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Annales littéraires de l'Université

de Besançon

La céramique arétine
Christian Goudineau

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Goudineau Christian. La céramique arétine. In: Céramiques hellénistiques et romaines. Tome 1. Besançon : Université de
Franche-Comté, 1980. pp. 123-134. (Annales littéraires de l'Université de Besançon, 242);

https://www.persee.fr/doc/ista_0000-0000_1980_ant_242_1_1034

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LA CERAMIQUE ARETINE

Lorsqu'au Vile s. ap. J.-C, dans l'Espagne wisigothique, l'é-


vêque de Séville, Isidore, compose son encyclopédie Etymologiae, il
trouve dans les sources qu'il consulte la mention de vases arétins, arretina
vasa, et il explique cette dénomination de la manière suivante : ex Arre-
tio municipio Italiae dicuntur, ubi fiunt ; sunt enim rubra (XX, 4, 5).
Des vases rouges, fabriqués à Arezzo : la définition est claire et
l'autorité d'une mention littéraire - le cas est si rare ! - peut assurer au
céramologue, quand il utilise le terme de céramique "arétine", une
parfaite tranquillité d'esprit. De fait, il en a longtemps été ainsi et ce
n'est que depuis une dizaine d'années que les certitudes ont commencé à
vaciller. Nous profiterons de cette brève mise au point pour tenter de
faire la part de ce qui, aujourd'hui, peut être considéré comme fermement
établi et de ce qui demeure - ou est devenu - incertain ou hypothétique.
Auparavant, quelques considérations touchant la terminologie sont
cependant nécessaires.

TERMINOLOGIE

Le vocabulaire céramologique ne brille pas par sa précision et


le profane se perd aisément dans le dédale d'appellations
conventionnel es. Le meilleur exemple de cette confusion est offert par la catégorie
de céramique dite "sigillée" dont l'arétine est, en Occident, le premier
représentant.

Stricto sensu, une céramique sigillée (le terme terra sigillata


ne possède aucune caution antique) est une céramique ornée de reliefs qui
a nécessité pour sa fabrication l'emploi de poinçons (sigilla) . Ceux-ci
ont pu être utilisés isolément pour fabriquer de petits moules avec
lesquels on plaquait sur le vase (déjà monté au tour) des motifs en relief
(reliefs d'applique) ou bien, associés par dizaines, ils servaient à
imprimer à l'intérieur d'une matrice en forme de bol des motifs en creux
(scènes mythologiques, compositions végétales, etc..) qui se
reproduisaient ensuite en relief sur tous les vases passant par cette matrice. En
ce sens, l'arétine (de même que les céramiques "sigillées" gallo-romaines
de la Graufesenque, de Montans, de Lezoux, etc..) n'est que partiellement
"sigillée" : le plus gros de sa production consiste en vases "lisses", non
décorés à reliefs.

Mais l'incohérence va encore plus loin. L'arétine est en


Occident la première céramique de diffusion internationale revêtue d'un
"vernis" rouge. Après des siècles de vernis noir dont l'étrusco-campanienne
constitue l'ultime exemple, elle inaugure une nouvelle mode qui va durer
à son tour plusieurs siècles. Le rapprochement de ces deux
caractéristiques - des décors à reliefs, un "vernis" rouge - a conduit les céramolo-
gues, par on ne sait quelle curieuse démarche intellectuelle, à nommer
"céramiques sigillées" les céramiques fines d'époque romaine comportant
un vernis rouge de type arétin et parfois, mais non toujours, ornées à
reliefs. Aujourd'hui, "sigillée" est devenu l'équivalent de vernis rouge.
Et le summum de l'absurdité a été atteint lorsque, pour désigner des
productions essentiellement africaines dont le vernis n'a aucun rapport avec
le vernis arétin et qui ignorent (à une exception près) les décors moulés,
on a créé le terme de "sigillée claire" !
124 Ch. GOUDINEAU

Plus le langage comporte de conventions absconses et plus il


paraît scientifique : le milieu archéologique est en ce sens un des
fleurons des sciences humaines, et il est vain de tenter une réforme du
vocabulaire. Que le lecteur garde seulement à l'esprit que les productions
dites "sigillées" sont celles qui dérivent de l'arétine et que celle-ci,
par un faux souci d'objectivité sur lequel nous reviendrons, peut être à
son tour appelée dans certaines publications "sigillée italique".

TECHNIQUE

Le passage du "vernis" (le terme répond mal à la réalité antique


que traduit mieux le vocable allemand de "Glanztonf ilm") noir au vernis
rouge n'est pas lié à une quelconque modification de la composition ou de la
couleur du revêtement que le potier passe sur son vase. Avec le même
revêtement, on peut produire un vase noir ou un vase rouge ; tout est affaire
de cuisson, c'est-à-dire de four.

Le revêtement, c'est tout simplement une argile (de même


extraction que celle qui sert à monter le vase) épurée qu'on appelle parfois
"barbotine". Elle doit posséder certaines propriétés chimiques pour
devenir un "vernis" fin, brillant et non poreux ; elle doit être "grésante",
c'est-à-dire adopter, au terme de la cuisson, une couleur qui ne se
modifiera pas lors du refroidissement. Le potier en enduit le vase au pinceau
ou en le plongeant dans une cuve. Selon que la cuisson se fera en
atmosphère réductrice (sans apport d'oxygène, laboratoire où sont empilés les
vases rempli de fumée) ou en atmosphère oxydante (absence d'enfumage du
laboratoire), le revêtement, au moment où le four atteint la température
maximum, prendra une couleur soit noire soit rouge qui ne variera plus.

La théorie est simple, mais son application difficile dans la


mesure où la cuisson oxydante exige des fours beaucoup plus perfectionnés
que la cuisson réductrice. Pour éviter l'enfumage et préserver les vases
de tout contact avec les flammes dé" l'alandier, il a fallu mettre au point
le four à tubulures dans lequel la chaleur se communique par rayonnement
à partir de tuyaux de terre cuite qui traversent verticalement le
laboratoire. Aussi bien pour l'arétine que pour les productions ultérieures
gallo-romaines, une phase de tâtonnement et de recherche ne put être évitée :
les premières productions d'Arezzo, de la Graufesenque et des autres
centres se signalent par des défectuosités qui tiennent à la fois à la
composition de la barbotine et à la technique de cuisson.

LA NAISSANCE DE L'ARETINE

II ne fait plus de doute désormais que c'est à Arezzo, vers le


milieu du 1er s. av. J.-C, que des tentatives ont vu le jour pour donner
une couleur rouge à des produits qui, à tous égards, relèvent du
répertoire de l'étrusco-campanienne. Ces vases imparfaits techniquement, que
nous avons proposé de nommer "pré-arétins", montrent des formes et des
marques (anépigraphes : rosettes, C renversés accolés, ou, plus rarement,
initiales) connues en vernis noir. Donc, aux alentours de 50 av. J.-C,
des fabricants de vases à vernis noir s'essayent à une nouvelle technique.

Ce faisant, à quelles influences obéissent-ils ? L'Etrurie avait


déjà produit des vases rouges, mais au vernis non grésé et de faible
diffusion. Surtout, depuis la fin du Ile o.u les débuts du 1er s., des pote-
CERAMIQUES 125

ries à revêtement rouge étaient fabriquées dans le bassin oriental de la


Méditerranée. Bien qu'appelées "samiennes" ou "pergaméniennes", elles
sont issues de centres qu'on n'a pas encore localisés, en Asie Mineure,
en Syrie ou en Egypte. En très petit nombre, elles ont touché l'Occident
(Italie, Sicile, Lipari, Minorque) , mais la date de ces importations
demeure incertaine. Influences régionales, étrangères ? On ne sait.

Quoi qu'il en soit, pendant vingt à trente ans, l'arétine


demeure une production minoritaire. Elle se vend néanmoins, puisque des
représentants des formes les plus anciennes se trouvent non seulement en
Italie hors d'Arezzo (Bolsena, Rome) mais même, en très faible quantité
il est vrai, en Gaule méridionale et sans doute ailleurs.

L'ESSOR ET L'APOGEE

Le dernier quart du 1er s. av. J.-C. voit un bond prodigieux de


la production qui va s'assurer un quasi -monopole en Occident et une place
importante sur les marchés orientaux. Un tel essor, qui constitue un
phénomène unique dans l'histoire antique, coïncide avec :
a) la mise au point définitive de la technique de fabrication :
qualité de la barbotine et maîtrise de la cuisson oxydante.
b) l'adoption d'un jeu de formes relativement réduit (on a parlé de
"standardisation") dont les détails caractéristiques - bords et peut-être
pieds - sont sans doute obtenus à l'aide de gabarits produisant des
moulures semblables.
c) le développement de la pratique consistant à apposer au fond de
certains vases lisses et sur les matrices des vases décorés la signature
soit du potier (homme libre ou esclave) soit du propriétaire de la
fabrique.
d) la création d'une production à reliefs obtenue à l'aide de matrices.

Sur trois de ces quatre points, l'innovation est à peu près


complète. Pour le dernier, en revanche, l'arétine développe un procédé
inventé dans la Grèce hellénistique où des bols sans pied, dits bols "déliens",
présentaient un décor obtenu par moulage. Quelques ateliers d'Italie
centrale et méridionale avaient même, à une époque mal déterminée (fin Ille,
Ile s. ?), tenté d'introduire, sans grand succès, cette nouvelle mode dans
la péninsule. Cette fois au contraire, la réussite est grande : le
répertoire des vases offre une bonne variété (canthares, coupes, gobelets, grands
vases de desserte) et surtout le décor présente une finesse semblable à
celle des vases de métal contemporains. Bien plus qu'à d'hypothétiques
modèles céramiques, c'est en effet à la toreutique qu'il faut rattacher à la
fois les formes et les motifs.

La rapidité de l'exécution permise par le moulage va dans le même


sens que l'adoption probable, pour les vases lisses, des gabarits et la
répétition, à des échelles diverses (de la petite assiette aux très grands
plats, de la petite coupe au saladier) de formes identiques dont
l'évolution se suit aisément dans le temps. De haute qualité mais simplifiée par
ces embryons de "mécanisation", la production doit atteindre des cadences
élevées. Le personnel est nombreux : le récent Corpus des marques de potiers
recense 2600 timbres différents. Comme il s'agit vraisemblablement soit de
fabricants, soit, lorsque c'est un esclave qui signe, de responsables
d'ateliers, le chiffre est à multiplier un grand nombre de fois pour tenir
126 Ch. GOUDINEAU

compte de la foule des subalternes qui doivent intervenir à tous les


stades, depuis l'extraction de l'argile jusqu'à la cuisson, l'emballage et
la commercialisation.

Ces fabriques n'ont cependant pas une taille uniforme, il s'en


faut. Un petit nombre d'entre elles constituaient de grands
établissements, avec un arsenal d'esclaves responsables : Rasinius, L. Titius, P.
Cornélius ont plus de cinquante esclaves signataires ; une vingtaine de
fabriques possèdent de cinq à trente esclaves signataires, une trentaine
de un à cinq. Les autres, plus de deux cents, ne nous sont connues que
par le nom de leur propriétaire. Il faut sans doute imaginer une nuée de
petites maisons, au statut indéterminé (travaillaient-elles "à façon" pour
de plus grandes ?) , et une minorité de grandes entreprises. En outre, une
certaine spécialisation est attestée par le fait que, sur ces trois cents
fabriques que nous connaissons, une vingtaine seulement a produit des
vases décorés -ou, en tout cas, des matrices.

LES "SUCCURSALES"

On n'exagère pas en affirmant qu'il n'est pratiquement pas de


fouille d'époque augustéenne qui ne livre de tessons d'arétine, même sur
les sites les plus reculés. Cette extraordinaire diffusion avait depuis
longtemps conduit les chercheurs à supposer l'existence de "succursales"
de production destinées à rapprocher les lieux de fabrication des grands
centres d'exportation. De fait, la situation géographique d'Arezzo n'est
guère favorable à une commercialisation intense. Jusqu'à ces dernières
années, on demeurait dans le domaine des hypothèses, sauf pour un cas bien
précis : celui de Pouzzoles-Puteoli, le plus grand port d'Italie avant la
création d'Ostie , où l'on avait reconnu des ateliers fabriquant de l'aré-
tine avec certaines caractéristiques propres reconnaissables dans les
timbres et les décors.

Les découvertes de la Muette à Lyon en 1966 relançaient la


recherche. On y trouvait des vestiges d'ateliers producteurs de diverses
catégories de céramique et, au premier rang, d'arétine lisse ou décorée.
La plupart des marques de ces fabricants étaient déjà connues à Arezzo
même. A partir de ces trouvailles, un programme de recherches en
laboratoire était mis sur pied pour tenter de déterminer, en analysant la
composition chimique des poteries et des moules, des "groupes" correspondant
à des provenances différentes. Ainsi, pour Lyon, il fut possible d'établir
que certaines des matrices pour vases décorés avaient été importées
d'Arez o tandis que d'autres avaient été fabriquées sur place. L'hypothèse de
"succursales" se trouvait donc vérifiée.

Mais ces analyses ont permis d'aller plus loin. L'étude de


rebuts découverts par hasard à Pise a donné la provenance d'un des
"groupes" les 'mieux représentés, spécialement en Gaule méridionale, et,
notamment, de situer à Pise l'une des fabriques d'Ateius dont on sait qu'il
était également établi à Arezzo (on y a trouvé sa décharge) et à Lyon. La
recherche n'est pas finie, puisque d'autres "groupes" ont été déterminés
dont on ignore encore la provenance exacte : l'un serait italien (région
de Rome ?) , l'autre gallo-romain (chez les Rutènes ?) .

On saisit donc maintenant le processus qui a amené certains


potiers d'Arezzo à créer, soit dans des ports maritimes (Pouzzoles et Pise),
soit dans des ports fluviaux qui sont aussi d'importants noeuds routiers
CERAMIQUES ]27

(Lyon), des filiales où l'on déléguait des esclaves ou des affranchis


emportant avec eux le matériel de démarrage (outils et moules) et qui
- peut-être - recevaient régulièrement par la suite les nouveaux
gabarits et les nouveaux décors mis au point par la fabrique-mère. Sans
doute recrutaient-ils sur place la main d'oeuvre nécessaire pour les
tâches subalternes.

Observons que les travaux que nous venons d'évoquer


concernent l'Italie et la Gaule. Or, il n'est pas interdit de penser qu'une
étude du matériel trouvé en Grèce, en Asie Mineure, au Proche-Orient,
voire en Afrique, pourrait conduire à des conclusions analogues et
révéler l'existence de bien d'autres succursales.

Enfin, une place à part doit être accordée aux nombreuses


tentatives d'imitation qui se sont fait jour en plusieurs endroits. Deux
ateliers ont été récemment découverts à Lyon (Loyasse) et à Bram (vicus
Eburomagus, près de Castelnaudary) ; les premières productions de la
Graufesenque peuvent être aussi rattachées à ces essais. Dans tous les
cas, il s'agit de productions de mauvaise qualité qui ne pouvaient
abuser l'acheteur.

LE DECLIN

Si nous cernons à peu près bien la naissance et surtout la


période florissante qui couvre la plus grande partie du règne d'Auguste, il
n'en va pas de même pour les décennies qui voient le déclin de l'arétine.
Il semble que ce phénomène s'amorce dès les débuts du règne de Tibère. De
nouvelles caractéristiques apparaissent : une grande place est faite aux
reliefs d'applique, les marques s'inscrivent souvent dans une cartouche
en forme de pied humain (in planta pedis) , les décors perdent
progressivement leur finesse technique et délaissent volontiers la représentation
de scènes au profit de motifs végétaux. Si on en juge par les publications
de fouilles, la part de l'arétine décroît sur certains marchés extérieurs
(Germanie, Gaule) tout en maintenant de bonnes positions en Italie et,
semble-t-il, en Afrique du Nord. Vers le milieu du 1er s., en revanche,
elle n'est plus que faiblement représentée en Italie même, et on peut fixer
l'extinction définitive de la production entre 60 et 80. Certaines de ses
traditions et quelques-uns de ses motifs décorés seront repris par des
potiers vraisemblablement italiens qui, dans la seconde moitié du 1er ou au
début du Ile s., produisent des vases à la technique défectueuse, aux
décors incohérents amalgamant des poinçons disparates ; cette production est
dite "italique tardive" ("tardo-italica") .

Les questions que se pose l'historien sur les causes de ce déclin


et de cette extinction n'ont pas reçu à ce jour de réponses convaincantes -
si tant est qu'on puisse jamais en fournir. L'explication traditionnelle
mettait la chute de l'arëtine en rapport avec la création et le rapide
essor de la sigillée de la Gaule méridionale. En fait, il semble que la
succursale lyonnaise et que de grandes fabriques d'Arezzo aient fermé leurs
portes avant même que la concurrence des ateliers rutènes eut constitué
un réel péril, et qu'en conséquence ceux-ci aient conquis le marché des
Gaules, des Germanies (et, plus tard, d'Espagne et d'Italie) non pas au
terme d'une lutte farouche mais en raison même de sa disponibilité.
128 Ch. GOUDINEAU

PROBLEMES ET DIRECTIONS DE RECHERCHE

L'étude de l'arétine bénéficie de conditions privilégiées dans


la mesure où :
a) cette céramique correspond à une période relativement courte.
b) le chercheur dispose de données stratigraphiques et
chronologiques d'une grande précision. C'est le cas notamment pour les camps
militaires germaniques (Haltern, Oberaden, Oberhausen, etc..) dont
l'occupation, parfois de faible durée, est bien datée par les textes.
c) des recueils, encore incomplets mais substantiels, ont publié un
grand nombre de décors et de timbres.
d) des analyses de laboratoire déjà signalées apportent chaque année
des. éléments nouveaux.

Il reste qu'en raison même de cette documentation exceptionnelle


on est tenté de vouloir poser (et résoudre) des problèmes qu'on ne
songerait pas à aborder pour d'autres catégories. Nous en avons déjà évoqué
certains. En voici quelques autres, précédés - de nouveau - d'un mot de
terminologie.

1. TERMINOLOGIE

Peut-on encore parler d'"arétine" sachant qu'une grande partie


de la production provient de Pise, de Lyon et d'ailleurs ? A cela deux
réponses : le terme de "sigillée italique" n'est guère plus satisfaisant
puisqu'il exclut aussi bien les ateliers provinciaux. En second lieu, le
terme "arétine" était bel et bien, dès l'Antiquité, un terme générique
puisque des potiers non-arétins et même non-italiens l'ont utilisé dans
leurs estampilles, tel ce fabricant de la Graufesenque qui marque sur ses
produits qu'il s'agit d'un "authentique produit arétin", verum vas arre-
tinum. Conservons donc ce terme simple en n'oubliant pas que comme l'at
tique, qui n'a pas été fabriquée seulement dans la région d'Athènes, ou
comme la campanienne, l'arétine a diverses provenances tout en étant née à
Arezzo.

2. CHRONOLOGIE

Une grande partie des données chronologiques nous est fournie,


on l'a dit, par les camps germaniques. On sait aujourd'hui que l'arétine
qui y est recueillie fut essentiellement fabriquée par les ateliers
lyonnais. Du même coup, en stricte logique, cette chronologie n'est valable
que pour la production de Lyon et non pour celle d'Arezzo, de Pise, etc..
Faut-il donc entièrement revoir la question ? Le problème est d'importance :
peuvent en dépendre les datations de tel monument, voire de telle fondation
coloniale d'époque triumvirale ou augustéenne. Pour trancher, il faudra la
conjonction de nombreuses fouilles bien datées par des données autres que
l'arétine - mais lesquelles ? Notre impression personnelle, fondée sur
l'unité apparente des produits des divers centres de fabrication et sur les
liens très forts qui semblent les avoir tenus les uns aux autres, est qu'un
certain décalage ne peut être exclu mais qu'il a toutes chances d'être
minime, et qu'on peut accepter les chronologies les plus récemment proposées
pour l'apparition des diverses formes des vases lisses avec une marge
d'erreur maximale de dix années. En revanche, la chronologie des vases décorés
nous paraît relativement fantaisiste et arbitraire. Un long travail serait
à entreprendre sur ce point.
CERAMIQUES 129

3. L'ARETINE DECOREE

Nous avons signalé la spécialisation qui s'attache à la


fabrication des matrices. Nul doute que, au moins jusqu'aux environs de 10 ap.
J.-C, ce fut l'affaire de spécialistes de haute qualité, esclaves
spécialisés peut-être originaires du monde oriental. Nul doute non plus que
ces décors reflètent très fidèlement la mode artistique, celle qui régnait
non seulement dans la toreutique mais aussi bien dans la sculpture et la
peinture. Il est ahurissant de constater que, à quelques exceptions près,
un répertoire d'une telle richesse demeure l'objet d'une simple étude cé-
ramologique (Qui est l'auteur du vase ? Quels sont les poinçons utilisés ?
Sur quels autres vases apparaissent-ils ? ) alors qu'il pourrait tant
apporter à l'histoire de l'art.

4. LES TIMBRES

Les marques de potiers, qui se recueillent chaque année par


centaines et dont une grande partie est recensée dans le Corpus Vasorum Arre-
tinorum, continuent à poser bien des questions. D'abord, celle de leur
utilité : si l'on comprend qu'un artiste signe la matrice qui produira les
vases décorés, pourquoi signer des vases lisses, et bien mieux, pourquoi
n'en signer qu'un certain pourcentage ? Pour distinguer, dans des fours
communs, les piles fabriquées par tel ou tel ? Mais pourquoi faire signer
des esclaves et non pas seulement le propriétaire ? Pourquoi l'adoption
du timbre in planta pedis où l'on a souvent peine à lire, non plus un ou
des noms complets, mais des initiales ? Aucune réponse n'a encore donné
entière satisfaction. On aimerait aussi pouvoir attribuer à chacun des
centres de production la liste des marques qui lui reviennent afin
d'établir avec certitude les liens de maisons-mères à filiales et de déterminer
la part que chacun de ces centres tient sur les divers marchés. Mais voilà
qui suppose la collecte puis l'analyse en laboratoire de milliers
d'exemplaires : quelle institution estimera que le jeu en vaut la chandelle ?

5. ECONOMIE ET COMMERCE

A condition de ne pas généraliser abusivement en voyant dans


l'arétine l'exacte image de l'entreprise et du commerce à l'époque augus-
téenne et tibérienne (la main-mise italienne puis le réveil des provinces :
tous schémas usés et fallacieux), il est possible d'aller plus loin que les
simples suggestions présentées ici. Tenter de déterminer avec plus de
précision qu'on ne l'a fait la taille respective des fabriques (statistiques
portant sur les marques et les décors) , dresser des cartes de répartition
potier par potier et centre par centre (mais on retrouve le problème
précédemment signalé) , sans perdre de vue que ces études globales doivent être
affinées par des distinctions chronologiques. Or, il faut constater que si
le travail a été en partie engagé pour l'Occident, rien ou presque n'a été
fait à l'Est de l'Italie.

6. LES ZONES VIERGES

De fait, bien des problèmes avanceraient rapidement vers des


amorces de solution si l'on disposait de données sérieuses en provenance
moins de Grèce que de Turquie, du Proche-Orient et d'Egypte. Des données
concernant ces "pré-sigillées" qui peuvent avoir lancé le goût du vernis
rouge et dont, surtout, certaines (Pergame ? Alexandrie ?) peuvent être
à l'origine directe du répertoire décoré. Des éléments prouvant ou
infirmant l'existence de succursales orientales que l'on pressent à divers
titres. Enfin, pour la période post-augustëennes, des indications sur la
130 Ch. GOUDINEAU

persistance ou la rupture de l'approvisionnement qui pourraient amener


à revoir les actuelles théories relatives au déclin. Reste à espérer
que cette "tessonnaille" ne continue pas à être purement et simplement
jetée, comme il arrive trop souvent dans ces contrées.

Christian GOUDINEAU
CERAMIQUES 131

ORIENTATION BIBLIOGRAPHIQUE (succincte)

1 . ETUDES GENERALES

La meilleure introduction à l'étude des céramiques sigillées


est l'article Terra Sigillata de H. COMFORT dans le 1er Supplément à
V Enciclopedia dell'Arte Antica. Toutes les catégories, y compris les
"précurseurs" d'Asie mineure ou du Proche-Orient font l'objet de notices.

Pour l'arétine, dans la même encyclopédie, A. STENICO a écrit


un article Aretini vasi et a consacré diverses notices aux potiers les
plus importants. Nous avons repris les problèmes historiques dans La
céramique arétine lisse, Paris 1968, rééd. 1979.
2. TYPOLOGIE

Une première classification, qui incluait la sigillée gallo-


romaine, fut élaborée à la fin du siècle dernier par H. DRAGENDORFF :
Terra Sigillata, Bonn. Jahrb., 96-97, 1895, p. 18-155. Plusieurs études
sont venues la préciser :

. Pour l 'arétine lisse , l'ouvrage fondamental fut celui de S. LOES-


CHCKE, Keramische Funde in Haltern, ein Betrag zur Geschichte der augus-
teischen Kultur in Deutschland, Mitt. der Altertumskommission fur West-
falen, 5, Bonn 1909. Lui succéda, près de trente ans plus tard, l'étude
que le mime auteur consacra à un autre camp germanique : Die Rb'mische und
die Belgische Keramik, dans C. ALBRECHT, Das Romerlager in Oberaden, Heft
2, Dortmund 1942. Puis, divers articles vinrent préciser des points de
détail. On en trouvera la substance ainsi que les typologies de Loeschcke
dans notre ouvrage mentionné au § 1 , ouvrage dans lequel nous proposions
une typologie nouvelle réunissant plus de formes que les classifications
précédentes. Cette typologie, qui se veut générale, présente
l'inconvénient d'être organisée chronologiquement par numéros successifs et donc
d'être "fermée", ne pouvant accueillir de nouvelles formes. Elle est
néanmoins le plus souvent adoptée, sauf en milieu germanique où les auteurs
se réfèrent toujours à Haltern. Sur la chronologie que nous avons
suggérée pour l'apparition de chacune des formes recensées, cf. ci-dessus, p.
128.

Pour l ' arétine décorée, une typologie (peu détaillée) des formes
des vases décorés se trouve dans le livre de H. DRAGENDORFF, Arretinische
Relie fkeramik mit Beschreibung der Sammlung in Tubingen, nach des Verf
'assers Tode ergdnzt und herausgegeben von Cari Watzinger, Reutlingen 1948.
Pour identifier un décor (si le vase n'est pas complet et si la signature
manque) on ne peut se dispenser de consulter, outre l'ouvrage qu'on vient
de citer et qui constitue le manuel de base, diverses études dont les
principales sont les suivantes :

H.B. WALTERS, Catalogue of the Roman pottery in the Department of Anti-


quities, British Muséum, Londres 1908.
G. H. CHASE, The Loeb collection of Arretine pottery, New-York 1908.
Catalogue of Arretine pottery, Muséum of Fine Arts, Boston, Boston
et New-York 1916.
132 Ch. GOUDINEAU

A. OXE, Arretinische Retïefgefasse vom Rhein, Materialen zur Rbmisch-


Germanischen Keramik, Heft 5, Francfort 1 933 .
C. ALEXANDER, The Metropolitan Muséum of Art, New-York, Fasc. 1 : Arre-
tine relie fware, Corpus Vasorum Antiquorum, U.S. Α., 9,
Cambridge Mass. 1943.
A. STENICO, Ceramica arretina a rilievo délia Collezione Pisani-Dossi
del Museo di Milano, Scritti in onore di A. Calderini e R. Pa-
ribeni, III, Milan-Varèse 1956, p. 413-464.
Id. , La ceramica arretina, I, Museo Archeologico di Arezzo, Rasinius I,
Milan-Varèse 1960.
Id. 3 La ceramica arretina, II, collezioni diverse, punzoni, modelli3 cal-
chi, ecc, Milan-Varèse 1966.
P. PORTEN PALANGE, La ceramica arretina a rilievo nell'Antiquarium del
Museo Nazionale in Roma3 Florence 1966.
A.C. BROWN, Catalogue of Italian Terra Sigillata in the Ashmolean Muséum3
Oxford 1968.

En outre, certaines attributions erronées ont été rectifiées


par A. Stenico qui a vérifié toutes les publications antérieures à 1960
dans un article intitulé Revisione critica délie pubblicazioni sulla
ceramica arretina3 liste di attribuzioni del vasellame decorato con rilievi
edito fotograficamente3 Milan 1960.

. Pour les reliefs d1r applique 3 cf L. OHLENROTH, Italische Sigillata


mit Auflagen aus Râtien und dem Rbmischen Germanien 3 24-25 Bericht der
Rôm.-Germ. Kommission, 1934-1935, p. 234-254.

. Pour les timbres, on se reportera au catalogue réalisé par H. Com-


fort en partie d'après des notes d'A. Oxé : A. OXE, H. COMFORT, Corpus
Vasorum Arretinorum, Bonn 1968.

3. PROBLEMES ECONOMIQUES

Bibliographie indigente. Nous nous permettons de renvoyer à


notre ouvrage où ces questions sont évoquées et à notre article
Céramique et économie, Les dossiers de l'archéologie, 6, 1974, p. 103-109. Dans
une perspective d'analyse marxiste, G. PUCCI a publié une intéressante
étude, La produzione délia ceramica aretina, nota sull'"industria nella
prima età impériale, Dialoghi di Archeologia, VII, 1973, p. 255-293.

4. SUCCURSALES ; ANALYSES DE LABORATOIRE

; A. OXE avait ouvert la question dans son article Die Halterner


Sigillatafunde seit 1925, Bodenaltertimer Westfalens, 6, 1943, p. 15-76.
Pour les fabriques d'Atéius, E. ETTLINGER l'avait reprise dans Vorbemer-
kungen zu einer Diskussion des Ateius-Problems, Rei Cretariae Romanae
Fautores, Acta, IV, 1962, p. 27-44. Les fouilles de la Muette à Lyon ont
fait l'objet de brefs comptes-rendus (B.S.N.A.F. , 1966 et Chronique de
Gallia, 1968) ; seuls, les timbres ont fait l'objet d'une publication :
A. et J. LASF ARGUES, H. VERTET, Les estampilles sur sigillée de l'atelier
augustéen de la Muette à Lyon, Figlina, 1, 1976, p. 39-87. La méthode et
la problématique des analyses de laboratoire qui sont nées de l'examen
CERAMIQUES 1 33

du matériel lyonnais et qui se sont étendues par la suite ont été


clairement définies par M. PICON qui est l'initiateur et le principal auteur
de ces recherches ; cf par exemple Céramique antique et détermination
des provenances, Les dossiers de l* archéologie 3 9, 1975, p. 85-93, et A
propos de la vérification du catalogue des marques de l'atelier de la
Muette : réflexions sur la valeur des preuves, Figlina, 1, 1976, p. 89-
96. On conseillera aussi du même auteur une excellente mise au point sur
la technique des sigillées : Introduction à l'étude technique des
céramiques sigillées de Lezoux, Dijon 1973.

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