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F E N ÊT R E S U R G O N C O U R T

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Concours de nouvelles édition n°2:


Recueil de septembre 2023
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Thème: À l’envers

Fenêtre sur Goncourt


Table des matières

1. De l’Esprit en dehors des lois……………………………………….4

2. Serial killer superstar………………………………………………10

3. Barbera……………………………………………………………..20

4. Nihonbashi…………………………………………………………25

5. Horizon des événement……………………………………………36

6. Digressions fragmentaires et poétiques sur la notion d’envers……41

7. La face-B obscure……………………………………………….....47

8. Les ailes du plaisir………………………………………………....53

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De l’esprit en dehors des lois.

Comme tous les soirs, il peigna, cette fois-ci était le jour des Perséides, il avait
donc pris une toile de format Univers. À 22:00 pile, il lâcha son premier coup de
peinture, le premier d’une longue suite de traits. Un trait rouge pourpre vertical
scindant la peinture en deux. On aurait eu l’impression que l’univers lui-même
se faisait scinder en deux. Et dans cet élan créatif, il ajouta du jaune fluorescent,
du bordeaux et du sénite. Une forme en naquit une forme étrangère et inconnue.

Le peintre s’arrêta quelques minutes pour laisser ses pensées vagabondées, pour
enfin reprendre son élan créatif. Il tenta de distinguer ce qu’était cette forme
davantage, ce qu’elle était, était-elle un être humain ? Un animal ? Lui-même ne
le savait pas. Mais il continua de peindre de façon déterminée malgré tout.
Son attention complète fut focalisée pendant deux heures sur cette seule forme.
Elle devint tout pour le peintre, son objet de création et de désir. Comme un
forcené, il ajouta couche après couche de peinture, créant un relief immense
entre le rouge éclatant et la blancheur du reste de la toile.
C’est alors qu’au moment où, il pensait avoir enfin arrivé à peindre cette forme,
objet de son obsession depuis deux heures, que son chat lui rendit visite à sa
fenêtre. Naturellement, il lui ouvrit la porte et le chat sauta sur son maitre, se
lovant contre lui, ronronnant, s’écartant et s’enroulant autour du peintre. Il
connaissait bien ce chat, c’était le chat que sa mère lui avait laissé après sa mort
il y a de cela quelques années. L’animal dégageait une chaleur envoutante. Il se
lova contre lui, se tortilla et se retourna. Il s’étira dans une pleine confiance,
laissant son ventre entièrement libre de se faire toucher par son maître. Malgré
cette scène réconfortante, une ombre resta dans les profondeurs de l’abîme
qu’est son esprit. C’était la forme qu’il avait poursuivie depuis plus de deux
heures durant, il se sentit accablé, figé mentalement, bloqué.
Le chat s’agrippa avec ses griffes de façon à ne pas tomber trop violemment. Le
peintre sentit des remords d’avoir agi aussi violemment. Il observa le petit

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mammifère familier aux yeux enchanteur partir tandis que lui se retrouva seul. Il
regarda sa peinture quelques secondes, il reprit son pinceau et resta figé. Dans
sa tête, un tumulte émotionnel semblait être en train de chambarder sa
perception de la réalité. Ses émotions l’empêchaient de peindre cette forme. Il
décida de s’intéresser à tout ce qui entour cette forme énigmatique. Il peigna de
démarche frénétique, tout autour de la toile, un quadrillage complexe
ressemblant à ceux qui existent dans la théorie des cordes. Il créa un quadrillage
comme Mondrian encadrant la forme. En peignant, il rentra dans un état mental
et psychique qu’il lui fit croire que la forme elle-même avait commencé à
bouger. Il était en mesure de voir la peinture se déplacer d’un des coins de ses
yeux.
À force d’essayer de voir ce que cette forme recèle, il décida de l’ignorer, la
peinture commença à l’englober et il se retrouva dans un autre monde. Un
monde dans lequel cette forme est movible, et lui, un simple spectateur. Il était
de l’autre côté du tableau. Il pouvait voir des personnes commenter les reliefs, la
qualité textuelle, le réalisme et l’émotion capturés.

“-Mais, tu sais ce qui cloche dans cette peinture ?” dit une femme avoisinant
une quarantaine d’années

-Je cherche. Dit un homme qui semblait être son conjoint

-C’est ce visage. Regarde-le attentivement.


-Je suis en train de le faire !

-On dirait qu’il est trop réel, trop choqué. Trop triste. Le contraste de lumière
nous donne une vision si triste de l’humain que j’ai l’impression qu’il est damné
rien que par son visage. Et c’est sans parler de la posture ! La posture
recroquevillée symbolisant cette espèce d’esprit tortueux, ne faisant pas
véritablement faire de vague. Il veut nous faire croire qu’il veut être important.
Alors qu’en réalité, c'est tout le contraire !

-Le conjoint hocha la tête, exprimant son accord avec ce que sa femme venait de
dire.

Le peintre, coincé dans le tableau, essaya d’exprimer son opinion sur ce dont il
venait de discuter. Il en était incapable, simplement parce qu'il n’en avait pas sur

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ce qu’elle venait de dire. Il n’était pas sûr si on s’adressait à lui, ou à sa
peinture.
L’homme rétorqua.
“-Cependant, la peinture est extrêmement magnifique ! C’est fou, regarde la
différence de relief entre le contour et le centre de la toile, et puis à l’intérieur, la
couleur vivide me faisant voyager dans un autre monde. C’est sans même parler
du prolongement du trait autour de l’homme.. Comment est-ce que cet être
filiforme est-il encore en vie ? On a l’impression que tous ces traits se
réunissent autour de l’homme pour lui servir de perfusion. Ils lui servent
sûrement à pouvoir vivre.”

Le peintre regarda l’homme, qui semblait lui aussi être capable de lui retourner
son regard. Il essaya de communiquer quelque chose à l’homme qui pouvait
l’entendre.
“-Je n’ai pas besoin de ces traits, pas du tout, j’aime ces traits, ils me permettent
de comprendre la vie à travers une toile infinie. L’univers est une toile,
aujourd’hui est une grande fête filante pour l’univers !”

L’homme paraissait le comprendre, il le regarda quelques secondes durant, le


regard vide. Le peintre se sentit stupide, il eut l’impression d’avoir parlé à une
vache hébète.
Et puis, l’homme et la femme partirent. Il observa l’homme et la femme,
longuement. Il les regarda partir. Mais il choisit de s’échapper de sa peinture
pour les rejoindre, il se recula lentement et la réalité se déconstruisit. Plus il
reculait, plus il était entre deux réalités, et enfin, lorsqu'il avait fini de reculer, il
se retrouva face à son œuvre. Il la regarda longuement, de façon pensive, un peu
attristé de ne pas être avec le couple.

Mais, il décida de contempler son chef-d'œuvre. Très vite, une pensée


l’envahissa : C’est elle, celle-là même. Celle-là était splendide, elle allait non
seulement révolutionner le monde de l’art, elle qui allait changer la manière
dont on conçoit l’art mais tout type d’art ! Avec une impression prémonitoire, il
eut même l’impression que c’est elle qui allait être commenté par ce couple.
Plus il la regarda, plus il la trouva magnifique. Il l’admira telle une âme soeur
qu’on avait perdu depuis de nombreuses vies. Et, après une heure de
contemplation il regarda l’heure, il était déjà 10 heures du matin.

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Il se résolu de partir faire sa balade matinale. C’est à dire qu’il se couche à
l’heure ou le monde se reveil, et il se reveil à l’heure ou tout le monde dors.
Reglé comme un métronome d’anormalité, il s’engagea dans une balade
nocturne vers le jardin botanique vidé de monde. Personne ne va au Jardin
Botanique à cette heure-ci pensa-t’il. Il prena une longue inspiration au milieu
du parc avant de commence à se relaxer. Il savait que cette journée allait marqué
un tournant dans sa vie.
Il regarda les plantes et aperçut rhododendron, achillée, freesia, hêtre pleureur,
molène, soucis. Après avoir fini son tour des plantes du jardin, il s’arrêta devant
la fontaine méditant sur cette peinture, et lança une pièce de bonne fortune,
espérant que tout ira bien. Il avait perdu le compte des années depuis quand il
avait commencé à peindre. Depuis que sa mère était morte il avait lutter pour
retrouver sa créativité. Il sait juste qu’il était né avec le pinceau dans la main, et
que depuis sa mission est de créer. Cependant, il sait aussi qu’il n’a le droit qu’à
un seul essai, et que si il exposé une première peinture en deçà de la qualité
qu’il croyait que sa peinture possédait, il ne pourrait plus le refaire. Anxieux, il
retourna au pas de course chez lui, sous ses pas la réalité s’effilocha de nouveau.
il distinguait quelque forme vague, et bientôt le couple qu’il avait vu il n’y-a pas
si longtemps réapparu. Un drap de poussière semblait s’être lever sur ses yeux.
-Je sais pas çe qu’on va en faire de cette peinture. Elle est moche, on dirait que
elle à été faite par un enfant.
-On pourrait la donner à Cassidy ? Elle aime beaucoup ce genre de truc là, non ?
-Je pense pas que Cassidy elle l’accepterait, enfin regarde ! Ca prend de la place
pour rien et ça vaut rien.
-Tu comptes y mettre quoi toi ?
-Je pense un mini frigo ou autre chose avec les fratés, pour qu’on puisse faire
des soirées foot.

Elle regarda la peinture quelque seconde, avant de la donné à son mari, et son
mari monta la peinture en haut. Peu après la peinture fut proposé à Cassidy.
Cassidy refusa car selon elle “Cette peinture est un chantier même pas
commencer.”.
Elle fut retrouvé dans une déchetterie, ou, plus tard elle subissa la tragique fin
d’être brûlé. Le peintre fût mentalement détruit. Il eut l’impression que son
esprit s’était brisé en un million de morceau.

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Après avoir enfin regagné ses esprits, il regarda sa main.Il fut frappé d’une
réalisation : tout ce temps là il était chez lui et se retrouva confronté de nouveau
fâce à sa peinture. Il la regarda longuement durant et eu l’impression de se faire
attirer de nouveau dans cette autre monde ou lui et la peinture ne font qu’un.
Cette fois ci, se laissa complètement absorbé de l’autre côté du tableau.

De l’autre côté du tableau, il retrouvit des visages familliers. Celui de sa mère, il


y a de nombreuses années avant sa mort. Il la voyait lorsque elle était jeune, en
train de cuisiner. Il sentait l’odeur de son plat favoris en train de flotter dans
l’air, la blanquette de poulet.
Il la voyait comme lorsque elle était jeune avec sa chevelure rousse qui se
lançait dans le vent et donné l’impression qu’ils donnaient vie à un phénix. Il la
voyait lorsque elle n’était qu’une enfant en train de jouer à ses jeux favoris, et
lorsque elle était adulte en train de travailler à son job. Il regarda la vie telle
qu’elle l’était pour la première fois de sa vie: une suite d’action ne menant à rien
n’ayant que pour seul et unique but de satisfaire nos besoins primaire. Il
continua d’observer la vie de sa mère. Elle entra en interaction avec son fils
-Tu sais, depuis quelque temps tu me fais peur, tu n’est plus en accord avec la
société et tu passes tes journées à dormir, pour ne vivre que la nuit comme une
chauve souris !
Il repondit avec logique -Ca change quoi ? Toi tu as vécu une vie ou tu était
enfermé dans une boite toute la journée !
Sa mère rétorqua avec inquiétude-Je crois que tu est en train de perdre pied avec
la réalité.
Il retorqua -On dit que les personnes qui perdent pied avec la réalité ne le
réalisent pas. Moi je réalise très bien que je suis en désaccord avec la société, la
seule différenc étant que de façon volontaire je décide d’interagir uniquement de
la façon dont je le veux. Ma folie m’emporte loin de çe monde, cette endroit si
je l’entends. Je sais que c’est en agissant de cette manière la, que plus tard je
pourrais être éventuellement reconnu en tant qu’artiste !

Après avoir vu la nature, et le monde, il regarda son format univers, et n’y


trouva plus l’attrait qu’il y trouvait auparavant. Il ne tint pas plus de 5 minutes
face à la peinture avant de décider, comme le tout premier trait de pinceau , non

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pas son pinceau mais sa main qui porta un coup lourd sur le châssis. Le trait
lourds qu’il lâcha donna l’impression que l’univers était en train de se
désagréger.

Le châssis brisé en deux, il s’arrêta, pensa à ses actions puis décida qu’il était
fatigué. Il examina encore une fois l’heure, il était midi. Cela signifiait qu’il
était l’heure de se retirer et d’aller rejoindre Morphée. Il lâcha ses pinceaux,
regarda encore une fois le désordre qu’a causé son esprit et jeta dans la poubelle
ce qu’il resta du châssis de la toile. Il se laissa tomber dans les bras de Morphée
au moment où le monde commençait à s’agiter, lui laisser place au repos et au
rêve.

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SERIAL KILLER SUPERSTAR

Il manque peut-être un ingrédient pour que tout soit différent. J’ai longtemps
cherché ce qu’il manquait aux hommes pour appréhender la mort différemment,
et je cherche encore. Quoique, depuis quelques temps, j’ai un peu abandonné
mes recherches à ce sujet. Je vous avoue que le confort dont je jouis ne donne
pas envie de se pencher sur des questions métaphysiques aussi ambiguës.
Vous me trouvez sans doute inconséquent, en revanche je suis un type plutôt
sympa. Un bon petit gars, disait ma mère. C’est juste que j’ai lutté pour en
arriver là où j’en suis aujourd’hui, donc j’estime avoir le droit d’en profiter et de
faire preuve d’un peu d’arrogance à certaines occasions. Tout ce que vous voyez
autour de moi, c’est grâce à mon talent que je l’ai obtenu. Nombreux sont ceux
qui décrient mon activité et je peux le comprendre. Tout le monde ne sort pas du
même trou et c’est tant mieux, parce que sans inégalités, le système ne pourrait
pas perdurer. C’est terrible, mais c’est un fait. Vous verrez, si un jour vous vous
trouvez du bon côté de la barrière, comment ça se passe dans votre tête à ce
moment-là.
Voyez-vous je suis modeste, alors oui je fournis des efforts, j’ai appris à lire et
surtout, depuis que j’ai fondé mon empire et que l’argent rentre même quand je
dors, il faut dire que j’ai pas mal de temps libre. Apprendre, c’est un loisir de
riche, le délire de ceux qui ont du temps à consacrer au domaine de la pensée.
C’est une activité que j’aime par-dessus tout, plus encore qu’acheter un
appartement comme si je choisissais une paire de chaussettes et le revendre sur
un coup de tête après un seul bref séjour. Pendant un long moment, je me suis
consacré aux femmes. Quand l’oseille commence à rentrer, ce n’est pas un
cliché de le dire, les groupies se bousculent au portillon. Elles veulent à tout
prix qu’on les baises. C’est vrai que c’est drôle au début de se sentir admiré,
mais on se rend compte du côté superficiel de la chose en fin de compte… et là,
il nous reste les livres.
Katherine Cooper, philosophe américaine du milieu du XXème siècle, explique
pourquoi l’on prête si peu de valeurs à la vie et pourquoi la société dans son

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ensemble fait preuve d’un sadomasochisme telle qu’elle a institutionnalisé des
spectacles en Pay-Per-View axés sur la suppression de ses contemporains,
promotionnant universellement l’homicide volontaire et la gloire de ceux qui les
perpétuent. Ce bouquin est un bouquin interdit depuis des années, d’ailleurs
c’est pour ça que j’ai voulu me le procurer. S’il avait été autorisé, je n’en aurais
sans doute jamais rien eu à faire. N’empêche que c’est un bouquin très
intéressant et qu’il a ouvert en moi des couloirs de réflexion dont je ne
soupçonnai pas la profondeur. Et pour la plupart des gens, c’est pareil : les
choses sont comme elles sont, voilà tout. Plus on prend de l’âge, et plus on
s’aperçoit que tout est toujours mieux quand tout reste à place.
Bien sûr, l’œuvre de Katherine Cooper et ses opinions sur la société du meurtre
organisé est restée marginale. D’ailleurs, elle est décédée quelques mois
seulement après la sortie de son brulot. Accident de bagnole. Elle s’est plantée
contre un arbre ; paraît-il qu’elle conduisait sous l’action combinée de l’alcool
et des anti-dépresseurs. Pas d’autopsie, pas d’expertise, rien. Juste elle, morte
écrabouillée comme une crêpe et sa caisse en accordéon contre un tronc
millénaire. Je ne vais pas cracher dans la soupe ; on va dire que je soutiens les
défenseurs de la thèse officiel. Je ne suis pas quelqu’un d’ingrat et puis c’est
aussi cela qu’on acquiert avec la richesse : les connaissances interdites, celles
qu’il est bon de garder pour soi. Ces privilèges qu’on préserve, c’est l’essence
de notre ambition, quel intérêt à devenir célèbre sinon ?
J’écris d’une façon spontané et au fil de ces lignes, et considérant la précédente,
je me demande pourquoi au juste j’écris ce texte. Alors je vais être franc : bien
sûr, il y a de l’orgueil derrière tout ça. C’est une question de postérité, et alors
quoi ? Il faut bien se draper d’un peu d’héroïsme, sinon qu’est-ce qu’on est,
dans ce monde ? Si on part du principe que tout est néant, alors n’importe quel
projet est voué à l’échec : en somme, une bonne une mentalité de looser.
J’aimerai avoir des enfants un jour et je refuse qu’ils grandissent en se berçant
d’illusions, qu’ils rejoignent la meute décérébrée. Je veux qu’ils consolident ce
que j’ai commencé à construire et d’une meilleure manière encore, fort de tous
les enseignements que moi je n’ai pu recevoir du fait de ma condition initiale.
J’ai grandi dans une société libertaire dans laquelle les meurtriers sont
plébiscités. Je me rappelle encore enfant, je les regardais à la télé. Ils
m’impressionnaient. Mon père les adoraient, il ne ratait aucune de leur
apparition, il se rendait dans les conventions, se photographiait à leurs côtés et il
m’emmenait parfois avec lui, là c’était le pied. C’est sans doute lui qui m’a

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transmis cette vocation. Ma mère était plus mesurée, mais elle suivait les
boucheries parfois avec un certain intérêt. Elle avait l’air de ne pas y toucher,
mais elle lisait la presse people et pouvait parler des heures des frasques de
Jeffrey Dahmer, de la relation tumultueuse des Fourniret et d’autres trucs dans
le même genre. Ça embêtait mon père, l’intérêt charnel que portait sa femme
aux tueurs qu’il idolâtrait, si bien que parfois je me demandais si elle ne faisait
pas ça pour viser précisément sa masculinité.
En clair, c’était la culture populaire de l’époque et elle a perduré, elle a évolué
avec l’avènement d’internet et des réseaux sociaux. Et c’est elle qui m’a
consacré sous mon alias : Marteau, Serial Killer Superstar des temps modernes.
Comme tous les gosses, je voulais que mes parents soient fiers de moi. Je
voulais qu’ils parlent de moi comme ils parlaient de leurs idoles. On était une
famille de classe moyenne comme les autres, avec un seul mot d’ordre :
consommation. Chez nous, on n’encourageait rien sinon la médiocrité. Ne pas
sortir du cadre, ne pas faire de vague et surtout, ne pas s’élever, faire comme
tout le monde. C’étaient nos principes de base. Nous étions voués à disparaître
et dans l’urgence, la société nous prenait tout ce qu’elle avait à nous prendre :
notre éducation, nos connaissances, nos réflexions sur le monde. Je vivais dans
une fiction surréaliste où finalement, les comités de victimes des assassins qui
venaient frapper à notre porte pour prêcher la bonne parole étaient reçus patr des
aboiements de Dobermann et des coups de carabine en l’air. Comme la plupart
des gens de notre rang, nous avions parfaitement assimilés qu’il était normal,
voire valorisant, de se faire trancher la gorge au coin d’une rue par l’une de nos
sommités locales.
Bien sûr, de celles-ci, je voulais en être, comme beaucoup de gamins de mon
âge. J’ai commis mon premier meurtre à l’âge de 13 ans, en dehors des limites
légales récemment fixée par une société décidément de plus en plus puritaine,
mais encore à mille lieux de la remise en question de ses acquis. C’était un gars
de mon âge qui jouait parfois dans le chantier de construction du nouveau
quartier résidentiel près de chez moi. Je l’ai d’abord observé pendant plusieurs
semaines. Je l’avais ciblé lui parce que je n’aimais pas sa tête, je n’aimais pas
son vélo, c’était purement physique, on ne se côtoyait pas vraiment, on n’était
même pas dans le même collège, il habitait juste dans un quartier voisin, alors
on se croisait de temps en temps. Il venait toujours le dimanche après-midi,
parfois avec un copain à lui, parfois seul. Il se promenait dans les maisons en
construction, il faisait des sauts d’obstacles, parfois il jouait avec le matériel…
c’est là-bas que j’ai ramassé le marteau qui est à l’origine de mon pseudonyme.

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Je n'avais pas vraiment confiance en moi à cette époque, voilà pourquoi je n’ai
pas fait dans le sensationnel. Un coup sur la nuque, puis quelques coups jusqu’à
ce que le sang jaillisse et que le gars arrête de bouger.
Et c’est là que j’ai ressenti la puissance primale de l’homme, celle que mon père
vantait à longueur de repas tout en se maudissant pour n’avoir jamais osé
franchir le cap qu’on franchit les plus grands de son temps.
Il s’appelait Antoine Cuche et il a été retrouvé quelques jours plus tard.
J’ai été très amer lorsqu’on a attribué mon premier forfait à celui qu’on
surnommait La Hyène, superstar local très en vogue à l’époque. Ça ne
ressemblait pas du tout à son style, mais on voulait que ce soit lui. C’est
rapidement devenu un sujet de conversation en ville, La Hyène est dans le coin,
La Hyène est en ville, quelle honneur ! Forcément, les pouvoirs publics ont
sauté sur l’occasion, allant même jusqu’à organiser une campagne promo
touristique avec une visite du site en construction, construction qui fut alors
retardée d’une année par les élus locaux qui escomptaient profiter de la manne
financière qu’offrait le meurtre de La Hyène dans leur commune. Et le plus
drôle dans cette affaire, c’est que le principal concerné n’a jamais démenti cet
assassinat gratuit, comme s’il était lui-même dans la combine. Ce jour-là j’ai
compris que de nombreuses choses m’échappaient et qu’on ne nous disait pas
tout. J’ai compris que le statut de superstar du meurtre débouchait sur un monde
différent, comme un univers parallèle où l’on se rend compte que tout ce qu’on
a appris jusqu’alors n’était voué qu’à nous égarer. Bon, à l’époque j’avais
seulement quatorze ans et ma pensée à ce sujet était beaucoup plus abstraite,
mais ça reste quand même le point de départ de ma réflexion et par incidence,
les prémices de ma vocation. J’ai compris que l’activité des superstars ne
constituait pas une fin en soi, mais qu’elle était au contraire une porte ouverte
sur un monde aux règles différentes, dont mon père ignorait jusqu’à l’existence.
Vous l’aurez donc compris, c’est en tuant pour la première fois que j’ai
découvert qui j’étais vraiment. En somme, certainement pas l’individu lambda
qui se fait poignarder et qui vit chaque nouvelle journée comme une victoire
contre la mort rôdant à chaque coin de rue.
Si vous vous renseignez sur ma page Wikipedia, vous noterez que
l’anéantissement d’Antoine Cuche ne figure pas dans la liste autorisée de mon
bodycount*. Alors, prenez cette anecdote comme la première d’une longue
série.

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Mais assez parlé de moi pour le moment. Je sais ce que ça fait de tenir le
bouquin de l’une des plus grandes célébrités de votre temps, mais s’il vous plaît,
vraiment, je suis sincère, ce n’est pas ce que je recherche. Mon témoignage
n’est pas un produit mercantile dédié à me faire plus riche que je ne le suis déjà.
D’ailleurs, pour faire œuvre de bonne foi, je vous garantis que ces quelques
mots ne sortiront qu’après ma mort. C’est une manière somme toute honnête de
vous faire entendre mes véritables motivations.
Maintenant, revenons-en au brûlot de Katherine Cooper. Près de quatre-cents
pages incendiaires, imprimées sous le manteau et diffusées d’abord dans les
milieux universitaires avant que le ruissellement culturel ne fasse son office,
faisant atterrir quelques morceaux au sein de sphères plus populaire, d’abord
américaine, puis internationale, mais déjà à cette époque la C.I.A et toutes les
autres intelligences gouvernementales s’étaient emparées de l’ouvrage pour en
réécrire directement le contenu ou censurer certains passages. L’exemplaire que
je détiens est un original, issu du tout premier tirage. Je l’ai acquis au cours
d’une vente aux enchères à Moscou il y a quatre ans, pour la modique somme
de vingt-cinq millions de dollars. C’est un livre compliqué à lire. Il n’est pas
organisé, ne contient pas vraiment de chapitres et se perd parfois dans des
digressions farfelues. Connaissant maintenant le personnage, je pense qu’il
s’agissait pour elle de brouiller les pistes, ce qui a plutôt bien marché puisque le
livre a circulé pendant dix ans, avant de connaître une première édition à Pairs
en 1983 pendant 3 ans, tout ça avant d’être définitivement supprimé des
archives et des consciences collectives. De nos jours, les quelques exemplaires
restant sont considérés comme des objets d’art. Des gens extrêmement riches
l’acquiert pour le présenter à d’autres personnes lors de dîner mondain, ou pour
charmer un futur partenaire commercial, dans l’espoir d’obtenir quelques
faveurs.
Cependant, je présume que ce qui vous intéresse désormais, c’est de connaître le
propos de cet opus mystérieux et de comprendre pourquoi il a causé tant de
remous au sein de la société. Alors je vous préviens, je ne suis pas très bon pour
résumer les bouquins, mais je vais essayer de faire de mon mieux, de sorte que
vous compreniez parfaitement là où je veux en venir. Le livre de Katherine
Cooper s’intitule « Le monde à l’envers » et il dépeint une société absolument
contraire à la nôtre, où les meurtriers font figures de marginaux. Ce sont les
exclus, les pestiférés, ils sont bannis de la société et on explique leurs
agissements par toute une série de griefs psychologiques et de maladies
mentales… Et ce n’est pas un livre de science-fiction. Non, c’est un véritable

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ouvrage de philosophie qui traite de ce que Cooper nomme « le chaînon
manquant de la conscience humaine » et qui s’apparenterait, d’après ses dires, à
une espèce de conceptualisation de l’après-vie. Si les hommes avait la
possibilité de voir plus loin que le bout de leur nez, dit-elle, alors ils
comprendraient que leur corps n’est que le véhicule d’une machine plus
complexe, destinée à perdurer à travers l’espace et le temps, alors les vedettes
de l’anéantissement se verraient parqués dans des prisons, ils seraient éliminés
de la société et considérés comme nuisible, qui plus est leur pouvoir de
fascination ne serait plus lié à leur contribution à l’effort de mort, mais bel et
bien à leur capacité à supprimer la vie.
J’imagine que ça doit vous paraître dingue, à moins que nous ne vivions pas sur
la même planète. De la science-fiction, me direz-vous. Bâtir des civilisations,
mener des guerres, inventer de nouvelles technologie, tout ça avec l’idée que la
vie n’est qu’un passage, menant à quelque chose de plus grand… moi aussi, ça
m’a paru stupide. Même à ce jour, je ne suis pas certain d’adhérer aux thèses de
Cooper. Je les juge obscène et surréaliste évidemment, mais en plus je me sens
menacé, moi dans mes habits de meurtrier notoires, adulé dans le monde entier
pour ses excès de cruauté. Mais n’empêche que le dicton reste vrai : apprenez à
l’homme à pêcher et il nourrira tout un village. Enfin, un truc comme ça. C’est
exactement ce que je suis en train de faire actuellement auprès de vous qui me
lisez, quand on y pense.
Et ça vous fera sans doute le même effet qu’à moi. Ça infusera, tout doucement,
ça fera son petit bonhomme de chemin, cette idée que la vie rimerait finalement
à quelque chose, que nous ferions parti d’un tout et que notre mouvement
commun est porteur de sens vis-à-vis de l’histoire. C’est terrible, quand on y
pense : si tout le monde se mettait à penser comme ça, moi je perdrais mon job,
je ne serais plus rien, je finirais à la rue !
Pour autant j’aime beaucoup mon job et j’aime divertir la plèbe, alors je vais
vous raconter mon premier meurtre officiel. Avant tout il vous faut savoir que
pour percer dans le milieu, ce n’est pas simple. Encore moins de nos jours, mais
à l’époque c’était différent ; pour passer à la télé il fallait déjà avoir des contacts
de façon à faciliter la transmission des vidéos du meurtre à un type haut-placé,
qui avait le pouvoir de transformer un banal meurtre en évènement. Moi, je ne
jouissais pas de tous ces privilèges, j’étais un fils de rien, un enfant de la
consommation bon à avaler des couleuvres pour le restant de mes jours. Alors je

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me suis fait violence. Une certitude m’animait, mon destin me portait et pas
l’inverse.
Je venais de célébrer mes dix-huit ans et quatre ans après le meurtre d’Antoine
Cuche, La Hyène était devenu une pointure nationale, en passe de
s’internationaliser. D’après les journaux de l’époque, il s’apprêtait à signer avec
BloodBath Entertainment. C’était la plus grosse agence de Superstars de
l’époque, basée au cœur de la Persecution Valley à Los Angeles. Si mes
souvenirs sont bons, cette multinationale de l’homicide-spectacle gérait prêt de
250 serial killer parmi les plus en vue du moment. Sachant cela, imaginez ma
haine. Même si sa notoriété commençait à connaître une croissance positive à
l’époque de mon coup d’essai, il n’était encore qu’un rookie local, précipité
dans le grand bain et transféré immédiatement chez Crimes et Châtiments,
l’écurie parisienne en vogue en ce temps. Il s’était attribué -lui et son équipe
sans doute, il était trop stupide pour fomenter ça tout seul - mon succès et avait
bâti sa carrière sur un mensonge, abreuvant les foules de meurtres fades et sans
ambition, salissant au passage toute une corporation. Corporation que je
respectais et à laquelle je comptais bien rendre ses lettres de noblesse, en
fracassant La Hyène sous les caméras, devant ses fans et ses groupies les plus
fidèles.
Il sortait un bouquin, son fameux « 30 façon de tuer son père », best-seller
notoire traduit dans pas moins de vingt-six langues. Il parcourait les librairies
du pays pour dédicacer cette bouse écrite avec le cul, par un nègre qui plus est,
enfin il n’avait vraiment aucune pudeur, cette satanée face de raie ! Ce jour-là, il
passait au Grand Palais pour signer son torchon ; plus de six mille personnes
étaient attendues, les gens campaient devant et lors d’une interview pour
comprendre les motivations de ces malades mentaux, une écervelée avait
déclaré qu’elle craignait que la Hyène manque d’encre dans son stylo et que par
conséquent il risquait de ne pas pouvoir signer son livre si elle arrivait plus tard.
Je vous jure, c’est une vraie déclaration ! Tous les fans n’étaient pas comme ça
bien sûr, mais j’illustre par-là l’incroyable exercice de fascination qu’exerçaient
les meurtriers à l’endroit des jeunes filles en fleur.
C’est en regardant les infos locales que j’ai pris connaissance de la venue de la
Hyène et mon sang n’a fait qu’un tour ; j’ai tout de suite pris mes dispositions.
Pour être honnête, je n’y avais jamais pensé avant mais dès l’annonce de son
arrivée imminente, ce fut comme si tout était prévu depuis des lustres. Et
honnêtement, je n’ai qu’un seul regret : celui d’avoir dû acheter ce ramassis

16
d’inepties, mais disons que je me pardonne étant donné que ça faisait partie du
plan. Le jour J, donc, je me suis pointé au Grand Palais, vêtu d’un imperméable
et d’une casquette. Dans mon pantalon, mon marteau, ramassé sur le chantier
quatre ans plus tôt et jalousement conservé en souvenir de mes premiers émois.
Comme je suis arrivé en début d’après-midi, il y avait une file d’attente
infernale. Les Superstars du meurtre rassemblaient toutes les générations, de
sept à soixante-dix-sept ans. Le bonheur familial qui régnait dans la queue
s’infusa peu à peu dans mon esprit. J’étais sûr d’une chose, désormais : Un jour,
ce serait moi à la place de cet imposteur. Et moi, j’écrirai vraiment un vrai
bouquin. Et ce bouquin, contrairement à ce ramassis de foutaises, aurait le
pouvoir de changer le monde.
« Monsieur, c’est à vous ! » m’a dit un type de deux mètres de haut pourvu
d’une mâchoire à ronger de l’acier. J’ai avancé tranquillement. Enfin, je me
retrouvai face à lui. La Hyène. L’imposteur. Le fils de pute ! Un type blond,
d’un mètre quatre-vingts, vêtu de fringues luxueuses issues de divers
sponsorings… sans oublier ce sourire dément qui lui avait valu son surnom. Le
garde du corps m’a fouillé. J’ai croisé les doigts et mon cœur s’est comme arrêté
de battre. Au cours de mes rapides préparatifs, j’avais été guidé par une pulsion
primale de vengeance si puissante que mon cerveau ne s’était même pas permis
de calculer les risques que j’encourais. Je voulais faire mon coup, j’allais le faire
et rien ne pourrait m’en empêcher : le ciel serait avec moi, quelque chose
d’autre me guidait ; et alors que les mains du garde du corps s’aventuraient
autour de mon entrejambe. Allez-y monsieur, il m’a dit ensuite, alors j’y suis
allé.
Lentement, j’ai avancé. Le chahut des fans agglutinés a commencé à
s’estomper. Il n’y avait plus que moi et lui. La Hyène. Thimoté Dufresnoy, fils
de Daniel Dufresnoy, alias Le Saucissonneur ; l’une des vedettes du
meurtre-spectacle des années 70. Un enfant de la balle, un type qui croyait sans
doute que tout lui était permis. Il allait bientôt comprendre le sens du mot
méritocratie, cet hurluberlu.
Je lui ai tendu mon exemplaire du livre, il l’a pris et l’a ouvert sur son pupitre. Il
a saisi son stylo cependant que je saisissais le manche de mon marteau, et
lorsque la plume s’est posée sur le papier couleur crème, la pointe s’est fichée
dans son crâne. Une fois, deux fois, trois, enfin je ne sais plus combien de fois
j’ai tapé. Tout ce que je peux vous dire, c’est que le sang a giclé, presque au
point de m’aveugler. Le corps sans vie de La Hyène a coulé sur sa chaise.

17
J’avais transformé son cerveau en bouillie avec la même rigueur que lors de la
mise à mort d’Antoine Cuche.
J’étais comme en transe à ce moment-là et je riais. Qu’est-ce que c’était bon ;
dites-vous que j’ai découvert le meurtre avant le sexe, sans regrets aucun : rien
n’est plus fort que la décharge hormonale que procure une bonne boucherie
savamment orchestrée. Le silence régnait dans l’espace culturel. Tout le monde
était médusé, ainsi que les gardes du corps. La loi est la loi et nul n’est censé
l’ignorer : on peut empêcher un meurtrier d’agir, mais dès lors que le crime est
commis, l’intégrité de son auteur est strictement encadrée par la constitution des
droits de la mise à mort des citoyens. Je suis donc resté stoïque, aveuglé par les
lumières des caméras braquées sur moi.
C’était le début de ma consécration.
J’avais réussi ce que je voulais faire et si je m’étais jeté à l’eau avec tant de
panache, c’était parce que je croyais en une force supérieure. Et c’est
précisément de ce trouble de la personnalité que parle Katherine Cooper dans
son bouquin. En fait, c’est là que je voulais en venir. C’est un concept que nos
gouvernements nient farouchement, pourtant je suis certain que je ne suis pas le
seul à avoir subi ce que la philosophe appelle « l’illumination ». La conviction
que quelque chose va se produire, que quelque chose existe en dehors de nos
perceptions propres. La certitude que tout ne dépend pas de nous. J’ai
conscience de briser un tabou et il est vrai qu’en tenant de tels propos, je risque
ma vie en plus de ma crédibilité en tant que Superstar du meurtre.
Parce qu’en admettant que la vérité ne nous appartient pas et qu’elle est détenue
à un niveau supérieure de conscience, que ce soit une entité, un système
informatique ou quoique ce soit d’autre, c’est célébrer la pureté naïve de la vie
humaine, et c’est complétement contraire à l’éthique de nos civilisations.
Malgré tout, je me dois d’être clair avec vous : le meurtre revête une importance
culturelle et civilisationnelle de premier plan. Tuer pour réguler la population,
tuer pour se protéger, tuer parce que la vie ne vaut rien et que notre espèce
s’éteindra irrémédiablement, parce que la vie est ainsi faite et parce que c’est
beau, tout simplement.
Parfois le soir, au moment du coucher, je ferme les yeux et j’imagine un monde
au sein duquel la préservation de l’individualité de tout un chacun primerait sur
les velléités meurtrières essentielles à la sauvegarde et à la pérennité de notre
espèce. Katherine Cooper prétend que les assassins seraient envoyés en prison,
voir exécutés ! En tout cas, ça peut vous paraître macabre, mais j’adore façonner

18
ce genre de proposition dystopique à l’intérieur de mon espace mental. Disons
que, paradoxalement, ça m’aide à trouver le sommeil.
Néanmoins, l’équation d’un monde régit par la célébration de la vie humaine
comporte de nombreuses inconnues ; quels en seraient les personnalités
reconnues, qui aveuglerait la masse ? Je n’en sais fichtrement rien. D’ailleurs, si
Katherine ne s’est pas prononcée à ce sujet, c’est probablement parce qu’elle
aussi, elle trouvait ça trop abstrait. Ou alors, peut-être que sans le savoir – ou en
la sachant, allez savoir- elle procédait du système qu’elle s’employait à
déconstruire.
La meilleure façon d’être fidèle à soi-même en se montrant le plus objectif
possible, c’est d’admettre que tout ce que l’esprit humain peut construire en
réaction à plutôt qu’en fonction de consacre l’aspect factice de tout
raisonnement contraire à la norme en vigueur.
Il vaut mieux tuer plutôt que mourir pour ses idées.

19
BARBERA

S'il est un fait ordinaire, pour nombre d'écrivains parmi les plus
significatifs de l'histoire de la littérature, de n'avoir vu leur importance reconnue
que bien des années après leur disparition, il n'échappera à personne que le cas
de Barbera Cartland, auteure totalement méprisée – et même moquée – par la
critique il y a une quinzaine d'années encore, aujourd'hui universellement
considérée comme l'une des plumes les plus significatives de son siècle, relève
d'une absolue singularité. Les nombreuses thèses universitaires qui lui sont
consacrées depuis un peu plus d'une décennie, le prix Nobel de littérature qui lui
fut décerné à titre posthume l'an dernier, les nombreux hommages qui lui sont
rendus aujourd'hui par un grand nombre d'auteurs récents se réclamant de son
influence, ne doivent pas nous faire oublier notre responsabilité commune
vis-à-vis de l'incompréhension qui a subsisté, de son vivant, quant au caractère
décisif de son travail. Il n'y a pas de raison pour autant de se sentir
collectivement coupable du dénigrement, abondant des milieux informés, qui a
frappé l'intégralité de ses ouvrages, ni même de remettre en question la
compétence de ceux qui, dédaigneusement, ont longtemps considéré que ses
livres ne valaient même pas le papier sur lequel ils étaient imprimés : car ce
serait oublier que celle que l'on surnommait « la reine du roman à l'eau de rose
» semble avoir consacré une grande partie de sa vie à brouiller les pistes sur la
vérité de son génie littéraire.
Rappelons quelques éléments de contexte aujourd'hui connus de tous,
mais qu'il n'est jamais inutile de redire. Barbera Cartland est née en 1901 à
Birmingham, en Angleterre, et a quitté ce monde le 20 mai 2001, quelques jours
seulement avant qu'elle ne put fêter, avec les siens, son centième anniversaire.
Son existence recouvre donc l'intégralité du XXe siècle, et elle fut, à ce titre, un
témoin privilégié de l'avènement de la littérature post-moderne, ainsi que de son
plein développement. On sait par sa fille, Reine McCorquodale, qu'elle était une
grande lectrice : sa bibliothèque ayant été malheureusement dispersée peu de
temps après sa mort, il manque aux universitaires l'inventaire exact de ses

20
possessions livresques, perte irrémédiable, naturellement, pour précisément
comprendre le jeu des influences qui a présidé à l'accomplissement de son
œuvre. On peut toutefois, par certains des indices qu'elle a laissés çà et là dans
ses ouvrages, recomposer théoriquement cet inventaire. Le professeur Thomas
Paval s'y est employé, et a donné ses conclusions dans un article ayant fait date1,
publié en 2028 dans la revue Litterature, et dans lequel il cite, entre autres noms
prestigieux, James Joyce, Ezra Pound, Stéphane Mallarmé, Georges Perec,
Franz Kafka, T.S. Eliot, Joseph Conrad, Samuel Beckett, André Breton, Ye
Shiba, Marguerite Duras, ou encore J.G. Ballard.
Les quelque 720 romans qu'elle a publiés au cours de son existence, s'ils
ont été méprisés par l'intelligentsia, ont tous rencontré un énorme succès
populaire à l'époque de leur parution, ce qui fait de Barbera Cartland l'un des
auteurs les plus lus de sa génération. Des ouvrages aujourd'hui cultes, tels que
Le Valet de Cœur, Vertige de l'Amour, Les Yeux du Désir, Fiançailles
impromptues, Rêve de bal, Je t'ai cherché toute ma vie, et bien d'autres encore,
se sont vendus lors de leur sortie respective à plusieurs centaines de milliers
d'exemplaires chacun. On consacra rapidement Barbera Cartland impératrice du
roman sentimental. Son excentricité, ses déboires amoureux et sa mésentente,
notoire, avec Lady Di, contribuent à offrir d'elle l'image d'une personnalité
frivole et inconséquente : aujourd'hui encore, l'idée selon laquelle elle a
volontairement embrassé cette existence mondaine, ainsi qu'un anachorète se
soumet à son ascèse, pour mieux camoufler ses véritables desseins littéraires fait
débat chez les spécialistes.
En mai 2001, Barbera Cartland décède. Ses funérailles sont
abondamment commentées par la presse people, anglo-saxonne notamment. Son
œuvre, elle, tombe immédiatement en désuétude, pour peu qu'elle ne le fut pas
déjà. Ses ouvrages peuplent pourtant l'ensemble des bibliothèques des amateurs
– et, surtout, des amatrices –, nombreux, de romances légères et d'histoires
d'amour fleur bleue. Et c'est cela, finalement, qui assurera la postérité
reconquise de Cartland, grâce au concours d'un événement qui relève quasiment
du miracle, et qui est probablement un unicum dans l'histoire de la critique
littéraire, de notre époque comme de celles antérieures.
Le 7 septembre 2023, l'universitaire Pierre Baillard se repose dans une
des chambres de la demeure que possède sa famille dans la Somme, à
Poulainville près Amiens. Il est, détail qui a son importance, allongé sur un

1
T. Paval, « Barbera Cartland as a reader » in Litterature, n° 261, Boston, avril 2028, pp.17-42

21
canapé-lit, lequel est surplombé par une modeste bibliothèque. Laissant son
esprit et son regard divaguer librement dans la pièce, il prête une attention
distraite aux dos de couverture des livres qui s'alignent au-dessus de lui. Et c'est
précisément à ce moment-là qu'il fait la curieuse découverte qui décidera de
l'incroyable destin posthume de Barbera Cartland, curieuse découverte qu'il
raconte dans son ouvrage Barbera et moi, dont nous nous permettons de citer ici
in extenso, avec l'autorisation de son auteur, un extrait :
« Dans la position dans laquelle j'étais, je ne pouvais voir le dos des livres
de la bibliothèque de ma mère que par en-dessous. J'ai toujours connu ma
mère lectrice, mais l'on s'entendait généralement, dans la famille, pour lui
reconnaître un goût littéraire absolument épouvantable. Au-dessus de moi
s'alignaient les ouvrages, entre autres, de Danielle Steel, Marc Levy,
Guillaume Musso et, naturellement, Barbera Cartland. Ma chance vint que
ma mère, parfaitement bilingue, lisait celle-ci en édition originale,
c'est-à-dire en anglais. Je parcours distraitement cet étalage de romans de
gare, désespéré de la piètre qualité de ce que j'y trouve, tristement
conscient de la représentativité de cette bibliothèque vis-à-vis du goût
moyen. Cependant mon œil s'arrête. Dans la bibliothèque, entre Once Upon
A Kiss de Nora Roberts et Un Soupçon d'Interdit de Françoise Bourdin, se
trouve l'ouvrage Dream Comes True de Barbera Cartland, improprement
traduit en français par Quand l'Amour s'éveille. Depuis le canapé où je suis
allongé, je ne puis lire le titre, en quelque sorte, qu'à l'envers, et cela me
fait avoir comme une sorte de sursaut mental. « Dream Comes True », lu
en inversé, cela donne « True / Comes / Dream » soit, traduit littéralement
: « La vérité / vient / rêve ». Immédiatement, je m'interroge sur le sens de
cette formule. « La vérité vient. Rêve. » ? De quelle vérité parle-t-on ici
? Il me faudra des mois de recherche pour comprendre, qu'en fait de vérité,
c'est de vérité littéraire qu'il s'agit. »2
Commence alors pour Pierre Baillard une longue et rigoureuse enquête,
qui peu à peu porte ses fruits. Il s'intéresse d'abord à la longue liste des ouvrages
de Barbera Cartland et y trouve, fait significatif, un nombre assez important de
titres pouvant se lire dans les deux sens, et dont le signifiant, selon que l'on
change l'ordre des signifiés, se transforme radicalement. On citera, entre autres
exemples, Hungry for Love (qui se lira, à l'envers, « Love for Hungry », et
dont la traduction se déplace donc de « Affamé d'amour » à « L'Amour pour

2
P. Baillard, Barbera et moi, Éditions de Minuit, Paris, 2026, p. 42.

22
celui qui a faim », parfois interprété comme un hommage rendu à l'ouvrage La
Faim de l'auteur norvégien Knut Hamsun, émule de Dostoïevski), Learning to
Love (à l'envers, « Love to Learning » : « De l'amour à l'apprentissage »),
One minute to love (« Love to minute one »), ainsi que Secret Love, dont Pierre
Baillard comprend rapidement, en renversant la formule3, qu'elle est l'indice que
Barbera Cartland construit son œuvre véritable sous le sceau de la plus totale
discrétion, et Good or Bad ? (« Bad or Good ? »), clin d’œil évident à la
nature ambivalente de son travail.
Plus troublant encore, la plupart des titres de Barbera Cartland, quand on
les lit à l'envers, deviennent des formules dont la chaîne signifiante se trouve
manifestement brisée par la mécanique du renversement. Il en est ainsi, par
exemple, de From the dangers of Russia to Love qui, inversé, devient « Love to
Russia of dangers the from », ce qui, traduit littéralement, donne « Amour pour
Russie de dangers le depuis ». L'implacable puissance structurelle de cette
phrase renversée s'impose dans un agencement purement formel qui fait fi du
sens pour mieux conquérir son autonomie en tant qu'abstraction pure, bloc
brutaliste, quasiment lettriste, de signifiés libérés de toute injonction à « vouloir
dire quelque chose ». L'inspiration constructiviste est patente, mais, mâtinée du
spectre d'une influence toute mallarméenne, elle trouve une rondeur qui séduit
autant qu'elle sidère, évitant l'écueil d'un trop grand rigorisme qui fut
généralement la norme, par exemple, de l'essentiel de la production littéraire
structuraliste de l'ère immédiatement post-stalinienne.
On comprendra à ce commentaire, ne concernant seulement qu'un seul
titre d'un seul ouvrage parmi les plus de 700 produits par Barbera Cartland, le
vertige qui put saisir Pierre Baillard et avec lui l'ensemble du milieu
universitaire ; car chacune des milliers de phrase produites par Cartland,
lorsqu'elle est lue à rebours, appelle une analyse au moins aussi dense, si ce n'est
davantage. Exemple en est de la célèbre controverse courant depuis deux ans
maintenant à propos de la tirade suivante, tirée du très virtuose Chapitre III de A
Prayer for Love : « - Would you like one or two sugars in your coffee, my dear
? » qui devient, lue à l'envers : « Dear my coffee your in sugars two or one
like you would », dans laquelle un certain nombre de critiques a voulu voir
l'influence des jeux littéraires ordinaires des auteurs animant, avant 1975, le
Collège de 'Pataphysique (Vian, Queneau, Prévert, Arrabal, etc.) tandis qu'un
nombre égal d'autres critiques réfute fermement cette hypothèse. L'excellent

3
« Love Secret », audacieuse élusion de « I love secret », « j'aime le secret » en français.

23
article de l'émérite Pr. Gilbert, « Deux sucres. »4, malgré une argumentation
impeccable tranchant dans le sens du second camp, n'a pas suffit à faire
s'interrompre cette épineuse querelle interprétative.
Récemment, Pierre Baillard a annoncé qu'il consacrerait le reste de sa
carrière, selon toute vraisemblance, à l'étude exclusive de l’œuvre de Cartland.
Il n'est pas le seul, dans les universités de France et d'ailleurs, à avoir fait ce
choix, et c'est tant mieux : la redécouverte de ce que fut vraiment l'importance
de Barbera Cartland pour la littérature du XXe siècle, et, manifestement, de ce
qu'elle sera pour les décennies à venir, n'en est encore qu'à ses balbutiements. La
somme de travail à fournir est considérable, presque infinie, eu égard à la
prolixité de la récente nobelisée. Par ailleurs, fait notable qui intéresse, en
l'espèce, la culture populaire, la vogue de la littérature de Cartland s'est
également relancée auprès des aficionados des romans sentimentaux, nombreux,
à nouveau, à relire l'auteure comme elle était lue autrefois, sans tenir compte de
la complexité désormais admise de son œuvre, préférant lui assigner la dignité
modeste d'une écriture simple et un peu fleur bleue, celle qui était la sienne
jadis. Après tout, pourquoi pas. Le livre, après que l'auteur en a accouché,
appartient, en dernière instance, au lecteur, et si la majorité des exégètes
pointilleux de Cartland regrettent que l'on puisse passer à côté de l'incroyable
puissance formelle que présentent ses écrits lorsqu'ils sont lus dans le sens où ils
s'offrent sous leur meilleur jour, c'est à dire, dans le bon sens, celui qui part de la
fin du texte pour remonter au début, le lectorat moins informé ne se trouve pas
particulièrement préoccupé de la chose, et ne fait pas moins preuve
d'enthousiasme dans ses lectures. À l'endroit, à l'envers, qu'importe après tout, si
l'on trouve dans le livre ce que l'on y cherche. L'histoire de la littérature
retiendra simplement que « l'endroit » de l’œuvre de Cartland, c'est bien
entendu « l'envers ». Barbera Cartland, depuis là où elle nous observe, doit
bien rire de ce renversement par lequel elle aura su se jouer de toute une
génération de lecteurs : mais que cette génération perdure dans le temps, cela
ne doit pas être de nature à la mettre particulièrement sens dessus-dessous, ni
non plus à lui retourner l'esprit et le cœur à l'envers. Car, enfin, elle est reconnue
pour ce qu'elle est, et s'il existe un paradis des auteurs, on aura sans doute pris
soin de l'informer, là-haut, qu'ici-bas nous avons enfin appris à la lire à l'endroit.
Ou à l'envers, selon le point de vue. Et c'est là, finalement, tout ce qui compte.

4
C. Gilbert, « Deux sucres. » in Knock-Knock, n°42, Lyon, deuxième trimestre 2032.

24
Nihonbashi

Les cerisiers sont en fleurs. Les pétales roses se répandent sur le chemin boueux
et je pédale à toute allure dans la montage. Je suis en vacances dans la
préfecture de Gunma. Malheureusement c’est le dernier jour avant une nouvelle
année scolaire. Comment va Mizuno ? Allons-nous être dans la même classe,
une fois encore. Je pense aux moments que nous avons passés lors la sortie
scolaire à Okinawa, l’été dernier. Heureusement qu’ils ont dit à la météo qu’il
faisait beau aujourd’hui. J’ai hâte de rentrer pour jouer. En plus, Mizuno
m’attend. Cette balade aura été longue, je suis parti à l’aube, il est midi. Je lève
la tête et je vis : un nuage orageux. « Et merde ! » m’exclamais-je
Une pluie torrentielle commença à tomber, j’essaye de garder mon guidon droit.
D’un battement de cil, Là ! Une étrange bâtisse. En plein milieu de la forêt ? Cet
instant d’inattention me fit dégringoler dans la boue. Lorsque je repris
connaissance, mon vélo était cassé. Je courus vers l’abri le plus proche à cause
de l’averse. C’était ce bâtiment ! Que fait un sanctuaire shintoïste en ce lieu ?
Le bois est pourri, il semble vieux. Tant pis, je franchis le seuil. Au loin, je vis
une corde tressée orné de banderole en forme d’éclairs, c’est qu’on appelle un
shimenawa. Elle était au-dessus d’une porte, celle-ci avait deux piliers
cylindrique avec des anneaux au sommet et coiffé d’une poutre rectangulaire
transversale. En dessous, on trouve une autre poutre transversale d’un diamètre
plus modeste.
Tout mon corps me dit de fuir, ce sanctuaire ne m’inspire rien de bon. L’orage
est violent, dans les éclairs, je vis une silhouette. Celle-ci se situe entre les
statues des chiens-lions. La statue de droite se brisa en deux, « Merde ! Merde !
Merde ! » m’emportais-je. De même pour le shimenawa, rongé par le temps. Ce
n’est vraiment pas mon jour de chance, la ladite silhouette se rapprochait de

25
plus en plus près. Soudain, un éclair éclaira son visage, c’était un petit moine
muni d’un kimono (d’une couleur colorée), quoiqu’un peu court. Il s’accrochait
à son chapeau de paille. Heureusement c’était un homme et non un yokai, il me
demanda :
— Buvez du thé s’inclina-t-il, je me fis une joie de le boire. Il me semblait être
un homme respectueux. (Que fait un moine dans un sanctuaire en ruine ?)
— Merci beaucoup monsieur le moine m’inclinais-je, je suis tombé de mon vélo
à cause de la pluie. Pourquoi ce sanctuaire est-il abandonné ? Quel dieu
vénérez-vous ?
— Tu vois gamin, tremblota-t-il, en me montrant le perchoir à oiseau cassé en
deux, cette porte rouge vois-tu ? Autrefois, il y a très très longtemps, au temps
d’Edo, ce fut le monde de la déesse Inari. La renarde est là pour témoigner car
c’est de cette manière qu’elle descendait sur terre.
— Je ne savais pas, merci monsieur le moine fis-je, prêt à repartir car la pluie
avait cessé.
— Le plaisir fut pour moi, gamin ! ricana-t-il, pris de stupeur, je le vis peu à peu
se transformer en une bête à fourrure noire.
Son museau s’était affirmé, des griffes étaient apparues et une queue au derrière.
C’était un yokai ! Il se moqua de moi encore une fois, « Dors ! Fait de beaux
rêves. »
« La teinte des pétales
Déjà se perd.
Les vaines rêveries
De ma vaine vie
Et la pluie, et la pluie… »
Je me souviens d’avoir étudié ce poème en classe, il ne pouvait pas mieux
résumer la situation. Je ne sais pas ce qui se passera par la suite. Suis-je mort ?
Suis-je vivant ? Je me trouve dans un sorte de flou, je ne comprends pas ce qui
m’arrive, je verrais plus tard.
— Oh hé ! Oh hé ! Gamin, réveille-toi… Pour moi, cette voix n’est qu’un rêve
et jusqu’à l’ouverture de mes yeux. C’est un homme. Ce qui me choqua, il était
habillé de la même façon que l’homme de tout à l’heure. Pourtant, le lieu où je
me trouve est neuf, aucun bois pourri, ce sanctuaire est propre. Au loin, j’aperçu

26
la statue d’une renarde. Fait surprenant, les feuilles de l’automne commencent à
tomber. Était-ce une farce du Yokai ? Surement.
Perdu dans mes pensées, l’homme me fit revenir à la réalité.
— Que faisiez-vous dans le sanctuaire ? Ton kimono est ma foi fort étrange,
est-ce la nouvelle mode à Edo ? Il y a longtemps que je n’ai pas gouté les
plaisirs mondains. Je suis Kagekuni Iwaki.
— Le Yokai !? Où est-il ? Avez-vous vu un blaireau habillé dans votre
accoutrement ? Désolé, je dois aller récupérer mon vélo et rentrer chez moi.
Merci ! Je suis Makoto Shota dis-je en m’inclinant.
— Attendez ! Le yokai semble vous avoir affecté, suivez-moi et venez vous
purifier.
Perplexe, je sors du bâtiment. Cet endroit est surement un lieu touristique, jouer
le moine doit être son rôle. J’ai donc été téléporté mais en y regardant de plus
près, le lieu ressemble vraiment à celui que je viens de quitter. Pas le choix, je
dois me renseigner. Il m’a emmené à la purification qui se trouve à l’entrée, ce
que je fis. Ensuite, je pris les dieux pour une bonne fortune. Je n’ai pas d’autre
choix ! Je lui demande où nous sommes.
— Vous ne vous souvenez vraiment de rien ? Nous sommes dans le sanctuaire
d’Inari-jinja dans la province de Kozuke dirigé par le daiymo Sakai Tadataka
sous les ordres du shogun Tokugawa Tsunayoshi dans la région du Kantô à la
80ème année de l’ère Edo. Très bien ! Je vous fournis le nécessaire ainsi qu’un
onigiri.
— Merci beaucoup ! (Une part de moi était excité, l’ère Edo, une période de
paix, fantasme d’un otaku comme moi mais ça craint, ça craint, ça craint….
Mmm Je vais profiter un maximum et je verrai le reste après)
Je me suis vêtu d’un kimono, celui-ci est bleu foncé. Ce n’est pas tout, je me
suis aussi chaussé de sandales en bambous. (J’ai l’impression d’être durant une
cérémonie. Ridicule, n’est-ce pas ?)
En chemin, j’en étais en sûr, c’est le même endroit que j’ai traversé à vélo.
Drôle, n’est-ce pas ? Un instant, les cerisiers en fleurs étaient là et ils ont laissé
place aux feuilles d’érable. Descendant en courant, je vis défiler la beauté de
l’automne, la beauté des couleurs. En bas, je voyais des rizières. Plus je me
rapprochais, j’apercevais les paysans travaillant dans la chaleur sous leur
chapeau de paille. Bien que désorienté, je cherchais un moyen de me nourrir.

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Sur le bord d’une rizière, deux garçons se reposaient dans la pente herbeuse.
— Hé ! dis-je en les interpelant, je recherche du travail. Mon nom est Makoto
Shota. Voulez-vous bien de moi ? dis-je en m’inclinant jusqu’au sol.
Les deux garçons s’esclaffèrent et dirent :
– Bien-sûr ! Il faut demander à mon père dit celui de droite. Je suis Arikastu.
Il me présente son père. Je me suis courbé devant lui en preuve de mon respect.
— Gamin ? relève-toi, pourquoi veux-tu travailler aux rizières ?
Je répondis d’un ton à la fois tremblant et déterminé :
— J’ai besoin d’argent pour ma famille, s’il vous plait !
— Je vois, enchanté ! D’où viens-tu ? Mon nom est Tadatatsu, je suis
responsable de ces plantations.
— Je suis originaire de Yamagata. Merci de m’embaucher !
Je me suis retrouvé à désherber en ce mois d’octobre, la faucille à la main. Ce
n’était pas la première fois que je mettais mes pieds ici. Mon papy possédait une
rizière à cet endroit, quand il était encore en vie il voulait que je reprenne
l’affaire familiale. A vrai dire ça m’ennuie, je rêve d’autre chose.
Celui qui s’appelle Morieri est très travailleur alors que Arikastu est plus rêveur,
tout comme moi, il aime observer les nuages. Soudain, il me demanda pourquoi
j’avais un nom de famille. (Ça craint ! ça craint ! Dans le japon moderne c’est
normal cependant dans le japon d’Edo c’est différent, seuls les artisans, les
daimyô et les samouraïs peuvent en avoir.)
– En fait, mon père était samouraï mais il est fraichement décédé et je veux
aider ma mère dis-je d’un air mélancolique. (J’espère que mon mensonge a été
assez convaincant…)
Moieri s’excusa. A ma grande surprise Arikastu s’enflamma. (Au moins, c’est
passé) me dis-je soulagé. Il me dit :
— Tu pourras m’apprendre le kendo ? Tu sais, j’ai toujours admiré les
samouraïs. Quand j’étais petit, j’ai en ai rencontré un. Il était fort et noble,
j’aimerais devenir comme lui.
Moieri rigola et s’exclama :
— Arikastu ?! Combien de fois dois-je te répéter que sont des ivrognes qui
passent leur journée à Yoshiwara, le quartier des plaisirs. Ça c’est ceux qui ont

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les moyens. En temps de paix, ils ne servent plus à rien. Ton idéal n’existe pas,
ce sont des mensonges pour protéger leur soi-disant « Honneur ». De nos jours,
un samouraï ne défend plus les opprimés.
Vexé, il rétorqua :
— C’est toujours la même chose avec toi. Ne veux-tu pas me laisser rêver ? Je
l’accomplirai un jour prochain. Toi aussi t’as un rêve ! Je me trompe ?
— Oui ! Devenir marchand.
— C’est impossible pour les gens comme nous et tu le sais !
« Et toi ? » me dirent-ils. (En tout cas, ce sont deux idiots qui poursuivent leur
rêve. Quel est le mal ? Au fond, je n’ai jamais vraiment réfléchi. Je ne vis qu’à
l’instant présent. Bref, peut-être fonctionnaire ? Quoique c’est ennuyant, je
préfère vivre à fond. Devenir développeur de jeux vidéo. Je les traite d’idiots
mais j’en suis un moi-même. Pas mal ! Pourtant, je ne peux pas le leur dire.)
— J’ai toujours voulu inventer des jeux, inventeur de jeux mais c’est impossible
à cause de mon statut soufflais-je (Je suis fils de samouraï, ne faut pas l’oublier)
J’ai une requête, puis-je dormir chez vous Arikastu ?
— Tu es loin de chez toi, j’accepte ! Refuser un sans-abri n’est pas digne d’un
futur samouraï.
Le soleil se couche, il est d’un rose flamboyant, magnifique n’est-ce pas ? Il me
mena jusqu’à une porte coulissante en bambou. Au-dessus du toit de chaume, je
vis de la fumée. C’est bien, ils ont à manger. A l’intérieur je fis la rencontre de
deux femmes, Ume la mère, une femme se démenant pour vivre. Elle était vêtue
d’un kimono de la couleur du saumon. C’est assez inhabituel néanmoins très
joli. Tandis que celui d’Haru, la sœur de Arikastu était jaune. Derrière, la
ceinture obi portait le motif des rizières pour les deux.
— Bon retour à la maison mon fils adoré ! D’un coup d’œil, elle nota ma
présence, qui est-il ?
— Je suis Makoto Shota, fils de samouraï. Merci de m’accueillir !
— Haru m’a aidée à préparer le repas fit-elle en montrant sa fille, nous avons
fait un bouillon de légumes et du riz.
Je me suis assis à la table basse, les baguettes à la main.
— Bon appétit !

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Le bouillon n’était pas mauvais en revanche le riz était délicieux. Le père
d’Arikastu se plaignait de leur daimyo à cause de la taxe du riz, trop élevée
selon lui. Je suis resté passif durant une majeure partie du repas. Tout d’un coup,
Haru voulait savoir comment je suis arrivé en ce lieu.
Je ne dois pas oublier ce que j’étais, un fils de samourai. Pour ce mensonge, je
me suis basé sur une célèbre pièce de kabuki.
— C’était jour de pleine lune, père était partit. Pour tout vous dire, notre daimyo
était mort quelques jours auparavant. De ce fait, père le vengea avec ses
camarades. Un jour parmi d’autres, c’était au travers d’un grillage de bambou.
Je le vis, mon père se percer le ventre à l’aide d’un poignard. Il s’était hara-kiri
pour ne pas subir un déshonneur. Mère et moi avions tout perdu, elle fut obligée
de vendre son corps pour que je puisse survire. C’est la raison de ma venue en
ce lieu, je veux aider ma mère m’emportai-je larmoyant. (Heureusement que j’ai
pris des cours de théâtre mais j’ai honte de mentir à mes sauveurs.)
Tous compatirent, même Arikatsu calma ses ardeurs (J’ai très vite remarqué
qu’il était émerveillé par ce sens du sacrifice, malgré tout c’est vraiment un
idéaliste.) Après cette histoire, Tadatsu accepta de m’héberger pendant une
semaine.
Il me prêta un futon et je réfléchis à ma journée. En une fraction de seconde, je
me suis retrouvé dans le passé. Quelle chose étrange. Un jour je rentrerais à la
maison, je m’en fais la promesse.
Au matin, une chose m’étonna : mes mains. Elles étaient plus petites. Comment
cela était-il possible ? Que s’est-il passé ? En plus, le kimono me parait plus
grand. Je sais ! J’ai rajeuni, foutu Yokai !!!! Il me semble que c’est une
conséquence de mon voyage dans le temps, reste à voir si ça continue. J’espère
qu’ils ne vont pas le remarquer, je l’espère vraiment... Ils pourraient
m’exclure…
Je me dirige vers le tatami, il y avait Arikastu en train de manger du riz.
— Bonjour ! dis-je
— T’es énergique dès le matin dit-il en baillant, t’es pas plus petit ? se
rapprocha-t-il d’un seul coup.
— Non… (C’est cramé) Qu’est-ce qui vous fait dire ça ?
— Tout ! Ne suis-je peut-être pas bien réveillé ? Maman ! Haru ! Venez-voir !
cria-il.

30
Elles vinrent et remarquèrent instantanément, « Il n’est pas plus petit ?! »
Paniquée, sa mère vérifia ma fièvre, rien à signaler. Je pensais qu’ils allaient me
rejeter mais ils sont plutôt gentils. Elle me questionna si j’avais récemment
rencontré un Yokai.
— Je crois… oui mais le prête m’a déjà aidé.
— Haru ? Accompagne le dans la montagne.
— Oui mère fit-elle fatiguée.
Nous fîmes le chemin de la veille. Je franchis la porte rouge, nous étions rentrés
dans le monde du divin, celui de la déesse Inari. Le prêtre se trouvait à l’entrée
du sanctuaire, Haru paraissait le connaitre. Nous le saluâmes avec respect.
— Oh ! C’est le gamin de l’autre jour. Que me voulez-vous Haru ?
Maitre kagekuni, cet enfant a été maudit par un Yokai.
— Je vais faire de mon mieux, c’est la première fois que je dois lever ce genre
de malédiction. Suis-moi gamin !
Haru s’en alla dans le feuillage d’automne et retourna dans la vallée. Il
m’emmena à l’intérieur, sous le shimenawa. Cela me rassure, aucun mauvais
esprit ne pourrait franchir le seuil. Il prit un objet, constitué de deux banderoles
en papier pliés en forme d’éclair fixé à une baguette de purification en bambou.
Je me suis plié en deux et il récita des paroles destiné aux dieux. Au bout d’un
moment, il me dit :
—Le yokai !? Pourquoi je n’arrive pas à établir contact avec lui ? Il ne faut pas
fléchir, ne vous inquiétez pas ! La déesse Inari fait de son mieux, peut-être que
ce n’est pas assez. S’excusa-t-il, je vais rédiger une missive à mon supérieur, il
saura quoi faire. D’ici là, reposez vous aux bains.
(Quoi ?! Il n’arrive pas à me guérir, cette malédiction va-t-elle continuer ? Je le
pense… Pourtant, pourtant, je ne peux pas terminer comme ça ! Ce n’est pas
juste ! ça ne peut pas être la fin. Le héros se relève toujours, oui… toujours !
Dans les contes, il y a un souvent un vieux sage qui aide et sauve les gens.
Est-ce trop demander ? Qu’est-ce je raconte ? La vie n’est pas un conte de fée. Il
faut courir vers les gens qu’on aime avant qu’ils disparaissent parce que la vie
est injuste. On se retrouve abandonné, seul mais dans ces ténèbres qu’est la
peine et le chagrin il y a néanmoins une lueur d’espoir : les amis)
Je me suis dirigé vers les sources chaudes. Personne ! Cool ! Cool ! Je n’avais
pas été aux bains depuis la sortie scolaire à Okinawa. C’était drôle, tout le

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monde voulait y aller et nous discutions de tout et de rien. Que des bons
souvenirs…
Soudain, je vis une tache noire au niveau de ma main. Elle n’était pas là hier,
j’en parlerais au prêtre. Cela doit être sans importance. Une fois sorti du bain, je
fus congédié à part. Dans cette pièce, j’avais juste de quoi dormir. Le reste de
mon temps, je fixe le mur avec certitude, l’idée de mourir me terrifie. Perdu, je
prie la déesse Izanami, il ne s’est rien passé. La pièce est éclairée que par une
bougie qui me montrait l’ombre du prêtre à travers les portes coulissantes. Sur
le point de m’endormir, le prêtre m’appela.
Le repas comportait de la viande, je suis heureux. Lorsque j’engloutis ces
morceaux, il me dit :
— C’est tout ce que je peux faire, je suis vraiment désolé.
Désespéré, je lui répondis :
— Votre maitre réussira, j’en suis sûr ! Où se trouve-t-il ?
— Mon maitre, Suketoki Kira se trouve par-delà la montagne boisée, près de la
rivière Kuruma dans la ville de Maebashi. C’est une ville florissante où les
poissons circulent à foisons. Les Geishas sont nombreuses à divertir les daimyo,
les samouraïs mêmes les riches marchands. J’ai entendu dire que le jeu est
propice là-bas. Il répondra, c’est un homme juste.
— Merci ! Ce repas était délicieux.
— Si vous avez la moindre requête, n’hésitez pas !
— Oui !
C’est alors que je suis retourné dans la même pièce. Peu à peu, le sommeil me
gagna. Je n’essaye de ne pas trop penser à ce qui m’arrive. Je veux oublier…
Des heures passèrent et tout d’un coup une forte lumière me réveilla, c’était le
prêtre.
Il s’exclama :
— Que vous est-il arrivé ? Votre corps ?! Ne dormez plus, c’est un ordre ! Si
vous le faites, vous allez mourir dans les jours qui suivent.
(Je ne me sens pas bien, surement de la fatigue...)
Il me garda près de lui, il m’aida à manger et m’empêcha de dormir. Toute la
nuit, j’ai observé la lune, elle est belle ce soir. Au matin, il s’était endormit mais
j’avais tenu.

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Pour me ressourcer, je suis allé une fois encore aux bains. A ma surprise, je vis
un homme (Ce n’est pas privé aussi…) Il était grand et assez musclé. Ce qui me
marqua fut au niveau de ses cheveux, chauve sur le dessus sauf sur les côtés. Il
avait ramené ses longs cheveux de derrière dessus pour en faire un chignon. Je
le reconnais ! C’est un chonmage, la coupe des samouraïs. Cependant une
personne normale aurait préférée s’attarder sur sa cicatrice dans le dos. Je suis
un otaku avant tout. Tremblant, je me suis rapproché de lui, murmurant : « Je
me permet ».
Il se retourna et me salua.
— Bonjour ! Quel est ton nom gamin ? Je suis Arikoto.
— Makoto Shota fis-je en me prosternant, enchanté… Arikoto ? Quel est votre
nom ?
— Pas la peine fit-il d’un revers de main, juste Arikoto, je ne suis plus. J’ai
arrêté de servir mon daimyo il y a quelques lune de cela. Aujourd’hui, je ne suis
qu’un simple ronin me baladant de village en village. J’essaye d’aider quand je
le peux. De nos jours, les gens n’ont aucun code moral : ils ferment les yeux aux
faibles et l’argent les a rendus faibles.
(Il existait donc des ronins comme kenshin le vagabond. Quelle surprise !? Il est
archétype du samourai tel qu’on le conçoit à notre époque. Cet homme doit agir
selon des valeurs morales et n’est pas corrompu.)
Enthousiaste, je lui répondis :
— C’est la première fois que je vois une personne de votre acabit. C’est un
honneur !
— Gamin ? La monde n’est pas vertueux, personne n’est blanc. Seule la neige
l’est jusqu’à le sang de la guerre la tâche, elle ne reste qu’un temps, tout comme
la paix et la vertu. Je peux te dire comment le Shogun, Tokugawa Ieyasu a
réussi à unifier le japon : la trahison des samouraïs.
— Vous voulez dire qu’ils ont trahis leur daimyo.
— Oui sinon aucune révolution n’est possible.
Dans cette euphorie, je n’ai pas remarqué que la marque s’était agrandie,
celle-ci semblait se diriger vers ma poitrine. Une douleur au niveau du cœur
commençait à se faire sentir, naïvement je me suis mis à pense que cela passera.

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A table, Kagekuni me présenta Arikoto, il s’entraine dans la montagne pour
parfaire sa maitrise du sabre. En effet, à sa ceinture, il avait deux katanas. Au
cours du repas, Kagekuni le supplia de m’aider en raison de ma malédiction.
Il semble à moitié étonné et clama :
— C’est pour ça que dans le bain, il me semblait faible. Fait voir ! dit-il en
m’enlevant mon kimono. Par la même occasion, il découvrit la marque.
Il se désola de ne pas l’avoir noté mais il m’assura qu’il connaissait une
personne capable de me soigner : son frère, le maitre de kagekuni.
Arikoto ne perdit pas de temps, il prit à manger et monta son cheval. A partir de
là, tout est flou, la plaine défile devant mes yeux. Nous pénétrions dans la forêt,
il nous a fallu deux jours pour la traverser à cause de sa densité. Deux fois, nous
nous sommes arrêtés au clair de lune pour manger, jamais il n’oubliait de me
nourrir. Durant le trajet, je me suis endormi par trois fois pourtant il faisait de
son mieux en m’empêchant de dormir. Il allait aussi vite que possible. Il fit de
son mieux pour éviter une des cinq routes menant à Edo.
Ce fut à l’aube du troisième jour que nous arrivions dans la ville en pénétrant
par un pont. Le récit qui m’a été conté s’est avéré : la ville pullulait. Je ne savais
pas quoi pas regarder car je suis un enfant de la campagne et ce genre d’endroit
m’a toujours répugné. Nombres de personnes se sont rassemblés au même
endroit : moines, marchands, samouraïs, geishas, artisans et pêcheurs. Je sentis
la bonne odeur du poisson matinal. Au loin, dans les rues en zigzags, je vis le
château de Maebashi. Là se dressait l’emblématique fondation surélevé en
pierre. Fait de tuiles, ces toits en pignon d’une courbe ondulée à sa partie
supérieur.
Il me mena à un temple. Je pus observer des gens se déplacer dans les canaux.
En vérité, je ne vis que très peu cette ville en raison de ma maladie. J’entendis
Arikoto qui suppliait le prêtre (Son frère). Malgré sa réticence première, il
accepta. Lorsque que j’étais dans le mal, j’entendis vaguement les paroles d’un
médecin disant être impuissant. Ils m’emmenèrent dans une pièce où ils
exaucèrent la moindre de mes requêtes.
Je le savais, ma fin approche. Ni le prêtre, ni le médecin n’avaient réussis. Cette
condamnation à la mort me donnait quand même l’envie de vivre. Je veux vivre
! Je veux vivre ! Je sombrais dans le désespoir….
On m’emmena aux bains, une dernière fois. Cette chaleur me fit du bien. La
marque avait atteint mes pectoraux : c’est la fin. Je suis dans cette pièce, seul au

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monde. Pas grave si mes vêtements sont trop grands. Quel est le mal de dormir
une dernière fois ? J’ai perdu foi en la vie.
A l’aube, on me mit un bandeau. Ce fut Arikoto qui m’accompagna, il resta de
marbre sachant mon destin. On ordonna de m’assoir. Soudain, Arikoto me
murmura amèrement : « Je suis désolé. » C’est alors que je compris, je vais
mourir. Il a fait ce qu’il a pu et a voulu m’épargner plus de souffrance. Je sentis
sa lame transpercer ma chair.
Durant un moment, tout est devenu noir et j’entendis une voix se frayant un
chemin dans la noirceur de la mort. C’est une femme et me chuchota :
— Je t’accorde mon aide, toi Makoto shota, l’homme malchanceux.
A mon incompréhension, je sentis du sable chaud et le gout de l’eau salée.
Est-ce le paradis ? Peut-être ? Tout d’un coup, je vis un enfant, je le connais :
c’est mon petit frère. Je suis tellement heureux de le revoir.
Il cria à maman :
— Regarde ! Il y a un vieux déguisé en samouraï.
« Un vieux » m’offusquais-je. Effectivement, je vis mes mains. Elles sont
ridées. Je ne comprends pas, quelques secondes auparavant j’étais un enfant.
Tant pis… Tout cela a disparu, ma malédiction. Je suppose que c’est le prix à
payer.
Soulagé, je cris :
— Je suis de retour ! C’est moi shota fis-je larmoyant.
Personne ne me crut, je fus laissé pour compte. Mon karma n’a donc pas été
épuisé. J’ai décidé de construire une cabane et de devenir pêcheur. Dès lors, je
suis devenu l’homme fou du village, celui qu’on laisse à l’écart. Cela me suffit,
j’accepte mon destin.

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Horizon des Événement

"Il y a des époques qui tournent en rond, certaines qui avancent, et d'autres qui
reculent", dans les hautes plaines du Manskia, une maison faite de bois d'un
marron des plus, dit-on des plus foncés de la galaxie, d'où la fumée sort, cette
constante fumée blanche, sur le sol qui est une glace que les premiers colons ont
foulée et que les derniers fouleront durant le grand déclin. J'étais assis là sur ce
tronc posé ici de façon à optimiser la place sans prendre en compte l'esthétique
de cet endroit, qui est d'un minimalisme religieux : un lit, un feu avec son
chaudron, une étagère avec quelques livres et quelques outils dans un coin. Il est
fort vrai que je détonne avec les lieux, même sans nul doute, bien que ma tenue
soit une armure taillée précisément pour mon corps. Pour n'importe quel
connaisseur, il ne ferait aucun doute de sa qualité de manufacture noble. Elle
vient tout droit des manufactures ducales du Calypso. Et ma cape, cette cape
offerte à ma mère par l'empereur luimême, on me l'a confiée le jour des Lames.
Cette révolte, dont le peu que je me souvienne avait commencé par une
importante émeute suite à la chute de plusieurs objets géocroiseurs qui ont
détruit des fermes à l'est du continent central de notre capitale. Des pans entiers
de l'armée ducale les ont assassinées, elle et mon père. Ma nourrice avait prêté
serment, nous nous étions enfuis dans les tréfonds de Mariakava, la capitale de
mon désormais duché, ce titre mien qu'est le Duché des Terres Anciennes fut
réalisé par une intervention héroïque du Grand Prêtre Oswald de Carinar, l'un
des principaux dirigeants du culte dédié à l'Horizon des Événements,.
Moi-même, j'ai été longtemps fasciné par cette frontière qui sépare l'existant de
l'impossible. Je comprends ce qui leur voue un culte, tout est possible, les
dimensions et les continums s'entrechoquent, l'endroi où même les dieux
pourrais prendre vie, cette limite est là où vient s'effondrer la rationalité contr la

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folie. Et surtout cette dernière chose qui peut faire dire à tous que je suis une
noble d'un rang élevé : dans mes cheveux d'un blond doré se trouve une broche
en or affublée du sceau de ma glorieuse famille.

J'entends des gouttes tomber sur le bois, une pluie verglacée. Ce monde n'a plus
connu de chaleur depuis fort longtemps, mais j'ai amplement conscience en
cette vieille maison, habitée par cette vieille dame aux cheveux gris tout
emmêlés, habillée de ses tenues en peau de lapin. Des années que je viens en ces
lieux, elle est l'oracle qui guide nos actions dans notre duché. Bien que les
religions ne me fassent pas grand-chose, il y a toujours un bénéfice à venir. Les
avis de cette femme, qui dit être la plus vieille du duché, ses conseils sont
affinés par des décennies d'observation. Car au fil des visites ducales,
commencées par mon grand-père il y a de cela 80 ans, nous avons été sa
meilleure et seule source d'information. Cela nous offre un véritable microscope
qui décortique durant une année royale une seule information, avec un regard
extérieur, celui d'une recluse. C'est à ce moment qu'elle prend mes mains, les
siennes, pour les présenter à ses yeux. Je sens ces doigts venir caresser
doucement mes paumes, sa voix tremblante, trébuchante signe qu'elle est entrée
dans la phase finale de la vie. Comment cela s'articule ? "Mon enfant, tu sais...",
quand...

Je me sens comme expulsé hors de la maison. Je gis au sol, le sang s'écoule de


moi. J'entends mes hommes crier des choses qui me sont pour l'instant encore
incompréhensibles. Je sens partir au contact du froid paternaliste du sol gelé.
Vais-je rejoindre mes parents ? Je m'étais juré l'œuvre de continuer mon père,
une mort si pitoyable. J'en suis terrorisé, pire que le jugement du divin. Je veux
une dignité au moment de mon...

"Alwaa !! Alwa !! Réveille-toi." J'émerge des fins fonds de mon subconscient,


de ces abysses ténébreuses, d'où même quelques pensées ou visions n'ont pas la
puissance de sortir, telle un horizon d'évenement où les mauvais fragment de
moi même ont enfermer tandis qu'un disque d'accrétion avec ma personnalité est
former. Je vois cette lumière que je reconnais, ce bleu entre la surface et les
profondeurs. Nous sommes dans une corvette. Mes paupières commencent un
combat qui semble perdu d'avance. Battement par battement, le regard flou se
transforme en quelque chose de plus net, ce qui permet de distinguer Falko, le
chef de la garde, mon estimé ami. Il m'observe attentivement, comme heureux
de me voir émerger. Il tourne sa tête en direction du poste de pilotage, où je
peux voir trois hommes assis derrière des écrans affichant des dizaines

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d'informations à la seconde. Derrière eux, un homme lance un regard au loin.
Falko crie : "Il faut injecter maintenant avant qu'elle fasse une rechute."
L'homme qui observait au loin s'approche de moi. Il est chauve, avec une
corpulence d'une armoire à glace. Il se saisit d'une sorte de conduite qui est
tenue au mur par une attache et s'approche de mon corps, qui repose sur un lit
médicalisé placé à la place de la table habituelle de commandement. Je sens une
pression et plus rien. Je sais ce que c'est, ils m'ont injecté le dernier médicament
à la "mode pour les riches", selon les rapports sur la population que me
fournissent mes renseignements. EKA, ce sont des dizaines de petits robots qui
soignent en quelques heures des blessures à partir d'une imprimante de tissus
organiques. Ils font un miracle. Je ne crois que plus jamais je critiquerai les
propositions de mon médecin particulier concernant ces achats que je
qualifierais d'inutiles.

Quand j'ouvre définitivement les yeux, je suis dans mes appartements privés au
sein du palais ducal. Je n'ai jamais été attiré par cette décoration fastueuse, faite
d'or et de bibelots qui pourraient payer sur plusieurs générations le salaire de
travailleurs miséreux de nos mégafarmes. Plus jamais je n'aurai d'insultes sur le
fait que je laisse des enfants mourir de faim alors que je vis dans un luxe qui
dépasse la compréhension du commun des mortels si je n'en vendais que 10
pourcent. Je vois à mes côtés, face à la porte tapissée de la représentation d'une
partie de chasse de mon père, Falko. Je le connais, lui et son caractère. Il doit ne
pas me lâcher d'un œil. Surprotecteur, presque étouffant, cet homme bien plus
grand que la moyenne aux cheveux en queue de cheval. Je vois ses mains, il
observe intensément la tablette qui est logée. Ne voulant pas le déranger, j'essaie
de me mettre en position assise tout seul, provoquant chez moi une réaction que
je ne peux contenir : "Aïe!" Ce qui le fait tourner presque immédiatement. Il
m'observe, une larme bientôt au coin de l'œil, heureux. "Dame Alwaa, plus
jamais vous ne faites ça. J'en avait fait la promesse à votre mère." dit-il avec un
entrain peu naturel. Il se jette aussitôt pour moi, calant l'un des multiples
coussins derrière mon dos. Il dit "Amaë, allume la télé!" Cette injonction qui
était une commande vocale lance un faisceau de lumière sur le mur qui se
trouve devant moi. C'était la chaîne principale du pays, Eternam Prima, qui
disparaît aussitôt qu'un geste lancé depuis sa tablette. Une vidéo, une vue
aérienne d'une maison dans une plaine glacée, non loin d'une corvette... c'est...
l'attaque. Je vois une explosion, la maison en ressort en miettes en un seul point
ne dépassant pas le mètre carré. Et il me dit : "On va recommencer. Désolé de
t'infliger ça, mais on doit comprendre. Notre réaction scellera notre futur. Donc

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observe bien la direction vers notre corvette durant l'explosion." Je suis sa
demande. La première fois, je ne vois rien. La deuxième fois, je crois discerner
quelque chose. Et à la troisième, oui, "c'est bien moi là qui vole, c'est ça ?" Il
acquiesce de la tête, mais avec un air plus dur. Il lit quelque chose sur sa tablette
et continue : "Bon, dans dix minutes, réunion de l'état-major. Tu m'y rejoins !"
Ce n'était pas une demande comme le veut la coutume de respect envers les
nobles. Je sens que la situation exige une simplification. En somme, je ne devais
pas être en retard, même d'une seconde. Une fois qu'il est sorti de ma chambre,
je sors, sous contrainte de ma nouvelle consœur qu'est la douleur de mon lit,
pour m'habiller avec une robe faite d'un velours noir. Ce fut des plus
compliqués, je pensais même fondre en larmes en appelant l'aide de mon père.
Mais me voilà assis sur mon siège dans la salle du conseil des armées, avec les
regards posés sur moi de ses différents membres, au nombre de 8. Ils doivent
s'attendre à ce que je commence, mais il n'est rien. Falko dit : "Dame Alwaa,
messieurs, nous savons tous pourquoi nous sommes là. Vous avez tous bien reçu
le mémo des renseignements, j'espère, sur l'incident Reverse." Un incident, il est
sérieux ? Si ma présence n'obliger aucune étiquette, alors j'en aurais fait la
remarque, mais je me contente de sourire et de dire : "Non." Yxov, le chef des
renseignements, aux cheveux bruns courts, dit : "Alors voilà le résumé. Le
premier point : il est fort probable que cette action ne visait pas à vous tuer. Au
contraire, d'ailleurs, vous éjecter peut être vu comme une menace de
renversement. Et le second point étant que ce qui vous a repoussé est une
modification de l'inclusion du champ de force dans une munition Alpha-14x
Impérial." C'est en voyant tourner la vidéo dans une table incrustée devant moi
que je sens mon cœur se stopper. Aljoudoumne était morte. Ô Dame, sachez
qu'à jamais je fondrai en larmes devant mes conseillers. Je venais de perdre ma
crédibilité, mais mon seul phare dans ce monde obscur venait de s'effondrer.
Une chose me sortit de mes supplications : "Message entrant du Roi." Le visage
sombre du Roi apparut sur les tablettes de tous. Il prit rapidement la parole afin
de monopoliser. Je l'avais côtoyé depuis assez jeune pour savoir que ce tic
n'avait rien de bon. "Madame.., messieurs, vous me voyez dans cet habit sombre
pour vous apporter mon soutien. Sachez que tout le royaume est à vos côtés.
Nous avons identifié ce type d'attaque, et je dois vous le dire, nous pensions que
les explosions inversées étaient loin derrière. Mais les extérieurs viennent de
signer leur retour. Ces attaques n'est pas symbole que de mort. Elles ont pour
objectif que quiconque côtoie un puissant en ait peur. Mais n'ayez crainte, je
vais levé sous peu l'hoste royal. Quant à vous, messieurs, attendez les

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instructions de monsieur le Duc !" La voix robotique dit : "Fin du message." Il
fallait que j'encaisse, et maintenant on confie ma vengeance à mon pitoyable
mari. Qui ce trouvent dans tous les lits du royaume, sauf le mien, je ne l'ai plus
vu depuis longtemps. Mais désormais, la suite de l'histoire ne dépend plus de
moi. Alors même que les conditions du terrorisme s'inversent, alors que jamais
nous n'avons connu d'attentats ne découlant pas d'une guerre en cours, je vais
utiliser ce malheur pour panser mes plaies internes et externes, et à oublier. Ce
temps me permettra de devenir plus fort que ces quelques secondes en l'air qui
ne représentent rien par rapport au reste des défis de mon règne qui ne fait
qu'entrer dans une ère signant la fin de la vampirisation de mon pouvoir, le
début d'une vraie défense pour moi, mon peuple et l'honneur de ma famille. Mes
parents que je veux qu'il sachent d'où ils sont, que je serai toujours là pour
honorer leur mémoire et pour continuer à faire prospérer ces terres sur
lesquelles ma naissance m'a ordonné obligation de veiller à leur survie. J'espére
de tout cœur que Falko ne fera pas le choix de m'abandonner j'ai besoin de lui
ici pour futur, pour préparer c'est militaire qui un jours feront tomber mon
maris, qui monopolise les pouvoir stratégique alors même que la dernière
journée passer entièrement dans ce palais remonte à notre nuit de noce.
Que cette lettre soient entreposer, que ce fait marquant reste pour le passé et le
futur de la riche histoire de ma famille, j'en fait don au temps.

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Digressions fragmentaires et poétiques sur la notion d’envers

Peut-être un jour comprendrai-je ce qui me fait marcher la nuit, en plein milieu


de ces énormes chaussées parisiennes qui enfoncent le noir. Peut-être ce goût de
passer entre les phares des voitures, et de cet inconnu chaotique qui se tend vers
moi, et m'attrape imperceptiblement. C'est en arpentant l’immense boulevard,
seul, à contre-courant que cela m'est venu. Et j'ai voulu, sachant que je devrais
fuir la ville demain, m'agripper un peu, arracher un peu à la ville ce qu'elle me
donne de pensées. Alors, en poète-peintre, en vagabond d’un soir, je pense à
crever, les sens en éveil. Je songe à une alternative à la tristesse du monde. Je
veux pénétrer l’envers.

Apprécier l'envers jusqu'à ce qu'il devienne l'endroit. L’envers cesse aussitôt


d’exister lorsqu'il devient coutume. Et arrivé au bout de cette année, alors que
mes pieds foulent les rues du quartier latin et que les lampadaires de la rue
Soufflot me bercent de lumière, j’ai compris que ma nouvelle ville avait perdu
son envers, que Paris avait retrouvé pour ce charme qu’éprouvent pour lui les
touristes. Et toujours, je songe à la face et à son envers, ces notions volatiles et
insaisissables. Je soupire dans l’espoir qu’elles deviennent mes camarades de
conjuration, qu’elles subsistent ne serait-ce que le temps de trouer mes
conceptions d’univers.

Ainsi je commence.

Pour le poète, chaque écrit doit se diriger vers un endroit, càd une destination
ordonnée préétablie. Pourtant, existe lors de tout processus d’écriture, ce
moment où l'auteur se transfert du penser à la phrase. Lors de ce processus,
s’immisce donc une première inconnue qui, au moment où elle survient, fonce à
l'envers du monde.

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Et je ne sais s'il est caprice juvénile, intermède d’abstrait délire ce moment où
j'écris, mais je sais qu’ils suit bien la logique bijective énoncée: il va à la fois à
l'endroit de mon envie du moment, mais aussi à son envers, car ma conscience
s’engouffre dans des méandres de pensées. À l’instant où j’écris — et j’écris en
marchant — j’avance à tâtons, je ne sais où je vais. Existe donc en moi une
contradiction entre la recherche d’un raisonnement logique, ordonné qui
s’accorde à mon intuition, et l’absence de pensée absolument construite. Cette
dernière est toujours en mouvement vers un inconnu chaotique, ce qui constitue
précisément la face opposée de la notion d’endroit.

Considérons maintenant un individu moyen. Il se lève le jour, se couche le soir.


On perçoit intuitivement une opposition endroit/envers ici. En ce moment
précis, je me juge et me dis, en noctambule d’été, qui écrit de nuit.

Peut-être qu'un jour l'endroit qu'est la nuit pour moi manquera de cet envers —
de cet envers du temps.

À ce moment peut-être que j'écrirai à l'envers, peut-être écrirai-je le jour.

Mais pourquoi voir les choses de manière si binaire ? Pourquoi voir toujours
l'endroit et l'envers ? Eh bien, je ne sais pas. Peut-être pourrait-on imaginer une
dichotomie qui n'apparaît pas comme aussi opposable, (opposée je ne sais).
Toujours est-il que l'endroit et l'envers sont bien ces notions qui, que l'on y prête
attention ou non, contrôlent nos vies. Peut-être sont-elles comparables aux
notions de même et d’autre, peut-être pas. Pour l’instant je ne sais. Mais
poursuivons.

Du point de vue moral, la dimension libertaire de l'envers, sa subversion séduit.


Et pourtant l'envers doit moralement devenir endroit. Si l’on songe pour autant
que les caractéristiques d’une personne dite à l'endroit, c’est à dire conforme
aux attendus moraux, l’est toujours relativement à un jugement personnel, ces
notions se voient immédiatement annulées au profit d’une égalité sous tous
points de vue. Tel personne peut juger que l’envers d’un autre caractérise son
endroit moral. Il n’y a donc de place pour l’endroit et l’envers qu’en éthique
(jugements relatifs, conventions), pas en morale (jugement absolu, règles).

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L'envers et l'endroit sont des notions donc très fugaces, très malléables et
presque même intangibles.
Et pourtant c'est cela. Parce que l'endroit est synonyme de redondance, de
stabilité et d’immobilité, il faut bien introduire de l’envers dans sa vie. Faire de
sa vie un envers.

L'envers est-il renouveau ? Oui, sinon quoi il fait partie de cet ordre qu'est
l'endroit. Pourtant, il faut nécessairement que cet envers existe quelque part,
qu'il constitue cet ordre, comme le kháos et le cosmos kósmos grec.

Là intervient l'inconscient. Le désordre, l'envers, se cache toujours dans l'angle


mort de l’endroit. L'envers se cache toujours dans l'inconscient. L’inconscient
est en somme notre chaos à nous. Est-il insaisissable ? Par essence oui, mais j'ai
conscience qu'il se présente, se manifeste à un moment, car c'est lui qui permet
le nouveau. — Je fatigue mais poursuis, dans la rue, dans ma nuit, dans ces
grosses allées de lampadaires et de bistros. —

Pendant que j'écris survient un nouveau problème. Le langage et sa vacuité.

Autrement dit, le langage qui échoue, le langage creux. Le poète doit pourtant
s'en saisir n'est-ce pas ? Alors comment le considérer à la hauteur de l'envers ?

Simplement.

Le poète crée à la fois l'envers et l'endroit. Ou plutôt l'endroit et l'envers. Je


m'explique. L'endroit est une condition nécessaire du texte poétique, texte
poétique qui n'est que lorsqu'il touche le lecteur, qu'il fait mouche, et remue ses
passions dans une identification personnelle, il va à l’endroit comme une lame
dans la plaie. Il doit faire écho chez le lecteur de façon consciente, voulue, et
doit donc faire sens, atteindre la cible vers laquelle il est dirigé, aller à son
endroit. Mais il apparaît que contrairement à la majorité des textes non
poétiques, le texte poétique est l’acceptation d’un plongeon vers l’envers, le
chaos interne du sujet — je manque d'un pied mal posé, qui m'entraîne, de
tomber dans un trou —, c'est à dire le désordre, et l'inconnu. Le poète s’offre
donc, à lui et à son lecteur, l'expérience d'une altérité en sommeil, en sommeil
au sein même du sujet. Une expérience qui va droit à son encontre — envie de

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m'arrêter dans un bar à la façade bien ouverte, mais j'hésite, j'ai peur de couper
mon élan.

Le désordre ne peut être intéressant qu'en une folie interne, intérieure. Le


désordre c'est ce déséquilibre fou qui fait soudainement voir ce que l'on aurait
pas dû, qui fait goûter l'impossible.

Peut-on vraiment aller au-delà de l'apparence ?


Non, nous sommes des êtres de perception, des machines à percevoir dont rien
ne prouve la véracité de ces mêmes perceptions. Peut-on alors aller à son envers
? Oui. L'envers est compris au sein du domaine du possible. Goûter l'expérience
inverse est la quête inaccessible ou presque, mais possible. C'est celle qu'il
convient de chercher. C'est plutôt celle que le poète trouve, car il ne la recherche
pas consciemment. Où lorsqu'il le fait, il se désauthentifie et devient un
écrivain. Nous soutiendrons ici que l’écrivain est un auteur qui n’écrit pas à
propos d’éléments immédiatement biographiques. l’écrivain est auteur de fiction
et s’oppose en cela même au poète.

L'auteur de fiction recherche activement la fiction, c'est-à-dire


l’accomplissement d’un inconnu, mais qui n'est pas l'envers; car l’écrivain s’il
croît parler d’autre chose que ce qu’il connaît. L'écrivain de fiction saisit ce qu'il
croit comme étant son envers en se mettant dans la peau de personnages
imaginaires. L'écrivain est donc nécessairement menteur. L’auteur de fiction est
un illusionniste qui souhaite faire passer du faux pour du vrai. Il cherche à faire
passer sa propre perception des objets qui l’entourent pour la reproduction
mimétique (nous parlons ici de fiction réaliste) du réel. L’auteur de fiction, en
illusionnant, cherche simplement à reconstituer un endroit. Il vise un endroit,
car il vise la conformité à l'apparence, l'apparence de l'autre donc, et vise non
pas la description de ses sentiments, qui pourtant est bien la seule chose au
monde dont il est impossible d’infirmer l’existence, vu de notre perspective
d’êtres de perceptions.

L’écrivain passe par l’endroit, c’est-à-dire ses propres impressions, pour trouver
un envers qu’il manque toujours, car il ne peut jamais sortir de ses propres
perceptions de l’objet imité. Il ne comprend souvent pas que c'est lui qu'il ne fait
que retrouver dans son texte. Lui, c'est-à-dire ses fantasmes, ses impressions.
S'il accepte cette vision, l'écrivain devient donc un prestidigitateur assumé, un

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trublion. Car l'envers ne se cherche pas mais saisit. Le poète est saisi par son
envers (son inconscient) et c'est ce dernier qui le meut.

Alors que le romancier de fiction, cherchant l’envers de sa condition, est


emprisonné dans des impressions qui ne reflètent que sa propre pensée, dans des
préjugés dont il ne peut se défaire, le poète, qui ne cherche point d’envers mais
est saisi par lui développe une production écrite d’une teneur tout-à-fait
différente.

Ainsi, et pour toutes les raisons évoquées, les poèmes écrits sans transcription
d'un état de conscience intérieur, eux-mêmes guidés de manière assumée par
l'inconscient, ne sont pas des textes poétiques. Le poète ne fait que délivrer son
envers en morceaux de langage qui lui paraissent au moins un peu étrangers, et
d'une certaine manière chaotiques. Les formes poétiques normées ne font donc
pas le poème, et la fable ne fait pas — je passe près (j'aimerais passer entre) les
couples qui dansent sous les petites arches près de la rue Rotrou au son d'un
graphophone; je ne veux pas rentrer chez moi je crois — le texte poétique. Le
poète rejette la fiction et assume pleinement la faillibilité de sa conception du
réel. Dans ses œuvres, le poète rencontre ainsi toujours une part de son envers.
Quiconque a jamais écrit un poème un jour ne s’est-il pas rendu compte a
posteriori à quel point ce dernier s’échappe du premier sentiment qu’il a voulu
transmettre. Tout poète n’a-t-il jamais entendu une nuit son œuvre lui hurler à
l’oreille:

« POÈTE, JE SUIS TOI »


?

Eh bien, j’affirme que cette même phrase signifie, déployée avec plus de netteté:

« POÈTE, CONTEMPLE MOI; JE SUIS TON ENVERS. »

Le poète (digne de ce nom) ne cherche donc pas le renouveau esthétique pour le


simple renouveau esthétique. Il préfère la vie à la recherche active de nouvelles
formes d’expression, et se nourrit de matière psychique. Cette matière peut pour
sûr s'avérer l'écriture de textes, et un individu enfermé chez lui à “noircir” vit
tout autant qu'un autre. Cependant le dénominateur commun du poète résulte

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dans cette transcription d'un état sentimental, d'un état de conscience, ce qui
résulte au jaillissement silencieux de son envers dans son verbe.

L'envers vaut enfin et surtout pour l'homme (animal conscient de son


inconscience), dans cette nécessité du mouvement et du changement,
d'acceptation de l'inconstance de son essence et de son utilisation en vue du
bonheur.

Pour cette raison, c'est l'essentialisation (toujours tronquée, ne serait-ce que par
l'existence d’une vie inconsciente du sujet) qui ronge l'homme, ou provoque sa
névrose, son anémie. Toute forme de cristallisation d’un jugement des qualités
d’un individu constitue pour lui une face artificielle, qui finit par devenir
routine. Or, toute routine finit par empêcher, car il n'existe aucune routine au
monde capable d’étancher les besoins de l'homme.

La routine, cette répétition d'événements déterminés, reproduite pendant un


morceau d'existence, devient un jour nécessairement subie, en raison de sa
confrontation avec un individu aux aspirations nécessairement changeantes,
convergent pourtant toujours vers le même besoin: la résorption parfaite de son
inadéquation au monde.

Me voici pourtant, ayant usé tous les itinéraires en ma connaissance pour rentrer
chez moi. Me voici pourtant, quittant les grands boulevards pour tomber dans
un goulet routinier, en train d'arpenter dans une énième itération le chemin du
retour, sans que de nouveaux accès à mon immeuble ne se présentent à moi —
je reprends toujours cette satanée rue, si ce ne sont pas les autres. Je suis coincé
dans l’endroit, mais je rentre…

Car disons-le, en réalité:

Personne n’a jamais vu l’envers.

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La face-B obscure

Fernand se garait toujours à la même place quand il arrivait à l’usine, à


l’emplacement 55X. Il descendait de sa voiture, se fumait une cigarette en
traversant le parking sur le chemin entre sa portière et l’entrée des vestiaires,
avant de saluer les collègues. D’un pas dynamique, il se rendait ensuite devant
le tapis roulant de la production afin de d’effectuer son travail.
La tâche de Fernand était toujours la même. Il devait retourner les pièces
défilant devant ses yeux lorsqu’elles n’étaient pas dans le bon sens.
L’expérience acquise dans cette mission lui permettait de détecter très
facilement les objets incorrectement disposés et les mettre à l’endroit afin que
ceux-ci ne bloquent pas les machines-outils. En effet, si un élément est
positionné de la mauvaise façon sur le tapis roulant, la suite de la chaine peut se
retrouver entièrement bloquée. Les ingénieurs surveillants aiment à rappeler
qu’une seule anomalie peut détruire toute la production et qu’une multitude est
à même d’abimer irrémédiablement l’ensemble de la machinerie. Dès lors, les
ouvriers accordent une importance particulière au placement des éléments qu’il
traitent.
Ce matin du 8 septembre, l’esprit de Fernand divaguait légèrement. Il se
projetait déjà dans l’entretien qu’il devait tenir avec la direction à 11h.
Monsieur Fabrile, le directeur de la fabrique était un petit homme mince au
visage affaissé par ce qui semblait être une vie entière dédiée à la réflexion.
Pour ce dirigeant consciencieux, réfléchir ne correspondait nullement aux
errements métaphysiques des philosophes ni aux pérégrinations esthétiques des
poètes mais plutôt aux optimisations méthodiques des industriels. En cela, il
rejoignait en aspiration des hommes comme Fernand et ses collègues, qui à
force de travailler comme des robots ne rêvaient plus à rien d’autre qu’au
nécessaire assouvissement de leurs désirs primaires : manger, dormir &
l’attention des femmes.

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A 10h50, Fernand quitta son engin de production et se mit en direction du
bureau du management. Il s’agissait d’une grande salle, surplombant le plateau,
entièrement entourée de vitres dont les stores vénitiens en aluminium étaient à
même de préserver la discrétion des meetings. Au milieu de la pièce, un bureau
en bois, du genre industriel, voyait sur son plateau s’accumuler une
impressionnante pile de dossiers. Monsieur Fabrile admirait avec attention des
feuilles dont la chemise rouge vif témoignait de l’importance. Lorsque Fernand
entra, il le salua sans décrocher de sa lecture et lui fit signe de s’asseoir. Ainsi,
le directeur acheva sa minutieuse analyse cinq minutes durant ; avant d’accorder
un regard à son employé qui semblait dire : « Je vous écoute ».
– Monsieur, j’aimerais vous demander des congés durant le mois de décembre
prochain. Ma femme voudrait retourner au Portugal pour y voir sa famille, nous
n’avons pas fait de retour au pays depuis des années.
– J’en suis désolé, monsieur Garcia mais je ne peux absolument pas vous
l’accorder. Le mois de décembre est la période la plus importante de l’année
pour notre activité et votre efficacité remarquable serait une absence
préjudiciable à la rentabilité de notre entreprise. Vous allez devoir reporter votre
voyage.
– Mais … C’est absurde ! Si je suis un employé efficace et exemplaire, ma
requête devrait être satisfaite, surtout qu’elle me semble raisonnable !
Fabrile ne répondit rien et se gratta le menton un instant avant de s’adosser
de ton tout son poids sur sa chaise. Il réfléchissait à une alternative. Il se
redressa soudainement, et s’approcha d’un tableau sur lequel était collée une
multitude de Post-It. Des roses, des oranges, des bleus, des verts, des jaunes,
tous d’une teinte fluorescente. Chaque couleur désignait une activité et
l’emplacement de chacun de ces papiers collants faisant référence à un maillon
du processus de production. On appelait ce genre de chose : un logigramme en
Visual Management. Fernand n’y comprenait rien. Le directeur admira la
fresque pendant deux longues minutes avant d’exposer le résultat de sa
méditation.
– Désolé monsieur Garcia, ce n’est vraiment pas possible pour le mois de
décembre.
Il se tut l’espace d’un instant et prononça ce mot : « Impossible ».
L’ouvrier ne savait pas quoi répondre, il ne comprenait rien. Ne pouvait-il
pas faire appel à un intérimaire ? Ou réorganiser l’équipe pour que quelqu’un
fasse son travail durant son absence ?

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– Je ne comprends pas … Aucune solution n’est envisageable ? Ma femme va
être furieuse.
– Aucune. La bonne cadence est essentielle pour réussir cette fin d’exercice,
nous sommes loin d’avoir atteint nos objectifs annuels, monsieur Garcia. Toute
l’équipe compte sur vous.
Fernand resta sans voix. Il avait l’impression de cauchemarder. Ces
entretiens avec le directeur se montraient souvent pénibles, voire presque un
supplice, mais celui-ci dépassait en horreur et en intensité tout ce qu’il avait
connu auparavant. Comment un employé aussi insignifiant que lui pouvait être
retenu comme le serait un maillon essentiel ? Il ne faisait que retourner des
galettes de PVC sur un tapis roulant. Tout cet enfermement était hors de
proportion.
Il se résigna et dit :
– Merci pour votre temps, monsieur le directeur.
– Je vous en prie, monsieur Garcia. Veuillez me pardonner de ne pas pouvoir
accéder à votre requête, j’ai fait tout mon possible.
– Je veux bien le croire …
Fernand prononça cette phrase comme un automate mais il n’en croyait pas
un mot, le directeur n’avait rien fait pour que sa demande aboutisse. Il quitta la
pièce et retourna vers le tapis de production, l’esprit hagard, encore hébété par
l’incongruité de l’échange qu’il venait d’avoir.
Sur la machinerie les rondelles de plastique passaient par centaine chaque
seconde, et environ 10% de ces objets n’étaient pas dans le bon sens. Fernand
retournait chaque rondelle machinalement en méditant aux options qu’il avait
encore en sa possession pour partir vers la terre de ses ancêtres au mois de
décembre. Son étude des possibilités pour quitter la France s’entremêlait avec
une rêverie portugaise où il se voyait avec sa femme et ses filles sirotant une
Super Bock devant un concert de Fado. L’esprit ailleurs, il laissa passer une
pièce dans le mauvais sens et précipita sa main vers l’énorme bouton rouge qui
permettait d’arrêter la machine. Il n’appuya cependant pas sur l’interrupteur et
attendit de voir l’élément problématique voyager jusqu’à la partie suivante de la
chaine de production. Il était curieux de voir les conséquences d’une
insuffisance de sa part. Rien ne se passa. Aucun cri plus en aval du processus,
aucun branle-bas de combat retentissant sur le plateau. Il n’en fut pas vraiment
surpris. Une alarme retentit en effet cinq minutes après l’incident mais elle ne
faisait que signaler l’heure de midi et le déjeuner des employés. Il appuya sur le
buzzer pour arrêter le tapis.

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A la cantine, depuis trois semaines, il se privait de viande afin de diminuer
ses frais de restauration et d’économiser pour son voyage. Le stand dit de la
boucherie proposait le plat que Fernand consommait quasiment tous les jours, le
steak-frite à 2 euros 76. Depuis qu’il était une sorte de végétarien par
l’obligation morale de garder ses finances saines, il ne prenait plus que les frites
à 76 centimes; avec un yaourt nature à 36 centimes. Avec les réductions
accordées au personnel de l’entreprise, il pouvait ainsi manger pour 1 euros 12.
Il s’agissait de son moment favori de la journée. D’habitude, il rejoignait ses
collègues et discutait des gosses, de bagnole, du football puis Marcel parlait des
gonzesses. Ne sachant pas réellement pourquoi, Fernand alla, ce jour du 8
septembre, s’asseoir tout seul à une table. Il ruminait son désespoir de ne pas
pouvoir aller au Portugal, il imaginait déjà la scène où il annonçait la nouvelle à
sa femme et voyait déjà son visage colérique. Se représenter cette situation
future faisait sourire Fernand ; car il trouvait Martha très belle lorsqu’elle était
prise par la rage ; parfois, il faisait l’amour avec beaucoup de passion suite à ces
disputes de ménage. En attendant, il lui fallait trouver une solution. Il trempait
alors mollement et dénué de conviction ses frites dans la mayonnaise sans que la
moindre idée de comment résoudre ce problème ne lui vint. Son esprit était
tellement hagard et confus qu’il oublia de sucrer son yaourt nature avant de le
manger. Il rendit son plateau et quitta la cantine.
A la machine à café, il ne put éviter le contact avec ses collègues et
échangea quelques banalités. Un des membres de la section B07X86 lui
demanda :
– Tu n’avais pas un entretien avec Fabrile, ce matin ?
– Si, mais il a reporté l’entretien, il n’était pas disponible finalement, mentit
Fernand.
Son camarade le crut sans difficulté tant c’était crédible. Fernand le regarda
dans les yeux un petit moment, ne rompant pas le silence, il attendait que son
interlocuteur s’exprime. Ce qu’il fit.
– Bon, c’est pas le tout mais faut retourner au turbin, il est l’heure.
Ils jetèrent leurs gobelets dans la poubelle prévue à cet effet – elle affichait
: « Ici, vous pouvez jeter vos gobelets » - et se rendirent devant leurs machines
respectives.
Durant toute la première moitié de l’après-midi, Fernand fit son travail
avec constance et sérieux, chaque petite galette de plastique étaient retournées
avec méticulosité et exhaustivité. Deux heures passèrent ainsi, sans qu’aucun
incident ne soit à déplorer.

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Il prit un café seul à 16h. Tout en buvant, Fernand regardait les réseaux
sociaux sur son téléphone, Facebook notamment. Il y voyait des photos de sa
fille avec son copain. Il ne l’aimait pas beaucoup. Christophe portait une boucle
d’oreille et conduisait trop vite ; selon lui, une fille de 16 ans ne devrait pas
avoir de copain mais sa femme lui avait strictement défendu de prononcer le
moindre discours paternaliste. En rangeant son smartphone dans sa poche, il rata
l’ouverture et l’appareil tomba face au sol. La chute se montra fatale pour la
vitre ! l’écran était entièrement fracassé ! « Ah putain de bordel de merde …
Fais chier, merde ! ». Il venait d’hurler dans la salle de pause. Fernand reprit un
peu de son sang-froid. Il marmonna sur le chemin de la machine à café vers
celle de son travail, des vulgarités et des imprécations contre la bonne fortune
tel que : « Fais chier putain … quelle journée de merde … putain de bordel …
j’ai tellement pas de cul … merde, merde, merde !».
Une fois de retour devant son établi, Fernand ne pensait plus qu’aux LED
brisée de son Samsung, à Christophe et Rebecca, à ses vacances au Portugal qui
ne se feraient pas. Son esprit était ailleurs. Il se demandait pourquoi il faisait
tout ça. Se lever le matin, conduire sa Ford Mondéo jusqu’à l’usine, retourner
les petites tartelettes. S’il arrêtait de faire ces choses, le monde continuerait de
tourner. En réalité, rien de tout cela n’avait beaucoup d’importance, estima-t-il
soudainement. Il murmura « ma vie est insignifiante … ». C’est à ce moment
précis qu’il arrêta de retourner les pièces. Des dizaines d’objets filèrent vers les
parties suivantes de la chaine de production sans être dans le bon sens. Cinq
minutes après avoir arrêté de faire son travail, il entendit dans les maillons en
aval du processus de confection : « Mais putain, c’est quoi ce bordel là ?! ».
Fernand se précipita alors vers le tapis roulant de sa machine et se mit à disposer
toutes les pièces dans le mauvais sens. Les ingénieurs évaluaient les pièces
régulières arrivant devant les mains de Fernand à 90% et les anomalies à 10%.
Cela voulait dire qu’il devait retourner 10% des objets pour bien accomplir son
travail ; et 90% pour mal le faire. Toutes les petites galettes se retournaient
comme des crêpes ou des steaks-hachés, le geste de Fernand témoignait d’une
grande adresse à l’œuvre. Il effectuait cette tâche depuis tant d’années qu’il
pouvait retourner les pièces régulières dans le mauvais avec une efficacité
prodigieuse. Cinq minutes après le début de son sabotage, les cris se
multiplièrent sur le plateau et un ingénieur cria « Arrêtez tout ! Alerte générale !
Ça va péter la machine ! Arrêtez moi cette merde ! ». L’ensemble de l’usine
s’immobilisa dans un bruit lent.

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Ce jour-là, les ouvriers rentrèrent tous chez eux avec deux heures d’avance.
Le soir du 8 septembre, Fernand ne dit rien à sa femme pour le Portugal.
Quand il revint sur son lieu de travail le lendemain, le staff technique
annonça que la chaine de production était complètement foutue, qu’il ne
pourrait pas faire repartir l’activité avant cinq mois. Selon eux, le délai pour que
les allemands manufacturent et livrent des nouvelles machines-outils allait
courir jusqu’au mois de janvier de l’année d’après. Monsieur Fabrile avertit
également ses employés qu’une enquête allait être diligentée afin de déterminer
les causes réelles de l’accident, que l’assureur l’exigeait ; tout le personnel de
l’usine était désormais au chômage technique et jusqu’à nouvel ordre. Il
semblait furieux et dépité. A la fin de son discours, il affirma qu’il ne pouvait
pas garantir que l’usine survive à une telle catastrophe.
Suite à ces annonces étonnantes, Fernand se posa sur le siège en velours de
sa Mondéo et lança l’autoradio pour y jouer une musique d’Amália Rodrigues
intitulée Fado Português. Il s’alluma une Philip Morris pour accompagner le
chant lascif de la chanteuse.
Il bronzait tranquillement sur une plage de Faro lorsqu’il reçut un message
sur What’s App. « Ils ont trouvé qui avait bousillé la machine, c’était Bernard.
Ils l’ont viré directos. Apparemment, il va avoir des emmerdes avec les flics
aussi … Dingue ! ». Fernand saisit alors une Sagrès dans sa glacière et émit un
grand ouf de soulagement. Il venait d’avoir le beurre, l’argent du beurre et le cul
de la crémière.

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Les ailes du plaisir

Le bruit des coups retentissant du marteau au dehors semblait se répandre dans


tout son corps tandis que son sang continuait de refluer vers son cerveau.
Entre douleur et extase, il n’était plus vraiment sûr de savoir ni comment ni
pourquoi il était arrivé là.
La tête basculée en arrière, comme immobilisée, il scruta d’un mouvement du
regard cette pièce qu’il ne reconnaissait pas.
Tout ici ressemblait à la chambre d’un motel perdu ici ou là. Un endroit où le
temps, depuis longtemps, s’était arrêté déjà. De la disposition générale de la
pièce, du plafond légèrement jauni à la moquette aux motifs années 70 couleur
tabac et grège.
En face de lui, un bureau au contreplaqué bois mat grossier laissait révéler sa
tranche non recouverte. Un téléphone à cadran, ce qui d’ici avait l’air d’être une
bible à sa couverture rouge et une lampe vieillotte y siégeaient. Il aperçut sa
veste déposée sur le siège y faisant face. Ces pieds métalliques brillaient
faiblement sous les quelques rayons qu’une petite fenêtre alvéolée dans le haut
du pan de mur à sa droite offrait à l’endroit.
Seuls les murs carmin dénotaient vraiment du reste. Une atmosphère étrange se
dégageait de l’ensemble.
« cling …. cling …. » les coups répétés continuaient au loin quand un bruit plus
sourd, plus profond, bien moins distinct s’arrêta net.
Tournant sa vue de trois quart sur sa gauche, il remarqua, quelques mètres après
l’entrée du vestibule, la lumière sous l’embrasure d’une porte. Elle s’éteignit
aussitôt.
Quelques secondes passèrent, la porte s’ouvrit. Ce qui semblait être une
apparition céleste, quasi-divine en sortit.
Une femme, le corps gracile, le teint légèrement halé par l’obscurité qui régnait,

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vêtu d’une simple culotte en dentelle noire. Elle aurait fait se damner un
eunuque. Il commençait déjà à perdre ses yeux dans ces courbes parfaites. Mais
il ne se souvenait de rien. Que venait-il de se passer ? Comment était-il arrivé
ici ? Avaient-ils … ? Sa mémoire commençait à dérailler… encore… Tout cela
lui paraissait bien trop beau. Il voulut lui demander, ses lèvres se mirent à
bouger sans émettre le moindre son …

« driiiiinnng .. driiiiinnng » il se réveilla en sursaut, redressant dans un même


mouvement son buste à l’assise. L’esprit encore imbibé de la scène, il se laissa
retomber lourdement sur le matelas dans un long soupir. Il tourna la tête, le
réveil affichait 6h07. Son lit et le plafond le bercèrent quelques minutes encore.
6h33, il se décidait enfin à se lever mollement. La faible luminosité se
dégageant autour des rideaux annonçait du maussade. D’un geste de la main il
en écartait un rebord scrutant la petite lucarne de ciel qui lui était accordait. Le
temps était au gris, il le serait aussi.
On était lundi, le week-end était passé, il s’observa péniblement dans le miroir.
Jours après jours ses traits autrefois fins paraissaient s’alourdir. Sa barbe
dépassait le communément admis. Il serait en retard.
Il était devenu de ceux qui n’accordent eux-mêmes qu’au strict nécessaire
imposé par les autres. Non pas qu’il les détestait, les autres. Il les trouvait
touchant même, parfois. Mais à l’image du monde dans lequel ils vivaient, et de
son monde aussi, à lui, il les trouvait vide, vide de sens.
Le poids de l’habitude était là, celle de la nécessité sans plaisir, ou de quelques
derniers encore, bien minuscules, bien éphémères.
Il s’éternisait sous la douche, se remémorant cette fois ci le rêve singulier qu’il
venait de vivre, avant de s’habiller en toute hâte, avaler un café court et un fond
de jus d’orange. Le frigo était vide.
Il profitait d’un dernier instant de calme en descendant les marches de son
immeuble. Il réajusta sa chemise et sa veste sous son manteau avant de sortir. La
porte du hall d’entrée se refermait derrière lui.
Pas encore 7h30. Les façades étaient mornes. Le concert constant des travaux
du grand Paris ne l’étonnait plus depuis longtemps. Il se confondait avec les
klaxons et les bruits de moteur.
Le ballet endiablé des voitures, des taxis, des motos et des bus avait pris depuis
quelques années une allure encore plus grotesque par l’émergence et la
multiplication des vélos, trottinettes, livreurs et de tous les nouveaux moyens de
locomotions et d’assistanat que le futur nous offrait déjà.

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Les freinages des automobilistes n’en était devenu que plus brusque, les
accidents et les altercations que plus violents, tandis que les rues elles
rapetissaient et la que la ville se transformait.
Il regardait une dernière fois le ciel. Les nuages étaient en train de virer du blanc
au noir. La ville lumière n’en était décidemment plus une depuis longtemps.
Il toisa rapidement les deux chenilles, le flot de piétons sur les trottoirs de sa rue
était déjà formé quand il sortait, il baissa la tête et s’y engouffra.

Pris dans l’enfer du métro parisien il se demandait souvent comment il en était


arrivé à trahir autant ses idéaux de jeunesse. Un travail insignifiant, certes bien
payé et qu’il faisait avec application mais à quelle fin ? Analyser des « risques »
dans une agence de conseil. Mais pour qui ? Pour quoi ? Aider les corrompus à
dépouiller les innocents. Plus le temps passait, plus cette image grossissait en lui
jusqu’à lui devenir insupportable. Il était devenu insupportable à lui-même.
En dehors de ce regard placide qu’il avait fini par afficher constamment, ce
détachement profond qu’il avait vis-à-vis des autres, et de sa personne, et de
cette profonde apathie qui s’était lentement mu autour de sa personne, il sentait
au plus profond de lui-même un bouillonnement intense. Une bête sauvage y
sommeillait, un vampire tonnait du point contre le couvercle de son cercueil, un
diable l’attendait au détour d’un recoin de lui-même, il le savait.
Le prix du silence lui avait offert une vie confortable. C’est ce qu’il se répétait
souvent. Mais il n’arrivait plus à concilier toute cette merde qui vrombissait
continuellement dans sa tête. Comment quelques caractères sur un contrat
avaient suffi à faire de lui un bandit à col blanc ?
Comment avait-il fait pour trahir autant ses idéaux d’enfant ? Comment
pouvait-il être le seul à voir ça ? Comment eux peuvent-ils tous se complaire
dans cette illusion d’utilité ?
« Une belle bande d’oiseau pensait-il, du col blanc au col mao il n’y a qu’un
pas. »
Le zèle toujours plus excessif de ceux qu’il côtoyait le rendait malade. L’appât
du gain et de l’accession à cet entre-soi du « haut » de l’échelle que la direction
entretenait à dessein et réservait aux « meilleurs », aux plus cyniques d’entre
eux.
Il en avait fait son combat, mais l’arène était en lui.
Il s’était donné un point d’honneur à accomplir sa tâche du mieux qu’il pouvait,
même pour ces fruits pourris. Cela lui permettait d’être en bon terme avec ses
ennemis malgré ces retards répétés.

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Il avait pris pour habitude de faire machinalement ce qui lui était incombé tout
en dérivant dans ses pensées.
Il était 19h passé, les bureaux était presque désert quand son n+1 le sorti de ses
rêveries d’une tape sur l’épaule avant de s’en aller.
« Bonne soirée Philémon, ne tardes pas trop à rentrer. Demain c’est mardi,
réunion avec le big boss, ne sois pas en retard ! »
Il le gratifia d’un hochement de tête, de quelques mots et d’un bon sourire avant
de ranger son bureau et prendre le chemin du retour.
Il repensa à son rêve de la nuit précédente. Il avait déjà perdu en intensité et en
détail. Mais la forte impression qu’il avait ressentie était toujours présente. «
Elle » aussi.
Les journées et les nuits passaient. Il ne rêvait plus. Le souvenir se dissipait lui
de plus en plus. Il n’avait vu qu’entrevu son visage, ses traits fins partiellement
couvert par de longs cheveux noirs, mais, étrangement, des yeux, ses yeux, le
hantait.
Depuis cette expérience, tout lui semblait si dur, plus dur encore qu’à son
habitude. Il avait véritablement l’impression de courir en sens inverse. Il avait la
sensation qu’un trou béant se creusait dans son abdomen.
Il se sentait faiblir sur tous les plans, particulièrement dans le travail. Plus rien
ne l’animait ici. C’était un lion dans une cage sans barreau.
Il décida un soir, une fois que le bureau fut partiellement vidé de l’agitation de
la journée d’écrire sa lettre de démission. Cela lui pesait, et il n’était pas du
genre à prendre ce genre de décision sur un coup de tête, mais il avait le cœur
gros. Une fois rédigée, il la rangea dans le tiroir de son bureau, le ferma à clef,
fit ses affaires et s’en alla.
Arpentant les longs couloirs blancs livides qu’éclairait encore les derniers néons
allumés en direction de la sortie il se sentait désorienté, perdu.
Il sortit d’un pas calme et serein, mais intérieurement il étouffait.
Il n’était pas encore 8 heures mais l’hiver avait déjà endormi la ville dans ces
zones de bureaux. Un grand vent frais soufflait, il en emplit ses poumons. Cet
air lui faisait du bien, il le sentait. Aussi il entreprit de rentrer à pied, malgré
l’heure et demie qui le séparait de chez lui.
Autant il avait appris à détester cette ville, autant il ne pouvait nier une certaine
magie qui en émerger parfois. C’était une de ces foi-là.
Il avait toujours aimé les lumières de la ville dans la nuit noire. Les voitures
dessinaient des lignes mouvantes le long des différentes avenues. Le froid
vivifiait les quelques parties du corps qu’il n’avait pas couverte et la buée de sa

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respiration lui peignait des tableaux impressionnistes pour lui seul. Il était
imprégné d’une heureuse mélancholie. Cette balade faisait revivre danser son
âme, ou était-ce la libération qui lui avait prodigué l’écriture de cette lettre. Il ne
savait pas, il ne s’en souciait pas. Il arpentait les rues le regard hagard, sublimé
par ces jeux d’ombres et de lumières. Ses jambes le portait, il se souciait
seulement de tourner une fois ou l’autre, dans les différents axes qui le
rapprochait petit à petit de son berceau.
Il naviguait depuis 1 bonne heure déjà quand les néons mauves et pourpres de la
rue St Denis le firent émerger de son doux rêve éveillé. Il marchait depuis
quelques centaines de mètres dans cette rue déjà et n’avait pas remarqué les
quelques ribaudes qui l’avaient alpaguées alors quand son œil s’arrêta sur un
logo qui lui semblait familier.
Une étoile brune à 5 branches sur fond violet. L’établissement, pour peu que
l’on puisse le définir ainsi affichait en dessous le nom de « Blackstar ».
Il n’était pas habitué de ces établissements mais une force immense en lui venait
de se réveiller. La bête endormie avait faim, elle était affamée et il était
étrangement attiré par ce lieu. D’un pas hésitant il se dirigea vers la porte. La
sonnette était surmontée d’une étiquette sur laquelle était inscrit « l’antre des
plaisirs ». Il sonna timidement.
Quelques secondes passèrent. Elles lui semblaient interminable. La maquerelle
vint lui ouvrir. Elle ne lui laissa pas le temps de parler. Son sourire trahissant ses
années, lui crachant allègrement la fumée de sa cigarette au visage elle lui dit
avec un fort accent slave « Entre mon chéri, nous t’attendions. Je t’ai réservé
notre meilleure petite. Va, la chambre du fond du couloir là-bas. »
Une forte odeur de tabac et de parfum emplissait l’espace. Le couleur était
sombre, on entendait de part et d’autre gémissements et voix rauques que la
faible épaisseur des murs laissait filtrer. Il s’avança vers la porte, toqua 1 fois, 2
fois, 3 fois, pas de réponses. Il se décida à entrer.
Le choc fut instantané, il était dans la chambre de son rêve. Il sentit son sang
commencer à bouillir et une vague immense de chaleur l’emplir, jusqu’à la tête.
Le paralysant presque sur place. La fille sortit de la salle de bain au même
moment. Il l’a reconnu. C’était Elle. Vêtu, cette fois. Mais en face de lui. Ces
grands yeux noirs. Au même moment il sentit une forme se glisser derrière lui.
On lui mettait quelque chose sous le nez. Il s’évanouit.
Il se réveilla en sursaut. Le bruit des coups retentissant du marteau semblait se
répandre dans tout son corps tandis que son sang continuait de refluer vers son
cerveau.

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Entre douleur et extase, il n’était plus vraiment sûr de savoir dans quelle
situation il se trouvait.
La tête en bas, comme immobilisée, il lui semblait qu’il était accroché par les
pieds. Une souffrance atroce lui scié les chevilles et le bas du plexus.
Une vieille radio dont il n’avait pas le souvenir dans son rêve chantait « we
were born upside down … ». Il releva douloureusement la tête. Un homme
chauve, immense gorille, était en train de le clouer sur ce qui semblait être une
sorte de croix en métal. Il perdait la raison. Voyant cela, ses plaies redoublèrent
de douleur. Il laissa tomber sa tête en bas et la vit elle, sur sa droite, assise sur le
fauteuil. Elle se leva, ses yeux avaient pris une couleur cendre, elle lui dit : « Par
ton sacrifice, j’expies le Diable qui vit en toi. Désormais, il m’appartient. Si tu
me veux, moi, ton Dieu, tu dois mourir. »
Il essaya de se débattre, il voulut crier, ses lèvres se mirent à bouger …
« driiiiinnng .. driiiiinnng » il se réveilla en sursaut, redressant dans un même
mouvement son buste à l’assise. L’esprit encore imbibé de la scène, il était
trempé et brulant. Il tourna la tête, le réveil affichait 6h47. Il était sonné. Il
voulut appeler son bureau, annuler mais il se souvint de la lettre de démission. Il
se prépara en vitesse, bu un café, la bouteille de jus d’orange était vide.
Il profitait d’un dernier instant de calme en descendant les marches de son
immeuble. Il réajusta sa chemise et sa veste sous son manteau avant de sortir. La
porte du hall d’entrée se refermait derrière lui.
Il toisa rapidement les deux mille-pattes, le flot de piétons sur les trottoirs de sa
rue était déjà formé quand il sortait, il baissa la tête et s’y engouffra.
Il marchait en direction du métro quand il bouscula un passant. Il le releva,
s’excusa en levant la tête. C’était Elle.

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