Vous êtes sur la page 1sur 4

Brunissande Cabrol

21ele00379 (2eme année)

Fiche objet

TP Islam

L’objet qu’il nous est proposé d’étudier est un gobelet en verre émaillé et doré qui
provient d’une récente vente aux enchères. Il est donc désormais conservé en main privée. Il
mesure probablement moins d’une vingtaine de centimètres et peut être daté des XIIIème ou
XIVème siècles.

Ce gobelet a une forme longiligne. Il a une base assez étroite, dont le bourrelet qui sert de
pied est sans doute un rajout. Il a une forme évasée, qui s’accentue quelques centimètres avant
la lèvre. Son décor est relativement simple, bien que raffiné. Sous la lèvre évasée se déploie
un cartouche épigraphié où une écriture cursive dorée court sur un fond bleu. Les contours du
cartouche et de l’inscription sont tracés à l’aide d’un émail plus sombre, probablement du
rouge. Au milieu de la panse, sous le cartouche, on aperçoit le dessin d’un poisson. Son
contour est lui aussi tracé à l’émail rouge et il est doré en son centre. L’animal est dessiné de
manière simple mais assez naturalise et reconnaissable. On devine un poisson semblable de
l’autre côté de la panse. Ces deux motifs semblent être placés sur l’objet de façon arbitraire.
La forme de ce gobelet et son motif sont caractéristiques des productions de la fin de la
période ayyoubide et du début de la période mamlouke.

Le manque d’informations à propos de cet objet le rend difficile à dater. Il faut donc avoir
recours à de nombreuses comparaisons afin de justifier la datation proposée plus haut.
Par chance, on connaît un grand nombre d’objets similaire ou ressemblants.
Il est nécessaire d’étudier la technique dans laquelle ce gobelet a été réalisé pour affiner notre
étude.
Les origines du verre émaillé et doré ne font à ce jour pas consensus. Il serait né en Iran aux
alentours du XIIème siècle. Mais les chercheurs s’accordent à dire qu’il a connu un très fort
développement au XIIème siècle sous les Ayyoubides (1169–1250 ), période à laquelle il est
surtout produit en Syrie, puis sous leurs successeurs, les Mamlouks (1250–1517), qui
installent le centre de production à Fustat, près du Caire, pour leurs nombreuses commandes
de lampes de mosquée en verre. On considère que l’apogée de cette production se situe aux
XIIIème et XIVème siècles. Le décor des premières productions est essentiellement composé
d’or en feuille ou sous forme de poudre liée à de l’eau et à de la gomme arabique collée sur le
verre. C’est le cas pour la bouteille fragmentaire au nom de Zangî produite en Syrie vers
1127-1146 et conservée à Londres, au British Museum. Les émaux sont apparus plus tard,
inspirés sans doute des techniques de céramique chinoise.
Le verre émaillé et doré demande une certaine énergie et une grande maîtrise des fours : il
faut d’abord façonner l’objet en verre soufflé. Ensuite, l’artisan pose les émaux colorés dont
la température de cuisson diffère selon les pigments. Il y a donc une cuisson entre chaque
couleur. Enfin, l’artisan appose la feuille d’or et lance la dernière cuisson, à 600°C. Ce travail
demande donc une grande minutie et peu durer plusieurs jours.
Pourtant, lors de son apogée, cette production était réalisée presque en série, et destinée à un
usage quotidien. D’après Sophie Makariou et le catalogue de l’exposition L’Orient de
Saladin, l’art des Ayyoubides présentée par l’IMA en 2001, les centres de production de
céramique et du verre étaient aux mains d’entreprises familiales. Les productions pour l’élite
étaient soit des commandes, soit fabriquées dans le but bien précis de plaire à une personne en
particulier. Le reste (et donc la majorité) de la production était destinée à un petit marché.
Le gobelet que nous étudions pourrait appuyer cette thèse. En effet, son décor est très simple
et sobre. Son exécution est donc beaucoup plus rapide que d’autres objets dont le décor est
plus chargé, comme le verre figurant des oiseaux, daté de 1320-1350 et conservé au Musée
Gulbenkian de Lisbonne. Le trait de celui-ci est plus virtuose, on note une plus grande
diversité de couleurs et une forte attention au détail. Nul doute que ce gobelet-ci, plus tardif,
était destiné à l’élite mamlouke.
Cette technique existait donc déjà sous les Ayyoubides et continue à se développer et à se
diversifier sous les Mamlouks.
Intéressons-nous maintenant aux motifs du gobelet. On peut le rapprocher d’un ensemble de
gobelets trouvé à Quft, en Haute-Egypte, désormais conservé au British Museum. Les
gobelets mesurent onze centimètres de haut. Ils ont exactement la même forme que le gobelet
que nous étudions. Stefano Carboni s’appuie sur cette forme pour les dater de la seconde
moitié du XIIIème siècle, en les opposants aux productions antérieurs qui sont plus évasées
dès la base (ex : gobelet conservé au Smithsonian American Art Museum de Washington
datable de 1181-1207). Ils présentent un décor de nombreux poissons vu de différents points
de vue (courbés, à l’horizontale, à la verticale, …). Les poissons sont peints à l’or et cernés
d’émail rouge. Stefano Carboni affirme que ce motif est fréquent sur les récipients de banquet
car il est signe de bon augure. On retrouve le motif de poissons sur d’autres supports que le
verre, comme le métal sous les mamlouks. Ces gobelets du British Museum ne présentent pas
de cartouche sous la lèvre mais une multitude de poissons sur toute la panse. Mais s’ils sont
plus nombreux, les poissons présentent le même tracé que celui de notre gobelet : les écailles
sont seulement dessinées sur le haut du dos, ils ont quatre nageoires symétriques en pointe et
une queue bipartite, le même trait part de l’œil pour rejoindre les branchies. Les gobelets de
British Museum sont donc probablement contemporains du gobelet que nous étudions. Le
nôtre est peut-être plus ancien car il présente des registres ordonnés tandis que sur celui du
British, les poissons, par leur représentation étagée, semblent flotter, comme s’ils étaient
réellement dans l’eau. Cette composition plus fantaisiste peut pousser à le classer dans une
période postérieure.
L’inscription dans le cartouche est sûrement une formule de vœux, comme on en a retrouvé
sur beaucoup de gobelet ou d’objets en verre, ce qui justifierait la présence des poissons.
Sur les miniatures enluminées ou les scènes figurées des objets, les gobelets de ce type sont
souvent représentés dans les mains des souverains, comme insigne de puissance. Ils peuvent
également être représentés simplement dans des scènes de repas. Cela atteste d’une utilisation
courante et presque quotidienne.

Ainsi, cet objet est caractéristique de l’âge d’or de la production des verres émaillés
ayyoubides et mamlouks. Difficile à dater, il montre la continuité de la production entre les
deux dynasties. Il est représentatif des productions d’objets mobiliers en Egypte et en Syrie
entre le milieu du XIIIème siècle et le XIVème siècle.
Bibliographie
P. Colomban, A. Tournié, M.-C. Caggiani and C. Paris ; Pigments and enamelling/gilding
technology of Mamluk mosque lamps and bottle J. Raman Spectroscopy, 17 july 2012.
https://culturesciences.chimie.ens.fr/thematiques/chimie-inorganique/chimie-de-
coordination/la-chimie-eclaire-les-secrets-de-fabrication#valeur

Friederike Voigt "Fragment d’objet en verre" dans Discover Islamic Art. Museum With No
Frontiers, 2023.
https://islamicart.museumwnf.org/database_item.php?id=object;ISL;se;Mus01;12;fr&cp

Sophie Makariou (dir.), L'Orient de Saladin, l'art des Ayyubides, cat. exp. (Paris, Institut du
Monde Arabe), Paris, Gallimard, 2001

Jacqueline du Pasquier, Histoire du verre, les chefs-d’œuvre de l’Islam, Paris, Massin, 2007

Le Verre : un Moyen Âge inventif, cat. exp. (Paris, Musée du Moyen-Age et Thermes de
Cluny) Paris, RMN-Grand Palais, 2017

Vous aimerez peut-être aussi