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REPORTAGE EN SERBIE

À BELGRADE,
UN ANCIEN
CAMP NAZI
«OUBLIÉ»
Des jeux ont été installés sur le site de l’ancien camp, près de logements construits à la place de bâtiments bombardés en 1944. B. Quattrone
page 2 • Jeudi 4 janvier 2024

Un ancien camp nazi «oublié» AU CŒUR D’UNE CAPITALE EUROPÉENNE


À Belgrade (Serbie), le 23 novembre 2023
1 450 km Le

«
Q
Da
nu uand je passe le pont 6400 Juifs (femmes, enfants et
be
pour aller à Belgrade, personnes âgées) ont été enfer-
ROUMANIE je vois cette tour. À més avant d’être, de la mi-mars
Staro Sajmište chaque fois, je pense aux victimes au 8 mai 1942, gazés dans un
Belgrade gazées dans le camion», mur- camion spécial: le pot d’échappe-
SERBIE mure Brane Popovic, 77 ans, ment était redirigé vers la partie
Belgrade
e membre de la communauté juive arrière du véhicule et les gaz
de Belgrade, la capitale de la Ser- intoxiquaient les Juifs qui y
av

KOSOVO S 0 1 km
La bie. En plein centre de cette ville avaient été entassés. C’est dans
(voir carte) se trouve un site mar- ce camp aussi, qu’après les Juifs,
quant de la Seconde Guerre mon- 32000 opposants aux nazis ont
diale (1939-1945), qui peine pour- été enfermés, jusqu’en juillet 1944.
tant à être tiré de l’oubli: l’ancien Plus de 10 000 y sont morts, de
camp nazi de Staro Sajmište, maladie et de mauvais traite-
symbolisé par la tour de son bâti- ments, ou fusillés comme otages.
ment central (photo). C’est là que, Bruno Quattrone
à partir de la fin de l’année 1941, (envoyé spécial en Serbie)

B. Quattrone
ENFERMÉS PUIS Un ancien camp nazi «oublié»
GAZÉS PAR MILLIERS
À Belgrade (Serbie), le 21 novembre 2023

E
n français, «Staro Sajmište» peut
se traduire par «ancien parc des
expositions». Ce lieu, ouvert à la
fin des années 1930, est constitué de
plusieurs bâtiments, appelés «pavil-
lons», portant pour certains le nom du
pays ayant payé leur construction: pavil-
lon italien (photo, en 2023), pavillon
turc… Après avoir envahi
Yougoslavie.
la Yougoslavie en avril Pays du
1941, les Allemands choi- sud-est de
sissent cet endroit pour l’Europe ayant
y enfermer, avec l’aide du existé sous
gouvernement serbe de plusieurs
formes de 1918
collaboration, les Juifs à 2003. Il a
de Belgrade, excepté les regroupé
hommes (ils sont déte- jusqu’à sept
nus ailleurs et fusillés). pays actuels
«Tous les Juifs de Staro (Serbie, Croatie,
Slovénie,
Sajmište ont été tués en Monténégro,
moins de deux mois, rap- Bosnie-
pelle l’historien Milan Herzégovine,
Ko l j a n i n , ex p e r t d u Macédoine
mémorial en cours de du Nord et
Kosovo).
création sur le site (lire
p.7). Le camion à gaz transportait
78 personnes à chaque voyage et il y
avait parfois deux voyages par jour.» La
direction du camp faisait croire aux Juifs
qu’ils étaient transférés dans un camp
où leurs conditions de vie seraient meil-
leures. Mais ils étaient gazés dès que le
Jeudi 4 janvier 2024 • page 3

camion quittait Staro Sajmište. Le véhi-


cule traversait ensuite Belgrade jusqu’à
un charnier situé de l’autre côté de la
ville. Dès mai 1942, le commandement

B. Quattrone
allemand en Serbie était fier de dire que
ce pays était «débarrassé de ses Juifs».
page 4 • Jeudi 4 janvier 2024

Un ancien camp nazi «oublié»

UNE MORGUE DEVENUE RESTAURANT


À Belgrade (Serbie), le 22 novembre 2023

«
À
partir du 16 avril g o s l a v e s d e l ’é p o q u e
1944, Belgrade espèrent transcender les
est bombardée horreurs de la guerre.» Les
par les Alliés. Des pavillons décennies passent. «Dans
du camp sont détruits», les années 1990, des per-
explique l’historien sonnes défavori-
Milan Koljanin. «À la Socialiste. sées viennent vivre
Du socialisme,
place, on construit sur le site, ajoute
critique du
des bâtiments où capitalisme, l’historienne. Au
s o n t l o g é e s l e s apparue moment où le tra-
personnes qui vont au XIXe siècle, vail de mémoire au
construire la “nou- pour plus sujet de la Seconde
de justice
velle Belgrade”, sur Guerre mondiale
sociale
la rive gauche de la (moins émerge partout ail-
Save, en face de la d’inégalités). leurs en Europe, il
vieille ville, retrace La politique ne se passe rien ici,
Olga Manojlović et l’économie car la Yougoslavie
(entreprises,
Pintar, historienne est alors en guerre
surtout) sont
spécialiste des lieux vues comme civile [NDLR: plu-
de mémoire. Après des biens sieurs conflits entre
la Seconde Guerre communs 1991 et 2001 abouti-
mondiale, l’heure à ne pas ront à la disparition
laisser à la
est à la reconstruc- du pays].» L’an-
bourgeoisie
tion, à l’édification (et aux cienne morgue du
d’une société nou- capitalistes, camp, installée
velle, socialiste. propriétaires dans le «pavillon
Dans les pavillons des entre- turc», devient un
prises).
encore debout, des restaurant. On peut

B. Quattrone
artistes s’installent. Transcender. encore aujourd’hui
Les dirigeants you- Dépasser. y manger (photo).
LES «OMBRES DU PASSÉ» Un ancien camp nazi «oublié»
À Belgrade (Serbie), le 23 novembre 2023

«
Q
uand j’ai acheté le pavillon
Spasić, en 1998, on ne m’a
rien dit. Et je ne connaissais
pas l’histoire de ce lieu, affirme Miodrag
Krsmanovic (photo). L’intérieur du bâti-
ment était totalement délabré. Moi, j’avais
une entreprise de construction. Je voulais
faire un hôtel. J’ai dépensé beaucoup
d’argent pour tout rénover. Quand le
pavillon a été remis en état, on m’a expli-
qué que ce n’était pas possible: “On ne
peut pas faire dormir des gens là à cause
des ombres du passé”, m’a-t-on dit.» Le
pavillon Spasić était l’hôpital du camp de
Staro Sajmište. Sa vente, par une struc-
ture de l’État, n’aurait pas dû être autori-
sée. Elle a d’ailleurs été annulée, 20 ans
plus tard. Entre-temps, Miodrag Krsma-
novic a transformé le lieu en discothèque,
en restaurant, puis en salle de sport, ce
qu’elle est encore aujourd’hui. « En 2017,
j’ai voulu ouvrir un jardin d’enfants ici.
Mon but, c’était de donner une nouvelle
existence au lieu, de montrer que la vie
doit continuer.» Aujourd’hui, l’ancien
entrepreneur se dit favorable à ce que
Staro Sajmište — y compris le pavillon
Spasić — devienne un mémorial. Mais
l’imbroglio juridique n’est pas terminé,
car Miodrag Krsmanovic demande à être
remboursé de l’argent investi dans la res-
tauration du bâtiment.
Jeudi 4 janvier 2024 • page 5

B. Quattrone
page 6 • Jeudi 4 janvier 2024

Un ancien camp nazi « oublié »

LES SERBES POSÉS EN VICTIMES


À Belgrade (Serbie), le 21 novembre 2023

C
omment expliquer gée. Mais elle est dédiée à
que Staro Sajmište toutes les victimes des nazis
ne soit pas devenu et des fascistes en Yougos-
un lieu de mémoire? Il y a eu lavie, en insistant sur les vic-
la volonté de passer à autre times serbes (effectivement
chose après la Seconde nombreuses). «Le souvenir
Guerre mondiale, puis les de la Seconde Guerre mon-
guerres des années 1990 diale est instrumentalisé
(lire p. 4), mais ce n’est pas par des élites politiques
tout. «Après 1945, on évo- serbes pour poser les
quait davantage les grandes Serbes en victimes, tout au
batailles gagnées par les long du XXe siècle et jusqu’à
partisans [NDLR: les résis- aujourd’hui, analyse Olga
tants] que les victimes, Manojlović Pintar. L’idée,
relève Milan Koljanin. Et, derrière cette victimisation,
quand on en parlait, on sou- est de remettre en cause les
lignait qu’elles étaient tom- frontières existantes pour
bées héroïquement pour la arriver, à terme, à faire vivre
construction d’une nouvelle tous les Serbes dans le
société socialiste.» En 1974 même pays [NDLR: de
puis en 1984, des plaques fortes communautés serbes
commémoratives ont été sont présentes dans des
posées sur le site de l’ancien pays voisins: Kosovo, Bosnie-
camp. Outre qu’elles n’indi- Herzégovine…].» Nenad
quaient pas le bon nombre Fogel, président de la com-
de victimes (40000, alors munauté juive de Zemun,
que le nombre réel est d’en- un quartier de Belgrade,
viron 18000), elles ne men- ajoute: « Le camp de Staro
tionnaient pas la spécificité Sajmište a été créé pour
du massacre des Juifs. Staro “résoudre la question juive”
Sajmište n’était pas consi- à Belgrade, c’est-à-dire tuer
déré comme un lieu de la tous les Juifs. Ne pas le dire
Shoah, mais comme un clairement, c’est dissimuler
symbole de la souffrance la responsabilité du régime

B. Quattrone
yougoslave. En 1995, une serbe ayant collaboré avec
sculpture (photo) a été éri- les nazis pendant la guerre.»
UN MÉMORIAL… ET D’AUTRES ENJEUX mémoire de la Shoah.» mémorial soit finalement Un ancien camp nazi «oublié»
Quand on l’interroge sur le installé dans l’ensemble des
À Belgrade (Serbie), le 23 novembre 2023 calendrier de ces travaux, pavillons. Selon elles, il y a
l’historien répond ne pas trop d’enjeux immobiliers et

U
n mémorial a fina- héberge ensuite, en 2025, savoir. Des artistes vivent financiers. Staro Sajmište
lement été fondé à une exposition permanente, toujours dans les pavillons est situé en plein centre-
Staro Sajmište il y a avance Milan Koljanin. À italien et tchèque, une pro- ville, à côté d’un quartier
un an et demi, mais il n’en terme, le mémorial com- cédure est en cours concer- moderne (photo). D’autres
est qu’au tout début de sa prendra la tour mais égale- nant le pavillon Spasić… Et utilisations du site sont pos-
concrétisation. «La rénova- ment les pavillons encore Milan Koljanin ignore la date sibles, et pécuniairement
tion de la tour (photo en existants: le pavillon italien, de fin de bail du restaurant intéressantes. Un témoin
p.2) est quasiment termi- le pavillon Spasić, le pavillon installé dans le pavillon turc. impliqué dans le dossier
née. En 2024, ce bâtiment tchèque et le pavillon turc. Sous couvert d’anonymat, résume: «Il va y avoir un
accueillera une exposition Ils seront rénovés les uns plusieurs personnes ren- mémorial, oui, dans le bâti-
temporaire sur l’histoire après les autres. Le pavillon contrées lors de ce repor- ment de la tour. Mais je
du camp. Il est prévu qu’il Spasić sera consacré à la tage disent douter que le pense que ce sera tout.»
Jeudi 4 janvier 2024 • page 7

B. Quattrone
08 INTERVIEW FILMS Par Frank Rousseau, correspondant à Hollywood GUSTAVO ZERBINO

CV Gustavo Zerbino est né en 1953 en Uruguay.


Le 13 octobre 1972, ce joueur de rugby est
Il fait partie des 16 survivants (sur 45). Le
réalisateur Juan Antonio Bayona consacre
avec son équipe dans un avion en route vers le un film à cet événement: Le Cercle des neiges
Chili quand l’appareil s’écrase dans les Andes. sort aujourd’hui en exclusivité sur Netflix.

“Ce film retrace avec un réalisme glaçant


le drame que nous avons vécu”
Vous êtes l’un des survivants d’un terrible crash survenu en 1972.
Que pensez-vous de ce nouveau film consacré à cette histoire?
Gustavo Zerbino: Juan Antonio Bayona, le réalisateur, a choisi de retra-
cer ce drame avec un réalisme glaçant. Il a filmé à la manière d’un docu-
mentaire, ce qui donne des images très fortes et des dialogues sans
fioritures. Il est latino, comme nous, et nous ressentons les choses dif-
féremment des Anglo-Saxons.

Pouvez-vous revenir sur le moment du crash?


Avant que l’avion s’écrase, j’ai enlevé ma ceinture de sécurité, je me suis
levé et je me suis accroché au plafond. Quand l’avion a percuté la mon-
tagne, il s’est brisé exactement là où j’étais assis. L’ami assis à côté de
moi a été éjecté et est mort. Après le choc, j’ai ouvert les yeux. À moins
de 30 centimètres de moi se trouvait un corps disloqué. Pour sortir, j’ai
dû lui marcher dessus. Dans ces moments-là, on ne réfléchit pas, on ne
se pose pas de questions, on agit. C’est l’instinct de survie.

Que s’est-il passé juste après l’accident?


Nous errions, complètement sonnés. Je n’arrivais pas à croire que j’étais
encore vivant. Les sièges étaient empilés les uns sur les autres. Il y avait
des morts, des blessés… Nous nous étions écrasés sur un glacier. Nous
n’avions pas de nourriture. Les seuls vêtements que nous avions étaient
ceux que nous portions: des chaussures de ville, des chaussettes en
nylon, un pantalon, une chemise, un blazer, une cravate… Quand
quelqu’un mourait, nous récupérions ses habits. La nuit, les températures
pouvaient tomber à – 40°C. En revanche, la journée il pouvait faire très
chaud. Nous nous sommes adaptés, nous n’avions pas le choix.

Pour survivre, vous avez dû vous résoudre à manger les morts…


Pour apaiser notre soif, nous buvions de la glace fondue. Mais la faim
était insupportable. Un cadavre est une source de protéines. Nous avons
affronté l’un des pires tabous de l’humanité: se nourrir de chair humaine.
Je me souviens de ma première bouchée. J’ai eu des haut-le-cœur puis
j’ai avalé. C’était le seul moyen de retarder la mort.
DR

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