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ÉcvPTE AFRrquE & oRTENT

LE DELT4 EGYPTIEN ET L.11 XXX DYNASTIE

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n
page 3
LE DEUrA À sassB Époqun
cÉocnapulEs D'LIN TERRIToIRT
par Vincent Razanajao
page LL
EDOUARD NA\TLLE ET L'EGYPT EXPLORATION FUND
À re oÉcouvERTE DES TEMpLES DE LA )oo(' D\T{ASTTE DANS LE DEUIA
par Neal Spencer
page L9
LES qUAIRE NAOS DE SAFT EL-HENNEH : UN REMPART rUÉOrOGrqUE
CoNSTRUIT PAR NECTANEBo I- pANS LE DEUTA oRIENTAL
par Hélène I/irenque
page 29
IÀ SANCTUAIRE DE NEgf,aNEBo u À solnA.ÿfls : B"tAf enÉsnvq n rronpnÉrertox
E*I RECONSTITUTION D,LINTEMPLE DE BASSE Éeoq;e DANS IE DEUTA
par Daniela Rosenow - traduit de l'allemand par Hélène Virenque
page 4L
rsaulrÉtrquE-sÉNEB
uN vIZIR o'HÉtloporrs AVANT LA coNquÊTB o'ALexANDRE
par Olivier Perdu
page 53
uN MAGICIoN ÉcwttpN À I'ÉTRaNGER DANS L'GUVRE o'BUNApB
DE SARDES : UNE RÉMINISCENCE DU DERNIER NtrCTANEBO ?
par Sydney H- Aufrère
page 57
LECTURES
par Florence Albert, Julie Cayzac, Sylaie Donnat-Beauquier, Stéphanie Porcier
U Thierry-Louis Bergerot
page 66
EXPOSITION

page 67
MULTIMEDIA
par Jean-Luc Bovot U Thierry-Louis Bergerot

EcyprB AFRIqUE & oruBNT N" 42 - JUrN 2006


Hélène Virenque 79

LES Q]JATRE NAOS


DE SAF'T EL-HENNEH
TJ}{ RtrMPART THEOLO GIQIJtr
CONSTRI.]IT PAR NECTANEBO I.'
DANS LE DELTA OruENTAL
e voyageur d'aujourd'hui serait bien
déçu, si après avoir déambulé parmi les
ruines de Tell Basta, il osait s'aventurer
jusqu'au village de Saft el-Henneh, situé à
quelques kilomètres de là. Rien sur place ne per-
met en effet de soupçonner I'importance théolo-
gique de ce site antique - jadis nommé Pr-Spd,
"le domaine de Sopdou" 1. Nectanebo I* (380-
363 av. J.-C.), premier souverain de la )OC("
dynastie [Fig. 1], a pourtant laissé une empreinte
forte dans cette zone sffatégique établie à I'entrée
du Ouadi Toumilat 2.
Qratre naos provenant de Saft el-Henneh,
érigés par ce même roi, témoignent de son
actiüté dans le Delta oriental. Tiois sont conser-
vés sous forme de fragments dispersés dans dif-
férents musées ;le quatrième n'est connu que par
un relevé. Taillés dans une même pierre dure
(granit noir), ils ont échappé de ce fait aux dégâts
habituels causés par I'homme et I'humidité dans
le Delta et ont gardé sur leurs parois des inscrip-
tions et des représentations riches d'enseigne-
ments pour notre connaissance de la religion arx
époques tardives. Ils constituent I'unique témoi-
gnage d'un complexe religierx aujourd'hui entiè-
rement 'local,
disparu, dédié au dieu solaire
Sopdou, nb J3bt.t, "maître de l'Orient" 3.
20 Hélène Virenque

Le naos, cæur liturgique du temple, abritait la statue du dieu


local. Il est I'objet de rites spécifiques accomplis lors du culte divin
journalier, culminant avec celui "d'ouwir les portes du naos".
I-Jne centaine de naos royaux monolithiques, datant de I'Ancien
Empire jusqu'à l'époque romaine, complets ou fragmentaires, ont
été mis au jour en Eglpte. IJne quarantaine.d'entre eux, donc
près de la moitié, date de la )OO(" dynastie A cette époque, un
a.

naos prend le plus souvent la forme d'une chapelle taillée dans


un seul bloc de granit, fermée par des battants en bois ou en
métal. Sa hauteur varie généralement entre 1-,50 m et 4 m, selon
qu'il s'agisse d'un naos installé dans une chapelle annexe ou du
naos principal placé dans I'axe du temple. Sur les parois appa-
raissent de manière systématique le nom du roi qui a ordonné
sa construction et celui de la divinité qui était ainsi honorée.
Sur la quarantaine de naos datant la )OO(' dynastie, vingt-sept
proüennent avec certitude de Basse-Eglpte où la dynastie
sébennytique s'est effectivement illustrée atn de mettre en
valeur ou de restaurer des centres cultuels importants. C'est
dans cette perspective que s'inscrit la réalisation des quatre
naos de Saft el-Henneh.
Le but de cette étude est de rassembler les données épigra-
phiques et iconographiques de ces quatre chapelles afin de déga-
ger leurs points communs et leurs differences, et d'ébaucher une
reconstitution du site de Saft el-Henneh sous Nectanebo I"'.
Nous verrons d'abord quel est l'aspect général, de chaque monu-
ment, à qui il était consacré et enfin quelles étaient les spécifici-
tés de son décor (représentations et inscriptions).
Le premier naos se trouve au musée d'Ismaïlia (inv. n"2248)
5.
[Fig.2] En granit noir, il mesure 1,,32 m de haut,0,75 m de
large et possède un toit pyramidal. lI a été découvert à El-
Arish dans la seconde moitié du XIX' siècle. Un long texte
mythologique recouvre les parois extérieures tandis que sur les
trois parois intérieures figurent cinq registres comportant des
représentations divines. Le mythe relate le règne du dieu Chou
et de son fils Geb, les travaux qui leur sont attribués dans le
Page précédente,fig. 1 Delta oriental ainsi que leur combat contre les enfants
Nectanebo I"' sur le montant droit du naos de Sopdou, d'Apophis. La dédicace du monument, qui se trouvait sur les
Le Caire, Musée Egl,ptien, CG 70027. montants, est effacée ; le naos était probablement consacré à
Reproduit avec l'autorisation de I'Ifao O lfao. Geb ou à la déesse 13rr ("perruque" ou "uræus") qui joue un
grand rôle dans ce récit mythique 6. Les toponymes mention-
Ci-desut fig. 2 nés flwt-nbs, "le temple du jujubier" et l3t-nb.s, "la butte du juju-
Naos du Musée d'IsmalÏa, inv. n"2248. bier" (le nebes étaitl'arbre sacré du nome de Sopdou) désignent
Cüché de 1'auteur. deux espaces associés à Saft el-Henneh '. Aucun cartouche
n'est conservé sur le naos et le problème de son attribution à
Nectanebo I" ou II demeure 8.
LES qUATRE NAOS DE SAFT EL-HENNtrH 27

Le deuxième naos, dit "naos des Décades",


également en granit noir, a été brisé en une
dizaine de fragments [Fig. 3 et 4] . Le toit
pyramidal est très bien conservé (Louvre D 37)
alors que la niche a perdu une partie de son
décor (Alexandrie, musée gréco-romain, JE
5774). À l'origine, sa hauteur totale était de
1-,78 m et
sa largeur de 0,88 m. L'histoire de ce
monument se poursuit puisque de nouveaux
éléments de sa niche ont été découverts dans la
baie d'Aboulàr en 1999'g.
Sur les trois parois extérieures, les figurations
ont une valeur calendaire : on y voit en effet les
diffërentes phases des décades, ces périodes de
dix jours qui rlthment I'année églptienne 10. fig. 3 Toit du naos de Chou, Musée du Louwe D 37.
Aux 36 décades üennent s'ajouter les jours épa- Cüché de I'auteur.
gomènes afin de constituer une année complète.
A I'instar des mois, les décades étaient considé- fig. 4 Niche du naos de Chou, Alexandrie, Musée gréco-romain,
rées comme des divinités (elles sont à I'origine JE 5774. Cliché de l'auteur.
des décans). Les différentes formes qu'elles
adoptent au cours de ces dixjours figurent éga-
lement. Qrant aux inscriptions, elles mettent
en avant le dieu céleste Chou, dont le rôle est
de gérer ces décades et leur influence sur les
êtres humains.
À I'intérieur, sur la paroi du fond est figuré
Chou, à qui était consacré le naos. Sa statue,
telle qu'elle devait se trouver à I'origine dans la
niche, est représentée sous la forme d'un lion
accroupi, portant la double plume et accompa-
gné de la légende : "Chou, seigneur du Per-
Our, qui réside à Hout-nebes". Le naos prenait
donc place à Saft el-Henneh. La hauteur de la
statue divine est également indiquée ("quat.e
palmes", soit 30 cm) ainsi que le matériau qui la
composait ("argent revêtu d'or fin"). Sur les
parois intérieures droite et gauche, des divinités
hybrides connues ailleurs tels que des sphirx et
des dierx anthropomorphes arborant un torse
de scarabée et munis d'une queue de faucon,
sont accompagnées d'êtres divins composites
plus rares comme des taureaux et des lions à
tête de faucon. Les textes, trop abîmés, ne per-
mettent pas de les identifier mais il s'agit sans
doute ici d'une escorte divine.
22 Hélène Virenque

Le troisième naos, aujourd'hui disparu, n'est connu Le décor de ce naos est exceptionnel tant par sa
que par un relevé fait à Alexandrie dans les années finesse que par son contenu 15. Tout d'abord, sur
7840 par S. Sharpe " [Fig. 5]. Même s'il est frag- chaque montant une inscription de neuf colonnes
mentaire, il est certain que le bas-relief présente un remplace I'habituelle dédicace. A droite un hymne
décor similaire à celui de la paroi du fond du naos de exalte les vertus du dieu solaire, tour à tour Sopdou,
Chou. La déesse Tefnout y est représentée sous la Rê-Horakhry Mahes et Horus lors de son combat
forme d'une lionne assise, portant un disque solaire contre Apophis. A gauche, le texte est plus difficile à
avec uræus. La légende la définit comme : "Tefnout, cerner en raison de son état très fragmentaire.
dame du Per-Neser, qui réside à Hout-nebes". La Khépri, Rê et Atoum y sont mentionnés. I1 pourrait
hauteur, "4 palmes", et le matériau de la statue, donc s'agir d'une litanie des noms du dieu créateur
"argent revêtu d'or fin1', sont identiques à ceux de d'Héliopolis.
Chou. Le naos de Tefnout est donc bien conçu IJne autre particularité se révèle tout autour du sou-
comme un pendant du précédent : il devait présenter bassement : trois lignes de textes évoquent les raisons
de ce fait le même aspect général (matériau, dimen- de la création du monument et sa dédicace par
sions, forme du toit). En outre, grâce atx inscrip- Nectanebo I"'. L'emplacement de ce ÿpe de texte
tions, nous savons que les deux monuments avaient sous les registres, unique sur ce t)?e de monument,
pour origine Hout-nebes. n'est pas sans rappeler celui des bandeaux de soubas-
sement (Bandeauxinscltriften) des façades de temples
gréco-romains.
Enfin, les parois extérieures et intérieures sont ornées
de plus de 400 représentations diünes ou royales (à

lg rh --:-
ç-arT
l'origine il devait en avoir plus de 600). Sur chaque
registre (six à l'extérieur, cinq à I'intérieur) le roi
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\1 llt
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accomplit des rites face à des diünités anthropo-
morphes ou zoomorphes. Celles-ci sont figurées sur
\* n des socles de taille variable : ce ne sont donc pas les
It êtres divins qui sont ici représentés mais leurs sta-
m tues, accompagnées d'objets de culte tels que des
barques portatives, des naos et des enseignes. Sur la
paroi droite sont même précisés les dimensions et le
matériau des statues. Les triades de Basse-Egypte et
plus spécifiquement du Delta oriental apparaissent
régulièrement : les dieux de Memphis, Héliopolis,
Boubastis, Horbeit et Tanis figurent en bonne place
Enfin, le quatrième naos, consacré au dieu Sopdou, est aux côtés du dieu local, Sopdou et de sa compagne
conservé au Musée Egyptien du Caire (CG 70027) " Khensout.
[Fig. 6]. Il a été brisé en plusieurs fragments dont la Ces représentations sont en fait la transposition en
plupart ont été trouvés par E. Naville à Saft el- deux dimensions de statues abritées jadis dans le
Henneh durant I'hiver 1884-1885 '3. Manquent le toit, temple même. Ce tJpe d'inventaires de statues figurées
qui devait être pyramidal'0, ainsi qu'une grande partie et légendées est caractéristique des époques tardives :
de la paroi gauche. Sa hauteur maximale conservée est on en retrouve sur d'autres naos .et plus tard dans les
de 2,60 m, sa largeur de 1,90 m. Ses dimensions sont cryptes de certains temples grecs ou romains 17.
en cela nettement plus imposantes que celles des trois Les quaffe naos de Saft elHenneh forment ainsi un
autres naos. Il est cependant taillé dans le même groupe homogène à plus d'un titre. Au point de vue
matériau, à savoir du granit noir. architectural, ils présentent les mêmes caractéristiques :
LES qUATRE NAOS DE SAFT EL-HENNEH 23

matériau identique, toit pyramidal, absence de tore et de corniche, parois exté-


rieures et intérieures décorées. Leur forme générale, très épurée, n'est pas sans
évoquer celle du benben d'un obélisque 18. Cette dimension solaire n'est guère sur-
prenante et se trouve même confirmée par la nature des textes inscrits sur les
parois des quatre monument§. Les quatre divinités honorées possèdent des rap-
ports étroits avec le dieu d'Héliopolis : Chou et Tefnout sont les rejetons
d'Atoum, Sopdou est souvent
nommé "Sopdou-Chou, fils de Rê"
et enfin Iaret est décrite comme
I'uræus ou la perruque de Rê. Les
quatre naos présentent une décora-
tion complexe, illustrant sans doute
une politique religieuse élaborée dans
les milierx héliopolitains et peut-être
encouragée par le pouvoir royal. En
l'occurrence Nectanebo I"', mention-
né sur trois naos, qui a sans doute
présidé également à la construction
du quatrième conservé à Ismailia.
Un problème demeure cependant
concefnant ces quatre monuments : il
s'agit de leur agencement dans I'an-
cienne Pr-Spd. Trois d'entre eux ont
effectivement été retrouvés hors
contexte. De plus, le site est trop
pauvre en données archéologiques
pour nous permettre une quelconque
restitution. Nous pouvons juste nous
imaginer le pavement en basalte du
temple dont subsistent quelques blocs
in situ " [Fig. 7). Les murs étaienr
peut-être constitués de blocs de ca1-
caire à I'instar de celui, inscrit, relevé
par S. Snape en 7986 20. Il paraît peu
probable en effet que la superstruc- iii;13
ture ait été faite de blocs de granit
comme à Boubastis. La disparition des blocs de calcaire, due à leur récupération Page de gauche,ftg. 5
par les sebbakhins, ne serait donc pas surprenante. Fragment du naos de Tèfnout.
E. Naville "
qui a fourni un plan sommaire de son travail sur place, avait relevé D'après J. Yoyotte, JNE S ){Jll, 19 5 4,
les murs en brique crue qui délimitaient le domaine divin. Le temple de Sopdou p. 81, fig. 1.
formait une structure d'environ 40 m sur 70 m ouverte vers I'Est, le dieu faisant Ci-dxsu:,fig. 6
ainsi face au lever du soleil. Naos de Sopdou,
11 ne serait donc pas inintéressant de se tourner vers d'autres temples mieux Le Caire, Musée égyptien,
conservés où étaient regroupés plusieurs naos : situés dans le Delta et datant de cG 70027.
la Basse Époq,r", Mendès et Boubastis présentent ces deux caractéristiques 22. Cliché de l'auteur.
24 Hélène Virengue

rts.z
Blocs
de basalte
au sud de
Saft el-
Henneh.
Cliché
de I'auteur.

Mendès, situé à 30 km au nord de Zagaitg, est à quatre hypostases masculines d'une même divinité
consacré au bélier Banebded. Un grand naos dédié à locale. En revanche, à Saft el-Henneh les naos ne
Chou se dresse encore sur une esplanade, au coeur du présentent pas les mêmes dimensions et leurs dédi-
sanctuaire construit sous la )O(VI" dynastie ; à I'ori- cataires ne sont pas décrits comme étant les diffé-
gine, il était accompagné de trois autres identiques, rents manifestations du dieu local. I1 est donc peu
qui ont pu être reconstitués grâce à des fragments probable que ces monuments aient été placés dans
trouvés aux alentours ". Ils mesuraient tous plus de 7 m une même cour.
de haut. Ce programme architectural imposant visait Plus proche de Saft el-Henneh et restauré sous la
à honorer les quatre b3w (manrfestations ou hypo- )OC(" dynastie, le site de Boubastis offre sans doute
stases) du dieu bélier : Rê, Chou, Geb et Osiris ; un modèle plus pertinent. Le sanctuaire, dédié à
chaque dieu possédait ainsi son naos. IJne reconsti- Bastet, a été construit par Nectanebo II à l'ouest du
tution de leur agencement dans le sanctuaire a été temple de la )OCI' dynastie. De nombreux naos pro-
proposée'o [Fig. B]. Les naos, munis d'estrade pour venant de Boubastis se trouvent dans les musées et les
accéder à leur niche, étaient rassemblés en carré dans fouilles actuelles ont permis d'en découwir de nou-
un espace ouvert. L'absence de plafond s'explique à veaux. Au total, une douzaine de naos (complets ou
la fois par leur taille imposante et peut-être égale- fragmentaires) sont attestés ; un, plus imposant que
ment par le fait qu'il était essentiel de maintenir un les autres par sa taille, étaitplacé dans l'axe du temple :
lien étroit entre les baou et l'astre solaire. il s'agit du grand naos de Bastet dont les fragments se
Toutefois il paraît peu probable que les naos aient été trouvent au Caire et à Londres'?5. Sept autres s).tnbo-
disposés de la même manière à Saft el-Henneh. À lisaient les sept flèches de Bastet et formaient ainsi un
Mendès les quatre naos sont de même taille et dédiés "arsenal de protection magique du roi" 'u.
LES qUATRE NAOS DE SAFT EL-HENNEH 25

Les travaux de la mission allemande à Boubastis, dont Des indications supplémentaires provenant du
les résultats sont exposés dans cette même revue par naos consacré à Sopdou permettent d'apporter plus
D. Rosenow; fournissent, grâce aux relevés des blocs, de précision au plan. Sur la paroi droite, les deux
des indications sur I'aspect originel du sanctuaire de registres centraux présentent des caractéristiques
Nectanebo II. I1 était constituJd'un espace central à originales par rapport aux autres registres du naos
ciel ouvert où se trouvait le grand naos. En revanche, [Fig. 10]. Plusieurs groupes de statues divines sont
au nord, à l'ouest et au sud de cet espace se trouvaient représentés, séparés par des traits. La plupart sont
des structures annexes couvertes. Ces dernières accompagnés d'une légende. Au registre 3 se succè-
étaient probablement les chapelles oir étaient placés dent ainsi quatre groupes, de gauche à. droite:. a.la
les autres naos.Il est difficile de savoir si chaque naos famille osirienne 1b. onze divinités assises formant
disposait de sa chapelle ou si plusieurs d'entre
eux étaient regroupés dans une même pièce.
Mieux que celle de Mendès, cette seconde
configuration paraît plus proche de celle qui
devait exister à Saft el-Henneh : il est probable
que le grand naos, dédié à Sopdou, aitétéplacé
dans l'axe du temple et qu'il ait été entouré de
chapelles axiales où se trouvaient les naos de
Chou, Têfnout et Iaret.
Un plan plus général de Saft el-Henneh a été
proposé [Fig. 9]. ll a été établi par G. Goyon
puis complété par l. Schumacher à partir des
textes du naos d'Ismaïlia où sont décrits les tra-
varrx de Chou à flwt-nbs et l3t-nbs. Les inscrip-
tions donnent en effet de nombrerx détails
concernant I'orientation des édifices, leurs
dimensions et leur emplacement les uns par
rapport aux autres 27. S'agissant d'une entrepri-
se divine, il convient de rester prudent quant à
I'interprétation de ces données.
Cette restitution peut toutefois être complétée
tout d'abord par les inscriptions figurant sur les
naos de Chou et de Tefnout : chaque naos présente, la grande Ennéade héliopolitaine suivie d'une
comme nous l'avons vu auparavant, sa statue divine Hathor "à la tête du jujubier" (fury(t)-tpnbs) debout
sur la paroi du fond. Chaque statue est accompagnée à côté d'un jujubier ; r. deux stèles ornées de ser-
d'une inscription : "Chou, le seigneur du Per-our, qui pents dressés, représentant les "gardiens des portes
réside à Hout-nebes" pour le dieu et "Tefnout, la dame de la cour de I'allée de Hout-nebes" (n3 jry.w '3.w n
du Per-neser, qui réside à Hout-nebes" pour la déesse. t3 wsfut'ze n w3(t) n Hwt-nbs) ; d. enfrn, deux serpents
Ces chapelles dt Per-our et Per-neser désignent, à dressés sur des papyrus, "gardiens des portes du
l'époque tardive, des sanctuaires qui prenaient place palais" (n3 jry.w '3.w n t3 ''4'o), Sopdou sous la
respectivement au sud et au nord dans un temple .I1 forme d'un faucon, à côté d'un jujubier, le tout
ne serait pas impossible que les chapelles de Chou et étant précédé du signe Hwt-nbs. Derrière Sopdou,
Tefnout aient fait partie du temple de Sopdou puisque Ré-Horakhry également en faucon mais à tête
ces divinités constituent certainement le parangon du humaine, et pour finir, trois formes de la déesse
couple Sopdou,/Khensout adoré à Saft el-Henneh. Khensout.
26 Hélène Virenque

Ci-contre,f.g. 9 I.Iwt-nbs 'Ist-nbs


Plan de Hout-nebes et fat-nebes.

m2
D'après I. Schumacher, Der Gott 3

Sopdu,OBO79, p.783. Grande allée

Page de droite,fig. 10

Registres 3 et 4,paroi droite du naos


Légende :
N
de Sopdou, Le Caire, Musée I Temple de Pr-Spd 4 Temple de Pr-:Itrt
Egyptien, CG 70027. Reproduit
avec I'autorisation de I'Ifao. @ Ifao.
2
3
Chapelles et temples
Lac sacré de Hwt-nbs
5
6
Lac sacré deTttdswy
Mlr d'enceinte
h

Au registre 4, aucun trait de séparation n'est indiqué. On pourrait objecter que ces statues ne sont pas
On distingue une succession de représentations de représentées dans un naos, saufChou etTefnout; de
Sopdou et Khensout sous différentes formes. Ils sont plus ces dernières sont anthropomorphes, alors
suivis entre autres de Thot, Amon-Rê-Horakhty et qu'elles apparaissent sous un aspect léonin sur leurs
Horus. On note en particulier, dans la seconde par- naos respectifs.
tie du registre, les statues superposées de Chou et de 11 serait alors possible que ces arbres matérialisent
Tefnout, anthropomorphes, debout dans une chapelle, tout simplement les rangées de végétarx qui ornaient
à côté de laquelle se dresse unjujubier 31. de part et d'autre les dromos des temples. Ils symbo-
Le vocabulaire architectural employé dans les liseraient ainsi les allées menant à différents espaces
légendes (wsl.tt, w3t,'ft) ainsi que la présence de gar- sacrés : un dédié à Hathor, un consacré à Chou et
diens indiquent qu'il s'agit d'une vue schématique du Tefnout, et, le plus important, en I'honneur de
temple : les espaces sacrés, délimités par les traits ver- Sopdou, nommé Hout-nebes.
ticaux et les lieux de passage munis de stèles, ponc- L'interprétation de ces registres du naos de Sopdou a
tuent cette transposition du temple en deux dimen- ses limites : elle ne suffit pas à donner une idée de
sions. À droite du registre 3, donc au fond du temple, l'aspect originel du site de Saft el-Henneh sous la
se trouve le sanctuaire même, Hout-nebes où réside le )OC(" dynastie. Nous disposons, grâce à ces quatre
dieu local, Sopdou accompagné de ses parèdres. naos, de données iconographiques et épigraphiques très
Un détail curieux dans I'agencement du temple est riches qui ne peuvent toutefois rien face à I'absence
I'association du jujubier avec certaines divinités : au quasi totale de sources archéologiques.
registre 3, il est associé à Hathor et à Sopdou, au En revanche, le rôle que ces naos jouaient au sein du
registre 4, à Chou et Tefnout. Ces quatre divinités temple peut être défini puisque leur décor est globa-
semblent être sous la protection de I'arbre sacré du lement bien conservé. Les textes tout d'abord in-
nome de Sopdou. Cette disposition signifie-t-elle sistent sur le combat du dieu solaire, Sopdou ou Chou
que I'espace associé à ces statues est plus vénérable contre Apophis ou ses enfants. Le naos de Sopdou
qu'un autre ? I1 serait tentant ici d'établir un parallèle comme le naos d'Ismailia soulignent la crainte de
entre ces quatre statues et les quatre destinataires des voir arriver des rebelles depuis les montagnes de
naos étudiés à savoir SopdorS Chou, Tefnout et laret. l'Orient. Comme l'explique le mythe du naos
Dans les deux cas, Sopdou, Chou et Tefnout sont d'Ismaïlia : "les dietx de ces buttes sont le rempart de
concernés. Qrant à Iaret, elle peut être rapprochée cette terre" 33. Ce sont en effet les dieu qui vont
aisément de la déesse Hathor 3'z. Le jujubier symbolise veiller à protéger la région de Hout-nebes. Les parois
donc peut-être la présence d'un naos dans différents du naos de Sopdou symbolisent cette idée à la per-
espaces cultuels à Hout-nebes. fection : la multiplication des représentations diünes
LES qUATRE NAOS DE SAFT EL-HENNEH 27

acquiert ainsi une valeur magique, comparable à la les rebelles qui sont dans Oucherou et dans le
fonction des inscriptions et des images recouvrant les désert, ils vinrent par les chemins de lat-nebes, fon-
statues guérisseuses. dant sur I'Egypte à la tombée de la nuit (...) ils ne
Accompagné des trois autres naos, le grand naos de conquéraient que pour détruire" " : la )OO(" dynastie
Sopdou constituait un véritable rempart théologique a en effet constamment subi les assauts de l'empire
conçu autour de la victoire du dieu solaire sur le mal. perse. En 373, Nectanebo I"' échappe de peu à une
Cette fonction magique rappelle celle dévolue à invasion achéménide et la frontière orientale paraît
Boubastis aux naos des sept flèches de Bastet évo- bien fragile.
qués plus haut. Or, comme ces derniers, les naos de Edi{ié au débouché du Ouadi Toumilat, Saft el-
Saft el-Henneh sont taillés dans une pierre noire. Henneh est donc en première ligne face ar-rx invasions
Sachant que le noir a une s)..rnbolique forte dans les asiatiques. Si aucun des quatre naos n'a livré de data-
rites de protection, ce choix vient confirmer la tion, il est très probable que c'est bien dans la pers-
dimension magique du groupe de naos'0. pective de renforcer la position stratégique de Saft el-
La réflexion approfondie sur les mythes du Delta Henneh, que Nectanebo I"'a ordonné la construction
oriental dont témoignent les quatre naos de Saft de ces quatre forteresses miniatures, dont le décor
el-Henneh est le reflet d'une réalité politique évo- digne de celui d'un temple, était tout entier voué à la
quée sur le naos d'Ismailia : "Les enfants d'Apophis, défense du Delta oriental face aux Perses.

Norps
1. P Devou, Saft el-Henna : archeologia e storia di una città del Delta orientale,Imola,2001.
2. J. Yovorre, "Le roi Mer-djefa-Rê et le dieu Sopdou. un monument de la XIV" dynastie", BSFE 774, 7989, p. 77-63, voir en
particulier p. 31-33.
3. I.W. Scsul,tACHER, Der Gott Sopdu, der Herr der Fremdltinder OBO 79, Fribourg, 1988.
4. Un inventaire quasi exhaustif a été établi par Chr. TuIens : "Un naos de Ptolémée II consacré à Sokar", BIFAO 97, p. 259-268.
5. G. GovoN, "Les travaux de Chou et les tribulations de Geb d'après le naos 2248 d'Ismallia", Kêmi Y7, 7936, p. 7-42, pl.I-Y.
6. Th. ScnNBtonR, "Mythos und Zeitgeschichte in der 30. Dynastie. Eine politische Leknire des ,,Mythos von den Gôtterkônigen""

dans A. Bnoosocr (éd.), Ein dgyptisches Glasperlenspiel, àgyptologische Beitragef;r Erik Hornung aus seinem Schülerkreis, Berlin, 1998,
p. 207-242. L'auteur se fonde sur le rôle de la déesse dans le mlthe et sur les représentations gravées à f intérieur du naos, où la
perruque est visible plusieurs fois dans une chapelle ornée d'une frise d'uræus.
7. Edfou,l,335.
28 Hélène Virengue

8. Th. ScuNBtpex, loc. cit.

9. J. Yovorre, "A propos du naos des décades", /fE§ XIII, n"2, avrrl 7954, p. 79-82 ; ibid., "Les trouvailles épi-
graphiques de I'Institut Européen d'Archéologie sous-marine dans la baie d'Abû Q!r", B§f'E 159, mars 2004, p. 35-36-

IJne nouvelle étude de l'ensemble du naos est en cours par J. Yoyotte et A.S. von Bomhard.
10. Chr. LEr'îz, Altàg)Ptische Sternubren, OLA 62, Leuven, 1995, p. 3-50'
11. J. Yovorro, "A propos du naos des décades",/NE§ )OII, n'2, avrrl 1954, p. 81-82.
12. G. Roeonn, CGC Naos, Leipirg, t974, § 286-357. Ce naos fait l'objet d'un doctorat par l'auteur de l'article :
"Le naos de Saft el-Henneh consacré à Sopdou, recherches d'épigraphie et d'iconographie", Université Montpellier III.
13. E. NAuLLE, The Shrine of Saft el Henneh and the Land of Goshen (7885), MEEF 5, Londres, 1887.
L4. Contra Nevtlr,e, o?. cit., pl. '1.
et 3.
15. Une étude paléographique du monument est en cours par Â. Engsheden dans le cadre du projet de paléographie
hiérog\phique dirigé par D. Meeks.
16. Le Caire CG 70008, Apriès ; Louvre D 29, Amasis ; Vérone sans numéro, Nectanebo I (dimensions et mâté-

riau indiqués) ; British Museum EA 1005 er7078, Nectanebo II.


17. Cl. TRauNBCKER, "Krpta", rÀ111,7979, col.823-830.
18. Le toit d un naos de Chabaka est taillé de manière à supporter une structure métallique, rappelant ainsi les plT a-
midions ornânt le sommet des obélisques, G. Rot»rn, op. cit., CG 70007.
19. E. Naville avait dénombré 142 blocs de basalte lors de son passage en 1884-1885. E. Navtu,B, op. cit., p. 2.
20. S.R. SNtYa, SixArchaeological Sites in Shargiyeh Province, Liverpool, 7986,fig.48,p.66.
21. E. Nn'vrr-r-E , op. cit., pL. 10.
22.Porr rnevue d'ensemble des principarx sites antiques de Basse-Égypte L'Égypte du Delta, les capitales du Nord,

Dossiers d'archéologie n"2L3, mu 7996.


23. Cfu. L. SocHon, "Inscriptions from Têll eIPtuBa", JARCE 6,1967, p.16-23.
24. D. ARNoLD, Tbmples of the Last Pharaohs, Oxford,7999, p.82,fig.42.
25. N. SpBNcBn, A Naos of Nekhtborltebfront Bubastis, BMRP 756, Londres,2006.
26. V. RoNoor, "Une monographie bubastite", BIMO 89, 1989, p. 249-270.
27. l. W. ScHurr,recuoR, o?. cit., p. L83.
28. J. YoYorrE, loc. cit.

29. I1 s'agit d'une cour ou d'une salle hypostyle : P. SerNcrn, Ttte EgyptianTemple -A Lexicogra?hical Sta\), Londres,

7984, p.77-80.
30. Ce terme désigne également un sanctuaire divin, souvent consacré à Horus : voir P. WrtsoN , A Ptolemaic Lexikon
- A Lexicograph;cal Stud! of the Texts in the Tbmpk of Edfu, OLA 78, Le'xen 1997 , p. 769.
31. Devant les statues : "or, (hauteur) 5 palmes" (soit 37, 5 cm).
32.larct fait partie des déesses assimilées à la coiffure (Khensout) ou au diadème (Maât) dt dieu solaire. Elles sont
décritescommedesmanifestationsdeHathor:P.Bancuer:"LadéesseKhensout",81MO49,7949,p.1-7.Sur
le naos de Chou est mentionnée une "Hathor, nbt j jrf' : Chr. LotTz, Akagyptische Sternuhren, OLA 62, Leuven
7995, p. 7.
33. G. GovoN, KêrniYL,1936,p.28.
34. V. RoNoor, op. cit., p. 25t, a.

35. G. GovoN, op. cit., p 27.

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