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Gosselin Laurent. Les circonstanciels : de la phrase au texte.. In: Langue française, n°86, 1990. Sur les compléments
circonstanciels. pp. 37-45;
doi : https://doi.org/10.3406/lfr.1990.5790
https://www.persee.fr/doc/lfr_0023-8368_1990_num_86_1_5790
1. Nous reprenons pour les trois premières sections de cet article des analyses développées plus longuement dans
notre thèse, cf. Gosselin (85), rédigée sous la direction de M. Denis, Slakta. La section 4 présente certains des résultats
obtenus dans le cadre d'une recherche sur la cohésion des textes narratifs, menée dans le Laboratoire de recherche en
grammaire de texte de l'Université de Caen.
2. Ces deux exemples sont empruntés à R. L. Wagner & J. Pinchon, 1962 ; ils servent tous deux à illustrer le
chapitre consacré aux « propositions dépendantes circonstancielles ».
3. Le signe etc. figure en effet à la fin de toutes les listes de circonstanciels dans les grammaires. Comme le remarque
A. Chervel (1977, p. 176), « Le problème majeur des circonstanciels était, et est encore, l'impossibilité d'en arrêter une
liste exhaustive ».
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Est-il besoin de dire que si la notion de circonstanciel a quelque intérêt linguistique, c'est dans la
stricte mesure où elle est fondée sur la définition positive, et non sur la négative qui ne peut circonscrire
que l'ignorance du linguiste. Reste alors à définir ce que recouvre le terme de circonstances. Comme le
remarque J.-P. Golay, cela n'est jamais fait :
« Circonstanciel se trouve défini par circonstance et circonstance par l'énumération des
circonstances. Le concept de circonstance n'est jamais expliqué » (J.-P. Golay, 1959, p. 65).
Avant de revenir sur ce point décisif, nous devons cependant examiner une tentative de définition
formelle des circonstanciels, illustrée, entre autres, par le père Buifier, par Dumarsais, et plus récemment
par R.L. Wagner & J. Pinchon (62). Elle consiste à opposer les compléments circonstanciels aux
compléments essentiels. On reconnaît là le ton post-aristotélicien de la grammaire générale : les
compléments essentiels sont nécessaires, les circonstanciels sont contingents ou accidentels. Cette
distinction, initialement sémantique, peut être interprétée, comme il semble que ce soit le cas chez
Wagner & Pinchon, de façon syntaxique : un circonstanciel peut être autrement qu'il n'est, c'est-à-dire
qu'il peut être ailleurs dans la phrase (il est déplaçable) ou ne pas être du tout (il est facultatif).
Pour intéressante que soit cette définition, qui évite la notion de circonstance et qui permet
d'opposer les phrases :
(5a) cplt essentiel : II va à Paris / * II va
(5b) cplt cire. : II se promène à Paris / II se promène
(6a) cplt essentiel : Jean est à la maison / * Jean est
(6b) cplt cire. : Jean est heureux à la maison / Jean est heureux 4,
elle ne saurait cependant suffire. Tout d'abord, chez Wagner & Pinchon, cette distinction ne porte que
sur les compléments du verbe, alors que nombre de circonstanciels sont des compléments de phrase. On
pourrait certes l'étendre à ce type de compléments, mais quel critère syntaxique permettrait alors de
distinguer les circonstanciels des autres éléments facultatifs et déplaçables : adverbes modaux (ex. :
peut-être), adverbes argumentatifs (ex. : justement), relatives prenant la phrase pour antécédent, etc. ?
Ensuite, si l'on s'en tient aux compléments du verbe ou du groupe verbal, la classe des compléments
facultatifs ne recouvre nullement celle des circonstanciels (telle que l'a établie la tradition grammaticale
et telle que l'utilisent en fait Wagner & Pinchon). Ainsi les compléments d'objet direct des verbes boire,
manger, chanter, siffler, pardonner, etc., sont-ils facultatifs (circonstanciels ?), sans parler des
compléments d'objet indirects, ni même des compléments d'attribution et des compléments d'agent dont la
réalisation syntaxique n'est presque jamais nécessaire 5. Reste donc à construire la classe des
circonstanciels comme une sous-classe de celle des compléments accidentels, en référence au concept de
circonstance.
4. Ces deux derniers exemples sont dus à J. Dubois & Fr. Dubois-Charlier (70), p. 83. À l'exemple (5a), tiré de
Wagner & Pinchon (1962, p. 76), nous pourrions cependant opposer ce contre-exemple :
« Sous les sombres sapins sexagénaires dont les branches s'alourdissaient vers les pelouses jaunies, côte à côte ils
allaient » (Remy de Gourmont, 1982, p. 45).
5. R. L. Wagner & J. Pinchon conviennent eux-mêmes que « la différence entre complément essentiel et
complément circonstanciel reste parfois difficile à établir » (§ 68. 4, p. 75).
6. Par exemple, admettre qu'il existe des événements (comme D. Davidson) ou des situations (avec Barwise & Perry)
détermine directement les représentations sémantiques associées aux phrases, cf. J. Higginbotham (84). Ces catégories
ontologiques fondamentales peuvent avoir des statuts très différents d'une théorie à l'autre, puisqu'elles sont
considérées tantôt comme des catégories de la réalité extérieure au sujet, tantôt comme des catégories conceptuelles
universelles de l'esprit humain.
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aux seules théories philosophiques, il nous paraît nécessaire de les reconsidérer d'un strict point de vue
linguistique. Nous faisons, dans ce sens, quelques propositions qui visent à définir la catégorie des
circonstances dans le cadre d'une ontologie sémiologique, conçue comme science de l'être en tant qu'il est
dit.
On connaît la démonstration d'E. Benveniste 7 selon laquelle les catégories ontologiques d'Aristote
correspondraient, en fait, à des catégories de la langue grecque. Cette analyse est présentée par son
auteur, lui-même, comme essentiellement négative et critique, comme condamnant à l'avance tout
projet de constitution d'une ontologie stable. Les commentateurs modernes d'Aristote n'ont cependant
pas manqué de rappeler que le Stagirite ne prétendait pas faire autre chose, en dressant la liste des
catégories, que de décrire des catégories langagières, des « manières de dire l'étant » (J. Derrida, 1972,
p. 219), puisque, pour la pensée grecque, l'être se manifestait dans et par le logos :
« C'est en effet avec la parole (logos) seulement que la chose apparaît en ce qu'elle est et comme
elle est. (...) » [J. Beaufret, 1973, p. 106].
Dans cette perspective, l'analyse par Benveniste des catégories d'Aristote peut dès lors être
considérée positivement et servir de principe à la constitution d'une ontologie revendiquant ses
fondements linguistiques : une ontologie sémiologique qui admettrait pour catégories des classes
d'expressions partageant un fonctionnement grammatical particulier, irréductible à des propriétés
syntaxiques formelles.
Concrètement, seront considérées comme appartenant à une même catégorie toutes les réponses
possibles à un même type de question. Ainsi, pour les circonstances, ce principe permet d'isoler quatre
catégories fondamentales : le lieu (qui correspond à la question ou ?), le temps (quand?), la manière
(comment ?) et la cause-but (pourquoi ?). Au critère de l'interrogation partielle, s'ajoute celui de la
coordination : deux circonstanciels, quelle que soit leur réalisation syntaxique (adverbe, syntagme
prépositionnel ou subordonnée), peuvent être coordonnés si et seulement s'ils expriment la même
catégorie de circonstance :
(7) *Pierre se promène à Paris et le dimanche matin.
On remarque à ce propos que les circonstanciels de cause et de but, qui correspondent à la même
question (pourquoi ?) peuvent aussi être coordonnés :
(8) Pierre se promène pour digérer et parce qu'il aime la marche.
On retrouve ainsi l'analyse de la cause finale par Aristote :
« La cause est aussi la fin, c'est-à-dire la cause finale. Par exemple, la santé est la cause de la
promenade. Pourquoi, en effet, se promène-t-on ? Nous répondons : pour se bien porter, et, en
parlant ainsi, nous pensons avoir rendu compte de la cause. » (Métaphysique V, 2, 1013a 33).
Si un sujet X accomplit une action A pour un but B, c'est la croyance de X que A causera В qui cause
le fait que X accomplisse A.
Reste qu'une telle analyse ne doit pas se limiter aux « expressions sans aucune liaison » (Catégories
4, lb 25), mais traiter aussi des catégories exprimées au moyen de phrases complètes, lesquelles vont
alors être considérées, selon qu'elles forment ou non des réponses possibles à la question « Qu'arrive-
t-il ? », comme des événements ou des non- événements. Exemples :
(9) Qu'arrive-t-il ? Pierre est malade
II pleut
? ? L'homme est un animal bipède
? ? Pierre est le fils de Jean.
Si l'on admet que les catégories de différents niveaux peuvent être mises en relation — nous
nommerons cette relation, définie par le seul fait qu'elle peut être niée et interrogée, relation de
prédication — , les conséquences suivent très concrètement, qui déterminent la grammaire des
circonstanciels : seules les phrases qui sont interprétées comme exprimant des événements supportent des
compléments circonstanciels :
(10a) Pierre est êpouvantablement malade, le soir, à Londres
(10b) II pleut êpouvantablement, le soir, à Londres
(10c) *L'homme est un animal bipède, le soir, à Londres
(lOd) * Pierre est le fils de Jean, le soir, à Londres.
En fait, la possibilité d'insérer des circonstanciels est directement fondée sur le statut logique
reconnu aux faits décrits ; les événements acceptent des circonstanciels parce qu'ils sont contingents par
essence, mais des non- événements peuvent aussi admettre des circonstanciels du type :
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(lia) Depuis la nuit des temps, l'homme est un animal bipède
(lib) Depuis qu'elle existe, la terre tourne autour du soleil
(Ile) Les hérons ont un long bec pour pouvoir attraper les poissons
dans la mesure où ils ne sont plus alors perçus comme des nécessités logiques ou ontologiques (on suppose
qu'il pourrait ou qu'il aurait pu en être autrement) : dans l'énoncé (Ha), par exemple, la proposition
« l'homme est un animal bipède » n'est plus conçue comme analytique.
A poursuivre plus avant dans cette voie, on fait apparaître, par le jeu des questions plus ou moins
larges et par le test de la coordination tout un système complexe et hiérarchisé de catégories sémantiques
à l'intérieur duquel les catégories de circonstance et d'événement occupent une place clairement définie.
Mais plutôt que d'exposer ici ce système de catégories abstraites (cf. L. Gosselin, 1985, chap. IV), nous
nous attacherons à décrire la façon dont elles se réalisent concrètement dans le cadre de la phrase.
8. Le faire et le subir, qui appartiennent aux catégories d'Aristote, sont considérées comme « des expressions sans
aucune liaison » ; c'est lorsqu'elles sont prédiquées sur un sujet qu'elles se changent en événements.
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transformations, d'abord parce qu'on ne voit pas pourquoi telle position serait dérivée à partir de telle
autre (on peut toujours imaginer l'ordre dérivationnel inverse) et ensuite parce que les développements
récents de la grammaire generative interdisent toute prolifération incontrôlée de transformations.
B) En l'absence de la négation ou de certains adverbes, il est généralement impossible de distinguer
les circonstanciels, placés après le verbe, qui portent sur Г événement de ceux qui portent sur le faire (ex. :
« Pierre se promène dans le jardin » vs « Pierre ne se promène pas dans le jardin » — seul le second
énoncé est virtuellement ambigu) ; de même qu'il est parfois très difficile de déterminer si le
circonstanciel est prédiqué sur le dire ou sur Y événement (ex. : « Passe-moi la carafe, parce que j'ai
soif ! »). Mieux, avec l'énoncé suivant, il est possible que le locuteur justifie son dire (qui est interprété
alors comme l'expression d'une supposition), mais alors le circonstanciel porte tout de même sur le faire
et sur Yévènement (la cause du faire de l'assassin est simultanément cause du dire du locuteur) :
(18) L'assassin s'est servi d'un silencieux, parce que c'était le seul moyen de ne pas alerter les voisins.
Si l'on retient les règles syntagmatiques de N. Chomsky (86), la configuration fondamentale de la
phrase se présente ainsi :
X" (cpltde V)
9. « Nous appellerons « les g-projections de V » la séquence maximale de nœuds allant de V vers le haut, telle que
cette séquence ne traverse pas de projection maximale constituant une branche gauche » (R. Kayne, 1986, p. 129). Les
propositions qui suivent pourraient être transposées dans d'autres versions de la théorie X-barre ; par exemple, dans
L. Gosselin (85), nous utilisons la théorie-X'" de R. Jackendoff (77).
10. Sur les relations d'ordre en syntaxe, cf. B. N. Grunig (80) et D. Clément (80).
11. Cf. J. R. Vergnaud (74), p. 182, J. Cl. Milner (78), p. 239 et N. Ruwet (82), pp. 296-297.
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les X et les Y représentent respectivement les places possibles pour des circonstanciels rattachés à
l'axe A de la principale et à l'axe A' de la complétive. De la double place finale, on déduit l'ambiguïté
virtuelle de l'énoncé :
(21) Lefilsi de ma voisine de palier a décidé que son frère gagnerait la gare la plus proche, sans
prévenir personne
■
car le lecteur-auditeur peut ne pas savoir dans ce cas, et dans ce cas seulement, si le circonstanciel est
structuralement rattaché à A ou à A'.
La remarque (B) nous conduit, en revanche, à restreindre la portée de l'ordre domine, puisque dans
l'interprétation décrite de l'exemple (18), le circonstanciel devrait être rapporté simultanément à trois
nœuds distincts. Une solution plus élégante consiste à admettre qu'il n'est pas rattaché à un nœud
spécifique, mais directement à l'axe A, qu'il peut parcourir librement. La présence de la négation (ou de
certains adverbes) scinde ce parcours en deux portions distinctes et oblige le lecteur-auditeur à rattacher
le circonstanciel à la portion de l'axe qui est C-Commandée par la négation (V — V") ou à celle qui ne
l'est pas, tandis que des considérations d'ordre sémantico-pragmatiques pourront conduire le lecteur à
faire porter le circonstanciel sur le dire, en le rattachant à la portion de A supérieure à I", ou sur
Vévènement (il dépend alors d'une position inférieure ou égale à I"). On obtient donc trois portions sur
l'axe A, qui correspondent respectivement à la prédication du circonstanciel sur le faire (V — V"), sur
Vévènement (V" — I"), sur le dire (I" — C"), mais qui ne s'opposent les unes aux autres que dans des
situations particulières (négation, contraintes sémantiques...). Exemples :
i) le circonstanciel est libre sur la portion V — I" (il porte sur le faire et/ou sur Vévènement) :
(22) Pierre se promène dans le jardin
ii) il est libre sur la portion I" — C" (il porte sur Vévènement et/ou sur le dire) :
(24) Je n'en reprends pas, parce que je n'ai plus faim
iii) il est libre sur l'axe A :
(25) Je veux du pain parce que j'ai faim.
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donc non pas d'une sémantique pragmatique, qui ne peut établir que des vérités plausibles, mais d'une
sémantique formelle qui doit établir des lois nécessaires et qui appartient de droit à la grammaire.
Pour avoir étudié ces phénomènes sur un corpus romanesque étendu, nous pouvons poser les
principes suivants :
A) Dans le champ de la sémantique conceptuelle, dont nous tentons de rendre compte au moyen d'une
ontologie sérniologique, tout événement suppose des circonstances de lieu, de temps, de cause et de
manière.
B) Au plan syntaxique, on admettra que INFL peut être marquée [+/~ Événement], et on pose la
règle suivante : INFL sous-catégorise quatre types de compléments circonstanciels si et seulement si elle
est marquée [ + Événement] ; ces circonstanciels seront rattachés à l'axe A.
C) Les catégories circonstancielles sous-catégorisées par INFL peuvent être réalisées lexicalement ou
non. Si elles restent vides, elles se comportent comme des pronoms : elles peuvent être coïndicées avec
d'autres éléments, appartenant à des phrases antérieures et/ou postérieures, donnant lieu à des « chaînes
circonstancielles ».
D) Les chaînes circonstancielles comprennent des compléments circonstanciels (syntagmes
prépositionnels et adverbiaux, subordonnées circonstancielles), des catégories vides, mais aussi d'autres types
de syntagmes (syntagmes nominaux, phrases entières, etc.) qui n'ont pas le statut de compléments
circonstanciels (ils peuvent avoir toutes sortes de fonctions dans les phrases où ils sont inclus). Soit
quelques exemples qui illustrent diverses configurations possibles pour les chaînes circonstancielles :
— Dans les énoncés suivants, une chaîne locative de la forme {[Sprep]; [e]; [e]( [e]; [e]; [e];} est associée
à une chaîne anaphorique « classique » :
(27) « Je fus le seul à descendre du train [à Farewell^.
Un hommej sortit de la salle d'attente sous la pluie / ejt.
( ...) IL portait une casquette imperméable grise et un manteau gris de coupe militaire [e]^
II ne me regarda pas [e]t. IL regardait la valise et le sac de voyage que je portais / ej\. IL avança
rapidement à petits pas saccadés /e/;. » (D. Hammett, 1976, p. 235).
— À l'inverse, dans la chaîne locative de l'exemple (28), les catégories vides précèdent l'indication
circonstancielle, réalisée par un syntagme nominal :
(28) « II y a deux lits [e]t, un grand pour madame et un plus petit de l'autre côté pour monsieur. Le
lavabo est caché par un rideau [e]t. C'est [une grande chambre] i avec une odeur faible, presque
imperceptible d'hôtel bon marché » (J. Rhys, 1969, p. 11).
— Les chaînes locatives et temporelles se combinent ici en prenant les formes respectives : {[e]; [e];
[SprepOJ et {[e]j [S]j [eL} :
(29) « Les invités avaient pris congé depuis longtemps feji [e]j. [L'horloge venait de sonner la demie
de minuit [ej^:. Seuls notre amphitryon, Serge Nicolaiévitch et Vladimir Pétrovitch restaient
encore [au salon]i [e]- » (I. Tourgueniev, 1947, p. 5).
— Un même syntagme appartient parfois à deux chaînes distinctes ; dans cet exemple, le syntagme
nominal la dernière soirée de Lady Windermere avant Pâques indique à la fois le lieu et le temps des
événements décrits :
(30) C'était [la deuxième soirée de Lady Windermere avant Pâques J^j, et les invités, plus nombreux
encore qu'à l'ordinaire, se pressaient à Bentinck House [e]i [e] •. Six ministres en titre, venus
après la réception du président, arboraient toutes leurs décorations [eji /e/ ; les femmes portaient
leur plus belle robe [e]t [e]j (...) » (0. Wilde, 1963, p. 13).
Dans ces chaînes circonstancielles, la coïndiciation des éléments est associée à la relation
sémantique de coréférence, mais ce n'est pas toujours le cas. De même que les relations anaphoriques
entre SN relèvent parfois de Yanaphore associative et n'impliquent pas la coréférence, comme dans
l'énoncé :
(31) La voiturei est en panne. Le moteur [de e;/ est cassé
les relations entre les éléments d'une chaîne circonstancielle supportent souvent des décalages
référentiels, construits à partir d'un point de référence, spatial ou temporel :
(32) Samedi^ il pleuvait. Le lendemain [de ej, il faisait soleil.
L'exemple suivant présente une chaîne temporelle coréférentielle, tandis que la chaîne locative
comporte des marqueurs de décalage :
(33) « [II était à peu près huit heures du soir]^ et [sur les eaux de la Marne ] -, visible de la terrasse
du restaurant Verjus, un brouillard épais commençait à régner (...). À droite [de ej], la masse
sombre des berges profilait de vagues contours impénétrables à la vue [e]t ; à gauche [de ejj,
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dans le ciel, il y avait un rougeoiement perpétuel [e]i ( ...) » (P. Souvestre et M. Alain, 1987,
p. 33 ").
Or ces décalages ne sont pas toujours linguistiquement marqués ; ils sont alors inférés à partir de
connaissances encyclopédiques. À la lecture de
(34) « La reine Ti-so-la-é (Aurore des yeux) est seule dans la chambre haute de son palais d'été. Le vent
du lac agite les feuilles brillantes des saules » (J. Lorrain, 1980, p. 223).
le lecteur comprend pour des raisons grammaticales que le vent agite les branches des saules en un lieu
qui entretient une relation avec la chambre de la reine (il y a co-indiciation entre le SPrep., complément
circonstanciel, de la première phrase et la catégorie vide qui représente le circonstanciel de lieu dans la
structure syntaxique de la seconde phrase), mais il comprend aussi pour des raisons sémantico-
pragmatiques que le vent agite les saules à l'extérieur de la chambre.
Nous pouvons donc affirmer que les circonstanciels de lieu et de temps réalisés syntaxiquement par
des catégories vides sont nécessairement co-indicés avec des circonstanciels ou des marqueurs de
circonstances appartenant à d'autres phrases, sans que cette co-indiciation implique toujours la
coréférence. Seul un changement de paragraphe ou a fortiori un changement de chapitre permet de
suspendre provisoirement cette exigence (le lecteur a, pour quelques instants, l'impression qu'un
nouveau texte commence).
Insistons, pour conclure, sur l'impossibilité d'étudier les circonstanciels sans prendre en compte la
catégorie sémantique des circonstances, d'abord parce qu'elle seule permet d'en donner une définition
positive et opératoire — les circonstanciels sont des compléments non-nécessaires qui expriment des
circonstances — , et ensuite parce que, dans le texte, les circonstanciels entrent dans des chaînes de
coïndiciation contenant divers éléments qui ne sont pas tous des compléments circonstanciels, mais qui
tous expriment des circonstances.
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