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L’ÉPOPÉE NOZIÈRE
EPEL
À Françoise Dezoncle
In memoriam
Il n’est pas vrai que la vérité ne contraigne que par le vrai.
Michel Foucault
Du gouvernement des vivants
Cours du 6 février 1980
Bibliographie, problématisation
« Conduite à l’hôpital d’un homme décédé et d’une femme blessée et
paraissant avoir subi un commencement d’asphyxie par le gaz
d’éclairage. » Tels sont les termes d’un rapport de police en date du
mercredi 23 août 1933, adressé au commissaire de police du quartier de
Picpus à Paris. Dans la nuit du 22 au 23 août, des gardiens de la paix sont
alertés par la concierge du 9 rue de Madagascar dans le 12e arrondissement.
Au sixième étage du second immeuble, dans un petit logement mansardé
de deux pièces, appelés en catastrophe par la jeune fille de cet homme et
de cette femme, les voisins de palier vont découvrir les corps agonisants et
ensanglantés des époux Nozière. Accident domestique ? Suicide à deux ?
Meurtre, assassinat ? Très vite, on s’interroge ; leur fille unique, Violette,
âgée de 18 ans passés, arrivée la première sur les lieux, semble dans un état
de prostration.
Très vite aussi, dès la journée du mercredi 23 août, la certitude s’établit
selon laquelle Violette a commis un double meurtre dont sa mère
réchappera. Ce même mercredi, Violette échappe, elle, à la police
parisienne – elle est en fuite. Recherchée activement, elle ne sera arrêtée
qu’une semaine plus tard, le lundi 28 août dans la soirée, alors qu’elle se
rend à un rendez-vous galant – croit-elle. La presse se fait largement l’écho
de cette affaire.
S’appuyant sur les premiers articles de presse, dès la mi-septembre, un
nommé Jacques Niger publie une plaquette au titre d’emblée prometteur :
Le Secret de l’empoisonneuse. Le crime de Violette Nozières1. Cette plaquette
s’ouvre ainsi : « Une belle après-midi d’automne ; un ciel très doux. C’est
samedi : jour de congé, flâneries. Les couples sont nombreux dans le bois
de Vincennes ; ils se promènent lentement dans les allées ou s’enlacent sur
les bancs. D’autres montent sur une barque et canotent sur le lac calme. »
Sur l’une de ces barques se trouvent « deux jolies filles et deux jeunes
gens » : Violette Nozière est sur cette barque avec son amie Madeleine
Debize. Le lac n’est calme qu’en apparence.
Courant septembre toujours, deux journalistes, J. Pidault et M.-I. Sicard,
publient L’Affaire Nozières. Crime ou châtiment2 ? (figure 1). À lui seul, le
sous-titre de ce « livre rapide » (selon l’appréciation des coauteurs) laisse
lire que le crime commis a valeur de châtiment frappant ses parents.
Début décembre en Belgique, le groupe surréaliste animé par André
Breton fait imprimer une plaquette composée de poèmes et de dessins3. Le
groupe prend fait et cause pour Violette Nozière en faisant fond sur
l’accusation majeure de celle-ci, celle d’un inceste répété, imputable à son
père. L’affaire Nozière fit grand bruit dans le Paris des années 1930 et la
déflagration de la guerre de 1939-1945 ne la fera pas oublier.
Figure 1
L’année qui ouvre le dernier quart du xxe siècle est publié le premier
livre documenté et romancé sur cette affaire, celui de Jean-Marie Fitère,
journaliste, écrivain, romancier4. En 1978, le cinéaste Claude Chabrol
s’inspira explicitement de ce livre pour la réalisation de son film Violette
Nozière5. Le livre de Jean-Marie Fitère, dédié à Me René de Vésinne-Larue,
conte au fil de la plume une histoire à plusieurs endroits romancée, bien
que documentée des archives de l’avocat de Violette.
En 2011 et 2017 sont publiées deux études historiographiques, l’une de
Sarah Maza, l’autre d’Anne-Emmanuelle Demartini6. Le Paris des
années 1930 fait l’objet de leur étude, ainsi que les effets de la structuration
de classes et des normes de genre dans la société française sur l’affaire
Nozière. Si Sarah Maza ne doute pas de la véracité de l’inceste imputable à
Baptiste Nozière, c’est, pour Anne-Emmanuelle Demartini le nœud de
l’intrigue. Il n’en est pas d’autre. Nous nous écartons de ces deux
historiennes sur ce point décisif, lequel est constitutif de la défense de
Violette, dès le moment de son arrestation jusqu’au procès d’assises inclus
qui se tiendra en octobre 1934 à Paris. La consultation des archives
policières nous a permis de découvrir une scène, marquant un avant et un
après dans la trame de cette épopée.
La présente monographie s’inscrit au champ freudien dans sa
(dés)orientation lacanienne, où il y est question du « sujet dans le sujet », a
pu dire Jacques Lacan7. Il arrive, plus rarement, qu’au champ freudien soit
accueillie la dimension épique dans laquelle un sujet a pu s’avancer8. Par
cet accueil, le dos est tourné à la pente psychopathologique si immédiate et
si répandue. Dès lors, que retenons-nous d’une problématisation épique ?
Que vient faire la notion d’épopée, d’origine ancienne, pour qualifier cet
ensemble d’actes, signes exploratoires avant-coureurs d’un
empoisonnement qui cherche ses marques, persiste, jusqu’au soir fatidique
du lundi 21 août 1933 ?
Une problématisation épique, qu’est-ce à dire ? Autant abattre nos cartes,
en cinq traits.
1. L’épopée est un faire – un faire qui aura lieu. 2. L’épopée est à haut
risque – un risque qui sera pris, un risque fou. Qui fait un saut épique9
avance à découvert. 3. L’épopée implique conséquemment un ou plusieurs
seuils à franchir, à des instants précis. La pointe du saut épique réside dans
son acte même. 4. Par le franchissement de ce seuil l’épopée vise à la
libération d’un sujet. 5. Fomentation, l’épopée ne s’improvise pas, se pré-
pare, se pré-médite, elle est une méditation. L’épopée relève d’un registre
particulier, celui d’une forme de spiritualité.
Figure 2
Figure 3
Figure 5
1. Jacques Niger, Le Secret de l’empoisonneuse. Le crime de Violette Nozières, son arrestation, ses
complices ( ?). Enquête très complète. Tous les détails. Opinons de personnalités parisiennes sur
l’affaire, édité à compte d’auteur, le dépôt légal est du 15 septembre 1933. Les personnalités citées
sont Pierre Drieu la Rochelle, Marguerite Moreno et Marguerite Jouve.
2. J. Pidault et M.-I. Sicard, Sicard – 1933. La quatrième de couverture porte la date de
septembre 1933, et le titre d’une nouvelle collection, « Enquêtes et documents », no 1 ; édité à
compte d’auteurs. Nous respectons, à chaque fois, l’orthographe de Nozière telle qu’elle est écrite,
avec ou sans « s » dans les documents que nous citons. À l’état civil, le nom ne prend pas d’« s ».
3. Violette Nozières par André Breton, Salvador Dalí, René Char, Yves Tanguy, Paul Éluard, Max
Ernest, Maurice Henry, Victor Brauner, E. L. T. Mesens, René Magritte, César Moro, Marcel Jean,
Benjamin Péret, Hans Arp, Gui Rosey, Alberto Giacometti, Bruxelles, Éditions Nicolas Flamel,
achevé d’imprimer 1er décembre 1933 ; réédité en 1991 aux Éditions Terrain vague, coll. « Le
Désordre », avec une préface de José Pierre.
4. Jean-Marie Fitère, Violette Nozière, Paris, Presses de la Cité, coll. « N’avouez jamais », 1975. Ce
livre a fait l’objet de rééditions à l’identique chez divers éditeurs. Nous paginons les citations sur la
dernière édition publiée, celle des éditions Acropole (Paris), dans la collection « Jugés coupables »,
2007, sans en rappeler le titre.
5. Pour une fiche technique exhaustive, Christian Blanchet, Claude Chabrol, Paris, Rivages, coll.
« Cinéma », 1989, p. 79-80. Film DVD aux éditions René Château, 2007, 120 minutes.
6. Sarah Maza, Violette Nozière : A Story of Murder in 1930s Paris, Berkeley/Los Angeles/London,
University of California Press, 2011. Anne-Emmanuelle Demartini, Violette Nozière, la fleur du mal.
Une histoire des années trente, Ceyzérieu, Champ Vallon, coll. « Époques », 2017. Les livres de J.-
M. Fitère, S. Maza et A.-E. Demartini seront désormais cités sans rappel du titre.
7. Entretien de Jacques Lacan avec Emilia Granzotto, « Freud per sempre », Panorama du
21 novembre 1974. Texte disponible en ligne sur le site de l’école lacanienne de psychanalyse,
rubrique « Pas-tout Lacan » (https://ecole-lacanienne.net/wp-content/uploads/2016/04/1974-11-
21.pdf), p. 10.
8. Notamment, voir Jean Allouch, Nouvelles Remarques sur le passage à l’acte, Paris, Epel, coll.
« essais », 2019.
9. Le syntagme de « saut épique » a été avancé par Fethi Benslama à propos des combattants
armés de l’islam. Voir F. Benslama, Le Saut épique ou le basculement dans le jihâd, Arles, Actes Sud,
coll. « Questions de société », 2021.
10. Myriam Chermette reproduit, les comparant, des « unes » et des détails de Paris-Soir et/ou du
Journal aux dates des 28 et 30 août, des 2, 3 et 12 septembre 1933 et une « une » du 13 octobre 1934 ;
voir M. Chermette, « Le succès par l’image ? Heurs et malheurs des politiques éditoriales de la
presse quotidienne (1920-1940) », Études photographiques, no 20, « La trame des images. Histoires de
l’illustration photographique », 2007, p. 84-99.
Première partie
Sauts épiques
Coups portés
Gifle donnée/gifle reçue
Courant 1928, jeune voisine de palier des Nozière, Simone Mayeul n’a
pas su se taire, confrontée à une question de Germaine cherchant sa fille
qui n’était pas rentrée chez elle en fin de matinée. Violette et Simone
allaient à la même école primaire rue de Wattignies. Violette est de quatre
ans plus âgée. Sur une question de la mère de Violette, Simone a
l’imprudence de dire que sa fille est en bas « dans les fameuses voitures à
bras avec un garçon11 ». Conséquence ? « À l’école elle m’a donné une
paire de claques. Poufffffffff. » Violette lui donne en même temps une leçon
de discrétion : « Elle m’a dit : “T’avais rien à dire !” J’avais rien à dire, moi
on me demande quelque chose, une gamine de 11 ans, qu’est-ce que vous
voulez [elle rit]. Moi j’ai pas pensé à mal, moi. Où est Violette ? » Cette
dernière question va continuer à courir pour les parents Nozière quelques
années encore.
Violette est dans sa treizième année, elle fait très jeune l’expérience
qu’elle aura à soutenir ses amours contre les entraves qui ne manqueront
pas de lui être opposées par ses parents. Ainsi Violette dérobera-t-elle un
dictionnaire d’anglais à la librairie Gibert, afin de rendre illisible pour ses
parents sa correspondance amoureuse. Le vol a lieu au début du mois de
décembre 1932. Dans son audition du 25 septembre 1933 auprès du juge
d’instruction, Germaine Nozière fait savoir qu’elle et son mari ont été
convoqués au commissariat de police de l’Odéon : « L’affaire s’est arrangée
à l’amiable car nous avons payé 140 francs [100 euros12] pour un
dictionnaire anglais qui en valait une quinzaine. »
Il y a la gifle donnée et assumée, il y a aussi la gifle reçue. L’épouse d’un
camarade cheminot de Baptiste, Eugénie Reignard, présente ce témoignage
(le 2 octobre auprès du commissaire Guillaume) que nous citons in
extenso :
J’ai connu le ménage Nozière en 1913. M. Nozière était le chauffeur de
mon mari au PLM. Nous nous sommes fréquentés jusqu’en 1929. Après
la naissance de Violette, Mme Nozière nous rendait souvent visite avec
son enfant. J’ai été à même d’apprécier que M. et Mme Nozière étaient de
braves gens. Ils aimaient beaucoup leur fille, qui jusqu’à l’âge de 14 ans
ne leur a donné que des satisfactions.
Il y a environ trois ans, M. Nozière est passé chez moi pour me
demander d’aller voir sa femme malade. Je me suis rendue à leur
domicile, Mme Nozière était alitée, son mari était présent et Violette se
trouvait dans la cuisine. C’est alors qu’ils m’ont dit que leur fille, au
lieu de se rendre chez des amies était allée en compagnie d’un jeune
homme, en automobile, dans la forêt de Sénart. Je me souviens qu’au
cours de la discussion M. Nozière a giflé sa fille. M. et Mme Nozière étaient
très affectés de cet incident. Je peux vous affirmer que M. Nozière avait
pour sa fille une affection toute fraternelle [sic]. C’était un homme
honnête et droit. Mon mari estimait beaucoup son compagnon de
travail, qui était d’une moralité exemplaire [nos italiques].
Cette visite d’Eugénie Reignard à Germaine souffrante et alitée se situe
vers les derniers mois de l’année 1931. Violette est âgée de 15 ans. Baptiste
se révèle un père giflant, devant témoin. Déjà, Violette « en compagnie
d’un jeune homme » déclenche les coups d’un père.
Une lettre de Violette annonçant son suicide
Dans le cadre de l’instruction judiciaire qui a été ouverte pour homicide
et tentative d’homicide contre Violette, le 12 septembre 1933, le
commissaire Marcel Guillaume recueille un témoignage de plusieurs
collègues de Baptiste, dont le mécanicien Léopold Biard, 44 ans, sous-
inspecteur de la traction à la compagnie du chemin de fer du PLM. Il est à
l’origine de la désignation de Baptiste comme conducteur du train du
président de la République Albert Lebrun, sur la ligne Paris-Vichy, en
juillet 1933. Il se souvient de la venue de Germaine se présentant un matin
de décembre 1932 au dépôt des machines de la gare de Lyon, une lettre à la
main, écrite par Violette à l’encre rouge, annonçant son suicide pour le
jour même, à 4 heures de l’après-midi. « Nozière troublé à cette nouvelle
était parti immédiatement avec sa femme à la recherche de sa fille. »
Léopold Biard, se confiant au Figaro du 14 septembre, ajoute autre chose :
Ce que j’ai vu alors m’a vivement frappé, et aujourd’hui encore je
revois la scène comme si j’y étais à l’instant. Nozières pâlit, et en
quelques secondes sa figure se décomposa [nos italiques]. Une émotion
qui me parut extraordinaire fut visible sur ses traits13.
Émile Mau, le sous-chef du dépôt qui reçut Germaine, témoigne auprès du
commissaire de police qu’il « n’a vu qu’un passage de cette lettre, et je
crois me souvenir qu’il était ainsi libellé : “quand vous lirez cette lettre, je
ne serai plus de ce monde” ». Une bagarre sérieuse est engagée. C’est après
une vive « explication » avec ses parents, le 15 décembre 1932, que Violette
rédige, dès le lendemain matin, cette brève lettre :
Je vous pardonne pour hier. Mais je ne peux supporter vos reproches.
Je vais me jeter dans la Seine.
Violette
P.-S. : Je n’ai jamais « couru » avec personne14.
Que s’est-il passé ce 15 décembre dans le logement des Nozière ? Le
25 septembre, dans le cabinet du juge d’instruction, Germaine relate ceci :
C’est à cette époque que mon mari a surpris sa fille avec un jeune
homme à la station du métro Saint-Michel. C’est à la suite des
reproches faits à cette occasion et à celle de ses absences au lycée
qu’elle nous a laissé la lettre du 17 décembre [le 16 décembre au matin],
où elle parlait de se suicider parce qu’elle était malheureuse et qu’on ne
voulait pas la laisser sortir à sa guise.
Le 13 septembre, le juge d’instruction interroge Violette sur ce moment,
elle y indique notamment qu’elle n’avait « jamais eu de mauvaise
conduite » durant le mois de novembre pendant lequel elle ne se rendait
plus aux cours du lycée Fénelon. Le post-scriptum de cette lettre importe.
C’est sa réputation que Violette défend face à ses parents. Le vif reproche
adressé par ses parents de « courir » – et donc d’être une coureuse – lui est
jeté au visage. Ne pouvant continuer à vivre sous le régime des
« observations » et des « reproches », confrontée à cette charge, en ré-
action, Violette annonce son suicide. À propos de cette disparition
annoncée, Violette déclare dans sa réponse au juge : « C’est à cause [nos
italiques] des relations que j’avais avec mon père. » Est, par elle, livrée
l’« étiologie » de ce suicide annoncé. Ce sera l’accusation d’abus sexuels
proférée par Violette contre son père. L’inceste, clef de l’affaire Nozière ?
Cette lettre d’un suicide annoncé est destinée à produire sur ses parents
un effet de sidération et d’effroi : Violette jeune amoureuse met au défi et
en abyme l’autorité de ses parents. Un détail n’aura pas manqué de les
frapper, celui de la précision portant sur l’heure annoncée du décès :
4 heures de l’après-midi. Violette est née le 11 janvier 1915 à 4 heures du
matin. Le dire de Violette devient : « Vous m’avez donné la vie, hier vous
m’avez donné la mort. » Ce suicide (sui caedere, destruction de soi) n’aura
pas lieu comme tel. Cette mise en scène est une adresse sérieuse aux
parents. Elle a valeur d’avertissement, écrit en lettres… de sang.
Un rapport de police du 2 octobre 1933
Le 2 octobre 1933, Félix Leguillou de Penanros, commissaire de police du
quartier de Picpus, signe un rapport de quatre pages dactylographiées dans
lequel il revient sur ce qu’il qualifie de « tentative de suicide » et sur la
lettre écrite par Violette. Ce 16 décembre 1932, il a reçu « une femme
affolée », Germaine, dont les mots sont « entrecoupés de sanglots ». Le
jeudi 15 décembre, « une vive explication eut lieu, le soir, entre les parents
– le père reprochant à la fille “d’avoir traîné pendant un mois dans les
cafés du Quartier latin”, et, emporté par la colère, allant jusqu’à frapper sa
fille [nos italiques], et celle-ci qui, à part son absence au lycée, affirmait
n’avoir rien fait de mal ». Le commissaire rapporte que la lettre de Violette
commençait ainsi : « Vous m’avez appelée traînée, cela n’est pas [vrai]. »
Germaine attribue son geste de désespoir « à l’impression que lui avaient
causée les violents reproches de la veille ». Le commissaire note que
Germaine n’a pas parlé de sa fille en mal.
« Coureuse », « traînée » : « Au commencement, il y a l’injure », écrit
Didier Eribon15. Il la caractérise de deux traits, le verdict et l’emprise. Le
verdict est « une sentence quasi définitive, une condamnation à perpétuité,
et avec laquelle il va falloir vivre16 ». Second trait : « Celui qui lance l’injure
me fait savoir qu’il a prise sur moi, que je suis en son pouvoir. Et ce
pouvoir est d’abord celui de me blesser. De marquer ma conscience de
cette blessure en inscrivant la honte au plus profond de mon esprit17. »
L’injure touche à l’être du sujet. Il faudrait, freudiennement, inventer « un
stade de l’injure », celui-ci étant atteint lorsqu’un sujet est incriminé en
raison de sa sexualité.
Or non seulement Germaine ne dit pas de mal de sa fille au commissaire
de police, mais elle ne manque pas d’assigner, auprès de celui-ci, la volonté
de disparition annoncée de sa fille aux coups portés par Baptiste sur
Violette et à l’injure qu’il lui lança au visage, celle de « traînée ». Violette
ne traîne pas seulement au Quartier latin séchant les cours du lycée
Fénelon, elle est traitée de « traînée ». Dès lors, des connotations
érotologiques se présentent. Dans sa monographie clinique Marguerite, ou
l’Aimée de Lacan, Jean Allouch avance que Marguerite Anzieu, dans son
attentat (le 18 avril 1931) à l’endroit de la comédienne Huguette ex-Duflos,
« dit sa “jalousie”, terme à entendre aussi dans son sens de fenêtre : la
figure de la putain est sa fenêtre sur la sexualité féminine18 ». C’est sur cette
figure de putain que, le 15 décembre au soir, Baptiste a frappé. Baptiste bat.
Il lui arrivait aussi de battre son épouse – c’est ce que Violette aura dit à
son amant Jean Dabin par un dire indirect. À cette scène que nous tenons
pour traumatique, Violette aura réagi dès le lendemain matin, en
annonçant sa mort pour le jour même. Effroi contre trauma. Une jeune
femme est battue. Face à une telle frappe, Violette joue Seine contre scène.
« Il y avait sur le fleuve de grandes péniches qui s’en allaient comme de
lourds cercueils tout chargés encore des rêves morts de l’hiver19… » Ce
16 décembre, Violette a convoqué la mort. Comme une mise en garde à
Baptiste qui ne sera pas lue. Résonne autrement que Violette ne l’a voulu,
cette phrase rapportée par un ami, Pierre Camus : « Mon père oublie
parfois que je suis sa fille. »
L’académicien Henry Bordeaux, ancien avocat, s’indigne à contre-
emploi. Qu’on en juge :
Comment le père ne réagit-il pas quand il apprend la flétrissure de sa
fille et ses relations avec des jeunes gens ? Comment n’a-t-il ni colère
ni violence ? […] Imaginez la scène de famille dans un ménage normal.
Mais la mère aurait dû s’interposer pour arrêter les effets de cette
colère et de cette violence. Elle aurait tremblé pour sa fille. Elle aurait
redouté des excès. Ici, rien de pareil20.
L’académicien a ignoré qu’il était ton sur ton avec ce « père ».
Cette violence de Baptiste n’avait pas échappé aux médecins-experts qui
dans leur rapport médico-légal du 6 novembre 1933 notent : « Vers la
même époque son père la surprit en compagnie d’un jeune homme. Les
reproches de sa famille durent être cette fois assez véhéments. Ce qui le fit
supposer, c’est que le 15 décembre [le 16], Violette disparaissait [leur
faisant savoir] qu’elle allait le soir même se jeter dans la Seine21. » Les
experts n’attendent pas, c’est le soir même… Ce 16 décembre, les parents
Nozière retrouvent Violette en début d’après-midi sur les berges de la
Seine, quai Saint-Michel.
Répétitions
Essais dans le vin
Simone Mayeul, voisine de palier des Nozière, témoigne de ceci –
quelques décennies après les années 1930, son souvenir reste vif :
Ah oui, parce qu’ils recevaient leur vin de Neuville [condensation de
Neuvy et Deauville où Violette s’est rendue]. Elle, Mme Nozière, était de
Neuville et ils recevaient leur vin, qu’ils mettaient au tonneau à la cave,
puis lui, il montait son vin par bouteille. Et puis un jour, il dit à ma
mère : « Je viens de recevoir mon vin, venez le goûter. » Ma mère qui
était pas une buveuse, […] elle buvait pas, elle a bu une goutte, enfin
peut-être un p’tit verre de vin, puis quand elle est partie travailler à la
manufacture [des tabacs] elle était pouttt ! comme ça ! Et puis un autre
jour, c’est [mon père] qui y a eu droit aussi et alors après on a compris
qu’elle droguait le vin. Et alors elle droguait le vin puis le soir, pour
pouvoir sortir, comme ils étaient drogués. Donc eux couchaient dans le
fond, elle dans la salle à manger, mais mes parents l’entendaient :
« Bonsoir papa ! Bonsoir » [voix minaudante], alors avec une voix
comme ça : « Bonsoir maman ! » « Maman » dix fois pour savoir si
vraiment ils étaient endormis, puis après bah, elle s’en allait.
Entre les deux logements mitoyens la cloison laissait donc entendre les
propos tenus. Pour Violette, ce sont les premiers essais de produits
susceptibles d’alourdir le sommeil de ses parents – de les endormir.
Premiers traits épiques. Premières explorations. De ce logement sortir
pour… sortir librement le soir.
Qu’a fait Violette ?
Du 20 mai au 26 juin de cette année 1933, Violette est à Prades, près de
Langeac, dans le Gévaudan, chez son grand-père paternel, Félix Nozière.
Le dimanche 2 juillet à Paris, elle surprend tôt le matin son père dormant
par une initiative intempestive dont elle n’était pas coutumière. Ce que
Germaine relate au juge d’instruction lors de son audition du
15 septembre :
Au début de juillet 1933, de très grand matin, Violette, dont ce n’était
pas l’habitude, nous a apporté du café au lit. Elle a réveillé son père,
rentré tard dans la nuit, et qui en a été mécontent. Ce café était très
amer, et nous n’avons pas pu le boire. Les deux tasses étaient pleines.
J’ai fait jeter ce café, mais ai demandé à ma fille de conserver le café
moulu dans le filtre. Or ma fille s’est empressée de le jeter. J’ai refait
ensuite du café avec les grains du même paquet. Il était excellent. Ma
fille ne boit pas de café, mais du thé.
Café dont Violette attendait un effet qui ne s’est pas produit et dont
Germaine saisit la portée plus tard. Elle explore les effets de certains
produits. Les échecs font rebond. Continuant à s’exposer, Violette poursuit
discrètement son dessein. Entre la première tentative d’empoisonnement
du 23 mars qui conduit sa mère à l’hôpital et celle du 21 août, se glisse une
chute de Baptiste du tender de sa locomotive un… 14 juillet.
Une chute de locomotive le… 14 juillet
Le vendredi 14 juillet, Baptiste tombe de sa locomotive30. Depuis 1880 se
célèbre la chute de la prison de la Bastille, le 14 juillet 1789, par les
insurgés, et dès lors aussi la chute de toutes les bastilles… Dès le premier
interrogatoire qui suit presque immédiatement son arrestation, Violette se
défend d’être impliquée dans cette chute. « S’il est tombé de sa locomotive,
c’est parce qu’une briquette a basculé. » Sur cette chute, Germaine
s’exprime différemment : « Il avait glissé sur une briquette. Il était
fortement contusionné. »
On lit que pour Violette, c’est la briquette qui est active (elle a basculé) et
fait tomber son père, chez Germaine, c’est son mari qui a glissé,
provoquant ainsi sa chute. Selon Violette la briquette est à l’origine de la
chute, chez Germaine son mari glisse et tombe. Sur cette chute, le
témoignage de Simone Mayeul est plus explicite :
Et justement un jour il est tombé de sa locomotive. Et comme ils
savaient que c’était un homme qui ne buvait pas ni rien, ils ont cherché
pourquoi. Et là ils se sont aperçus que, par prise de sang ou quoi je
n’en sais rien, […] j’peux pas vous dire, ils se sont aperçus qu’il était
drogué. C’est comme ça qu’on l’a su. Et elle, elle droguait le vin.
Baptiste reste en convalescence chez lui jusqu’au 31 juillet, puis reprend
son travail, pour à nouveau cesser le 2 août. Le 5, il est hospitalisé à la
Pitié, ne retrouve son domicile que le 17 août. Un médecin qui examina
Baptiste à la suite de cette chute remarque « un état d’abrutissement
anormal31 ».
Consonance entre « Baptiste » et « Bastille ». Ce jour du 14 juillet 1933,
Baptiste tombe comme tombe une bastille. L’embastillée du 9 rue de
Madagascar, c’est Violette. Rigoureusement, elle vient de faire tomber une
« bastille » à laquelle elle continuera de s’attaquer, jusqu’à sa chute finale.
C’est encore une tentative dans son épopée.
11. Conversation du 24 octobre 1997 avec Simone Mayeul, à son domicile, 9 rue de Madagascar.
Françoise Valier participe à cette conversation, ainsi que le fils de S. Mayeul.
12. Valeur de référence, le franc 1933 équivaut en 2013 à 0,68 euro.
13. « L’affaire Nozière ou un protecteur mystérieux apparaît », Figaro du 14 septembre 1933, p. 1
et p. 2 pour la citation.
14. J.-M. Fitère, op. cit., p. 26.
15. Didier Eribon, Réflexions sur la question gay, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1999, p. 29.
16. Ibid., p. 30.
17. Ibid., p. 31, nos italiques.
18. Jean Allouch, Marguerite, ou l’Aimée de Lacan [1990], postface de Didier Anzieu, 2e édition
revue et augmentée, Paris, Epel, 1994, p. 371.
19. Alec Scouffi, Au Poiss’ d’or. Hôtel meublé [1929], préface de Cédric Meletta, Paris, Séguier, 2019,
p. 113.
20. Henry Bordeaux, « Le plaidoyer qu’on n’a pas fait », hebdomadaire 1934, « Le magazine
d’aujourd’hui », dernière page.
21. Les docteurs Crouzon, Claude, Truelle, Rapport médico-légal, 6 novembre 1933, p. 13.
22. A.-E. Demartini, op. cit., p. 136.
23. S. Maza, op. cit., p. 84-85.
24. Ibid., p. 136.
25. Ibid., p. 269.
26. Voir la section « Le mouvement de feu de Violette »,partie III, p. 206.
27. Les époux Nozière sont venus habiter définitivement au 9 rue de Madagascar en 1919. Violette
est alors âgée de 5 ans.
28. Jacques Derrida, « La pharmacie de Platon » [1968-1972], suivant le Phèdre de Platon,
traduction inédite, introduction et notes par Luc Brisson, Paris, GF/Flammarion, 1989, p. 255-406.
J. Derrida : « Pharmacée (Pharmakeia) est aussi un nom commun qui signifie l’administration du
pharmakon, de la drogue : du remède et du poison » (p. 264).
29. Se reporter à « Un geste incendiaire », partie III, section « Le mouvement de feu de Violette »,
p. 218.
30. Cheminot, il ne pouvait pas ne pas connaître l’épisode rocambolesque de ce président de la
République française, Paul Deschanel, tombé d’un train de nuit le dimanche 23 mai 1920 ; peut-être
même cette chute avait-elle été évoquée en famille. Voir Thierry Billard, « E pericoloso sporgersi »,
dans Le Goût du train, textes choisis et présentés par Christine Routier Le Diraison, Paris, Mercure
de France, coll. « Le Petit Mercure », 2018, p. 42-44.
31. Voir A.-E. Demartini, op. cit., p. 110.
32. Assis sur la croupe, en posture fécale. Baptiste Nozière accroupi sous un édredon à côté du lit
de sa fille. Posture de défaite.
33. Jeanine Deron est une invention de Violette, personnage imaginaire à l’existence duquel les
parents Nozière ont cru. Violette a souvent prétendu sortir avec cette amie de bonne famille et de
bonne fréquentation.
34. Mise en page, orthographe et ponctuation de cette lettre à l’identique de l’original.
35. Ce n’est pas le cas, cette lettre étant postée rue Mercœur.
36. « Maddy » est le diminutif de son amie Madeleine Debize.
37. Au fait de la hiérarchie dans la police, Violette brode sur ceci : le beau-frère de son père,
Auguste Desbouis, marié à Clémence (Philomène) Hézard, sœur aînée de Germaine, est agent
retraité de la police nationale.
38. Baptiste se compte au nombre des maris qui ne peuvent pas ne pas frapper leur femme, des
« pères » qui ne peuvent pas ne pas frapper leur fille.
39. Baptiste Nozière eut une sœur, Marie, décédée le 25 août 1918, à l’âge de 19 ans. Voir
Wikipédia, notice Violette Nozière, notes et références. Notes C, second paragraphe pour la copie
de l’acte de décès ; consultation du 20 juillet 2012.
40. Dans cette invention affleure le désir de Violette.
41. L’évocation de la mère de Violette est le dernier propos rapporté de cette audition du
commissaire Guillaume.
42. L’Action française est un mouvement royaliste dont le théoricien Charles Maurras (1868-1952)
prônait la restauration de la royauté sur fond d’une doctrine, celle d’un « nationalisme intégral ».
43. En fait de livre, il s’agit d’un tiré à part de quinze pages de la Revue moderne des arts et de la
vie, de 1931. Le dépôt légal est du 9 juillet 1931.
44. Ibid., p. 5.
45. Ibid., p. 13. S. Maza dit en quelques lignes l’inconsistance de ce pamphlet (op. cit., p. 89).
46. Détective, 6e année, no 258, 5 octobre 1933, p. 3. À l’endroit de Violette, Dabin aura tenu ces
propos, sans vergogne.
47. Voir J.-M. Fitère, op. cit., p. 108, et A.-E. Demartini, op. cit., p. 289-290.
48. « Jean Dabin, qui fut l’amant de Violette Nozières, est mort à l’hôpital militaire du Val-de-
Grâce », Le Progrès du 29 octobre 1937, p. 1.
Deuxième partie
L’après-crime
Calme émouvant dans un temps out of joint
Marche nocturne
Le lundi 21 août vers minuit, Violette quitte le domicile paternel, se rend
à pied au bois de Vincennes, s’assied sur un banc une vingtaine de
minutes, n’y rencontre personne. Puis, traversant une partie de la capitale,
elle se rend in fine au Quartier latin, au 6 rue Victor-Cousin, au Grand
Hôtel de la Sorbonne situé à une vingtaine de mètres de l’entrée de cette
université qui donne sur la place de la Sorbonne. Elle y passe le reste de la
nuit. Elle s’était déjà rendue quelques fois dans cet hôtel en compagnie de
Jean Dabin. Ce mardi 22 août, il est près de 4 heures du matin quand elle
s’y présente. Montée dans sa chambre, Violette ne peut y dormir ; moins
de trois heures plus tard, elle a quitté l’hôtel. Nuit blanche dans l’immédiat
après-crime. Violette sur-éveillée.
Mardi d’ivresse le 22 août
C’est à la porte de son amie Madeleine Debize qu’elle va frapper tôt le
matin, au 7 rue Claude-Decaen, à proximité du domicile de ses parents. Les
amies ont le même âge, se sont connues dès l’école primaire de la rue de
Wattignies, proche de leurs domiciles respectifs. Madeleine travaillant –
elle est secrétaire-dactylo pour un imprésario49 – ce matin-là, Violette
l’accompagne en taxi au lieu de son travail, 56 rue La Bruyère. Ce même
mardi 22, « à midi 15 », Violette est revenue à l’hôtel de la rue Victor-
Cousin pour retenir une chambre pour deux jours, en paie d’avance le prix
de location. Le personnel de l’hôtel ne l’a pas vue sortir. C’est la soirée que
Violette et Madeleine passeront ensemble, en galante compagnie. Violette
ne souffle mot à son amie de ce qui a eu lieu la veille au soir et… continue
d’avoir lieu. Elle lui fait savoir qu’elle partira le lendemain en vacances aux
Sables-d’Olonne et qu’elle ne sait pas quand elles se reverront. Madeleine
confie aux policiers venus l’auditionner, dès le mercredi 23 août, que
Violette lui a « fait connaître immédiatement qu’elle possédait six mille
francs pour se rendre en vacances, dont cinq mille francs qui lui avaient
été donnés par ses parents et mille francs par une tante. J’ai constaté
qu’elle avait dans son sac à main des billets de cent francs. J’ignore pour
quelle somme. » Elle dit aussi ne fréquenter Violette que « simplement
d’une manière tout à fait accidentelle »…
Figure 1
Dans sa chambre d’hôtel, Violette a revêtu une robe de soie noire. Vers
20 h 30, les amies se rendent en taxi boulevard Saint-Michel, au Palais du
café, puis à pied boulevard Montparnasse à La Coupole, elles y prennent
une consommation. Croisant sur le boulevard Montparnasse « deux jeunes
gens » connus de Violette, ils se rendent ensemble dans la voiture de l’un
d’eux, au bal Tabarin. Violette et Madeleine sont raccompagnées à leur
domicile peu avant une heure du matin. Quelques instants plus tard,
Violette est dans le logement de ses parents, ouvre le gaz, en ressort très
vite et va frapper à la porte si proche de ses voisins de palier, les époux
Mayeul.
Une photo de Madeleine et de Violette s’embrassant fait la couverture de
Détective du 31 août (no 253). Il titre en grands caractères : « L’enfant
gâtée50 » (figure 1).
Quelques heures plus tard, en fin de matinée, Violette aura faussé
compagnie au commissaire de police Gueudet. Elle ne se rendra pas,
comme convenu la veille au soir avec Gérard Legrand dit Willy et Bernard
Piébourg à qui Dabin devait de l’argent, aux lieux et heures prévus le
lendemain pour les rembourser. L’un de ces rendez-vous était fixé à
15 heures au Palais du café, et si elle ne pouvait s’y rendre, ce serait à la
gare Montparnasse avant 20 h 50, heure de départ d’un train à destination
des Sables-d’Olonne où elle allait rejoindre Dabin en vacances.
Cet extrait d’une lettre de Violette :
Que de fois j’ai vu Jean détourner son visage indifférent saupoudré
d’une pincée de lassitude devant les minauderies d’une poupée
quelconque… je le vois grand, devant moi, en un premier plan
magnifique, éloigner avec un imperceptible scintillement des yeux tout
ce qui n’est pas une vraie pierre précieuse, une perle, un saphir, un
visage de gardénia ou d’orchidée51… Eh oui ! c’est un voleur, Dabin. Ça
relève de son métier de distinguer un vrai saphir d’un faux. Ses yeux
bleus, probablement […] descendent lentement de l’ovale blanc du
visage au cou de son aimée où brillent les perles52…
Violette rêvait.
Mercredi 23 août dans la nuit
Le mercredi 23 en fin de matinée, le personnel de l’hôtel ouvre la
chambre louée par Violette, constate que la chambre est vide ; son
occupante d’une nuit y a laissé des affaires. L’armoire de la chambre
« fermée par la locataire qui avait emporté la clé » est ouverte. Qu’y
trouvent-ils ? Trois cartons contenant des vêtements.
Le tout était ficelé avec sur le dessus, également ficelé, un sac à main
en cuir noir, usagé, renfermant un petit portefeuille en cuir marron,
contenant lui-même une carte de traitement de l’institut
prophylactique au nom de Mme Violette Nozière. En outre, le sac à main
renfermait une boîte en fer, ronde, portant la mention « Tue-souris » et
poison violent [nos italiques].
Dans un rapport du jeudi 24 août, le commissaire Gueudet dresse un bref
inventaire du contenu de l’armoire. Il mentionne notamment que dans le
sac à main en cuir noir se trouve aussi « une feuille de papier timbré
manuscrit contenant un engagement de versement de somme d’argent en
date du 27 février 1911 ». Cette reconnaissance de dette était signée au
bénéfice des époux Nozière par Auguste Desbouis, beau-frère de Germaine
et oncle de Violette. Il est probable que Violette a anticipé pouvoir en
obtenir le paiement, dans les projets envisagés par elle après le décès
« accidentel » de ses parents.
« Ce n’est pas tenable, ce n’est pas tenable »
Les itinérances de Violette commencent dans l’après-midi du
mercredi 2353. Elle se promène au Champ-de-Mars où elle sera abordée, dès
ce mercredi, par Pierre Gourcerol accompagné de l’un de ses amis. Rendez-
vous est pris pour le lendemain.
Le jeudi 24 août, en fin de matinée, gare de Lyon, une jeune fille qui
pleurait se trouve dans une voiture de troisième classe du train se rendant
à Saint-Étienne. Un contrôleur de la compagnie des chemins de fer du PLM
lui demande ce qu’il lui arrive. Elle lui répond qu’elle venait de Houdan,
qu’elle « avait perdu sa mère et qu’elle ne reverrait plus son père [nos
italiques] ». Elle ajoute qu’elle était âgée de 15 ans, qu’elle avait déjà
beaucoup souffert, vu son âge, qu’elle était atteinte d’une maladie
incurable et se rendait chez les sœurs à Moulins pour se faire soigner. Le
contrôleur, Maurice Jacquet, la quitte au moment du départ du train, après
l’avoir un peu consolée. Peu après, il apprendra par les journaux que la
jeune femme rencontrée est celle que la police recherche. Il la voit assez
grande, mince, paraissant âgée d’au moins 18 ans (elle lui en annonce 15),
« visage allongé, teint pâle, cheveux ondulés châtain foncé. Elle était vêtue
simplement d’un manteau noir, chapeau de feutre noir. Elle avait une
petite mallette très légère, sac à main usagé » (déclaration du 25 août au
commissariat de Picpus).
Les perspectives s’effondrent, mère perdue (pour elle Violette, pense-t-
elle), quant à son père, elle le sait décédé.
Le jeudi 24 à minuit, Violette se trouve au Melody’s Bar, 26 rue Fontaine
à Montmartre. Elle est « assise, seule, près de l’orchestre ». Elle lie
connaissance avec l’un des musiciens de l’orchestre de jazz, le batteur Jean-
François Pierre. Le musicien témoigne :
À 3 heures du matin, comme elle était encore là, et paraissait prendre
plaisir à notre conversation, je l’ai priée de vouloir bien m’attendre et
que je l’emmènerais avec moi. En effet, à 6 heures, mon service
terminé, elle m’a suivi et, après avoir pris une consommation dans un
café voisin, nous sommes allés dans un hôtel, 32 rue Duperré, où nous
avons occupé, au 1er étage, la chambre no 7. Je suis resté avec elle
jusqu’à 9 heures du matin, au moment de mon départ, nous avons pris
rendez-vous pour 17 heures dans le café Boudon, 1 rue Mansart et elle
m’a recommandé de dire au bureau de l’hôtel qu’on veuille bien la
réveiller pour 16 heures, ce que j’ai fait.
Sept heures du matin est l’heure à laquelle ils arrivent à cet hôtel, ce
vendredi 25. Vers 9 heures, une femme de chambre de l’hôtel, Jeanne
Aubert, entend des pleurs dans la chambre occupée par Violette : « J’ai
écouté et la femme disait à son compagnon : “Ce n’est pas tenable, ce n’est
pas tenable.” Je n’ai pas insisté, croyant à une brouille entre amant et
maîtresse. »
Ce vendredi, alors qu’elle est seule, Violette demande à la femme de
chambre d’aller chercher pour elle deux journaux : Le Petit Parisien et Le
Journal. Elle quitte la chambre peu après 10 heures ; « elle a même
accroché la clé de sa chambre au tableau de l’hôtel ». En début d’après-
midi, elle retourne à l’hôtel et demande qu’on lui réserve la même chambre
pour la nuit suivante.
Elle fut exacte au rendez-vous avec Jean-François Pierre, au café Boudon.
Elle demande à ce nouveau compagnon de rencontre 150 francs « pour
s’acheter une robe de soirée ». Il verrait plus tard. Le musicien
l’accompagne dans un restaurant au 21 boulevard de Clichy, pour qu’elle
puisse dîner ; paie pour elle le repas. Violette ne retourne pas au Melody’s
Bar. Seule, elle ne revient à l’hôtel de la rue Duperré que vers 3 heures du
matin.
Le samedi matin, vers 9 h 30, Violette demande à la femme de chambre,
qui en témoigne, « d’aller lui acheter des serviettes hygiéniques et deux
journaux, les mêmes que la veille, en me recommandant de ne pas oublier
ceux-ci ».
Une heure plus tard, elle a quitté l’hôtel, elle a renseigné le livre de
police du garni sous le nom de… Madeleine Debize, sténodactylo. Violette
se déclare sous un faux nom. Ce nom ne la protège que très
provisoirement, étant plutôt un indice lisible pour la police. En ce moment
de basculement du temps, Madeleine Debize est le nom de l’amie.
Elle ne laisse rien dans la chambre, elle n’a aucun bagage. On témoigne
de « l’allure absolument normale » de Violette pour quelqu’un qui a
commis « un crime horrible ». Rien ne laisse transparaître qu’elle est
recherchée par la police, alors même qu’elle suit… l’affaire Nozière dans les
journaux.
Le 30 août, une note de police judiciaire fait état d’une photographie
trouvée dans la literie garnissant la chambre de l’hôtel de la rue Duperré,
trouvée après le départ de Violette. C’est une photographie de format carte
d’identité, la photographie est celle de Germaine, jeune fille. Une
photographie d’un visage de sa mère craquelé(e)54 (figure 2).
Figure 2
Le moment Darfeuil
La presse se déployant, Violette sait qu’elle peut être reconnue à tout
instant, dénoncée et appréhendée. Elle n’en continue pas moins d’avancer
ses pas comme si de rien n’était. Le soir de ce samedi 26, elle rencontre
Alfred Roland, dans des circonstances plutôt inattendues. L’un et l’autre se
trouvent au café situé au 67 de l’avenue de La Motte-Picquet. Alors que
Alfred Roland descend aux lavabos, il remarque
une jeune femme qui paraissait ennuyée d’un petit accident qui venait
de lui arriver. Le contenu de son tube de crème s’était répandu à
l’intérieur de son sac et avait maculé tous les objets qui s’y trouvaient
Elle me pria de l’aider à les essuyer et au cours de la conversation qui
suivit je lui donnais rendez-vous dans ce même café pour le même soir
à minuit.
Violette est exacte au rendez-vous.
Tout d’abord elle me parut si douce et si ingénue que je ne lui fis
aucune proposition. Après avoir conversé un bon moment, l’heure
s’avançant, je lui proposai de la reconduire. En cours de route elle me
déclara qu’elle se nommait Christiane d’Arfeuil55 et qu’elle demeurait
rue de Bassano.
Se disant que cette jeune femme ne semblait pas pressée de rentrer chez
elle, ce compagnon de rencontre lui en demande la raison. Violette répond
qu’elle habitait avec une amie mais qu’elle craignait que celle-ci soit
absente. Alfred Roland lui offre alors l’hospitalité, qu’elle accepte, et
l’emmène dans une chambre dont il dispose rue Tiphaine, dans le quartier
Grenelle. Le lendemain dimanche, après une grasse matinée, un apéritif est
pris vers midi rue du Commerce ; l’amant de rencontre accompagne
Violette à la brasserie de La Motte-Picquet, elle y déjeune ; ils se quittent,
rendez-vous est pris au même endroit pour le soir même. Violette ne s’y
rendra pas. Une surprise attend cependant Alfred Roland.
Le lundi matin, vers 9 heures, j’étais encore couché lorsque l’on a
frappé à ma porte. Je me suis levé et je me suis trouvé en présence de la
femme qui m’avait dit être Christiane d’Arfeuil. Elle s’est excusée de ne
pas être venue la veille au rendez-vous que je lui avais fixé et me
déclara qu’elle venait simplement me dire bonjour. Comme je lui faisais
observer qu’elle était en sueur56, elle m’a répondu qu’elle s’était
dépêchée de venir m’annoncer qu’elle avait trouvé une place. Elle a
voulu m’emprunter 100 francs pour s’acheter une robe, m’offrant de me
donner une bague et un tour de cou, en or, comme garantie.
Alfred Roland lui répond qu’il lui donnera une réponse le jour même à
midi, à la brasserie de La Motte-Picquet ; cette fois-ci, c’est lui qui n’est pas
au rendez-vous, il ne la reverra pas.
La dernière nuit en liberté de Christiane Darfeuil se passera en
compagnie d’un autre homme, Raphaël Cohen, rencontré le dimanche soir
dans ce même quartier de Grenelle. Une consommation est prise dans un
café. Ils parlent longuement. Violette parle de sa mère qu’elle a quittée
depuis quatre ans et qui s’est remariée, de « son beau-père [qui] lui faisait
la cour ». Elle accepte la proposition de passer la nuit chez ce nouvel
amant.
Tels sont les traits de ce que nous appelons « le moment Darfeuil » : vie
de café – disponibilité – douceur – présentation de soi sous un autre nom
– souci de l’élégance – affirmation d’une ascendance sociale élevée –
demandes d’argent – rendez-vous tenus et rendez-vous non tenus. Violette
fait montre de placidité et d’impassibilité alors que le cyclone se
rapproche. En quoi ce moment Darfeuil semble être vécu sous le registre
d’une désubjectivation dont cette placidité et cette impassibilité sont ici
des traits. Elle n’en pleure pas moins.
Le lundi matin vers 11 heures, Violette quitte son amant de rencontre, ce
sera le dernier. Elle se rend au Champ-de-Mars. Ses heures de liberté sont
désormais comptées.
Virage de rencontres galantes
Dans la trame serrée de cette « odyssée fugitive », selon l’heureuse
expression de Sarah Maza57, dans l’après-midi du mercredi 23, Violette se
trouve au Champ-de-Mars ; elle est assise sur une chaise, quand, « comme
elle était jolie », Pierre Gourcerol, jeune maréchal des logis à l’École de
cavalerie de Saumur, alors accompagné d’un ami dessinateur, engage la
conversation avec elle. Elle se présente sous le nom de Christiane Darfeuil,
dit habiter au 19 rue de Bassano et qu’elle est étudiante à la faculté des
sciences. Elle ajoute que sa mère travaille chez Paquin et qu’elle gagne
120 000 francs par an, « que son père qui était mort depuis neuf mois [nos
italiques58] était ingénieur à la compagnie PLM ». Un flirt s’ébauche.
Pierre Gourcerol parle de la jeune femme au comte André de Pinguet,
l’un de ses amis. De connivence entre eux, c’est le comte qui va aborder
Violette au Champ-de-Mars ; il s’est procuré une photo de Violette
découpée dans un journal. Souriante, Violette lie conversation avec lui,
près d’une heure. L’entreprenant constate que « cette jeune fille »
ressemble à celle qui est recherchée par la police. Il sort alors de sa poche
la photographie, la montre à Violette en lui disant :
« C’est étrange comme vous paraissez ressembler à Violette Nozière
dont voici la photographie. » Elle m’a répondu en la prenant dans la
main, puis plaçant son pouce sur le haut du visage : « Oui, en effet, elle
a mon nez et mon menton. » À ce moment je l’observais attentivement.
Rien dans son visage ou dans son attitude n’a varié.
Violette prolonge son épopée, sans ciller. Le curieux remet la photo dans
sa poche, convaincu devant tant d’assurance qu’il y a erreur sur la
personne et poursuit sa conversation. La jeune femme lui dit se nommer
Christiane Darfeuil, « être fortunée et demeurer chez sa mère, 15 rue de
Bassano. Elle ajouta que sa mère était partie en province et que n’ayant
pas les clés de son appartement, elle prenait actuellement ses repas rue
Cler sans préciser le numéro ».
Vers 18 heures, avant de se séparer, Violette aurait exprimé le désir de
revoir André de Pinguet, qui lui répond qu’elle pourra le rencontrer le soir
même, vers 20 heures ou 21 heures, au café de La Brune, avenue de La
Motte-Picquet. Entre-temps, le comte va vérifier si Christiane Darfeuil est
connue au 15 rue de Bassano : il n’en est rien. Fort de ses relations, il prend
contact avec les autorités de police, le bureau du commissaire Guillaume
lui ayant été ouvert par le directeur de cabinet du préfet de police de Paris.
Violette est attendue en fin de soirée… par le brigadier-chef Gripois et
l’inspecteur Verrier, qui s’apprêtaient à prendre une surveillance aux
abords du Melody’s bar. Dans leur procès-verbal, les deux policiers
notent :
À 20 h 35 nous avons aperçu venant de la direction des jardins du
Champ-de-Mars une femme que nous avons immédiatement reconnue
comme étant la recherchée. Au moment où elle arrivait à notre hauteur
nous l’avons appréhendée. Elle n’a fait aucun geste ni prononcé aucune
parole et nous a suivis jusqu’à une voiture dans laquelle elle a pris
place très calmement.
Le lauréat du prix Renaudot de 1929, Marcel Aymé, consacre au comte de
Pinguet une chronique dans l’hebdomadaire politique et littéraire
Marianne. Subtile chronique attribuant au dénonciateur le titre de
« détective amateur », mais la pointe porte plus loin.
Par une lettre insérée dans le dernier numéro de Marianne, M. de
Pinguet protestait contre un article de M. Drieu la Rochelle qui l’accusa
d’avoir manqué à la galanterie en dénonçant le rendez-vous que lui
avait donné Violette Nozières. […] Le dénonciateur de la jeune
criminelle se range de lui-même dans la catégorie des détectives
amateurs. […] Le détective amateur est avant tout un spéculatif que
l’action, du point de vue professionnel intéresse médiocrement. […]
Quand il s’occupe d’une affaire, il s’installe dans un fauteuil, fume
trois, six, ou douze pipes, selon la difficulté, et reconstitue le crime en
partant d’un bout d’allumette. […] Il arrive pourtant qu’une nécessité
extrême l’oblige à prêter la main à une arrestation, mais c’est une règle
absolue qu’il y risque sa peau. Avant que sa main de fer ne maîtrise
l’assassin (car il est toujours d’une force peu commune, en dépit de ses
apparences chétives), la tradition exige qu’une balle de revolver lui
siffle à l’oreille59.
On ne saurait rien ajouter. L’année suivante, l’académicien Henry
Bordeaux lui attribuera le titre de « petit policier improvisé60 ».
Au 36 quai des Orfèvres
Dans la voiture de police qui la conduit au 36 quai des Orfèvres, siège de
la direction de la police judiciaire de la préfecture de police de Paris,
Violette dit aux deux policiers : « J’ai agi ainsi parce que mon père a des
relations intimes avec moi depuis six ans environ [nos italiques]. » Elle vient
de dire la « raison » (« parce que ») de son agir.
Elle est maintenant dans le bureau du commissaire Guillaume qui relate
ce moment dans ses Mémoires publiés en 193761. S’il ne peut interroger
l’inculpée, ce droit étant réservé de par la loi au seul juge d’instruction, il
prend la liberté de lui parler. Devant Violette « impassible », devant son
silence (il dit « mutisme »), le commissaire prenant un ton patelin, lui dit
que, dans un tel moment, il sait qu’elle ne saurait mentir…
— Ayez confiance, lui dis-je, avouez la vérité. […] Il faut me parler
franchement, comme à un vieux camarade. […] Je vous aiderai : vous
verrez mon petit, c’est si bon de pouvoir se confier à quelqu’un. […] Et,
en courtes phrases haletantes, brèves, elle nous raconta comment un
jour son père avait odieusement abusé d’elle. […] Et, docilement,
pendant des mois et des années, elle s’était prêtée à l’odieux caprice de
l’homme pour qui elle ne pouvait éprouver que de la haine et du
mépris […]
— Sa mort seule pouvait me délivrer de lui, conclut-elle d’une voix
lassée, et c’est ainsi qu’est née peu à peu en moi l’idée de
l’empoisonner62…
Figure 3
Figure 4
Vue aérienne
de la Petite-Roquette
Elle comporte des étages composés de cellules qui sont situées au long des
six divisions. Une cellule est ainsi décrite :
Un lit, une table, un banc, une étagère, un carton suspendu portant le
numéro d’écrou, l’eau dans un pot de terre, une porte et une fenêtre
entre deux cloisons rapprochées, voilà la cellule. Point de siège
d’aisances […]69.
Violette est désormais comptée parmi les 2 080 femmes détenues dans les
établissements pénitentiaires en France l’année 193370.
L’historienne Corinne Jaladieu dit le mouvement de laïcisation engagé
par la IIIe République
consistant à remplacer les surveillantes religieuses par des
surveillantes laïques, [lequel] se fit lentement, notamment pour des
raisons financières, les premières étant moins payées que les secondes,
[…] non sans susciter quelques inquiétudes parmi les détenues : ayant
assimilé un sentiment de déchéance et de culpabilité, plusieurs d’entre
elles louent les sentiments d’affection et de compassion des sœurs à
leur égard71.
Les sœurs vivaient à demeure dans la prison, leurs chambres étaient
mitoyennes et alternées avec les cellules des femmes détenues qui
pouvaient être deux à trois par cellule. Le service religieux de surveillance
n’est pas le service d’un fonctionnaire des services pénitentiaires,
surveillant ou surveillante, il est de jour et de nuit.
« Visage placide »
L’une de ces religieuses surveillantes, venant de la prison de Saint-
Hilaire, est nommée à la Petite Roquette en juillet 1932. Elle a gardé un
souvenir précis de Violette, qui n’a pas manqué de l’impressionner :
C’était… pensez c’est difficile quelqu’un qui n’ouvre pas la bouche du
matin au soir qui est devant vous là. Alors bon son visage… visage
placide, c’est ça le mot qui lui convient, vous ne pouvez pas dire ce
qu’elle pensait. […] Vous savez c’était une fille elle était forte ! Vous
savez, vous auriez de la chance si vous pouviez deviner ce qu’elle
pensait72.
L’impossible confrontation avec Germaine
Le vendredi suivant 1er septembre, Violette est extraite à 8 h 45 de la
maison d’arrêt de la Petite-Roquette pour être interrogée cette fois-ci à
l’hôpital Saint-Antoine, dans les bureaux de la direction ; sa mère est
encore hospitalisée. Il a été finalement renoncé à une confrontation avec sa
mère, jugée trop affaiblie. Violette revient sur plusieurs points. Ses parents
étaient couchés dans son lit avant son départ, elle dans le lit de ses parents.
On notera cette permutation des places. Si elle a mis un rideau contre la
porte d’entrée à l’intérieur de l’appartement, c’est pour que l’on n’entende
pas ses parents, s’ils se plaignaient. Le soir du 21, personne n’était avec
elle. Elle confirme avoir pris le matin dans la ceinture de sa mère le billet
de 1 000 francs. « J’ai mis un papier à la place et ai recousu cette ceinture.
J’ai même remis l’épingle de sûreté qui maintenait cette petite poche. »
Enfin, « la fausse lettre » du docteur Deron, sur papier gris bleuté
identique à celui des petits paquets de poudre présentés à ses parents, n’a
pas été écrite sur un papier à lettres de Dabin.
Figure 5
Un procès rapide
Un procès dans l’année 1934
L’historien nord-américain Eugen Weber146 choisit en illustration de la
page de couverture de son ouvrage sur la France des années 1930 une
photo sépia de l’émeute sanglante du 6 février 1934. Ce jour-là, les ligues
nationalistes (mais pas seulement elles) marchent sur la Chambre des
députés, et engagent un combat de rue avec les forces de l’ordre, tandis
qu’un nouveau président du Conseil, Édouard Daladier, membre du parti
radial, sollicite la confiance de la Chambre. Investi par les députés à une
large majorité, mais après une nuit où lui fait défaut l’appui notamment de
la justice, de l’armée et de la police, il présentera dès le lendemain sa
démission au président de la République Albert Lebrun, qui l’acceptera147.
Il y a maintenant un an révolu que Violette a fait l’expérience de ce que
peut être une incarcération à la prison de la Petite Roquette. L’audience de
la cour d’assises s’ouvre le mercredi 10 octobre 1934 au Palais de justice à
Paris, sur un hommage rendu au roi de Yougoslavie, Alexandre 1er,
protecteur des Serbes, ennemi des Croates, et à Louis Barthou, ministre des
Affaires étrangères venu l’accueillir à Marseille, sur le débarcadère du
Vieux-Port le 9 octobre 1934. Le roi est assassiné place de la Bourse, le
ministre français meurt de ses blessures en moins d’une heure148. Résidant à
l’hôtel Crillon, il était prévu que la reine et le roi soient reçus à l’Hôtel de
Ville de Paris le mercredi 10 octobre à 16 heures, en compagnie du
président de la République Albert Lebrun et de son épouse ; tandis que de
l’autre côté de la Seine, dans la salle d’audience de la cour d’assises,
Violette Nozière faisait face à « ses » juges.
Dans la presse hebdomadaire : Détective, Vu, Marianne
Fin septembre 1934, Détective publie sur trois numéros « Le journal de
Violette Nozière », successivement le 27 septembre (no 309), le 4 octobre
(no 310) et le 11 octobre (no 311) (figures 6, 7 et 8).
Un « Document formidable recueilli par Henri Danjou : les feuillets
dramatiques écrits au jour le jour à la prison de la Petite Roquette par
Violette Nozière » légende la première de couverture du numéro 309. Le
deuxième numéro titre à l’identique avec ces variantes : « Les feuillets
émouvants écrits, dans le secret de sa cellule de la prison de la Petite
Roquette, par la jeune parricide, et dont Détective a pu s’assurer
l’exclusivité. » Enfin pour le troisième numéro alors que le procès s’est
ouvert la veille : « Le journal de Violette Nozière au moment même où la
jeune inculpée se débat en des audiences poignantes, toutes dominées par
l’ombre hallucinante du père qu’elle a tué149. » Le numéro suivant de
Détective titrera sur le verdict de la cour d’assises.
Le jour même de l’ouverture du procès, ce 10 octobre 1934, le magazine
hebdomadaire Vu publie sous la plume de Pierre Frondaie les premières
pages d’une histoire romancée de la vie romaine, au xvie siècle, de la
famille Cenci déjà écrite par le poète Percy Shelley (1819) ou par Stendhal
(1855) (figure 9). L’année suivante Antonin Artaud en fit à son tour une
pièce de théâtre pour laquelle il interprétera le rôle du vieux comte Cenci.
Ce dernier donne une définition familiale – comme il se doit – de
l’inceste : « La famille à qui je commande et que j’ai faite est ma seule
société150. »
Figure 6
Figure 7
Figure 8
Figure 9
Figure 10
De la prison, en sortir
La maison centrale de Haguenau
Violette quittera la Petite Roquette en janvier 1935, elle y a été détenue
seize mois. Dans cette prison, Germaine lui rendra visite le 19 octobre 1934,
quelques jours après le procès d’assises, et encore le 7 décembre et le
28 décembre, avant le départ de Violette pour la maison de force et de
correction alsacienne de Haguenau dans le Bas-Rhin. Violette est
transférée le 5 janvier 1935 à la maison de correction cellulaire de Fresnes,
avant d’être conduite à Haguenau. Cet établissement pénitentiaire fut
d’abord un hôpital militaire construit au xviiie siècle, puis un dépôt de
mendicité, puis une caserne, avant de devenir prison pour peines en 1822212.
À proximité de la maison centrale se trouvent les casernes d’un régiment
d’artillerie.
Après cette première période de seize mois de détention préventive, c’est
l’ordre pénitentiaire en tant que tel auquel Violette se trouve soumise, dans
sa déclinaison carcérale. La pénitence, Pierre Legendre se plaît à
l’enseigner, « mérite de figurer au premier rang des grandes inventions de
la culture occidentale213 ». C’est sous son signe que la IIIe République
continue à inscrire l’institution carcérale, elle en conserve aujourd’hui
encore le nom officiel d’administration pénitentiaire.
Le directeur de l’établissement pénitentiaire de Haguenau dit sa doctrine
à l’un de ses visiteurs, elle tient en trois mots : « Propreté, travail,
silence214. »
Un régime d’emprisonnement en commun
La consultation croisée de trois rapports administratifs de l’Inspection
générale des services administratifs (IGSA) relevant du ministère de
l’Intérieur, adressés au ministre de la Justice, sur la maison centrale de
Haguenau, rend lisible plusieurs traits de cet établissement215.
Dans cette prison pénale, en 1935, Violette est l’une des dix-huit femmes
condamnées aux travaux forcés à perpétuité sur un total de cent soixante-
cinq femmes détenues. Le travail organise cet emprisonnement en
commun par trois sections définies à partir de trois spécialités d’atelier
(chemiserie, confection, papeterie) formant un ensemble avec leur dortoir,
leur réfectoire, leur préau. Il n’y a pas de relations entre ces trois sections.
Cet emprisonnement en commun présente cette particularité d’être fait
de « chambrettes cellulaires » se trouvant dans de longs espaces qui
forment dortoir. On parle aussi de « dortoirs aux cellules grillagées ». Le
jargon interne parle de « cages à poules » en raison de leur plafond
entièrement grillagé. Toutes les portes de ces cages alignées se fermaient
en même temps, par une immense barre de fer cadenassée à chaque
extrémité.
Le mobilier de chaque cage se composait d’un lit de fer garni d’une
paillasse, d’un traversin et d’une couverture, d’une chaise et d’une
table de bois blanc. Dans un coin, la tinette traditionnelle. Lavabos et
W.-C. supplémentaires formaient un bloc sanitaire indépendant dans
un angle de la division216.
Le règlement de la journée de travail donne à lire un lever matinal à 6 h
30 et un coucher dès 19 heures. La journée est scandée principalement par
la succession des temps de travail, de repos et de promenade. Les
promenades consistent dans un défilé au cours duquel le silence est de
rigueur. Pendant les temps de repos, l’obligation de la règle de silence est
la même. Les infractions à la règle du silence pour être fréquentes restent
discrètes au point de n’attirer que rarement des sanctions disciplinaires.
Ci-dessous, un cliché photographique de la cour/jardin de Haguenau pris
à la fin des années 1920 par le photographe Henri Manuel (1874-1947)217
(figure 15).
Figure 15
Figure 17
Plan de masse
Figure 18
Le réfectoire
Figure 19
Un dortoir
Figure 20
Promenade dans la cour centrale hexagonale
Figure 21
Quelques courriers en détention longue
Le 22 décembre 1940, Violette adresse un courrier au directeur de
l’établissement dans lequel elle lui demande d’autoriser sa mère à lui
apporter son Dictionnaire Larousse illustré, à l’occasion d’un parloir. Entre
humour noir et ironie, elle écrit : « Cela me permettrait de trouver le temps
un peu moins long. » La détention, c’est le temps. Réponse du directeur :
« accordé ». « Qu’est-ce qu’un dictionnaire ? » (se) demande à voix haute
Alberto Giacometti. Réponse : « Une nuit qui se déchire dans la porte
tournante229. » Une longue nuit carcérale qui possiblement se déchirerait
dans une porte aux mille sorties.
Le 8 mars 1941, Violette demande par courrier au directeur de pouvoir
embrasser sa tante, Philomène, sœur de sa mère, qui venant de Neuvy-sur-
Loire, fera un déplacement de six cents kilomètres pour lui rendre visite.
« Ce sera la dernière fois qu’elle fera un tel déplacement », souligne-t-elle.
Elle est âgée de 71 ans.
Une photographie du parloir à Rennes illustre ce qu’est ce dispositif
(figure 22) : de part et d’autre d’un long couloir, une cloison faite de grilles
de séparation maintenant à distance visiteur d’un côté et femme détenue
de l’autre ; au fond de cette allée centrale une chaise pour la surveillante. Il
n’est pas question d’un contact physique de visiteurs à visitées. C’est une
microphysique du pouvoir (Foucault) coextensive à la détention. « Gardez
vos distances ! » C’est de cet interdit charnel dont Violette demande la
levée230. Réponse du directeur : « autorisé exceptionnellement ».
Le 27 avril 1941, un courrier adressé au directeur demande que le travail
de Violette au service de la comptabilité (position privilégiée pour une
femme détenue) ne soit pas entravé par l’office religieux, et spécialement
« l’office des Vêpres, les jours où je le jugerai nécessaire pour mon travail
[nos italiques] ». S’adressant au directeur, Violette se fait juge de
l’opportunité de la prééminence du travail administratif qui lui est confié
sur sa présence à l’office divin. Réponse du directeur : « Autorisé ».
Béthanie s’éloigne. Dans la liberté qu’elle lui confère, le privilège de
travailler, hors détention, à la comptabilité dans les bureaux de
l’administration aura pour Violette des conséquences à long terme. Elles
ne prendront pas leur source dans l’intelligence du mystère de Béthanie.
Pourtant…
Figure 22
Figure 24
La manifestation collective du 25 février 1944
Sous l’État français destituant la IIIe République, à s’en tenir au seul plan
législatif en matière pénitentiaire, une loi se signale, celle du 15 septembre
1943 portant rattachement au secrétariat d’État à l’Intérieur de
l’administration pénitentiaire et des services de l’éducation surveillée pour
les mineurs – retour au ministère d’origine238… Un virage brutal se prend
avec la mise sous tutelle directe de l’administration pénitentiaire par la
Milice. Le chef de la Milice, Joseph Darnand, prend le commandement des
forces de police et du Maintien de l’ordre en décembre 1943. Il a alors la
main sur les services pénitentiaires qui relèvent désormais du ministère de
l’Intérieur. En février 1944, un milicien, J. Maret, est nommé directeur
adjoint de l’administration pénitentiaire, il supplante le directeur239.
Dans une précieuse double monographie historiographique, portant sur
les prisonniers et prisonnières politiques à la centrale d’Eysses (dans le
Lot-et-Garonne) pour les hommes et à Rennes pour les femmes, Corinne
Jaladieu étudie la tentative d’évasion collective à Eysses240 et, quelques
jours plus tard, la manifestation collective à Rennes. Dans cette période de
guerre, la surdensité carcérale est alors la norme ; la sous-alimentation
aussi. Des prisonnières politiques arrêtées par les forces armées de
l’occupant sont incarcérées dans la centrale.
Le 25 février 1944, une révolte de femmes détenues éclate à l’initiative
des prisonnières politiques. Deux sortes de considérations dominent à leur
endroit, en tant que « militantes communistes, femmes de responsables,
elles appartiennent, a fortiori, à un groupe dangereux et solidaire qui ne
manquera pas d’entrer en action le moment voulu pour les délivrer241 ». Dès
le lendemain de cette manifestation collective, un rapport des
Renseignements généraux souligne la combativité des femmes détenues.
Violette a accès aux services de l’administration. Et si on ne peut la
compter au nombre des femmes détenues pour menées communistes –
cette épopée n’est pas la sienne242 – dans les années 1950, l’un de ses beaux-
frères qui fut communiste et résistant, Joseph Coquelet, apportera son
témoignage à l’occasion d’une procédure de réhabilitation judiciaire, sur la
proximité de Violette avec les femmes détenues incarcérées par l’occupant.
Aujourd’hui, un passant s’arrêtant devant la porte de la prison de Rennes
peut lire, sur une plaque de marbre, en lettres d’or, ces lignes qui rendent
hommage à la mémoire des femmes résistantes à l’occupant allemand,
déportées au camp de concentration de Ravensbrück (figure 25).
Figure 25
Sortie nocturne
Le souci de Violette, tout au long de ces années d’incarcération, fut
principalement celui de sa mère. Le 16 mai 1945, Germaine n’ayant plus
reçu de lettres de Violette depuis un mois, fait état de son « angoisse »
auprès du directeur. Elle n’a plus reçu de lettres de sa part depuis le mois
d’avril. Elle s’inquiète : est-elle malade ? A-t-elle été punie ? Violette lui
écrivait tous les dimanches. Le courrier de Germaine nous renseigne sur la
périodicité des lettres adressées par Violette à sa mère243. Réponse du
directeur le 19 mai : « J’ai l’honneur de vous faire connaître que la
personne faisant l’objet de votre lettre du 16 mai, est en bonne santé. Elle
vous écrit régulièrement toutes les semaines. » Violette Nozière n’est pas
nommée dans le courrier du directeur.
Sur le courrier de Germaine ont été apposées les dates d’envoi des cinq
dernières lettres de Violette à sa mère, en avril et mai. Ces lettres ne sont
pas tombées dans la boîte aux lettres de la maison où vit Germaine à
Neuvy-sur-Loire. Négligées par un agent de l’administration des Postes et
des Télégraphes ? Détournées ? Dans ce dernier cas, arrivées à destination
mais en d’autres mains.
En août 1944, Paris est libéré des forces d’occupation. Le 29 août 1945 se
présente pour Violette. Ce jour-là, aux alentours de minuit, une porte de la
maison centrale s’ouvre pour sa libération. Elle signe une dernière fois,
pour le clore, son livret de pécule. Le pécule disponible est de 8 336 francs
30 centimes, le pécule de réserve de 4 057 francs et 60 centimes.
L’« ensemble » fait 12 393 francs et 90 centimes, telle est la somme qu’elle
aura gagnée au terme de dix années de travaux forcés (environ
8 400 euros). Le greffier-comptable note : « Libérée le 29 août pour se
retirer à Neuvy-sur-Loire Nièvre ». Retraite nivernaise – déjouée.
À des fins de discrétion, des journalistes étant déjà présents la veille du
jour de sa libération, en accord avec le directeur, Violette est autorisée à
pouvoir sortir nuitamment de la prison, à minuit, au point de coïncidence
du 28 et du 29 août… En août 2019, Marthe Garel, qui a pris ses fonctions
de surveillante auxiliaire à la centrale de Rennes en janvier 1943, s’amuse
encore en… 2019 de ce beau tour joué à une cinquantaine de journalistes244.
« Elle est sortie mystérieusement, c’est le cas de le dire, personne ne l’a
vue. »
La levée gaullienne de l’interdiction de séjour
La peine d’interdiction de séjour – défense faite à un condamné de
paraître dans certains lieux – est dans le dossier pénal de Violette une
peine accessoire. Son régime juridique est d’être attachée de plein droit par
la loi à la peine principale, n’aurait-elle pas été prononcée par la
juridiction de jugement. Pour Violette, ce point de droit ne s’est pas posé
d’emblée. Pas avec la peine de mort, pas non plus avec la grâce
présidentielle du 24 décembre 1934. Il n’a pas échappé à la vigilance du
parquet de la cour d’appel de Paris qui, dans un soit-transmis adressé dès
le 5 janvier 1944 au directeur de la maison centrale, lui précise que la
décision du 6 août 1942 qui a commué la peine de travaux forcés à
perpétuité en cette même peine réduite à douze ans, n’a pas prononcé
l’interdiction de séjour. Lire : s’agissant d’une peine accessoire, elle n’en
est pas moins applicable. Se substituant à l’ancienne résidence à vie en un
lieu particulier, quelle en est la durée ? Vingt ans245. Le 30 mars 1944, le
greffier-comptable de la maison centrale avait notifié à Violette Nozière
l’arrêté d’interdiction de séjour de vingt ans, signé du secrétaire général au
Maintien de l’ordre, Joseph Darnand246, à Vichy, le 16 mars 1944, précisant
les lieux sur lesquels elle portait.
En mai 1945, l’Allemagne hitlérienne a capitulé.
Au lendemain de la guerre de 1939-1945, le général de Gaulle devenu chef
du gouvernement provisoire de la République française (rétablie), signera
le 17 novembre 1945 un décret de grâce par lequel il lève l’interdiction de
séjour247 ; le décret est contresigné par le garde des Sceaux, Pierre-Henri
Teitgen. Motifs d’une telle décision politique ? Réponse énigmatique :
« Circonstances particulières ».
49. S. Maza dresse un parallèle entre la trajectoire sociale des deux jeunes femmes, l’une et l’autre
filles uniques, cursus scolaire comparable. Madeleine apprend l’anglais et l’allemand, Violette
l’anglais et l’espagnol (op. cit., p. 130).
50. Photographie reprise dans Liaisons. Les données de la préfecture de police, « Cent ans de police
judiciaire parisienne, une histoire du 36 quai des Orfèvres », no 107, 2013, p. 39. En bas de page de
Détective, sous les pieds des deux amies, cette légende de la rédaction : « Monstrueux spécimen de
cette “jeunesse pourrie” que nous avons déjà maintes fois fustigée, Violette Nozière (à droite) en est
arrivée à glisser jusqu’au pire des crimes : un double parricide. »
51. Une orchidée sauvage… ? On la sait de couleur violette.
52. Goliarda Sapienza, Moi, Jean Gabin, Paris, Le Tripode, coll. « Météores », 2017. Nous avons
donc seulement substitué le nom de Dabin à celui de Gabin. Dans les années 1950, Jean Gabin et
Édith Piaf se rendront, en connaissance de cause, au restaurant de l’Aigle d’or, tenu par celle qui ne
porte plus alors le nom de Violette Nozière.
53. Selon J.-M. Fitère, dans l’après-midi du mercredi 23, Violette se serait rendue chez Raoul Serry,
15 rue de Bassano, près des Champs-Élysées et de la place de l’Étoile. R. Serry est l’un des deux
compagnons de rencontre de la soirée du mardi 22, quittés quelques heures plus tôt (op. cit., p. 83).
Reste indéterminé le lieu où Violette a passé la nuit du mercredi au jeudi.
54. Source : préfecture de police de Paris, Smac, cote JA 132. Nous devons cette identification à
Michèle Aba, fille aînée de Violette, quand celle-ci, mariée, portera le nom de Germaine Coquelet
55. La transcription policière écrit « d’Arfeuil », attribuant à Violette une particule coupée d’une
apostrophe. Dans ses Mémoires [1937], le commissaire Marcel Guillaume transcrit, par deux fois,
« Darfeuille » (Éditions des Équateurs, 2005, p. 351).
56. Violette a-t-elle craint d’avoir été reconnue ? L’a-t-elle été ? Se serait-elle rendue
précipitamment chez A. Roland, dernière adresse pour elle possible ?
57. S. Maza, op. cit., p. 331.
58. Cette assertion peut se lire comme affirmant que Baptiste, étranger au temps de la conception
de Violette, n’est pas son géniteur.
59. Marcel Aymé, « Le détective amateur » 27 septembre 1933, dans Du côté de chez Marianne.
Chroniques 1933-1937, édition établie, présentée et annotée par Michel Lécureur, Paris, Gallimard,
coll. « Blanche », 1989, p. 66 et 67.
60. Henry Bordeaux, « La grâce de Violette Nozière. Lettre ouverte à Monsieur le président de la
République », 1934, le magazine d’aujourd’hui, dernière page.
61. Commissaire Marcel Guillaume, « L’affaire Violette Nozières », dans Mes grandes enquêtes
criminelles. De la bande à Bonnot à l’affaire Stavisky. Mémoires [février-avril 1937], édition présentée
et annotée par Laurent Joly, Paris, Éditions des Équateurs, 2005, p. 351-355. Ce livre est présenté
avec un bandeau d’éditeur signé Georges Simenon affirmant : « Maigret, c’est lui ».
62. Ibid., p. 354-355.
63. La reproduction de la photographie ci-dessus est publiée dans le quotidien Libération des 8 et
9 avril 2000, p. 45.
64. « Notre-Dame du dépôt », Les Dossiers de la préfecture de police, « Nouveaux mystères de
Paris », no 1, 2009, p. 58-59.
65. Photographie Roger Evrad/Roger Viollet, dans Pas perdu… La Petite Roquette. La Santé,
Groupe d’écriture sur la mémoire des métiers pénitentiaires, Bernadette Dherouville, Marie-Thérèse
Bonafos, BM, MTA, Franck Balandier, Alain Barbier, Michel Branet, accompagnés par Nicole
Caligaris, Agen, École nationale d’administration pénitentiaire, ministère de la Justice et des
Libertés, 2010, non paginé.
66. Pour le texte du panoptique de J. Bentham déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale
constituante en 1791, voir Jeremy Bentham, Le Panoptique, précédé de « L’œil du pouvoir »,
entretien avec Michel Foucault et une postface de Michelle Perrot, Paris, Belfond, coll.
« L’échappée », 1977.
67. Michelle Perrot, « Les enfants de la Petite Roquette » [1987], réédité dans M. Perrot, Les
Ombres de l’histoire. Crime et châtiment au xixe siècle, Paris, Flammarion, 2001, p. 337-367.
68. Marie-Noëlle Barbaroux, Jocelyne Broussard et Mariannick Hamoniaux, « L’évolution
historique de la Petite Roquette », avant-propos de Paul Lutz, Rééducation. Revue française de
l’enfance délinquante, déficiente et en danger moral, no 191, 1967, p. 15.
69. Jules Arboux, Les Prisons de Paris, Paris, Imprimerie et librairie centrales des chemins de fer,
1881, p. 34-35, réédition à Paris chez Hachette Livre BnF en 2016.
70. En 1933, les effectifs des personnes détenues en France métropolitaine dans les maisons
d’arrêt et les maisons centrales sont les suivants : 16 982 hommes, 2 080 femmes. 1934 :
15 404 hommes, 1 749 femmes, 1935 : 17 830 hommes, 1 830 femmes, 1940 : 10 961 hommes,
1 494 femmes. Voir l’étude de référence de Marie-Danièle Barré, « 130 années de statistique
pénitentiaire en France », Déviance et société, vol. 10, no 2, 1981, p. 112.
71. Corinne Jaladieu, La Prison politique sous Vichy. L’exemple des centrales d’Eysses et de Rennes
[2007], mise au point éditoriale de Bessie Leconte, Paris, L’Harmattan, coll. « Logiques sociales »,
série « Déviance et société », 2019, p. 17.
72. En annexe I, sous le titre « Silence. Visage pâle, tranquille, calme en apparence », on lira la
transcription d’une conversation avec sœur Saint-Vincent, le 9 juin 2006. Elle eut lieu à la
communauté des Sœurs de Marie-Joseph et de la Miséricorde, au Dorat dans la Haute-Vienne.
73. Henri Géraud (1875-1962) fut l’avocat de Raoul Villain qui le 31 juillet 1914 assassina Jean
Jaurès attablé au café du Croissant à Paris. Le 29 mars 1919, la cour d’assises de la Seine rend un
verdict d’acquittement. H. Géraud délaissera la défense de Violette Nozière, se récusant pour
« raison personnelle »…
74. Ce serait alors un exemple de ce que nous appellerons une idéation itérative, comme cela peut
se lire dans d’autres situations. Par exemple, dans le cas Édouard rapporté par Paul Guiraud, « Les
meurtres immotivés », L’Évolution psychiatrique, seconde série, no 1, mars 1931, p. 25-34. « Ils dînent
bruyamment. […] Une idée me vient : “Si je leur faisais peur”. […] Je me retire. […] Une autre idée.
Je vais retourner dans la salle à manger. […] “Alors vous voulez que je vous abatte ?” dis-je. “Oui,
oui, tirez !” crient-ils en riant. En une seconde ils sont à terre, atteints au front. Puis je quitte la
pièce. […] Je me trouvais dans un état de grand bien-être » (p. 30). Dans un tel moment, la division
subjective a sauté : désubjectivation.
75. Propos analogue dans la lettre adressée à Jean Dabin, datée du 21 août.
76. Cette lettre est citée in extenso dans « Réfléchis Bien », section « Un, deux – trois : passage du
crime » , partie III, p. 275.
77. Dans les archives judiciaires consultées, toutes les pages du récit ne s’y trouvent pas.
78. Selon cet article : « L’action en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou par
une contravention, peut être exercée par tous ceux qui ont souffert de ce dommage. » Cette action
civile en réparation du dommage peut être exercée devant les mêmes juges que ceux qui statuent
sur l’action publique pour l’application des peines et dans le même temps (art. 3 al. 1 du Code
d’instruction criminelle).
79. A.-E. Demartini, op. cit., p. 250.
80. Georges Lantéri-Laura, Essai sur les paradigmes de la psychiatrie moderne, Paris, Éditions du
Temps, coll. « Esquisses », 1998, p. 53.
81. Ibid., p. 53.
82. Ibid., p. 22.
83. Ibid., p. 222. Retenons aussi de sa part cette autre indication : « La question majeure, autour de
laquelle gravitent, pour ainsi dire, toutes les autres, c’est, sans doute, celle de l’unité ou de la
pluralité de ce que l’opinion appelle la folie et que, sans pouvoir pratiquement renoncer à ce terme,
Pinel exigeait qu’on nommât l’aliénation mentale » (p. 208).
84. G. Lantéri-Laura, « La psychiatrie française à l’époque de Jacques Lacan », dans Markos
Zafiropoulos (sous la dir. de), Les Années Lacan, Paris, Anthropos, Economica, coll. « Psychanalyse
et pratiques sociales », 2003, p. 22.
85. Ibid., p. 25-26.
86. « Allusion aux fréquents rires qui ont accompagné la lecture des expertises psychiatriques »
précisent les éditeurs du cours (p. 26, note 11).
87. Michel Foucault, Les Anormaux. Cours au Collège de France. 1974-1975, édition établie sous la
direction de François Ewald et Alessandro Fontana, par Valerie Marchetti et Antonella Salamoni,
Paris, Gallimard/Éditions du Seuil, coll. « Hautes études », 1999, p. 7, nos italiques.
88. Jorge Baños Orellana, Jacques-Marie Lacan 1901-1932. Bildungsroman, [2013, Buenos Aires, El
Cuento de plata], traduit de l’espagnol (Argentine) par Annick Allairgre, notes établies par Viviane
Dubol, Paris, Epel, 2018.
89. Le syntagme d’« automatisme mental » est dû à Gaëtan Gatian de Clérambault (1872-1934) ; il
désigne un syndrome englobant « tous les types d’hallucinations déjà connus » et porte sur-le-
champ desdites psychoses hallucinatoires chroniques. J. Lacan avait publié avec G. Heuyer
« Paralysie générale avec syndrome d’automatisme mental » dans L’Encéphale, 1929, tome II, p. 802-
803, pour la séance du 20 juin 1929 de la Société de psychiatrie.
90. Georges Heuyer, « Le devinement de la pensée et contribution à l’étude organique de
l’automatisme mental », Annales médico-psychologiques, 12e série, tome II, 1926, p. 321-343 et p. 406-
431.
91. J. Baños Orellana, Jacques-Marie Lacan 1901-1932, op. cit., p. 210-211.
92. « Que nous apprendra l’analyse psychiatrique de Violette Nozières ? Le docteur Georges
Heuyer nous dit… », L’Intransigeant du 10 septembre 1933, entretien Blanche Vogt, archive de presse
publié dans Violette Nozières, par André Breton et al., op. cit., éd. de 1991, dans les documents joints,
non paginés.
93. J.-M. Fitère, op. cit., successivement p. 149 et 151.
94. Dialogue : « Le psychiatre R. Gaupp — Vous voulez donc emporter vos raisons dans la tombe ?
Wagner — Parfaitement, vous ne voulez tout de même pas que je me discrédite moi-même. »
Examen du 13 novembre, « Examens et observations de Wagner à la clinique de Tübingen du
11 novembre au 24 décembre 1913 », dans Anne-Marie Vindras, Ernst Wagner, Robert Gaupp : un
monstre et son psychiatre, trad. Claude Béal, Thierry Longé et A.-M. Vindras, Paris, Epel, 1996, coll.
« Monographie clinique », p. 259.
95. Henri Danjou, « Condamnée à mort », Détective du 18 octobre 1934, no 312, p. 8.
96. Christian Debuyst, « Une criminologie de l’étiquetage ou une criminologie du passage à
l’acte ? Un problème que nous pose l’attitude clinique du docteur E. De Greeff », Annales
internationales de criminologie, vol. XII, no 1-2, 1973, p. 283-290 ; repris dans C. Debuyst, Essais de
criminologie clinique. Entre psychologie et justice pénale, textes choisis par Christophe Adam et
Françoise Digneffe, Bruxelles, Larcier, coll. « Crimen », 2009, p. 125-135.
97. Figaro du 15 septembre 1933, p. 4.
98. Premier des poèmes publiés sans titre, dans la plaquette Violette Nozières par André Breton et
al., éd. de 1991, op. cit., non paginé.
99. René Crevel, « Tandis que la pointolle se vulcanise la baudruche », Documents 34, nouvelle
série, no 1, Bruxelles, juin 1934, cité par José Pierre dans la préface de Violette Nozières, par André
Breton et al., éd. de 1991, op. cit., p. 14 ; texte consultable en ligne sur Vikisource.
100. On se reportera aux analyses critiques de Michel Foucault dans son cours à l’Université
catholique de Louvain en 1981, Mal faire, dire vrai. Fonction de l’aveu en justice, édition établie par
Fabienne Brion et Bernard E. Harcourt, Louvain/Chicago, University of Chicago/Presses
universitaires de Louvain, 2012.
101. Ainsi de Jean-Pierre Falret (1794-1870), ancien interne d’Esquirol (1772-1840), lui-même élève
et disciple de Pinel (1745-1826), J.-P. Falret, « La folie raisonnante ou folie morale », Annales médico-
psychologiques, vol. 32, no 7, 1886, p. 382-426.
102. G. Lantéri-Laura, Lecture des perversions, Histoire de leur appropriation médicale, Paris,
Masson, 1979, coll. « La sphère psychique », p. 27.
103. César Lombroso, L’Homme criminel. Criminel-né – fou moral – épileptique. Étude
anthropologique et médico-légale, traduit sur la IVe édition italienne par MM. Régnier et Bournet,
précédé d’une préface du Docteur Ch. Létourneau, Paris, Félix Alcan éditeur, 1887, p. 24.
104. C. Lombroso, L’Homme criminel., op. cit., p. 113.
105. Le Crapouillot, no spécial, mai 1938, p. 45. R. Allendy meurt le 12 juillet 1942.
106. Ibid., p. 47. Des deux photographies retenues de Violette, on voit celle-ci à l’audience de la
cour d’assises, assise sur une chaise, tenue par deux gendarmes. Les yeux fermés, la tête inclinée et
légèrement en arrière, elle est gantée de noir, tient son sac sur ses genoux. Légende : « Violette
Nozières s’évanouit à l’audience » (p. 46).
107. Pour un exemple récent à l’endroit (à l’encontre) de Léa Papin, se reporter à la livraison
récente d’Isabelle Bedouet, Le Crime des sœurs Papin. Les dessous de l’affaire, préface de Jean-Claude
Maleval, Paris, Imago, 2016. Ainsi, à propos de Léa Papin, I. Bedouet écrit : « Sa position subjective
est une vacuité totale » (p. 82). Cela ne suffit pas : « On pourrait lui attribuer la formule suivante :
“je suis celle qui suit [ma sœur Christine], ou, plus cartésien, je suis donc je suis” » (ibid.). I. Bedouet
l’a fait ! C’est un exemple de maltraitance psy. Le chapitre VI de cette publication est édifiant. Un
antidote ? Voir Jean Allouch, « Intolérable “Tu es ceci”. Propos clinique sur l’auto-destruction d’une
psychiatrie compréhensive », L’Unebévue, no 8/9, « Il n’y a pas de père symbolique », 1997, p. 126-
139.
108. Au chapitre XXVII, « Homicides et suicides pathologiques », paragraphe 6, « Le sadisme »,
dans G. Heuyer, Les Troubles mentaux. Étude criminologique, Paris, Presses universitaires de France,
1968, p. 405.
109. Docteur Gilbert Robin, Les Drames et les angoisses de la jeunesse. Jeunesse normale et jeunesse
morbide, Paris, Flammarion, 1934, p. 264. Pour titre de livre, normalité et/ou morbidité est un
exemple patent de binarisme.
110. Ibid..
111. Ibid.
112. G. Lantéri-Laura, Lecture des perversions, op. cit., p. 134-135.
113. Ibid., p. 147.
114. Sur la question de la discordance et celle des « folies discordantes », locutions avancées par
l’aliéniste des hôpitaux, Philippe Chaslin (1857-1923), voir Georges Lantéri-Laura et Martine Gros,
Essai sur la discordance dans la psychiatrie contemporaine, suivi de Philippe Chaslin, Quelques mots
sur la psychologie de la mathématique pure [1922], Paris, Epel, 1992. La « folie discordante »
apparaissait à Bleuler un bon synonyme de schizophrénie, aussi apte que ce dernier à remplacer
démence précoce (p. 84). Lors du déjà évoqué Congrès des médecins aliénistes et neurologistes de
France et des pays de langue française tenu en Suisse en 1926, le médecin suisse précise que s’il
avait connu la locution de Chaslin, cette connaissance lui aurait évité un néologisme – celui de
schizophrénie.
115. Pierre Hadot, La Citadelle intérieure. Introduction aux Pensées de Marc Aurèle [1992], version
révisée et remaniée, Paris, Fayard, 1997, p. 91.
116. P. Hadot, Études de philosophie ancienne, Paris, Les Belles Lettres, coll. « L’Âne d’or », 1998,
p. 234.
117. Jacques Lacan, Écrits, Paris, Éditions du Seuil, 1966, p. 607. Texte de 1958.
118. Sur la notion de personnalité en psychiatrie, voir la thèse de médecine de J. Lacan, soutenue
et publiée en 1932, De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité, rééditée aux
éditions du Seuil en 1975. J. Lacan laissera purement et simplement tomber cette notion de
« personnalité » en en faisant un équivalent de la psychose. Au dos de la réédition de sa thèse de
doctorat en médecine, il fait état de sa réticence à cette republication, « à condition que l’erreur soit
rectifiée ». C’est à cette rectification que s’est employé Jean Allouch par son ouvrage précité,
Marguerite, ou l’Aimée de Lacan.
119. L’appréciation de l’accusation d’inceste portée par Violette contre son père dans ce rapport
médical est abordée dans la section « Sur l’accusation de Violette », partie III, p. 242.
120. Pour deux autres exemples, Moi, Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère, ma sœur et mon frère…
Un cas de parricide au xixe siècle, présenté par Michel Foucault, Paris, Gallimard/Julliard, coll.
« Archives », 1973 ; réédition chez Gallimard dans la coll. « Folio histoire », 1998. Et Marie
Bonaparte, « Le cas de Mme Lefebvre », Revue française de psychanalyse, vol. I, no 1, 1927, p. 149-198.
Lorsque Marie Lefebvre – qui avait perdu une petite fille – sait sa belle-fille enceinte, elle se procure
un revolver. Le 26 août 1925, elle la tue à bout portant, assise à ses côtés sur la banquette arrière de
l’automobile conduite par son fils.
121. L’expression de « monstruosité même » surprend dans la bouche d’un avocat évoquant sa
cliente.
122. Me de Vésinne-Larue, Plaidoirie publiée dans la Revue des grands procès contemporains.
Recueil d’éloquence judiciaire, sous la direction d’Émile de Saint-Auban, n o 1 et 2, tome XI, 1935,
Paris, LGDJ, p. 39-40. Plaidoirie rééditée dans Les Grands Procès du xxe siècle, édition établie et
présentée par Stéphanie de Saint Marc, Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2016, p. 292-305. En
raison de coupures dans le texte de cet avocat, nous paginons à partir de la Revue des grands procès.
123. M. Foucault, Surveiller et punir. Naissance de la prison, Paris, Gallimard coll. « Bibliothèque
des histoires », 1975. Guy Casadamont, « Savoir criminologique et pouvoir pénal : par-delà bien et
mal », Actes. Cahiers d’action juridique, no 54, « Foucault hors les murs », 1986, p. 80-83.
124. Me de Vésinne-Larue, Plaidoirie, op. cit., p. 40.
125. On s’attendrait à : « On tremble, on s’effraie à l’idée… »
126. « Cet enfant », oui, mais ce serait à déplier, en commençant, par exemple, à noter que les
adultes n’existent pas, que ce n’est qu’une invention de « grandes personnes » qui n’existent pas
plus. On sait à ce propos le secret de Jacques Lacan dit à voix basse : « J’ai 5 ans. » Violette, une
femme-enfant ? Sa douceur est remarquée très tôt par ses institutrices, trait dont elle ne semble pas
s’être départie.
127. Me de Vésinne-Larue, Plaidoirie, op. cit., p. 41.
128. Ibid.
129. M. Foucault, Les Anormaux, cours du 15 janvier 1975, op. cit., p. 37-38.
130. Me de Vésinne-Larue, Plaidoirie, op. cit., p. 42. À propos du docteur Truelle, Francis Dupré
écrit : « À la suite du procès retentissant des sœurs Papin, le docteur Truelle n’était plus pris au
sérieux quand il intervenait aux assises. » Voir F. Dupré, La « Solution » du passage à l’acte. Le
double crime des sœurs Papin, Toulouse, Érès, coll. « Littoral. Fabrique du cas », 1984, p. 191-193.
131. Pour une analyse de ce cas comme cas de folie à deux qui se révèle être une folie à trois, voir
J. Allouch, « Une voie royale pour l’abord des psychoses ? », L’Information psychiatrique, vol. 63,
no 7, « À propos des sœurs Papin », 1987, p. 883-890. Et aussi F. Dupré, La « Solution » du passage à
l’acte, op. cit.
La portée initiale de l’art. 64 introduit dans le deuxième Code pénal (1810) était de vérifier l’état
de « lucidité » de l’inculpé au temps de l’action. Ce n’est que sous le paradigme de l’aliénation
mentale, que l’appréciation de la « démence » prit une médicale extension pour venir s’identifier à
ladite « aliénation mentale ». Voir G. Lantéri-Laura, Essai sur les paradigmes de la psychiatrie
moderne, op. cit., p. 74 et 81-82. Et quand le deuxième paradigme deviendra celui, au pluriel, des
maladies mentales, le même glissement se produisit (ibid., p. 105-106). La suite étant prise par le
troisième paradigme.
132. Dans Les Grands Procès du xxe siècle, op. cit., p. 239.
133. Ibid., p. 244.
134. Sur l’hommage de J. Lacan au docteur Logre retenant une paranoïa avérée et la subtilité de la
notion de « couple psychologique » s’agissant des deux sœurs, voir J. Lacan, « Motifs du crime
paranoïaque. Le crime des sœurs Papin », Minotaure, no 3-4, décembre 1933, p. 27-28. Sur l’affaire
Nozière, pas un mot de J. Lacan.
135. Dans Les Grands Procès du xxe siècle, op. cit., p. 244-245.
136. Ce sont les trouvailles épistolaires d’Isabelle Bedouet, dans Le Crime des sœurs Papin, op. cit.,
p. 133-134.
137. Sigmund Freud, « Dostoïevski et la mise à mort du père » [1927-1928], dans S. Freud, OCF/P.,
XVIII, p. 210.
138. Article 127 : « Aussitôt que la procédure sera terminée, le juge d’instruction la
communiquera au procureur de la République, qui devra lui adresser ses réquisitions dans les trois
jours au plus tard. »
139. La catégorie d’« instinct » est étrangère à l’ordre juridique, serait-il pénal. Où l’on voit la
morale judiciaire rejoindre l’argumentation venue de la médecine et de son type de raisonnement
anatomique, et la morale commune.
140. Article 133 alinéa 1 du Code d’instruction criminelle : « Si le juge d’instruction estime que le
fait est de nature à être puni de peines afflictives et infamantes, et que la prévention contre l’inculpé
est suffisamment établie, il ordonnera que les pièces d’instruction, le procès-verbal constatant le
corps du délit [du crime], et un état des pièces servant à conviction, soient transmis, sans délai, par
le procureur de la République au procureur général près la cour d’appel, pour être procédé ainsi
qu’il sera dit au chapitre des mises en accusation. »
141. Le Code pénal de 1994 a supprimé la qualification juridique de parricide en tant que telle,
pour en faire une circonstance aggravante du meurtre ou de l’assassinat (art. 221-4 2°). La
qualification d’infanticide a également été supprimée… On ne tue plus les enfants ?
142. Virginia Woolf, A Room of One’s Own and Three Guineas, Londres, Collins classics, 2014,
p. 87. V. Woolf, Une chambre à soi [1929], traduit de l’anglais par Clara Malraux, Paris, 10/18, coll.
« Bibliothèques 10/18 », 1996, p. 133.
143. En France, l’exécution du condamné par la guillotine a été fixée par un décret du 20 mars
1792.
144. Cour de cassation (Chambre criminelle), 12 juillet 1934, Gazette du Palais, 2e sem. 1934,
journal du 4 octobre 1934, p. 424-425.
145. C’est l’objet de la section « La ligne “Émile” », partie III, p. 225.
146. Eugen Weber, La France des années 1930. Tourments et perplexités, [The Hollow Years, New
York/Londres, W. W. Norton, 1994], traduit de l’anglais (États-Unis) par Pierre-Emmanuel Dauzat,
Paris, Fayard, 1995.
147. Sur les divers groupes, aux intentions différentes, qui ont saisi l’occasion de jouer leur propre
partie, lire Serge Berstein, Le 6 février 1934, Paris, Gallimard/Julliard, coll. « Archives », 1975.
148. François Broche, Alexandre 1er et Louis Barthou, Marseille, 9 octobre 1934, Paris, Balland, coll.
« Les grands crimes politiques », 1977, p. 97-107. Sur l’action diplomatique de L. Barthou et sa
tentative d’encerclement du Reich, voir Serge Berstein et Pierre Milza, Histoire de la France au
xxe siècle, tome II, 1930-1945, Bruxelles, Éditions Complexe, coll. « Questions au xxe siècle », p. 220-
232. C’est Pierre Laval… qui lui succédera à ce poste.
149. Dans un ouvrage iconographique sur cet hebdomadaire, Amélie Chabrier et Marie-Ève
Thérenty signalent, en Annexes, les séries publiées dans Détective dont ce « Journal de Violette
Nozière », sans interroger la plausibilité de son authenticité. A. Chabrier et M.-È. Thérenty,
« Détective » fabrique de crimes ? 1928-1940, Nantes, Joseph K., 2017. Est indiqué sans commentaire :
« Mémoires » (p. 178). N’est-ce pas une fabrication d’Henri Danjou, pseudonyme de Joseph Faure ?
150. Antonin Artaud, Les Cenci [1935], édition de Michel Corvin, Paris, Gallimard, coll. « Folio
théâtre », 2011, p. 78.
151. Vu, no 343, p. 1255-1256.
152. Dans un livre entretien avec Patrick Modiano, Emmanuel Berl fait mention de cet « article
sur Violette Nozières en 1934 », mais n’en dit rien. Il l’a postdaté d’un an. Puis, à peine plus loin à
propos de P. Drieu la Rochelle : « Un an plus tard, il passe chez Doriot ». Emmanuel Berl,
Interrogatoire, par Patrick Modiano, Paris, Gallimard, coll. « Témoins », 1976, p. 71-72.
153. « Le cas de Violette Nozières », publié le 6 septembre 1933. Voir Pierre Drieu la Rochelle,
Chroniques des années 1930 [titre de l’éditeur], présenté par Christian Dedet, Paris, Les Éditions de
Paris-Max Chaleil, coll. « Littérature », 2016, p. 52-59.
154. Ibid., p. 52.
155. Ibid.
156. Ibid., p. 53.
157. Ibid.
158. Ibid., p. 54.
159. Ibid.
160. Ibid., p. 57, nos italiques.
161. « Il s’agit ma foi, je risque le mot, d’une espèce de politique. Oui, je dis politique, parce que
ce n’est pas ce que vous croyez, la politique. La politique, ce n’est pas MM. Herriot, Hitler ou
Lénine : c’est des histoires comme ça et ce qu’on en pense » (ibid., p. 55). À cette position politique,
quelques années plus tard, Drieu la Rochelle ne se tiendra pas. Voir Dominique Desanti, Drieu
la Rochelle ou le séducteur mystifié, Paris, Flammarion, 1978.
162. Henri Donnedieu de Vabres, Traité élémentaire de droit criminel et de législation pénale
comparée, Paris, Sirey, 1947, p. 944.
163. Ibid., p. 948.
164. Séparation inaccomplie de l’Église catholique et de l’État laïque en dépit de la loi de 1905.
165. Voir Pierrette Poncela, « L’intime conviction dans le jugement pénal », Revue
interdisciplinaire d’études juridiques (Bruxelles), no 11, 1983, p. 103-120.
166. André Laingui et Arlette Lebigre, Histoire du droit pénal, t. II, La Procédure criminelle, Paris,
Cujas, coll. « Synthèse », 1979, p. 139, note 44. La définition en est donnée au Vocabulaire juridique :
« Opinion profonde que le juge se forge en son âme et conscience et qui constitue, dans un système
de preuves judiciaires, le critère et le fondement du pouvoir d’appréciation souveraine du juge du
fait [nos italiques]. » Gérard Cornu (sous la dir. de), Vocabulaire juridique, Paris, Presses
universitaires de France, 1987, p. 209. Psychologie judiciaire souveraine ? « L’âme » est même ici
expressément convoquée.
167. M. Foucault, Les Anormaux, op. cit., cours du 8 janvier 1975, p. 9.
168. Proximité Lacan/Foucault. Pour une remarquable et très vive critique de l’humanisme qui
sous-tend ces assertions idéales, voir M. Foucault, « Par-delà le bien et le mal » [1971], repris dans
Dits et écrits, II, édition établie sous la dir. de Daniel Defert et François Ewald avec la collaboration
de Jacques Lagrange, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des sciences humaines. », 1994, p. 223-236,
spécialement p. 226.
169. Article 316 du Code d’instruction criminelle : « Le président ordonnera aux témoins de se
retirer dans la chambre qui leur est destinée. Ils n’en sortiront que pour déposer. Le président
prendra des précautions, s’il en est besoin, pour empêcher les témoins de conférer entre eux du délit
et de l’accusé, avant leur déposition. » La chambre criminelle de la Cour de cassation a jugé que
cette disposition de l’article 316 n’est pas prescrite à peine de nullité… Cass. Crim. 8 mai 1891, Dalloz
périodique, 1891.1., p. 399.
170. Gazette des tribunaux. Journal de jurisprudence et des débats judiciaires, no 124, dimanche 14,
lundi 15 et mardi 16 octobre 1934, p. 3.
171. Plaidoirie de Me Maurice Boitel, dans « Violette Nozière en cour d’assises », Revue des grands
procès contemporains. Recueil d’éloquence judiciaire, op. cit., p. 13 ; rééditée dans S. de Saint Marc, Les
Grands Procès du xxe siècle, op. cit., p. 283. Désormais citée sur cette dernière édition.
172. Gazette des tribunaux, op. cit., p. 3.
173. Ibid.
174. Ce moment d’audience est abordé en ces termes par J.-M. Fitère : « Il n’a pas un regard pour
Violette. […] À un certain moment, il fait preuve d’une certaine élégance dans ses propos : – Malgré
ce qui s’est passé, je garde de Mlle Nozière un excellent souvenir. Ce qu’elle a fait me paraît
inexplicable », op. cit., p. 169. Fitère tient-il ce témoignage de de Vésinne-Larue ? Ni S. Maza (op. cit.,
p. 242), ni A.-E. Demartini (op. cit., p. 327) ne mentionnent cet « excellent souvenir » de Dabin.
175. Voir la notice de Maurice Boitel (1890-1978) par Frédérick Genevée et Claude Pennetier,
https://maitron.fr/spip.php ?article17099.
176. Me Boitel, Plaidoirie, op. cit., p. 279.
177. Ibid.
178. Ibid., p. 284.
179. Ibid., p. 286. Ainsi apostrophée, Célestine n’aurait pu, de son côté, que réitérer son
témoignage sur la chambre qui lui a été réservée dans la maison bourgeoise où elle sert. Voir Octave
Mirbeau, Le Journal d’une femme de chambre [1900], édition présentée et annotée par Noël Arnaud,
Paris, Gallimard, coll. « Folio classique », 1984.
180. Me Boitel, Plaidoirie, op. cit., p. 287.
181. Ibid., p. 291. L’avocat poursuit : « Dans cette période de transition, il ne suffit pas d’apprendre
aux enfants à écrire, à lire, à compter ; il faut que, dans les établissements d’instruction de toute
catégorie, l’on ne néglige pas l’éducation rationnelle et sociale de l’adolescence. La maison de
correction n’est pas une solution ! Il faut des constructeurs d’âmes ! À côté des intelligences, il faut
former des consciences. » Trois « Il faut »…
182. Me Boitel, Plaidoirie, op. cit., p. 291-292.
183. Ibid., p. 292.
184. Ibid.
185. Ibid.
186. M. Aymé, « Incestes », 24 octobre 1934, dans Du côté de chez Marianne. Chroniques 1933-1937,
op. cit., p. 229.
187. Me de Vésinne-Larue, Plaidoirie, op. cit., p. 27.
188. Ibid., p. 27-28.
189. Ibid., p. 28.
190. Ibid., p. 33.
191. Ibid., p. 34.
192. Ici, l’avocat joue sur les mois (l’émoi). Violette est née le 11 janvier 1915, la seconde tentative
est du 21 août 1933. Un peu plus loin, l’avocat rectifie : « Violette Nozière n’avait que 18 ans et demi
le 21 août 1933 !… », ibid., p. 43.
193. Ibid., p. 44. Ce sont les derniers mots de la plaidoirie publiée.
194. Ibid., p. 37.
195. La disposition légale prévoyant comme supplice supplémentaire, l’amputation du poing droit
devant précéder l’exécution capitale, en cas de parricide, est abolie en 1832. Frédéric Benoît, exécuté
le 31 août 1832 à la barrière Saint-Jacques, fut le dernier condamné pour parricide à subir
l’amputation du poing droit. Voir Sylvie Lapalus, La Mort du vieux. Une histoire du parricide au
xixe siècle, Paris, Tallandier, 2004, p. 528.
196. L’équivalent d’environ 10 000 euros.
197. Eugène Quinche, « La condamnation à mort de Violette Nozière », Le Petit Parisien du samedi
13 octobre 1934, p. 6.
198. L’Éclaireur de l’Est du 13 octobre 1934, p. 2.
199. J.-M. Fitère, op. cit., p. 175.
200. Le Journal du samedi 13 octobre 1934, p. 1.
201. Jean-Pierre Vernant, La Mort dans les yeux. Figures de l’Autre en Grèce ancienne. Artémis,
Gorgô, Paris, Hachette, coll. « Textes du xxe siècle », 1985-1986. La notion d’expérience-limite vient
de Maurice Blanchot dans son ouvrage L’Entretien infini (Paris, Gallimard, coll. « Blanche », 1969).
202. Le Petit Parisien du samedi 13 octobre 1934, p. 1. Les italiques sont du journaliste. Un compte
rendu de l’audience est publié en page 6, signé Eugène Quinche. Voir aussi, « La parricide Violette
Nozière est condamnée à mort », dans Le Matin du 13 octobre 1934, p. 1. et p. 8 pour la citation des
propos de Violette.
203. S. Maza : « As the tension of the three previous days finally broke, Violette became a fury :
“Leave me alone ! You’re a bunch of bastards, you have no shame !.. You’re without pity ! I told the
truth ! To hell with my father ! To hell with my mother !” », op. cit., p. 256.
204. L’Éclaireur de l’Est du 13 octobre 1934, p. 2.
205. Dont J.-M. Fitère donne le motif : « la déposition illégale du témoin Ronflard venu à la barre
alors qu’il avait assisté aux débats », op. cit., p. 176-177. Eugène Quinche rapporte que Paul Ronflard,
étudiant en droit, « ni l’amant, ni l’ami de Violette Nozière, […] “J’ai été un bon camarade” », est
venu dire à la barre qu’elle « lui avait confié que son père abusait d’elle ». La chambre criminelle de
la Cour de cassation par un arrêt du 6 décembre 1934 rejette purement et simplement le pourvoi.
« La condamnation à mort de Violette Nozière », compte rendu d’audience dans Le Petit Parisien du
samedi 13 octobre 1934, p. 6.
206. Henry Bordeaux, « Le plaidoyer qu’on n’a pas fait », 1934, le magazine d’aujourd’hui, p. 1.
207. Ibid.
208. Ibid., dernière page.
209. Dans Les Constitutions de la France depuis 1789, présentation par Jacques Godechot, Paris,
Garnier-Flammarion, 1970. L’article 3 de la Constitution de 1875 dispose : « Le président de la
République […] a le droit de faire grâce ; les amnisties ne peuvent être accordées que par la loi »
(p. 331).
210. M. Aymé, « Peine de mort », Marianne du 19 décembre 1934, repris dans M. Aymé, Du côté de
chez Marianne, chroniques 1933-1937, op. cit., p. 255.
211. H. Bordeaux, « La grâce de Violette Nozière. Lettre ouverte à Monsieur le président de la
République », 1934, le magazine d’aujourd’hui, p. 1 et dernière page.
212. Étienne Madranges, Prisons. Patrimoine de France, Paris, LexisNexis, 2013, p. 348.
213. Pierre Legendre, « Aux sources de la culture occidentale : l’ancien droit de la pénitence »,
dans La Cultura antica nell’Occidene latino dal VII all XI secolo, Spoleto, Presso la sede del Centro,
1975, p. 576.
214. Propos du directeur, M. Holveck, rapportés par Francis Carco, Prisons de femmes, Paris, les
Éditions de France, 1933 [l’achevé d’imprimer date du 20 mai 1933], p. 87. Ce livre réédite plusieurs
reportages publiés dans les numéros 102 à 113, en 1930, de Détective, lesquels comportent des
photographies d’Henri Manuel, non reprises dans le livre. Dans cette maison centrale, F. Carco
croisa et dit s’être adressé à Marie Lefèbvre qui avait assassiné sa belle-fille enceinte, un 26 août
1925, dans la région lilloise (p. 112-118).
215. Rapports de l’IGSA des 25 juillet 1935 et 5 mai 1938. Nous y ajoutons des indications du
rapport de l’IGSA du 6 juin 1937 pour la description de la configuration de ce régime de détention
en commun et des horaires de la journée de détention.
216. J.-M. Fitère, op. cit., p. 179.
217. Henri Manuel (1874-1947), Photographies de prisons, 1928-1932, cédérom, Direction de
l’administration pénitentiaire, ministère de la Justice, mai 2000 et bibliothèque numérique de l’École
nationale d’administration pénitentiaire. Voir Françoise Denoyelle, « Le studio Henri Manuel et le
ministère de la Justice : une commande non élucidée », Revue de l’enfance « irrégulière », no 4, 2002,
p. 127-143. La datation du reportage photographique est entre 1929 et 1931.
218. Rapport de l’IGSA du 28 février 1936.
219. Rapport de l’IGSA du 6 juin 1937.
220. Ibid.
221. Le courrier est signé par le directeur des Affaires criminelles et des Grâces du ministère de la
Justice. Nous n’avons pas trouvé dans les archives départementales d’Ille-et-Vilaine le certificat
médical qui a pu être adressé au ministre de la Justice à cette date.
222. M.-H. Lelong, O.P., À travers le mal, Radio~Strasbourg P.T.T., Lettre de S. Ex. Mgr Ruch,
évêque de Strasbourg, préface par le R. P. Sertillanges, O.P., chapitre VII, « Une visite à Béthanie.
Dominicaines réhabilitées de Montferrand », 1932, Strasbourg, Société d’édition de la Basse-Alsace,
1932, p. 270-272.
223. M. Foucault, Histoire de la sexualité, t. 4, Les Aveux de la chair, édition de Frédéric Gros, Paris,
Gallimard, coll. « Bibliothèque des histoires », 2018, p. 258-259.
224. Disposition citée par M.-H. Lelong, O.P., Les Dominicaines des prisons [1936], nouvelle édition
illustrée, Paris, Alsatia, 1949-1950, p. 10-11, italiques dans le texte.
225. Ibid., p. 145.
226. Coupure de presse publiée sur la quatrième de couverture de la première édition du livre de
J.-M. Fitère.
227. Dominique Fey et Lydie Herbelot, Clairvaux en guerre. Chronique d’une prison (1937-1953),
Paris, Imago, 2018, p. 23.
228. C. Jaladieu, La Prison politique sous Vichy. L’exemple des centrales d’Eysses et de Rennes,
op. cit., p. 237.
229. Transcription par Marcelle Ferry, dans Alberto Giacometti, Écrits. Articles, notes et entretiens,
nouvelle édition revue et augmentée, Paris, Hermann/Fondation Albert et Annette Giacometti, 2008,
p. 506.
230. Il faudra attendre un décret du 26 janvier 1983 pour une première généralisation des parloirs
sans dispositif de séparation.
231. Voir J.-M. Fitère, op. cit., p. 194. Voir aussi S. Maza, op. cit., p. 266-267, et A.-E. Demartini,
op. cit., p. 348-349.
232. H. Donnedieu de Vabres, Traité élémentaire de droit criminel…, op. cit., p. 546.
233. Ibid.
234. Le texte imprimé explicite dans une parenthèse ceci : « Noter spécialement les preuves et les
indices, soit de retour au bien, soit de persistance dans le mal, les actes et les faits particulièrement
méritoires ou reprochables. – Relater le nombre, la nature et les motifs des punitions disciplinaires,
les mesures de précaution ou de sévérité reconnues nécessaires. Mentionner d’autre part les
récompenses, marques de confiance et encouragements obtenus [nos italiques]. »
235. « Indiquer les probabilités présumées de rechute ou d’amendement définitif, ainsi que les
motifs de cette présomption. »
236. Voir la section « Quatre récits judicaires emboîtés », partie II, p. 98.
237. Pierre Laval.
238. Le détachement des établissements pénitentiaires du ministère de l’Intérieur pour un
rattachement au ministère de la Justice s’était opéré par un décret du 13 mars 1911. Voir Mémoires
de prison. Les grandes dates de l’administration pénitentiaire, préface de P. Astruc, Agen, CRHCP,
Enap, 2011, p. 11.
239. Pierre Pédron, La Prison sous Vichy, préface de Denis Peschanski, Ivry-sur-Seine, Les Éditions
de l’Atelier-Éditions ouvrières, coll. « Champs pénitentiaires », 1993, p. 173.
240. C. Jaladieu, La Prison politique sous Vichy, op. cit. Sur la tentative d’évasion collective de la
centrale d’Eysses de mille deux cents détenus du 19 février 1944, voir p. 222-224 ; sur sa répression
par une cour martiale désignée par J. Darnand, secrétaire général au Maintien de l’ordre, qui s’est
rendu sur les lieux ; douze détenus seront jugés, condamnés à mort et exécutés ; voir p. 224-231.
241. Ibid., p. 236.
242. Sur la notion de « grand récit », voir la « Missive sur l’histoire universelle » (Baltimore, le
15 novembre 1984) de Jean-François Lyotard, dans Le Postmoderne expliqué aux enfants, Paris,
Éditions Galilée, coll. « Débats », 1986, p. 47. Et Jean Salem, Lénine et la révolution, Paris, Michalon,
coll. « Encre marine », 2006. J. Salem dégage six thèses de ce que Lénine a écrit touchant l’idée de
révolution.
243. En onze années d’incarcération, à raison d’une lettre par semaine adressée par Violette à sa
mère à Neuvy-sur-Loire, cela fait un peu plus de cinq cents lettres. Ont-elles été conservées ?
244. On trouvera en annexe II la transcription d’une conversation avec Marthe Garel, le 6 août
2019, à Rennes.
245. « Quand la peine principale est temporaire, l’article 46 [du Code pénal] indique que
l’interdiction de séjour se prolonge, de plein droit, pendant vingt ans. » Voir H. Donnedieu de
Vabres, Traité élémentaire de droit criminel…, op. cit., p. 365 et p. 563.
246. Affidé du chef de l’État, Darnand est, de fait, le chef de la Milice créée le 30 janvier 1943,
Laval en étant le président en titre. Après la Libération, ces deux derniers seront jugés, condamnés à
mort et exécutés.
247. Le 18 décembre 1945, sur la minute de l’arrêt d’assises, le greffier de la cour d’appel de Paris a
porté cette mention : « Par décret du 17 nov. 1945, le président du gouvernement provisoire de la
République française a fait bénéficier la nommée Nozière de la remise de l’interdiction de séjour. »
Troisième partie
Configurations de feu
Familles Hézard/Nozière
Mariage, séparation, divorce, remariage
Germaine Nozière est née Hézard, le 4 août 1888 dans la Nièvre à Neuvy-
sur-Loire, elle est la fille de Alsine François Hézard et de Clémence
Philomène Boutron, époux vignerons, domiciliés en cette même localité.
Germaine, couturière, se marie le 5 février 1907 à Neuvy-sur-Loire avec
Louis Arnal, né le 18 septembre 1881 en cette même localité, lui-même de
parents vignerons. Il est domicilié à Paris. Un contrat de mariage a été
établi. Le beau-frère de Germaine, Auguste Desbouis, marié à sa sœur
Philomène (née le 7 septembre 1870), témoin à son mariage, est agent de
police à Paris. C’est à l’âge de 18 ans et demi – l’âge même de Violette en
août 1933 –, que Germaine se marie. Un divorce intervient sept ans plus
tard. Lors du quatrième interrogatoire avec le juge d’instruction, Violette
dit les choses ainsi : « Ma mère s’est mariée extrêmement jeune et a
divorcé bientôt après. » Ce n’est pourtant que le 21 juin 1914 que le
tribunal civil de première instance du département de la Seine prononce le
divorce entre les époux « avec toutes les conséquences de droit à la requête
et au profit de la femme ». Violette a pu rabattre la rapidité de la rupture
intervenue avec le prononcé judiciaire plus tardif du divorce. Lorsque le
25 septembre 1933, Germaine dépose auprès du juge d’instruction, elle dit
ceci : « Je ne suis restée que treize mois avec mon premier mari248, que
j’avais épousé en février 1907 à 18 ans et demi, et je ne l’ai jamais revu
depuis. » Cette formulation surprend, Germaine dit sans l’entendre qu’elle
n’avait plus vu son mari dès… la célébration de leur mariage. Ce mari,
Louis Arnal, se remarie le 1er février 1915 à Levallois-Perret avec Georgette
Voyez. Mobilisé pour la guerre de 1914, il est tué au front en juin 1918249.
Le contexte de ce divorce est donné par l’avocat de Germaine lors du
procès d’assises : elle « avait en effet été victime des brutalités de son
premier mari, et le divorce fut prononcé en sa faveur en janvier 1914 [le
21 juin 1914]250 ». Selon Jean-Marie Fitère, « Germaine se séparait d’un mari
qui la brutalisait, la trompait et jouait aux courses251 » ; selon Sarah Maza,
« because Arnal started seeing an old girlfriend252 » ; enfin selon Anne-
Emmanuelle Demartini, « Arnal est brutal253. » D’être frappée par un mari,
Germaine y aura été confrontée très jeune, ce avec quoi elle sut rompre
sans tarder, à l’âge même qui sera celui de Violette rompant, elle par
l’empoisonnement, avec une vie familiale qui autrement l’empoisonne.
Germaine :
J’ai connu Nozière en juin 1913 mais je n’ai été vivre avec lui qu’en
janvier 1914, quand mon divorce a été prononcé. […] Je me suis mariée en
août quand le délai légal de mon divorce a été expiré. Je savais à ce
moment-là que j’étais enceinte de Violette [nos italiques].
Germaine et son avocat datent le divorce de janvier 1914, alors qu’il est
prononcé le 21 juin 1914. Il est antidaté de cinq mois. Violette naît le
11 janvier 1915.
Le 17 août 1914, Germaine se marie à la mairie du 12e arrondissement de
Paris, avec Baptiste Nozière, né le 17 février 1885 en Haute-Loire à Prades.
Il est le fils aîné de parents boulangers domiciliés en cette localité.
Cheminot, il deviendra chauffeur aux chemins de fer. Il n’a pas été fait de
contrat de mariage entre les époux. Les futurs époux se sont rencontrés
l’année précédente à Paris et sont domiciliés au 10 bis rue Montgallet,
quartier de Picpus, dans le 12e arrondissement de Paris. Un premier passage
s’effectue au 9 rue de Madagascar dans le 12e arrondissement de Paris, puis
une interruption a lieu pour la rue Monge dans le 5e arrondissement où
Germaine tient un débit de boissons. Ils seront encore domiciliés rue de
Coulmiers dans le 14e arrondissement, enfin les époux Nozière se fixent rue
de Madagascar où, bien que couturière, Germaine reste une « ménagère ».
Elle n’avait d’yeux que pour elle
Recueilli à son domicile du 9 rue de Madagascar le 24 octobre 1997, le
témoignage de Simone Mayeul, fille unique des époux Mayeul, livre cette
forme d’amour entre Germaine et Violette :
Elle voyait que par sa fille. Évidemment c’était une belle fille. Grande,
brune. Une belle fille ! Faut être sincère, moi qui étais jeune à ce
moment-là je me rendais compte quand même que c’était vraiment une
belle fille bien plantée et alors toujours très maquillée, très
pomponnée…
[…] Parce qu’évidemment si elle était avec des docteurs et des choses
des gens comme ça, il fallait qu’elle soit à la hauteur ! hein bon ! Alors
dès qu’elle partait Mme Nozière ouvrait sa porte : « Mme Mayeul regardez
ma Violette comme elle est belle ! comme elle… ! »
[…] Sa mère était en extase de la voir comme ça quoi. […] Elle
l’idolâtrait. C’est même pas l’adorer, c’est l’idolâtrer, parce que quand
elle en parlait de Violette : « Oh ma Violette ». Elle l’idolâtrait.
Un amour idolâtre ? Vient cette notation de Pascal Quignard : « Le grec
eidôlon se dit en latin imago. Mais le latin imago traduit exactement le mot
grec psyché dans son premier sens : la tête du mort 254. »
Selon Simone Mayeul, Germaine, par contraste d’avec son mari
était plus sauvage [nos italiques], elle était… ah ! elle il y avait que sa
fille. « Violette ! Oh ma fille ! Oh Violette ! Elle est belle. » Alors elle
nous appelait : « Vous avez vu comme elle est bien habillée ? » Des
gens qui n’avaient pas d’argent parce qu’elle ne travaillait pas et vous
savez qu’aux chemins de fer on gagnait pas des mille et des cents,
surtout à cette époque-là, elle avait toujours des robes. « Ah bah c’est
son docteur qui lui a offert, c’est… ». Il y avait toujours quelqu’un qui
lui avait offert ses robes. Enfin… et puis bon bah… […] Elle en était
fière ! [voix exclamative très insistante]. Ah oui ça… Lui, c’était pas
pareil ; M. Nozière lui pfeu, c’était le bon, le bon bonhomme le bon
bougre. Il était gentil lui. Ah il n’avait pas la fierté qu’elle avait pour sa
fille. [Elle] c’était la bonne ! C’était la bonniche ! Et en extase devant
elle. Voilà ! C’est tout ce que je peux vous dire [elle rit].
Érotique serve d’une mère pour une fille voulue promise à un bel avenir.
La parenté Nozière
La famille Nozière est originaire du département de Haute-Loire en
Auvergne, dans le sud-est du Massif central. Le futur grand-père paternel
de Violette, Félix Nozière, naît le 8 mars 1858, à Saint-Julien-des-Chazes, de
Marie Nozière, 20 ans et de père inconnu ; et Marie Nozière, ménagère, se
marie six ans après cette naissance, le 26 mai 1864 à Prades, avec Baptiste
Vigouroux, cultivateur, son aîné de huit ans. Marie décède le 6 janvier 1878
à l’âge de 41 ans255. Félix Nozière est âgé de 20 ans.
Le 12 janvier 1884, Félix Nozière se marie à Prades avec Marie Constance
Bernard, âgée de 17 ans, ménagère. Naissent trois enfants : Jean-Baptiste
né le 17 février 1885 (Baptiste sera son prénom d’usage) est le fils aîné, suit
Félix Ernest né le 5 janvier 1887, puis leur sœur, Marie Juliette, née le
20 février 1900.
Félix Ernest se marie avec Véronique Marie Michel, née le 30 juin 1888 à
Saint-Bérain en Haute-Loire. Le mariage est célébré le 11 janvier 1913 à
Prades. Les parents du marié sont « propriétaires et boulangers
aubergistes », un contrat de mariage a été établi. Félix est boulanger,
Véronique est « sans profession ». Son frère Baptiste, beau-frère de la
mariée, mécanicien à la Compagnie PLM, demeurant à Paris, est présent à
la cérémonie. Un fils naîtra à Prades de cette union, le 17 février 1914,
René, Baptiste.
La mort s’étend
En Europe, le contexte est à la guerre. Le 1er août 1914, l’Allemagne
déclare la guerre à la Russie. Ce même jour à 16 heures, la France décrète
la mobilisation générale, l’Allemagne fait de même à 17 heures. Le 3 août
l’Allemagne déclare la guerre à la Belgique et à la France.
De la classe 1907, Félix Ernest a d’abord été incorporé au 149e régiment
d’infanterie le 6 octobre 1908 au titre de soldat de deuxième classe. Il est
« envoyé en congé » le 25 septembre 1910 en attendant son passage dans la
réserve de l’armée active. Le certificat de bonne conduite lui est accordé. Il
sera rappelé à « l’activité » du fait de la mobilisation générale. Il est
incorporé le dimanche 2 août 1914 en tant que soldat de deuxième classe,
au 299e régiment d’infanterie. « Tout Français est soldat et se doit à la
défense de la Patrie256 ». En octobre 1915, il se trouve à Reillon, en Meurthe-
et-Moselle, sur le front lorrain. Le 14 octobre, toute la journée, les
tranchées sont bombardées par l’ennemi. C’est le jour où Félix Ernest est
tué. Situé « aux avant-postes du secteur de Reillon, [il] est tué à l’ennemi ».
Il a 28 ans. Son décès est transcrit le 17 février 1916 à la mairie de Prades.
Cet acte indique : « Mort pour la France à Reillon le quatorze octobre 1915
à dix-neuf heures par suite de blessure de guerre. »
Le fils d’Ernest et de Véronique Nozière, le petit René Baptiste, décède
deux ans plus tard en 1917, à l’âge de 3 ans257. « En toute chose, il convient
de considérer son comble. La mort de l’enfant est ce comble258. » La sœur de
Baptiste, Marie Juliette, meurt l’année suivante, le 25 août 1918, elle a
19 ans. Sa mère Marie, épouse de Félix Nozière, meurt l’année suivante, le
4 janvier 1919 – moins de cinq mois après la mort de sa fille. Chronologie
macabre : Félix Nozière, le père de Baptiste, perd son fils Ernest en 1915,
son petit-fils René en 1917, sa fille Marie Juliette en 1918, son épouse Marie
Constance en 1919. La mort s’étend.
Du côté de Baptiste, la perte est celle de son frère cadet, de son petit-
neveu, de sa sœur, puis de sa mère. N’aurait-il été touché par aucune de
ces morts successives et rapprochées ? On en doutera. Dans la version du
deuil qu’il avance, Jean Allouch précise ceci : « L’endeuillé a affaire à un
mort [ou plusieurs] s’en allant en emportant avec lui un bout de soi. Et
l’endeuillé court après, les bras tendus en avant, pour essayer de les
rattraper tous deux, ce mort et ce bout de soi, tout en n’ignorant pas
absolument qu’il n’a aucune chance d’y parvenir259. » Les deux rails
supports de sa haute locomotive à vapeur, pendant tant d’années, sur tant
de milliers de kilomètres, ont-ils été les « bras tendus » de Baptiste
essayant de rattraper ses morts ?
Sur ce fond d’hécatombe, Félix Nozière père260 accueille sa belle-fille
Véronique sous son toit, leur écart d’âge est de trente ans ; on en jase à
Prades – et sur ce motif, Baptiste, érigé en gardien des bonnes mœurs,
rompra avec son père et sa belle-sœur, quelques jours avant sa propre
mort.
Employé aux chemins de fer, Baptiste est mobilisé pour la guerre qui
vient d’être déclarée, sur les lignes ferroviaires de la compagnie des
chemins de fer du Paris-Lyon-Méditerranée. Il a alors 29 ans. Violette naît
pendant la guerre.
L’ascension épuisante d’un cheminot
En ce premier tiers du xxe siècle, l’histoire du métier de Baptiste se situe
à la croisée d’un exode rural et du développement des compagnies de
chemin de fer, celui-ci étant né de la révolution industrielle, combinant le
rail et la machine à vapeur261. Le chemin de fer offre un emploi sûr. « Petit-
fils de cultivateurs, fils de boulangers établis à Prades-Saint-Julien [sic],
près de Brioude, Baptiste avait habité chez ses parents jusqu’à l’âge de
16 ans. Bon élève à l’école primaire, il avait appris la mécanique262. » Anne-
Emmanuelle Demartini note :
De manière significative, Baptiste part en 1901, année charnière à
partir de laquelle la population du département [« montagneux de
paysans pauvres » de la Haute-Loire], qui devient une zone de
dépopulation, se met à décroître. […] Cette situation exceptionnelle est
aussi celle de l’ensemble de la Bretagne et des pays de la Loire, parmi
lesquels la Nièvre d’où vient Germaine […]. Le départ de Baptiste […]
s’explique clairement par le PLM qui passe précisément à Prades263.
Il ne restait plus à Baptiste qu’à se rendre à Paris et à se faire embaucher
par la compagnie du PLM. Il y entre comme ajusteur le 3 septembre 1909,
deviendra chauffeur puis mécanicien de route, c’est-à-dire conducteur de
locomotive à vapeur, qualité qui est la sienne au moment de son mariage
en août 1914 à Paris.
En 1932, son revenu annuel moyen s’élève à 33 000 francs, lequel inclut
traitements et compléments, avantages accessoires, gratifications et primes
de gestion, soit mensuellement 2 750 francs, l’équivalent aujourd’hui de
1 870 euros.
La littérature a su exprimer la dureté de ce métier.
Écrivant Les Rougon-Macquart, « histoire naturelle et sociale d’une
famille sous le second Empire » (1852-1870), Émile Zola choisit pour titre
La Bête humaine264, laquelle n’est autre qu’une locomotive à vapeur. De la
performance physique que suppose la conduite d’une locomotive à vapeur,
Zola fit l’expérience, sans pour autant la conduire, le 15 avril 1889, sur le
trajet ferroviaire Paris-Mantes.
De cette liaison avec les machines des rapides, de ce « mariage », avec
« ce grand animal noir, réticent comme une personne », de la
« concentration de tempête » que vit le machiniste, Paul Nizan, dont le
père fut cheminot, fit la matière d’un roman265.
Image 1
Trépidations d’août
Envols d’argent et découvertes multiples
Du 20 mai au 26 juin, Violette est à Prades, chez son grand-père paternel.
Depuis la violente scène de la mi-décembre, les premiers mois de l’année
1933 ont été marqués et chargés en pointes épiques avec l’acmé du
23 mars, mais elles n’ont pas été reçues par les parents Nozière comme
autant d’explorations d’un empoisonnement en préparation. En août,
Baptiste est hospitalisé à la Pitié, il y entre le 5 et en ressort le 17,
convalescent après la chute du 14 juillet. Violette « a pris dans son porte-
monnaie une somme de trente francs, n’y laissant que deux francs
cinquante ». Le 12 août, alors que Germaine est à l’hôpital de la Pitié
auprès de son mari, Violette force la serrure de l’armoire à glace de la
chambre de ses parents, y dérobe 400 francs provenant de la paye de
Baptiste. De retour chez elle, Germaine doit faire appel à un serrurier
après que Claude Joly ait vainement tenté d’ouvrir la porte de l’armoire.
Violette prétendra qu’il s’agissait pour elle d’y prendre un sac. « Elle a nié
le vol », dit Germaine lors de son audition du 25 septembre. Le 13 août,
Germaine trouve une photographie dans un sac de Violette, laquelle se
révélera être une photographie de Dabin. Violette affirme alors qu’il s’agit
du frère de l’infirmière qui lui fait des piqûres.
« Ma grande préoccupation ainsi que celle de mon mari »
Le 21 août, Germaine s’ouvre à Violette de son intention de se rendre au
Crédit lyonnais pour y porter trois mille francs, ce dont Violette la
dissuade « sous divers prétextes ». Violette joue avec son père, aux cartes
d’abord, puis au jacquet. Enfin Violette sort ; en son absence, fouillant dans
ses affaires, ses parents se rendent compte qu’elle a pris cent francs.
Inspectant la bibliothèque de Violette, ses parents trouvent des
pneumatiques signés Jean ou Bernard. Germaine trouve aussi, datée du
9 août et postée à Poitiers où Jean Dabin s’est rendu, une lettre signée
« Jean ». La veille, il est à la gare d’Austerlitz pour se rendre dans cette
ville. Germaine :
Cette lettre portait : « Ton fol amant t’a attendu jusqu’au train de
minuit, mais tes espions [nos italiques] t’ont empêchée de sortir. »
Ensuite, il y avait des mots en anglais.
C’est dans le double de la couverture du dictionnaire d’anglais que
Germaine trouve cette lettre. La scription de cette lettre dans le livre de
Jean-Marie Fitère est la suivante :
Vilaine chérie, je vous ai vainement attendue hier soir.
Mais je pense que vos espions vous auront confirmé mon départ288.
Ton fol amant, Jean
Ici, les « espions » ne visent pas les parents Nozière. Violette suspectait
Dabin de lui mentir et d’avoir purement et simplement inventé ce départ
pour Poitiers. Il lui avait alors suggéré de venir vérifier elle-même sur le
quai de gare qu’il s’y trouvait pour prendre ce train ou bien d’envoyer des
espions qui auraient pu attester que tel était bien le cas. Dans la citation
qu’elle fait de cette lettre auprès du juge, Germaine ne rapporte pas le
« Vilaine chérie », formule d’appel qui, quelques décennies plus tard,
donnera son titre à une BD289 et avait, dès décembre 1933, retenu
favorablement l’attention d’André Breton : « C’est encore joli. » La lettre
de Poitiers est écrite le jour de la Saint-Amour.
Dans la lettre adressée de Neuvy-sur-Loire au juge d’instruction le
3 janvier 1934, Germaine revient à nouveau sur la découverte des
pneumatiques ce 21 août. C’est en cherchant les cent francs disparus le
matin que plusieurs pneumatiques se découvrent, « trois dans la boîte de
peinture et trois dans une trousse de crayons. Ce sont ces pneumatiques
qui ont disparu de la soupière où je les avais placés le soir du 21 août ».
Violette emporte les traces de sa correspondance amoureuse, laquelle a
« surpris et peiné » ses parents. Une focalisation s’opère sur les cent francs
disparus.
Ma grande préoccupation ainsi que celle de mon mari était de
retrouver les cent francs que Violette avait pris le matin. Nous avons
fouillé partout. J’ai défait pièce par pièce et remué ses livres en retirant
moi-même les couvertures car je supposais qu’elle avait caché les cent
francs entre une couverture et le carton du livre.
L’argent s’est invité comme agent dans la partie qui va se jouer dans le
petit logement.
La lettre apocryphe du docteur Deron
Ce 21 août, Violette rentre chez elle en fin de journée en présentant une
lettre du docteur Deron, médecin de la famille. Cette lettre imaginaire et
pas moins réelle apportée par Violette à ses parents est d’abord un appel
adressé à Germaine Nozière :
Chère Madame Nozière,
Excusez-moi si je n’ai pas encore écrit.
J’ai égaré ce que vous m’aviez écrit concernant votre mari.
Mais je vous envoie trois paquets. J’insiste pour que vous preniez
les paquets au moment de vous coucher.
Mon ami que j’ai rencontré aux Sables-d’Olonne, le docteur Lacassé,
de Lille, très réputé pour la céphalogie290 [cette phrase ne se boucle pas].
Je vous l’enverrai à titre gracieux et cela ne vous coûtera absolument
rien.
Si vous ne preniez pas ces paquets, ce serait grave [nos italiques].
Mon ami et moi ferons tout auprès de la Compagnie pour
faire réformer votre mari291.
Surtout, pour Violette, faites-lui prendre le paquet où il y a une croix,
car elle a les sinus très malades.
Bien cordialement à vous.
Docteur René292 Deron.
Cette « ordonnance » n’est pas rédigée sur papier à en-tête. Adressée à
Germaine Nozière et non aux parents Nozière, il s’agit de convaincre
Baptiste de prendre ce traitement via Germaine. Le trouble se lit dans la
rédaction de ce texte, la phrase relative à l’ami et confrère du docteur
Deron, « le docteur Lacassé », reste… suspendue au moment de nommer le
traitement qui pourrait être envoyé à Baptiste pour sa « céphalée », à titre
gracieux. Cette lettre apocryphe faisant autorité est destinée à convaincre
les parents Nozière de l’urgence à prendre le contenu de ces « paquets ».
Dernier acte préparatoire de l’empoisonnement, elle ouvre la voie à
l’absorption du poison. Germaine, le 25 septembre, dans sa déposition :
J’ai eu entre les mains la lettre du docteur Deron. Elle ne pouvait être
de l’écriture de ma fille ; même contrefaite. C’est une écriture inconnue
pour moi, mais qui ressemblait un peu à l’écriture de la lettre de
Poitiers.
Germaine n’évoque qu’une ressemblance, tout en visant Dabin.
« Ce n’est pas bien ce que tu as fait là »
Alors que Claude Joly arrive au terme de sa déposition, le 21 septembre,
le commis-greffier note que « sans désemparer le témoin ajoute » :
Le 21 août 1933 vers 18 h 30, j’ai vu Nozière sortir avec sa fille. Il lui
disait d’un ton sévère : « Ce n’est pas bien ce que tu as fait là. » Un
instant après, il a été question d’un flacon et d’un pharmacien, et j’ai
compris qu’ils se rendaient chez un pharmacien.
De son côté, Germaine (qui ne parle pas de flacon) donne elle-même
deux versions sensiblement différentes de ce moment de bascule. La
première, le 25 septembre :
Mon mari est descendu avec ma fille pour téléphoner à Mlle Deron. Mais
il s’est aperçu qu’il avait oublié son argent, et il n’a pas téléphoné.
La seconde, dans la lettre du 3 janvier 1934 :
Quand mon mari est sorti pour aller téléphoner, il n’a pas emporté les
paquets qui étaient tous les trois sur la table. Ils ont été absents de cinq
à dix minutes au maximum [nos italiques].
Dans la première version, sans argent, il n’est pas possible de téléphoner,
dans la seconde version, sans les trois paquets, il n’est pas possible d’en
faire vérifier la composition en pharmacie. Deux cas d’impossibilité. Ce
moment a duré en tout et pour tout de cinq à dix minutes « au maximum »,
un temps très court, descente et remontée des escaliers jusqu’au sixième et
dernier étage du second immeuble du 9 rue de Madagascar où vivent les
Nozière. Une question se présente : dans ce court moment, où est Baptiste ?
Pour reprendre la problématisation du « démembrement » lacanien du
cogito cartésien (je pense, donc je suis), devenant « là où je pense, je ne
suis pas, là où je ne pense pas, je suis293 ». En la circonstance, là où Baptiste
est, il ne pense pas à ce qu’il a à faire, soit s’assurer, pour lui et son épouse,
de la substance de la poudre contenue dans les paquets. Là où il est, il est
réduit à l’impuissance, celle d’être en situation de pouvoir ne pas294
téléphoner, ou celle de pouvoir ne pas sortir avec les paquets de poudre – il
ne pense pas. Il ne revient certes pas à Violette d’y penser pour lui. Ce qui
lui sera fatal (à lui Baptiste) et ce en dépit du précédent du 23 mars qui
aurait pu lui mettre la puce à l’oreille. Il peut ne pas téléphoner à « Janine
Deron », il peut ne pas se rendre à la pharmacie. Où est-il pour pouvoir ne
pas penser à ce qui est l’objet même de cette sortie de fin de journée, soit la
vérification de ce qu’il en est desdits « médicaments » ? Sur quoi pouvait
porter la remontrance faite sur un ton sévère par Baptiste à Violette : « Ce
n’est pas bien ce que tu as fait là » ?
Oui, quoi ? La prise des cent francs ? Pour cet argent, Violette trouve une
parade :
Quand Violette est rentrée et que nous lui avons dit qu’elle avait pris
cent francs, elle l’a reconnu, mais a ajouté que c’était pour payer les
piqûres de Mlle Madeleine295.
Notre hypothèse est que la remarque de Baptiste porte sur ces cent
francs pris dans son portefeuille. Que là est le lieu de sa sévérité. Elle
contribue à le distraire de la vérification, laquelle s’imposait (ne
s’imposerait plus) à propos des « médicaments ». Le souci de la perte
d’argent l’emporte sur l’impensable : un empoisonnement. Là où il est
lesté de ce souci d’argent pris, sa pensée se défait.
Enfin, pour l’absorption de la poudre contenue dans les trois paquets, le
saut épique de Violette dans sa surdétermination aura eu raison d’une
suspicion parentale. La tentative de la Mi-Carême n’aura pas été lue par
les parents Nozière comme une tentative d’empoisonnement, alors même
que Germaine hospitalisée a été sérieusement atteinte. Quant à Baptiste,
en un bref échange de quelques minutes, voire moins, devant l’affirmation
de Violette, sa suspicion tombe296. Germaine devra la vie sauve à la fois à la
demi-dose prévue pour elle par Violette, et par le fait qu’elle ait versé sur
la pierre d’évier de la cuisine une mixture inavalable car d’un goût
repoussant.
Immédiat imperium paternel
Concernant Violette et Jean Dabin, Baptiste père croit savoir la conduite
à tenir. « Mon mari ne m’a jamais parlé de Dabin et a été le 21 août après-
midi aussi surpris et peiné que moi devant cette correspondance cachée »
(lettre du 3 janvier). Germaine témoigne qu’au dire de Violette, Jean Dabin
« avait insisté auprès d’elle pour nous être présenté » (audition du
25 septembre). Elle ajoute : « Voyant cela mon mari a dit : “Puisque c’est
sérieux, tu te marieras avec lui, mais je lui dirai la maladie que tu as.” » En
un trait de temps, Baptiste vient de réactiver l’ordre politique et
domestique de la Rome antique. Baptiste croit avoir sa fille en sa
puissance. Dans la Rome antique, on appelait pater familias, non pas qui
avait nécessairement pris femme et avait engendré des enfants légitimes et
gouvernait sa maison, mais « exclusivement, le citoyen qui n’était plus
sous puissance de père. En ce lieu et titre, il exerçait son droit paternel sur
son éventuelle descendance mais aussi et peut-être surtout sur lui-même :
le pouvoir sur ses fils était le corollaire d’un pouvoir sur soi (suae
potestatis) qui se prolongeait jusqu’aux derniers degrés de la
descendance297 ». Prétendre à un pouvoir sur soi, sans reste, est une figure
de maître. Baptiste vient de rompre avec son père. Par comparaison, en sa
patria potestas, il est homme libre devenu sui iuris et non alieni iuris298.
Cette liberté se résout en ce commandement à mariage notifié à Violette,
sans délai. Autre commandement à la clé, il ajoute :
Ta mère et moi, tu nous feras mourir de honte. Tu quitteras la maison
demain299.
Exit Violette.
Baptiste s’est intégré dans cette sourde convergence d’une puissance
d’antique mémoire et dans ce moment de la modernité où un siècle,
d’abord ravagé par la guerre de 1914-1918, a avancé l’hypothèse, nécessaire
déjà à l’humanité du xixe siècle, selon laquelle « la famille est la seule et
unique forme de survie véritable – qu’autrement dit, la clé de la survie ne
se trouve pas au-delà des communautés terrestres300 ». L’appartenance de
Baptiste à la CGTU, qui permet de conjecturer une proximité avec le Parti
communiste français dont il n’était probablement pas membre, va dans ce
sens. La famille (nucléaire) est la cellule de protection. Mais dans les
sociétés de 1919, avance Jean-Claude Milner, « le souci frappe le père de
famille parce que justement la survie lui échappe301 ». L’affaire est politique
et vient d’un peu plus haut.
« Le bonheur est une idée neuve en Europe », s’écria Saint-Just
en 1794 ; le xixe siècle comprit ces mots en projetant le bonheur dans la
forme du confort conjugal et filial. Il traduisit la famille restreinte est
une idée neuve en Europe. En 1919, la guerre a eu lieu. Elle a tué les
pères et les fils [et les frères…] ; elle a multiplié les veuves et les
orphelins. La famille restreinte est désormais livrée au deuil et à
l’incertitude, espace traversé par le combat, entreprise aussi
aventureuse que l’avait été la guerre elle-même302.
Effectivement restreinte, la famille Nozière se trouve à l’épicentre de
cette conjoncture historiquement configurée dans laquelle Baptiste et
Germaine vont perdre pied. Violette livre le combat épique pour contredire
à la sentence selon laquelle non seulement « la famille restreinte est une
idée neuve en Europe », mais encore que de cette famille restreinte
viendrait le bonheur. « La famille est un préjugé » – brève affirmation de
Violette trouvée dans les archives de la préfecture de police de Paris. À
cette nouveauté qui prétend porter le bonheur, Violette contredit par un
acte qui passe par un empoisonnement recherché de son père et le risque
d’un empoisonnement sur sa mère – quand se présente le moment du saut
épique, sa volonté reste inébranlable303 : « Violette a beaucoup insisté pour
que nous prenions la poudre. Son père lui répétait qu’il n’était pas malade,
et n’avait besoin de rien. Elle me disait : “Maman, tu n’es pas courageuse.
Vous avez donc bien peur que je vous empoisonne304.” » La flèche épique
possiblement mortelle vient d’être décochée, sans ciller. Les parents
hésitent quelque peu, Violette va droit au but en formulant elle-même la
peur qui pourrait être celle de ses parents. Le père continuant à exercer sa
puissance – croit-il – sur sa famille restreinte.
Baptiste, relisons-le dans l’expression de sa honte : « “Ta mère et moi, tu
nous feras mourir de honte. Tu quitteras la maison demain.” Il voulait
même déménager. » Exeunt les Nozière ? Le temps court, autrement.
Figure 2
Figure 3
La femme à la Bugatti
Sur un roman récemment republié, ce bandeau d’éditeur : « Le grand
roman des Années folles ». Il s’agit d’un roman de… Pierre Frondaie :
L’Homme à l’Hispano, publié en 1925335.
Laure Bjawi-Levine note que l’univers de Frondaie était celui d’un
Hollywood à la française et qu’il mena une vie de star.
L’esthète, qu’il est aussi, aime à situer ses personnages dans un
contexte doré sur tranche, où amour, passion et argent électrisent les
rapports. Ces « heureux du monde » fréquentent le Ritz, avant de se
divertir l’été sur la Côte d’Argent. Les femmes élaborent leur garde-
robe auprès des plus grands couturiers de la place, Paul Poiret ou
Jeanne Lanvin, se parent de fourrures hors de prix et de bijoux
précieux, pour s’évader vers des lointains coloniaux. […] Les hommes,
fortunés ou aspirant à l’être, sont des dandys qui s’habillent à Savile
Row, portant hauts-de-forme et guêtres, commandent leurs chemises
sur mesure chez Charvet, place Vendôme336.
De tels traits concernent Violette. L’intrigue du roman est une intrigue
amoureuse. Lady Stéphane Oswill va à la rencontre d’un amant possible,
Georges Dewalter, alors que son mari, Meredith Oswill, le sachant, lui
demande de l’accompagner pour un voyage d’affaires au Maroc. Elle s’y
refuse. Un grand bonheur s’affirme entre Stéphane et Georges. Sir Oswill
déclarera une guerre sans merci à cet amour neuf, à l’insu de Stéphane.
L’homme à l’Hispano-Suiza, menacé sur plus d’un front, tiendra son rang.
À un prix élevé. Stéphane aura joui, un temps,
de la triple félicité de se sentir amoureuse pour la première fois, d’être
libre avec son amant entre la place Vendôme et le rond-point des
Champs-Élysées, et d’avoir un compte ouvert chez tous les
fournisseurs qui font, de ce point précis de la France, le comptoir le
plus merveilleusement raffiné de l’univers337.
Même si, non sans condescendance, notions-nous, Pierre Frondaie dans
l’hebdomadaire Vu considérera que Violette n’est pas Béatrice Cenci, son
« Plaidoyer » pour la parricide romaine n’était pas sans donner quelque
abri à la parricide parisienne.
Quand Violette, qui se déplaçait le plus souvent en taxi, s’est avancée
pour être la femme à la Bugatti, l’air du temps des années 1920 l’avait
précédée, lui faisant signe ; on titre alors : « Femme libre sur Bugatti338 »
(figure 4).
Figure 4
Figure 7
Un tour et mille tours
Prenant l’option du Quartier latin, et pour lieu élu le Palais du café,
Violette n’a de cesse de viser un saut de classe, ses déclarations autour
d’elle en témoignent. Le Quartier latin est évoqué par Mistral en des
termes auxquels Violette n’aurait rien eu à retrancher : « Prends le bras
d’un jeune homme, ou du moins rêve que tu le saisis, pour faire un tour et
mille tours dans le Quartier, comme on dit, dans le quartier par
excellence350. » C’est le rêve amoureux de Violette, au bras d’un amant, un
tour et mille tours… En rêver lui eût paru court.
Au registre de l’érotique, Jean Paulhan situe Violette au lieu de son
épopée :
La petite Violette Nozière battait les boutiques des rues avec les
garçons de son âge. Elle ne supposait pas que l’on pût rechercher les
plaisirs de la vie par une autre voie que la plus directe, mais elle se
demandait comment s’y prendre séparée des chiffons, chapeaux et
photos d’acteurs par elle ne savait quoi, qui n’était pas l’argent351.
Et qui était donc quoi ? La révélation d’un feu, lequel « n’existe que dans la
mesure où il cingle vers un ailleurs352 ». Prise dans ce feu, les sauts épiques
de Violette auront été sa manière de s’y prendre, d’où son crescendo
plusieurs mois durant, l’argent n’étant que le moyen de se donner chance
de cingler vers cet ailleurs.
Tout changeait de forme autour de moi. L’esprit avec qui je
m’entretenais n’avait plus le même aspect. C’était un jeune homme qui
désormais recevait plutôt de moi les idées qu’il ne me les
communiquait… Étais-je allée trop loin dans ces hauteurs qui donnent
le vertige353 ?
Dans ce Paris nocturne, « mille objets, mille lumières, mille désirs vous
crèvent les yeux, la peau, vous conquièrent354. »
Un geste incendiaire
Prémices, le 4 mars 1933, un incendie s’est déclaré dans le logement des
Nozière vers 2 heures du matin. Après le 21 août, « la rumeur publique
accuse la demoiselle Nozière de ne pas être étrangère à cet incendie »,
rapporte le commissaire de police du quartier de Picpus. Dans la nuit qui
commence le jeudi 23 mars, c’est encore à 2 heures du matin qu’un
incendie se déclare. « C’était le jour de la Mi-Carême », précise Violette
lors de l’interrogatoire du 9 septembre. Germaine aussi se souvient de ce
jour qu’elle nomme « jour de la mi-carême », ce qu’elle confirme en
propres termes en août alors qu’elle est encore à l’hôpital Saint-Antoine et
qu’elle a demandé à pouvoir parler au commissaire de police de Picpus :
C’est la nuit où nous avons été victimes d’une asphyxie et transportés
moi et mon mari à l’hôpital Saint-Antoine. Violette n’a pas eu besoin
de soins. Je crois que ces faits dont je me souviens maintenant et que
j’affirme exacts constituent la première tentative d’empoisonnement de
notre fille.
Appelé par Violette, son voisin de palier René Mayeul se souvient lui
aussi :
J’ai pénétré dans l’appartement et j’ai vu un rideau qui brûlait encore.
M. Nozière avait commencé à l’éteindre, mais il était tombé par terre.
J’ai achevé de l’éteindre en arrachant le rideau et en le piétinant.
Simone Mayeul a conservé, quelques décennies plus tard, une mémoire
vive de ce moment :
Justement y a eu la première fois où y a eu le feu ! Elle s’est mise à
crier : « Monsieur Mayeul ! Monsieur Mayeul ! Y a l’feu chez nous y a
eu un court-circuit. » Et c’est elle qui avait mis le feu parce qu’ils
n’avaient pas de porte dans leur chambre [nos italiques], ils avaient un
comment qu’on appelle ça, un rideau, vous savez un double-rideau en
coton ou quelque chose comme ça. Et elle avait mis le feu après. Et elle
criait : « Y a un court-circuit. » Mon père lui a dit : « Écoute Violette
hein j’t’en prie, ça suffit, moi je suis électricien je sais que ce n’est pas
un court-circuit ! » […] Évidemment elle [Germaine] était intoxiquée.
Lui n’avait pas tellement souffert, mais elle si355.
Simone Mayeul vient de retourner une carte dans le « jeu » de la famille
Nozière : si les époux Nozière avaient fait poser une porte pour séparer
leur chambre de la salle à manger où se trouvait le lit pliant de Violette…
ils auraient pu la fermer, pas entièrement toutefois. Ce geste incendiaire
prend pour cible cette chambre parentale et métonymiquement les ébats
conjugaux qui y eurent lieu pour la dernière fois le 17 août, selon
l’indication de Germaine au juge Lanoire, lors de son audition du
25 septembre.
Dès l’interrogatoire de première comparution, Violette évoque ce rideau
brûlant :
Quand mes parents dormaient déjà, et étaient sous l’influence de la
poudre, j’ai allumé accidentellement le rideau qui fermait l’entrée de la
chambre en tombant avec un grand briquet allumé [nos italiques] qui
est toujours à la maison356. Je ne m’en suis pas rendu compte
immédiatement et je suis allée me coucher. Voyant de la fumée, je me
suis levée et papa s’est levé en même temps. Comme il n’arrivait pas à
éteindre le feu, je suis allée chercher M. Mayeul. Je lui ai dit que le feu
avait été allumé par un court-circuit. Je ne sais pas pourquoi [nos
italiques], je lui ai fait cette fausse déclaration.
Cette formulation « j’ai allumé […] le rideau » est remarquable : un
rideau n’est pas allumable. Il est inflammable. La manière de dire de
Violette indique qu’elle allume le rideau comme on allumerait une scène
qui est à éclairer. « Accidentellement » ne dit pas seulement l’absence de
volonté lucide et immédiate d’y mettre le feu, mais aussi ce qui tombe et
choit à côté de la chambre conjugale. « Accident » dit dans la langue latine
ce que sym-ptôme dit dans la langue grecque – ce qui tombe avec. Qu’est-
ce que cela pourrait être tombant à proximité du lit conjugal ?
L’interrogatoire du 9 septembre à la Petite Roquette s’ouvre sur cette
première tentative du jeudi 23 mars. Le juge demande à Violette de
s’expliquer sur ce départ de feu :
– Expliquez-vous sur l’incendie du rideau.
– J’ai mis le feu accidentellement, comme l’électricité ne marchait pas,
j’ai pris un briquet pour aller voir mes parents. Mais je marchais tout de
travers sous l’effet de la drogue.
Je ne me rappelle pas ce qui s’est passé. Je me suis recouchée, et quand
je me suis réveillée les flammes venaient jusque dans la salle à manger
[nos italiques].
Pressée d’avouer un acte volontaire, Violette persiste à dire qu’elle a mis
le feu accidentellement. À la fin de cet interrogatoire, le juge tente une
ultime saillie. Il fait remarquer à l’inculpée qu’à considérer la disposition
des lieux, elle était loin du foyer de l’incendie et que la fumée nocive se
répandait uniquement dans la chambre de ses parents. Réplique de
Violette : « Les peintures commençaient à brûler dans la cuisine et dans les
cabinets, et j’étais tout près. Du reste, il n’y avait pas de porte à l’entrée de
la chambre de mes parents [nos italiques]. »
C’est la dernière parole transcrite de cet interrogatoire. Et ce « reste » ne
saurait être négligé. Désaccord entre Germaine et Violette sur la
dimension subjective de la mise à feu, pour ainsi dire, du rideau de la
chambre conjugale, acte volontaire pour la première, accidentel pour la
seconde. Violette dit : « Du reste… » « Du reste, il n’y avait pas de porte à
l’entrée de la chambre de mes parents. » Pas de porte. C’est là le « reste »
dont il est question.
Violette est âgée de 5 ans lorsque ses parents s’installent définitivement
avec elle rue de Madagascar. Pendant plus de treize ans, ses lits successifs
prennent place dans un angle (un coin ?) de la salle à manger, la chambre
des parents, peu distante, n’étant séparée de celle-ci que par un « gros tissu
d’ameublement ». Autrement dit, l’absence de porte est ouverte aux
oreilles de Violette. Un « gros tissu d’ameublement » ne ferme pas deux
pièces contiguës, la couturière et son mari n’ont pas fait le choix de faire
installer une porte qui eût autrement séparé les deux pièces. Un rideau est
« volage » là où une porte au moins se ferme. Violette à l’écoute. « Les
oreilles sont dans le champ de l’inconscient le seul orifice qui ne puisse se
fermer », note Jacques Lacan357. Violette aura été, durant tant d’années
consécutives, témoin auditif de ce qui s’entendait de la chambre de ses
parents. Son « otobiographie358 » aura été par cette exiguë configuration
spatiale ainsi façonnée. C’est aussi la portée du « court-circuit », il est le
« circuit court » qui (ne) sépare (pas) le lit de Violette de celui de ses
parents. S’agissant des ébats de ses parents, pas de porte pour les séparer
d’elle. « Mon père oublie parfois que je suis sa fille. » Cette phrase,
rapportée par son ami Pierre Camus au cours de l’instruction, présente
sans doute plus d’un écho. L’oreille nocturne de Violette aura été
régulièrement sollicitée d’un lieu où elle s’y trouve tiers exclu/inclus. Une
éducation s’y fait, d’enfance et d’adolescence, entendue et dès lors
imaginée. Le son informe et façonne une image. Une dimension décisive de
l’éducation de Violette se fit au prisme des ébats conjugaux. C’est à cette
scène répétée non immédiatement visible, semble-t-il, et dès lors
imaginable fantasmatiquement que Violette s’est trouvée confrontée. Elle
se lève dans la nuit pour « aller voir ses parents », dit-elle ; au rideau de
cette chambre met le feu.
Le petit deux-pièces a été le lieu étroit d’une bipartition camérale
bancale, un côté étant le lieu de scènes conjugales itératives, l’autre étant
celle d’oreilles réveillées et éveillées dans le noir. L’un fait de voix, l’autre
d’un silence observé et saturé. Que cesse enfin ce passage de voix à oreille
qu’un gros tissu d’ameublement laisse passer. Que cesse ce circuit court
dont le nom freudien est celui de scène primitive, où Violette, enfant, a pu
imaginer dans une érotisation fantasmatique sa mère violentée par son
père359. Mais quoi ? Georges Bataille énonce la chose en trois mots : « Le
coït est la parodie du crime360. » Mettre un terme à ces voix parodiques.
Le chiffon, métonymie du rideau
On sait la déclaration de Violette portant accusation à l’encontre de
Baptiste :
Pour éviter de m’engrosser, mon père se retirait et éjaculait dans des
bouts de chiffon qu’il cachait dans le coin du mur tout à fait au fond de
sa chambre et près d’une valise rouge, au côté de l’attirail de pêche.
Germaine fera savoir que c’est avec elle que son mari avait l’usage de ces
« bouts de chiffon ».
Dans la plaquette Violette Nozières est publié ce dessin d’Alberto
Giacometti (figure 8). Au-dessus du visage bouche ouverte et yeux fermés,
un chiffon ? un rideau ? Du chiffon, nous faisons une métonymie du rideau
et des scènes sexuelles conjugales qu’il laisse entendre et entrevoir. En
décembre 1933, au jeu des définitions, Alberto Giacometti questionne
André Breton. « Qu’est-ce que l’horreur ? » Réponse : « C’est le rideau qui
bouge361. »
Figure 8
La Mi-Carême
Le 23 mars est le jour de la Mi-Carême. Violette et Germaine l’ont dit. Un
jeune homme aimé. L’ami qu’elle aime et que la puissance paternelle
frappe d’un interdit d’aimer. Ce n’est pas encore Jean Dabin rencontré au
Quartier latin en juin ou en mai. En mars, Violette suit les cours par
correspondance de l’École universelle, depuis la fin décembre 1932. On
imagine que les pas de la Parisienne n’en sont que plus libres. Elle joue le
jeu des devoirs à adresser à l’école pendant le premier trimestre de cette
année 1933 où elle est appréciée comme étant une « bonne élève ». Le
mercredi 15 mars, elle fait encore parvenir un devoir. La Mi-Carême fait
écho à l’ami qu’elle aime. Son nom n’est pas dit. Dans son mouvement
épique, Violette considère qu’elle a à faire disparaître un père qui s’oppose
à ce qu’elle puisse voir librement l’ami qu’elle aime. « C’est à l’âge de
16 ans que j’ai commencé à avoir des amants », dit-elle au juge lors du
premier interrogatoire. Précisant que le premier fut Jean Guill connu lors
de vacances à Neuvy-sur-Loire, et le deuxième Raymond Ricciardelli.
Violette poursuit son dessein érotique – ce dessein la poursuit. Si la Mi-
Carême est un moment festif de la tradition chrétienne, le mouvement de
Violette est bien plutôt gidien. L’auteur des Nourritures terrestres avait
beau lire et relire l’Évangile, il n’y trouvait aucune parole du Christ
susceptible d’autoriser la famille, ou le mariage. « Rien n’est plus
dangereux pour toi que ta famille, ta chambre, que ton passé362. » On trouve
dans les archives de police ce bref mot rapporté de Violette : « La famille
est un préjugé. »
Au milieu de cette nuit du 23 mars, Baptiste Nozière est tombé une
première fois en tentant d’éteindre le rideau qui brûlait ; la deuxième fois
sera celle de la chute du tender de la locomotive le 14 juillet, la troisième
fois celle de l’empoisonnement mortel le 21 août.
La question rebondit : ce geste incendiaire, un sang d’hier ?
La ligne « Émile »
Le Huron demande…
Peu de temps après que l’affaire Nozière eut éclatée, dans son sillage, ont
été émis les plus grands doutes sur la paternité de Baptiste. Nous avons lu
les lettres anonymes adressées aux autorités judiciaires dès septembre.
Dans son numéro du 21 septembre 1933, l’hebdomadaire d’orientation
anarchiste Le Huron, dont Maurice-Ivan Sicard est le rédacteur en chef,
titre en première de couverture :
Figure 9
Figure 12
Ma chère Christiane,
Depuis 8 jours que nous sommes
séparées je m’ennuie, je n’ai pu trouver
une amie dans ton genre, tu me manques
terriblement et cela Folette [nos italiques] est de ta faute.
Si tu avais bien voulu tu aurais pu venir
avec moi en vacances. Que fais-tu de beau
dans ton Paris, tu m’as dit avoir rencon-
tré un jeune homme qui te plaît et que
tu aimes déjà un peu [nos italiques]. Est-ce sérieux
cela ? Je voudrais de plus amples détails.
Moi je n’ai trouvé personne, mon cher
Jean, ne peut s’effacer de mon cœur
et pourtant il faut que j’en prenne mon
parti. Écoute Falce [nos italiques] je voudrais pouvoir
t’empêcher d’aimer ce jeune homme,
car telle que je te connais, si tu te lances
à corps perdu dans cet amour, que
t’arriveras-t-il que peines et malheurs.
Toi-même en convient. Réfléchis Bien471
est la recommandation que je puis te
donner. Reçois, ma chère lenicni [nos italiques] mes
nombreux baisers.
Ton amie à toujours
Germaine
Reprenons. Violette porte désormais le nom de « Christiane Darfeuil » à
qui une amie « Germaine », en vacances à Quiberon, vient d’écrire une
lettre dans laquelle elle lui demande de ses nouvelles et lui donne des
siennes. Christiane manque « terriblement » à Germaine. L’expression
« ton Paris » est à la fois le Paris aimé par Violette et peut-être aussi le pari
qu’elle a engagé depuis plusieurs mois. Il y est question de leurs relations
amoureuses respectives. D’un « jeune homme » plaisant, récemment
rencontré et déjà « aimé » (un peu). Par contraste, Germaine se dit seule et
si son « cher Jean » (Dabin ?) ne peut s’effacer de son cœur, un impératif
commande pourtant cet effacement. Violette est-elle sur le point de
délaisser Dabin ?
Germaine s’adresse alors à Christiane par une invention de langue
« Écoute False » pour lui donner ce conseil d’amie de ne pas aimer ce jeune
homme, car la connaissant, si Christiane se lance à corps perdu dans ce
nouvel amour, il ne lui arrivera que « peines et malheurs ». Conseil
d’amie… : « False » est un nom pour la falsification. Dans son
cheminement épique, Violette ne cesse de tisser en inventions pures et
simples (mais pas à partir de rien) le riche roman familial qui contribue à
la rendre séduisante et à vivre la vie parisienne qui l’attire.
Apocryphe, cette lettre autographe est elle-même une falsification de par
les prénoms utilisés des deux amies, « Christiane » et « Germaine » avec
cette dernière le prénom de sa mère émerge. Violette a fabriqué un faux en
écriture privée/publique ; ses photographies sont dans la presse, elle le
sait, elle se sait recherchée par la police judiciaire.
« Folette » est cette autre invention de langue par laquelle Germaine
s’adresse à Christiane. Violette devait passer auprès de ses fréquentations
comme un peu folle, gentiment folle. Dans cette lettre « False » et
« Folette » prennent des majuscules, ces qualifications sont à la fois
enjouées et sérieuses. De Violette à Folette, six lettres sont les mêmes : Vie
Folle ?
« Christiane Darfeuil » est le pseudonyme que Violette s’est inventé.
« Darfeuil » est le nom de scène au cinéma d’Emma Henriette Augustine
Floquet (1906-1998) – Colette Darfeuil. Le film parlant entre dans les salles
de cinéma en 1929. Événement dont l’écho fut considérable. Entre 1930
et 1933, Colette Darfeuil joue dans une cinquantaine de films.
Cet emprunt pseudonymique de Violette est enté sur… la surdité de sa
mère. Devenue un peu dure de la feuille, Germaine devient sourde d’un
amour qu’elle ne peut plus entendre et reste sourde (partiellement ?) à la
libération à laquelle Violette ne cesse de prétendre et qu’elle met en œuvre,
à l’instar et autrement que ne le fit sa mère plus jeune.
Épelons cet assemblage de lettres : « lenicni ». La destinataire de la lettre
est saluée d’un mot quasi illisible. Une translittération étendue (dé-lire
encore) rend possible de le découper et de le supplémenter : le ni(d) c(e)
ni(d). Le nid ce nid. Le nid (son lit pliant) de ce nid (le petit deux-pièces
cuisine mansardé de ce sixième et dernier étage). Eh bien, quoi ? L’haine
(len) y (i) [est] [dans] ce nid – le nid familial devenu empoisonnant.
« Reçois, ma chère lenicni mes nombreux baisers. Ton amie à toujours. »
Mot de passe fabriqué entre deux amies, de Germaine à Christiane ; de
Violette à sa chère Madeleine Debize ; de Violette à Violette ?
Enfin, si cette lettre contient une recommandation à propos d’un nouvel
amour possible : « Réfléchis Bien », il est impossible de ne pas noter que
dans le contexte de ce mois d’août, ce moment réflexif, souligné deux fois
dans le corps de la lettre, a une autre portée et se trouve être surdéterminé.
Car, dans quoi Violette s’est-elle « lancée à corps perdu », si ce n’est dans
une épopée à très haut risque, qui pourrait finalement ne produire « que
peines et malheurs » ? Elle n’est pas sans le savoir. La recommandation
s’écrit : « Réfléchis Bien », souligné deux fois. « Bien » est écrit avec une
majuscule. Que la chose soit bien pesée. Cette recommandation se présente
comme un don (« que je puis te donner ») à soi-même. Dans sa longue
préparation qui court sur plus de huit mois, Violette a bien pu se faire à
elle-même dans un soliloque, cette recommandation : « Réfléchis Bien ». Sa
résolution n’a cessé de s’affirmer et d’être mise à l’épreuve au fil des mois.
Une épique folie
Dans le prolongement des années 1920, False/Folette sera activement
montée sur une ligne de crête qui se voulait ligne de fête. Après la « nuit
parasexuée », nuit sans sommeil, elle marche encore dans son Pari(s). Avec
Violette, « la revendication de la liberté prenait une allure vertigineuse472 ».
Une allure folle. Elle revendiquait de pouvoir sortir librement et que ses
parents cessassent de se comporter en surveillants interdicteurs.
L’invention de la sœur du docteur Deron n’avait pas d’autre fin que de lui
permettre de justifier aux yeux de ses parents certaines de ses sorties. Elle
voulait « sortir à sa guise », dit sa mère au juge. Liberté en folie, dit-on
plaisamment, sans toujours bien s’entendre. Alors arrêtons-nous sur une
affaire aussi difficile et aussi essentielle en ce qu’elle concerne chacun,
l’affaire de la folie.
Dans un épais livre de plus de quatre cents pages et d’un parfait
classicisme prenant pour objet d’étude la conscience, Henri Ey, « fort du
savoir de la psychiatrie », soutient que la psychiatrie a pour objet « la
pathologie de la liberté. S’il n’y a pas de liberté humaine, il n’y a pas de
folie. Et s’il y a dans l’homme une possibilité de devenir fou (ou de rêver),
ce ne peut être que parce que l’organisation même de son être tout à la fois
implique et domine cette folie473 ». À cet endroit, dans un appel de note,
Henri Ey fait allusion à une discussion ouverte bien plus tôt entre lui et
Jacques Lacan à propos de la folie, le 28 septembre 1946 aux Journées
psychiatriques à Bonneval474 :
C’est sur ce thème que, depuis 1947, la discussion reste ouverte entre
J. Lacan et nous-même (ainsi qu’il le rappelle dans sa « question
préliminaire » à tout traitement de la Psychose. La Psychanalyse, vol. 4,
1958, p. 42) : « Pour nous, l’être de l’homme non seulement ne peut être
compris sans la folie, mais ne serait pas l’être de l’homme s’il ne portait
en lui la folie comme la limite de sa liberté ». La folie et l’existence sont
antinomiques, comme la mort et la vie475.
Fin de la note. Mais une embrouille vient de s’écrire. En effet, Ey a ajouté
une phrase de son cru dans la citation de Lacan, non signalée au lecteur,
celle-ci :
La folie et l’existence sont antinomiques, comme la mort et la vie.
Lorsqu’en 1958 Lacan s’autocite, sa phrase est restée la même :
« Et l’être de l’homme, non seulement ne peut être compris sans la
folie, mais il ne serait pas l’être de l’homme s’il ne portait en lui la folie
comme la limite de sa liberté476. »
Déclaration à laquelle dès son intervention de 1946, il avait apporté une
immédiate correction qui vaut rupture avec sa propre sévérité, (id est la
folie comme limite de la liberté) :
Et pour rompre ce propos sévère par l’humour de notre jeunesse, il est
bien vrai que, comme nous l’avions écrit en une formule lapidaire au
mur de notre salle de garde : « Ne devient pas fou qui veut477 ».
Le propos est sévère d’affirmer que la folie est limite de la liberté de
l’homme, et non l’une de ses expériences subjectives décisives où sa liberté
est convoquée. Moment d’un passage qui se présente et insiste. Or, c’est
sur le « propos sévère » que Ey va faire fond en ajoutant la phrase
conclusive de son cru, situant la folie du côté de… la mort. Alors que Lacan
va jusqu’à avancer dans ses « Propos… » tenus à Bonneval cette notation
clinique :
Loin qu’elle [la folie] soit pour la liberté une « insulte », elle est sa plus
fidèle compagne, elle suit son mouvement comme une ombre478.
Cette phrase a été lue par Michel Foucault qui, sans citer Lacan, part
d’elle et l’accentue :
J’ai l’impression, si vous voulez que, très fondamentalement, en nous,
la possibilité de parler, la possibilité d’être fou sont contemporaines, et
comme jumelles, qu’elles ouvrent sous nos pas la plus périlleuse, mais
peut-être aussi la plus merveilleuse ou la plus insistante de nos
libertés479.
Autant dire que folie et liberté sont convocables ensemble. Sœurs
jumelles (é)prises d’une liaison érotique. L’une ne prend pas son allant et
son allure sans que l’autre ne lui soit associée – et nécessaire. La liberté,
dans son mouvement, rencontre la folie dans l’étendue subjective qu’elle
est à même de déployer. Elles s’affrontent ensemble à un espace à ouvrir
dont l’urgence croît. Il y a donc quelque chose à faire. Insistante liberté, et
pas moins périlleuse, en effet. C’est l’épopée Nozière.
Avec Foucault, le doublet folie/liberté se configure d’un ternaire
folie/liberté/courage. Ce sont là trois traits épiques coprésents.
Violette s’est située à cet endroit le plus périlleux. « Folette/False ». Libre,
et folle en cette liberté. Folle, et libre en cette folie. La survenance de la
folie est serve de la liberté au déploiement de laquelle elle peut s’avérer
nécessaire. Distinctes, elles se rejoignent sans se superposer, l’accueil de la
première comme l’exercice de la seconde requérant encore la vertu du
courage. Convoqué lui aussi, si le courage venait à manquer, les deux
fidèles compagnes se trouveraient déroutées. Le risque pris repose sur ce
nouage à trois. Liberté, folie, courage, autrement dit : « N’est pas fou qui
veut. » Érotique, l’enjeu est de se libérer d’un intolérable asservissement.
Sans quoi Foucault n’aurait pas pu dire de la folie qu’elle « ne file pas à
travers le monde comme une bête furtive dont la course serait arrêtée par
les cages de l’asile. Elle est, selon une spirale indéfinie, une réponse tactique
à la tactique qui l’investit480 ». Abord stratégique de la folie. Et si nous
avançons la casuistique de la folie à propos de Violette Nozière, c’est en
considération de la modalité du mouvement de libération dans lequel elle
s’est investie, « à pleine voile » aurait pu dire J. Lacan481. Ce qui est énoncé
dans une tranchante simplicité par Patricia Janody quand elle interroge :
« Qu’est-ce que c’est, devenir fou ? On pourrait dire, par exemple, ceci :
c’est avancer complètement à découvert482. » La folie Violette, c’est ça,
s’avancer quasiment à découvert, allant au bout de son péril. Sans fléchir,
tout en réfléchissant encore le jour même du second saut épique ; puis se
laissant emporter par le passage du crime.
Lacan :
Si j’avais – ce qui évidemment ne peut me venir à l’idée – si je devais
localiser quelque part l’idée de liberté ce serait forcément dans une
femme que je l’incarnerais, une femme pas forcément n’importe
laquelle puisqu’elles sont « pas-toutes » et que le « n’importe laquelle »
glisse vers le « toutes »483.
Violette n’est « pas toute » à ses amants, pas toute à Jean Dabin. Elle est à
sa libération.
Une sagesse populaire dira : « On s’en va mais on ne fait pas des trucs
comme ça. » Déjà, Drieu la Rochelle s’était exprimé en des termes un peu
différents : « Violette Nozières a plutôt imaginé tuer ses parents que de les
quitter484. » Dans l’impossibilité à quitter le domicile paternel sur un mode
autre que cette épopée à très haut risque aura résidé sa folie. Un moment
de folie. Si les médecins-experts avaient retenu cette folie, l’institution
judiciaire pénale aurait eu à se dessaisir dès la phase de l’instruction. Les
portes de l’asile d’aliénés se seraient ouvertes pour se refermer sur
Violette ; peut-être pour un temps court, ce moment de folie étant tombé.
André Breton l’aurait-il attendu à la porte de l’asile, un bouquet de roses
rouges à la main ? Ce n’est qu’au moment de sa demande de réhabilitation
en 1953, qu’il signa dans la revue Médium un billet emporté en sa faveur485.
Le jeu d’une alternative
Dans Nouvelles Remarques sur le passage à l’acte, Jean Allouch part de la
réécriture lacanienne du cogito cartésien. Cette réécriture opère un
démembrement partiel du cogito ergo sum : « Là où je pense, je ne suis pas,
là où je ne pense pas, je suis486. » Les Nouvelles Remarques sur le passage à
l’acte montrent que la distinction entre saut épique et « passage à l’acte »
vient se loger dans cette alternative. « Là où je pense (saut épique), je ne
suis pas ; là où je ne pense pas (passage à l’acte), je suis487. » D’autres
histoires de crimes le montrent, l’une est celle de Marcel Redureau – qui
fut à sa façon à André Gide ce que fut Pierre Rivière à Michel Foucault488 –
le massacre de familles ressortit pour le premier de passages à l’acte sans
préméditation, et pour le second d’une épopée de grand format politique.
Pierre Rivière s’adresse à « ce beau siècle qui se dit de lumière, cette nation
qui semble avoir tant de goût pour la liberté et pour la gloire, obéit aux
femmes489 ». L’enjeu de grande politique et l’enjeu érotique sont explicites,
dans ses pas il hésitera pour choisir le moment le plus propice. Il revêt ses
habits du dimanche, une affaire aussi sérieuse appelait cet investissement.
Les sauts épiques de Violette relèvent d’un « Je pense, là où je ne suis
pas. » Explicitons en une prosopopée Violette : « Là où je pense pour ma
libération de jeune femme à faire disparaître de la scène parisienne mes
parents immontrables, je ne suis pas celle qui d’un patricide poursuivi et
matricide risqué, s’abstiendra. » Éclat de l’épopée.
Mais là où le 21 août avant minuit s’entraperçoit la tête de Baptiste
ensanglantée, défigurée car battue à mort contre le mur du lit-cage, c’est
d’un « passage à l’acte » dont il s’agit. Il n’a pas été prémédité, nous avons
avancé le syntagme de passage du crime. En ce moment précis, la
formulation change dans ce qui serait la prosopopée Violette si elle
pouvait être dite : « Là où je ne pense pas – d’une pensée qui se pense
(d’une pré-méditation prolongée) – je suis ; je suis celle qu’un “père” a cru
pouvoir surveiller-injurier-insulter-frapper. » C’est le moment de marquer
que ce « je ne pense pas » n’est pas une absolue absence de pensée (ce que,
par exemple, l’affaire Redureau confirme). Une fulgurante remémoration
est ici possible dans l’esprit de Violette. Laquelle ? Celle, sur ce même sol
des actes d’empoisonnement, de la scène traumatique des coups et injures
portés le 15 décembre 1932, surgissant, tout à coup, dans un flash-back, ce
21 août avant minuit. Tel un éclair.
Nous tenons les coups portés par Baptiste sur Violette comme un abus
caractérisé. Un abus sexuel. Frapper une femme en raison de sa sexualité
équivaut à un viol – pour user d’une formulation anachronique. La
fulgurance du 21 août au soir avant minuit n’est pas la réplique du
16 décembre 1932, celle de la lettre écrite à l’encre rouge par laquelle
Violette annonce son suicide pour 4 heures de l’après-midi. Si cette lettre a
produit un effet d’affolement sur les parents Nozière, elle a pu ne pas être
lue par eux comme un avertissement qui leur était adressé. La scène du
21 août avant minuit est celle de coups retournés et redoublés portés à la
tête de Baptiste, sans doute jusqu’à l’épuisement de la pulsion en son
passage. On sait que Violette a dit, à plusieurs reprises, que son père
souffrait d’une congestion cérébrale dont il pourrait mourir…
À l’instar de Charles, Violette se souvient-elle du premier coup porté
mais non des suivants ? Dans ceux-ci, Violette est effacée par le passage du
crime – moment de désubjectivation. Peut-être en a-t-il été ainsi d’emblée
pour le jeune Marcel Redureau (le 30 septembre 1913490) voulant le premier
coup asséné à son patron et aussi pour le jeune Pierre Rivière (le 3 juin
1835491) qui écrit : « je redoublai mes coups492 », sans rien (pouvoir) ajouter
dans son mémoire. Il est donc un moment où le crime, alors même qu’il a
été prémédité, vire au passage à l’acte, soit au passage du crime qui ne se
soucie pas de qui est support automatisé des coups portés, redoublés. Le
crime passe dans son impersonnalité. S’agissant du tabassage de Baptiste,
tête ensanglantée, on a d’abord cru à une blessure par arme à feu. À la
scène d’empoisonnement succède, sans immédiateté, mais aussi sans
tellement différer son surgissement : le passage du crime. L’espace d’un
instant le « sujet » disparaît comme sujet et dans cette indivision est fait
« indivis », conscience et réflexion étant très momentanément absentées.
À se reporter à la problématisation des deux analytiques du sexe avancée
par Jean Allouch, il se lit que le passage du crime relève de la première
analytique du sexe (celle de l’objet a), le saut épique relevant de la seconde
analytique du sexe, celle du rapport sexuel (qu’il n’y a pas493). Au registre
de la seconde analytique, l’enjeu est pensé et anticipé comme celui d’une
libération, passant par une possible épopée, ainsi pour Violette. Tel est son
« Je pense ». Sur le registre de la première analytique, c’est un ré-acte
fulgurant dont il s’agit où la pensée est si rapide qu’elle s’en trouve
presque aussitôt annulée, pas nécessairement ni absolument toutefois. Tel
est son « Je ne pense pas ». Pour le dire en termes strictement lacaniens,
dans le passage du crime, c’est petit a qui passe ; les trois dimensions du
symbolique, de l’imaginaire et du réel, étant dénouées, elles s’en trouvent
déliées, libres, follement libres, dans ce cas, pour petit a, c’est dans la
poche.
Le passage du crime – ni sujet (divisé), ni auteur (préméditant/préparant),
celui du langage courant et du droit pénal, ni personnalité (criminelle), ni
discours (prolongé), ni image (longuement contemplée) – suit, reprend,
redouble le saut épique sur un tout autre mode, le portant à un point de
fusion destructive. Il arrive que dans l’après-coup, redevenu sujet (divisé),
d’avoir été ainsi, un temps bref, « indivis », un sujet n’en revienne pas ; ne
s’en souvienne pas. C’est que comme sujet, il a été brûlé.
L’affaire Nozière, c’est lorsqu’un intolérable aura façonné une forme
épique dont le terme extrême est le passage du crime. Impersonnel, le
passage du crime subsume les sauts épiques itératifs antérieurs
d’amplitude variable – qu’il redouble et excède.
En… 1866, Le Petit Journal, quotidien républicain et conservateur, publie
un article de Timothée Trimm, récemment réédité sous le titre : « Frapper
une femme, c’est plus qu’un crime, c’est une lâcheté494 ». Plus qu’un crime ?
Mais alors quoi ? Ce à quoi Violette Nozière a répliqué est sans nom. Le
sans nom se dit encore innommable495. On se souvient que les coups portés
à faire trembler Germaine sont ce qui avaient justement manqué à
Violette, selon l’ancien avocat devenu académicien, Henry Bordeaux…
C’est le « Prologue de la tragédie », notait l’avocat de Germaine devant les
assises en pensant à la lettre de Violette annonçant son suicide dans la
Seine. A-t-il mesuré la portée des coups portés la veille par Baptiste sur
Violette ; qu’est-ce que Germaine a pu lui en dire ?
Ainsi les choses se sont-elles disposées, ainsi nous les comptons : Un,
deux – trois : un, pour la tentative d’empoisonnement du 23 mars au soir ;
deux, pour l’empoisonnement du 21 août dans la soirée – trois, pour le
passage du crime ce même jour peu avant minuit.
248. La séparation intervient donc autour de mars 1908. Germaine ne rencontre Baptiste à Paris
qu’en juin 1913. Ils sont voisins d’un sixième étage au no 10 bis de la rue Montgallet dans le 12e
arrondissement de Paris.
249. Le décès est transcrit au registre des actes de décès de la mairie de Neuvy-sur-Loire : « Le
13 décembre 1921, le tribunal civil de Cosne déclare constant le décès de L. Arnal, sergent au 346e
Régiment d’Infanterie, “Mort pour la France au secteur de Verly (Aisne), inhumé commune de
Chézy (Aisne) le 16 juin 1918”. »
250. Me Boitel, Plaidoirie, op. cit., p. 277.
251. J.-M. Fitère, op. cit., p. 13.
252. S. Maza, op. cit., p. 10.
253. A.-E. Demartini, op. cit., p. 190.
254. Pascal Quignard, La Nuit sexuelle, Paris, Gallimard, 2007, p. 86.
255. Source : notice Wikipédia Violette Nozière, Référence 4.
256. Loi « Jourdan », 19 fructidor an VI (5 septembre 1797). Cité par Bertrand Blandin, 1914, la
France responsable ? Les secrets de la déclaration de guerre, Paris, L’Artilleur, 2016, p. 123. Réponse ?
Oui, de manière écrasante. L’auteur évoque l’esprit de vengeance du président de la République,
Raymond Poincaré, à « raison » de la défaite des armées françaises en 1870 face à la Prusse. L’esprit
de vengeance relève d’un manque absolu d’esprit. Nietzsche stigmatisait ce manque d’esprit par un
mot par lui prélevé dans la langue française et qu’il ne traduisait pas : ressentiment.
257. Notice Wikipédia précitée.
258. Philippe Forest déplie : « Une telle mort – fût-elle naturelle – est toujours un crime. […] En
ce sens, lorsqu’un enfant perd la vie, quelles que soient les circonstances, c’est toujours au même
infanticide qu’assiste l’espèce humaine tout entière. » P. Forest, Le Roman infanticide : Dostoïevski,
Faulkner, Camus. Essais sur la littérature et le deuil, Nantes, Éditions Cécile Defaut, coll. « Allaphbed
5 », p. 76.
259. Jean Allouch, Érotique du deuil au temps de la mort sèche [1995], Paris, Epel, avec un texte de
Silvio Mattoni, « L’échec de la pudeur », 3e éd. 2011, p. 25.
260. Ses métiers ont été domestique, cultivateur, boulanger, aubergiste.
261. Georges Ribeill, La Révolution ferroviaire. La formation des compagnies de chemins de fer en
France (1823-1870), préface de Jacques Fournier, Paris, Belin, 1993.
262. J.-M. Fitère, op. cit., p. 13.
263. A.-E. Demartini, op. cit., p. 189 et 190.
264. Émile Zola, La Bête humaine [1889-1890], préface de Gilles Deleuze, éd. présentée, établie et
annotée par Henri Mitterrand, Paris, Gallimard, 1977 et 2001, pour l’établissement du texte et pour
le dossier, coll. « Folio classique ». Ce sera le titre d’un film de Jean Renoir inspiré du roman de Zola.
265. Paul Nizan, Antoine Bloyé [1933], préface d’Anne Mathieu, Paris, Grasset, coll. « Les Cahiers
rouges », 2005.
266. Jean des Cars, Dictionnaire amoureux des trains, dessins d’Alain Bouldouyre, Paris, Plon, 2006,
p. 141.
267. Georges Bataille, Les Larmes d’Éros, Paris, Pauvert, coll. « Bibliothèque internationale
d’érotologie », 1961, p. 59.
268. Nous en restituons la mise en page et en respectons l’orthographe.
269. Baptiste vise à la fois son père et sa belle-sœur Véronique.
270. A.-E. Demartini, op. cit., p. 234.
271. Ibid., nos italiques.
272. Copie de l’acte de mariage du 11 janvier 1913, archives départementales de la Haute-Loire.
Certes, il arrive que le premier prénom à l’état civil ne soit pas le prénom d’usage. Nous n’avons à
cet égard nulle indication.
273. J. Allouch, Érotique du deuil au temps de la mort sèche, op. cit., p. 61.
274. A.-E. Demartini, op. cit., p. 234.
275. Pour le lecteur de L’Abeille brivadoise : « Le grand-père Nozières révèle que pendant les 15
jours où sa petite-fille est restée seule avec lui elle “sautait tous les soirs, par la fenêtre de la maison
vers les 10 heures” », dans « Au pays de Violette Nozières. Une enquête de “L’Abeille” sur
l’empoisonneuse parricide. La jeune criminelle à Prades-Saint-Julien », samedi 2 septembre 1933.
L’Abeille brivadoise est un journal républicain d’intérêt local, un organe de l’union des partis de
gauche.
276. Ce refus en forme de silence a été suivi d’une lettre de Germaine restée sans réponse. Ce qui
montre l’insistance des parents Nozière.
277. Figaro du 13 septembre 1933, p. 2.
278. Françoise Héritier, Les Deux Sœurs et leur mère. Anthropologie de l’inceste, Paris, Odile Jacob,
1994, p. 354.
279. Gérard de Nerval, Les Filles du feu suivi de Aurélia [1885], éd. Béatrice Didier, Paris,
Gallimard, coll. « Folio classique », 1972, p. 360.
280. « ds » : nous lisons « déesse ». Aurait été glissée dans la lettre de J. H. son admiration pour la
« divine » Germaine… Comme une indication sur le charme émanant de la mère de Violette.
281. Nous en respectons la mise en page, la ponctuation et l’orthographe.
282. Conversation du 24 octobre 1997, précitée.
283. Le 8 octobre 1933, le brigadier-chef Goret remet au juge d’instruction le résultat d’une
commission rogatoire. Titre du rapport : « Renseignements généraux sur l’inculpée dans les
différentes écoles et lycées qu’elle a fréquentés ».
284. Sophie Germain (1776-1831), autodidacte, mathématicienne et physicienne, devra prendre un
pseudonyme masculin (Antoine Auguste Le Blanc) pour pouvoir être prise au sérieux… C’est à la fin
du xixe siècle que cette école primaire supérieure pour jeunes filles prend le nom de « Sophie
Germain ».
285. La scène du 15 décembre est abordée dans la section « Coups portés », partie I, p. 21.
286. Me Boitel, Plaidoirie, op. cit., p. 280, 281 et 284.
287. C’est l’objet de la section « Sur l’accusation de Violette », partie III, p. 242.
288. J.-M. Fitère, op. cit., p. 47.
289. Camille Benyamina et Eddy Simon, Violette Nozière. Vilaine chérie, Paris, Casterman, 2014.
290. « Céphalogie » est une presque invention terminologique de Violette, existe « céphalalgie ».
Depuis la chute de la locomotive du 14 juillet, Violette sait que son père a des maux de tête.
291. Pour Baptiste, le temps de la retraite du métier trépidant de mécanicien de locomotive à
vapeur a sonné.
292. Le prénom du docteur Deron serait « Henri », voir Jean-Marie Fitère, op. cit., p. 60. S. Maza,
op. cit, p. 84. A.-E. Demartini, op. cit., p. 387 (index). Les archives de police et de justice ne le
prénomment pas. Violette a écrit « René », une perspective de renaissance, aussi pour sa mère ?
293. Pour une présentation d’ensemble de la réécriture lacanienne du cogito cartésien et sur ce
que J. Lacan problématise à ce titre sous l’appellation du « vel de l’aliénation », voir François
Balmès, Structure, logique, aliénation. Recherches en psychanalyse, Toulouse, Érès, coll. « Scripta »,
2011.
294. Sur la définition lacanienne de l’impuissance non pas comme « ne pas pouvoir » mais comme
« pouvoir ne pas », voir J. Allouch, Louis Althusser récit divan. Lettre ouverte à Clément Rosset à
propos de ses notes sur Louis Althusser, Paris, Epel, 1992, p. 13.
295. Germaine ajoute : « Nous avons remarqué que Violette portait au cou des égratignures et lui
en avons demandé la cause. Mais elle ne nous a fourni aucune explication » (audition du
25 septembre). Confrontée à des risques, Violette sait se taire.
296. Nous reprenons et prolongeons l’analyse de ce moment dans la section « Un, deux – trois :
passage du crime », partie III, p. 257.
297. Yan Thomas, La Mort du père. Sur le crime de parricide à Rome, avant-propos de Maurice
Godelier, Paris, Albin Michel, coll. « Bibliothèque Idées », 2017, p. 44.
298. Y. Thomas écrit : « En effet, la situation des hommes libres alieni iuris est, au sens propre du
terme, aliénée et suspendue à l’attente de l’événement – la mort de leur père – qui les fera sui iuris à
leur tour », ibid., p. 52-53.
299. Dans une autre affaire, Pierre Legendre note : « la non-limite du père-potentat équivaut à
l’annulation du père ». P. Legendre, Leçons VIII. Le Crime du caporal Lortie. Traité sur le Père, Paris,
Fayard, 1989, p. 110. Dans ses leçons, P. Legendre promeut la notion juridique civiliste de
« filiation », d’où sa définition du meurtre : « Un fils tue un fils » (p. 118). Mais pourquoi promouvoir
cette catégorie de « fils » ? Serions-nous fondamentalement des fils de l’un et l’autre sexe, croyant
au Père majuscule ? « Fils » (généalogie) ou « fils » (tissage) ? Au champ freudien les fils sont issus
d’Éros.
300. Jean-Claude Milner, La Puissance du détail. Phrases célèbres et fragments en philosophie, Paris,
Grasset, coll. « Figures », 2014, p. 69.
301. Ibid.
302. Ibid., p. 79.
303. On considérera que le 21 août au soir, cette volonté inébranlable, rendant l’acte
d’empoisonnement effectif, est un premier moment de désubjectivation en ceci que la suspension de
la division du sujet (son possible pas d’hésitation, voire son pas de renoncement, son demi-tour) est
condition de possibilité de l’acte. Par contraste, Hamlet accomplissant le meurtre de Claudius
« malgré lui » n’est pas désubjectivé, « au sens où l’absence du sujet est constitutive de son acte ».
Voir J. Allouch, Érotique du deuil au temps de la mort sèche, op. cit., p. 224.
304. Propos rapportés par Germaine le 25 septembre 1933 dans le cabinet du juge d’instruction.
305. Violette et Dabin datent leurs premières conversations du mois de juin ; Georges Legrand dit
Willy indique « vers le mois de mai ».
306. Sigmund Freud, Le Roman familial des névrosés et autres textes [1909], préface de Danièle
Voldman, traduit de l’allemand par Oliver Mannoni, Paris, Payot & Rivages, coll. « Petite
bibliothèque Payot », 2014, p. 38, nos italiques. Dans OCF/P, VIII, p. 251-256.
307. Rapport Gripois-Verrier du 24 août 1933.
308. Voir « La lettre de “Germaine” à “Christiane” », partie II, p. 73.
309. S. Maza, op. cit., p. 72-83.
310. Procès-verbal Gripois/Verrier/Lelièvre des 24 et 28 août 1933.
311. Pierre Legendre note : « L’adoption, transmise à l’Occident par le droit romain, définit une
forme élective de filiation. […] Notons l’importance historique de la théorie de l’adoption, mal
adaptée à des systèmes sociaux qui conçoivent le comput généalogique d’après le lien du sang,
comme ce fut le cas de l’Europe médiévale, lors du tournant scolastique. Le droit civil s’en étant
détourné, c’est la théologie qui, pour le christianisme latin, devait développer la doctrine du lien
adoptif (cf. la théologie du Rachat par le Christ). » P. Legendre, L’Inestimable Objet de la
transmission. Étude sur le principe généalogique en Occident, Paris, Fayard, 1985, p. 339. L’autre nom
du Rachat est la Rédemption (Redemptio). L’enfant adopté est enfant rédimé.
312. « Le drame et le procès » vus par Colette, L’Intransigeant, 13 octobre 1934, no 2007, p. 1. Pierre
Lamblin couvre l’audience pour le quotidien (p. 7).
313. J. Lacan, séminaire L’Envers de la psychanalyse, séance du 17 juin 1970, texte établi par J.-
A. Miller, Paris, Éditions du Seuil, 1991, p. 209.
314. Alexandre Kojève, Essai d’une histoire raisonnée de la philosophie païenne, tome II, Platon-
Aristote, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des Idées », 1972, p. 61.
315. Alain Badiou, « Science, solipsisme, sainteté. L’antiphilosophie de Wittgenstein », Barca !,
o
n 3, « Lien social et solipsisme », 1994, p. 13.
316. J. Lacan, L’Envers de la psychanalyse, séance du 10 juin 1970, op. cit., p. 206.
317. Ibid., séance du 17 juin 1970, p. 209.
318. P. Quignard, La Nuit sexuelle, op. cit., p. 189.
319. Emmanuelle Retaillaud, « Années “folles”, “rugissantes” ou “dorées” ? Nommer les années
vingt », dans Dominique Kalifa (sous la dir. de), Les Noms d’époque. De « Restauration » à « années de
plomb », Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des histoires », 2020, p. 232.
320. Annie Goldmann, Les Années folles, Paris/Florence, Casterman/Giunti, coll. « xxe siècle »,
1994. Titre du chapitre v de ce livre.
321. Ibid., « Colette, une pionnière », p. 117.
322. Avec la publication de l’ouvrage collectif du journaliste Gilbert Guilleminault publié à
l’initiative de Paris-Presse : Les Années folles (Denoël, 1958), voir E. Retailllaud, « Années “folles”,
“rugissantes” ou “dorées” ? Nommer les années vingt », dans D. Kalifa (sous la dir. de), Les Noms
d’époque, op. cit., p. 240.
323. Yannick Ripa, préface à Victor Margueritte, La Garçonne [1922], Paris, Éditons Payot &
Rivages, coll. « Petite bibliothèque Payot », 2013, p. 14.
324. J. Allouch, Marguerite, ou l’Aimée de Lacan, op. cit., p. 211.
325. Raymond Radiguet, Le Diable au corps [1923], préface, bibliographie, chronologie par Bruno
Vercier, Paris, GF-Flammarion, 1986, p. 58.
326. Ibid., p. 80 et 81.
327. « Audace » est le mot du narrateur (p. 168).
328. A. Goldmann, Les Années folles, op. cit., « Coco Chanel, la magicienne », p. 124.
329. Florence Tamagne, Le Crime du Palace. Enquête sur l’une des plus grandes affaires criminelles
des années 1930, Paris, Payot & Rivages, 2017, p. 57-58.
330. Colette Godard, « Saga canaille », Feuilles, no 5, « L’entre-deux-guerres », 1983, p. 16.
331. Martin Pénet, Mistinguett. La reine du music-hall, Monaco, Éditions du Rocher, 1995, p. 545.
Chanson écrite par Albert Wilemetz et Maurice Yvain.
332. Cité en ouverture de Paris. Années folles. 100 photos de légende, Paris, Parigramme, 2018, p. 3.
333. Marguerite Duras, Le Ravissement de Lol V. Stein, Paris, Gallimard, coll. « Blanche », 1964.
334. Paris. Années folles. 100 photos de légende, op. cit., p. 67.
335. Pierre Frondaie, L’Homme à l’Hispano [1925], préface de Laure Bjawi-Levine, [2011],
Bordeaux, L’Éveilleur, 2017.
336. Ibid., préface : « Frondaie le magnifique », p. 10, 14 et 15.
337. Ibid., p. 133. Par deux fois, ce roman fut interprété au cinéma, en 1926 dans un film de Jean
Duvivier, en 1933 dans un film de Jean Epstein. Huguette Duflos tient le rôle de Lady Oswill dans le
film de J. Duvier. C’est à cette actrice et comédienne que Marguerite Anzieu portera le 18 avril 1931
à 19 heures, à la sortie des artistes du théâtre Saint-Georges, un coup de couteau. Voir J. Allouch,
Marguerite, ou l’Aimée de Lacan, op. cit., p. 198-202 et 382-394.
338. Dans l’article de François de Vivie, « Au rythme du charleston », Historia, hors série no 11,
« 1919-1939. La France entre les deux guerres, 1. 1919-1931. Les Années folles », 1968, p. 184.
339. Georges Sebbag, André Breton, l’amour-folie : Suzanne, Nadja, Lise, Simone, Paris, Jean-Michel
Place, 2004.
340. Dominique Marny, L’Amour fou à Paris. 1920-1940. Art et passion, huit couples légendaires,
D. Marny, préface : « Ils se sont tant aimés », Paris, Omnibus, 2018.
341. Cité par D. Marny dans la préface, ibid., p. 12-13.
342. J. Allouch, Marguerite, ou l’Aimée de Lacan, op. cit., p. 206-207.
343. Alain Vircondelet, Duras. Bibliographie, Paris, François Bourin, 1991, p. 83.
344. Pierre-Cyrille Hautcœur, La Crise de 1929, Paris, La Découverte, coll. « Repères », 2009, p. 107.
« Si la crise de 1929 n’est qu’un épisode d’une vaste “guerre de trente ans”, elle ne peut être
comprise en dehors d’une vision géopolitique de long terme. Elle apparaît alors comme déterminée
largement par les deux chocs majeurs qui affectent l’ensemble de la vie économique, sociale et
politique de l’entre-deux-guerres : la Grande Guerre et la révolution russe » (p. 8).
345. Photo rarement reproduite. Voir Christine Mattei, Crimes et criminels… des histoires à perdre
la tête, Lulu.com, 2005, p. 72.
346. Romi, Histoire des faits divers, conception artistique de Pierre Chapelot, préface de Maurice
Garçon, Paris, Éditions du Pont Royal/Del Duca/Laffont, 1962, p. 106-107. Dans ce livre, Romi ne
reproduit que partiellement la première photographie (visage et haut du buste). La seconde
photographie est la reproduction d’une photographie parmi la série prise par les services de la
préfecture de police de Paris, le lundi 28 août 1933.
347. Bruno Fuligni (sous la dir. de), Dans les archives secrètes de la police. Quatre siècles d’histoire
de crimes et de faits divers, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 2011, p. 133.
348. Le Crapouillot, dans une édition « Spécial photos défendues », nouvelle série, no 48, 1978, p. 5.
349. Man Ray, « L’Âge de la lumière », précédant « Portraits de femmes », Minotaure, no 3-4,
décembre 1933, p. 4 pour la photographie ci-dessus. Pour ces portraits de femmes, Man Ray signe
six photographies, Nadar quatre. Man Ray fait la photographie de couverture de la plaquette des
surréalistes, Violette Nozières, op. cit. : un N majuscule fracassé sur des bouquets de violettes.
350. Frédéric Mistral, Les Olivades, XV, cité par Pierre Gauthiez, Ce vieux Quartier latin, Paris,
Plon, « coll. Éditions d’histoire et d’art », 1936, p. 3.
351. Jean Paulhan, « La petite Violette », dans Les Causes célèbres, Paris, Gallimard, coll.
« Blanche », 1950, p. 27-28 ; réédité dans la collection « L’imaginaire », avec une préface d’Yvon
Belaval (1982). Le préfacier indique que lorsque J. Paulhan écrivit ce petit texte, Violette « n’est pas
encore criminelle » (p. 12). Aurait-il donc eu écho de Violette plus tôt ? Et dans quelles circonstances ?
352. Heinz Wismann, Penser entre les langues [2012], note de l’éditrice Hélène Monsacré, Paris,
Flammarion, coll. « Champs essais », 2014, p. 147.
353. G. de Nerval, Aurélia, op. cit, p. 303.
354. A. Scouffi, Au Poiss’ d’or. Hôtel meublé, op. cit., p. 260.
355. Conversation du 27 octobre 1997, précitée.
356. « Dans un coin de la cuisine, un gros briquet en forme d’obus, de calibre 37, avec lequel
Violette mit le feu au rideau. » Figaro du 13 septembre 1933, p. 1. Un grand briquet en forme d’obus,
est-ce une trace du frère cadet de Baptiste, mort au front dans la guerre de 1914-1918 sous les
bombardements allemands ?
357. J. Lacan, Les Quatre Concepts fondamentaux de la psychanalyse [titre initial de ce séminaire :
Les Fondements de la psychanalyse], séance du 29 mai 1964, texte établi par J.-A. Miller, postface de
J. Lacan (1er janvier 1973), Paris, Éditions du Seuil, 1973, p. 178.
358. Jacques Derrida, Otobiographies. L’enseignement de Nietzsche et la politique du nom propre
[1976], Paris, Éditions Galilée, coll. « Débats », 1984.
359. Voir Jean Bergès et Gabriel Balbo, Jeu des places de la mère et de l’enfant. Essai sur le
transitivisme, Toulouse, Érès, coll. « Psychanalyse et clinique », 1998, p. 18-19.
360. Georges Bataille, L’Anus solaire [1927, publication en 1931], suivi de Sacrifices [1936], Fécamp,
Nouvelles Éditions Lignes, 2011, p. 10.
361. « Questions-réponses surréalistes non retenues dans Documents 34 ». Les participants sont
André Breton, Benjamin Péret, Paul Éluard, Yves Tanguy et Alberto Giacometti. Voir A. Giacometti,
Écrits. Articles, notes et entretiens, op. cit., p. 502.
362. André Gide, Les Nourritures terrestres [1897], suivi de Les Nouvelles Nourritures [1935], Paris,
Gallimard, coll. « Folio », 1972, p. 44. Les italiques sont de Gide.
363. J. Pidault et M.-I. Sicard, L’Affaire Nozières. Crime ou châtiment ?, op. cit., p. 31.
364. Le père de Clémence, Alcime Hézard, âgé de 24 ans, est employé aux chemins de fer, sa mère,
Clémence Philomène Boutron, est âgée de 20 ans. La sœur de Germaine a pu prendre, comme
prénom d’usage, le second prénom de sa mère à l’état civil.
365. Un contrat de mariage a été établi. Joseph Desbouis, âgé de 27 ans, employé de chemin de fer,
frère d’Auguste Desbouis, est présent à la cérémonie de mariage.
366. Le Huron du 19 octobre 1933, p. 1.
367. A.-E. Demartini fait part de cette initiative d’Auguste Desbouis : « Germaine que son beau-
frère Desbouis a poussée à se constituer partie civile a été conseillée par Dupré, un collègue de son
mari, affilié lui aussi à la CGTU et qui l’a manifestement orientée vers Boitel », op. cit., p. 105.
368. « Un conseil de famille réuni le 23 septembre désigne Dupré, ami de Baptiste, comme tuteur
et Desbouis […] comme subrogé-tuteur » (ibid., p. 252). Si Violette est pénalement majeure à partir
de l’âge de 18 ans, elle est civilement mineure, la majorité civile s’atteignant à l’âge de 21 ans.
369. Colette, Journal intermittent, 1934, dans Romans-récits-souvenirs (1941-1949). Critique
dramatique (1934-1938), notices et bibliographie établies par Françoise Burgaud, Paris, Robert
Laffont, coll. « Bouquins », t. III, 1989, p. 911.
370. H. Bordeaux, « La grâce de Violette Nozière, Lettre ouverte à Monsieur le président de la
République », op. cit, p. 1.
371. Coupure de presse consultée au Service de la mémoire et des affaires culturelles de la
préfecture de police de Paris, la date de publication en a été coupée.
372. À cet endroit, S. Maza note joliment : « In an incongrous Magritte-like gesture, he had jumped
holding an open umbrella » (op. cit., p. 262).
373. S. Maza, op. cit., p. 262. L’historienne mentionne non pas L’Œuvre mais Le Journal des
premiers mois de 1936.
374. A.-E. Demartini, op. cit, p. 247.
375. J.-M. Fitère, op. cit., p. 141.
376. Cette lettre est citée par J.-M. Fitère ; il précise qu’elle a été adressée de Paris le 21 août, poste
restante aux Sables-d’Olonne pour « Mlle Violette Nozière », op. cit., p. 133. S. Maza remarque le
formel vouvoiement utilisé dans cette lettre (op. cit., p. 134 et note 72, p. 301).
377. Nous nous tenons nous-même sur une rive qui n’est pas celle de la non-folie.
378. Dans Violette Nozière, C. Chabrol filme une scène qui est un moment de connivence enjouée
entre Germaine et Violette à l’endroit de cet Émile. La photo d’Émile est cachée sous le matelas du
lit de Violette, ce que Germaine désigne comme étant une imprudence dont elles rient ensemble.
379. C. Chabrol esquisse une telle scène qui fait Germaine se voiler le visage pour ne pas avoir à
répondre lors de la confrontation du 18 octobre.
380. Me Boitel, Plaidoirie, op. cit., p. 277.
381. Ibid.
382. « Quel lien entre Blosset et Violette Nozière ? » Quelques notes sur cette conférence sont
consultables sur Internet.
383. Contacté fin 2020, Me J.-F. Morlon qualifie ses conclusions de provisoires. Il nous indique
aussi les dates suivantes pour la naissance et le décès d’Émile Violette : 1880-1936.
384. J. Lacan, « Petit discours aux psychiatres », 10 novembre 1967, hôpital Sainte-Anne, dans
Petits Écrits et conférences. 1945-1981, s.l.n.d, publication pirate anonyme, p. 469-499.
385. Ibid., p. 488. Chez J. Lacan, le signifiant représente le sujet auprès d’un autre signifiant.
Autrement dit, il est impossible de s’en tenir à ce qui serait un sens premier – ni dernier.
386. Ibid.
387. M. Duras, La Douleur, Paris, P.O.L., 1985, réédité chez Gallimard dans la collection « Folio »,
1993.
388. Marcelle Marini, « Une femme sans aveu », L’Arc, no 98, « Marguerite Duras », 1985, p. 12.
Dans la même veine à propos de Foucault, François Ewald : « Foucault, une pensée sans aveu »,
Magazine littéraire, no 127-128, « Vingt ans de philosophie en France », 1977, p. 23-26.
389. M. Marini, « Une femme sans aveu », art. cité, p. 12.
390. J. Allouch, Marguerite, ou l’Aimée de Lacan, op. cit., p. 396.
391. M. Foucault, Le Courage de la vérité. Le gouvernement de soi et des autres II, Cours au Collège
de France. 1984, édition établie sous la direction de François Ewald et Alessandro Fontana par
Frédéric Gros, Paris, Éditions du Seuil/Gallimard, coll. « Hautes Études », 2009. Voir l’éclatante leçon
du 29 février 1984.
392. France-Soir du jeudi 26 février 1953, p. 3.
393. Karl Marx, « Contribution à la critique de la philosophe du droit de Hegel. Introduction »,
écrit fin 1843-janvier 1844, paru dans les Annales franco-allemandes, 1844, repris dans Karl Marx et
Friedrich Engels, Études philosophiques [titre de l’éditeur], nouvelle éd. revue et augmentée,
introduction de Guy Besse, Paris, Éditions sociales, coll. « Classiques du marxisme », 1977, p. 25.
394. Voir la section « Un procès rapide », partie II, p. 107.
395. Emmanuel Pierrat, « Vous injuriez une innocente ». L’affaire Grégory. 1993, suivi de « Si
Violette a menti ». L’affaire Nozière. 1934, Paris, Points, 2018, p. 40.
396. Cette notion « d’auto-punition » est connue dès les années 1930. Un bilan en est présenté par
Angelo Hesnard et René Laforgue, Les Processus d’auto-punition en psychologie des névroses et des
psychoses, en psychologie criminelle et en pathologie générale, Paris, Denoël & Steele, 1931. Elle vient
dans le sillage de la notion freudienne de « sur-moi » (Über-Ich). « C’est le sur-moi qui inflige au moi
la punition » (p. 66). Présentant ses antécédents en 1966, et évoquant sa thèse de médecine sur le cas
Aimée (1932), J. Lacan écrit : « Ainsi approchions-nous de la machinerie du passage à l’acte, et ne
fût-ce qu’à nous contenter du portemanteau de l’autopunition que nous tendait la criminologie
berlinoise par la bouche d’Alexander et Staub, nous débouchions sur Freud », Écrits, op. cit., p. 66.
Voir Franz Alexander et Hugo Staub, Le Criminel et ses juges [1928], Paris, Gallimard, coll.
« Psychologie », 1938.
397. « Affaire Nozières », Figaro du 15 septembre 1933, p. 4.
398. Guy Le Gaufey, « L’“abandon” de la théorie de la séduction chez Freud », première partie,
Revue du Littoral, no 34-35, « La part du secrétaire », 1992, p. 201-223, seconde partie Revue du
Littoral, no 36, « Écritures lacaniennes », 1992, p. 211-230. À eux seuls, les guillemets dans le titre de
cette étude sur le mot « abandon » indiquent d’emblée que celui-ci n’est pas si absolu.
399. G. Le Gaufey, « L’“abandon” de la théorie de la séduction chez Freud », art. cité, p. 204-205.
400. S. Freud, Lettres à Wilhelm Fließ, 1887-1904, Lettre 139, éd. complète établie par J. Moussaieff
Masson, éd. allemande revue et augmentée par M. Schröter, transcription de G. Fichtner, traduit de
l’allemand par F. Kahn et F. Robert, Paris, PUF, Coll. « Bibliothèque de la psychanalyse », 2006,
p. 334 ; probablement un neutre pluriel note l’éditeur.
401. Ibid., nos italiques.
402. Ibid., p. 335.
403. S. Freud, Contribution à l’histoire du mouvement psychanalytique [1914], dans OCF/P XII,
p. 247-315, spécialement p. 259-260.
404. Un faisceau est une ligne ferroviaire à double voie, distinguée d’une voie unique.
405. Phrase écrite en lettres capitales dans le procès-verbal d’audition.
406. Écriture du greffier : « chose » tracé en très gros caractères.
407. P. Legendre, Le Crime du caporal Lortie. Traité sur le Père, op. cit. Cette doctrine s’énonce
ainsi : « Le gouvernement du Québec avait le visage de mon père. » Rose-Marie Mariaca Fellmann,
Le parlem du caporal Lortie, traduit de l’espagnol par Annick Allaigre, préface de Marie-France
Basquin, Paris, Cahiers de l’Unebévue, 2014.
408. Article 331 du Code pénal de 1810 : « Quiconque aura commis le crime de viol, ou sera
coupable de tout autre attentat à la pudeur, consommé ou tenté avec violence contre les individus
de l’un ou l’autre sexe, sera puni de réclusion. » L’article 332 prévoit la peine des travaux forcés à
temps si le crime a été commis sur la personne d’un enfant en dessous de l’âge de 15 ans. Voir Pierre
Lascoumes, Pierrette Poncela et Pierre Lenoël, Au nom de l’ordre. Une histoire politique du Code
pénal, Paris, Hachette, 1989. Cet ouvrage, précieux à plus d’un titre, comporte un fac-similé du
premier des codes révolutionnaires, le Code pénal de 1791, et du suivant, le Code pénal de 1810.
409. Rappelons qu’en mai 1932, Violette est inscrite aux cours secondaires en classe de troisième.
Au début du mois d’avril ses absences sont de moins en moins justifiées. Violette est vue par le
directeur et plusieurs personnes de cet établissement à plusieurs reprises « en compagnie d’un jeune
homme ». Jean Leblanc peut être le jeune homme pris dans cet œil enseignant et dénonciateur (voir
la section « À la base, un jeune homme », partie III, p. 179).
410. José Pierre, « Violette Nozières et les surréalistes », dans Violette Nozières, par André Breton
et al., éd. de 1991, op. cit., p. 7.
411. Molière, L’Impromptu de Versailles, dossier et notes réalisés par Jean-Luc Vincent, lecture
d’image par Valérie Lagier, Paris, Gallimard, 2006, coll. « Folioplus classiques », 2006.
412. Ibid., p. 31.
413. Anne-Emmanuelle Demartini et Agnès Fontvieille, « Violette Nozières ou le fait divers
médiatique au miroir surréaliste » dans Emmanuelle André, Martine Boyer-Weinmann et Hélène
Kuntz (sous la dir. de), Tout contre le réel. Miroirs du fait divers. Littérature, théâtre cinéma, Paris, Le
Manuscrit, coll. « L’Esprit des lettres », 2008, p. 125.
414. A.-E. Demartini, op. cit., p. 221.
415. Ibid., p. 222.
416. Ibid., p. 231.
417. M. Aymé, « Peine de mort », art. cité, p. 254.
418. S. Maza, op. cit., p. 136.
419. A.-E. Demartini, op. cit., p. 12.
420. Ibid., p. 102.
421. Ibid., p. 214.
422. Ibid.
423. A.-E. Demartini, « L’affaire Nozière. La parole sur l’inceste et sa réception dans la France des
années 1930 », Revue d’histoire moderne et contemporaine, no 56, 2009, p. 190-214, spécialement :
« Inceste, vrai ou faux ? », p. 212-214. Sur épistémologie et historiographie, on se reportera, par
exemple, à Jean-Pierre Vernant, La Traversée des frontières. Entre mythe et politique II, Paris, Éditions
du Seuil, coll. « La Librairie du xxie siècle », 2004, p. 55.
424. A.-E. Demartini, op. cit., p. 372, nos italiques. Pourtant, d’une complicité de Germaine, pas
d’indice.
425. Jean-Bertrand Pontalis, « Le fait du crime », dans Jean Clair (sous la dir. de), Crime et
châtiment, Paris, Gallimard/Musée d’Orsay, 2010, p. 291.
426. J. Allouch, Ombre de ton chien. Discours psychanalytique, discours lesbien, Paris, Epel, 2004,
p. 40.
427. Voir en Annexe I la transcription de la conversation avec sœur Saint-Vincent, le 9 juin 2006.
428. Déclaration en réponse à une question du procureur de la République, voir F. Dupré, La
« Solution » du passage à l’acte. Le double crime des sœurs Papin, op. cit., p. 35, nos italiques ;
réédition à Paris, chez Beauchesne (2021), précédé de Les sœurs Papin étaient trois et n’ont jamais été
« sœurs » par Jean Allouch.
429. G. S., « Violette Nozières empoisonneuse et parricide », Figaro du 30 août 1933, p. 1.
430. Donald W. Winnicott, « L’immaturité de l’adolescent » [1968], dans Conversations ordinaires
[Home is Where We Start From, 1986], Paris, traduit de l’anglais par Brigitte Bost, Paris, Gallimard,
coll. « Folio essais », 2004, p. 230, nos italiques. Winnicott sait qu’avec ce terme d’« immaturité » il
risque d’être mal interprété, « car ce mot peut facilement avoir l’air péjoratif » (p. 231).
431. Cet écrit est publié par J.-M. Fitère, qui a disposé des archives de Me de Vésinne-Larue,
op. cit., p. 109 et suiv.
432. C. Joly dit « 18 h 30 ».
433. Dans sa déposition du 21 septembre auprès du juge d’instruction, C. Joly ne fait pas état
d’une quelconque discussion avec son voisin et collègue Nozière, mais, à l’ultime moment de sa
déposition, il mentionne ce propos de Baptiste à sa fille : « Ce n’est pas bien ce que tu as fait là
Violette. »
434. Sur cette plaquette, voir A.-E. Demartini, A. Fontvieille, « Le crime du sexe. La justice,
l’opinion publique et les surréalistes : regards croisés sur Violette Nozières », dans Michèle Perrot,
Jacques-Guy Petit, Christine Bard et Frédéric Chauvaud (sous la dir. de), Femmes et justice pénale.
xixe-xxe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Histoire », 2002, p. 243-252.
435. Alberto Giacometti, Écrits, présentés par Michel Leiris et Jacques Dupin, préparés par Mary
Lisa Palmer et François Chaussende, Paris, Hermann, coll. « Savoir sur l’art », 1990, p. 156 pour le
poème et p. 157 pour la double esquisse ; celle-ci préfigure le dessin qui sera publié dans la plaquette
des surréalistes. Il est reproduit dans la section « Le mouvement de feu de Violette », partie III,
p. 206.
436. Violette a donc été interrogée sur ces taches de sang. Une telle interrogation ne figure pas
aux procès-verbaux de l’instruction.
437. Il s’agit du surlendemain dans la nuit du mardi 22 au mercredi 23 août.
438. La question suivante peut sauter au visage de Violette, si Baptiste n’est plus dans
l’appartement, c’est qu’il en est sorti. Que pourrait être son retour ? Une effroyable confrontation.
439. J. Lacan, L’Acte psychanalytique, séminaire 1967-1968, séance du 29 novembre 1967, version
Afi, hors commerce, s.l., 1997, p. 59, nos italiques. Et J. Allouch, Marguerite, ou l’Aimée de Lacan,
op. cit., p. 403. J. Allouch marque de cinq traits la notion de passage à l’acte (p. 403).
440. Ibid., séance du 29 novembre 1967. Et J. Lacan, au Venezuela à Caracas, le 12 juillet 1980 :
« Pourquoi ne pas admettre que la paix sexuelle des animaux, à m’en prendre à celui qu’on dit être
leur roi, le lion, tient à ce que le nombre ne s’introduit pas dans leur langage, quel qu’il soit. Sans
doute le dressage peut-il en donner apparence. Mais rien que ça. » dans J. Lacan, Petits Écrits et
conférences, op. cit., p. 194-195.
441. J.-M. Fitère, op. cit., p. 77, nos italiques.
442. À l’inverse, dans leur rapport du 23 août adressé au commissaire de police du quartier de
Picpus, Félix Le Guillou de Penanros, les gardiens de la paix Gailland et Poulmar notent : « Un
certain désordre régnait dans le logement, une partie de la literie se trouvait sur le parquet, mais
aucune arme n’a été trouvée. »
443. Ce détail dit l’exiguïté du logement par la proximité de la table de la salle à manger et du lit
pliant de Violette.
444. Dans son écrit précité, Violette indique que c’est surtout sa mère qui exprima le désir de lui
voir écrire cette lettre à Jean Dabin.
445. Conversation du 24 octobre 1997, précitée.
446. « Le sujet dépend de cette cause qui le fait divisé et qui s’appelle l’objet a. » J. Lacan, L’Acte
psychanalytique, séance du 10 janvier 1968, p. 86.
447. A. Gide, Souvenirs de la cour d’assises [1914, 1924, 1954], édition de Pierre Masson, Paris,
Gallimard, coll. « Folio », 2009, p. 66, nos italiques. (Également publié dans la collection « Blanche »
avec L’Affaire Redureau et La Séquestrée de Poitiers en 1930, 1957 et 1969, sous le titre : Ne jugez pas.)
448. Ibid., p. 69, italiques de Gide.
449. Ibid., nos italiques.
450. S. Freud, « Pulsions et destins des pulsions » [Trieb und triebschicksale, 1915], OCF/P, XIII,
p. 163-187.
451. A. Gide, Souvenirs de la cour d’assises, op. cit., p. 70-71, nos ital. La logeuse : « Il frappait vite,
comme on timbre les lettres » (p. 73).
452. Ibid., p. 70.
453. En quoi il faudrait encore conclure que cette absence de sujet qui fait le crime passer par un
support consistant (par un canal effectif – ce qui n’est pas rien), n’est pas absolue absence de sujet.
Sans ce support consistant, le crime ne passe pas. Radicale absence plutôt qu’absolue absence. C’est
un cas de sujet quasi indivis pris au piège du passage de la pulsion dans ce canal qui ainsi se
présente, s’ouvre et laisse passer.
454. Nous suivons ici les indications du fascicule d’Emmanuel Pierrat, « Vous injuriez une
innocente ». L’affaire Grégory 1993 suivi de « Si Violette a menti ». L’affaire Nozière 1934, op. cit.
455. « “Les lieux vont parler”, pense-t-elle. Elle entreprend donc le voyage à Lépanges en
compagnie d’un journaliste de Libération, Éric Favereau, et de Yann Andréa. Duras est déçue, sa
demande d’entrevue avec Christine Villemin n’a pas été exaucée. […] Elle insiste. Christine Villemin
refuse de nouveau. Si elle ne veut pas lui parler, consentirait-elle à la voir, seulement la voir sans lui
adresser la parole, demande Marguerite à son avocat. » Laure Adler, Marguerite Duras, Paris,
Gallimard, coll. « Folio », 2000, p. 808.
456. Texte consultable sur Internet.
457. Pour un exemple rendu public de désaccord avec M. Duras sur cette affaire, celui de Philippe
Besson, « Notre unique différend », Le Magazine littéraire, no 452, « Marguerite Duras visages d’un
mythe », 2006, p. 56. Voir aussi Patricia Tourancheau, « L’affaire Gregory, le mystère imaginaire »,
Libération du 2 octobre 2006, p. 6-8. C’est vers B. Laroche que le glaive de la balance penche… Le
juge d’instruction lui ne doutait plus, finalement, de son innocence et n’a pas cessé de le faire savoir.
458. Jean-François Lyotard, Le Différend, Paris, Les Éditions de Minuit, coll. « Critique », 1983,
p. 257.
459. « Christine V. aurait osé jouer la démesure d’un geste transgressif pour objecter à la mesure
de son existence – comme toutes les héroïnes durassiennes, devrait-on ajouter : l’Américaine du
Marin de Gibraltar (1952), la jeune fille du Square (1955), Maria dans Dix heures et demie du soir en
été (1960), Lol V. Stein, Anne-Marie Stretter, Alissa Thor (Détruire dit-elle), la dame du Camion,
frappée elle aussi par “la noblesse de la banalité…” Jean Cléder, Duras, Paris, François Bourin, coll.
« Icônes », 2019, p. 85.
460. E. Pierrat, « Vous injuriez une innocente ». L’affare Grégory 1993, op. cit., p. 26.
461. « Lettre à Isabelle C. », dans L. Adler, Marguerite Duras, op. cit., p. 887-888. Annexes incluses,
ce sont les derniers mots de la volumineuse biographie de Laure Adler.
462. J. Lacan, « La méprise du sujet supposé savoir », Scilicet, no 1, 1968, p. 35.
463. J. Lacan, « La Troisième », Rome, 1er novembre 1974, intervention au VIIe Congrès de l’École
freudienne de Paris, texte établi par J.-A. Miller, La Cause freudienne, no 79, « Lacan au miroir des
sorcières », 2011, p. 31.
464. J. Allouch, L’Autresexe, Paris, Epel, 2015, p. 48.
465. Me Boitel, Plaidoirie, op. cit., p. 288.
466. Dans son écrit précité, Violette dit autre chose : « Ma mère était alors couverte d’un drap
[…]. »
467. S. Freud, OCF/P XIII, p. 26 et suiv. Sur la portée du désir dudit « homme aux loups », voir
George-Henri Melenotte, Substances de l’imaginaire, Paris, Epel, 2004, p. 212.
468. G. Bataille, Les Larmes d’Éros, op. cit., p. 195. D’une BD portant sur quatre femmes : Marie
Lafargue, Marguerite Steinheil, Violette Nozière, Pauline Dubuisson, Violette Nozière fait la
couverture à elle seule. Ce dessin de la couverture ne se trouve pas dans l’album. Les trois autres
femmes n’ont pas eu droit à la couverture. Sur celle-ci, c’est fantasme à guichet ouvert. Thierry
Massiano et Yves Llopiz, Les Grandes Criminelles, Grenoble, Glénat, coll. « Série BD noire », 1981.
469. Benjamin Péret, Un point, c’est tout [1941], cité par Annie Le Brun, Les mots font l’amour
(citations surréalistes), précédé de Détours de Jean Schuster, Paris, Éric Losfeld, 1970, coll. « Le
Désordre », p. 44. Cette citation de B. Péret est située dans un paragraphe dont le titre vient de
A. Breton : « Pas de concession au monde et pas de grâce. »
470. Quiberon est une station classée climatique dès le début des années 1920. Enfant, Violette a
souffert d’asthme. Du 1er juillet au 1er août 1932, elle est à Quiberon avec sa mère.
471. Souligné de deux traits dans le corps de la lettre. Réfléchir deux fois plutôt qu’une – à
franchir pour la seconde fois un saut épique ? Ce franchissement est/sera pour le soir même.
472. J. Pierre, « Violette Nozières et les surréalistes », préface à la réédition de la plaquette Violette
Nozières, par A. Breton et al., op. cit., p. 8.
473. Henri Ey, La Conscience, Paris, PUF, coll. « Le Psychologue », 1963, p. 427.
474. J. Lacan, « Propos sur la causalité psychique » [1946], dans Écrits, op. cit., p. 176 ; première
publication dans L’Évolution psychiatrique, 1947, fascicule I, p. 123-165.
475. H. Ey, La Conscience, op. cit., p. 427, note 1. Entre guillemets ce qui est strictement la citation
de Lacan. Voir J. Lacan, « D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose »,
La Psychanalyse, vol. 4, « Les Psychoses », 1958, p. 42 ; réédité dans J. Lacan, Écrits, op. cit., p. 575.
476. J. Lacan, La Psychanalyse, vol. 4, op. cit., p. 42 ; J. Lacan, Écrits, op. cit., p. 575.
477. J. Lacan, « Propos sur la causalité psychique », Écrits, op. cit., p. 176.
478. Ibid. Après le mot « insulte » entre guillemets, un appel de note invite le lecteur à se reporter
à la page 157 des Écrits. Lacan y cite Ey pour qui « les maladies mentales sont des insultes et des
entraves à la liberté, elles ne sont pas causées par l’activité libre, c’est-à-dire purement psycho-
génétiques ».
479. M. Foucault, « Le langage en folie » (4 février 1963), troisième émission diffusée par RTF III
national, d’une série de cinq émissions consacrées aux langages de la folie, réalisateur Jean Doat,
dans M. Foucault, La Grande Étrangère. À propos de la littérature, édition établie et présentée par
Philippe Artières, Jean-François Bert, Mathieu Potte-Bonneville et Judith Revel, Paris, Éditions de
l’EHESS, 2013, coll. « Audiographie. La voix des sciences sociales », p. 52.
480. M. Foucault, « Sorcellerie et folie », entretien avec Roland Jaccard, à propos du livre de
Thomas Szasz, Fabriquer la folie, Le Monde du 23 avril 1976, p. 18. Réédité dans M. Foucault, Dits et
écrits, t. III, édition établie sous la direction de Daniel Defert et François Ewald avec la collaboration
de Jacques Lagrange, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des sciences humaines », p. 91, nos
italiques.
481. J. Lacan, Les Structures freudiennes des psychoses, séminaire 1955-1956, séance du 11 avril 1956,
version Afi, s.l., s.d., p. 352.
482. Patricia Janody, Zone frère. Une clinique du déplacement, Paris, Epel, coll. « Monographie
clinique », 2014, p. 45.
483. J. Lacan, séance du 11 février 1975 du séminaire RSI, inédit, nos italiques. J. Lacan revient sur
cette disputatio avec H. Ey, vingt-sept ans après son article de 1946 « Propos sur la causalité
psychique », lors de la séance du 11 décembre 1973 de son séminaire inédit Les non-dupes errent, en
un moment remarquable, à partir de la problématisation du nœud borroméen.
484. Hebdomadaire Marianne du 6 septembre 1933, chronique rééditée dans P. Drieu la Rochelle,
Chroniques des années 1930, op. cit., p. 54. Drieu part de l’imaginaire, et de sa puissance, en effet. ».
485. Médium, no 5, mars 1953. Sa note est republiée par J. Pierre dans sa préface à la réédition
de 1991 de la plaquette Violette Nozières, par A. Breton et al., op. cit., p. 14.
486. F. Balmès, Structure, logique, aliénation, op. cit., p. 92-93. Cette explicitation de J. Lacan : « Là
où je pense, je ne me reconnais pas, je ne suis pas, c’est l’inconscient. Là où je suis, il est trop clair
que je m’égare. » Séminaire L’Envers de la psychanalyse, séance du 11 mars 1970, op. cit., p. 118. D’où
cette devise analytique que l’on en tirera : « Ni ne pense, ni ne suis (désêtre). »
487. J. Allouch, Nouvelles Remarques sur le passage à l’acte, Paris, Epel, coll. « essais », 2019, p. 55.
488. A. Gide, Ne jugez pas, Paris, Gallimard, coll. « Blanche », 1969, p. 95-135. L’affaire Redureau a
d’abord été publiée en 1930 et rééditée dans la collection « Folio » chez le même éditeur, sous un
titre de couverture qui porte sur une autre affaire ne laissant pas apparaître l’affaire Redureau :
A. Gide, La Séquestrée de Poitiers, Paris, Gallimard, 1977.
489. Moi, Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère, ma sœur et mon frère… Un cas de parricide au
xixe siècle présenté par Michel Foucault, Paris, Gallimard/Julliard, coll. « Archives », 1973, réédité
chez Gallimard dans la collection « Folio histoire », 1994, p. 163.
490. « Tous les corps étaient affreusement mutilés et il apparaissait avec évidence que le
meurtrier, non content de donner la mort, s’était acharné sur ses victimes avec une telle sauvagerie
qu’il devient impossible de faire le compte des coups portés, tant les blessures étaient rapprochées et
multiples », nos italiques (A. Gide, Ne jugez pas, op. cit., p. 102-103). Exemplaire passage du crime.
491. « Mon frère Jule était revenu de l’école. Profitant de cette occasion je saisis la serpe, j’entrai
dans la maison de ma mère et je commis ce crime affreux, en commençant par ma mère, ensuite ma
sœur et mon petit frère, après cela, je redoublai mes coups », nos italiques (Moi, Pierre Rivière, op. cit.,
p. 170). Dans ce redoublement nous lisons en quoi le passage du crime vient redoubler et conclure le
récit épique. Fin de partie. P. Rivière demande la mort.
492. Ibid., p. 170.
493. Sur cette problématique des deux analytiques du sexe, voir J. Allouch, Pourquoi y a-t-il de
l’excitation sexuelle plutôt que rien ?, Paris, Epel, coll. « essais », 2017.
494. Le Monde du 22-23 novembre 2020, p. 30.
495. Ici, un livre s’impose, celui de Georges Didi-Huberman, Ouvrir Vénus, Nudité, rêve, cruauté.
L’image ouvrante I, Paris, Gallimard, coll. « Le Temps des images », 1999.
Quatrième partie
L’accord à deux
Avant, de l’autre côté de la pénitentiaire
Un certain Eugène Coquelet
Un certain Eugène Coquelet (1887-1952) est le futur beau-père de
Violette. Eugène Coquelet a conduit sa vie avec une indéfectible ténacité
dont il aura été le premier metteur en scène, le premier, pas le seul. Avec sa
propre histoire saccadée, il serait possible de revisiter des moments
charnières de l’histoire politique en France de la première moitié du
xxe siècle. Il est né le 20 février 1887 à Argenton-sur-Creuse dans l’Indre.
Fils unique, il exerce d’abord le métier de scieur de long. Il se marie le
29 avril 1911 avec Marguerite Gobard qui connaîtra treize maternités. Il
s’oriente vers l’armée.
Il est appelé à l’activité par décret du 1er août 1914 du fait de la
mobilisation générale contre l’Allemagne. À Fleury devant Douaumont, le
27 août 1916, il est blessé par une balle ennemie qui lui laisse une plaie
dans « la région postérieure de l’omoplate droite » ; il est évacué. En
février 1919, il obtient un congé illimité de démobilisation et se retire à
Villedieu dans l’Indre496.
Gardien de prison, puis commis
Après la guerre, Eugène Coquelet se tourne vers l’administration
pénitentiaire. En janvier 1919, il sollicite et obtient un poste de gardien de
prison. Dans son dossier administratif naissant, on trouve sa photographie
en tenue de chasseur alpin, accompagnée des mentions suivantes :
« Intelligence vive et qui paraît très développée. Bonne instruction
primaire. Robuste, très bonne tenue. Pourrait faire un bon service dans
n’importe quel établissement mais préférerait la maison centrale de
Fontevraud, ancien blessé de guerre » (figure 1).
Figure 1
La vie d’après
Une demande de changement de nom
Libérée de prison le 29 août 1945, Violette s’est inscrite le 10 septembre
suivant aux cours de dactylographie à l’école Pigier à Paris, sous le nom
de… Germaine Hézard498. Dès sa sortie de prison, elle se présente sous le
nom qui fut celui de sa mère jeune fille499. Une « Germaine Hézard »
succède, nominalement, à une ex-Germaine Hézard devenue Germaine
Nozière. C’est sous la protection de ce nom que Violette sort de prison et
accomplit les premiers gestes de sa vie « civile ». Elle va plus loin ;
conséquente avec ce geste, elle engage une procédure juridique en
changement de nom, en adressant le 15 avril 1946, une lettre au garde des
Sceaux, par laquelle elle demande « l’autorisation de substituer à son nom
patronymique de Nozière celui de Hézard ». La demande elle-même doit
faire l’objet d’une publication au Journal officiel. Licite, cette demande
s’affronte au principe de l’immutabilité du nom patronymique500 dont la
portée n’est pas absolue. La demande doit être motivée. De quels motifs
Violette excipe-t-elle ? Elle rappelle la condamnation à mort et sa non-
exécution, et ses moments de détention : « Un an à la Petite Roquette,
quinze501 jours à Fresnes, cinq ans et demi à Haguenau, et, cinq ans et trois
mois à Rennes ». Elle rappelle que pendant toute la durée de ces
détentions, elle « a eu à cœur de se racheter, de la faute qu’elle avait
commise, par une conduite exemplaire. » C’est grâce à cette conduite
qu’elle a obtenu la commutation de peine à douze années de travaux forcés
– le canal religieux dominicain est indirectement renvoyé à lui-même et à
sa mobilisation pour une Violette Nozière qui serait devenue béthanienne.
Elle place aussi cette décision de commutation de peine sur la tête de
« M. le Ministre de la Justice », et non sur celle du chef de l’État qui a
voulu et pris cette décision dont le nom est passé dans les dessous de sa
demande – et de l’histoire aussi. Elle dit ce qui serait son seul désir, « celui
de vivre modestement sans attirer l’attention sur elle ». Elle écrit que son
nom de Violette Nozière est à ce point connu du public
qu’il est de nature à l’empêcher de mener toute vie normale. À l’heure
actuelle, l’exposante est obligée de se passer de toutes cartes
d’alimentation, et de vivre des cadeaux qu’on lui fait, tant le fait d’user
d’une carte d’alimentation à son nom apparaît de nature à lui causer
des désagréments. L’exposante demande donc, simplement, qu’on lui
permette de mener une vie normale, en gagnant sa vie, ce qu’elle ne
peut faire si elle continue à porter le nom de Nozière.
Germaine a fait savoir par écrit à sa fille son parfait accord pour cette
substitution de nom et de prénom. Si le ministre de la Justice fait droit à la
requête, le nom de Violette Nozière s’effacera de la vie courante de la
requérante pour celui de Germaine Hézard (figure 2). La fille demande à
porter le prénom et le nom de sa mère, sans écart, pas même de prénom,
même si le prénom choisi est son second prénom à l’état civil.
Figure 2
Figure 4
Figure 6
496. Eugène Coquelet sera réformé temporairement puis définitivement en 1921, avec une
pension permanente d’invalidité de 20 % en 1924, puis de 30 % en 1928.
497. Les dates de naissance des enfants Coquelet sont celles-ci : Henri, né en mars 1912, Camille,
né en avril 1914, Albert, né en novembre 1915, Pierre, né le 19 février 1919 (futur mari de Violette),
Joseph, né en octobre 1921, Marie-Madeleine, née en septembre 1923, Jean-Jacques, né en
janvier 1925, Roger, né en août 1927, Gérard, né en octobre 1929, Henriette, née en mars 1933 et
Christian, né en avril 1935. Situation de famille établie par Eugène Coquelet dans un courrier du
1er décembre 1942, alors qu’il est à la maison centrale de Fontevraud (Maine-et-Loire).
498. Rapport de l’inspecteur Guillossou du 11 juillet 1951 : « Le 7 mai 1946, elle est tombée
souffrante et il ne semble pas qu’elle ait poursuivi les cours de perfectionnement. »
499. Indication de Michèle Aba (fille de Violette), lors du séminaire de criminologie UMA,
université Paris Nanterre/maison d’arrêt des Hauts-de-Seine, séance du 6 novembre 2018.
500. Gérard Cornu, Droit civil. Introduction. Les personnes. Les biens, Paris, Éditions Montchrestien,
coll. « Domat Droit privé », 1993, p. 215.
501. « 15 jours à Fresnes » ? Ce chiffre « 15 » insiste, poursuivant sa course, mine de rien ce…
15 avril 1946. Le « 15 décembre » 1932 est la clé d’ouverture que nous avons avancée du passage du
crime. Ce soir-là fut une déflagration. Voir la section « Coups portés », partie I, p. 21 et la section
« Un, deux – trois : passage du crime », partie III, p. 257.
502. Sur le poème de Paul Éluard, on se reportera à la belle étude d’Agnès Fontvieille, « La
question de l’énonciation dans le poème de Paul Éluard publié dans le recueil surréaliste Violette
Nozières (décembre 1933) », Le Gré des langues, no 15, 1999, p. 90-111.
503. « Rapport sur la tristement célèbre Nozière, Violette Germaine, née le 11 janvier 1915 à
Neuvy. Après un séjour de douze ans dans les centrales de Haguenau et de Rennes. » La prison
pénale comme « séjour » ? Un exemple (grossier) de « Là où je pense, je ne suis pas ».
504. Clémence est décédée le 15 février 1951 à Neuvy-sur-Loire.
505. Un rapport de l’inspecteur Guillossou du 11 juillet 1952 mentionne que P. Coquelet est né le
19 février 1919 à Villedieu (Indre), il est divorcé de Jeanne Roger. De ce premier mariage est né un
fils, Alain, en janvier 1943, les époux sont domiciliés à Joinville-le-Pont dans le département de la
Seine. Source : mairie de Créteil, le 9 juillet 1951. Alain Coquelet est psychiatre.
506. Cité par Sylvie Lapalus, La Mort du vieux. Une histoire du parricide au xixe siècle, op. cit.,
p. 309-310. Ces Notes sont publiées en 1888 à Nice.
507. François Coquelet est décédé le 8 juin 2019.
508. Voir J.-M. Fitère, op. cit., p. 211-212.
509. Voir Bulletin des arrêts de la chambre criminelle de la Cour de cassation, no 302, p. 500-501 et
Gazette du Palais, 1er semestre, 1953, p. 136 et la note.
510. Voir la section « La ligne “Émile” », partie III, p. 225.
511. Voir la section « Avant, de l’autre côté de la pénitentiaire », partie IV, p. 289.
512. France Dimanche, no 342, semaine du 15 au 21 mars 1953, p. 4.
513. Germaine vient ainsi d’écrire que l’entrée de Violette dans un ordre religieux aurait prolongé
et redoublé le temps de rétention de sa fille, sans fin.
514. P. Coquelet, « enfant » de Germaine… Belle-mère et gendre se vouvoyaient.
515. Nous avons lu que « faveur » vient juste après « bienveillance » dans l’attendu de la chambre
criminelle de la Cour de cassation.
516. « Mesure de bienveillance » est l’expression de la chambre criminelle pour définir la
réhabilitation judiciaire ; Germaine pousse jusqu’à la « bonté », qui est une vertu.
517. Propos de Michèle Aba au séminaire de criminologie UMA (université Paris Nanterre/maison
d’arrêt des Hauts-de-Seine), séance du 26 novembre 2018.
518. Combat du mercredi 29 avril 1953, p. 8.
519. Avant cela, P. Coquelet avait travaillé comme chef-cuisinier à la cantine de la SNCF à
Rennes. « Par la suite, il a exercé cette même profession de novembre 1946 à avril 1947, à
l’Association des étudiants protestants, 46 rue de Vaugirard à Paris (6e). » Rapport du 11 juillet 1952
de l’inspecteur Guillossou, précité.
520. Cette loi du 30 août 1947 est relative à l’assainissement des professions commerciales et
industrielles.
521. Déjà le France-Soir du 22-23 février 1953 (p. 4.), dans un article non signé, avait donné le ton :
« La décision qu’elle [la cour d’appel] va rendre équivaut à une véritable absolution, car aux termes
de la loi, la réhabilitation efface la condamnation et fait cesser pour l’avenir toutes les incapacités
qui en résultent. Elle dira si Violette Nozière en est digne. » L’hebdomadaire Paris Match tient la
palme christique : « Violette Nozières : l’histoire d’une résurrection ». Dans ce reportage, Henriette
Chandet et Hubert de Segonzac écrivent à propos de la détention pénale de Violette à Rennes : « On
a confiance en elle, ses aptitudes et son sérieux au travail lui ont valu d’être nommée expert-
comptable. Elle fait en ville des remplacements de mobilisés. Elle sort seule, en robe noire. Elle
rentre tard le soir, parfois presque à minuit » (Paris Match, no 208, mars 1953, p. 44). Les journalistes
s’amusent-ils ?
522. Cassation, 12 février 1963, Bulletin des arrêts de la chambre criminelle, no 72, p. 153-154, et
Gazette du Palais, 1er semestre, 1963, p. 434, avec une très brève note. Voir aussi Alfred Légal,
« Chronique de jurisprudence. 3. Les conditions de la réhabilitation judiciaire », Revue de science
criminelle et de droit pénal comparé, vol. XVIII, no 3, 1963 p. 798-800.
523. Nous empruntons ici à l’étude de A.-E. Demartini, « “Elle était en fait un prix de vertu.” La
réhabilitation de la parricide Violette Nozière », dans Claude Gauvard (sous la dir. de), Punir et
réparer en justice du xve au xxie siècle, préface de Denis Salas, La Documentation française, coll.
« Histoire de la justice », 2019, p. 109-118, spécialement p. 113-117. La citation en italiques qui fait
titre pour cet article est une citation de Me de Vésinne-Larue, extraite d’une déclaration publiée par
le journal L’Aurore du 29 novembre 1966. Les Archives nationales nous ont fait connaître par
courriel que pour des raisons matérielles (l’insécurité des bâtiments où le dossier est conservé),
celui-ci ne pourrait être consulté avant longtemps…
524. Notice Wikipédia, « Violette Nozière », Référence no 78. Dans son livre, A.-E. Demartini date
la décision de la cour d’appel de Rouen du 22 août 1963, op. cit., p. 360.
525. Marcel Fréjaville et Jean-Claude Soyer, Manuel de droit criminel, 10e éd. entièrement refondue
et mise à jour, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1964, p. 110.
526. Roger Merle et André Vitu, Traité de droit criminel. Procédure pénale, 3e éd., Paris, Cujas, 1979,
p. 979.
527. L’ordonnance de clôture de l’instruction du 5 janvier 1934 transcrit : « une ceinture
abdominale qu’elle portait toujours sur elle ».
528. M. Duras, L’Amante anglaise [1986], Paris, Gallimard, 1967, coll. « L’imaginaire », 2010.
529. Le texte de cette lettre est donné dans la section « Un, deux – trois : passage du crime »,
partie III, p. 257.
530. « L’Autre, vu comme Khôra, est bien, chez Platon, entre autres choses, la mère. » J. Allouch,
L’Autresexe, op. cit., p. 189.
531. Le prénom « Violette » n’était pas d’usage dans la famille ; peu causante, Germaine l’appelait
« Germaine » ou « Nénette », ce dernier diminutif venant de son mari Pierre Coquelet.
532. Voir « L’érotique sexuée “feumelle” : origyne », Spy, 2019, p. 33.
533. Augustin Berque, « La chôra chez Platon », dans Thierry Paquot et Chris Younès (sous la dir.
de), Espace et lieu dans la pensée occidentale. De Platon à Nietzsche, Paris, La Découverte, 2009, p. 22.
534. Ibid., p. 26.
535. J. Dabin lors de l’audition du 30 août 1933 : « Jamais je ne l’ai entendu dire du mal de sa
mère. »
536. Voir Roger Taccoën, Une certaine joie de vivre, préface de Jacques Duquesne, Sartrouville,
Socodim, 1993.
537. Lettre à Mme Guillou, mère de Jeannine, mars 1946, citée par Jean-Louis Sous, Nicolas de Staël.
Portées d’un acte, Paris, Epel, coll. « essais », 2015, p. 71.
538. Le 18 septembre 1933, André Penské, agent de laboratoire au service du docteur Fanoy à
l’hôpital Bichat, rappelle que Violette a été soignée par le docteur Deron en février de cette même
année : « Les deux ou trois fois que j’ai vu Mlle Nozière à l’hôpital, elle était toujours accompagnée
soit de sa mère, soit de son père. »
539. A.-E. Demartini, « L’affaire Nozière entre instruction judiciaire et médiatisation », Le Temps
des médias, no 115, 2010, p. 126-141, p. 128.
540. J. Lacan, Les non-dupes errent, séance du 19 février 1974, séminaire inédit.
541. Voir le mémoire d’Henry Frignet, « Considérations psychanalytiques et médico-légales à
propos d’un sujet psychotique auteur d’un homicide. Réflexions sur la question de la responsabilité
pénale dans les psychoses », Le Discours psychanalytique, no 8, octobre 1992, p. 53-102.
542. Cette pointe, persécutive, fait l’objet d’une nouvelle d’Italo Svevo, L’Assassinat de la via
Belpoggio et autres nouvelles, traduit de l’italien et préfacé par Jean-Noël Schifano, Paris, Gallimard,
coll. « Folio », 2005. Un écho au « Ce n’est pas tenable », dit par Violette pleurant, à l’amant d’une
nuit.
543. Ayant rencontré Violette dans les couloirs de l’administration de la prison de Rennes, de par
le métier de son père, Pierre Coquelet a su d’emblée. À ce silence il s’est tenu.
544. Propos de Jean-Jacques Coquelet lors du séminaire de criminologie UMA, université Paris
Nanterre/maison d’arrêt des Hauts-de-Seine, séance du 4 novembre 2019.
545. Discutant avec l’une de ses connaissances, J.-J. Coquelet avait eu l’occasion, les circonstances
s’y prêtant, de pressentir la chose de son côté.
546. Antoine Fiszlewicz, Haute-Normandie. Pages d’histoire sociale, témoignages de syndicalistes,
Rouen, Institut d’histoire sociale CGT 76/Comité régional CGT de Normandie, 2009, p. 11.
547. Journée d’étude organisée par l’association française pour l’histoire de la justice (AFHJ). Voir
la section « Incertaine réhabilitation judiciaire », partie IV, p. 303. Cette déclaration de Michèle Aba
fait l’épilogue du livre de A.-E. Demartini et donne lieu à quatre pages obscures (op. cit., p. 375-378).
Dans ces pages, elle écrit notamment à propos de Michèle Aba qu’elle n’a pas « envie d’éprouver
d’empathie, de glisser dans le dolorisme, je ne crois pas que cette femme a besoin de moi, non plus
d’ailleurs que Violette Nozière à qui je n’ai cherché à redonner ni dignité ni vie ». On ne suit pas. Et
encore ceci : « Je ne suis pas Violette Nozière, je n’ai pas envie d’entrer dans sa famille et de
fréquenter ses proches. » On ne suit toujours pas.
Épilogue
548. Philippe Artois, « Violette la “perverse” », Police magazine, no 146, 10 septembre 1933, p. 12.
549. Me de Vésinne-Larue, Plaidoirie, op. cit., p. 39.
550. François Mauriac, Journal 1932-1939, Paris, Grasset, 1970, p. 86-87.
551. Lettre publiée sur le site Criminocorpus, collection Philippe Zoummeroff.
552. M. Foucault, Folie et déraison. Histoire de la folie à l’âge classique, Préface, Paris, Plon, coll.
« Civilisations d’hier et d’aujourd’hui », 1961, p. 1. Dans la réédition de 1972 chez le même éditeur,
la préface de 1961 a disparu. Pas à lire ?
553. Nous tenons que Guy Lardreau rejoint l’énoncé pascalien en une autre formulation : « Si la
politique technique [technologie de pouvoir, dit Foucault] contre-raisonne toujours avec
l’entendement, la politique sublime tend à déraisonner, nécessairement, avec la raison. » Voir Guy
Lardreau, La Véracité. Essai d’une philosophie négative, Lagrasse, Verdier, 1993, p. 243.
554. Jacques Le Brun, « Un genre littéraire, le cas ? Du casus conscientiæ à la Krankengeschichte
freudienne » [2001], mélanges offerts à Alois Hahn, La Jouissance et le trouble. Recherches sur la
littérature chrétienne à l’âge classique, Genève, Droz, coll. « Titre courant », 2004, p. 82.
555. Ibid., p. 88, nos italiques.
556. G. S., « Violette Nozières empoisonneuse et parricide », Figaro du 30 août 1933, p. 1.
557. Paris Match, no 208, du 7 au 14 mars 1953, reportage Henriette Chandet et Hubert de
Segonzac, p. 43-47.
Annexes
Annexe I
558. Conversation du 9 juin 2006, dans une salle de la communauté des sœurs de Marie-Joseph et
de la Miséricorde, congrégation religieuse, ville du Dorat dans la Haute-Vienne.
559. Un suicide.
560. Cette garde permanente avait pour raison la prévention du suicide en cellule par lequel la
condamnée à la peine de mort échapperait à la guillotine.
561. Les religieuses surveillaient les ateliers à partir d’une estrade surélevée.
Annexe II
avant. Je ne me rappelle plus de ses dates à elle, quand elle a commis son…
l’empoisonnement de son père donc.
C’était en août 1933.
Ah voyez bien en 33 eh bien ça faisait déjà dix ans quand moi je suis
rentrée, donc j’ai connu Violette Nozière arrivée. Une belle jeune fille par
contre ah oui ah oui ! Je l’ai connue arrivée moi. Et je l’ai connue aussi
après quand elle a été libérée.
Comment ça ?
Ah oui. J’étais là présente et Violette Nozière quand elle était là… quand
elle était là à la prison, elle a travaillé dans un bureau, le bureau du
greffier-comptable, Monsieur…
… Coquelet.
Coquelet voilà c’est ça… elle a travaillé là et alors comme elle travaillait
dans les bureaux comme toutes les détenues travaillaient un peu, elle était
très instruite donc elle a travaillé là. Et elle a connu le fils et ils se sont
mariés, ils se sont mariés avec le fils du greffier-comptable. Et après par la
suite ils sont sortis, mais moi je ne sais plus après. Mais on m’a dit
qu’après elle avait pris un restaurant peut-être, mais moi je l’ai vue sortir.
[…] Elle tient un restaurant. Est-ce que c’est vrai ce que je répète, mais on
me l’a dit, ah ça, je ne l’ai pas vu.
« Faire un crime… »
Mais je l’ai vu, mais je l’ai vu de mes deux yeux, une belle jeune fille à
qui on ne pouvait certainement rien reprocher. Ah je crois pas. À part, qui
c’est qui ne fait pas un crime dans sa vie ? C’est pas normal de faire un
crime. D’accord. Mais on est quelquefois dans l’obligation de le faire. On
ne sait pas. […] Ou quelquefois faire un crime, c’est un moment de colère,
on ne sait pas, on ne sait pas ce qui se passe dans la tête d’une personne
qui fait un crime, parce que moi j’ai vu que quelquefois – les détenues
nous parlent un peu –, dire quelquefois : « Oh mon Dieu j’ai tué mon mari,
c’est quand on voit le sang qui coule qu’on dit : “Qu’est-ce que j’ai fait ?
Qu’est-ce que j’ai fait ? Un coup de colère, ça va pas, allez, hop ! Un coup
de pistolet, ça y est tu es en bas”. » Alors moi des détenues me racontaient
ça. Et c’est vrai que c’est une colère. Est-ce qu’il y avait des raisons parce
qu’elle en voulait à son père ? Je l’ignore, je l’ignore. Elle en voulait peut-
être à son papa. Ils ont passé l’autre jour un film à la télé il y a pas très
longtemps [le film de Claude Chabrol]. Elle en voulait paraît-il à son père,
paraît-il ! Que son père aurait voulu la violer quoi ! Mais c’était incognito,
on le sait pas. Mais elle a quand même empoisonné son père.
Est-ce qu’elle en parlait de son affaire à la prison ?
Ah jamais, jamais ! C’est rare qu’une détenue… quelquefois, mais
Violette Nozière elle avait fait quand même des études, elle était très
intelligente, ça n’aurait pas été la fille à se confier comme ça. Ce qu’elle
avait fait, elle le regrettait peut-être dans son cœur. C’est fort possible. Elle
se disait sûrement qu’elle avait fait souffrir sa maman. Parce que sa maman
venait la voir. Mais au début sa maman ne venait pas. Elle ne lui avait pas
pardonné. Et après elle avait des visites de sa maman. Vous faites un crime,
vous regrettez peut-être mais enfin, on ne sait pas. Elle avait peut-être des
raisons personnelles à elle. Ça, je l’ignore, mais elle faisait tout très bien,
très propre, très agréable avec tout le monde.
Dans le bureau du greffier-comptable
On l’amenait comme toutes les détenues dans le bureau du greffier-
comptable. Et puis c’était quand même un honneur pour elle parce qu’elle
franchissait quand même le deuxième mur à la prison. Vous avez vu
comment c’est fait Rennes. Elle était en détention comme toutes et pour
venir dans les bureaux, les bureaux étaient sur le côté devant. Alors elle
venait. Et je vois encore le bureau où elle arrivait. Elle prenait son travail,
c’est là qu’elle a connu le fils Coquelet. Ces choses-là sont bien restées
dans ma mémoire. Et puis alors après, [les collègues] la reconduisaient, la
journée finie. […] Mais c’était très bien, dans sa conduite on n’a eu rien à
lui reprocher. J’ai pas l’impression. Sûrement pas. […]
De grands dortoirs en commun
À l’époque c’était des dortoirs en commun, il y avait des grands dortoirs.
On pouvait mettre cent personnes dedans, dans les grands dortoirs. Et
alors elle avait certainement à l’époque sa place dans un dortoir, elle avait
certainement sa place pareil comme les autres parce que ce n’était pas des
chambres individuelles, c’est venu beaucoup d’années après. C’était des
dortoirs en commun. […]
La règle du silence
Est-ce que vous lui avez parlé, vous, à Violette Nozière ?
On avait pas le droit de parler aux détenues, ni elles non plus. Mais
comme vous savez : « Bonjour, bonjour Madame la surveillante ». Alors je
disais : « Bonjour ». Bon, j’allais pas lui dire bonjour en grognant. J’allais
pas lui dire bonjour parce que c’était mon choix. Pourquoi, est-ce que ça
coûte cher de dire bonjour à quelqu’un avec un sourire ? Un sourire ne
coûte rien à donner [voix mélodieuse], mais un sourire donne beaucoup à
celui qui le reçoit. Et ça, on l’oublie quelquefois. Parce qu’un sourire à
quelqu’un, quelquefois, peut éviter une chose très grave, un sourire peut
éviter mettons quelqu’un qui voudrait se suicider. Un sourire fait beaucoup
beaucoup à la personne, beaucoup. Moi je l’apprécie !
Est-ce qu’elle vous disait « Madame la surveillante » ?
Ah oui ah oui « Madame la surveillante », ah oui ah oui et elles n’avaient
pas le droit même beaucoup à l’époque et longtemps après, elles n’avaient
même pas de quoi communiquer avec nous. Ah non là. […]
« Conservez les distances ! »
Quand elles faisaient les promenades, elle, je sais pas ses promenades à
elle comment elle les faisait à l’époque là, mais quand elles faisaient les
promenades, elles n’avaient pas le droit de se parler entre elles. On a été
des surveillantes dans la cour deux ou trois et puis alors sitôt qu’elles
s’approchaient comme elles n’avaient pas le droit de se parler alors – ni
nous de leur parler –, alors quand elles s’approchaient de trop près, on
disait : « Conservez les distances ! » si elles voulaient s’approcher. Je ne
parle pas de Violette Nozière. [Je parle] de l’époque. « Conservez les
distances. » Donc, elles n’avaient pas le droit de se parler entre elles. À
l’époque ! Donc elle, je ne sais pas si elle faisait à ce moment-là partie de
celles-là, oh non oh non je ne crois pas. […] Quand j’ai démarré, c’était dur
dur dur même dur pour nous aussi. […]
« Une belle belle jeune fille… »
Je me rappelle quand on a dit « Violette Nozière », comme ça avait paru
sur tous les journaux là, l’assassinat, la mort, alors quand je l’ai vue arriver,
c’était une belle belle jeune fille, très propre, très correcte, et puis très
correcte et pas près de nous parler, mais une fille intelligente, ça se voyait,
très intelligente. Et voyez, on ne sait même pas pourquoi elle a été mise à
travailler chez M. Coquelet […] et c’est juste une coïncidence qu’elle est
tombée dans le bureau de M. Coquelet, qu’elle a connu le fils. Mais c’est
quand même une bonne rencontre pour elle, moi je veux pas être jalouse
de ça. C’est une bonne rencontre pour cette fille-là, elle qui avait supprimé
son papa ! Qui dit qu’après la mort de son père, elle a toujours ça dans le
cœur ? C’est vrai. Et je me rappelle que sa maman a été un petit moment
qu’elle ne venait pas et puis après sa maman venait la voir.
Tous les combien ? Vous vous souvenez ?
C’était peut-être une fois par mois. C’est pas beaucoup. Même pour tout
le monde pendant des années c’était comme ça.
Est-ce que vous vous souvenez lui avoir parlé, à une occasion
quelconque ?
Non, parce que si je lui avais parlé, c’est mettons que je l’aurais amenée
de sa chambre pour venir au bureau, eh bien on aurait pas été sans parler
un mot. Même que… on aurait parlé quoi. Ah mais non, j’ai pas eu
l’occasion de le faire, de l’amener. Mais je l’ai vue arriver dans le bureau. Je
vois encore la porte de l’escalier, pas l’escalier, les bureaux existent
toujours là à droite quand on rentre dans la cour d’honneur. Et dans les
premiers bureaux et après moi je n’ai plus entendu parler d’elle.
Cent paires d’yeux
Quand vous avez pris vos fonctions en 1943, est-ce que très vite on
vous a dit : « Violette Nozière fait partie des femmes détenues » ?
Ah non, on m’en a pas parlé et pourtant elle était déjà là, elle était déjà
là. La seule chose pour laquelle on nous met en garde, la surveillante chef,
à l’époque c’était une surveillante chef, sévère, c’était un peu l’armée. Elle
me dit « Mademoiselle Ruaux, sachez que vous ne savez pas ce que c’est la
prison. » Non. « Alors moi, je vais vous dire. » Alors elle m’a fait entrer
dans son bureau et elle me dit : « Fermez la porte s’il vous plaît. » Je ferme
la porte derrière moi et puis elle me dit : « Tenez quand vous serez dans un
réfectoire », je vous cite : « Au moment du repas » et comme il y avait
beaucoup de femmes à l’époque plus de… je sais pas combien de centaines,
« vous serez dans un réfectoire, vous aurez une table devant vous et
derrière. Vous serez dans un milieu et derrière vous d’autres tables mais
vous tournerez le dos aux autres et vous surveillerez celles qui seront
devant vous. Sachez que vous devez ici être (je ne peux pas dire les
défauts, ni les qualités) prévoyante ! Votre rôle principal, c’est
prévoyante ! » Elle n’avait pas voulu dire méfiante, mais prévoyante.
Toujours avoir l’œil. Votre métier, c’était prévoyante. Bon, on prévoit
comme si on avait peur quoi [ton précipité]. Elle m’a dit quand j’étais dans
son bureau : « Lorsque vous serez assise là (après j’ai rigolé), vous
arriverez dans le réfectoire, sachez que vous avez devant vous, vous aurez
cent paires d’yeux qui vous observent. » Quand j’ai été sortie sous la
galerie, qu’est-ce qu’elle dit ? Des paires d’yeux ? Qu’est-ce que c’est que
ça ? C’est en arrivant un peu plus loin, j’ai peut-être fait sous la galerie un
petit peu… oh j’ai dit mais c’est vrai cent paires d’yeux et « vous, vous
n’avez qu’une paire ». Et je me suis dit, mais c’est la vérité. Moi je n’ai
qu’une paire d’yeux et j’étais bien observée par peut-être cent ou peut-être
plus. Ah ça, ça m’a marquée sur le coup. Cent paires d’yeux. C’est exact.
Ça, c’était vraiment bien… mais je n’ai jamais eu de problèmes.
[Un moment de silence].
Ça a été une détenue exemplaire alors…
Ah oui ah oui, ça, je n’ai rien à lui reprocher jamais jamais rien rien rien.
Je ne l’avais pas avec moi non plus. Je l’aurais eue dans un atelier, vous
savez comme quelquefois les autres détenues et bien elles passent
quelquefois plusieurs années avec la même surveillante. Mais là moi là je
ne l’ai jamais eue dans un atelier avec moi pour lui dire : « Tenez ça va être
l’heure de la soupe. » Rien, on l’amenait à son travail, c’était son travail et
on la ramenait le soir dans sa chambre, dans le dortoir. Comme tout le
monde. Je me rappelle l’avoir amenée et puis la mettre dans le bureau du
greffier-comptable. Ah oui, la rentrer. M. Coquelet me dit : « Bonjour », et
j’amenais Violette Nozière là. Elle travaillait comme ça aurait été une
autre. Ç’aurait été Marie Pirol [écriture phonétique] un nom comme ça…
Eh bien non, c’était Violette Nozière que j’amenais. Mais je ne me rendais
pas compte de la gravité de… Violette Nozière, qu’elle aurait c’est vrai une
telle notoriété comme ça dans le temps. Oui, j’amenais Violette Nozière
comme ça et puis après le midi, elle retournait manger avec les autres et
puis le soir on la rentrait comme tout le monde.
« Elle arrivait toute droite »
Vous vous souvenez de la tenue vestimentaire qu’elle portait ?
Celles qui travaillaient dans les bureaux étaient habillées en robe bleue et
comme un petit mouchoir, c’était une cravate mettons blanche, comme un
petit châle blanc. Et puis, non, je ne me souviens pas très bien. […]
Est-ce que vous vous souvenez de sa démarche ?
Ah… non, ça, je ne pourrais pas vous dire ça. De toute façon, c’était pas
la fille… on voyait bien que c’était pas la fille qui sortait de la campagne.
Elle avait déjà une allure euh… c’est pas plus fière mais vraiment une fille
de la ville quoi. Déjà parce qu’elle aurait pu arriver comme toute fille un
peu un peu tristounette. Non, elle arrivait toute droite. Alors toujours elle
vous cédait le passage. Alors comme nous on doit toujours les avoir devant
nous et par-derrière : « Non non, allez-y, allez-y Violette » [voix courtoise].
Mais même à l’époque, je crois qu’on avait pas le droit de les appeler par
leur prénom. C’est venu oh là là bien vingt ans après.
Mais est-ce que vous vous souvenez l’avoir fait quand même, l’appeler
par son prénom ?
Ah ça sûrement, ça a dû m’échapper, ça a dû m’échapper sûrement. Ou
alors fallait : « Eh bien avancez, rentrez. » […]
Et elle avait tendance à s’effacer par politesse ! C’est ça ?
Ah oui c’est ça, c’est ça oui ! C’était la fille très respectueuse, ça c’est vrai
très respectueuse. C’est pas elle qui vous aurait dit : « Si je suis là, j’ai rien
fait ». C’était pas son genre, pas du tout son genre. Elle était là dans… elle
le savait ce qu’elle avait fait. C’était très grave et c’est tout. Non, sinon je
ne peux rien lui reprocher à Violette, une tenue impeccable.
« Une fille très élégante »
Et puis bien la fille quand même élégante. Il faut pas dire, c’est une fille
élégante, très élégante. Et elle devait souffrir dans son for intérieur de ce
qu’elle avait fait. Elle n’allait pas vous dire : « Ce que j’ai fait, je n’aurais
pas dû. Ce que j’ai fait, je l’ai fait. » Elle devait y penser, mais je sais pas.
[…]
Quel souvenir avez-vous d’Eugène Coquelet, le greffier-comptable ?
Oh je ne pourrai pas vous dire parce que je n’ai jamais discuté, non. […]
C’était le personnel de bureau, c’est ça ? Nous, c’était le personnel des
gens de détention, quelquefois nous, on disait : « On fait partie de la basse
classe » [elle rit]. On disait ça en rigolant.
Et de son fils Pierre, avez-vous un souvenir ?
Oh sûrement que oui, mais sans plus d’attention.
Peu de sœurs
Y avait-il des sœurs qui participaient à la surveillance à ce moment-
là ?
Oui. Il y avait des sœurs qui étaient avec les détenues qui passaient les
voir et à l’époque il n’y en avait pas beaucoup de sœurs. C’est par la suite
qu’il y a eu davantage de religieuses quoi. Parce que toutes [les détenues]
étaient dans des ateliers où elles travaillaient. C’était des grands ateliers
également où elles travaillaient avec des fois cinquante personnes. Elles
étaient nombreuses, beaucoup plus nombreuses que maintenant les
détenues. […]
La surveillance, ça concernait justement notre nom à nous
« surveillante ». « Surveillante » parce que… et puis alors vous allez rire
avec mon nom « surveillante ». Moi je dis, je suis surveillante, je veux
qu’on respecte notre profession, je suis surveillante ! On garde des oies, on
garde des vaches, et un être humain, on le surveille. Je ne peux pas
admettre ça voyez. Je ne peux pas admette qu’on dise ce sont des gardiens
de prisons. Non, on surveille, on ne garde pas. […]
Vous voulez me redire la couleur de la tenue des femmes détenues ?
Bien oui, il y a eu les femmes détenues au tout début, c’était des grosses
jupes marron un peu comme des robes de bure au tout début. Après, elles
ont eu des petites robes bleues, surtout l’été. Et puis ça dépend du service,
quand c’était une détenue qui travaillait dans un service où c’était cuisine,
elle avait une petite écharpe rouge et quand c’était celles qui travaillaient
dans les bureaux, c’était blanc. C’était une façon de les habiller. Un grand
foulard blanc en pointe. […]
À l’ultime fin de cette conversation
Elle avait bien certainement quelque chose dans son… dans son cœur et
qu’on oublie pas Violette Nozière. Comme on en a parlé !
562. Conversation avec Marthe Garel, qui prit ses fonctions de surveillante auxiliaire à la maison
centrale de Rennes, le 20 janvier 1943, et aura côtoyé Violette Nozière jusqu’à sa libération fin
août 1945. Elle part à la retraite le 10 mai 1978. De 1953 à 1959, elle exerce les fonctions de
surveillante à la maison centrale de Haguenau ; d’importants travaux étant à ce moment-là
effectués à la maison centrale de Rennes. La détention va devenir cellulaire, un troisième étage est
ajouté à chacun des bâtiments qui forment en continu l’hexagone de l’établissement pénitentiaire, la
toiture sera défaite puis reconstruite.
La conversation a eu lieu dans sa chambre d’une maison de retraite à Rennes, le 6 août 2019, elle
est alors centenaire ; elle est décédée le 24 décembre 2020.
Remerciements
À Michèle Aba, Jean-Jacques Coquelet, Denis Couchaux, Marie-Hélène Devoisin, Pierre Fattaccini,
Pierrette Poncela, Annie Ribault, Jean-Louis Vincent.
Les Archives nationales
[16469b]563
Les archives du ministère des Armées, Mémoire des hommes
Dominique Rousset
Les archives de Paris. Archives départementales et communales
[D 2 U8 379, 380]
Les archives de la préfecture de police de Paris. Service de la mémoire et des affaires culturelles
(Smac)
Nathalie Minart
[JA 132, EA 130, JC 237]
Les archives départementales de la Haute-Loire
Les archives départementales d’Ille-et-Vilaine
[278 W 395 (écrou 9517)]
Les archives départementales de la Savoie
Emmanuelle Combet
[73 F 214]
La bibliothèque de la Chancellerie, ministère de la Justice
Cédric Duprey
La bibliothèque de l’École nationale d’administration pénitentiaire (Enap)
Jack Garçon
La Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica)
Marie Carlin, Béatrice Dalmayrac, Jérôme Lacharmoise, Barbara Pascarel
La bibliothèque de l’Ordre des avocats du barreau de Paris
La direction de l’administration pénitentiaire, ministère de la Justice
Pierre Karoff [19840464/410], J.-L. Sanchez
La direction de la bibliothèque et des archives du Conseil d’État
Claie Sibille de Grimöuard
La direction du centre pénitentiaire de Rennes
Yves Bidet, Didier Rauflet
L’encyclopédie en ligne Wikipédia
La mairie de Neuvy-sur-Loire
Frédérique Corouge
La mairie du 12e arrondissement de Paris
La mairie de Créteil
La mairie de Petit-Quevilly
La mairie de Prades
La mairie de Saint-Julien-des-Chazes
Le site Criminocorpus,
collection Philippe Zoummeroff
(pour les lettres de Germaine Nozière)
La Société nationale des chemins de fer. Stratégie ferroviaire et régulation. Service archives
documentation. Centre national des archives du personnel
Aux participants du séminaire « Violette Nozière. Sauts épiques/passage du crime », qui a eu lieu en
Argentine à Buenos Aires et à Córdoba, les 26 et 29 octobre 2019
Aux éditions Epel.
563. Nous avons indiqué entre crochets les numéros des cotes des documents consultés.
La version ePub a été
préparée par LEKTI
en février 2022
le Comité de libération conditionnelle a émis un avis de rejet de la
proposition de libération conditionnelle
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