Vous êtes sur la page 1sur 315

© EPEL, 2022

212, avenue du Maine,


75014 Paris,
epel.paris@wanadoo.fr
www.epel-edition.com
Préparation du format ePub : LEKTI
ISBN (papier) : 978-2-35427-504-4
ISBN (ePub) : 978-2-35427-405-4
Guy Casadamont

L’ÉPOPÉE NOZIÈRE

EPEL
À Françoise Dezoncle
In memoriam
Il n’est pas vrai que la vérité ne contraigne que par le vrai.
Michel Foucault
Du gouvernement des vivants
Cours du 6 février 1980

L’aventure épique est [...] une exploration infinie de la culture


humaine [...]; l’épopée est un mensonge qui dit la vérité, un «
mentir-vrai ». [...] Homère n’est pas l’auteur de l’Iliade et de
l’Odyssée, mais de toutes les Iliades, de toutes les Odyssées.
Homère est une potentialité infinie de récits se rattachant à la
guerre de Troie. [...] Qui n’a besoin d’une célébration épique du
quotidien [...] ?
Florence Dupont
Homère et Dallas. Introduction à une critique anthropologique
Prologue

Bibliographie, problématisation
« Conduite à l’hôpital d’un homme décédé et d’une femme blessée et
paraissant avoir subi un commencement d’asphyxie par le gaz
d’éclairage. » Tels sont les termes d’un rapport de police en date du
mercredi 23 août 1933, adressé au commissaire de police du quartier de
Picpus à Paris. Dans la nuit du 22 au 23 août, des gardiens de la paix sont
alertés par la concierge du 9 rue de Madagascar dans le 12e arrondissement.
Au sixième étage du second immeuble, dans un petit logement mansardé
de deux pièces, appelés en catastrophe par la jeune fille de cet homme et
de cette femme, les voisins de palier vont découvrir les corps agonisants et
ensanglantés des époux Nozière. Accident domestique ? Suicide à deux ?
Meurtre, assassinat ? Très vite, on s’interroge ; leur fille unique, Violette,
âgée de 18 ans passés, arrivée la première sur les lieux, semble dans un état
de prostration.
Très vite aussi, dès la journée du mercredi 23 août, la certitude s’établit
selon laquelle Violette a commis un double meurtre dont sa mère
réchappera. Ce même mercredi, Violette échappe, elle, à la police
parisienne – elle est en fuite. Recherchée activement, elle ne sera arrêtée
qu’une semaine plus tard, le lundi 28 août dans la soirée, alors qu’elle se
rend à un rendez-vous galant – croit-elle. La presse se fait largement l’écho
de cette affaire.
S’appuyant sur les premiers articles de presse, dès la mi-septembre, un
nommé Jacques Niger publie une plaquette au titre d’emblée prometteur :
Le Secret de l’empoisonneuse. Le crime de Violette Nozières1. Cette plaquette
s’ouvre ainsi : « Une belle après-midi d’automne ; un ciel très doux. C’est
samedi : jour de congé, flâneries. Les couples sont nombreux dans le bois
de Vincennes ; ils se promènent lentement dans les allées ou s’enlacent sur
les bancs. D’autres montent sur une barque et canotent sur le lac calme. »
Sur l’une de ces barques se trouvent « deux jolies filles et deux jeunes
gens » : Violette Nozière est sur cette barque avec son amie Madeleine
Debize. Le lac n’est calme qu’en apparence.
Courant septembre toujours, deux journalistes, J. Pidault et M.-I. Sicard,
publient L’Affaire Nozières. Crime ou châtiment2 ? (figure 1). À lui seul, le
sous-titre de ce « livre rapide » (selon l’appréciation des coauteurs) laisse
lire que le crime commis a valeur de châtiment frappant ses parents.
Début décembre en Belgique, le groupe surréaliste animé par André
Breton fait imprimer une plaquette composée de poèmes et de dessins3. Le
groupe prend fait et cause pour Violette Nozière en faisant fond sur
l’accusation majeure de celle-ci, celle d’un inceste répété, imputable à son
père. L’affaire Nozière fit grand bruit dans le Paris des années 1930 et la
déflagration de la guerre de 1939-1945 ne la fera pas oublier.

Figure 1

L’année qui ouvre le dernier quart du xxe siècle est publié le premier
livre documenté et romancé sur cette affaire, celui de Jean-Marie Fitère,
journaliste, écrivain, romancier4. En 1978, le cinéaste Claude Chabrol
s’inspira explicitement de ce livre pour la réalisation de son film Violette
Nozière5. Le livre de Jean-Marie Fitère, dédié à Me René de Vésinne-Larue,
conte au fil de la plume une histoire à plusieurs endroits romancée, bien
que documentée des archives de l’avocat de Violette.
En 2011 et 2017 sont publiées deux études historiographiques, l’une de
Sarah Maza, l’autre d’Anne-Emmanuelle Demartini6. Le Paris des
années 1930 fait l’objet de leur étude, ainsi que les effets de la structuration
de classes et des normes de genre dans la société française sur l’affaire
Nozière. Si Sarah Maza ne doute pas de la véracité de l’inceste imputable à
Baptiste Nozière, c’est, pour Anne-Emmanuelle Demartini le nœud de
l’intrigue. Il n’en est pas d’autre. Nous nous écartons de ces deux
historiennes sur ce point décisif, lequel est constitutif de la défense de
Violette, dès le moment de son arrestation jusqu’au procès d’assises inclus
qui se tiendra en octobre 1934 à Paris. La consultation des archives
policières nous a permis de découvrir une scène, marquant un avant et un
après dans la trame de cette épopée.
La présente monographie s’inscrit au champ freudien dans sa
(dés)orientation lacanienne, où il y est question du « sujet dans le sujet », a
pu dire Jacques Lacan7. Il arrive, plus rarement, qu’au champ freudien soit
accueillie la dimension épique dans laquelle un sujet a pu s’avancer8. Par
cet accueil, le dos est tourné à la pente psychopathologique si immédiate et
si répandue. Dès lors, que retenons-nous d’une problématisation épique ?
Que vient faire la notion d’épopée, d’origine ancienne, pour qualifier cet
ensemble d’actes, signes exploratoires avant-coureurs d’un
empoisonnement qui cherche ses marques, persiste, jusqu’au soir fatidique
du lundi 21 août 1933 ?
Une problématisation épique, qu’est-ce à dire ? Autant abattre nos cartes,
en cinq traits.
1. L’épopée est un faire – un faire qui aura lieu. 2. L’épopée est à haut
risque – un risque qui sera pris, un risque fou. Qui fait un saut épique9
avance à découvert. 3. L’épopée implique conséquemment un ou plusieurs
seuils à franchir, à des instants précis. La pointe du saut épique réside dans
son acte même. 4. Par le franchissement de ce seuil l’épopée vise à la
libération d’un sujet. 5. Fomentation, l’épopée ne s’improvise pas, se pré-
pare, se pré-médite, elle est une méditation. L’épopée relève d’un registre
particulier, celui d’une forme de spiritualité.

« Un drame mystérieux rue de Madagascar »


À Paris, en plein mois d’août de l’année 1933, dans l’appartement d’un
immeuble de la rue de Madagascar dans le 12e arrondissement, un
événement surgit dont les gardiens de la paix Gailland et Poulman rendent
compte au commissaire de police du quartier de Picpus le mercredi
23 août : « Conduite à l’hôpital d’un homme décédé et d’une femme
blessée et paraissant avoir subi un commencement d’asphyxie par le gaz
d’éclairage. 1 h 50 du matin, gardiens de la paix alertés par la concierge de
l’immeuble. » Ce qui deviendra « l’affaire Nozière » va émerger d’abord
prudemment dans la presse. Ainsi dans le Figaro du jeudi 24 août 1933,
parmi des nouvelles diverses, cet entrefilet sous le titre « Un drame
mystérieux rue de Madagascar » :
Réintégrant, hier, l’appartement de ses parents, 9 rue de Madagascar,
Mlle Nozières, fille d’un chauffeur mécanicien du PLM [compagnie
ferroviaire Paris-Lyon-Méditerranée], fut arrêtée par de fortes
émanations de gaz. Elle prévint les pompiers et le commissaire de
police, qui, bientôt après, découvrirent dans une chambre Mme Nozières,
allongée sur son lit, qui portait à la tempe droite une blessure
saignante, mais respirait encore, et, dans une autre chambre, le père
inanimé, qui semblait victime d’une asphyxie et mourut peu après.
Détail curieux : aucune arme n’a pu être retrouvée. On se perd en
conjectures sur ce drame, que rien n’explique apparemment. S’agit-il
d’un double suicide ? D’un crime ? Aucun indice ne permet de retenir
une de ces deux hypothèses. Mme Nozières n’était pas en état d’être
interrogée.
Dès le lendemain, le journaliste, sous le même titre, mais avec le sous-
titre « La jeune Nozières a disparu », conclut son entrefilet ainsi :
D’après l’enquête de la police judiciaire et du commissariat de Picpus,
la jeune Violette Nozières aurait d’abord dérobé de l’argent à ses
parents, leur aurait laissé une poudre pour les empoisonner et serait
partie en ouvrant le robinet du gaz.
S’il y a encore de l’imprécision et de l’inexactitude dans cet entrefilet, la
suite le montrera, un verbe essentiel est imprimé. Il sera confirmé qu’il
s’agissait d’un empoisonnement de son père et de sa mère, imputable à
leur fille unique : Violette. À la date du mercredi 23 août 16 heures, le
commissaire de police du quartier de Picpus rédige une brève note dans
laquelle il suppose que « la jeune Nozières s’est rendue coupable du crime
d’empoisonnement sur ses parents ». Accompagnant ce même commissaire
de police à l’hôpital Saint-Antoine pour y retrouver sa mère, arrivée sur
place, Violette fausse compagnie au fonctionnaire de police.
Le Petit Parisien du vendredi 25 août 1933 titre en première page et
grands caractères : « Le mécanicien et sa femme ont été victimes d’un
empoisonnement criminel. Leur fille, âgée de 18 ans, a soudainement
disparu10. » Une photographie de Violette, adolescente, coupe de cheveux
au carré, vêtue d’un chemisier clair, est déjà diffusée (figure 2). En page
intérieure, ce journal publie une autre photo (figure 3). Sur la première
photo, Violette aurait une dizaine d’années, sur la seconde une quinzaine
d’années.

Figure 2
Figure 3

En page intérieure, le journal pose cette question : « Qu’est devenue


Mlle Violette Nozières ? » La hiérarchie policière n’a pas manqué de
s’étonner de ce que Violette ait pu fausser compagnie au commissaire de
police René Gueudet. La direction de la police judiciaire en est
immédiatement alertée. Les recherches commencent. Violette Nozière va
se retrouver seule.
Au presque mitan des années 1930, l’affaire Nozière fera grand bruit non
seulement à Paris, mais plus largement en France. En Europe, le contexte
politique partisan, pour les esprits les plus lucides, annonce le pire. En
Allemagne, le 30 janvier 1933, un certain Adolf Hitler accède au pouvoir.
On ne sait pas encore ce que seront les incalculables ravages de
l’hitlérisme. Mais très tôt, il inquiète. On le moque aussi. Dans un fascicule
réservé au seul corps médical, Le Film du mois daté de août-septembre
1933, un billettiste de la presse française de l’entre-deux-guerres, officier
d’infanterie grièvement blessé dans la guerre de 1914-1918, décoré, dresse
le bilan de l’année… scolaire (figure 4).
De son côté, le magazine Le Crapouillot avait, deux mois plus tôt, posé la
question qui commençait à s’imposer (figure 5).
Figure 4

Figure 5
1. Jacques Niger, Le Secret de l’empoisonneuse. Le crime de Violette Nozières, son arrestation, ses
complices ( ?). Enquête très complète. Tous les détails. Opinons de personnalités parisiennes sur
l’affaire, édité à compte d’auteur, le dépôt légal est du 15 septembre 1933. Les personnalités citées
sont Pierre Drieu la Rochelle, Marguerite Moreno et Marguerite Jouve.
2. J. Pidault et M.-I. Sicard, Sicard – 1933. La quatrième de couverture porte la date de
septembre 1933, et le titre d’une nouvelle collection, « Enquêtes et documents », no 1 ; édité à
compte d’auteurs. Nous respectons, à chaque fois, l’orthographe de Nozière telle qu’elle est écrite,
avec ou sans « s » dans les documents que nous citons. À l’état civil, le nom ne prend pas d’« s ».
3. Violette Nozières par André Breton, Salvador Dalí, René Char, Yves Tanguy, Paul Éluard, Max
Ernest, Maurice Henry, Victor Brauner, E. L. T. Mesens, René Magritte, César Moro, Marcel Jean,
Benjamin Péret, Hans Arp, Gui Rosey, Alberto Giacometti, Bruxelles, Éditions Nicolas Flamel,
achevé d’imprimer 1er décembre 1933 ; réédité en 1991 aux Éditions Terrain vague, coll. « Le
Désordre », avec une préface de José Pierre.
4. Jean-Marie Fitère, Violette Nozière, Paris, Presses de la Cité, coll. « N’avouez jamais », 1975. Ce
livre a fait l’objet de rééditions à l’identique chez divers éditeurs. Nous paginons les citations sur la
dernière édition publiée, celle des éditions Acropole (Paris), dans la collection « Jugés coupables »,
2007, sans en rappeler le titre.
5. Pour une fiche technique exhaustive, Christian Blanchet, Claude Chabrol, Paris, Rivages, coll.
« Cinéma », 1989, p. 79-80. Film DVD aux éditions René Château, 2007, 120 minutes.
6. Sarah Maza, Violette Nozière : A Story of Murder in 1930s Paris, Berkeley/Los Angeles/London,
University of California Press, 2011. Anne-Emmanuelle Demartini, Violette Nozière, la fleur du mal.
Une histoire des années trente, Ceyzérieu, Champ Vallon, coll. « Époques », 2017. Les livres de J.-
M. Fitère, S. Maza et A.-E. Demartini seront désormais cités sans rappel du titre.
7. Entretien de Jacques Lacan avec Emilia Granzotto, « Freud per sempre », Panorama du
21 novembre 1974. Texte disponible en ligne sur le site de l’école lacanienne de psychanalyse,
rubrique « Pas-tout Lacan » (https://ecole-lacanienne.net/wp-content/uploads/2016/04/1974-11-
21.pdf), p. 10.
8. Notamment, voir Jean Allouch, Nouvelles Remarques sur le passage à l’acte, Paris, Epel, coll.
« essais », 2019.
9. Le syntagme de « saut épique » a été avancé par Fethi Benslama à propos des combattants
armés de l’islam. Voir F. Benslama, Le Saut épique ou le basculement dans le jihâd, Arles, Actes Sud,
coll. « Questions de société », 2021.
10. Myriam Chermette reproduit, les comparant, des « unes » et des détails de Paris-Soir et/ou du
Journal aux dates des 28 et 30 août, des 2, 3 et 12 septembre 1933 et une « une » du 13 octobre 1934 ;
voir M. Chermette, « Le succès par l’image ? Heurs et malheurs des politiques éditoriales de la
presse quotidienne (1920-1940) », Études photographiques, no 20, « La trame des images. Histoires de
l’illustration photographique », 2007, p. 84-99.
Première partie

Sauts épiques
Coups portés
Gifle donnée/gifle reçue
Courant 1928, jeune voisine de palier des Nozière, Simone Mayeul n’a
pas su se taire, confrontée à une question de Germaine cherchant sa fille
qui n’était pas rentrée chez elle en fin de matinée. Violette et Simone
allaient à la même école primaire rue de Wattignies. Violette est de quatre
ans plus âgée. Sur une question de la mère de Violette, Simone a
l’imprudence de dire que sa fille est en bas « dans les fameuses voitures à
bras avec un garçon11 ». Conséquence ? « À l’école elle m’a donné une
paire de claques. Poufffffffff. » Violette lui donne en même temps une leçon
de discrétion : « Elle m’a dit : “T’avais rien à dire !” J’avais rien à dire, moi
on me demande quelque chose, une gamine de 11 ans, qu’est-ce que vous
voulez [elle rit]. Moi j’ai pas pensé à mal, moi. Où est Violette ? » Cette
dernière question va continuer à courir pour les parents Nozière quelques
années encore.
Violette est dans sa treizième année, elle fait très jeune l’expérience
qu’elle aura à soutenir ses amours contre les entraves qui ne manqueront
pas de lui être opposées par ses parents. Ainsi Violette dérobera-t-elle un
dictionnaire d’anglais à la librairie Gibert, afin de rendre illisible pour ses
parents sa correspondance amoureuse. Le vol a lieu au début du mois de
décembre 1932. Dans son audition du 25 septembre 1933 auprès du juge
d’instruction, Germaine Nozière fait savoir qu’elle et son mari ont été
convoqués au commissariat de police de l’Odéon : « L’affaire s’est arrangée
à l’amiable car nous avons payé 140 francs [100 euros12] pour un
dictionnaire anglais qui en valait une quinzaine. »
Il y a la gifle donnée et assumée, il y a aussi la gifle reçue. L’épouse d’un
camarade cheminot de Baptiste, Eugénie Reignard, présente ce témoignage
(le 2 octobre auprès du commissaire Guillaume) que nous citons in
extenso :
J’ai connu le ménage Nozière en 1913. M. Nozière était le chauffeur de
mon mari au PLM. Nous nous sommes fréquentés jusqu’en 1929. Après
la naissance de Violette, Mme Nozière nous rendait souvent visite avec
son enfant. J’ai été à même d’apprécier que M. et Mme Nozière étaient de
braves gens. Ils aimaient beaucoup leur fille, qui jusqu’à l’âge de 14 ans
ne leur a donné que des satisfactions.
Il y a environ trois ans, M. Nozière est passé chez moi pour me
demander d’aller voir sa femme malade. Je me suis rendue à leur
domicile, Mme Nozière était alitée, son mari était présent et Violette se
trouvait dans la cuisine. C’est alors qu’ils m’ont dit que leur fille, au
lieu de se rendre chez des amies était allée en compagnie d’un jeune
homme, en automobile, dans la forêt de Sénart. Je me souviens qu’au
cours de la discussion M. Nozière a giflé sa fille. M. et Mme Nozière étaient
très affectés de cet incident. Je peux vous affirmer que M. Nozière avait
pour sa fille une affection toute fraternelle [sic]. C’était un homme
honnête et droit. Mon mari estimait beaucoup son compagnon de
travail, qui était d’une moralité exemplaire [nos italiques].
Cette visite d’Eugénie Reignard à Germaine souffrante et alitée se situe
vers les derniers mois de l’année 1931. Violette est âgée de 15 ans. Baptiste
se révèle un père giflant, devant témoin. Déjà, Violette « en compagnie
d’un jeune homme » déclenche les coups d’un père.
Une lettre de Violette annonçant son suicide
Dans le cadre de l’instruction judiciaire qui a été ouverte pour homicide
et tentative d’homicide contre Violette, le 12 septembre 1933, le
commissaire Marcel Guillaume recueille un témoignage de plusieurs
collègues de Baptiste, dont le mécanicien Léopold Biard, 44 ans, sous-
inspecteur de la traction à la compagnie du chemin de fer du PLM. Il est à
l’origine de la désignation de Baptiste comme conducteur du train du
président de la République Albert Lebrun, sur la ligne Paris-Vichy, en
juillet 1933. Il se souvient de la venue de Germaine se présentant un matin
de décembre 1932 au dépôt des machines de la gare de Lyon, une lettre à la
main, écrite par Violette à l’encre rouge, annonçant son suicide pour le
jour même, à 4 heures de l’après-midi. « Nozière troublé à cette nouvelle
était parti immédiatement avec sa femme à la recherche de sa fille. »
Léopold Biard, se confiant au Figaro du 14 septembre, ajoute autre chose :
Ce que j’ai vu alors m’a vivement frappé, et aujourd’hui encore je
revois la scène comme si j’y étais à l’instant. Nozières pâlit, et en
quelques secondes sa figure se décomposa [nos italiques]. Une émotion
qui me parut extraordinaire fut visible sur ses traits13.
Émile Mau, le sous-chef du dépôt qui reçut Germaine, témoigne auprès du
commissaire de police qu’il « n’a vu qu’un passage de cette lettre, et je
crois me souvenir qu’il était ainsi libellé : “quand vous lirez cette lettre, je
ne serai plus de ce monde” ». Une bagarre sérieuse est engagée. C’est après
une vive « explication » avec ses parents, le 15 décembre 1932, que Violette
rédige, dès le lendemain matin, cette brève lettre :
Je vous pardonne pour hier. Mais je ne peux supporter vos reproches.
Je vais me jeter dans la Seine.
Violette
P.-S. : Je n’ai jamais « couru » avec personne14.
Que s’est-il passé ce 15 décembre dans le logement des Nozière ? Le
25 septembre, dans le cabinet du juge d’instruction, Germaine relate ceci :
C’est à cette époque que mon mari a surpris sa fille avec un jeune
homme à la station du métro Saint-Michel. C’est à la suite des
reproches faits à cette occasion et à celle de ses absences au lycée
qu’elle nous a laissé la lettre du 17 décembre [le 16 décembre au matin],
où elle parlait de se suicider parce qu’elle était malheureuse et qu’on ne
voulait pas la laisser sortir à sa guise.
Le 13 septembre, le juge d’instruction interroge Violette sur ce moment,
elle y indique notamment qu’elle n’avait « jamais eu de mauvaise
conduite » durant le mois de novembre pendant lequel elle ne se rendait
plus aux cours du lycée Fénelon. Le post-scriptum de cette lettre importe.
C’est sa réputation que Violette défend face à ses parents. Le vif reproche
adressé par ses parents de « courir » – et donc d’être une coureuse – lui est
jeté au visage. Ne pouvant continuer à vivre sous le régime des
« observations » et des « reproches », confrontée à cette charge, en ré-
action, Violette annonce son suicide. À propos de cette disparition
annoncée, Violette déclare dans sa réponse au juge : « C’est à cause [nos
italiques] des relations que j’avais avec mon père. » Est, par elle, livrée
l’« étiologie » de ce suicide annoncé. Ce sera l’accusation d’abus sexuels
proférée par Violette contre son père. L’inceste, clef de l’affaire Nozière ?
Cette lettre d’un suicide annoncé est destinée à produire sur ses parents
un effet de sidération et d’effroi : Violette jeune amoureuse met au défi et
en abyme l’autorité de ses parents. Un détail n’aura pas manqué de les
frapper, celui de la précision portant sur l’heure annoncée du décès :
4 heures de l’après-midi. Violette est née le 11 janvier 1915 à 4 heures du
matin. Le dire de Violette devient : « Vous m’avez donné la vie, hier vous
m’avez donné la mort. » Ce suicide (sui caedere, destruction de soi) n’aura
pas lieu comme tel. Cette mise en scène est une adresse sérieuse aux
parents. Elle a valeur d’avertissement, écrit en lettres… de sang.
Un rapport de police du 2 octobre 1933
Le 2 octobre 1933, Félix Leguillou de Penanros, commissaire de police du
quartier de Picpus, signe un rapport de quatre pages dactylographiées dans
lequel il revient sur ce qu’il qualifie de « tentative de suicide » et sur la
lettre écrite par Violette. Ce 16 décembre 1932, il a reçu « une femme
affolée », Germaine, dont les mots sont « entrecoupés de sanglots ». Le
jeudi 15 décembre, « une vive explication eut lieu, le soir, entre les parents
– le père reprochant à la fille “d’avoir traîné pendant un mois dans les
cafés du Quartier latin”, et, emporté par la colère, allant jusqu’à frapper sa
fille [nos italiques], et celle-ci qui, à part son absence au lycée, affirmait
n’avoir rien fait de mal ». Le commissaire rapporte que la lettre de Violette
commençait ainsi : « Vous m’avez appelée traînée, cela n’est pas [vrai]. »
Germaine attribue son geste de désespoir « à l’impression que lui avaient
causée les violents reproches de la veille ». Le commissaire note que
Germaine n’a pas parlé de sa fille en mal.
« Coureuse », « traînée » : « Au commencement, il y a l’injure », écrit
Didier Eribon15. Il la caractérise de deux traits, le verdict et l’emprise. Le
verdict est « une sentence quasi définitive, une condamnation à perpétuité,
et avec laquelle il va falloir vivre16 ». Second trait : « Celui qui lance l’injure
me fait savoir qu’il a prise sur moi, que je suis en son pouvoir. Et ce
pouvoir est d’abord celui de me blesser. De marquer ma conscience de
cette blessure en inscrivant la honte au plus profond de mon esprit17. »
L’injure touche à l’être du sujet. Il faudrait, freudiennement, inventer « un
stade de l’injure », celui-ci étant atteint lorsqu’un sujet est incriminé en
raison de sa sexualité.
Or non seulement Germaine ne dit pas de mal de sa fille au commissaire
de police, mais elle ne manque pas d’assigner, auprès de celui-ci, la volonté
de disparition annoncée de sa fille aux coups portés par Baptiste sur
Violette et à l’injure qu’il lui lança au visage, celle de « traînée ». Violette
ne traîne pas seulement au Quartier latin séchant les cours du lycée
Fénelon, elle est traitée de « traînée ». Dès lors, des connotations
érotologiques se présentent. Dans sa monographie clinique Marguerite, ou
l’Aimée de Lacan, Jean Allouch avance que Marguerite Anzieu, dans son
attentat (le 18 avril 1931) à l’endroit de la comédienne Huguette ex-Duflos,
« dit sa “jalousie”, terme à entendre aussi dans son sens de fenêtre : la
figure de la putain est sa fenêtre sur la sexualité féminine18 ». C’est sur cette
figure de putain que, le 15 décembre au soir, Baptiste a frappé. Baptiste bat.
Il lui arrivait aussi de battre son épouse – c’est ce que Violette aura dit à
son amant Jean Dabin par un dire indirect. À cette scène que nous tenons
pour traumatique, Violette aura réagi dès le lendemain matin, en
annonçant sa mort pour le jour même. Effroi contre trauma. Une jeune
femme est battue. Face à une telle frappe, Violette joue Seine contre scène.
« Il y avait sur le fleuve de grandes péniches qui s’en allaient comme de
lourds cercueils tout chargés encore des rêves morts de l’hiver19… » Ce
16 décembre, Violette a convoqué la mort. Comme une mise en garde à
Baptiste qui ne sera pas lue. Résonne autrement que Violette ne l’a voulu,
cette phrase rapportée par un ami, Pierre Camus : « Mon père oublie
parfois que je suis sa fille. »
L’académicien Henry Bordeaux, ancien avocat, s’indigne à contre-
emploi. Qu’on en juge :
Comment le père ne réagit-il pas quand il apprend la flétrissure de sa
fille et ses relations avec des jeunes gens ? Comment n’a-t-il ni colère
ni violence ? […] Imaginez la scène de famille dans un ménage normal.
Mais la mère aurait dû s’interposer pour arrêter les effets de cette
colère et de cette violence. Elle aurait tremblé pour sa fille. Elle aurait
redouté des excès. Ici, rien de pareil20.
L’académicien a ignoré qu’il était ton sur ton avec ce « père ».
Cette violence de Baptiste n’avait pas échappé aux médecins-experts qui
dans leur rapport médico-légal du 6 novembre 1933 notent : « Vers la
même époque son père la surprit en compagnie d’un jeune homme. Les
reproches de sa famille durent être cette fois assez véhéments. Ce qui le fit
supposer, c’est que le 15 décembre [le 16], Violette disparaissait [leur
faisant savoir] qu’elle allait le soir même se jeter dans la Seine21. » Les
experts n’attendent pas, c’est le soir même… Ce 16 décembre, les parents
Nozière retrouvent Violette en début d’après-midi sur les berges de la
Seine, quai Saint-Michel.

Premier franchissement épique :


le 23 mars 1933 au soir
« Éviter la contagion », de quoi ?
Le jeudi 23 mars 1933 au soir est le jour de la première tentative avérée
d’empoisonnement de ses parents par Violette. Alors qu’en septembre elle
est encore à l’hôpital Saint-Antoine, de par la seconde tentative
d’empoisonnement du 21 août, Germaine Nozière demande à parler au
commissaire de police du quartier de Picpus, ce dernier rend compte au
juge d’instruction de ses propos :
Le 23 mars, jour de la mi-carême, j’ai accompagné ma fille à l’hôpital
Bichat, au service du docteur Deron – à la sortie de la visite, dans
l’escalier du bâtiment de l’hôpital, ma fille m’a remis trois paquets que
j’ai placés dans mon sac à main – elle m’a dit que ces paquets lui
avaient été donnés par le chimiste du service […] et qu’il serait
nécessaire que nous les prenions pour éviter la contagion. Dans
l’après-midi, au cours de la conversation, mon mari a trouvé
surprenant qu’on nous donne de la poudre à avaler. Il a ajouté qu’il
irait voir le docteur Deron le lendemain.
Ma fille a insisté sur la nécessité de prendre ce médicament et le soir,
après avoir dîné, nous avons absorbé tous les trois le contenu de ces
paquets.
C’est la nuit où nous avons été victimes d’une asphyxie et transportés
moi et mon mari à l’hôpital Saint-Antoine. Violette n’a pas eu besoin
de soins. Je crois que ces faits dont je me souviens maintenant et que
j’affirme exacts constituent la première tentative d’empoisonnement de
notre fille.
Éviter la contagion, de quoi ? De quelle maladie ? La tuberculose ? La
syphilis ? Dans l’ordonnance de clôture de l’instruction du 5 janvier 1934,
le juge Edmond Lanoire retient que Violette était atteinte de la syphilis et
que ses parents en furent informés le jeudi 23 mars. Si cette infection
bactérienne est transmissible lors d’une relation sexuelle, on la dit aussi
d’origine héréditaire… Dès le 24 août, le brigadier-chef Gripois et
l’inspecteur Verrier recueillent le témoignage du docteur Deron indiquant
qu’il avait fait connaître l’état de santé de Violette à son père : « Il fut
entendu entre nous, pour ne pas occasionner de chagrin à Mme Nozière,
qu’il lui serait dit que l’état de sa fille était dû à l’hérédité. » Il s’agirait
donc de la syphilis. Entre le docteur Deron et Baptiste Nozière, une
« entente » est scellée pour ne rien dire à Germaine ; une prise de sang
pratiquée sur son mari atteste aussi du sérieux de la crainte d’une
éventuelle transmission héréditaire de cette maladie. Celle-ci pourrait ainsi
passer d’une génération à l’autre, voire de deux générations à la
troisième… Transmission sexuée et non sexuelle en ascendance, les parents
Nozière concernés ne seraient pas impliqués… mais leurs parents
respectifs le seraient. On chercherait alors du côté de Neuvy-sur-Loire ou
de Prades un grand-parent imputable à ce titre.
Anne-Emmanuelle Demartini note sobrement qu’en mars, « Violette
apprend qu’elle a contracté la syphilis. Elle suit alors un traitement et se
trouve blanchie au début de l’été. Sans signes cliniques apparents, la
syphilis de Violette est latente donc asymptomatique, et l’on ignore le
début de la contamination22. »
De son côté, Sarah Maza ne manque pas d’aborder ce moment23, mais met
en doute le sérieux du diagnostic de syphilis en raison du manque de
fiabilité des tests médicaux alors praticables dans les années 1930 – la
réaction au Wassermann incluait la tuberculose, ce test fut finalement
abandonné24. Elle ajoute un second argument, en considération de ce
qu’aura été la vie ultérieure de Violette, qui a donné naissance à plusieurs
enfants dès la fin des années 1940. La facilité de Violette à faire tant
d’enfants en un temps court fait peser de sérieux doutes sur ce diagnostic
de syphilis, car les femmes atteintes de cette maladie font fréquemment de
fausses couches25. L’historienne retourne-t-elle cette carte ? Au moins deux
médecins examinant Violette s’y seraient trompés. Quoi qu’il en soit,
tuberculose, syphilis, l’une et l’autre possiblement contagieuses, dans les
deux cas, à titre préventif, il est prudent de se soigner, en prenant les
substances médicamenteuses venant du docteur Deron, pour « éviter la
contagion ».
S’agissant de ce 23 mars au soir, Germaine ne croit pas à
l’empoisonnement, ce qui montre que les actes exploratoires antérieurs de
Violette pour le préparer n’ont pas été perçus pour ce qu’ils étaient. Que
Violette ait mis le feu intentionnellement au rideau qui sépare la chambre
de ses parents du lieu où elle dort, à ça Germaine y croit26.
Un court-circuit ?
Le voisin de palier des Nozière, René Mayeul, électricien, appelé au
secours par Violette dans la nuit, est auditionné le samedi 26 août. À ce
jour, Violette n’a pas été arrêtée.
Je demeurais depuis quatorze ans27 sur le même palier que les époux
Nozière, et je les connaissais, sans avoir avec eux de relations suivies.
Ils m’ont toujours paru vivre en bonne intelligence. Je n’ai jamais
entendu de discussion [nos italiques]. Je ne savais rien de la conduite de
leur fille. […]
C’est moi qui ai été chercher aussi [les pompiers] lors du commen‐­
cement d’incendie du mois de mars dernier. Il était environ 2 heures du
matin lorsque j’ai entendu la voix de la fille Nozière criant à son père :
« Il y a le feu. » Je suis allé sur le palier. Comme la porte était fermée et
qu’on ne m’appelait pas, je suis revenu chez moi.
À ce moment, la fille Nozière est venue frapper chez moi en me disant :
« Je ne sais pas ce que c’est. Il y a maman qui ne respire plus [nos
italiques]. » J’ai pénétré dans l’appartement et j’ai vu un rideau qui
brûlait encore. M. Nozière avait commencé à l’éteindre, mais il était
tombé par terre. J’ai achevé de l’éteindre en arrachant le rideau et en le
piétinant. J’ai constaté qu’une moulure couvrant les fils commençait à
brûler. Je l’ai fait aussitôt sauter.
La fille Nozière a prétendu que c’était un court-circuit. Mais, moi-
même qui suis électricien et le capitaine des pompiers accouru, nous
avons constaté que les fils étaient intacts. Du reste, il y avait de la
lumière dans toutes les pièces ; donc pas de court-circuit.
On a donné pendant deux ou trois heures des soins à Mme Nozière. On
lui a même fait des piqûres puis on l’a transportée à l’hôpital.
L’électricien et l’officier des pompiers sont formels, il n’y a pas eu de
court-circuit provoquant un commencement d’incendie. En invoquant un
court-circuit qui renvoie à une défaillance de l’installation électrique du
logement, Violette essaie d’accréditer le fait d’une asphyxie par
émanations toxiques à l’origine du malaise de ses parents, version d’un
accident domestique.
L’expression « court-circuit » peut présenter aussi une autre dimension.
Elle peut dire encore la voie courte et rapide du crime, voie immédiate et
invisible, celle de la poudre, pharmakon, remède et poison, a-t-on rappelé28.
Crime pharmaceutique. Le court-circuit dirait aussi dans sa brièveté :
« Finissons-en ! » Mais avec quoi29 ?

Répétitions
Essais dans le vin
Simone Mayeul, voisine de palier des Nozière, témoigne de ceci –
quelques décennies après les années 1930, son souvenir reste vif :
Ah oui, parce qu’ils recevaient leur vin de Neuville [condensation de
Neuvy et Deauville où Violette s’est rendue]. Elle, Mme Nozière, était de
Neuville et ils recevaient leur vin, qu’ils mettaient au tonneau à la cave,
puis lui, il montait son vin par bouteille. Et puis un jour, il dit à ma
mère : « Je viens de recevoir mon vin, venez le goûter. » Ma mère qui
était pas une buveuse, […] elle buvait pas, elle a bu une goutte, enfin
peut-être un p’tit verre de vin, puis quand elle est partie travailler à la
manufacture [des tabacs] elle était pouttt ! comme ça ! Et puis un autre
jour, c’est [mon père] qui y a eu droit aussi et alors après on a compris
qu’elle droguait le vin. Et alors elle droguait le vin puis le soir, pour
pouvoir sortir, comme ils étaient drogués. Donc eux couchaient dans le
fond, elle dans la salle à manger, mais mes parents l’entendaient :
« Bonsoir papa ! Bonsoir » [voix minaudante], alors avec une voix
comme ça : « Bonsoir maman ! » « Maman » dix fois pour savoir si
vraiment ils étaient endormis, puis après bah, elle s’en allait.
Entre les deux logements mitoyens la cloison laissait donc entendre les
propos tenus. Pour Violette, ce sont les premiers essais de produits
susceptibles d’alourdir le sommeil de ses parents – de les endormir.
Premiers traits épiques. Premières explorations. De ce logement sortir
pour… sortir librement le soir.
Qu’a fait Violette ?
Du 20 mai au 26 juin de cette année 1933, Violette est à Prades, près de
Langeac, dans le Gévaudan, chez son grand-père paternel, Félix Nozière.
Le dimanche 2 juillet à Paris, elle surprend tôt le matin son père dormant
par une initiative intempestive dont elle n’était pas coutumière. Ce que
Germaine relate au juge d’instruction lors de son audition du
15 septembre :
Au début de juillet 1933, de très grand matin, Violette, dont ce n’était
pas l’habitude, nous a apporté du café au lit. Elle a réveillé son père,
rentré tard dans la nuit, et qui en a été mécontent. Ce café était très
amer, et nous n’avons pas pu le boire. Les deux tasses étaient pleines.
J’ai fait jeter ce café, mais ai demandé à ma fille de conserver le café
moulu dans le filtre. Or ma fille s’est empressée de le jeter. J’ai refait
ensuite du café avec les grains du même paquet. Il était excellent. Ma
fille ne boit pas de café, mais du thé.
Café dont Violette attendait un effet qui ne s’est pas produit et dont
Germaine saisit la portée plus tard. Elle explore les effets de certains
produits. Les échecs font rebond. Continuant à s’exposer, Violette poursuit
discrètement son dessein. Entre la première tentative d’empoisonnement
du 23 mars qui conduit sa mère à l’hôpital et celle du 21 août, se glisse une
chute de Baptiste du tender de sa locomotive un… 14 juillet.
Une chute de locomotive le… 14 juillet
Le vendredi 14 juillet, Baptiste tombe de sa locomotive30. Depuis 1880 se
célèbre la chute de la prison de la Bastille, le 14 juillet 1789, par les
insurgés, et dès lors aussi la chute de toutes les bastilles… Dès le premier
interrogatoire qui suit presque immédiatement son arrestation, Violette se
défend d’être impliquée dans cette chute. « S’il est tombé de sa locomotive,
c’est parce qu’une briquette a basculé. » Sur cette chute, Germaine
s’exprime différemment : « Il avait glissé sur une briquette. Il était
fortement contusionné. »
On lit que pour Violette, c’est la briquette qui est active (elle a basculé) et
fait tomber son père, chez Germaine, c’est son mari qui a glissé,
provoquant ainsi sa chute. Selon Violette la briquette est à l’origine de la
chute, chez Germaine son mari glisse et tombe. Sur cette chute, le
témoignage de Simone Mayeul est plus explicite :
Et justement un jour il est tombé de sa locomotive. Et comme ils
savaient que c’était un homme qui ne buvait pas ni rien, ils ont cherché
pourquoi. Et là ils se sont aperçus que, par prise de sang ou quoi je
n’en sais rien, […] j’peux pas vous dire, ils se sont aperçus qu’il était
drogué. C’est comme ça qu’on l’a su. Et elle, elle droguait le vin.
Baptiste reste en convalescence chez lui jusqu’au 31 juillet, puis reprend
son travail, pour à nouveau cesser le 2 août. Le 5, il est hospitalisé à la
Pitié, ne retrouve son domicile que le 17 août. Un médecin qui examina
Baptiste à la suite de cette chute remarque « un état d’abrutissement
anormal31 ».
Consonance entre « Baptiste » et « Bastille ». Ce jour du 14 juillet 1933,
Baptiste tombe comme tombe une bastille. L’embastillée du 9 rue de
Madagascar, c’est Violette. Rigoureusement, elle vient de faire tomber une
« bastille » à laquelle elle continuera de s’attaquer, jusqu’à sa chute finale.
C’est encore une tentative dans son épopée.

Second franchissement épique : le 21 août au soir


Découverte macabre dans la nuit du 22 au 23 août
Dans la nuit du mardi 22 au mercredi 23 août, autour d’une heure du
matin, Violette rentre chez ses parents ; elle y « découvre » un drame, ses
parents agonisent, son père tombé près du lit pliant, sa mère allongée sur
le lit de la chambre conjugale. Le gaz d’éclairage siffle dans l’appartement
et dégage une violente odeur. Violette sonne puis frappe à la porte de son
voisin de palier René Mayeul, lequel descend réveiller la concierge pour lui
dire que les époux Nozière ont été asphyxiés par le gaz d’éclairage. La
concierge monte au sixième étage, Violette a été accueillie chez les Mayeul.
Les pompiers sont appelés, puis les policiers. « J’ai hébergé, déclare la
concierge, la demoiselle Nozière une partie de la nuit. Elle était dans un
état de prostration complet. » Contacté par les gardiens de la paix, le
commissaire de police René Gueudet se rend sur les lieux et recueille les
premiers témoignages, dont celui du voisin Mayeul :
Ce matin à 1 h 15 j’étais couché lorsque j’ai entendu sonner puis
frapper et appeler à ma porte. Je me suis levé et me suis trouvé en
présence de la demoiselle Nozière. […] J’ai trouvé la dame Nozière
couchée dans son lit. Elle avait le visage plein de sang et appelait sa
fille [nos italiques]. J’ai ouvert la lumière dans l’entrée, j’ai constaté
qu’un lit pliant dans la salle à manger était rempli de sang, mais je n’ai
pas aperçu immédiatement M. Nozière. Je suis resté sur le palier en
attendant l’arrivée des pompiers et des agents [de police] qui avaient
été appelés par la concierge et la demoiselle Nozière. C’est à l’arrivée
des pompiers que le sieur Nozière a été trouvé dans la salle à manger,
accroupi32 sous un édredon entre la table et le lit [déplié de Violette], la
tête contre le buffet. Il avait cessé de vivre. Le corps était
complètement froid et rigide, les ambulanciers qui l’ont enlevé ont
même déclaré que la putréfaction était commencée.
Ci-dessous un graphique du logement des Nozière à partir d’un schéma
de la police judiciaire (figure 1).
Figure 1

La première version de Violette


Violette est entendue dès l’arrivée de la police judiciaire ; le commissaire
Gueudet la décrit : « brune, gentille, mince, nerveuse, manteau noir, béret
noir, chaussures noires ». La toute première déclaration de Violette dit sa
version des choses et commence à conter sa journée du lundi 21 août :
Hier, 22 août, j’ai quitté le domicile de mes parents vers 7 heures. Ils
étaient en bonne santé et encore couchés dans leur lit. Je suis allée
chercher mon amie Debize Madeleine, afin de l’accompagner à son
bureau. J’ai été reçue à son domicile. Je l’ai accompagnée à son travail
rue La Bruyère, puis je me suis rendue au salon de coiffure des Galeries
Lafayette. Je me suis fait faire une mise en plis, une friction et soigner
les mains. Après, je suis allée déjeuner boulevard Saint-Michel. J’ai
passé mon après-midi au Palais du café, boulevard Saint-Michel, avec
des amis dont je ne connais ni les noms et [ni les] adresses. Je suis allée
chercher une bague en réparation chez un bijoutier de la rue Blanche
pour la remettre à mon amie Madeleine.
Je n’ai pas dîné et suis allée chercher mon amie à la porte de son
immeuble à 20 h 30. Nous avons passé la nuit à la Coupole et à Tabarin
[figure 2] avec des amis dont j’ignore aussi les noms et les adresses. Je
suis rentrée en voiture avec mon amie, le propriétaire de l’auto et un
de ses camarades, après avoir déposé mon amie rue Claude-Decaen.
Je suis rentrée seule au domicile paternel. Je n’ai pas donné mon nom
en rentrant à la concierge, arrivée devant la porte de l’appartement de
mes parents, j’ai pris les clefs et j’ai ouvert la serrure, aussitôt j’ai senti
une forte odeur de gaz, j’ai appelé le voisin M. Mayeul et la concierge
qui a prévenu police et sapeurs pompiers. Je ne suis pas rentrée dans
l’appartement et ne sais comment s’y trouvaient mes parents [nos
italiques].
Mes parents vivaient en complet accord. Je ne comprends pas ce qui
s’est passé. J’ajoute que je désirais partir aujourd’hui dans la matinée
aux Sables-d’Olonne avec la demoiselle Deron Jeanine, fille du médecin
qui me soigne33. J’ai aussi envoyé hier soir à mes parents un message
téléphoné pour les avertir que je ne rentrerai pas dîner. Je ne leur avais
pas dit cela avant de partir, car j’attendais la décision de mon amie
Madeleine.
L’enquête de police établira très vite que Violette a passé le reste de la
nuit du lundi 21 au mardi 22 dans une chambre de l’hôtel de la Sorbonne,
rue Victor-Cousin. Si Violette a pu tenir un temps bref la posture de celle
qui découvre dans la nuit du mardi 22 au mercredi 23 le drame qui vient
d’avoir lieu, lors de cette longue journée du mercredi 23 août commencée
dès une heure du matin, elle ne pourra tenir que quelques heures encore
cette partition.
Germaine est transportée dans la nuit à l’hôpital Saint-Antoine. Le motif
d’admission noté par le brigadier-chef Goret dans un rapport daté du
23 octobre est celui d’une « tentative de suicide » , il ajoute que Germaine
« portait une plaie sur le dessus du crâne », pour laquelle l’interne de
service lui a fait « un pansement sommaire ».
Agissant sur commission rogatoire, à la date du 26 octobre, le
commissaire Guillaume note : « plaie d’environ 3 centimètres », « points de
suture posés », « plaie sans gravité », « elle était située derrière la tête et à
droite ». Cela accrédite la version d’une blessure sans gravité consécutive à
une chute de Germaine (sa première version) plutôt qu’une blessure
consécutive à un coup porté (sa seconde version). Elle reste hospitalisée à
Saint-Antoine du 23 août au 2 septembre, jour de sa sortie au bras
d’Auguste Desbouis, son beau-frère.
Auditionnée dès le mercredi 23 août dans la journée, Germaine relate la
soirée fatidique du lundi 23 au soir en ces termes :
Ma fille avait apporté à 19 heures trois paquets de poudre destinés un à
chacun de nous qui lui avaient été donnés par le docteur Deron. Elle
avait une lettre du docteur qu’elle nous a lu. Dans cette lettre, le
docteur Deron nous demandait de prendre chacun le contenu d’un
paquet à prendre pour nous faire du bien [nos italiques]. Il nous
recommandait de faire attention et de ne pas nous tromper de paquet,
car celui qui était destiné à ma fille était différent des autres et qu’il
l’avait marqué d’une croix.
À 22 heures avant de nous coucher, j’ai fait dissoudre dans deux verres
d’eau le contenu des paquets destinés à mon mari et à moi. Ma fille
s’est occupée elle-même de son paquet. Dès que j’ai eu absorbé cette
mixture, j’ai perdu la notion des choses. J’ai appelé mon mari qui ne
me répondait pas. Je me suis traînée vers lui, il était sur le lit de ma
fille, dans la salle à manger et il y avait du sang, beaucoup de sang [nos
italiques]. C’est en me traînant vers lui que je me suis blessée à la tête
contre un meuble.
Violette, qui a dû accompagner le commissaire Gueudet à l’hôpital Saint-
Antoine le mercredi 23, en début d’après-midi, va lui fausser compagnie.
Le cadavre de Baptiste Nozière
Alors qu’il est à l’hôpital Saint-Antoine, le commissaire Gueudet se rend
dans la salle des morts pour y être mis en présence du corps de Baptiste
Nozière et constater le décès. Il ne relève « à la surface du corps aucune
trace de violence extérieure ». Il fait cependant cet autre constat :
« Constatons que sur le livre des entrées à l’hôpital Saint-Antoine qui nous
est représenté, il est mentionné que le sieur Nozière porterait à la tête une
blessure par balle de revolver. » Les remarques du commissaire de police
ne semblent pas ajustées à celles de l’interne de service de l’hôpital.
Baptiste Nozière a été retrouvé mort, la tête ensanglantée et marquée… Le
corps est transféré à l’institut médico-légal aux fins d’autopsie, le
lendemain jeudi 24 août. La conclusion est nette : mort par
empoisonnement. Ce même jour, le juge d’instruction Edmond Lanoire
délivre un mandat d’amener pour « homicide volontaire et tentative »
contre Violette Nozière. La traque commence.

Jean Dabin pris de court


Le 21 août, lettre de Violette à Jean Dabin
Ce lundi 21 août jour de l’empoisonnement, vers 18 heures, sur un papier
à en-tête du Palais du café, au 31 du boulevard Saint-Michel, au Quartier
latin, Violette envoie une lettre à son jeune amant Jean Dabin, parti en
vacances en Bretagne dans le Morbihan à Hennebont, chez un oncle, avec
sa mère et son frère cadet.
Datée du 21 août, la lettre est postée dans le 11e arrondissement de Paris,
rue Mercœur. Le cachet de la poste porte « 18 » en indication de l’heure. Le
timbre est collé à l’envers, la tête du personnage y figurant se trouve tête
en bas, inversion non pas simplement verticale, mais oblique.
Signification : « Je pense à vous. » Violette amoureuse certes, d’un « amour
fou et éperdu », mais possiblement aussi la tête tourneboulée par cette
soirée qu’elle a pu tourner dans sa tête plus d’une fois. Convocation
épique.
Mon chéri34,
Tu dois te demander ce que mon silence
signifie et bien, il m’est arrivé encore un malheur
jeudi [17 août] en te quittant j’ai pris le métro jusqu’à
République et en traversant la place je me suis fais
renversée par une moto, c’est le premier jour que
je sors, je souffre horriblement de l’estomac
J’ai eu une forte hémorragie. Je voudrais bien
voir Willy pour lui remettre l’argent
qu’on lui doit, je t’enverrai sans faute
l’argent de Bernard demain car aujourd’hui
il est trot tard [nos italiques], je vais poster ta lettre
à la gare35. Chéri j’ai un cafard fou
je m’ennuie terriblement loin de toi,
j’espère arriver aux Sables, jeudi matin
Je t’enverrai une lettre ou une dépeche pour te
fixer exactement le jour et l’heure.
Oh vite mon amour que nous soyons
réunis, loin de toi la vie me semble fade,
tout m’énerve et m’exaspère, je suis
d’une humeur épouvantable [nos italiques]. Pour me
rendre ma gaieté, il me faudrait tes caresses
dont je me lacerai jamais, si jamais
je devais perdre ton amour je crois que
ma vie serait fini, sans toi je ne
peux goûter aucun bonheur. Je
t’aime comme jamais j’ai aimé
d’un amour fou et éperdu.
Bonjour de Maddy36. À Bientôt
Reçois de ta petite femme chérie
ces longs et doux baisers.
Ta
Violette
Je t’écris demain.
Violette n’écrira pas le lendemain mardi 22 août. La nuit du lundi à
mardi, à l’hôtel de la Sorbonne, sera pour elle une nuit sans sommeil.
Rencontre avec Violette
Ayant à répondre à une convocation du commissaire Guillaume, le
30 août, Jean Dabin doit interrompre ses vacances en Bretagne et se rendre
à Paris. Il fait savoir au commissaire qu’il a fait la connaissance de Violette
début juin, elle était en compagnie d’un camarade, Bernard Piébourg, tous
deux se promenaient boulevard Saint-Michel. Il les retrouve le lendemain
sur ce même boulevard, et lorsque « mon camarade eut quitté Violette,
j’allai avec cette dernière au café d’Harcourt pour y jouer à la belote. Vers
19 heures je l’ai quittée en lui fixant un rendez-vous pour le lundi suivant
au Palais du café ». Cet après-midi-là, ils vont au cinéma place Saint-
Michel. À la mi-juin, ils deviennent « amant et maîtresse », et sans
transition, Jean Dabin dit dans sa déposition qu’elle « a même ajouté ce
détail, qu’elle avait un oncle – frère de son père – commissaire de police
du quartier du Panthéon37 ». Ils se voient d’abord presque journellement au
Quartier latin, il leur arrive de retenir une chambre le soir, « entre
21 heures et 23 heures », à l’hôtel de la Sorbonne. Ils ne passeront qu’une
seule nuit ensemble, Violette ayant dit à ses parents qu’elle se rendait dans
une station balnéaire en Normandie, à Granville, chez une amie
prénommée Madeleine, doctoresse en médecine.
De l’argent chez Violette, puis…
Sans transition, Jean Dabin indique que c’est Violette qui finançait leurs
rencontres, ainsi de la location de la chambre d’hôtel. Dabin indique que
Violette lui remettait de l’argent pour qu’il puisse payer leurs dépenses
journalières, les sommes variant entre 50 francs (35 euros) et 100 francs
(70 euros). Dabin s’étonnant qu’elle puisse avoir autant d’argent, Violette
lui répondait que son père lui remettait mensuellement 3 000 francs
(2 100 euros), une tante 1 000 francs (700 euros) et sa grand-mère
maternelle lui donnait de l’argent chaque fois qu’elle allait la voir à Neuvy-
sur-Loire. C’est ainsi qu’un jour, revenant de chez sa grand-mère, Violette
montre à Dabin une somme de 1 500 francs (1 050 euros).
Jean Dabin dit s’étonner de l’absence de Violette entre le 11 et le 15 août,
elle lui a dit qu’elle devait se rendre à « Neuvy pour l’enterrement d’une
cousine ». Dans ce même moment, Violette lui fait savoir qu’elle ne dispose
plus des mêmes sommes que précédemment. Il faudra notamment
renoncer à l’achat d’une automobile pour les vacances d’été en Bretagne,
pour laquelle Violette mettrait à disposition de Dabin une somme de
10 000 francs (7 000 euros).
Jean Dabin quitte Paris pour Hennebont le 17 août et revoit Violette dans
la matinée, il fait savoir que le jour de son départ, « et même la veille »,
Violette s’était rendu chez un ami de sa mère qui devait vendre pour
20 000 francs (14 000 euros) de titres lui appartenant. Ils ne se reverront
plus cette année 1933. Puis, ceci :
Violette lorsqu’elle me parlait de son père, marquait pour celui-ci une
vive antipathie – elle m’a même déclaré qu’un jour, celui-ci avait
frappé sa mère et, qu’ayant voulu s’interposer, elle avait elle-même été
frappée38.
Jamais je ne l’ai entendu dire du mal de sa mère. D’ailleurs elle ne me
parlait que fort peu de ses parents, sauf d’une tante, sœur de son père39,
qui était soi-disant entretenue très richement40.
Un jour je l’ai accompagnée à l’hôtel Ambassadeur où cette soi-disant
tante était descendue avec son amant [nos italiques]. Je l’ai attendue
près de deux heures, dans un café du coin. Lorsqu’elle est revenue elle
m’a dit avoir pris le thé avec celle-ci et sa mère41.
Baptiste frappeur. Violette entourée d’une famille de riche ascendance,
elle dit son désir de vivre sur un grand pied.
Face-à-face avec le juge d’instruction
Après le commissaire de police, le juge. Instruit de la commission
rogatoire effectuée par le commissaire Guillaume, le juge Lanoire a
convoqué Jean Dabin à son cabinet le lundi 4 septembre. Le juge ouvre
cette audition en attaquant : « Quelles sont vos occupations et vos
ressources avouables ? » Dabin répond qu’il est étudiant en droit de
première année, mais qu’il ne s’est pas présenté aux examens du mois de
juillet, parce qu’à ce moment-là, il était à Rome « en voyages d’études ».
Jean Dabin tout en en minimisant le montant, ne nie pas avoir bénéficié
« des largesses de Violette » et majore l’argent reçu mensuellement de ses
propres parents. Le juge (s’)interroge sur le projet d’achat de l’automobile
et pose cette question : « Êtes-vous sûr que ce n’est pas le désir d’avoir une
auto pour vous qui a poussé Violette Nozière à empoisonner ses
parents ? » Dabin ne peut que répondre : « Je n’aurais jamais pensé que
Violette empoisonnerait ses parents et aurait recouru aux expédients
qu’elle a employés. » Sur une question portant sur son engagement
politique, Dabin répond qu’il a bien fait partie de l’Action française42. « J’en
suis parti parce que je m’étais approprié une certaine somme. C’est du
reste une histoire très embrouillée ; et d’ailleurs les fonds ont été
remboursés. Cela s’est passé il y a environ deux ans. »
Pour sa défense de la relation financière unilatérale avec Violette, il parle
de l’avenir : « Violette et moi avions l’intention de nous marier ; moi tout
au moins. Je considère donc les subsides qu’elle me remettait comme un
prêt plutôt que comme un don. » Dabin, emprunteur et non donataire.
Incognito ?
Des Sables-d’Olonne, le 17 septembre, Jean Dabin adresse au brigadier-
chef Gripois, au 36 quai des Orfèvres, une lettre dans laquelle il fait part de
sa nouvelle adresse, soulignant qu’il essaie d’y « maintenir un incognito
bien désirable pour la santé de [sa] personne ». Il ne se tiendra pas à cet
incognito, et fera même la première de couverture de l’hebdomadaire
Détective du 5 octobre 1933 avec en titre « L’affaire Nozières par Jean
Dabin » (figure 3). Dans le cours de l’entretien avec Emmanuel Car, Dabin
fait état de la publication d’un « livre » dont il serait l’auteur, Remarques
sur l’esprit de contradiction, qui aurait obtenu « un petit succès chez les
initiés43 ». Ces quelques pages, très aérées, s’ouvrent sur cette déclaration :
« Les moules et les mollusques n’ont pas l’esprit de contradiction. Les
hommes-moules et les hommes-mollusques, non plus44. » On doit
comprendre que l’auteur de cette plaquette n’en est pas. « Le contradicteur
est celui qui est royaliste sous un régime républicain et républicain sous un
régime monarchique45. » Sous le régime de la IIIe République, il avait donc à
se dire royaliste. L’article de Détective a pour titre « La mauvaise chance ».
Laquelle ?
Beaucoup de mes « copains » ont une riche petite amie, étudiante
comme eux, et qui les aide, sans que personne y trouve à redire, sans
qu’ils soient jamais dénoncés comme « gigolos »… ou pire. Avec
Violette qui m’a joué la pièce de la fille aux millions, j’ai tiré le mauvais
lot. Encore une fois, dans tout cela, je n’ai été qu’une victime de la
mauvaise chance…46
Figure 3

Entre deux ministres


Dabin ne va pas seulement intéresser la presse, il va aussi intéresser le
ministre de la nouvelle Éducation nationale… Crime de double parricide, le
crime de Violette et sa répression pénale concernent les sommets de l’État.
Le 4 septembre, le ministre adresse au garde des Sceaux une lettre par
laquelle il lui signale qu’il a décidé de faire engager par le recteur de
l’académie de Paris des poursuites disciplinaires contre l’étudiant en droit
Jean Dabin, « amant salarié de Violette Nozières ». Le ministre compte sur
la collaboration du parquet de la Seine pour la communication des
rapports d’enquête « visant le jeune Dabin ».
Le 7 septembre, le recteur de l’académie de Paris, président du conseil de
l’Université, Sébastien Charléty, fait savoir au procureur de la République
à Paris que, par arrêté du 5 septembre, pris conformément aux termes des
décrets du 21 juillet 1897 relatifs au régime scolaire et disciplinaire des
universités, il a déféré Jean Dabin devant le conseil de l’Université, et lui a
interdit l’accès des bâtiments universitaires jusqu’à sa comparution devant
le conseil. Le 25 septembre, le procureur de la République fait savoir au
procureur général l’état de l’information judiciaire pour laquelle il n’est
pas envisagé de retenir la responsabilité pénale de Jean Dabin ni comme
coauteur ni même comme complice des « crimes de parricide et de
tentative » visant l’inculpée. Les actions pénales et les actions
disciplinaires sont juridiquement distinctes, les secondes peuvent
prospérer alors que les premières se révèlent sans fondement. Si les
sanctions disciplinaires vont du blâme, de l’interdiction de se présenter aux
examens, à l’exclusion temporaire ou définitive de l’université, on ne
distingue pas quel manquement touchant au fonctionnement et à la vie de
l’université pourrait être reproché à Dabin47. Il semble que les choses en
soient restées là et que l’étudiant en droit de première année n’ait pas été
déféré devant l’instance disciplinaire universitaire.
Rapide expatriation
L’impensable et soudain retournement de situation causé par la
révélation du crime de Violette aura pris de court Jean Dabin et l’aura mis
à découvert. La réaction ne tardera pas du côté de la famille Dabin : elle est
celle d’une expatriation. Dans un courrier du 28 octobre, Émile Dabin père
fait savoir au juge d’instruction que son fils part le jour même en Tunisie
pour y accomplir son service militaire à la quatrième compagnie de
cavaliers de remonte, à El Batan, près de Tebourba. Il revêt l’uniforme
militaire. C’est dans une tenue militaire qu’il déposera comme témoin lors
du procès d’assises en octobre 1934.
Alors qu’il effectue ce service militaire en Tunisie, Jean Dabin rentre à
Paris en raison d’une grave maladie. Admis le 27 juillet 1937 à l’hôpital
militaire du Val-de-Grâce, il y meurt le 27 octobre48. Une question surgit,
près de mourir, Jean Dabin aurait-il évoqué Violette Nozière ? L’inspecteur
de police Verrier est allé le demander à l’infirmière qui l’avait
constamment soigné ; la réponse est négative.
Ce que, à tout le moins, Jean Dabin aura raté, c’est de déclarer à la barre
de la cour d’assises de la Seine son amour pour Violette, alors qu’elle est
seule dans le box des accusés et encourt la peine de mort. Déclaration
publique devant la composition hybride de cette cour judiciaire :
magistrats et jurés d’un jury populaire et devant le public présent à
l’audience.
Son amour ? On dira :
— Mais vous le présumez cet amour.
— Nous parlions d’une déclaration.

11. Conversation du 24 octobre 1997 avec Simone Mayeul, à son domicile, 9 rue de Madagascar.
Françoise Valier participe à cette conversation, ainsi que le fils de S. Mayeul.
12. Valeur de référence, le franc 1933 équivaut en 2013 à 0,68 euro.
13. « L’affaire Nozière ou un protecteur mystérieux apparaît », Figaro du 14 septembre 1933, p. 1
et p. 2 pour la citation.
14. J.-M. Fitère, op. cit., p. 26.
15. Didier Eribon, Réflexions sur la question gay, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1999, p. 29.
16. Ibid., p. 30.
17. Ibid., p. 31, nos italiques.
18. Jean Allouch, Marguerite, ou l’Aimée de Lacan [1990], postface de Didier Anzieu, 2e édition
revue et augmentée, Paris, Epel, 1994, p. 371.
19. Alec Scouffi, Au Poiss’ d’or. Hôtel meublé [1929], préface de Cédric Meletta, Paris, Séguier, 2019,
p. 113.
20. Henry Bordeaux, « Le plaidoyer qu’on n’a pas fait », hebdomadaire 1934, « Le magazine
d’aujourd’hui », dernière page.
21. Les docteurs Crouzon, Claude, Truelle, Rapport médico-légal, 6 novembre 1933, p. 13.
22. A.-E. Demartini, op. cit., p. 136.
23. S. Maza, op. cit., p. 84-85.
24. Ibid., p. 136.
25. Ibid., p. 269.
26. Voir la section « Le mouvement de feu de Violette »,partie III, p. 206.
27. Les époux Nozière sont venus habiter définitivement au 9 rue de Madagascar en 1919. Violette
est alors âgée de 5 ans.
28. Jacques Derrida, « La pharmacie de Platon » [1968-1972], suivant le Phèdre de Platon,
traduction inédite, introduction et notes par Luc Brisson, Paris, GF/Flammarion, 1989, p. 255-406.
J. Derrida : « Pharmacée (Pharmakeia) est aussi un nom commun qui signifie l’administration du
pharmakon, de la drogue : du remède et du poison » (p. 264).
29. Se reporter à « Un geste incendiaire », partie III, section « Le mouvement de feu de Violette »,
p. 218.
30. Cheminot, il ne pouvait pas ne pas connaître l’épisode rocambolesque de ce président de la
République française, Paul Deschanel, tombé d’un train de nuit le dimanche 23 mai 1920 ; peut-être
même cette chute avait-elle été évoquée en famille. Voir Thierry Billard, « E pericoloso sporgersi »,
dans Le Goût du train, textes choisis et présentés par Christine Routier Le Diraison, Paris, Mercure
de France, coll. « Le Petit Mercure », 2018, p. 42-44.
31. Voir A.-E. Demartini, op. cit., p. 110.
32. Assis sur la croupe, en posture fécale. Baptiste Nozière accroupi sous un édredon à côté du lit
de sa fille. Posture de défaite.
33. Jeanine Deron est une invention de Violette, personnage imaginaire à l’existence duquel les
parents Nozière ont cru. Violette a souvent prétendu sortir avec cette amie de bonne famille et de
bonne fréquentation.
34. Mise en page, orthographe et ponctuation de cette lettre à l’identique de l’original.
35. Ce n’est pas le cas, cette lettre étant postée rue Mercœur.
36. « Maddy » est le diminutif de son amie Madeleine Debize.
37. Au fait de la hiérarchie dans la police, Violette brode sur ceci : le beau-frère de son père,
Auguste Desbouis, marié à Clémence (Philomène) Hézard, sœur aînée de Germaine, est agent
retraité de la police nationale.
38. Baptiste se compte au nombre des maris qui ne peuvent pas ne pas frapper leur femme, des
« pères » qui ne peuvent pas ne pas frapper leur fille.
39. Baptiste Nozière eut une sœur, Marie, décédée le 25 août 1918, à l’âge de 19 ans. Voir
Wikipédia, notice Violette Nozière, notes et références. Notes C, second paragraphe pour la copie
de l’acte de décès ; consultation du 20 juillet 2012.
40. Dans cette invention affleure le désir de Violette.
41. L’évocation de la mère de Violette est le dernier propos rapporté de cette audition du
commissaire Guillaume.
42. L’Action française est un mouvement royaliste dont le théoricien Charles Maurras (1868-1952)
prônait la restauration de la royauté sur fond d’une doctrine, celle d’un « nationalisme intégral ».
43. En fait de livre, il s’agit d’un tiré à part de quinze pages de la Revue moderne des arts et de la
vie, de 1931. Le dépôt légal est du 9 juillet 1931.
44. Ibid., p. 5.
45. Ibid., p. 13. S. Maza dit en quelques lignes l’inconsistance de ce pamphlet (op. cit., p. 89).
46. Détective, 6e année, no 258, 5 octobre 1933, p. 3. À l’endroit de Violette, Dabin aura tenu ces
propos, sans vergogne.
47. Voir J.-M. Fitère, op. cit., p. 108, et A.-E. Demartini, op. cit., p. 289-290.
48. « Jean Dabin, qui fut l’amant de Violette Nozières, est mort à l’hôpital militaire du Val-de-
Grâce », Le Progrès du 29 octobre 1937, p. 1.
Deuxième partie
L’après-crime
Calme émouvant dans un temps out of joint
Marche nocturne
Le lundi 21 août vers minuit, Violette quitte le domicile paternel, se rend
à pied au bois de Vincennes, s’assied sur un banc une vingtaine de
minutes, n’y rencontre personne. Puis, traversant une partie de la capitale,
elle se rend in fine au Quartier latin, au 6 rue Victor-Cousin, au Grand
Hôtel de la Sorbonne situé à une vingtaine de mètres de l’entrée de cette
université qui donne sur la place de la Sorbonne. Elle y passe le reste de la
nuit. Elle s’était déjà rendue quelques fois dans cet hôtel en compagnie de
Jean Dabin. Ce mardi 22 août, il est près de 4 heures du matin quand elle
s’y présente. Montée dans sa chambre, Violette ne peut y dormir ; moins
de trois heures plus tard, elle a quitté l’hôtel. Nuit blanche dans l’immédiat
après-crime. Violette sur-éveillée.
Mardi d’ivresse le 22 août
C’est à la porte de son amie Madeleine Debize qu’elle va frapper tôt le
matin, au 7 rue Claude-Decaen, à proximité du domicile de ses parents. Les
amies ont le même âge, se sont connues dès l’école primaire de la rue de
Wattignies, proche de leurs domiciles respectifs. Madeleine travaillant –
elle est secrétaire-dactylo pour un imprésario49 – ce matin-là, Violette
l’accompagne en taxi au lieu de son travail, 56 rue La Bruyère. Ce même
mardi 22, « à midi 15 », Violette est revenue à l’hôtel de la rue Victor-
Cousin pour retenir une chambre pour deux jours, en paie d’avance le prix
de location. Le personnel de l’hôtel ne l’a pas vue sortir. C’est la soirée que
Violette et Madeleine passeront ensemble, en galante compagnie. Violette
ne souffle mot à son amie de ce qui a eu lieu la veille au soir et… continue
d’avoir lieu. Elle lui fait savoir qu’elle partira le lendemain en vacances aux
Sables-d’Olonne et qu’elle ne sait pas quand elles se reverront. Madeleine
confie aux policiers venus l’auditionner, dès le mercredi 23 août, que
Violette lui a « fait connaître immédiatement qu’elle possédait six mille
francs pour se rendre en vacances, dont cinq mille francs qui lui avaient
été donnés par ses parents et mille francs par une tante. J’ai constaté
qu’elle avait dans son sac à main des billets de cent francs. J’ignore pour
quelle somme. » Elle dit aussi ne fréquenter Violette que « simplement
d’une manière tout à fait accidentelle »…

Figure 1

Dans sa chambre d’hôtel, Violette a revêtu une robe de soie noire. Vers
20 h 30, les amies se rendent en taxi boulevard Saint-Michel, au Palais du
café, puis à pied boulevard Montparnasse à La Coupole, elles y prennent
une consommation. Croisant sur le boulevard Montparnasse « deux jeunes
gens » connus de Violette, ils se rendent ensemble dans la voiture de l’un
d’eux, au bal Tabarin. Violette et Madeleine sont raccompagnées à leur
domicile peu avant une heure du matin. Quelques instants plus tard,
Violette est dans le logement de ses parents, ouvre le gaz, en ressort très
vite et va frapper à la porte si proche de ses voisins de palier, les époux
Mayeul.
Une photo de Madeleine et de Violette s’embrassant fait la couverture de
Détective du 31 août (no 253). Il titre en grands caractères : « L’enfant
gâtée50 » (figure 1).
Quelques heures plus tard, en fin de matinée, Violette aura faussé
compagnie au commissaire de police Gueudet. Elle ne se rendra pas,
comme convenu la veille au soir avec Gérard Legrand dit Willy et Bernard
Piébourg à qui Dabin devait de l’argent, aux lieux et heures prévus le
lendemain pour les rembourser. L’un de ces rendez-vous était fixé à
15 heures au Palais du café, et si elle ne pouvait s’y rendre, ce serait à la
gare Montparnasse avant 20 h 50, heure de départ d’un train à destination
des Sables-d’Olonne où elle allait rejoindre Dabin en vacances.
Cet extrait d’une lettre de Violette :
Que de fois j’ai vu Jean détourner son visage indifférent saupoudré
d’une pincée de lassitude devant les minauderies d’une poupée
quelconque… je le vois grand, devant moi, en un premier plan
magnifique, éloigner avec un imperceptible scintillement des yeux tout
ce qui n’est pas une vraie pierre précieuse, une perle, un saphir, un
visage de gardénia ou d’orchidée51… Eh oui ! c’est un voleur, Dabin. Ça
relève de son métier de distinguer un vrai saphir d’un faux. Ses yeux
bleus, probablement […] descendent lentement de l’ovale blanc du
visage au cou de son aimée où brillent les perles52…
Violette rêvait.
Mercredi 23 août dans la nuit
Le mercredi 23 en fin de matinée, le personnel de l’hôtel ouvre la
chambre louée par Violette, constate que la chambre est vide ; son
occupante d’une nuit y a laissé des affaires. L’armoire de la chambre
« fermée par la locataire qui avait emporté la clé » est ouverte. Qu’y
trouvent-ils ? Trois cartons contenant des vêtements.
Le tout était ficelé avec sur le dessus, également ficelé, un sac à main
en cuir noir, usagé, renfermant un petit portefeuille en cuir marron,
contenant lui-même une carte de traitement de l’institut
prophylactique au nom de Mme Violette Nozière. En outre, le sac à main
renfermait une boîte en fer, ronde, portant la mention « Tue-souris » et
poison violent [nos italiques].
Dans un rapport du jeudi 24 août, le commissaire Gueudet dresse un bref
inventaire du contenu de l’armoire. Il mentionne notamment que dans le
sac à main en cuir noir se trouve aussi « une feuille de papier timbré
manuscrit contenant un engagement de versement de somme d’argent en
date du 27 février 1911 ». Cette reconnaissance de dette était signée au
bénéfice des époux Nozière par Auguste Desbouis, beau-frère de Germaine
et oncle de Violette. Il est probable que Violette a anticipé pouvoir en
obtenir le paiement, dans les projets envisagés par elle après le décès
« accidentel » de ses parents.
« Ce n’est pas tenable, ce n’est pas tenable »
Les itinérances de Violette commencent dans l’après-midi du
mercredi 2353. Elle se promène au Champ-de-Mars où elle sera abordée, dès
ce mercredi, par Pierre Gourcerol accompagné de l’un de ses amis. Rendez-
vous est pris pour le lendemain.
Le jeudi 24 août, en fin de matinée, gare de Lyon, une jeune fille qui
pleurait se trouve dans une voiture de troisième classe du train se rendant
à Saint-Étienne. Un contrôleur de la compagnie des chemins de fer du PLM
lui demande ce qu’il lui arrive. Elle lui répond qu’elle venait de Houdan,
qu’elle « avait perdu sa mère et qu’elle ne reverrait plus son père [nos
italiques] ». Elle ajoute qu’elle était âgée de 15 ans, qu’elle avait déjà
beaucoup souffert, vu son âge, qu’elle était atteinte d’une maladie
incurable et se rendait chez les sœurs à Moulins pour se faire soigner. Le
contrôleur, Maurice Jacquet, la quitte au moment du départ du train, après
l’avoir un peu consolée. Peu après, il apprendra par les journaux que la
jeune femme rencontrée est celle que la police recherche. Il la voit assez
grande, mince, paraissant âgée d’au moins 18 ans (elle lui en annonce 15),
« visage allongé, teint pâle, cheveux ondulés châtain foncé. Elle était vêtue
simplement d’un manteau noir, chapeau de feutre noir. Elle avait une
petite mallette très légère, sac à main usagé » (déclaration du 25 août au
commissariat de Picpus).
Les perspectives s’effondrent, mère perdue (pour elle Violette, pense-t-
elle), quant à son père, elle le sait décédé.
Le jeudi 24 à minuit, Violette se trouve au Melody’s Bar, 26 rue Fontaine
à Montmartre. Elle est « assise, seule, près de l’orchestre ». Elle lie
connaissance avec l’un des musiciens de l’orchestre de jazz, le batteur Jean-
François Pierre. Le musicien témoigne :
À 3 heures du matin, comme elle était encore là, et paraissait prendre
plaisir à notre conversation, je l’ai priée de vouloir bien m’attendre et
que je l’emmènerais avec moi. En effet, à 6 heures, mon service
terminé, elle m’a suivi et, après avoir pris une consommation dans un
café voisin, nous sommes allés dans un hôtel, 32 rue Duperré, où nous
avons occupé, au 1er étage, la chambre no 7. Je suis resté avec elle
jusqu’à 9 heures du matin, au moment de mon départ, nous avons pris
rendez-vous pour 17 heures dans le café Boudon, 1 rue Mansart et elle
m’a recommandé de dire au bureau de l’hôtel qu’on veuille bien la
réveiller pour 16 heures, ce que j’ai fait.
Sept heures du matin est l’heure à laquelle ils arrivent à cet hôtel, ce
vendredi 25. Vers 9 heures, une femme de chambre de l’hôtel, Jeanne
Aubert, entend des pleurs dans la chambre occupée par Violette : « J’ai
écouté et la femme disait à son compagnon : “Ce n’est pas tenable, ce n’est
pas tenable.” Je n’ai pas insisté, croyant à une brouille entre amant et
maîtresse. »
Ce vendredi, alors qu’elle est seule, Violette demande à la femme de
chambre d’aller chercher pour elle deux journaux : Le Petit Parisien et Le
Journal. Elle quitte la chambre peu après 10 heures ; « elle a même
accroché la clé de sa chambre au tableau de l’hôtel ». En début d’après-
midi, elle retourne à l’hôtel et demande qu’on lui réserve la même chambre
pour la nuit suivante.
Elle fut exacte au rendez-vous avec Jean-François Pierre, au café Boudon.
Elle demande à ce nouveau compagnon de rencontre 150 francs « pour
s’acheter une robe de soirée ». Il verrait plus tard. Le musicien
l’accompagne dans un restaurant au 21 boulevard de Clichy, pour qu’elle
puisse dîner ; paie pour elle le repas. Violette ne retourne pas au Melody’s
Bar. Seule, elle ne revient à l’hôtel de la rue Duperré que vers 3 heures du
matin.
Le samedi matin, vers 9 h 30, Violette demande à la femme de chambre,
qui en témoigne, « d’aller lui acheter des serviettes hygiéniques et deux
journaux, les mêmes que la veille, en me recommandant de ne pas oublier
ceux-ci ».
Une heure plus tard, elle a quitté l’hôtel, elle a renseigné le livre de
police du garni sous le nom de… Madeleine Debize, sténodactylo. Violette
se déclare sous un faux nom. Ce nom ne la protège que très
provisoirement, étant plutôt un indice lisible pour la police. En ce moment
de basculement du temps, Madeleine Debize est le nom de l’amie.
Elle ne laisse rien dans la chambre, elle n’a aucun bagage. On témoigne
de « l’allure absolument normale » de Violette pour quelqu’un qui a
commis « un crime horrible ». Rien ne laisse transparaître qu’elle est
recherchée par la police, alors même qu’elle suit… l’affaire Nozière dans les
journaux.
Le 30 août, une note de police judiciaire fait état d’une photographie
trouvée dans la literie garnissant la chambre de l’hôtel de la rue Duperré,
trouvée après le départ de Violette. C’est une photographie de format carte
d’identité, la photographie est celle de Germaine, jeune fille. Une
photographie d’un visage de sa mère craquelé(e)54 (figure 2).
Figure 2

Le moment Darfeuil
La presse se déployant, Violette sait qu’elle peut être reconnue à tout
instant, dénoncée et appréhendée. Elle n’en continue pas moins d’avancer
ses pas comme si de rien n’était. Le soir de ce samedi 26, elle rencontre
Alfred Roland, dans des circonstances plutôt inattendues. L’un et l’autre se
trouvent au café situé au 67 de l’avenue de La Motte-Picquet. Alors que
Alfred Roland descend aux lavabos, il remarque
une jeune femme qui paraissait ennuyée d’un petit accident qui venait
de lui arriver. Le contenu de son tube de crème s’était répandu à
l’intérieur de son sac et avait maculé tous les objets qui s’y trouvaient
Elle me pria de l’aider à les essuyer et au cours de la conversation qui
suivit je lui donnais rendez-vous dans ce même café pour le même soir
à minuit.
Violette est exacte au rendez-vous.
Tout d’abord elle me parut si douce et si ingénue que je ne lui fis
aucune proposition. Après avoir conversé un bon moment, l’heure
s’avançant, je lui proposai de la reconduire. En cours de route elle me
déclara qu’elle se nommait Christiane d’Arfeuil55 et qu’elle demeurait
rue de Bassano.
Se disant que cette jeune femme ne semblait pas pressée de rentrer chez
elle, ce compagnon de rencontre lui en demande la raison. Violette répond
qu’elle habitait avec une amie mais qu’elle craignait que celle-ci soit
absente. Alfred Roland lui offre alors l’hospitalité, qu’elle accepte, et
l’emmène dans une chambre dont il dispose rue Tiphaine, dans le quartier
Grenelle. Le lendemain dimanche, après une grasse matinée, un apéritif est
pris vers midi rue du Commerce ; l’amant de rencontre accompagne
Violette à la brasserie de La Motte-Picquet, elle y déjeune ; ils se quittent,
rendez-vous est pris au même endroit pour le soir même. Violette ne s’y
rendra pas. Une surprise attend cependant Alfred Roland.
Le lundi matin, vers 9 heures, j’étais encore couché lorsque l’on a
frappé à ma porte. Je me suis levé et je me suis trouvé en présence de la
femme qui m’avait dit être Christiane d’Arfeuil. Elle s’est excusée de ne
pas être venue la veille au rendez-vous que je lui avais fixé et me
déclara qu’elle venait simplement me dire bonjour. Comme je lui faisais
observer qu’elle était en sueur56, elle m’a répondu qu’elle s’était
dépêchée de venir m’annoncer qu’elle avait trouvé une place. Elle a
voulu m’emprunter 100 francs pour s’acheter une robe, m’offrant de me
donner une bague et un tour de cou, en or, comme garantie.
Alfred Roland lui répond qu’il lui donnera une réponse le jour même à
midi, à la brasserie de La Motte-Picquet ; cette fois-ci, c’est lui qui n’est pas
au rendez-vous, il ne la reverra pas.
La dernière nuit en liberté de Christiane Darfeuil se passera en
compagnie d’un autre homme, Raphaël Cohen, rencontré le dimanche soir
dans ce même quartier de Grenelle. Une consommation est prise dans un
café. Ils parlent longuement. Violette parle de sa mère qu’elle a quittée
depuis quatre ans et qui s’est remariée, de « son beau-père [qui] lui faisait
la cour ». Elle accepte la proposition de passer la nuit chez ce nouvel
amant.
Tels sont les traits de ce que nous appelons « le moment Darfeuil » : vie
de café – disponibilité – douceur – présentation de soi sous un autre nom
– souci de l’élégance – affirmation d’une ascendance sociale élevée –
demandes d’argent – rendez-vous tenus et rendez-vous non tenus. Violette
fait montre de placidité et d’impassibilité alors que le cyclone se
rapproche. En quoi ce moment Darfeuil semble être vécu sous le registre
d’une désubjectivation dont cette placidité et cette impassibilité sont ici
des traits. Elle n’en pleure pas moins.
Le lundi matin vers 11 heures, Violette quitte son amant de rencontre, ce
sera le dernier. Elle se rend au Champ-de-Mars. Ses heures de liberté sont
désormais comptées.
Virage de rencontres galantes
Dans la trame serrée de cette « odyssée fugitive », selon l’heureuse
expression de Sarah Maza57, dans l’après-midi du mercredi 23, Violette se
trouve au Champ-de-Mars ; elle est assise sur une chaise, quand, « comme
elle était jolie », Pierre Gourcerol, jeune maréchal des logis à l’École de
cavalerie de Saumur, alors accompagné d’un ami dessinateur, engage la
conversation avec elle. Elle se présente sous le nom de Christiane Darfeuil,
dit habiter au 19 rue de Bassano et qu’elle est étudiante à la faculté des
sciences. Elle ajoute que sa mère travaille chez Paquin et qu’elle gagne
120 000 francs par an, « que son père qui était mort depuis neuf mois [nos
italiques58] était ingénieur à la compagnie PLM ». Un flirt s’ébauche.
Pierre Gourcerol parle de la jeune femme au comte André de Pinguet,
l’un de ses amis. De connivence entre eux, c’est le comte qui va aborder
Violette au Champ-de-Mars ; il s’est procuré une photo de Violette
découpée dans un journal. Souriante, Violette lie conversation avec lui,
près d’une heure. L’entreprenant constate que « cette jeune fille »
ressemble à celle qui est recherchée par la police. Il sort alors de sa poche
la photographie, la montre à Violette en lui disant :
« C’est étrange comme vous paraissez ressembler à Violette Nozière
dont voici la photographie. » Elle m’a répondu en la prenant dans la
main, puis plaçant son pouce sur le haut du visage : « Oui, en effet, elle
a mon nez et mon menton. » À ce moment je l’observais attentivement.
Rien dans son visage ou dans son attitude n’a varié.
Violette prolonge son épopée, sans ciller. Le curieux remet la photo dans
sa poche, convaincu devant tant d’assurance qu’il y a erreur sur la
personne et poursuit sa conversation. La jeune femme lui dit se nommer
Christiane Darfeuil, « être fortunée et demeurer chez sa mère, 15 rue de
Bassano. Elle ajouta que sa mère était partie en province et que n’ayant
pas les clés de son appartement, elle prenait actuellement ses repas rue
Cler sans préciser le numéro ».
Vers 18 heures, avant de se séparer, Violette aurait exprimé le désir de
revoir André de Pinguet, qui lui répond qu’elle pourra le rencontrer le soir
même, vers 20 heures ou 21 heures, au café de La Brune, avenue de La
Motte-Picquet. Entre-temps, le comte va vérifier si Christiane Darfeuil est
connue au 15 rue de Bassano : il n’en est rien. Fort de ses relations, il prend
contact avec les autorités de police, le bureau du commissaire Guillaume
lui ayant été ouvert par le directeur de cabinet du préfet de police de Paris.
Violette est attendue en fin de soirée… par le brigadier-chef Gripois et
l’inspecteur Verrier, qui s’apprêtaient à prendre une surveillance aux
abords du Melody’s bar. Dans leur procès-verbal, les deux policiers
notent :
À 20 h 35 nous avons aperçu venant de la direction des jardins du
Champ-­de-Mars une femme que nous avons immédiatement reconnue
comme étant la recherchée. Au moment où elle arrivait à notre hauteur
nous l’avons appréhendée. Elle n’a fait aucun geste ni prononcé aucune
parole et nous a suivis jusqu’à une voiture dans laquelle elle a pris
place très calmement.
Le lauréat du prix Renaudot de 1929, Marcel Aymé, consacre au comte de
Pinguet une chronique dans l’hebdomadaire politique et littéraire
Marianne. Subtile chronique attribuant au dénonciateur le titre de
« détective amateur », mais la pointe porte plus loin.
Par une lettre insérée dans le dernier numéro de Marianne, M. de
Pinguet protestait contre un article de M. Drieu la Rochelle qui l’accusa
d’avoir manqué à la galanterie en dénonçant le rendez-vous que lui
avait donné Violette Nozières. […] Le dénonciateur de la jeune
criminelle se range de lui-même dans la catégorie des détectives
amateurs. […] Le détective amateur est avant tout un spéculatif que
l’action, du point de vue professionnel intéresse médiocrement. […]
Quand il s’occupe d’une affaire, il s’installe dans un fauteuil, fume
trois, six, ou douze pipes, selon la difficulté, et reconstitue le crime en
partant d’un bout d’allumette. […] Il arrive pourtant qu’une nécessité
extrême l’oblige à prêter la main à une arrestation, mais c’est une règle
absolue qu’il y risque sa peau. Avant que sa main de fer ne maîtrise
l’assassin (car il est toujours d’une force peu commune, en dépit de ses
apparences chétives), la tradition exige qu’une balle de revolver lui
siffle à l’oreille59.
On ne saurait rien ajouter. L’année suivante, l’académicien Henry
Bordeaux lui attribuera le titre de « petit policier improvisé60 ».
Au 36 quai des Orfèvres
Dans la voiture de police qui la conduit au 36 quai des Orfèvres, siège de
la direction de la police judiciaire de la préfecture de police de Paris,
Violette dit aux deux policiers : « J’ai agi ainsi parce que mon père a des
relations intimes avec moi depuis six ans environ [nos italiques]. » Elle vient
de dire la « raison » (« parce que ») de son agir.
Elle est maintenant dans le bureau du commissaire Guillaume qui relate
ce moment dans ses Mémoires publiés en 193761. S’il ne peut interroger
l’inculpée, ce droit étant réservé de par la loi au seul juge d’instruction, il
prend la liberté de lui parler. Devant Violette « impassible », devant son
silence (il dit « mutisme »), le commissaire prenant un ton patelin, lui dit
que, dans un tel moment, il sait qu’elle ne saurait mentir…
— Ayez confiance, lui dis-je, avouez la vérité. […] Il faut me parler
franchement, comme à un vieux camarade. […] Je vous aiderai : vous
verrez mon petit, c’est si bon de pouvoir se confier à quelqu’un. […] Et,
en courtes phrases haletantes, brèves, elle nous raconta comment un
jour son père avait odieusement abusé d’elle. […] Et, docilement,
pendant des mois et des années, elle s’était prêtée à l’odieux caprice de
l’homme pour qui elle ne pouvait éprouver que de la haine et du
mépris […]
— Sa mort seule pouvait me délivrer de lui, conclut-elle d’une voix
lassée, et c’est ainsi qu’est née peu à peu en moi l’idée de
l’empoisonner62…
Figure 3

Ci-dessus, Violette et le commissaire Guillaume63 (figure 3).


Sur ces entrefaites, le juge d’instruction Edmond Lanoire entre dans le
bureau du commissaire. Il lui revient de procéder à l’interrogatoire de
première comparution de l’inculpée contre qui il avait délivré un mandat
d’amener. Violette, qui n’y est pas juridiquement tenue, accepte de
répondre sans délai à ses questions, ce qui signifie aussi sans l’assistance
d’un avocat. L’interrogatoire commence, exceptionnellement, au 36 quai
des Orfèvres, et non au palais de justice dans le cabinet du juge, pourtant
voisin. C’est le juge qui s’est déplacé.

Instruction : Violette asserte ses positions


« Je désire m’expliquer dès maintenant »
Ce lundi 28 août, peu avant minuit, à 23 h 45, Violette dit « désirer
s’expliquer dès maintenant ». Elle livre sa version des choses et se livre du
même coup, jouant son va-tout. Elle dresse cette nuit-là une cartographie
relativement précise de ce qu’elle a fait au soir du lundi 21 août. C’est bien
elle qui a remis à ses parents une poudre qu’ils devaient prendre avant de
se coucher, poudre enfermée dans des papiers pliés ; sur le sien, une croix
tracée au crayon. « En même temps, je leur ai montré une lettre, soi-disant
écrite par le docteur Deron, mais que j’avais écrite moi-même, cette lettre
leur recommandait de prendre la poudre qui leur ferait du bien [nos
italiques]. » Poudre faite de Soménal, médicament en vente libre en
pharmacie ; elle s’en procure trois tubes. Il y a douze cachets par tube,
pour son père elle prépare « la quantité de presque deux tubes » à prendre
dans un verre d’eau.
Pour ma mère, je n’avais mis que la moitié d’un tube [nos italiques].
Pour moi, j’avais pris seulement deux cachets. Pour ma mère et pour
moi, j’avais ajouté des sels de Kruschen, afin que cela fît pour nous
trois la même quantité de poudre. J’avais broyé ces cachets dans un
café afin de les réduire en poudre.
Mon père avait préparé mon lit pour que je m’y couche et était venu
s’asseoir au pied du lit. C’est là qu’il est tombé. Ma mère est venue à
son secours, l’a déshabillé et s’est couchée près de lui dans le lit pliant.
Pendant ce temps, j’ai été m’allonger sur le lit de mes parents. Mes
parents ne m’ont pas appelée. Je suis restée deux heures, ou un peu
moins, sur leur lit, et je suis sortie à minuit [nos italiques].
Je ne suis pas allée voir mes parents avant de sortir, ils ne se
plaignaient pas. J’entendais mon père qui ronflait. Je suis allée me
promener seule dans le bois de Vincennes pendant un petit moment,
puis je me suis rendue à pied boulevard Saint-Michel. Je suis allé à
l’hôtel de la Sorbonne, rue Victor-Cousin, où j’ai demandé une
chambre.
Je me suis couchée, mais je n’ai pas dormi [nos italiques] et me suis
levée vers 7 heures, pour rejoindre mon amie Madeleine Debize.
Violette indique avoir pris le matin du 21 un billet de 1 000 francs
(700 euros) dans le corset de sa mère, rangé dans l’armoire de la chambre
de ses parents. « Ce billet de mille francs était renfermé dans une petite
poche d’étoffe cousue dans le corset. » Le soir, avant de quitter
l’appartement, Violette prend 2 000 francs dans l’armoire, rangés dans une
boîte rouge. Elle tenait alors à rembourser des dettes faites par Dabin à
deux de ses amis, et lui adresser aussi de l’argent à Hennebont. Elle ne le
fera pas. Elle achète aux Galeries Lafayette une robe noire habillée au prix
de 450 francs (315 euros), et un petit béret noir ; puis une petite veste dans
un autre magasin ; une paire de chaussures, quatre bracelets en argent, et
deux bagues de fantaisie dont l’une est offerte à Madeleine Debize.
L’après-midi du mardi 22 est passée au Palais du café où elle joue au
poker d’as avec le barman. Elle retrace ensuite sa soirée avec Madeleine
Debize, d’abord à La Coupole, et
c’est en sortant, que, sur le boulevard Montparnasse, nous avons
trouvé deux jeunes gens avec une automobile. Nous sommes montées
avec eux, et sommes allés au bois de Boulogne, puis chez l’un d’eux, du
côté de l’Arc de triomphe. Ensuite nous sommes allés au bal Tabarin ou
j’ai dansé une fois avec un de mes compagnons occasionnels.
Après Tabarin
Violette dit le retour rue de Madagascar vers une heure du matin le
mercredi 23 :
Quand je suis rentrée dans l’appartement de mes parents, j’ai ouvert la
porte, et ensuite le gaz et tous les robinets. Il ne me semble pas que j’ai
débranché le tuyau. Je n’ai pas allumé l’électricité et ne suis pas allée
voir mes parents. Si j’ai ouvert le gaz, c’était pour faire croire à un
accident [nos italiques].
Je croyais que mon père était mort mais ma mère pas [nos italiques]. En
tout cas, je n’ai pas laissé le gaz longtemps s’échapper car je suis allée
prévenir notre voisin, M. Mayeul.
Puis, Violette redit la raison de son acte, cette accusation d’abus sexuels à
l’encontre de Baptiste :
Si j’ai agi ainsi vis-à-vis de mes parents, c’est que, depuis six ans, mon
père abusait de moi. Mon père, quand j’avais 12 ans, m’a d’abord
embrassée sur la bouche, puis il m’a fait des attouchements avec le
doigt, et enfin il m’a prise dans la chambre à coucher et en l’absence de
ma mère. Ensuite, nous avons eu des relations dans une cabane du petit
jardin que nous possédions près de la porte de Charenton, à intervalles
variables, mais environ une fois par semaine. Je n’ai rien dit à ma mère
parce que mon père m’avait dit qu’il me tuerait et qu’il se tuerait aussi.
Ma mère ne s’est jamais doutée de rien. Je n’ai jamais parlé des
relations que j’avais avec mon père, à aucun de mes amants, ni à
personne.
C’est à l’âge de 16 ans, que j’ai commencé à avoir des amants […].
Derniers mots de ce premier interrogatoire :
Mon père a cessé ses relations avec moi, pendant un mois et demi,
quand il a su que j’étais contaminée et il a recommencé ensuite.
Violette lit ses déclarations, persiste et signe. La cartographie de l’affaire
telle qu’elle est tracée par sa protagoniste immédiate ne changera guère.
L’accusation portée contre son père est l’axe de sa défense.
Gardée à vue, Violette passe le reste de la nuit au dépôt de la préfecture
de police situé à proximité du 36 quai des Orfèvres, implanté dans la cour
Saint-Martin, au 3 quai de l’Horloge. Construit au début du xixe siècle, une
ordonnance du 26 janvier 1810 y crée le « service du contrôle pénal ».
« Antichambre des autres prisons plutôt qu’une prison proprement dite »,
le dépôt, contigu au Palais de justice de la Seine, contient une partie
cellulaire. La congrégation des Sœurs de Marie-Joseph et de la Miséricorde
y est présente dès 1865. Les sœurs y vivent dans des cellules monacales,
semblables à celles des gardées à vue64. Pour la nuit, Violette est écrouée au
dépôt, elle a le statut de gardée à vue. Avant de quitter le 36, le juge
d’instruction délivre un mandat de dépôt afin que Violette soit conduite
dès le lendemain matin « dans une voiture de l’administration » à la
maison d’arrêt de la Petite Roquette, où elle est incarcérée à 11 heures 15,
ce mardi 29 août.
La Petite Roquette
La première pierre de cette prison a été posée par le préfet de la Seine
Gilbert-Joseph Chabrol, en 1825 (figure 465). Conçue par l’architecte
Hippolyte Lebas, elle se veut exemplaire du panoptique de Jeremy
Bentham66. Elle est d’abord « réservée » aux femmes67, mais reste inoccupée
jusqu’en 1836.
C’est un grand bâtiment construit sur un plan en étoile. Cette
disposition des bâtiments, souvent reprise au milieu du xixe siècle,
permet un maximum de places, pour une enceinte minimum. Toutes les
cellules ouvrent ainsi sur une cour intérieure, ce qui facilite la
surveillance. La disposition des cellules est rigoureusement identique
sur toute la circonférence. On peut remarquer la place centrale de la
chapelle68.

Figure 4
Vue aérienne
de la Petite-Roquette

Elle comporte des étages composés de cellules qui sont situées au long des
six divisions. Une cellule est ainsi décrite :
Un lit, une table, un banc, une étagère, un carton suspendu portant le
numéro d’écrou, l’eau dans un pot de terre, une porte et une fenêtre
entre deux cloisons rapprochées, voilà la cellule. Point de siège
d’aisances […]69.
Violette est désormais comptée parmi les 2 080 femmes détenues dans les
établissements pénitentiaires en France l’année 193370.
L’historienne Corinne Jaladieu dit le mouvement de laïcisation engagé
par la IIIe République
consistant à remplacer les surveillantes religieuses par des
surveillantes laïques, [lequel] se fit lentement, notamment pour des
raisons financières, les premières étant moins payées que les secondes,
[…] non sans susciter quelques inquiétudes parmi les détenues : ayant
assimilé un sentiment de déchéance et de culpabilité, plusieurs d’entre
elles louent les sentiments d’affection et de compassion des sœurs à
leur égard71.
Les sœurs vivaient à demeure dans la prison, leurs chambres étaient
mitoyennes et alternées avec les cellules des femmes détenues qui
pouvaient être deux à trois par cellule. Le service religieux de surveillance
n’est pas le service d’un fonctionnaire des services pénitentiaires,
surveillant ou surveillante, il est de jour et de nuit.
« Visage placide »
L’une de ces religieuses surveillantes, venant de la prison de Saint-
Hilaire, est nommée à la Petite Roquette en juillet 1932. Elle a gardé un
souvenir précis de Violette, qui n’a pas manqué de l’impressionner :
C’était… pensez c’est difficile quelqu’un qui n’ouvre pas la bouche du
matin au soir qui est devant vous là. Alors bon son visage… visage
placide, c’est ça le mot qui lui convient, vous ne pouvez pas dire ce
qu’elle pensait. […] Vous savez c’était une fille elle était forte ! Vous
savez, vous auriez de la chance si vous pouviez deviner ce qu’elle
pensait72.
L’impossible confrontation avec Germaine
Le vendredi suivant 1er septembre, Violette est extraite à 8 h 45 de la
maison d’arrêt de la Petite-Roquette pour être interrogée cette fois-ci à
l’hôpital Saint-Antoine, dans les bureaux de la direction ; sa mère est
encore hospitalisée. Il a été finalement renoncé à une confrontation avec sa
mère, jugée trop affaiblie. Violette revient sur plusieurs points. Ses parents
étaient couchés dans son lit avant son départ, elle dans le lit de ses parents.
On notera cette permutation des places. Si elle a mis un rideau contre la
porte d’entrée à l’intérieur de l’appartement, c’est pour que l’on n’entende
pas ses parents, s’ils se plaignaient. Le soir du 21, personne n’était avec
elle. Elle confirme avoir pris le matin dans la ceinture de sa mère le billet
de 1 000 francs. « J’ai mis un papier à la place et ai recousu cette ceinture.
J’ai même remis l’épingle de sûreté qui maintenait cette petite poche. »
Enfin, « la fausse lettre » du docteur Deron, sur papier gris bleuté
identique à celui des petits paquets de poudre présentés à ses parents, n’a
pas été écrite sur un papier à lettres de Dabin.
Figure 5

À 11 h 30, Violette est réincarcérée à la Petite Roquette, le voyage aller et


retour s’est effectué, pour des raisons de discrétion, dans « une voiture
automobile ». Le 6 septembre, Violette est en première de couverture de
l’hebdomadaire Vu (no 286), au titre « Le démon de la sexualité et de la
jeunesse détraquée » (figure 5).
« Je n’ai pas voulu tuer maman »
Le 9 septembre, par souci de discrétion, c’est le juge d’instruction
Lanoire qui s’est déplacé à la maison d’arrêt de la Petite Roquette, le
commis-greffier Landron l’accompagne. Sont présents les avocats de
l’inculpée, Henri Géraud73 et René de Vésinne-Larue. L’interrogatoire
s’ouvre rapidement, sans s’y attarder, sur la première tentative du 23 mars
1933 et se poursuit sur la reprise de ce que le juge d’instruction qualifie
d’« accusations infamantes » à l’endroit de Baptiste Nozière. Violette les
maintient :
C’est quand j’avais 12 ans, et en l’absence de ma mère, partie pour le
marché ou pour faire des courses, que mon père m’a d’abord fait des
attouchements avec le doigt. […] Au début, et pendant un an environ,
je me suis laissé faire. Mais quand je suis devenue femme j’ai compris
toute l’horreur de ma situation [nos italiques].
Violette ajoute avoir fait « confidence de [ses] relations incestueuses » à
Pierre Camus, étudiant en médecine, et avoir fait des « allusions » à des
amis, Jean Leblanc et Roger Endewel. Elle a à redire qu’elle était seule pour
commettre ce crime. Elle réaffirme aussi n’avoir pas voulu tuer sa mère :
Je n’ai pas voulu tuer maman. Pourquoi l’aurais-je fait ? […] Maman
était très sévère comme toutes les mères. Mais elle m’aimait beaucoup
et je l’aimais beaucoup aussi.
Comparée à celle destinée à son père, par deux fois, le 23 mars et le
21 août, Violette a préparé pour sa mère une demi-dose.
C’est encore à la Petite Roquette que le juge d’instruction se rend le
mercredi 13 septembre pour interroger à nouveau Violette ; ses deux
avocats, Henri Géraud et René de Vésinne-Larue, sont présents. Il est
15 heures. L’interrogatoire s’ouvre sur la raison du choix du Soménal.
Réponse, c’est un somnifère dont elle avait eu l’usage pour elle-même et
connaissait des jeunes filles du Quartier latin qui en faisaient également
usage. À la question sur le dosage, elle répond :
Ayant constaté au mois de mars que la quantité n’était pas suffisante, j’ai
augmenté la dose [nos italiques].
Violette est à son affaire, c’est un trait de désubjecivation.
« Je tenais cet argent de mon protecteur »
Le juge avance ensuite que les « besoins pressants d’argent » de Violette
pour le projet d’achat d’une automobile, les arrhes versées au magasin
Brunswick pour l’achat d’une fourrure d’un montant de 600 francs (le
solde étant de 2 400 francs), le financement des vacances aux Sables-
d’Olonne avec Dabin et l’impossibilité de Violette d’y faire face sont de
sérieux motifs pour son crime. Réponse à double détente, la première
introduit une dimension de temporalité dans ce qui a eu lieu, la seconde
fait surgir la figure d’un « protecteur » :
— Le besoin d’argent ne m’a aucunement poussée. C’est après avoir
fait prendre la poudre à mes parents que l’idée m’est venue de prendre
leur argent74.
— À qui avez-vous emprunté les 600 francs que vous avez versés le
12 août à la maison Brunswick ?
— Je tenais cet argent de mon protecteur, que je ne veux pas désigner
quant à présent [nos italiques]
Sur ce non-vouloir Violette ne cédera pas ; officiellement, ni police ni
justice ne mettront la main sur ce protecteur.
Le juge interroge ensuite Violette sur ses relations. Il nomme des
hommes : Atlan, Fellous, Pierre. Il demande si l’un de ses amants ne
l’aurait pas frappée, car dans l’après-midi du 22 août, elle a fait part au
barman du Palais du café, d’une blessure à la hanche gauche « et vous lui
avez même indiqué l’endroit ». Réponse : « J’étais tombée dans la rue en
voulant éviter une moto75. »
La lettre de « Germaine » à « Christiane »
Le juge présente alors à Violette la lettre trouvée dans son sac à main,
lors de l’arrestation. Lettre de Quiberon à « Christiane » restée à Paris, de
son amie « Germaine » qui prend de ses nouvelles, lettre autographe et
apocryphe écrite par Violette dans l’espoir de tromper la police sur son
identité en cas d’interpellation. Par prudence, Violette avait dit aux jeunes
gens rencontrés dans les jardins du Champ-de-Mars qu’elle s’appelait
« Christiane Darfeuil ». Tactique, par cette lettre Violette ne se dévoile pas
moins76.
Le juge donne lecture à Violette d’une déposition faite la veille par Pierre
Camus qui affirme ne pas avoir été son amant, ce que Violette confirme. Il
l’avait rencontrée avant les vacances de Pâques 1932 au Quartier latin et
cessa de la voir en raison de sa fréquentation de « pseudo-étudiants qui ne
[lui] étaient pas sympathiques ». Il la croise plusieurs fois sur le boulevard
Saint-Michel, la revoit début juillet 1933 :
Elle était avec une camarade qu’elle m’a dit être mannequin dans une
maison de couture où elle travaillait également disait-elle. Toutes deux
étaient habillées de fort élégante façon.
Au terme de cet interrogatoire, le juge demande à Violette de lui faire le
récit de son existence77. Ce souci biographique sera aussi celui des
médecins-experts qu’il aura désignés pour examiner l’inculpée.
Constitution de partie civile de Germaine Nozière
Le 15 septembre, dans le cabinet du juge d’instruction, Germaine
Nozière, se considérant comme victime, à un double titre, du double crime
pour lequel l’instruction judiciaire a été ouverte, se constitue partie civile,
en application de l’article 2 alinéa premier du Code d’instruction
criminelle78 :
Je me constitue partie civile sur la plainte en homicide volontaire et
tentative d’homicide volontaire que j’ai portée contre Nozière Violette,
18 ans. Je vous dépose un récépissé constatant que j’ai consigné au
greffe la somme de mille francs. J’ai comme avocat maître Maurice
Boitel.
À ce moment de la procédure judiciaire, les qualifications juridiques
pénales retenues sont celles « d’homicide volontaire et tentative
d’homicide volontaire ». En application de l’article 2 du Code pénal (loi du
28 avril 1832), la tentative de crime est considérée comme le crime même.
Cette considération légale emporte identité de la peine encourue. Ces
prudentes qualifications juridiques, de départ a minima, évolueront au
cours de la procédure dans le sens d’une aggravation. Dans une lettre
adressée de Neuvy-sur-Loire le 3 janvier 1934 au juge d’instruction,
Germaine avance que l’accusation de Violette contre son père lui a été
dictée par un complice, de même que la mise en scène destinée à faire
croire à un suicide des époux Nozière. « Ma fille n’a pu faire tout cela toute
seule […] et mon pauvre mari était trop honnête pour avoir fait ce que les
complices de ma fille le font accuser. »
On aura lu que la constitution de partie civile de Germaine repose sur
deux motifs, le premier, défendre la mémoire de son mari, le second,
rechercher le complice (Jean Dabin est dans le collimateur), sans lequel
Violette ne pouvait réaliser cet empoisonnement et cette mise en scène
destinée à faire croire à un double suicide. Le 14 décembre, dans un
courrier adressé au juge d’instruction, l’avocat de Germaine avait déjà
insisté sur cette question d’une complicité. Il fait valoir que lors de la scène
de reconstitution du crime dans le logement de la rue de Madagascar, le
18 septembre, sa cliente a acquis la conviction que Violette n’avait pas « pu
organiser une telle mise en scène sans une assistance certaine ».
À propos de cette constitution de partie civile, Anne-Emmanuelle
Demartini a cette formule : « La veuve éclipsait la mère79. » La mère, trois
fois frappée dans sa chair, en tant qu’épouse, en tant que mère, en tant que
victime d’une tentative d’empoisonnement en récidive, est dans un
moment de douleur que l’on ne saurait imaginer. Mais l’éclipse ne durera
qu’un temps, éclipse en battement d’ailes.
En octobre, Germaine est prise dans ce qu’elle a appelé une « tragédie »,
terme que reprendra son avocat lors de sa plaidoirie aux assises.
La confrontation Germaine versus Jean Dabin et Violette
Le mercredi 18 octobre a lieu dans le cabinet du juge une confrontation,
cette fois-ci effective, entre mère et fille, et ce en présence de Jean Dabin
convoqué par le juge. Cette scène à trois semble hors du temps. Les
avocats de l’inculpée et celui de la plaignante sont présents. Jean Dabin
réaffirme n’être pas l’auteur de la lettre apocryphe écrite et signée du
docteur Deron destinée aux parents de Violette. Le juge revient sur le
projet d’achat de la Bugatti et du crédit ouvert par Violette pour un
montant de 10 000 francs (7 000 euros). Le 15 juillet, Violette est à Neuvy-
sur-Loire chez sa grand-mère maternelle, le 5 août elle est de retour à
Paris, mais dit à Dabin qu’elle était à Neuvy-sur-Loire dans les premiers
jours d’août. Le juge demande à Violette de « préciser l’importance des
subsides » fournis à Dabin et leur provenance. Réponse : 3 000 francs
environ (2 100 euros). « Je lui disais que cet argent provenait de ma tante
ou de mes parents ; mais il provenait de Monsieur Émile. ». « Monsieur
Émile » vient d’être nommé par Violette en présence de Germaine.
Moment de bascule dans le cabinet du juge, Germaine Nozière voit au
doigt de Dabin la bague de son mari, cherchée en vain au moment des
obsèques. Stupeur de Germaine. La bague prise par Violette début août est
restituée. Les derniers mots de cette confrontation reviennent à Dabin :
« Violette ne m’a pas dit que son père avait abusé d’elle. »

Violette examinée sous toutes les coutures de la


médecine (mentale)
Une historisation trifurquée
Il revient à Georges Lantéri-Laura d’avoir présenté une telle approche
trifurquée de la psychiatrie moderne. Il distingue trois grands paradigmes.
Schématiquement, le premier paradigme est celui de l’aliénation mentale, il
débute en 1793, lorsque la Commune de Paris nomme Philippe Pinel à
l’hospice de Bicêtre, et prend fin dans les années 1850-1860, avec l’article
de rupture de Jean-Pierre Falret, « adversaire irréductible de l’unité de la
pathologie mentale », « De la non-existence de la monomanie »
[1854/1864]80. Le deuxième paradigme est celui des maladies mentales. Le
pluriel s’impose, « un certain nombre d’affections [étant considérées
comme] irréductibles les unes aux autres, dont l’ensemble, purement
empirique, échappe à l’unité et à l’unification81 ». Ce paradigme tient à ne
pas être extérieur à la médecine. Le troisième paradigme, celui des grandes
structures psychopathologiques, peut être commodément daté de
l’année 1926 durant laquelle, à Genève et à Lausanne, lors de la XXXe
session du Congrès des médecins aliénistes et neurologistes de langue
française, Eugen Bleuler va exposer, en français, sa conception du groupe
des schizophrénies. Ce paradigme s’est longtemps maintenu, passant
notamment en 1960 par le VIe Colloque de Bonneval sur l’inconscient,
placé sous la direction de Henri Ey. À la mort de celui-ci, en 1977, ce
paradigme s’efface. Georges Lantéri-Laura conclut : « Sauf abus de
connaissance, nous ne savons rien de ce que pourrait être le paradigme de
la psychiatrie depuis le dernier quart de notre xxe siècle. Après tout, nous
dirions volontiers : tant pis pour nous82. » Ajoutant, caustique : « En
revenant sur nous-même, nous ne trouvons aucun moyen raisonnablement
licite de nous faire un peu moins mal83. »
Au moment de l’affaire Nozière, le paradigme dominant est donc celui
des grandes structures psychopathologiques. La « patiente » Violette
relève-t-elle de l’une d’entre elles ? Mais d’abord quelle est la situation de
la psychiatrie parisienne en ces années 1930 ?
Sur la psychiatrie parisienne du début des années 1930
Succinctement mais décisivement, Georges Lantéri-Laura en a brossé un
tableau pour ce début des années 1930. Il souligne que ce serait litote que
de rappeler que, en ses pôles antagonistes et lieux de pouvoir, leurs
« potentats » ne s’entendaient guère. Il en dessine la cartographie : « La
Clinique des maladies mentales, et H. Claude comme Professeur, l’hôpital
Henri-Rousselle, et E. Toulouse comme Médecin-Directeur, l’Infirmerie
spéciale, et G. de Clérambault comme Médecin-Chef, sans parler des divers
services de Sainte-Anne […]84. » Puis, avec l’humour dont il est coutumier,
il en décrit les jeux d’institution, notant :
Comme les internes changeaient de service tous les ans ou tous les six
mois, les plus ambitieux d’entre eux travaillaient successivement dans
ces différents lieux, où, sauf exception malencontreuse, ils réussissaient
à briller, de telle sorte que, à proprement parler, il n’y avait pas de
doctrine qui s’imposât à tous. Il existait plutôt un certain nombre de
conceptions plus ou moins antagonistes, entre lesquelles on pouvait
louvoyer de manière habile, sans plus de fidéisme, mais avec des
antagonismes théoriques et pratiques riches, rigoureux et argumentés.
Ils permettaient aux uns et aux autres de se situer entre le scepticisme,
l’éclectisme, la tolérance générale, et telle ou telle position un peu plus
précise et davantage définie, qui d’ailleurs ne tournait guère au
dogmatisme intransigeant que chez les moins doués85.
À tant de points de vue, un espace social ordinaire.
Henri Claude sera l’un des trois experts désignés pour examiner Violette
inculpée et emprisonnée. Si l’expertise mentale prend place dans une
procédure judiciaire pénale pour une affaire criminelle, son enjeu, en droit
et en fait, est décisif quant à la possibilité même de poursuivre
judiciairement au pénal.
Trois propriétés de l’expertise mentale
Dans son cours du 8 janvier 1975 au Collège de France, Michel Foucault
relève, tel un topographe, que trois propriétés sont constitutives de « ce
genre de discours » qu’est l’expertise mentale,
car, après tout, ils sont tout de même rares, dans une société comme la
nôtre, les discours qui possèdent à la fois trois propriétés. La première,
c’est le pouvoir de déterminer, directement ou indirectement, une
décision de justice qui concerne, après tout, la liberté ou la détention
d’un homme. À la limite […] la vie et la mort. Donc, ce sont des
discours qui ont, à la limite, un pouvoir de vie et de mort. Deuxième
propriété : ce pouvoir, ils le détiennent de quoi ? De l’institution
judiciaire peut-être, mais ils le détiennent aussi du fait qu’ils
fonctionnent dans l’institution judiciaire comme discours de vérité,
discours de vérité parce que discours à statut scientifique, ou comme
discours formulés, et formulés exclusivement par des gens qualifiés, à
l’intérieur d’une institution scientifique. Discours qui peuvent tuer,
discours de vérité et discours – vous en êtes la preuve et les témoins86 –
qui font rire. Et les discours de vérité qui font rire et qui ont le pouvoir
institutionnel de tuer, ce sont après tout, dans une société comme la
nôtre, des discours qui méritent un peu d’attention87.
Une illustration édifiante est celle du docteur Georges Heuyer sortant du
bois, alors même qu’il est en… congé.
En surplomb, une sortie de presse du docteur Heuyer
Dans un très remarquable ouvrage portant sur la transformation du
jeune neurologue Jacques Lacan en psychanalyste, Jorge Baños Orellana a
brossé ce portrait de l’ambitieux docteur Georges Heuyer (1884-1977),
hostile au mouvement freudien88 :
Georges Heuyer était une figure de second plan et en pleine ascension,
bien connu pour ne point faire de pas de clerc ainsi que pour son
habileté à choisir ses poulains et à les lancer sur des buts stratégiques
bien calculés. Ce n’est pas en vain qu’il avait été médecin militaire
pendant quinze ans. Vers la fin de 1926, il a cru opportun d’écrire « Le
devinement » [dans ledit automatisme mental, A.M.89] avec une charge
d’obus à cibles multiples. Son premier objectif était de mettre en pièces
l’attraction que suscitait la traduction des livres de Freud, et le champ
de bataille choisi fut celui des psychoses hallucinatoires chroniques.
[…] Heuyer déclare la guerre au freudisme dans « Le devinement de la
pensée et contribution à l’étude organique de l’automatisme mental90 »,
un article d’une longueur inusitée, de cinquante pages, réparti sur les
livraisons de novembre et décembre 1926 des Annales médico-
psychologiques. Après avoir passé en revue différents exemples qui
renforçaient l’hypothèse que pratiquement tous les chemins qui
mènent au syndrome sont organiques, Heuyer, pour commencer la
fête, inclut la paralysie générale dans sa liste des nouveaux porte-
drapeaux de l’école organiciste. Le cas d’une paralytique avec
syndrome d’A.M. clôt la démonstration de « Devinement »91.
Ce même Georges Heuyer dont L’Intransigeant dès novembre 1933 publie
la déclaration que l’on va lire, relève bien de ce comique (involontaire)
propre à susciter le rire du lecteur qu’évoquait Foucault. Qu’on en juge :
Nous avons demandé à un psychiatre dont la renommée est mondiale
et qui est, à côté du docteur Clérambault, médecin aliéniste à
l’Infirmerie spéciale du Dépôt [de la préfecture de police de Paris], ce
qu’il pensait du « cas Nozières ».
Je suis en congé, nous répond le docteur Georges Heuyer, je n’ai pas vu
l’inculpée. Je ne connais de son histoire que ce qu’elle a raconté à
l’instruction et ce que ses petits amis en ont dit aux journalistes. Ce
n’est pas suffisant pour qu’un psychiatre se fasse une opinion. […]
C’est une perverse cette petite tigresse92.
On s’interroge : comment peut-on se dire dans l’impossibilité de se faire
une opinion pour les raisons susdites, et porter le diagnostic de l’une des
grandes structures psychopathologiques (la perversion) et, d’un même
coup, franchir le pas qui conduit au monde animal… Voilà qui donne le
sceau de ce que pouvait être un raisonnement de la médecine mentale
parisienne du début des années 1930.
Le silence de Violette face aux médecins-experts
Par ordonnance du 18 septembre, le juge d’instruction a commis en
qualité d’experts, « à l’effet d’examiner au point de vue mental la nommée
Nozière (Violette) », Henri Claude (1869-1945), professeur de clinique des
maladies mentales à la faculté de médecine de Paris, médecin des hôpitaux,
expert en neurologie et psychiatrie, Octave Crouzon (1874-1938), médecin
des hôpitaux, médecin chef à la Salpêtrière, neurologue expert, et Victor
Truelle (1871-1938), médecin chef à l’asile Sainte-Anne, expert en
psychiatrie. Ils rendent au juge d’instruction un rapport dactylographié
cosigné de quatre-vingts pages, le 6 novembre 1933. Précisons que le
rapport des médecins prend pour base les pièces du dossier de l’instruction
qui leur ont été transmises et qu’ils font leurs. Les experts sont « trois
vieux messieurs » qui « auront en tout et pour tout trois entretiens d’une
demi-heure chacun avec l’inculpée : deux en octobre, un en novembre93 », à
la Petite Roquette. Les experts eurent contact avec Germaine, qui leur
déclara que sa fille « a toujours été menteuse, cela a été son plus grand
défaut ». Men-songes bien plutôt de Violette déployant leur tissage
ordonné à un seul songe : celui de vivre sa vie, une vie de rêve de jeune
femme du monde. Puissance de l’imaginaire. Et pas moins de lucidité
lorsqu’elle confie aux experts : « Je ne pensais pas beaucoup qu’on croirait
à l’accident. » Et pourtant, c’est vers son plus grand risque qu’elle avança.
À chacun des examens que nous lui avons fait subir à la prison de la
Petite Roquette, l’inculpée s’est présentée sous le même aspect, avec
seulement lors du dernier, un peu plus d’aisance et de naturel, mais
avec toujours les mêmes silences dont il va être question.
Violette ne collabore pas avec les médecins qui ont partie liée avec
l’administration de l’institution judiciaire pénale qui la poursuit. Si le
« mentir-vrai » a été l’une des armes pour se frayer le chemin d’existence
qu’elle cherchait à atteindre en son épopée, le silence en a été une autre. Et
le demeure face à la pression judiciaire. Manifestant une leçon de
Descartes (larvatus prodeo), elle avance ou désormais piétine, masquée ;
sachant être brève, faisant preuve toutefois de souplesse face aux
médicales manœuvres, et gardant donc silence. On appréciera la prose des
médecins :
Vêtue de noir, le regard masqué par des lunettes qu’elle ne retire
qu’après que l’on ait insisté, porteuse même un jour d’un chapelet
suspendu à son cou et dont elle se sera débarrassée à notre dernière
visite, l’allure humble et modeste, l’aspect contrit, elle apparaît à
l’ordinaire calme et maîtresse d’elle-même se laissant toutefois aller à
quelques brefs accès de larmes à l’occasion de questions ou de rappels
de circonstances plus particulièrement pénibles. Elle se prête volontiers
sans raideur ni opposition, à toutes les manœuvres d’examen et
d’explorations. Mais elle ne répond d’ordinaire que brièvement,
quoique d’une façon parfaitement adaptée, à ce qu’on lui demande.
Fréquemment, le regard systématiquement fuyant ou même carrément
détourné, elle se referme dans un mutisme obstiné ; mutisme toujours
motivé, survenant spécialement lorsqu’on lui demande de définir son état
d’esprit avant, pendant et après son crime [nos italiques].
Ses yeux se détournent de la demande des médecins auxquels elle oppose
un silence résolu. Silence n’est pas mutisme, les experts ne distinguent pas.
Quant à la temporalité même du crime (avant/pendant/après), de ces trois
séquences qui renvoient chacune au foyer d’expérience du crime, souvent
peu exploré, à quelles fins, à quel titre en ferait-elle part à ceux qui, en
effet, ne savent pas, n’ayant pas été pris dans le feu d’une telle action ?
Dans leur tentative d’approche, les experts se heurtent à une femme de
non-recevoir. On se souvient du refus opposé par Ernst Wagner à son
psychiatre, ce dernier le pressant, lors d’un examen, de (lui) dire les raisons
de ses actes meurtriers94.
Les médecins écrivent que lorsqu’ils demandent à Violette comment et
pourquoi au lieu de mener une « vie tranquille, studieuse et honnête », elle
s’est complu « dans l’existence de plaisirs et de débauches », elle se refuse
à répondre et prend alors « une apparence honteuse, bien adaptée » aux
postures qu’ils représentent. De cette vie-là, Violette ne voulut pas ; et de
sa condition sociale, non plus. À l’ouverture du procès d’assises, elle
prendra d’abord cette attitude contrite, avant d’exploser à l’ultime
moment, alors elle injuriera la cour.
À propos de l’infection syphilitique, il n’aura pas été possible aux trois
médecins d’obtenir « des précisions sur l’origine et le début » de celle-ci.
Sur cette origine sexuelle, les médecins sont également éconduits. Plus les
experts se livrent à un questionnement policier/judiciaire, plus Violette
leur oppose un point de butée et une inébranlable résistance. Elle se sait
dans la nasse d’une procédure « criminelle » et n’a nulle confidence à faire,
en dehors du motif en défense de multiples fois allégué. Elle n’apporte pas
sa pierre à l’édifice pénal qui est en train de se construire autour d’elle et
contre elle, avec le laissez-passer des médecins vers la voie pénale. Elle
leur oppose un silence soutenu. Quant à la leçon de morale, elle n’est pas
concernée. Alors même que confrontée à l’acte qu’elle a commis, les
larmes lui viennent, « elle manifeste alors une émotion généralement
contenue mais qui finit à certains moments par la faire éclater en
sanglots ».
Du crime comme expérience subjective, Violette, qui s’apprête à payer le
prix de ses actes – entre guillotine et réclusion criminelle aux travaux
forcés à perpétuité –, n’a nulle raison d’en livrer quelque clef que ce soi(t),
à qui fait mission… d’expert concluant au pénal. Pas l’ombre d’une
transmission ici d’une expérience singulière, dans ce qu’elle pourrait
présenter à la fois d’extraordinaire et de fragilité. D’une telle expérience,
lesdits experts n’en sont pas. Un an plus tard, un journaliste de
l’hebdomadaire Détective, Henri Danjou, ayant assisté au procès d’assises
d’octobre 1934, note après l’audience : « Toute sa force s’employait à
conserver la même tenue énigmatique95. » Pas de compromission avec qui
participe à l’administration judiciaire pénale.
Galerie de portraits psychopathologiques
Le « cas Nozière » relève-t-il de l’une (ou de plusieurs ?) des grandes
structures psychopathologiques qui font le paradigme de la psychiatrie à
ce moment-là de son histoire ? Une galerie de portraits défile sous les yeux
du lecteur du rapport médical.
– « Mythomanie » ? Celle-ci appréciée au titre des « dévergondages
sexuels de Violette Nozière », les trois experts écrivent qu’ils n’ont pas été
« en fait tellement multiples, tellement anormaux dans leurs modalités, ni
tellement précoces (16 ans, d’après ses propres dires) », c’est quasiment un
inattendu blanc-seing. Par contre, qu’elle se soit « fort mal conduite, cela
est certain ».
Les experts délivrent à leurs lecteurs, juristes, magistrats et avocats, une
leçon sur la « mythomanie » qui se définit par
cette imagination débordante et continuellement inventive, changeante
et fantasque, se complaisant dans l’étrange et le romanesque, de luxe
pourrait-on dire, inutile sinon nuisible au sujet lui-même, et toujours
impossible à réfréner, qui caractérise et différencie ce que l’on est seuls
autorisés à étiqueter « mythomane ».96
Violette n’en est pas. L’attaque ne viendra pas des experts mais de l’un
de leurs confrères. Le 15 septembre 1933, le Figaro se fait l’écho de ce
diagnostic médical de « mythomanie » par la voix de Justin Sicard de
Plauzolles (1872-1968), qui fut une figure du mouvement hygiéniste en
France au début du xxe siècle : « Je considère avant tout, Violette Nozière,
comme une mythomane dangereuse97. » Ou quand la médecine mentale
frappe… à distance et fait dissensus dans la confraternité.
« Mythologique jusqu’au bout des ongles », s’exclame de son côté André
Breton dans un poème, exclamation qu’il fait précéder d’un « Tu ne
ressembles plus à personne de vivant ni de mort98. » Alors, une apparition
fascinante ? René Crevel sait Violette emprisonnée ; en conclusion de l’un
de ses textes publié à Bruxelles, contemporain du rapport des médecins, il
écrit :
Violette Nozières, dans la moisissure de l’ombre qui l’emprisonne, il ne
peut se faner le bouquet des beaux phosphores. Une haute flamme
noire danse plus haut que l’horizon et l’habitude. Tous les orages vont
faire écho à la voix qui hurla en mots de soufre, en mots de souffrance,
la condamnation d’un monde où tout était contre l’amour99.
Mais les experts ont déjà rendu leur rapport…
Quant à l’affirmation dont le juge Lanoire est proche et qui sera
soutenue par Me Boitel lors du procès d’assises, selon laquelle nous serions
devant un crime d’intérêt, Violette voulant hériter, sans avoir à attendre,
des coquettes économies de ses parents (160 000 francs placés en titres au
Crédit lyonnais) : « cette thèse, nous ne la faisons pas nôtre […] » écrivent
les experts. « Mythomane », Violette ne l’est pas, première leçon négative.
– « Folie morale » ?
On ne trouve en effet chez elle ni cette extrême précocité, ni ce
polymorphisme, ni cette malignité constamment en éveil et contre tout
et tous, ni cette excitation et ces débordements déréglés, ces révoltes
ouvertes, ce besoin incessamment manifesté de mal dire et de mal
faire100, ni cette sorte d’inconscience du bien et du mal, cette
indifférence et ce mépris non seulement de l’opinion d’autrui, mais de
sa propre sauvegarde dans le domaine éthique qui caractérisent cette
forme irréductible de perversité pathologique que l’on a appelé folie
morale.
Cette « folie morale » vient d’être définie par pas moins de dix traits !
Cette appellation tourne alors à l’inconsistance. Dans le langage de la
médecine mentale du milieu du xixe siècle, « folie morale101 » traduit en
français la moral insanity102 anglaise, identifiée par les rapporteurs à une
irréductible « perversité pathologique ». Un César Lombroso (1835-1909),
médecin aliéniste et médecin légiste, ne manquera pas de faire écho à
ladite « folie morale » au point d’y consacrer un livre. La première édition
de ce livre est le notoire L’Uomo delinquente (1876). Dans la préface à la
quatrième édition, répondant à une objection de Gabriel Tarde, César
Lombroso rétorque : « Le fou moral n’a rien de commun avec l’aliéné ; il
est un crétin du sens moral103. » Ce qu’il appelle « criminel-né » est renoué
par lui au fou moral dans la branche des épileptoïdes, « crime et folie
morale n’offrent aucune différence104 ». Deuxième leçon négative, Violette
n’en est pas.
– « Perverse » ? Flottement des médecins commis. Plutôt une « pervertie
d’occasion », et non « une de ces véritables perverses que la
psychopathologie connaît bien ». Troisième leçon négative. Le docteur
Georges Heuyer se voit contré. En 1938, le docteur René Allendy se voit
confier par le magazine Le Crapouillot la rédaction d’un numéro spécial sur
le crime. Ce numéro prend pour titre : « Le crime et les perversions
instinctives ». Les catégories de perversion et d’instinct sont mobilisées.
Sur ses soixante-cinq grandes pages illustrées de photos, le cas de Violette
Nozière est abordé sous la rubrique : « Le crime et l’inceste ». Y est évoqué
« le fameux complexe d’Œdipe des psychanalystes105 ». René Allendy se dit
persuadé qu’un « pareil crime, de la part d’une fille, qui, à un âge encore
avancé, s’asseyait si volontiers sur les genoux du père qu’elle devait tuer,
confirme précisément le conflit psychique de l’inceste, quelles que soient
les histoires de chiffon106 ». Le médecin ne doute pas de l’existence de
« sentiments incestueux » en ce cas, « et même sur le plan du réel », la fille
y étant impliquée comme son père. Puis, l’inceste se trouve figé au titre
d’une « perversion instinctive ». L’assignation en subjectivité se fixe d’un
substrat qualifié d’instinctuel. Par anticipation, le docteur René Allendy est
contré par ses confrères experts.
Aujourd’hui encore, l’injure n’est pas toujours très loin côté « psy107 ».
Trente-cinq ans plus tard, en 1968, Georges Heuyer sonne la charge à
propos des empoisonneuses, avec ce bref commentaire d’ensemble : « Ce
sont surtout des femmes, animées par la vengeance ou la volupté, aussi par
la cupidité, la duplicité, la perfidie, sous un masque affectueux et câlin.
Perverses, elles sont aussi mythomanes. L’histoire judiciaire en possède
plusieurs observations […]108. » Suit une brève énumération – Violette n’en
est pas ; constat : de 1933 à 1968, elle n’en est plus.
Toutefois, en mai 1934, avant le procès d’assises, le docteur Gilbert
Robin, ancien chef de clinique à la faculté de Paris, relance l’affaire. « C’est
tout juste si le crime de Violette Nozière – empoisonneuse de son père –
n’est pas déjà oublié109. » Il n’en est rien, son procès est largement attendu,
non sans impatience, et ce jusqu’au garde des Sceaux. Dans des pages où
Gilbert Robin balance… il finit quand même par trancher : « Violette
Nozière a une maladie mentale dont la forme s’adapte à merveille au
comportement social et antisocial d’une partie de la jeunesse110 » ; il porte
ce diagnostic : « À mon avis elle est une malade mentale, une perverse de
rêve, bien différente d’une perverse habituelle111. » Une fois de plus, un
médecin tourne le dos à la puissance de feu, de fête et de plaisirs de ce
qu’il ne peut qu’appeler le mal… de la jeunesse.
Au terme d’un long parcours sur l’appropriation des comportements dits
pervers par le discours médical, Georges Lantéri-Laura remarque :
La culture des débuts du xxe siècle espérait de la science qu’elle lui
démontrât quels comportements sexuels s’avéraient conformes à la
nature, et, par-là, licites, et quels se situaient en dehors : c’était la quête
d’une norme sexuelle fondée sur la science. […] Le génital définit ainsi
la norme, c’est-à-dire dans la pratique, le bien. […] La normalité, le
bien, le droit se retrouvent restaurés, et restaurés au nom d’un savoir
qu’on tient pour le discours scientifique le plus moderne sur la
sexualité112.
Il laisse son lecteur sur cette pointe fine : « D’ailleurs, la seule authentique
perversion n’est, peut-être, que l’inhibition de la jouissance113. »
De la concordance avec soi-même
Suit dans le rapport des médecins un ensemble de considérations
favorables à Violette, apparue
concordante avec elle-même114, foncièrement calme et maîtresse de soi,
[…] mais encore, chose capitale, nous en avons eu la preuve objective,
dans l’absence constatée de troubles fonctionnels, de son système
nerveux, central et vago-sympathique.
Bref, les compliments ne manquent pas, ce qui confirme aussi que face à
l’autorité médicale, Violette sait tenir sa position. Puis, sans que le lecteur
puisse bien faire le lien, ce coup de grâce tombe tel un couperet, « certes,
et ceci correspond à cela, son affectivité et sa sensibilité sont médiocres ».
Médiocrité imputée en dépit de la preuve notamment neurologique de sa
concordance avec elle-même, de son calme foncier, de la prudence dans ses
réponses et de son silence, traits d’une maîtrise de soi. Les rédacteurs du
rapport ont sans doute pour eux-mêmes en tête la philosophie stoïcienne,
philosophie de la cohérence de soi-même115. Cette école de philosophie
antique est en arrière-fond de l’invention romaine du droit. De la sagesse
antique, l’une des formules delphiques est : « La mesure est ce qu’il y a de
meilleur116. » Après le crime en sa démesure, la mesure ? Quant à
l’admiration des experts pour l’antique stoïcisme, elle allait contribuer à
ouvrir en grand la porte des assises pour y placer Violette dans le box des
accusées ; stoïque (pour autrui), le langage du droit dit « faire
comparaître ».
Les rapporteurs tiennent à signaler qu’il ne semble pas que Violette
Nozière ait été poussée à « ses dévergondages par un impérieux besoin de
satisfactions génitales. […] à son âge, malgré les expériences, du reste en
nombre assez limité qu’elle a faites, il est exceptionnel ou même
pathologique que les sens d’une femme soient complètement éveillés. »
J. Lacan se montrait d’une autre trempe, lui qui écrivait : « Est-ce à nous de
camoufler en mouton frisé du Bon Pasteur, Éros, le Dieu noir117 ? »
Les médecins le constatent, au terme de « cette étude psychologique de
l’inculpée », Violette ne présente pas de « trait de puérilité mentale », et
s’est montrée « rien moins que suggestionnable ». Violette tient son fil
aussi bien face à l’autorité judiciaire que pénitentiaire que médicale.
Soumise à un test sous hypnose, elle reste étrangère à cette tentative
médicale. On avait pu dire que c’était sous l’empire de l’hypnose qu’elle
avait commis ce parricide. Cette hypothèse tombe.
Les rédacteurs du rapport égrènent tout ce que Violette n’est pas, eu
égard à la médecine mentale. On lit alors un flot débordant de catégories
mentales se déversant sur sa tête, pour conclure que… non, elle n’en relève
pas. Une appréciation favorable fait retour : « Loin d’être en aucune façon
dissociée, sa personnalité psychique est au contraire remarquablement
stable et différenciée pour son âge118. » Si son « égoïsme » est pointé, son
altruisme est aussi signalé :
Elle savait dépenser, non pas seulement pour elle-même mais aussi
pour les autres ; elle s’est attachée à l’un au moins de ses amants (elle
le dit d’une façon qui paraît sincère, et son comportement avec lui le
prouve) ; elle prenait certainement goût à être courtisée et choyée. Elle
trouvait satisfaction dans la vie qu’elle menait.
Balancement de Violette dans son propos, après « avoir prétendu une
première fois que “rien ne lui plaisait dans le genre d’existence” qu’elle
avait choisie, elle finit en effet, par avouer […] : “Oui, j’aimais aussi un peu
la société de ces jeunes gens ; j’aimais un peu cette vie” [nos italiques]. »
Prudence de Violette eu égard à l’ordre judiciaire de l’aveu. De plus, est-il
souligné, tous les soins de coquetterie qui peuvent contribuer à orner une
jeune fille sont incompatibles avec l’hypothèse d’états morbides – quand la
coquetterie dégage une jeune femme de l’étiquette médicale de morbidité.
Et voici que, dans ce moment d’auto-récapitulation du rapport, la
question de la « perversité certaine » qui avait été écartée fait autrement
retour, par ces traits, dissimulations, mensonges, larcins domestiques,
paresse, école buissonnière. Eu égard à la « perversion », si les rapporteurs
ont écarté sans hésitation « ces grandes perversions instinctives qui ont été
décrites sous le nom de folie morale », sur la perversion, leur jugement
reste en demi-teinte. La leçon négative n’est pas prononcée au bénéfice de
l’inculpée. D’où ce triplet, « grande perversion instinctive », non (Allendy,
contré), « perverse », non (Heuyer, contré) ; mais « pervertie d’occasion »,
« perversité certaine », le rapport tient mal ses distinctions119.
De la responsabilité pénale
Conclusions quant à l’engagement de la responsabilité pénale de
l’inculpée :
Ainsi donc, ni au point de vue psychiatrique ou neurologique, ni au
point de vue psychologique, ni au point de vue de la médecine
générale, on ne relève rien chez l’inculpée qui permette d’en inférer
une atteinte à sa responsabilité pénale. Il en est de même dans l’étude
médico-légale des faits qui lui sont reprochés.
« Ainsi donc », quatre disciplines, compétences cumulées sur la tête des
experts, leur permettent de conclure que Violette ne répondait pas aux
réquisits des « grandes structures psychopathologiques » ; il n’est pas
porté atteinte à sa responsabilité pénale. Celle-ci va même être qualifiée de
manière adverbiale. Les conclusions du rapport se déclinent en cinq points
et répondent aux demandes du juge d’instruction.
1o) Violette Nozière ne présente pas de signes d’une maladie nerveuse
ou morale. 2o) Les faits qui lui sont reprochés n’ont pas été commis en
état de démence au sens de l’article 64 du Code pénal. 3o) Les diverses
maladies dont elle a été atteinte n’ont pas affecté son système nerveux.
4o) En particulier, elle n’a pas souffert de sinusite, mais seulement de
rhinite congestive, affection banale, sans retentissement cérébral
possible. La syphilis constatée en mars 1933 par l’examen sérologique
du sang ne s’accompagne pas de signes cliniques ni biologiques de
syphilis cérébrale, ni plus généralement nerveuse. 5o) L’inculpée doit
par suite être considérée comme entièrement [nos italiques]
responsable.
le 6 novembre 1933
Docteur Crouzon, Claude, Truelle
Experts
La disposition de l’article 64 de l’ex-Code pénal dans sa promulgation
de 1810 dispose : « Il n’y a ni crime ni délit, lorsque le prévenu était en état
de démence au temps de l’action, ou lorsqu’il a été contraint par une force
à laquelle il n’a pu résister. » L’application de l’article 64 étant écartée par
les trois médecins, le juge d’instruction peut poursuivre son information.
Une conclusion contraire du rapport médical l’aurait contraint à se
dessaisir en rendant une ordonnance de non-lieu, l’institution judiciaire se
trouvant alors elle-même dessaisie.
Le cinquièmement conclusif des médecins pousse grandes ouvertes les
portes de la cour d’assises et la porte plus étroite qui place dans le box des
accusés. La peine du droit pénal est l’horizon des médecins-experts. Tel est
l’enjeu politique, social, public, de l’expertise « psy ». Dans l’affaire
Nozière, les conclusions des experts auront fait le lit de la responsabilité
pénale à engager « entièrement ». Rétivité presque constante de Violette
aux interrogations des médecins-experts, en connaissance de cause.
La défense cible le rapport médical
L’avocat de Violette enfonce son clou au bon endroit, par ce qui n’est pas
un jugement mais un constat, pas si rare, là où l’acte criminel saisit le
public par sa gravité, la « démence », cause de non-imputabilité subjective,
est écartée par le corps médical120. De Vésinne-Larue frappe par plusieurs
remarques. Il considère que l’on est en présence d’un « travail sommaire »,
devant « un crime dont la monstruosité même est troublante121 », « devant
un acte qui n’est pas immédiatement explicable ». Il va jusqu’à soutenir
qu’en « bonne logique, l’expert devrait […] ignorer aussi bien les faits
reprochés à l’accusée que toute la matérialité documentaire du dossier122 ».
En termes foucaldiens, dès qu’il entre dans le champ de l’institution
judiciaire pénale, le savoir médical se trouve ordonné au pouvoir pénal123.
L’avocat de la défense va s’en prendre nommément à l’un des trois
experts. Il n’aura pas manqué de dire que les experts ne se sont rendus que
trois ou quatre fois seulement à la Petite Roquette et qu’ils n’ont eu que
trois ou quatre entretiens, d’ailleurs fort brefs. Il poursuit : « Sur des bases
aussi fragiles, ils ont cependant réussi ce tour de force de rédiger un
rapport qui compte plus de 80 pages dactylographiées124 ! »
L’avocat indique aussi que les médecins se sont heurtés au « mutisme »
de Violette ; elle se tait, elle n’a pas à dire sa récente existence afin de
contribuer à ce que celle-ci lui soit retournée et imputée à faute morale.
C’est d’ailleurs, en dépit de son silence gardé (pas absolument toutefois),
que les « éminents signataires » l’ont considérée comme « entièrement
responsable ». De Vésinne-Larue continue à enfoncer son clou. Il ne lui
paraît pas « possible de juger un tel crime, sans essayer de connaître
l’étrange personnalité » de l’accusée.
On frissonne125 à l’idée que c’est en définitive sur un pareil document
que le sort de cette enfant126 sera pour toujours fixé ! Vous ne pourrez
admettre que des experts aient la prétention de comprendre une
accusée aussi mystérieuse que Violette Nozière [nos italiques] en trois ou
quatre entretiens de quelques minutes127 !
Son avocat marque encore le point lorsqu’il fait remarquer à la cour et
aux jurés :
La loi frappe de nullité toute procédure criminelle qui se serait
déroulée en l’absence du défenseur et c’est cependant sur l’avis
d’experts qui ont été nommés en dehors de la défense et qui ont procédé
en dehors de tout contrôle de la part de celle-ci [nos italiques] que vous
devez vous prononcer sur la responsabilité ou l’irresponsabilité de celle
que vous avez à juger ! […]. L’avis de l’expert est, en fait, une décision
sans contrôle et sans recours128 !
En première page du quotidien L’Œuvre du 17 septembre 1933, le docteur
Édouard Toulouse fait savoir qu’il aurait aimé apprendre que Me Henri
Géraud, qui, sur son intervention à la barre dans le procès Gorguloff,
demanda une expertise contradictoire, « l’aurait à nouveau réclamée dans
cette affaire, afin que la désignation de tous les experts ne soit pas laissée à
la discrétion du juge ». On sait que Henri Géraud se retira de la défense de
Violette Nozière « pour raison personnelle ».
Vieille alliance ambiguë depuis le début du xixe siècle en France, entre
les attendus de la médecine mentale et les dispositions du droit pénal en
leur application.
Les médecins sont de fait et « en droit » en posture de « pré-juges », dans
une procédure judiciaire pour crime. Aujourd’hui encore, cette position est
défendue explicitement par l’affirmation selon laquelle le crime est une
maladie, et que dès lors, il revient de plein droit au médecin d’en juger, et
lui seul. La maladie appelle la médecine, la médecine appelle le corps
médical. Un cercle professionnel s’avance pour faire valoir son droit à
juger. Aussi, le rappel de cette fine remarque de Michel Foucault s’impose :
On a donc là, au total, un système en partie double, médical et
judiciaire, qui s’est mis en place depuis le xixe siècle et dont l’expertise,
avec son très sérieux discours, constitue la pièce en quelque sorte
centrale, la petite cheville, infiniment faible et infiniment solide, qui
fait tenir l’ensemble. […] l’expertise psychiatrique en matière pénale
ridiculise le savoir médical et psychiatrique dès le premier mot. Elle
n’est homogène ni au droit ni à la médecine [nos italiques]129.
Cette dernière formulation épistémique est d’une grande portée.
L’expertise psychiatrique occupe cet entre-deux ne relevant ni de l’une ni
de l’autre discipline.
Un expert dans le collimateur
Me de Vésinne-Larue vise ensuite nommément, ce qui n’est pas si
fréquent, l’un des trois experts commis dans le procès des sœurs Christine
et Léa Papin, où l’on retrouve le docteur Victor Truelle :
Ces deux femmes avaient été, elles aussi, examinées par des experts
éminents, parmi lesquels se trouvait précisément le docteur Truelle qui
a examiné Violette Nozière… Dans cette affaire comme dans la plupart
des crimes qui étonnent l’opinion publique, le rapport d’expertise
concluait à la responsabilité entière des accusées. […] Cette fois encore,
l’examen des experts parmi lesquels se trouvait le docteur Truelle, je le
répète, avait égaré l’action publique et contre toute raison avait fait
condamner une démente130 !
Christine et Léa Papin avaient été examinées par les médecins Pierre
Schützenberger, Henri Baruk et Victor Truelle, qui avaient en effet conclu
à l’absence de démence au sens de l’article 64 du Code pénal131. Ils
ouvraient ainsi largement la voie puis la voix au représentant du parquet
qui avait ainsi conclu son réquisitoire : « Pour celle-ci [Léa] le bagne ! Pour
celle-là [Christine] l’échafaud132 ! » Avocate des sœurs Papin, Germaine
Brière s’adressant aux jurés procède à une attaque en règle du rapport des
experts et va jusqu’à contester la validité épistémique de la médecine
mentale. Elle interroge : « Est-il au monde une science plus sujette à
erreur133 ? » Elle remarque, elle aussi, la brièveté de l’examen médical
commis qui s’est
borné à deux visites à la prison, visites qui ont duré environ une heure
chaque fois, ce qui donne pour chacune des inculpées, une heure
d’examen en deux fois. Qu’il me soit permis alors de dire qu’il est
impossible que les docteurs Truelle et Baruk se soient fait une opinion
sur leurs observations personnelles. En une heure d’examen on ne peut
avoir connaissance de tout ce qui peut constituer la personnalité de
l’inculpé à examiner134.
M. le docteur Logre vous l’a dit avec toute son expérience et toute sa
science, un examen semblable, pour pouvoir apporter à la justice une
conclusion certaine, devrait durer au moins six mois et être fait en
clinique [nos italiques]. […]
Ils l’ont basé en réalité presque uniquement sur les observations faites
par le troisième expert, M. le docteur Schützenberger135.
Du procès Papin, du docteur Schützenberger et de ses confrères, une
récente trouvaille documentaire donne de très inattendues nouvelles et
révèle une indéfectible connivence de classe entre gens de médecine et
gens de droit136… Dans le cas de Violette, revient la remarque de Sigmund
Freud à un autre propos, selon laquelle « de toutes parts ce tableau
s’effiloche dans l’indéterminé137 ».

Quatre récits judiciaires emboîtés


Le procureur de la République moralise
L’étroite imbrication des fonctions judiciaires de poursuite et
d’instruction est juridiquement posée dans les dispositions légales
générales relatives à l’instruction judiciaire, à l’article 61 du Code
d’instruction criminelle, selon lequel « le juge d’instruction ne fait aucun
acte d’instruction […] qu’il n’ait donné communication de la procédure au
procureur de la République, qui pourra en outre, requérir cette
communication à toutes les époques de l’information, à la charge de rendre
les pièces dans les 24 heures ». Aussi, le 3 janvier 1934, conformément à
l’article 127 de ce même Code138, le substitut du procureur de la République
prend et adresse ses réquisitions au juge d’instruction ; elles sont dans
cette affaire conformes à l’ordonnance de clôture du juge Lanoire et
comportent, en passant, une leçon de morale, et quelques appréciations
esthétiques flatteuses pour Violette, lesquelles sont pourtant hors ordre
juridique. Il écrit d’abord que « Vite, elle fut considérée comme une fille
aux mœurs légères. Loin d’être usurpée, cette réputation se révéla très au-
dessous de la triste vérité. » Et plus loin, affleure une inclination attirance :
« Violette Nozière, grande, forte, d’un physique nullement déplaisant,
paraissait plus que son âge, aimait et portait bien la toilette. Sa
conversation – aux dires de ceux qui la connurent – était agréable. » Mais
elle cachait « complètement » la vérité à ses parents et à « presque tous ses
amants. Elle ne semble pas s’en être corrigée au cours de l’information ».
Autrement dit, le magistrat du parquet se fait l’écho de ce que Violette
n’avait pas baissé la garde dans le cabinet du juge Lanoire. Les réquisitions
font leurs les chefs d’inculpation retenus par le juge d’instruction contre
l’inculpée au terme de son information. Quels sont-ils ?
« Nous, juge, déclarons… »
Avec le concours de la police judiciaire qui lui est en droit subordonnée,
il revenait au juge Lanoire d’orchestrer l’ensemble de l’information
judiciaire, ce qu’il fit. Le 5 janvier 1934, il rend l’ordonnance de clôture de
l’information, un long texte qui retrace l’affaire Nozière telle qu’il l’a
instruite. Avant d’en donner la conclusion, relevons certains de ses traits
touchant l’inculpée. Si père et mère sont irréprochables, Violette, elle, était
animée de « mauvais instincts139 ». Le juge évoque l’atteinte syphilitique de
Violette dont ses parents auraient été informés le 23 mars. Il relève que
Violette « ayant conquis une certaine liberté, en profite pour se livrer à la
prostitution non seulement au Quartier latin, mais encore dans le quartier
de la Madeleine ». La connaissance de Jean Dabin, étudiant peu assidu à la
faculté de droit, est faite en juin, son nouvel amant « dépouillait
régulièrement Violette des largesses que lui faisaient ses amis de passage ».
Début août, Violette est sans argent. Le juge revient sur les soirées des
23 mars et du 21 août 1933. Ce 21 au soir, Violette dit à ses parents que les
poudres spécialement préparées pour eux « devaient les préserver de la
contagion et guérir le père d’une céphalée consécutive à une chute. […]
Après quelques hésitations […], les époux Nozière, instamment poussés par
leur fille, absorbèrent les poudres [nos italiques] ». Arrêtée et confrontée
au juge, Violette lui déclare la raison pour laquelle elle voulait faire mourir
son père : « C’est parce que ce dernier abusait d’elle depuis l’âge de 12 ans
et avait fini par lui inspirer un violent dégoût. Elle n’a pu apporter de
preuves formelles de cet inceste […]. » Le juge apporte alors cet élément
dans la modification de la défense de Violette : « Dans son dernier
interrogatoire, elle a modifié son système et a allégué que la cause
principale de son acte était l’opposition apportée par son père à un projet
de mariage avec Jean Dabin, opposition qui n’exista jamais […]. » Le juge
livre alors sa version de l’affaire :
La vanité démesurée de Violette Nozière, son désir effréné
d’indépendance et surtout le rapide espoir d’hériter de 165 000 francs
déposés en banque par ses parents, suffiraient à expliquer le geste
criminel de Violette Nozière [nos italiques].
Un désir sans frein d’indépendance, c’est-à-dire de liberté, ce n’est pas
peu. Pour le juge ce désir n’est pas à égalité avec l’espoir d’hériter d’une
importante somme d’argent ; le juge ne se demande pas à quel dessein cet
argent était nécessaire. Désaccord d’appréciation entre autorités : dans
leur rapport les médecins-experts avaient écarté le motif de l’argent. Pour
le juge la soirée passée au bal Tabarin ne passe pas :
Elle s’est montrée d’une immoralité et d’une insensibilité absolues, ne
songeant qu’à s’amuser après avoir empoisonné ses parents et se
rendant parée au bal Tabarin alors qu’elle devait penser qu’ils
agonisaient.
Trois éminents experts aliénistes l’ont examinée et l’ont déclaré
pleinement responsable [nos italiques].
Les médecins avaient écrit « entièrement », le juge écrit « pleinement ».
L’entente est parfaite et la soudure effectuée. Le juge salue ainsi les
médecins en leur alliance plus que séculaire avec l’institution judiciaire
pénale. Dans l’affaire Marcel Redureau (1913), André Gide avait dû
constater qu’il arrive même que l’avocat de l’accusé élargisse ce qu’il
appelle, très remarquablement, « ce nœud coulant du rapport médical »…
Le champ judiciaire est libre de poursuivre Violette Nozière, en récidive,
pour les actes du 23 mars et du 21 août, des chefs d’empoisonnement et de
parricide, ainsi que de tentative de ces mêmes crimes, Germaine ayant
survécu ; les qualifications de (simple) homicide et de tentative d’homicide
sont tombées. Les articles du Code pénal visés par l’ordonnance de
transmission au procureur général140 sont les articles 295, 299, 301 et 302 du
Code pénal, passibles de peines afflictives et infamantes. L’article 295 est
celui qui incrimine le meurtre, l’article 299 le parricide141, l’article 301
l’empoisonnement. Aux termes de l’article 302 alinéa 1 du Code pénal,
« Tout coupable d’assassinat, de parricide et d’empoisonnement, sera puni
de mort. »
La chambre écholale des mises en accusation
En matière de crime, l’instruction n’est pas seulement obligatoire, elle est
aussi à deux degrés. Il revient à la chambre des mises en accusations de la
cour d’appel, juridiction d’instruction du second degré, d’examiner la
régularité de la procédure qui lui est soumise et de valider (ou pas) les
qualifications pénales retenues. Puis, il lui revient, en cas de crime, de
prononcer la mise en accusation et le renvoi devant une cour d’assises.
L’arrêt de renvoi de la chambre des mises en accusation contre Violette
Nozière devant la cour d’assises du département de la Seine est daté du
27 février 1934 ; écholal, il en réécrit l’histoire, sans en modifier ni le cours
ni les contours. Violette y est dite « animée de mauvais instincts » et s’être
livrée, « dès le début de 1933, au moins, […] à la plus lamentable
inconduite ». Les magistrats de la chambre se lamentent. Ils n’ont pas lu
Virginia Woolf qui, dans Une chambre à soi – une chambre à soi est un
désir exprimé par Violette –, épinglait la stigmatisation d’une femme se
proposant à la prostitution comme relevant de notre barbarie sexuelle (our
sexual barbarity142). Son essai date de la fin des années 1920.
L’arrêt de la chambre des mises en accusation est une copie conforme à
l’ordonnance du juge d’instruction. Elle écarte la demande d’un
supplément d’information de Germaine Nozière aux fins de rechercher le
ou les complices de sa fille, car elle ne peut croire qu’elle ait agi seule. La
chambre considérant « qu’il a été procédé à toutes recherches, auditions de
témoins, confrontations, et à tous actes d’informations qui ont paru utiles
à la manifestation de la vérité » déclare irrecevable la constitution de
partie civile de l’appelante du chef du délit pénal de recel par Jean Dabin
de la bague appartenant à son mari. Nous aurons à montrer que,
juridiquement non fondée, cette « plainte » n’est pas sans portée pour
autant. La chambre retenant chacun des chefs d’inculpation visés par
l’ordonnance du juge d’instruction, elle les transforme en chefs
d’accusation. Les articles 295, 299, 301 et 302 du Code pénal sont à nouveau
visés. C’est le moment de citer l’article 299 définissant le parricide : « Est
qualifié de parricide le meurtre des pères ou mères légitimes, naturels ou
adoptifs, ou de tout autre ascendant légitime. » L’article 302 qui prévoit la
peine de mort notamment pour le parricide renvoie à l’article 13 du Code
pénal. Que dit cette disposition particulière de l’article 13 ? Alors que
l’article 12 dispose que « Tout condamné à mort aura la tête tranchée143 »,
l’article 13 ajoute : « Le coupable condamné à mort pour parricide sera
conduit sur le lieu de l’exécution, en chemise, nus pieds, et la tête couverte
d’un voile noir. Il sera exposé sur l’échafaud pendant qu’un huissier fera
au peuple lecture de l’arrêt de condamnation ; et sera immédiatement
exécuté à mort. » Dans l’immédiat, l’accusée Violette Nozière est renvoyée
devant la cour d’assises du département de la Seine.
Contre cet arrêt du 27 février 1934, la défense de Violette et celle de
Germaine forment un pourvoi en cassation, chacune pour des motifs
distincts. Violette notamment pour violation des dispositions de l’article 3
de la loi du 8 décembre 1897 lequel pose que, lors de l’interrogatoire de
première comparution devant le juge d’instruction, l’inculpée est avertie
de ce qu’elle est libre de ne pas faire de déclaration, dès lors qu’elle n’est
pas assistée d’un avocat inscrit au barreau de Paris, mais qu’elle est libre
aussi de faire toute déclaration dès ce moment (on se souvient que Violette
fit pourtant le choix de s’expliquer immédiatement). Le second moyen de
cassation est pris de ce que, aux termes de l’article 6 de la loi du 7 février
1933, il n’est pas possible au juge d’instruction chargé de l’information de
délivrer des commissions rogatoires à des officiers de police judiciaire qui
commettent ainsi des actes d’instruction qui sont de la seule compétence
des magistrats.
Le 12 juillet 1934, la chambre criminelle de la Cour de cassation, dans un
arrêt de rejet, répond que le droit de délégation et de subdélégation tenant
essentiellement aux règles générales de l’instruction n’a pas été violé, que
la procédure suivie est conforme à la loi, que les faits, objets de
l’accusation, sont qualifiés crimes par la loi144. Le pourvoi de Germaine se
fondait sur une demande de supplément d’information concernant
d’éventuels complices de sa fille à laquelle la chambre des mises en
accusation n’avait pas fait droit. Mais aucun mémoire à l’appui de ce
pourvoi n’ayant été rédigé, le pourvoi est rejeté. À cette date, Germaine a
probablement déjà cessé de prendre position contre sa fille.
L’acte d’accusation du procureur général
Avant cette petite bataille judiciaire, en application de l’article 241 du
Code d’instruction criminelle, le procureur général près la cour d’appel de
Paris rédige l’acte d’accusation par lequel il expose la nature juridique du
crime qui forme la base de l’accusation, le ou les faits et « toutes les
circonstances qui peuvent aggraver ou diminuer la peine ». Daté du 3 mars
1934, l’acte d’accusation du parquet s’ouvre sur la délivrance pour le père
de Violette (48 ans) et pour sa mère (45 ans) d’un certificat de « réputation
irréprochable ». Le parquet met en doute l’existence d’un « généreux
protecteur qu’elle n’a pas voulu désigner autrement que par le prénom
d’Émile et qui paraît n’avoir jamais existé ». Paraît seulement145. Est relevée
l’impassibilité de Violette devant la scène de ses parents agonisant. Son
« accusation abominable » de « relations incestueuses » reste sans « aucune
preuve ». Violette soutient qu’elle n’a pas voulu donner la mort à sa mère,
le parquet se montre dubitatif. « La dame Nozière n’a vraisemblablement
dû son salut qu’à l’idée qu’elle a eue de jeter une partie du verre. »
L’acte d’accusation du parquet reprend à l’identique les trois chefs
d’incrimination retenus dans l’arrêt de la chambre des mises en accusation
et avant elle par le juge d’instruction. Meurtre, parricide, empoisonnement,
peine encourue : la mort. Le procureur général donne avis de cet acte
d’accusation à la cour d’assises, ainsi qu’au maire du lieu du domicile de
l’accusée (article 245 du Code d’instruction criminelle). L’instruction du
juge, les réquisitions du procureur de la République, le contrôle de la
chambre d’accusation, les réquisitions du parquet général auront fait bloc.
Ces récits judiciaires précèdent Violette au jour de l’ouverture du procès.
« Le public ne comprendrait pas, ni moi non plus »
Pendant ce temps, la Chancellerie s’impatiente. Le 26 juillet 1934, une
note du procureur général au garde des Sceaux fait le point sur l’état de la
procédure et s’engage sur le fait que le procès Nozière sera jugé à la
prochaine session d’octobre au plus tard. Le procureur général croit devoir
se défendre. Sur sa note, il ajoute de sa main « C’est l’accusée et la partie
civile qui ont retardé la comparution en cours d’assises, en formant un
pourvoi en cassation. » Le 30 juillet, la direction des affaires criminelles du
ministère de la Justice porte cette instruction : « Veiller à ce que les
dossiers soient retournés au Procureur Général sans aucun retard. » Les
choses n’en restent pas là. Violette a intérêt à ce que le procès ait lieu le
plus tard possible, dans l’espoir que la pression de la rue se sera apaisée. Le
7 août suivant, le procureur général doit faire savoir au garde des Sceaux
que Violette Nozière sollicite une expertise médicale, par une lettre dont il
a transmis l’original au président de la cour d’assises, « compétent pour
donner à cette requête la suite qu’elle comporte ». Voici la copie de cette
lettre dactylographiée datée du 5 août 1934 :
Monsieur le Procureur Général,
J’ai l’honneur de solliciter de votre haute bienveillance la désignation
d’un médecin à l’effet de constater légalement, par les examens
appropriés, les atteintes d’origine syphilitique dont je souffre
actuellement, et qui se manifestent après plusieurs mois de disparition
apparente.
À l’époque où les médecins-experts commis par M. le juge
d’instruction ont procédé à des recherches bactériologiques sur ce
point, je me trouvais dans une période de régression qui n’a pas permis
de faire des constatations décisives.
En vue d’obtenir un résultat positif, il serait tout particulièrement
désirable que l’examen fût fait immédiatement. C’est pourquoi je vous
prie de bien vouloir désigner un médecin pour constater l’état de mon
affection syphilitique.
Je vous prie, Monsieur le Procureur Général, de bien vouloir agréer
l’hommage de mon respect.
Violette Nozière, Atelier 1 no 1921
Le président des assises fait droit à cette requête. On s’impatiente
toujours à la Chancellerie. Le 24 août, le procureur général donne les
mêmes assurances à son ministre, il veillera à ce que la procédure ne
subisse aucun retard injustifié. Le 1er septembre, il écrit à nouveau au garde
des Sceaux pour lui faire connaître que le docteur Paul Ravaut, membre de
l’Académie de médecine, médecin à l’hôpital Saint-Louis, expert commis
par le président des assises pour procéder à l’examen de l’accusée, vient de
déposer un rapport dont les conclusions sont que l’accusée « est atteinte de
syphilis sans signe apparent, mais les réactions sérologiques étant
positives, il s’agit de syphilis latente en voie d’évolution. Il serait urgent
d’en informer l’Administration pénitentiaire dans le but de reprendre “le
traitement spécifié” ». Le directeur de la prison de la Petite Roquette en a
été informé afin que « les soins nécessaires et que le traitement approprié
lui soit appliqué ».
Le procureur général ménage son ministre et l’assure que contrairement
à ce qu’indiquent certains articles de presse, la comparution de cette
accusée devant la cour d’assises ne sera pas retardée.
Annotation manuscrite de la direction des affaires criminelles au
ministère de la Justice, en marge de ce rapport : « Je suis heureux de la
communication du Procureur de la République, car s’il fallait que le public
apprît que l’affaire est retardée parce que Violette Nozière a la syphilis, il
ne comprendrait pas, ni moi non plus. 2-9-34. »
Instruction et poursuite sont unanimes. La Chancellerie suit l’affaire de
près. Le procès d’assises se tiendra en octobre entre les quatre murs de la
cour d’assises. Violette y adoptera une attitude appropriée, pas jusqu’au
terme du procès toutefois.

Un procès rapide
Un procès dans l’année 1934
L’historien nord-américain Eugen Weber146 choisit en illustration de la
page de couverture de son ouvrage sur la France des années 1930 une
photo sépia de l’émeute sanglante du 6 février 1934. Ce jour-là, les ligues
nationalistes (mais pas seulement elles) marchent sur la Chambre des
députés, et engagent un combat de rue avec les forces de l’ordre, tandis
qu’un nouveau président du Conseil, Édouard Daladier, membre du parti
radial, sollicite la confiance de la Chambre. Investi par les députés à une
large majorité, mais après une nuit où lui fait défaut l’appui notamment de
la justice, de l’armée et de la police, il présentera dès le lendemain sa
démission au président de la République Albert Lebrun, qui l’acceptera147.
Il y a maintenant un an révolu que Violette a fait l’expérience de ce que
peut être une incarcération à la prison de la Petite Roquette. L’audience de
la cour d’assises s’ouvre le mercredi 10 octobre 1934 au Palais de justice à
Paris, sur un hommage rendu au roi de Yougoslavie, Alexandre 1er,
protecteur des Serbes, ennemi des Croates, et à Louis Barthou, ministre des
Affaires étrangères venu l’accueillir à Marseille, sur le débarcadère du
Vieux-Port le 9 octobre 1934. Le roi est assassiné place de la Bourse, le
ministre français meurt de ses blessures en moins d’une heure148. Résidant à
l’hôtel Crillon, il était prévu que la reine et le roi soient reçus à l’Hôtel de
Ville de Paris le mercredi 10 octobre à 16 heures, en compagnie du
président de la République Albert Lebrun et de son épouse ; tandis que de
l’autre côté de la Seine, dans la salle d’audience de la cour d’assises,
Violette Nozière faisait face à « ses » juges.
Dans la presse hebdomadaire : Détective, Vu, Marianne
Fin septembre 1934, Détective publie sur trois numéros « Le journal de
Violette Nozière », successivement le 27 septembre (no 309), le 4 octobre
(no 310) et le 11 octobre (no 311) (figures 6, 7 et 8).
Un « Document formidable recueilli par Henri Danjou : les feuillets
dramatiques écrits au jour le jour à la prison de la Petite Roquette par
Violette Nozière » légende la première de couverture du numéro 309. Le
deuxième numéro titre à l’identique avec ces variantes : « Les feuillets
émouvants écrits, dans le secret de sa cellule de la prison de la Petite
Roquette, par la jeune parricide, et dont Détective a pu s’assurer
l’exclusivité. » Enfin pour le troisième numéro alors que le procès s’est
ouvert la veille : « Le journal de Violette Nozière au moment même où la
jeune inculpée se débat en des audiences poignantes, toutes dominées par
l’ombre hallucinante du père qu’elle a tué149. » Le numéro suivant de
Détective titrera sur le verdict de la cour d’assises.
Le jour même de l’ouverture du procès, ce 10 octobre 1934, le magazine
hebdomadaire Vu publie sous la plume de Pierre Frondaie les premières
pages d’une histoire romancée de la vie romaine, au xvie siècle, de la
famille Cenci déjà écrite par le poète Percy Shelley (1819) ou par Stendhal
(1855) (figure 9). L’année suivante Antonin Artaud en fit à son tour une
pièce de théâtre pour laquelle il interprétera le rôle du vieux comte Cenci.
Ce dernier donne une définition familiale – comme il se doit – de
l’inceste : « La famille à qui je commande et que j’ai faite est ma seule
société150. »

Figure 6
Figure 7

Figure 8
Figure 9

Dès son premier paragraphe, Pierre Frondaie, sans se prononcer sur


l’existence d’un inceste ou sur son inexistence – il insiste sur ce point –,
avance que l’inceste est « vieux comme la terre ». Il s’autorise alors ce ton
condescendant :
Que serait-elle Mlle Nozières ? La pauvre doublure pitoyable, la pâle
actrice de faubourg, l’étoile de hasard, jouant à son tour, sans grands
moyens, le drame illustre, la tragédie où s’immortalise le souvenir
d’une jeune fille d’Italie151.
Immortelle Béatrice ? Mortelle Violette. Le vieux Cenci est un père-
monstre (un père ?). Sa fille Béatrice est exécutée le 11 septembre 1599 à
Rome, avec le consentement du pape Clément VIII, pour avoir tué son
« père ». Alors que d’autres pressentis s’y dérobaient, par peur. Les destins
de Béatrice et de Violette étant rapprochés, l’attitude méprisante de
Frondaie à l’endroit de Violette contribue là quand même à sa défense ne
serait-ce qu’à titrer en lettres capitales : « Plaidoyer pour une parricide ».
De Béatrice à Violette.
Loin de tout mépris, dès le 6 septembre 1933, Pierre Drieu la Rochelle
publie dans Marianne, hebdomadaire politique et littéraire, orienté à
gauche, pacifiste (Briand contre Poincaré), dirigé par Emmanuel Berl152, un
long article sur Violette Nozière153. Dès le deuxième paragraphe de son
article, l’écrivain dit une commune implication :
Violette Nozières fit un geste et voilà quelque chose qui remue, qui
ondule, et dans des cercles qui s’élargissent d’un visage à l’autre, nous
découvrons cent de nos secrets à tous154.
Il y a donc un effet Nozière qui touche et recouvre un champ social
étendu, et des secrets communs. Drieu la Rochelle sait que « Violette n’a
pas cherché à se cacher, ni à mettre spécialement la chance de son côté
[…]155 ». Ou si peu par cette fragile mise en scène d’un accident domestique
ou d’un suicide par asphyxie. Son pseudonyme de Christiane Darfeuil est
une fragile protection nominale.
Ce qui se joue dans l’affaire Nozière pour « les gens » ? Drieu la Rochelle
le dit sans ambages : « La famille, l’amour, l’argent, la mort156 ». Et c’est
parce que les gens « pensent beaucoup à la famille qu’ils ont reçu un tel
coup de cette petite Violette. Du moins, je vois là une explication qui rend
plausible cet immense remous157 ». La famille et son étroitesse de vie sont
visées par le parricide de Violette. Ce « cercle étroit qui se referme, les
parents aujourd’hui, demain, un ménage158 ». Puis, Drieu avance ceci
d’énigmatique dans sa nuance même : « Violette Nozières a plutôt imaginé
de tuer ses parents que de les quitter159. » Cette détermination imaginaire et
réelle fait la trame et l’irrésistible d’une épopée qui aurait trouvé une autre
conclusion. Et le trait aussi d’une folie épique ?
Drieu la Rochelle soulève des questions qui ne peuvent être
contournées :
Tout le monde court, tout le monde a pris parti et je reste en panne.
[…] Saurons-nous jamais ce qui s’est passé dans cette famille ?
Saurons-nous si elle a voulu tuer sa mère ? Le fait que celle-ci n’est pas
morte ne prouve rien, ni dans un sens ni dans l’autre. Saurons-nous ce
qui s’est passé entre son père et elle ? Car il y a des choses qui ne sont
pas faites, qui sont à peine sues et pèsent lourd. […] Étrange
aveuglement des parents qui aiment dans le noir160.
La cour d’assises est devant ces questions justement dites politiques161, de
politique érotique, la cour va se contenter de peu, soit trois jours pour en
juger.
Les assises, une procédure solennelle
Un juriste fait remarquer que la « procédure devant la cour d’assises est
particulièrement longue, compliquée et solennelle162 ». Est notifiée à
l’accusée, 24 heures avant l’audience, la liste du jury de la session,
(article 395 du Code d’instruction criminelle), laquelle liste résulte d’un
tirage au sort auquel il a été procédé dix jours avant l’ouverture de la
session. Solennité ?
La Cour entre, c’est-à-dire le Président et ses deux assesseurs,
annoncés par l’huissier. Les magistrats sont revêtus de leur robe rouge
d’apparat. Ils sont suivis du Ministère public. La Cour entrée en séance,
il faut constituer le jury de jugement. La liste de session doit contenir
30 noms au minimum, 36 au maximum. […] C’est au moyen d’un tirage
au sort sur liste de session que va être constitué le jury de jugement.
Chaque fois que le Président tire un nom de l’urne, l’accusation et la
défense peuvent exercer leur droit respectif de récusation [la
récusation n’a pas à être motivée]. […] Il doit s’exercer de telle sorte
qu’il ne porte pas atteinte au nombre minimum des douze noms qui
doivent former le jury. […] Le juré dont le nom est sorti le premier a le
titre de chef du jury. Les rôles se partagent alors entre le Président de
la Cour et le jury163.
Le pouvoir de direction des débats revient au seul président de la cour.
Celui-ci avertit « le conseil de l’accusé qu’il ne peut rien dire contre sa
conscience ou contre le respect dû aux lois, et qu’il doit s’exprimer avec
décence et modération » (article 311). L’avocat de Violette ne s’est pas tenu
au strict respect dû au droit positif, comme l’a montré sa critique du droit
de l’expertise médicale.
La conviction pénale
C’est, en propres termes, à la conscience et à l’intime conviction des
jurés que le président de la cour d’assises en appelle. Tel est l’article 312 du
Code d’instruction criminelle :
Le président adressera aux jurés, debout et découverts, le discours
suivant : – Vous jurez et promettez, devant Dieu164 et devant les
hommes d’examiner avec l’attention la plus scrupuleuse les charges qui
seront portées contre X., de ne trahir ni les intérêts de l’accusé, ni ceux
de la société qui l’accuse, de ne communiquer avec personne,
jusqu’après votre déclaration, de n’écouter ni la haine, ni la
méchanceté, ni la crainte ou l’affection ; de vous décider d’après les
charges et les moyens de défense, suivant votre conscience et votre
intime conviction, avec l’impartialité et la fermeté qui conviennent à
un homme probe et libre.
Cette déclaration légale ne recule pas devant l’énoncé d’une impossible
idéalité. Sans forcer le trait, on peut lire dans cet article 312 un bloc de
psychologie judiciaire officielle. On ne compte pas moins de cinq « ni…
ni », où l’on retrouve l’image officielle de la justice en un plateau qui se
veut équilibré. Chacun des jurés est appelé devant le président, levant la
main droite et prononçant un : « Je le jure », et ce à peine de nullité. Le
juré vient de prêter serment. Immédiatement après, le président avertit
l’accusée d’être attentive à ce qu’elle va entendre ; il revient au greffier de
procéder à la lecture de l’arrêt de renvoi de la chambre d’accusation et de
l’acte d’accusation du parquet (article 313 du Code d’instruction
criminelle).
Qu’entendre par « conscience et intime conviction » ? La loi a doublé sa
mise en avant d’une « intime conviction » d’un morceau de psychologie
judiciaire. Il revient, en effet, au chef des jurés, avant leur commune
délibération hors la présence des trois magistrats qui composent la cour, de
faire lecture aux jurés de l’instruction suivante inscrite et prescrite à
l’article 342 du même Code, lequel explicite ce qu’il faut considérer par
intime conviction :
La loi ne demande pas compte aux jurés des moyens par lesquels ils se
sont convaincus ; elle ne leur prescrit point de règles desquelles ils
doivent faire particulièrement dépendre la plénitude et la suffisance
d’une preuve ; elle leur prescrit de s’interroger eux-mêmes dans le
silence et le recueillement, et de chercher, dans la sincérité de leur
conscience, quelle impression ont faite sur leur raison les preuves
rapportées contre l’accusé et les moyens de sa défense. La loi […] ne
leur fait que cette seule question, qui renferme toute la mesure de leurs
devoirs : Avez-vous une intime conviction ?
Pour la preuve de la vérité, s’interroger dans le silence et le recueillement,
dans la sincérité de la conscience, l’impression produite sur leur raison, la
question est in fine pour les jurés d’avoir ou de n’avoir pas une intime
conviction165. Leur jugement est assis sur fond de ce que nous appellerons
un libéralisme probatoire. Admiratifs, deux historiens du droit notent que
c’est là « la magistrale définition du système des preuves morales166 »,
tandis que Michel Foucault voit dans l’intime conviction « la conviction
d’un sujet quelconque, d’un sujet indifférent. En tant qu’individu pensant
il est susceptible de connaissance et de vérité. [On est passé] au régime
commun, au régime honorable, au régime anonyme de la vérité pour un
sujet supposé universel167 ». Libéralisme probatoire et universalisme
subjectif supposé se donnent la main. Cette supposition légale de tant de
qualités cumulées sur la tête de chacun des jurés ne fait pas l’hypothèse,
elle, radicale, d’un sujet divisé dans son être. Âme et conscience au
fondement de l’intime conviction168.
La liste des témoins qui devront être entendus est lue à haute voix par le
greffier (article 315). Les témoins doivent se retirer dans une chambre à eux
réservée169, ils prêtent le serment « de dire la vérité toute la vérité et rien que
la vérité » (article 317 alinéa 1, nos italiques). Lacan, pour sa part, tenait
que la vérité ne peut que se mi-dire. Il n’est pas donné au « parlêtre »
d’atteindre à la vérité toute – toute elle rate le trait de vérité – pour la dire
toute les mots mêmes y manquent. Le Code prolonge à l’article 319 : « Le
président pourra également demander au témoin et à l’accusé tous les
éclaircissements qu’il croira nécessaire à la manifestation de la vérité [nos
italiques]. »
L’avocat général Gaudel représente le parquet. Devant la cour d’assises
l’audience ainsi s’ordonne :
À la suite des dépositions des témoins, et des dires respectifs auxquels
elles auront donné lieu, la partie civile ou son conseil et le procureur
général seront entendus, et développeront les moyens qui appuient
l’accusation.
L’accusé et son conseil pourront lui répondre.
La réplique sera permise à la partie civile et au procureur général ;
mais l’accusé et son conseil auront toujours la parole les derniers.
Le président déclarera ensuite que les débats sont terminés (article 335
du Code d’instruction criminelle).
Les jurés pourront alors se retirer pour délibérer.
Le procès dans la Gazette des tribunaux
Dès les jours suivant le procès, la Gazette des tribunaux rend compte
brièvement des trois jours du procès, les 10, 11 et 12 octobre, en ces
termes :
L’interrogatoire de l’accusée qui a occupé presque toute la première
audience, n’a apporté aucun élément nouveau. Elle [Violette] a
reconnu l’ensemble des faits, sans toutefois vouloir donner de plus
amples précisions sur l’énigmatique M. Émile, déclarant seulement qu’il
était industriel, avait des moustaches blanches et une automobile bleue !
[nos italiques] Elle affirma n’avoir vraiment aimé que Jean Dabin, avec
lequel elle avait conçu des projets de mariage170.
Violette ne lève pas l’énigme Émile et en présente un portrait tout en
couleurs. Au point que Me Maurice Boitel, avocat de Germaine, s’y perd :
« en dépit de ce qu’elle a pu inventer, elle n’a pas de protecteur défini : elle
dîne quatre ou cinq fois, paraît-il, avec un industriel à la figure rouge, à la
moustache blanche et la cravate bleue171… » On passe de deux à trois
couleurs. Rouge, blanc, bleu, les couleurs se présentent en un autre ordre.
La couleur supplémentaire qui émerge est le rouge pour la figure de
l’industriel, le bleu est devenu la couleur non plus de l’automobile, mais
celle d’une cravate. Dans un autre ordre, ces trois couleurs, bleu, blanc,
rouge, sont celles du drapeau de la République française. Violette s’est-elle
moquée du juge ? Ces trois couleurs de la République sont celles de la
médaille des chemins de fer reçue par son père.
La Gazette des tribunaux poursuit son compte rendu :
Au cours de la deuxième audience, on entendit la déposition
émouvante de Mme Nozière mère qui, dans un long récit, entrecoupé de
sanglots, relata avec précision les faits déjà connus. La fin de cette
déposition fut marquée par une scène particulièrement pathétique où
Violette Nozière s’efforça d’obtenir le pardon de sa mère. Cette
dernière, presque défaillante, a dû être emportée par les gardes… À
plusieurs reprises, elle s’écria : « Violette, Violette, ma petite fille »,
mais le mot pardon ne peut sortir de ses lèvres. Toutefois, avant de
franchir le seuil de la salle d’audience, elle eut la force d’articuler :
« Pitié pour ma fille »172.
L’Intransigeant du 13 octobre 1934 publie ce croquis de Germaine par
l’illustrateur Dignimont (figure 10).

Figure 10

La Gazette des tribunaux restitue encore ce moment d’audience où les


jeunes gens qui furent les compagnons de Violette au Quartier latin,
appelés à témoigner à la barre, notamment Jean Dabin, reçurent du
président de la cour et de l’avocat général des remarques sur leur conduite
« blâmable et dépravée173 ». Revenu de Tunisie où il accomplit des
obligations militaires, c’est en tenue militaire – il est alors cavalier de
remonte – que Jean Dabin se présente à la barre des témoins. Louis
Berings le croque pour le journal Le Matin du 13 octobre (figure 11).
Figure 11

Violette est au fond du box. Jean Dabin dit garder de Violette un


« excellent souvenir174 ». Déjà lointain ? Il se souvient donc, un peu. Rien à
déclarer ? Non, pas d’amour à déclarer.
Me Boitel tient le mobile argenté du crime
Me Maurice Boitel est avocat spécialisé en droit social, conseil juridique
de la CGT, membre du Parti communiste français depuis 1920175, assure la
défense de Germaine Nozière, pour « la dignité de son foyer176 ». « Ma
cliente a tenu à faire respecter la mémoire de son mari. […] Nous verrons
tout à l’heure ce qu’il faut penser de l’abominable calomnie lancée contre
le mort177 ! » L’avocat s’écrie :
En tout cas, le mobile du crime, c’est l’argent ! Et tout le reste n’est que
mensonge ! L’inceste est une abominable invention, qui ne résiste pas à
l’examen des preuves et témoignages, et surtout à l’analyse des
documents médicaux178.
L’avocat s’indigne : « Voudrait-on refaire Le Journal d’une femme de
chambre179 ? » Et plus loin : « Ce n’est pas l’odieux mensonge de l’inceste
qui peut expliquer la double tentative contre la mère ! Le complice voulait
l’argent180 ! » La complicité, c’est l’ombre de Dabin. Arrivé presque au terme
de sa plaidoirie, Me Boitel a cette envolée politique partisane :
Nous sommes dans une période de transition où le Vieux Monde
tremble sur sa base ; les disciplines archaïques ont rejoint les dieux
morts ! Les autels et les trônes chancellent… Nous assistons, de
secousse en secousse, à l’avènement d’une société nouvelle où les
individus auront un autre mobile que l’Intérêt plus ou moins sordide,
que l’Intérêt plus ou moins féroce181 ! ! !
Éloquence de tribune plus que de prétoire. Sous la robe noire à bavette
blanche, perce le militant. En son épopée, Violette, elle, ne porte pas le
rêve des militants, seraient-ils communistes ou royalistes.
Au terme de sa plaidoirie proche d’un réquisitoire, l’avocat transmet ce
que la mère n’a pu dire de vive voix à sa fille – son pardon :
Statue vivante du désespoir, Mme Nozière est venue ce matin à mon
cabinet et m’a crié : « Dites à Violette que je lui pardonne tout le mal
qu’elle m’a fait !… Je lui pardonne même son odieux mensonge ! »
Seules les grandes douleurs peuvent avoir de telles générosités…182
Germaine a retiré sa constitution de partie civile et n’est donc plus partie
au procès pénal : « Mme Nozière se désiste d’une intervention qui, quoi
qu’on en dise, n’a jamais été dirigée contre sa fille183. » Puis il dit sa
supplique aux jurés : « Mme Nozière, vous supplie, Messieurs, de ne pas
vous montrer sans pitié pour son enfant184 ! » Ce sont les derniers mots de
sa plaidoirie.
Me de Vésinne-Larue retient l’inceste
Dès les premiers instants de sa plaidoirie, Me René de Vésinne-Larue
évoque « l’enfant » qu’il assiste. S’adressant à l’avocat général qui avait
requis la veille la peine de mort contre sa cliente, il fait cette déclaration :
« Je serai peut-être indulgent ; ne vous en étonnez pas : je suis ici le
défenseur des enfants. C’est une enfant que j’assiste, c’est du côté des
enfants que je vois les choses185. » Au lendemain du prononcé judiciaire de
la peine, Marcel Aymé, lui, voit une « fillette de 19 ans186 ». Ça coince pour
considérer que Violette est une jeune femme, précoce. Sans transition,
l’avocat fait un saut de l’enfance à l’adolescence :
Vous n’avez voulu voir qu’un crime, je tâcherai de reconstituer le
drame. Pour en saisir l’intimité, sinon pour en montrer le tragique, il
faut se rappeler les émois que chacun a connus dans l’odyssée de
l’adolescence187.
Si le terme d’odyssée est heureusement avancé, il n’est pas problématisé
et restera un simple hapax dans cette plaidoirie.
L’avocat joue d’un parallèle : « Ne reprochez pas à Violette Nozière
d’accuser son père, puisque celui-ci a déjà porté de semblables accusations
contre le sien : tel père, telle fille188 ! » L’avocat ne recule pas devant cette
équivalence montée en généralité : tel père, tel fils – tel (grand) père
(Félix), tel fils-père (Baptiste), telle fille (Violette), les accusations seraient
fondées dans les deux cas. Il évoque Germaine :
Sa mère ? C’est une femme assagie, mais endurcie, dont la vie entière se
borne aux horizons de l’étroit logement de la rue de Madagascar. Elle
sort rarement ; elle ne parle à personne ; ses voisins remarquent son
humeur triste et fantasque, à ce point qu’aux dires de la concierge,
l’hypothèse du suicide d’abord formulée n’a causé aucune surprise
dans la maison [nos italiques]189.
Germaine aurait donc été si peu sage ? Dans sa jeunesse ? De Vésinne-
Larue a lancé une pique sur Germaine dont la vie est dite devenue bornée
à un étroit logement. Au point d’en concevoir une « humeur triste et
fantasque ». « Fantasque » ? Double pique.
L’avocat évoque l’accusation de Violette sur la « souillure » paternelle.
Elle nous dit que dans l’espoir de vaincre l’injuste résistance paternelle
[au projet de mariage avec Jean Dabin] elle est vainement allée jusqu’à
lui faire des menaces ; elle nous dit que devant la jalousie d’un père qui
refuse de se rendre à l’amour de celui qu’elle aime, la haine de celui
qu’elle accuse de l’avoir souillée s’est exaspérée au point de la décider
au meurtre, au meurtre libérateur190…
C’est là une autre pointe de cette plaidoirie. La version de la défense de
Violette vient d’être donnée à la cour, le parricide aura été libérateur d’un
père sexuellement souillant plusieurs années durant et, au surplus,
interdicteur d’un projet de mariage. L’avocat explicite ce qu’il présente
comme un « conflit » :
Passion d’un père incestueux pour une fille qui le hait ; amour de cette
fille pour un garçon jeune et beau, n’est-ce pas le conflit de deux
sentiments qui se déroule dans le plus affreux secret191 ?
L’amour pour Jean Dabin serait un autre vecteur du parricide. L’avocat
avance un ultime argument pour tenter d’éviter la condamnation à la
peine de mort de sa cliente, car il est « un fait qui est hors de discussion et
qui à soi seul suffit pour écarter l’idée même d’une entière responsabilité,
c’est l’extrême jeunesse de l’accusée : au moment du crime, Violette
Nozière venait à peine de dépasser l’âge de 18 ans192 !… » Chute de la
plaidoirie sur une demande de pardon et sur, à nouveau… l’enfance : « Je
vous demande de beaucoup pardonner à l’enfant coupable193. » Pour
l’avocat de la défense, Violette n’est pas « une jeune femme du monde »,
comme elle a pu aimer se nommer, mais une « enfant ». Mais une enfant
dont il n’a pas soutenu qu’elle s’est située très tôt du côté du petit dieu
Éros, lui-même un enfant.
On notera ces propos par quoi un avocat peut « plomber » la défense de
sa cliente. Il oppose d’abord crime contre nature :
L’excuse de ce crime contre nature, c’est d’avoir été provoqué par la
violation des lois naturelles194.
Car immédiatement après vient ce début de phrase : « L’hypothèse qui
seule peut expliquer un geste […] ». « L’hypothèse » ? Un avocat qui
soutient une accusation en défense de l’accusation qui vise sa cliente
n’émet pas une hypothèse. Il défend à la barre ce qu’il a à tenir pour la
vérité même qui fait l’accusation du parquet perdre sa consistance.
L’exercice des droits de la défense n’implique pas qu’il soit tenu de dire la
vérité de ce qui aurait eu lieu, y aurait-il eu un accès.
Le défenseur de Violette aura dit que l’accusation d’inceste était une
thèse… Son avocat aura retenu l’accusation d’inceste, au sens d’une
rétention.
L’arrêt de condamnation
Après la clôture des débats, le président de la cour pose aux jurés la
question telle qu’elle résulte de l’acte d’accusation : l’accusée est-elle
coupable d’avoir commis un parricide et une tentative de parricide par
empoisonnement, avec toutes les circonstances comprises dans le résumé
de l’acte d’accusation ? (article 337 du Code d’instruction criminelle). Puis
il avertit le jury, sous peine de nullité, que s’il pense à la majorité qu’il
existe en faveur de l’accusée reconnue coupable des circonstances
atténuantes, il doit en faire la déclaration en ces termes : « À la majorité, il
y a des circonstances atténuantes en faveur de l’accusé » (article 341). La
majorité requise est de sept voix. Le président remet les questions écrites
au chef du jury. Selon la loi, « tout vote doit avoir lieu au scrutin secret ».
Le jury quitte la salle d’audience et se réunit pour délibérer. Avant de
commencer à délibérer, le chef des jurés leur a fait lecture de l’instruction
relative à la nécessité d’avoir une « intime conviction », dont le texte est
affiché en gros caractères dans le lieu le plus apparent de la chambre des
délibérations. À la question posée sur la culpabilité, le jury va répondre
« oui » sur les faits que le droit pénal qualifie de meurtre,
d’empoisonnement, de parricide sur son père et de leur tentative sur sa
mère. Le jury n’a pas retenu de circonstances atténuantes. La peine
encourue sera donc la peine que la cour va prononcer.
Sous le titre « Violette Nozière condamnée à mort », le président du jury,
M. Bequin, est croqué en première page dans Le Petit Parisien du
13 octobre, lisant la déclaration sur la culpabilité (figure 12).
Il reste à la cour à en tirer les conséquences de droit, et au président
Peyre de les énoncer à haute voix. C’est le verdict de condamnation :
Considérant qu’il résulte de la déclaration du jury que Violette Nozière
est coupable des faits qui déclarés constants par le jury, constituent les
crimes prévus et punis par les articles 295, 299, 301, 302 du Code pénal.
Vu lesdits articles 295. 299. 301. 302 du Code pénal, ensemble les
articles 12. 13. 26 du même code […].
Le président de la cour donne lecture de ces quatre articles relatifs au
meurtre, au parricide, à l’empoisonnement, et à la peine de mort. Il lit aussi
l’article 12 : « Tout condamné à mort aura la tête tranchée » ; ainsi que
l’article 13, dans sa rédaction de la loi du 28 avril 1832 :
Figure 12

Le coupable condamné à mort pour parricide sera conduit sur le lieu de


l’exécution, en chemise, nu-pieds, et la tête couverte d’un voile noir195.
Il sera exposé sur l’échafaud pendant qu’un huissier fera au peuple
lecture de l’arrêt de condamnation, et il sera immédiatement exécuté à
mort.
De manière irréaliste, l’arrêt du 12 octobre se clôt sur une condamnation
civile aux dépens, Violette Nozière étant condamnée envers l’État aux frais
du procès liquidés à la somme de 13 991 francs et 23 centimes plus
62 francs 50 centimes pour droits de poste196. Cette somme est à la charge
de… la condamnée à la mort.
Violette explose et injurie
La presse va rendre compte des derniers moments de l’audience. Alors
que le jury délibère une heure durant, la cour se retire, et Violette a quitté
la salle d’audience. Elle est à nouveau présente pour entendre le verdict de
condamnation à la mort. Le rédacteur du Petit Parisien, Eugène Quinche,
écrit : « Le visage de Violette Nozière n’a pas frémi : elle est restée, au
contraire, d’une immobilité effrayante… Même les articles du code réservés
aux parricides ne la font pas broncher197. » Selon L’Éclaireur de l’Est du
samedi 13 octobre, Violette aurait d’abord dit ceci : « Je demande pardon,
et je remercie ma mère de m’avoir accordé son pardon198. » Jean-Marie
Fitère situe ces mêmes paroles à un autre moment, immédiatement après la
plaidoirie de son avocat lorsque le président de la cour lui demande si elle
a quelque chose à ajouter199, les derniers mots lui revenant en application
du Code d’instruction criminelle.
La presse témoigne que Violette a entendu le verdict qui la condamne à
mort sans broncher. Ce que Géo London rapporte aussi, mais sur le fond
d’une autre acuité. Violette :
paraît très droite, elle est calme mais ses yeux lancent des éclairs. Tête
nue, la chevelure en désordre, elle a l’air d’une Gorgone. La lecture de
l’arrêt la laisse insensible. Les phrases les plus cruelles, celles qui
devraient la mettre à la torture [nos italiques], glissent sur son
indifférence. Elle entend sans broncher : « Ordonne qu’elle sera conduite
pieds nus, la tête recouverte d’un voile noir, sur une place publique, pour
y être exécutée200. »
Violette ne bronche pas, alors même qu’elle a « la mort dans les yeux »,
ce qui constitue une expérience-limite201 que l’on peut à peine commencer à
imaginer. Mais c’est au moment même où son avocat lui tend un papier à
signer pour l’exercice d’une voie de recours – geste qui dut lui paraître
dérisoire et déplacé sur l’instant – qu’elle explose et injurie :
« F…-moi la paix ! Je ne veux pas signer ! Ce n’est pas juste. Vous
n’êtes pas pitoyables ! Vous êtes des saligauds ! Vous me dégoûtez ! Je
maudis mon père et je maudis ma mère ! Non, je ne veux pas signer202 ! »
Sarah Maza fait écho : « Violette became a fury203 ». Violette injurie –
sortant ainsi de leur bon droit – ceux qui viennent de la condamner à
mort sans pitié, réactivant en elle à ce moment-là l’élan d’un double
parricide. Elle rejette ce geste procédural de son avocat qui ne pouvait
obtenir pour elle un pire résultat.
Violette qui a fait profil bas au début du procès, tête et corps inclinés, au
point que les jurés ont demandé et obtenu qu’elle prenne place sur le banc
le plus élevé du box des accusés afin d’être visible d’eux, relève la tête et
hurle contre la cour, contre son père et sa mère. De son épopée, la cour ne
voulut rien savoir, de son refus sans faille de cette famille en sa conjugalité,
de son mode de vie étroit dont elle ne voulut à aucun prix. Le risque est à
la dimension d’une épopée.
Emmenée par les gardes, un détail va la retenir :
À peine a-t-elle franchi le seuil de la salle d’audience, qu’elle s’inquiète,
tout à coup, de son sac à main disparu, et on l’entend crier : « Mon sac,
mon sac ». On lui apporte cet objet204.
Cette inattention est celle d’une femme qu’un verdict saccage. La
profération de la peine de mort a pu l’absenter au point de quitter le box
sans son sac à main ; pour autant, c’est, dans ce moment, le seul « bien »
qui lui reste. En laissant éclater sa rage, Violette est encore Violette
Nozière, celle qui fut déterminée dans l’accomplissement de son épopée en
tentatives multiples, jusqu’à ce que mort au moins de Baptiste s’ensuive.
En cet instant, son sac à main resté dans le box lui revient à l’esprit, il est
sans doute son seul « bien » auquel elle puisse se rattacher, effacé dans
l’effroi de la profération de la mort.
Avant de se séparer, les jurés – se déjugeant déjà ? – ont signé un
recours en grâce, tandis que la défense de Violette va former un pourvoi
en cassation pour violation d’une règle de procédure205.
Une fougue catholique bordelaise
L’ancien avocat devenu académicien, Henry Bordeaux, publie dans le
magazine 1934 « Le plaidoyer qu’on n’a pas fait206 ». C’est d’abord une
charge contre « tous », sa mère, ses amants, ses amies ; on songe ici à
Madeleine Debize, fort en retrait à l’endroit d’une amie avec qui elle sortait
trois à quatre fois par semaine selon le témoignage de l’une de leur
connaissance. L’académicien retourne l’accusation contre les juges de
Violette, contre « ce public venu pour assister à la curée chaude et dont les
regards, par avance, la dévorent comme font les chiens du gibier forcé ».
L’académicien soulève cette pointe qui vaudrait contradiction dans le
réquisitoire de l’avocat général :
L’avocat général vous l’a présentée comme un monstre, mais comme
un monstre responsable. Les deux termes sont contradictoires. Ou bien
il faut expliquer ce monstre. Puisqu’elle est responsable, elle n’est pas
monstrueuse. Puisqu’elle n’est pas née monstrueuse, comment l’est-elle
devenue ? Vous devez le savoir, Monsieur l’Avocat général, puisque
vous l’affirmez et, si vous le savez, vous ne l’avez pas révélé207.
Puis, il se montre cinglant, notamment à l’encontre du public de la cour
d’assises :
Les voilà tous en rond, de l’autre côté de la barrière qui lui sert de cage.
Regardez-les, et regardez aussi ce public qui est venu lui apporter son
mépris et sa haine. Au lieu de veiller sur leur foyer et sur leurs enfants,
ces femmes sont venues au spectacle vivant qui peut s’achever par la
mort. Au lieu de travailler et de réfléchir, ces hommes sont venus flâner
à l’audience comme au café. Et ce public ne sera pas déçu : tout à
l’heure il applaudira au verdict funèbre, et il s’en ira dans la nuit avec
une vision de sang et de boue où il se sera complu208.
La conclusion du « plaidoyer » prend un tour ouvertement chrétien :
Tout lui a été refusé, même cette présence de Dieu.
Osez donc maintenant, Messieurs les jurés, lui prendre la vie. C’est tout
ce qui lui reste. Osez donc […] condamner à mort cette enfant de 19 ans
[…], coupable du pire des crimes. Et puis rentrez chez vous, regardez
vos propres enfants et demandez-vous ce qu’il pourrait advenir d’eux
si vous leur retirez votre surveillance et votre amour, si vous leur
retirez la tendresse humaine et si vous leur retiriez Dieu…
Ce sont les dernières lignes de cet article de presse. Où l’on apprend que
le parricide serait le pire des crimes (sur ce point l’académicien va
pondérer son propos dans un second article) ; les jurés ayant osé, se
rétractant, vont solliciter le président de la République en appelant à son
droit de faire grâce.
Grâce présidentielle sollicitée
Le droit constitutionnel interfère sur le droit pénal. Ainsi, de par
l’article 3 de la Constitution de la IIIe République (la loi constitutionnelle
est du 25 février 1875), le président de la République est investi du droit de
faire grâce209.
Le 19 décembre, Marcel Aymé, dans un article du magazine Marianne,
prie le président de la République d’exercer son droit de grâce :
Violette Nozière, en toute équité, doit obtenir que son supplice lui soit
remis. Il faut que le président de la République fasse violence, pour une
fois, à ses penchants. Il paraît d’ailleurs qu’il n’est pas si méchant
homme que craintif. Son extrême rigueur à l’égard des assassins serait
motivée par le souci égoïste qui lui vint à considérer le sort de son
prédécesseur [Paul Doumer, assassiné en 1932]. […] Mais prions bien
humblement M. le président qu’il fasse grâce à Violette Nozière. On ne
dira pas que c’est faiblesse, mais simple justice210.
À nouveau, Henry Bordeaux va intervenir de deux manières, la première
en demandant audience au président de la République afin de contribuer à
obtenir la grâce de Violette, soit la commutation de la peine de mort en
une peine de réclusion criminelle à perpétuité ; il sera reçu. La seconde
manière sera la publication d’une « Lettre ouverte » au président la
République. Il y rappelle qu’il a, non pas pris la défense de l’accusée, mais
« dénoncé les auteurs de sa déchéance211 ». Et alors qu’il avait écrit que le
parricide est le pire des crimes, son esprit se tourne vers le traitement
judiciaire des infanticides. Il s’étonne :
On acquitte tous les jours des infanticides et, si on les condamne, le
châtiment ne saurait être le même. D’où vient donc cette aggravation de
peine, quand les crimes remontent des enfants aux parents, au lieu de
descendre des parents aux enfants […] [nos italiques].
Il s’interroge aussi sur la paternité de Baptiste en ces termes : « Si le père
légal n’était pas le père réel ? »
Et de citer, au terme de sa « Lettre ouverte », le très chrétien Balzac à
l’appui du christianisme et surtout du catholicisme, ce dernier étant « le
plus grand élément de l’ordre social ». Il n’y va pas par quatre chemins :
Le cas d’une Violette Nozière est sans doute exceptionnel. Mais il n’a
pu se développer que parce qu’il a trouvé le fumier favorable à son
éclosion. […] Usez donc envers Violette Nozière de ce droit de grâce
qui est de vos plus beaux privilèges et laissez-lui même entrevoir par
une peine temporaire – si longue soit-elle – la fin de la nuit où elle n’a
cessé de vivre depuis sa naissance.
Le christianisme bordelais assombrit les perspectives dès la naissance…
Le président de la République exercera le droit de grâce qu’il tient de la
Constitution. Le jour du réveillon de Noël, le 24 décembre 1934, la
condamnée à la peine de mort sait que sa peine est commuée en celle de
« travaux forcés à perpétuité » (figure 13).
Alors que le magazine Vu poursuit la publication du récit de Pierre
Frondaie sur l’histoire de Béatrice Cenci, l’hebdomadaire du 24 octobre,
dans son no 345, publie cette double page que l’on trouvera ci-dessous :
« La femme nouvelle », où d’« éminentes féministes » se prononcent
notamment pour le droit de vote des femmes, lequel deviendra effectif avec
une ordonnance du 21 avril 1944 signée du général de Gaulle, et « Du côté
de la Roquette », où tant de choses sont écrites par Madeleine Jacob.
Retenons les mots d’accueil que lui aurait tenus le directeur de la Petite
Roquette, qui doit, comme il est de coutume, recevoir en personne tout
condamné à mort : « Votre peine sera commuée en vingt ans… Et vingt
ans, à votre âge, ce n’est rien du tout. Qui sait si, avec de la bonne
conduite, vous ne serez pas libérée avant… » Qui sait ? Ce sera plus tôt
encore.
Figure 13
Figure 14

Une publicité pour un poste de radio annonce : « Les affaires vont


reprendre. La crise est finie. Ariane vous apporte la joie ! » (figure 14)

De la prison, en sortir
La maison centrale de Haguenau
Violette quittera la Petite Roquette en janvier 1935, elle y a été détenue
seize mois. Dans cette prison, Germaine lui rendra visite le 19 octobre 1934,
quelques jours après le procès d’assises, et encore le 7 décembre et le
28 décembre, avant le départ de Violette pour la maison de force et de
correction alsacienne de Haguenau dans le Bas-Rhin. Violette est
transférée le 5 janvier 1935 à la maison de correction cellulaire de Fresnes,
avant d’être conduite à Haguenau. Cet établissement pénitentiaire fut
d’abord un hôpital militaire construit au xviiie siècle, puis un dépôt de
mendicité, puis une caserne, avant de devenir prison pour peines en 1822212.
À proximité de la maison centrale se trouvent les casernes d’un régiment
d’artillerie.
Après cette première période de seize mois de détention préventive, c’est
l’ordre pénitentiaire en tant que tel auquel Violette se trouve soumise, dans
sa déclinaison carcérale. La pénitence, Pierre Legendre se plaît à
l’enseigner, « mérite de figurer au premier rang des grandes inventions de
la culture occidentale213 ». C’est sous son signe que la IIIe République
continue à inscrire l’institution carcérale, elle en conserve aujourd’hui
encore le nom officiel d’administration pénitentiaire.
Le directeur de l’établissement pénitentiaire de Haguenau dit sa doctrine
à l’un de ses visiteurs, elle tient en trois mots : « Propreté, travail,
silence214. »
Un régime d’emprisonnement en commun
La consultation croisée de trois rapports administratifs de l’Inspection
générale des services administratifs (IGSA) relevant du ministère de
l’Intérieur, adressés au ministre de la Justice, sur la maison centrale de
Haguenau, rend lisible plusieurs traits de cet établissement215.
Dans cette prison pénale, en 1935, Violette est l’une des dix-huit femmes
condamnées aux travaux forcés à perpétuité sur un total de cent soixante-
cinq femmes détenues. Le travail organise cet emprisonnement en
commun par trois sections définies à partir de trois spécialités d’atelier
(chemiserie, confection, papeterie) formant un ensemble avec leur dortoir,
leur réfectoire, leur préau. Il n’y a pas de relations entre ces trois sections.
Cet emprisonnement en commun présente cette particularité d’être fait
de « chambrettes cellulaires » se trouvant dans de longs espaces qui
forment dortoir. On parle aussi de « dortoirs aux cellules grillagées ». Le
jargon interne parle de « cages à poules » en raison de leur plafond
entièrement grillagé. Toutes les portes de ces cages alignées se fermaient
en même temps, par une immense barre de fer cadenassée à chaque
extrémité.
Le mobilier de chaque cage se composait d’un lit de fer garni d’une
paillasse, d’un traversin et d’une couverture, d’une chaise et d’une
table de bois blanc. Dans un coin, la tinette traditionnelle. Lavabos et
W.-C. supplémentaires formaient un bloc sanitaire indépendant dans
un angle de la division216.
Le règlement de la journée de travail donne à lire un lever matinal à 6 h
30 et un coucher dès 19 heures. La journée est scandée principalement par
la succession des temps de travail, de repos et de promenade. Les
promenades consistent dans un défilé au cours duquel le silence est de
rigueur. Pendant les temps de repos, l’obligation de la règle de silence est
la même. Les infractions à la règle du silence pour être fréquentes restent
discrètes au point de n’attirer que rarement des sanctions disciplinaires.
Ci-dessous, un cliché photographique de la cour/jardin de Haguenau pris
à la fin des années 1920 par le photographe Henri Manuel (1874-1947)217
(figure 15).

Figure 15

La surveillance des femmes détenues relève des seules surveillantes


religieuses. À la fin des années 1930, dix surveillants hommes sont affectés
à Haguenau, leur service est un travail de portier. Dès Haguenau et à
l’instar de la Petite Roquette, mais sans doute plus encore, Violette est
religieusement entourée. Vingt surveillantes congréganistes se partagent le
service de la détention. La congrégation des Filles de la charité tient la
place ; à leur tête, une mère supérieure. La moyenne d’âge des sœurs est
très élevée, le recrutement de novices rencontre des difficultés.
Aux ateliers de chemiserie sont affectées les condamnées à une peine
criminelle, aux ateliers de confection les condamnées à une peine
correctionnelle, aux ateliers de papeterie, toutes les catégories pénales.
Figure 16

Ci-dessus, le cliché d’un atelier ; en surplomb le Christ en c


Un rapport de l’IGSA de février 1936 fait état de tensions entre
fonctionnaires de l’établissement, non seulement entre le directeur et le
sous-directeur, mais aussi entre celui-ci et la mére supérieure… Il est alors
rappelé qu’il n’appartient pas au personnel de surveillance, – id est aux
surveillantes congréganistes – « d’humaniser » le règlement des
établissements « par des actes de charité personnels », en donnant « des
aliments, du linge ou des vêtements ». Ainsi ne soit-il pas.
Dès les jours qui suivent l’incarcération de Violette à Haguenau, par une
lettre du 17 janvier, son tuteur, Marcel Dupré, se soucie de ses conditions
de détention. Trois jours après, le directeur de l’administration
pénitentiaire lui répond à propos des vêtements qu’il est possible
d’envoyer aux femmes détenues, des secours en argent, de la périodicité
des visites (mensuelle) – principalement les dimanches et jours fériés de
11 à 12 heures et de 15 à 17 heures, exceptionnellement en semaine. Après
la période d’apprentissage dans un atelier, le revenu est de six à quatorze
francs par jour selon la capacité de travail. Le directeur invite le tuteur de
Violette à ne pas juger Haguenau d’après certains articles publiés dans la
presse : « Nozière sera mieux à Haguenau que dans n’importe quel autre
établissement. » Violette va susciter d’emblée une active curiosité…
Le chauffagiste, l’économe et le journaliste
Dès le mois suivant l’arrivée de Violette à Haguenau, en février, un
homme se présente à l’établissement comme représentant d’une maison
spécialisée dans l’installation du chauffage central ; l’économe l’accueillant
lui laisse franchir les portes de la prison et l’accompagne « dans les
diverses parties de l’établissement » sans en référer au directeur alors que
l’intéressé « venait surtout pour voir la détenue Nozière arrivée depuis
peu ». Il semble que la chose ne soit sue que par après. L’inspecteur de
l’IGSA écrit regretter « vivement » que le directeur n’ait pas cru devoir
signaler l’usage de cette « fausse qualité » au ministre de la Justice.
L’affaire Nozière est l’équivalent d’une affaire d’État. « Sans prétendre que
[l’économe] méritât une sanction exemplaire », l’inspecteur estime qu’il
pouvait « à tout le moins faire l’objet d’un blâme sérieux218 ». Peu de temps
avant, des demandes avaient été effectuées sans succès par un journaliste
pour obtenir de visiter l’établissement…
Récompenses et petits jardins
S’en tenant à une conduite qui sera qualifiée d’« exemplaire » tout au
long de sa détention, Violette n’aura à connaître ni de la cellule simple ni
de la cellule de rigueur qui est obscure, au titre d’une sanction
disciplinaire. C’est au registre des récompenses qu’elle est inscrite. Un
rapport précité précise les signes des récompenses : « Les récompenses
attribuées pour bonne conduite et travail sont celles qu’on trouve dans
tous les établissements de longues peines, tableau d’honneur, rubans vert
et rouge, correspondance avec la famille, etc.219. »
Au début des années 1930, le directeur de l’établissement a prélevé des
bandes de terre sur le préau pour en faire des jardins de trois mètres sur
trois dont il a fait une trentaine de petits jardins.
Pour avoir droit à un de ces jardins, la condamnée doit être au tableau
d’honneur et avoir d’excellentes notes de conduite ; la bénéficiaire
reçoit des graines, cultive de la salade, des fraises, des radis, et surtout
des fleurs ; il est entendu que la moindre sanction entraîne le retrait du
jardin220.
Une telle sanction est rare.
Inquiétudes pour la santé de Violette
Le 14 mars 1935, Violette reçoit la visite de Me de Vésinne-Larue. Si le
voyage est long, le temps de la visite semble très court à s’en tenir aux
indications administratives : de 10 h 45 à 11 h 30, la visite serait de moins
d’une heure. Il est probable que l’avocat et sa cliente ont en vue une
libération anticipée – pour raison médicale. Après deux années
d’incarcération, au début de l’année 1936, sont portées sur une notice ces
mentions :
Conduite en cours de peine : très bonne
Moralité : aucune remarque défavorable
Assiduité au travail : très bonne
A-t-elle déjà été proposée pour la libération conditionnelle : non
Observations : état physique déficient – À ménager.
L’année suivante, le 28 octobre 1937, le garde des Sceaux s’inquiète de
l’état de santé de la réclusionnaire auprès du directeur de la maison
centrale. Il le prie de lui « adresser dès que possible un certificat médial
très complet [ajouté à la main sur l’imprimé] qui précisera notamment si le
maintien en détention de la nommée Nozière, Violette, l’expose à des
dangers graves et immédiats pour son état de santé221 ». La question du
maintien en détention de Violette est explicitement posée après près de
trois ans de réclusion.
Au printemps de l’année 1938, Violette a probablement formé une
demande de libération conditionnelle, adressée au ministère de la Justice.
Le 29 juillet 1938, le procureur général près la cour d’appel de Paris
s’enquiert de l’état de santé de la détenue auprès du directeur de la maison
centrale. Celui-ci lui adresse le 2 août un courrier dans lequel il se
prononce sur l’état de santé de la détenue et avance une proposition :
Violette Nozière a en prison une conduite exemplaire ; elle donne
entièrement satisfaction par son travail. L’état de santé de cette
détenue est actuellement satisfaisant – bien que n’étant pas de très
robuste constitution [nos italiques].
En ce qui me concerne, j’émets un avis favorable à une commutation
de peine, en raison de sa conduite, de son travail et aussi de son jeune
âge.
Il avance ces trois arguments pour une commutation de peine – laquelle
n’est pas une libération conditionnelle.
Le 5 août, le docteur Edmond Schalck examine Violette ; s’il atteste d’une
constitution robuste, il la dit d’aspect « anémique et fatigué », précise
qu’elle pesait soixante et onze kilos à son arrivée à l’établissement et
soixante-quatre à ce jour. « Elle souffre d’une affection pulmonaire
chronique à l’état latent. Une radiographie faite en 1937 démontrait une
affection tuberculeuse […]. » Conclusion : « C’est en somme une personne,
qui supporte assez mal le régime des prisons. » À nouveau la tuberculose.
Le 6 août, le directeur de l’établissement transmet au parquet général à
Paris ce certificat médical et s’abstient de se prononcer sur l’état de la
santé de la détenue ; il renouvelle sa proposition du 2 août, redit les
qualités de Violette (conduite et travail), émet un avis favorable :
En ce qui me concerne j’émets un avis favorable à une commutation de
peine, en raison de sa conduite, de son travail et aussi de son jeune âge.
En droit, une commutation de peine aurait eu pour conséquence de faire
passer la peine de travaux forcés à perpétuité à une peine à temps. Dans
l’immédiat, les choses en resteront là.
En juillet 1932, la mère Marie Cécile, prieure générale de la congrégation
de Béthanie (sise à Montferrand-le-Château dans le Doubs), vêtue de sa
robe de laine blanche et d’un manteau noir, investie d’une autorisation
permanente d’entrée dans les établissements pénitentiaires, sort de la gare
de Haguenau pour se rendre à la maison centrale. Il s’agit pour elle d’y
découvrir des sœurs, des sœurs comme elle, parmi les femmes enfermées222.
Béthanie est une proposition de vie conventuelle, laquelle abrège le temps
de détention pénale. Il y a là une partie à jouer. Sortir de prison au prix
d’entrer en Béthanie – à vie. Peine criminelle versus une vocation
religieuse conventuelle ad vitam aeternam.
Germaine drague le canal religieux dominicain
Dès la première année de détention de Violette en Alsace, Germaine est
en contact avec l’ordre des Dominicains. Une lettre du 1er octobre 1935 en
atteste. Une lettre du 18 novembre suivant dit son état d’esprit :
Mon Révérend Père,
Comme je vous l’ai promis je viens vous donner de mes nouvelles, j’ai
fait bon voyage et me voilà moins découragée. J’ai reçu ce matin une
lettre de Mère Supérieure de la maison Centrale d’Haguenau, elle me
dit de ne pas désespérer qu’elle fera tout son possible pour la santé de
Violette et qu’il faut que je reprenne courage que Violette est
redevenue courageuse qu’elle et moi nous devons espérer dans le Bon
Dieu et la Sainte Vierge. Mon Révérend Père qu’avez-vous fait pour ma
pauvre enfant, surtout ne la mettez pas trop en feu, pas plus que Mère
Supérieure. J’ai confiance en vous dans le grand malheur qui me frappe
où chercher appui et consolation, sinon en Dieu il n’y a que lui seul qui
peut nous protéger c’est-à-dire ma pauvre Enfant contre les méchants
et moi comme mère je dois aider ma pauvre Enfant à porter sa croix,
l’accompagner dans son Calvaire faire comme la Sainte Vierge qui n’a
pas quitté son fils. Que c’est noble de votre part de protéger mon
enfant de s’intéresser à elle. Violette a raison quand elle m’a dit que
vous étiez un saint. J’écris en même temps à Mère Supérieure de
Béthanie pour la remercier de sa lettre. Quand viendra-t-il ce jour béni
de voir mon Enfant épouse de Dieu ? Sans cesse dans mes prières,
j’offre le sacrifice de ma vie pour que cela se réalise. Je prie avec
ferveur mais j’ai des moments de découragement, j’ai tant souffert et je
souffre encore.
Je serais heureuse de vous lire.
Veuillez agréer mon Révérend Père l’hommage de mon profond
respect.
Sous la seule protection de Dieu et du Révérend Père, Germaine, en place
de la Sainte Vierge, ne quitte pas sa fille Violette. Appel au jour béni de
voir Violette devenir épouse de Dieu. Soit institutionnellement voir le jour
béni où Violette entrera dans l’ordre des Dominicaines ; l’Église étant
l’épouse du Christ. Depuis le théologien Origène (v. 185-v. 253), le Christ
est l’Époux, l’Église sa fiancée. Foucault :
Il [le Christ] est venu jusqu’à elle, par amour, alors que les hommes la
haïssaient, l’abhorraient, l’insultaient. Il l’a acceptée avec tous les
défauts qu’elle pouvait avoir, toutes les souillures qu’elle portait ; mais
c’est pour veiller, l’enseigner, l’éclairer et finalement la sauver. En
époux parfait, il s’est sacrifié pour elle, souffrant tout et déchiré mille
fois223.
Dans ce régime spirituel chrétien, l’épouse doit obéissance à l’époux.
Du fonds du canal religieux dominicain, Germaine a repris des matériaux
de haute spiritualité chrétienne. Contact épistolaire a été pris avec la mère
supérieure de la maison de Béthanie, maison créée dans le troisième tiers
du xixe siècle. La perspective constitutionnelle de la maison de Béthanie
est fixée dans les Constitutions des sœurs de la congrégation de Sainte-
Marie-Magdeleine du tiers ordre de la pénitence de saint Dominique :
Son but spécial est la réhabilitation des libérées de justice et le relèvement
moral des personnes qui, ayant failli, ont perdu l’honneur sans perdre la
liberté. La Congrégation donne à toutes celles que le repentir et l’amour
de Dieu ont sincèrement converties, les moyens de préserver et de croire
dans la vertu, et à celle d’entre elles qui auraient la vocation religieuse, la
possibilité d’arriver, par degrés successifs à en faire profession224.
Trois conditions sont requises des réhabilitées à l’admission dans la
maison de Béthanie : la première, se présenter librement, la deuxième, une
conversion sincère et sérieuse, la troisième « est l’intention de s’y fixer
pour toujours225 ». Une autre forme de perpétuité est proposée à laquelle,
certes, l’éternité est promise.
Le 15 décembre 1935, Germaine reprend la plume pour s’adresser à « Son
Très Révérend Père, pour son Enfant ». Elle y indique que la mère prieure
générale de Béthanie rendra visite à Violette au mois de janvier et qu’elle-
même souhaite la rencontrer. Fin 1935, Violette est à l’infirmerie depuis
plus de trois semaines. En août de cette même année, France-Soir titre :
« “Si je sors un jour de prison je prendrai le voile”, dit Violette Nozière à sa
mère226. »
Dans une lettre du 5 février 1936, Germaine se fait pressante auprès du
Révérend Père. Elle fait valoir que sa « petite » est toujours « dans de
bonnes dispositions » pour être admise à Béthanie. L’affaire béthanienne
n’est pas close.
Écho bruxellois d’une « rénovation spirituelle »
En 1933 et 1934, la réputation de Violette avait été portée par une presse
empressée de lui donner un large écho ; à la fin des années 1930, l’écho de
sa « conduite exemplaire » a traversé les murs de la maison centrale, et
aussi les frontières françaises. De Bruxelles, un avocat, Emmanuel
Thiebauld, écrit le 7 février 1939 au directeur de l’établissement afin
d’obtenir un droit de visite auprès de la célèbre détenue. Il souhaite, au
cours d’une conférence, évoquer la « rénovation spirituelle » de Violette.
En l’absence d’autorisation de visite, le directeur peut-il l’autoriser à
correspondre avec la révérende mère supérieure qui s’occupe des femmes
détenues ? Le directeur ne répond pas. L’avocat bruxellois lui écrit à
nouveau le 13 février pour lui demander audience et renouvelle sa
demande d’être reçu par la mère supérieure. Réponse sèche du directeur le
lendemain, faisant savoir à l’avocat que, sauf imprévu, il le recevra le
18 février. On ne sait ce qu’il en aura été.
Mai 1940, transfert administratif à Rennes
En prévision d’une guerre possible entre l’Allemagne et la France, c’est
dès le mois d’août 1939 que les femmes détenues à la maison centrale de
Haguenau font l’objet d’un repliement sur la maison centrale de Rennes227.
Violette s’y trouve transférée. Le 1er septembre 1939, l’armée allemande a
envahi la Pologne. Le 3 septembre, la France républicaine déclare la guerre
à l’Allemagne hitlérienne.
Aujourd’hui un passant faisant face à la porte d’entrée du centre
pénitentiaire de Rennes peut lire ce texte émanant de la municipalité :
Prison des femmes. Construite à la campagne entre 1867 et 1876 par
l’architecte A. Normand, la maison centrale de Rennes se trouve
aujourd’hui au cœur d’un quartier qui s’est progressivement constitué
de 1880 à 1940. L’architecte a conçu une prison de forme hexagonale
englobant une cour de même forme. Chaque aile dessert alors un
atelier de fabrication, un réfectoire et une école, un peu à l’image des
constructions religieuses [nos italiques].
Dans ces brèves lignes, un mot manque qui touche au lit, celui de son
lieu collectif : le dortoir. Une historienne souligne que depuis l’ouverture
de la centrale de Rennes, la population locale y semble indifférente, la
prison fait peu parler d’elle et la guerre de 1940-1945 « ne met pas fin à son
invisibilité228 ».
Un plan de masse, et quelques photographies ébrèchent, à peine, cette
invisibilité (figures 17, 18, 19 et 20).
Le 14 mai 1940, Violette voit les portes de la maison centrale de
Haguenau s’ouvrir pour se refermer, le jour même dans la soirée, sur celles
de la maison centrale de Rennes. L’entrée de Violette est inscrite sur le
registre d’écrou sous le numéro 9517 (figure 21).
Sur le registre d’écrou, Violette, 25 ans, est déclarée née à Paris 12e (et
non à Neuvy-sur-Loire, son lieu de naissance). Degré d’instruction
« supérieure », profession « étudiante ». Religion déclarée « catholique ».
Violette continue à tenir le fil plus ténu de son épopée ; elle est une
Parisienne, non une paysanne, une étudiante, non une lycéenne, son degré
d’instruction est supérieur et non secondaire. Lorsque le 16 décembre 1932,
jour de la radiation de Violette de la liste des élèves du lycée Fénelon, dans
sa discussion avec la direction du lycée, Baptiste indique qu’il va envoyer
sa fille à Nîmes, il s’agit qu’elle quitte Paris. « Paris-cide », pour ainsi dire,
grief contre Baptiste, comme un « crime » sur le point de se commettre.
Reviennent ces deux vers du poème d’Éluard :

Figure 17
Plan de masse

Figure 18
Le réfectoire
Figure 19
Un dortoir

Figure 20
Promenade dans la cour centrale hexagonale

Figure 21
Quelques courriers en détention longue
Le 22 décembre 1940, Violette adresse un courrier au directeur de
l’établissement dans lequel elle lui demande d’autoriser sa mère à lui
apporter son Dictionnaire Larousse illustré, à l’occasion d’un parloir. Entre
humour noir et ironie, elle écrit : « Cela me permettrait de trouver le temps
un peu moins long. » La détention, c’est le temps. Réponse du directeur :
« accordé ». « Qu’est-ce qu’un dictionnaire ? » (se) demande à voix haute
Alberto Giacometti. Réponse : « Une nuit qui se déchire dans la porte
tournante229. » Une longue nuit carcérale qui possiblement se déchirerait
dans une porte aux mille sorties.
Le 8 mars 1941, Violette demande par courrier au directeur de pouvoir
embrasser sa tante, Philomène, sœur de sa mère, qui venant de Neuvy-sur-
Loire, fera un déplacement de six cents kilomètres pour lui rendre visite.
« Ce sera la dernière fois qu’elle fera un tel déplacement », souligne-t-elle.
Elle est âgée de 71 ans.
Une photographie du parloir à Rennes illustre ce qu’est ce dispositif
(figure 22) : de part et d’autre d’un long couloir, une cloison faite de grilles
de séparation maintenant à distance visiteur d’un côté et femme détenue
de l’autre ; au fond de cette allée centrale une chaise pour la surveillante. Il
n’est pas question d’un contact physique de visiteurs à visitées. C’est une
microphysique du pouvoir (Foucault) coextensive à la détention. « Gardez
vos distances ! » C’est de cet interdit charnel dont Violette demande la
levée230. Réponse du directeur : « autorisé exceptionnellement ».
Le 27 avril 1941, un courrier adressé au directeur demande que le travail
de Violette au service de la comptabilité (position privilégiée pour une
femme détenue) ne soit pas entravé par l’office religieux, et spécialement
« l’office des Vêpres, les jours où je le jugerai nécessaire pour mon travail
[nos italiques] ». S’adressant au directeur, Violette se fait juge de
l’opportunité de la prééminence du travail administratif qui lui est confié
sur sa présence à l’office divin. Réponse du directeur : « Autorisé ».
Béthanie s’éloigne. Dans la liberté qu’elle lui confère, le privilège de
travailler, hors détention, à la comptabilité dans les bureaux de
l’administration aura pour Violette des conséquences à long terme. Elles
ne prendront pas leur source dans l’intelligence du mystère de Béthanie.
Pourtant…
Figure 22

La commutation de peine du 6 août 1942


C’est par le jeu des autorités religieuses dominicaines231 que le chef de
l’État, Philippe Pétain, va prendre la décision de commuer la peine de
travaux forcés à perpétuité en cette même peine réduite à douze années à
compter de la date d’écrou. Cette décision de politique pénale est du 6 août
1942. Le registre d’écrou correspondant au numéro 9517 en porte mention
manuscrite, en lettres rouges. La date d’incarcération à la Petite Roquette
étant du 29 août 1933, la libération de Violette est désormais fixée au
29 août 1945 (figure 23). Il lui reste trois années à faire.
Figure 23

Fil rouge rémanent : la santé de Violette


Précédemment, le 23 janvier 1941, Germaine est à Rennes et par courrier
demande s’il lui est possible d’apporter des aliments à sa fille. Réponse
favorable du sous-directeur, pour du « sucre, chocolat, beurre, oranges,
fruits secs et biscuits », à titre exceptionnel.
Le 14 mars 1942, le médecin de l’établissement, le docteur Lainé, signe, à
l’attention du directeur de la prison, une brève note dans laquelle il fait
savoir que Violette Nozière « présente actuellement un état de santé
médiocre, [un] état général déficient, tousse fréquemment ».
En juillet 1943, l’avocat de Violette est à Rennes, autorisé à lui rendre
visite « à titre exceptionnel » et « en présence d’une surveillante ». L’objet
de cette visite est la constitution d’un dossier de libération conditionnelle
(loi du 14 août 1885). Comme son nom l’indique, cette libération
intervenant avant le temps d’expiration de la peine est soumise à des
conditions. Trois. Que la condamnation en cours d’exécution soit à mi-
peine, que la personne condamnée soit considérée comme ayant eu « une
conduite régulière, ait manifesté son désir d’amendement232 » et puisse faire
état de « moyens honorables d’existence233 » pour l’après-libération.
En octobre 1943, Germaine est dans cette perspective d’une libération
anticipée. Elle écrit le 16 octobre au directeur de la maison centrale afin de
contribuer à constituer un tel dossier, elle joint à sa lettre un certificat
d’hébergement.
Fin 1943, une notice individuelle relative aux « Questions, propositions et
demandes d’admission à la libération conditionnelle » est renseignée par le
directeur de l’établissement pour être adressée au ministère de l’Intérieur,
à la Direction de l’administration pénitentiaire, afin que la Commission de
surveillance du ministère rende un avis favorable ou défavorable.
La décision revient au ministre de l’Intérieur. La notice remplie à la
maison centrale indique la situation de Violette, sous la rubrique « Notes et
renseignements pénitentiaires » :
Santé : Santé médiocre. État général déficient.
Travail : travaille comme comptable attachée au service du greffe, se
montre continuellement dévouée et consciencieuse, a su gagner la
confiance du personnel.
Caractère, moralité, conduite234 : caractère soumis. Conduite très
satisfaisante. Sa moralité n’a donné lieu à aucune remarque
défavorable. […]
Conduite à prévoir dans la vie libre235. Paraît digne d’intérêt. Les
relations avec sa mère empreintes de la plus pure affection prouvent
qu’elle est sur la voie de l’amendement, durant sa détention elle a
manifesté un profond repentir. Rien ne laisse prévoir qu’elle commettra
une nouvelle faute. […]
Sa mère veuve est titulaire d’une pension de 10 000 francs [7 000 euros]
et d’un capital évalué à 200 000 francs environ [140 000 euros] elle
paraît apte à tenir ses engagements. […]
Observations particulières : la libération conditionnelle de la nommée
Nozière ne peut que produire une influence salutaire sur les détenues
condamnées à de la peine de travaux forcés et à la réclusion.
Sur quoi le directeur donne un « avis favorable ». Mais sur quoi aussi la
commission de surveillance instituée près de l’établissement pénitentiaire
rend un avis contraire ainsi motivé : « avis défavorable en raison de la
gravité des faits et de l’indulgence dont a déjà bénéficié la condamnée ».
Conflit d’appréciation dans l’institution pénitentiaire. Le 26 novembre
1943, le procureur général près la cour d’appel de Paris, qui est partie
prenante à l’examen d’un dossier de libération conditionnelle, signe un
« exposé sommaire des faits qui ont motivé la condamnation à subir ». Il
reste collé à la présentation de l’affaire telle qu’elle résulte des quatre
récits judiciaires emboîtés de 1934236. Ici, rien ne s’oublie. C’est comme un
cinquième récit additionnel.
Le 23 mars 1944, le chef du Bureau de l’application des peines de la
Direction de l’administration pénitentiaire fait savoir, au nom du chef du
gouvernement, ministre secrétaire d’État à l’Intérieur237, qu’au cours de sa
séance du 24 février, le Comité de libération conditionnelle a émis un avis
de rejet de la proposition de libération conditionnelle (figure 24).

Figure 24
La manifestation collective du 25 février 1944
Sous l’État français destituant la IIIe République, à s’en tenir au seul plan
législatif en matière pénitentiaire, une loi se signale, celle du 15 septembre
1943 portant rattachement au secrétariat d’État à l’Intérieur de
l’administration pénitentiaire et des services de l’éducation surveillée pour
les mineurs – retour au ministère d’origine238… Un virage brutal se prend
avec la mise sous tutelle directe de l’administration pénitentiaire par la
Milice. Le chef de la Milice, Joseph Darnand, prend le commandement des
forces de police et du Maintien de l’ordre en décembre 1943. Il a alors la
main sur les services pénitentiaires qui relèvent désormais du ministère de
l’Intérieur. En février 1944, un milicien, J. Maret, est nommé directeur
adjoint de l’administration pénitentiaire, il supplante le directeur239.
Dans une précieuse double monographie historiographique, portant sur
les prisonniers et prisonnières politiques à la centrale d’Eysses (dans le
Lot-et-Garonne) pour les hommes et à Rennes pour les femmes, Corinne
Jaladieu étudie la tentative d’évasion collective à Eysses240 et, quelques
jours plus tard, la manifestation collective à Rennes. Dans cette période de
guerre, la surdensité carcérale est alors la norme ; la sous-alimentation
aussi. Des prisonnières politiques arrêtées par les forces armées de
l’occupant sont incarcérées dans la centrale.
Le 25 février 1944, une révolte de femmes détenues éclate à l’initiative
des prisonnières politiques. Deux sortes de considérations dominent à leur
endroit, en tant que « militantes communistes, femmes de responsables,
elles appartiennent, a fortiori, à un groupe dangereux et solidaire qui ne
manquera pas d’entrer en action le moment voulu pour les délivrer241 ». Dès
le lendemain de cette manifestation collective, un rapport des
Renseignements généraux souligne la combativité des femmes détenues.
Violette a accès aux services de l’administration. Et si on ne peut la
compter au nombre des femmes détenues pour menées communistes –
cette épopée n’est pas la sienne242 – dans les années 1950, l’un de ses beaux-
frères qui fut communiste et résistant, Joseph Coquelet, apportera son
témoignage à l’occasion d’une procédure de réhabilitation judiciaire, sur la
proximité de Violette avec les femmes détenues incarcérées par l’occupant.
Aujourd’hui, un passant s’arrêtant devant la porte de la prison de Rennes
peut lire, sur une plaque de marbre, en lettres d’or, ces lignes qui rendent
hommage à la mémoire des femmes résistantes à l’occupant allemand,
déportées au camp de concentration de Ravensbrück (figure 25).

Figure 25

Sortie nocturne
Le souci de Violette, tout au long de ces années d’incarcération, fut
principalement celui de sa mère. Le 16 mai 1945, Germaine n’ayant plus
reçu de lettres de Violette depuis un mois, fait état de son « angoisse »
auprès du directeur. Elle n’a plus reçu de lettres de sa part depuis le mois
d’avril. Elle s’inquiète : est-elle malade ? A-t-elle été punie ? Violette lui
écrivait tous les dimanches. Le courrier de Germaine nous renseigne sur la
périodicité des lettres adressées par Violette à sa mère243. Réponse du
directeur le 19 mai : « J’ai l’honneur de vous faire connaître que la
personne faisant l’objet de votre lettre du 16 mai, est en bonne santé. Elle
vous écrit régulièrement toutes les semaines. » Violette Nozière n’est pas
nommée dans le courrier du directeur.
Sur le courrier de Germaine ont été apposées les dates d’envoi des cinq
dernières lettres de Violette à sa mère, en avril et mai. Ces lettres ne sont
pas tombées dans la boîte aux lettres de la maison où vit Germaine à
Neuvy-sur-Loire. Négligées par un agent de l’administration des Postes et
des Télégraphes ? Détournées ? Dans ce dernier cas, arrivées à destination
mais en d’autres mains.
En août 1944, Paris est libéré des forces d’occupation. Le 29 août 1945 se
présente pour Violette. Ce jour-là, aux alentours de minuit, une porte de la
maison centrale s’ouvre pour sa libération. Elle signe une dernière fois,
pour le clore, son livret de pécule. Le pécule disponible est de 8 336 francs
30 centimes, le pécule de réserve de 4 057 francs et 60 centimes.
L’« ensemble » fait 12 393 francs et 90 centimes, telle est la somme qu’elle
aura gagnée au terme de dix années de travaux forcés (environ
8 400 euros). Le greffier-comptable note : « Libérée le 29 août pour se
retirer à Neuvy-sur-Loire Nièvre ». Retraite nivernaise – déjouée.
À des fins de discrétion, des journalistes étant déjà présents la veille du
jour de sa libération, en accord avec le directeur, Violette est autorisée à
pouvoir sortir nuitamment de la prison, à minuit, au point de coïncidence
du 28 et du 29 août… En août 2019, Marthe Garel, qui a pris ses fonctions
de surveillante auxiliaire à la centrale de Rennes en janvier 1943, s’amuse
encore en… 2019 de ce beau tour joué à une cinquantaine de journalistes244.
« Elle est sortie mystérieusement, c’est le cas de le dire, personne ne l’a
vue. »
La levée gaullienne de l’interdiction de séjour
La peine d’interdiction de séjour – défense faite à un condamné de
paraître dans certains lieux – est dans le dossier pénal de Violette une
peine accessoire. Son régime juridique est d’être attachée de plein droit par
la loi à la peine principale, n’aurait-elle pas été prononcée par la
juridiction de jugement. Pour Violette, ce point de droit ne s’est pas posé
d’emblée. Pas avec la peine de mort, pas non plus avec la grâce
présidentielle du 24 décembre 1934. Il n’a pas échappé à la vigilance du
parquet de la cour d’appel de Paris qui, dans un soit-transmis adressé dès
le 5 janvier 1944 au directeur de la maison centrale, lui précise que la
décision du 6 août 1942 qui a commué la peine de travaux forcés à
perpétuité en cette même peine réduite à douze ans, n’a pas prononcé
l’interdiction de séjour. Lire : s’agissant d’une peine accessoire, elle n’en
est pas moins applicable. Se substituant à l’ancienne résidence à vie en un
lieu particulier, quelle en est la durée ? Vingt ans245. Le 30 mars 1944, le
greffier-comptable de la maison centrale avait notifié à Violette Nozière
l’arrêté d’interdiction de séjour de vingt ans, signé du secrétaire général au
Maintien de l’ordre, Joseph Darnand246, à Vichy, le 16 mars 1944, précisant
les lieux sur lesquels elle portait.
En mai 1945, l’Allemagne hitlérienne a capitulé.
Au lendemain de la guerre de 1939-1945, le général de Gaulle devenu chef
du gouvernement provisoire de la République française (rétablie), signera
le 17 novembre 1945 un décret de grâce par lequel il lève l’interdiction de
séjour247 ; le décret est contresigné par le garde des Sceaux, Pierre-Henri
Teitgen. Motifs d’une telle décision politique ? Réponse énigmatique :
« Circonstances particulières ».

49. S. Maza dresse un parallèle entre la trajectoire sociale des deux jeunes femmes, l’une et l’autre
filles uniques, cursus scolaire comparable. Madeleine apprend l’anglais et l’allemand, Violette
l’anglais et l’espagnol (op. cit., p. 130).
50. Photographie reprise dans Liaisons. Les données de la préfecture de police, « Cent ans de police
judiciaire parisienne, une histoire du 36 quai des Orfèvres », no 107, 2013, p. 39. En bas de page de
Détective, sous les pieds des deux amies, cette légende de la rédaction : « Monstrueux spécimen de
cette “jeunesse pourrie” que nous avons déjà maintes fois fustigée, Violette Nozière (à droite) en est
arrivée à glisser jusqu’au pire des crimes : un double parricide. »
51. Une orchidée sauvage… ? On la sait de couleur violette.
52. Goliarda Sapienza, Moi, Jean Gabin, Paris, Le Tripode, coll. « Météores », 2017. Nous avons
donc seulement substitué le nom de Dabin à celui de Gabin. Dans les années 1950, Jean Gabin et
Édith Piaf se rendront, en connaissance de cause, au restaurant de l’Aigle d’or, tenu par celle qui ne
porte plus alors le nom de Violette Nozière.
53. Selon J.-M. Fitère, dans l’après-midi du mercredi 23, Violette se serait rendue chez Raoul Serry,
15 rue de Bassano, près des Champs-Élysées et de la place de l’Étoile. R. Serry est l’un des deux
compagnons de rencontre de la soirée du mardi 22, quittés quelques heures plus tôt (op. cit., p. 83).
Reste indéterminé le lieu où Violette a passé la nuit du mercredi au jeudi.
54. Source : préfecture de police de Paris, Smac, cote JA 132. Nous devons cette identification à
Michèle Aba, fille aînée de Violette, quand celle-ci, mariée, portera le nom de Germaine Coquelet
55. La transcription policière écrit « d’Arfeuil », attribuant à Violette une particule coupée d’une
apostrophe. Dans ses Mémoires [1937], le commissaire Marcel Guillaume transcrit, par deux fois,
« Darfeuille » (Éditions des Équateurs, 2005, p. 351).
56. Violette a-t-elle craint d’avoir été reconnue ? L’a-t-elle été ? Se serait-elle rendue
précipitamment chez A. Roland, dernière adresse pour elle possible ?
57. S. Maza, op. cit., p. 331.
58. Cette assertion peut se lire comme affirmant que Baptiste, étranger au temps de la conception
de Violette, n’est pas son géniteur.
59. Marcel Aymé, « Le détective amateur » 27 septembre 1933, dans Du côté de chez Marianne.
Chroniques 1933-1937, édition établie, présentée et annotée par Michel Lécureur, Paris, Gallimard,
coll. « Blanche », 1989, p. 66 et 67.
60. Henry Bordeaux, « La grâce de Violette Nozière. Lettre ouverte à Monsieur le président de la
République », 1934, le magazine d’aujourd’hui, dernière page.
61. Commissaire Marcel Guillaume, « L’affaire Violette Nozières », dans Mes grandes enquêtes
criminelles. De la bande à Bonnot à l’affaire Stavisky. Mémoires [février-avril 1937], édition présentée
et annotée par Laurent Joly, Paris, Éditions des Équateurs, 2005, p. 351-355. Ce livre est présenté
avec un bandeau d’éditeur signé Georges Simenon affirmant : « Maigret, c’est lui ».
62. Ibid., p. 354-355.
63. La reproduction de la photographie ci-dessus est publiée dans le quotidien Libération des 8 et
9 avril 2000, p. 45.
64. « Notre-Dame du dépôt », Les Dossiers de la préfecture de police, « Nouveaux mystères de
Paris », no 1, 2009, p. 58-59.
65. Photographie Roger Evrad/Roger Viollet, dans Pas perdu… La Petite Roquette. La Santé,
Groupe d’écriture sur la mémoire des métiers pénitentiaires, Bernadette Dherouville, Marie-Thérèse
Bonafos, BM, MTA, Franck Balandier, Alain Barbier, Michel Branet, accompagnés par Nicole
Caligaris, Agen, École nationale d’administration pénitentiaire, ministère de la Justice et des
Libertés, 2010, non paginé.
66. Pour le texte du panoptique de J. Bentham déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale
constituante en 1791, voir Jeremy Bentham, Le Panoptique, précédé de « L’œil du pouvoir »,
entretien avec Michel Foucault et une postface de Michelle Perrot, Paris, Belfond, coll.
« L’échappée », 1977.
67. Michelle Perrot, « Les enfants de la Petite Roquette » [1987], réédité dans M. Perrot, Les
Ombres de l’histoire. Crime et châtiment au xixe siècle, Paris, Flammarion, 2001, p. 337-367.
68. Marie-Noëlle Barbaroux, Jocelyne Broussard et Mariannick Hamoniaux, « L’évolution
historique de la Petite Roquette », avant-propos de Paul Lutz, Rééducation. Revue française de
l’enfance délinquante, déficiente et en danger moral, no 191, 1967, p. 15.
69. Jules Arboux, Les Prisons de Paris, Paris, Imprimerie et librairie centrales des chemins de fer,
1881, p. 34-35, réédition à Paris chez Hachette Livre BnF en 2016.
70. En 1933, les effectifs des personnes détenues en France métropolitaine dans les maisons
d’arrêt et les maisons centrales sont les suivants : 16 982 hommes, 2 080 femmes. 1934 :
15 404 hommes, 1 749 femmes, 1935 : 17 830 hommes, 1 830 femmes, 1940 : 10 961 hommes,
1 494 femmes. Voir l’étude de référence de Marie-Danièle Barré, « 130 années de statistique
pénitentiaire en France », Déviance et société, vol. 10, no 2, 1981, p. 112.
71. Corinne Jaladieu, La Prison politique sous Vichy. L’exemple des centrales d’Eysses et de Rennes
[2007], mise au point éditoriale de Bessie Leconte, Paris, L’Harmattan, coll. « Logiques sociales »,
série « Déviance et société », 2019, p. 17.
72. En annexe I, sous le titre « Silence. Visage pâle, tranquille, calme en apparence », on lira la
transcription d’une conversation avec sœur Saint-Vincent, le 9 juin 2006. Elle eut lieu à la
communauté des Sœurs de Marie-Joseph et de la Miséricorde, au Dorat dans la Haute-Vienne.
73. Henri Géraud (1875-1962) fut l’avocat de Raoul Villain qui le 31 juillet 1914 assassina Jean
Jaurès attablé au café du Croissant à Paris. Le 29 mars 1919, la cour d’assises de la Seine rend un
verdict d’acquittement. H. Géraud délaissera la défense de Violette Nozière, se récusant pour
« raison personnelle »…
74. Ce serait alors un exemple de ce que nous appellerons une idéation itérative, comme cela peut
se lire dans d’autres situations. Par exemple, dans le cas Édouard rapporté par Paul Guiraud, « Les
meurtres immotivés », L’Évolution psychiatrique, seconde série, no 1, mars 1931, p. 25-34. « Ils dînent
bruyamment. […] Une idée me vient : “Si je leur faisais peur”. […] Je me retire. […] Une autre idée.
Je vais retourner dans la salle à manger. […] “Alors vous voulez que je vous abatte ?” dis-je. “Oui,
oui, tirez !” crient-ils en riant. En une seconde ils sont à terre, atteints au front. Puis je quitte la
pièce. […] Je me trouvais dans un état de grand bien-être » (p. 30). Dans un tel moment, la division
subjective a sauté : désubjectivation.
75. Propos analogue dans la lettre adressée à Jean Dabin, datée du 21 août.
76. Cette lettre est citée in extenso dans « Réfléchis Bien », section « Un, deux – trois : passage du
crime » , partie III, p. 275.
77. Dans les archives judiciaires consultées, toutes les pages du récit ne s’y trouvent pas.
78. Selon cet article : « L’action en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou par
une contravention, peut être exercée par tous ceux qui ont souffert de ce dommage. » Cette action
civile en réparation du dommage peut être exercée devant les mêmes juges que ceux qui statuent
sur l’action publique pour l’application des peines et dans le même temps (art. 3 al. 1 du Code
d’instruction criminelle).
79. A.-E. Demartini, op. cit., p. 250.
80. Georges Lantéri-Laura, Essai sur les paradigmes de la psychiatrie moderne, Paris, Éditions du
Temps, coll. « Esquisses », 1998, p. 53.
81. Ibid., p. 53.
82. Ibid., p. 22.
83. Ibid., p. 222. Retenons aussi de sa part cette autre indication : « La question majeure, autour de
laquelle gravitent, pour ainsi dire, toutes les autres, c’est, sans doute, celle de l’unité ou de la
pluralité de ce que l’opinion appelle la folie et que, sans pouvoir pratiquement renoncer à ce terme,
Pinel exigeait qu’on nommât l’aliénation mentale » (p. 208).
84. G. Lantéri-Laura, « La psychiatrie française à l’époque de Jacques Lacan », dans Markos
Zafiropoulos (sous la dir. de), Les Années Lacan, Paris, Anthropos, Economica, coll. « Psychanalyse
et pratiques sociales », 2003, p. 22.
85. Ibid., p. 25-26.
86. « Allusion aux fréquents rires qui ont accompagné la lecture des expertises psychiatriques »
précisent les éditeurs du cours (p. 26, note 11).
87. Michel Foucault, Les Anormaux. Cours au Collège de France. 1974-1975, édition établie sous la
direction de François Ewald et Alessandro Fontana, par Valerie Marchetti et Antonella Salamoni,
Paris, Gallimard/Éditions du Seuil, coll. « Hautes études », 1999, p. 7, nos italiques.
88. Jorge Baños Orellana, Jacques-Marie Lacan 1901-1932. Bildungsroman, [2013, Buenos Aires, El
Cuento de plata], traduit de l’espagnol (Argentine) par Annick Allairgre, notes établies par Viviane
Dubol, Paris, Epel, 2018.
89. Le syntagme d’« automatisme mental » est dû à Gaëtan Gatian de Clérambault (1872-1934) ; il
désigne un syndrome englobant « tous les types d’hallucinations déjà connus » et porte sur-le-
champ desdites psychoses hallucinatoires chroniques. J. Lacan avait publié avec G. Heuyer
« Paralysie générale avec syndrome d’automatisme mental » dans L’Encéphale, 1929, tome II, p. 802-
803, pour la séance du 20 juin 1929 de la Société de psychiatrie.
90. Georges Heuyer, « Le devinement de la pensée et contribution à l’étude organique de
l’automatisme mental », Annales médico-psychologiques, 12e série, tome II, 1926, p. 321-343 et p. 406-
431.
91. J. Baños Orellana, Jacques-Marie Lacan 1901-1932, op. cit., p. 210-211.
92. « Que nous apprendra l’analyse psychiatrique de Violette Nozières ? Le docteur Georges
Heuyer nous dit… », L’Intransigeant du 10 septembre 1933, entretien Blanche Vogt, archive de presse
publié dans Violette Nozières, par André Breton et al., op. cit., éd. de 1991, dans les documents joints,
non paginés.
93. J.-M. Fitère, op. cit., successivement p. 149 et 151.
94. Dialogue : « Le psychiatre R. Gaupp — Vous voulez donc emporter vos raisons dans la tombe ?
Wagner — Parfaitement, vous ne voulez tout de même pas que je me discrédite moi-même. »
Examen du 13 novembre, « Examens et observations de Wagner à la clinique de Tübingen du
11 novembre au 24 décembre 1913 », dans Anne-Marie Vindras, Ernst Wagner, Robert Gaupp : un
monstre et son psychiatre, trad. Claude Béal, Thierry Longé et A.-M. Vindras, Paris, Epel, 1996, coll.
« Monographie clinique », p. 259.
95. Henri Danjou, « Condamnée à mort », Détective du 18 octobre 1934, no 312, p. 8.
96. Christian Debuyst, « Une criminologie de l’étiquetage ou une criminologie du passage à
l’acte ? Un problème que nous pose l’attitude clinique du docteur E. De Greeff », Annales
internationales de criminologie, vol. XII, no 1-2, 1973, p. 283-290 ; repris dans C. Debuyst, Essais de
criminologie clinique. Entre psychologie et justice pénale, textes choisis par Christophe Adam et
Françoise Digneffe, Bruxelles, Larcier, coll. « Crimen », 2009, p. 125-135.
97. Figaro du 15 septembre 1933, p. 4.
98. Premier des poèmes publiés sans titre, dans la plaquette Violette Nozières par André Breton et
al., éd. de 1991, op. cit., non paginé.
99. René Crevel, « Tandis que la pointolle se vulcanise la baudruche », Documents 34, nouvelle
série, no 1, Bruxelles, juin 1934, cité par José Pierre dans la préface de Violette Nozières, par André
Breton et al., éd. de 1991, op. cit., p. 14 ; texte consultable en ligne sur Vikisource.
100. On se reportera aux analyses critiques de Michel Foucault dans son cours à l’Université
catholique de Louvain en 1981, Mal faire, dire vrai. Fonction de l’aveu en justice, édition établie par
Fabienne Brion et Bernard E. Harcourt, Louvain/Chicago, University of Chicago/Presses
universitaires de Louvain, 2012.
101. Ainsi de Jean-Pierre Falret (1794-1870), ancien interne d’Esquirol (1772-1840), lui-même élève
et disciple de Pinel (1745-1826), J.-P. Falret, « La folie raisonnante ou folie morale », Annales médico-
psychologiques, vol. 32, no 7, 1886, p. 382-426.
102. G. Lantéri-Laura, Lecture des perversions, Histoire de leur appropriation médicale, Paris,
Masson, 1979, coll. « La sphère psychique », p. 27.
103. César Lombroso, L’Homme criminel. Criminel-né – fou moral – épileptique. Étude
anthropologique et médico-légale, traduit sur la IVe édition italienne par MM. Régnier et Bournet,
précédé d’une préface du Docteur Ch. Létourneau, Paris, Félix Alcan éditeur, 1887, p. 24.
104. C. Lombroso, L’Homme criminel., op. cit., p. 113.
105. Le Crapouillot, no spécial, mai 1938, p. 45. R. Allendy meurt le 12 juillet 1942.
106. Ibid., p. 47. Des deux photographies retenues de Violette, on voit celle-ci à l’audience de la
cour d’assises, assise sur une chaise, tenue par deux gendarmes. Les yeux fermés, la tête inclinée et
légèrement en arrière, elle est gantée de noir, tient son sac sur ses genoux. Légende : « Violette
Nozières s’évanouit à l’audience » (p. 46).
107. Pour un exemple récent à l’endroit (à l’encontre) de Léa Papin, se reporter à la livraison
récente d’Isabelle Bedouet, Le Crime des sœurs Papin. Les dessous de l’affaire, préface de Jean-Claude
Maleval, Paris, Imago, 2016. Ainsi, à propos de Léa Papin, I. Bedouet écrit : « Sa position subjective
est une vacuité totale » (p. 82). Cela ne suffit pas : « On pourrait lui attribuer la formule suivante :
“je suis celle qui suit [ma sœur Christine], ou, plus cartésien, je suis donc je suis” » (ibid.). I. Bedouet
l’a fait ! C’est un exemple de maltraitance psy. Le chapitre VI de cette publication est édifiant. Un
antidote ? Voir Jean Allouch, « Intolérable “Tu es ceci”. Propos clinique sur l’auto-destruction d’une
psychiatrie compréhensive », L’Unebévue, no 8/9, « Il n’y a pas de père symbolique », 1997, p. 126-
139.
108. Au chapitre XXVII, « Homicides et suicides pathologiques », paragraphe 6, « Le sadisme »,
dans G. Heuyer, Les Troubles mentaux. Étude criminologique, Paris, Presses universitaires de France,
1968, p. 405.
109. Docteur Gilbert Robin, Les Drames et les angoisses de la jeunesse. Jeunesse normale et jeunesse
morbide, Paris, Flammarion, 1934, p. 264. Pour titre de livre, normalité et/ou morbidité est un
exemple patent de binarisme.
110. Ibid..
111. Ibid.
112. G. Lantéri-Laura, Lecture des perversions, op. cit., p. 134-135.
113. Ibid., p. 147.
114. Sur la question de la discordance et celle des « folies discordantes », locutions avancées par
l’aliéniste des hôpitaux, Philippe Chaslin (1857-1923), voir Georges Lantéri-Laura et Martine Gros,
Essai sur la discordance dans la psychiatrie contemporaine, suivi de Philippe Chaslin, Quelques mots
sur la psychologie de la mathématique pure [1922], Paris, Epel, 1992. La « folie discordante »
apparaissait à Bleuler un bon synonyme de schizophrénie, aussi apte que ce dernier à remplacer
démence précoce (p. 84). Lors du déjà évoqué Congrès des médecins aliénistes et neurologistes de
France et des pays de langue française tenu en Suisse en 1926, le médecin suisse précise que s’il
avait connu la locution de Chaslin, cette connaissance lui aurait évité un néologisme – celui de
schizophrénie.
115. Pierre Hadot, La Citadelle intérieure. Introduction aux Pensées de Marc Aurèle [1992], version
révisée et remaniée, Paris, Fayard, 1997, p. 91.
116. P. Hadot, Études de philosophie ancienne, Paris, Les Belles Lettres, coll. « L’Âne d’or », 1998,
p. 234.
117. Jacques Lacan, Écrits, Paris, Éditions du Seuil, 1966, p. 607. Texte de 1958.
118. Sur la notion de personnalité en psychiatrie, voir la thèse de médecine de J. Lacan, soutenue
et publiée en 1932, De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité, rééditée aux
éditions du Seuil en 1975. J. Lacan laissera purement et simplement tomber cette notion de
« personnalité » en en faisant un équivalent de la psychose. Au dos de la réédition de sa thèse de
doctorat en médecine, il fait état de sa réticence à cette republication, « à condition que l’erreur soit
rectifiée ». C’est à cette rectification que s’est employé Jean Allouch par son ouvrage précité,
Marguerite, ou l’Aimée de Lacan.
119. L’appréciation de l’accusation d’inceste portée par Violette contre son père dans ce rapport
médical est abordée dans la section « Sur l’accusation de Violette », partie III, p. 242.
120. Pour deux autres exemples, Moi, Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère, ma sœur et mon frère…
Un cas de parricide au xixe siècle, présenté par Michel Foucault, Paris, Gallimard/Julliard, coll.
« Archives », 1973 ; réédition chez Gallimard dans la coll. « Folio histoire », 1998. Et Marie
Bonaparte, « Le cas de Mme Lefebvre », Revue française de psychanalyse, vol. I, no 1, 1927, p. 149-198.
Lorsque Marie Lefebvre – qui avait perdu une petite fille – sait sa belle-fille enceinte, elle se procure
un revolver. Le 26 août 1925, elle la tue à bout portant, assise à ses côtés sur la banquette arrière de
l’automobile conduite par son fils.
121. L’expression de « monstruosité même » surprend dans la bouche d’un avocat évoquant sa
cliente.
122. Me de Vésinne-Larue, Plaidoirie publiée dans la Revue des grands procès contemporains.
Recueil d’éloquence judiciaire, sous la direction d’Émile de Saint-Auban, n o 1 et 2, tome XI, 1935,
Paris, LGDJ, p. 39-40. Plaidoirie rééditée dans Les Grands Procès du xxe siècle, édition établie et
présentée par Stéphanie de Saint Marc, Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2016, p. 292-305. En
raison de coupures dans le texte de cet avocat, nous paginons à partir de la Revue des grands procès.
123. M. Foucault, Surveiller et punir. Naissance de la prison, Paris, Gallimard coll. « Bibliothèque
des histoires », 1975. Guy Casadamont, « Savoir criminologique et pouvoir pénal : par-delà bien et
mal », Actes. Cahiers d’action juridique, no 54, « Foucault hors les murs », 1986, p. 80-83.
124. Me de Vésinne-Larue, Plaidoirie, op. cit., p. 40.
125. On s’attendrait à : « On tremble, on s’effraie à l’idée… »
126. « Cet enfant », oui, mais ce serait à déplier, en commençant, par exemple, à noter que les
adultes n’existent pas, que ce n’est qu’une invention de « grandes personnes » qui n’existent pas
plus. On sait à ce propos le secret de Jacques Lacan dit à voix basse : « J’ai 5 ans. » Violette, une
femme-enfant ? Sa douceur est remarquée très tôt par ses institutrices, trait dont elle ne semble pas
s’être départie.
127. Me de Vésinne-Larue, Plaidoirie, op. cit., p. 41.
128. Ibid.
129. M. Foucault, Les Anormaux, cours du 15 janvier 1975, op. cit., p. 37-38.
130. Me de Vésinne-Larue, Plaidoirie, op. cit., p. 42. À propos du docteur Truelle, Francis Dupré
écrit : « À la suite du procès retentissant des sœurs Papin, le docteur Truelle n’était plus pris au
sérieux quand il intervenait aux assises. » Voir F. Dupré, La « Solution » du passage à l’acte. Le
double crime des sœurs Papin, Toulouse, Érès, coll. « Littoral. Fabrique du cas », 1984, p. 191-193.
131. Pour une analyse de ce cas comme cas de folie à deux qui se révèle être une folie à trois, voir
J. Allouch, « Une voie royale pour l’abord des psychoses ? », L’Information psychiatrique, vol. 63,
no 7, « À propos des sœurs Papin », 1987, p. 883-890. Et aussi F. Dupré, La « Solution » du passage à
l’acte, op. cit.
La portée initiale de l’art. 64 introduit dans le deuxième Code pénal (1810) était de vérifier l’état
de « lucidité » de l’inculpé au temps de l’action. Ce n’est que sous le paradigme de l’aliénation
mentale, que l’appréciation de la « démence » prit une médicale extension pour venir s’identifier à
ladite « aliénation mentale ». Voir G. Lantéri-Laura, Essai sur les paradigmes de la psychiatrie
moderne, op. cit., p. 74 et 81-82. Et quand le deuxième paradigme deviendra celui, au pluriel, des
maladies mentales, le même glissement se produisit (ibid., p. 105-106). La suite étant prise par le
troisième paradigme.
132. Dans Les Grands Procès du xxe siècle, op. cit., p. 239.
133. Ibid., p. 244.
134. Sur l’hommage de J. Lacan au docteur Logre retenant une paranoïa avérée et la subtilité de la
notion de « couple psychologique » s’agissant des deux sœurs, voir J. Lacan, « Motifs du crime
paranoïaque. Le crime des sœurs Papin », Minotaure, no 3-4, décembre 1933, p. 27-28. Sur l’affaire
Nozière, pas un mot de J. Lacan.
135. Dans Les Grands Procès du xxe siècle, op. cit., p. 244-245.
136. Ce sont les trouvailles épistolaires d’Isabelle Bedouet, dans Le Crime des sœurs Papin, op. cit.,
p. 133-134.
137. Sigmund Freud, « Dostoïevski et la mise à mort du père » [1927-1928], dans S. Freud, OCF/P.,
XVIII, p. 210.
138. Article 127 : « Aussitôt que la procédure sera terminée, le juge d’instruction la
communiquera au procureur de la République, qui devra lui adresser ses réquisitions dans les trois
jours au plus tard. »
139. La catégorie d’« instinct » est étrangère à l’ordre juridique, serait-il pénal. Où l’on voit la
morale judiciaire rejoindre l’argumentation venue de la médecine et de son type de raisonnement
anatomique, et la morale commune.
140. Article 133 alinéa 1 du Code d’instruction criminelle : « Si le juge d’instruction estime que le
fait est de nature à être puni de peines afflictives et infamantes, et que la prévention contre l’inculpé
est suffisamment établie, il ordonnera que les pièces d’instruction, le procès-verbal constatant le
corps du délit [du crime], et un état des pièces servant à conviction, soient transmis, sans délai, par
le procureur de la République au procureur général près la cour d’appel, pour être procédé ainsi
qu’il sera dit au chapitre des mises en accusation. »
141. Le Code pénal de 1994 a supprimé la qualification juridique de parricide en tant que telle,
pour en faire une circonstance aggravante du meurtre ou de l’assassinat (art. 221-4 2°). La
qualification d’infanticide a également été supprimée… On ne tue plus les enfants ?
142. Virginia Woolf, A Room of One’s Own and Three Guineas, Londres, Collins classics, 2014,
p. 87. V. Woolf, Une chambre à soi [1929], traduit de l’anglais par Clara Malraux, Paris, 10/18, coll.
« Bibliothèques 10/18 », 1996, p. 133.
143. En France, l’exécution du condamné par la guillotine a été fixée par un décret du 20 mars
1792.
144. Cour de cassation (Chambre criminelle), 12 juillet 1934, Gazette du Palais, 2e sem. 1934,
journal du 4 octobre 1934, p. 424-425.
145. C’est l’objet de la section « La ligne “Émile” », partie III, p. 225.
146. Eugen Weber, La France des années 1930. Tourments et perplexités, [The Hollow Years, New
York/Londres, W. W. Norton, 1994], traduit de l’anglais (États-Unis) par Pierre-Emmanuel Dauzat,
Paris, Fayard, 1995.
147. Sur les divers groupes, aux intentions différentes, qui ont saisi l’occasion de jouer leur propre
partie, lire Serge Berstein, Le 6 février 1934, Paris, Gallimard/Julliard, coll. « Archives », 1975.
148. François Broche, Alexandre 1er et Louis Barthou, Marseille, 9 octobre 1934, Paris, Balland, coll.
« Les grands crimes politiques », 1977, p. 97-107. Sur l’action diplomatique de L. Barthou et sa
tentative d’encerclement du Reich, voir Serge Berstein et Pierre Milza, Histoire de la France au
xxe siècle, tome II, 1930-1945, Bruxelles, Éditions Complexe, coll. « Questions au xxe siècle », p. 220-
232. C’est Pierre Laval… qui lui succédera à ce poste.
149. Dans un ouvrage iconographique sur cet hebdomadaire, Amélie Chabrier et Marie-Ève
Thérenty signalent, en Annexes, les séries publiées dans Détective dont ce « Journal de Violette
Nozière », sans interroger la plausibilité de son authenticité. A. Chabrier et M.-È. Thérenty,
« Détective » fabrique de crimes ? 1928-1940, Nantes, Joseph K., 2017. Est indiqué sans commentaire :
« Mémoires » (p. 178). N’est-ce pas une fabrication d’Henri Danjou, pseudonyme de Joseph Faure ?
150. Antonin Artaud, Les Cenci [1935], édition de Michel Corvin, Paris, Gallimard, coll. « Folio
théâtre », 2011, p. 78.
151. Vu, no 343, p. 1255-1256.
152. Dans un livre entretien avec Patrick Modiano, Emmanuel Berl fait mention de cet « article
sur Violette Nozières en 1934 », mais n’en dit rien. Il l’a postdaté d’un an. Puis, à peine plus loin à
propos de P. Drieu la Rochelle : « Un an plus tard, il passe chez Doriot ». Emmanuel Berl,
Interrogatoire, par Patrick Modiano, Paris, Gallimard, coll. « Témoins », 1976, p. 71-72.
153. « Le cas de Violette Nozières », publié le 6 septembre 1933. Voir Pierre Drieu la Rochelle,
Chroniques des années 1930 [titre de l’éditeur], présenté par Christian Dedet, Paris, Les Éditions de
Paris-Max Chaleil, coll. « Littérature », 2016, p. 52-59.
154. Ibid., p. 52.
155. Ibid.
156. Ibid., p. 53.
157. Ibid.
158. Ibid., p. 54.
159. Ibid.
160. Ibid., p. 57, nos italiques.
161. « Il s’agit ma foi, je risque le mot, d’une espèce de politique. Oui, je dis politique, parce que
ce n’est pas ce que vous croyez, la politique. La politique, ce n’est pas MM. Herriot, Hitler ou
Lénine : c’est des histoires comme ça et ce qu’on en pense » (ibid., p. 55). À cette position politique,
quelques années plus tard, Drieu la Rochelle ne se tiendra pas. Voir Dominique Desanti, Drieu
la Rochelle ou le séducteur mystifié, Paris, Flammarion, 1978.
162. Henri Donnedieu de Vabres, Traité élémentaire de droit criminel et de législation pénale
comparée, Paris, Sirey, 1947, p. 944.
163. Ibid., p. 948.
164. Séparation inaccomplie de l’Église catholique et de l’État laïque en dépit de la loi de 1905.
165. Voir Pierrette Poncela, « L’intime conviction dans le jugement pénal », Revue
interdisciplinaire d’études juridiques (Bruxelles), no 11, 1983, p. 103-120.
166. André Laingui et Arlette Lebigre, Histoire du droit pénal, t. II, La Procédure criminelle, Paris,
Cujas, coll. « Synthèse », 1979, p. 139, note 44. La définition en est donnée au Vocabulaire juridique :
« Opinion profonde que le juge se forge en son âme et conscience et qui constitue, dans un système
de preuves judiciaires, le critère et le fondement du pouvoir d’appréciation souveraine du juge du
fait [nos italiques]. » Gérard Cornu (sous la dir. de), Vocabulaire juridique, Paris, Presses
universitaires de France, 1987, p. 209. Psychologie judiciaire souveraine ? « L’âme » est même ici
expressément convoquée.
167. M. Foucault, Les Anormaux, op. cit., cours du 8 janvier 1975, p. 9.
168. Proximité Lacan/Foucault. Pour une remarquable et très vive critique de l’humanisme qui
sous-tend ces assertions idéales, voir M. Foucault, « Par-delà le bien et le mal » [1971], repris dans
Dits et écrits, II, édition établie sous la dir. de Daniel Defert et François Ewald avec la collaboration
de Jacques Lagrange, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des sciences humaines. », 1994, p. 223-236,
spécialement p. 226.
169. Article 316 du Code d’instruction criminelle : « Le président ordonnera aux témoins de se
retirer dans la chambre qui leur est destinée. Ils n’en sortiront que pour déposer. Le président
prendra des précautions, s’il en est besoin, pour empêcher les témoins de conférer entre eux du délit
et de l’accusé, avant leur déposition. » La chambre criminelle de la Cour de cassation a jugé que
cette disposition de l’article 316 n’est pas prescrite à peine de nullité… Cass. Crim. 8 mai 1891, Dalloz
périodique, 1891.1., p. 399.
170. Gazette des tribunaux. Journal de jurisprudence et des débats judiciaires, no 124, dimanche 14,
lundi 15 et mardi 16 octobre 1934, p. 3.
171. Plaidoirie de Me Maurice Boitel, dans « Violette Nozière en cour d’assises », Revue des grands
procès contemporains. Recueil d’éloquence judiciaire, op. cit., p. 13 ; rééditée dans S. de Saint Marc, Les
Grands Procès du xxe siècle, op. cit., p. 283. Désormais citée sur cette dernière édition.
172. Gazette des tribunaux, op. cit., p. 3.
173. Ibid.
174. Ce moment d’audience est abordé en ces termes par J.-M. Fitère : « Il n’a pas un regard pour
Violette. […] À un certain moment, il fait preuve d’une certaine élégance dans ses propos : – Malgré
ce qui s’est passé, je garde de Mlle Nozière un excellent souvenir. Ce qu’elle a fait me paraît
inexplicable », op. cit., p. 169. Fitère tient-il ce témoignage de de Vésinne-Larue ? Ni S. Maza (op. cit.,
p. 242), ni A.-E. Demartini (op. cit., p. 327) ne mentionnent cet « excellent souvenir » de Dabin.
175. Voir la notice de Maurice Boitel (1890-1978) par Frédérick Genevée et Claude Pennetier,
https://maitron.fr/spip.php ?article17099.
176. Me Boitel, Plaidoirie, op. cit., p. 279.
177. Ibid.
178. Ibid., p. 284.
179. Ibid., p. 286. Ainsi apostrophée, Célestine n’aurait pu, de son côté, que réitérer son
témoignage sur la chambre qui lui a été réservée dans la maison bourgeoise où elle sert. Voir Octave
Mirbeau, Le Journal d’une femme de chambre [1900], édition présentée et annotée par Noël Arnaud,
Paris, Gallimard, coll. « Folio classique », 1984.
180. Me Boitel, Plaidoirie, op. cit., p. 287.
181. Ibid., p. 291. L’avocat poursuit : « Dans cette période de transition, il ne suffit pas d’apprendre
aux enfants à écrire, à lire, à compter ; il faut que, dans les établissements d’instruction de toute
catégorie, l’on ne néglige pas l’éducation rationnelle et sociale de l’adolescence. La maison de
correction n’est pas une solution ! Il faut des constructeurs d’âmes ! À côté des intelligences, il faut
former des consciences. » Trois « Il faut »…
182. Me Boitel, Plaidoirie, op. cit., p. 291-292.
183. Ibid., p. 292.
184. Ibid.
185. Ibid.
186. M. Aymé, « Incestes », 24 octobre 1934, dans Du côté de chez Marianne. Chroniques 1933-1937,
op. cit., p. 229.
187. Me de Vésinne-Larue, Plaidoirie, op. cit., p. 27.
188. Ibid., p. 27-28.
189. Ibid., p. 28.
190. Ibid., p. 33.
191. Ibid., p. 34.
192. Ici, l’avocat joue sur les mois (l’émoi). Violette est née le 11 janvier 1915, la seconde tentative
est du 21 août 1933. Un peu plus loin, l’avocat rectifie : « Violette Nozière n’avait que 18 ans et demi
le 21 août 1933 !… », ibid., p. 43.
193. Ibid., p. 44. Ce sont les derniers mots de la plaidoirie publiée.
194. Ibid., p. 37.
195. La disposition légale prévoyant comme supplice supplémentaire, l’amputation du poing droit
devant précéder l’exécution capitale, en cas de parricide, est abolie en 1832. Frédéric Benoît, exécuté
le 31 août 1832 à la barrière Saint-Jacques, fut le dernier condamné pour parricide à subir
l’amputation du poing droit. Voir Sylvie Lapalus, La Mort du vieux. Une histoire du parricide au
xixe siècle, Paris, Tallandier, 2004, p. 528.
196. L’équivalent d’environ 10 000 euros.
197. Eugène Quinche, « La condamnation à mort de Violette Nozière », Le Petit Parisien du samedi
13 octobre 1934, p. 6.
198. L’Éclaireur de l’Est du 13 octobre 1934, p. 2.
199. J.-M. Fitère, op. cit., p. 175.
200. Le Journal du samedi 13 octobre 1934, p. 1.
201. Jean-Pierre Vernant, La Mort dans les yeux. Figures de l’Autre en Grèce ancienne. Artémis,
Gorgô, Paris, Hachette, coll. « Textes du xxe siècle », 1985-1986. La notion d’expérience-limite vient
de Maurice Blanchot dans son ouvrage L’Entretien infini (Paris, Gallimard, coll. « Blanche », 1969).
202. Le Petit Parisien du samedi 13 octobre 1934, p. 1. Les italiques sont du journaliste. Un compte
rendu de l’audience est publié en page 6, signé Eugène Quinche. Voir aussi, « La parricide Violette
Nozière est condamnée à mort », dans Le Matin du 13 octobre 1934, p. 1. et p. 8 pour la citation des
propos de Violette.
203. S. Maza : « As the tension of the three previous days finally broke, Violette became a fury :
“Leave me alone ! You’re a bunch of bastards, you have no shame !.. You’re without pity ! I told the
truth ! To hell with my father ! To hell with my mother !” », op. cit., p. 256.
204. L’Éclaireur de l’Est du 13 octobre 1934, p. 2.
205. Dont J.-M. Fitère donne le motif : « la déposition illégale du témoin Ronflard venu à la barre
alors qu’il avait assisté aux débats », op. cit., p. 176-177. Eugène Quinche rapporte que Paul Ronflard,
étudiant en droit, « ni l’amant, ni l’ami de Violette Nozière, […] “J’ai été un bon camarade” », est
venu dire à la barre qu’elle « lui avait confié que son père abusait d’elle ». La chambre criminelle de
la Cour de cassation par un arrêt du 6 décembre 1934 rejette purement et simplement le pourvoi.
« La condamnation à mort de Violette Nozière », compte rendu d’audience dans Le Petit Parisien du
samedi 13 octobre 1934, p. 6.
206. Henry Bordeaux, « Le plaidoyer qu’on n’a pas fait », 1934, le magazine d’aujourd’hui, p. 1.
207. Ibid.
208. Ibid., dernière page.
209. Dans Les Constitutions de la France depuis 1789, présentation par Jacques Godechot, Paris,
Garnier-Flammarion, 1970. L’article 3 de la Constitution de 1875 dispose : « Le président de la
République […] a le droit de faire grâce ; les amnisties ne peuvent être accordées que par la loi »
(p. 331).
210. M. Aymé, « Peine de mort », Marianne du 19 décembre 1934, repris dans M. Aymé, Du côté de
chez Marianne, chroniques 1933-1937, op. cit., p. 255.
211. H. Bordeaux, « La grâce de Violette Nozière. Lettre ouverte à Monsieur le président de la
République », 1934, le magazine d’aujourd’hui, p. 1 et dernière page.
212. Étienne Madranges, Prisons. Patrimoine de France, Paris, LexisNexis, 2013, p. 348.
213. Pierre Legendre, « Aux sources de la culture occidentale : l’ancien droit de la pénitence »,
dans La Cultura antica nell’Occidene latino dal VII all XI secolo, Spoleto, Presso la sede del Centro,
1975, p. 576.
214. Propos du directeur, M. Holveck, rapportés par Francis Carco, Prisons de femmes, Paris, les
Éditions de France, 1933 [l’achevé d’imprimer date du 20 mai 1933], p. 87. Ce livre réédite plusieurs
reportages publiés dans les numéros 102 à 113, en 1930, de Détective, lesquels comportent des
photographies d’Henri Manuel, non reprises dans le livre. Dans cette maison centrale, F. Carco
croisa et dit s’être adressé à Marie Lefèbvre qui avait assassiné sa belle-fille enceinte, un 26 août
1925, dans la région lilloise (p. 112-118).
215. Rapports de l’IGSA des 25 juillet 1935 et 5 mai 1938. Nous y ajoutons des indications du
rapport de l’IGSA du 6 juin 1937 pour la description de la configuration de ce régime de détention
en commun et des horaires de la journée de détention.
216. J.-M. Fitère, op. cit., p. 179.
217. Henri Manuel (1874-1947), Photographies de prisons, 1928-1932, cédérom, Direction de
l’administration pénitentiaire, ministère de la Justice, mai 2000 et bibliothèque numérique de l’École
nationale d’administration pénitentiaire. Voir Françoise Denoyelle, « Le studio Henri Manuel et le
ministère de la Justice : une commande non élucidée », Revue de l’enfance « irrégulière », no 4, 2002,
p. 127-143. La datation du reportage photographique est entre 1929 et 1931.
218. Rapport de l’IGSA du 28 février 1936.
219. Rapport de l’IGSA du 6 juin 1937.
220. Ibid.
221. Le courrier est signé par le directeur des Affaires criminelles et des Grâces du ministère de la
Justice. Nous n’avons pas trouvé dans les archives départementales d’Ille-et-Vilaine le certificat
médical qui a pu être adressé au ministre de la Justice à cette date.
222. M.-H. Lelong, O.P., À travers le mal, Radio~Strasbourg P.T.T., Lettre de S. Ex. Mgr Ruch,
évêque de Strasbourg, préface par le R. P. Sertillanges, O.P., chapitre VII, « Une visite à Béthanie.
Dominicaines réhabilitées de Montferrand », 1932, Strasbourg, Société d’édition de la Basse-Alsace,
1932, p. 270-272.
223. M. Foucault, Histoire de la sexualité, t. 4, Les Aveux de la chair, édition de Frédéric Gros, Paris,
Gallimard, coll. « Bibliothèque des histoires », 2018, p. 258-259.
224. Disposition citée par M.-H. Lelong, O.P., Les Dominicaines des prisons [1936], nouvelle édition
illustrée, Paris, Alsatia, 1949-1950, p. 10-11, italiques dans le texte.
225. Ibid., p. 145.
226. Coupure de presse publiée sur la quatrième de couverture de la première édition du livre de
J.-M. Fitère.
227. Dominique Fey et Lydie Herbelot, Clairvaux en guerre. Chronique d’une prison (1937-1953),
Paris, Imago, 2018, p. 23.
228. C. Jaladieu, La Prison politique sous Vichy. L’exemple des centrales d’Eysses et de Rennes,
op. cit., p. 237.
229. Transcription par Marcelle Ferry, dans Alberto Giacometti, Écrits. Articles, notes et entretiens,
nouvelle édition revue et augmentée, Paris, Hermann/Fondation Albert et Annette Giacometti, 2008,
p. 506.
230. Il faudra attendre un décret du 26 janvier 1983 pour une première généralisation des parloirs
sans dispositif de séparation.
231. Voir J.-M. Fitère, op. cit., p. 194. Voir aussi S. Maza, op. cit., p. 266-267, et A.-E. Demartini,
op. cit., p. 348-349.
232. H. Donnedieu de Vabres, Traité élémentaire de droit criminel…, op. cit., p. 546.
233. Ibid.
234. Le texte imprimé explicite dans une parenthèse ceci : « Noter spécialement les preuves et les
indices, soit de retour au bien, soit de persistance dans le mal, les actes et les faits particulièrement
méritoires ou reprochables. – Relater le nombre, la nature et les motifs des punitions disciplinaires,
les mesures de précaution ou de sévérité reconnues nécessaires. Mentionner d’autre part les
récompenses, marques de confiance et encouragements obtenus [nos italiques]. »
235. « Indiquer les probabilités présumées de rechute ou d’amendement définitif, ainsi que les
motifs de cette présomption. »
236. Voir la section « Quatre récits judicaires emboîtés », partie II, p. 98.
237. Pierre Laval.
238. Le détachement des établissements pénitentiaires du ministère de l’Intérieur pour un
rattachement au ministère de la Justice s’était opéré par un décret du 13 mars 1911. Voir Mémoires
de prison. Les grandes dates de l’administration pénitentiaire, préface de P. Astruc, Agen, CRHCP,
Enap, 2011, p. 11.
239. Pierre Pédron, La Prison sous Vichy, préface de Denis Peschanski, Ivry-sur-Seine, Les Éditions
de l’Atelier-Éditions ouvrières, coll. « Champs pénitentiaires », 1993, p. 173.
240. C. Jaladieu, La Prison politique sous Vichy, op. cit. Sur la tentative d’évasion collective de la
centrale d’Eysses de mille deux cents détenus du 19 février 1944, voir p. 222-224 ; sur sa répression
par une cour martiale désignée par J. Darnand, secrétaire général au Maintien de l’ordre, qui s’est
rendu sur les lieux ; douze détenus seront jugés, condamnés à mort et exécutés ; voir p. 224-231.
241. Ibid., p. 236.
242. Sur la notion de « grand récit », voir la « Missive sur l’histoire universelle » (Baltimore, le
15 novembre 1984) de Jean-François Lyotard, dans Le Postmoderne expliqué aux enfants, Paris,
Éditions Galilée, coll. « Débats », 1986, p. 47. Et Jean Salem, Lénine et la révolution, Paris, Michalon,
coll. « Encre marine », 2006. J. Salem dégage six thèses de ce que Lénine a écrit touchant l’idée de
révolution.
243. En onze années d’incarcération, à raison d’une lettre par semaine adressée par Violette à sa
mère à Neuvy-sur-Loire, cela fait un peu plus de cinq cents lettres. Ont-elles été conservées ?
244. On trouvera en annexe II la transcription d’une conversation avec Marthe Garel, le 6 août
2019, à Rennes.
245. « Quand la peine principale est temporaire, l’article 46 [du Code pénal] indique que
l’interdiction de séjour se prolonge, de plein droit, pendant vingt ans. » Voir H. Donnedieu de
Vabres, Traité élémentaire de droit criminel…, op. cit., p. 365 et p. 563.
246. Affidé du chef de l’État, Darnand est, de fait, le chef de la Milice créée le 30 janvier 1943,
Laval en étant le président en titre. Après la Libération, ces deux derniers seront jugés, condamnés à
mort et exécutés.
247. Le 18 décembre 1945, sur la minute de l’arrêt d’assises, le greffier de la cour d’appel de Paris a
porté cette mention : « Par décret du 17 nov. 1945, le président du gouvernement provisoire de la
République française a fait bénéficier la nommée Nozière de la remise de l’interdiction de séjour. »
Troisième partie

Configurations de feu
Familles Hézard/Nozière
Mariage, séparation, divorce, remariage
Germaine Nozière est née Hézard, le 4 août 1888 dans la Nièvre à Neuvy-
sur-Loire, elle est la fille de Alsine François Hézard et de Clémence
Philomène Boutron, époux vignerons, domiciliés en cette même localité.
Germaine, couturière, se marie le 5 février 1907 à Neuvy-sur-Loire avec
Louis Arnal, né le 18 septembre 1881 en cette même localité, lui-même de
parents vignerons. Il est domicilié à Paris. Un contrat de mariage a été
établi. Le beau-frère de Germaine, Auguste Desbouis, marié à sa sœur
Philomène (née le 7 septembre 1870), témoin à son mariage, est agent de
police à Paris. C’est à l’âge de 18 ans et demi – l’âge même de Violette en
août 1933 –, que Germaine se marie. Un divorce intervient sept ans plus
tard. Lors du quatrième interrogatoire avec le juge d’instruction, Violette
dit les choses ainsi : « Ma mère s’est mariée extrêmement jeune et a
divorcé bientôt après. » Ce n’est pourtant que le 21 juin 1914 que le
tribunal civil de première instance du département de la Seine prononce le
divorce entre les époux « avec toutes les conséquences de droit à la requête
et au profit de la femme ». Violette a pu rabattre la rapidité de la rupture
intervenue avec le prononcé judiciaire plus tardif du divorce. Lorsque le
25 septembre 1933, Germaine dépose auprès du juge d’instruction, elle dit
ceci : « Je ne suis restée que treize mois avec mon premier mari248, que
j’avais épousé en février 1907 à 18 ans et demi, et je ne l’ai jamais revu
depuis. » Cette formulation surprend, Germaine dit sans l’entendre qu’elle
n’avait plus vu son mari dès… la célébration de leur mariage. Ce mari,
Louis Arnal, se remarie le 1er février 1915 à Levallois-Perret avec Georgette
Voyez. Mobilisé pour la guerre de 1914, il est tué au front en juin 1918249.
Le contexte de ce divorce est donné par l’avocat de Germaine lors du
procès d’assises : elle « avait en effet été victime des brutalités de son
premier mari, et le divorce fut prononcé en sa faveur en janvier 1914 [le
21 juin 1914]250 ». Selon Jean-Marie Fitère, « Germaine se séparait d’un mari
qui la brutalisait, la trompait et jouait aux courses251 » ; selon Sarah Maza,
« because Arnal started seeing an old girlfriend252 » ; enfin selon Anne-
Emmanuelle Demartini, « Arnal est brutal253. » D’être frappée par un mari,
Germaine y aura été confrontée très jeune, ce avec quoi elle sut rompre
sans tarder, à l’âge même qui sera celui de Violette rompant, elle par
l’empoisonnement, avec une vie familiale qui autrement l’empoisonne.
Germaine :
J’ai connu Nozière en juin 1913 mais je n’ai été vivre avec lui qu’en
janvier 1914, quand mon divorce a été prononcé. […] Je me suis mariée en
août quand le délai légal de mon divorce a été expiré. Je savais à ce
moment-là que j’étais enceinte de Violette [nos italiques].
Germaine et son avocat datent le divorce de janvier 1914, alors qu’il est
prononcé le 21 juin 1914. Il est antidaté de cinq mois. Violette naît le
11 janvier 1915.
Le 17 août 1914, Germaine se marie à la mairie du 12e arrondissement de
Paris, avec Baptiste Nozière, né le 17 février 1885 en Haute-Loire à Prades.
Il est le fils aîné de parents boulangers domiciliés en cette localité.
Cheminot, il deviendra chauffeur aux chemins de fer. Il n’a pas été fait de
contrat de mariage entre les époux. Les futurs époux se sont rencontrés
l’année précédente à Paris et sont domiciliés au 10 bis rue Montgallet,
quartier de Picpus, dans le 12e arrondissement de Paris. Un premier passage
s’effectue au 9 rue de Madagascar dans le 12e arrondissement de Paris, puis
une interruption a lieu pour la rue Monge dans le 5e arrondissement où
Germaine tient un débit de boissons. Ils seront encore domiciliés rue de
Coulmiers dans le 14e arrondissement, enfin les époux Nozière se fixent rue
de Madagascar où, bien que couturière, Germaine reste une « ménagère ».
Elle n’avait d’yeux que pour elle
Recueilli à son domicile du 9 rue de Madagascar le 24 octobre 1997, le
témoignage de Simone Mayeul, fille unique des époux Mayeul, livre cette
forme d’amour entre Germaine et Violette :
Elle voyait que par sa fille. Évidemment c’était une belle fille. Grande,
brune. Une belle fille ! Faut être sincère, moi qui étais jeune à ce
moment-là je me rendais compte quand même que c’était vraiment une
belle fille bien plantée et alors toujours très maquillée, très
pomponnée…
[…] Parce qu’évidemment si elle était avec des docteurs et des choses
des gens comme ça, il fallait qu’elle soit à la hauteur ! hein bon ! Alors
dès qu’elle partait Mme Nozière ouvrait sa porte : « Mme Mayeul regardez
ma Violette comme elle est belle ! comme elle… ! »
[…] Sa mère était en extase de la voir comme ça quoi. […] Elle
l’idolâtrait. C’est même pas l’adorer, c’est l’idolâtrer, parce que quand
elle en parlait de Violette : « Oh ma Violette ». Elle l’idolâtrait.
Un amour idolâtre ? Vient cette notation de Pascal Quignard : « Le grec
eidôlon se dit en latin imago. Mais le latin imago traduit exactement le mot
grec psyché dans son premier sens : la tête du mort 254. »
Selon Simone Mayeul, Germaine, par contraste d’avec son mari
était plus sauvage [nos italiques], elle était… ah ! elle il y avait que sa
fille. « Violette ! Oh ma fille ! Oh Violette ! Elle est belle. » Alors elle
nous appelait : « Vous avez vu comme elle est bien habillée ? » Des
gens qui n’avaient pas d’argent parce qu’elle ne travaillait pas et vous
savez qu’aux chemins de fer on gagnait pas des mille et des cents,
surtout à cette époque-là, elle avait toujours des robes. « Ah bah c’est
son docteur qui lui a offert, c’est… ». Il y avait toujours quelqu’un qui
lui avait offert ses robes. Enfin… et puis bon bah… […] Elle en était
fière ! [voix exclamative très insistante]. Ah oui ça… Lui, c’était pas
pareil ; M. Nozière lui pfeu, c’était le bon, le bon bonhomme le bon
bougre. Il était gentil lui. Ah il n’avait pas la fierté qu’elle avait pour sa
fille. [Elle] c’était la bonne ! C’était la bonniche ! Et en extase devant
elle. Voilà ! C’est tout ce que je peux vous dire [elle rit].
Érotique serve d’une mère pour une fille voulue promise à un bel avenir.
La parenté Nozière
La famille Nozière est originaire du département de Haute-Loire en
Auvergne, dans le sud-est du Massif central. Le futur grand-père paternel
de Violette, Félix Nozière, naît le 8 mars 1858, à Saint-Julien-des-Chazes, de
Marie Nozière, 20 ans et de père inconnu ; et Marie Nozière, ménagère, se
marie six ans après cette naissance, le 26 mai 1864 à Prades, avec Baptiste
Vigouroux, cultivateur, son aîné de huit ans. Marie décède le 6 janvier 1878
à l’âge de 41 ans255. Félix Nozière est âgé de 20 ans.
Le 12 janvier 1884, Félix Nozière se marie à Prades avec Marie Constance
Bernard, âgée de 17 ans, ménagère. Naissent trois enfants : Jean-Baptiste
né le 17 février 1885 (Baptiste sera son prénom d’usage) est le fils aîné, suit
Félix Ernest né le 5 janvier 1887, puis leur sœur, Marie Juliette, née le
20 février 1900.
Félix Ernest se marie avec Véronique Marie Michel, née le 30 juin 1888 à
Saint-Bérain en Haute-Loire. Le mariage est célébré le 11 janvier 1913 à
Prades. Les parents du marié sont « propriétaires et boulangers
aubergistes », un contrat de mariage a été établi. Félix est boulanger,
Véronique est « sans profession ». Son frère Baptiste, beau-frère de la
mariée, mécanicien à la Compagnie PLM, demeurant à Paris, est présent à
la cérémonie. Un fils naîtra à Prades de cette union, le 17 février 1914,
René, Baptiste.
La mort s’étend
En Europe, le contexte est à la guerre. Le 1er août 1914, l’Allemagne
déclare la guerre à la Russie. Ce même jour à 16 heures, la France décrète
la mobilisation générale, l’Allemagne fait de même à 17 heures. Le 3 août
l’Allemagne déclare la guerre à la Belgique et à la France.
De la classe 1907, Félix Ernest a d’abord été incorporé au 149e régiment
d’infanterie le 6 octobre 1908 au titre de soldat de deuxième classe. Il est
« envoyé en congé » le 25 septembre 1910 en attendant son passage dans la
réserve de l’armée active. Le certificat de bonne conduite lui est accordé. Il
sera rappelé à « l’activité » du fait de la mobilisation générale. Il est
incorporé le dimanche 2 août 1914 en tant que soldat de deuxième classe,
au 299e régiment d’infanterie. « Tout Français est soldat et se doit à la
défense de la Patrie256 ». En octobre 1915, il se trouve à Reillon, en Meurthe-
et-Moselle, sur le front lorrain. Le 14 octobre, toute la journée, les
tranchées sont bombardées par l’ennemi. C’est le jour où Félix Ernest est
tué. Situé « aux avant-postes du secteur de Reillon, [il] est tué à l’ennemi ».
Il a 28 ans. Son décès est transcrit le 17 février 1916 à la mairie de Prades.
Cet acte indique : « Mort pour la France à Reillon le quatorze octobre 1915
à dix-neuf heures par suite de blessure de guerre. »
Le fils d’Ernest et de Véronique Nozière, le petit René Baptiste, décède
deux ans plus tard en 1917, à l’âge de 3 ans257. « En toute chose, il convient
de considérer son comble. La mort de l’enfant est ce comble258. » La sœur de
Baptiste, Marie Juliette, meurt l’année suivante, le 25 août 1918, elle a
19 ans. Sa mère Marie, épouse de Félix Nozière, meurt l’année suivante, le
4 janvier 1919 – moins de cinq mois après la mort de sa fille. Chronologie
macabre : Félix Nozière, le père de Baptiste, perd son fils Ernest en 1915,
son petit-fils René en 1917, sa fille Marie Juliette en 1918, son épouse Marie
Constance en 1919. La mort s’étend.
Du côté de Baptiste, la perte est celle de son frère cadet, de son petit-
neveu, de sa sœur, puis de sa mère. N’aurait-il été touché par aucune de
ces morts successives et rapprochées ? On en doutera. Dans la version du
deuil qu’il avance, Jean Allouch précise ceci : « L’endeuillé a affaire à un
mort [ou plusieurs] s’en allant en emportant avec lui un bout de soi. Et
l’endeuillé court après, les bras tendus en avant, pour essayer de les
rattraper tous deux, ce mort et ce bout de soi, tout en n’ignorant pas
absolument qu’il n’a aucune chance d’y parvenir259. » Les deux rails
supports de sa haute locomotive à vapeur, pendant tant d’années, sur tant
de milliers de kilomètres, ont-ils été les « bras tendus » de Baptiste
essayant de rattraper ses morts ?
Sur ce fond d’hécatombe, Félix Nozière père260 accueille sa belle-fille
Véronique sous son toit, leur écart d’âge est de trente ans ; on en jase à
Prades – et sur ce motif, Baptiste, érigé en gardien des bonnes mœurs,
rompra avec son père et sa belle-sœur, quelques jours avant sa propre
mort.
Employé aux chemins de fer, Baptiste est mobilisé pour la guerre qui
vient d’être déclarée, sur les lignes ferroviaires de la compagnie des
chemins de fer du Paris-Lyon-Méditerranée. Il a alors 29 ans. Violette naît
pendant la guerre.
L’ascension épuisante d’un cheminot
En ce premier tiers du xxe siècle, l’histoire du métier de Baptiste se situe
à la croisée d’un exode rural et du développement des compagnies de
chemin de fer, celui-ci étant né de la révolution industrielle, combinant le
rail et la machine à vapeur261. Le chemin de fer offre un emploi sûr. « Petit-
fils de cultivateurs, fils de boulangers établis à Prades-Saint-Julien [sic],
près de Brioude, Baptiste avait habité chez ses parents jusqu’à l’âge de
16 ans. Bon élève à l’école primaire, il avait appris la mécanique262. » Anne-
Emmanuelle Demartini note :
De manière significative, Baptiste part en 1901, année charnière à
partir de laquelle la population du département [« montagneux de
paysans pauvres » de la Haute-Loire], qui devient une zone de
dépopulation, se met à décroître. […] Cette situation exceptionnelle est
aussi celle de l’ensemble de la Bretagne et des pays de la Loire, parmi
lesquels la Nièvre d’où vient Germaine […]. Le départ de Baptiste […]
s’explique clairement par le PLM qui passe précisément à Prades263.
Il ne restait plus à Baptiste qu’à se rendre à Paris et à se faire embaucher
par la compagnie du PLM. Il y entre comme ajusteur le 3 septembre 1909,
deviendra chauffeur puis mécanicien de route, c’est-à-dire conducteur de
locomotive à vapeur, qualité qui est la sienne au moment de son mariage
en août 1914 à Paris.
En 1932, son revenu annuel moyen s’élève à 33 000 francs, lequel inclut
traitements et compléments, avantages accessoires, gratifications et primes
de gestion, soit mensuellement 2 750 francs, l’équivalent aujourd’hui de
1 870 euros.
La littérature a su exprimer la dureté de ce métier.
Écrivant Les Rougon-Macquart, « histoire naturelle et sociale d’une
famille sous le second Empire » (1852-1870), Émile Zola choisit pour titre
La Bête humaine264, laquelle n’est autre qu’une locomotive à vapeur. De la
performance physique que suppose la conduite d’une locomotive à vapeur,
Zola fit l’expérience, sans pour autant la conduire, le 15 avril 1889, sur le
trajet ferroviaire Paris-Mantes.
De cette liaison avec les machines des rapides, de ce « mariage », avec
« ce grand animal noir, réticent comme une personne », de la
« concentration de tempête » que vit le machiniste, Paul Nizan, dont le
père fut cheminot, fit la matière d’un roman265.
Image 1

Ci-dessous, une photographie d’un grand animal noir, une locomotive


Pacific (figure 1).
Mais pour Violette, devenue une jeune femme, Baptiste a beau avoir reçu
la médaille des Chemins de fer, dont l’avers représente le profil gauche de
la République tandis que le revers représente une locomotive, une 230, une
presque Pacific, son ruban comportant sept raies verticales,
alternativement bleu blanc, rouge266 ; il a beau avoir conduit, le 2 juillet
1933, le train du président de la République partant à Besançon, il reste,
dans sa tenue bleue couverte de suie, une « gueule noire ». Son expérience
ferroviaire, en dépit de Zola et de Nizan, n’est pas socialement valorisante.
Autour d’elle, elle dit de son père qu’il est « ingénieur » au PLM. La
consultation du dossier de pension fait apparaître une demande par
Baptiste de mise à la retraite anticipée, ce dont Violette saura jouer. Au
service du matériel et de la traction, après vingt-trois ans de service, il est
arrivé au terme d’un métier trépidant et épuisant.
Une défaite
L’un de ses camarades de travail, Gaëtan Besset, 32 ans, qui a été durant
dix ans son chauffeur, fait connaître au commissaire Guillaume agissant
sur commission rogatoire (le 15 septembre) que « depuis environ trois mois
Nozière était très triste. À plusieurs reprises au cours de notre travail, je
l’ai vu pleurer. Il ne m’a jamais dit la cause de son chagrin ». Tristesse
envahissante de Baptiste. C’est la période où Violette, suivant des cours
par correspondance à l’École universelle, est considérée par le directeur de
cette école comme une « bonne élève », pendant le premier trimestre. Elle
cesse d’en jouer le jeu à partir du deuxième. Violette est ailleurs. Baptiste
sait à sa manière qu’il est désormais en train de perdre la partie. Sa fille
(mineure) s’affranchit de la « puissance paternelle » que le droit civil lui
confère – en vain. Sa fille ne lui obéit plus. Gaëtan Besset aura fait savoir
un effondrement de son camarade Nozière. Baptiste éprouve qu’il n’aura
pas raison de cette jeune femme qu’est Violette. Georges Bataille : « Même
à parler des larmes d’Éros, je le sais, je puis prêter à rire267… »
Lettre de rupture de Baptiste à Félix
Le 6 septembre 1933, la brigade de la gendarmerie nationale, à Langeac,
section de Brioude, en Haute-Loire, transmet au juge d’instruction la lettre
de rupture que Baptiste, en congé de convalescence après la chute du
14 juillet du tender de sa locomotive, écrit à son père le dimanche 13 août.
Il est sur son lit d’hôpital, neuf jours avant sa mort268 :
Paris le 13 août
D’après votre silence à ma dernière lettre que
nous vous avons écrie et que nous n’avons
jamais reçu de réponse, je vous écrit une
dernière lettre, je ne suis pas assez imbécile
pour ne pas comprendre quelle est la raison
pour laquelle vous nous avez pas répondu.
Il est évidant que dans la lettre ma femme
vous a écrie pour vous donner des nouvelles
de ma fille et vous a dit qu’il lui fallait encore
la campagne et de peur de l’avoir encore a
vous embarrasser, vous n’avez pas répondu mais
l’un comme l’autre269 vous pouvez être tranquille,
Je ne voulais pas vous la renvoyer car j’avais
trop bien compris quelle géner beaucoup vos
petits aises [nos italiques].
Vous excuserez mon écriture, car c’est de dessus mon
lit d’hopital que je vous écrie, je suis tombé de
machine le 14 juillet et je ne suis pas bien
rétablie mais cela vous importe peu, je sais bien
que l’affection que vous avais pour nous est nul.
Depuis plus de 15 ans que l’accore tient entre nous
que par un fil, et tout cela est la cause de ma
belle-sœur qui n’ai qu’une mauvaise langue a
faire battre un régiment elle a réussit à son but
et bien pour moi c’est fini, je vous dis a Dieu
pour toujours vous me reverait jamais au Pays,
adoré bien votre belle car les gents de Prades
ne ce sont pas gèner pour me raconter bien
des choses qui se passe entre vous.
Nozières Baptiste
P.-S. Ma femme voulé vous faire savoir l’accident
qu’il m’était arrivé c’est moi qui lui ai defendu.
Lettre de rupture offensive/offensante à l’encontre de son père dont il
attaque le mode de vie avec sa belle-fille Véronique, venue vivre chez lui
après la mort de son mari Félix Ernest. Véronique est veuve de guerre, elle
a aussi perdu leur fils René, mort en 1917. Cette belle-sœur de Baptiste est
ciblée pour être « une mauvaise langue a faire battre un régiment ». Pas
moins. La mauvaise langue, c’est elle, Véronique qui parle et ne s’en laisse
pas conter, ni ne se laisse démonter. L’accord de Baptiste avec son père,
depuis quinze ans ne tenait plus « que par un fil ». Ce « depuis quinze
ans » renvoie à l’année 1918, soit à la fin de la guerre. L’accord tient dans
un pays en guerre. Le fil tient encore les années suivantes, tant que
Violette est reçue à Prades, pour sa santé d’abord, puis pour la tenir
éloignée de Paris. Dès lors que Violette n’est plus reçue à Prades, le
moment de rupture s’ouvre. Violette est le fil qui faisait tenir ensemble
Félix, Véronique et Baptiste. Le motif, ironique, acerbe, laisse apparaître sa
pointe érotique, « adoré bien votre belle » [nos italiques]. À travers une
« jalousie », un compliment se laisse dire et s’échappe. Les gens de Prades
parlent sans gêne pour lui « raconter bien des choses » qui se passent entre
eux. Ça les regarde eux aussi. Il y a là, dans ce petit village, un public que
ça concerne
Ce beau-père (Félix pour Véronique) et cette belle-fille (Véronique pour
Félix) prennent leurs « petits aises », là où Baptiste les rappelle à l’ordre
des bonnes mœurs au nom de son Dieu. Par cette lettre, par laquelle un fils
fait la leçon à son père et à sa belle-sœur, Baptiste (s’)assène un double
coup, il perd un père et une belle-sœur.
À cet endroit, Anne-Emmanuelle Demartini récapitule : « Félix a eu trois
enfants, Baptiste étant l’aîné, mais le cadet est mort à la guerre et a laissé
une jeune veuve, qui est venue s’installer chez son beau-père. Félix perd
ensuite sa fille, puis son épouse270. » Ce qui suscite ce commentaire selon
lequel « le beau-père et la belle-fille, malgré une différence d’âge de trente
ans, vivent maritalement, une situation d’inceste où la belle-fille remplace
l’épouse décédée et remplace aussi probablement, d’un point de vue
affectif, la fille décédée, les trois femmes portant le même prénom de
Marie271 ». Trois Marie en une ? D’abord, on peut faire remarquer que Félix
Ernest Nozière s’est marié avec une femme dont le premier prénom est
Véronique, et non Marie : « Michel (nom de famille), Véronique, Marie
(second prénom)272. » Ensuite, un tel raisonnement reprend la doctrine
psychanalytique si répandue du primat du symbolique qui marqua un
temps le parcours de Jacques Lacan et reste très en vogue. Enfin, sur cette
pente, on trouve encore la doctrine psychanalytique également répandue
de la substitution de l’objet. Or l’objection se formule : « Est-ce qu’une
personne aimée se remplace ? Quelle conception a-t-on de l’amour pour
ne serait-ce qu’envisager comme possible un tel remplacement273 ? » Ce qui
est là promu dans la mise en série des « trois » Marie relève d’une
psychanalyse du remplacement.
Retournant contre Baptiste la situation de vie commune de son père avec
sa belle-fille, Anne-Emmanuelle Demartini questionne assertoriquement :
« Héritant de son père la confusion entre filiation et alliance, Baptiste
aurait-il dévoyé la figure classique du patriarche autoritaire, en pratiquant
l’inceste qui fait de la fille le bien de son père274 ? » Cette lettre d’un fils à
son père lui est renvoyée tel un boomerang sous la forme accusatoire, non
sans rabattre, s’agissant de Félix père, filiation consanguine et alliance.
Du côté de Baptiste, les pertes s’accumulent, père, belle-sœur ; dans
quelques jours, c’est la vie qu’il perdra.
La réplique de Félix par voie de presse
Un bref entretien avec Félix Nozière se tient à son domicile à Prades. Il
est publié dans le Figaro du mercredi 13 septembre 1933.
– Comment expliquez-vous que votre fils vous ait écrit sur un tel ton ?
– Violette était venue passer cinq semaines chez moi, au mois de mai
dernier, avec sa mère. Tant que ma belle-fille fut là, tout se passa bien,
mais dès que sa mère fut partie Violette commença de déserter la
maison pour aller courir je ne sais où275. Ses façons ne me plaisaient pas
et je lui en ai fait l’observation [nos italiques].
Lorsque son père est venu la chercher, comme il me proposait de
l’envoyer encore chez moi pendant les vacances d’été, je n’ai pas
répondu à son avance276 ; peut-être a-t-il été vexé. Mais je crois que
c’est sa fille qui l’a poussé à écrire cette lettre, différente de celles que
m’adressait d’habitude mon pauvre garçon, qu’elle accuse maintenant
de choses abominables. Vous pouvez demander dans tout le village,
tout le monde vous dira que ce sont là des mensonges277.
Fin de l’« interview du grand-père de l’empoisonneuse ». Rapprochant la
lettre de Baptiste à son père de l’entretien de Félix au Figaro ainsi que de
l’écho de L’Abeille brivadoise, on apprend que Violette n’était plus persona
grata à Prades. Elle y exerça sa liberté dans le fil qui était le sien à Paris,
mutatis mutandis. Quant à Félix, il prend la position répressive qui était
celle des parents de Violette à Paris. Position dont on se dit qu’elle fut
partagée par Véronique, qui ne fut donc pas l’alliée de Violette dans
l’exercice de sa liberté, mais une « mauvaise langue » stigmatisant les
sorties de Violette. Félix comme Véronique avaient Violette « à l’œil », pas
à la bonne. Une politique du regard. À quoi bon alors pour Violette une
échappée à Prades, autre lieu de surveillance ? On ne sort pas le soir. Or
Violette voulait justement sortir à sa guise, ici comme ailleurs. On devine
que ce qui n’a pas eu lieu, c’est une alliance nouée entre ces deux femmes,
Véronique et Violette. Véronique n’a pas pris le parti de la liberté de
Violette.
L’entretien à la presse de Félix vaut comme réponse du berger (Félix) à la
brebis émancipée (Violette). En ce que la brebis intenable a non seulement
donné du fil à retordre à Félix pendant les vacances de mai-juin, mais
aurait aussi médit de la belle-fille vivant sous le toit du grand-père ; ce sur
quoi Baptiste avait là-dessus sa petite idée, depuis quinze ans déjà.
Imputations réciproques entre deux femmes, Violette et Véronique. Feux
croisés entre deux femmes qui avaient pourtant chacune une liberté à
défendre. Feux auxquels Félix ajoute sa puissance en ayant décidé de ne
pas recevoir sa petite-fille pour les vacances d’été, ce qui pourtant
importait à ce moment-là au plus haut point à Baptiste pour éloigner
Violette de son Paris.
Si dans cette rupture, l’ombre de Violette peine à s’absenter, une autre
affleure. Une belle-sœur peut cacher une sœur. Dans l’hostilité de Baptiste
à l’encontre de sa belle-sœur, c’est possiblement aussi la blessure restée
ouverte par la mort de sa sœur Marie qui reste en sous-jacence. Comme
une brûlure.
Enfin, c’est aussi que Félix Nozière, né d’un père inconnu, aura noué un
troublant rapport à son fils mort à la guerre de 1914-1918, Félix Ernest. En
évoquant par voie de presse son « pauvre garçon » (Baptiste), faisant
savoir publiquement un différend familial qui l’opposait à son fils à propos
de Violette, dont l’attitude l’amène à ne plus la recevoir pour les vacances
d’été à venir, il renvoie possiblement aussi à ce qu’est son rapport à cet
autre fils mort à la guerre, dont il accueille la femme sous son toit, vivant à
ses côtés. Prosopopée Félix : « Mon fils (Baptiste) n’était pas un père
incestueux, pas plus que je ne suis un (beau)-père incestueux (à l’endroit
de mon fils mort Félix Ernest) eu égard à sa femme Véronique. » Dernière
phrase de l’entretien au Figaro : « Vous pouvez demander dans tout le
village, tout le monde vous dira que ce sont là des mensonges [nos
italiques]. » Si cette manière de dire prend ouvertement la défense de son
fils Baptiste, cette ultime phrase résonne aussi comme une réplique à ce
même fils et tout autant comme une adresse à son fils Félix Ernest : « Ne
crois pas ce que (se) disent les gens de Prades. »
Et encore, affaire entre hommes ? Félix rejoignant « érotiquement » son
fils Ernest. Comment cela ? À l’instar de ce que confiait, côté femmes, une
lectrice de Marie Claire (1993), par cette liaison avec sa belle-fille
Véronique, Félix est « entré en contact avec l’intimité charnelle278 » de son
propre fils mort.
La bague de Baptiste au doigt de Dabin
Quatre jours après la confrontation à trois dans le cabinet du juge, le
18 octobre, Germaine porte plainte pour délit de vol de la bague de son
défunt mari contre Jean Dabin, qui « a eu l’audace de porter le bijou de
mon malheureux mari jusqu’au 18 octobre. S’il était de bonne foi il l’aurait
restitué, depuis longtemps ». Germaine écrit que sa « surprise a éclaté en
voyant cette bague au doigt même de celui qui a été pour beaucoup dans
notre malheur ». Dans sa lettre, elle écrit « Dabri » pour Dabin ; lapsus
calami ? Pour Germaine, ce Dabin est une calamité. En octobre 1933, la vie
de Germaine n’est plus que devant des débris. Elle signe sa plainte « VeuVe
Nozière ».
Dans ce redoublement majuscule du « V » à même son veuvage, se lit le
double deuil qui affecte à ce moment-là Germaine Nozière. Le premier
« V » est certes la première lettre de son veuvage, le second inséré à même
ce veuvage conjugal peut se lire comme le « V » de Violette. Cette
signature en deux « V » majuscules précédant son nom fait signe de ce que
Germaine est deux fois en deuil, veuve de son mari et endeuillée de sa fille
qui est pour elle à ce moment-là perdue ; ce que peut dire aussi un vœu de
mort formulé à son encontre. Mais la place « pas à sa place » de cette lettre
majuscule dit aussi la marque de son amour pour elle. Cette signature dit à
la fois la double perte d’êtres chers, Germaine deux fois endeuillée et aussi
cette présence encore vivante de Violette coupant, peut-être, déjà, ce
veuvage.
Violette doit faire face au commissaire Guillaume, qui se rend le
21 novembre à la prison de la Petite Roquette. Elle résume cette affaire
pour le policer :
Je n’ai jamais eu l’intention de voler cette bague, cela n’a été de ma
part qu’un emprunt que je considérais comme devant être de courte
durée et Dabin lui-même m’avait dit qu’il me remettrait cette bague
après les vacances.
Selon Violette, Dabin savait que cette bague était à son père.
Jean Dabin porte au doigt une bague qu’il sait appartenir à un autre
homme… Germaine précisera que cette bague était sur la table de nuit de
la chambre à coucher. Violette fait s’envoler cette bague vers son amant.
Cette bague de Baptiste entre les mains de Dabin ravive pour Germaine
l’intrusion catastrophique de ce dernier dans la vie des Nozière.
Quant au droit pénal, l’immunité légale de l’article 380 alinéa premier de
l’ex-Code pénal pose que les soustractions commises par des enfants ou
autres descendants au préjudice de leur père ou mère ou autres ascendants
ne peuvent donner lieu qu’à des réparations civiles devant une juridiction
civile. Délit civil et non délit pénal. La soustraction pour être
dommageable n’est pas frauduleuse. Au regard du droit pénal, Violette n’a
donc pas volé son père. Et Jean Dabin n’est pas receleur, aurait-il su la
provenance de la bague, car le recel suppose une origine criminelle ou
délictuelle de la chose soustraite puis recelée (article 460 de l’ex-Code
pénal). Condition ici non réalisée puisque la soustraction de Violette n’est
pas constitutive du délit de vol. En dirigeant une plainte pour vol contre
Dabin, Germaine fait donc juridiquement fausse route. Son avocat,
spécialiste de droit social, ne savait-il pas ce point de droit ? Que pour
Germaine il se soit agi, à tout le moins, d’un « vol », on n’en doutera pas.
Blessure à même la chair. Son mari ne lui a-t-il pas été dérobé : sa bague
portée par un autre en est un rappel et marque offensante.
Aussi Germaine persiste-t-elle et signe-t-elle un courrier adressé au juge
le 3 janvier 1934 et dit sa « surprise » que sa plainte ait pu être classée sans
suite. La bague au doigt est métonymie du mariage lui-même, ce mariage
non pas annulé ou dissous par voie judiciaire, mais détruit par voie
d’empoisonnement.
Aurélia :
Je me mis aussitôt à la recherche d’un cadeau que je pusse lui offrir, et,
pour notre malheur à tous deux, je songeai à une vieille bague de
famille dont le chaton était formé d’une opale taillée en cœur et
entouré de brillants279.
Recherche précipitée de Violette.

Germaine, objet de lettres


Lettres au procureur de la République
À peine l’affaire a-t-elle éclaté dans les journaux que le parquet du
tribunal de la Seine reçoit une lettre datée du 24 août visant Germaine.
L’auteur anonyme de cette missive dit sa surprise de ce qui est arrivé au
ménage Nozière. Il dit son amitié pour Baptiste, « C’est un vieil ami et
camarade à moi que je connais personnellement et intimement. » En P.-S. :
« M. Nozière était un charmant et honnête homme. » Puis, cette mention
en marge sur le côté gauche de la lettre, perpendiculairement au texte :
« On pourra causer peut-être de sa femme un peu plus tard. »
Un mort ; une fille unique en fuite. L’épouse survivante fait l’objet de
soupçons, c’est dire aussi qu’elle ne laisse pas indifférent. Soupçonnée de
quoi ? D’autres lettres en disent plus.
Le dimanche 3 septembre 1933, un prénommé Louis (nom propre rendu
illisible par le scripteur) fait part au juge d’instruction de ce que seraient,
selon lui, les « trois points principaux » à même de débrouiller cet
empoisonnement. Le premier : Nozière n’est pas le père de Violette. Le
deuxième : Violette a eu un complice. Le troisième : Violette n’a jamais
voulu tuer sa mère.
Que Violette n’ait pas voulu tuer sa mère, elle le déclare le soir même de
son arrestation. Elle le redira ; et ce en dépit du risque de mort qu’elle lui a
fait encourir par deux fois. La paternité de Baptiste n’est pas contestée par
Violette – ce qui est cohérent avec son accusation dirigée contre lui. Que
Violette ait eu un complice, c’est une conviction de Germaine.
Deux semaines plus tard, une autre lettre du 22 septembre signée J. H. est
adressée au procureur de la République et transmise au juge d’instruction.
Elle affirme à son tour que « Violette n’est pas la fille du mécanicien
Nozière. Sa mère était ds280 une situation embarrassante par l’œuvre d’un
amant. Elle avait voué une reconnaissance très grande à son mari qui
savait la vérité et a reconnu l’enfant par le mariage ».
Au regard du droit civil, J. H. sait toucher juste, en effet le mari de
Germaine, Baptiste Nozière, « a reconnu l’enfant », purement et
simplement, comme étant le sien, sa conception étant antérieure au
mariage. Juridiquement, Violette naît enfant légitime. Surtout, sous la
plume de J. H. vient le mot « amant » ; ce mot importe spécialement, le
registre de l’analyse freudienne étant celui d’une érotologie. Nous écrivons
un « aimé », on ne saurait exclure que Germaine ait eu un aimé. Cette
conjecture est plutôt étayée par une autre lettre non datée et non signée281 :
Monsieur Lanoire
Je vous prie de transmettre cette lettre
à la femme Nozière. Demander lui
ces relations avec Henri et avec d’autres,
puisqu’il la quitté pour cela mais elle a
que s’arranger. Demander sa conduite, après
son divorce au nom d’Henri vous la verrez
blêmir. Recevez Monsieur mes empressées
Salutations
Je ne signe pas mais elle la coquine
elle sauras bien qui.
La lettre à transmettre « à la femme Nozière » est celle-ci :
Femme sans entrailles
qui conduis sa fille à
l’échaffaud, tu sais bien
que Nozière n’en était pas le père
et Henri qu’en fait tu, il
t’aurais épouser si tu avais eu
une meilleure conduite. et tu
ose toi accabler ton enfant,
l’enfant de ta chair, une louve
défend ses petits et toi tu es moins
que rien
Réfléchis bien car un jour va venir ou
je dirais tout
À bon entendeur
salut
Cette lettre est injurieuse et menaçante. « Henri » se serait bien avancé
auprès de Germaine mais son (in)conduite après son premier divorce ne l’a
pas rendu possible. Cette lettre se lit comme l’écho d’un aimant dont le
ressentiment est à fleur de peau. Baptiste n’a-t-il pas frappé Violette pour
son inconduite, mais aussi Germaine ? Impliquant dès lors Germaine dans
cette inconduite dont elle aurait montré la voie. C’est aussi comme mère
que Germaine est injuriée, une « femme sans entrailles » enverrait sa fille
se faire trancher la tête en s’étant constituée partie civile dans une
procédure criminelle contre « Nozière, Violette. » Le transfert (cet
authentique amour) brûle encore pour qui tient la plume « au nom
d’Henri ».
Dite « assez fantasque »
Quand Baptiste, accompagné de Violette, quitte le logement du sixième
étage de la rue de Madagascar pour s’aviser de la composition des paquets
de poudre apportés par Violette, il croise Claude Joly, l’un de ses voisins et
camarade de travail au PLM. Dans sa déposition du 21 septembre, Claude
Joly évoque Baptiste, Germaine et Violette et expressément ce moment du
21 août vers 18 h 30. C’est sans doute le témoignage le plus large sur cette
famille, d’un voisin et camarade de travail de Baptiste. Lui est domicilié au
9 rue de Madagascar depuis octobre 1913, Violette y arrive avec ses parents
en mars 1915. Dans sa déposition du 21 septembre, Joly dit tout le bien
qu’il pense de Baptiste. Pour Germaine, il en va autrement :
Je connaissais aussi Mme Nozière qui avait un caractère assez fantasque.
Elle passait des mois sans nous adresser la parole, puis brusquement, se
remettait à nous causer, et même assez longuement. Je rencontrais
quelquefois Violette dans les escaliers. Elle était hautement fière et
disait à peine bonjour.
Claude Joly ajoute que cette attitude de Violette le surprenait d’autant
plus qu’il a une fille d’à peu près de l’âge de Violette qui jouait avec elle
quand elles étaient petites. Sa fille a fait ses classes avec Violette à l’école
primaire de la rue de Wattignies, puis à l’école supérieure Sophie-Germain.
Sa fille s’était aperçue qu’à la sortie de cette école, Violette « fréquentait
les petits jeunes gens » du lycée Charlemagne. La fille de Claude Joly
prend alors ses distances d’avec Violette, évitant d’être avec elle. Les Joly
ont su ensuite que Violette « fréquentait beaucoup de jeunes gens du
quartier ». Ce père se dit heureux que sa fille ait cessé ses relations avec
elle.
Germaine, dans cette alternance d’une présence loquace et d’un mutisme
prolongé pendant des mois, se montre tracassée, et, à sa manière,
s’absente. Elle n’est pas nulle part. Elle n’est pas de plain-pied au 9 rue de
Madagascar.
Une oreille n’entend presque plus
Lors de sa semaine out of joint, jeudi 24 août, Violette achète une paire
d’escarpins dans un magasin de chaussures situé rue d’Anglemont aux
Lilas (Pierre Camus vit aux Lilas). La vendeuse témoigne que la cliente est
revenue le samedi suivant faire forcer ses chaussures, le contrefort lui
faisant mal. La vendeuse lui demande son nom et après avoir marqué un
temps d’hésitation, la cliente lui dit s’appeler « Mme Darfeuil ».
Nous n’avons pas interrogé l’invention de ce pseudonyme, fragile
protection pour Violette dissimulant son identité puisque se sachant
recherchée par la police. Dans ce moment d’hésitation se marque qu’il ne
va pas de soi pour elle d’indiquer ce nom qui n’est pas le sien. Le vendredi
25 août, alors qu’elle passe la nuit à l’hôtel de la rue Duperré, le bulletin
d’arrivée de Violette est établi au nom de… Madeleine Debize. Encore un
autre nom. Le nom de l’amie si proche.
Comment la fabrique de ce pseudonyme « Darfeuil » est-elle venue à
l’esprit de Violette ? Il y a bien eu, dans les années 1920-1930, une actrice
de cinéma fort connue sous le pseudonyme de Colette Darfeuil (1905-1998).
Mais il se trouve aussi que Germaine est atteinte d’une certaine surdité,
pour le dire familièrement elle se montre dure de la feuille. L’on sait que
Germaine porte sur elle, le jour, et que se trouvent sous son oreiller, la
nuit, ces mille francs qui renvoient à un aimé. Gageons que sa surdité aura
été provoquée d’avoir si longtemps tendu l’oreille à l’écoute de la voix de
l’aimé se faisant de plus en plus lointaine, jusqu’à devenir inaudible. En
quoi le pseudonyme de Violette est encore un écho à l’adresse de sa mère
et peut-être aussi à cet aimé… Ce drame de Germaine concernerait
Violette.
Lui jouant, – elle pas
Portrait de Baptiste en voisin de palier par sa petite voisine, Simone
Mayeul :
Lui, il était dans son travail, il était à son chemin de fer, lui, c’était le
pépère… puis il était pas toujours là, il faisait des routes. Lui, c’était pas
pareil puisque lui, il conduisait des locomotives, à ce moment-là on
faisait Paris Marseille, on faisait des choses comme ça. […] Et puis il
jouait avec moi, je jouais avec lui sur le palier. Jamais il a eu un geste ni
un mot ni quoi que ce soit, sinon mes parents auraient mis les pieds
dans le plat tout de suite. Jamais il n’y a eu un geste déplacé ou autre !
Moi, c’était un homme que je connaissais, que j’admirais parce que
vraiment il était gentil, il était calme. […] Puis lui, on l’a regretté parce
que c’était vraiment un homme tellement charmant. […] Mais lui, il
était vraiment… elle [Germaine], elle était plus sauvage, elle [nos
italiques]282.
Souvenirs d’enfance et de ses jeux ; « tous » les voisins de palier ne
jouent pas avec les enfants de leurs voisins de palier où le sérieux du jeu
peut trouver un étroit et pas moins propice terrain d’exercice. Germaine ne
jouait pas avec sa petite voisine ; sa « fantaisie » la portait ailleurs, en un
lieu à la perte duquel elle ne consentait pas.

« À la base, un jeune homme »


Compliments à l’école communale
À l’âge de 5 ans, Violette est à l’école maternelle de la rue de
Wattignies283, à deux pas de son domicile, puis elle entre à l’école
(attenante) communale des filles, elle y reste jusqu’à son certificat
d’études ; elle y est élève d’octobre 1921 à juin 1928. Les livres de contrôle
de cette école mentionnent « qu’elle a quitté ladite école pour aller en
province », sans autre précision. L’appréciation scolaire d’ensemble à ce
moment est la suivante : « Gentille petite fille, très appliquée, assez
intelligente, travailleuse, donnait entièrement satisfaction. » L’été 1933,
une ancienne directrice de cette école a gardé d’elle de « très bons
souvenirs », ajoutant que, à son avis, « il s’agissait d’une jeune fille qui
avait été trop gâtée par ses parents ». Une institutrice, Jeanne Giraud, dit
se souvenir parfaitement de celle qui a été son élève au cours moyen de
première année : « C’était une élève tranquille, et studieuse. Elle avait un
caractère doux et était très gentille. » Son institutrice du cours moyen
deux, Juliette Taurille, a conservé de Violette le meilleur souvenir : elle lui
a toujours donné entière satisfaction. Elle note que cette élève « paraissait
très gâtée par ses parents, notamment par sa mère qui n’admettait envers
sa fille aucune réprimande même motivée ». Germaine et Violette sont sur
la même ligne.
En juin 1927, Violette a 12 ans et demi, elle obtient le certificat d’études
primaires. Ancienne institutrice qui a eu Violette dans sa classe l’année
suivant le certificat d’études, Marie-Rose Noal déclare elle aussi que
Violette « n’a laissé que des souvenirs favorables ». Elle passe le concours
pour être reçue à l’école supérieure Sophie-Germain284, qu’elle réussit.
Stigmatisée à l’école supérieure Sophie-Germain (1928-1931)
Dans cette école, située rue de Jouy dans le quartier Saint-Paul, Violette
reste trois ans. La première année, elle a été absente six mois sur dix, en
raison de maladies. À l’issue de cette première année, « elle est passée
devant une commission d’examen et de passage qui après avoir discuté de
son renvoi pour insuffisance, a décidé, tenant compte de ses absences pour
maladies, de la faire redoubler sa première année ». Lors de cette
commission, l’un des professeurs qui était partisan du renvoi porte ce
jugement : « Intelligence endormie, ne profitera guère du redoublement. »
Endormie ? Ailleurs. Violette redouble et suivra les cours de première et
deuxième années. En octobre 1930, elle passe en deuxième année et cesse
de suivre les cours à partir de mai 1931. C’est exactement le mois où elle se
rapproche de Raymond Ricciardelli, son voisin du 10 rue de Madagascar.
Celui-ci dira au commissaire Priolet (le 7 octobre) que leurs « relations
toutes platoniques se sont bornées à quelques sorties d’une heure au
plus ». Elle lui disait tantôt vouloir « devenir doctoresse, et le lendemain
professeur ». Trois mois plus tard, Violette lui adresse une lettre dans
laquelle elle lui fait savoir qu’elle ne voulait plus le revoir afin de se
consacrer à ses études. Il ne lui adressa plus la parole. Violette ne lui a
« jamais parlé en mal de son père pas plus d’ailleurs de sa mère ».
Le départ de Violette de cette école est motivé par de nouvelles et
nombreuses absences pour raisons de santé et une insuffisance de travail ;
il est conseillé à ses parents de la retirer de là. Si sa conduite en classe est
exempte de reproches, elle est « à surveiller au-dehors ». Un professeur,
soucieux de garder l’anonymat, qualifie Violette de « paresseuse,
sournoise, hypocrite, coquette, peu studieuse, de conduite douteuse, un
mauvais exemple pour ses camarades de classe ». La stigmatisation sociale
a commencé. La directrice de l’école fait connaître que la mention « à
surveiller au-dehors » avait été motivée « par les manières incorrectes ou
équivoques constatées dans la rue » de la part de l’élève. Mais là aussi,
dans cet établissement scolaire, on se souvient de son « caractère doux ».
Violette sait désormais que son attitude à l’extérieur de l’école intéresse
aussi le corps enseignant, puisque des enseignants la dénoncent. Dehors et
dedans sont socialement liés ; et les mouvements d’Éros repérés, surveillés
et stigmatisés.
L’œil des cours secondaires (octobre 1931- avril 1932)
À la rentrée de l’année 1931, pour la classe de troisième, Violette va
rejoindre les cours secondaires, lesquels sont situés dans les locaux du
lycée Voltaire, rue Spinoza dans le 11e arrondissement de Paris. Ce lycée
est réservé aux seuls garçons. Au cours du premier trimestre scolaire, en
octobre et décembre 1931, Violette se montre « assidue et [est] considérée
comme une assez bonne élève ». Durant le deuxième trimestre, de janvier à
mars 1932, sont constatées « de nombreuses absences, toutefois justifiées
par des excuses maternelles pour motifs divers, indispositions passagères,
etc. ».
Au début du mois d’avril, les absences ont continué, de moins en moins
justifiées. Le directeur, un nommé M. Gardet, et plusieurs personnes ont vu
Violette aux abords de l’établissement « en compagnie d’un jeune
homme », ce qui semblait indiquer « une conduite douteuse ». Baptiste est
convoqué à l’établissement, le directeur lui conseillant de placer sa fille
dans une maison d’éducation éloignée de Paris. Le père acquiesce à ce
conseil et semble avoir indiqué qu’il enverrait sa fille à Nîmes. À ce très
loin de Paris, la compagnie de chemin de fer Paris-Lyon-Méditerranée y
conduit. C’est à partir du second trimestre 1932 que Violette a délaissé ses
cours.
Lors de son audition du 25 septembre, Germaine indique que c’est à cette
époque qu’elle a eu quelques soupçons sur la conduite de sa fille ; ayant
fouillé les poches de sa blouse, elle y trouve un brouillon de lettre
commençant ainsi :
Pierre, mon Pierre, que vais-je devenir ? Je te pardonne et je t’aime
toujours.
Surprise, Violette se défend et prétend qu’il s’agit d’un brouillon de
composition française ; Germaine y lit un numéro de téléphone et ces mots
« la banlieue : “Les lilas” ».
C’est la domiciliation de Pierre Camus, étudiant en médecine, et ami de
Violette. Dans ce brouillon de lettre, Violette s’inquiète des effets possibles
de ce qu’elle aurait appris d’une infection syphilitique la touchant. Lors de
l’information judiciaire, Violette et Pierre Camus ont indiqué qu’ils
n’avaient pas été amants.
Lycée Fénelon : le 16 décembre 1932
Début octobre 1932, le passage en classe de seconde s’effectue au lycée
Fénelon, rue de l’Espéron, dans le 6e arrondissement. Elle y est scolarisée
jusqu’au 16 décembre 1932, date à laquelle « elle a été radiée à la suite de
nombreuses et longues absences non justifiées ». Violette s’absente l’après-
midi du 28 et le matin du 29 octobre. Le 31, Violette présente une lettre
d’excuses, sous forme d’une carte de visite, au nom de ses parents. Courant
novembre, le 7 et le 14, à la suite d’absences réitérées, la direction du lycée
adresse par courrier aux parents Nozière des demandes d’excuses des
absences de leur fille. Violette dérobe ce courrier et répond elle-même dès
le lendemain sur des cartes de visite imprimées au nom de ses parents et
signe elle-même « Nozière ». La directrice du lycée, ne s’y trompant guère,
sait qu’elle est devant des faux. Entre le 7 et le 14 novembre, absences
réitérées, puis du 18 au 30 novembre, Violette manque les cours de façon
continue. Entre le 7 décembre et le 16, sont notées huit absences. C’est le
16 décembre 1932 dans la matinée que Violette a laissé une lettre dans le
logement de ses parents annonçant son suicide le jour même à 16 heures,
par quoi elle ré-acte aux violences de Baptiste de la veille285. Ce même
16 décembre, convoqué par la direction du lycée, Baptiste se présente et
fait état de cette lettre de Violette. Il demande le détail des absences de sa
fille qu’il paraissait ignorer.
Au cours de la conversation qui a suivi une personne de la direction du
lycée Fénelon, ayant émis l’opinion qu’à la base des agissements de
Violette Nozière, devait se trouver un jeune homme, M. Nozière a
répondu affirmativement, disant qu’en effet un jeune homme
détournait sa fille de ses devoirs. Toutefois il n’avait fourni sur ce point
aucune précision.
Dans la suite de la conversation de Baptiste avec la direction du lycée,
l’accord se fait sur la radiation de Violette de la liste des élèves.
Deux remarques. Lors de l’interrogatoire du 13 septembre 1933, Violette
indique qu’elle n’est restée au lycée Fénelon que « quinze jours ». Ce qui
est largement inexact, puisqu’au mois d’octobre deux demi-journées
seulement ont été manquées. Elle est encore présente, de manière plus
sporadique en novembre, et en décembre très peu. Violette opère une
réduction à quinzaine de son assiduité au lycée Fénelon. Or c’est le quinze
décembre qu’a lieu la scène de violences que, fort justement, l’avocat de
Germaine lors de sa plaidoirie devant les assisses a appelé le « prologue de
la tragédie », le « premier acte » étant le 23 mars et le « deuxième acte » le
21 août286. L’avocat, sur les dires de Germaine, a donc fixé l’ouverture de la
tragédie au 15 décembre. Cette scène-là est la scène de trop,
« tropmatique » pour ainsi dire. Celle qui ne passera pas, ou passera
autrement dans une fulgurance. Ce « 15 » émergeant ce 13 septembre dans
le cabinet du juge, déjà itératif, n’a sans doute pas fini sa course. Ce jour-
là, Baptiste, pourtant joueur de cartes, n’a pas su que le quinze est un jeu
de cartes où le gagnant est celui qui atteint le premier quinze points.
De son côté, lors de l’audition du 25 septembre, Germaine en dit plus que
son mari n’en a dit à la direction du lycée Fénelon :
C’est à cette époque que mon mari a surpris sa fille avec un jeune
homme à la station du métro Saint-Michel. C’est à la suite des
reproches faits à cette occasion et à celle de ses absences au lycée
qu’elle nous a laissé la lettre du 17 décembre [du 16] où elle parlait de
se suicider parce qu’elle était malheureuse et qu’on ne voulait pas la
laisser sortir à sa guise […].
« Cette époque-là » ? C’est au moins le jeudi 15 décembre. Ce jour-là,
Baptiste est parti à la recherche de Violette au Quartier latin. Il la cherche,
la file et la surprend en compagnie d’un jeune homme. Germaine
euphémise sur ce qui a eu lieu ce même jour au domicile paternel. Elle
n’évoque que des « reproches », mais dit la raison de la lettre du 16 écrite à
l’encre rouge et laissée dans le logement des Nozière en leur absence.
Germaine dit à sa manière les enjeux érotiques de Violette : qu’on la laisse
sortir à sa guise !
Quant à Violette, le 13 septembre, dans le cabinet du juge, interrogée sur
« les scènes », dixit Lanoire, qui ont suivi le départ du lycée Fénelon, elle
répond seulement que ses parents lui « ont fait des observations » et
qu’elle ne pouvait vire avec « des reproches ». Elle poursuit
immédiatement par ces mots : « J’ai eu des idées de suicide, que j’avais
déjà quand je faisais l’école buissonnière. » Elle indique aussi qu’elle
n’avait « jamais eu de mauvaise conduite » (réponse à Baptiste) durant le
mois de novembre précédent, et que si elle a laissé une lettre annonçant
qu’elle allait se jeter dans la Seine, c’est « à cause des relations [qu’elle]
avait avec son père ». Là, elle réitère son accusation287. Les termes
d’« observations » et de « reproches » dissimulent ce qui a eu lieu au
domicile paternel le 15 décembre. À la mi-décembre, vent mauvais.
À l’École universelle, devoirs irréguliers
Violette a été inscrite le 27 décembre 1932 à l’École universelle, boulevard
Exelmans dans le 16e arrondissement, pour y suivre, par correspondance,
les matières de l’enseignement général d’une classe de seconde, avec pour
langues étrangères l’anglais et l’espagnol. Pour ce faire, Baptiste règle la
somme de 1 070 francs en espèces au titre des frais d’inscription, ce qui
correspond à un peu plus que le loyer annuel du petit logement de la rue
de Madagascar, dont le montant est de 920 francs (environ 614 euros). De
son côté, Violette, dans son épopée, ne va pas désarmer. Elle demande
d’emblée que le corrigé de ses devoirs ne lui soit pas adressé à son
domicile, elle passera elle-même les prendre au secrétariat de
l’établissement. La requête de la nouvelle élève ne parut pas anormale, elle
entrait dans les pratiques de l’établissement, même si peu usitées. « Elle
n’a pas fait connaître le motif de cette restriction. » Violette joue le jeu des
devoirs à adresser à l’école pendant le premier trimestre de l’année 1933.
Souvent considérée comme « une élève moyenne », Violette est ici
considérée comme « une bonne élève ». Puis, le jeu des devoirs cesse, à
nouveau Violette « se désintéressait de ses études », fera savoir la direction
de l’établissement au policier enquêteur. Violette est ailleurs, le 15 mars
elle fait encore parvenir un devoir, le 23 mars n’est pas loin. Le 14 juillet,
Baptiste est tombé du tender de sa locomotive gare de Lyon. Le 19 juillet,
elle adresse encore une série de devoirs. Les premiers mois de l’année 1933
sont consacrés à la préparation des modalités de l’empoisonnement, à la
tentative du 23 mars, à celle du 21 août. Ce jour-là, elle porte sur elle cette
lettre apocryphe et autographe : « Réfléchis Bien » souligné deux fois. Elle
a bien réfléchi. Elle franchit le pas. Violette est « toute » à son épopée et au
risque fou qu’elle implique.
Infréquentable Violette Nozière
Une camarade de classe des cours secondaires, Simone Monnier, 19 ans,
étudiante, demeurant boulevard Voltaire dans le 11e arrondissement, a
connu Violette à la rentrée d’octobre 1931. Cette camarade de classe se
renseigne auprès de Violette sur la liste des livres à acquérir. Elle ne
tardera pas à se fâcher avec elle, « à cause de son caractère dominateur et
orgueilleux. Elle voulait toujours avoir raison et méprisait les autres ». Elle
n’était pas non plus d’une « tenue irréprochable », pour autant, elle ne l’a
« jamais vue avec des jeunes gens ». Elle tient à préciser au juge
(28 septembre) qu’elle n’est « jamais sortie » avec elle.
Un témoignage analogue sera reçu par le commissaire Priolet (le
4 octobre) de Janet Riberon, 22 ans, employée de bureau, demeurant rue
Dugommier, près de la place Daumesnil, dans le 11e arrondissement. Elle
fut pendant trois années en classe avec Violette à l’école Sophie-Germain.
Souvent, elles quittaient l’école ensemble pour rentrer chez elles. Après
qu’elles eurent quitté cette école, elles se sont rencontrées quelques fois. À
l’été 1933, l’ex-camarade de classe croise Violette qui lui dit être « très
gênée », elle lui emprunte quarante francs dont elle ne sera pas
remboursée. Elle a fait en sorte que ses parents ne sachent pas qu’elle avait
prêté de l’argent à Violette. Elle n’a pas reçu de confidences de Violette.
Elle aussi tient à dire au fonctionnaire de police : « Jamais, je ne suis sortie,
jamais je n’ai été au spectacle ou au dancing avec elle. »
Un « jamais ! » est commun à ces deux témoignages de camarades de
classe mettant en avant que Violette n’a pas été fréquentée –
infréquentable Violette Nozière. On sait l’immédiate posture de retrait de
sa pourtant très proche amie Madeleine Debize. En éclatant, la « bombe »
Nozière a fait le vide autour d’elle.

Trépidations d’août
Envols d’argent et découvertes multiples
Du 20 mai au 26 juin, Violette est à Prades, chez son grand-père paternel.
Depuis la violente scène de la mi-décembre, les premiers mois de l’année
1933 ont été marqués et chargés en pointes épiques avec l’acmé du
23 mars, mais elles n’ont pas été reçues par les parents Nozière comme
autant d’explorations d’un empoisonnement en préparation. En août,
Baptiste est hospitalisé à la Pitié, il y entre le 5 et en ressort le 17,
convalescent après la chute du 14 juillet. Violette « a pris dans son porte-
monnaie une somme de trente francs, n’y laissant que deux francs
cinquante ». Le 12 août, alors que Germaine est à l’hôpital de la Pitié
auprès de son mari, Violette force la serrure de l’armoire à glace de la
chambre de ses parents, y dérobe 400 francs provenant de la paye de
Baptiste. De retour chez elle, Germaine doit faire appel à un serrurier
après que Claude Joly ait vainement tenté d’ouvrir la porte de l’armoire.
Violette prétendra qu’il s’agissait pour elle d’y prendre un sac. « Elle a nié
le vol », dit Germaine lors de son audition du 25 septembre. Le 13 août,
Germaine trouve une photographie dans un sac de Violette, laquelle se
révélera être une photographie de Dabin. Violette affirme alors qu’il s’agit
du frère de l’infirmière qui lui fait des piqûres.
« Ma grande préoccupation ainsi que celle de mon mari »
Le 21 août, Germaine s’ouvre à Violette de son intention de se rendre au
Crédit lyonnais pour y porter trois mille francs, ce dont Violette la
dissuade « sous divers prétextes ». Violette joue avec son père, aux cartes
d’abord, puis au jacquet. Enfin Violette sort ; en son absence, fouillant dans
ses affaires, ses parents se rendent compte qu’elle a pris cent francs.
Inspectant la bibliothèque de Violette, ses parents trouvent des
pneumatiques signés Jean ou Bernard. Germaine trouve aussi, datée du
9 août et postée à Poitiers où Jean Dabin s’est rendu, une lettre signée
« Jean ». La veille, il est à la gare d’Austerlitz pour se rendre dans cette
ville. Germaine :
Cette lettre portait : « Ton fol amant t’a attendu jusqu’au train de
minuit, mais tes espions [nos italiques] t’ont empêchée de sortir. »
Ensuite, il y avait des mots en anglais.
C’est dans le double de la couverture du dictionnaire d’anglais que
Germaine trouve cette lettre. La scription de cette lettre dans le livre de
Jean-Marie Fitère est la suivante :
Vilaine chérie, je vous ai vainement attendue hier soir.
Mais je pense que vos espions vous auront confirmé mon départ288.
Ton fol amant, Jean
Ici, les « espions » ne visent pas les parents Nozière. Violette suspectait
Dabin de lui mentir et d’avoir purement et simplement inventé ce départ
pour Poitiers. Il lui avait alors suggéré de venir vérifier elle-même sur le
quai de gare qu’il s’y trouvait pour prendre ce train ou bien d’envoyer des
espions qui auraient pu attester que tel était bien le cas. Dans la citation
qu’elle fait de cette lettre auprès du juge, Germaine ne rapporte pas le
« Vilaine chérie », formule d’appel qui, quelques décennies plus tard,
donnera son titre à une BD289 et avait, dès décembre 1933, retenu
favorablement l’attention d’André Breton : « C’est encore joli. » La lettre
de Poitiers est écrite le jour de la Saint-Amour.
Dans la lettre adressée de Neuvy-sur-Loire au juge d’instruction le
3 janvier 1934, Germaine revient à nouveau sur la découverte des
pneumatiques ce 21 août. C’est en cherchant les cent francs disparus le
matin que plusieurs pneumatiques se découvrent, « trois dans la boîte de
peinture et trois dans une trousse de crayons. Ce sont ces pneumatiques
qui ont disparu de la soupière où je les avais placés le soir du 21 août ».
Violette emporte les traces de sa correspondance amoureuse, laquelle a
« surpris et peiné » ses parents. Une focalisation s’opère sur les cent francs
disparus.
Ma grande préoccupation ainsi que celle de mon mari était de
retrouver les cent francs que Violette avait pris le matin. Nous avons
fouillé partout. J’ai défait pièce par pièce et remué ses livres en retirant
moi-même les couvertures car je supposais qu’elle avait caché les cent
francs entre une couverture et le carton du livre.
L’argent s’est invité comme agent dans la partie qui va se jouer dans le
petit logement.
La lettre apocryphe du docteur Deron
Ce 21 août, Violette rentre chez elle en fin de journée en présentant une
lettre du docteur Deron, médecin de la famille. Cette lettre imaginaire et
pas moins réelle apportée par Violette à ses parents est d’abord un appel
adressé à Germaine Nozière :
Chère Madame Nozière,
Excusez-moi si je n’ai pas encore écrit.
J’ai égaré ce que vous m’aviez écrit concernant votre mari.
Mais je vous envoie trois paquets. J’insiste pour que vous preniez
les paquets au moment de vous coucher.
Mon ami que j’ai rencontré aux Sables-d’Olonne, le docteur Lacassé,
de Lille, très réputé pour la céphalogie290 [cette phrase ne se boucle pas].
Je vous l’enverrai à titre gracieux et cela ne vous coûtera absolument
rien.
Si vous ne preniez pas ces paquets, ce serait grave [nos italiques].
Mon ami et moi ferons tout auprès de la Compagnie pour
faire réformer votre mari291.
Surtout, pour Violette, faites-lui prendre le paquet où il y a une croix,
car elle a les sinus très malades.
Bien cordialement à vous.
Docteur René292 Deron.
Cette « ordonnance » n’est pas rédigée sur papier à en-tête. Adressée à
Germaine Nozière et non aux parents Nozière, il s’agit de convaincre
Baptiste de prendre ce traitement via Germaine. Le trouble se lit dans la
rédaction de ce texte, la phrase relative à l’ami et confrère du docteur
Deron, « le docteur Lacassé », reste… suspendue au moment de nommer le
traitement qui pourrait être envoyé à Baptiste pour sa « céphalée », à titre
gracieux. Cette lettre apocryphe faisant autorité est destinée à convaincre
les parents Nozière de l’urgence à prendre le contenu de ces « paquets ».
Dernier acte préparatoire de l’empoisonnement, elle ouvre la voie à
l’absorption du poison. Germaine, le 25 septembre, dans sa déposition :
J’ai eu entre les mains la lettre du docteur Deron. Elle ne pouvait être
de l’écriture de ma fille ; même contrefaite. C’est une écriture inconnue
pour moi, mais qui ressemblait un peu à l’écriture de la lettre de
Poitiers.
Germaine n’évoque qu’une ressemblance, tout en visant Dabin.
« Ce n’est pas bien ce que tu as fait là »
Alors que Claude Joly arrive au terme de sa déposition, le 21 septembre,
le commis-greffier note que « sans désemparer le témoin ajoute » :
Le 21 août 1933 vers 18 h 30, j’ai vu Nozière sortir avec sa fille. Il lui
disait d’un ton sévère : « Ce n’est pas bien ce que tu as fait là. » Un
instant après, il a été question d’un flacon et d’un pharmacien, et j’ai
compris qu’ils se rendaient chez un pharmacien.
De son côté, Germaine (qui ne parle pas de flacon) donne elle-même
deux versions sensiblement différentes de ce moment de bascule. La
première, le 25 septembre :
Mon mari est descendu avec ma fille pour téléphoner à Mlle Deron. Mais
il s’est aperçu qu’il avait oublié son argent, et il n’a pas téléphoné.
La seconde, dans la lettre du 3 janvier 1934 :
Quand mon mari est sorti pour aller téléphoner, il n’a pas emporté les
paquets qui étaient tous les trois sur la table. Ils ont été absents de cinq
à dix minutes au maximum [nos italiques].
Dans la première version, sans argent, il n’est pas possible de téléphoner,
dans la seconde version, sans les trois paquets, il n’est pas possible d’en
faire vérifier la composition en pharmacie. Deux cas d’impossibilité. Ce
moment a duré en tout et pour tout de cinq à dix minutes « au maximum »,
un temps très court, descente et remontée des escaliers jusqu’au sixième et
dernier étage du second immeuble du 9 rue de Madagascar où vivent les
Nozière. Une question se présente : dans ce court moment, où est Baptiste ?
Pour reprendre la problématisation du « démembrement » lacanien du
cogito cartésien (je pense, donc je suis), devenant « là où je pense, je ne
suis pas, là où je ne pense pas, je suis293 ». En la circonstance, là où Baptiste
est, il ne pense pas à ce qu’il a à faire, soit s’assurer, pour lui et son épouse,
de la substance de la poudre contenue dans les paquets. Là où il est, il est
réduit à l’impuissance, celle d’être en situation de pouvoir ne pas294
téléphoner, ou celle de pouvoir ne pas sortir avec les paquets de poudre – il
ne pense pas. Il ne revient certes pas à Violette d’y penser pour lui. Ce qui
lui sera fatal (à lui Baptiste) et ce en dépit du précédent du 23 mars qui
aurait pu lui mettre la puce à l’oreille. Il peut ne pas téléphoner à « Janine
Deron », il peut ne pas se rendre à la pharmacie. Où est-il pour pouvoir ne
pas penser à ce qui est l’objet même de cette sortie de fin de journée, soit la
vérification de ce qu’il en est desdits « médicaments » ? Sur quoi pouvait
porter la remontrance faite sur un ton sévère par Baptiste à Violette : « Ce
n’est pas bien ce que tu as fait là » ?
Oui, quoi ? La prise des cent francs ? Pour cet argent, Violette trouve une
parade :
Quand Violette est rentrée et que nous lui avons dit qu’elle avait pris
cent francs, elle l’a reconnu, mais a ajouté que c’était pour payer les
piqûres de Mlle Madeleine295.
Notre hypothèse est que la remarque de Baptiste porte sur ces cent
francs pris dans son portefeuille. Que là est le lieu de sa sévérité. Elle
contribue à le distraire de la vérification, laquelle s’imposait (ne
s’imposerait plus) à propos des « médicaments ». Le souci de la perte
d’argent l’emporte sur l’impensable : un empoisonnement. Là où il est
lesté de ce souci d’argent pris, sa pensée se défait.
Enfin, pour l’absorption de la poudre contenue dans les trois paquets, le
saut épique de Violette dans sa surdétermination aura eu raison d’une
suspicion parentale. La tentative de la Mi-Carême n’aura pas été lue par
les parents Nozière comme une tentative d’empoisonnement, alors même
que Germaine hospitalisée a été sérieusement atteinte. Quant à Baptiste,
en un bref échange de quelques minutes, voire moins, devant l’affirmation
de Violette, sa suspicion tombe296. Germaine devra la vie sauve à la fois à la
demi-dose prévue pour elle par Violette, et par le fait qu’elle ait versé sur
la pierre d’évier de la cuisine une mixture inavalable car d’un goût
repoussant.
Immédiat imperium paternel
Concernant Violette et Jean Dabin, Baptiste père croit savoir la conduite
à tenir. « Mon mari ne m’a jamais parlé de Dabin et a été le 21 août après-
midi aussi surpris et peiné que moi devant cette correspondance cachée »
(lettre du 3 janvier). Germaine témoigne qu’au dire de Violette, Jean Dabin
« avait insisté auprès d’elle pour nous être présenté » (audition du
25 septembre). Elle ajoute : « Voyant cela mon mari a dit : “Puisque c’est
sérieux, tu te marieras avec lui, mais je lui dirai la maladie que tu as.” » En
un trait de temps, Baptiste vient de réactiver l’ordre politique et
domestique de la Rome antique. Baptiste croit avoir sa fille en sa
puissance. Dans la Rome antique, on appelait pater familias, non pas qui
avait nécessairement pris femme et avait engendré des enfants légitimes et
gouvernait sa maison, mais « exclusivement, le citoyen qui n’était plus
sous puissance de père. En ce lieu et titre, il exerçait son droit paternel sur
son éventuelle descendance mais aussi et peut-être surtout sur lui-même :
le pouvoir sur ses fils était le corollaire d’un pouvoir sur soi (suae
potestatis) qui se prolongeait jusqu’aux derniers degrés de la
descendance297 ». Prétendre à un pouvoir sur soi, sans reste, est une figure
de maître. Baptiste vient de rompre avec son père. Par comparaison, en sa
patria potestas, il est homme libre devenu sui iuris et non alieni iuris298.
Cette liberté se résout en ce commandement à mariage notifié à Violette,
sans délai. Autre commandement à la clé, il ajoute :
Ta mère et moi, tu nous feras mourir de honte. Tu quitteras la maison
demain299.
Exit Violette.
Baptiste s’est intégré dans cette sourde convergence d’une puissance
d’antique mémoire et dans ce moment de la modernité où un siècle,
d’abord ravagé par la guerre de 1914-1918, a avancé l’hypothèse, nécessaire
déjà à l’humanité du xixe siècle, selon laquelle « la famille est la seule et
unique forme de survie véritable – qu’autrement dit, la clé de la survie ne
se trouve pas au-delà des communautés terrestres300 ». L’appartenance de
Baptiste à la CGTU, qui permet de conjecturer une proximité avec le Parti
communiste français dont il n’était probablement pas membre, va dans ce
sens. La famille (nucléaire) est la cellule de protection. Mais dans les
sociétés de 1919, avance Jean-Claude Milner, « le souci frappe le père de
famille parce que justement la survie lui échappe301 ». L’affaire est politique
et vient d’un peu plus haut.
« Le bonheur est une idée neuve en Europe », s’écria Saint-Just
en 1794 ; le xixe siècle comprit ces mots en projetant le bonheur dans la
forme du confort conjugal et filial. Il traduisit la famille restreinte est
une idée neuve en Europe. En 1919, la guerre a eu lieu. Elle a tué les
pères et les fils [et les frères…] ; elle a multiplié les veuves et les
orphelins. La famille restreinte est désormais livrée au deuil et à
l’incertitude, espace traversé par le combat, entreprise aussi
aventureuse que l’avait été la guerre elle-même302.
Effectivement restreinte, la famille Nozière se trouve à l’épicentre de
cette conjoncture historiquement configurée dans laquelle Baptiste et
Germaine vont perdre pied. Violette livre le combat épique pour contredire
à la sentence selon laquelle non seulement « la famille restreinte est une
idée neuve en Europe », mais encore que de cette famille restreinte
viendrait le bonheur. « La famille est un préjugé » – brève affirmation de
Violette trouvée dans les archives de la préfecture de police de Paris. À
cette nouveauté qui prétend porter le bonheur, Violette contredit par un
acte qui passe par un empoisonnement recherché de son père et le risque
d’un empoisonnement sur sa mère – quand se présente le moment du saut
épique, sa volonté reste inébranlable303 : « Violette a beaucoup insisté pour
que nous prenions la poudre. Son père lui répétait qu’il n’était pas malade,
et n’avait besoin de rien. Elle me disait : “Maman, tu n’es pas courageuse.
Vous avez donc bien peur que je vous empoisonne304.” » La flèche épique
possiblement mortelle vient d’être décochée, sans ciller. Les parents
hésitent quelque peu, Violette va droit au but en formulant elle-même la
peur qui pourrait être celle de ses parents. Le père continuant à exercer sa
puissance – croit-il – sur sa famille restreinte.
Baptiste, relisons-le dans l’expression de sa honte : « “Ta mère et moi, tu
nous feras mourir de honte. Tu quitteras la maison demain.” Il voulait
même déménager. » Exeunt les Nozière ? Le temps court, autrement.

Éclats d’un « roman familial »


Éclats d’un « roman familial », fil freudien
Lors de leurs premières conversations305, Violette et Dabin évoquent la
situation réciproque de leurs parents et la leur. Violette dit à Dabin (selon
ce dernier, le 30 août, au commissaire Guillaume) avoir fait ses études dans
divers lycées de Paris dont le lycée Fénelon. Elle venait « de cesser ses
études parce qu’elle avait trouvé une situation comme modéliste à la
maison Paquin. Elle a ajouté que sa mère avait été première dans ladite
maison et que son père ingénieur au PLM avait même une somme de cent
quatre-vingt mille francs constituant sa dot future ».
C’est donc à ciel ouvert que Violette, dans un « mentir-vrai », fait part à
son nouvel amant des figures qui composent ce que Freud a désigné du
syntagme de « roman familial ». Ce texte de Freud (1909) va comme un
gant à l’épopée Nozière en nommant « roman familial » ce qui, s’effectuant
à la période de la prépuberté et bien au-delà de la puberté, se donne cette
« mission consistant à se débarrasser de ses parents, pour lesquels il [ledit
névrosé] a peu d’estime, et à les remplacer par des parents situés en règle
générale à un niveau social supérieur306 ». Ainsi Violette a-t-elle fait part à
Georges Legrand dit Willy comme à Dabin que « ses parents étaient riches,
son père ingénieur à la Compagnie du Nord et sa mère ex-première à la
maison Paquin307 ». « False308 » édifiait, en brodant, les montages de ce
roman familial et de ses variantes en épopée. Un ternaire se dessine, son
père ingénieur (un génie ?) dans une compagnie de chemin de fer, sa mère
première auprès de la grande couturière Jeanne Paquin309.
Dans une déposition du 12 septembre, Roger Endewell, élève architecte,
témoigne également de ce que « à la fin, elle aimait beaucoup se vanter.
Elle disait notamment qu’elle était mannequin chez Paquin, qu’elle
possédait une Bugatti fournie par M. Paquin et qu’elle allait avec une de
ses amies se montrer sur les plages ». Probablement, les plages
méditerranéennes près desquelles son père conducteur de rapides
conduisait les clients aisés de la compagnie des chemins de fer du PLM.
« Dettes criardes »
Auprès d’un amant de passage, Robert-Isaac Atlan, 30 ans, rencontré
début août, la qualité d’ingénieur de son père est réaffirmée. Le
10 septembre, le commissaire Guillaume auditionne Atlan et transcrit les
propos que ce dernier attribue à Violette. Le jeudi 3 août, Violette lui dit
être la fille d’un ingénieur du PLM, ajoutant qu’elle venait de quitter le
lycée et qu’elle « était ennuyée parce qu’elle avait fait certaines dettes
criardes. Elle ne m’a point demandé d’argent mais m’a fait comprendre
qu’elle serait heureuse que je lui vienne en aide ». Atlan lui répond qu’il ne
fallait pas qu’elle compte sur lui. Violette lui dit « devoir aller chercher un
petit-cousin » dans une maison où il se trouvait placé, et qu’elle devait le
reconduire chez ses parents.
« Certaines dettes criardes » ? Lesquelles ? Violette parle faux dans un
mentir-vrai. Les dettes renvoient très probablement à son inconduite qui a
suscité les cris et les coups de Baptiste. Un petit-cousin surgit début août
dont elle aurait à s’occuper. Sa fonction va se dévoiler.
Une famille agrandie
D’autres policiers recueillent le témoignage de Robert-Isaac Atlan310.
Violette lui fait savoir que son père est malade ; qu’elle « l’aimait
beaucoup ; qu’elle avait une dot de cent quatre-vingt mille francs et que
depuis quelque temps elle était gênée parce que son père ne lui donnait
plus d’argent ». Elle dit alors que le petit-cousin a été adopté par ses
parents.
Plusieurs thèmes co-apparaissent. Son père est désormais malade. Face
aux « dettes criardes » que Violette aurait contractées, il ne lui donne plus
d’argent. Le thème de l’adoption surgit au bénéfice de ce petit-cousin.
Qu’implique-t-il ? À supposer une adoption plénière, au moins deux effets
s’y trouvent impliqués. Premier effet, l’adopté prend le nom de l’adoptant,
entre dans sa famille, sa filiation est nouvelle. Il y a pour l’adopté
substitution du lien de filiation311. Le petit-cousin deviendrait un petit frère
de Violette, elle-même devenant sa grande sœur. Second effet, par cette
nouvelle filiation par adoption, il vient d’être porté atteinte à l’unicité de la
filiation ; fille unique, Violette avait seule vocation à hériter de ses parents.
Sans cette mort et son effet de dévolution successorale qui s’ensuivrait sur
la tête de la seule héritière (formulation prisée des juristes privatistes),
Violette n’a pas accès à cet héritage. La « meilleure solution » ne peut être
que la mort de son père dont elle se dit qu’elle ouvrirait son droit à la
succession. Alors, son épopée atteindrait à son accomplissement : vivre sa
vie, vie de fêtes et de plaisirs, menant grand train.
La chose est dite en clair à Atlan :
Comme Violette me parlait de ses ennuis d’argent, elle me dit : « Mon
père en raison de plusieurs bêtises que j’ai faites, des dettes, va me
déshériter [nos italiques], au profit d’un petit-cousin que mes parents
viennent d’adopter. »
Le petit-cousin devenu son petit frère signerait la ruine financière de
Violette. Si son père « guérissait, il pourrait vendre tout son avoir et le
placer sur la tête de ce cousin ».
Baptiste visé à la tête
Le lundi 7 août, Violette toujours sans argent, téléphone à son amie
Madeleine Debize pour lui emprunter trente francs dont elle a absolument
besoin. Dans la dernière conversation de Violette avec Atlan, les choses
s’aggravent nettement pour son père, qui est désormais « gravement
malade, d’une congestion cérébrale », et elle ajoute : « Je ne le souhaite
pas, mais si mon père venait à mourir, ça arrangerait mes affaires ».
Violette démentira avoir tenu de tels propos. Soulignons que non
seulement l’état de santé de son père se détériore mais aussi que la
« congestion cérébrale » est dans la continuité aggravée de la céphalée
consécutive à la chute du 14 juillet. Visant la tête, Violette suit son fil. Au
soir du 21 août, dans la lettre apocryphe du docteur Deron, la céphalée de
Baptiste est expressément prise en considération, un médicament du
docteur Lacassé sera adressé à Paris, à titre gracieux.
Quant à la mort à anticiper de son père, ce n’est pas seulement que
Violette est depuis plusieurs mois dans la préparation de son
empoisonnement – chronique scandée d’une mort en préparation –, c’est
aussi que cette mort ouvrira son droit à succéder, dès lors que l’accident
domestique qu’elle prépare passe bien pour tel.
Un coffre sous scellés…
Le 30 août, Jean Dabin rapporte au commissaire Guillaume cette
étonnante déclaration de Violette :
À cette époque elle m’a fait connaître qu’elle ne disposait plus des
mêmes sommes parce que les affaires de son père allaient mal, que son
coffre avait été mis sous scellés ainsi que toutes les pièces de son
appartement, sauf sa chambre à elle parce que ledit père avait fait des
dettes de jeu au « Cercle de l’industrie » [nos italiques].
Début août, Violette se trouve sans argent, empruntant ici ou là, avec
peu de succès. Que le coffre de Baptiste ait été mis sous scellés est une
façon de dire qu’elle n’a plus à attendre d’argent de sa part, et comme
Germaine est une ménagère économe… Que Baptiste, qui ne jouait pas, ait
pu faire des dettes au Cercle de l’industrie oriente autrement. On songe au
généreux donateur de Violette, « Monsieur Émile », industriel, avec qui un
différend aurait pu survenir au cours de l’été, avec cette conséquence qu’il
aurait pris la décision de cesser de donner de l’argent à Violette. Le pacte
scellé avec cet industriel a pu se défaire. Le 21 août, de Paris pour la
Bretagne, à destination de Violette, est postée une lettre signée Émile qui
dit son désappointement de ce qu’elle ne se soit pas rendue en fin d’après-
midi au rendez-vous fixé entre eux. Sans doute Violette était-elle à
quelques heures de l’administration d’une dose mortelle à Baptiste et
n’était plus à ce rendez-vous. La lettre d’Émile ne fait nullement état d’une
rupture, mais de sa surprise quant à l’absence de Violette, ce dont il
l’excuse, quoique « bien contrarié », ne lui souhaite pas moins de bonnes
vacances, et lui écrira fin septembre pour la revoir. S’agit-il d’une lettre
apocryphe ? En cela comparable à la lettre du docteur Deron, et à la lettre
de Germaine à Christiane quelques jours plus tard. Ce lundi 21 août, de
Paris à destination de la Bretagne, deux lettres sont postées, et inscrivent,
dans ce moment pré-criminel, la figure de Jean et celle d’Émile.
Très remarquablement, les propos tenus par Violette à Dabin disent aussi
que si les pièces de l’appartement paternel (lui) sont désormais
inaccessibles, sa chambre n’est pas concernée. Le dispositif officiel des
scellés n’a pas été apposé sur sa chambre. Cette remarquable exception dit
le désir woolfien d’une chambre à soi, d’un lieu à soi.
Violette chassée, filiations rompues
Violette évoque son père auprès d’Atlan en des termes qui disent une
autre crainte :
Quant à mon père comme je lui ai fait déjà quatre mille de dettes, si
jamais il relève de maladie, il demandera mon émancipation et me
chassera de chez lui.
Violette chassée. Elle sait désormais à quoi s’en tenir en ne se trompant
pas sur la menace que Baptiste ne manquera pas de proférer au soir du
lundi 21 août. Il la chasse. Cette menace n’a sans doute pas été émise ce
soir-là pour la première fois… D’une certaine manière, Violette, qui s’est
déjà affranchie dudit domicile paternel de diverses manières (« quatre mille
de dettes »), semble en appréhender le prix. La réputation de Violette serait
telle alentour que Baptiste Nozière dit vouloir déménager.
Violette sait qu’auprès de Baptiste, elle a perdu tout crédit et qu’elle est
promise à la porte, à la rue… Ce faisant Baptiste rompt le lien de filiation
avec sa fille ; le 13 août, il avait rompu par lettre son lien de filiation avec
son père et son lien d’alliance avec sa belle-sœur.
Et Germaine ? Violette dit qu’elle n’en a rien à espérer, elle lui a même
demandé cent francs pour se rendre chez le coiffeur, qu’elle lui a refusés.
Rien à espérer ? Mais peut-être pas grand-chose à craindre non plus, elle
qui, longtemps, n’a pas admis les remontrances faites à Violette par ses
enseignants et n’a pas craint de le leur faire savoir. Le lundi 21 août au
matin, Violette n’ayant pu que constater ce refus maternel de lui donner
ces cent francs, les prendra dans le portefeuille de son père. Dans ses
conversations avec Atlan, il n’est nullement question d’une maladie de
Germaine.
Hontologies à fronts retournés
Dans L’Intransigeant du 13 octobre 1934, alors qu’au bouclage de ce
quotidien, le verdict de la cour d’assises n’est pas encore connu, en
première page, jouxtant l’hommage rendu à Belgrade au roi de Yougoslavie
assassiné à Marseille le 9 octobre, Colette, présente à l’audience d’assises,
prête ces propos à Violette :
À l’époque où je régnais sur les cœurs, lorsque, d’un geste
suprêmement élégant, je vidais coupe sur coupe et j’allumais, à la
flamme d’un briquet de grande valeur, des cigarettes d’Orient avant de
m’élancer dans ma Bugatti, je m’avisai que, sans manquer d’argent,
mes parents manquaient totalement de chic. Disons-le d’un mot : ils
n’étaient pas montrables312…
Touchant juste, Colette écrit ici un fragment de l’épopée Nozière.
Les parents de Violette – une gueule noire de cheminot en bleu de travail
secondée d’une simple ménagère prise dans des pensées sans présent – ne
sont pas montrables aux yeux d’une jeune femme du monde. La part
hantée de Violette n’est pas sans être celle de sa parenté immontrable. Elle
qui aime tant sortir, fabulant une haute ascendance sociale faite
d’intelligence (père, ingénieur) et d’élégance (mère, première chez Paquin),
de richesse aussi. Cheminot et femme au foyer lui font honte. Il fallut alors
qu’au moins un disparaisse pour que son propre devenir femme puisse se
déployer, du train de vie rêvée auquel elle aspire.
Cette honte d’un tel logis familial touche à son être même, un être qui ne
peut respirer en un tel lieu. L’épopée Nozière s’élève sur cette hontologie
pour reprendre cette invention de langue de Jacques Lacan313. D’origine
platonicienne, le concept d’ontologie est dans le système platonicien
essentiellement une théologie au sens religieux de ce terme314. Prosopopée
Violette : « honte au logis du 9 rue de Madagascar ». C’est aussi cela dont il
est question. Honte au logis familial/conjugual, où l’être de Violette est
comme anéanti, pris de honte. Se jouant de la philosophie platonicienne,
Lacan provoque l’ire d’un philosophe platonicien315. Lacan poursuit :
« Observez bien que rien ne prend de sens que quand entre en jeu la
mort316. » Puis, empruntant au philosophe Martin Heidegger une
formulation traduite de l’allemand (qui pourrait pourtant se traduire
« l’être vers la mort » – Sein zum Tod), il déplie sans transition :
L’être pour la mort, soit la carte de visite par quoi un signifiant
représente un sujet pour un autre signifiant – vous commencez à
savoir ça par cœur, j’espère. Cette carte de visite n’arrive jamais à bon
port, pour la raison que pour porter l’adresse de la mort, il faut que
cette carte soit déchirée. C’est une honte comme disent les gens, et qui
devrait produire une hontologie, orthographiée enfin correctement317.
La carte de visite de Violette Nozière est déchirée, l’adresse du 9 rue de
Madagascar au sixième étage du petit deux-pièces mansardé n’y est pas
lisible de n’y être pas inscriptible. Les trois petits paquets de poudre
blanche auront tenté de recouvrir partiellement ce lieu hontologique, selon
trois doses distinctes dont une seule est mortelle.
Dans La Nuit sexuelle, Pascal Quignard cite l’un des Quatre Quatuors de
T. S. Eliot :
– Parle-moi ! À quoi penses-tu ? Dis-moi ce que tu es en train de
penser !
– I think we are in rats’ alley318.
A été retrouvé dans un sac laissé par Violette dans la chambre de l’hôtel
de la Sorbonne du tue-souris. Dans le courant du mois d’août, elle s’était
procuré de la mort-aux-rats… Ayant entendu dire que ce poison faisait
atrocement souffrir, elle en avait écarté l’usage, précisera-t-elle lors de
l’instruction. Le petit deux-pièces mansardé est devenu aux yeux de
Violette un trou à rats. Dans la famille Nozière, le différend (le clivage) est
honte contre honte. C’est sur son « inconduite » que Baptiste a tapé le
15 décembre 1932. Le 21 août en fin de journée il la chasse, mise à
exécution pour le lendemain.
Une mère, du point de vue de Violette, sourde au mouvement
d’émancipation sur quoi, elle, sa fille, ne cède pas. C’est la portée que l’on
peut attribuer au « Tu n’es pas courageuse maman », proféré alors que
Germaine se montre rétive à prendre les médicaments prescrits par le
docteur Deron. Jeune femme, Germaine avait fait montre d’audace, en
divorçant « extrêmement jeune », dans les premières années de ce
xxe siècle ; en tenant à Paris un dépôt de vin. Si durant cette folle semaine
d’après-crime, Violette n’a pas lâché un fil, c’est bien aussi celui de cette
femme, Germaine. Comme si celle-ci lui avait transmis, sans avoir bien pu
le savoir, un érotisme dont sa fille à son tour ne pouvait pas ne pas être
porteuse jusqu’à un point d’incandescence. C’est encore « Germaine » qui
de Quiberon écrit à son amie « Christiane » restée à Paris. « Christiane »
lui manque « terriblement », elle lui demande des nouvelles d’un « jeune
homme qui [lui] plaît et [qu’elle] aime déjà un peu » . Elle voudrait de plus
amples détails. « Germaine » donne du « Folette » et du « False » à
« Christiane ». Violette est dans un moment tendu et tenu de folie, et cette
lettre est une falsification.
De la Bugatti à la Talbot
À la mi-juillet, Violette et Jean évoquent leurs prochaines vacances aux
Sables-d’Olonne. Dans ce moment de l’essor de l’automobile, Violette rêve
d’une voiture qu’il serait tellement agréable d’avoir pour leurs
déplacements durant ces vacances. Elle demande à Dabin de se charger de
la recherche de cette voiture et lui ouvre un crédit d’une dizaine de mille
francs (7 000 euros) à ne pas dépasser. Sa tante (imaginaire) pourrait lui
avancer les fonds nécessaires à cet achat. Une Bugatti, faux cabriolet d’une
puissance de onze chevaux est repérée à l’entrepôt de la société Les
Magasins généraux français, rue Championnet à Paris. Le 1er août, la
Bugatti est essayée par Dabin, Piébourg et Willy, avec le mécanicien de
l’entrepôt. Le lendemain matin, Dabin, qui n’avait pu verser des arrhes,
attend Violette et le chèque qu’elle devait apporter, sur un banc avec un
ami face à l’entrepôt. Elle ne se présentera pas. Ce même 2 août, Violette
feintera encore Dabin et consorts pour faire croire à la possibilité de
l’achat de l’automobile en se rendant à l’hôtel Ambassadeur où se trouvait
sa tante. Ils l’accompagnent et l’attendent au café d’Angleterre où elle
devait les rejoindre (avec le chèque) en milieu d’après-midi. Ils l’ont
attendue en vain.
Bernard Piébourg rapportera que Violette, arrivée au Palais du café
l’après-midi du jour prévu pour l’achat de l’automobile, prétexta pour son
absence du matin que « son père avait eu une congestion cérébrale ». Le
thème court d’un Baptiste atteint au cerveau. C’est ce qui occupe Violette.
Quelques jours plutôt, déjà défaillante pour aller voir la Bugatti, Violette
dira que ce fut « en raison de la maladie ou la mort d’un parent ». La
maladie précède la mort, à venir.
Quelques jours plus tard, au Palais du café, Dabin demande des
explications à Violette ; elle dit avoir changé d’avis. Elle rebondit en
évoquant qu’un ami de sa tante pourrait leur procurer une voiture pour
leurs prochaines vacances, elle précise même une Talbot. Cette automobile
est désignée lors de l’instruction judiciaire comme étant celle de
« Monsieur Émile ».
Se retrouvent les motifs mis en avant par Violette pour justifier ces deux
rendez-vous manqués, congestion cérébrale de son père, maladie ou mort
d’un parent. Masquée, la mort méditée pendant plusieurs mois habite
Violette et ne cesse d’avancer ses pas, son père en ligne de mire.

Le mouvement de feu de Violette


« Années folles », ambiance endiablée
Dans une publication récente portant sur les Années folles, Emmanuelle
Retaillaud ouvre son étude d’une manière comme offerte à Violette : « Des
“Années folles” émanent un air de jazz et un parfum de fête, que traduisent
visuellement les silhouettes endiablées d’une garçonne aux cheveux courts
et d’un trompettiste noir, emportés par la frénésie du charleston319. » Pour
reprendre ce chrononyme, les nommées « Années folles » fabriquent une
ambiance fracassante. Dans le livre qu’elle leur consacre, Annie Goldmann
aborde des points saillants de ces années le plus souvent datées de 1919
à 1931 : la révolution surréaliste – avec André Breton, les surréalistes ont
pris fait et cause pour Violette en décembre 1933 –, le triomphe du
septième art (la caméra devient mobile) ; Vienne et la psychanalyse. Voici
cette dernière inscrite dans ces années-là où elle ne se trouve pas en
mauvaise compagnie s’agissant d’années dites « folles ». « Les femmes
entrent en scène », écrit Annie Goldmann320. Elle rend hommage à Colette,
la citant longuement :
Je veux, je veux faire ce que je veux… Je veux jouer la pantomime,
même la comédie. Je veux danser nue si le maillot me gêne et humilie
ma plastique. Je veux me retirer dans une île s’il me plaît ou fréquenter
des dames qui vivent de leurs charmes, pourvu qu’elles soient gaies,
fantasques, voire mélancoliques et sages comme sont beaucoup de
femmes de joie. Je veux écrire des livres tristes et sages où il n’y aura
que des paysages, des fleurs, du chagrin, de la fierté… Je veux chérir qui
m’aime et lui donner ce qui est à moi au monde : mon corps rebelle au
partage, mon cœur si doux et ma liberté (Dialogues de bêtes, 1904321).
En quoi les Années folles ont commencé plus tôt que l’on ne l’écrit… le
chrononyme, lui, ne faisant son apparition qu’à l’orée de la Ve République
en 1958322.
En juillet 1922 est publié le roman de Victor Margueritte (1886-1942), La
Garçonne, « le plus grand best-seller des Années folles », dit-on. Yannick
Ripa préface ce roman :
Alors que les amours de Monique et de Niquette, si grivoisement
baptisée, comme ceux des autres lesbiennes, n’occupent que quelques
pages, l’opinion publique ne retiendra que celles-ci. Dès lors, elle
assimile garçonne et saphisme, révolution sexuelle et dépravation,
jouissance et drogue. Le livre de Margueritte vient conforter les
fantasmes sur les garçonnes, sur leurs lieux de rencontre et d’ébats :
fumeries d’opium, boîtes de jazz de Montparnasse et dancings,
royaumes de la sensualité323.
Ce que Jean Allouch prolonge d’une question :
L’affaire de La Garçonne dénote que, dans le groupe social, une
question est bel et bien posée qui concerne ce que nous appellerons ici
les mœurs sexuelles. Qu’est-ce qui les fonde en morale ? Y aurait-il –
Sade avec Kant – un fondement moral des mœurs déréglées324 ?
Soit, peut-être, un paradoxe à soutenir, à certaines conditions.
Immense succès, immense scandale aussi, ce sera Le Diable au corps, le
roman du très jeune Raymond Radiguet, ami de Jean Cocteau. Le roman
met en scène une jeune femme de 19 ans, Marthe, prise dans une liaison
amoureuse avec un jeune homme d’à peine 16 ans ; « cette imprudente me
charma325 », déclare-t-il. « Elle me faisait lui jurer mille folies. […] Plus rien
ne me pesait. Dans la rue, je marchais aussi légèrement que dans mes
rêves326. » Cependant, la configuration est à trois. Jacques, le fiancé de
Marthe, soldat, est au front. Marthe est enceinte. L’armistice vient. Jacques
est de retour et reconnaît l’enfant comme étant son fils. Marthe meurt. Elle
avait appelé son fils du nom du narrateur, lui donnant son prénom, ce fut
son « audace », et son cri d’amour327. Les anciens combattants de 14-18
n’apprécièrent guère cette érotique « diabolique ».
Une femme, Coco Chanel (elle réglera les frais de clinique pour Raymond
Radiguet mourant en décembre 1923) sut
s’entourer d’artistes, de créateurs, peintres, écrivains, qui stimulèrent
son imagination. Les ballets russes avec Diaghilev, la musique avec
Stravinsky, la poésie avec Reverdy et Cocteau, la peinture avec Picasso,
tout ce qui était nouveau et touchant aux arts fit partie, à des moments
divers, de son entourage328.
Au lendemain de la guerre de 1914-1918, et
jusqu’au début des années 1930, note Florence Tamagne, le music-hall
fut en France à son apogée. Les spectacles mêlaient chant, danse,
attractions diverses avec des pièces et des numéros comiques. C’était
aussi le triomphe de la revue, avec ses tableaux richement mis en scène
et ses troupes de girls. Désormais on misait autant sur le costume, les
chorégraphies et le décor que sur la nudité329.
Sur cette scène du music-hall, en ce chassé-croisé, tandis que Mistinguett
triomphe aux États-Unis en 1924, Joséphine Baker, danseuse d’origine
américaine est présente en 1925 à Paris où elle s’illustrera dans la Revue
nègre du théâtre des Champs-Élysées. Mistinguett et Maurice Chevalier,
enfants de Belleville et de Ménilmuche, mènent les danseuses nues
sous leurs paillettes, dans des revues à grands spectacles. Couple royal
d’une terre d’asile pour les Dolly Sisters, pour les princesses slaves dans
leurs danses orientales, pour les bananes de Joséphine Baker, dont les
trémoussements naïfs autant qu’égrillards titillent les mémoires, au
point de ressurgir plus tard, bien plus tard, quand Jo n’est plus si
mince, et que, corsetée de strass, elle chante encore J’ai deux amours,
qu’elle chante jusqu’à la mort pour nourrir ses douze enfants
multiraciaux330.
Mistinguett interprète une chanson qui restera dans les mémoires et
marque aussi sa rupture d’avec Maurice Chevalier, C’est mon homme !
Citation (partielle) (figure 2) :

Figure 2

Sur cette terre, ma seule joie, mon seul bonheur,


C’est mon homme !
J’ai donné tout c’que j’ai, mon amour et tout mon cœur,
À mon homme […]
C’est idiot
I’m’fout des coups
I’m’prend mes sous
Je suis à bout, mais malgré tout, que voulez-vous… […]
Je l’ai tellement dans la peau
Qu’au moindre mot
Il m’f’rait faire n’importe quoi
J’tuerais ma foi
J’sens qu’il me rendrait infâme
Mais je n’suis qu’une femme
Et j’l’ai tell’ment dans la peau331.
Au nom d’un amour sans limites (don, cœur, peau), pour cette femme
maltraitée, le meurtre devient possible, tout en étant imputé à… son
homme.
Ambiance « folle » des années 1920 ? Écart, si Violette écrit à son amant,
le 21 août : « Je t’aime comme jamais j’ai aimé d’un amour fou et éperdu »,
elle n’a jamais prétendu avoir tué par amour pour celui-ci afin de lui
ouvrir un avenir radieux ; son crime présente une dimension de crime-
réplique, après l’avertissement non suivi d’effets de la lettre du
16 décembre 1932.
Un album récent portant sur ces Années folles cite longuement Ernest
Hemingway, qui, dans un livre posthume, entre roman et chronique, relate
son premier contact avec Joséphine Baker au Jockey à Montparnasse :
Le bar, soudain fut embrasé par la femme la plus sensationnelle qu’on
ait jamais vue. […] Grande, café au lait, des yeux d’ébène, des jambes
de paradis, un sourire à tuer tous les sourires. La nuit était très chaude,
mais elle portait un manteau de fourrure noire. La fourrure moulait ses
seins comme de la soie. Elle jeta un regard sur moi – elle était en train
de danser avec le grand sous-officier d’artillerie anglais qui l’avait
amenée. Je réagis à ce regard dans une sorte d’hypnose et l’enlevai à
son cavalier. Il tenta bien de m’écarter, mais la fille le lâcha et vient se
blottir contre moi. Tout ce qui se trouvait dans cette fourrure se mit
immédiatement en contact avec moi. […] Nous avons dansé toute la
nuit. Elle ne retira jamais son manteau. Quand la boîte eut fermé ses
portes, elle m’avoua qu’elle ne portait rien dessous (Paris est une fête,
1964332).
Une transposition se présente : le sous-officier anglais est à la place de Lol
V. Stein sur la piste de danse du casino municipal de S. Thala, dans le
roman de Marguerite Duras, et Joséphine Baker à la place de Anne-Marie
Stretter333.
Dans cet album, une photo de légende ? On découvrira celle de Joséphine
Baker dans l’atelier de Paul Colin en 1926 ; elle est prise par Boris
Lipnitzki334 (figure 3).

Figure 3

La femme à la Bugatti
Sur un roman récemment republié, ce bandeau d’éditeur : « Le grand
roman des Années folles ». Il s’agit d’un roman de… Pierre Frondaie :
L’Homme à l’Hispano, publié en 1925335.
Laure Bjawi-Levine note que l’univers de Frondaie était celui d’un
Hollywood à la française et qu’il mena une vie de star.
L’esthète, qu’il est aussi, aime à situer ses personnages dans un
contexte doré sur tranche, où amour, passion et argent électrisent les
rapports. Ces « heureux du monde » fréquentent le Ritz, avant de se
divertir l’été sur la Côte d’Argent. Les femmes élaborent leur garde-
robe auprès des plus grands couturiers de la place, Paul Poiret ou
Jeanne Lanvin, se parent de fourrures hors de prix et de bijoux
précieux, pour s’évader vers des lointains coloniaux. […] Les hommes,
fortunés ou aspirant à l’être, sont des dandys qui s’habillent à Savile
Row, portant hauts-de-forme et guêtres, commandent leurs chemises
sur mesure chez Charvet, place Vendôme336.
De tels traits concernent Violette. L’intrigue du roman est une intrigue
amoureuse. Lady Stéphane Oswill va à la rencontre d’un amant possible,
Georges Dewalter, alors que son mari, Meredith Oswill, le sachant, lui
demande de l’accompagner pour un voyage d’affaires au Maroc. Elle s’y
refuse. Un grand bonheur s’affirme entre Stéphane et Georges. Sir Oswill
déclarera une guerre sans merci à cet amour neuf, à l’insu de Stéphane.
L’homme à l’Hispano-Suiza, menacé sur plus d’un front, tiendra son rang.
À un prix élevé. Stéphane aura joui, un temps,
de la triple félicité de se sentir amoureuse pour la première fois, d’être
libre avec son amant entre la place Vendôme et le rond-point des
Champs-Élysées, et d’avoir un compte ouvert chez tous les
fournisseurs qui font, de ce point précis de la France, le comptoir le
plus merveilleusement raffiné de l’univers337.
Même si, non sans condescendance, notions-nous, Pierre Frondaie dans
l’hebdomadaire Vu considérera que Violette n’est pas Béatrice Cenci, son
« Plaidoyer » pour la parricide romaine n’était pas sans donner quelque
abri à la parricide parisienne.
Quand Violette, qui se déplaçait le plus souvent en taxi, s’est avancée
pour être la femme à la Bugatti, l’air du temps des années 1920 l’avait
précédée, lui faisant signe ; on titre alors : « Femme libre sur Bugatti338 »
(figure 4).
Figure 4

Dabin n’avait pas les manières de Dewalter, et Violette ne deviendra pas


la femme libre à la Bugatti. Le moment à Paris n’est pas moins à la
convocation de « l’amour fou » (André Breton339) avec ses cafés, ses
dancings, ses ateliers, ses théâtres340. Le mot de Sacha Guitry : « Être
parisien, ce n’est pas être né à Paris, c’est y renaître341 » fait sol pour la
géopolitique de l’épopée Nozière.
Sans être historien ou éminent sociologue,
il ne paraît pas trop osé d’affirmer qu’au sortir de la Première Guerre
mondiale qui restait une affaire d’hommes, les Années folles
questionnaient ce qu’il en serait de la féminité et donc du rapport
sexuel en forgeant une image inédite de la femme vedette, incarnation
de la femme libre ou, pour mieux dire, ayant conquis sa liberté342.
Cette conquête a été l’affaire de Violette Nozière. Le Paris canaille l’attire ;
elle y est attirée et y prendra des risques aussi.
Le Paris des années 1930 est à la fois gai et sombre, pressentant le
cataclysme et refusant d’y croire, s’enivrant de bruits et de création.
Les fastes de l’Exposition coloniale [1931] sont à peine achevés mais
certains déjà croient peu aux chances de la France de conserver son
empire. Ce ne sont plus les « années folles », mais d’autres qui
s’annoncent plus inquiétantes, plus menaçantes343.
Violette n’est pas tournée vers ces années-là, elle n’a pas manqué
cependant de les prendre en compte à la maison centrale de Rennes.
Une double sortie de classe
Le contexte historique, politique et économique (la crise de 1929344) du
début des années 1930 n’est pas l’affaire de Violette, éprise de cette queue
de comète en sa frénésie qui est celle de ces années dites « folles ». C’est
dans leur sillage que Violette se laissera activement porter et emporter,
s’étourdissant dans le Paris diurne et nocturne des premières années 1930.
Née le 11 janvier 1915 à Neuvy-sur-Loire dans la Nièvre, dans cette
famille d’origine paysanne, fille unique et précoce, de santé fragile,
délaissant assez tôt ses études (première sortie de classe), Violette, comme
sortie d’elle-même du petit deux-pièces mansardé de ses parents, fut faite
femme dans une quasi-fulgurance. Brune et jolie, soignant ses toilettes –
couturière, sa mère y était attentive –, déterminée à plaire, à vivre sa vie,
une vie de plaisirs, à grands frais (seconde sortie de classe). Séduisante,
Violette se montra séductrice. Il lui arriva de poser nue pour un
photographe345 (figure 5).
Figure 5

Un album de Romi346 montre Violette, tête inclinée et chapeautée,


ingénue, et par juxtaposition contrastée une photo de l’identité judiciaire
prise dans les locaux de la préfecture de police dans les heures qui
suivirent son arrestation347. Le magazine Le Crapouillot publie cette photo
sans l’usage d’une paire de ciseaux : Violette y est dénudée derrière un
sapin décoré de guirlandes lumineuses348 (figure 6).
Figure 6

En décembre 1933, dans la revue Minotaure, parmi des « Portraits de


femmes », Man Ray signe la photographie d’un nu dont la pose, tête
inclinée, sexe couvert d’un feuillage, bras offert, peut être rapprochée de
celles de Violette349 (figure 7).

Figure 7
Un tour et mille tours
Prenant l’option du Quartier latin, et pour lieu élu le Palais du café,
Violette n’a de cesse de viser un saut de classe, ses déclarations autour
d’elle en témoignent. Le Quartier latin est évoqué par Mistral en des
termes auxquels Violette n’aurait rien eu à retrancher : « Prends le bras
d’un jeune homme, ou du moins rêve que tu le saisis, pour faire un tour et
mille tours dans le Quartier, comme on dit, dans le quartier par
excellence350. » C’est le rêve amoureux de Violette, au bras d’un amant, un
tour et mille tours… En rêver lui eût paru court.
Au registre de l’érotique, Jean Paulhan situe Violette au lieu de son
épopée :
La petite Violette Nozière battait les boutiques des rues avec les
garçons de son âge. Elle ne supposait pas que l’on pût rechercher les
plaisirs de la vie par une autre voie que la plus directe, mais elle se
demandait comment s’y prendre séparée des chiffons, chapeaux et
photos d’acteurs par elle ne savait quoi, qui n’était pas l’argent351.
Et qui était donc quoi ? La révélation d’un feu, lequel « n’existe que dans la
mesure où il cingle vers un ailleurs352 ». Prise dans ce feu, les sauts épiques
de Violette auront été sa manière de s’y prendre, d’où son crescendo
plusieurs mois durant, l’argent n’étant que le moyen de se donner chance
de cingler vers cet ailleurs.
Tout changeait de forme autour de moi. L’esprit avec qui je
m’entretenais n’avait plus le même aspect. C’était un jeune homme qui
désormais recevait plutôt de moi les idées qu’il ne me les
communiquait… Étais-je allée trop loin dans ces hauteurs qui donnent
le vertige353 ?
Dans ce Paris nocturne, « mille objets, mille lumières, mille désirs vous
crèvent les yeux, la peau, vous conquièrent354. »
Un geste incendiaire
Prémices, le 4 mars 1933, un incendie s’est déclaré dans le logement des
Nozière vers 2 heures du matin. Après le 21 août, « la rumeur publique
accuse la demoiselle Nozière de ne pas être étrangère à cet incendie »,
rapporte le commissaire de police du quartier de Picpus. Dans la nuit qui
commence le jeudi 23 mars, c’est encore à 2 heures du matin qu’un
incendie se déclare. « C’était le jour de la Mi-Carême », précise Violette
lors de l’interrogatoire du 9 septembre. Germaine aussi se souvient de ce
jour qu’elle nomme « jour de la mi-carême », ce qu’elle confirme en
propres termes en août alors qu’elle est encore à l’hôpital Saint-Antoine et
qu’elle a demandé à pouvoir parler au commissaire de police de Picpus :
C’est la nuit où nous avons été victimes d’une asphyxie et transportés
moi et mon mari à l’hôpital Saint-Antoine. Violette n’a pas eu besoin
de soins. Je crois que ces faits dont je me souviens maintenant et que
j’affirme exacts constituent la première tentative d’empoisonnement de
notre fille.
Appelé par Violette, son voisin de palier René Mayeul se souvient lui
aussi :
J’ai pénétré dans l’appartement et j’ai vu un rideau qui brûlait encore.
M. Nozière avait commencé à l’éteindre, mais il était tombé par terre.
J’ai achevé de l’éteindre en arrachant le rideau et en le piétinant.
Simone Mayeul a conservé, quelques décennies plus tard, une mémoire
vive de ce moment :
Justement y a eu la première fois où y a eu le feu ! Elle s’est mise à
crier : « Monsieur Mayeul ! Monsieur Mayeul ! Y a l’feu chez nous y a
eu un court-circuit. » Et c’est elle qui avait mis le feu parce qu’ils
n’avaient pas de porte dans leur chambre [nos italiques], ils avaient un
comment qu’on appelle ça, un rideau, vous savez un double-rideau en
coton ou quelque chose comme ça. Et elle avait mis le feu après. Et elle
criait : « Y a un court-circuit. » Mon père lui a dit : « Écoute Violette
hein j’t’en prie, ça suffit, moi je suis électricien je sais que ce n’est pas
un court-circuit ! » […] Évidemment elle [Germaine] était intoxiquée.
Lui n’avait pas tellement souffert, mais elle si355.
Simone Mayeul vient de retourner une carte dans le « jeu » de la famille
Nozière : si les époux Nozière avaient fait poser une porte pour séparer
leur chambre de la salle à manger où se trouvait le lit pliant de Violette…
ils auraient pu la fermer, pas entièrement toutefois. Ce geste incendiaire
prend pour cible cette chambre parentale et métonymiquement les ébats
conjugaux qui y eurent lieu pour la dernière fois le 17 août, selon
l’indication de Germaine au juge Lanoire, lors de son audition du
25 septembre.
Dès l’interrogatoire de première comparution, Violette évoque ce rideau
brûlant :
Quand mes parents dormaient déjà, et étaient sous l’influence de la
poudre, j’ai allumé accidentellement le rideau qui fermait l’entrée de la
chambre en tombant avec un grand briquet allumé [nos italiques] qui
est toujours à la maison356. Je ne m’en suis pas rendu compte
immédiatement et je suis allée me coucher. Voyant de la fumée, je me
suis levée et papa s’est levé en même temps. Comme il n’arrivait pas à
éteindre le feu, je suis allée chercher M. Mayeul. Je lui ai dit que le feu
avait été allumé par un court-circuit. Je ne sais pas pourquoi [nos
italiques], je lui ai fait cette fausse déclaration.
Cette formulation « j’ai allumé […] le rideau » est remarquable : un
rideau n’est pas allumable. Il est inflammable. La manière de dire de
Violette indique qu’elle allume le rideau comme on allumerait une scène
qui est à éclairer. « Accidentellement » ne dit pas seulement l’absence de
volonté lucide et immédiate d’y mettre le feu, mais aussi ce qui tombe et
choit à côté de la chambre conjugale. « Accident » dit dans la langue latine
ce que sym-ptôme dit dans la langue grecque – ce qui tombe avec. Qu’est-
ce que cela pourrait être tombant à proximité du lit conjugal ?
L’interrogatoire du 9 septembre à la Petite Roquette s’ouvre sur cette
première tentative du jeudi 23 mars. Le juge demande à Violette de
s’expliquer sur ce départ de feu :
– Expliquez-vous sur l’incendie du rideau.
– J’ai mis le feu accidentellement, comme l’électricité ne marchait pas,
j’ai pris un briquet pour aller voir mes parents. Mais je marchais tout de
travers sous l’effet de la drogue.
Je ne me rappelle pas ce qui s’est passé. Je me suis recouchée, et quand
je me suis réveillée les flammes venaient jusque dans la salle à manger
[nos italiques].
Pressée d’avouer un acte volontaire, Violette persiste à dire qu’elle a mis
le feu accidentellement. À la fin de cet interrogatoire, le juge tente une
ultime saillie. Il fait remarquer à l’inculpée qu’à considérer la disposition
des lieux, elle était loin du foyer de l’incendie et que la fumée nocive se
répandait uniquement dans la chambre de ses parents. Réplique de
Violette : « Les peintures commençaient à brûler dans la cuisine et dans les
cabinets, et j’étais tout près. Du reste, il n’y avait pas de porte à l’entrée de
la chambre de mes parents [nos italiques]. »
C’est la dernière parole transcrite de cet interrogatoire. Et ce « reste » ne
saurait être négligé. Désaccord entre Germaine et Violette sur la
dimension subjective de la mise à feu, pour ainsi dire, du rideau de la
chambre conjugale, acte volontaire pour la première, accidentel pour la
seconde. Violette dit : « Du reste… » « Du reste, il n’y avait pas de porte à
l’entrée de la chambre de mes parents. » Pas de porte. C’est là le « reste »
dont il est question.
Violette est âgée de 5 ans lorsque ses parents s’installent définitivement
avec elle rue de Madagascar. Pendant plus de treize ans, ses lits successifs
prennent place dans un angle (un coin ?) de la salle à manger, la chambre
des parents, peu distante, n’étant séparée de celle-ci que par un « gros tissu
d’ameublement ». Autrement dit, l’absence de porte est ouverte aux
oreilles de Violette. Un « gros tissu d’ameublement » ne ferme pas deux
pièces contiguës, la couturière et son mari n’ont pas fait le choix de faire
installer une porte qui eût autrement séparé les deux pièces. Un rideau est
« volage » là où une porte au moins se ferme. Violette à l’écoute. « Les
oreilles sont dans le champ de l’inconscient le seul orifice qui ne puisse se
fermer », note Jacques Lacan357. Violette aura été, durant tant d’années
consécutives, témoin auditif de ce qui s’entendait de la chambre de ses
parents. Son « otobiographie358 » aura été par cette exiguë configuration
spatiale ainsi façonnée. C’est aussi la portée du « court-circuit », il est le
« circuit court » qui (ne) sépare (pas) le lit de Violette de celui de ses
parents. S’agissant des ébats de ses parents, pas de porte pour les séparer
d’elle. « Mon père oublie parfois que je suis sa fille. » Cette phrase,
rapportée par son ami Pierre Camus au cours de l’instruction, présente
sans doute plus d’un écho. L’oreille nocturne de Violette aura été
régulièrement sollicitée d’un lieu où elle s’y trouve tiers exclu/inclus. Une
éducation s’y fait, d’enfance et d’adolescence, entendue et dès lors
imaginée. Le son informe et façonne une image. Une dimension décisive de
l’éducation de Violette se fit au prisme des ébats conjugaux. C’est à cette
scène répétée non immédiatement visible, semble-t-il, et dès lors
imaginable fantasmatiquement que Violette s’est trouvée confrontée. Elle
se lève dans la nuit pour « aller voir ses parents », dit-elle ; au rideau de
cette chambre met le feu.
Le petit deux-pièces a été le lieu étroit d’une bipartition camérale
bancale, un côté étant le lieu de scènes conjugales itératives, l’autre étant
celle d’oreilles réveillées et éveillées dans le noir. L’un fait de voix, l’autre
d’un silence observé et saturé. Que cesse enfin ce passage de voix à oreille
qu’un gros tissu d’ameublement laisse passer. Que cesse ce circuit court
dont le nom freudien est celui de scène primitive, où Violette, enfant, a pu
imaginer dans une érotisation fantasmatique sa mère violentée par son
père359. Mais quoi ? Georges Bataille énonce la chose en trois mots : « Le
coït est la parodie du crime360. » Mettre un terme à ces voix parodiques.
Le chiffon, métonymie du rideau
On sait la déclaration de Violette portant accusation à l’encontre de
Baptiste :
Pour éviter de m’engrosser, mon père se retirait et éjaculait dans des
bouts de chiffon qu’il cachait dans le coin du mur tout à fait au fond de
sa chambre et près d’une valise rouge, au côté de l’attirail de pêche.
Germaine fera savoir que c’est avec elle que son mari avait l’usage de ces
« bouts de chiffon ».
Dans la plaquette Violette Nozières est publié ce dessin d’Alberto
Giacometti (figure 8). Au-dessus du visage bouche ouverte et yeux fermés,
un chiffon ? un rideau ? Du chiffon, nous faisons une métonymie du rideau
et des scènes sexuelles conjugales qu’il laisse entendre et entrevoir. En
décembre 1933, au jeu des définitions, Alberto Giacometti questionne
André Breton. « Qu’est-ce que l’horreur ? » Réponse : « C’est le rideau qui
bouge361. »
Figure 8

La Mi-Carême
Le 23 mars est le jour de la Mi-Carême. Violette et Germaine l’ont dit. Un
jeune homme aimé. L’ami qu’elle aime et que la puissance paternelle
frappe d’un interdit d’aimer. Ce n’est pas encore Jean Dabin rencontré au
Quartier latin en juin ou en mai. En mars, Violette suit les cours par
correspondance de l’École universelle, depuis la fin décembre 1932. On
imagine que les pas de la Parisienne n’en sont que plus libres. Elle joue le
jeu des devoirs à adresser à l’école pendant le premier trimestre de cette
année 1933 où elle est appréciée comme étant une « bonne élève ». Le
mercredi 15 mars, elle fait encore parvenir un devoir. La Mi-Carême fait
écho à l’ami qu’elle aime. Son nom n’est pas dit. Dans son mouvement
épique, Violette considère qu’elle a à faire disparaître un père qui s’oppose
à ce qu’elle puisse voir librement l’ami qu’elle aime. « C’est à l’âge de
16 ans que j’ai commencé à avoir des amants », dit-elle au juge lors du
premier interrogatoire. Précisant que le premier fut Jean Guill connu lors
de vacances à Neuvy-sur-Loire, et le deuxième Raymond Ricciardelli.
Violette poursuit son dessein érotique – ce dessein la poursuit. Si la Mi-
Carême est un moment festif de la tradition chrétienne, le mouvement de
Violette est bien plutôt gidien. L’auteur des Nourritures terrestres avait
beau lire et relire l’Évangile, il n’y trouvait aucune parole du Christ
susceptible d’autoriser la famille, ou le mariage. « Rien n’est plus
dangereux pour toi que ta famille, ta chambre, que ton passé362. » On trouve
dans les archives de police ce bref mot rapporté de Violette : « La famille
est un préjugé. »
Au milieu de cette nuit du 23 mars, Baptiste Nozière est tombé une
première fois en tentant d’éteindre le rideau qui brûlait ; la deuxième fois
sera celle de la chute du tender de la locomotive le 14 juillet, la troisième
fois celle de l’empoisonnement mortel le 21 août.
La question rebondit : ce geste incendiaire, un sang d’hier ?

La ligne « Émile »
Le Huron demande…
Peu de temps après que l’affaire Nozière eut éclatée, dans son sillage, ont
été émis les plus grands doutes sur la paternité de Baptiste. Nous avons lu
les lettres anonymes adressées aux autorités judiciaires dès septembre.
Dans son numéro du 21 septembre 1933, l’hebdomadaire d’orientation
anarchiste Le Huron, dont Maurice-Ivan Sicard est le rédacteur en chef,
titre en première de couverture :
Figure 9

En page 7, un texte signé « S. » pour Sicard titre en gros caractères :


« Quel est le père ? » Les « journaux bourgeois, poursuit le texte, se
demandent simplement si Violette Nozières est bien la fille de celui qu’elle
empoisonna ! […] Il semble en effet que Mme Nozières ait connu son mari
sept mois avant que leur fille Violette soit mise au monde : ils se sont
mariés, cela est certain, cinq mois avant la naissance de cette enfant. »
Deux mois manqueraient…
Aussi, dans son numéro du 5 octobre, Le Huron annonce-t-il en pleine
page de sa quatrième de couverture, précédée d’un « Il faut lire » :
« L’Affaire Nozières, par J. Pidault et M.-I. Sicard, Crime ou châtiment ? Ce
qu’aucun journal n’a osé publier ! » Ce « livre rapide » (jugement des
coauteurs) de 125 pages est effectivement publié en 1933, sous le titre
L’affaire Nozières. Crime ou châtiment ? Faut-il y lire le châtiment que
Violette aurait infligé à son… père ?
Le chapitre iii, intitulé « Un père », s’ouvre sur cette question de
recherche en paternité :
Mais Nozières est-il réellement le père de Violette, NÉE CINQ MOIS
SEULEMENT APRÈS SON MARIAGE ? Peut-être conviendra-t-il
d’EXIGER LA VÉRITÉ de cette femme qui, au nom de la morale
commune, traînerait volontiers sa fille à la guillotine. Le drame s’est
peut-être simplement joué entre deux femmes363.
Entre deux femmes ? Mais encore ? La « réponse » va venir. L’enquête
annoncée à grand bruit se prolonge dans l’édition de l’hebdomadaire du
19 octobre 1933, Le Huron titre : « Après l’affaire Nozières, l’affaire
Desbouis ! »
Nous demandons si le juge Lanoire a entendu comme témoins les
anciens camarades de l’ex-agent de police Desbouis ? Nous demandons
si le juge Lanoire s’est vraiment renseigné sur la vie que menait à
18 ans – l’âge qu’a aujourd’hui sa fille – Mme Nozières ? M. Lanoire
aurait ainsi pu apprendre qu’en 1913-1914, Mme Nozières, alors ex-
femme Arnal, après avoir vécu pendant six années on ne sait comme,
fut hébergée par son beau-frère Desbouis. M. Lanoire aurait pu
apprendre encore que les relations entre Desbouis et Mme Arnal furent à
ce point intimes qu’une haine étrange sépara celle qui devait devenir
Mme Nozières de sa sœur.
Le nom d’une autre femme vient d’être lâché, celui de la sœur de
Germaine, de dix-huit ans son aînée, Clémence Philomène Hézard, née le
7 septembre 1870 à Neuvy-sur-Loire364. Clémence Philomène se marie à
Auguste Desbouis le 12 novembre 1889 dans la maison commune de Neuvy
dont ils sont l’un et l’autre originaires. Auguste Desbouis, âgé de 26 ans, né
le 10 novembre 1863, est alors vigneron365. Et Sicard de conclure : « Il
apparaît donc, de plus en plus, que dans cette affaire l’inceste n’existe pas
plus que le parricide366. » À ces allégations, Auguste Desbouis ne se croit
pas tenu d’avoir à réagir.
Après la mort de Baptiste, Auguste Desbouis prend quelques initiatives
auprès de sa belle-sœur à propos de Violette dont il est l’oncle. À la
première, il aurait conseillé de se constituer partie civile367, de la seconde,
après un conseil de famille réuni le 23 septembre, il devient, un temps, le
subrogé-tuteur368.
Quant à Desbouis, ce n’est pas sur ce soupçon de génitalité publié par le
Huron qu’il réagira, mais sur ce qu’il apprend dans les journaux, à savoir
qu’au cours d’un interrogatoire de Violette, il avait été question d’une
reconnaissance de dette de trente mille francs, créance de la famille
Nozière dont il aurait été le débiteur. Il écrit au juge d’instruction le
20 décembre 1933, pour l’informer « que cette reconnaissance de dette qui
porte [sa] signature ne s’élève qu’à la somme de trois mille francs
[2 100 euros]. » Il précisera au juge de paix de Cosne (Nièvre) qu’un
arrangement de famille était intervenu le 27 février 1911, entre sa femme,
lui-même et sa belle-sœur Germaine, au terme duquel il devait remettre à
sa belle-sœur une somme de trois mille francs « représentant sa part dans
l’achat de la maison des parents ». La reconnaissance écrite de cette dette
était chez les époux Nozière en août 1933. On sait aussi que ce document
sur papier timbré était dans le sac de Violette au moment de son
arrestation. D’où il se déduit qu’elle envisageait d’en demander le
paiement pour le financement à venir de ce que nous appelons la riche
page qui n’aura pas pu s’écrire de son épopée.
Colette versus Henry Bordeaux
Avant que ne se tienne l’audience de la cour d’assises, l’écrivain Colette,
qui s’adonnait au journalisme, avait comparé les photographies parues
dans la presse de Baptiste et de Violette. Elle se dit frappée par cette
« ressemblance avec l’effigie paternelle. Violette Nozière est, à l’exclusion
de tout rappel maternel, la fille de son père : comparez l’architecture des
deux faces, voyez ici et là la bouche plaintive, mais réticente, et dans les
regards un reproche pareil, le reproche des faibles, le mécontentement de
ceux qui n’ont jamais lutté contre eux-mêmes369 ». Plume venimeuse,
Colette signe dans la presse un certificat de paternité, à partir d’une
photographie de Baptiste.
En contrepoint, cette même année 1934, après le prononcé judiciaire de la
condamnation à mort, Henry Bordeaux rappelle la règle de droit selon
laquelle le père est celui que le mariage désigne (Pater is est quem nuptiae
demonstrant). Il n’empêche, il fait valoir un « mais ». « Mais si quelque
doute subsistait ? Si le père légal n’était pas le père réel ? Oh ! ce n’est là
qu’une hypothèse. A-t-elle été discutée à l’audience ? Je n’en ai pas
l’écho370 ». En effet, il n’en fut rien à l’audience d’assises.
L’Œuvre y revient
Alors que Violette est en prison à la maison centrale de Haguenau, le
journal L’Œuvre recherche le « vrai père » de Violette et titre : « Vers la
révision d’un procès célèbre. Violette Nozière a-t-elle tué son vrai père ?
M. Émile s’appellerait-il M. Violette371 ? » L’article, publié en 1937, s’ouvre
sur la relation d’un « fait divers banal » qui eut lieu un dimanche de
novembre 1936. Banal ?
Le 29 novembre 1933 [1936], dans un hôtel de Wimereux [Pas-de-
Calais], descendait un homme honorable, chevalier de la Légion
d’honneur. Il remplit sa fiche au nom de : Violette, Émile, industriel,
demeurant à Paris, 58 rue d’Assas.
Et le lendemain, sur la côte de « la Rochette », toute voisine, on
découvrit le cadavre de M. Violette. On put établir que l’industriel
s’était jeté à l’eau du haut de la falaise, en tenant son parapluie ouvert
à la main, comme un parachute372.
Aucune raison à ce suicide. M. Violette avait un château près de
Vierzon et, rue d’Assas, un confortable appartement. Il avait une
honorable fortune, et aucun souci financier. Il avait une usine de
porcelaine dans le Cher. On se perdit en conjectures. La famille de
M. Violette, néanmoins, ne voulut pas que des investigations spéciales
soient faites par la police judiciaire.
Quel rapport avec l’affaire Nozière ? Rien en apparence ne permet
d’établir un lien entre ce suicide et la détenue de Haguenau. Mais on
assure que si l’on avait confronté l’écriture de M. Violette à celle de la
lettre reçue par Violette Nozière et signée « Émile », on aurait pu
établir que c’était la même main qui l’avait tracée.
Lorsque Violette Nozière naquit à Neuvy-sur-Loire, le 11 janvier 1915,
ses parents n’étaient mariés que depuis le 17 août précédent. Ils étaient
l’un et l’autre de condition modeste et ce n’est ni lui aux chemins de
fer ni elle en usine qui auraient pu gagner assez d’argent pour se
rendre peu après acquéreurs d’un débit [de vin] valant au bas mot
100 000 francs. Ils firent l’affaire cependant.
D’aucuns chuchotèrent à l’époque que les époux Nozière avaient pu
s’établir grâce aux libéralités d’un ami de la famille et d’aucuns
précisèrent même que M. Nozière avait dû liquider des actions d’une
affaire de porcelaine qui prospérait dans le pays de sa femme.
Cette façon tragi-comique et pas moins courageuse de se suicider est
empreinte de spiritualité. Émile Violette aura ouvert le parapluie, en vain.
Sarah Maza note sobrement : « The story of this new Émile caused
excitement and then died down, either quashed or disproved373. » Pour Anne-
Emmanuelle Demartini, cette hypothèse reste « sans aucun fondement
actuel374 », et pour Jean-Marie Fitère : « M. Émile demeure, et demeurera
pour toujours, M. X.375. » Conclusion en éternité. N’en parlez jamais.
Une lettre signée « Émile »
Dans les dires de Violette transcrits dans les archives de justice et de
police, à aucun moment la paternité de Baptiste n’est contestée. Elle est
cohérente avec son accusation d’inceste. Mais ne s’y prend-elle pas
autrement et par touches successives pour faire valoir autre chose ? Dans
les archives judiciaires, la figure d’un « monsieur » apparaît d’abord lors
du premier interrogatoire dans la nuit du 28 au 29 août, le juge interroge
Violette sur l’origine de l’argent dont elle a pu disposer. Réponse :
Un monsieur dont je ne connais pas le nom, mais qui me donnait
rendez-vous à l’hôtel Moderne, place de la République, me donnait à
chaque rencontre une moyenne de 500 francs.
Lors de l’interrogatoire du 13 septembre, le juge demande à qui ont été
empruntées les arrhes (600 francs) versées au magasin Brunswick pour
l’achat d’une fourrure. Réponse :
Je tenais cet argent de mon protecteur, que je ne veux pas désigner
quant à présent.
Au cours de ce même interrogatoire, le juge tend à Violette une lettre
signée « Émile ». En voici le texte :
Très surpris de ne pas vous avoir vue rue Tronchet, je me suis demandé
ce qu’il avait bien pu vous arriver. Rien de fâcheux, j’espère.
Probablement n’avez-vous pas pu vous libérer comme vous le pensiez.
Je vous excuse car j’ose espérer que ce n’est pas votre faute et que vous
ne m’avez pas oublié. J’ai attendu jusqu’à trois heures et ensuite je suis
réparti, bien contrarié.
J’espère que vous allez passer de bonnes vacances. Profitez-en le plus
possible.
À la fin septembre je vous enverrai un mot pour vous revoir et en
attendant ce plaisir, croyez à mes sentiments les meilleurs.
Émile376.
Réponse de l’inculpée :
Il s’agit de mon protecteur que je ne peux pas désigner, car il est marié,
et a une certaine situation sociale. Lui me donnait de l’argent d’une
façon généreuse. Je le rencontrais à l’hôtel Moderne, mais il n’est pas
mon amant. J’étais une compagne pour lui et nous sortions ensemble.
C’est lui qui m’avait donné les 600 francs pour la fourrure.
Un Émile aura donc écrit le jour même de l’empoisonnement, sachant le
prochain départ de Violette en vacances pour les Sables-d’Olonne. De
Paris, dans les quelques heures qui précèdent l’acte d’empoisonnement,
deux lettres partent, l’une de Violette pour Jean, l’autre d’Émile pour
Violette. Lors de la confrontation du 18 octobre, Violette est amenée à dire
ceci :
Le jour du départ de Jean qui était un jeudi [le 17 août], j’ai déjeuné au
« Bœuf à la mode » avec Monsieur Émile. J’ai donné déjà le menu de ce
repas. J’ai quitté Monsieur Émile à deux heures et demie et ne suis pas
retournée au rendez-vous qu’il m’avait fixé à cinq heures et demie. Je
ne l’ai plus revu depuis.
Les points d’accord portent sur le déjeuner pris en commun et sur le
rendez-vous pris quelques heures plus tard à cinq heures et demie. Cela a
eu lieu le jeudi 17 août, la lettre de Monsieur Émile est postée le 21 août.
S’agit-il, par cette lettre postée cinq jours après le rendez-vous manqué de
fin d’après-midi, de donner consistance à Monsieur Émile, afin de
l’introduire, par une anticipation, dans le jeu de la configuration
Hézard/Nozière ? La lettre adressée aux Sables aura produit cet effet :
parvenue entre les mains du juge d’instruction, celui-ci interroge Violette
sur l’identité d’Émile dont Violette se fait expressément une « protection ».
Cette lettre pourrait être à l’initiative de Violette.
Germaine : « Je porte continuellement sur moi… »
Le jeudi 24 août, le commissaire Gueudet se rend à nouveau à l’hôpital
Saint-Antoine accompagné du brigadier-chef Gripois pour procéder à une
autre audition de Germaine Nozière, qui « d’après l’infirmière, […] a repris
ses sens et peut être entendue ». Le commissaire demande à Germaine si
elle portait de l’argent sur elle ou si elle en avait chez elle.
Je porte continuellement sur moi une ceinture contenant de l’argent – elle
contenait lundi soir mille francs – une somme de deux mille francs se
trouvant également placée dans le tiroir en bas de l’armoire de la
chambre à coucher [nos italiques].
Il est loisible de (dé)raisonner377. Nous avons lu que Germaine pouvait
porter sur elle, y compris la nuit sous son oreiller, une somme d’argent très
exactement de… mille francs. Peur d’un vol ? C’est ce qu’elle pouvait se
dire en songeant à Violette. Mais cette crainte éventuelle n’épuise pas qu’il
puisse s’agir d’autre chose. Notre conjecture – dans le sillage de la
codéfinition lacanienne du signifiant et du sujet selon laquelle un signifiant
représente un sujet pour un autre signifiant – est que les mille (l’Émile)
francs représentent Germaine pour un Émile porté sur elle, à même sa
chair. Soit le nom d’un amour, d’un aimé dont le prénom pouvait avoir été
« Émile ». Mille fois aimé. En quoi, évoquant « M. Émile », Violette sait
s’adresser à sa mère qui ne le sait pas moins. Un passage érotique discret a
pu avoir lieu entre mère et fille, là ou un père ne peut être passeur378.
Stratégique aussi, « à bon entendeur j’adresse mon salut », semble dire
Violette s’adressant ainsi à sa mère par-dessus la tête du juge d’instruction
et… la tempérant dans la bataille judiciaire qui a cours379. Deuil affectant
Germaine, deuil d’un éromène. Cet amour perdu et pas moins actif
(d’autant plus), éloignait Germaine du 9 rue de Madagascar et de son
palier, où, à la différence de son mari, elle n’était pas disponible pour jouer
avec sa petite voisine. Germaine est ailleurs dans cette absence d’oubli
d’un aimé. « Fantasque » Germaine ? D’une fantaisie d’amour.
Nous avons lu la déclaration de Germaine (du 25 septembre) au juge
Lanoire :
J’ai connu Nozière en juin 1913 mais je n’ai été vivre avec lui qu’en
janvier 1914, quand mon divorce a été prononcé. […] Je me suis mariée
en août quand le délai légal de mon divorce a été expiré. Je savais à ce
moment-là que j’étais enceinte de Violette.
Or le divorce de Germaine d’avec Arnal a été prononcé le 21 juin 1914 et
non « en janvier 1914 » comme elle l’indique. Germaine antidate son
divorce de cinq mois et indique ainsi que la vie commune avec Baptiste a
pu commencer dès janvier 1914. Violette est née en janvier 1915 ; de
juin 1914 à janvier 1915, on compte sept mois. Violette a donc été conçue
deux mois plus tôt, à Pâques 1914. Dans sa plaidoirie, Me Boitel a prévu la
parade et fait connaître que Baptiste et Germaine étaient d’abord de
simples voisins de palier au sixième étage du 10 bis rue Montgallet à Paris
et que c’est au terme de Pâques qu’ils ont pris la décision d’occuper
ensemble, du consentement de leurs deux familles, un logement de trois
pièces au 3e étage du même immeuble, rue Montgallet. Violette Nozière est
née le 11 janvier 1915, neuf mois après l’emménagement de Pâques 1914…
« Je vous dis cela, Messieurs, car je n’ai rien à cacher de mon dossier ! Il
n’y a pas de mystère dans l’histoire naturelle et sociale de la famille
Nozière380 ! » Ce que dit l’avocat en octobre 1934 devant la cour d’assises
n’est pas ce qu’a dit Germaine en septembre 1933 au juge d’instruction.
Alors que l’avocat calcule les neuf mois en continuité d’une vie devenue
commune avant mariage puis après la célébration du mariage, Germaine
antidate de six mois le commencement de la vie commune avec Baptiste ;
de janvier 1914 à janvier 1915, on compte onze mois…
Dès les premiers mots de sa plaidoirie, l’avocat de Germaine s’empresse
d’avoir cette inattendue métaphore podophore à l’endroit de « Monsieur
Émile », afin d’en écarter purement et simplement l’existence : « Au cours
d’une longue procédure, rien n’a été reproché à ma cliente. Monsieur
Émile n’avait pas encore été imaginé ; laissez-moi, Messieurs, repousser du
pied une première calomnie381 ! » Ce qui doit ainsi être repoussé, du pied,
au ras du sol, est ce qui s’est donc porté jusque dans la salle d’audience des
assises, du fait de l’avocat de Germaine.
Or, tout récemment, l’un de ses confrères, Me Jean-François Morlon, dans
une conférence donnée à la Borne, le 16 mars 2019, établissait un lien
intime entre Germaine Hézard et Émile Violette, celui-ci fréquentant La
Charité-sur-Loire dans la Nièvre, commune proche de la commune de
Neuvy-sur-Loire382. Émile Violette n’épousera pas Germaine Hézard, mais
la fille du propriétaire du château de Blosset, construit à la fin du
xviiie siècle sur la commune de Vignoux-sur-Barangeon dans le Cher,
département limitrophe de la Nièvre383.
« Mon père oublie parfois que je suis sa fille », cette phrase de Violette
rabattue sur le seul Baptiste prendrait, dès lors, une autre portée de
s’adresser aussi à… « Monsieur Émile ». Début août, Violette se trouve
brusquement sans argent, la lettre de Monsieur Émile posté à Paris le
21 août en fin de journée fait état de ce rendez-vous auquel Violette ne
s’est pas rendue.
Émile Violette, géniteur de Violette dont le nom aura été donné à
Violette à titre de prénom, dans un désir partagé de Germaine et d’Émile,
avec l’acceptation (contrainte ?) de Baptiste – telle est notre conjecture.
Une déclaration de sexe
Dans son « Petit discours aux psychiatres384 », Jacques Lacan introduit le
nouveau syntagme de « déclaration de sexe ». Il avance notamment ces
deux considérations : la première relative à « l’acte sexuel, l’acte étant une
chose conçue, comme ayant essentiellement en elle-même cette dimension
de signifiant385 », la seconde selon laquelle « c’est en tant que l’acte est
signifiant et que comme signifiant il rate386 [nos italiques]. » Autrement dit,
dans ladite « sexualité » un ratage est au rendez-vous. Ce mot de
« sexualité » à lui seul en dit d’emblée trop et dissimule ce ratage.
C’est sur la base de cette croyance en la « sexualité » que le juge
d’instruction interroge Violette sur la provenance de l’argent dont elle
dispose, et plus d’une fois généreusement, pour ses amis. Il tente d’obtenir
un aveu sur une proposition érotique pourtant licite en tant que telle : c’est
la prostitution qu’il a en tête. À quoi Violette répond par un pas de côté.
S’agissant de son exercice de sexe, elle n’a rien à avouer. On s’interroge :
quel « aveu » en son cabinet, le juge voudrait-il recevoir de cette femme ?
Pas de pas érotisé avec le juge, c’est strictement la position de Violette.
Dans son exercice, le sexe se savoure (ou pas) ; il ne s’avoue pas.
Publiant La Douleur, livre portant sur ses actes de résistance dans Paris
au moment de la Libération, Marguerite Duras n’avoue rien, ne se fait
forte de rien. Elle décrit387. À cet égard, une lectrice attentive souligne que
Duras « n’avoue pas, elle (s’)invente388 ». En publiant L’Amant puis La
Douleur, Duras « n’avoue pas davantage, elle se déclare389 ». On ne saurait
mieux dire. En répliquant « Monsieur Émile » à l’interrogation du juge,
Violette n’avoue rien, elle se déclare comme celle qu’une discrétion tient et
à quoi le juge n’a pas su se tenir. Aussi lui signifie-t-elle une fin de non-
recevoir. En quoi la déclaration de sexe est une déclaration de guerre et
une déclaration d’amour390. Ici, la déclaration de guerre est contre Baptiste,
la déclaration d’amour est à l’égard de « Monsieur Émile ». Elle dit
seulement que ce « Monsieur Émile » est un industriel, qu’il est marié, qu’il
est généreux financièrement avec elle, et qu’il n’est pas son amant. Qu’il la
protège. Violette ironise quand elle précise encore qu’il a des moustaches
blanches et une automobile bleue.
La « déclaration de sexe » est un acte de courage, vertu par excellence
selon Michel Foucault. Au courage, il consacre son cours au Collège de
France qu’il sait probablement être le dernier391. L’aveu renvoie à l’ordre
religieux, l’ordre juridique lui est connexe, là où, au champ freudien, la
déclaration de sexe est indexée au registre d’un sujet affecté d’un sexe, le
registre étant celui de l’éros. Violette rejetant des « chaînes sans fantaisie,
désespérantes » avance à découvert vers sa liberté. Dans sa désormais
extrême solitude, Violette déclare que « Monsieur Émile » la protège.
« Monsieur » ici n’est pas simple formule d’appellation ou de politesse,
mais vaut titre. Elle pourrait en dire plus. Peut-être en a-t-elle dit plus au
juge d’instruction. La police peut bien le chercher sans le trouver… la
justice a constaté qu’il restait introuvable… Dans un mi-dire auquel elle
s’est tenue, Violette a déclaré une part de sa sexuation.
Mère remariée avec un beau-père ?
Elle va continuer sur le même mode, indirect. Lorsque le dimanche
27 août au soir, Violette rencontre Raphaël Cohen, avenue de La Motte-
Picquet – ce sera sa dernière nuit de liberté avant fort longtemps –, elle lui
fait cette confidence selon laquelle elle « avait quitté sa mère depuis quatre
ans et que depuis cette époque elle vivait avec un ami. Ce dernier l’avait
chassée depuis une quinzaine de jours ; et elle n’osait pas retourner chez sa
mère car celle-ci était remariée et son beau-père lui faisait la cour ». Là
encore, quelle vérité Violette énonce-t-elle en parlant faux ? Elle sait
désormais qu’avec sa mère la rupture est consommée. Affleure aussi ce qui
a pu être le désir de Violette de s’émanciper de la tutelle maternelle et de
vivre avec « un ami ». Depuis une quinzaine de jours cet ami l’a chassé ; or
cela ne fait pas une « quinzaine de jours », mais presque une semaine que
Baptiste, avant de mourir quelques heures plus tard, lui a signifié qu’elle
quitterait le domicile paternel dès le lendemain. Mais l’on se souvient que
c’est le 15 décembre 1932 qu’a eu lieu au domicile paternel une scène
particulièrement violente. Coups et injures portés par Baptiste.
Être chassée par Baptiste est ce qu’elle craignait depuis un certain temps
déjà. Elle n’ose retourner chez sa mère, c’est devenu impossible, elle le sait
par la presse. Ce dimanche 27 août, Violette se sait sans domicile. Mère
remariée (cela est exact) avec « son beau-père [qui] lui faisait la cour ». Si
Émile est le géniteur, Baptiste est le beau-père… Un beau-père lui faisant la
cour, à nouveau Baptiste est visé implicitement. Violette fait coup double,
elle destitue Baptiste comme père et en fait un beau-père se rapprochant
d’un abus sexuel possible.
Émile ne meurt pas
Se faisant connaître en 1953 au moment de la demande de réhabilitation
judiciaire formulée par Violette, comme ayant été « Monsieur Émile »,
M. Émile Cottet, « honnête commerçant », aura(it) raté lui aussi, à l’instar
de Dabin, sa rentrée sur la scène judiciaire en août 1933. Au moment même
où la vindicte publique poursuivait Violette rue de Madagascar lors de la
reconstitution du crime et que des vociférations se faisaient aussi entendre
au-dessus des hauts murs de la Petite Roquette – les perspectives pénales
pour Violette étant alors au pire. C’eût été pour lui le moment de se
déclarer comme étant concerné par Violette et de dire à quel titre. C’eût été
sa déclaration de sexe au titre du courage de la vérité : « Cette affaire me
concerne. »
Figure 10

Le jeudi 26 février 1953 France-Soir fait savoir à ses lecteurs que « Le


mystérieux M. Émile apparaît au moment où Violette Nozière sollicite sa
réhabilitation » (figure 10). Le journaliste, Georges Gherra, écrit :
M. Émile s’est fait connaître hier en déclarant qu’il était prêt à
témoigner : il s’agit d’un honnête commerçant, M. Émile Cottet, 64 ans,
demeurant 60, rue des Tournelles (3e). C’est en apprenant par les
journaux la démarche de Violette Nozière que M. Cottet nous a écrit
pour nous faire part de son désir de témoigner en faveur de l’ex-
condamnée à mort.
Voici son récit pour les lecteurs de France-Soir :
En 1931, j’étais en instance de divorce et j’avais élu domicile dans un
hôtel près de la République. Un soir, à la fête foraine, près de la place
de la Nation, je remarquais une mince et grande jeune fille brune
paraissant 17 ans. Elle s’escrimait, le bras armé d’une canne, à faire
entrer un anneau dans le col d’une bouteille de champagne. Je lui dis
qu’elle ne gagnerait pas. Elle sourit, se rangea à mon avis et accepta
mon invitation à prendre un verre. Je l’emmenais alors au Vel’ d’Hiv’
où Marcel Thil disputait un combat de boxe contre un Noir.
Ce fut le commencement d’une courte idylle. Presque chaque soir, elle
venait me rejoindre à la terrasse d’un café, place de la République où
j’étais connu sous le nom de M. Émile. Elle tenait parfois un bouquet
des fleurs des champs à la main. Chaque fois que je faisais allusion à
ses sorties nocturnes ou à sa famille, elle gardait un silence buté : elle
était d’une nature réservée et paraissait vouloir fuir un milieu qu’elle
détestait.
La seule précision qu’elle me donna, c’est qu’elle était étudiante à
Fénelon. Je présumais qu’elle « séchait » ses cours.
Un soir elle ne vint pas : je ne la revis plus [nos italiques].
Cette dernière phrase d’Émile Cottet renvoie avec une exactitude
troublante à la lettre signée « Émile » postée le 21 août 1933 et relative au
rendez-vous du 17 août à 5 heures de l’après-midi auquel Violette ne se
rendit pas. Cette phrase est de plus conforme au propos de Violette lors de
la confrontation du 18 octobre évoquant « Monsieur Émile » : « Je ne l’ai
plus revu depuis » le déjeuner du 17 août. Violette entre au lycée Fénelon
en octobre 1932 et en sort abruptement le 16 décembre. Suite :
Dix-huit mois plus tard, stupéfait, je reconnus, dans les journaux, sa
photo. Je suivis attentivement l’affaire et lorsqu’on parla du mystérieux
« M. Émile », j’hésitais sur la conduite à tenir : je me rendis chez Me de
Vésinne-Larue.
Or le compte des années et des mois ne tombe juste – y compris avec
l’âge de 17 ans – que si c’était la date de février 1932 (et non le « en 1931 »)
qui était indiquée, afin que le « dix-huit mois plus tard, stupéfait… » soit
exactement calculé avec le dernier déjeuner d’Émile avec Violette. À la
date indiquée par Émile, Violette est élève aux cours secondaires et n’est
pas encore inscrite au prestigieux lycée Fénelon. Dans l’ensemble, ce récit
publié par France-Soir est plausible. Sauf sur un point, l’honnête
commerçant est âgé de 64 ans en 1953 alors que l’on disait « Monsieur
Émile » proche de la soixantaine en… 1933. Là le bât blesse.
La suite laisse rêveur et au moins à nouveau perplexe ; le lecteur n’est
pas tenu d’y croire :
J’attendis dans la salle d’attente près d’une heure, pendant laquelle je
réfléchis aux conséquences de ma démarche. Je me demandais si la
sincérité de mon témoignage, deux ans avant les faits, pourrait la
servir. Je conclus que non. Je partis donc sans avoir rencontré son
défenseur. Aujourd’hui, j’y suis prêt, car souvent j’ai pensé au sort de
cette malheureuse392.
Ce qui est sûr, c’est que « Monsieur Émile » ne s’est pas présenté sur la
scène judiciaire, montée en 1933 et 1934. D’un commun accord entre les
parties au procès ?
En 1953, on subodore qu’il s’agit d’un artifice de la défense de Violette
pour étayer la demande de réhabilitation judiciaire. La cour d’appel de
Paris n’entendra pas M. Émile Cottet, qui n’aura donc pas à se déplacer.
Hors de l’institution judiciaire, de ses règles de fonctionnement et des
jeux de la défense laquelle n’est pas tenue de dire la vérité (de ce qu’elle
sait), cette inattendue sortie de presse ne fait pas moins resurgir la figure
s’étant éloignée de « Monsieur Émile ». Le titre de France-Soir, « Le
mystérieux M. Émile apparaît », est judicieux au-delà de son accroche
publicitaire. On s’amuse peut-être. Mais il arrive que l’amusement
convoque les muses, l’une d’entre elles est mémoire. Une « apparition » est
en gésine l’apparition d’un fantôme. Vingt ans après l’acte
d’empoisonnement, Violette fait entendre à nouveau le nom d’Émile. Il
revient dans le jeu pour n’avoir pu en être sorti. Émile introuvable en 1933,
Émile apparaissant en 1953. « Émile » n’est pas une carte sans portée dans
le jeu de la famille Nozière. En faisant revenir à la mémoire commune
« Monsieur Émile », Violette ne cède pas sur sa déclaration de sexe de 1933,
portée par un prénom transformé en nom propre.
En écrivant : « La critique [de la religion] a dépouillé les chaînes des
fleurs imaginaires qui les recouvraient, non pour que l’homme porte des
chaînes sans fantaisie, désespérantes, mais pour qu’il rejette les chaînes et
cueille la fleur vivante », Marx avait donné par avance au mouvement de
libération de Violette son étoffe d’épopée393.
Sur l’accusation de Violette
La « thèse » de Violette
Nous avons lu les termes très inattendus (« l’hypothèse », « la thèse de
l’inceste ») du défenseur de Violette394, alors qu’en cette qualité il avait à
porter en son nom une accusation d’inceste sans faille, et non à formuler
une thèse et moins encore une hypothèse. Ce qui stupéfie quand on sait
que cette défense, comme toute défense, a vocation à s’exercer dans
l’intérêt de sa cliente. Tenter de convaincre du bien-fondé de cette
accusation était la seule carte à portée décisive qui garantissait à Violette
l’octroi du bénéfice des circonstances atténuantes et donc la chute de la
peine de mort, voire une déclaration du jury affirmant, contre l’évidence,
qu’il n’y avait pas là d’empoisonnement constitué. L’histoire judiciaire des
jurys d’assises acquittant contre l’évidence même en présente plus d’un
exemple. Émanation du peuple, le jury est souverain. Le président de la
cour est alors tenu de prononcer purement et simplement un verdict
d’acquittement. Dans le huis clos du cabinet du juge d’instruction, Violette
s’exprimait autrement : « Si j’ai agi ainsi vis-à-vis de mes parents, c’est
que, depuis six ans, mon père abusait de moi. » Ce « c’est que » se donne
comme ayant valeur causale. Là serait le vrai pli de l’affaire. On le sait,
c’est l’étiologie avancée par Violette.
Dans un fascicule récemment publié – sous un titre en lettres violettes
sur fond noir – « Si Violette a menti », Emmanuel Pierrat, avocat, ne traite
pas ce qu’il aura pourtant annoncé en titre. Ce titre tient seulement à une
citation de Pierre Lambin publié dans L’Intransigeant en octobre 1934 :
« Violette a renouvelé hier les accusations contre son père. […] Si Violette
a menti, il faut de toute urgence le savoir395. » Bien que la question n’y soit
pas abordée, la publication récente de ce fascicule fait signe vers la
direction d’un mensonge.
Le hors-champ des médecins-experts
À la page soixante-dix-huit de leur rapport, les médecins-experts, à
propos de l’allégation par Violette de « ses relations incestueuses avec son
père », font montre d’une attitude chaloupée au point que la navigation
médicale prend l’eau et semble conclure à… une revendication
d’incompétence ratione materiae :
Précisons que nous ne repoussons pas l’allégation mise en avant par
l’inculpée de ses relations incestueuses avec son père ; pas plus du reste
que nous ne la considérons comme établie. Ce serait sortir de notre rôle
d’experts. Tout ce que nous nous sommes permis de faire, c’est de
discuter cette thèse du point de vue médico-légal [nos italiques].
Ces lignes ne laissent pas d’être ambiguës. Il faut lire 1) que ces relations
ont peut-être eu lieu, 2) peut-être pas, 3) dans les deux cas, nous n’avons
pas pu établir une relation avec l’acte d’empoisonnement. Un très net « ni
non, ni oui » d’experts, qui vaut suspension de toute appréciation sur
l’existence (ou pas) de telles relations, et quoi qu’il en soit, un jugement
d’absence d’effets sur l’acte d’empoisonnement.
Par contraste, s’agissant de l’infection syphilitique, les experts assertent :
Ce qui est certain, et ce qui seul importe au point de vue où nous
devons nous placer, c’est que Violette Nozière ne présente aucun signe
clinique ou biologique de syphilis nerveuse, et que, par conséquent,
l’existence de cette maladie ne peut pas être prise en considération
dans l’appréciation du degré de sa responsabilité pénale.
Comme s’ils mesuraient le porte-à-faux de leur point de vue médico-
légal, les médecins en viennent à ouvrir une lucarne sur la psychanalyse
freudienne :
On pourrait penser que l’on se trouverait en présence d’une haine
parentale résultant d’un de ces traumatismes psycho-sexuels plus ou
moins longtemps refoulés, ayant fini par provoquer un trouble
psychique plus ou moins obscur, et aboutissant, par libération
compensatoire, soit au suicide, soit au meurtre, lequel, plus qu’une
vengeance aurait été cette sorte de plus ou moins inconsciente auto-
punition396.
D’une hostilité contre son père née de « traumatismes psycho-sexuels »,
Violette se serait punie via la justice pénale en s’assurant de ses foudres, au
prix de sa vie ou pour de longues années de prison. Mais les experts vont
se montrer malins et retourner la lucarne freudienne contre Violette :
À moins que cette haine parentale n’ait été que le masque apparent
d’un sentiment tout différent à l’égard de son père, sentiment refoulé
dans l’inconscient et demeuré par suite obscur – Belles matières à
dissertations selon le mode freudien. Seulement ce ne sont pas les
hypothèses subjectives, ni ce qui peut être imaginé ou soi-disant
découvert de ce qui est supposé exister dans l’inconscient, qui doivent
guider l’expertise médico-légale, mais les faits objectivement observés
et discutés.
Le Figaro du 15 septembre 1933 présente à ses lecteurs un exemple de
télé-psychiatrie. Un psychiatre « qui n’a pas voulu donner son nom » fait
savoir que l’accusation portée par Violette contre son père renvoyait à
« une thèse toute freudienne ». Quelle est cette thèse ? La voici :
Violette, dont les sens ont été éveillés très tôt, aurait été très tôt
inconsciemment attirée par son père, et aujourd’hui elle l’accuserait
d’un acte qu’il n’a jamais commis mais qu’elle souhaitait
involontairement, dans le plus profond de son être397.
Le psychiatre « qui n’a pas voulu donner son nom » se contente de
renvoyer, en l’inversant, l’accusation à Violette. Comme une réponse du
berger à la bergère.
Un frayage de Sigmund Freud
Dans son parcours, Freud donne d’abord crédit à l’événement réel – une
séduction par le père – comme origine de symptômes dits hystériques,
puis se met à douter… Cette affaire, plutôt complexe, a fait l’objet d’une
étude minutieuse de Guy Le Gaufey398. Il en résulte que Freud ne nie pas les
infantilen Sexualtraumen dont font état des patients. Et c’est pour
préserver ces dires qu’il produit le « fait nouveau » (die neue Tatsache), la
réalité psychique qu’il s’agit d’apprécier à côté de la réalité pratique.
N’hésitons pas à dire immédiatement que cette nouvelle réalité [la
réalité psychique, psychische Realität] mettra environ une quinzaine
d’années à trouver elle-même un fondement correct, qui ne sera autre
que le meurtre du père399.
Ce fondement donnera naissance au récit freudien du meurtre du père
déployé dans Totem et tabou [1912-1913], livre épinglé par Lacan comme
étant « un produit névrotique ».
Voici maintenant la fameuse lettre de Freud à son ami Wilhelm Fliess du
21 septembre 1897 :
Et maintenant je vais tout de suite te confier le grand secret qui, au
cours des derniers mois, s’est lentement fait jour en moi. Je ne crois
plus à mes neurotica [meine Neurotica400].
L’une des raisons de cette perte de croyance tient à
la surprise de voir dans l’ensemble des cas [où] il fallait incriminer le
père comme pervers, sans exclure le mien, le constat de la fréquence
inattendue de l’hystérie, où chaque fois cette même condition se trouve
maintenue, alors qu’une telle extension de la perversion vis-à-vis des
enfants est quand même peu vraisemblable401.
Cette considération statistique fait douter Freud. Autre raison avancée par
l’ouvreur de la psychanalyse,
le constat certain qu’il n’y a pas de signe de réalité dans l’inconscient,
de sorte que l’on ne peut pas différencier la vérité et la fiction investie
d’affect. (Dès lors la solution qui restait, c’est que la fantaisie sexuelle
[en dépit de la traduction, lire « le fantasme »] s’empare régulièrement
du thème des parents402).
Guy Le Gaufey souligne que si Freud n’a pas cessé de croire en l’existence
de scènes de séduction, il ne leur attribue plus de valeur étiologique quant
aux névroses. Le sol étiologique s’est dérobé sous ses pas403.
Trois témoignages en 1933
Les Nozière avaient l’usage d’un petit jardin près de la porte de
Charenton. Violette avait indiqué qu’en ce lieu son père abusait d’elle
sexuellement. Claude Joly, voisin des époux Nozière et camarade du PLM,
dépose le 21 septembre 1933.
Je trouve tout à fait extraordinaire l’accusation portée par Violette
contre son père, et je n’y puis croire. Notamment j’ai connu la cabane
située dans le jardin qu’avait autrefois Nozière à la Porte de Charenton.
Je suis passé bien souvent dans le sentier qui longeait le jardin Nozière
et j’ai causé avec lui. Cette petite cabane était faite de pièces et de
morceaux et pouvait juste servir à rentrer des outils. Autant qu’il me
semble, on n’aurait pas pu s’y allonger. Une petite tonnelle
rudimentaire y était attenante et j’y ai aperçu Mme Nozière sur une
chaise longue. Je lui ai même parlé.
Cette tonnelle n’était pas assez fournie pour former un obstacle à l’œil.
Cabane et tonnelle se trouvaient sur un point culminant et étaient vues
de tous les côtés. Il y avait notamment un aiguilleur en permanence au
faisceau404 situé en contrebas et il apercevait tout ce qui se passait.
J’ai aperçu Violette dans le jardin, mais seulement avec sa mère.
L’ami Pierre Camus, étudiant en médecine, dépose le 12 septembre.
C’est quelque temps après que nous ayons eu fait connaissance que
Violette Nozière m’a parlé de son père. Déjà j’avais remarqué qu’elle
avait eu deux ou trois crises de désespoir. Au cours d’une de ces crises,
je l’ai pressée de questions pour savoir la cause de ce profond chagrin.
C’est alors qu’avec beaucoup de réticence, elle m’a dit cette phrase
dont je me souviens parfaitement, tellement elle m’a frappée :
« Mon père oublie parfois que je suis sa fille405. »
J’ai insisté pour avoir le sens exact de ce propos. Elle me l’a donné ;
mais sans ajouter aucune précision. Je ne me rappelle pas les termes
qu’elle a employés, mais je crois qu’elle m’a dit que son père avait
envie d’elle. J’ai compris qu’elle me faisait part simplement d’une
mauvaise intention de son père, mais que cela ne s’était pas encore
passé.
J’ai essayé à plusieurs reprises d’en savoir plus long, mais en vain. Elle
paraissait très gênée, et sa conversation était pleine de réticence. Dans
les trois derniers entretiens nous n’étions pas seuls, sauf une fois, et il
n’a plus été question de cette chose406. Quand elle me l’a dit, la chose
m’a paru tellement étrange que je m’en suis ouvert à un ancien
camarade de lycée qui l’avait vue plusieurs fois au Quartier latin,
M. Raymond Lassarrat […] il est étudiant en sciences.
Quand j’ai rencontré Violette au mois de janvier dernier son attitude
m’a paru bizarre et ses propos peu cohérents. Au mois de juillet, elle
m’a paru à la fois agitée et prostrée, si bien que j’ai vu qu’elle usait de
stupéfiants.
Quand je l’avais connue, elle m’avait paru au contraire une petite fille
fort normale.
« Mon père oublie parfois que je suis sa fille », cette phrase pourrait
prendre la portée de ce que l’on a pu appeler, dans un crime commis outre-
Atlantique, « la doctrine du meurtrier407 ». Dès son arrestation, Violette abat
cette carte maîtresse d’un attentat aux mœurs imputable à son père. Si en
France, le droit pénal de 1933 n’a pas fait de l’inceste une catégorie
juridique – ce que fera une loi du 14 mars 2016 –, Violette n’oppose pas
moins un crime à un autre, le droit pénal incriminant le viol, la qualité
d’ascendant en étant une circonstance aggravante. L’article 333 du Code
pénal prévoit la peine des travaux forcés à perpétuité « si les coupables
sont de la classe de ceux qui ont autorité sur la personne envers laquelle ils
ont commis l’attentat » ; les parents font partie de cette classe408. Si la
preuve d’un tel crime de viol avait été apportée, le procès d’assises se
serait joué crime contre crime.
Un autre ami de Violette, Jean Leblanc, soldat au 39e régiment d’aviation
CHR en garnison au Liban à Rayak, est entendu sur ses relations avec
Violette, par le juge d’instruction Gaston Guibert, au palais de justice de
Beyrouth.
J’ai eu en effet des relations avec Violette Nozière alors que j’étais élève
aux Arts décoratifs et demeurais caserne Henri IV. Ces relations qui se
placent dans la période comprise entre la mi-mai et la fin juin 1932409
étaient moitié celles d’un camarade, moitié celles d’un amant. […]
Violette au cours de ces relations m’a dit, sans que je ne lui demande
d’ailleurs rien à ce sujet, que son père l’avait violée et qu’il la
dégoûtait. […] Je précise d’ailleurs qu’en ma présence elle a répété à
plusieurs reprises les mêmes affirmations à d’autres camarades, tels
qu’Aimé Teissier et d’autres dont je ne puis maintenant préciser les
noms.
Ni moi, ni mes camarades nous n’avons cru d’ailleurs qu’elle disait la
vérité car Violette Nozière nous apparaissait avant tout comme une
fille bizarre éprouvant surtout le besoin de se vanter et de conter des
histoires invraisemblables et inventées par elle de toutes pièces.
J’ai connu Violette Nozière au Quartier latin où elle m’a été présentée
par mes camarades Aimé Teissier et Camus qui la fréquentaient avant
moi.
[… ] Je vous le répète, je ne croyais nullement en ses affirmations. […]
Quand Violette m’a dit que son père l’avait violée, elle m’a dit, sans me
donner d’autres détails, que cela s’était même produit à plusieurs
reprises. […] Elle m’a dit que cela s’était produit alors qu’elle était
« assez jeune », sans que je puisse préciser autrement.
Pierre Camus, qui fait montre d’un certain souci pour Violette, rapporte
fidèlement les propos qui lui ont été par elle tenus, Claude Joly dit son
scepticisme, Jean Leblanc ne croit pas un mot de cette accusation.
Un dessin de René Magritte
La plaquette surréaliste, par ses textes et ses dessins (deux d’entre ces
dessins font écart), se montre scandalisée par un « inceste » (César Moro)
imputable à Baptiste « le petit papa qui violait » (Benjamin Péret), « la
palme du crime » (Gui Rosey). Dans la préface pour la réédition de cette
plaquette, José Pierre souligne qu’en prenant fait et cause pour « la jeune
fille, [les surréalistes] se montrent fidèles à l’attitude qu’ils avaient
précédemment adoptée à l’égard de Germaine Breton et des sœurs
Papin410 ». Soit… pour autant les histoires s’additionnent moins qu’elles ne
se distinguent. Casuistique oblige.
Un dessin du peintre René Magritte fait un pas de côté dans cette quasi-
unanimité visant Baptiste Nozière d’une condamnation sans appel
(figure 11).
L’ambiguïté s’y trouve présente puisqu’on y voit une jeune fille câline,
assise sur les genoux d’un homme, l’embrassant tendrement ; la main de
cet homme est glissée sous la jupe de la jeune fille – leurs yeux sont
fermés. Les surplombant, la figure dominante d’un homme debout, en
chapeau haut de forme, serviette sous le bras, s’arrêtant devant cette scène
érotique, la fixant. Le peintre donne à ce dessin un titre moliéresque :
« L’impromptu de Versailles411 ». Ce spectacle nous est-il offert à l’instar
d’un spectacle offert au jeune roi Louis et à sa cour ?
Mademoiselle Molière. – Mon Dieu ! Madame, que je vous trouve le
teint d’une blancheur éblouissante, et les lèvres d’une couleur de feu
surprenant !
Mademoiselle du Parc. – Ah ! que dites-vous là, Madame ? Ne me
regardez point, je suis du dernier laid aujourd’hui412.
Pas seulement, car on aura lu le choix subtil de Magritte pour titre de son
dessin. « L’impromptu » dit d’abord en latin in promptu, ce qui est « en
évidence, sous la main » (Le Grand Robert). La main glissée de cet homme
sous la jupe de la jeune fille, et aussi cet homme embrassé par la jeune fille.
De là, le titre du dessin. Anne-Emmanuelle Demartini et Agnès Fontvieille
s’interrogent sur ce dessin :
Que dire alors de la gravure de Magritte ? En noir et blanc, elle
représente une jeune fille en blanc s’abandonnant, avec une confiance
toute « filiale », sur les genoux d’un homme en noir qui a sa main sous
sa jupe tandis qu’un autre homme, à chapeau melon (sans doute le
juge), gravé en noir, leur fait face, imperturbable413.
Puis, les coautrices passent, laissant là un blanc.
Presque une décennie plus tard le ton a changé, Anne-Emmanuelle
Demartini reprend la main, seule, et cette fois-ci porte le fer : « Quant au
dessin de Magritte, il dit crûment l’inceste commis impunément par le père
sous l’œil complice de la justice414. » Pourtant ce dessin produit un net effet
de décalage en ceci que la jeune fille, embrassant cet homme, est partie
prenante d’une érotique. On ne voit pas non plus où serait capté « l’œil
complice de la justice » dans ce dessin. Mais pour l’historienne, si le juge
est figuré « imperturbable415 », par Magritte, c’est précisément pour illustrer
cette complicité… Selon nous, cet homme portant chapeau haut de forme
est, en dépit de sa hauteur, arrêté face à une scène frappante par son
ambiguïté. Pour Le Grand Robert, est ambigu ce qui est à double entente. À
propos de l’entreprise des surréalistes faisant fond sur l’accusation de
Violette, Anne-Emmanuelle Demartini commente : « Loin du père en
majesté que le Code civil napoléonien a tracé, Baptiste est un père en
morceaux écartelé entre des visages divers et détrôné416. » Mort sot, sans
doute.
Figure 11

Sur une vérité de conviction


Déjà, en décembre 1934, Marcel Aymé dans une chronique publiée dans
l’hebdomadaire Marianne s’était montré particulièrement affirmatif.
Il est inutile de revenir sur le débat scandaleux qui aboutit, il y a deux
mois, à la condamnation à mort de Violette Nozières. On se rappelle
avec quelle unanimité dans l’hypocrisie fut escamotée la question des
relations incestueuses qui était le nœud de l’affaire. Le tribunal,
feignant qu’il n’y eût point là raison à se montrer indulgent, affirmait
sournoisement le droit du père de famille à user de ses filles, selon son
plaisir417.
Dans ce contre-réquisitoire, M. Aymé a laissé glisser sous sa plume le
syntagme de « relations incestueuses » qui fait de l’inceste un mode
relationnel relevant d’une érotique qui supposerait un assentiment de part
et d’autre, par contraste d’avec le viol dont le pivot est l’absence de tout
consentement.
Qu’il y ait eu « incestuous relationships », Sarah Maza n’en doute pas non
plus et porte un diagnostic médical : « Most of all, many elements of the
story coincide with what specialists describe as the psychology of incestuous
relationships. […] Above all, Violette’s symptomes and behavior correspond
very closely with those of sexual abused girls418. »
Si Anne-Emmanuelle Demartini présente son livre comme s’articulant
« autour des trois données que sont le parricide, l’empoisonnement et
l’inceste419 », si l’objet historiographique de son livre est l’étude de
l’imaginaire social d’une époque, celle des années 1930 (le livre lui doit son
sous-titre), son fil n’en est pas moins de vouloir avancer ce qui aurait été
l’indubitable de cette affaire. Quoi ? Lisons :
L’opacité des faits et des motifs pose de multiples questions, qui en
ouvrent d’autres, et comme emboîtés, les mystères s’enchaînent.
« Seule ? but ? vol ? liberté ? complicité et laquelle ? » énumère Le Petit
Journal illustré [du 8 septembre 1933], omettant curieusement l’inceste
paternel qui est pourtant l’interrogation essentielle et le nœud de
l’intrigue420.
L’historienne abat ses cartes, et porte pour hier et pour aujourd’hui une
accusation étendue :
L’affaire Nozière n’a-t-elle été qu’un épisode de plus dans l’histoire du
voile pudique dont les mentalités, ces « prisons de longue durée »
[Fernand Braudel, 1958], ont recouvert les agissements des pères – car
ce sont eux les protagonistes des incestes commis – et les plaintes de
leurs filles – car ce sont elles les principales victimes421 ?
Réponse :
L’espace public s’est […] trouvé saisi de l’accusation portée par Violette
grâce à la presse qui l’a relayée et qui, bon gré mal gré, a permis un
débat et l’a nourri : l’édifice construit par la conjuration du silence et le
consensus de dénégation sur la parole de la jeune fille violée par son
père s’est fissuré422.
Certes, Anne-Emmanuelle Demartini n’apporte pas la preuve de l’inceste
et ne conteste pas cette absence de preuve dans son livre. Mais c’est sa…
« conviction423 ». Une vérité de conviction.
Le crime substitut d’une parole impossible ?
Anne-Emmanuelle Demartini déroule le fil de sa conviction jusqu’à son
terme :
Le parricide a été le seul moyen que la jeune fille a trouvé pour sortir
de l’inceste. Mais si le crime a été le substitut d’une parole impossible il a
trouvé également sa nécessité dans une logique de révélation de
l’inceste. […] Le parricide du 21 août 1933 est le passage à l’acte par
lequel Violette s’est arrachée à l’inceste – en supprimant son père
agresseur et en punissant sa mère complice –, mais également à son
secret : devenir coupable pour se déclarer victime, tuer son père pour
dire l’inceste424.
Mettre en avant qu’un crime puisse être le substitut d’une parole
impossible à dire, qui n’aurait pas été dite, c’est à la fois faire trop de cas
de la parole et de ses effets et faire peu de cas de ce qu’est un acte.
Psychanalyse ou pas, cela relève d’un primat du symbolique dont la
doctrine a été dite en peu de mots et remarquablement par Jean-Bertrand
Pontalis : « L’acte prend la place des mots qui manquent425. » Non, l’acte
vient à une place restée vide jusque-là et qui n’est autre que la sienne –
explosive. L’acte en tant que tel excède la fonction de la parole dans le
champ du langage. Un acte est une expérience découpant dans une
existence un avant et un après. En quoi l’acte n’a pas la pâle valeur de
« substitut » que le primat du symbolique lui suppose. L’acte, le langage ni
ne le rattrape ni ne peut l’équivaloir. Les mots eux manquent toujours
(incomplétude du symbolique) et l’acte vient à sa place… d’acte, il vaut
pour lui-même. L’acte dans les risques qu’il implique est lui-même une
expérience (rare), non un substitut. Autrement dit encore : « Il n’y a pas de
“passage” à l’acte, le “passage à l’acte” est un concept fallacieusement
nommé. Il réalise quelque chose à quoi le langage ne peut en aucune façon
accéder426. »
S’est-il agi, pour Violette, par ses actes d’empoisonnement, de punir
Germaine ? Il est un moment, cela se lit dans le suivi de la scolarité de
Violette, où devant les absences répétées de sa fille, Germaine, qui n’a plus
été à même de les excuser (ce qu’elle fit longtemps et très tôt), est devenue
de plus en plus auxiliaire de son mari dans la surveillance étroite de
Violette qui, elle, ne cessait pas de s’émanciper. Il y a autre chose que cette
jeune femme pouvait reprocher à sa mère, c’est un manque de courage en
comparaison de ce que fut la liberté de Germaine jeune femme. C’est ainsi
que peut se lire l’impressionnant « Maman, tu n’es pas courageuse », dit
par Violette le 21 août au soir au moment de la prise des médicaments
(propos rapporté par Germaine le 25 septembre). Il ne s’est pas agi pour
Violette de punir sa mère, mais de la placer en mars puis en août 1933
(avec des demi-doses à chaque fois), devant le risque qu’elle a désormais à
encourir, faute d’avoir pu permettre à Violette de vivre sa vie à sa guise, de
sortir à sa guise.
Après le saut épique du 21 août, Violette Nozière garde ce silence qui a
tant frappé (et désobligé) les médecins-experts. Religieuse, sœur Saint-
Vincent, qui en a fait l’impressionnant constat à la prison de la Petite
Roquette, en témoigne autrement427. Violette s’est avancée dans une
expérience qui lui fait courir, à elle aussi, le plus grand des risques.
Cette même année 1933, à propos du double crime qu’elle commit avec sa
sœur sur leur patronne et sa fille, le 2 février au Mans, Christine Papin
déclare : « Je le répète, c’est la colère seule qui m’a fait agir ainsi. Du reste,
si j’avais agi autrement, je vous le dirais. Mon crime est assez grand pour
que je dise ce qui est428. » Le crime de Violette est assez grand pour qu’elle se
taise. À qui lui demandait si elle n’avait rien à ajouter à ses déclarations
dans la nuit du 28 au 29 août, Violette répondit : « Il me semble que j’en ai
assez dit429. »
Il est arrivé à Donald W. Winnicott d’adresser cette remarque peu amène
à des parents d’adolescents : « On pourrait dire quelquefois : “Vous avez
semé un bébé et récolté une bombe.” En fait, c’est toujours vrai, même si
cela n’apparaît pas toujours430. » Violette a fabriqué – pas seule – une
bombe et a échoué à ne pas la faire éclater au grand jour.

Un, deux – trois : passage du crime


Un écrit de Violette
Sur la suggestion de sa défense, Violette incarcérée rédige un écrit où
elle livre sa version de ce qui a eu lieu au soir du 21 août431. Elle commence
par évoquer son arrivée chez ses parents vers six heures et demie le lundi
21 août. Elle constate que les yeux de sa mère sont rougis par les pleurs,
que l’ambiance est tendue chez ses parents. Elle écrit avoir déposé la lettre
du docteur Deron sur la table de la salle à manger, ce dont sa mère ne s’en
souciant pas,
me montra alors diverses lettres qu’elle avait trouvées avec l’aide de
mon père dans ma bibliothèque d’écolière. La scène fut assez violente
mais ma mère, grâce à l’intervention indulgente de mon père, me
pardonna facilement. Mais mes parents et surtout ma mère
m’exprimèrent le désir de me voir écrire à mon ami [Jean Dabin] une
lettre dans laquelle je lui demanderai quelle attitude il escomptait avoir
à mon égard, mais je m’y refusai intensément.
Dans cet écrit, Violette réitère ses accusations contre Baptiste. La
question se présente d’avoir à prendre « la poudre », ou pas. Baptiste sort
avec Violette, l’option ayant été prise
d’aller téléphoner au docteur Deron et d’aller chez le pharmacien. C’est
alors qu’à 8 heures432, il me fit descendre avec lui, tenant le paquet de
poudre dans ses mains. En bas des escaliers nous rencontrâmes M. Joly
à qui mon père causa un quart d’heure environ433. Puis il me fit encore
des reproches et me demanda si c’était bien le docteur Deron qui avait
écrit cette ordonnance. Devant mon affirmation, il remonta sans se
rendre chez le pharmacien [nos italiques].
Vers le trouble
À l’appui de la défense de Violette et pensant fondée son accusation
contre Baptiste, Alberto Giacometti rédige un poème qui ne sera pas publié
dans la plaquette du groupe surréaliste434. Retrouvé, il est publié quelque six
décennies plus tard et daté « vers novembre 1933 » [italiques Alberto
Giacometti], il est accompagné d’une double esquisse435. Peu appuyée, cette
double esquisse montre de profil et allongé un visage de femme, bouche
ouverte. Au-dessus du visage un verre, seul. Ce verre est celui dans lequel
chacun a pris la poudre apportée par Violette. Le poème s’ouvre sur ce
vers :
Tendre tendre route de verre trouble […]
sexe verre trouble tendre de verre sexe […]
Le poème met l’accent sur le « verre » (deux fois nommé), la (double)
esquisse fait de même en isolant un verre. Avec cette datation du poème en
italiques « vers novembre 1933 », l’homophonie verre/vers permet de
compter jusqu’à trois. Ce sont les trois verres utilisés au soir du 21 août.
On conjecturera qu’il y a plus. Le second vers cité présente une autre
portée :
sexe verre trouble tendre de verre sexe […]
On le lira comme ce qui fut en jeu entre Violette et Baptiste, au moment
où Baptiste cède sur l’affirmation de Violette et remonte avec elle chez lui.
Violette est dite douce. Baptiste s’est laissé troubler, la scène est sexuée
sexe verre trouble tendre de verre sexe ; sexuée, elle n’est pas sexuelle. Des
regards se croisent.
Première fuite folle
En fin de soirée, les poudres sont prises. Violette se trouve assez mal en
point, tandis que Germaine, sortant de la cuisine, dit à Baptiste
commençant à s’assoupir d’aller se coucher dans la chambre. Baptiste lui
aurait répondu : « Fiche-moi la paix, je digère mal, je suis bien là, laisse-
moi dormir, dormir. »
Ma mère voyant cela et me voyant aussi malade et très pâle me dit de
me lever et d’aller me coucher dans la chambre. Je me levais donc et
l’aidais à étendre mon père sur le lit vers le mur. Je vis alors qu’elle
essayait de le déshabiller entièrement ou partiellement, je ne sais, mais
je puis affirmer qu’elle a enlevé les chaussettes, les pantalons. Je me
couchai dans la chambre où ma mère vint et me dit de ne pas me lever
de la nuit. Je vis qu’elle commençait à être incommodée, elle se
déshabillait et posait ses vêtements aux patères de l’entrée, puis
fermant le gaz et le compteur électrique elle se coucha vers mon père,
vers le buffet.
Que Germaine se soit couchée vers Baptiste, « vers le buffet », ce sont là
des formulations approximatives… Puis,
je restai dans le lit jusqu’à onze heures et demi et je dus me lever à
plusieurs reprises pour vomir. À onze heures et demie je me levai et
m’habillai comme une folle, mais avant de partir j’eus le courage
d’allumer la lumière, mon père et ma mère reposaient l’un à côté de
l’autre, ronflant. Je puis affirmer qu’il n’y avait alors aucune tache de
sang436, puis poussée par une force plus forte que moi ne me rendant
même pas compte des actes que j’accomplissais, je posai un rideau sur la
porte d’entrée […]. Puis fermant le compteur et la porte je m’enfuis
comme une folle [nos italiques].
Le surlendemain une terreur folle
Rentrant le lendemain à 2 heures du matin437, je ne pensais pas trouver
ma mère encore malade. C’est ainsi que n’entendant rien à l’intérieur
de la maison et redoutant un nouveau malheur, perdant complètement
la tête et n’osant allumer pour me rendre compte, j’ouvris les robinets du
gaz mais il ne me semble pas avoir débranché le tuyau [nos italiques].
Violette va alors frapper à la porte du voisin de palier, René Mayeul :
Puis au bout de dix minutes je frappai chez notre voisin. Celui-ci se
leva et entra dans l’appartement. Je ne voulais pas entrer dans la
chambre où ma mère, paraît-il, se trouvait et dans les pièces on ne voyait
aucunement mon père438. Aussi n’y comprenant plus rien, je fus prise
d’une terreur folle car mon voisin me disait que le lit de la salle à
manger était plein de sang. Enfin rassemblant le peu de courage qui me
restait, j’allai ouvrir la fenêtre de la chambre. Ma mère était alors
couverte d’un drap et elle me reconnut parfaitement puisqu’elle me
dit : « Violette, ton père est tombé par terre, je n’ai pas pu le mettre
dans le lit, ramasse-le et mets-le pour le calmer. » Je lui dis que c’était
fait et elle ajouta : « Non, je n’ai pas pu, je suis tombée aussi et suis
venue là et je n’ai pas eu la force ni le courage de me relever. » Ne
comprenant plus rien à ce qui se passait je m’enfuis de l’appartement
[nos italiques].
Reprenons. Le lundi 21 août au soir avant minuit, Violette écrit qu’elle
s’habille « comme une folle », que « poussée par une force plus forte »
qu’elle, il ne lui est plus possible de se rendre compte des actes qu’elle
accomplissait. Il ne s’agit pas de la prise des poudres de la fin de soirée.
Elle s’enfuit « comme une folle ». Un moment d’effroi, même bref, semble
l’avoir saisie.
Nous y lisons un exemple de cette remarque décisive de Jacques Lacan
selon laquelle « c’est une dimension commune de l’acte, de ne pas
comporter dans son instant la présence du sujet439 ». Mais de quelle non-
présence de sujet s’agit-il au moment de l’acte ? D’une modalité d’absence
du sujet qui ne lui permet pas, dans l’instant de l’acte, dans son moment
même, de se rendre compte à lui-même de ce qu’il accomplit. Il ne peut
s’adresser de compte rendu, ni se donner à lui-même le compte, du nombre
d’actes qu’il vient pourtant d’exécuter ou plus exactement d’actes qui
viennent de s’effectuer, ni en dire la modalité et la temporalité. Un acte est
passé. Seul ce qu’il laisse au sol fait preuve de son passage : le cadavre.
Dans cette même séance du 29 novembre 1967, Jacques Lacan fait une
incise sur la catégorie de nombre : « Le nombre n’est pas la multitude, car
il n’en faut pas beaucoup pour introduire la notion du nombre440. » À partir
du nombre et avec lui, il devient possible de compter. C’est ce que, de son
propre dire, Violette ne pourra faire dans le moment de ces actes qui
eurent lieu peu avant minuit, avant sa fuite folle du logement. Elle ne peut
raison garder. C’est là, au milieu des deux empoisonnements en cours, l’un
qu’elle veut mortel, l’autre sans conséquences, que le crime la prend. Alors
que, par contraste, tendant la poudre à ses parents, elle a encore la main,
peu avant minuit, elle a perdu la main, pas moins active ou activée. La
fuite dans la nuit du 21 août la fit quitter le logement « prise d’une terreur
folle » devant ce qui vient de s’accomplir. Quoi ? Le passage du crime. Ce
que nous aurons à déplier.
Dans la nuit du mardi 22 au mercredi 23, si Violette écrit s’être enfuie de
l’appartement, c’est pour fuir la scène du crime à laquelle elle ne peut faire
face, celui-ci ayant eu lieu. Cette nuit-là, elle a d’abord été accueillie chez
les Mayeul, puis une partie de la nuit chez la concierge. Le « s’enfuir » du
21 août avant minuit et le « s’enfuir » du 23 après une heure du matin ne
sont pas les mêmes.
« Des taches de sang existent également… »
À propos du logement des Nozière au surlendemain du crime tel qu’il se
présente dans la nuit du 22 au 23 août, Jean-Marie Fitère a cette simple
phrase, elle vient après un point-virgule : « des taches d’un rouge sombre
maculent la cloison, à la hauteur du lit », le lit pliant de Violette.
Remontons le déroulé de cette phrase :
En même temps qu’elle réalise son impuissance, Violette tressaille : les
draps, l’oreiller, la couverture, sont inondés de sang ; des taches d’un
rouge sombre maculent la cloison, à la hauteur du lit441.
Cette phrase de Fitère reste non lue car écrite comme en passant, son
auteur ne s’y arrêtant pas. Dans son rapport du 23 août, le commissaire de
police Gueudet fait état de taches de sang :
Ce lit est défait, le drap inférieur est couvert de sang sur toute la partie
qui recouvre le traversin. Des taches de sang existent également sur le
mur un peu au-dessus du lit [nos italiques] et sous le lit nous
remarquons deux flaques de sang assez importantes. C’est dans cette
pièce qu’a été trouvé le corps de M. Nozière. Sur le plancher nous
remarquons une chaussette d’homme, un caleçon et un suspensoir. À
un porte-manteau dans l’entrée sont accrochés une veste et un
pantalon […].
La chambre à coucher est meublée en principal d’un lit, une armoire et
une penderie. Le lit est défait, un oreiller taché de sang est sur le
plancher. Le drap inférieur porte sur la partie recouvrant le traversin
des taches de sang coagulé sur presque toute sa largeur ainsi que sur
les enveloppes d’un oreiller.
La [dame] Nozière était couchée dans le lit lorsqu’elle a été découverte.
[…]
Dans les pièces il n’existe aucun désordre extraordinaire442. Les meubles
sont à leur place, une chaise a été placée sur la table de la salle à
manger pour laisser la place nécessaire au lit pliant443, l’armoire est
convenablement rangée ainsi qu’une bibliothèque placée dans l’entrée.
Le commissaire note encore que Violette assiste à ces constatations. Elle
lui fait connaître qu’elle devait partir ce mercredi aux Sables-d’Olonne en
vacances, « avec la sœur du docteur Deron », le médecin qui la soignait.
Elle montre au commissaire « les deux valises qui étaient préparées pour
son départ et placées sur la bibliothèque ». Elle fait savoir au commissaire
qu’elle « considère le sieur Dabin comme son fiancé et qu’elle a écrit la
lettre présentée [au commissaire] à la demande de son père444 qui avait
trouvé la correspondance qu’ils avaient échangée et l’avait mise en
demeure de se faire fixer sur les intentions du sieur Dabin. » Le
commissaire se retire après avoir apposé les scellés sur la porte du
logement.
Alors qu’âgée de 14 ans, Simone Mayeul s’était introduite dans le
logement des Nozière, quelques décennies plus tard, elle dit son effroi sur
un point :
– Et alors là elle avait tapé son père. Il était lui, il était allongé dans la
salle à manger, il avait dû peut-être travailler de nuit, il s’était allongé
sur son lit à elle qui était un lit-cage et le long du mur [elle souffle] il y
avait du sang et puis des cheveux. Je m’en rappelle puisque moi ma
mère ne voulait pas que je regarde et puis comme toutes les gosses
quoi, j’ai voulu voir. Et il y avait des cheveux collés le long du mur par
le sang, elle l’avait tellement tapé que…
– Taper, vous croyez taper ?
– Ah oui oui oui oui elle l’avait tapé avec je ne sais pas quoi. Je ne sais
quoi.
– Ah bon ?
– Ah oui oui parce qu’il y avait du sang collé le long du mur puis les
cheveux qui étaient collés le long du mur, on voyait que c’était… du
reste la police l’avait dit quoi. Mais enfin je vous dis ça fait un drôle
d’effet. Croyez-moi pour une gamine et puis ça m’est resté ! [voix
vive]445.
On en déduit que la tête de Baptiste a été frappée plus d’une fois, alors
qu’il est allongé sur le lit pliant, contre le mur. On se dira aussi que le point
de déclenchement d’une terreur folle qui saisit Violette vient de ce
moment battant (figure 12).
Alors qu’il se trouve à l’hôpital Sainte-Anne le mercredi 23 août, le
commissaire Gueudet constate que, sur le livre des entrées à l’hôpital, il est
mentionné « que le sieur Nozière porterait à la tête une blessure par balle
de revolver ».
La configuration criminalistique pourrait être que la brutalité des coups
portés à la tête de Baptise fut telle, tête frappée contre le mur avec lequel
le lit pliant fait contrefort, que son visage en fut transformé, défiguré,
troué au point de faire accroire à une blessure par balle de revolver. On se
souvient que ce fut la conclusion de l’interne de service à réception du
corps à l’hôpital Saint-Antoine.

Figure 12

Sur la désubjectivation, d’André Gide à Marguerite Duras


Pour approcher cette notion de désubjectivation, nous partons de Jacques
Lacan et du sujet comme étant divisé446 – c’est son trait définitionnel – entre
énoncé et énonciation. Il arrive que cette division subjective se déploie au
point d’atteindre à une quasi-indivision dont les modalités sont multiples
sans être pour autant innombrables. Un moment de désubjectivation est
une levée fulgurante de cette division instable. S’agissant de crime, l’affaire
Charles, exposée par André Gide, permet de poser des jalons. Les faits
remontent au 13 mars 1912. André Gide siège en qualité de juré d’une cour
d’assises. À l’audience, on « se redit de banc en banc le nombre des coups
de couteau dont a été frappée la victime : le médecin en a compté pas
moins de cent dix ! La victime était la maîtresse de Charles, Juliette R…
[…]447. » Le médecin légiste, lui à froid, est à même de compter, un par un,
le nombre des coups portés et leur éventuelle profondeur. Et le plus
souvent, il surprend lorsqu’il rend compte du nombre très élevé des coups
portés. Le premier surpris est « l’auteur » des coups. Moyen de défense,
dira-t-on ; non, bonne foi.
Juliette R., par deux fois, s’est refusée à Charles, la veille et le soir du
crime. « Alors, comme elle ne voulait toujours pas, j’ai perdu la tête. J’ai
pris un couteau sur la table, près de moi ; je l’ai frappée au cou. Le couteau
me collait dans la main448. » « Perdre la tête » est formule courante qui dit
une modalité de désubjectivation (Violette l’utilise pour dire son moment
d’entrée dans le logement dans la nuit du 22 au 23 août). Pris au sérieux,
c’est un moment acéphale. Savoir ce que l’on fait s’en rétrécit, au point de
pouvoir quasiment disparaître. Charles peut-il se rendre compte des coups
portés ? Il répond : « Je ne me souviens que du premier coup. […] Quand je
me suis réveillé, Juliette était morte ; j’étais penché sur elle, il y avait du
sang partout449… » Charles « se réveille », ce n’est pas qu’il se soit endormi
auprès de sa belle, mais qu’il a été absenté. Si Charles ne peut se souvenir
que du premier coup porté et pas des cent neuf autres, c’est qu’il était
absent à ces cent neuf autres coups portés. Dans cette modalité d’absence,
un temps, il n’est plus sujet (divisé) – non plus qu’agent. Active, la pulsion
(Triebe450) colle à même la chair cette arme par destination qu’est devenu le
couteau de cuisine, prolongeant ce bras, armant cette main. Dans ce
désastre entre amants, bras d’une main armée destinée à meurtrir, et non à
tuer – ce dont l’avocat de Charles n’a pas su d’ailleurs s’aviser.
Alertée par les cris, la logeuse vient au secours de Juliette R. Le président
des assises :
Elle vous a vu la frapper avec une telle violence et une telle rapidité
que cela ressemblait, a-t-elle dit, usant d’une image frappante, au
timbrage des lettres dans les bureaux de poste451.
Le président : « Qu’avez-vous à dire ?
– Je ne me souviens pas de tout cela. […] J’étais abruti d’horreur452. »
Mais alors, où est Charles dans ce moment où les cent neuf coups de
couteau se portaient, selon une modalité et une rapidité postales qu’il ne
commandait pas ? Charles n’a pas à être compté pour rien, étant le support
consistant du passage du crime453. Agité tel un automate, tel est l’effet sur lui
du passage de la pulsion. La pulsion le traverse, déployant sa puissance. Si
l’on reprend les termes de Freud, on ajoutera que le crime est l’un des
destins de la pulsion.
En passant, les coups mortels absentent le sujet réflexif. Charles ne peut
pas à la fois avoir été absenté et pouvoir, en régime de conscience attentive
et calculante, savoir ce qu’il fait. De la capacité réflexive que l’on prête –
d’ailleurs généralement et généreusement larga manu – à la conscience, il
est affranchi. Comptable à ce moment, il ne l’est pas. L’amnésie qui le
frappe par après (« Je ne me souviens pas de tout cela ») est corrélat de
cette absence de sujet. Il ne peut se souvenir d’un lieu où il n’était pas. Ce
moment est celui d’un automaton. Un automate activé et agité par le
passage de la pulsion ensauvagée. Charles deux fois « syncopé », à la fois
de par la perte de conscience et par les coups portés : koptein en grec
signifie « frapper ». Peut-on entrapercevoir le lieu où cependant ne
pensant pas, il se trouvait ? C’est ce lieu où il fut érotiquement éconduit,
par lui éprouvé comme une insupportable maltraitance, il a pu ne pas
s’abstenir du premier coup porté. Les suivants, il ne les commande pas, il
est par eux gouverné. Il est un moment où le crime s’autorise de lui-même.
Le 16 octobre 1984, le corps du petit Grégory Villemin, âgé de 4 ans, est
retrouvé mains et pieds liés de cordelettes, dans les eaux de la Vologne.
Lépanges-sur-Vologne est une commune du département des Vosges. Le
5 novembre 1984, le cousin du père du petit Grégory, Bernard Laroche, est
inculpé pour l’assassinat de l’enfant, incarcéré puis remis en liberté le
4 février 1985454. Peu après, le 29 mars, le père de Grégory, Jean-Pierre
Villemin, assassine Bernard Laroche, dans un moment de reconstitution de
la scène du crime. Pour cet homicide prémédité, il sera condamné
pénalement, le 16 décembre 1993. Le 5 juillet 1985, la mère de l’enfant,
Christine Villemin, est inculpée pour l’assassinat de son fils. C’est à partir
de ce moment, et alors que la procédure judiciaire a cours, que Marguerite
Duras, sollicitée par le journal Libération, se rend sur les lieux du crime à
Lépanges455. Le mercredi 17 juillet 1985, Libération titre en énormes
caractères « Le droit à l’innocence ». Plus bas sur cette première page, on
lit : « Un texte de Marguerite Duras : sublime, forcément sublime Christine
V. », sublime dans ce crime même. L’article s’ouvre sur ces lignes :
Je ne verrai jamais Christine V. C’est trop tard. Mais j’ai vu le juge qui
est certainement celui qui est le plus proche de cette personne. C’est à
lui qu’elle aura parlé le plus. Il dit : « C’est affreux pour moi d’avoir à
l’inculper, d’avoir à en passer par ce moment-là. » Il dit que Christine est
intelligente, qu’elle est fine, spirituelle.
L’article se termine sur ces considérations :
Ce qui aurait fait criminelle Christine V. c’est un secret de toutes les
femmes, commun. Je parle du crime commis sur l’enfant, désormais
accompli, mais aussi je parle du crime opéré sur elle, la mère. Et cela
me regarde. Elle est encore seule dans la solitude, là où sont encore les
femmes du fond de la terre, du noir, afin qu’elles restent telles qu’elles
étaient avant, reléguées, dans la matérialité de la matière. Christine V.
est sublime. Forcément sublime456.
À l’endroit de Christine V. « devinée » par Duras, il n’y a sous sa plume
nulle pointe d’imputation. Mais elle donne à lire publiquement que la mère
a tué l’enfant, alors qu’une instruction judiciaire est en cours. Texte
fracassant457. Sublime ? Dans ce qu’il appellera son livre de philosophie,
Jean-François Lyotard, lecteur de Kant, écrit : « Kant après Burke reconnaît
d’autres sentiments sublimes que l’enthousiasme. Outre le respect bien sûr
et l’admiration, le chagrin aussi, der Kummer, fait partie des “émotions
vigoureuses” s’il a son fondement dans les Idées morales (Critique de la
faculté juger [1790] : 112458) ». La question se présente, si l’enthousiasme est
un mode extrême du sublime kantien, un crime serait-il un mode extrême
du sublime durassien ? Ce serait alors l’admiration de Duras face à
l’extrême d’un tel passage au crime459.
Le 3 février 1993, Christine Villemin fait l’objet d’un non-lieu. Le
11 juillet 2018, Jean-Michel Lambert qui fut, dès le départ, le juge
d’instruction chargé de l’information, et alors que celle-ci rebondit par une
initiative de l’institution judiciaire et conséquemment dans les médias – se
suicide. « Le suicide est avéré par une lettre dans laquelle il proclame une
dernière fois sa certitude de l’innocence de Bernard Laroche et déclare
n’avoir plus la force de se battre460. » À ce jour, cette affaire reste
judiciairement irrésolue et non clause.
Répondant au choc qu’a pu produire la publication de son article,
Marguerite Duras n’en reste pas là et va donner une remarquable leçon
clinique, largement passée inaperçue. Sa réponse s’adresse à une lectrice
du journal Libération.
Je crois comme vous, Isabelle C. que le crime de Lépanges est
inaccessible, tellement inaccessible que je crois que personne n’en est
l’auteur.
Même si quelqu’un l’a perpétré, il n’est pas l’auteur.
L’auteur du crime opère et se retire aussitôt de la main du corps de
celui qui reste.
C’est ce que j’ai dit dans cet article. […]
Dans le sublime fatras des religions anciennes, forcément sublimes, le
crime visite le criminel, opère à sa place et s’en va de lui, le laissant
parfois sans mémoire aucune de l’avoir commis461.
Mesure-t-on la portée de ces lignes ? Elles disent notamment que
l’auteur du crime au sens courant et juridique n’est pas l’auteur du crime.
Le criminel est au futur antérieur, il est celui qui aura été fait criminel.
Piégé d’avoir laissé le « visiteur » le traverser, l’emporter, commander bras,
mains, gestes, les coups mortels portés. L’auteur du crime est le crime.
Dans la veine durassienne, « le crime visite le criminel », hôte s’invitant,
l’auteur du crime est un « hôteur ». Le crime opère dans une puissance et
une fulgurance – c’est lui qui passe à l’acte – « et se retire aussitôt »
laissant celui dont il s’est emparé un temps bref, devenir, d’un coup et dans
l’immédiat après-coup, criminel ; alors même que le crime s’est déjà
absenté. Et restera introuvable, n’étant personne. Le juge d’instruction
peut bien instruire, le psychiatre examiner et diagnostiquer, le
représentant du parquet requérir, la cour siéger, le jury se retirer et
déclarer, le président de la cour énoncer le verdict – ce n’est pas le crime
qui se (re)trouve dans le box des accusés, mais celui ou celle qu’il aura
fait(e) criminel(le). Au moins en est-il ainsi pour ce que l’on appelle
« passage à l’acte », non pas au sens courant, mais au sens étroit. Le
criminel fait figure de qui aura été le support consistant, commandé, agité
dans les coups et à-coups qui détruiront un être. C’est ce qu’exemplifie
l’affaire Charles. Jacques Lacan, sans évoquer le crime, dit quelque chose
de proche lors d’une conférence à l’Institut français de Naples le
14 décembre 1967 : « Impossible de retrouver l’inconscient sans y mettre
toute la gomme, puisque c’est sa fonction d’effacer le sujet462. »
« L’inconscient » est ici un nom par quoi une « gomme-toute » efface un
sujet. « Effacement », « soufflage » sont des noms d’une désubjectivation.
Le passage du crime, cette gomme-toute, est moment de désubjectivation en
ceci qu’elle efface le sujet dans sa division. Sa division ? Celle du sujet qui,
sur l’iter criminis, serait à même de pouvoir faire demi-tour, de renoncer,
de s’abstenir. Ce sujet-là est effacé ; un temps, le temps du passage. Le
crime vient du lieu de l’Autre marqué par la pulsion, lieu d’une altérité
possiblement récurrente. Le crime, dans sa puissance d’effacement du
sujet, est séisme dans les positions subjectives de l’être. La criminalité est
ce moment de précipitation pulsionnelle fulgurante par quoi le crime
passe. N’étant personne, le crime ne passe pas à l’acte, il passe. Passage du
crime.
Une nuit parasexuée
À Rome, en 1974, dans « La Troisième », Jacques Lacan met l’accent sur
deux jouissances de son ternaire symbolique, imaginaire, réel. La dite
« jouissance phallique » qui est hors corps, et la dite « jouissance de
l’Autre », elle hors langage, hors symbolique. Celle-ci est « jouissance de
l’Autre en tant que parasexué » dit encore Lacan463. Le grand Autre est
parasexué. Qu’est-ce que le « parasexe » ? « Le nom de ce parasexe est
connu depuis Freud, répond Jean Allouch, c’est ce qu’il appelle pulsion464. »
Face au juge d’instruction, Violette fait part de ce que la pulsion est
engagée dans son acte d’empoisonnement : « Personne ne m’a poussé à le
faire », dit-elle. La « poussée » est le premier des quatre traits de la pulsion
freudienne. Cet acte d’empoisonnement, elle le présente comme sien, saut
dans son épopée. Cela pour l’empoisonnement.
Or, après celui-ci et avant minuit, dans de telles circonstances
transférentielles criminogènes, alors que le poison déjà agit, le crime se
présente. Qu’est-ce à dire ? Relisons partiellement la déclaration de
Violette à propos du lundi 21 août avant minuit.
À onze heures et demie je me levai et m’habillai comme une folle. Je
puis affirmer qu’il n’y avait alors aucune tache de sang, puis poussée
par une force plus forte que moi ne me rendant même pas compte des
actes que j’accomplissais, je posai un rideau sur la porte d’entrée […].
Puis fermant le compteur et la porte je m’enfuis comme une folle.
D’un rideau, l’autre. Ce rideau posé sur la porte d’entrée a pour but que
les époux Nozière dans leurs plaintes ne suscitent l’attention, voire
l’inquiétude des voisins Claudion et Mayeul dont les appartements sont
mitoyens du leur. Geste qui peut bien avoir cette fonction, il dresse aussi
comme un grand rideau mortuaire sur une mort attendue et désirée, et
sans doute une seule, celle de Baptiste.
À nouveau la pulsion joue sa partie : « puis poussée par une force plus
forte que moi », le moi n’en pouvant mais, perd son assise et aussi bien son
assiette, la pulsion l’emporte. « Ne me rendant même plus compte des actes
que j’accomplissais » : la pulsion vient de pendre un autre tour. Elle n’est
plus cette poussée nécessaire à l’effectuation des sauts épiques
préparatoires, puis des sauts épiques de mars et d’août. La pulsion épique
engagée pour ces deux derniers sauts n’est pas de même facture que celle
investie dans ce qui a eu lieu peu avant minuit lorsque Violette est face à
ses parents agonisants. Quoi ? Ceci que nous avons approché : dans le
passage du crime, rien ne passerait qu’une pulsion acéphale.
Ce que dit sans ambages Simone Mayeul de sa vision d’adolescente,
encore présente six décennies plus tard, celle du sang coagulé et des
cheveux collés de Baptiste le long du mur du lit pliant de Violette. Plus loin
dans la conversation précitée, Simone Mayeul revient sur ce point déjà par
elle évoqué :
Mais moi c’est ce qui m’est resté c’est cette mare de sang avec les
cheveux collés. Je m’en rappelle tellement ça, c’est une chose qui m’est
restée très très longtemps. Donc là je me suis rendu compte qu’il avait
fallu qu’elle tape vraiment dur, avec quoi j’en sais rien. Je ne m’en
souviens pas, je peux pas vous dire. Mais y a fallu qu’elle tape dur pour
que son père ait ses cheveux collés comme ça le long de… puis elle est
partie ! Et c’est en revenant qu’elle a appelé mon père : « Ah !
M. Mayeul » et puis elle avait une petite voix comme ça.
Tels seraient les actes gouvernant Violette dont elle ne peut plus se
rendre compte, en ce moment de passage forcené et fulgurant (hors sens) –
forcément sublime aurait pu dire Marguerite Duras à son propos – de la
pulsion (l’objet petit a selon Lacan). Dans ce moment, Violette frappe son
père – passage à tabac, tête frappée contre le mur en autant de coups, le
mur devenant l’arme par destination et en retour accusateur de par les
taches de sang qui le maculent.
Il y a aussi ce constat troublant qui fera l’avocat de Germaine
s’interroger sur cet autre point, les époux Nozière ayant été retrouvés
dévêtus : « Encore un autre problème : qui a déshabillé les époux
Nozière465 ? » Sa mère sera retrouvée nue, allongée sur le lit de sa
chambre466, une plaie sanglante à la tête de plusieurs centimètres. Germaine
a d’abord dit qu’elle s’était blessée en tombant, puis, très peu de temps
après, qu’elle avait été frappée. Cette nuit du 21 août, Violette aurait été
prise dans une « scène originaire » (Urszene467), celle de ses parents dans
laquelle elle se trouverait autrement incluse. Là, elle est battante. Cette
même année 1933, André Masson signe ce dessin épuré d’une scène
criminelle, publié par Georges Bataille dans Les Larmes d’Éros468 (figure 13).
Une transposition se dispose. Une femme allongée sur un lit, dénudée,
exposée – une figure masculine dressée, dominante, menaçante, écartant
un rideau d’une main, bras-main-pointe acérée ne faisant qu’un et qui a
déjà blessé. Au pied du lit un homme touché, les deux genoux à terre, se
tenant les bras pour se protéger. Étrange similitude, décalée, avec cette
scène peu avant minuit. Benjamin Péret : « Je voudrais te parler de cristal
fêlé hurlant comme un chien dans une nuit de draps battants469. » Passage
du crime.
Figure 13

Le lundi 21 août peu après minuit, s’enfuir et reprendre de l’air. Aller


respirer l’air nocturne du bois de Vincennes. Puis se rendre à pied à Paris y
prendre une chambre au grand hôtel de la Sorbonne où Violette ne
trouvera pas le sommeil. À sept heures et demie du matin, elle frappe à la
porte de son amie Madeleine Debize à qui elle ne souffle mot de ce qui a eu
lieu quelques heures auparavant.
Alors que le 21 août avant minuit, Violette vient de faire l’expérience du
passage du crime et ne peut plus (se) tenir dans cette pièce de la salle à
manger, le 23 août vers 2 heures du matin, elle ne peut faire face à la scène
du crime réalisé et « fuit » le logement. Devant le commissaire de police
arrivé sur les lieux, elle se montre « douce et nerveuse ». Elle sait aussi que
sa mère est vivante.
« Réfléchis Bien »
Le soir de son arrestation, Violette a dans son sac cette lettre qui se
révélera autographe et apocryphe. Elle estimait qu’elle s’était trahie devant
les jeunes gens rencontrés au Champ-de-Mars. Afin de donner quelque
crédit à son existence comme étant bien « Christiane Darfeuil », elle écrit
et porte sur elle une lettre d’une prénommée « Germaine », adressée à
« Christiane » :
Quiberon470, Samedi, 13 heures [non daté]

Ma chère Christiane,
Depuis 8 jours que nous sommes
séparées je m’ennuie, je n’ai pu trouver
une amie dans ton genre, tu me manques
terriblement et cela Folette [nos italiques] est de ta faute.
Si tu avais bien voulu tu aurais pu venir
avec moi en vacances. Que fais-tu de beau
dans ton Paris, tu m’as dit avoir rencon-
tré un jeune homme qui te plaît et que
tu aimes déjà un peu [nos italiques]. Est-ce sérieux
cela ? Je voudrais de plus amples détails.
Moi je n’ai trouvé personne, mon cher
Jean, ne peut s’effacer de mon cœur
et pourtant il faut que j’en prenne mon
parti. Écoute Falce [nos italiques] je voudrais pouvoir
t’empêcher d’aimer ce jeune homme,
car telle que je te connais, si tu te lances
à corps perdu dans cet amour, que
t’arriveras-t-il que peines et malheurs.
Toi-même en convient. Réfléchis Bien471
est la recommandation que je puis te
donner. Reçois, ma chère lenicni [nos italiques] mes
nombreux baisers.
Ton amie à toujours
Germaine
Reprenons. Violette porte désormais le nom de « Christiane Darfeuil » à
qui une amie « Germaine », en vacances à Quiberon, vient d’écrire une
lettre dans laquelle elle lui demande de ses nouvelles et lui donne des
siennes. Christiane manque « terriblement » à Germaine. L’expression
« ton Paris » est à la fois le Paris aimé par Violette et peut-être aussi le pari
qu’elle a engagé depuis plusieurs mois. Il y est question de leurs relations
amoureuses respectives. D’un « jeune homme » plaisant, récemment
rencontré et déjà « aimé » (un peu). Par contraste, Germaine se dit seule et
si son « cher Jean » (Dabin ?) ne peut s’effacer de son cœur, un impératif
commande pourtant cet effacement. Violette est-elle sur le point de
délaisser Dabin ?
Germaine s’adresse alors à Christiane par une invention de langue
« Écoute False » pour lui donner ce conseil d’amie de ne pas aimer ce jeune
homme, car la connaissant, si Christiane se lance à corps perdu dans ce
nouvel amour, il ne lui arrivera que « peines et malheurs ». Conseil
d’amie… : « False » est un nom pour la falsification. Dans son
cheminement épique, Violette ne cesse de tisser en inventions pures et
simples (mais pas à partir de rien) le riche roman familial qui contribue à
la rendre séduisante et à vivre la vie parisienne qui l’attire.
Apocryphe, cette lettre autographe est elle-même une falsification de par
les prénoms utilisés des deux amies, « Christiane » et « Germaine » avec
cette dernière le prénom de sa mère émerge. Violette a fabriqué un faux en
écriture privée/publique ; ses photographies sont dans la presse, elle le
sait, elle se sait recherchée par la police judiciaire.
« Folette » est cette autre invention de langue par laquelle Germaine
s’adresse à Christiane. Violette devait passer auprès de ses fréquentations
comme un peu folle, gentiment folle. Dans cette lettre « False » et
« Folette » prennent des majuscules, ces qualifications sont à la fois
enjouées et sérieuses. De Violette à Folette, six lettres sont les mêmes : Vie
Folle ?
« Christiane Darfeuil » est le pseudonyme que Violette s’est inventé.
« Darfeuil » est le nom de scène au cinéma d’Emma Henriette Augustine
Floquet (1906-1998) – Colette Darfeuil. Le film parlant entre dans les salles
de cinéma en 1929. Événement dont l’écho fut considérable. Entre 1930
et 1933, Colette Darfeuil joue dans une cinquantaine de films.
Cet emprunt pseudonymique de Violette est enté sur… la surdité de sa
mère. Devenue un peu dure de la feuille, Germaine devient sourde d’un
amour qu’elle ne peut plus entendre et reste sourde (partiellement ?) à la
libération à laquelle Violette ne cesse de prétendre et qu’elle met en œuvre,
à l’instar et autrement que ne le fit sa mère plus jeune.
Épelons cet assemblage de lettres : « lenicni ». La destinataire de la lettre
est saluée d’un mot quasi illisible. Une translittération étendue (dé-lire
encore) rend possible de le découper et de le supplémenter : le ni(d) c(e)
ni(d). Le nid ce nid. Le nid (son lit pliant) de ce nid (le petit deux-pièces
cuisine mansardé de ce sixième et dernier étage). Eh bien, quoi ? L’haine
(len) y (i) [est] [dans] ce nid – le nid familial devenu empoisonnant.
« Reçois, ma chère lenicni mes nombreux baisers. Ton amie à toujours. »
Mot de passe fabriqué entre deux amies, de Germaine à Christiane ; de
Violette à sa chère Madeleine Debize ; de Violette à Violette ?
Enfin, si cette lettre contient une recommandation à propos d’un nouvel
amour possible : « Réfléchis Bien », il est impossible de ne pas noter que
dans le contexte de ce mois d’août, ce moment réflexif, souligné deux fois
dans le corps de la lettre, a une autre portée et se trouve être surdéterminé.
Car, dans quoi Violette s’est-elle « lancée à corps perdu », si ce n’est dans
une épopée à très haut risque, qui pourrait finalement ne produire « que
peines et malheurs » ? Elle n’est pas sans le savoir. La recommandation
s’écrit : « Réfléchis Bien », souligné deux fois. « Bien » est écrit avec une
majuscule. Que la chose soit bien pesée. Cette recommandation se présente
comme un don (« que je puis te donner ») à soi-même. Dans sa longue
préparation qui court sur plus de huit mois, Violette a bien pu se faire à
elle-même dans un soliloque, cette recommandation : « Réfléchis Bien ». Sa
résolution n’a cessé de s’affirmer et d’être mise à l’épreuve au fil des mois.
Une épique folie
Dans le prolongement des années 1920, False/Folette sera activement
montée sur une ligne de crête qui se voulait ligne de fête. Après la « nuit
parasexuée », nuit sans sommeil, elle marche encore dans son Pari(s). Avec
Violette, « la revendication de la liberté prenait une allure vertigineuse472 ».
Une allure folle. Elle revendiquait de pouvoir sortir librement et que ses
parents cessassent de se comporter en surveillants interdicteurs.
L’invention de la sœur du docteur Deron n’avait pas d’autre fin que de lui
permettre de justifier aux yeux de ses parents certaines de ses sorties. Elle
voulait « sortir à sa guise », dit sa mère au juge. Liberté en folie, dit-on
plaisamment, sans toujours bien s’entendre. Alors arrêtons-nous sur une
affaire aussi difficile et aussi essentielle en ce qu’elle concerne chacun,
l’affaire de la folie.
Dans un épais livre de plus de quatre cents pages et d’un parfait
classicisme prenant pour objet d’étude la conscience, Henri Ey, « fort du
savoir de la psychiatrie », soutient que la psychiatrie a pour objet « la
pathologie de la liberté. S’il n’y a pas de liberté humaine, il n’y a pas de
folie. Et s’il y a dans l’homme une possibilité de devenir fou (ou de rêver),
ce ne peut être que parce que l’organisation même de son être tout à la fois
implique et domine cette folie473 ». À cet endroit, dans un appel de note,
Henri Ey fait allusion à une discussion ouverte bien plus tôt entre lui et
Jacques Lacan à propos de la folie, le 28 septembre 1946 aux Journées
psychiatriques à Bonneval474 :
C’est sur ce thème que, depuis 1947, la discussion reste ouverte entre
J. Lacan et nous-même (ainsi qu’il le rappelle dans sa « question
préliminaire » à tout traitement de la Psychose. La Psychanalyse, vol. 4,
1958, p. 42) : « Pour nous, l’être de l’homme non seulement ne peut être
compris sans la folie, mais ne serait pas l’être de l’homme s’il ne portait
en lui la folie comme la limite de sa liberté ». La folie et l’existence sont
antinomiques, comme la mort et la vie475.
Fin de la note. Mais une embrouille vient de s’écrire. En effet, Ey a ajouté
une phrase de son cru dans la citation de Lacan, non signalée au lecteur,
celle-ci :
La folie et l’existence sont antinomiques, comme la mort et la vie.
Lorsqu’en 1958 Lacan s’autocite, sa phrase est restée la même :
« Et l’être de l’homme, non seulement ne peut être compris sans la
folie, mais il ne serait pas l’être de l’homme s’il ne portait en lui la folie
comme la limite de sa liberté476. »
Déclaration à laquelle dès son intervention de 1946, il avait apporté une
immédiate correction qui vaut rupture avec sa propre sévérité, (id est la
folie comme limite de la liberté) :
Et pour rompre ce propos sévère par l’humour de notre jeunesse, il est
bien vrai que, comme nous l’avions écrit en une formule lapidaire au
mur de notre salle de garde : « Ne devient pas fou qui veut477 ».
Le propos est sévère d’affirmer que la folie est limite de la liberté de
l’homme, et non l’une de ses expériences subjectives décisives où sa liberté
est convoquée. Moment d’un passage qui se présente et insiste. Or, c’est
sur le « propos sévère » que Ey va faire fond en ajoutant la phrase
conclusive de son cru, situant la folie du côté de… la mort. Alors que Lacan
va jusqu’à avancer dans ses « Propos… » tenus à Bonneval cette notation
clinique :
Loin qu’elle [la folie] soit pour la liberté une « insulte », elle est sa plus
fidèle compagne, elle suit son mouvement comme une ombre478.
Cette phrase a été lue par Michel Foucault qui, sans citer Lacan, part
d’elle et l’accentue :
J’ai l’impression, si vous voulez que, très fondamentalement, en nous,
la possibilité de parler, la possibilité d’être fou sont contemporaines, et
comme jumelles, qu’elles ouvrent sous nos pas la plus périlleuse, mais
peut-être aussi la plus merveilleuse ou la plus insistante de nos
libertés479.
Autant dire que folie et liberté sont convocables ensemble. Sœurs
jumelles (é)prises d’une liaison érotique. L’une ne prend pas son allant et
son allure sans que l’autre ne lui soit associée – et nécessaire. La liberté,
dans son mouvement, rencontre la folie dans l’étendue subjective qu’elle
est à même de déployer. Elles s’affrontent ensemble à un espace à ouvrir
dont l’urgence croît. Il y a donc quelque chose à faire. Insistante liberté, et
pas moins périlleuse, en effet. C’est l’épopée Nozière.
Avec Foucault, le doublet folie/liberté se configure d’un ternaire
folie/liberté/courage. Ce sont là trois traits épiques coprésents.
Violette s’est située à cet endroit le plus périlleux. « Folette/False ». Libre,
et folle en cette liberté. Folle, et libre en cette folie. La survenance de la
folie est serve de la liberté au déploiement de laquelle elle peut s’avérer
nécessaire. Distinctes, elles se rejoignent sans se superposer, l’accueil de la
première comme l’exercice de la seconde requérant encore la vertu du
courage. Convoqué lui aussi, si le courage venait à manquer, les deux
fidèles compagnes se trouveraient déroutées. Le risque pris repose sur ce
nouage à trois. Liberté, folie, courage, autrement dit : « N’est pas fou qui
veut. » Érotique, l’enjeu est de se libérer d’un intolérable asservissement.
Sans quoi Foucault n’aurait pas pu dire de la folie qu’elle « ne file pas à
travers le monde comme une bête furtive dont la course serait arrêtée par
les cages de l’asile. Elle est, selon une spirale indéfinie, une réponse tactique
à la tactique qui l’investit480 ». Abord stratégique de la folie. Et si nous
avançons la casuistique de la folie à propos de Violette Nozière, c’est en
considération de la modalité du mouvement de libération dans lequel elle
s’est investie, « à pleine voile » aurait pu dire J. Lacan481. Ce qui est énoncé
dans une tranchante simplicité par Patricia Janody quand elle interroge :
« Qu’est-ce que c’est, devenir fou ? On pourrait dire, par exemple, ceci :
c’est avancer complètement à découvert482. » La folie Violette, c’est ça,
s’avancer quasiment à découvert, allant au bout de son péril. Sans fléchir,
tout en réfléchissant encore le jour même du second saut épique ; puis se
laissant emporter par le passage du crime.
Lacan :
Si j’avais – ce qui évidemment ne peut me venir à l’idée – si je devais
localiser quelque part l’idée de liberté ce serait forcément dans une
femme que je l’incarnerais, une femme pas forcément n’importe
laquelle puisqu’elles sont « pas-toutes » et que le « n’importe laquelle »
glisse vers le « toutes »483.
Violette n’est « pas toute » à ses amants, pas toute à Jean Dabin. Elle est à
sa libération.
Une sagesse populaire dira : « On s’en va mais on ne fait pas des trucs
comme ça. » Déjà, Drieu la Rochelle s’était exprimé en des termes un peu
différents : « Violette Nozières a plutôt imaginé tuer ses parents que de les
quitter484. » Dans l’impossibilité à quitter le domicile paternel sur un mode
autre que cette épopée à très haut risque aura résidé sa folie. Un moment
de folie. Si les médecins-experts avaient retenu cette folie, l’institution
judiciaire pénale aurait eu à se dessaisir dès la phase de l’instruction. Les
portes de l’asile d’aliénés se seraient ouvertes pour se refermer sur
Violette ; peut-être pour un temps court, ce moment de folie étant tombé.
André Breton l’aurait-il attendu à la porte de l’asile, un bouquet de roses
rouges à la main ? Ce n’est qu’au moment de sa demande de réhabilitation
en 1953, qu’il signa dans la revue Médium un billet emporté en sa faveur485.
Le jeu d’une alternative
Dans Nouvelles Remarques sur le passage à l’acte, Jean Allouch part de la
réécriture lacanienne du cogito cartésien. Cette réécriture opère un
démembrement partiel du cogito ergo sum : « Là où je pense, je ne suis pas,
là où je ne pense pas, je suis486. » Les Nouvelles Remarques sur le passage à
l’acte montrent que la distinction entre saut épique et « passage à l’acte »
vient se loger dans cette alternative. « Là où je pense (saut épique), je ne
suis pas ; là où je ne pense pas (passage à l’acte), je suis487. » D’autres
histoires de crimes le montrent, l’une est celle de Marcel Redureau – qui
fut à sa façon à André Gide ce que fut Pierre Rivière à Michel Foucault488 –
le massacre de familles ressortit pour le premier de passages à l’acte sans
préméditation, et pour le second d’une épopée de grand format politique.
Pierre Rivière s’adresse à « ce beau siècle qui se dit de lumière, cette nation
qui semble avoir tant de goût pour la liberté et pour la gloire, obéit aux
femmes489 ». L’enjeu de grande politique et l’enjeu érotique sont explicites,
dans ses pas il hésitera pour choisir le moment le plus propice. Il revêt ses
habits du dimanche, une affaire aussi sérieuse appelait cet investissement.
Les sauts épiques de Violette relèvent d’un « Je pense, là où je ne suis
pas. » Explicitons en une prosopopée Violette : « Là où je pense pour ma
libération de jeune femme à faire disparaître de la scène parisienne mes
parents immontrables, je ne suis pas celle qui d’un patricide poursuivi et
matricide risqué, s’abstiendra. » Éclat de l’épopée.
Mais là où le 21 août avant minuit s’entraperçoit la tête de Baptiste
ensanglantée, défigurée car battue à mort contre le mur du lit-cage, c’est
d’un « passage à l’acte » dont il s’agit. Il n’a pas été prémédité, nous avons
avancé le syntagme de passage du crime. En ce moment précis, la
formulation change dans ce qui serait la prosopopée Violette si elle
pouvait être dite : « Là où je ne pense pas – d’une pensée qui se pense
(d’une pré-méditation prolongée) – je suis ; je suis celle qu’un “père” a cru
pouvoir surveiller-injurier-insulter-frapper. » C’est le moment de marquer
que ce « je ne pense pas » n’est pas une absolue absence de pensée (ce que,
par exemple, l’affaire Redureau confirme). Une fulgurante remémoration
est ici possible dans l’esprit de Violette. Laquelle ? Celle, sur ce même sol
des actes d’empoisonnement, de la scène traumatique des coups et injures
portés le 15 décembre 1932, surgissant, tout à coup, dans un flash-back, ce
21 août avant minuit. Tel un éclair.
Nous tenons les coups portés par Baptiste sur Violette comme un abus
caractérisé. Un abus sexuel. Frapper une femme en raison de sa sexualité
équivaut à un viol – pour user d’une formulation anachronique. La
fulgurance du 21 août au soir avant minuit n’est pas la réplique du
16 décembre 1932, celle de la lettre écrite à l’encre rouge par laquelle
Violette annonce son suicide pour 4 heures de l’après-midi. Si cette lettre a
produit un effet d’affolement sur les parents Nozière, elle a pu ne pas être
lue par eux comme un avertissement qui leur était adressé. La scène du
21 août avant minuit est celle de coups retournés et redoublés portés à la
tête de Baptiste, sans doute jusqu’à l’épuisement de la pulsion en son
passage. On sait que Violette a dit, à plusieurs reprises, que son père
souffrait d’une congestion cérébrale dont il pourrait mourir…
À l’instar de Charles, Violette se souvient-elle du premier coup porté
mais non des suivants ? Dans ceux-ci, Violette est effacée par le passage du
crime – moment de désubjectivation. Peut-être en a-t-il été ainsi d’emblée
pour le jeune Marcel Redureau (le 30 septembre 1913490) voulant le premier
coup asséné à son patron et aussi pour le jeune Pierre Rivière (le 3 juin
1835491) qui écrit : « je redoublai mes coups492 », sans rien (pouvoir) ajouter
dans son mémoire. Il est donc un moment où le crime, alors même qu’il a
été prémédité, vire au passage à l’acte, soit au passage du crime qui ne se
soucie pas de qui est support automatisé des coups portés, redoublés. Le
crime passe dans son impersonnalité. S’agissant du tabassage de Baptiste,
tête ensanglantée, on a d’abord cru à une blessure par arme à feu. À la
scène d’empoisonnement succède, sans immédiateté, mais aussi sans
tellement différer son surgissement : le passage du crime. L’espace d’un
instant le « sujet » disparaît comme sujet et dans cette indivision est fait
« indivis », conscience et réflexion étant très momentanément absentées.
À se reporter à la problématisation des deux analytiques du sexe avancée
par Jean Allouch, il se lit que le passage du crime relève de la première
analytique du sexe (celle de l’objet a), le saut épique relevant de la seconde
analytique du sexe, celle du rapport sexuel (qu’il n’y a pas493). Au registre
de la seconde analytique, l’enjeu est pensé et anticipé comme celui d’une
libération, passant par une possible épopée, ainsi pour Violette. Tel est son
« Je pense ». Sur le registre de la première analytique, c’est un ré-acte
fulgurant dont il s’agit où la pensée est si rapide qu’elle s’en trouve
presque aussitôt annulée, pas nécessairement ni absolument toutefois. Tel
est son « Je ne pense pas ». Pour le dire en termes strictement lacaniens,
dans le passage du crime, c’est petit a qui passe ; les trois dimensions du
symbolique, de l’imaginaire et du réel, étant dénouées, elles s’en trouvent
déliées, libres, follement libres, dans ce cas, pour petit a, c’est dans la
poche.
Le passage du crime – ni sujet (divisé), ni auteur (préméditant/préparant),
celui du langage courant et du droit pénal, ni personnalité (criminelle), ni
discours (prolongé), ni image (longuement contemplée) – suit, reprend,
redouble le saut épique sur un tout autre mode, le portant à un point de
fusion destructive. Il arrive que dans l’après-coup, redevenu sujet (divisé),
d’avoir été ainsi, un temps bref, « indivis », un sujet n’en revienne pas ; ne
s’en souvienne pas. C’est que comme sujet, il a été brûlé.
L’affaire Nozière, c’est lorsqu’un intolérable aura façonné une forme
épique dont le terme extrême est le passage du crime. Impersonnel, le
passage du crime subsume les sauts épiques itératifs antérieurs
d’amplitude variable – qu’il redouble et excède.
En… 1866, Le Petit Journal, quotidien républicain et conservateur, publie
un article de Timothée Trimm, récemment réédité sous le titre : « Frapper
une femme, c’est plus qu’un crime, c’est une lâcheté494 ». Plus qu’un crime ?
Mais alors quoi ? Ce à quoi Violette Nozière a répliqué est sans nom. Le
sans nom se dit encore innommable495. On se souvient que les coups portés
à faire trembler Germaine sont ce qui avaient justement manqué à
Violette, selon l’ancien avocat devenu académicien, Henry Bordeaux…
C’est le « Prologue de la tragédie », notait l’avocat de Germaine devant les
assises en pensant à la lettre de Violette annonçant son suicide dans la
Seine. A-t-il mesuré la portée des coups portés la veille par Baptiste sur
Violette ; qu’est-ce que Germaine a pu lui en dire ?
Ainsi les choses se sont-elles disposées, ainsi nous les comptons : Un,
deux – trois : un, pour la tentative d’empoisonnement du 23 mars au soir ;
deux, pour l’empoisonnement du 21 août dans la soirée – trois, pour le
passage du crime ce même jour peu avant minuit.

248. La séparation intervient donc autour de mars 1908. Germaine ne rencontre Baptiste à Paris
qu’en juin 1913. Ils sont voisins d’un sixième étage au no 10 bis de la rue Montgallet dans le 12e
arrondissement de Paris.
249. Le décès est transcrit au registre des actes de décès de la mairie de Neuvy-sur-Loire : « Le
13 décembre 1921, le tribunal civil de Cosne déclare constant le décès de L. Arnal, sergent au 346e
Régiment d’Infanterie, “Mort pour la France au secteur de Verly (Aisne), inhumé commune de
Chézy (Aisne) le 16 juin 1918”. »
250. Me Boitel, Plaidoirie, op. cit., p. 277.
251. J.-M. Fitère, op. cit., p. 13.
252. S. Maza, op. cit., p. 10.
253. A.-E. Demartini, op. cit., p. 190.
254. Pascal Quignard, La Nuit sexuelle, Paris, Gallimard, 2007, p. 86.
255. Source : notice Wikipédia Violette Nozière, Référence 4.
256. Loi « Jourdan », 19 fructidor an VI (5 septembre 1797). Cité par Bertrand Blandin, 1914, la
France responsable ? Les secrets de la déclaration de guerre, Paris, L’Artilleur, 2016, p. 123. Réponse ?
Oui, de manière écrasante. L’auteur évoque l’esprit de vengeance du président de la République,
Raymond Poincaré, à « raison » de la défaite des armées françaises en 1870 face à la Prusse. L’esprit
de vengeance relève d’un manque absolu d’esprit. Nietzsche stigmatisait ce manque d’esprit par un
mot par lui prélevé dans la langue française et qu’il ne traduisait pas : ressentiment.
257. Notice Wikipédia précitée.
258. Philippe Forest déplie : « Une telle mort – fût-elle naturelle – est toujours un crime. […] En
ce sens, lorsqu’un enfant perd la vie, quelles que soient les circonstances, c’est toujours au même
infanticide qu’assiste l’espèce humaine tout entière. » P. Forest, Le Roman infanticide : Dostoïevski,
Faulkner, Camus. Essais sur la littérature et le deuil, Nantes, Éditions Cécile Defaut, coll. « Allaphbed
5 », p. 76.
259. Jean Allouch, Érotique du deuil au temps de la mort sèche [1995], Paris, Epel, avec un texte de
Silvio Mattoni, « L’échec de la pudeur », 3e éd. 2011, p. 25.
260. Ses métiers ont été domestique, cultivateur, boulanger, aubergiste.
261. Georges Ribeill, La Révolution ferroviaire. La formation des compagnies de chemins de fer en
France (1823-1870), préface de Jacques Fournier, Paris, Belin, 1993.
262. J.-M. Fitère, op. cit., p. 13.
263. A.-E. Demartini, op. cit., p. 189 et 190.
264. Émile Zola, La Bête humaine [1889-1890], préface de Gilles Deleuze, éd. présentée, établie et
annotée par Henri Mitterrand, Paris, Gallimard, 1977 et 2001, pour l’établissement du texte et pour
le dossier, coll. « Folio classique ». Ce sera le titre d’un film de Jean Renoir inspiré du roman de Zola.
265. Paul Nizan, Antoine Bloyé [1933], préface d’Anne Mathieu, Paris, Grasset, coll. « Les Cahiers
rouges », 2005.
266. Jean des Cars, Dictionnaire amoureux des trains, dessins d’Alain Bouldouyre, Paris, Plon, 2006,
p. 141.
267. Georges Bataille, Les Larmes d’Éros, Paris, Pauvert, coll. « Bibliothèque internationale
d’érotologie », 1961, p. 59.
268. Nous en restituons la mise en page et en respectons l’orthographe.
269. Baptiste vise à la fois son père et sa belle-sœur Véronique.
270. A.-E. Demartini, op. cit., p. 234.
271. Ibid., nos italiques.
272. Copie de l’acte de mariage du 11 janvier 1913, archives départementales de la Haute-Loire.
Certes, il arrive que le premier prénom à l’état civil ne soit pas le prénom d’usage. Nous n’avons à
cet égard nulle indication.
273. J. Allouch, Érotique du deuil au temps de la mort sèche, op. cit., p. 61.
274. A.-E. Demartini, op. cit., p. 234.
275. Pour le lecteur de L’Abeille brivadoise : « Le grand-père Nozières révèle que pendant les 15
jours où sa petite-fille est restée seule avec lui elle “sautait tous les soirs, par la fenêtre de la maison
vers les 10 heures” », dans « Au pays de Violette Nozières. Une enquête de “L’Abeille” sur
l’empoisonneuse parricide. La jeune criminelle à Prades-Saint-Julien », samedi 2 septembre 1933.
L’Abeille brivadoise est un journal républicain d’intérêt local, un organe de l’union des partis de
gauche.
276. Ce refus en forme de silence a été suivi d’une lettre de Germaine restée sans réponse. Ce qui
montre l’insistance des parents Nozière.
277. Figaro du 13 septembre 1933, p. 2.
278. Françoise Héritier, Les Deux Sœurs et leur mère. Anthropologie de l’inceste, Paris, Odile Jacob,
1994, p. 354.
279. Gérard de Nerval, Les Filles du feu suivi de Aurélia [1885], éd. Béatrice Didier, Paris,
Gallimard, coll. « Folio classique », 1972, p. 360.
280. « ds » : nous lisons « déesse ». Aurait été glissée dans la lettre de J. H. son admiration pour la
« divine » Germaine… Comme une indication sur le charme émanant de la mère de Violette.
281. Nous en respectons la mise en page, la ponctuation et l’orthographe.
282. Conversation du 24 octobre 1997, précitée.
283. Le 8 octobre 1933, le brigadier-chef Goret remet au juge d’instruction le résultat d’une
commission rogatoire. Titre du rapport : « Renseignements généraux sur l’inculpée dans les
différentes écoles et lycées qu’elle a fréquentés ».
284. Sophie Germain (1776-1831), autodidacte, mathématicienne et physicienne, devra prendre un
pseudonyme masculin (Antoine Auguste Le Blanc) pour pouvoir être prise au sérieux… C’est à la fin
du xixe siècle que cette école primaire supérieure pour jeunes filles prend le nom de « Sophie
Germain ».
285. La scène du 15 décembre est abordée dans la section « Coups portés », partie I, p. 21.
286. Me Boitel, Plaidoirie, op. cit., p. 280, 281 et 284.
287. C’est l’objet de la section « Sur l’accusation de Violette », partie III, p. 242.
288. J.-M. Fitère, op. cit., p. 47.
289. Camille Benyamina et Eddy Simon, Violette Nozière. Vilaine chérie, Paris, Casterman, 2014.
290. « Céphalogie » est une presque invention terminologique de Violette, existe « céphalalgie ».
Depuis la chute de la locomotive du 14 juillet, Violette sait que son père a des maux de tête.
291. Pour Baptiste, le temps de la retraite du métier trépidant de mécanicien de locomotive à
vapeur a sonné.
292. Le prénom du docteur Deron serait « Henri », voir Jean-Marie Fitère, op. cit., p. 60. S. Maza,
op. cit, p. 84. A.-E. Demartini, op. cit., p. 387 (index). Les archives de police et de justice ne le
prénomment pas. Violette a écrit « René », une perspective de renaissance, aussi pour sa mère ?
293. Pour une présentation d’ensemble de la réécriture lacanienne du cogito cartésien et sur ce
que J. Lacan problématise à ce titre sous l’appellation du « vel de l’aliénation », voir François
Balmès, Structure, logique, aliénation. Recherches en psychanalyse, Toulouse, Érès, coll. « Scripta »,
2011.
294. Sur la définition lacanienne de l’impuissance non pas comme « ne pas pouvoir » mais comme
« pouvoir ne pas », voir J. Allouch, Louis Althusser récit divan. Lettre ouverte à Clément Rosset à
propos de ses notes sur Louis Althusser, Paris, Epel, 1992, p. 13.
295. Germaine ajoute : « Nous avons remarqué que Violette portait au cou des égratignures et lui
en avons demandé la cause. Mais elle ne nous a fourni aucune explication » (audition du
25 septembre). Confrontée à des risques, Violette sait se taire.
296. Nous reprenons et prolongeons l’analyse de ce moment dans la section « Un, deux – trois :
passage du crime », partie III, p. 257.
297. Yan Thomas, La Mort du père. Sur le crime de parricide à Rome, avant-propos de Maurice
Godelier, Paris, Albin Michel, coll. « Bibliothèque Idées », 2017, p. 44.
298. Y. Thomas écrit : « En effet, la situation des hommes libres alieni iuris est, au sens propre du
terme, aliénée et suspendue à l’attente de l’événement – la mort de leur père – qui les fera sui iuris à
leur tour », ibid., p. 52-53.
299. Dans une autre affaire, Pierre Legendre note : « la non-limite du père-potentat équivaut à
l’annulation du père ». P. Legendre, Leçons VIII. Le Crime du caporal Lortie. Traité sur le Père, Paris,
Fayard, 1989, p. 110. Dans ses leçons, P. Legendre promeut la notion juridique civiliste de
« filiation », d’où sa définition du meurtre : « Un fils tue un fils » (p. 118). Mais pourquoi promouvoir
cette catégorie de « fils » ? Serions-nous fondamentalement des fils de l’un et l’autre sexe, croyant
au Père majuscule ? « Fils » (généalogie) ou « fils » (tissage) ? Au champ freudien les fils sont issus
d’Éros.
300. Jean-Claude Milner, La Puissance du détail. Phrases célèbres et fragments en philosophie, Paris,
Grasset, coll. « Figures », 2014, p. 69.
301. Ibid.
302. Ibid., p. 79.
303. On considérera que le 21 août au soir, cette volonté inébranlable, rendant l’acte
d’empoisonnement effectif, est un premier moment de désubjectivation en ceci que la suspension de
la division du sujet (son possible pas d’hésitation, voire son pas de renoncement, son demi-tour) est
condition de possibilité de l’acte. Par contraste, Hamlet accomplissant le meurtre de Claudius
« malgré lui » n’est pas désubjectivé, « au sens où l’absence du sujet est constitutive de son acte ».
Voir J. Allouch, Érotique du deuil au temps de la mort sèche, op. cit., p. 224.
304. Propos rapportés par Germaine le 25 septembre 1933 dans le cabinet du juge d’instruction.
305. Violette et Dabin datent leurs premières conversations du mois de juin ; Georges Legrand dit
Willy indique « vers le mois de mai ».
306. Sigmund Freud, Le Roman familial des névrosés et autres textes [1909], préface de Danièle
Voldman, traduit de l’allemand par Oliver Mannoni, Paris, Payot & Rivages, coll. « Petite
bibliothèque Payot », 2014, p. 38, nos italiques. Dans OCF/P, VIII, p. 251-256.
307. Rapport Gripois-Verrier du 24 août 1933.
308. Voir « La lettre de “Germaine” à “Christiane” », partie II, p. 73.
309. S. Maza, op. cit., p. 72-83.
310. Procès-verbal Gripois/Verrier/Lelièvre des 24 et 28 août 1933.
311. Pierre Legendre note : « L’adoption, transmise à l’Occident par le droit romain, définit une
forme élective de filiation. […] Notons l’importance historique de la théorie de l’adoption, mal
adaptée à des systèmes sociaux qui conçoivent le comput généalogique d’après le lien du sang,
comme ce fut le cas de l’Europe médiévale, lors du tournant scolastique. Le droit civil s’en étant
détourné, c’est la théologie qui, pour le christianisme latin, devait développer la doctrine du lien
adoptif (cf. la théologie du Rachat par le Christ). » P. Legendre, L’Inestimable Objet de la
transmission. Étude sur le principe généalogique en Occident, Paris, Fayard, 1985, p. 339. L’autre nom
du Rachat est la Rédemption (Redemptio). L’enfant adopté est enfant rédimé.
312. « Le drame et le procès » vus par Colette, L’Intransigeant, 13 octobre 1934, no 2007, p. 1. Pierre
Lamblin couvre l’audience pour le quotidien (p. 7).
313. J. Lacan, séminaire L’Envers de la psychanalyse, séance du 17 juin 1970, texte établi par J.-
A. Miller, Paris, Éditions du Seuil, 1991, p. 209.
314. Alexandre Kojève, Essai d’une histoire raisonnée de la philosophie païenne, tome II, Platon-
Aristote, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des Idées », 1972, p. 61.
315. Alain Badiou, « Science, solipsisme, sainteté. L’antiphilosophie de Wittgenstein », Barca !,
o
n 3, « Lien social et solipsisme », 1994, p. 13.
316. J. Lacan, L’Envers de la psychanalyse, séance du 10 juin 1970, op. cit., p. 206.
317. Ibid., séance du 17 juin 1970, p. 209.
318. P. Quignard, La Nuit sexuelle, op. cit., p. 189.
319. Emmanuelle Retaillaud, « Années “folles”, “rugissantes” ou “dorées” ? Nommer les années
vingt », dans Dominique Kalifa (sous la dir. de), Les Noms d’époque. De « Restauration » à « années de
plomb », Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des histoires », 2020, p. 232.
320. Annie Goldmann, Les Années folles, Paris/Florence, Casterman/Giunti, coll. « xxe siècle »,
1994. Titre du chapitre v de ce livre.
321. Ibid., « Colette, une pionnière », p. 117.
322. Avec la publication de l’ouvrage collectif du journaliste Gilbert Guilleminault publié à
l’initiative de Paris-Presse : Les Années folles (Denoël, 1958), voir E. Retailllaud, « Années “folles”,
“rugissantes” ou “dorées” ? Nommer les années vingt », dans D. Kalifa (sous la dir. de), Les Noms
d’époque, op. cit., p. 240.
323. Yannick Ripa, préface à Victor Margueritte, La Garçonne [1922], Paris, Éditons Payot &
Rivages, coll. « Petite bibliothèque Payot », 2013, p. 14.
324. J. Allouch, Marguerite, ou l’Aimée de Lacan, op. cit., p. 211.
325. Raymond Radiguet, Le Diable au corps [1923], préface, bibliographie, chronologie par Bruno
Vercier, Paris, GF-Flammarion, 1986, p. 58.
326. Ibid., p. 80 et 81.
327. « Audace » est le mot du narrateur (p. 168).
328. A. Goldmann, Les Années folles, op. cit., « Coco Chanel, la magicienne », p. 124.
329. Florence Tamagne, Le Crime du Palace. Enquête sur l’une des plus grandes affaires criminelles
des années 1930, Paris, Payot & Rivages, 2017, p. 57-58.
330. Colette Godard, « Saga canaille », Feuilles, no 5, « L’entre-deux-guerres », 1983, p. 16.
331. Martin Pénet, Mistinguett. La reine du music-hall, Monaco, Éditions du Rocher, 1995, p. 545.
Chanson écrite par Albert Wilemetz et Maurice Yvain.
332. Cité en ouverture de Paris. Années folles. 100 photos de légende, Paris, Parigramme, 2018, p. 3.
333. Marguerite Duras, Le Ravissement de Lol V. Stein, Paris, Gallimard, coll. « Blanche », 1964.
334. Paris. Années folles. 100 photos de légende, op. cit., p. 67.
335. Pierre Frondaie, L’Homme à l’Hispano [1925], préface de Laure Bjawi-Levine, [2011],
Bordeaux, L’Éveilleur, 2017.
336. Ibid., préface : « Frondaie le magnifique », p. 10, 14 et 15.
337. Ibid., p. 133. Par deux fois, ce roman fut interprété au cinéma, en 1926 dans un film de Jean
Duvivier, en 1933 dans un film de Jean Epstein. Huguette Duflos tient le rôle de Lady Oswill dans le
film de J. Duvier. C’est à cette actrice et comédienne que Marguerite Anzieu portera le 18 avril 1931
à 19 heures, à la sortie des artistes du théâtre Saint-Georges, un coup de couteau. Voir J. Allouch,
Marguerite, ou l’Aimée de Lacan, op. cit., p. 198-202 et 382-394.
338. Dans l’article de François de Vivie, « Au rythme du charleston », Historia, hors série no 11,
« 1919-1939. La France entre les deux guerres, 1. 1919-1931. Les Années folles », 1968, p. 184.
339. Georges Sebbag, André Breton, l’amour-folie : Suzanne, Nadja, Lise, Simone, Paris, Jean-Michel
Place, 2004.
340. Dominique Marny, L’Amour fou à Paris. 1920-1940. Art et passion, huit couples légendaires,
D. Marny, préface : « Ils se sont tant aimés », Paris, Omnibus, 2018.
341. Cité par D. Marny dans la préface, ibid., p. 12-13.
342. J. Allouch, Marguerite, ou l’Aimée de Lacan, op. cit., p. 206-207.
343. Alain Vircondelet, Duras. Bibliographie, Paris, François Bourin, 1991, p. 83.
344. Pierre-Cyrille Hautcœur, La Crise de 1929, Paris, La Découverte, coll. « Repères », 2009, p. 107.
« Si la crise de 1929 n’est qu’un épisode d’une vaste “guerre de trente ans”, elle ne peut être
comprise en dehors d’une vision géopolitique de long terme. Elle apparaît alors comme déterminée
largement par les deux chocs majeurs qui affectent l’ensemble de la vie économique, sociale et
politique de l’entre-deux-guerres : la Grande Guerre et la révolution russe » (p. 8).
345. Photo rarement reproduite. Voir Christine Mattei, Crimes et criminels… des histoires à perdre
la tête, Lulu.com, 2005, p. 72.
346. Romi, Histoire des faits divers, conception artistique de Pierre Chapelot, préface de Maurice
Garçon, Paris, Éditions du Pont Royal/Del Duca/Laffont, 1962, p. 106-107. Dans ce livre, Romi ne
reproduit que partiellement la première photographie (visage et haut du buste). La seconde
photographie est la reproduction d’une photographie parmi la série prise par les services de la
préfecture de police de Paris, le lundi 28 août 1933.
347. Bruno Fuligni (sous la dir. de), Dans les archives secrètes de la police. Quatre siècles d’histoire
de crimes et de faits divers, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 2011, p. 133.
348. Le Crapouillot, dans une édition « Spécial photos défendues », nouvelle série, no 48, 1978, p. 5.
349. Man Ray, « L’Âge de la lumière », précédant « Portraits de femmes », Minotaure, no 3-4,
décembre 1933, p. 4 pour la photographie ci-dessus. Pour ces portraits de femmes, Man Ray signe
six photographies, Nadar quatre. Man Ray fait la photographie de couverture de la plaquette des
surréalistes, Violette Nozières, op. cit. : un N majuscule fracassé sur des bouquets de violettes.
350. Frédéric Mistral, Les Olivades, XV, cité par Pierre Gauthiez, Ce vieux Quartier latin, Paris,
Plon, « coll. Éditions d’histoire et d’art », 1936, p. 3.
351. Jean Paulhan, « La petite Violette », dans Les Causes célèbres, Paris, Gallimard, coll.
« Blanche », 1950, p. 27-28 ; réédité dans la collection « L’imaginaire », avec une préface d’Yvon
Belaval (1982). Le préfacier indique que lorsque J. Paulhan écrivit ce petit texte, Violette « n’est pas
encore criminelle » (p. 12). Aurait-il donc eu écho de Violette plus tôt ? Et dans quelles circonstances ?
352. Heinz Wismann, Penser entre les langues [2012], note de l’éditrice Hélène Monsacré, Paris,
Flammarion, coll. « Champs essais », 2014, p. 147.
353. G. de Nerval, Aurélia, op. cit, p. 303.
354. A. Scouffi, Au Poiss’ d’or. Hôtel meublé, op. cit., p. 260.
355. Conversation du 27 octobre 1997, précitée.
356. « Dans un coin de la cuisine, un gros briquet en forme d’obus, de calibre 37, avec lequel
Violette mit le feu au rideau. » Figaro du 13 septembre 1933, p. 1. Un grand briquet en forme d’obus,
est-ce une trace du frère cadet de Baptiste, mort au front dans la guerre de 1914-1918 sous les
bombardements allemands ?
357. J. Lacan, Les Quatre Concepts fondamentaux de la psychanalyse [titre initial de ce séminaire :
Les Fondements de la psychanalyse], séance du 29 mai 1964, texte établi par J.-A. Miller, postface de
J. Lacan (1er janvier 1973), Paris, Éditions du Seuil, 1973, p. 178.
358. Jacques Derrida, Otobiographies. L’enseignement de Nietzsche et la politique du nom propre
[1976], Paris, Éditions Galilée, coll. « Débats », 1984.
359. Voir Jean Bergès et Gabriel Balbo, Jeu des places de la mère et de l’enfant. Essai sur le
transitivisme, Toulouse, Érès, coll. « Psychanalyse et clinique », 1998, p. 18-19.
360. Georges Bataille, L’Anus solaire [1927, publication en 1931], suivi de Sacrifices [1936], Fécamp,
Nouvelles Éditions Lignes, 2011, p. 10.
361. « Questions-réponses surréalistes non retenues dans Documents 34 ». Les participants sont
André Breton, Benjamin Péret, Paul Éluard, Yves Tanguy et Alberto Giacometti. Voir A. Giacometti,
Écrits. Articles, notes et entretiens, op. cit., p. 502.
362. André Gide, Les Nourritures terrestres [1897], suivi de Les Nouvelles Nourritures [1935], Paris,
Gallimard, coll. « Folio », 1972, p. 44. Les italiques sont de Gide.
363. J. Pidault et M.-I. Sicard, L’Affaire Nozières. Crime ou châtiment ?, op. cit., p. 31.
364. Le père de Clémence, Alcime Hézard, âgé de 24 ans, est employé aux chemins de fer, sa mère,
Clémence Philomène Boutron, est âgée de 20 ans. La sœur de Germaine a pu prendre, comme
prénom d’usage, le second prénom de sa mère à l’état civil.
365. Un contrat de mariage a été établi. Joseph Desbouis, âgé de 27 ans, employé de chemin de fer,
frère d’Auguste Desbouis, est présent à la cérémonie de mariage.
366. Le Huron du 19 octobre 1933, p. 1.
367. A.-E. Demartini fait part de cette initiative d’Auguste Desbouis : « Germaine que son beau-
frère Desbouis a poussée à se constituer partie civile a été conseillée par Dupré, un collègue de son
mari, affilié lui aussi à la CGTU et qui l’a manifestement orientée vers Boitel », op. cit., p. 105.
368. « Un conseil de famille réuni le 23 septembre désigne Dupré, ami de Baptiste, comme tuteur
et Desbouis […] comme subrogé-tuteur » (ibid., p. 252). Si Violette est pénalement majeure à partir
de l’âge de 18 ans, elle est civilement mineure, la majorité civile s’atteignant à l’âge de 21 ans.
369. Colette, Journal intermittent, 1934, dans Romans-récits-souvenirs (1941-1949). Critique
dramatique (1934-1938), notices et bibliographie établies par Françoise Burgaud, Paris, Robert
Laffont, coll. « Bouquins », t. III, 1989, p. 911.
370. H. Bordeaux, « La grâce de Violette Nozière, Lettre ouverte à Monsieur le président de la
République », op. cit, p. 1.
371. Coupure de presse consultée au Service de la mémoire et des affaires culturelles de la
préfecture de police de Paris, la date de publication en a été coupée.
372. À cet endroit, S. Maza note joliment : « In an incongrous Magritte-like gesture, he had jumped
holding an open umbrella » (op. cit., p. 262).
373. S. Maza, op. cit., p. 262. L’historienne mentionne non pas L’Œuvre mais Le Journal des
premiers mois de 1936.
374. A.-E. Demartini, op. cit, p. 247.
375. J.-M. Fitère, op. cit., p. 141.
376. Cette lettre est citée par J.-M. Fitère ; il précise qu’elle a été adressée de Paris le 21 août, poste
restante aux Sables-d’Olonne pour « Mlle Violette Nozière », op. cit., p. 133. S. Maza remarque le
formel vouvoiement utilisé dans cette lettre (op. cit., p. 134 et note 72, p. 301).
377. Nous nous tenons nous-même sur une rive qui n’est pas celle de la non-folie.
378. Dans Violette Nozière, C. Chabrol filme une scène qui est un moment de connivence enjouée
entre Germaine et Violette à l’endroit de cet Émile. La photo d’Émile est cachée sous le matelas du
lit de Violette, ce que Germaine désigne comme étant une imprudence dont elles rient ensemble.
379. C. Chabrol esquisse une telle scène qui fait Germaine se voiler le visage pour ne pas avoir à
répondre lors de la confrontation du 18 octobre.
380. Me Boitel, Plaidoirie, op. cit., p. 277.
381. Ibid.
382. « Quel lien entre Blosset et Violette Nozière ? » Quelques notes sur cette conférence sont
consultables sur Internet.
383. Contacté fin 2020, Me J.-F. Morlon qualifie ses conclusions de provisoires. Il nous indique
aussi les dates suivantes pour la naissance et le décès d’Émile Violette : 1880-1936.
384. J. Lacan, « Petit discours aux psychiatres », 10 novembre 1967, hôpital Sainte-Anne, dans
Petits Écrits et conférences. 1945-1981, s.l.n.d, publication pirate anonyme, p. 469-499.
385. Ibid., p. 488. Chez J. Lacan, le signifiant représente le sujet auprès d’un autre signifiant.
Autrement dit, il est impossible de s’en tenir à ce qui serait un sens premier – ni dernier.
386. Ibid.
387. M. Duras, La Douleur, Paris, P.O.L., 1985, réédité chez Gallimard dans la collection « Folio »,
1993.
388. Marcelle Marini, « Une femme sans aveu », L’Arc, no 98, « Marguerite Duras », 1985, p. 12.
Dans la même veine à propos de Foucault, François Ewald : « Foucault, une pensée sans aveu »,
Magazine littéraire, no 127-128, « Vingt ans de philosophie en France », 1977, p. 23-26.
389. M. Marini, « Une femme sans aveu », art. cité, p. 12.
390. J. Allouch, Marguerite, ou l’Aimée de Lacan, op. cit., p. 396.
391. M. Foucault, Le Courage de la vérité. Le gouvernement de soi et des autres II, Cours au Collège
de France. 1984, édition établie sous la direction de François Ewald et Alessandro Fontana par
Frédéric Gros, Paris, Éditions du Seuil/Gallimard, coll. « Hautes Études », 2009. Voir l’éclatante leçon
du 29 février 1984.
392. France-Soir du jeudi 26 février 1953, p. 3.
393. Karl Marx, « Contribution à la critique de la philosophe du droit de Hegel. Introduction »,
écrit fin 1843-janvier 1844, paru dans les Annales franco-allemandes, 1844, repris dans Karl Marx et
Friedrich Engels, Études philosophiques [titre de l’éditeur], nouvelle éd. revue et augmentée,
introduction de Guy Besse, Paris, Éditions sociales, coll. « Classiques du marxisme », 1977, p. 25.
394. Voir la section « Un procès rapide », partie II, p. 107.
395. Emmanuel Pierrat, « Vous injuriez une innocente ». L’affaire Grégory. 1993, suivi de « Si
Violette a menti ». L’affaire Nozière. 1934, Paris, Points, 2018, p. 40.
396. Cette notion « d’auto-punition » est connue dès les années 1930. Un bilan en est présenté par
Angelo Hesnard et René Laforgue, Les Processus d’auto-punition en psychologie des névroses et des
psychoses, en psychologie criminelle et en pathologie générale, Paris, Denoël & Steele, 1931. Elle vient
dans le sillage de la notion freudienne de « sur-moi » (Über-Ich). « C’est le sur-moi qui inflige au moi
la punition » (p. 66). Présentant ses antécédents en 1966, et évoquant sa thèse de médecine sur le cas
Aimée (1932), J. Lacan écrit : « Ainsi approchions-nous de la machinerie du passage à l’acte, et ne
fût-ce qu’à nous contenter du portemanteau de l’autopunition que nous tendait la criminologie
berlinoise par la bouche d’Alexander et Staub, nous débouchions sur Freud », Écrits, op. cit., p. 66.
Voir Franz Alexander et Hugo Staub, Le Criminel et ses juges [1928], Paris, Gallimard, coll.
« Psychologie », 1938.
397. « Affaire Nozières », Figaro du 15 septembre 1933, p. 4.
398. Guy Le Gaufey, « L’“abandon” de la théorie de la séduction chez Freud », première partie,
Revue du Littoral, no 34-35, « La part du secrétaire », 1992, p. 201-223, seconde partie Revue du
Littoral, no 36, « Écritures lacaniennes », 1992, p. 211-230. À eux seuls, les guillemets dans le titre de
cette étude sur le mot « abandon » indiquent d’emblée que celui-ci n’est pas si absolu.
399. G. Le Gaufey, « L’“abandon” de la théorie de la séduction chez Freud », art. cité, p. 204-205.
400. S. Freud, Lettres à Wilhelm Fließ, 1887-1904, Lettre 139, éd. complète établie par J. Moussaieff
Masson, éd. allemande revue et augmentée par M. Schröter, transcription de G. Fichtner, traduit de
l’allemand par F. Kahn et F. Robert, Paris, PUF, Coll. « Bibliothèque de la psychanalyse », 2006,
p. 334 ; probablement un neutre pluriel note l’éditeur.
401. Ibid., nos italiques.
402. Ibid., p. 335.
403. S. Freud, Contribution à l’histoire du mouvement psychanalytique [1914], dans OCF/P XII,
p. 247-315, spécialement p. 259-260.
404. Un faisceau est une ligne ferroviaire à double voie, distinguée d’une voie unique.
405. Phrase écrite en lettres capitales dans le procès-verbal d’audition.
406. Écriture du greffier : « chose » tracé en très gros caractères.
407. P. Legendre, Le Crime du caporal Lortie. Traité sur le Père, op. cit. Cette doctrine s’énonce
ainsi : « Le gouvernement du Québec avait le visage de mon père. » Rose-Marie Mariaca Fellmann,
Le parlem du caporal Lortie, traduit de l’espagnol par Annick Allaigre, préface de Marie-France
Basquin, Paris, Cahiers de l’Unebévue, 2014.
408. Article 331 du Code pénal de 1810 : « Quiconque aura commis le crime de viol, ou sera
coupable de tout autre attentat à la pudeur, consommé ou tenté avec violence contre les individus
de l’un ou l’autre sexe, sera puni de réclusion. » L’article 332 prévoit la peine des travaux forcés à
temps si le crime a été commis sur la personne d’un enfant en dessous de l’âge de 15 ans. Voir Pierre
Lascoumes, Pierrette Poncela et Pierre Lenoël, Au nom de l’ordre. Une histoire politique du Code
pénal, Paris, Hachette, 1989. Cet ouvrage, précieux à plus d’un titre, comporte un fac-similé du
premier des codes révolutionnaires, le Code pénal de 1791, et du suivant, le Code pénal de 1810.
409. Rappelons qu’en mai 1932, Violette est inscrite aux cours secondaires en classe de troisième.
Au début du mois d’avril ses absences sont de moins en moins justifiées. Violette est vue par le
directeur et plusieurs personnes de cet établissement à plusieurs reprises « en compagnie d’un jeune
homme ». Jean Leblanc peut être le jeune homme pris dans cet œil enseignant et dénonciateur (voir
la section « À la base, un jeune homme », partie III, p. 179).
410. José Pierre, « Violette Nozières et les surréalistes », dans Violette Nozières, par André Breton
et al., éd. de 1991, op. cit., p. 7.
411. Molière, L’Impromptu de Versailles, dossier et notes réalisés par Jean-Luc Vincent, lecture
d’image par Valérie Lagier, Paris, Gallimard, 2006, coll. « Folioplus classiques », 2006.
412. Ibid., p. 31.
413. Anne-Emmanuelle Demartini et Agnès Fontvieille, « Violette Nozières ou le fait divers
médiatique au miroir surréaliste » dans Emmanuelle André, Martine Boyer-Weinmann et Hélène
Kuntz (sous la dir. de), Tout contre le réel. Miroirs du fait divers. Littérature, théâtre cinéma, Paris, Le
Manuscrit, coll. « L’Esprit des lettres », 2008, p. 125.
414. A.-E. Demartini, op. cit., p. 221.
415. Ibid., p. 222.
416. Ibid., p. 231.
417. M. Aymé, « Peine de mort », art. cité, p. 254.
418. S. Maza, op. cit., p. 136.
419. A.-E. Demartini, op. cit., p. 12.
420. Ibid., p. 102.
421. Ibid., p. 214.
422. Ibid.
423. A.-E. Demartini, « L’affaire Nozière. La parole sur l’inceste et sa réception dans la France des
années 1930 », Revue d’histoire moderne et contemporaine, no 56, 2009, p. 190-214, spécialement :
« Inceste, vrai ou faux ? », p. 212-214. Sur épistémologie et historiographie, on se reportera, par
exemple, à Jean-Pierre Vernant, La Traversée des frontières. Entre mythe et politique II, Paris, Éditions
du Seuil, coll. « La Librairie du xxie siècle », 2004, p. 55.
424. A.-E. Demartini, op. cit., p. 372, nos italiques. Pourtant, d’une complicité de Germaine, pas
d’indice.
425. Jean-Bertrand Pontalis, « Le fait du crime », dans Jean Clair (sous la dir. de), Crime et
châtiment, Paris, Gallimard/Musée d’Orsay, 2010, p. 291.
426. J. Allouch, Ombre de ton chien. Discours psychanalytique, discours lesbien, Paris, Epel, 2004,
p. 40.
427. Voir en Annexe I la transcription de la conversation avec sœur Saint-Vincent, le 9 juin 2006.
428. Déclaration en réponse à une question du procureur de la République, voir F. Dupré, La
« Solution » du passage à l’acte. Le double crime des sœurs Papin, op. cit., p. 35, nos italiques ;
réédition à Paris, chez Beauchesne (2021), précédé de Les sœurs Papin étaient trois et n’ont jamais été
« sœurs » par Jean Allouch.
429. G. S., « Violette Nozières empoisonneuse et parricide », Figaro du 30 août 1933, p. 1.
430. Donald W. Winnicott, « L’immaturité de l’adolescent » [1968], dans Conversations ordinaires
[Home is Where We Start From, 1986], Paris, traduit de l’anglais par Brigitte Bost, Paris, Gallimard,
coll. « Folio essais », 2004, p. 230, nos italiques. Winnicott sait qu’avec ce terme d’« immaturité » il
risque d’être mal interprété, « car ce mot peut facilement avoir l’air péjoratif » (p. 231).
431. Cet écrit est publié par J.-M. Fitère, qui a disposé des archives de Me de Vésinne-Larue,
op. cit., p. 109 et suiv.
432. C. Joly dit « 18 h 30 ».
433. Dans sa déposition du 21 septembre auprès du juge d’instruction, C. Joly ne fait pas état
d’une quelconque discussion avec son voisin et collègue Nozière, mais, à l’ultime moment de sa
déposition, il mentionne ce propos de Baptiste à sa fille : « Ce n’est pas bien ce que tu as fait là
Violette. »
434. Sur cette plaquette, voir A.-E. Demartini, A. Fontvieille, « Le crime du sexe. La justice,
l’opinion publique et les surréalistes : regards croisés sur Violette Nozières », dans Michèle Perrot,
Jacques-Guy Petit, Christine Bard et Frédéric Chauvaud (sous la dir. de), Femmes et justice pénale.
xixe-xxe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Histoire », 2002, p. 243-252.
435. Alberto Giacometti, Écrits, présentés par Michel Leiris et Jacques Dupin, préparés par Mary
Lisa Palmer et François Chaussende, Paris, Hermann, coll. « Savoir sur l’art », 1990, p. 156 pour le
poème et p. 157 pour la double esquisse ; celle-ci préfigure le dessin qui sera publié dans la plaquette
des surréalistes. Il est reproduit dans la section « Le mouvement de feu de Violette », partie III,
p. 206.
436. Violette a donc été interrogée sur ces taches de sang. Une telle interrogation ne figure pas
aux procès-verbaux de l’instruction.
437. Il s’agit du surlendemain dans la nuit du mardi 22 au mercredi 23 août.
438. La question suivante peut sauter au visage de Violette, si Baptiste n’est plus dans
l’appartement, c’est qu’il en est sorti. Que pourrait être son retour ? Une effroyable confrontation.
439. J. Lacan, L’Acte psychanalytique, séminaire 1967-1968, séance du 29 novembre 1967, version
Afi, hors commerce, s.l., 1997, p. 59, nos italiques. Et J. Allouch, Marguerite, ou l’Aimée de Lacan,
op. cit., p. 403. J. Allouch marque de cinq traits la notion de passage à l’acte (p. 403).
440. Ibid., séance du 29 novembre 1967. Et J. Lacan, au Venezuela à Caracas, le 12 juillet 1980 :
« Pourquoi ne pas admettre que la paix sexuelle des animaux, à m’en prendre à celui qu’on dit être
leur roi, le lion, tient à ce que le nombre ne s’introduit pas dans leur langage, quel qu’il soit. Sans
doute le dressage peut-il en donner apparence. Mais rien que ça. » dans J. Lacan, Petits Écrits et
conférences, op. cit., p. 194-195.
441. J.-M. Fitère, op. cit., p. 77, nos italiques.
442. À l’inverse, dans leur rapport du 23 août adressé au commissaire de police du quartier de
Picpus, Félix Le Guillou de Penanros, les gardiens de la paix Gailland et Poulmar notent : « Un
certain désordre régnait dans le logement, une partie de la literie se trouvait sur le parquet, mais
aucune arme n’a été trouvée. »
443. Ce détail dit l’exiguïté du logement par la proximité de la table de la salle à manger et du lit
pliant de Violette.
444. Dans son écrit précité, Violette indique que c’est surtout sa mère qui exprima le désir de lui
voir écrire cette lettre à Jean Dabin.
445. Conversation du 24 octobre 1997, précitée.
446. « Le sujet dépend de cette cause qui le fait divisé et qui s’appelle l’objet a. » J. Lacan, L’Acte
psychanalytique, séance du 10 janvier 1968, p. 86.
447. A. Gide, Souvenirs de la cour d’assises [1914, 1924, 1954], édition de Pierre Masson, Paris,
Gallimard, coll. « Folio », 2009, p. 66, nos italiques. (Également publié dans la collection « Blanche »
avec L’Affaire Redureau et La Séquestrée de Poitiers en 1930, 1957 et 1969, sous le titre : Ne jugez pas.)
448. Ibid., p. 69, italiques de Gide.
449. Ibid., nos italiques.
450. S. Freud, « Pulsions et destins des pulsions » [Trieb und triebschicksale, 1915], OCF/P, XIII,
p. 163-187.
451. A. Gide, Souvenirs de la cour d’assises, op. cit., p. 70-71, nos ital. La logeuse : « Il frappait vite,
comme on timbre les lettres » (p. 73).
452. Ibid., p. 70.
453. En quoi il faudrait encore conclure que cette absence de sujet qui fait le crime passer par un
support consistant (par un canal effectif – ce qui n’est pas rien), n’est pas absolue absence de sujet.
Sans ce support consistant, le crime ne passe pas. Radicale absence plutôt qu’absolue absence. C’est
un cas de sujet quasi indivis pris au piège du passage de la pulsion dans ce canal qui ainsi se
présente, s’ouvre et laisse passer.
454. Nous suivons ici les indications du fascicule d’Emmanuel Pierrat, « Vous injuriez une
innocente ». L’affaire Grégory 1993 suivi de « Si Violette a menti ». L’affaire Nozière 1934, op. cit.
455. « “Les lieux vont parler”, pense-t-elle. Elle entreprend donc le voyage à Lépanges en
compagnie d’un journaliste de Libération, Éric Favereau, et de Yann Andréa. Duras est déçue, sa
demande d’entrevue avec Christine Villemin n’a pas été exaucée. […] Elle insiste. Christine Villemin
refuse de nouveau. Si elle ne veut pas lui parler, consentirait-elle à la voir, seulement la voir sans lui
adresser la parole, demande Marguerite à son avocat. » Laure Adler, Marguerite Duras, Paris,
Gallimard, coll. « Folio », 2000, p. 808.
456. Texte consultable sur Internet.
457. Pour un exemple rendu public de désaccord avec M. Duras sur cette affaire, celui de Philippe
Besson, « Notre unique différend », Le Magazine littéraire, no 452, « Marguerite Duras visages d’un
mythe », 2006, p. 56. Voir aussi Patricia Tourancheau, « L’affaire Gregory, le mystère imaginaire »,
Libération du 2 octobre 2006, p. 6-8. C’est vers B. Laroche que le glaive de la balance penche… Le
juge d’instruction lui ne doutait plus, finalement, de son innocence et n’a pas cessé de le faire savoir.
458. Jean-François Lyotard, Le Différend, Paris, Les Éditions de Minuit, coll. « Critique », 1983,
p. 257.
459. « Christine V. aurait osé jouer la démesure d’un geste transgressif pour objecter à la mesure
de son existence – comme toutes les héroïnes durassiennes, devrait-on ajouter : l’Américaine du
Marin de Gibraltar (1952), la jeune fille du Square (1955), Maria dans Dix heures et demie du soir en
été (1960), Lol V. Stein, Anne-Marie Stretter, Alissa Thor (Détruire dit-elle), la dame du Camion,
frappée elle aussi par “la noblesse de la banalité…” Jean Cléder, Duras, Paris, François Bourin, coll.
« Icônes », 2019, p. 85.
460. E. Pierrat, « Vous injuriez une innocente ». L’affare Grégory 1993, op. cit., p. 26.
461. « Lettre à Isabelle C. », dans L. Adler, Marguerite Duras, op. cit., p. 887-888. Annexes incluses,
ce sont les derniers mots de la volumineuse biographie de Laure Adler.
462. J. Lacan, « La méprise du sujet supposé savoir », Scilicet, no 1, 1968, p. 35.
463. J. Lacan, « La Troisième », Rome, 1er novembre 1974, intervention au VIIe Congrès de l’École
freudienne de Paris, texte établi par J.-A. Miller, La Cause freudienne, no 79, « Lacan au miroir des
sorcières », 2011, p. 31.
464. J. Allouch, L’Autresexe, Paris, Epel, 2015, p. 48.
465. Me Boitel, Plaidoirie, op. cit., p. 288.
466. Dans son écrit précité, Violette dit autre chose : « Ma mère était alors couverte d’un drap
[…]. »
467. S. Freud, OCF/P XIII, p. 26 et suiv. Sur la portée du désir dudit « homme aux loups », voir
George-Henri Melenotte, Substances de l’imaginaire, Paris, Epel, 2004, p. 212.
468. G. Bataille, Les Larmes d’Éros, op. cit., p. 195. D’une BD portant sur quatre femmes : Marie
Lafargue, Marguerite Steinheil, Violette Nozière, Pauline Dubuisson, Violette Nozière fait la
couverture à elle seule. Ce dessin de la couverture ne se trouve pas dans l’album. Les trois autres
femmes n’ont pas eu droit à la couverture. Sur celle-ci, c’est fantasme à guichet ouvert. Thierry
Massiano et Yves Llopiz, Les Grandes Criminelles, Grenoble, Glénat, coll. « Série BD noire », 1981.
469. Benjamin Péret, Un point, c’est tout [1941], cité par Annie Le Brun, Les mots font l’amour
(citations surréalistes), précédé de Détours de Jean Schuster, Paris, Éric Losfeld, 1970, coll. « Le
Désordre », p. 44. Cette citation de B. Péret est située dans un paragraphe dont le titre vient de
A. Breton : « Pas de concession au monde et pas de grâce. »
470. Quiberon est une station classée climatique dès le début des années 1920. Enfant, Violette a
souffert d’asthme. Du 1er juillet au 1er août 1932, elle est à Quiberon avec sa mère.
471. Souligné de deux traits dans le corps de la lettre. Réfléchir deux fois plutôt qu’une – à
franchir pour la seconde fois un saut épique ? Ce franchissement est/sera pour le soir même.
472. J. Pierre, « Violette Nozières et les surréalistes », préface à la réédition de la plaquette Violette
Nozières, par A. Breton et al., op. cit., p. 8.
473. Henri Ey, La Conscience, Paris, PUF, coll. « Le Psychologue », 1963, p. 427.
474. J. Lacan, « Propos sur la causalité psychique » [1946], dans Écrits, op. cit., p. 176 ; première
publication dans L’Évolution psychiatrique, 1947, fascicule I, p. 123-165.
475. H. Ey, La Conscience, op. cit., p. 427, note 1. Entre guillemets ce qui est strictement la citation
de Lacan. Voir J. Lacan, « D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose »,
La Psychanalyse, vol. 4, « Les Psychoses », 1958, p. 42 ; réédité dans J. Lacan, Écrits, op. cit., p. 575.
476. J. Lacan, La Psychanalyse, vol. 4, op. cit., p. 42 ; J. Lacan, Écrits, op. cit., p. 575.
477. J. Lacan, « Propos sur la causalité psychique », Écrits, op. cit., p. 176.
478. Ibid. Après le mot « insulte » entre guillemets, un appel de note invite le lecteur à se reporter
à la page 157 des Écrits. Lacan y cite Ey pour qui « les maladies mentales sont des insultes et des
entraves à la liberté, elles ne sont pas causées par l’activité libre, c’est-à-dire purement psycho-
génétiques ».
479. M. Foucault, « Le langage en folie » (4 février 1963), troisième émission diffusée par RTF III
national, d’une série de cinq émissions consacrées aux langages de la folie, réalisateur Jean Doat,
dans M. Foucault, La Grande Étrangère. À propos de la littérature, édition établie et présentée par
Philippe Artières, Jean-François Bert, Mathieu Potte-Bonneville et Judith Revel, Paris, Éditions de
l’EHESS, 2013, coll. « Audiographie. La voix des sciences sociales », p. 52.
480. M. Foucault, « Sorcellerie et folie », entretien avec Roland Jaccard, à propos du livre de
Thomas Szasz, Fabriquer la folie, Le Monde du 23 avril 1976, p. 18. Réédité dans M. Foucault, Dits et
écrits, t. III, édition établie sous la direction de Daniel Defert et François Ewald avec la collaboration
de Jacques Lagrange, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des sciences humaines », p. 91, nos
italiques.
481. J. Lacan, Les Structures freudiennes des psychoses, séminaire 1955-1956, séance du 11 avril 1956,
version Afi, s.l., s.d., p. 352.
482. Patricia Janody, Zone frère. Une clinique du déplacement, Paris, Epel, coll. « Monographie
clinique », 2014, p. 45.
483. J. Lacan, séance du 11 février 1975 du séminaire RSI, inédit, nos italiques. J. Lacan revient sur
cette disputatio avec H. Ey, vingt-sept ans après son article de 1946 « Propos sur la causalité
psychique », lors de la séance du 11 décembre 1973 de son séminaire inédit Les non-dupes errent, en
un moment remarquable, à partir de la problématisation du nœud borroméen.
484. Hebdomadaire Marianne du 6 septembre 1933, chronique rééditée dans P. Drieu la Rochelle,
Chroniques des années 1930, op. cit., p. 54. Drieu part de l’imaginaire, et de sa puissance, en effet. ».
485. Médium, no 5, mars 1953. Sa note est republiée par J. Pierre dans sa préface à la réédition
de 1991 de la plaquette Violette Nozières, par A. Breton et al., op. cit., p. 14.
486. F. Balmès, Structure, logique, aliénation, op. cit., p. 92-93. Cette explicitation de J. Lacan : « Là
où je pense, je ne me reconnais pas, je ne suis pas, c’est l’inconscient. Là où je suis, il est trop clair
que je m’égare. » Séminaire L’Envers de la psychanalyse, séance du 11 mars 1970, op. cit., p. 118. D’où
cette devise analytique que l’on en tirera : « Ni ne pense, ni ne suis (désêtre). »
487. J. Allouch, Nouvelles Remarques sur le passage à l’acte, Paris, Epel, coll. « essais », 2019, p. 55.
488. A. Gide, Ne jugez pas, Paris, Gallimard, coll. « Blanche », 1969, p. 95-135. L’affaire Redureau a
d’abord été publiée en 1930 et rééditée dans la collection « Folio » chez le même éditeur, sous un
titre de couverture qui porte sur une autre affaire ne laissant pas apparaître l’affaire Redureau :
A. Gide, La Séquestrée de Poitiers, Paris, Gallimard, 1977.
489. Moi, Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère, ma sœur et mon frère… Un cas de parricide au
xixe siècle présenté par Michel Foucault, Paris, Gallimard/Julliard, coll. « Archives », 1973, réédité
chez Gallimard dans la collection « Folio histoire », 1994, p. 163.
490. « Tous les corps étaient affreusement mutilés et il apparaissait avec évidence que le
meurtrier, non content de donner la mort, s’était acharné sur ses victimes avec une telle sauvagerie
qu’il devient impossible de faire le compte des coups portés, tant les blessures étaient rapprochées et
multiples », nos italiques (A. Gide, Ne jugez pas, op. cit., p. 102-103). Exemplaire passage du crime.
491. « Mon frère Jule était revenu de l’école. Profitant de cette occasion je saisis la serpe, j’entrai
dans la maison de ma mère et je commis ce crime affreux, en commençant par ma mère, ensuite ma
sœur et mon petit frère, après cela, je redoublai mes coups », nos italiques (Moi, Pierre Rivière, op. cit.,
p. 170). Dans ce redoublement nous lisons en quoi le passage du crime vient redoubler et conclure le
récit épique. Fin de partie. P. Rivière demande la mort.
492. Ibid., p. 170.
493. Sur cette problématique des deux analytiques du sexe, voir J. Allouch, Pourquoi y a-t-il de
l’excitation sexuelle plutôt que rien ?, Paris, Epel, coll. « essais », 2017.
494. Le Monde du 22-23 novembre 2020, p. 30.
495. Ici, un livre s’impose, celui de Georges Didi-Huberman, Ouvrir Vénus, Nudité, rêve, cruauté.
L’image ouvrante I, Paris, Gallimard, coll. « Le Temps des images », 1999.
Quatrième partie

L’accord à deux
Avant, de l’autre côté de la pénitentiaire
Un certain Eugène Coquelet
Un certain Eugène Coquelet (1887-1952) est le futur beau-père de
Violette. Eugène Coquelet a conduit sa vie avec une indéfectible ténacité
dont il aura été le premier metteur en scène, le premier, pas le seul. Avec sa
propre histoire saccadée, il serait possible de revisiter des moments
charnières de l’histoire politique en France de la première moitié du
xxe siècle. Il est né le 20 février 1887 à Argenton-sur-Creuse dans l’Indre.
Fils unique, il exerce d’abord le métier de scieur de long. Il se marie le
29 avril 1911 avec Marguerite Gobard qui connaîtra treize maternités. Il
s’oriente vers l’armée.
Il est appelé à l’activité par décret du 1er août 1914 du fait de la
mobilisation générale contre l’Allemagne. À Fleury devant Douaumont, le
27 août 1916, il est blessé par une balle ennemie qui lui laisse une plaie
dans « la région postérieure de l’omoplate droite » ; il est évacué. En
février 1919, il obtient un congé illimité de démobilisation et se retire à
Villedieu dans l’Indre496.
Gardien de prison, puis commis
Après la guerre, Eugène Coquelet se tourne vers l’administration
pénitentiaire. En janvier 1919, il sollicite et obtient un poste de gardien de
prison. Dans son dossier administratif naissant, on trouve sa photographie
en tenue de chasseur alpin, accompagnée des mentions suivantes :
« Intelligence vive et qui paraît très développée. Bonne instruction
primaire. Robuste, très bonne tenue. Pourrait faire un bon service dans
n’importe quel établissement mais préférerait la maison centrale de
Fontevraud, ancien blessé de guerre » (figure 1).
Figure 1

Entré à la maison centrale de Fontevraud, il est titularisé en qualité de


« gardien ordinaire de 5e classe » ; en juillet 1919, son traitement est de
1 300 francs. Il est noté comme un « excellent agent assurant très bien son
service ». Il ne restera pas longtemps gardien de prison.
En 1922, au titre de réformé de guerre, Eugène Coquelet est nommé
commis-deniers à la maison centrale de Clairvaux où il intègre le corps du
personnel administratif. S’ouvre alors sous ses pas une longue et erratique
carrière pénitentiaire qui le conduira de la colonie agricole pour enfants du
Val d’Yèvre à l’école de réforme de Saint-Hilaire (en 1925) en passant par le
dépôt des relégables de Saint-Martin-de-Ré de 1926 à 1934. En 1924, il est le
père d’une famille de sept enfants en bas âge. Dans ce dernier
établissement pénitentiaire, les choses ne se passent plus si bien « par suite
de dissentiments personnels tant avec ses camarades qu’avec ses chefs ».
En 1930, il est alors père de neuf enfants, son épouse attend un dixième
enfant.
En 1932, la santé d’Eugène Coquelet se révèle fragile. Cette année-là, les
époux Coquelet reçoivent la médaille d’or de la famille française
(distinction instituée en mai 1920).
En 1934, le commis prend ses fonctions à la maison centrale de Rennes.
En 1935, naît un fils, Christian – par courrier, son père fait part au
directeur de l’administration pénitentiaire, de la naissance de son
« treizième enfant ». « L’enfant et la maman sont en parfaite santé », lui
écrit-il. Il vise un changement de grade dans le corps du personnel
administratif. Bien noté, il est inscrit au tableau d’avancement pour le
poste de chef de service. Cette inscription ne se concrétisera pas. Voici
dans quel contexte.
Vifs incidents à Rennes
Le 6 février 1936, alors que le directeur de la maison centrale est absent,
éclate dans son bureau une vive altercation entre le sous-directeur, Eugène
Coquelet et l’économe de l’établissement, son chef de service. Ce jour-là,
vers 11 heures, l’un des fils Coquelet, l’apprenti pâtissier, âgé de 17 ans,
prénommé Pierre, est envoyé par sa mère pour aller chercher de la
« monnaie » auprès de son père. Il entre dans le bureau de l’économe et de
son commis de père en ayant préalablement traversé en sifflant le couloir
qui dessert les bureaux de l’administration, ce qui lui vaut une
remontrance de l’économe. Le sous-directeur, l’économe et le commis
Coquelet se retrouvent dans le bureau du directeur, lieu alors d’une
virulente altercation. Le sous-directeur rendra compte de celle-ci,
soulignant que « M. Coquelet que je connais violent, allait causer le
scandale ».
Me criant : « Vous voulez me faire sortir d’ici à moi ? Voulez-vous que
je vous sorte moi ? Vous allez voir. Je serai sur la paille, je m’en fous,
mais je ne resterai pas une minute de plus ici » et frappant la table d’un
violent coup de poing, il ajoute : « Je cesse mon service
immédiatement. »
Le 5 mars 1936, le conseil de discipline de la direction de l’administration
pénitentiaire considérant que
sa présence à Rennes, qui donne lieu continuellement à des incidents,
n’est plus possible ; mais tenant compte de ses importantes charges de
famille (onze enfants dont huit [ont] moins de 16 ans), émet l’avis qu’il
soit infligé au Commis Coquelet un blâme avec inscription au dossier
et qu’il soit déplacé par mesure d’ordre, et s’il refuse sa nouvelle
affectation, qu’il soit déplacé par mesure disciplinaire.
Le 16 juillet 1936, dans une rue de Rennes, le sous-directeur est menacé
par l’un des fils Coquelet, « jeune homme de 18 ans environ » ; il s’agit de
Pierre, le futur mari de Violette. Le sous-directeur, dans une note adressée
au directeur de la maison centrale, attribue à Pierre Coquelet ces propos :
Ah ! C’est vous Perrin […]. Vous n’avez pas honte de ce que vous avez
fait à mon père ? Espèce de saleté, d’ordure, de voyou et levant les
deux poings à hauteur de mon visage, il ajouta « Si je ne me retenais
pas je vous casserai la gueule mais ce n’est pas fini », puis il partit
continuant à proférer des menaces.
Le 21 octobre, une décision de mutation rattache Eugène Coquelet à la
circonscription pénitentiaire de Lyon « par mesure d’ordre ». En mai 1937,
l’intéressé est aux prisons de Lyon.
Une bagarre entre père et fils
Alors que la famille Coquelet vit à la maison d’arrêt Saint-Paul à Lyon,
cette « violente discussion » a lieu entre les parents Coquelet et l’un de
leurs fils… Pierre, âgé de 19 ans.
Après cette violente discussion qui éclate dans le logement de la famille
Coquelet, « le père et le fils en vinrent aux mains et des coups furent
échangés, en présence de deux agents de service […] qui s’empressèrent
d’intervenir pour séparer les deux antagonistes ». La naissance de
l’incident est imputée au fils ; la note administrative rappelle à cette
occasion : « C’est le même fils Coquelet qui, le 15 juillet 1936, insulta
grossièrement et menaça le sous-directeur de la maison centrale de
Rennes, M. Perrin. » La conséquence en sera pour le commis Coquelet et sa
famille une nouvelle mutation au dépôt des relégables à Saint-Martin-de-
Ré.
Quelques années plus tard – alors que la défaite militaire française et
l’État français ont fait tomber la IIIe République (le 10 juillet 1940) –, en
juin 1941, Eugène Coquelet écrit à son chef, le maréchal Pétain, pour
obtenir soit une nomination sur place comme chef de service à Saint-
Martin-de-Ré, soit une nomination à Rennes où il a « laissé dans cette ville
un enfant livré à lui-même depuis notre départ et qui est aujourd’hui âgé
de 20 ans et est employé à la Société nationale des chemins de fer. » Il
s’agit de son fils Joseph. Il n’obtiendra pas satisfaction. Quelques mois plus
tard, cet enfant resté à Rennes, Joseph, va entrer dans la Résistance.
Inquiétudes politiques
En août 1941, Eugène Coquelet a quitté Saint-Martin-de-Ré pour la
maison centrale de Fontevraud. Là, il apprend que son fils Joseph, employé
à la Société nationale des chemins de fer, a été arrêté à Rennes, pour
propagande communiste ; il demande un congé pour se rendre à Rennes et
intervenir auprès des autorités car il ne peut « croire qu’un enfant de cet
âge se soit laissé entraîner à ce point ».
En octobre, Joseph Coquelet est condamné pénalement pour ce motif à
dix-huit mois de prison et incarcéré à la maison d’arrêt du Mans. Le
directeur de Fontevraud le fait savoir à l’administration centrale à Paris qui
le fait savoir à… Vichy.
Pour Eugène Coquelet, la nomination au grade de greffier-comptable à la
maison centrale de Loos intervient en novembre 1942. Il y est seul, séparé
de sa famille résidant à Fontevraud. En juillet 1943, la maison centrale de
Loos est placée sous le pouvoir des autorités allemandes. Marguerite
Coquelet décède le 7 mai 1944.
Point de chute de la saga Coquelet
C’est le 6 janvier 1945 que Coquelet est à la maison centrale de Rennes
pour une seconde nomination. Violette y est détenue depuis le 14 mai 1940.
De janvier 1945 à août de la même année, Eugène Coquelet va côtoyer
Violette, qui travaille au service intérieur de la comptabilité sous les ordres
de Marguerite Boulard, greffier-comptable. C’est Pierre Coquelet, familier
des lieux, qui croisera Violette dans les couloirs de l’administration. Ils se
marieront en décembre 1946. Selon le témoignage de son frère Joseph,
lorsque la décision du mariage entre Violette et Pierre fut prise, le futur
beau-père aurait déclaré : « Je suis sûr que mon fils sera heureux. »
Ne lâchant pas la conduite de sa carrière, Eugène Coquelet fera savoir et
valoir auprès de son administration que l’un de ses fils âgé de 20 ans, Jean-
Jacques, a été mortellement blessé face à l’ennemi dans la poche de
Lorient, le 26 février 1945. Il revient sur le fait que, bien qu’inscrit au
tableau d’avancement de 1933 à 1936, sa carrière n’a pas progressé
à la suite d’incidents qui se sont produits à la maison centrale de
Rennes entre moi et un chef de service, […] au sujet de mes enfants, ce
qui n’avait rien à faire avec le service, je ne fus pas inscrit au tableau
de 1937. Une amnistie ayant eu lieu en 1938, j’aurais dû normalement
profiter de ses dispositions et reprendre ma place pour mon
avancement.
Or il n’en fut rien. Le greffier-comptable joue de manière récurrente la
carte du père de famille nombreuse :
J’ai donné onze enfants au pays, neuf garçons et deux filles, trois dont
deux officiers de carrière sont aux armées sur le front français, après
s’être battus sur les fronts de Tunisie et d’Italie, le 4e, un enfant de
17 ans [Roger] après avoir fait partie de la Résistance se trouve
aujourd’hui face aux boches dans la poche de Saint-Nazaire, enfin deux
sont en Allemagne [Henri et Camille] l’un âgé de 24 ans [Joseph] est
déporté politique et l’autre appelé par le service du travail obligatoire
quant à moi-même je suis mutilé de la guerre 1914-1918497.
Il demande cette fois-ci à passer dans le corps du personnel de direction,
au grade de sous-directeur, « couronnement » de sa carrière. Sans succès.
Si la médaille d’honneur de l’administration pénitentiaire lui est décernée
en juillet 1947, il sera admis à faire valoir ses droits à la retraite en
février 1951. Alors que le 29 août 1945, Violette signe pour la dernière fois
son livret de pécule, la signature du greffier-comptable n’est pas celle de
son futur beau-père, mais celle d’un collègue greffier-comptable dont la
qualité fait l’objet d’une rature pour laisser place au tampon du sous-
directeur. Eugène Coquelet meurt en 1952.

La vie d’après
Une demande de changement de nom
Libérée de prison le 29 août 1945, Violette s’est inscrite le 10 septembre
suivant aux cours de dactylographie à l’école Pigier à Paris, sous le nom
de… Germaine Hézard498. Dès sa sortie de prison, elle se présente sous le
nom qui fut celui de sa mère jeune fille499. Une « Germaine Hézard »
succède, nominalement, à une ex-Germaine Hézard devenue Germaine
Nozière. C’est sous la protection de ce nom que Violette sort de prison et
accomplit les premiers gestes de sa vie « civile ». Elle va plus loin ;
conséquente avec ce geste, elle engage une procédure juridique en
changement de nom, en adressant le 15 avril 1946, une lettre au garde des
Sceaux, par laquelle elle demande « l’autorisation de substituer à son nom
patronymique de Nozière celui de Hézard ». La demande elle-même doit
faire l’objet d’une publication au Journal officiel. Licite, cette demande
s’affronte au principe de l’immutabilité du nom patronymique500 dont la
portée n’est pas absolue. La demande doit être motivée. De quels motifs
Violette excipe-t-elle ? Elle rappelle la condamnation à mort et sa non-
exécution, et ses moments de détention : « Un an à la Petite Roquette,
quinze501 jours à Fresnes, cinq ans et demi à Haguenau, et, cinq ans et trois
mois à Rennes ». Elle rappelle que pendant toute la durée de ces
détentions, elle « a eu à cœur de se racheter, de la faute qu’elle avait
commise, par une conduite exemplaire. » C’est grâce à cette conduite
qu’elle a obtenu la commutation de peine à douze années de travaux forcés
– le canal religieux dominicain est indirectement renvoyé à lui-même et à
sa mobilisation pour une Violette Nozière qui serait devenue béthanienne.
Elle place aussi cette décision de commutation de peine sur la tête de
« M. le Ministre de la Justice », et non sur celle du chef de l’État qui a
voulu et pris cette décision dont le nom est passé dans les dessous de sa
demande – et de l’histoire aussi. Elle dit ce qui serait son seul désir, « celui
de vivre modestement sans attirer l’attention sur elle ». Elle écrit que son
nom de Violette Nozière est à ce point connu du public
qu’il est de nature à l’empêcher de mener toute vie normale. À l’heure
actuelle, l’exposante est obligée de se passer de toutes cartes
d’alimentation, et de vivre des cadeaux qu’on lui fait, tant le fait d’user
d’une carte d’alimentation à son nom apparaît de nature à lui causer
des désagréments. L’exposante demande donc, simplement, qu’on lui
permette de mener une vie normale, en gagnant sa vie, ce qu’elle ne
peut faire si elle continue à porter le nom de Nozière.
Germaine a fait savoir par écrit à sa fille son parfait accord pour cette
substitution de nom et de prénom. Si le ministre de la Justice fait droit à la
requête, le nom de Violette Nozière s’effacera de la vie courante de la
requérante pour celui de Germaine Hézard (figure 2). La fille demande à
porter le prénom et le nom de sa mère, sans écart, pas même de prénom,
même si le prénom choisi est son second prénom à l’état civil.

Figure 2

Un dessin de Salvador Dalí


Il est à remarquer que Violette, au bas de la lettre dactylographiée (par
elle ?) de sa requête, appose une signature oblique soulignée d’un trait
« V. Nozière ». Le remarquable est qu’elle l’affecte de trois taches d’encre
qui bouchent trois lettres dans ce nom. D’abord la lettre « o », puis le « e »
accent grave, enfin la dernière lettre de ce nom, le « e » final. Ces trois
lettres rendues (il)lisibles laissent lire un nom auquel manquent trois
lettres : o é o. Ces trois lettres manquantes, le nom restant de Nozière n’est
plus que : N z i r. N Z I R ? Il nous apparaît que Violette retourne à son
expéditeur le dessin que Salvador Dalí a fait d’elle dans la plaquette
Violette Nozières, dessin très inattendu qui, non seulement jure eu égard
aux autres dessins de cette plaquette (celui de René Magritte fait un
sérieux pas de côté) mais fait injure à Violette. Ce dessin, que nous ne
reproduisons pas, figure une Violette squelettique et hideuse portant, en ce
mois de décembre 1933, une imputation particulière du fait de la légende
l’accompagnant. Il suffit de citer ce que Salvador Dalí a écrit sous son
dessin : « Portrait paranoïaque de violette nazière (nozière) (Nazi, Dinazos,
nazière) ». Sous le mot « Nazi » le mot « (Nez) » dans une parenthèse. Puis
cet ajout approximatif, à le comparer à l’archive judiciaire à propos du
départ de Violette du logement de ses parents le 21 août : « Tous deux
étaient couchés dans leur lit et lorsque je suis partie à onze heures trente
ils ronflaient doucement. Déclaration de violette nozière. » Un tel dessin a-
t-il échappé à la vigilance d’André Breton et de Paul Éluard502 ? Une
discussion a-t-elle eu lieu entre eux sur la publication de ce dessin ? En
tout cas, réponse différée de Violette au dessinateur catalan, le nazi d’hier,
ce n’était pas elle.
L’avis du Conseil d’État suivi par le garde des Sceaux
Le 22 juin 1946, le magistrat chef du service du Sceau à la direction des
Affaires civiles et du Sceau au ministère de la Justice adresse à son ministre
un formulaire par lequel il propose de soumettre la demande de la
postulante à l’examen du Conseil d’État. Non sans faire observer que la
postulante expose que « le nom sous lequel elle a défrayé la chronique est
pour elle un obstacle trop grave à son relèvement ». Il fait état des avis des
magistrats du parquet et aussi de leurs dissentiments : si le procureur de la
République a émis un avis favorable à cette demande, il n’en est pas de
même du procureur général qui estime que « cette nouvelle faveur
accordée après bien d’autres à l’intéressée serait excessive ». Puis une
rangée de « x » accolés les uns aux autres sur ce formulaire attirent l’œil.
On lit sous les « x » : « Les magistrats consultés ont émis un avis
favorable »… Pas à lire ?
Dans son avis du 16 juillet 1946, la section de l’Intérieur, de la Justice, de
l’Éducation nationale et des Beaux-Arts du Conseil d’État, après avoir visé
la parfaite régularité de la procédure, fait valoir « qu’il n’y a pas lieu
d’autoriser la demoiselle Nozière (Violette) à substituer au nom
patronymique de Nozière celui de Hézard afin de s’appeler légalement à
l’avenir Hézard au lieu de Nozière ». Ce n’est là qu’un avis qui ne lie pas le
garde des Sceaux. Ce dernier, Pierre-Henri Teitgen, se rangera
prudemment à l’avis du Conseil d’État. Le Journal officiel n’aura pas à
publier le décret par lequel le gouvernement provisoire de la République
aurait fait droit à la demande de Violette qui ne deviendra pas légalement
« Germaine Hézard ». Cette identité nominale d’avec sa mère aura été
néanmoins, dès sa sortie de prison et jusqu’à son mariage, d’usage courant
pour Violette, soit durant près d’un an et demi.
Pour la haute juridiction administrative qui ne rend qu’un avis et pour le
garde des Sceaux à qui revient la décision d’attribution d’un nouveau nom,
l’oubli institutionnel d’un nom entaché d’opprobre n’aura pas été accordé.
Oublions l’étroitesse des institutions du droit.
La portée subjective de la demande de Violette se dessine. De quoi
pouvait-il être question pour la nouvelle « Germaine Hézard », dans cette
nomination qui lui aurait fait porter le prénom et le nom de sa mère ?
D’un hommage à cette femme mariée très jeune et divorcée à l’âge de
18 ans et demi, se libérant d’un mariage qui l’opprimait. Une femme qui fit
donc preuve d’émancipation. C’est cette jeunesse et cette émancipation
d’une femme qui fit preuve de courage et de liberté que Violette pouvait
saluer. Ce sont les couleurs qu’elle entendait porter sur elle. À sa manière
encore, elle ne désarme pas. Là est un point vif de la relation entre Violette
et sa mère, là est entre elles une discrète proximité.
Mariage. Enfants. Métiers de la restauration et de l’hôtellerie
Peu après sa sortie de prison, il ne faudra pas beaucoup de temps pour
que la brigade mondaine s’intéresse aux mouvements de Violette Nozière.
En atteste, daté du 15 novembre 1946, un bref rapport de police dont le titre
surprend503. On y apprend que Violette est hébergée à Paris par sa cousine,
concierge au 115 boulevard Jourdan dans le 14e arrondissement. Cette
cousine, Georgette Soret, a pour parents Clémence Philomène, sœur aînée
de Germaine, et Auguste Desbouis, beau-frère de Germaine et oncle de
Violette504. La police rapporte que Violette vit chez sa cousine « en
concubinage » avec « un modeste ouvrier divorcé. Ils doivent dans un
avenir proche régulariser leur situation ». De janvier 1946 à janvier 1951,
Violette alias « Germaine Hézard » est employée en qualité de comptable à
la Fédération française des associations chrétiennes d’étudiants à Paris. Le
16 décembre 1946, Violette se marie avec Pierre Coquelet505 à Neuvy-sur-
Loire. Dans les Notes d’un simple observateur, Louis Smyers songe à la
situation suivante : « Une belle fille blonde, de 20 ans, intelligente et forte,
désire se marier. Elle possède une partie de l’héritage de cent mille francs
venant de sa grand-mère, qu’elle a assassinée : mais elle a été acquittée par
le jury. – Bonnes références – S’adresser au journal506. » En aurait-il eu
connaissance, Pierre Coquelet ne se serait pas soucié de ces Notes…
Les époux vivent à Paris, rue Saint-Antoine. Michèle naît en mars 1947.
En juillet 1948, la famille quitte Paris pour un petit pavillon acheté à Livry-
Gargan en Seine-Saint-Denis. Jean-Jacques naît en septembre 1948. Naît
François en avril 1950, son second prénom est… Jean-Baptiste – un geste de
Violette à l’endroit de sa mère507 ?
Le 7 octobre 1950, Pierre Coquelet est victime d’un accident de la
circulation occasionné par un autobus de la RATP. Le choc est tel qu’il est
hospitalisé d’octobre 1950 à juin 1951. La responsabilité de l’accident ayant
été attribuée à la RATP, celle-ci lui verse une pension d’invalidité ; mais il
dut renoncer à son activité artisanale de fondeur en aluminium,
commencée à Bagnolet (Seine) à partir d’août 1947. La famille vit à Livry-
Gargan jusqu’en 1951.
À cette date, le « petit pavillon » de Livry-Gargan est vendu, la famille
Coquelet rejoignant Germaine qui, renouant avec sa jeunesse, a pris en
gérance libre un fonds d’épicerie-buvette-hôtel à Clamart (Hauts-de-
Seine). Germaine et « Germaine » tiennent ensemble ce fonds de
commerce jusqu’en juillet 1951. Cette année-là Violette/Germaine s’engage
comme employée aux écritures chez un comptable, membre de l’Ordre des
experts-comptables, dont le cabinet est à Saint-Maur (Seine). Elle est
amenée à cesser cette activité « pour raison de santé due à une
grossesse » ; Pierre naît en mars 1952.
Germaine Coquelet va désormais vivre une vie ponctuée d’engagements
professionnels spécialement dans la restauration-hôtellerie. Elle tiendra
avec sa mère et son mari cuisinier l’hôtel-restaurant de l’Aigle d’Or à
l’Aigle en Normandie, de 1952 à 1957. Un fils, Dominique, naît en
janvier 1959. Le dernier hôtel tenu sera l’hôtel de la Forêt à Maison-Brûlée,
commune de la Bouille près de Rouen508. Germaine mère est aux côtés de sa
fille Violette/Germaine, et élève les cinq enfants des époux Coquelet d’une
manière très stricte, en accord avec la mère des enfants. Les affaires
commerciales sont au nom de Germaine Nozière qui les rend possibles en
les finançant. Si par l’effet de son mariage avec Pierre Coquelet, Violette
porte le nom de son mari – la question d’un changement de nom s’est
réglée –, elle fait de son second prénom à l’état civil, « Germaine », le
prénom mis en avant. Il y aura désormais deux Germaine. Côte à côte.

Incertaine réhabilitation judiciaire


Droit et jurisprudence
L’ex-condamnée à mort du procès d’assises d’octobre 1934 entend bien
demander et obtenir sa réhabilitation judiciaire. Légalement, Germaine
Coquelet réunit les conditions pour la demander. Quid du droit français et
de la jurisprudence en la matière ? Pour les condamnés à une peine pour
crime, une telle demande ne peut être formulée que cinq ans après le jour
de la libération. Cette demande est adressée au procureur de la République
qui transmet les pièces du dossier avec son avis au procureur général près
la cour d’appel. Question décisive : quelle a été « la conduite » de la
condamnée dans les lieux de détention où la peine a été exécutée ? À la
Petite Roquette, à Haguenau, à Rennes, la conduite de la détenue Nozière
fut exemplaire. Après sa sortie de prison, pas l’ombre d’une plainte
déposée contre elle, ni inculpation, et a fortiori de condamnation pénale.
Son avocat est à la manœuvre. À la date de cette demande de
réhabilitation, quatre enfants sont nés. La santé de Violette reste fragile.
C’est par la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Paris
que la demande de réhabilitation est examinée. Le procureur général
donne ses conclusions motivées par écrit. La cour entend le procureur
général, la partie ou son conseil, et statue sur la demande, y faisant droit
ou la rejetant. En cas de rejet, une nouvelle demande ne peut être formulée
avant l’expiration d’un délai de deux années (article 629 du Code
d’instruction criminelle).
Quelle est la nature juridique de la réhabilitation judiciaire ? « Elle efface
la condamnation et fait cesser pour l’avenir toutes les incapacités qui en
résultaient », telle est la disposition de l’article 634, alinéa 1 du Code
d’instruction criminelle. La réhabilitation judiciaire ne statue pas à
nouveau sur le crime, elle est une procédure d’effacement de la
condamnation. Dans le relatif laconisme de la loi, la jurisprudence dut faire
un peu de pédagogie. Dans un arrêt Jeannin du 11 décembre 1952, la
Chambre criminelle de la Cour de cassation dit la nature et le régime
d’appréciation de la réhabilitation judiciaire :
Attendu que la réhabilitation est une mesure de bienveillance instituée
par la loi en faveur des individus qui, après avoir été condamnés et
avoir subi leur peine, se sont rendus dignes, par les gages
d’amendement qu’ils ont donnés pendant le délai d’épreuve, d’être
replacés dans l’intégralité de leur état ancien ; que, si, pour apprécier
ces gages d’amendement, la Chambre des mises en accusation peut
tenir compte des faits qui ont motivé la condamnation et de leur
gravité, ladite Chambre ne saurait, pour rejeter la demande en
réhabilitation, se fonder uniquement sur ces faits et s’abstenir
d’examiner la conduite du condamné pendant le délai d’épreuve prévu
par les articles 621 et suivants du Code d’instruction criminelle509.
La jurisprudence de la Cour de cassation est plutôt d’orientation libérale.
La réhabilitation est une mesure de bienveillance pour qui a donné des
gages d’amendement. Ce n’est pas : « Il n’y a plus ni crime, ni délit » par
l’effet d’une fiction juridique. « Amendement » est la catégorie
pénitentiaire qui court tout au long du xixe siècle en France et encore dans
cette seconde moitié du xxe, ce que, à partir de Jean-François Lyotard, on
appellera le grand récit pénitentiaire de l’amendement du condamné.
Si la réhabilitation est prononcée, un extrait de l’arrêt est adressé par le
procureur général à la cour d’appel qui a prononcé la condamnation, pour
être transcrit en marge de la minute de l’arrêt de condamnation. Effet ?
Mention en est faite au casier judiciaire de la condamnée. Les extraits
délivrés aux parties ne doivent pas relever la condamnation (article 633).
La réhabilitation prononcée efface la condamnation pour les tiers, mais pas
pour les magistrats (sauf en matière de récidive). Elle n’a pas d’effet
rétroactif sur les incapacités civiques, civiles ou de famille, elle vaut pour
le présent et pour l’avenir. La condamnée est à nouveau habilitée à exercer
ces droits dont elle était jusque-là privée. C’est là le sens de cette décision
judiciaire. Telle est sa configuration juridique, elle est étroite.
Figure 3

La presse va l’entendre autrement. Dans son édition du dimanche 22 et


du lundi 23 février 1953, le quotidien France-Soir fait état de la demande de
réhabilitation judiciaire de « Violette Nozière » (figure 3). En première
page, l’article de Georges Gherra s’ouvre sur ces mots : « Héroïne d’un des
plus sensationnels “faits divers” de l’entre-deux-guerres, Violette Nozière,
condamnée à mort le 12 octobre 1934, pour l’empoisonnement de son père,
graciée puis libérée, demande maintenant à la justice sa réhabilitation. »
Une mobilisation multiple
Germaine Coquelet a réuni pour (l’ex)Violette (Nozière) un ensemble de
témoignages à l’appui de sa requête.
Par une lettre, du 1er mars 1953, adressée à l’avocat de Violette,
l’académicien Henry Bordeaux, 83 ans, lui envoie, à toutes fins utiles, ses
deux articles publiés en 1934, « Plaidoyer qu’on n’a pas fait » et sa « Lettre
ouverte au président de la République », pour demander la grâce de
Violette, ce qu’il avait doublé d’une demande d’audience au locataire du
palais de l’Élysée, qui l’avait reçu.
Artifice de la défense de Violette, nous avons relevé la portée subjective
d’un rappel de « Monsieur Émile », à l’occasion de cette procédure. Non
seulement Violette/Germaine n’oublie pas, mais, à sa manière, le fait
savoir510. En 1933, la protection par « Monsieur Émile » n’était pas un
artifice de la défense mais un pont avancé, une déclaration de sexe.
De la maison centrale de Rennes, l’ex-greffière-comptable, sous les
ordres de laquelle Violette travaillait au service intérieur de la
comptabilité, adresse, le 23 mars 1953, en express de Carcassonne (Aude),
une lettre à René de Vésinne-Larue, en marque de l’estime qu’a suscitée
Violette qui ne s’est pas montrée indifférente au sort des femmes
incarcérées sur ordre des autorités d’occupation : « Elle a pu rendre de
grands services aux détenues incarcérées par les Allemands et partageait
avec elles ce dont elle disposait, elle a fait, par là, montre de patriotisme et
de dévouement. »
Deux autres comptables vont se manifester. Le 23 février de cette même
année, le secrétaire général de la Fédération française des associations
chrétiennes d’étudiants à Paris certifie par courrier avoir employé
Mme Coquelet comme comptable, de janvier 1946 à janvier 1951. La
Fédération n’a eu qu’à se « louer de ses services tant au point de vue de
l’honnêteté que du dévouement. Nos rapports avec elle ont toujours été et
sont demeurés très cordiaux ». Le lendemain, c’est un autre comptable,
membre de l’Ordre national des experts-comptables et comptables agréés
qui, lui aussi, fait état de l’emploi chez lui de Germaine Coquelet en qualité
d’employée aux écritures depuis le 1er juillet 1951. Elle a donné « entière
satisfaction à tous points de vue », travail et moralité.
L’un de ses beaux-frères, Joseph Coquelet, condamné et incarcéré à la
maison d’arrêt de Nantes pour activité communiste et résistance à
l’occupant, se manifeste à son tour511. Pour étayer le dossier de la
requérante, Joseph Coquelet témoigne par une longue lettre des qualités de
sa belle-sœur, de sa conduite en détention pendant les heures de
l’occupation allemande. Il fait part de l’estime et de l’admiration de son
propre père, Eugène Coquelet, considérant Violette comme l’une de ses
filles. De son retour de Buchenwald, dont il fut libéré après avoir été
déporté en 1943 pour son activité de résistant au groupement Front
national, il n’entendit parmi le personnel de la pénitentiaire de Rennes que
des compliments sur Violette Nozière, « une détenue modèle, […] très
travailleuse, dévouée et serviable, […] les codétenues l’aimaient beaucoup
étant très bonne à leur égard ». Il ajoute qu’elle « se montra très
sympathisante pour les internées pour faits de Résistance. J’entendais
parler qu’elle arrivait à prévenir les familles de ces femmes de leur brusque
départ pour des camps de concentration et à indiquer même parfois la
direction pour laquelle ces convois étaient destinés ». Ce qui a fait prendre
à Violette de « gros risques avec l’aide de certains sympathisants mais
[elle] était en butte à la guerre sournoise que lui livraient ceux qui étaient
contre ». Joseph Coquelet envoie enfin des fleurs à sa belle-sœur pour ses
qualités d’épouse et de mère. Aussi, « depuis déjà de nombreuses années
toute la famille l’aime et l’a adoptée comme une sœur ».
En mars, sous le titre « Violette Nozière mérite d’être réhabilitée »,
France Dimanche512 publie le témoignage de René Barbier, vivant à
Mourmelon-le-Petit dans la Marne. Il a été le voisin de lit de Piere
Coquelet alors que celui-ci était en janvier 1951 à l’hôpital Cochin après
son accident de la voie publique en octobre de l’année précédente.
Je venais d’être opéré par le professeur Merle d’Aubigné et j’avais
comme voisin de lit un nommé Pierre C… Celui-ci, bien que souffrant
beaucoup de l’accident qu’il avait eu, était un « rigolo », et je peux dire
qu’il a fait rire plus d’une fois malades et infirmières.
Souvent, lorsque la distribution de vin était terminée, mon voisin de lit
s’écriait, d’un air sérieux : « En ce temps-là, Jésus dit à ses apôtres que
ceux (il prononçait ceuss), qui n’ont pas de vin ils boivent le vin des
autres », et il prenait mon carafon de vin sur ma table de chevet, et s’en
servait un verre et le buvait. Pour me venger, le jour du 1er janvier 1951,
lorsque sa femme arriva à l’heure de la visite, je m’écriai à mon tour :
« En ce temps-là, Jésus disait à ses apôtres, que ceuss qui n’ont pas de
femme, ils prennent la femme des autres » et, en présentant mes vœux
à sa femme, je lui demandai la permission de l’embrasser ; elle accepta
d’ailleurs, malgré les protestations de son mari.
À ce moment-là, je ne savais pas que cette belle grande femme était
Violette Nozière, puisque je viens seulement de la reconnaître sur
France Dimanche ainsi que son mari, mais j’admirais son courage et son
dévouement. […]
Je l’ai vue plus d’une fois découragée, et pleurant près de son mari, car
elle était seule à travailler pour nourrir ses quatre enfants.
Et le témoin de souhaiter, lui aussi, que la balance de la justice penche du
bon côté. L’écho, cette figure du double, fait savoir que « ceuss » qui
auront à se prononcer…
Germaine, Pierre, d’une même plume
De Pavillons-sous-Bois en Seine-Saint-Denis, Germaine Nozière
s’adresse au président de la chambre d’accusation dont elle sollicite la
« haute bienveillance ». Elle reprend le terme même de la Cour de
cassation. Germaine écrit que sa fille lui a été rendue (on lui avait donc
prise513) depuis bientôt huit ans. Elle souligne « la bonté » dont on a fait
preuve à leur égard – mère et fille. Le remerciement de sa fille aura été son
« relèvement moral ».
Elle est devenue « une bonne épouse et une mère digne et admirable
pour sa petite famille de quatre enfants ». Elle indique qu’elle vit « avec ses
enfants depuis leur mariage514 » et se dit témoin de « la lutte héroïque » de
sa fille depuis l’accident de son gendre. Elle dit encore qu’elle est « en
admiration devant son courage et sa force de caractère » par lesquels elle
« a fait front […] en ne se révoltant en aucun point contre son lourd
fardeau de soucis ». Sa fille est « devenue le chef de famille » face à
l’impossibilité de son gendre de travailler. Elle sait que la réhabilitation
serait « une grande faveur515 » si le président de la Cour avait « la bonté516 »
de la prononcer. Sa fille entrerait en possession de tous ses droits ce qui lui
donnerait « la facilité de remplir plus aisément sa tâche ».
Je vous supplie, Monsieur le Président, d’être favorable à cette requête
au nom de mes quatre petits-enfants.
Écoutez la prière d’une grand-mère et d’une mère et que votre
jugement ne soit rendu qu’en songeant à nos quatre jolis bambins pour
qu’eux innocents ne souffrent pas dans leur avenir de cette terrible
tragédie.
Veuillez agréer, Monsieur le Président, mes civilités les plus
respectueuses
Avec mes sincères remerciements.
Veuve Nozière
Si Germaine rappelle son veuvage par sa signature, et qualifie, à
nouveau, les événements d’août 1933 de « terrible tragédie », c’est une
grand mère (mère et grand-mère) qui adresse sa « prière » et sa
« supplique » au président de la juridiction de la réhabilitation. Gages
d’amendement de Violette/Germaine : mariage et maternité(s) accomplis.
À son tour, Pierre Coquelet écrit une lettre au président de la juridiction.
Comparable à la lettre de Germaine, on croit lire double. Depuis son
accident, « ma femme est désormais le chef de famille », depuis sa
libération elle a « toujours eu une vie digne et édifiante, qui chaque jour ne
pensait qu’à sa réhabilitation de plus en plus en élevant ses enfants dans
un foyer heureux et honnête. Elle eut à dater de mon accident une vie
véritablement héroïque ». Être réhabilitée par l’institution justice serait
une pensée quotidienne de Violette. En d’autres termes, elle n’a pas fait
sienne cette condamnation alors même qu’elle a su se plier au temps
pénitentiaire pour en écourter la durée et la dureté. Puis, Pierre Coquelet
fait à son tour allusion aux événements d’août 1933 : « La plus belle chose
dont je serai toujours très reconnaissant à ma femme, c’est que nos petits
ne se sont jamais aperçus du drame terrible qui a traversé leur vie. » Se
dégage de cette lettre l’entente sans faille entre Germaine,
Violette/Germaine et Pierre sur cette absolue discrétion. La formule
traversière du mari portée sur les enfants dit que l’effacement de la
condamnation pénale du casier judiciaire sert cette discrétion. Politique de
la famille et politique judiciaire vont ici de pair.
La mère de Violette et son mari auront loué, d’un mot partagé, une
« héroïque » Violette/Germaine ; sur l’élévation de Violette/Germaine au
rang de « chef de famille », la mère et le mari écrivent aussi d’une même
plume. Là où, revenant sur la soirée du 21 août 1933, Germaine qualifie
celle-ci de « pénible tragédie », Pierre la qualifie de « drame terrible ». À
son évocation, ce sol épique bouge encore tel le tremblement de terre qui
aura retourné sens dessus dessous Baptiste et Germaine au domicile
conjugal. Il est effectif qu’une triple entente fit alliance sans faille pour ne
rien faire savoir aux cinq enfants de ce que fut cette soirée et cette nuit
d’août 1933. « Ils ont tout cloisonné », dira la fille aînée des époux
Coquelet517. Pierre Coquelet en appelle lui aussi à la « bonté » du président
et à sa « clémence », et lui dit sa « confiance ».
L’audience de réhabilitation se tient le 24 février. Le quotidien Combat
publie le 25 février 1953 une photographie de Violette sortant du palais de
justice de Paris ; gantée de noir, elle dissimule partiellement son visage.
Derrière elle, son avocat. Sur cette même photographie (agence Roger-
Viollet) publiée dans France-Soir du 25 février 1953 en première page de sa
dernière spéciale, la focale se resserre sur le visage de Violette. Un seul œil
se laisse voir, une écharpe barre son visage, soulignant ses yeux d’un trait
horizontal. Elle fait face à un photographe de presse (figure 4).

Figure 4

La décision de la cour d’appel


Par arrêt en date du 28 avril 1953, la cour d’appel de Paris rejette la
demande de réhabilitation judiciaire. Combat fait état des raisons motivant
cette décision :
1) la gravité des faits reprochés à Violette Nozière ;
2) le grand retentissement de cette affaire et l’impression profonde
qu’elle a produite sur l’opinion publique ;
3) les mesures de grâce dont Violette Nozière a déjà bénéficié.
Les magistrats ajoutent toutefois que Violette Nozière pourra,
conformément à la loi, présenter une nouvelle requête en réhabilitation
dans deux ans ; ils envisagent, à titre exceptionnel, la possibilité de lui
restituer une partie de ses droits civiques afin de lui permettre de se livrer
à une activité commerciale518. Ce troisième et dernier point ne sera pas
négligé par Germaine Coquelet. Ce même jour, elle adresse une demande
« À Messieurs les Présidents et Conseillers composant la Cour de Paris »,
par laquelle elle sollicite « la remise de la déchéance [commerciale]
résultant pour elle de la condamnation qui l’a frappée ». Dans un
cinquième point de sa requête, elle fait valoir « qu’en qualité d’artisan, son
mari avait créé une entreprise de fonderie à Bagnolet en septembre 1947519,
mais qu’en raison d’un accident qui lui est survenu en octobre 1950, il a dû
cesser toute activité et qu’il a besoin de l’assistance de la requérante ». Un
point sixième fait valoir « que devant subvenir, en outre, aux besoins de sa
mère qui est âgée et incapable de se livrer à aucune activité, elle doit
pourvoir à l’entretien de sept personnes ». Dernier point, « depuis sa
libération, elle n’a cessé de travailler soit comme comptable dactylographe
soit comme comptable, mais qu’elle se trouve dans l’impossibilité de
continuer à occuper un emploi à l’extérieur, étant tenue d’assister
matériellement les personnes aux besoins desquels elle doit, en outre,
pourvoir ; que pour tenir compte de ces nécessités, elle se propose de créer
dans le département de l’Orne une entreprise commerciale ; que par
application de l’article 5 de la loi du 30 août 1947, elle sollicite en
conséquence, la remise de la déchéance résultant pour elle de la
condamnation qui l’a frappée ». Le 3 juin 1953, pour le parquet de la cour
d’appel, l’avocat général près la cour d’assises appose son visa, c’est un
« Vu sans opposition ».
Le 5 juin 1953, la chambre du conseil de la cour d’assises, reprenant les
points soulevés par Germaine Coquelet notamment celui de la cessation
d’activité de son mari, lui donne acte « qu’il a besoin de l’assistance de
ladite Violette Nozière ». Violette Nozière fait retour, la voilà démariée ! La
chambre du conseil rend un arrêt par lequel elle « relève la nommée
Violette Nozière femme Coquelet de la déchéance et de l’incapacité
commerciale prévue par la loi du 30 août 1947520 ». Une activité
commerciale sous son nom est désormais devenue licite pour Germaine
Coquelet.
Ambiguïté de la réhabilitation
Le mot même de « réhabilitation » n’est pas en lui-même un mot qui
dans la langue puisse s’en tenir à sa signification juridique restreinte de
rendre à nouveau habile, apte à… Nous avons d’abord croisé la portée
religieuse de ce mot-clé dans la logique religieuse béthanienne. Les
réhabilitantes n’ont pas d’autre souci que d’œuvrer à la conversion
spirituelle qui fera des réhabilitées d’indiscernables sœurs. France-Soir du
25 février 1953 pousse les feux et entretient la confusion ; Georges Gherra
titre en lettres capitales son articwle : « Pour sauver son foyer, Violette
Nozière demande aux juges une absolution définitive521. » L’absolution
réfère à un ordre religieux (catholique) et n’est pas primordialement
juridique, au point même, aujourd’hui, d’avoir disparu du langage
juridique. En cela, la procédure de réhabilitation est distincte de la
procédure de révision devant la Cour de cassation, laquelle ne peut
s’ouvrir que sur la survenance d’un fait nouveau susceptible de faire naître
un doute sur la culpabilité du condamné. S’il est au pouvoir du droit
d’effacer (presque) une condamnation, le législateur n’a pas décidé qu’il
était en son pouvoir d’abolir le crime commis et d’absoudre ainsi la
personne condamnée – fût-ce au titre d’une fiction juridique ; à moins
d’ainsi considérer l’article 64 de l’ancien Code pénal.
Une nouvelle demande
1963. Dix ans plus tard, le droit de la réhabilitation judiciaire n’a pas
substantiellement changé avec la promulgation d’un Code de procédure
pénale en 1958, non plus que la jurisprudence de la chambre criminelle de
la Cour de cassation, qui dans un arrêt de censure du 12 février 1963 (arrêt
Bloch, Nathan) reprend aux mots près son attendu de l’arrêt Jeannin du
11 décembre 1952 précité522.
Les dissentiments des membres de l’institution judiciaire pénale quant à
l’accueil de la nouvelle demande de réhabilitation de Violette/Germaine
restent encore vifs dix ans plus tard. Ainsi, le procureur de la République
près la cour d’appel de Rouen se prononce contre, tandis que le procureur
général est pour, le juge de l’application des peines, président du Comité
de probation et d’assistance aux libérés (CPAL) de Paris est pour, de même
son collègue à Rouen. L’assistante sociale au CPAL de Rouen qui a effectué
une enquête sociale émet un avis favorable (en janvier 1963)523.
Le 13 mars 1963, la cour d’appel de Rouen juge que les conditions légales
exigées (aux articles 782 et suivants du Code de procédure pénale) sont
cette fois-ci réunies et en conséquence prononce la réhabilitation
judiciaire524.
L’article 798 du Code de procédure pénale précise que mention de l’arrêt
prononçant la réhabilitation est faite en marge des jugements de
condamnation et au casier judiciaire. Effacement de la condamnation,
« presque », notions-nous plus haut. Deux juristes pénalistes donnent à lire
que désormais, « les bulletins no 2 et 3 ne devront plus porter trace de cette
condamnation525 ». Ne devront ? Après eux, vingt-cinq ans plus tard, deux
de leurs collègues écrivent que « la condamnation ne peut plus être
mentionnée aux bulletins no 2 et 3 du casier judiciaire, mais elle reste
inscrite sur la fiche et sur le bulletin no 1526 ». Mesure de bienveillance qui, si
elle est accordée, replace les condamné(e)s « dans l’intégralité de leur état
ancien », aime à écrire la Cour de cassation. « L’intégralité » ?
L’effacement n’est que partiel. Si un sujet est ce qui efface ses traces
(Lacan), l’institution judiciaire pénale n’est pas dans la disposition
d’effacer purement et simplement les siennes ou plus exactement celles des
condamné(e)s. Ce que de son haut la loi énonce dans une généralité qui ne
manque ni d’élégance ni de générosité – « La réhabilitation efface la
condamnation » (article 799 du Code de procédure pénale) –, la pratique
judiciaire en retient l’élan.
Nul doute cependant que pour Violette, cette décision judiciaire de
réhabilitation ne soit venue, rétrospectivement, apporter une autre lueur
sur le procès de 1934. Violette réhabilitée, pour bouclage de son épopée, à
ses yeux ce n’est pas peu.

Un legs érotique discret


Configuration à quatre
Reprenons. De son côté Baptiste, représentant frappant des « bonnes
mœurs » à l’endroit de sa fille, de sa femme à l’occasion, n’avait pas
manqué, sur son lit d’hôpital, quelques jours avant sa mort, de donner une
dernière leçon à son père pour sa vie commune d’avec sa belle-fille, dans
une lettre de rupture : « à Dieu pour toujours ». Rupture pas moins lisible
dans sa tonalité érotique : « et bien pour moi, c’est fini, […] adoré bien
votre belle […] ». Baptiste ex-siste comme fils, comme beau-frère, comme
père. La mort lui sera administrée par sa fille.
Et Germaine ? Sa vie fut faite d’une vie ou l’amour pour « Émile » n’a
pas cédé, au point de dormir chaque nuit avec le corps de l’aimé sous son
oreiller, faisant, discrètement, lit à trois, de son côté. Relisons la
déclaration de Germaine du 24 août : « Je porte continuellement [nos
italiques] sur moi une ceinture contenant de l’argent. Elle contenait lundi
soir mille francs […]. »
Nous lisons de tels propos comme portant implicitement sa déclaration
de sexe – d’une déclaration d’amour – au nommé « Émile ». Germaine
porte à même sa chair continuellement cette ceinture, un corset – d’une
somme de ce montant527. Elle est ceinte de cet amour. Nous avons lu ce port
sur soi de mille francs comme une écriture d’où surgit un prénom :
« Émile », (É)mille (francs). Au registre d’une érotologie analytique, cette
somme chiffre le prénom d’un aimé de Germaine : « Émile » l’aimé qui
compte et aura compté – un aimé qui aura duré longtemps,
« continuellement ». Dans la chambre à coucher – dans le lit conjugal –
non pas deux, mais trois : Germaine, « Émile » et Baptiste. Les qualificatifs
dépréciatifs portés sur Germaine par les voisins (« fantasque »,
« neurasthénique »), ratent et déprécient que ses troubles (elle reste
longtemps sans mot dire, puis, brusquement, se montre intarissable), (ne)
sont (que) l’effet de cet amour « continuellement » porté sur elle, en elle. Et
ce jusqu’à sa surdité (partielle).
Dans cette chambre à coucher, « Émile » est trois fois présent ; non
seulement Germaine le porte au plus près de sa chair, mais redouble ce
mode de présence par cette « somme de deux mille francs également placés
dans le tiroir du bas » de l’armoire à glace de la chambre à coucher. Cela
fait trois mille. « Émile » trois fois présent, à demeure dans son invisibilité
même. Cet « Émile » serait alors resté à jamais son seul et inassouvi grand
amour, comparable en cela à l’agent de Cahors pour Claire Lannes, dans le
roman de Marguerite Duras L’Amante anglaise528. Lorsque le juge
d’instruction presse Violette de lui dire la provenance de l’argent dont elle
a pu disposer, on se souvient qu’elle répond : « Monsieur Émile ». Son
protecteur, dit-elle. Au-dessus de la tête du juge, cette réponse qui vaut
réplique s’adresse aussi à Germaine. Et possiblement vaut reproche :
« Qu’as-tu fait d’Émile ? Regarde où nous en sommes, toi et moi. » En
quoi, dans sa recherche d’une manière d’aimer, dans ses expériences
réitérées de rencontres passagères, c’est aussi un « Monsieur Émile » que
Violette a possiblement cherché et qu’elle cherche encore, fin août 1933,
dans la lettre de « Germaine » à « Christiane » : « Que fais-tu de beau dans
ton Paris, tu m’as dit avoir rencontré un jeune homme qui te plaît et que tu
aimes déjà un peu. Est-ce sérieux cela ? Je voudrais de plus amples
détails529. » Baptiste condense l’hostilité frappante, puis finalement vaincue
à ce mouvement et à cette recherche. Baptiste, au visage de suie, incarne la
contre-figure de ce « Monsieur Émile », industriel qui apprécie la
compagnie de Violette. « Monsieur Émile » est nomination persistante. Si,
vingt ans après les faits, au moment de sa première demande de
réhabilitation judiciaire, c’est par un montage de sa défense, que
« Monsieur Émile » (ré)apparaît, c’est que Violette aura voulu le rappeler
au bon souvenir de tout un chacun. Germaine et Violette sont prises
différemment sur cette ligne qui se nomme « Émile », là est leur commune
résidence.
L’accord à deux
On se souvient que dès sa sortie de prison, Violette se présente comme
étant « Germaine Hézard ». Par cette nouvelle nomination qui fait
disparaître Violette Nozière connue défavorablement de « l’opinion
publique », de quoi est-il question ? Du nom, avons-nous avancé, de cette
femme mariée très jeune et divorcée très tôt à l’âge de 18 ans et demi, se
libérant d’un mariage qui l’opprimait. Une femme qui fit donc preuve
d’émancipation : sa mère dans sa jeunesse. C’est cette jeunesse, cette
femme, et cette émancipation que Violette salue. Ce sont les couleurs
qu’elle entend porter sur elle. À sa manière, elle ne désarme pas. Là est un
point vif de la relation entre Violette et sa mère, là est entre elles une
discrète proximité. Germaine, la mère, sera compagne à vie pour elle
Violette, près du couple Coquelet, et au plus près de ses (petits-)enfants.
Ceux-ci s’étonnaient, non pas de partir en vacances avec leur grand-mère,
mais de la présence au quotidien de leur grand-mère chez eux.
Au lieu de l’Autre530 – de l’Autre sexué – se tiennent deux femmes
désormais de même prénom, une mère et sa fille : de Germaine à
« Germaine531 » : une gémellité. Verliebtheit ? Un aimer entre femmes.
Retrouver le premier corps d’amour532.
À propos de la chôra chez Platon, Augustin Berque note les métaphores
par lesquelles Platon approche cette notion sans pouvoir la définir. « Il la
compare ici à une mère (mêtêr, 50d 2), ou à une nourrice, mais ailleurs à ce
qui est le contraire d’une matrice, c’est-à-dire à une empreinte (ekmageion,
50 c 1)533. » Une empreinte ? Augustin Berque montre que cette
« empreinte-matrice [est] coupable de tiers inclus534 », elle tourne le dos à la
logique aristotélicienne du tiers exclu. Germaine (réceptacle du devenir),
Violette (l’enfant en devenir) ; le modèle… « Émile », marquant
différemment chacune de ces deux femmes. « Émile », empreinte en tiers
exclu/inclus. Une chôra entre mère et fille dont l’entre figure tierce incluse
et aussi exclue aura été problématique pour Violette, se protégeant de
l’institution judiciaire par cette nomination d’« Émile » mise en avant face
au juge ; cette figure d’un industriel qui n’était pas son amant.
Germaine et « Germaine ». Violette aura porté dès sa sortie de prison et
jusqu’à son dernier souffle ce prénom de « Germaine ». La jeune femme du
monde se promenant au jardin du Luxembourg est sur la ligne d’une autre
jeune femme, sa mère, venue à Paris au début du siècle, quittant la Haute-
Loire, région de montagne et d’agriculture, pour y tenir un dépôt de vin.
Germaine n’a pas oublié ce commerce. Au début de l’année 1951, elle prend
en gérance libre un fonds d’épicerie-buvette-hôtel dans la région
parisienne à Clamart. Trois commerces en un. Alors que de janvier 1946 à
janvier 1951, « Germaine » travaille en qualité de comptable auprès de la
Fédération française des associations chrétiennes d’étudiants à Paris, elle
quitte cet emploi pour exploiter le fonds de commerce que sa mère venait
de prendre en gérance libre. « Germaine » rejoint Germaine – dans ce côte
à côte au quotidien.
Existence commune
Dans les années 1950, tandis que son mari est en cuisine, Germaine
Coquelet reçoit les clients de l’hôtel-restaurant de l’Aigle d’or dans la salle
à manger du restaurant, elle passe d’une table à l’autre. Germaine, mère,
belle-mère et grand-mère, s’occupe de l’éducation de ses petits-enfants.
Elles s’accordent toutes deux, « Germaine » et Germaine, sur une
éducation très stricte, tant sur les devoirs scolaires que sur les heures de
sortie… Rentrer à minuit, ce n’est pas rentrer peu après minuit. Le 21 août
1933 en fin d’après-midi, c’est rue Mercœur dans le 11e arrondissement de
Paris que Violette poste la lettre adressée à Jean Dabin, et non à la gare de
Lyon comme elle le lui écrit. Rue Mercœur, Mère cœur… un matricide
engagé par deux fois à… contrecœur ? Par deux fois, avec une demi-dose.
Si Baptiste est visé frontalement, Germaine peut et doit traverser
l’épreuve. Par deux fois, Violette aura réussi la « simple » tentative. « Je
n’ai pas voulu tuer maman » résonne encore. Violette, lors de
l’interrogatoire du 9 septembre : « Maman était très sévère comme toutes
les mères, mais elle m’aimait beaucoup et je l’aimais beaucoup aussi535. »
Durant la longue incarcération de douze ans, le souci de Germaine, c’est
Violette, dès la Petite Roquette, puis à Haguenau, puis à Rennes. Sans
relâche.
En octobre 1950, après un accident de moto, Pierre Coquelet est
hospitalisé de longs mois. Sa marche est définitivement handicapée ; force
de la nature (il aimait défier les lutteurs dans les foires), boitant, il marche
encore d’un pas vif. En 1960, il rate un virage au volant de son automobile.
De cet accident, il sort le bassin fracturé, une seconde fois.
En 1961, le mari de Violette est hospitalisé à Paris, pour une intervention
chirurgicale ne présentant pas de difficulté particulière ; l’opération se
passe au mieux. Or, entrant dans un coma, Pierre Coquelet meurt dans la
nuit du 30 juin 1961, à l’âge de 41 ans. Dominique, dernier né de la famille,
n’a pas encore 3 ans. Il reste à Violette/Germaine un peu plus de cinq
années à vivre.
Quand l’objet de son amour est soustrait à Germaine
La ligne de vie pour Violette/Germaine va se faire catastrophe. Atteinte
d’abord d’un cancer (mammaire), puis d’un cancer généralisé des os,
« Germaine » est alitée deux années durant. Le père Roger Taccoën536,
prêtre-ouvrier, la visite chaque semaine, passant l’après-midi avec elle, lors
des douze derniers mois de sa vie.
Le 26 novembre 1966, Germaine Coquelet meurt dans la nuit à son
domicile du Petit-Quevilly près de Rouen, à l’âge de 51 ans. Germaine ne
réalise pas que sa fille vient de mourir. On songe à ce fragment de lettre
adressée par Nicolas de Staël à la mère d’une femme décédée : « Votre
seule raison d’être est d’être sa mère et pour ma part je serais bien content
de pouvoir mourir dans une telle densité537. » À cette mort, Germaine ne
survivra pas longtemps ; elle se voûte, sa surdité l’isole, elle meurt le
5 septembre 1968.
D’une double non-inscription funéraire
Une surprise attend qui se sera rendu au cimetière de Neuvy-sur-Loire
où Violette Nozière/Germaine Coquelet est inhumée. Le caveau de famille
comporte six places. Les Hézard, grands-parents maternels de Violette, y
sont inhumés. Comme on le lira sur la photographie ci-après (figure 5),
deux noms sont gravés sur la pierre tombale, celui de « Nozière B te »
1885-1933 et celui de Pierre Coquelet 1919-1961.
L’inscription relative à Baptiste Nozière surprend encore. « Nozière B
te », cette abréviation laisse entendre et écrire « Nozière bête » – bête
d’avoir pu ne pas parer à l’empoisonnement du 21 août au soir, « bête »
d’avoir pu ne pas être conséquent avec son propos dit ce soir-là de son
absence de maladie, « bête » encore d’avoir pu descendre avec Violette
pour s’assurer du contenu des trois paquets de poudre et y avoir renoncé
en un temps très court (quelques minutes), et de remonter à son domicile,
vérification non faite, « bête » enfin d’avaler d’un trait (contrairement à
Germaine) lesdits médicaments. Autant d’impuissances cumulées, la
confiance en ce docteur Deron qu’il consultait538 aidant, et Violette sachant
s’y prendre. Par contraste, le prénom de Pierre Coquelet n’a pas été réduit
à sa première lettre écrite en capitale.
Ce qui saute aux yeux, c’est aussi que ni Violette, ni Germaine – ni
« Germaine » ni Germaine – ne se trouvent inscrites sur cette pierre
tombale. Par souci de discrétion ? Craindrait-on qu’un ou plusieurs
surréalistes ne viennent s’y recueillir ? Y déposer une gerbe de roses
rouges ? Aucun d’entre eux n’avait fait le voyage à Haguenau, non plus
qu’à Rennes. Il ne semble pas non plus que parmi les contributeurs à la
plaquette de décembre 1933, l’un d’entre eux ait voulu se faire connaître
auprès d’elle dès après sa sortie de prison. Craindrait-on que sous le nom
de Germaine Coquelet resurgisse « la sombre silhouette de Violette
Nozière, dans son long manteau noir à col de fourrure539 » ? – il est vrai que
les fantômes existent. Au dire de sa fille Michèle, « elles dorment
tranquilles ». Ensemble.
À la mort de sa fille, Germaine Nozière ne semble pas avoir eu ce geste
de faire graver le nom de Germaine Coquelet en lettres dorées sous celui
de son mari (figures 5 et 6).
Figure 5

Figure 6

Au jour de l’inhumation de Violette/Germaine au cimetière de Neuvy-


sur-Loire, ses cinq enfants sont présents, avec leur grand-mère. Ce jour-là,
au cimetière, Germaine dit à une vieille amie : « Ne t’inquiète pas, les
enfants sont au courant de rien. » Le pacte de silence scellé entre les deux
femmes a tenu, une vie durant, jusqu’à leur dernier souffle. Entre elles, pas
l’ombre d’une trahison.
Cette double non-inscription funéraire peut présenter aussi un sous-sol
relevant d’un certain rapport à la mort. Dans l’histoire de la famille
Hézard/Nozière, ces deux femmes ont encouru de très près le risque de mort.
Germaine par deux fois, du fait des deux tentatives d’empoisonnement
l’atteignant par la demi-dose de poudre absorbée en mars et en août.
Violette sait la peine de mort encourue pour l’assassinat,
l’empoisonnement et le parricide, trois qualifications emboîtées ; la
dernière, pour l’antique mémoire romaine, est d’une autre nature que tout
autre meurtre prémédité ou pas, car crime public, c’est à la Cité qu’il porte
atteinte. Le 12 octobre 1934, les oreilles de Violette entendent le président
de la cour d’assises prononcer publiquement et solennellement un verdict
de peine de mort pour crime de parricide, sa tête sera « couverte d’un voile
noir ». Elle est alors judiciairement promise à la lame de la guillotine. Au
moins un temps. On peut à peine commencer à imaginer comment peut
être entendue une telle profération ; la dire traumatique n’est qu’indicatif.
« Troumatisme » est une invention de langue de Jacques Lacan, pour dire
un trou dans le réel540. Il peut arriver qu’au moment précis du prononcé du
verdict de condamnation, le condamné devienne fou, ainsi de « Monsieur
H.541 ». Violette, elle, explose, insulte, injurie. « Germaine » et Germaine,
fille et mère, ont su chacune dans sa chair ce qu’est l’expérience d’une
mort qui se fait proche. Serait-il au pouvoir de quiconque de compter cette
expérience pour peu, voire rien ? À quoi il n’est sans doute pas abusif
d’ajouter l’effet possible de retour de l’acte d’empoisonnement sur Violette
elle-même542.
Germaine et « Germaine » sont les deux femmes de cette famille ayant
eu cette expérience rapprochée de la mort des deux côtés d’un même acte et
de ses conséquences possibles. Que Germaine ait, par deux fois, tenu cette
expérience limite des mains de sa fille Violette n’a pas fait obstacle à ce
que cette expérience d’une mort frôlée de près fasse communauté discrète
entre elles, au prix d’un silence tenu tombes incluses. Comme si cette
affaire ne regardait qu’elles. Leur côtoiement silencieux est fort d’une
traversée de l’épreuve des épreuves : le risque de mort avancé. Entre elles,
pas de tiers concerné543.
Lorsque près de deux ans plus tard Germaine meurt, cette fois-ci, ce sont
ses petits-enfants qui ne font pas inscrire le nom de leur grand-mère sur
cette même pierre tombale du caveau de famille.
Germaine et « Germaine »
Cette non-inscription ne renvoie-t-elle pas aussi à la forclusion de la
Verliebtheit mère-fille – et de l’amour entre femmes ? On s’interroge, celles
dont les noms ne sont pas inscrits seraient-elles celles qui ont tant compté
entre elles ? Cette Germaine, toujours présente, « toujours en
mouvement », dit sa petite-fille, au point que « ma grand-mère était l’alpha
et l’oméga de ma maison », dit l’aîné de ses petits-fils544. Germaine occupe
le terrain de la maison Coquelet. Cette occupation est un transport d’être.
Dans les activités commerciales dans lesquelles Germaine Coquelet
s’engagera, sa mère est à ses côtés. C’est elle qui sera propriétaire de
l’hôtel-restaurant de l’Aigle d’or. Pour le commerce de sa fille, elle a donné
son argent et son temps.
Une alliance indéfectible entre mère et fille. Un pacte pour la vie non
démenti. En langage de politique diplomatique, une entente cordiale : cor,
c’est le cœur. Une certaine politique dans laquelle ont été pris le mari et les
(petits-)enfants. Alors même que, par cette cohabitation continue, mère et
fille étaient renvoyées à cette année 1933, et ce possiblement chaque matin,
chaque soir, chaque nuit… Elles savaient ce qui les liait.
Ces deux femmes décident d’une existence commune, prenant mari et
enfants dans cette configuration. Germaine et « Germaine » impriment le
mouvement. Cette entente entre deux femmes, seule la mort prématurée
de Violette/Germaine la dénouera. Dans cette monographie, gémellité
entre les deux Germaine est le nom qui s’impose pour cet amour-là, dans
sa longévité et dans sa densité.
Le jour du décès de Violette/Germaine, Germaine Nozière ne fit le
moindre commentaire, n’ouvrit la moindre discussion avec ses petits-
enfants sur une Violette Nozière qui avait amplement défrayé la
chronique… dans les années 1930 et qui serait leur… mère. Elle fit comme si
elle n’avait jamais été concernée par cette femme à qui elle voua sa vie.
L’agitation des journalistes devant le rez-de-jardin de l’appartement, elle
ne l’a pas vue… Silence qu’elle gardera jusqu’à sa mort, croyant ou
feignant de croire que les petits-enfants ne savaient toujours rien de cette
affaire qui put les concerner. Dans ce pacte à trois, Germaine,
« Germaine » et Pierre, nulle rupture n’interviendra, pas une maladresse,
pas une négligence, bref, pas une bévue. Positions tenues. L’éducation des
enfants s’est faite sur le fond de cette discrétion et de cet amour-là. De
cette histoire, les enfants n’avaient pas à porter une vision susceptible
d’occuper leur vie. Et cette étrangeté, cette Unheimlichkeit (Freud) d’être
confrontés à la proximité au quotidien d’une mère ayant tué son « père »
et fait encourir à sa mère un risque de mort, ne leur a pas été présentée.
Pour Germaine, « avec la mort de sa fille la porte était fermée », selon les
propos de sa petite-fille, celle de sa propre existence. En moins de deux
ans, elle s’est alors courbée, orientée vers sa tombe – celle de Violette ? –
Émile s’effaçant ?
Levée d’un « black-out complet »
Dans la matinée du jour du décès de Violette, le 26 novembre 1966, une
nuée de journalistes tombe sur l’appartement familial du rez-de-jardin de
la résidence du Petit-Quevilly. C’est ce que sa fille constate après qu’elle
est allée déclarer le décès de sa mère à la mairie. C’est par cette présence
de journalistes qu’elle apprend que sa mère fut « Violette Nozière », par cet
effet de « presse ». À ce moment-là, les enfants ne sont pas seulement
touchés par la mort de leur mère « Germaine », ils apprennent, tout d’un
coup, ce qui eut lieu au 9 rue de Madagascar à Paris à peine plus de trois
décennies plus tôt545. Militante syndicale CGT, sa fille Michèle a témoigné
de sa surprise lors d’un entretien publié dans un ouvrage recueillant des
témoignages de syndicalistes.
C’est quelque chose qui ne nous avait jamais été révélé. J’ai appris que
ma mère était Violette Nozière le jour où je suis venue déclarer son
décès. C’est quand même dur à avaler [nos italiques]. Je n’étais pas
vieille à l’époque. J’avais 20 ans. Heureusement, moi et mes frères, nous
avons été aidés alors par un prêtre-ouvrier, Roger Taccoën. C’était un
militant CGT à l’usine Renault de Cléon où il était secrétaire du CE
[comité d’entreprise]. Par la suite, j’ai été tutrice de mes quatre frères546.
Sur le moment, ne passe pas ce qu’elle appellera bien plus tard « un
black-out complet ». Quelque cinquante ans plus tard, la chose semble bien
pourtant avoir été digérée. Le 25 novembre 2016, à l’occasion d’une
journée d’étude tenue à la cour d’appel de Rouen, après un exposé d’Anne-
Emmanuelle Demartini sur la réhabilitation judiciaire de Violette, du fond
de la salle, une voix s’élève : « Je suis la fille de Violette Nozière547. » Par
cette profération publique dans une enceinte judiciaire, elle se déclare
publiquement comme telle. Est-ce forcer le trait que d’ainsi qualifier cette
parole publique de déclaration de guerre et d’amour ? De guerre à ceux qui
pensent qu’« être la fille de… » est un problème, et une déclaration
d’amour à sa mère. Ce jour-là, la voix passe.

496. Eugène Coquelet sera réformé temporairement puis définitivement en 1921, avec une
pension permanente d’invalidité de 20 % en 1924, puis de 30 % en 1928.
497. Les dates de naissance des enfants Coquelet sont celles-ci : Henri, né en mars 1912, Camille,
né en avril 1914, Albert, né en novembre 1915, Pierre, né le 19 février 1919 (futur mari de Violette),
Joseph, né en octobre 1921, Marie-Madeleine, née en septembre 1923, Jean-Jacques, né en
janvier 1925, Roger, né en août 1927, Gérard, né en octobre 1929, Henriette, née en mars 1933 et
Christian, né en avril 1935. Situation de famille établie par Eugène Coquelet dans un courrier du
1er décembre 1942, alors qu’il est à la maison centrale de Fontevraud (Maine-et-Loire).
498. Rapport de l’inspecteur Guillossou du 11 juillet 1951 : « Le 7 mai 1946, elle est tombée
souffrante et il ne semble pas qu’elle ait poursuivi les cours de perfectionnement. »
499. Indication de Michèle Aba (fille de Violette), lors du séminaire de criminologie UMA,
université Paris Nanterre/maison d’arrêt des Hauts-de-Seine, séance du 6 novembre 2018.
500. Gérard Cornu, Droit civil. Introduction. Les personnes. Les biens, Paris, Éditions Montchrestien,
coll. « Domat Droit privé », 1993, p. 215.
501. « 15 jours à Fresnes » ? Ce chiffre « 15 » insiste, poursuivant sa course, mine de rien ce…
15 avril 1946. Le « 15 décembre » 1932 est la clé d’ouverture que nous avons avancée du passage du
crime. Ce soir-là fut une déflagration. Voir la section « Coups portés », partie I, p. 21 et la section
« Un, deux – trois : passage du crime », partie III, p. 257.
502. Sur le poème de Paul Éluard, on se reportera à la belle étude d’Agnès Fontvieille, « La
question de l’énonciation dans le poème de Paul Éluard publié dans le recueil surréaliste Violette
Nozières (décembre 1933) », Le Gré des langues, no 15, 1999, p. 90-111.
503. « Rapport sur la tristement célèbre Nozière, Violette Germaine, née le 11 janvier 1915 à
Neuvy. Après un séjour de douze ans dans les centrales de Haguenau et de Rennes. » La prison
pénale comme « séjour » ? Un exemple (grossier) de « Là où je pense, je ne suis pas ».
504. Clémence est décédée le 15 février 1951 à Neuvy-sur-Loire.
505. Un rapport de l’inspecteur Guillossou du 11 juillet 1952 mentionne que P. Coquelet est né le
19 février 1919 à Villedieu (Indre), il est divorcé de Jeanne Roger. De ce premier mariage est né un
fils, Alain, en janvier 1943, les époux sont domiciliés à Joinville-le-Pont dans le département de la
Seine. Source : mairie de Créteil, le 9 juillet 1951. Alain Coquelet est psychiatre.
506. Cité par Sylvie Lapalus, La Mort du vieux. Une histoire du parricide au xixe siècle, op. cit.,
p. 309-310. Ces Notes sont publiées en 1888 à Nice.
507. François Coquelet est décédé le 8 juin 2019.
508. Voir J.-M. Fitère, op. cit., p. 211-212.
509. Voir Bulletin des arrêts de la chambre criminelle de la Cour de cassation, no 302, p. 500-501 et
Gazette du Palais, 1er semestre, 1953, p. 136 et la note.
510. Voir la section « La ligne “Émile” », partie III, p. 225.
511. Voir la section « Avant, de l’autre côté de la pénitentiaire », partie IV, p. 289.
512. France Dimanche, no 342, semaine du 15 au 21 mars 1953, p. 4.
513. Germaine vient ainsi d’écrire que l’entrée de Violette dans un ordre religieux aurait prolongé
et redoublé le temps de rétention de sa fille, sans fin.
514. P. Coquelet, « enfant » de Germaine… Belle-mère et gendre se vouvoyaient.
515. Nous avons lu que « faveur » vient juste après « bienveillance » dans l’attendu de la chambre
criminelle de la Cour de cassation.
516. « Mesure de bienveillance » est l’expression de la chambre criminelle pour définir la
réhabilitation judiciaire ; Germaine pousse jusqu’à la « bonté », qui est une vertu.
517. Propos de Michèle Aba au séminaire de criminologie UMA (université Paris Nanterre/maison
d’arrêt des Hauts-de-Seine), séance du 26 novembre 2018.
518. Combat du mercredi 29 avril 1953, p. 8.
519. Avant cela, P. Coquelet avait travaillé comme chef-cuisinier à la cantine de la SNCF à
Rennes. « Par la suite, il a exercé cette même profession de novembre 1946 à avril 1947, à
l’Association des étudiants protestants, 46 rue de Vaugirard à Paris (6e). » Rapport du 11 juillet 1952
de l’inspecteur Guillossou, précité.
520. Cette loi du 30 août 1947 est relative à l’assainissement des professions commerciales et
industrielles.
521. Déjà le France-Soir du 22-23 février 1953 (p. 4.), dans un article non signé, avait donné le ton :
« La décision qu’elle [la cour d’appel] va rendre équivaut à une véritable absolution, car aux termes
de la loi, la réhabilitation efface la condamnation et fait cesser pour l’avenir toutes les incapacités
qui en résultent. Elle dira si Violette Nozière en est digne. » L’hebdomadaire Paris Match tient la
palme christique : « Violette Nozières : l’histoire d’une résurrection ». Dans ce reportage, Henriette
Chandet et Hubert de Segonzac écrivent à propos de la détention pénale de Violette à Rennes : « On
a confiance en elle, ses aptitudes et son sérieux au travail lui ont valu d’être nommée expert-
comptable. Elle fait en ville des remplacements de mobilisés. Elle sort seule, en robe noire. Elle
rentre tard le soir, parfois presque à minuit » (Paris Match, no 208, mars 1953, p. 44). Les journalistes
s’amusent-ils ?
522. Cassation, 12 février 1963, Bulletin des arrêts de la chambre criminelle, no 72, p. 153-154, et
Gazette du Palais, 1er semestre, 1963, p. 434, avec une très brève note. Voir aussi Alfred Légal,
« Chronique de jurisprudence. 3. Les conditions de la réhabilitation judiciaire », Revue de science
criminelle et de droit pénal comparé, vol. XVIII, no 3, 1963 p. 798-800.
523. Nous empruntons ici à l’étude de A.-E. Demartini, « “Elle était en fait un prix de vertu.” La
réhabilitation de la parricide Violette Nozière », dans Claude Gauvard (sous la dir. de), Punir et
réparer en justice du xve au xxie siècle, préface de Denis Salas, La Documentation française, coll.
« Histoire de la justice », 2019, p. 109-118, spécialement p. 113-117. La citation en italiques qui fait
titre pour cet article est une citation de Me de Vésinne-Larue, extraite d’une déclaration publiée par
le journal L’Aurore du 29 novembre 1966. Les Archives nationales nous ont fait connaître par
courriel que pour des raisons matérielles (l’insécurité des bâtiments où le dossier est conservé),
celui-ci ne pourrait être consulté avant longtemps…
524. Notice Wikipédia, « Violette Nozière », Référence no 78. Dans son livre, A.-E. Demartini date
la décision de la cour d’appel de Rouen du 22 août 1963, op. cit., p. 360.
525. Marcel Fréjaville et Jean-Claude Soyer, Manuel de droit criminel, 10e éd. entièrement refondue
et mise à jour, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1964, p. 110.
526. Roger Merle et André Vitu, Traité de droit criminel. Procédure pénale, 3e éd., Paris, Cujas, 1979,
p. 979.
527. L’ordonnance de clôture de l’instruction du 5 janvier 1934 transcrit : « une ceinture
abdominale qu’elle portait toujours sur elle ».
528. M. Duras, L’Amante anglaise [1986], Paris, Gallimard, 1967, coll. « L’imaginaire », 2010.
529. Le texte de cette lettre est donné dans la section « Un, deux – trois : passage du crime »,
partie III, p. 257.
530. « L’Autre, vu comme Khôra, est bien, chez Platon, entre autres choses, la mère. » J. Allouch,
L’Autresexe, op. cit., p. 189.
531. Le prénom « Violette » n’était pas d’usage dans la famille ; peu causante, Germaine l’appelait
« Germaine » ou « Nénette », ce dernier diminutif venant de son mari Pierre Coquelet.
532. Voir « L’érotique sexuée “feumelle” : origyne », Spy, 2019, p. 33.
533. Augustin Berque, « La chôra chez Platon », dans Thierry Paquot et Chris Younès (sous la dir.
de), Espace et lieu dans la pensée occidentale. De Platon à Nietzsche, Paris, La Découverte, 2009, p. 22.
534. Ibid., p. 26.
535. J. Dabin lors de l’audition du 30 août 1933 : « Jamais je ne l’ai entendu dire du mal de sa
mère. »
536. Voir Roger Taccoën, Une certaine joie de vivre, préface de Jacques Duquesne, Sartrouville,
Socodim, 1993.
537. Lettre à Mme Guillou, mère de Jeannine, mars 1946, citée par Jean-Louis Sous, Nicolas de Staël.
Portées d’un acte, Paris, Epel, coll. « essais », 2015, p. 71.
538. Le 18 septembre 1933, André Penské, agent de laboratoire au service du docteur Fanoy à
l’hôpital Bichat, rappelle que Violette a été soignée par le docteur Deron en février de cette même
année : « Les deux ou trois fois que j’ai vu Mlle Nozière à l’hôpital, elle était toujours accompagnée
soit de sa mère, soit de son père. »
539. A.-E. Demartini, « L’affaire Nozière entre instruction judiciaire et médiatisation », Le Temps
des médias, no 115, 2010, p. 126-141, p. 128.
540. J. Lacan, Les non-dupes errent, séance du 19 février 1974, séminaire inédit.
541. Voir le mémoire d’Henry Frignet, « Considérations psychanalytiques et médico-légales à
propos d’un sujet psychotique auteur d’un homicide. Réflexions sur la question de la responsabilité
pénale dans les psychoses », Le Discours psychanalytique, no 8, octobre 1992, p. 53-102.
542. Cette pointe, persécutive, fait l’objet d’une nouvelle d’Italo Svevo, L’Assassinat de la via
Belpoggio et autres nouvelles, traduit de l’italien et préfacé par Jean-Noël Schifano, Paris, Gallimard,
coll. « Folio », 2005. Un écho au « Ce n’est pas tenable », dit par Violette pleurant, à l’amant d’une
nuit.
543. Ayant rencontré Violette dans les couloirs de l’administration de la prison de Rennes, de par
le métier de son père, Pierre Coquelet a su d’emblée. À ce silence il s’est tenu.
544. Propos de Jean-Jacques Coquelet lors du séminaire de criminologie UMA, université Paris
Nanterre/maison d’arrêt des Hauts-de-Seine, séance du 4 novembre 2019.
545. Discutant avec l’une de ses connaissances, J.-J. Coquelet avait eu l’occasion, les circonstances
s’y prêtant, de pressentir la chose de son côté.
546. Antoine Fiszlewicz, Haute-Normandie. Pages d’histoire sociale, témoignages de syndicalistes,
Rouen, Institut d’histoire sociale CGT 76/Comité régional CGT de Normandie, 2009, p. 11.
547. Journée d’étude organisée par l’association française pour l’histoire de la justice (AFHJ). Voir
la section « Incertaine réhabilitation judiciaire », partie IV, p. 303. Cette déclaration de Michèle Aba
fait l’épilogue du livre de A.-E. Demartini et donne lieu à quatre pages obscures (op. cit., p. 375-378).
Dans ces pages, elle écrit notamment à propos de Michèle Aba qu’elle n’a pas « envie d’éprouver
d’empathie, de glisser dans le dolorisme, je ne crois pas que cette femme a besoin de moi, non plus
d’ailleurs que Violette Nozière à qui je n’ai cherché à redonner ni dignité ni vie ». On ne suit pas. Et
encore ceci : « Je ne suis pas Violette Nozière, je n’ai pas envie d’entrer dans sa famille et de
fréquenter ses proches. » On ne suit toujours pas.
Épilogue

À la mi-septembre 1933, alors que Violette est incarcérée à la Petite


Roquette, le journaliste d’un hebdomadaire ouvre son article par ces mots :
« Elle est en prison, et cependant les journaux lui consacrent encore des
colonnes entières. Il est vrai que Violette Nozières déroute les plus fins
psychologues. Le monstre !… La perverse !… L’odieuse criminelle ! On a
cherché en vain des mots pour la caractériser548. » Misérable caractérologie.
Dans sa plaidoirie, René de Vésinne-Larue, qui sa vie durant resta proche
de Violette, avait eu ces mots, se disant dépassé :
Quand on la sait si jeune et qu’on la voit si sombre, quand on constate
la précision mécanique qui marque l’exécution de ses actes, quand on
découvre l’inconscience décevante de ses desseins, on se sent en face
d’un fait humain dont la compréhension nous dépasse549.
Pour François Mauriac :
Non seulement cette parricide sera pardonnée et aimée, si elle le veut
(et elle l’est peut-être déjà à l’heure où j’écris), mais encore préférée, à
cause de sa misère sans égale, et pour l’excès d’opprobre qui l’attend
encore. Cet opprobre, quel trésor sans prix il peut devenir entre ses
mains, le saura-t-elle jamais550 ?
On sait François Mauriac chrétien.
Déterminée, rêvant sa vie, une vie de rêve, la vivant déjà, engagée dans
une vie de fêtes et de plaisirs, la soutenant dans une folle épopée. Vie de
café en « saga canaille ». Survolant sa jeunesse au début des années 1930,
queue de comète des années 1920 qualifiées quelques décennies plus tard
d’« Années folles », Violette, qui se voulut parisienne, est précédée par sa
mère Germaine dans un amour « émilien » et un courage de femme
s’émancipant à l’âge même où Violette saute le pas de l’empoisonnement
visant Baptiste, le préparant dans une détermination « à la fois tâtonnante
et réitérée… » Germaine, un temps « s’aimancipant ». « Émile » aimé, mot
de passe entre mère et fille qui ne s’aiment pas moins (d’autant plus ?).
Une lettre de Violette à sa « Bien chère Petite Maman », écrite à la maison
centrale de Haguenau, le 27 octobre 1935, se termine par ces mots :
Je te quitte chère Maman en te serrant sur mon cœur.
Encore Mille et Mille baisers. Ton Enfant qui t’aime. À bientôt551.
« Encore Mille et Mille baisers ». Encore Émile. Et mille et une violettes,
c’est l’éclat de cette épopée, si elle avait pu se poursuivre.
Un désir de libération, convoquant folie et courage peut faire que les
choses soient poussées jusqu’à cette extrémité épique. Nous avons montré
qu’un 15 décembre 1932, Baptiste est devenu aux yeux de Violette un
ennemi à abattre ; dès le lendemain matin, elle fait passer la peur de l’autre
côté en laissant au domicile paternel une lettre par laquelle elle annonce
son suicide pour le jour même.
Soulèvement, folie, courage, nous sommes chez Michel Foucault. Lui,
comme Lacan pouvait considérer que la folie est la question clinique par
excellence. Elle concerne chacun. Celle dont Foucault, en en retraçant
longuement l’histoire, faisait résonner l’écho pascalien dès les premières
pages de son ouvrage : « Les hommes sont si nécessairement fous que ce
serait être fou par un autre tour de folie de n’être pas fou552 ». Cette phrase
appelle une lecture lente553. La folie s’aborde d’un lieu qui n’est pas celui
d’une non-folie, au moins l’avons-nous tenté. « Il n’y a pas de non-fou », a-
t-on pu écrire.
Partons de ces remarques de Jacques Le Brun :
De façon tout à fait parallèle à l’essor du roman moderne au xixe siècle,
l’écriture et la publication de cas se développeront de façon
considérable dans la littérature psychiatrique, tandis que des
romanciers iront chercher dans cette littérature des sources
d’inspiration. Il serait facile de multiplier les exemples de l’une et
l’autre opération554.
L’année précédant l’éclat de l’affaire Nozière, Jacques Lacan soutient sa
thèse de doctorat en médecine, monographie portant sur le cas « Aimée »,
laquelle peut être considérée « comme un des plus parfaits exemples du
“genre littéraire” dont nous avons essayé de suivre l’histoire depuis
l’époque classique. Aucun autre “cas” de cette ampleur et de cette
importance proprement “littéraire” ne suivra555 ». Passer de la médecine
mentale à un genre littéraire – l’épopée de Violette –, passer des « histoires
de malades » à l’histoire d’une bataille sans merci n’est rien de moins
qu’un changement de paradigme.
Le Figaro du mercredi 30 août 1933 rapporte qu’à quelqu’un qui lui
demandait si elle n’avait rien à ajouter à ses déclarations de la nuit du 28
au 29 août, Violette répondit : « Il me semble que j’en ai assez dit556. » En
mars 1953, au moment de la première demande de réhabilitation judiciaire,
Paris Match557 rend visite à la famille Coquelet. On déjeune en famille.
Autour de la table, Violette, sa mère Germaine, son mari Pierre, et les
quatre enfants, Michèle, Jean-Jacques, François et Pierre. Au beau milieu de
la table, une bouteille de bière brune de la marque Karcher. Sur cette table,
cinq verres. L’un est rempli, un autre n’est qu’à moitié plein ou à moitié
vide, le troisième ne contient qu’un fond de bière. Les deux autres verres
sont vides. Étrangement, sous l’objectif de l’appareil photographique, la
scène du 21 août au soir s’est reconstituée.

548. Philippe Artois, « Violette la “perverse” », Police magazine, no 146, 10 septembre 1933, p. 12.
549. Me de Vésinne-Larue, Plaidoirie, op. cit., p. 39.
550. François Mauriac, Journal 1932-1939, Paris, Grasset, 1970, p. 86-87.
551. Lettre publiée sur le site Criminocorpus, collection Philippe Zoummeroff.
552. M. Foucault, Folie et déraison. Histoire de la folie à l’âge classique, Préface, Paris, Plon, coll.
« Civilisations d’hier et d’aujourd’hui », 1961, p. 1. Dans la réédition de 1972 chez le même éditeur,
la préface de 1961 a disparu. Pas à lire ?
553. Nous tenons que Guy Lardreau rejoint l’énoncé pascalien en une autre formulation : « Si la
politique technique [technologie de pouvoir, dit Foucault] contre-raisonne toujours avec
l’entendement, la politique sublime tend à déraisonner, nécessairement, avec la raison. » Voir Guy
Lardreau, La Véracité. Essai d’une philosophie négative, Lagrasse, Verdier, 1993, p. 243.
554. Jacques Le Brun, « Un genre littéraire, le cas ? Du casus conscientiæ à la Krankengeschichte
freudienne » [2001], mélanges offerts à Alois Hahn, La Jouissance et le trouble. Recherches sur la
littérature chrétienne à l’âge classique, Genève, Droz, coll. « Titre courant », 2004, p. 82.
555. Ibid., p. 88, nos italiques.
556. G. S., « Violette Nozières empoisonneuse et parricide », Figaro du 30 août 1933, p. 1.
557. Paris Match, no 208, du 7 au 14 mars 1953, reportage Henriette Chandet et Hubert de
Segonzac, p. 43-47.
Annexes
Annexe I

« Silence. Visage pâle, tranquille,


calme en apparence »

Conversation avec sœur Saint-Vincent, surveillante à la maison d’arrêt de la


Petite Roquette, évoquant Violette Nozière, détenue d’août 1933 à
janvier 1935558.
« Elle avait fait impression »
J’étais une adolescente [elle est alors âgée de 23 ans] gardant une
adolescente. Oui eh bien elle est arrivée là comme n’importe quelle
prévenue quoi. On savait par les journaux que la chose était arrivée mais il
faut dire à la louange des femmes détenues qu’il y avait une très grande
discrétion. On le savait. On se regardait. Elles se regardaient les femmes,
entre elles. Ce regard qui voulait dire… mais il y avait à l’époque beaucoup
de silence dans les ateliers. On le savait par les journaux. Il y avait celles
qui pouvaient acheter les journaux, elles avaient même… comment c’est…
Détective, oui elles avaient même le Détective celles qui pouvaient se
l’acheter et puis donc mais motus. On se regardait. On savait que c’était
elle. Elle avait fait impression. Elle avait fait impression, ça, je le vois
encore, mais silence.
« Visage très pensif quand même »
Une femme tellement discrète, je l’avais là devant moi. Je ne pourrais pas
vous dire un mot de ce qu’elle aurait dit tellement qu’on craignait… son
silence nous faisait craindre559 n’est-ce pas, tellement elle était silencieuse.
Pas un mot. Alors voyant cela, on a jugé qu’il fallait quand même l’aider
un peu. Mais pas un mot. Elle était là comme ça. Visage pacifique, non, pas
pacifique, mais comment vous dire déjà, vous ne pouviez pas vous dire ce
qu’elle pensait, pas fermé non plus mais très pensif quand même. Si bien
qu’on a jugé bon de lui donner une compagne d’un certain âge qui
connaissait les règlements de la maison, une personne qui avait toute la
confiance des sœurs, une personne qu’on a mise à côté d’elle pour l’aider
un peu à se… à s’humaniser un peu. Mais effectivement, ça avait bien
réussi, oui. Mais je ne pourrais pendant des mois, des mois et des mois, je
ne pourrais pas vous dire que j’ai entendu sa voix. À mon avis, elle était
ramenée à la réalité de par son arrestation. Je pense. Et que son affaire,
c’est une affaire poussée par un coup d’amour et puis c’est tout. Elle n’a
pas pensé, elle n’a pas pensé à ce qu’elle allait faire ! Ça… c’est…
« C’était très calme, c’était la mentalité du temps »
Elle a été une détenue modèle en tant que je pense qu’elle a été travaillée
par tout et [il faut] savoir qu’il y avait tant de femmes autour d’elle là et
elle qui quand même était jeune, quand même jeune dans un atelier [de
couture] d’au moins soixante, soixante-dix femmes. […]. Je pense que ça
lui a permis de réaliser ce qu’elle avait fait, parce que quand vous arrivez
dans cet atelier-là vous voyez toutes ces femmes-là, en train de tirer
l’aiguille parce qu’elles avaient besoin d’argent, c’était leur petit revenu,
alors ça travaillait autant que peu. Évidemment. C’était très calme, c’était
la mentalité du temps, c’était très calme et puis alors ça devait lui faire
impression à elle quand même. Elle était quand même pas sotte la fille.
Mais voilà. Nous, on a toujours pensé que c’était un coup de folie d’amour
ou quelque chose comme ça qui lui avait fait faire ce… ces gestes-là. Mais
en tant que détenue elle a été… fort bien ! […]
« Visage placide »
Personnellement je pense qu’elle était un petit peu écrasée quand elle
réalisait par le moment qu’elle se trouvait en prison et que ça la ramenait à
la réalité. C’était… pensez c’est difficile quelqu’un qui n’ouvre pas la
bouche du matin au soir qui est devant vous là. Alors bon son visage…
visage placide, c’est ça le mot qui lui convient, vous ne pouvez pas dire ce
qu’elle pensait. C’était… j’étais jeune bon, donc évidemment… non
évidemment garder des détenues qui étaient là pour des délits de toutes
sortes et quand vous êtes jeune et bien évidemment nous, nous étions
dressées pour ! Nous étions stylées pour… je devrais dire stylées, tandis
qu’elle arrivait là quelque chose de lourd sur la conscience, parce que
pensez. Non je ne peux pas dire que j’ai entendu sa voix.
« À mort ! À mort ! À mort ! »
Est-ce qu’elle vous cherchait du regard ?
Plutôt pas. Donc il y avait un peu de gêne de ce que je pense, d’abord
nous n’avions pas à l’interroger, mais j’ai pensé souvent quand même
qu’elle devait être drôlement ennuyée. Et là où nous avons réalisé
davantage en tant que personnel, nous les jeunes sœurs, c’est que quand
elle allait au palais de justice et que le convoi revenait eh bien elle était… le
fourgon dans lequel elle se trouvait était poursuivi par des employés de
cheminots parce que son père travaillait aux chemins de fer. Alors ces
hommes, je ne sais pas combien ils étaient parce qu’on ne les voyait pas
derrière ces grands murs, mais ils ont hurlé derrière le fourgon : « À mort !
à mort ! à mort ! » Ça, on ne peut pas oublier ça. Ça été vraiment poignant.
Ah oui. Bon elle arrivait là comme un automate. […] Mais alors le fourgon
était poursuivi par les employés du chemin de fer et nous derrière les
grands murs on les entendait. Ça hurlait : « À mort ! à mort ! à mort ! »
C’était poignant de les entendre ! Oui, oui. Mais quant à la personne rien !
« Elle était complètement fermée »
Elle était complètement fermée. C’était… oh là… et puis ses compagnes,
les détenues ne disaient jamais rien, jamais de ragot, jamais, jamais, jamais.
Il y a eu une compréhension, je ne sais pas le mot qu’il faut dire, mais les
femmes elles ont été si… elles ont été gentilles avec elle. Elles ne se
seraient pas permis de… Elle avait un visage paisible et puis fermé, mais
paisible quand même. Elle n’avait rien de violence, absolument pas.
Comme je vous l’ai dit, c’était pas un crime, c’était une folie d’amour pour
son… pour de l’argent pour aller faire ce qu’elle voulait faire, s’amuser
c’était tout.
« Elles se soutenaient, elles se comprenaient »
On a jugé bon de lui donner une compagne d’un certain âge qu’on
connaissait, à qui on pouvait la confier, qui n’était ni curieuse ni rien, une
détenue correcte quoi qui effectivement l’a aidée à s’y habituer [à la
prison]. Elles étaient deux ou trois, tant qu’elle n’a pas été condamnée, elle
n’a jamais été seule. Oui, jamais, jamais. Des cas comme ça, toujours des
chambres au moins à deux lits, et même s’il n’y en avait pas, on en aurait
fait. On ne peut pas laisser des personnes comme ça, seules. Oui elle avait
probablement la même personne qui couchait dans la même chambre
qu’elle. […] Je vous laisse poser les questions parce que je suis trop prise
avec mes pensées. Je pense trop à tout ça [elle rit]. […] Oui c’était un lieu,
je devrais dire la prison, c’était un lieu privilégié. Vous savez, on ne le
croirait pas si on ne l’avait pas vécu. On était avec des gens de tous les
milieux, pour toutes sortes de choses. […] Il régnait là-dedans une… elles
se soutenaient, elles se comprenaient, mais pour la religieuse quelle qu’elle
soit, pour ces personnes-là, il fallait un très grand respect. Il ne fallait pas
dire de mots grossiers devant l’affaire. Elles aimaient beaucoup les sœurs
qui les gardaient ah oui ah oui. […]
« Vous savez, c’était une fille elle était forte ! »
Vous savez, c’était une fille elle était forte ! Vous savez vous auriez de la
chance si vous pouviez deviner ce qu’elle pensait. Mais elle est plutôt
quand même effondrée. Qui ne le serait pas si vous entendez hurler
derrière la voiture : « À mort ! » Alors je pense que ça l’avait beaucoup…
travaillée. Elle avait encore sa mère, elle était venue la voir au parloir. Mais
on a… le directeur [de la prison] a demandé à la supérieure de l’époque, de
faire le parloir dans la communauté [religieuse] qui était dans les terrains
de la Petite Roquette. On vivait pas, s’il y avait des sœurs qui logeaient
dedans [la détention], mais la petite communauté était dans les jardins,
dans le terrain. Alors, on a pour sa pauvre mère bien sûr. on a
effectivement… nous, ça ne nous gênait pas bien sûr, on l’a acceptée au
parloir des religieuses, à la communauté la maman ah oui, oui, oui.
« Elle s’est jetée à genoux devant sa mère »
Et alors là, je ne l’ai pas vu mais les sœurs me l’ont dit, la maman était
assise dans le parloir en face de la porte, la fille est arrivée, elle s’est jetée à
genoux devant sa mère. Donc quand même, donc il y avait une prise de
conscience qui se montrait, qui parlait, elle s’est jetée à genoux devant sa
mère. Oui, c’est quand même… On se demandait comment ça allait tourner
mais ça s’est bien terminé… elle était forte… Nous, on priait pourvu que sa
pauvre mère, sa pauvre maman tienne le coup ! Elle était forte… je la vois
encore sa mère… Je ne me souviens pas de la réaction de sa mère, mais je
sais que ça s’est très bien passé. Du fait que la fille s’est jetée à genoux
devant sa mère, ça a sans doute… oui mais… […]
« Les femmes priaient »
Vous seriez étonné si je vous disais que les femmes priaient. Parce que
tous les jours il y avait des lectures en commun et prières du matin et du
soir et il y avait le rôle du chapelet, à cinq heures. Eh bien c’était pour [elle
s’arrête, émue] c’était… elles se soutenaient dans le malheur si vous
voulez, dans la peine, dans la peine, les détenues se soutenaient, se
soutenaient beaucoup. Aujourd’hui, je ne sais pas, c’était pour Violette
comme ça, c’était bien. Oh si vous saviez, on voit de belles choses vous
savez dans ce milieu oui. Oh non, elle son affaire tout en étant hideuse
avait beaucoup frappé les femmes, oh oui. […]
« Ah elle était contente »
Je me souviens d’après les jugements, qu’on l’a gardée trois mois jour et
nuit, on l’a gardée560. On ne la laissait jamais, jamais seule. Mais quand le
président Albert Lebrun l’a commuée évidemment ah elle était contente
parce que quand même, c’était un soulagement pour tout le monde, tout en
étant des femmes qui attendaient leur propre condamnation. C’est curieux.
Elles étaient contentes, oh si. Cette fille-là elle était… on ne l’entendait pas.
Il fallait la voir pour savoir qu’elle était là. Elle faisait comme tout le
monde, elle travaillait comme tout le monde à rien. Nous, on se faisait du
mauvais sang pour elle ! Non, elle a été… […] Elle était là à mes pieds
[dans l’atelier de couture561]. […] C’était une fille sans histoires, ça s’est
passé comme ça. […] Mais de son copain, on n’en a jamais entendu parler,
mais il n’a pas été inquiété tant que je me souvienne. Il est resté en dehors
de l’affaire. C’était une fille tellement placide et tellement calme, pas
d’histoires, une fille sans histoires en détention. Mais il faut croire que
c’était pareil à Rennes puisqu’on nous avait dit qu’elle travaillait dans les
bureaux et que c’était là qu’elle aurait fait connaissance et qu’elle s’était
mariée. Et puis, je vous dis, elle était si tellement silencieuse. Calme. […]
Non, c’était simplement question d’argent qu’elle voulait pour aller là
s’amuser avec son ami. Vous savez, c’était un véritable blocus, elle. Silence.
Visage pâle, tranquille, calme en apparence. On se demandait si elle était
vraiment travaillée par ce qu’elle avait fait, si c’était vraiment du remords.
On pouvait se le demander parce qu’il n’y avait pas de conversation, il n’y
en avait pas. Visage pâle, tranquille, calme en apparence. […] On a dû la
changer de voiture entre la Roquette et le palais de justice pour détourner
l’attention, tellement la population était montée contre elle. […] Difficile
de parler d’une fille comme ça, qui ne parlait pas, elle ne parlait pas. Elle
n’était pas agressive avec nous, oh non, non, non. Elle était là calme… […]
Le mot de passe des sœurs à l’égard des femmes détenues
Nous devions voir en elles les traiter comme si c’était le Christ lui-même,
leur affaire pour laquelle elles étaient là, nous, nous n’étions pas là pour
juger, mais pour garder. On nous a toujours dit : « Vous n’êtes pas là pour
les juger, mais pour les garder et pour les aider au besoin. » Voilà c’était
notre mot de passe là.
Comme le Christ lui-même ?
Oui. Ça voulait dire qu’à la fin, il fallait que nous ayons une bonté
permanente, une bonté permanente et une grande réserve. Une bonté et
puis pas de particularité, aucune. Il fallait considérer la plus malheureuse
comme celle qui paraissait le mieux humainement parlant. Nous les
voyions toutes sur le même plan, avec leur intelligence et leur cœur.

558. Conversation du 9 juin 2006, dans une salle de la communauté des sœurs de Marie-Joseph et
de la Miséricorde, congrégation religieuse, ville du Dorat dans la Haute-Vienne.
559. Un suicide.
560. Cette garde permanente avait pour raison la prévention du suicide en cellule par lequel la
condamnée à la peine de mort échapperait à la guillotine.
561. Les religieuses surveillaient les ateliers à partir d’une estrade surélevée.
Annexe II

« Une belle belle jeune fille » 562

Est-ce que vous vous souvenez de Violette Nozière ?


Ah oui, très bien ! Oui parce que moi je suis rentrée à la pénitentiaire le
1 février 43, et son affaire d’empoisonnement avait duré quelques années
er

avant. Je ne me rappelle plus de ses dates à elle, quand elle a commis son…
l’empoisonnement de son père donc.
C’était en août 1933.
Ah voyez bien en 33 eh bien ça faisait déjà dix ans quand moi je suis
rentrée, donc j’ai connu Violette Nozière arrivée. Une belle jeune fille par
contre ah oui ah oui ! Je l’ai connue arrivée moi. Et je l’ai connue aussi
après quand elle a été libérée.
Comment ça ?
Ah oui. J’étais là présente et Violette Nozière quand elle était là… quand
elle était là à la prison, elle a travaillé dans un bureau, le bureau du
greffier-comptable, Monsieur…
… Coquelet.
Coquelet voilà c’est ça… elle a travaillé là et alors comme elle travaillait
dans les bureaux comme toutes les détenues travaillaient un peu, elle était
très instruite donc elle a travaillé là. Et elle a connu le fils et ils se sont
mariés, ils se sont mariés avec le fils du greffier-comptable. Et après par la
suite ils sont sortis, mais moi je ne sais plus après. Mais on m’a dit
qu’après elle avait pris un restaurant peut-être, mais moi je l’ai vue sortir.
[…] Elle tient un restaurant. Est-ce que c’est vrai ce que je répète, mais on
me l’a dit, ah ça, je ne l’ai pas vu.
« Faire un crime… »
Mais je l’ai vu, mais je l’ai vu de mes deux yeux, une belle jeune fille à
qui on ne pouvait certainement rien reprocher. Ah je crois pas. À part, qui
c’est qui ne fait pas un crime dans sa vie ? C’est pas normal de faire un
crime. D’accord. Mais on est quelquefois dans l’obligation de le faire. On
ne sait pas. […] Ou quelquefois faire un crime, c’est un moment de colère,
on ne sait pas, on ne sait pas ce qui se passe dans la tête d’une personne
qui fait un crime, parce que moi j’ai vu que quelquefois – les détenues
nous parlent un peu –, dire quelquefois : « Oh mon Dieu j’ai tué mon mari,
c’est quand on voit le sang qui coule qu’on dit : “Qu’est-ce que j’ai fait ?
Qu’est-ce que j’ai fait ? Un coup de colère, ça va pas, allez, hop ! Un coup
de pistolet, ça y est tu es en bas”. » Alors moi des détenues me racontaient
ça. Et c’est vrai que c’est une colère. Est-ce qu’il y avait des raisons parce
qu’elle en voulait à son père ? Je l’ignore, je l’ignore. Elle en voulait peut-
être à son papa. Ils ont passé l’autre jour un film à la télé il y a pas très
longtemps [le film de Claude Chabrol]. Elle en voulait paraît-il à son père,
paraît-il ! Que son père aurait voulu la violer quoi ! Mais c’était incognito,
on le sait pas. Mais elle a quand même empoisonné son père.
Est-ce qu’elle en parlait de son affaire à la prison ?
Ah jamais, jamais ! C’est rare qu’une détenue… quelquefois, mais
Violette Nozière elle avait fait quand même des études, elle était très
intelligente, ça n’aurait pas été la fille à se confier comme ça. Ce qu’elle
avait fait, elle le regrettait peut-être dans son cœur. C’est fort possible. Elle
se disait sûrement qu’elle avait fait souffrir sa maman. Parce que sa maman
venait la voir. Mais au début sa maman ne venait pas. Elle ne lui avait pas
pardonné. Et après elle avait des visites de sa maman. Vous faites un crime,
vous regrettez peut-être mais enfin, on ne sait pas. Elle avait peut-être des
raisons personnelles à elle. Ça, je l’ignore, mais elle faisait tout très bien,
très propre, très agréable avec tout le monde.
Dans le bureau du greffier-comptable
On l’amenait comme toutes les détenues dans le bureau du greffier-
comptable. Et puis c’était quand même un honneur pour elle parce qu’elle
franchissait quand même le deuxième mur à la prison. Vous avez vu
comment c’est fait Rennes. Elle était en détention comme toutes et pour
venir dans les bureaux, les bureaux étaient sur le côté devant. Alors elle
venait. Et je vois encore le bureau où elle arrivait. Elle prenait son travail,
c’est là qu’elle a connu le fils Coquelet. Ces choses-là sont bien restées
dans ma mémoire. Et puis alors après, [les collègues] la reconduisaient, la
journée finie. […] Mais c’était très bien, dans sa conduite on n’a eu rien à
lui reprocher. J’ai pas l’impression. Sûrement pas. […]
De grands dortoirs en commun
À l’époque c’était des dortoirs en commun, il y avait des grands dortoirs.
On pouvait mettre cent personnes dedans, dans les grands dortoirs. Et
alors elle avait certainement à l’époque sa place dans un dortoir, elle avait
certainement sa place pareil comme les autres parce que ce n’était pas des
chambres individuelles, c’est venu beaucoup d’années après. C’était des
dortoirs en commun. […]
La règle du silence
Est-ce que vous lui avez parlé, vous, à Violette Nozière ?
On avait pas le droit de parler aux détenues, ni elles non plus. Mais
comme vous savez : « Bonjour, bonjour Madame la surveillante ». Alors je
disais : « Bonjour ». Bon, j’allais pas lui dire bonjour en grognant. J’allais
pas lui dire bonjour parce que c’était mon choix. Pourquoi, est-ce que ça
coûte cher de dire bonjour à quelqu’un avec un sourire ? Un sourire ne
coûte rien à donner [voix mélodieuse], mais un sourire donne beaucoup à
celui qui le reçoit. Et ça, on l’oublie quelquefois. Parce qu’un sourire à
quelqu’un, quelquefois, peut éviter une chose très grave, un sourire peut
éviter mettons quelqu’un qui voudrait se suicider. Un sourire fait beaucoup
beaucoup à la personne, beaucoup. Moi je l’apprécie !
Est-ce qu’elle vous disait « Madame la surveillante » ?
Ah oui ah oui « Madame la surveillante », ah oui ah oui et elles n’avaient
pas le droit même beaucoup à l’époque et longtemps après, elles n’avaient
même pas de quoi communiquer avec nous. Ah non là. […]
« Conservez les distances ! »
Quand elles faisaient les promenades, elle, je sais pas ses promenades à
elle comment elle les faisait à l’époque là, mais quand elles faisaient les
promenades, elles n’avaient pas le droit de se parler entre elles. On a été
des surveillantes dans la cour deux ou trois et puis alors sitôt qu’elles
s’approchaient comme elles n’avaient pas le droit de se parler alors – ni
nous de leur parler –, alors quand elles s’approchaient de trop près, on
disait : « Conservez les distances ! » si elles voulaient s’approcher. Je ne
parle pas de Violette Nozière. [Je parle] de l’époque. « Conservez les
distances. » Donc, elles n’avaient pas le droit de se parler entre elles. À
l’époque ! Donc elle, je ne sais pas si elle faisait à ce moment-là partie de
celles-là, oh non oh non je ne crois pas. […] Quand j’ai démarré, c’était dur
dur dur même dur pour nous aussi. […]
« Une belle belle jeune fille… »
Je me rappelle quand on a dit « Violette Nozière », comme ça avait paru
sur tous les journaux là, l’assassinat, la mort, alors quand je l’ai vue arriver,
c’était une belle belle jeune fille, très propre, très correcte, et puis très
correcte et pas près de nous parler, mais une fille intelligente, ça se voyait,
très intelligente. Et voyez, on ne sait même pas pourquoi elle a été mise à
travailler chez M. Coquelet […] et c’est juste une coïncidence qu’elle est
tombée dans le bureau de M. Coquelet, qu’elle a connu le fils. Mais c’est
quand même une bonne rencontre pour elle, moi je veux pas être jalouse
de ça. C’est une bonne rencontre pour cette fille-là, elle qui avait supprimé
son papa ! Qui dit qu’après la mort de son père, elle a toujours ça dans le
cœur ? C’est vrai. Et je me rappelle que sa maman a été un petit moment
qu’elle ne venait pas et puis après sa maman venait la voir.
Tous les combien ? Vous vous souvenez ?
C’était peut-être une fois par mois. C’est pas beaucoup. Même pour tout
le monde pendant des années c’était comme ça.
Est-ce que vous vous souvenez lui avoir parlé, à une occasion
quelconque ?
Non, parce que si je lui avais parlé, c’est mettons que je l’aurais amenée
de sa chambre pour venir au bureau, eh bien on aurait pas été sans parler
un mot. Même que… on aurait parlé quoi. Ah mais non, j’ai pas eu
l’occasion de le faire, de l’amener. Mais je l’ai vue arriver dans le bureau. Je
vois encore la porte de l’escalier, pas l’escalier, les bureaux existent
toujours là à droite quand on rentre dans la cour d’honneur. Et dans les
premiers bureaux et après moi je n’ai plus entendu parler d’elle.
Cent paires d’yeux
Quand vous avez pris vos fonctions en 1943, est-ce que très vite on
vous a dit : « Violette Nozière fait partie des femmes détenues » ?
Ah non, on m’en a pas parlé et pourtant elle était déjà là, elle était déjà
là. La seule chose pour laquelle on nous met en garde, la surveillante chef,
à l’époque c’était une surveillante chef, sévère, c’était un peu l’armée. Elle
me dit « Mademoiselle Ruaux, sachez que vous ne savez pas ce que c’est la
prison. » Non. « Alors moi, je vais vous dire. » Alors elle m’a fait entrer
dans son bureau et elle me dit : « Fermez la porte s’il vous plaît. » Je ferme
la porte derrière moi et puis elle me dit : « Tenez quand vous serez dans un
réfectoire », je vous cite : « Au moment du repas » et comme il y avait
beaucoup de femmes à l’époque plus de… je sais pas combien de centaines,
« vous serez dans un réfectoire, vous aurez une table devant vous et
derrière. Vous serez dans un milieu et derrière vous d’autres tables mais
vous tournerez le dos aux autres et vous surveillerez celles qui seront
devant vous. Sachez que vous devez ici être (je ne peux pas dire les
défauts, ni les qualités) prévoyante ! Votre rôle principal, c’est
prévoyante ! » Elle n’avait pas voulu dire méfiante, mais prévoyante.
Toujours avoir l’œil. Votre métier, c’était prévoyante. Bon, on prévoit
comme si on avait peur quoi [ton précipité]. Elle m’a dit quand j’étais dans
son bureau : « Lorsque vous serez assise là (après j’ai rigolé), vous
arriverez dans le réfectoire, sachez que vous avez devant vous, vous aurez
cent paires d’yeux qui vous observent. » Quand j’ai été sortie sous la
galerie, qu’est-ce qu’elle dit ? Des paires d’yeux ? Qu’est-ce que c’est que
ça ? C’est en arrivant un peu plus loin, j’ai peut-être fait sous la galerie un
petit peu… oh j’ai dit mais c’est vrai cent paires d’yeux et « vous, vous
n’avez qu’une paire ». Et je me suis dit, mais c’est la vérité. Moi je n’ai
qu’une paire d’yeux et j’étais bien observée par peut-être cent ou peut-être
plus. Ah ça, ça m’a marquée sur le coup. Cent paires d’yeux. C’est exact.
Ça, c’était vraiment bien… mais je n’ai jamais eu de problèmes.
[Un moment de silence].
Ça a été une détenue exemplaire alors…
Ah oui ah oui, ça, je n’ai rien à lui reprocher jamais jamais rien rien rien.
Je ne l’avais pas avec moi non plus. Je l’aurais eue dans un atelier, vous
savez comme quelquefois les autres détenues et bien elles passent
quelquefois plusieurs années avec la même surveillante. Mais là moi là je
ne l’ai jamais eue dans un atelier avec moi pour lui dire : « Tenez ça va être
l’heure de la soupe. » Rien, on l’amenait à son travail, c’était son travail et
on la ramenait le soir dans sa chambre, dans le dortoir. Comme tout le
monde. Je me rappelle l’avoir amenée et puis la mettre dans le bureau du
greffier-comptable. Ah oui, la rentrer. M. Coquelet me dit : « Bonjour », et
j’amenais Violette Nozière là. Elle travaillait comme ça aurait été une
autre. Ç’aurait été Marie Pirol [écriture phonétique] un nom comme ça…
Eh bien non, c’était Violette Nozière que j’amenais. Mais je ne me rendais
pas compte de la gravité de… Violette Nozière, qu’elle aurait c’est vrai une
telle notoriété comme ça dans le temps. Oui, j’amenais Violette Nozière
comme ça et puis après le midi, elle retournait manger avec les autres et
puis le soir on la rentrait comme tout le monde.
« Elle arrivait toute droite »
Vous vous souvenez de la tenue vestimentaire qu’elle portait ?
Celles qui travaillaient dans les bureaux étaient habillées en robe bleue et
comme un petit mouchoir, c’était une cravate mettons blanche, comme un
petit châle blanc. Et puis, non, je ne me souviens pas très bien. […]
Est-ce que vous vous souvenez de sa démarche ?
Ah… non, ça, je ne pourrais pas vous dire ça. De toute façon, c’était pas
la fille… on voyait bien que c’était pas la fille qui sortait de la campagne.
Elle avait déjà une allure euh… c’est pas plus fière mais vraiment une fille
de la ville quoi. Déjà parce qu’elle aurait pu arriver comme toute fille un
peu un peu tristounette. Non, elle arrivait toute droite. Alors toujours elle
vous cédait le passage. Alors comme nous on doit toujours les avoir devant
nous et par-derrière : « Non non, allez-y, allez-y Violette » [voix courtoise].
Mais même à l’époque, je crois qu’on avait pas le droit de les appeler par
leur prénom. C’est venu oh là là bien vingt ans après.
Mais est-ce que vous vous souvenez l’avoir fait quand même, l’appeler
par son prénom ?
Ah ça sûrement, ça a dû m’échapper, ça a dû m’échapper sûrement. Ou
alors fallait : « Eh bien avancez, rentrez. » […]
Et elle avait tendance à s’effacer par politesse ! C’est ça ?
Ah oui c’est ça, c’est ça oui ! C’était la fille très respectueuse, ça c’est vrai
très respectueuse. C’est pas elle qui vous aurait dit : « Si je suis là, j’ai rien
fait ». C’était pas son genre, pas du tout son genre. Elle était là dans… elle
le savait ce qu’elle avait fait. C’était très grave et c’est tout. Non, sinon je
ne peux rien lui reprocher à Violette, une tenue impeccable.
« Une fille très élégante »
Et puis bien la fille quand même élégante. Il faut pas dire, c’est une fille
élégante, très élégante. Et elle devait souffrir dans son for intérieur de ce
qu’elle avait fait. Elle n’allait pas vous dire : « Ce que j’ai fait, je n’aurais
pas dû. Ce que j’ai fait, je l’ai fait. » Elle devait y penser, mais je sais pas.
[…]
Quel souvenir avez-vous d’Eugène Coquelet, le greffier-comptable ?
Oh je ne pourrai pas vous dire parce que je n’ai jamais discuté, non. […]
C’était le personnel de bureau, c’est ça ? Nous, c’était le personnel des
gens de détention, quelquefois nous, on disait : « On fait partie de la basse
classe » [elle rit]. On disait ça en rigolant.
Et de son fils Pierre, avez-vous un souvenir ?
Oh sûrement que oui, mais sans plus d’attention.
Peu de sœurs
Y avait-il des sœurs qui participaient à la surveillance à ce moment-
là ?
Oui. Il y avait des sœurs qui étaient avec les détenues qui passaient les
voir et à l’époque il n’y en avait pas beaucoup de sœurs. C’est par la suite
qu’il y a eu davantage de religieuses quoi. Parce que toutes [les détenues]
étaient dans des ateliers où elles travaillaient. C’était des grands ateliers
également où elles travaillaient avec des fois cinquante personnes. Elles
étaient nombreuses, beaucoup plus nombreuses que maintenant les
détenues. […]
La surveillance, ça concernait justement notre nom à nous
« surveillante ». « Surveillante » parce que… et puis alors vous allez rire
avec mon nom « surveillante ». Moi je dis, je suis surveillante, je veux
qu’on respecte notre profession, je suis surveillante ! On garde des oies, on
garde des vaches, et un être humain, on le surveille. Je ne peux pas
admettre ça voyez. Je ne peux pas admette qu’on dise ce sont des gardiens
de prisons. Non, on surveille, on ne garde pas. […]
Vous voulez me redire la couleur de la tenue des femmes détenues ?
Bien oui, il y a eu les femmes détenues au tout début, c’était des grosses
jupes marron un peu comme des robes de bure au tout début. Après, elles
ont eu des petites robes bleues, surtout l’été. Et puis ça dépend du service,
quand c’était une détenue qui travaillait dans un service où c’était cuisine,
elle avait une petite écharpe rouge et quand c’était celles qui travaillaient
dans les bureaux, c’était blanc. C’était une façon de les habiller. Un grand
foulard blanc en pointe. […]
À l’ultime fin de cette conversation
Elle avait bien certainement quelque chose dans son… dans son cœur et
qu’on oublie pas Violette Nozière. Comme on en a parlé !

562. Conversation avec Marthe Garel, qui prit ses fonctions de surveillante auxiliaire à la maison
centrale de Rennes, le 20 janvier 1943, et aura côtoyé Violette Nozière jusqu’à sa libération fin
août 1945. Elle part à la retraite le 10 mai 1978. De 1953 à 1959, elle exerce les fonctions de
surveillante à la maison centrale de Haguenau ; d’importants travaux étant à ce moment-là
effectués à la maison centrale de Rennes. La détention va devenir cellulaire, un troisième étage est
ajouté à chacun des bâtiments qui forment en continu l’hexagone de l’établissement pénitentiaire, la
toiture sera défaite puis reconstruite.
La conversation a eu lieu dans sa chambre d’une maison de retraite à Rennes, le 6 août 2019, elle
est alors centenaire ; elle est décédée le 24 décembre 2020.
Remerciements

À Michèle Aba, Jean-Jacques Coquelet, Denis Couchaux, Marie-Hélène Devoisin, Pierre Fattaccini,
Pierrette Poncela, Annie Ribault, Jean-Louis Vincent.
Les Archives nationales
[16469b]563
Les archives du ministère des Armées, Mémoire des hommes
Dominique Rousset
Les archives de Paris. Archives départementales et communales
[D 2 U8 379, 380]
Les archives de la préfecture de police de Paris. Service de la mémoire et des affaires culturelles
(Smac)
Nathalie Minart
[JA 132, EA 130, JC 237]
Les archives départementales de la Haute-Loire
Les archives départementales d’Ille-et-Vilaine
[278 W 395 (écrou 9517)]
Les archives départementales de la Savoie
Emmanuelle Combet
[73 F 214]
La bibliothèque de la Chancellerie, ministère de la Justice
Cédric Duprey
La bibliothèque de l’École nationale d’administration pénitentiaire (Enap)
Jack Garçon
La Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica)
Marie Carlin, Béatrice Dalmayrac, Jérôme Lacharmoise, Barbara Pascarel
La bibliothèque de l’Ordre des avocats du barreau de Paris
La direction de l’administration pénitentiaire, ministère de la Justice
Pierre Karoff [19840464/410], J.-L. Sanchez
La direction de la bibliothèque et des archives du Conseil d’État
Claie Sibille de Grimöuard
La direction du centre pénitentiaire de Rennes
Yves Bidet, Didier Rauflet
L’encyclopédie en ligne Wikipédia
La mairie de Neuvy-sur-Loire
Frédérique Corouge
La mairie du 12e arrondissement de Paris
La mairie de Créteil
La mairie de Petit-Quevilly
La mairie de Prades
La mairie de Saint-Julien-des-Chazes
Le site Criminocorpus,
collection Philippe Zoummeroff
(pour les lettres de Germaine Nozière)
La Société nationale des chemins de fer. Stratégie ferroviaire et régulation. Service archives
documentation. Centre national des archives du personnel
Aux participants du séminaire « Violette Nozière. Sauts épiques/passage du crime », qui a eu lieu en
Argentine à Buenos Aires et à Córdoba, les 26 et 29 octobre 2019
Aux éditions Epel.

563. Nous avons indiqué entre crochets les numéros des cotes des documents consultés.
La version ePub a été
préparée par LEKTI
en février 2022
le Comité de libération conditionnelle a émis un avis de rejet de la
proposition de libération conditionnelle
This le was downloaded from Z-Library project

Your gateway to knowledge and culture. Accessible for everyone.

z-library.se singlelogin.re go-to-zlibrary.se single-login.ru

O cial Telegram channel

Z-Access

https://wikipedia.org/wiki/Z-Library
ffi
fi

Vous aimerez peut-être aussi