Vous êtes sur la page 1sur 3

Enfants sur les réseaux sociaux : faut-il interdire ou accompagner ?

Un enfant français sur quatre ouvre un compte sur un réseau social avant ses 10 ans. Prolongement
naturel de notre société sur-connectée ou dérive inquiétante ? Décryptage.

La rentrée scolaire est passée, les enfants ont repris le chemin de l'école... mais nombre d'entre eux vont
également cette année franchir un cap, virtuel : se connecter au vaste monde des réseaux sociaux.

"Ils sont trop jeunes, ce n'est pas pour demain..." ? Détrompez-vous : si l'inscription sur un média social est
officiellement interdite aux moins de 13 ans (conformément à la réglementation américaine de protection des
mineurs, la COPPA) en France comme ailleurs, de nombreux enfants "trichent" dès 9 ou 10 ans et se connectent
quand même à Facebook, Twitter ou Instagram, pour imiter leurs aînés.

Selon une étude Ipsos-Médiamétrie de 2015, 88% des 15-24 ans sont inscrits sur au moins un réseau social,
mais, plus étonnant, comme l'illustre l'opérateur Orange : 57% des 11-12 ans et 26% des 9-10 ans le sont aussi.

Parallèlement, le temps d'exposition de ces jeunes aux contenus internet ne cesse d'augmenter : aujourd'hui,
selon l'Ipsos , un jeune français passe entre 3h40 et 13h30 par jour devant son ordinateur, son smartphone ou
sa tablette connectée.

Faut-il voir dans cette exposition précoce un danger à interdire à tout prix, ou faut-il "faire avec" et
accompagner plutôt que de punir ? Quelles limites doit-on poser à nos enfants ? Et quel est le rôle des
pouvoirs publics ?

Nous avons posé ces questions à Divina Frau-Meigs , professeure à la Sorbonne, sociologue des
médias , spécialistes des technologies de l'information et directrice du CLEMI (Centre de liaison de
l’éducation aux médias) et à Laurence Bee, journaliste, créatrice du blog parents 3.0 et auteure du livre
Mon enfant dans la jungle des réseaux sociaux .

Pourquoi les jeunes sont-ils aussi attirés par les réseaux sociaux ?

Divina Frau-Meigs. Au début de l'adolescence, les jeunes ressentent un impérieux besoin de proximité
et d’appartenance à un groupe. Les réseaux sociaux l’ont bien compris, ils basent leur publicité sur ce
sentiment d’appartenance, le fait de rejoindre une communauté. Pour un ado, cette idée lui donne un
sentiment de puissance, d’impact… il peut sauver la planète, se faire remarquer, être entendu, se faire
connaître…

C’est un phénomène tout à fait humain, et d’autant plus prégnant quand les jeunes quittent l’enfance et
sont en train de découvrir la relation à l’autre. On est à la fois en phase avec une période clé du
développement de l’enfant et un matraquage de pubs très bien faites qui viennent y répondre, promettant
une “liberté” par rapport aux adultes et faisant tomber les barrières...

"Le réseau donne un sentiment de puissance, d'impact"

Laurence Bee. Une tendance, une envie chez les ados et préados, ça marche par le viral, le bouche à
oreilles. Tout commence dans la cour de récré, c’est l’effet boule de neige : un copain s’est inscrit, il en
parle, le grand frère fait la même chose, puis la fratrie…

Ce qui attire les enfants, c’est le côté social du réseau, il faut être dessus, il s’y passe des choses après
l’école, il faut être au courant. Tout part de la sociabilité réelle et se prolonge en ligne. Au primaire ça
commence généralement avec Skype, pour discuter le soir avec les copains, puis on passe à Facebook,
Snapchat, parce que c’est sympa. Ils procèdent comme ça par étapes, par rituels, où ils se retrouvent.

Avant, ça se passait à l’extérieur, dans les parcs, les terrains vagues, les cafés… Maintenant, c’est
derrière l’ordinateur ou le smartphone, sur les réseaux sociaux.
Quels sont les éventuels dangers d'une exposition trop jeune ?

Laurence Bee. Un enfant, s’il se retrouve sur un réseau social sans qu’aucun adulte ne lui ait expliqué
avant ce dont il s’agissait, c’est un peu comme si on le posait sur un vélo pour la première fois en lui
disant “allez, vas-y, roule !” Il a toutes les chances de tomber.

Alors oui, souvent ils s’expliquent entre eux, et puis c’est simple, c’est intuitif, ça les motive. Mais ils ne
connaissent pas l’ampleur et les enjeux derrière une application “ludique”. Ils ont l’impression de se
débrouiller très bien tous seuls.

"En ligne, tout reste : l'image, la rumeur, la réputation..."

L’important pour les adultes qui les entourent (enseignants, parents…) c’est de leur faire comprendre la
grosse différence entre internet et la réalité. Dans la cour de récré, s’il y a une bagarre ou une situation
qui dégénère, généralement un adulte intervient et c’est terminé. En ligne, tout reste, il y a la notion
d’image, de rumeur, de réputation… Ça ne s’efface pas comme ça. Il faut expliquer aux enfants qu’ils
ont entre les mains une Ferrari : ça peut être super sympa, mais aussi très dangereux si on ne sait pas
piloter.

Divina Frau-Meigs . Les réseaux sociaux sont attractifs parce qu'ils ouvrent des possibilités d’échange
avec le monde entier.

Le problème, c’est qu’ils redéfinissent aussi ce qu’est la notion d’amitié. Et pour les jeunes en
construction, qui n’ont pas encore totalement intégré cette notion dans la réalité, cela fausse les cartes.
Aujourd’hui ce dont rêvent la plupart des jeunes ce sont des likes, des comms, des amis. Mais qu’est-ce
que ça représente réellement ? Ils ne sont pas assez formés pour y répondre

Autre inconvénient : l’emprise qu’ils ont sur les jeunes. Le temps passé devant un écran est de plus en
plus important et sape leurs capacités de concentration dans le reste de leur quotidien.

Faut-il interdire ou accompagner ?

Divina Frau-Meigs. Même s'il y a des risques, ils ne justifient pas, selon mois, de censurer les réseaux.
Ça ne sert à rien. Il faut éduquer les jeunes à nos modèles de consommation, qu’ils réalisent et attisent
leur esprit critique sur le sujet. Les jeunes ne sont pas idiots, une fois qu’ils savent, qu’ils sont formés,
ils peuvent comprendre l’étendue des possibilités mais aussi les limites qu’ils ont devant eux, et même
aider à améliorer la situation.

"Il faut apprendre à vivre avec"

Laurence Bee. Interdire tout bonnement les réseaux sociaux ne sert à rien. On vit dans un monde où ils
sont omniprésents et ne vont pas disparaître, alors il faut apprendre à vivre avec. Et, tant qu’à faire, à
bien vivre avec.

Après, chaque famille a des valeurs différentes, avec lesquelles il faut composer. Mais par exemple, si
vous réalisez un jour que malgré votre interdiction, votre enfant s’est créé un compte Facebook, ou
Instagram, plutôt que de vous braquer, discutez-en avec lui, et mettez les choses à plat. Réfléchissez
ensemble, demandez lui pourquoi c’est à ce point important pour lui, ce qu’il va y chercher.

Comment s'y prendre ?

Laurence Bee. Pour ne pas laisser votre enfant seul face aux réseaux sociaux, vous pouvez vous créer
un compte, pour comprendre comment cela fonctionne, ce qu’on y fait, ce qu’on y poste… Ou au moins,
vous y intéresser un minimum.

C’est une forme d’éducation à avoir avec lui : lui faire confiance, le laisser expliquer, c’est très
valorisant pour l’enfant. C’est une forme d’échange insolite, il vous transmet un savoir, il vous apprend
quelque chose que vous pouvez partager. Une bonne manière de dialoguer et d’instaurer la confiance qui
lui permettra de venir vous voir s’il y a un problème.

"Chaque famille doit trouver sa propre dynamique"

Mais autoriser ne veut pas dire tout accepter : établissez avec votre enfant une série de règles à suivre :
par exemple, pas de smartphone ou d’ordinateur dans la chambre, pas après telle heure, pas avant les
devoirs… en fonction de son âge et de ses responsabilités.

Et puis se mettre d'accord sur le contenu : qui a accès à ce que tu publies ? Est-ce que ce sont
uniquement des personnes que tu connais en vrai ?

Divina Frau-Meigs. Chaque famille doit trouver sa propre dynamique. Personnellement, je ne


préconise pas de s’inscrire sur un réseau social avec ses enfants, pour guetter ce qu’ils y font. Le flicage
n’est pas une bonne idée.

Il vaut mieux de temps en temps se mettre à l’écran avec eux, montrer que l’on est vigilants et intéressés
par ce qu’il s’y passe, qu’on ne lâche pas totalement prise.

En gros, il faut être capable de montrer à vos enfants que vous pouvez passer de bons moments sur ces
sites, mais que vous en connaissez aussi les dangers, pour qu’ils puissent venir vers vous au moindre
doute, qu’ils soient assez en confiance pour vous consulter.

Quel rôle doivent jouer les pouvoirs publics pour protéger les jeunes ?

Divina Frau-Meigs. Il faut que les gens comprennent que cet engouement pour les réseaux sociaux
n’est pas seulement un phénomène de société, il est conduit par l’économie numérique et tout ce qu’elle
représente. Derrière les communautés, les réseaux, c’est du profilage qui s’opère, pour vendre du temps
de cerveau disponible et réactif aux marques.

C’est pour ça que les pouvoirs publics ont un grand rôle à jouer dans la protection des mineurs.

"Il faut mieux encadrer le droit à l'oubli"

Aux États-Unis des parents, pédiatres et professeurs se mobilisent pour la campagne “Don’t track our
kids” (“ne traquez pas nos enfants”). Leur message aux pouvoirs publics est clair : protégez les jeunes
tant que l’on ne sait pas exactement ce qu’il se passe avec les données récupérées en ligne, ni leur
impact éventuelle sur la vie future de ces jeunes (sélection d’entrée à l’université, recrutement pour un
emploi…)

Il faudrait aussi mieux encadrer le droit à l’oubli. Ce que l’on fait sur internet à l’adolescence ne doit pas
être rappelé tout au long de sa vie, le droit à l’erreur, particulièrement pour les mineurs, doit être
préservé, comme il l’est dans la société.

C’est cette éducation au droit, à faire valoir ses droits, qui est le point plus important à développer… Car
des pare-feux existent face à la puissance des réseaux sociaux, mais peu de gens sont au courant.

https://www.sudouest.fr 10/09/2016

Vous aimerez peut-être aussi