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Découvrir le(s) lieu(x) où j’habite

Présentation du programme

Ce thème, le premier de l’année de CM1, est aussi le premier enseignement de géographie de


la scolarité des élèves. C’est aussi un thème de transition qui, en partant du vécu et des
espaces quotidiens des élèves, permet de faire le lien avec les apprentissages relatifs aux
espaces, déclinés pendant les cycles 1 et 2. Deux sous-thèmes sont proposés :
« Identifier les caractéristiques de mon(mes) lieu(x) de vie »
« Localiser mon(mes) lieu(x) de vie et le(s) situer à différentes échelles ».

Leur succession indique un double cheminement. D’abord avec trois verbes : identifier,
localiser, situer. Avec le premier verbe « identifier », on est dans un processus de
reconnaissance. Il s’agit d’observer et de mettre des mots (utiliser un langage géographique)
sur ce que l’on observe. Les deux autres verbes « localiser » et « situer » sont essentiels en
géographie mais sont souvent confondus. Ils font partie de la didactique disciplinaire durant
l’ensemble de la scolarité primaire et secondaire. La localisation est une première approche
du repérage. Il s’agit simplement de dire où est quelque chose (un objet, un lieu) dans l’absolu
en donnant par exemple ses coordonnées géographiques ou, pour un lieu, en le montrant sur
une carte. La situation (ou localisation relative) est une activité plus complexe, plus
pertinente en géographie, plus porteuse de sens car il s’agit de localiser un objet ou un lieu par
rapport à d’autres.
Ainsi pour localiser Grenoble, on dira que ses coordonnées sont 45° Nord et 5° Est (mais
comme je l’ai dit plus haut, avec des élèves on privilégiera la démarche moins abstraite qui
consiste à montrer où est la ville sur une carte), tandis que pour situer Grenoble, on mettra en
évidence sa position stratégique à la confluence du Drac et de l’Isère, la proximité de trois
massifs alpins (Chartreuse, Vercors et la chaîne alpine de Belledonne), sa centralité dans les
Alpes françaises, sa distance à Lyon ou encore sa proximité avec l’Italie et la Suisse. Avec la
situation, on met en évidence l’intérêt de la position géographique de la ville et
progressivement, on peut commencer à construire des explications.
Le second cheminement d’un sous-thème à l’autre renvoie à l’élargissement des horizons. On
part d’abord du local (mon lieu de vie) avant – par l’intermédiaire de sa situation –
d’envisager d’autres espaces dans lesquelles le lieu de vie est en quelque sorte emboîté. On
aborde ainsi la notion d’échelle et de changement d’échelle. En géographie, l’échelle c’est la
taille de l’espace considéré : on parlera des échelles locale, régionale, nationale, continentale,
mondiale. Chaque échelle a sa logique, chaque échelle donne un éclairage différent sur les
questions géographiques d’où l’intérêt de changer d’échelle pour étudier un même lieu. Ainsi,
le quotidien des élèves se vit peut-être à l’échelle locale mais s’inscrit aussi dans des espaces
d’échelles plus vastes qui permettent de le comprendre : dans une ville ou un village, dans une
région, dans un pays…
Pour autant, cette manière d’aborder ces « différentes échelles », comme l’indique le
programme, doit être nuancée et nous y reviendrons à plusieurs reprises dans ce cours.
Partons du quartier. C’est le lieu de vie premier, après les espaces intimes ou privés de
l’élève. En ville, on pense le quartier comme le lieu où est situé l’école, le lieu de la
proximité, du quotidien et de la familiarité. Mais la notion de quartier pour définir ce lieu de
vie premier est-elle toujours pertinente ? Pour un grand nombre de géographes, le quartier est
une notion vague qui ne correspond qu’imparfaitement aux espaces de vie. D’ailleurs, les
auteurs du programme n’utilisent pas ce mot et il apparaît à peine dans la fiche Eduscol.
Pourquoi ? Les lieux de vie ne peuvent se confondre totalement avec le quartier, « chaque
acteur agence son propre espace qui articule lieux, territoires et réseaux et vit une
spatialité éclatée, ponctuée par de multiples nœuds, articulant tous les niveaux
d’échelle. » (2003) Ces mots de Michel Lussault dans le Dictionnaire de la géographie et de
l’espace des sociétés mettent d’abord en cause la notion de quartier. Si notre vie physique se
déroule le plus souvent en des lieux bien délimités et proches (en kilomètres) du logement, il
n’en est pas de même pour ce qui concerne d’autres dimensions de la vie : on consomme des
produits qui viennent du monde entier, on communique avec des personnes qui sont parfois
très éloignées, on baigne dans une culture qui n’est pas nécessairement celle du lieu où l’on
vit. Michel Lussault met aussi en cause la successivité des échelles présentées dans le
programme et par conséquent la limite qu’il y aurait à aborder les lieux de vie des élèves
exclusivement par un système d’échelles emboîtées. Aujourd’hui les lieux de vie sont trop
complexes pour être abordés seulement par un élargissement des échelles. On peut passer
directement du local au mondial sans toucher à l’échelle nationale.
Que faire alors ? Pour des raisons pédagogiques et de bon sens – en CM1 les élèves ont plus
ou moins 9 ans – il est pratique de sérier les espaces du plus petit au plus grand. Il importe par
contre, sans renoncer à cette base qui conserve quand même une forte pertinence, d’intégrer la
complexité, de penser le lointain avec le proche, d’articuler plusieurs niveaux d’échelle afin
de laisser place à toutes les représentations et pratiques spatiales des élèves. Nous ne vivons
plus dans un monde où les espaces se succèdent de manière mécanique de la plus petite
échelle à la plus grande, du familier à l’inconnu, du privé au public. Lorsque le texte de
commentaire du programme propose d’insérer les lieux de vie des élèves « dans des territoires
plus vastes, région, France, Europe, monde », c’est largement pour des raisons didactique que
cette succession est énoncée ainsi. En réalité, ce sont toutes les échelles qu’il faut pouvoir
mobiliser conjointement. Un élève peut vivre à l’échelle d’un « quartier », avec sa mère, dans
un autre espace avec son père et communiquer au quotidien avec des membres de sa famille
qui vivent en des lieux forts éloignés. L’enjeu est bien de faire place à l’ensemble des
expériences et pour cela de nuancer la vision traditionnelle.

Pour aller plus loin


Une définition de la localisation et de la situation :
https://www.hypergeo.eu/spip.php?article12
Une définition de l’échelle (qui inclut aussi la définition de l’échelle cartographique) :
https://www.hypergeo.eu/spip.php?article91

Le quotidien et ses lieux

Le commentaire du programme associe le mot « quotidien » aux lieux de vie. Il s’agit donc
d’abord de s’intéresser aux lieux généralement les plus proches, ceux de l’activité quotidienne
des élèves : la maison, l’école, les lieux de diverses activités sportives, culturelles ou de
consommation ainsi qu’aux trajets qui relient ces lieux.
Mais le pluriel (« mon(mes) lieu(x) de vie »)doit aussi permettre de sortir du quotidien et des
environnements les plus proches pour s’intéresser aux autres lieux fréquentés par les élèves,
hebdomadairement ou encore moins fréquemment : le domicile de l’autre parent dans une
situation de séparation, ceux des grands-parents, une résidence secondaire… Cela signifie que
de plus en plus, nous habitons plusieurs lieux. Les géographes parlent d’habiter polytopique
(voir plus loin).
Quelques remarques sur le concept de lieu. La fiche Eduscol précise que « Par lieu(x), on
entendra l’environnement proche de l’élève, celui qu’il pratique au quotidien et avec lequel il
est en relation, et qui présente certaines caractéristiques. » C’est un concept complexe et le
Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés (2003) n’en donne pas moins de
quatre définitions. On peut ici les synthétiser pour définir un lieu comme un petit espace où
se passe la vie sociale quotidienne, un espace dans lequel les distances se parcourent
facilement et rapidement, un espace au sein duquel les sentiments d’appartenance et
d’appropriation sont les plus développés.
En ville, le lieu pourrait être assimilé au quartier, tandis que dans le monde rural, ce sera le
village dans sa totalité ou le hameau. Cette remarque pose la question de la localisation de
l’école et des types de lieux de vie des élèves : en centre-ville, en banlieue, à Paris, dans une
grande ville ou une petite, à la campagne, en montagne, au bord de la mer… Dans la mesure
où il s’agit de partir des élèves et de leurs expériences, la diversité des lieux étudiés pourra
être relativement importante et le vocabulaire géographique mobilisé sera différent. Pour
combler les écarts entre élèves, il est important de les familiariser avec d’autres types
d’espaces que ceux qu’ils connaissent et donc avec un autre vocabulaire. Il peut être
intéressant pour cela de mettre en place une correspondance avec une classe située dans un
environnement différent. Ce peut être l’occasion d’activités interdisciplinaires en français, arts
plastiques, histoire…

Pour aller plus loin


L’entrée « lieu » dans LÉVY, J. et LUSSAULT, M. (2003), Dictionnaire de la géographie et
de l’espace des sociétés, Belin.
Une recherche de la géographe Muriel Monnard sur les lieux du quotidien des élèves (au sein
de l’école) https://visionscarto.net/ecole-lieux-de-vie

Sortir de l’école

On ne sort pas assez des écoles, pas assez lorsqu’il s’agit de faire de la géographie en
particulier. La géographie est un savoir sur le monde et il est dommage de ne l’acquérir qu’à
travers des livres et des images. Ce premier thème de l’année se prête particulièrement bien à
l’organisation d’une sortie de terrain comme le rappelle les auteurs de la fiche Eduscol.
L’organisation d’une sortie se fait en quelques étapes et requiert quelques connaissances
administratives. On se reportera utilement aux textes officiels sur le sujet (voir ci-dessous).
Mais pour l’essentiel, on peut distinguer trois types de sorties : les sorties régulières (par
exemple pour aller à la piscine), les sorties occasionnelles sans nuitées et celles avec nuitées.
C’est le deuxième type qui nous intéresse ici ; il permet d’aller simplement dans les environs
de l’école. Ces sorties ne nécessitent que l’autorisation du directeur ou de la directrice de
l’école. S’il convient bien sûr d’informer les parents et de prévoir un encadrement adapté, ce
type de sortie, à pied, dans un environnement proche est facile à organiser.
Les intérêts d’une sortie de terrain sont nombreux. La sortie permet un accès direct au monde,
sans la médiation d’un support de « papier » ; elle permet d’établir une relation directe entre
l’élève et son environnement. Lors d’une sortie, les élèves mobilisent largement leurs sens et
leurs émotions contrairement à la salle de classe où ce sont la vue et l’ouïe (pour écouter les
mots de l’enseignant) qui sont les vecteurs premiers du rapport au monde. La sortie permet de
développer une géographie sensible et sensorielle ainsi qu’une géographie des émotions :
les odeurs, les bruits de la ville ou de la campagne, la sensibilité au temps qu’il fait, à la
lumière… (ce qui permet aussi des croisements avec la peinture, le cinéma, la littérature). Une
sortie est aussi une activité physique dans laquelle la marche joue un rôle important ; les
élèves peuvent à cette occasion travailler des connaissances pratiques comme celle qui
consiste à s’orienter ou se déplacer dans l’espace avec un plan. Elle développe l’autonomie
des élèves car c’est une expérience sociale et de responsabilité importante, elle peut
compenser des inégalités culturelles (lors d’une visite de musée par exemple), enfin elle offre
l’opportunité de décloisonner les enseignements.
Une sortie doit être préparée avec le plus grand soin. Il est nécessaire de se rendre sur les
lieux avant d’y emmener les élèves. Il faut être particulièrement attentif aux consignes : les
élèves doivent savoir précisément que faire. En effet, hors de la salle de classe, la situation
change. Il est par exemple plus difficile de faire passer des consignes (les donner par écrit est
une bonne solution) et les élèves sont tentés par des formes de dispersion. Enfin, la sortie doit
s’intégrer de manière cohérente dans une séquence.
Pour ce thème 1, la sortie va permettre d’explorer l’environnement de l’école et le lieu de vie
quotidien des élèves. Il s’agira de repérer (et de mettre en relation le plan et le réel), de
nommer afin d’acquérir du vocabulaire géographique (sur les lieux et leurs fonctions, sur les
formes du relief, sur les transports et les axes…) et de décrire les paysages (ce qui peut se
faire en exécutant un croquis simplifié). De retour en classe, on pourra mobiliser l’ensemble
des matériaux pour interpréter. La fiche Eduscol propose pour cela des pistes intéressantes.

Pour aller plus loin


Un texte officiel de référence pour l’organisation d’une sortie scolaire : la circulaire n°99-136
du 21 septembre 1999 http://circulaire.legifrance.gouv.fr/pdf/2009/04/cir_1551.pdf
Une interview de Sophie Gaujal sur les pratiques sensibles dans l’enseignement de la
géographie
http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2019/04/04042019Article63689956746273
6264.aspx
Sur la géographie des émotions, voir le numéro spécial de la revue Carnets de Géographes
https://journals.openedition.org/cdg/605

Les outils du géographe

Ce premier thème est l’occasion d’initier les élèves aux outils et démarches du géographe. Les
premiers outils des géographes sont des représentations de l’espace et en premier lieu les
cartes. On ne distinguera pas ici carte et plan : tout plan est une carte, mais à l’échelle d’un
territoire réduit. C’est donc souvent le plan qui utilisé pour traiter le thème 1 du CM1. Une
carte est une représentation plane, réduite et codifiée de l’espace terrestre ou d’une partie
de celui-ci. Revenons rapidement sur les trois adjectifs :
Plane. Cela permet de différencier la carte des globes terrestres. On parle néanmoins de
« carte » en relief pour les représentations avec des creux et des bosses du relief d’un espace.
Réduite. C’est le principe même de la cartographie. Une carte à l’échelle 1/1 serait
inutilisable. La réduction permet d’avoir une représentation globale d’un territoire mais elle
fait perdre des informations. Plus on réduit, plus on « voit » un grand territoire mais plus on
perd d’informations. En cartographie, on utilise la notion d’échelle de manière contre-
intuitive : une carte à grande échelle est celle d’un petit territoire, une carte à petite échelle est
celle d’un grand territoire. On notera au passage qu’en géographie, on procède à l’inverse : la
petite échelle désigne un petit territoire.
Codifié. Il existe des règles en cartographie. Le géographe Roger Brunet parle des « dix
habits de la carte », ce que l’on doit impérativement trouver sur une carte : le titre, le cadre, la
légende, l’échelle, l’orientation, les coordonnées, la source, la date, la nomenclature et le
contenu de la carte lui-même. Les codes sont graphiques. Ils ont été notamment définis en
France par le cartographe et sémiologue Jacques Bertin. Le but est d’avoir la plus grande
lisibilité possible. Ces codes sont aussi techniques. Ainsi la manière dont on attribue une
couleur par exemple à un pays en fonction de sa densité de population, de sa richesse par
habitant ou encore du pourcentage de moins de 15 ans ne peut relever du hasard. Il y a des
méthodes pour cela. On parle de discrétisation. « La discrétisation est l’opération qui permet
de découper en classes une série de variables qualitatives ou de variables quantitatives. Cette
opération simplifie l’information en regroupant les objets géographiques présentant les
mêmes caractéristiques en classes distinctes. Une discrétisation est satisfaisante lorsqu’elle
permet la création de classes homogènes et distinctes entre elles : les objets géographiques
d’une même classe doivent se ressembler plus entre eux qu’ils ne ressemblent aux objets des
autres classes. Discrétiser une série statistique constitue souvent l’ultime étape de la
réduction, de l’organisation et de la hiérarchisation de l’information avant de construire une
carte qui rend compte de la répartition géographique de cette même série statistique. »
(Christine Zanin, Hypergeo, https://www.hypergeo.eu/spip.php?article374 )
La notion de représentation est essentielle. Une carte n’est pas un reflet de la réalité mais
une construction d’un discours sur cette réalité. Certes, ce discours iconique respecte des
règles mais il est possible de construire de multiples cartes différentes d’un même espace
selon les choix techniques et graphiques que l’on effectue. Avec l’exemple ci-dessous, on
peut voir que ces règles ne sont pas toujours respectées et donnent donc des productions
cartographiques très variables et parfois mensongères.

L’analyse critique présentée ici est celle d’une carte publiée quotidiennement par le journal
Le Monde pendant l’épidémie de Coronavirus avec les données fournies par l’Université
Johns Hopkins. En voilà une capture d’écran.

Cette carte est interactive : en cliquant sur un pays, on peut avoir des informations sur le
nombre de cas, de morts et de guéris. C’est aussi une « double carte » car on peut choisir de
visualiser soit les cas, soit les morts. Tout cela est très intéressant mais malheureusement il y
a trois problèmes majeurs avec cette carte.
Le premier problème, c’est la discrétisation. Un gros mot ? Non, c’est simple : discrétiser,
c’est répartir une série de données (ici des cas ou des morts par état) dans quelques groupes
(on dit des classes). Pour cette carte on a cinq classes. C’est une étape importante car quand
deux pays sont dans la même classe, on ne peut plus les distinguer sur la carte même si les
situations sont assez éloignées. À l’inverse, il est gênant que deux pays aux situations proches
soit dans des classes différentes. Un exemple : au 28 mars, il y avait 92 morts en Turquie et
105 morts en Suède. L’écart n’est pas énorme pourtant ces deux pays sont dans deux classes
différents et la Suède se retrouve avec le Royaume-Uni où le nombre de morts est beaucoup
plus important : 761. Ces situations (il y en a beaucoup d’autres exemples) reposent sur un
choix totalement irrationnel construit autour d’un fétiche, une barrière apparemment
infranchissable : le chiffre rond, cent ou mille ou dix mille. Un chiffre rond, c’est rassurant,
ça paraît solide mais ça ne vaut rien ailleurs que dans nos imaginaires. Il existe pourtant bien
d’autres manières de discrétiser, plus précises, plus efficaces, qui tiennent compte des
caractères d’une série de données, qui séparent ce qui est éloigné et qui mettent ensemble ce
qui va ensemble.
Deuxième problème, le choix de données absolues pour réaliser la carte. Les données
absolues, ce sont les chiffres « bruts » : par exemple 32 332 cas en Iran le 28 mars. On peut
les différencier des données relatives qui sont des données rapportées à un ensemble, par
exemple, toujours pour l’Iran, le nombre de cas par rapport à la population totale. En
prenant des données absolues, on néglige l’essentiel et on met dans le même sac ce qui n’a
rien à voir. Un exemple ? Le Japon et le Canada, une cinquantaine de morts dans les deux
cas donc on les a mis ensemble. Le problème c’est que rapporté à la population totale des
pays, ce n’est plus du tout la même chose. Il y a presque quatre fois d’habitants au Japon
qu’au Canada : on pourrait les rapprocher s’il y avait quatre fois plus de morts au Japon
qu’au Canada. En données relatives, on voit que ce qui s’est passé en Chine est beaucoup
moins grave que ce qui arrive actuellement en Espagne ou en Italie. Cette carte tirée du site
de Médiapart le montre.

Troisième problème, l’utilisation de figurés de surface (on met en rouge, ou d’une autre
couleur, toute la surface d’un pays) pour des données brutes. Pour ce type de données, il faut
utiliser des figurés ponctuels, par exemple un point. Comme sur cette carte.
Pourquoi ? Et bien parce qu’un point ou un carré ou un triangle pourra signifier assez
fidèlement la donnée : plus il est gros, plus la donnée chiffrée est importante. Mais si on
mélange tout, si on met en couleur toute la surface d’un pays pour dire une donnée brute, on
va mettre beaucoup plus de couleur sur un grand pays donc attirer l’œil vers ce pays, donc
dire en quelque sorte que c’est là que le phénomène est important. Regardez encore la carte
du Monde : l’œil est attiré par la Chine et les États-Unis, c’est normal, c’est grand. C’est
pourtant du côté de l’Europe qu’il faudrait que l’œil soit attiré mais comme l’Europe c’est
plus petit, ça se voit moins.
(d’après : https://geobuis.hypotheses.org/925 )

Les géographes utilisent beaucoup d’autres outils, des outils qui représentent visuellement,
graphiquement ou textuellement des espaces : des images satellitales, des photos, des croquis,
des dessins, des graphiques, des cartes…
Ces outils peuvent être utilisés dans l’enseignement ; on parlera alors en général de
documents. Revenons brièvement aux cartes. Si les cartes sont essentielles, d’abord pour
localiser et ensuite pour comprendre, cela veut dire qu’elles doivent être présentes dans les
salles de classe et les activités d’enseignement. Dans les salles de classe, il est intéressant
d’avoir des cartes murales (dans l’idéal, une carte du Monde, une de l’Europe, une de la
France et un plan de la ville ou du quartier) qui peuvent être mobilisées en permanence dans
les apprentissages et pas seulement en géographie. Le repérage doit devenir une habitude.
Plus généralement, on pourrait retenir le principe suivant pour les cours de géographie : pas
de géographie sans carte.
Il n’y a pas de document qui soit géographique par définition. C’est la manière dont on
l’utilise, dont on l’interroge qui fait leur dimension géographique. Ainsi, un paquet de café ou
une cannette de boisson gazeuse peut permettre de faire de la géographie et devenir ainsi un
document pour le géographe ou l’élève en cours de géographie : lire les informations, repérer
les lieux d’origine des produits utilisés, le lieu de conditionnement, le lieu où est installé
l’entreprise, localiser cela sur la carte… ce sont les premières étapes d’une activité en
géographie.

Pour aller plus loin


Le site Géoportail qui permet d’accéder à des cartes actuelles ou passées, sur diverses
thématiques et à toutes les échelles du territoire français https://www.geoportail.gouv.fr/
Les démarches du géographe

Dans les représentations courantes, la géographie est encore souvent associée à une discipline
pour laquelle la localisation et la mémorisation d’informations demeurent la finalité
essentielle et font office de démarche.
Il y a aujourd’hui, dans la recherche et dans l’enseignement, de nombreuses démarches
possibles en géographie. Mais, pour l’essentiel, on peut s’accorder pour les pratiques de classe
autour de trois étapes adaptables aux situations particulières :

1) Localiser et situer
2) Décrire des espaces ou des situations
3) Expliquer, interpréter

Soit trois questions principales : Où ? Comment ? Pourquoi ?


Pour la première étape, on privilégiera le verbe « situer » au verbe « localiser » (voir ci-
dessus). Si le premier vocable répond à la question simple du « où ? », le verbe « situer »
suppose une question plus complète à savoir « où et par rapport à quoi ? ». Cette précision
permet alors de prendre en compte des notions d'échelle et de distance et d'entrer plus
facilement dans le raisonnement.
La seconde étape consiste à décrire (on peut parfois commencer par là afin de trouver des
indices pour situer). Ce peut être un paysage, ce peut être une situation, un phénomène (la
répartition des populations sur la terre, les migrations vers l’Europe…).
Ce constat doit soulever des questions – c’est la troisième étape – pour lesquelles l'élève peut
émettre des hypothèses (par exemple « pourquoi ici et pas ailleurs ? »). Puis, à partir des
informations fournies par la situation et par celles qui sont disponibles en mémoire ou dans
d'autres cas déjà évoqués, il est possible de produire des inférences (déductions, inductions) et
tenter d'expliquer la situation proposée.
Pour ce qui concerne le thème 1 du CM1, il est possible de localiser les lieux de vie, de les
situer dans des environnements plus ou moins larges (la ville, la région, la France…), de les
décrire et de décrire les activités qui y ont lieu, enfin de tenter de comprendre, comprendre
des logiques, comprendre pourquoi il y a des maisons individuelles plutôt que des immeubles,
une forte ou une faible densité, des activités tertiaires ou industrielles…

Dans l’enseignement de la géographie, on oublie souvent une quatrième question : Qui ?


Cette question essentielle qui peut être associée au « Comment ? » ou au « Pourquoi ? » est
celle des acteurs. Derrière le monde que l’on décrit, que l’on observe, que l’on tente de
comprendre il y a des acteurs. Les quartiers, les villes, le Monde ne se transforment pas seuls,
de manière magique, même si des raccourcis journalistiques le laissent penser. Ainsi, on
écrira par exemple que « Paris se développe », que « les frontières de France se ferment » ou
encore que « la nature reprend ses droits » (on se demande bien lesquels !). Toutes ces
expressions qui semblent donner une puissance magique aux lieux et aux espaces occultent le
fait que ces lieux et ces espaces sont produits et organisés par des sociétés, dans lesquels se
côtoient et interagissent de nombreux acteurs. Les principaux types d’acteurs géographiques
sont :
-les individus, les familles, les collectifs divers
-les entreprises
-les collectivités (municipalités, communautés de communes, État, Union Européenne…)
Chaque acteur a sa logique. Pris ensemble, ces acteurs constituent ce qu’on appelle un
système d’acteurs, au sein duquel se tissent des complicités, des concurrences et/ou des
antagonismes qui sont à l’origine de la production d’espaces et de conflits. Le rôle des acteurs
dépend bien sûr de leurs moyens, de leurs stratégies, de leurs intérêts et de leurs
représentations, qui dépendent en grande partie des coutumes sociales et des idéologies dans
lesquelles ils baignent.
Penser les espaces avec leurs acteurs permet d’envisager les dynamiques spatiales (comment
un espace se transforme ?), de comprendre pourquoi il se transforme et surtout peut-être dans
une perspective éducative d’aider les élèves à comprendre qu’ils sont, même avec leurs
moyens limités d’enfants, des acteurs et qu’ils participent donc à ce titre aux transformations
des espaces dans lesquels ils vivent. C’est une partie du sens et de la dimension civique des
programmes de géographie de cycle 3 : en partant des pratiques spatiales des élèves, on peut
leur permettre de comprendre que ces pratiques ont des effets sur leurs environnements.

Le système des acteurs


Logique de profit

Entreprises

Individus
Collectivités
Groupes État territoriales
Familles

Logique du bien-être Logique de gestion

Espace géographique (produit social)

Pascal CLERC

Pour aller plus loin :


Un texte de Matthieu Adam publié sur le site Géoconfluences qui permet de mieux
comprendre les systèmes d’acteurs : http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-
scientifiques/a-la-une/notion-a-la-une/production-de-lespace

Habiter : une première approche

La partie « Démarches et contenus d’enseignement » du thème 1 propose de commencer à


questionner la question de l’habiter à travers l’étude des lieux de vie. En effet, cette
thématique est au centre de tout le programme de géographie des classes de CM1 et CM2.
Tout tourne autour de l’habiter.
La première idée à retenir est qu’en géographie, habiter n’est pas, contrairement au sens
commun, se loger.
Sur le site Géoconfluences, Olivier Lazzarotti définit l’habiter de trois manières :
« Habiter, c’est être dans le monde. » Cela renvoie à l’approche philosophique d’Heidegger
mais aussi de manière plus pragmatique à nos différentes façons d’habiter le monde : se loger
bien sûr mais aussi se déplacer, communiquer, consommer, se distraire… Bref, c’est tout le
programme qui se décline ainsi.
« Habiter, c’est faire avec l’espace ». Comment chacun d’entre agit, s’organise, se débrouille
dans ses espaces du quotidien ou du hors-quotidien. Habiter, c’est pratiquer des lieux.
« Habiter s’est se construire en construisant le Monde ». Il y a ici une double dimension :
celle des effets du monde sur nous, la manière dont le fait d’habiter en un lieu nous construit
et nous transforme. La deuxième dimension renvoie à la question des acteurs et de la
production d’espace : ce sont nos actions (nos manières d’habiter) qui complémentairement
ou concurremment produisent nos environnements (voir ci-dessus).
Les manières d’habiter disent la diversité du monde. On explorera d’abord dans le local, puis
avec d’autres thèmes du programme, dans des espaces plus lointains, les différentes manières
d’habiter : de se loger, de se déplacer, de consommer… Ces manières différentes d’habiter
sont l’occasion de découvrir la diversité des pratiques en fonction de l’âge, des origines
culturelles et ethniques, des moyens financiers, des lieux de vie ; mais aussi une occasion de
découvrir ce qui est commun à l’espèce humaine car partout (et de toutes les manières), nous
nous logeons, nous nous déplaçons, nous consommons…
Les manières d’habiter ont des impacts sur les environnements. Dans les lieux du quotidien,
en s’intéressant aux modes de transport et aux logements on peut déjà envisager ces impacts.
Il faut revenir maintenant sur l’usage du pluriel dans les intitulés du thème et des sous-thème :
pourquoi parler de lieux de vies au pluriel ? Ce choix renvoie à la notion d’habiter
polytopique développée par le géographe Mathis Stock. Polytopique : en plusieurs lieux.
C’est une caractéristique du monde contemporain qui renvoie à la mobilité. Les diverses
activités de l’habiter se font en des lieux parfois forts éloignés ; les individus pratiquent des
lieux multiples. « Une nouvelle façon d’habiter le Monde s’est développée : elle est
essentiellement informée par la mobilité spatiale de biens matériels, d’informations ou de
personnes. Ce développement d’une mobilité spatiale accrue concerne le fondement de l’être-
ensemble, de l’économie, des pratiques individuelles, du politique ainsi que la solution de
différents problèmes posés aux sociétés humaines. » (Mathis Stock, 2006)
Une dernière remarque : habiter, c’est toujours cohabiter. La dimension sociale, groupale doit
être prise en compte dans les travaux avec les élèves. On n’habite pas seul et, par exemple,
l’organisation des déplacements suppose de prendre en compte les autres. L’espace est
partagé.

Pour aller plus loin


Le texte d’Olivier Lazzarotti : http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/a-
la-une/notion-a-la-une/habiter
Celui de Mathis Stock :https://www.espacestemps.net/articles/hypothese-habiter-polytopique/
Une fiche Eduscol d’un programme de 2009 mais qui a l’avantage de présenter clairement le
sujet :
https://cache.media.eduscol.education.fr/file/college/56/1/College_Ressources_HGEC_6_Geo
_Habiter_127561.pdf

Les représentations des élèves

Les démarches et contenus d’enseignement associés à ce premier thème préconisent de


travailler sur les représentations qu’ont les élèves de leur lieu de vie. Ce concept sera analysé
ici dans une perspective scientifique puis didactique.
Qu’est-ce qu’une représentation ? Ce terme a de multiples significations mais pour ce qui
nous intéresse ici, on peut s’en tenir d’abord à une des définitions courante : action de rendre
quelque chose ou quelqu’un présent sous la forme d’un substitut. Autrement, la représentation
renvoie à ce qui n’est pas présent, éloigné dans le temps ou dans l’espace, et que l’on va tenter
de « faire vivre » par un moyen matériel ou mental (on pourrait encore préciser : d’abord
mentalement puis par une matérialité quelconque). Notons au passage que cela permet de
distinguer la représentation de la perception : la perception renvoie à ce qui est présent, c’est
un phénomène physiologique qui passe par nos sens (mais qui peut être influencé par nos
représentations : on perçoit un paysage avec nos yeux mais aussi en fonction de nos
représentations).
C’est un psychosociologue, Serge Moscovici, qui s’intéresse le premier à cette notion. En
1961, dans La psychanalyse, son image et son public, il mobilise la notion de représentation.
Si l’on reste à un niveau général, avant d’aborder les représentations spatiales, on peut ajouter
quelques éléments. Nous avons des représentations sur tout : les peuples, les pays, le rock, le
capitalisme, le bricolage… c’est ce qui nous permet d’interpréter le monde. Moscovici met en
évidence deux phénomènes dans son travail sur les représentations. Il appelle le premier
« objectivation ». Cela consiste à transformer une notion abstraite et parfois complexe – la
mondialisation par exemple – en une réalité simple, concrète, que l’on peut imager. Le
seconde phénomène est nommé « ancrage ». Il signifie qu’une représentation vient s’ancrer
dans un réseau représentationnel qui donne sens au monde pour chacun d’entre nous. En ce
sens, Une représentation n’est jamais complètement nouvelle : elle est cohérente avec notre
réseau, elle vient s’y inscrire sans heurt, elle trouve sa place. Cela permet de comprendre
pourquoi, il est difficile de faire évoluer les représentations des élèves, pourquoi elles sont
stables. Une représentation et un réseau de représentations supportent mal d’être déstabilisés ;
c’est avec cela que nous interprétons le monde qui nous entoure.
Les géographes nuancent quelque peu cette définition en fonction de leurs intérêts propres,
d’une part en mobilisant la question de la matérialité de la représentation, d’autre part avec sa
dimension spatiale.
Les représentations peuvent être mentales, sans matérialisation, ce sont des pensées. En
géographie, on s’intéresse généralement à la traduction matérielle de ces pensées : une carte,
un dessin, un croquis, une photographie…
Les représentations matérielles de l’espace figurent un espace géographique. En premier,
on pense à la carte. La carte est une représentation ce qui veut dire que par définition, elle
n’est pas un double du réel comme on l’a vu plus haut. Intégrer les cartes dans les
représentations permet de construire la notion de représentation savante. Une représentation
savante est construite dans un cadre scientifique selon des règles et des procédures. Pour
autant, elle n’en reste pas moins une représentation au sens notamment où ces règles et
procédures sont toujours définies à l’intérieur du cadre culturel, d’un projet scientifique. On
peut représenter matériellement les espaces de multiples manières. Outre les représentations
évoquées ci-dessus, il y a les maquettes, les discours textuels, les peintures, les graphiques, les
films… Pourquoi est-ce que les géographes s’intéressent aux représentations ? D’une part
parce que cela permet de mieux comprendre les individus et les sociétés, leurs relations avec
leurs environnements et leurs comportements dans l’espace. D’autre part parce que nos
représentations déclenchent des actions : on se comporte dans un espace, on l’habite, en
fonction de nos représentations.
Dans le cadre de la classe de CM1, on recueillera les représentations que les élèves ont de
leurs lieux de vie. Ces représentations sont en général individuelles même si la dimension
collective (le fait de vivre en société dans une certaine culture) ne peut être écarté. Elles sont
la traduction mentale ou matérielle de pratiques spatiales (voir plus loin). Le recueil des
représentations se fait fréquemment avec des cartes ou des dessins mais on peut aussi
demander aux élèves d’écrire des textes ou de faire des photographies ; la fiche Eduscol
mentionne aussi la construction de maquettes, l’écriture de poèmes ou la réalisation d’un
reportage. Notons au passage qu’une représentation n’est ni fausse, ni exacte. Elle peut être
plus ou moins éloignée du savoir scientifique de référence (qui est aussi une représentation),
plus ou moins éloignée du « réel », mais elle est toujours pertinente pour celui qui l’exprime.
C’est ce qui permet à chacun de composer avec le monde et d’y vivre. Recueillir les
représentations des élèves a un double intérêt didactique. D’abord cela permet de les
impliquer plus fortement dans les activités : on part d’eux, de ce qui les concerne et cela va
faciliter leur engagement dans le travail. Ensuite, c’est une étape essentielle pour l’enseignant
qui va pouvoir s’appuyer sur les représentations des élèves pour construire le cours et utiliser
leurs représentations matérielles comme des outils dans la construction du savoir.

Un exemple de représentation d’élève (celle de la grande ville)


Source : Leroux, X. et Verherve, M. (2014) «Ma petite géographie» ou la fabrique des représentations
des lieux chez de jeunes élèves, Mappemonde n°117, https://mappemonde-
archive.mgm.fr/num41/articles/art14101.html

Pour aller plus loin


Le livre d’Armand Frémont La région espace vécu. Ce livre paru initialement en 1976 aborde
la plupart des sujets relatifs au thème 1 du CM1 avec des développements importants sur la
psychologie de l’espace. La 2ème édition en 1999 actualise la plupart des concepts mobilisés.
Des représentations d’élèves de 4ème (texte, plan et photo) recueillies pendant la période de
confinement en 2020 : https://view.genial.ly/5e80c8155ad5150d93dab237/guide-geographie-
du-confinement
Les pratiques spatiales

Le texte de présentation du premier thème de CM1 mentionne l’intérêt à porter aux


« pratiques » des lieux de vie, ce que l’on peut désigner en géographie par l’expression de
pratique spatiale. Pour les géographes, toute pratique est spatiale au sens où elle engage
forcément une dimension spatiale. Petite parenthèse : l’espace et le temps sont constitutifs de
la vie humaine et sont donc engagés en tout instant dans celle-ci. Dit autrement, quoi que nous
fassions, nous mobilisons en permanence du temps et de l’espace.
Nos activités sont des pratiques spatiales. Sur le modèle de l’homo economicus, la géographie
du comportement s’est intéressé depuis longtemps à celui de l’homo geographicus. En ce sens
nos pratiques spatiales sont collectives et relèvent de comportements rationnels, par exemple
optimiser un déplacement ou faire le trajet le plus court possible pour ce rendre à la
boulangerie. Cette géographie comportementale est très utile pour l’aménagement des
espaces. Mais elle a ses limites, d’une part parce que nos pratiques spatiales sont aussi
guidées par des logiques culturelles qui varient selon la civilisation à laquelle on appartient,
D’autre part parce que certaines pratiques sont individuelles et liées à des choix et des
représentations qui appartiennent à chacun. Ainsi les pratiques des lieux de vie des élèves
relèvent à la fois d’une dimension collective (être un enfant de neuf ans qui vit en France dans
une ville ou un village…) et individuelle.
Les pratiques spatiales ont des effets sur les espaces (c’est ce qui fait de chacun d’entre nous
un acteur spatial). Ces effets sont la plupart du temps minimes à l’échelle de l’individu. C’est
leur répétition par des dizaines, des centaines, des milliers ou des millions d’individus qui va
produire ou transformer les environnements. Ces pratiques sont en outre souvent peu
conscientes de leurs effets ; elles ne sont pas exercées en fonction d’effets attendus. Ainsi se
déplacer en transport en commun a des effets sur les espaces : fréquence des bus, mise en
service d’une nouvelle ligne, construction d’une station de métro, réduction des nuisances
environnementales et de l’encombrement des voies… L’enseignement de la géographie sert
aussi à prendre conscience de ces effets.
Lorsque les pratiques spatiales sont envisagées dans la perspective de transformations des
lieux, on parle en général d’actions spatiales. Par exemple, mettre en service une ligne de bus
en site propre est une action spatiale décidé par une collectivité territoriale qui peut répondre à
des pratiques spatiales. On utilise aussi en géographie la notion de spatialité. Cette notion est
voisine de celle de pratique spatiale mais plus englobante au sens où on ne s’intéresse pas
seulement à la dimension matérielle, concrète et visible de la pratique mais à toute la
dimension mentale, culturelle, sociale, philosophique, politique… qui participe de la pratique.
Par exemple une pratique spatiale d’un habitant du périurbain comme celle qui consiste (en
général) à utiliser la voiture individuelle pour se déplacer peut (doit) être pensée dans un
cadre plus large qui associe le choix d’un mode de vie, une représentation de la nature, une
forme de centration sur la famille, le refus de certaines formes d’altérité… Pour ce qui
concerne les élèves, on peut au-delà des pratiques spatiales, commencer à réfléchir avec eux
aux spatialités.
Un des thèmes du programme qui semble le plus adapté à un travail sur les pratiques spatiales
et/ou les spatialités est celui des mobilités. Pratiquer un lieu de vie, c’est s’y déplacer. On peut
s’intéresser aux itinéraires empruntés, aux raisons des déplacements (faire le trajet maison-
école, aller à l’entraînement de basket, rendre visite à sa grand-mère…) et aux moyens de
transport utilisés. On le fera d’abord à l’échelle individuelle puis à celle de l’ensemble des
élèves de la classe. C’est un moyen efficace de construire de nombreuses compétences :
construction de plans, vocabulaire géographique, travail de groupe…
Un exemple de pratique spatiale :

Source : Lévy, J. Fauchille, J.-N. et Povoas, A. (2018) Théorie de la justice spatiale. Géographies du
juste et de l’injuste, Odile Jacob.

Pour aller plus loin


Un entretien avec le géographe Michel Lussault qui propose de faire le lien entre les pratiques
extra-scolaires et ce que l’on apprend à l’école https://cdn.reseau-
canope.fr/archivage/valid/contenus-associes-entretien-avec-michel-lussault-N-15271-
22828.pdf

Vers des territoires plus vastes

À partir du lieu ou des lieux de vie des élèves, l’objectif affiché du programme est d’élargir à
des territoires plus vastes, de localiser et situer l’endroit où l’on vit dans une région, en
France, en Europe et dans le Monde. Cet élargissement des perspectives est un moyen de
mieux connaître ce qui nous environne à toutes les échelles.
En 1972, dans Psychologie de l’espace, Abraham Moles et Elisabeth Rohmer proposent le
concept de « coquilles de l’homme ». De quoi s’agit-il ? À partir de soi, chacun d’entre nous
construit ses environnements selon un système d’espaces emboîtés, ses « coquilles ». Les huit
coquilles définies par les auteurs sont :
-son propre corps et cette paroi qu’est la peau, renforcée par les vêtements, qui nous
sépare du monde extérieur
-la sphère du « geste immédiat », c’est-à-dire tout ce qui est à portée de main sans se
déplacer
-la pièce où nous nous tenons dans un appartement où une maison. C’est la coquille du
visible et de la très grande proximité
-notre appartement ou notre maison, chez nous, ce qui est privé et où on ne peut
entrer qu’avec une clé
-le quartier, c’est-à-dire un environnement familier, régulièrement fréquenté, sans
rien d’inconnu que Moles et Rohmer définissent comme un cercle de 500 mètres de
rayon
-la ville avec déjà des endroits inconnus, une absence possible de familiarité et une
interconnaissance réduite
-la région, définie comme partout où l’on peut aller et revenir en moins d’une journée,
c’est-à-dire (en 1972), un cercle de 6 à 30 kilomètres de rayon
-le vaste monde, tout le reste, au-delà de trente kilomètres

Les travaux de Moles et Rohmer renvoient à ceux de Piaget sur la représentation de l’espace
chez les enfants. On peut faire le lien avec la découverte progressive, au cours de la petite
enfance, d’espaces de plus larges, de plus en plus éloignés de la proximité immédiate. La
proposition de Moles et Rohmer s’accorde aussi avec une vision autocentrée du monde, à
partir de soi, que les apprentissages remettent peu à peu en cause avec la capacité de
décentration. Cette approche permet aussi de qualifier les différentes coquilles de l’intime au
public en passant par le privé et le familier : le corps comme sphère de l’intimité la plus
grande au monde comme espace public plus ou moins inconnu. Pour autant, la théorie des
coquilles de l’homme peut être discutée. D’abord, c’est le moins important, quant au nombre
et à la taille des coquilles ; on peut par exemple s’interroger sur l’absence de la nation comme
coquille de référence alors qu’en terme de pratiques comme de représentations symboliques,
elle est très importante. Mais le plus important, c’est la remise en cause de ces coquilles
successives, qui sont autant d’espaces de tailles différentes, en raison de leur dimension un
peu mécaniste et très égocentrée. La réalité contemporaine est plus complexe parce que les
coquilles et les échelles se mêlent (voir plus haut). En raison des mobilités et des possibilités
de télécommunications, on se déplace rapidement sur de grandes distances et des échanges
même intimes sont possibles avec des personnes et des lieux situés au-delà des océans : le
proche n’est pas forcément plus familier que le lointain. Ces considérations doivent être prises
en compte dans le travail avec les élèves. C’est difficile mais il faut tenter de dépasser la
logique des emboîtements d’échelle : le local dans le régional, le régional dans le national…
pour penser la complexité des pratiques et des appartenances spatiales de chacun.

En dépit de ces réserves, examinons maintenant rapidement quelques-uns de ces territoires


mentionnés dans le programme : la région, l’Europe et le Monde. Nous laisserons de côté la
France, indiquée pourtant dans le programme, dans la mesure où le territoire national est
l’objet de très nombreux développements dans la totalité du cursus de géographie de l’école
au lycée. Signalons simplement le poids administratif, symbolique, affectif, pratique de ce
niveau de découpage, renforcé en France par une structure administrative très centralisée.
La région sera l’occasion de commencer à aborder les découpages administratifs de la France.
Il convient de le faire sans souci d’exhaustivité et sans trop s’attarder sur les compétences de
ce niveau administratif. Par contre, on peut déjà faire entrevoir aux élèves l’idée que pour
gouverner un territoire, il faut le découper et affecter à chaque « maille » un niveau de
découpage des responsabilités et des compétences. On peut aborder les notions de communes,
de communautés de communes, de départements et de régions. Pour ce qui concerne les
régions, on rappellera que c’est seulement en 1960 qu’il fut envisagé de créer un échelon
intermédiaire entre le département et l’État avec 21 régions métropolitaines d’abord puis 22
en 1970 lorsque la Corse est séparée de PACA. Les lois successives de décentralisation ont
accru les pouvoirs des régions à partir des années 1980. Mais, pour des raisons de taille et de
budget, ces régions n’avaient qu’un pouvoir limité. Ce fut un des enjeux de la réforme
régionale de 2016 : regrouper les régions françaises pour accroître leur pouvoir. On est passé
ainsi de 22 régions métropolitaines à 13 (et 5 régions d’outremer). Cependant en raison de
nombreuses résistances, cette réforme apparaît comme incomplète puisque certains
regroupements ne purent être effectués.
L’Europe est un espace de référence important, de plus en plus important. Mais avant d’aller
plus loin, il importe avec les élèves de bien distinguer le « continent » européen de l’Union
Européenne. Cette distinction est nécessaire mais difficile dans la mesure d’une part où par
facilité langagière les médias confondent souvent les deux, d’autre part parce que ces deux
espaces se ressemblent de plus en plus avec l’élargissement progressif de l’Union
Européenne. Cette Union est un ensemble clairement délimité de 27 états (depuis le retrait du
Royaume-Uni acté en janvier 2020). Avec des cartes, les élèves doivent peu à peu se
familiariser avec cet espace de référence qui est (pour partie) celui de la monnaie qu’ils
utilisent, celui des lois auxquelles ils doivent obéir et celui sans doute de leur vie future. La
notion de continent européen est plus complexe. On rappellera ici brièvement que le
continent européen est une construction élaborée en grande partie au XVIIIe pour mieux
ancrer la Russie utile dans l’Europe des Lumières. L’Europe n’est pas un continent au sens
physique du terme (un ensemble de terres contigües et de grande taille) ; il n’y a pas non plus
de définition officielle qui serait admise par tous du continent européen. De cela, on peut
déduire deux idées : la première c’est que les limites de ce « continent » sont à géométrie
variable, la seconde c’est que l’argument de l’appartenance au continent européen pour
pouvoir intégrer l’Union Européenne est difficilement utilisable.
Le Monde. Les géographes ont pris l’habitude d’utiliser ce mot avec une majuscule, comme
un nom propre, pour désigner un espace unique, le plus grand de nos espaces de vies. Le
Monde c’est l’espace des humains ; il correspond aujourd’hui à la totalité de la Terre, la
planète. Ce Monde, totalement connu aujourd’hui, est aussi totalement habité (au sens donné
plus haut) ce qui veut dire que l’oekoumène (ou écoumène) défini comme la partie de la Terre
habité par les hommes est aujourd’hui le Monde. Le Monde est aussi mis en relation à toutes
les échelles ; c’est le sens du concept de mondialisation. A l’école, le Monde est souvent
abordé à travers le découpage continental et océanique. Il est essentiel que les élèves
maîtrisent ces grands points de repère. Pour cela, il est important de les confronter le plus
possible avec des cartes du monde, non forcément pour les « apprendre » (les mémoriser)
mais pour les utiliser (et ainsi les connaître). On peut aussi créer des situations d’énigme en
confrontant les élèves à des représentations du monde peu familières (voir ci-dessous) sur
lesquelles il s’agira de retrouver des lieux. Cela permet au passage de commencer à les
sensibiliser au fait qu’une carte n’est pas le réel mais une représentation du réel.

Enfin, ces apprentissages relatifs au monde peuvent immédiatement prendre sens comme le
montre l’exemple développé avec des collégiens suisses qui est présenté ci-dessous. On peut
assez facilement adapter cet exemple à des élèves de CM1.

Prenons un exemple récent vécu dans une classe du degré 7 : plutôt que d’aborder la
question des grands découpages terrestres sur un planisphère en dictant et en y faisant placer
le nom des continents, la classe a été soumise à un problème sans avoir de références à
disposition: « Combien y a-t-il de continents à la surface de la Terre ? ». Un élève a répondu
« moins de 4 », quelques-uns ont répondu 5, d’autres 6, d’autres enfin 7.
Dans ce cas, assurer la dévolution du problème à la classe consiste à organiser les échanges
en demandant par exemple à celui qui estime qu’il y a moins de 4 continents d’expliciter ceux
auxquels il pense. Puis de demander aux autres d’ajouter leurs propositions pour arriver à 5,
6 ou 7 continents. Aucune réponse n’est jugée par l’enseignant « juste » ou « fausse », toutes
sont prises en considération et notées. Et c’est du débat entre élèves que ressort la nécessité
de disposer de réponses précises à des questions comme « Y a-t-il une, deux ou
trois Amériques ? », « Aux pôles, y a-t-il des continents ou non ? » Pour y arriver, on est
obligé de passer par l’élaboration d’une définition du mot « continent » et par l’utilisation
rigoureuse de cartes.
Et c’est ainsi que, par des réflexions ancrées sur des exemples (« ceci est un continent ») et
des contre-exemples (« ceci n’est pas un continent »), la classe arrive à déterminer que la
notion « continent » se compose de trois éléments constitutifs, « une masse de terre », «
grande », « entourée d’eau ».
Surgissent alors de nouvelles questions : pourquoi dit-on que l’Océanie est un continent ? Où
passe la limite entre un continent et ce qui est trop petit pour être considéré comme un
continent ? Et pourquoi dit-on de l’Europe qu’elle est un continent ? En abordant toutes ces
questions, les élèves sont plongés en pleine géographie : pourquoi les hommes ont-ils besoin
de diviser le monde dans lequel ils vivent ? Comment trace-t-on ces limites ? Qui les trace ?
Quand ont-elles été définies? Et l’on apprend que tout espace est un espace construit, qu’on
croit être dans un problème de géographie physique alors qu’il a de fortes composantes
culturelles et politiques, et que les définitions héritées d’un temps où la conception du monde
était différente ne sont pas forcément opérationnelles aujourd’hui.
Ainsi, au cœur de tous ces apprentissages forts sur les plans anthropologique et
géographique, prend forme chez l’élève une construction mentale de sa conception du monde,
une appropriation des noms de ces grandes masses de terre« continentes » qu’il va
évidemment falloir assurer par quelques petits exercices de mémorisation. Mais nous sommes
à l’opposé de ce qui se pratique habituellement en classe de géographie où il y a peu de
dévolution des problèmes aux élèves : en effet, que constate-t-on souvent ? Que les élèves sont
renvoyés à des exercices avec des questions fermées où les réponses sont justes ou fausses et
que la correction de ces exercices consiste très souvent à aller pêcher la bonne réponse dans
la classe, les élèves se bornant à recopier ce qu’il faudra réciter… Assurer la dévolution des
problèmes géographiques à la classe, c’est apprendre aux élèves à jouer le jeu du géographe
avec ses doutes, ses hésitations, ses incertitudes et ses constructions conceptuelles pour, petit
à petit, mieux appréhender la complexité du monde dans lequel nous vivons.
« Apprendre à résoudre des problèmes pour ne pas se limiter à mémoriser des
connaissances inertes » Pierre Varcher, IFMES, Genève
Document n° 8 du GDGg, Lausanne, 2006

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