Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Présentation du programme
Leur succession indique un double cheminement. D’abord avec trois verbes : identifier,
localiser, situer. Avec le premier verbe « identifier », on est dans un processus de
reconnaissance. Il s’agit d’observer et de mettre des mots (utiliser un langage géographique)
sur ce que l’on observe. Les deux autres verbes « localiser » et « situer » sont essentiels en
géographie mais sont souvent confondus. Ils font partie de la didactique disciplinaire durant
l’ensemble de la scolarité primaire et secondaire. La localisation est une première approche
du repérage. Il s’agit simplement de dire où est quelque chose (un objet, un lieu) dans l’absolu
en donnant par exemple ses coordonnées géographiques ou, pour un lieu, en le montrant sur
une carte. La situation (ou localisation relative) est une activité plus complexe, plus
pertinente en géographie, plus porteuse de sens car il s’agit de localiser un objet ou un lieu par
rapport à d’autres.
Ainsi pour localiser Grenoble, on dira que ses coordonnées sont 45° Nord et 5° Est (mais
comme je l’ai dit plus haut, avec des élèves on privilégiera la démarche moins abstraite qui
consiste à montrer où est la ville sur une carte), tandis que pour situer Grenoble, on mettra en
évidence sa position stratégique à la confluence du Drac et de l’Isère, la proximité de trois
massifs alpins (Chartreuse, Vercors et la chaîne alpine de Belledonne), sa centralité dans les
Alpes françaises, sa distance à Lyon ou encore sa proximité avec l’Italie et la Suisse. Avec la
situation, on met en évidence l’intérêt de la position géographique de la ville et
progressivement, on peut commencer à construire des explications.
Le second cheminement d’un sous-thème à l’autre renvoie à l’élargissement des horizons. On
part d’abord du local (mon lieu de vie) avant – par l’intermédiaire de sa situation –
d’envisager d’autres espaces dans lesquelles le lieu de vie est en quelque sorte emboîté. On
aborde ainsi la notion d’échelle et de changement d’échelle. En géographie, l’échelle c’est la
taille de l’espace considéré : on parlera des échelles locale, régionale, nationale, continentale,
mondiale. Chaque échelle a sa logique, chaque échelle donne un éclairage différent sur les
questions géographiques d’où l’intérêt de changer d’échelle pour étudier un même lieu. Ainsi,
le quotidien des élèves se vit peut-être à l’échelle locale mais s’inscrit aussi dans des espaces
d’échelles plus vastes qui permettent de le comprendre : dans une ville ou un village, dans une
région, dans un pays…
Pour autant, cette manière d’aborder ces « différentes échelles », comme l’indique le
programme, doit être nuancée et nous y reviendrons à plusieurs reprises dans ce cours.
Partons du quartier. C’est le lieu de vie premier, après les espaces intimes ou privés de
l’élève. En ville, on pense le quartier comme le lieu où est situé l’école, le lieu de la
proximité, du quotidien et de la familiarité. Mais la notion de quartier pour définir ce lieu de
vie premier est-elle toujours pertinente ? Pour un grand nombre de géographes, le quartier est
une notion vague qui ne correspond qu’imparfaitement aux espaces de vie. D’ailleurs, les
auteurs du programme n’utilisent pas ce mot et il apparaît à peine dans la fiche Eduscol.
Pourquoi ? Les lieux de vie ne peuvent se confondre totalement avec le quartier, « chaque
acteur agence son propre espace qui articule lieux, territoires et réseaux et vit une
spatialité éclatée, ponctuée par de multiples nœuds, articulant tous les niveaux
d’échelle. » (2003) Ces mots de Michel Lussault dans le Dictionnaire de la géographie et de
l’espace des sociétés mettent d’abord en cause la notion de quartier. Si notre vie physique se
déroule le plus souvent en des lieux bien délimités et proches (en kilomètres) du logement, il
n’en est pas de même pour ce qui concerne d’autres dimensions de la vie : on consomme des
produits qui viennent du monde entier, on communique avec des personnes qui sont parfois
très éloignées, on baigne dans une culture qui n’est pas nécessairement celle du lieu où l’on
vit. Michel Lussault met aussi en cause la successivité des échelles présentées dans le
programme et par conséquent la limite qu’il y aurait à aborder les lieux de vie des élèves
exclusivement par un système d’échelles emboîtées. Aujourd’hui les lieux de vie sont trop
complexes pour être abordés seulement par un élargissement des échelles. On peut passer
directement du local au mondial sans toucher à l’échelle nationale.
Que faire alors ? Pour des raisons pédagogiques et de bon sens – en CM1 les élèves ont plus
ou moins 9 ans – il est pratique de sérier les espaces du plus petit au plus grand. Il importe par
contre, sans renoncer à cette base qui conserve quand même une forte pertinence, d’intégrer la
complexité, de penser le lointain avec le proche, d’articuler plusieurs niveaux d’échelle afin
de laisser place à toutes les représentations et pratiques spatiales des élèves. Nous ne vivons
plus dans un monde où les espaces se succèdent de manière mécanique de la plus petite
échelle à la plus grande, du familier à l’inconnu, du privé au public. Lorsque le texte de
commentaire du programme propose d’insérer les lieux de vie des élèves « dans des territoires
plus vastes, région, France, Europe, monde », c’est largement pour des raisons didactique que
cette succession est énoncée ainsi. En réalité, ce sont toutes les échelles qu’il faut pouvoir
mobiliser conjointement. Un élève peut vivre à l’échelle d’un « quartier », avec sa mère, dans
un autre espace avec son père et communiquer au quotidien avec des membres de sa famille
qui vivent en des lieux forts éloignés. L’enjeu est bien de faire place à l’ensemble des
expériences et pour cela de nuancer la vision traditionnelle.
Le commentaire du programme associe le mot « quotidien » aux lieux de vie. Il s’agit donc
d’abord de s’intéresser aux lieux généralement les plus proches, ceux de l’activité quotidienne
des élèves : la maison, l’école, les lieux de diverses activités sportives, culturelles ou de
consommation ainsi qu’aux trajets qui relient ces lieux.
Mais le pluriel (« mon(mes) lieu(x) de vie »)doit aussi permettre de sortir du quotidien et des
environnements les plus proches pour s’intéresser aux autres lieux fréquentés par les élèves,
hebdomadairement ou encore moins fréquemment : le domicile de l’autre parent dans une
situation de séparation, ceux des grands-parents, une résidence secondaire… Cela signifie que
de plus en plus, nous habitons plusieurs lieux. Les géographes parlent d’habiter polytopique
(voir plus loin).
Quelques remarques sur le concept de lieu. La fiche Eduscol précise que « Par lieu(x), on
entendra l’environnement proche de l’élève, celui qu’il pratique au quotidien et avec lequel il
est en relation, et qui présente certaines caractéristiques. » C’est un concept complexe et le
Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés (2003) n’en donne pas moins de
quatre définitions. On peut ici les synthétiser pour définir un lieu comme un petit espace où
se passe la vie sociale quotidienne, un espace dans lequel les distances se parcourent
facilement et rapidement, un espace au sein duquel les sentiments d’appartenance et
d’appropriation sont les plus développés.
En ville, le lieu pourrait être assimilé au quartier, tandis que dans le monde rural, ce sera le
village dans sa totalité ou le hameau. Cette remarque pose la question de la localisation de
l’école et des types de lieux de vie des élèves : en centre-ville, en banlieue, à Paris, dans une
grande ville ou une petite, à la campagne, en montagne, au bord de la mer… Dans la mesure
où il s’agit de partir des élèves et de leurs expériences, la diversité des lieux étudiés pourra
être relativement importante et le vocabulaire géographique mobilisé sera différent. Pour
combler les écarts entre élèves, il est important de les familiariser avec d’autres types
d’espaces que ceux qu’ils connaissent et donc avec un autre vocabulaire. Il peut être
intéressant pour cela de mettre en place une correspondance avec une classe située dans un
environnement différent. Ce peut être l’occasion d’activités interdisciplinaires en français, arts
plastiques, histoire…
Sortir de l’école
On ne sort pas assez des écoles, pas assez lorsqu’il s’agit de faire de la géographie en
particulier. La géographie est un savoir sur le monde et il est dommage de ne l’acquérir qu’à
travers des livres et des images. Ce premier thème de l’année se prête particulièrement bien à
l’organisation d’une sortie de terrain comme le rappelle les auteurs de la fiche Eduscol.
L’organisation d’une sortie se fait en quelques étapes et requiert quelques connaissances
administratives. On se reportera utilement aux textes officiels sur le sujet (voir ci-dessous).
Mais pour l’essentiel, on peut distinguer trois types de sorties : les sorties régulières (par
exemple pour aller à la piscine), les sorties occasionnelles sans nuitées et celles avec nuitées.
C’est le deuxième type qui nous intéresse ici ; il permet d’aller simplement dans les environs
de l’école. Ces sorties ne nécessitent que l’autorisation du directeur ou de la directrice de
l’école. S’il convient bien sûr d’informer les parents et de prévoir un encadrement adapté, ce
type de sortie, à pied, dans un environnement proche est facile à organiser.
Les intérêts d’une sortie de terrain sont nombreux. La sortie permet un accès direct au monde,
sans la médiation d’un support de « papier » ; elle permet d’établir une relation directe entre
l’élève et son environnement. Lors d’une sortie, les élèves mobilisent largement leurs sens et
leurs émotions contrairement à la salle de classe où ce sont la vue et l’ouïe (pour écouter les
mots de l’enseignant) qui sont les vecteurs premiers du rapport au monde. La sortie permet de
développer une géographie sensible et sensorielle ainsi qu’une géographie des émotions :
les odeurs, les bruits de la ville ou de la campagne, la sensibilité au temps qu’il fait, à la
lumière… (ce qui permet aussi des croisements avec la peinture, le cinéma, la littérature). Une
sortie est aussi une activité physique dans laquelle la marche joue un rôle important ; les
élèves peuvent à cette occasion travailler des connaissances pratiques comme celle qui
consiste à s’orienter ou se déplacer dans l’espace avec un plan. Elle développe l’autonomie
des élèves car c’est une expérience sociale et de responsabilité importante, elle peut
compenser des inégalités culturelles (lors d’une visite de musée par exemple), enfin elle offre
l’opportunité de décloisonner les enseignements.
Une sortie doit être préparée avec le plus grand soin. Il est nécessaire de se rendre sur les
lieux avant d’y emmener les élèves. Il faut être particulièrement attentif aux consignes : les
élèves doivent savoir précisément que faire. En effet, hors de la salle de classe, la situation
change. Il est par exemple plus difficile de faire passer des consignes (les donner par écrit est
une bonne solution) et les élèves sont tentés par des formes de dispersion. Enfin, la sortie doit
s’intégrer de manière cohérente dans une séquence.
Pour ce thème 1, la sortie va permettre d’explorer l’environnement de l’école et le lieu de vie
quotidien des élèves. Il s’agira de repérer (et de mettre en relation le plan et le réel), de
nommer afin d’acquérir du vocabulaire géographique (sur les lieux et leurs fonctions, sur les
formes du relief, sur les transports et les axes…) et de décrire les paysages (ce qui peut se
faire en exécutant un croquis simplifié). De retour en classe, on pourra mobiliser l’ensemble
des matériaux pour interpréter. La fiche Eduscol propose pour cela des pistes intéressantes.
Ce premier thème est l’occasion d’initier les élèves aux outils et démarches du géographe. Les
premiers outils des géographes sont des représentations de l’espace et en premier lieu les
cartes. On ne distinguera pas ici carte et plan : tout plan est une carte, mais à l’échelle d’un
territoire réduit. C’est donc souvent le plan qui utilisé pour traiter le thème 1 du CM1. Une
carte est une représentation plane, réduite et codifiée de l’espace terrestre ou d’une partie
de celui-ci. Revenons rapidement sur les trois adjectifs :
Plane. Cela permet de différencier la carte des globes terrestres. On parle néanmoins de
« carte » en relief pour les représentations avec des creux et des bosses du relief d’un espace.
Réduite. C’est le principe même de la cartographie. Une carte à l’échelle 1/1 serait
inutilisable. La réduction permet d’avoir une représentation globale d’un territoire mais elle
fait perdre des informations. Plus on réduit, plus on « voit » un grand territoire mais plus on
perd d’informations. En cartographie, on utilise la notion d’échelle de manière contre-
intuitive : une carte à grande échelle est celle d’un petit territoire, une carte à petite échelle est
celle d’un grand territoire. On notera au passage qu’en géographie, on procède à l’inverse : la
petite échelle désigne un petit territoire.
Codifié. Il existe des règles en cartographie. Le géographe Roger Brunet parle des « dix
habits de la carte », ce que l’on doit impérativement trouver sur une carte : le titre, le cadre, la
légende, l’échelle, l’orientation, les coordonnées, la source, la date, la nomenclature et le
contenu de la carte lui-même. Les codes sont graphiques. Ils ont été notamment définis en
France par le cartographe et sémiologue Jacques Bertin. Le but est d’avoir la plus grande
lisibilité possible. Ces codes sont aussi techniques. Ainsi la manière dont on attribue une
couleur par exemple à un pays en fonction de sa densité de population, de sa richesse par
habitant ou encore du pourcentage de moins de 15 ans ne peut relever du hasard. Il y a des
méthodes pour cela. On parle de discrétisation. « La discrétisation est l’opération qui permet
de découper en classes une série de variables qualitatives ou de variables quantitatives. Cette
opération simplifie l’information en regroupant les objets géographiques présentant les
mêmes caractéristiques en classes distinctes. Une discrétisation est satisfaisante lorsqu’elle
permet la création de classes homogènes et distinctes entre elles : les objets géographiques
d’une même classe doivent se ressembler plus entre eux qu’ils ne ressemblent aux objets des
autres classes. Discrétiser une série statistique constitue souvent l’ultime étape de la
réduction, de l’organisation et de la hiérarchisation de l’information avant de construire une
carte qui rend compte de la répartition géographique de cette même série statistique. »
(Christine Zanin, Hypergeo, https://www.hypergeo.eu/spip.php?article374 )
La notion de représentation est essentielle. Une carte n’est pas un reflet de la réalité mais
une construction d’un discours sur cette réalité. Certes, ce discours iconique respecte des
règles mais il est possible de construire de multiples cartes différentes d’un même espace
selon les choix techniques et graphiques que l’on effectue. Avec l’exemple ci-dessous, on
peut voir que ces règles ne sont pas toujours respectées et donnent donc des productions
cartographiques très variables et parfois mensongères.
L’analyse critique présentée ici est celle d’une carte publiée quotidiennement par le journal
Le Monde pendant l’épidémie de Coronavirus avec les données fournies par l’Université
Johns Hopkins. En voilà une capture d’écran.
Cette carte est interactive : en cliquant sur un pays, on peut avoir des informations sur le
nombre de cas, de morts et de guéris. C’est aussi une « double carte » car on peut choisir de
visualiser soit les cas, soit les morts. Tout cela est très intéressant mais malheureusement il y
a trois problèmes majeurs avec cette carte.
Le premier problème, c’est la discrétisation. Un gros mot ? Non, c’est simple : discrétiser,
c’est répartir une série de données (ici des cas ou des morts par état) dans quelques groupes
(on dit des classes). Pour cette carte on a cinq classes. C’est une étape importante car quand
deux pays sont dans la même classe, on ne peut plus les distinguer sur la carte même si les
situations sont assez éloignées. À l’inverse, il est gênant que deux pays aux situations proches
soit dans des classes différentes. Un exemple : au 28 mars, il y avait 92 morts en Turquie et
105 morts en Suède. L’écart n’est pas énorme pourtant ces deux pays sont dans deux classes
différents et la Suède se retrouve avec le Royaume-Uni où le nombre de morts est beaucoup
plus important : 761. Ces situations (il y en a beaucoup d’autres exemples) reposent sur un
choix totalement irrationnel construit autour d’un fétiche, une barrière apparemment
infranchissable : le chiffre rond, cent ou mille ou dix mille. Un chiffre rond, c’est rassurant,
ça paraît solide mais ça ne vaut rien ailleurs que dans nos imaginaires. Il existe pourtant bien
d’autres manières de discrétiser, plus précises, plus efficaces, qui tiennent compte des
caractères d’une série de données, qui séparent ce qui est éloigné et qui mettent ensemble ce
qui va ensemble.
Deuxième problème, le choix de données absolues pour réaliser la carte. Les données
absolues, ce sont les chiffres « bruts » : par exemple 32 332 cas en Iran le 28 mars. On peut
les différencier des données relatives qui sont des données rapportées à un ensemble, par
exemple, toujours pour l’Iran, le nombre de cas par rapport à la population totale. En
prenant des données absolues, on néglige l’essentiel et on met dans le même sac ce qui n’a
rien à voir. Un exemple ? Le Japon et le Canada, une cinquantaine de morts dans les deux
cas donc on les a mis ensemble. Le problème c’est que rapporté à la population totale des
pays, ce n’est plus du tout la même chose. Il y a presque quatre fois d’habitants au Japon
qu’au Canada : on pourrait les rapprocher s’il y avait quatre fois plus de morts au Japon
qu’au Canada. En données relatives, on voit que ce qui s’est passé en Chine est beaucoup
moins grave que ce qui arrive actuellement en Espagne ou en Italie. Cette carte tirée du site
de Médiapart le montre.
Troisième problème, l’utilisation de figurés de surface (on met en rouge, ou d’une autre
couleur, toute la surface d’un pays) pour des données brutes. Pour ce type de données, il faut
utiliser des figurés ponctuels, par exemple un point. Comme sur cette carte.
Pourquoi ? Et bien parce qu’un point ou un carré ou un triangle pourra signifier assez
fidèlement la donnée : plus il est gros, plus la donnée chiffrée est importante. Mais si on
mélange tout, si on met en couleur toute la surface d’un pays pour dire une donnée brute, on
va mettre beaucoup plus de couleur sur un grand pays donc attirer l’œil vers ce pays, donc
dire en quelque sorte que c’est là que le phénomène est important. Regardez encore la carte
du Monde : l’œil est attiré par la Chine et les États-Unis, c’est normal, c’est grand. C’est
pourtant du côté de l’Europe qu’il faudrait que l’œil soit attiré mais comme l’Europe c’est
plus petit, ça se voit moins.
(d’après : https://geobuis.hypotheses.org/925 )
Les géographes utilisent beaucoup d’autres outils, des outils qui représentent visuellement,
graphiquement ou textuellement des espaces : des images satellitales, des photos, des croquis,
des dessins, des graphiques, des cartes…
Ces outils peuvent être utilisés dans l’enseignement ; on parlera alors en général de
documents. Revenons brièvement aux cartes. Si les cartes sont essentielles, d’abord pour
localiser et ensuite pour comprendre, cela veut dire qu’elles doivent être présentes dans les
salles de classe et les activités d’enseignement. Dans les salles de classe, il est intéressant
d’avoir des cartes murales (dans l’idéal, une carte du Monde, une de l’Europe, une de la
France et un plan de la ville ou du quartier) qui peuvent être mobilisées en permanence dans
les apprentissages et pas seulement en géographie. Le repérage doit devenir une habitude.
Plus généralement, on pourrait retenir le principe suivant pour les cours de géographie : pas
de géographie sans carte.
Il n’y a pas de document qui soit géographique par définition. C’est la manière dont on
l’utilise, dont on l’interroge qui fait leur dimension géographique. Ainsi, un paquet de café ou
une cannette de boisson gazeuse peut permettre de faire de la géographie et devenir ainsi un
document pour le géographe ou l’élève en cours de géographie : lire les informations, repérer
les lieux d’origine des produits utilisés, le lieu de conditionnement, le lieu où est installé
l’entreprise, localiser cela sur la carte… ce sont les premières étapes d’une activité en
géographie.
Dans les représentations courantes, la géographie est encore souvent associée à une discipline
pour laquelle la localisation et la mémorisation d’informations demeurent la finalité
essentielle et font office de démarche.
Il y a aujourd’hui, dans la recherche et dans l’enseignement, de nombreuses démarches
possibles en géographie. Mais, pour l’essentiel, on peut s’accorder pour les pratiques de classe
autour de trois étapes adaptables aux situations particulières :
1) Localiser et situer
2) Décrire des espaces ou des situations
3) Expliquer, interpréter
Entreprises
Individus
Collectivités
Groupes État territoriales
Familles
Pascal CLERC
Source : Lévy, J. Fauchille, J.-N. et Povoas, A. (2018) Théorie de la justice spatiale. Géographies du
juste et de l’injuste, Odile Jacob.
À partir du lieu ou des lieux de vie des élèves, l’objectif affiché du programme est d’élargir à
des territoires plus vastes, de localiser et situer l’endroit où l’on vit dans une région, en
France, en Europe et dans le Monde. Cet élargissement des perspectives est un moyen de
mieux connaître ce qui nous environne à toutes les échelles.
En 1972, dans Psychologie de l’espace, Abraham Moles et Elisabeth Rohmer proposent le
concept de « coquilles de l’homme ». De quoi s’agit-il ? À partir de soi, chacun d’entre nous
construit ses environnements selon un système d’espaces emboîtés, ses « coquilles ». Les huit
coquilles définies par les auteurs sont :
-son propre corps et cette paroi qu’est la peau, renforcée par les vêtements, qui nous
sépare du monde extérieur
-la sphère du « geste immédiat », c’est-à-dire tout ce qui est à portée de main sans se
déplacer
-la pièce où nous nous tenons dans un appartement où une maison. C’est la coquille du
visible et de la très grande proximité
-notre appartement ou notre maison, chez nous, ce qui est privé et où on ne peut
entrer qu’avec une clé
-le quartier, c’est-à-dire un environnement familier, régulièrement fréquenté, sans
rien d’inconnu que Moles et Rohmer définissent comme un cercle de 500 mètres de
rayon
-la ville avec déjà des endroits inconnus, une absence possible de familiarité et une
interconnaissance réduite
-la région, définie comme partout où l’on peut aller et revenir en moins d’une journée,
c’est-à-dire (en 1972), un cercle de 6 à 30 kilomètres de rayon
-le vaste monde, tout le reste, au-delà de trente kilomètres
Les travaux de Moles et Rohmer renvoient à ceux de Piaget sur la représentation de l’espace
chez les enfants. On peut faire le lien avec la découverte progressive, au cours de la petite
enfance, d’espaces de plus larges, de plus en plus éloignés de la proximité immédiate. La
proposition de Moles et Rohmer s’accorde aussi avec une vision autocentrée du monde, à
partir de soi, que les apprentissages remettent peu à peu en cause avec la capacité de
décentration. Cette approche permet aussi de qualifier les différentes coquilles de l’intime au
public en passant par le privé et le familier : le corps comme sphère de l’intimité la plus
grande au monde comme espace public plus ou moins inconnu. Pour autant, la théorie des
coquilles de l’homme peut être discutée. D’abord, c’est le moins important, quant au nombre
et à la taille des coquilles ; on peut par exemple s’interroger sur l’absence de la nation comme
coquille de référence alors qu’en terme de pratiques comme de représentations symboliques,
elle est très importante. Mais le plus important, c’est la remise en cause de ces coquilles
successives, qui sont autant d’espaces de tailles différentes, en raison de leur dimension un
peu mécaniste et très égocentrée. La réalité contemporaine est plus complexe parce que les
coquilles et les échelles se mêlent (voir plus haut). En raison des mobilités et des possibilités
de télécommunications, on se déplace rapidement sur de grandes distances et des échanges
même intimes sont possibles avec des personnes et des lieux situés au-delà des océans : le
proche n’est pas forcément plus familier que le lointain. Ces considérations doivent être prises
en compte dans le travail avec les élèves. C’est difficile mais il faut tenter de dépasser la
logique des emboîtements d’échelle : le local dans le régional, le régional dans le national…
pour penser la complexité des pratiques et des appartenances spatiales de chacun.
Enfin, ces apprentissages relatifs au monde peuvent immédiatement prendre sens comme le
montre l’exemple développé avec des collégiens suisses qui est présenté ci-dessous. On peut
assez facilement adapter cet exemple à des élèves de CM1.
Prenons un exemple récent vécu dans une classe du degré 7 : plutôt que d’aborder la
question des grands découpages terrestres sur un planisphère en dictant et en y faisant placer
le nom des continents, la classe a été soumise à un problème sans avoir de références à
disposition: « Combien y a-t-il de continents à la surface de la Terre ? ». Un élève a répondu
« moins de 4 », quelques-uns ont répondu 5, d’autres 6, d’autres enfin 7.
Dans ce cas, assurer la dévolution du problème à la classe consiste à organiser les échanges
en demandant par exemple à celui qui estime qu’il y a moins de 4 continents d’expliciter ceux
auxquels il pense. Puis de demander aux autres d’ajouter leurs propositions pour arriver à 5,
6 ou 7 continents. Aucune réponse n’est jugée par l’enseignant « juste » ou « fausse », toutes
sont prises en considération et notées. Et c’est du débat entre élèves que ressort la nécessité
de disposer de réponses précises à des questions comme « Y a-t-il une, deux ou
trois Amériques ? », « Aux pôles, y a-t-il des continents ou non ? » Pour y arriver, on est
obligé de passer par l’élaboration d’une définition du mot « continent » et par l’utilisation
rigoureuse de cartes.
Et c’est ainsi que, par des réflexions ancrées sur des exemples (« ceci est un continent ») et
des contre-exemples (« ceci n’est pas un continent »), la classe arrive à déterminer que la
notion « continent » se compose de trois éléments constitutifs, « une masse de terre », «
grande », « entourée d’eau ».
Surgissent alors de nouvelles questions : pourquoi dit-on que l’Océanie est un continent ? Où
passe la limite entre un continent et ce qui est trop petit pour être considéré comme un
continent ? Et pourquoi dit-on de l’Europe qu’elle est un continent ? En abordant toutes ces
questions, les élèves sont plongés en pleine géographie : pourquoi les hommes ont-ils besoin
de diviser le monde dans lequel ils vivent ? Comment trace-t-on ces limites ? Qui les trace ?
Quand ont-elles été définies? Et l’on apprend que tout espace est un espace construit, qu’on
croit être dans un problème de géographie physique alors qu’il a de fortes composantes
culturelles et politiques, et que les définitions héritées d’un temps où la conception du monde
était différente ne sont pas forcément opérationnelles aujourd’hui.
Ainsi, au cœur de tous ces apprentissages forts sur les plans anthropologique et
géographique, prend forme chez l’élève une construction mentale de sa conception du monde,
une appropriation des noms de ces grandes masses de terre« continentes » qu’il va
évidemment falloir assurer par quelques petits exercices de mémorisation. Mais nous sommes
à l’opposé de ce qui se pratique habituellement en classe de géographie où il y a peu de
dévolution des problèmes aux élèves : en effet, que constate-t-on souvent ? Que les élèves sont
renvoyés à des exercices avec des questions fermées où les réponses sont justes ou fausses et
que la correction de ces exercices consiste très souvent à aller pêcher la bonne réponse dans
la classe, les élèves se bornant à recopier ce qu’il faudra réciter… Assurer la dévolution des
problèmes géographiques à la classe, c’est apprendre aux élèves à jouer le jeu du géographe
avec ses doutes, ses hésitations, ses incertitudes et ses constructions conceptuelles pour, petit
à petit, mieux appréhender la complexité du monde dans lequel nous vivons.
« Apprendre à résoudre des problèmes pour ne pas se limiter à mémoriser des
connaissances inertes » Pierre Varcher, IFMES, Genève
Document n° 8 du GDGg, Lausanne, 2006