes trop frêles finiront par se consumer ?
L’espace d’un instant, Marlon rouvre les yeux, comme connectée à
la douleur que ça m’inflige de la regarder. Ses pupilles à elles paraissent
habitées. La drogue et ses effets… Je demeure inapte à interpréter ce que je
peux y puiser. Mélange étrange d’émotions contenues, mais à la fois
débridées. Entre cauchemar et réalité, Marlon semble avoir été capable de
m’ensorceler. Improbable évidence, que ces sentiments impossibles à
canaliser, à analyser…
Je trouve le regard d’Autumn, également très occupée avec un mec,
juste à côté. Je ne sais pas ce que mes pupilles doivent refléter, mais j’ai
tout à coup la vague impression de lui faire pitié.
Combien de temps resté-je là, hagard, à assister à ses ébats, aussi
dégoûté qu’hypnotisé, aussi écœuré que captivé ? Je n’en ai aucune idée…
Je regagne finalement ma chambre, la tête emplie d’images que je voudrais
tout simplement pouvoir chasser et oublier.
Chapitre 21 Bo
We can’t go on to play this game
If I let you, I’d feel ashamed
Tu ne peux pas continuer à jouer ce jeu
Si je te laissais faire, j’aurais honte
Je n’ai pas dormi. Mon cerveau n’a fait que boxer pour tenter de
repousser certaines idées. J’ai quitté Marlon alors que je n’avais qu’une
envie : rester pour l’étreindre toute la nuit. Et quand je dis l’étreindre toute
la nuit, ce à quoi je songe ne fait même pas de moi un pourri. La serrer
m’aurait suffi. Je lui aurais dit qu’à présent, j’étais là, que je ne
l’abandonnerai pas… et je me serais contenté de ça. Même si je ne cache
pas qu’elle éveille facilement certaines pensées en moi … Mais pas encore
perverti, je parviens à refréner les idées salaces qui cherchent à s’immiscer.
J’ai de nouveau tenté de joindre Ève la moitié de la nuit. Comme
pour me déculpabiliser de prendre de conscience d’être attirée par une
autre, même si cette autre, je ne la toucherai jamais.
Ma petite amie m’a une fois de plus ignoré. Fait du hasard ? Trop
occupée ? Je sais que son boulot peut énormément l’accaparer. Mais de là à
oublier de me rappeler pendant 3 jours d’affilée…
Certains croient au destin, interprèteraient. Je n’ose m’imaginer que
le ciel m’envoie un signe, pour me dire dans quelle direction je dois aller.
Le penser serait être aussi timbré que mes géniteurs. Et j’ai toujours tout
fait pour m’affranchir de leurs idées mystiques, comme de toute spiritualité.
Ce matin, je me suis levé, résolu à ne pas tout mélanger. J’ai
commencé à m’attacher à Marlon, c’est un fait. Mais j’ai été engagé pour
lui venir en aide. Je viens de découvrir qu’elle en a bien plus besoin que ce
que tout le monde pouvait penser… Je dois à tout prix en informer celui qui
m’a missionné, pour lui expliquer où on en est. Et surtout, essayer de
négocier. Parce qu’éprouver une affection particulière pour votre
« protégée », c’est con, mais, ça vous motive encore plus que l’argent pour
la sauver.
Je ne dois pas tout mélanger, je ne dois pas tout mélanger… ne
cessé-je de me répéter comme une litanie — ou plutôt un vieux disque rayé.
Mais comment ne pas le faire ? Ce que je commence à ressentir est
en train de m’envahir au point de m’obséder. Et le pire, c’est ne pas être
capable de m’expliquer comment j’ai pu m’enticher en à peine 2 semaines
d’une gamine avec qui j’ai tout juste discuté. Tout ça parce qu’elle passe
son temps à se balader à moitié à poil et à m’allumer !
La tournure que prend mon histoire avec Ève doit probablement trop
me frustrer, et c’est sur Marlon que je reporte tout ce que j’ai. Pas la peine
d’être Freud pour transposer et comprendre ce qui peut se passer.
Ni d’être Einstein pour raconter autant de conneries !
Et c’est le pas décidé que je file trouver Jensen dans sa chambre,
avant que nous ne partions pour prendre l’avion. Sinon, je ne parviendrai
pas à lui parler en toute discrétion.
Sauf qu’arrivé à sa porte, je sais déjà aux cris qui s’échappent de la
suite qu’il est accompagné. Et ma curiosité mal placée m’incite à rester.
Tout ça pour espionner la conversation — la dispute — dont le moindre mot
franchit les murs sans qu’aucun ne soit filtré :
— Jusqu'ici, toutes tes petites conneries ne m'ont pas vraiment
dérangé. Bien au contraire, chaque délire supplémentaire a fait parler. Un
véritable tapage médiatique, sans même avoir besoin d’allonger la
monnaie… Mais quand on perd des contrats, là je dis qu’il faut arrêter les
dégâts ! Tu sais ce qu’ils ont avancé chez Calvin Klein et Victoria’s Secret ?
Qu’ils n’allaient pas payer une campagne plusieurs millions pour qu’on te
voie dans leurs sous-vêtements ! Parce que comme la planète entière a dû te
voir à poil à l’heure qu’il est ! Finie l’envie créée par la subjectivité ! Ils
considèrent que ça ne fera pas vendre leurs marques et que bien au
contraire, s’associer à ton image les dessert. Et tu sais quoi ? Je suis énervé
comme je ne l’ai jamais été, mais je ne peux même pas les blâmer !
Les sanglots de Marlon me percutent de plein fouet et me vrillent
l’estomac sans forcer. Le poing prêt à se lever sur la porte pour frapper, j’ai
brusquement envie de la défoncer pour aller soutenir « ma petite protégée ».
Mais sa voix qui s’élève de l’autre côté m’invite à patienter :
— Mais tu ne comprends pas ? Je n’arrête pas de te le dire, mais tu
n’entends pas ! J’en peux plus ! J’en veux plus de cette vie-là ! Je veux
arrêter ! Je veux tout arrêter !
— Tu arrêteras quand JE le déciderai ! Il y a trop d’argent en jeu
pour tout planter. Tu n’es qu’une gamine sans deux sous de jugeote !
Incapable de mesurer de quelle façon tes actes peuvent impacter l’empire
que j’ai érigé. Tu devrais me remercier de tout ce que j’ai fait ! Au lieu de
ça, tu t’arranges pour nous couler !
— Quand est-ce que tu vas intégrer que je continuerai jusqu’à ce
que j’y sois arrivée ? Quand est-ce que tu vas capter que tout ce que je fais
désormais, c’est justement dans le but de tout bousiller ? Je suis épuisée !
Ça fait des mois que je te demande de faire une pause, et que tu me dégotes
toujours un nouvel engagement qui vient la repousser… Je suis en train de
craquer, tout mon corps me dit qu’il va lâcher et toi, tu ne vois que l’argent
comme moteur pour me donner envie d’avancer. Je m’en moque du blé et tu
le sais ! Prends tout si tu veux ! Fais préparer les papiers, je les signerai sans
même les regarder ! Mon empire, comme tu dis, et tout ce que j’ai gagné, je
te le laisse. Tu auras de quoi subsister 3 vies avec et si tu le souhaites, tu
pourras t’occuper en le faisant fructifier. Même si je cesse de chanter ou de
jouer dans les merdes cinématographiques que tu peux me trouver !
— Moi vivant, ce n’est pas demain que Marlon Jensen sera reléguée
au second rang dans les classements !
Un coup dans ma poitrine. Mon cœur qui trébuche, trépigne,
essayant de ne pas tomber.
— Papa, s’il te plaît…
— Jamais, tu m’entends ! Jamais ! Et tu peux toujours chialer !
La terre semble s’arrêter de tourner. Les mots de Marlon reviennent
me fracasser :
— … J’ai comme l’impression qu’il y a une info que tu as ratée…
Quel imbécile je fais ! J’ai enquêté sur Marlon, lu des données en
tous genres… et la seule chose sur laquelle mon esprit aurait dû bloquer, je
l’ai manquée. Il n’y avait qu’un détail sur lequel je n’aurais pas dû
rapidement passer… C’est justement celui-là que mon cerveau a éludé.
Marlon Jensen, fille de Maya Penn-Baker et de Ryker Jensen.
Mais quel abruti !
C’était THE info que je ne devais pas zapper pour remettre chaque
élément à sa place et m’organiser. Dans chaque métier, il n’y a pas secret, il
faut se préparer. Avoir toutes les données pour être prêt à s’adapter à chaque
situation lorsqu’elle pourra se présenter… Je me suis foiré en beauté et à cet
instant, alors que j’entends toujours Marlon pleurer, et Jensen continuer
d’argumenter — ou plutôt d’hurler — je ne sais plus à qui doit aller ma
loyauté.
Tiraillé entre devoir et sentiments, je regagne ma chambre sans plus
penser à faire d’esclandre, mais avec une idée qui ne fait que me tarauder.
Celle qu’à la fin, qu’importe si je ne suis pas payé. Tout comme Marlon,
pour moi l’argent n’est plus le moteur qui me fait avancer. Parce que
maintenant, l’unique chose que je suis capable d’envisager, le seul point qui
pour moi doit compter, c’est elle et exclusivement elle.
Je me promets que je ne partirai pas avant d’être certain qu’elle va
bien. Et qu’elle est définitivement sauvée.
Chapitre 26 Marlon
I just wanna fall asleep
So my mind won’t have to creep
Je veux juste m’endormir
Ainsi mon esprit n’aura pas à ramper
— Bon, allez… Je suis certaine que Bo n’est pas ton vrai prénom, en
réalité, ne cessa-t-elle de vouloir creuser.
— Pourtant, ça l’est…
— Je ne te crois pas ! Je sens que tu caches comme un secret.
Quoi faire, à part insister autant qu’elle pouvait le faire de son
côté ? C’est vrai. Finalement, Bo, c’est bien mon prénom… en version
légèrement diminuée…
— J’ignore pourquoi tu vas t’imaginer que ça pourrait être plus
compliqué que ça ne l’est !
— Je ne sais pas… Y’a un truc chez toi qui me dit que « Bo tout
court » ça ne colle pas. Comme s’il manquait une part de toi. Un truc qui te
ferait briller bien plus que ça…
— Tu as quand même un côté « space », toi !
— Allez, dis-moi ! Ton vrai prénom, c’est quoi ?
— Bo.
— T’es un emmerdeur !
— Je ne suis pas là pour te faciliter la vie, au cas où tu ne l’aurais
pas compris.
— Ça y est ! J’ai trouvé ! Ta famille, c’est les Duke du comté de
Hazard, et on t’a appelé comme le grand-père. Bo 1er !
Et ça avait duré comme ça une bonne partie de la soirée…
Merde !
Frustré comme jamais, je la regarde glisser comme un fil de soie au
milieu des draps.
J’imaginais qu’elle allait me sucer. Au lieu de ça, elle ne fait que
m’attiser. Encore et encore et… bon sang ! Jamais je n’aurais pensé autant
aimer. Elle pourrait me mener par le bout du nez que j’en redemanderais !
Appuyée sur ses coudes, une jambe pliée, Marlon est d’une divine
beauté. Et alors qu’elle ne se gêne pas pour me dévisager, je me décide
enfin à la regarder. À véritablement la regarder… et je reste là, admiratif de
ce que je vois.
Marlon est là, nue devant moi. Totalement nue cette fois. À présent,
ce que j’ai sous les yeux, c’est tellement plus que ce qu’elle voulait que je
voie.
Sortie de l’adolescence il n’y a pas si longtemps, elle a la maturité
d’une femme pourtant. Et si son corps a perdu toute innocence, son cœur,
lui, aspire à battre si fort, en dedans.
Et quand des détails qui m’avaient échappé se révèlent à moi, j’ai
presque l’impression que mes prunelles se posent sur elle pour la première
fois.
— Bon sang ! Qu’est-ce que… Tu as vraiment décidé de
m’achever !
Le tatouage qui dévale son cou s’arrête là où sa poitrine me montre
le chemin d’une intimité que je rêve d’explorer. Ses tétons se dressent avec
fierté, arborant chacun un anneau qui les fait pointer. Anneaux que j’avais
eu la chance de timidement et furtivement observer, le jour où je l’ai aidée à
passer sa robe avant qu’elle n’aille chanter… Aujourd’hui, je ne veux plus
détourner les yeux et je m’attarde à les parcourir et m’en délecter. Ai-je déjà
vu des seins plus parfaits ? Je baisse le regard vers son ventre musclé, son
nombril lui aussi orné d’un bijou et… la vue du Saint Graal, qui me fait me
lever au point que j’en ai mal.
— Est-ce que tu aimes ce que tu vois ? réclame-t-elle en sachant que
c’est justement ce qui me met dans cet état.
— Comment tu peux me demander ça ? C’est… waouh, si je
m’attendais à ça…
Mes mains n’osent pas et mon cœur bat si vite et si fort que mon
sang pulse jusqu’en bas. Oui, c’est ça, ce « bas » là, c’est bien cet endroit…
De vieux cours d’anatomie me rappellent soudain que mon cerveau
devrait se taire plutôt que de penser des conneries. Parce qu’érection et
afflux sanguin vont de pair.
Élémentaire, mon cher Walter ![40]
Je reste subjugué face à elle. Jamais je n’ai vu une telle merveille…
Un corps parfait, orné de détails qui pourraient le gâcher, mais ne font que
le sublimer.
Un diamant d’un rose violacé tatoué sur son pubis complètement
épilé surmonte un piercing au niveau de son clitoris déjà gonflé. Je ne songe
plus qu’à m’immiscer, peu importe ce que j’y glisserai et je suis soudain
traversé par des pensées que jamais je n’oserai avouer.
— Souvenir d’une soirée où j’ai réussi à m’échapper…
Le clin d’œil qu’elle me fait ne fait qu’exacerber l’excitation à
l’endroit que ne couvre plus mon pantalon.
— Je me suis tapé un tatoueur et ça a dégénéré.
L’évocation d’une de ses aventures passées me rappelle que malgré
son jeune âge, niveau sexe, Marlon en a une expérience que je n’aurai
jamais. Tout à coup, je me sentirais presque en proie au doute, dépassé.
Comme quelqu’un qui ne l’aurait jamais fait. Puis je me convaincs que j’ai
d’autres choses à lui enseigner. Que la musique du cœur fait vibrer le corps
bien plus fort que tout ce qu’elle a probablement pu essayer. Et qu’aucune
drogue ne peut faire décoller aussi haut que le sentiment d’être aimé.
Quand sa main redescend sans aucun remords pour continuer à
m’allumer — ce que je sais qu’elle adore — je serais capable d’en
redemander encore. Si seulement je n’étais pas dressé en mode piquet, au
point que ça finisse vraisemblablement par me brûler…
— Oh, et puis merde ! lâché-je sans plus parvenir à me contrôler.
J’envisageais qu’on y aille tranquillement, mais on prendra notre temps
dans la phase d’après. J’ai trop envie de t’embrasser, et…
Mais déjà ses lèvres sont sur les miennes pour me clouer le bec et
me la faire fermer.
Assez parlé, OK… j’ai pigé… mademoiselle voudrait avancer…
Ses petites mains s’accrochent à mes épaules pour m’attirer. J’ai eu
à peine le temps de le réaliser, qu’elle m’a précipité sur son corps brûlant et
bandant à l’excès.
Sentir Marlon onduler, nos sexes se frotter… j’ai déjà l’impression
que je vais imploser, et je ne comprends pas ce qui peut m’arriver. Même
pendant ma puberté, de toutes les nanas qui ont pu me faire triper, aucune
ne m’a jamais fait me dresser avec autant de facilité.
Brando, quel est ton secret ? Comment parviens-tu à me faire un tel
d’effet ?
Nos langues se trouvent, se délectent de se caresser. Enfin. Et quand
Marlon s’enroule autour de moi, le désir brut de la posséder s’infuse dans
mes veines comme si on m’empoisonnait ou qu’une maladie incurable se
développait. Je sais que, quoi que je fasse désormais, je ne pourrai plus
l’oublier. Parce que son corps et le mien, un jour, se seront liés.
Quelques mots prononcés sans que nos lèvres aient besoin de se
quitter :
— Donne-moi mon sac, s’il te plaît, semble-t-elle me supplier.
Retrouver mes esprits s’avère compliqué, mais je m’exécute sans
chercher et quand Marlon en sort une boîte de préservatif, je réalise
qu’effectivement, j’étais presque débranché. C’est tout juste si j’avais pensé
qu’il nous en faudrait.
Brando n’attend pas une seconde pour ouvrir le paquet. Déchirer
entre ses dents l’emballage argenté n’est qu’une simple formalité et
lorsqu’elle prend l’initiative me l’enfiler, j’arrête de respirer.
Mon sang ne cesse de pulser et un nouvel afflux semble s’injecter,
tandis qu’elle déroule le latex de ses doigts agiles. Moment tactile, souvenir
indélébile.
— Te voilà protégé. Et maintenant, assez parlé.
Je l’allonge et commence à dévorer sa peau, la parsemant de baisers,
la mordillant parfois pour chercher à la faire se hérisser… Sa chair de poule
me permet de juger si j’ai obtenu l’effet espéré et me donne envie
d’intensifier.
Je dévale son cou, passe titiller la pointe de ses seins avant de filer
torturer son ventre musclé, qui se contracte au passage de mes lèvres
affamées. Je descends encore, continuant à déposer mes baisers jusqu’à
atteindre l’orée de l’endroit rêvé… Ma langue s’en mêle. Elle sait qu’elle
aura la part belle dans le bal où je l’invite à danser. Je poursuis et…
— Pas maintenant, sois patient… me retient Marlon en m’attirant.
J’étais celui qui voulais prendre mon temps… Finalement, c’est elle
qui freine mon élan…
— Ça fait des semaines que je rêve qu’on finisse par s’emboîter,
alors ne me fais pas davantage mariner… réclame-t-elle sans hésiter.
— Tellement poétique !
— Dans ce cas, pourquoi ai-je l’impression que mes paroles te filent
encore plus la trique ?
Touché…
Marlon adore jouer, mais ça je le savais. Et ce que j’avais aussi
oublié, c’est qu’elle est capable de le faire sans que la gêne ou une
quelconque timidité ne vienne la déranger. Elle est belle et elle le sait.
Avantage de la célébrité, puisse-t-elle toujours en trouver. Tout comme la
confiance qu’elle a su développer. Des convictions qui lui permettent
d’avancer. Et de vouloir dominer, si j’en crois la façon dont elle me pousse
pour me plaquer contre le matelas et me chevaucher.
Scène capitale, moment crucial.
Marlon se cale avant de descendre sur moi une première fois.
J’expire mon plaisir, elle reste un instant sans plus bouger à savourer mon
désir. Lorsqu’elle se lance enfin dans de doux et lents mouvements
réguliers, je comprends qu’il me faudra peu de temps pour basculer.
J’agrippe ses hanches pour l’inciter à davantage s’enfoncer et l’aider
à coulisser. Ses seins parfaits dansent sous mes yeux hypnotisés et… la
vision de ce putain de tatouage qui ne cesse de venir me rencontrer au
meilleur endroit qu’on pouvait s’imaginer…
Une pensée inutile et stérile tente de s’infiltrer : comment le mec a-
t-il réussi à se concentrer pour parvenir à dessiner ? À sa place, je crois que
je n’y serais jamais arrivé…
— Embrasse-moi, Brando, embrasse-moi…
À bout de souffle, c’est moi qui réclame, cette fois. Et quand elle se
penche sur moi tout en continuant à monter et descendre le long de ma
fierté, je sais que ma délivrance est sur le point d’arriver.
Un grognement rauque que je tentais de réprimer s’échappe de ma
gorge serrée. Marlon qui semble deviner que la fin approche lâche mes
lèvres et s’écarte pour accélérer. Ses gémissements rejoignent mes souffles
saccadés. Et la tête rejetée en arrière, elle se laisse elle aussi aller jusqu’à ce
moment où l’un après l’autre, nous atteignons le nirvana, nos corps
fusionnés.
Chapitre 34 Marlon
You were the miracle to achieve
You gave me something to believe
Tu es le miracle à atteindre
Tu m’as donné quelque chose en quoi croire
Lovée contre le torse de Bo, je trace les lignes de son tatouage, cette
fois sans les admirer et mon cœur a comme un raté.
C’est en pensant à moi qu’il s’est tatoué…
— Je suis tellement bien ici… je pourrais y rester toute une vie…
— J’ai l’impression d’avoir profité de toi et fait une connerie… s’en
veut-il.
Je m’insurge en me redressant pour le regarder :
— Non, mais ça va pas ? J’ai tout fait pour que tu te jettes sur moi et
pas qu’une fois ! Alors qui a profité de l’autre, selon toi ? J’avais envie que
tu me fasses l’amour depuis le premier jour !
Faire l’amour…
À l’instant où les mots franchissent mes lèvres, je prends conscience
que je ne les ai jamais prononcés…
— Faire l’amour, répété-je tout haut dans un murmure comme s’il
s’agissait d’un secret que je ne pouvais pas révéler.
Tout à coup, j’ai envie de tout lâcher et alors que les larmes
montent, mon Doe semble inquiet.
— Marlon, qu’y a-t-il ? s’enquiert-il en s’asseyant pour prendre mon
visage et le caresser.
Un simple contact de Bo et je suis apaisée.
— Pour la première fois depuis des années, je me sens bien et ça fait
tellement longtemps que ça ne m’est pas arrivé que c’est en train de
déborder contre mon gré, pleuré-je en riant à moitié, les joues soudain
inondées.
— Tu m’as fait peur, souffle-t-il soulagé.
— Bo… tout ça, c’est parce que je suis avec toi…
— Tu fais erreur, ce n’est pas grâce à moi… rejette-t-il. C’est cet
endroit. Mes parents ont tout fait pour qu’ici, ce soit comme ça. Que les
gens s’y sentent bien. Et tu ne devrais pas non plus négliger ce que « mère
Nature » t’a donné pour passer le manque de drogue et ses effets…
— Tu plaisantes ? J’ai été malade à crever ! Sérieusement Bo… ne
minimise pas ce qui est en train de nous arriver, s’il te plaît. Si tu le faisais,
je crois que j’en serais terriblement blessée.
— Marlon, je… ce n’est pas ce que je fais, mais à quoi ça va rimer
tout ça, quand on va rentrer ?
— Pourquoi vouloir déjà y penser ? C’est comme le besoin de
toujours coller des étiquettes à tout ce qui peut se passer ! Ou se poser
constamment des questions sur ce dont demain sera fait !
— Je suis désolé si ceux qui le font peuvent t’irriter, mais je suis
justement comme ça. J’ai grandi dans un cadre totalement déstructuré, sans
règle, sans que jamais rien ne soit organisé, à vivre au jour le jour comme si
rien ne comptait… Et ça m’a tellement déboussolé que je me suis construit
en devenant l’exact opposé…
— Et moi je n’ai vécu que pour des dates déjà cochées sur un
calendrier, des shootings, des tournages programmés, des concerts à
répéter… Alors est-ce que tu crois qu’on pourrait trouver un juste milieu
qui nous convienne à tous les deux, histoire de profiter un peu ?
Un soupir dégonfle sa cage thoracique.
— OK… pour toi, je vais essayer de me lâcher…
— Je ne suis pas certaine de mesurer totalement les efforts que ça
peut te demander, mais je veux te remercier de tout ce que tu fais…
— Si tu savais ! Pour toi, être ici avec mes parents, c’est la
panacée ! Mais pour moi, tu n’as pas idée…
— Tu crois que leur soirée « Peace devant Love derrière » s’est bien
passée ? ne puis-je me retenir de le questionner en riant comme jamais.
Sans équivoque, je le provoque, et ça, sans arrêt. Ce qui lui plaît
assez, je le sais lorsqu’il s’agit d’un autre sujet…
— Arrête de plaisanter ! s’agace-t-il, vexé que je puisse m’amuser
de ce qui, lui, ne le fait pas du tout marrer.
— Mais je les kiffe, moi ! Ils sont fun ! Et si tu réfléchis
correctement, eux et moi, on n’est pas tellement différents, finalement.
C’est sans doute pour ça que je me sens ici dans mon élément !
Ces mots qui sonnent vérité semblent le gêner. Il a des parents qui
prônent visiblement une certaine liberté et moi, le sexe m’a souvent servi à
m’évader, peu importe avec qui je le pratiquais…
Je baisse la tête et décroche le sourire que j’arborais.
— Tu sais, je… je ne me sens pas mieux que toi en pensant au
nombre de personnes avec qui j’ai pu coucher… Je ne suis même pas sûre
de pouvoir me rappeler de la moitié. Et je ne me cherche pas d’excuse,
parce que si je l’ai fait, c’est que pendant longtemps, c’est la seule
échappatoire que j’ai pu trouver. Mais je dois également t’avouer que…
Les larmes coulent encore, mais cette fois, ce n’est pas mon bonheur
qui tente de remonter.
— Quoi, Marlon ? Qu’essaies-tu de me raconter ?
— Dans ce monde, tu apprends très vite que le sexe peut aussi
t’aider… et servir en quelque sorte de monnaie.
— Comment ça ? Je ne saisis pas…
— Ce que je cherche à te dire, c’est qu’on m’a rapidement fait
comprendre que le sexe pouvait être utilisé pour manipuler.
— Et quand tu dis « on… », qui veux-tu désigner ?
Ma gorge serrée me laissera-t-elle parler ?
— Un jour, mon père…
Je fais une pause, bien obligée. Jusqu’à ce que les mots parviennent
à s’échapper :
— … R.J. m'a explicitement ordonné d’offrir mes faveurs à un
vieux producteur pour décrocher un contrat qu’il avait du mal à négocier, et
j’ai…
— Marlon, dis-moi que ce n’est pas vrai ?
— J’étais jeune, innocente… enfin j’essayais de le rester… il n’y
avait eu que Justin encore, alors… Avec lui, je découvrais… je savais qu’il
ne m’aimait pas, en réalité, mais il a été mon tout premier et ça a duré
jusqu’à ce que… je n’accepte de faire ce que mon agent me demandait,
puisque le père en lui semblait définitivement enterré. Et quand j’ai proposé
au vieux pervers de m’agenouiller, il a ouvert sa braguette sans se faire
prier… Je l’ai sucé à en avoir envie de gerber et après cette fois-là, je n’ai
plus été capable de faire une fellation pendant des années, tellement ça m’a
dégoûtée. Je me suis écœurée moi-même, d’avoir ne serait-ce qu’eu l’idée
de céder à ce que R.J. m’avait demandé…
— Si seulement j’avais pu imaginer…
Je sèche mes larmes d’un revers de la main, mon geste aussi
mécanique qu’aujourd’hui mes refrains.
— Après ça, j’ai décidé que le sexe, ce ne serait plus que comme je
le voulais, et uniquement avec qui je le voulais, pour les raisons que je
voulais, et surtout sans jamais avoir à me forcer. Jusqu’à ce que ça devienne
mon autre drogue, le roi de tous mes excès. Au point que je me dise qu’il
pourrait aussi me servir dans mon plan pour tout saccager… Et je crois que
ça a plutôt bien fonctionné. Cette sextape a connu un vrai succès !
— Mais est-ce que tu réalises à quel point tu as dégradé ton image
pour y arriver ?
— Je sais… si j’avais eu un autre choix, je ne serais pas allée
jusque-là…
— Oh, Lonie, viens dans mes bras.
Je me paralyse et l’humidité dans mes yeux revient aussi vite qu’elle
s’en est allée.
— Je suis désolé, s’excuse Bo en me voyant de nouveau pleurer. Je
ne veux pas que tu te sentes rabaissée parce que tu as dû accepter de
t’humilier p…
— Je m’en fiche que la terre entière ait regardé une vidéo où on me
découvre en train de baiser, le coupé-je en continuant à sangloter.
— Alors qu’est-ce que j’ai dit pour que tu…
— Tu m’as appelée Lonie…
— Oui, et…
— C’est comme ça que maman me surnommait…
Ce matin, mon cœur ne cesse de se déchirer.
— Je te prie de me pardonner, je ne savais pas. Je ne t’appellerai
plus jamais comme ça.
Jusqu’à présent, personne n’a été capable de me réparer. Et si Bo le
pouvait ?
Je renifle sans aucune élégance, faisant comme si le sujet était clos
et enterré et qu’aucun de ces mots n’ait été prononcé.
— J’aime que tu m’aies surnommé Brando… même si j’ai râlé, pour
t’emmerder.
— Je le savais bien qu’en fait, ça te plaisait…
— Bo ?
— Hum ?
— Est-ce qu’on peut juste encore un peu rester ici, au lit, enlacés ?
J’ai besoin de retomber dans les limbes de ce cocon que Bo sait
créer…
— Ton idée m’enchante assez. Faveur accordée.
Nos jambes entrelacées, je n’aspire à rien d’autre qu’à écouter la
mélopée que son cœur peut me jouer.
— En réalité, si tu n’avais pas demandé, je l’aurais fait, murmure Bo
contre ma tempe en y déposant un baiser. Parce que j’en rêvais…
Nous nous calons tels que nous étions avant le début de cette
conversation et je caresse de nouveau les traits encrés qui, s’ils pouvaient
parler, me diraient à quel point je peux déjà compter pour celui qui les a fait
dessiner.
Deux semaines que nous nous sommes rencontrés. Deux semaines
seulement pourtant, je me sens comme happée par une lame au fond d’un
océan, tant mes sentiments semblent puissants. Mon cœur se serre, accélère
à cette simple idée et la seule chose que je puisse encore dire, c’est :
— Rainbow… Tu t’appelles Rainbow… Je ne connais pas de
prénom plus beau…
Chapitre 35 Bo
You drive me completely mad
My spirit has never been so wild
Tu me rends complètement dingue
Mon esprit n’a jamais été aussi libre
Les petits doigts fins de Brando tracent le dessin gravé sur ma peau
sans même le regarder. Une demi-heure qu’elle le fait et je ne suis toujours
pas lassé. La maison est aussi paisible qu’elle est apaisée. Sous les draps,
ses courbes dissimulées ne cessent de m’appeler et je calme mes ardeurs en
me délectant du parfum de ses cheveux étalés sur l’oreiller. Et lorsqu’elle se
met à chantonner, mon cœur cherche à s’envoler.
“Somewhere over the rainbow — Quelque part au-delà de l’arc en ciel
Bluebirds fly…” — Des oiseaux bleus volent
Je pourrais rester ici pour l’éternité, tout comme elle l’a suggéré. De
quoi avons-nous besoin si ce n’est nous sentir bien ? Est-ce que après tout,
ce ne sont pas des gens comme mes parents qui ont le mieux compris la
vie ? 30 ans de lutte pour finalement revenir ici, et accorder à leurs délires
un peu de crédit. Fils indigne que je suis…
« […] Dreams really do come true — Les rêves deviennent réalité
Someday I’ll wish upon a star — Un jour je ferai un vœu à une étoile
Wake up where the clouds are far behind me…” — Et me réveillerai les
nuages derrière moi…
— Tu crois qu’on peut dire que c’est un peu ma chanson ?
Marlon se redresse légèrement
— Nope[41]. Ta chanson, ça doit être une chanson qui parle de toi.
— Je vois… Madame a des idées très arrêtées sur ce que MON
refrain devrait raconter.
— Exactement !
Elle fige ses pupilles dans les miennes et commence à embrasser
mon torse brûlant, toujours en fredonnant doucement.
“… Where trouble melts like lemon drops — Là où les peines fondent
comme des gouttes de citron
High above the chimney tops — Loin au-dessus des cheminées
That’s where you’ll find me…[42]” — C’est là que tu me trouveras
Sa langue s’amuse sur l’une de mes aréoles et tout à coup, un
curieux courant me traverse et je frissonne.
— Marlon !
Elle ronronne quand ma voix détonne, mais ses yeux rieurs
m’emprisonnent. De quoi est-ce que je m’étonne ? Il lui suffit de me
regarder pour me kidnapper.
Elle continue de jouer, nos pupilles toujours ancrées et sentir son
sourire sur ma peau me fait un effet que je n’aurais pas pu m’imaginer. Elle
descend encore, sa langue laissant une légère traînée mouillée. Je sais ce
qu’elle fait et pour l’en empêcher, je n’ai qu’une possibilité : inverser les
rôles et aller glaner le diamant dont elle m’a privé.
Je me redresse en une fraction de seconde pour la surplomber,
plaquant son dos au matelas en essayant tout de même de ne pas y aller trop
fort. Un caractère retors, mais un tout petit corps, si fragile, au premier
abord…
Elle tente de lutter. Je ne suis pas prêt à céder et résolu à jouer avec
les armes qu’elle peut également employer, j’ai décidé moi aussi de ruser.
— Tu sais que si tu me prives de la récompense que j’allais
chercher, je vais me venger ? plaisante-t-elle, respiration saccadée.
Non moins essoufflé, je la coupe néanmoins d’un baiser.
— Je ne battrai pas en retraite, je veux ma mélodie parfaite.
— Il me semblait pourtant que nous avions calé nos instruments
pour interpréter justement à la perfection le morceau précédent…
— Pas exactement…
Mon regard se laisse harponner par sa poitrine encore un peu agitée.
Lorsque mes yeux retrouvent le chemin de la pierre précieuse que je
comptais glaner, je sais que chaque fois que je la verrai, je me perdrai.
— Putain ! ne puis-je me retenir de lâcher. Je crois que je vais avoir
constamment envie de te bouffer !
Marlon explose et laisse un rire sonore s’élever.
— Et après ça, monsieur voudrait m’apprendre la poésie, à moi !
Je ris avec elle avant de plonger sous les draps.
— Marlon… je pense que je n’aurai jamais assez de toi…
Ma langue file directement sur le point le plus tentant. Pourtant,
j’adorerais lui montrer que même lorsque deux amants y vont lentement, ce
n’en est pas moins bien pour autant.
Ah… Si seulement ses atouts n’étaient pas aussi troublants…
Je titille, mordille. Le piercing vacille et vrille. Découverte de
sensations encore inconnues et mon ventre se tortille.
— Souffle-moi… dis-moi si tu aimes ça… fais-moi comprendre où
tu veux que je sois…
Une porte claque.
Certainement le vent…
— Les chéris, on est là !
Ah, non… c’est la voix de « mère Nature… »
— Maman !
Ma mère + frapper = jamais !
Combien de fois, ado, ai-je pu pour ça la détester…
Le regard de maman se pose sur moi… puis sur le diamant… ou sur
mon nez fourré dedans… ou inversement… enfin qu’importe, finalement…
puisque chaque élément se trouve au même endroit à cet instant… à savoir
entre les cuisses d’une jeune femme qui vient tout juste d’avoir 18 ans…
Bon sang ! Quelle image je vais donner à mes parents !
— Heu… continuez, faites comme si je n’étais pas passée… lance
ma mère en refermant la porte sans se presser.
Porte qui se rouvre la seconde d’après.
— Enfin… si tu peux venir nous voir, quand tu auras terminé…
Une certitude m’envahit. Plus jamais je n’oserai regarder ma mère
dans les yeux à partir d’aujourd’hui… Mais cette moue, je la connais et je
me demande si quelque chose d’important ne doit pas tout de même la
déranger.
On ne sait jamais…
Je me redresse en tirant les draps sur Marlon et sur ma virilité.
C’est bon, c’est ma mère ! Je ne suis pas obligé de garder le truc à
l’air pour qu’elle me raconte ce qui peut bien la défriser.
— Qu'est-ce qui se passe maman ? râlé-je avant qu’elle n’ait le
temps de s’en aller.
— Je… ne sais pas trop... y'a un problème et… on a besoin de t’en
parler…
— C’est quoi, cette fois ? Papa est encore resté enfilé dans un des
voisins et il faut aller l’aider ?
Marlon se retient de pouffer, tout en n’osant pas la regarder.
— C'est pas ça, mon chéri, ne t’en fais pas. On n'a plus jamais eu
d’incident de ce style depuis que j'ai commencé à faire moi-même le gel
pour qu'il...
Je me bouche les oreilles avant que mes tympans ne vrillent.
— Enfin bref… Ce n'est pas le sujet... je… vais vous laisser et tu…
viendras quand tu seras prêt…
Ma mère finit par s’éclipser et moi, je continue de râler pendant que
Marlon rit, toujours, de plus en plus épanouie.
— Marlon, si tu pouvais arrêter de te marrer, ça m’arrangerait !
— Je suis désolée, je ne sais pas si je vais y arriver.
— Le contact avec mes parents doit déjà t’avoir rendue à moitié
dégénérée, grommelé-je probablement aussi rouge que si j’étouffais. Depuis
qu’on est ici, tu ne fais que te bidonner pour des… absurdités !
Oui, je sais, la pauvre ramasse alors qu’elle n’a rien fait. Mais je
suis agacé…
— C’est pas grave, Bo. Je suis certaine que ta mère va se dire que
leur vie t’a finalement inspiré. Tu vas voir, elle va respirer la gaieté !
— Ma mère, c’est déjà la gaieté incarnée. Le mot gaieté, c’est elle
qui l’a inventé alors je vais probablement avoir l’impression qu’elle vient
de fumer ! marmonné-je en m’extirpant des draps pour m’habiller.
— Essaie de te décomplexer !
— C’est facile, pour vous, de dire ça ! Mais moi, je ne suis pas aussi
libéré !
Un t-shirt et un bas de jogging enfilé, je ne manque pas pour autant
de déposer un baiser sur les lèvres de celle que j’étais en train de…
Eh, m… fait suer… encore raté…
Je boude comme un gamin, pris sur le fait. 30 ans et j’agis toujours
comme un môme gâté qui n’a surtout pas envie de rater une occasion de
l’embrasser…
Guidé par les voix, je file dans la cuisine.
— Tu vois, Jim… entends-je ma mère qui tente de chuchoter. Tu as
longtemps pensé qu'on l'avait traumatisé et qu'il aurait une sexualité
étriquée… Mais je te promets… de ce que je viens de constater, il a l’air de
ne pas trop mal s’en tirer. Bon… il ne sera certainement jamais aussi libéré
qu'on l’aurait souhaité, mais…
— Maman, mais de quoi tu es en train de parler ? demandé-je alors
que je le sais.
Mon père sourit sans mot dire, comme à l’accoutumée, laissant ma
mère déblatérer, bavasser, jacasser… et tous les synonymes qu’on pourrait
trouver pour dire qu’elle discourt jusqu’à saouler !
— Oh, mon Rainbow, tu es là !
— J’aurais préféré rester là où j’étais, mais tu avais l’air pressée…
— Excuse-moi encore de vous avoir coupés dans vos activités,
mais…
Je grimace en levant les yeux au ciel. Va-t-elle arrêter de mentionner
à tout bout de champ ce qui vient de se passer ? Je serais au tribunal devant
un juge qui rappellerait les faits dont je suis accusé, ça me ferait
probablement le même effet. J’ai juste envie de me cacher.
— Il n’y aurait pas quelque chose que tu aurais omis de nous
raconter ? m’interroge maman sans tergiverser.
— Non, je ne vois pas…
— Au sujet de Marlon et toi ?
— Comme quoi ? Vu que tu n’arrives toujours pas à frapper avant
d’entrer, il me semble que tu en sais plus que ce que tu devrais !
Et vlan ! J’ai réussi à le caser ! Non mais !
— Je ne parle pas seulement ces ravissants tatouages que vous
avez… note-t-elle absolument pas gênée de me dire qu’elle a eu assez de
temps pour les regarder. C’est que… chez Karen et Will, il y a la télé…
— Et ?
— Quand nous sommes partis, les infos étaient allumées, et ils
présentaient la photo d’une jolie chanteuse qui aurait été kidnappée et celle
du jeune homme qui l’aurait enlevée…
Je bondis, mais mon cœur, lui, se meurtrit. J’ai cru qu’Ève mentait
uniquement pour me faire flipper, mais elle disait vrai.
— Au début, je n’étais pas certaine qu’il s’agisse de ta petite amie,
mais quand ils ont montré ton portrait, le doute n’était plus permis…
Mais alors que les mots de maman n’avaient pas encore fait leur
cheminement, la peur m’envahit brusquement.
— J’ai tout de suite démenti et dit : « C’est pas possible, mon
Rainbow ne l’a pas forcée à venir ici, quand ils sont arrivés, elle avait l’air
ravie ! »
Je me précipite pour récupérer mon smartphone et fouiner ce qui se
dit sur Marlon. Quand j’entre dans la chambre, le lit a été déserté et
j’entends l’eau couler. Par chance, je ne vais pas avoir à l’inquiéter avant
d’avoir vérifié de quoi maman peut parler…
Je tape son nom, malheureusement, pas besoin de chercher
longtemps. Les infos récentes remontent immédiatement. Violentes,
ahurissantes.
Pour une fois, ma mère n’a pas déliré. Je tombe sur un moment où
Jensen a été interrogé :
— Celui qui l’a emmené s’appelle Bo Dwyer et je venais de
l’engager, n’hésite-t-il pas à m’accuser.
Nouvelle torsion dans mon estomac.
— Avez-vous des preuves de ce que vous avancez ? demande un
journaliste juste pour s’en assurer.
— Je viens de récupérer des vidéos qui démontrent clairement qu’il
a forcé ma fille à le suivre contre son gré.
Bon sang, mais… quelles vidéos est-il en train d’évoquer, le
fumier ?
— L’enfoiré, grincé-je tout haut entre mes dents serrées.
Je file à la salle de bains prévenir « ma petite protégée… »
L’ai-je finalement aussi bien protégée que je l’escomptais ?
La cabine s’ouvre, à peine ai-je pénétré dans la petite pièce embuée.
— J’espérais que tu me rejoindrais, avoue-t-elle visage illuminé.
Réponse grimacée, lèvres pincées, sourcils froncés. Histoire
d’installer l’ambiance sans qu’elle se fasse d’idées sur la suite de notre
matinée…
— Désolé, je crois qu’on va devoir reporter nos palpitants projets…
— Qu’est-ce qu’il y a ? Tu as l’air inquiet…
— Je crains qu’on ne soit obligés de rentrer.
— Mais… on vient juste de s’en aller… râle-t-elle en sortant de la
douche pour s’enrouler rapidement dans un drap de bain et s’essuyer.
Qu’est-ce qui…
— Marlon, je crois qu’on a un souci…
Je lui tends mon mobile sans plus d’explication, et les images
défilent avec leur flot de questions.
— Il faut rentrer et aller le trouver, répété-je.
Les yeux de Brando virent à l’orage tandis que je contiens une sorte
de rage.
— Jamais ! Il essaie encore de me manipuler. Et si au passage il peut
t’enfoncer, vu que c’est toi qui m’as aidée à m’en aller, alors il n’en sera
que plus satisfait ! Mais qu’est-ce qu’il croit ? Que je vais le laisser sévir
sans rien dire ?
— Peut-être pense-t-il que c’est la vérité ? Que je t’ai entraînée,
forcée ? Il faudrait peut-être simplement l’appeler pour lui expliquer ?
— Tu ne connais pas mon père comme je le connais… Tout ce qu’il
dit ou fait est sciemment calculé. Il sait exactement pourquoi je me suis
taillée… mais il n’en parlera jamais. Tu t’imagines bien qu’il n’ira pas se
vanter que sa poule aux œufs d’or a envie de tout envoyer valser, parce
qu’elle se sent exploitée et vidée. Pour lui, tu es le mensonge parfait…
Marlon se colle à moi et m’entoure de ses petits bras. Je lui rends
son étreinte en savourant l’instant. Lorsqu’elle relève la tête, mon cœur
menace de s’arrêter. Comment fait-elle pour que ses yeux lui imposent un
rythme si effréné ?
Ses paumes encore légèrement mouillées se posent sur mon visage
qui, tout contre leur chaleur, semblerait presque gelé.
— Ne t’en fais pas, Bo. Je ne te laisserai pas non plus tomber, me
rassure-t-elle en déposant sur mes lèvres un doux baiser.
— Alors qu’est-ce qu’on fait ?
— Ce qu’il ne s’imaginera jamais !
Chapitre 36 Marlon
To take away my vision doesn’t mean I can’t see
And if you steal my freedom, my mind will still run free
M’ôter la vision ne veut pas dire que je ne peux pas voir
Et si tu voles ma liberté, mon esprit sera toujours libre
Nous filons vers l’ouest, c’est décidé. Marlon voudrait visiter L.A.
qu’elle n’a jamais vu autrement que sur les plateaux télé. Aller à Malibu et
nous promener, se balader à Santa Monica sur la jetée, marcher pieds nus
dans le sable chaud et doré… Un endroit rêvé pour cocher plusieurs cases
sur la « To Do List » du « Jamais fait », qu’elle s’est amusée à poser sur un
carnet.
Des notes de musique emplissent l’habitacle climatisé. La radio
allumée, elle zappe et passe les stations jusqu’à tomber sur un titre qui lui
plaît. Quand un animateur s’exprime, immédiatement, elle le reconnaît et
arrête de surfer sur les ondes, décidée.
— Tu as déjà écouté cette émission de Carson Finley ?
— Jamais. C’est quoi le principe ? Discussion argumentée autour
d’un sujet ? Artiste invité pour promouvoir de son actualité ? Il t’est arrivé
d’y aller ?
— Du tout ! L’idée, c’est que les auditeurs choisissent de parler à
quelqu’un par chanson interposée. Tu l’as déjà fait ?
— Tu sais, je n’ai jamais trouvé des paroles qui exprimaient
réellement ce que je ressentais.
— C’est vrai ? C’est parce que tu ne dois pas vraiment écouter les
émotions qu’elles peuvent transporter…
— Tu n’es probablement pas loin de la vérité. J’ai une légère
tendance à vouloir trop maîtriser, tu as pu le constater… Le côté perché de
mes parents m’a toujours un peu fait l’effet d’un laxisme non assumé, et j’ai
tellement cherché à contrôler que je ne suis pas quelqu’un qui sait
véritablement se laisser aller. Ils sont aussi libérés que je peux être coincé.
Tout comme ils savent aimer, détester, partager, profiter, vivre et vibrer là
où je suis incapable de lâcher les 3 mots qui font s’envoler.
— Bo, qu’est-ce que tu essaies de me confier ?
— Que dire « je t’aime », pour moi c’est compliqué. Que je ne l’ai
même jamais vraiment fait. Que je sais le prouver, mais que j’ai toujours
peur de m’épancher. Ce ne sont pourtant que 3 mots, mais… chaque fois
que j’ai voulu les prononcer, c’est un peu comme si quelque chose m’en
avait empêché.
— Vraiment ? s’étonne Marlon comme si cela ne pouvait pas être
vrai. Tu n’as jamais dit à Ève que tu l’aimais ?
Je hoche la tête négativement.
— Tu l’aimais réellement, cependant ?
— Oui, je l’aimais sincèrement et elle le savait. Malgré ça, ce sont
des paroles que je n’ai jamais pu lâcher. Même quand on faisait l’amour, ou
lorsqu’on se réconciliait après nous être disputés… Elle, elle le lançait au
départ avec une extrême facilité. Je répondais simplement « moi aussi »,
comme si ça suffisait. D’ailleurs, c’est exactement comme ça que nous nous
sommes quittés… sans même avoir conscience que c’était la dernière
occasion que j’aurais pu avoir de le lui avouer. Mais peut-être que c’était
déjà trop tard pour que j’ai le désir de me forcer.
Un soupir vient ponctuer ce que je viens de me décider à lâcher.
Pourtant, bizarrement, me suis-je déjà senti plus libéré ? Tout comme
Marlon, j’admets avoir du mal à me confier et le faire auprès d’elle me
semble un échange de bons procédés…
— OK, reprends ma vedette, donc... tu vas commencer par trouver
un titre qui formulerait ce que tu peux avoir envie d’exprimer paraît
justement une parfaite idée ?
— J’ignore si je saurais. Je me sens comme handicapé.
— Alors monsieur l’instit, ce cours-là, c’est moi qui vais te le
donner. Choisis la personne à qui tu souhaites t’adresser et dans deux jours,
tu me dis avec quelle chanson tu veux lui parler. Peu importe ce que tu as à
déclarer. Ça peut être n’importe qui. Un collègue, tes parents, un ami…
L’exercice c’est juste d’apprendre à dire ce que tu ressens, et en
l’occurrence de le faire en musique ici. Tu verras, c’est facile quand
quelqu’un a déjà tout écrit…
Je grimace à ce qu’elle dit :
— Mais comment tu fais, toi, pour y arriver ? Tu parviens à créer tes
textes, à trouver les notes pour les habiller… Et tu peux toujours me dire
que tes paroles ne reflètent pas ce que tu es… Je sais, tout comme ton
public sait lui aussi, que tu ne te livres jamais autant que lorsque tu
interprètes tes mélodies. Que quand tu chantes, c’est ton cœur que tu
délivres et qui crie.
— C’est vrai, j’ai menti. Mes chansons, c’est ma vie, c’est ce que je
suis…
Mon palpitant me défie. Nos yeux se captent, teintés d’une lueur
d’envie.
Oh, Marlon… comment ferai-je sans toi, quand je serai reparti ?
Les titres défilent, tout comme les paysages que nous traversons, de
ville en ville. Et comme s’il s’agissait d’un deal ou d’un pari, je réfléchis en
écoutant ce que les auditeurs en ont choisi, me projetant dans l’exercice
qu’à l’avance je maudis.
— Parler en musique à quelqu’un, ça m’a toujours fait envie, à moi
aussi…
— Mais tu le fais déjà… avec tes chansons à toi… m’étonné-je,
surpris.
— Tu sais, parfois, je n’y arrive pas. Ce que je veux dire me fait si
mal, juste là, que ça ne sort pas.
La main sur la poitrine, ses doigts se resserrant comme des crochets
sur le tissu de sa veste en jersey, je peine à lire ce qui traverse ses traits. Si
seulement, les douleurs qui hantent Marlon, je les connaissais, les
comprenais pour pouvoir l’aider…
— Le soir où je suis arrivé, tu as justement interprété une chanson
que tu as dit avoir empruntée. Alors peut-être que toi aussi, cet exercice, tu
peux t’y entraîner. Continuer à te servir des mots des autres te permettra
certainement un jour de libérer ceux qui pour le moment sont toujours
emprisonnés.
Les yeux au loin, elle semble y penser. Seulement quelques instants,
avant de prendre son portable pour y pianoter.
— Tu as répondu à Autumn ?
— Oui… je lui ai dit de ne pas s’inquiéter sans lui apprendre où on
allait. Je lui fais confiance, mais je connais mon père et les moyens de
pression qu’il peut exercer alors… ce qu’elle ne sait pas, il ne pourra pas lui
soutirer.
Miles après miles, les messages chantés sortent des enceintes,
parfois accompagnés par Marlon qui ne peut se retenir de fredonner.
— Je pourrais conduire, dis, s’il te plaît ?
— On trouvera un parking pour commencer…
— Allez…
— Oh, tu peux me faire tes yeux de chien battu, ce n’est pas pour ça
que je vais céder. Il y a deux ou trois choses qu’un moniteur doit d’abord
t’expliquer.
— Et toi, tu n’es pas qualifié pour me les énumérer ?
— Je ne conduis plus assez souvent pour transmettre ce que je sais.
Depuis que je vis à New York, pour moi c’est métro et marche…
— OK, OK, semble-t-elle se résigner.
Brando remonte le volume pour se dandiner sur une chanson de
Beyoncé. Jusqu’à ce que l’animateur reprenne la parole, pour annoncer le
titre qui va clôturer sa journée.
— Il est pour moi temps de rendre l’antenne pour la céder à celui
qui va enchaîner. Et pour nous quitter, un dernier message qu’on me
demande d’envoyer… avec ce petit mot pour l’accompagner. Une adorable
déclaration que je vais m’empresser de vous lire : « Si je ne peux pas encore
l’écrire, quelqu’un a déjà su le dire. » Et c’est de la part de Brando pour son
« Doe ».
Je donne un coup de volant dans un sursaut. Mes yeux virent de la
trajectoire à Brando.
— Tu as raison, je ne suis pas sûre que tu saches si bien conduire…
glousse-t-elle en ébauchant un magnifique sourire.
— Je vous laisse avec K-Flay et je vous dis à demain sur MJK
Highway…
Nos regards ne parviennent plus à se lâcher. Je préfère m’arrêter sur
le bas-côté plutôt que de risquer de quitter la route, tant je ne suis plus
concentré.
I don’t like anyone better than you, it’s true — Je n’aime personne plus
que toi
I’d crawl a mile in a desolate place with the snakes, just for you — Je
ramperais un mile dans un endroit désolé avec les serpentns rien que pour
toi
Oh, I’m an animal, hand me a tramadol, gimme the juice — Oh, je suis
un animal, donne-moi un tramadol, donne-moi le jus
You are my citadel, you are my wishing well, my baby blue, oh, oh, oh
— Tu es ma citadelle, tu es mon puits à souhaits, mon bébé bleu, oh, oh, oh
Chorus:
‘Cause I’m already high enough — Parce que je plane déjà
You got, you got me good — Tu m’as, tu m’as bien eue
I’m already high enough — Je plane déjà
I only, I only, I only got eyes for you —Je n’ai, je n’ai, je n’ai d’yeux
que pour toi
Do you see anyone other than me? — Est-ce que tu vois quelqu’un
d’autre que moi ?
Baby, please — Bébé, s’il te plaît
I’ll take a hit of whatever you got — Je vais prendre un shot de tout ce
que tu as
Maybe two, maybe three — Peut-être deux, peut-être trois
Oh, you’re phenomenal, feel like a domino, fall to my knees — Oh, tu es
phenomenal, je me sens comme un domino, je tombe à genoux
I am a malady, you are my galaxy, my sweet relief, oh, oh, oh — Je suis
ta maladie, tu es ma galaxie, mon doux soulagement, oh, oh, oh
Chorus:
‘Cause I’m already high enough — Parce que je plane déjà
You got, you got me good — Tu m’as, tu m’as bien eue
I’m already high enough — Je plane déjà
I only, I only, I only got eyes for you —Je n’ai, je n’ai, je n’ai d’yeux
que pour toi
I only got eyes for you — Je n’ai d’yeux que pour toi
Oh, oh, oh
I only, I only, I only got eyes for you —Je n’ai, je n’ai, je n’ai d’yeux
que pour toi
Les mots tournent encore dans ma tête alors que déjà un autre titre
est joué. Mon palpitant est resté calé sur le message que Marlon m’a
envoyé. Pour nous, le temps, le monde se sont arrêtés.
Chapitre 40 Marlon
J’ai toujours pensé que faire l’amour avec Ève c’était le pied. Avec
Marlon, je découvre des sensations inexplorées. Elle m’exalte comme
jamais je ne l’aurais imaginé, m’exhortant à me laisser aller. Moi, l’un des
mecs les plus psychorigides que la terre ait porté.
Elle se penche vers moi et sa langue se pose sur la peau fine sous
mon oreille. Nul besoin de me promettre monts et merveilles, un simple
frôlement de sa part m’ensorcèle. Et elle a beau être à présent rhabillée, le
souvenir de son corps me harcèle et je n’ai qu’une envie : recommencer ce
que nous avons à peine terminé.
— Marlon, peiné-je à lâcher, le souffle court et hachuré.
— Hum ?
Sa main descend sans aucune gêne et tout à coup, c’est comme si je
manquais d’oxygène.
— Marlon, il va falloir arrêter ce que tu fais, la supplié-je presque,
alors que je donne un coup de volant qui provoque une embardée.
La voiture franchit légèrement la ligne et le conducteur en face ne
manque pas de klaxonner.
Ses mains glissent savamment sous mes vêtements. Et tout en
déposant une myriade de baisers dans mon cou alors que ma peau s’est
dressée, Marlon m’attise encore en caressant mon abdomen contracté.
— On dirait presque que ton nombril a été déchiré… tu vas devoir
me raconter d’où tu tiens cette cicatrice… m’amadoue-t-elle pour connaître
mes secrets.
Je suis parcouru d’un frisson.
— Marlon ! insisté-je en durcissant le ton, alors que tout mon corps
a des envies de rébellion. Arrête, s’il te plaît ! Je n’arrive pas à me
concentrer…
— J’ai de nouveau envie de toi, susurre-t-elle en pressant ses doigts
sur la partie de moi qui ne demande que ça.
J’en ai peut-être envie encore plus que toi, pensé-je. Mais je ne lui
avoue pas.
Je jette mon regard aussi loin que mes yeux peuvent se porter. Je
sais pertinemment que si je la contemple, je ne vais pas résister et me laisser
tenter.
— Tu vas devoir patienter… m’amusé-je en lui tendant tout de
même mes lèvres en tournant légèrement la tête de côté. À présent, mon
corps de rêve ne te sera entièrement dévoué que lorsque nous aurons trouvé
une chambre où nous poser…
Je passe ma main droite sur ses fesses délicatement bombées.
Marlon en profite pour davantage se rapprocher, mais la sirène d’une
voiture de police me glace subitement le sang.
— Non, pas ça… pas maintenant, m’agaçais-je la voix chevrotante.
Mes doigts tremblent sur le volant.
— Oh, Brando, je suis tellement…
Sa main s’accroche à la mienne instantanément.
— Respire, Bo, respire. Putain, je te jure que si je savais conduire…
râle-t-elle dans sa barbe entre deux soupirs.
Clignotant pour m’arrêter. Je crois que j’ai cessé de m’oxygéner et
quand j’enclenche le frein de parking, la petite main de Marlon vient me
retrouver pour que nos phalanges puissent s’entrelacer.
— Bo, je… je ne veux pas qu’on nous sépare, parvient-elle à dire, la
gorge entravée.
La panique ne fait que monter. J’arrive à peine à lâcher le rétro des
yeux pour plonger dans ses orbes embués.
Le policier cogne à la fenêtre, m’invitant à la baisser. Ses lunettes de
soleil me renvoient le reflet d’un abruti, simplement bon à flipper alors qu’il
est sur le point d’être arrêté.
La cinquantaine bien tassée, le physique de l’officier assermenté n’a
rien à envier à de jeunes collègues qui viendraient tout juste de quitter les
bancs de l’académie dédiée à les former.
Je tente de feinter :
— Bonjour, monsieur l’agent. Veuillez m’excuser, j’ai peut-être un
peu dépassé la vitesse autorisée…
— Vous roulez surtout d’une façon que je qualifierais de
dangereuse, au cas où vous n’auriez pas remarqué que vous avez empiété
sur la voie en sens opposé.
— C’est vrai, oui, je… je suis désolé, j’ai…
— C’est ma faute, monsieur l’agent, intervient « ma protégée ».
Non, Marlon, non. Il ne faut pas t’en mêler, il t’aurait peut-être tout
juste regardée... maintenant, il va te détailler, se pencher sur ce qu’il y a à
observer et trier dans les infos qui sont tombées…
Je comprime sa paume pour lui faire comprendre d’arrêter, mais
Marlon est une entêtée.
— J’étais en train d’essayer de l’aguicher. Je n’aurais pas dû, je le
sais. Je l’ai volontairement déconcentré. Je suis désolée… s’excuse Marlon
l’air faussement chagriné, tout en prenant soin de rapprocher les bras pour
inciter exagérément ses courbes à remonter, au cas où l’homme ne les aurait
pas encore remarquées.
Le flic mate Brando de la tête aux pieds. Ses verres opaques
m’empêchent de juger ce que ses yeux peuvent refléter, mais une moue
appréciatrice qu’il ne peut cacher s’ébauche sur ses lèvres ourlées.
— Je crois que je peux comprendre qu’il se soit laissé détourner,
avoue le policier, sourcil relevé en regardant par-dessus ses montures
teintées. Mais vous vous êtes mis en danger. Vous et les autres usagers.
Savez-vous quelle peine vous encourez ?
— Je l’ignore, monsieur l’agent. Je ne conduis pas encore et…
— … vous en profitez pour distraire ce jeune homme qui n’aurait
pas dû manquer de vous rappeler ce qui pourrait arriver.
— Je vous promets que j’ai essayé, grimacé-je à demi soulagé en
comprenant qu’il ne sait pas qui il a sous le nez.
Mes poumons recommenceraient presque à distiller l’air, et je me
prends à penser que nous allons seulement nous en tirer avec une amande
un peu salée. Sauf que…
— Je vais tout de même vérifier vos papiers, tranche l’officier sans
que j’aie devancé les mots prononcés.
Je me penche en avant, fouille dans la boîte à gants.
— Tenez, lui donné-je en tremblant, cette fois vraiment.
Les documents du véhicule semblent l’interpeler.
— Une voiture louée ? Où vous vous rendez ?
— On ne sait pas trop … Nous avons décidé de flâner… d’aller là
où le vent nous mènerait.
Le policier retire ses verres fumés, s’appuie sur ma portière et se
tait. Ses yeux se baladent, accrochent le moindre détail qui pourrait
l’apostropher. Le sac à dos encore ouvert, à l’arrière — prions pour que la
boîte de capotes ne soit pas en train de dépasser — le carnet et le stylo de
Brando, qu’elle a laissé traîner après avoir griffonné quelques mots, des
canettes de soda, des paquets de chips et de gâteaux…
Mon cœur bat à tout rompre jusqu’à résonner. Je suis presque
certain que le flic peut l’entendre de là où il est. Je me retiens de regarder
Marlon. Nos yeux anxieux nous trahiraient.
— Eh bien, jeunes gens… semble nous défier la voix de l’officier.
Allez, décide-toi ! Arrête-moi, menotte-moi, embarque-moi, lis-moi
mes droits, je sais pas, moi… Mais cesse de jouer, ou je vais crever !
Son silence me donne envie de hurler et ma jambe commence à
dangereusement osciller lorsqu’il brise ce lourd temps mort qui est sur le
point de m’achever.
— … Pour cette fois, je vais laisser passer, mais je vous invite à ne
pas récidiver. Prenez une chambre… il faut faire une halte, vous semblez
fatigués. Si vous avez roulé toute la journée, vous devez vous reposer. Et
profitez-en pour laisser votre petite amie terminer ce qu’elle avait l’air
d’avoir terriblement bien amorcé.
L’officier nous gratifie d’un clin d’œil avant de donner un coup sur
la carrosserie :
— Maintenant, allez-y avant que je change d’avis.
J’actionne la vitre électrique machinalement, incapable de réaliser
que nous allons finalement nous en tirer aussi facilement…
Je conduis jusqu’à la première station-service, frissonnant, sans que
ni moi ni Marlon ne soyons aptes à dire un seul mot sur cet incident.
Nous nous retrouvons dans les toilettes, sans nous y donner rendez-
vous réellement. Et nous y évacuons notre stress un bon quart d’heure
durant, absolument pas discrètement. Les regards courroucés des gens que
nous croisons en sortant glissent sur nous comme le vent.
Bonnie et Clyde arboraient des chapeaux. Je me moque de l’argent,
à son goût elle en a bien trop. Nous ne sommes que Brando et Doe, mais
aujourd’hui, j’ai compris que la même rage de vivre et d’aimer nous collait
à la peau.
Chapitre 42 Bo
Irony can twist easily as melancoly
But tears can hide when rain comes down on me
L’ironie peut si facilement virer à la mélancolie
Mais les larmes peuvent se cacher quand la pluie tombe sur moi
Un trou paumé. Voilà où nous sommes tombés ! Pas un hôtel sur des
kilomètres et même ceux que nous aurions pu trouver en continuant à rouler
n’ont plus une chambre à proposer. Passer des coups de fil larmoyants en
insistant n’a rien changé. Je nous vois déjà dormir sur la banquette arrière,
lovés sous une couverture que nous irons acheter vite fait.
Finalement, sur le bord d’une route qui ne semble mener qu’à une
petite ville austère aux maisons grisées, nous tombons sur un motel qui
invite les voyageurs à visiter la bourgade esseulée.
Passées la Louisiane et ses bicoques colorées, les localités texanes
elles aussi teintées et animées. Après avoir roulé toute la journée et vu des
coins sympas défiler, à présent le désert du Texas nous offre son aridité. Et
si certaines ont su nous attirer, ce soir nous sommes plantés au milieu de
nulle part dans un bled qu’aucune carte n’est fichue d’indiquer. La ville de
Junction pour nous repérer — lieu chaleureux que je ne manquerai pas de
conseiller — nous avons simplement une vague idée de l’endroit où nous
pouvons nous trouver…
Mais pourquoi pas s’arrêter ? Ce n’est pas comme si nous avions 36
possibilités pour nous loger…
Le motel à la façade décrépie affiche complet, ce que je n’ai même
pas capté, encore trop perturbé. Par chance, une chambre vient
apparemment tout juste de se libérer, et le gérant accepte en grimaçant
d’envoyer un employé nettoyer rapidement pour pouvoir nous la louer.
Mais je devine que je l’ai dérangé dans ses activités de la journée. À savoir
une télé allumée sans discontinuer.
Bedonnant et mal rasé, le type semble ne pas s’être lavé depuis que
Trump s’est fait éjecter et que Biden l’a remplacé. Ses cheveux n’ont pas
l’air d’avoir croisé une paire de ciseaux depuis l’été dernier et sont au
moins aussi longs que ceux de Brando. Quant à son jean, qui en laisse voir
bien plus qu’on aimerait lorsqu’il pivote pour prendre la clé, il est presque
certain qu’il tiendrait debout sans qu’on le tienne, s’il voulait le jeter.
Mon instinct me pousse à vérifier les images qui tournent sur l’écran
installé face à « Monsieur Propreté ». Surtout à l’instant où l’homme
semble me détailler de la tête aux pieds.
— Vous êtes seul ? cherche-t-il à se renseigner.
— Heu… non. Je suis accompagné… réponds-je laconiquement,
sourcils froncés, en commençant à m’inquiéter.
Quand nous pénétrons dans la piaule, je comprends que la femme de
ménage n’est finalement pas passée. La propreté, sommaire, nous laisse
deviner que tout va très vite entre deux clients. Et en y réfléchissant, je
saisis que le double sens de ma pensée est même évident. La moitié des
chambres servent pour des passes, probablement. Brando est habituée aux
palaces et j’ai honte de l’avoir conduite dans ce genre d’établissement.
— Ne t’en fais pas, Bo. Pour ce soir, ce sera suffisant.
Trop épuisés par les évènements, nous n’aurons plus la force de
faire autrement.
Le lit froissé est toujours fait des draps des clients précédents et les
propres que nous espérions attendent encore certainement bien sagement on
ne sait où depuis un moment.
— Merde, fait chier… ne me retins-je pas de grommeler. Ça ne
donne pas envie de rester, mais j’ai regardé et même ailleurs, tout est
complet…
Je file à la salle de bains, vérifier encore une fois la propreté. Celle-
ci ne semble que rarement fréquentée. Après les petits coups vite faits, les
clients ne doivent pas se laver et se dépêcher de se tirer.
— Ici, ça peut aller… au moins, on va pouvoir se détendre et se
doucher… Il y a du linge de toilette à peu près net et qui a l’air ne pas avoir
été utilisé, si tu veux te laver pendant que je vais réclamer des draps, pour
pouvoir au minimum nous allonger… suggéré-je à Marlon, la main toujours
sur la poignée.
— Attends, Bo, avant de me laisser, s’il te plaît.
Je lui lance un regard étonné. Je n’ai pas le temps d’anticiper qu’elle
s’est déjà ruée sur moi pour s’accrocher comme s’il lui était impossible
d’accepter que nous puissions nous séparer.
— Serre-moi, Bo. Serre-moi fort. Prends-moi dans tes bras. J’ai
besoin de ça. J’ai besoin de toi.
Nous restons quelques minutes, enlacés, comme ça. Juste elle et
moi. Un cœur battant bravant la tempête vaillamment, et un autre cherchant
à guérir ses maux sans même connaître tous les mots. Lui répondant tel un
écho, et désirant plus que tout le décharger de son fardeau.
Chorus:
The volcano that melts frozen snow — Le volcan qui fait fonder la
neige gelée
The tornado of my vertigos — La tornade de mes vertiges
If you say so, I’ll just say no — Si tu dis oui, je dirai juste non
So don’t call me Brando — Alors ne m’appelle pas Brando
Or I’ll call you John Doe — Ou je t’appellerai John Doe
Chorus:
The volcano that melts frozen snow — Le volcan qui fait fonder la
neige gelée
The tornado of my vertigos — La tornade de mes vertiges
If you say so, I’ll just say no — Si tu dis oui, je dirai juste non
So don’t call me Brando — Alors ne m’appelle pas Brando
Or I’ll call you John Doe — Ou je t’appellerai John Doe
Chorus:
The volcano that melts frozen snow — Le volcan qui fait fonder la
neige gelée
The tornado of my vertigos — La tornade de mes vertiges
If you say so, I’ll just say no — Si tu dis oui, je dirai juste non
So don’t call me Brando — Alors ne m’appelle pas Brando
Or I’ll call you John Doe — Ou je t’appellerai John Doe
Turn the lights down low, let the candle blow — Baisse les lumières,
laisse la bougie vaciller
Tonight, only you and me for the show — Ce soir, seulement toi et moi
pour le spectacle
Don’t want to be Marylin Monroe — Je ne veux pas être Marylin
Monroe
Just a girl on the raw — Juste une fille à l’état brut
Chorus:
The volcano that melts frozen snow — Le volcan qui fait fonder la
neige gelée
The tornado of my vertigos — La tornade de mes vertiges
If you say so, I’ll just say no — Si tu dis oui, je dirai juste non
So don’t call me Brando — Alors ne m’appelle pas Brando
Or I’ll call you John Doe — Ou je t’appellerai John Doe
I’m just a girl on the raw — Je suis juste une fille à l’état brut
Who wants to live over the rainbow… — Qui veut vivre au-dessus de
l’arc en ciel…
Je ne sais pas si j’ai encore pleuré après avoir quitté le 1st Grade[47].
Pourtant, à cet instant, ce sont bel et bien des larmes qui troublent mon
regard soudain brouillé.
« Ta chanson devra parler de toi... »
Marlon a écrit une chanson qui parle d’elle et moi… Elle a composé
un texte pour moi…
Chapitre 43 Bo
If you’re next to me, I’ll be Okay
So don’t worry, I just need you to stay
Si tu es à mes côtés, j’irai bien
Alors ne t’en fais pas, j’ai juste besoin que tu restes
Je pourrais rester des heures à lire et relire les mots couchés sur le
papier. Mais le petit organe dans ma poitrine me supplie de rejoindre celle
qui les a griffonnés.
Je m’applique à remettre le carnet dans le sac, tel que je l’ai trouvé.
J’espère que Marlon n’a pas fermé la porte à clé. D’ailleurs, sa douche
commence à durer, mais j’imagine que ses muscles noués l’incitent à
s’attarder sous le jet brûlant, après une pareille journée !
Découvrir Brando recroquevillée sous l’eau qui ne cesse de couler
n’est pas ce à quoi je m’attendais.
Ni vapeur ni buée, mais un courant d’air glacé, et je ne comprends
que trop vite que je n’aurais jamais dû la laisser.
J’ouvre la cabine de façon si précipitée que j’ai l’impression qu’elle
va s’effondrer et j’arrête immédiatement le robinet. La température du flot
qui s’en écoule me laisse tout juste imaginer ce que Marlon est en train de
supporter, et je n’en suis que plus terrifié.
— Marlon, tu es gelée, m’alarmé-je en passant ma main sur son
visage déjà bleuté.
Je la couvre d’une serviette et la sors de là totalement affolé pour
l’allonger.
— Oh, Marlon, Marlon… qu’est-ce que tu as fait, bébé ? pleuré-je
tout en continuant à la frictionner pour la réchauffer.
La sentir à ce point frigorifiée me fait paniquer. Le froid qui la
consume me gagne, j’aimerais tout absorber.
— Je vais appeler les secours, tu vas t’en tirer !
La détresse profane le vide que je croyais voir dans ses yeux.
— Bo… juste… nous deux…
Parler semble lui avoir demandé un effort surhumain, mais quand
ses doigts crochètent ma main, je comprends ce qu’elle veut me dire sans
qu’elle-même puisse me chanter ses refrains.
— Alors juste nous deux, OK… mais interdit de me faire un sale
coup, Miss « Je fais tout pour que Bo soit dans la merde jusqu’au cou ! »
Un léger sourire parvient à se tisser sur ses lèvres qui ne cessent de
grelotter et j’ai tout à coup une idée. Je n’ai rien inventé, mais je sais que ce
genre de truc peut marcher pour réchauffer.
J’ouvre les draps pour l’installer et la recouvre aussi vite que je le
peux avant d’aller fouiner. Au fond de notre placard, dans cet hôtel miteux,
deux plaids aux tons neigeux dans un état plus que piteux. Rien que les
déplier rend l’air un peu plus poussiéreux, mais je me retiens de tousser. Je
ne peux plus me permettre de rechigner.
Si j’avais pris moins de temps à chipoter sur la propreté, je n’aurais
certainement pas retrouvé Marlon, seule à lutter contre elle-même dans ces
deux mètres carrés, attendant peut-être désespérément que je vienne l’aider.
Je secoue les couvertures avant de former sur Marlon un épais duvet
et de me déshabiller. Je garde uniquement mon boxer et me glisse dans le lit
à ses côtés, pour l’enserrer dans la chaleur de ce corps qui ne veut plus la
quitter. Le sien, glacé, me paralyse de regrets.
— J’ai… peur…
— Je ne vais pas te laisser, je te le promets… ne cessé-je de souffler
comme un vieux vinyle rayé, trop bouleversé.
Combien de temps s’écoule ? Trop, jusqu’à ce que cette voix douce
qu’à présent j’affectionne comme nulle autre ne soit capable de nouveau de
dire quelques mots.
— Je suis fri…gorifiée, Bo…
— Je sais Brando… répété-je en me collant toujours plus à son dos.
Elle commence à remuer, je tente de la calmer.
— Reste tranquille, tu ne dois pas bouger, il faut te reposer.
Elle parvient à se tourner, malgré l’effort que ça peut lui demander.
— Bouger ne va pas… me tuer, trouve-t-elle le moyen de se moquer
alors qu’elle peine à aligner ses idées. Au contraire, ça… pourrait même…
me réchauffer.
Claquer des dents et trembler ne l’empêche pas de déposer sur mon
torse un baiser de ses lèvres encore gelées avant de se caler. Je resserre mes
bras autour d’elle pour que nos peaux soient à nouveau collées.
— Me voilà rassuré. Si tu arrives à m’envoyer bouler tout en ayant
envie de m’allumer, alors je n’ai plus à m’inquiéter. Tu vas t’en tirer !
Plaisanter pour chasser l’angoisse que je peux éprouver. Une belle
façon de détourner mes pensées.
Les secondes, les minutes continuent de passer.
— J’avais terriblement chaud… il m’en fallait et…
Alors qu’elle parvient à mieux s’exprimer, je souffle un peu, rassuré.
— … Le craving est monté, j’ai paniqué, je ne réussissais pas à me
calmer… tente-t-elle de m’expliquer. Je t’ai appelé, mais… tu n’es pas
arrivé.
Mes boyaux se tordent de culpabilité.
— Brando, je suis tellement désolé. Je n’aurais pas dû te laisser.
— Tu ne peux pas continuellement me surveiller et puis… tu vois,
c’est terminé…
— Moyennant une peur bleue dont je me serais passé.
— Tu as eu peur, c’est vrai ?
— Évidemment que ça l’est ! Qu’est-ce que tu vas t’imaginer ?
J’attends une réponse qui tarde à justifier et n’arrive finalement
jamais. Mais je comprends à son souffle régulier qu’elle s’est enfin laissée
aller aux bras de Morphée. Sentir son cœur battre au rythme du mien et son
épiderme réchauffé contre mon corps qui continue de la couver, achève de
me rassurer. En tout cas pour la nuit qui va s’écouler et j’accepte moi aussi
de plonger dans un sommeil que j’espère réparateur et apaisé.
— Vous êtes bien sur MJK Highway et il est temps pour moi de vous
jouer le titre demandé par Kelly pour son Jimmy. On se retrouve dans
quelques minutes après ce titre qui ravivera pour certains des souvenirs
presque aussi lointains qu’une autre vie…
La voix de Bryan Adams commence à s’élever. Les paroles
d’« Everything I do »me font repenser à la leçon que Marlon a voulu me
donner. Les mots que Bryan peut interpréter ici, je pourrais tout à fait avoir
envie de les prononcer à celle dont j’attends le message aujourd’hui…
Plus d’une heure que Carson Finley enchaîne les déclarations
chantées, et toujours aucun de « ma protégée ». En même temps, je ne
pourrai jamais être certain du moment où l’un des siens sera diffusé.
Comment vais-je pouvoir faire pour tous les jours parvenir à écouter ? La
radio qui me sert a été « empruntée » pour moi par Garcia, mais ici, tout se
monnaie. Et il est évidemment convenu que je doive « rembourser ».
Pourtant, peu importe ce qu’on pourra me demander, je suis prêt. Si
ça peut nous permettre à Brando et moi de communiquer…
Je bois les paroles de Finley avec attention, comme à chacune de ses
interventions :
— … vous êtes toujours plus nombreux à nous écouter et à nous
appeler pour nous demander de passer vos messages à l’antenne, et nous
tenons encore ce soir à vous en remercier…
Je vérifie l’heure qu’il est. L’émission va toucher à sa fin et je suis
dépité. Garcia a mis deux jours avant de négocier le prêt du poste sur lequel
mes doigts sont restés crispés. Trois heures à garder dans mes mains la
radio « old school » et son antenne métallique dépliée pour tenter de capter.
Un objet collector que je tiens comme un trésor et que je ne dois
absolument pas abîmer pourtant, à cet instant, la déception me donnerait
presque envie de le balancer. Si seulement j’étais certain de pouvoir
récupérer un autre appareil pour le remplacer. Car je comprends que ce
n’est pas aujourd’hui que j’aurai un message de vedette préférée…
— Nous sommes sincèrement touchés de votre fidélité, et pour vous
en remercier, dès lundi, nous serons à l’antenne une heure supplémentaire
pour vous tenir compagnie…
Mon cœur flétri reprend un peu vie. Une heure. Une heure de plus à
attendre désespérément le cœur battant. Mais une heure qui changera peut-
être tout. Une heure où j’aurai peut-être le bonheur d’écouter des mots
qu’elle aura choisis pour pouvoir me parler, alors que nous sommes forcés
de rester séparés. Je croise les doigts pour que demain encore, je puisse
emprunter la boîte sonore.
— … Et c’est sur un dernier titre que nous allons nous quitter… “No
one can fix me but you”, de Frawley, demandé par Brando pour son Doe…
Le rythme s’accélère dans ma poitrine. Tout à coup, l’objet que j’ai
entre les mains me fascine. Déjà les paroles défilent…
They say that cigarettes can kill[52] — Ils dissent que la cigarette peut
tuer
They say to stay away from pills — Ils dissent de rester à l’écart des
pilules
That too much liquor makes you ill — Que trop d’alcool te rend malade
But no one warned me about you x2 — Mais personne ne m’a alertée à
propos de toi
They say that drugs will melt your mind — Ils dissent que la drogue va
faire fondre ton esprit
I’ve heart that talk a million times — J’ai entendu ce discours un
million de fois
I’ve always followed warning signs — J’ai toujours suivi les panneaux
d’avertissement
But there were none in front of you — Mais il n’y en avait pas devant toi
No one warned me about you — Personne ne m’a alertée à propos de
toi
Chorus:
You’re gonna send me to the ER — Tu vas m’envoyer aux urgences
With the things you do to my heart — Avec les choses que tu fais à mon
coeur
They could give me all the stitches — Ils pourraient me faire tous les
points de suture
But part of me is missing — Une part de moi me manque
It’s you, it’s you —C’est toi, c’est toi
And oh, my heart breaks when you keep your distance — Et oh, mon
coeur se brise quand tu gardes tes distances
I get headaches, it’s just one of the symptoms — J’ai des maux de tête,
ce n’est qu’un des symptômes
I’m a rare case, and nobody knows what to do — Je suis un cas rare, et
personne ne sait quoi faire
‘Cause no one can fix me but you — Parce que personne ne peut me
réparer sauf toi
Last night I think I dreamt of you — La nuit dernière je crois que j’ai
rêvé de toi
Woke up with tons of black and blue — Je me suis réveillée avec des
tonnes de noir et bleu
I swear to God my heart is bruised — Je jure devant dieu que mon
coeur est meurtri
And I don’t know what I should do — Et je ne sais pas quoi faire
I don’t know what I should do — Je ne sais pas quoi faire
Chorus:
You’re gonna send me to the ER — Tu vas m’envoyer aux urgences
With the things you do to my heart — Avec les choses que tu fais à mon
coeur
They could give me all the stitches — Ils pourraient me faire tous les
points de suture
But part of me is missing — Une part de moi me manque
It’s you, it’s you —C’est toi, c’est toi
And oh, my heart breaks when you keep your distance — Et oh, mon
coeur se brise quand tu gardes tes distances
I get headaches, it’s just one of the symptoms — J’ai des maux de tête,
ce n’est qu’un des symptômes
I’m a rare case, and nobody knows what to do — Je suis un cas rare, et
personne ne sait quoi faire
‘Cause no one can fix — Parce que personne ne peut me réparer
And oh, my heart breaks when you keep your distance — Et oh, mon
coeur se brise quand tu gardes tes distances
I get headaches, it’s just one of the symptoms — J’ai des maux de tête,
ce n’est qu’un des symptômes
I’m a rare case, and nobody knows what to do — Je suis un cas rare, et
personne ne sait quoi faire
‘Cause no one can fix me but you (X2) — Parce que personne ne peut
me réparer sauf toi
Les paroles résonnent comme le plus beau des échos. Je réalise que
grâce à Brando, j’ai revu mes idéaux. De la même manière que moi, ils
étaient ridicules et avaient bien trop de défauts. J’ai compris aujourd’hui
que dérouler ma vie telle que je l’avais imaginée aurait fini par me vider.
L’émission et la chanson terminées, je ne cesse de cogiter aux
propos que Marlon a souhaité me faire écouter. Et sans vraiment y penser,
mon esprit écrit les bribes de la réponse que je pourrais y apporter. Si
seulement cette chanson existait…
Refrain:
You prolly think that you are better now, better now — Tu penses
probablement que tu es mieux maintenant, mieux maintenant
You only say that cause I’m not around, not around — Tu dis
seulement ça parce que je ne suis pas dans le coin, pas dans le coin
You know I never meant to let you down, let you down — Tu sais que
je n’ai jamais eu l’intention de te laisser tomber, laisser tomber
Woulda gave you anything — Je t’aurais donné n’importe quoi
Woulda gave you everything — Je t’aurais tout donné
You know I say that you are better now, better now — Tu sais que je
dis que tu es mieux maintenant, mieux maintenant
I only say that cause You’re not around, not around — Je dis ça
simplement parce que je ne suis pas dans le coin, pas dans le coin
You know I never meant to let you down, let you down — Tu sais que
je n’ai jamais eu l’intention de te laisser tomber, laisser tomber
Woulda gave you anything — Je t’aurais donné n’importe quoi
Woulda gave you everything, oh-oh — Je t’aurais tout donné, oh oh
Refrain
[…]
Deux policiers encadrent mon père. Ce père qui passe à côté de nous
sans même oser nous regarder, pas plus que s’excuser. Et contre toute
attente, d’un geste de la main, Bo demande aux agents de s’arrêter pour lui
parler.
— Il est plus facile de construire un enfant fort que de réparer un
adulte brisé… Mais vous n’avez pensé qu’à vous et fait ce qui vous
arrangeait sans préserver la seule chose qui, pour vous, aurait dû compter.
Le poids de vos mots, de vos actes, aura des répercussions sur elle pendant
encore des années. Mais Marlon sera capable de se relever. À maintes
reprises, j’ai pensé que j’aurais dû refuser ce job que vous me proposiez.
Mais finalement vous avez eu raison de m’engager. Quelqu’un avait
vraiment besoin d’être aidé. Ce n’était simplement pas la personne que
j’imaginais.
Mon Doe se tait. Sous les flashs des appareils qui ne cessent de
claquer, R.J. est emmené pour être interrogé. La juge semble décidée à
l’inculper. Les preuves suffiront-elles à le faire enfermer ?
Bizarrement, malgré tout ce qu’il a fait, cette simple idée me donne
la nausée. Mon père est loin d’être parfait. Il a commis des erreurs, m’a
privée de ma mère, m’a exploitée et a accusé Bo de tous les méfaits,
pourtant… ai-je envie qu’il aille en prison, véritablement ?
J’ignore quand je le reverrai. Cette image de lui n’est pas celle que
je souhaite garder. Aujourd’hui, une part de moi rassemble des morceaux
brisés… quand une autre vient de totalement se disloquer.
Je savoure la chaleur des bras de maman, la douceur de son cœur
résonnant contre mon oreille, le mien se calant sur ses battements. Une
sensation que jamais je n’aurais pensé de nouveau pouvoir goûter. Et je
réalise que j’ai beau avoir eu récemment 18 ans, j’ai toujours besoin de ma
maman. Nous ne rattraperons jamais le temps. Tant de moments perdus,
dont je ne pourrai lui donner qu’un aperçu. Mes propos seront alors
empreints de tristesse, mon âme, probablement à jamais un peu éperdue.
— Tu m’as tellement manqué, ne cessé-je de lui répéter.
Ses paroles sont grevées des mêmes regrets. Nous finissons par nous
séparer pour nous reconnecter. Le monde autour de nous s’était effacé. Mais
alors que je pivote de tous les côtés pour trouver mon Doe, je le vois de dos,
se dirigeant vers la porte avec Grubman tout en échangeant encore quelques
mots.
Maman suit mon regard troublé. Mon cœur ne demande qu’à
accélérer, je meurs d’envie de lui courir après. Mais partagée entre mon
désir de le retrouver et mon bonheur d’avoir de nouveau ma mère à mes
côtés, je ne sais plus où donner de la tête et je n’ose pas bouger.
— Va voir ton ami, ne t’en fais pas… On aura du temps pour nous,
maintenant, toi et moi… du temps que ton père ne nous volera pas.
Maman m’embrasse encore une fois. Je me tourne vers la sortie,
mais Bo n’est déjà plus là.
— Va ! m’incite encore ma mère. Il ne doit pas être loin et quand tu
reviendras, je serais toujours là. Ne t’en fais pas.
Je cours plus vite que jamais. J’arpente le tribunal, me faufile entre
les journalistes, cavale en direction des escaliers puis les dévale. Jusqu’à ce
que je le voie comme perdu dans ce dédale.
— Bo ! Bo, attends-moi !
Je parviens à l’arrêter juste avant qu’il ne sorte du bâtiment.
— Mais où tu penses t’en aller, comme ça ?
— Je… heu… j’avoue que je ne sais pas…
Son esprit semble errer, ses pupilles comme égarées après ce qui
vient de se passer. Comment ne pas comprendre qu’il soit totalement
paumé ? Moi-même, j’arrive à peine à réaliser.
— J’imagine que maintenant, je peux rentrer chez moi… mais je
n’ai même pas mes affaires, elles sont restées là-bas… à la prison d’État.
— On les récupèrera, ne t’inquiète pas.
Ses yeux perdus s’accrochent à moi. Ma main crochète ses doigts.
— En revanche, Bo Dwyer, si tu crois que tu vas te défiler comme
ça… On ne se défausse pas ainsi face à Marlon, espèce de goujat !
— Goujat ? se marre-t-il. Mais qui emploie encore ce mot-là ?
Il tente de plaisanter, mais son visage me laisse deviner que quelque
part, son cœur l’a abandonné.
— Hey bien, apparemment moi ! ris-je en l’attirant à moi.
Ses lèvres se départissent d’un semblant de sourire. Une certaine
gêne paraît l’envahir.
— Où tu crois t’en aller par-là ? Tu as oublié que j’étais là ? Tu dois
bien te douter que je ne vais pas te laisser t’enfuir comme ça !
Je feins également l’amusement. Jouer est aussi l’un de mes talents
pourtant, à cet instant, je devine que le terrain est glissant.
— Marlon, je… je suis désolée.
Bo était ni plus ni moins sur le point de partir. J’ai peur de
comprendre où il va en venir. Et que les prochains mots qu’ils prononcera
ne viennent me meurtrir, alors je fais tout pour ne pas le laisser les dire.
— C’est à moi de m’excuser encore pour tout ce qui est arrivé. Mais
tu as retrouvé ta liberté… et ma tournée est repoussée… Bon, je sais, je vais
devoir la terminer, même si cette fois, c’est mon père qui se fait coller un
procès. Mais en attendant, on peut essayer de profiter sans fuir ou nous
cacher...
Son visage se défait. Son regard reste ombragé. Son corps se raidit
sous mes doigts et ne demande qu’à s’écarter.
— Brando, il faut que tu vives sans moi, désormais.
— Mais je… tu… À présent, tu n’es plus obligé de t’en aller !
décrété-je après avoir hésité. Ma mère a témoigné et t’a disculpé. Plus
personne ne peut nous interdire de partager l’air que l’on respire !
Je me noie dans ses pupilles et mon cœur dégoupille. Chaque fois
que je me laisse capturer, il est prêt à exploser. Captivée par ses prunelles
profondes, incroyables émeraudes dont l’intensité m’inonde, que puis-je
faire d’autre que fondre ?
— Marlon, je sais que je vais te donner l’impression de fuir… peut-
être même de te trahir, mais… J’ai besoin de prendre du recul, de
réfléchir…
Le silence retombe. Mes pensées semblent imploser sous l’effet des
paroles, qu’il a lâchées telle une bombe.
Encore une fois, mon père est parvenu à tout gâcher. Il m’a pris ma
mère pendant des années. Je refuse de perdre Bo et que notre relation fasse
les frais de ses projets et de la vie qu’il m’avait tracée. Je veux être libre.
Libre de vivre et d’aimer.
— Bo, tu ne peux pas partir comme ça… Ne me laisse pas. Nous
avons encore trop de choses à vivre, toi et moi.
— Peut-être que tu dis vrai… Qui sait ? Mais pour le moment, je
souhaite que nous prenions des chemins séparés.
J’aimerais parvenir à parer mon visage d’un sourire. J’échoue
lamentablement et laisse mes larmes inonder mes joues abondamment.
— Bo, ne fais pas ça… je t’en supplie, ne me quitte pas… j’ai
besoin de toi…
Oh, Doe, qu’as-tu fait de moi ? Cette fille qui implore, ce n’est pas
moi, pourtant… face à toi, je ne suis plus que cela… une jeune fille qui ne
jure plus que par toi et qui sera perdue si tu la forces à vivre loin et au-delà
de toi…
— Brando… je ne sais même pas de quoi mon avenir sera fait et…
je n’ai rien à te donner…
— La seule chose dont j’ai besoin, c’est…
J’hésite puis me tais.
La seule chose dont j’ai besoin, c’est d’être aimée… Et peut-être
est-ce précisément ce qu’il se refuse à m’accorder.
— Je suis désolée… murmuré-je la voix étranglée en baissant la tête
sur mes pieds. J’ai bêtement cru que…
Je me retiens de sangloter. Absurde idée, les larmes coincées dans
ma gorge ne font que davantage m’étouffer.
— … j’ai stupidement pensé que… toi et moi, ça aurait pu durer.
Que c’était autre chose que du cul, que quelque chose de plus nous
unissait…
J’ai toujours cru que l’amour naissait d’un sentiment inné. J’ai
songé que naturellement, je saurais et m’y suis essayée. Mais je ne suis
qu’une gamine droguée et paumée qui ne sait pas aimer. Ma première
véritable histoire a duré à peine plus de temps qu’il n’en faut pour prendre
une bouffée d’air frais, et s’est soldée par un Bo écroué pour quelque chose
qu’il n’avait pas fait. Comment ne pas comprendre qu’une fois libéré, son
instinct de survie le pousse à partir le plus loin possible de celle par qui tout
est arrivé.
J’aurais voulu être aussi douée pour offrir mes sentiments que je
peux l’être pour chanter, mais force est de constater que tout le monde n’est
pas fait pour aimer. Qui veut, peut tenter. Et comme moi, se planter.
— Brando, regarde-moi, réclame-t-il en relevant doucement mon
menton d’un doigt.
Le liquide lacrymal devant mes pupilles s’interpose. Le visage de
Bo s’anamorphose.
— Je ne veux pas que tu penses que ce n’était que ça, parce que ce
n’est pas le cas ! Mais tout est si confus pour moi… Je ne peux pas nier ce
que je ressens pour toi. Ce truc que j’ai là, me montre-t-il en pointant
l’endroit, c’est si fort que ça me fait peur, même à moi… Parce que c’est
une sensation que je ne connais pas. Ce que j’ai vécu avant toi, c’était
tellement différent de tout ça !
— Je… crois que je vois…
Une hésitation, une pause… En musique, je joue les virtuoses, mais
en amour, je suppose et jamais mes mots correctement ne composent. Que
puis-je offrir à Bo sinon mes névroses ? À cette idée, mon cœur se nécrose.
— À côté d’une femme comme Ève, comment puis-je faire le
poids ? murmuré-je comme pour moi.
— Attends, mais… De quoi tu parles ? Où est-ce que tu t’en vas
comme ça ?
— J’ai compris le fond de ta pensée. Je ne suis qu’une gamine, je ne
peux pas rivaliser.
— Oh, putain, Brando… T’as même pas idée à quel point tu peux
être hors propos ! Parce que putain, Brando, putain… je croyais que tu avais
senti comme je t’ai dans la peau…
La sincérité dans ses yeux me déroute et me laisse en proie aux
doutes. Mon visage entre ses mains, pris en coupe, je me hisse pour
l’embrasser, mais à peine mes lèvres l’ont-elles effleuré qu’il met fin à ce
timide baiser. Mes larmes recommencent à couler.
— Bo, tu dois m’expliquer parce qu’entre ce que tu dis et ce que tu
fais, j’avoue que je suis totalement paumée…
— Je suis sincèrement navré de te blesser… et que parce que je
souffle le chaud et le froid, tu ne comprennes pas, mais… après ce qui m’est
arrivé, je ne sais même plus comment je peux envisager mon avenir…
Quand je suis avec toi, j’ai l’impression que toute ma vie chavire. J’ai quitté
ma copine, perdu tout ce qui faisait ma vie sans même pouvoir réagir…
— Je suis désolée… osé-je tout juste encore m’excuser pour
rebondir.
D’un rapide signe de la main, Bo chasse mes paroles avant
d’approfondir.
— Marlon, je… J’ai besoin de partir pour tout aplanir. Aujourd’hui,
je ne sais plus à quoi j’aspire. Et si je suis aussi égaré, c’est de réaliser que
je sois capable tout remettre en question pour toi, alors qu’il y a moins d’un
mois, on ne se connaissait même pas… Et crois-moi, ton âge n’a rien à voir
dans ma décision de m’éloigner. Et les merveilles que tu déploies dans
l’intimité me hurlent de ne pas te quitter. Mais c’est justement parce que je
me sens concerné par ce qui peut t’arriver, bien au-delà de la baise et de ses
bienfaits, que je dois m’écarter.
Ses mots me heurtent de plein fouet. Bo tient à moi, maintenant je le
sais. Mais il a besoin de se recentrer et de digérer. Pourtant, est-il nécessaire
pour cela de nous séparer ? J’aimerais parvenir à l’en dissuader, et sans
réfléchir davantage, je m’imagine le retenir avec la seule arme que j’ai. Et
je ne compte pas m’en priver, alors je dois oser. Pour Bo, je me sens
capable de tout tenter.
Je m’approche lentement, à pas feutrés. Et nos yeux ancrés, je
cherche à unir nos cœurs pour lui faire comprendre que, quoi qu’il arrive et
quoi qu’il en pense, désormais, ils sont liés. Quand je me hisse sur la pointe
des pieds, mon cœur vrille et vacille de réconfort, en voyant qu’il ne
cherche plus à s’éloigner, et je murmure alors le cœur serré, nos lèvres
pratiquement scellées :
— Est-ce que ce serait abusé si je pensais une nouvelle fois à te
convaincre de rester ?
Chapitre 53 Marlon
I just need one more kiss
To feel my heart beat underneath
J’ai juste besoin d’encore un baiser
Pour sentir mon cœur battre en dessous
Je n’ai pas le temps de réagir qu’il fond sur mes lèvres pour les
dévorer. Le goût de ses baisers m’avait manqué. Et je comprends aussi que
je dois graver l’instant, imprimer ce moment. Car il s’agit peut-être du
dernier que nous allons partager…
Sa langue se fait délice, la mienne est au supplice de m’imaginer
que nous ne nous embrasserons peut-être plus jamais. Une main au creux de
mes reins cherche à m’attirer quand l’autre caresse mon visage comme si
Bo me vénérait.
Brusquement, ses mots reviennent me frapper. En total décalage
avec la douceur qu’il peut me prodiguer. Je ne dois pas oublier que Bo veut
s’en aller… Que quoi qu’il puisse se passer maintenant, Bo va me quitter et
que je ne sais pas si je le reverrai. Parce que « loin des yeux, loin du cœur »
n’est pas qu’une stupide idée.
Les paupières fermées pour inciter mes sens à s’éveiller, je sens Doe
légèrement me pousser pour m’instiguer à reculer. Je me laisse faire sans
broncher tout en émettant de discrètes onomatopées entre deux respirations
essoufflées. Je ne veux pas, je ne PEUX pas cesser de l’embrasser.
Une porte franchie. Puis une autre contre laquelle mon dos s’appuie.
Je bats des cils pour sortir de la nuit, et voir où Bo nous a conduits.
Presque notre endroit favori pour nous cacher lorsque nous avons
une petite envie, pensé-je en avisant le lieu duquel ne monte pas un bruit. Si
ce n’est celui de nos souffles alanguis.
J’entends à peine le son du loquet que Bo doit fermer. Il a raison, on
ne sait jamais… Bien que plusieurs personnes aient dû nous voir entrer en
devinant ce qui allait se passer. Une fois encore, Marlon la pop star va
pouvoir faire jaser. J’imagine déjà les titres s’étaler :
« Partout où elle va, elle ne peut pas s’empêcher de se faire
sauter. »
Je m’en moque, je ne suis plus à ça près. Bo est sur le point de me
quitter, j’ai besoin de prendre ma dose de lui avant que tout ne soit terminé.
Nos souffles mêlés, je me laisse emporter par ses baisers passionnés
et ses caresses empreintes de volupté. N’importe qui pourrait rentrer, nous
écouter… même pas je ne le remarquerais.
Ses doigts glissent sous ma jupe pour se faufiler sous ma dentelle.
Inutile de me titiller bien longtemps pour que je chancelle. Tourmenter
l’orée de mon temple sans y pénétrer semble l’exciter. Bo sait m’attiser
comme jamais personne ne l’a fait. Quand son pouce s’active sur mon
piercing et vient me taquiner, j’exhale tout l’air que je retenais. Le plaisir
qui gonfle ma poitrine n’autorise pas plus longuement mes poumons à
l’emprisonner. Le souffle court, j’ai tout autant hâte de me laisser emporter
vers mille et une voluptés, que je meurs d’envie d’en repousser les effets,
pour mieux m’en délecter.
Quand je sens sa bouche m’abandonner, un gémissement de
déception que je ne peux réprimer quitte mes lèvres, délaissées. Je rouvre
les yeux pour les poser sur Bo qui s’empresse de s’agenouiller, tout en
s’arrangeant pour que ma jupe cesse de retomber. Le tissu coincé dans la
ceinture, le tour est joué.
— J’ai autre chose à faire que perdre du temps avec tes vêtements…
maugrée-t-il en écartant davantage ma petite culotte d’un doigté habile.
Son souffle chaud chatouille ma peau. Un élancement violent larde
déjà mes reins, comme une dizaine de couteaux.
— Bordel, Brando… s’enflamme-t-il en admirant encore cette part
de moi qui le laisse sans voix.
Ce diamant brut dans lequel son œil se noie. Sa langue se pose une
première fois sur cet endroit.
— Est-ce que tu sens ce que tu fais naître en moi ?
Il s’écarte pour me contempler, examinant la moindre courbe, le
plus infime détail, comme si rien ne devait lui échapper.
Sa langue revient un peu plus longuement cette fois, puis de
nouveau s’en va.
— Est-ce que tu comprends que je suis comme empoisonné ? Que tu
es ma drogue et je pourrais mourir d’en redemander ?
Nos yeux viennent s’éperonner. Ses mots entrecoupés de
mouvement savamment étudiés, je suis déjà prête à basculer.
— … L’envie de toi coule maintenant dans mon sang à chaque
instant. Lorsque tu n’es pas là, je suis rongé d’un mal lancinant…
Sa langue accompagne à présent ses doigts, et vice versa.
— Tu as tes démons et moi je t’ai toi…
Ma jambe se love à son épaule jusqu’à s’y poser. Je glisse une main
sous mon top pour libérer la pointe de mes seins dressés. J’aguiche l’un des
anneaux qui viennent les orner et joue à le tirer.
— Est-ce que tu saisis l’effet que tu me fais ? À quel point j’ai mal
de devoir nous sacrifier ? Que j’ignore comment je vais parvenir à me
sevrer, mais que je dois à tout prix m’éloigner ?
— Reste… reste, le supplié-je alors que sa langue commence à
tournoyer.
Mes gémissements s’élèvent, un grognement rauque ne tarde pas à
lui échapper. Je devine à quel point il peut se délecter, tout en me rappelant
ces mots qu’il a pu un jour lancer :
« Je crois que je vais sans arrêt avoir envie de te bouffer… »
Ce que je lui permets sans aucun regret.
— Tu ne peux pas me laisser, agonisé-je alors que mes entrailles
commencent à s’enflammer.
Les murmures de son timbre viennent me caresser. À aucun moment
ses pupilles ne m’ont lâchée, accentuant les effets de chaque égard qu’il a
pu me prodiguer. Je sens les spasmes dans mes reins monter et mon ventre
se contracter. Je m’accroche à ses cheveux jusqu’à vraiment les tirer, lui
arrachant un grondement entre plaisir et sensualité. Étonnant comme sexe et
douleur savent parfois si bien se compléter.
— Je n’ai pas envie de te quitter… souffle-t-il sans cesser de me
cajoler, mais il le faut. Tu dois d’abord te trouver.
Ses paroles tournent, montent à mon esprit pour s’y infuser,
s’infiltrer, s’immisçant jusqu’à mon cœur pour le dévaster.
Quoi qu’il advienne, même si Bo m’aimait, il s’en irait…
J’abdique, résignée, mon âme ruinée, ravagée. Tout comme mon
corps que l’orgasme vient foudroyer.
Je m’abandonne aux convulsions, en proie à une certaine confusion.
Je reprends doucement ma respiration alors que la bouche de Bo, pas prêt à
me délaisser, escalade mon corps en disséminant de langoureux baisers.
Mes doigts dans ses cheveux l’incitent à continuer. Ses dents viennent
agacer, pincer l’une de mes aréoles érigées.
Mon souffle retrouvé, je savoure les frissons qui continuent de se
propager. Bo décide finalement que nos lèvres doivent de nouveau se
rejoindre et revient m’embrasser. Mais au lieu de me repaître de ses baisers,
je pense moi aussi à lui offrir les faveurs qu’il m’a lui-même accordées.
Nos places échangées, je suis à présent celle qui est à ses pieds
quand son dos à lui cherche à s’appuyer.
Je m’amuse à le provoquer en tirant la langue pour lui rappeler un
détail qui fait chaque fois son petit effet. Le piercing dont elle est également
décorée…
— Putain, Brando… tu me donnes tellement chaud…
Je me lèche les lèvres de façon exagérée, pour bien le lui montrer et
l’émoustiller. Et tout comme il l’a fait, je m’ancre à ses billes de jade qui
voudraient me tancer.
— Est-ce que tu sais que j’ai fait de la fellation une de mes
spécialités ? gloussé-je juste avant de le goûter.
Un rugissement rauque s’extrait, la tension entre nous à son apogée.
— Tu vas finir par me tuer…
— Ce n’est pas exactement ce que j’ai envisagé… Attends, je vais
plutôt te montrer à quoi je pensais…
Impétueuse, malicieuse, je pose une nouvelle fois ma langue sur sa
peau fine et soyeuse. Incapable de patienter, elle se fait plus audacieuse, se
voulant déjà aventureuse. Et jouant de la boule d’acier, je m’amuse à le
tourmenter en la faisant rouler, tout en caressant sa verge bandée. Mais
lorsque les hanches de Bo entament un léger mouvement de balancier, je
comprends que tout comme moi, il est pressé et que je peux accélérer. Ses
va-et-vient dans ma bouche m’invitent davantage à saliver et mes lèvres
finissent par totalement l’entourer. Ma langue s’enroule sur son sexe encore
et encore, lui arrachant un râle sans aucun effort. Je n’éprouve aucune honte
à le supplicier de plaisir sans l’ombre d’un remords et m’active sur sa
virilité et l’honore.
— Marlon, bébé… s’escrime-t-il à m’expliquer en parvenant à peine
à parler… arrête, je vais…
Je sais… et c’est exactement là où je veux t’emmener… jusqu’à me
délecter de ta semence nacrée. Avec les autres, ça ne m’a jamais tentée,
mais avec toi, j’ai envie de tout goûter.
Qui eût cru que je n’aie encore jamais essayé, vu l’expérience
sexuelle que j’ai ? Détail que je m’abstiendrai de souligner…
Je soutiens son regard pour lui assurer que j’ai conscience de ce que
je fais et que je ne souhaite pas arrêter. La seconde d’après, je me gorge de
son liquide chaud et épais, tout en savourant la vision de cet homme en train
de basculer entre plaisir et volupté. Cet homme qui m’a tant donné. Cet
homme dont je vais bientôt être privée.
Chapitre 54 Marlon
You were my drug, you were my pills
My alcohol, you made me thrill
Tu étais ma drogue, tu étais mes pilules
Mon alcool, tu me faisais frissonner
I’ll love you through the highs and through the lows[59] — Je
t’aimeraidans les hauts comme dans les bas
So you can call me whenever, about whatever — Alors tu peux
m’appeler n’importe quand
I’m here for you, for the rest and forever — À propos de n’importe quoi,
je suis là pour toi, jusqu’au bout et pour toujours
A lifetime with you doesn’t seem that long — Toute une vie avec toi ça
ne paraît pas si long
I’m lovesick, got an illness — J’ai le mal d’amour, j’ai une maladie
If we don’t make it work positive, it’s gonna kill me — Si on n’y arrive
pas, ça me tuera
Derrière mes côtes, les percussions propagent de violentes
impulsions. Je rouvre la porte, en larmes et en proie à une certaine
confusion.
Ces mots, Bo les a empruntés, comme je l’y avais invité lorsque
nous avons commencé à nous parler en chansons. Pourtant, je n’ai plus de
doute sur le fait que nos âmes soient entrées en collision.
Okay, Okay, Okay, it’s gonna be alright — Okay, Okay, Okay, tout va
bien se passer
No plan to vice can devide you and I —Aucun plan vicieux ne peut nous
séparer toi et moi
New coupe, it fits two inside — Nouveau coupé, on y tient à deux
Let’s go, we can drive — Allons-y, partons faire un tour
Down to the water, you’re pullin’ me in like a riptide — Cap sur la mer,
tu m’attires à contre courant
The world stops — Si le monde s’arrête
Baby, I’ll be right there by your side —Bébé, je serai là à tes côtés
I found something I didn’t believe ‘til now — J’ai trouvé quelque chose
en quoi je ne croyais pas jusqu’à maintenant
I drink the potion she makes, this girl is magic — Je bois la potion
qu’elle m’a faite, celle fille est magique
First time for everything, but this shit is drastic — C’est la première fois
pour tout, mais c’est radicalement la merde
She got me diggin’, got me building a casket — Elle me fait kiffer au
point de me faire construire mon cercueil
I hope there’s something interesting on the classic — J’espère qu’il y a
quelque chose d’intéressant chez cette beauté fatale
I’ll love you through the highs and through the lows… — Je t’aimerai
dans les hauts comme dans les bas…
Marlon :
Once upon a time — Il était une fois
A girl met a stranger — Une fille qui rencontra un inconnu
He caught her in his eyes — Il la fit prisonnière de ses yeux
His gaze like danger — Son regard comme un danger
She tried to free her mind — Elle essaya de libérer son esprit
But their souls were entwined — Mais leurs âmes étaient liées
Someone said love is blind —Quelqu’un a dit que l’amour était aveugle
This one was a sign — Celui-ci etait un signe
Bo :
Chorus :
Life is such a long path — La vie est un si long chemin
To travel with your wrath — Pour voyager avec ta colère
So take my hand, leave your stuff — Alors prends ma main, laisse tes
problèmes
You don’t need to keep it rough — Tu n’as pas besoin de les garder si
c’est trop dur
Let my arms hold you tight — Laisse mes bras te serrer fort
I’ll take you through the coldest night — Je t’accompagnerai dans la
nuit la plus froide
And if the lights are blurred or unlighted — Et si les lumières sont
floues et éteintes
Don’t worry, I’ll be your knight — Ne t’inquiète pas, je serai ton
chevalier
Bo :
Dothy showed you the world could glow — Dothy t’a montré que le
monde pouvait briller
You can’t stay here until the dawn — Tu ne peux pas rester ici jusqu’à
l’aube
‘Cause baby, if the lights are low — Parce que bébé, si les lumières sont
faibles
You won’t be able to see the rainbow — Tu ne pourras pas avoir l’arc en
ciel
Marlon :
Chorus :
Life is such a long path — La vie est un si long chemin
To travel with my wrath — Pour voyager avec ma colère
I take your hand and leave my stuff — Je prends ta main et laisse mes
problèmes
I don’t need to keep it rough — Je n’ai pas besoin de les garder
puisque c’est trop dur
I let your arms hold me so tight — Je laisse tes bras me tenir si fort
You’ll take me through the coldest night — Tu m’emmèneras à
travers la nuit la plus froide
And if the lights are blurred or unlighted — Et si les lumières sont
floues ou éteintes
I don’t worry, you’ll be my knight — Je ne m’inquiète pas, tu seras
mon chevalier
Bo:
I promise, your heart won’t be blown — Je promets que ton coeur ne
sera pas soufflé
I’ll protect the petals of your rare rose — Je protégerai les petals de ta
rose rare
Marlon:
You saw behind my darkest lights — Tu as vu derrière mes lumières les
plus sombres
Never believed life could be so bright — Je n’ai jamais cru que la vie
pouvait être si brillante
Marlon and Bo :
Chorus :
Life is such a long path — La vie est un si long chemin
To travel with our wrath — Pour voyager avec notre colère
We joined our hands and leave our stuff — Nous avons joint nos
mains et laisse nos problèmes
We didn’t need to keep it rough — Nous n’avions pas besoin de les
emporter puisque c’est trop dur
I let your arms hold me so tight — J’ai laisse tes bras me tenir si fort
We’ll just go through the coldest night — Nous traverserons la nuit la
plus froide
And if the lights are blurred or unlighted — Et si les lumières sont
floues ou éteintes
We don’t worry, we won the fight — Nous ne nous inquiétons pas,
nous avons gagné le combat
Épilogue Marlon
Once upon a time,
A girl met a stranger who caught her in his eyes
Il était une fois,
Une fille qui rencontra un inconnu qui la fit prisonnière de ses yeux
FIN
NOTES
[1] Aux États-Unis, la mesure est le degré Fahrenheit. Ici, 104° équivalent à 40°
Celsius.
[2] Vertiges
[3] Le titre « I’m alright » de Kenny Loggings fait partie de la playlist du roman. À
écouter à tout moment pour retrouver la bonne humeur en un instant.
[4] « … qu’on a faites », n’est-ce pas ? Mais à 4 ans, est-ce qu’on se soucie de ça ?
[5] Clin d’œil au personnage de Daenerys Targaryen dans le roman/la série télévisée
G.O.T. (Game Of Throne)
[6] Le NYU Rory Meyers College of nursing est le deuxième plus grand collègue
universitaire privé de sciences infirmières aux États-Unis. Il est situé à Manhattan.
[7] Hôpital dans l’Upper East Side, Manhattan, NYC
[8] La National Football League est une association d’équipes professionnelles de
Football Américain.
[9] Los Angeles
[10] Ryker Jensen
[43] Ah, oui, je ne vous avais pas dit. Chez les parents de Bo, les voitures ont des
noms aussi. Vous aurez probablement compris l’hommage à Jimmy, ici.
[44] Évidemment, vous avez la réf ! Hugh Grant a des griffes qui lui ont poussé et
entre temps, Julia Roberts a déménagé. Aah ! Notting Hill et son quartier ne sont plus ce qu’ils
étaient. (Référence au film Coup de foudre à Notting Hill)
[45] Est-ce que je traduis, pour ceux qui n’auraient pas compris ?
[46] La chanson « Don’t call me Brando » a été écrite exclusivement pour ce roman.
[47] Le Cours Préparatoire
[48] Les droits Miranda et l’avertissement Miranda sont des notions de la procédure
pénale aux États-Unis. Elles furent dégagées par la Cour Suprême en 1966 dans
l’affaire Miranda vs Arizona.
[49] À ce jour, Allen Grubman est l’un des avocats les plus en vogue à Hollywood.
[50] Père en espagnol
[51] Pat Hibulaire est un personnage de fiction créé en 1925 par les Studios Disney.
Malfaiteur, spécialiste d'entreprises malhonnêtes en tout genre, ce gros chat noir
anthropomorphe s'est rapidement imposé comme l'un des méchants les plus redoutables de
l'Univers de Mickey Mouse, bien que le personnage soit né avant Mickey.