Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Constituants immédiats
Rudon S. Wells
Wells Rudon S. Constituants immédiats. In: Langages, 5ᵉ année, n°20, 1970. Analyse distributionnelle et structurale. pp. 61-
100;
doi : 10.3406/lgge.1970.2037
http://www.persee.fr/doc/lgge_0458-726x_1970_num_5_20_2037
CONSTITUANTS IMMÉDIATS*
EXPANSION
3. Farly ne se rencontre pas dans les énoncés réels. Le grammairien doit décider
si cette non-occurrence est accidentelle (parce que farly n'aurait pas de sens, ou parce
que le sens qu'il aurait est déjà exprimé par une autre expression courante ou parce
que, comme brownbird vs blackbird, bluebird, il décrit un objet ou une situation dont
on n'a jamais l'occasion de parler) ou si farly est grammaticalement impossible, comme
pickly et kindlily. La démarcation entre ce qui est grammaticalement impossible
(agrammatical) et ce qui ne se rencontre pas pour de simples raisons sémantiques ou
syntaxiques constitue un problème délicat. Nous n'en parlerons pas ici, car cela ne
concerne pas la théorie des CI qui prend pour données les énoncés rencontrés et les
analyse.
Pour noter un environnement, nous utilisons des parenthèses qui marquent la place
des morphèmes ou des suites de morphèmes qui figurent dans un environnement donné.
Ainsi la notation ( ) ly ci-dessus signifie que la position de morphèmes comme slow,
near, quaint est avant le morphème ly.
63
de suites différente, parce qu'elle n'a pas le même scheme accentuel. Même
lorsqu'on applique un accent contrastif (It's a black bird, not a red one),
black bird est identique sur le plan phonologique et morphologique à
blackbird (cf. 67, 72, 75), mais il est différent sur le plan de la
construction (cf. 38); en d'autres termes, black bird et blackbird sont homonymes
dans cet environnement.
Une suite appartient à plus d'une classe de suites quand au moins un
des morphèmes qui la constituent appartient à plus d'une classe de
morphèmes, ce qui est habituellement le cas. Puisque city est à la fois un nom
commun et un nom, city-bred appartient au moins à deux classes de
suites; London-bred, qui contient le nom propre London, appartient à
l'une de ces deux classes de suites, mais non à l'autre.
Répétons que par suite nous entendons non seulement une suite
de deux ou plusieurs morphèmes, mais aussi une suite formée d'un seul
morphème, c'est-à-dire le morphème lui-même, si bien que tous les
morphèmes sont des suites, mais l'inverse n'est pas vrai. Il s'ensuit que
chaque classe de morphèmes est une classe de suites, mais chaque classe
de suites n'est pas une classe de morphèmes. Cet emploi de suite nous
dispense d'avoir à préciser « morphème ou suite » chaque fois que nous
devrons l'employer, ce qui sera très fréquent.
4. Le fait de grammaire, simple mais significatif, sur lequel nous fondons
toute notre théorie des CI, est celui-ci : une suite appartenant à une classe
de suites A est souvent substituable à une suite appartenant à une classe
de suites В entièrement différente. Par « entièrement différente », nous
voulons dire que A n'est pas incluse dans В et que В n'est pas incluse dans
A; les deux classes n'ont pas de suites-membres en commun ou elles en
ont très peu (c'est ce qu'on a appelé « clivage de classes »). Ainsi Tom and
Dick peut être substitué à they partout où on trouve they : they wanted
me to corne est une phrase grammaticale, de même que Tom and Dick
wanted me to come 4. They did it because they wanted to est grammatical
et Tom and Dick did it because Tom and Dick wanted to est également
grammatical (c'est seulement pour des raisons stylistiques que cette
phrase n'est pas très courante). De même The stars look small because
they are far away et The stars look small because Tom and Dick are far
away sont toutes les deux grammaticales, c'est seulement pour des raisons
sémantiques que la seconde phrase est peu fréquente (ou non utilisée).
Nous pouvons approximativement exprimer ce fait en disant que
deux suites figurent parfois dans les mêmes environnements bien qu'elles
aient des structures internes différentes. Quand l'une est au moins aussi
longue que l'autre (contient au moins le même nombre de morphèmes),
tout en étant structurellement différente (n'appartenant pas à toutes les
mêmes classes de suites), on dit que cette suite est une expansion de l'autre
et que cette autre est un modèle. Si A est une expansion de В, В est un
modèle de A. L'idée directrice de la théorie des CI développée ici est de
décomposer chaque suite, aussi loin qu'il est possible, en parties qui sont
des expansions; ces parties sont les constituants de la suite. Le problème
est de développer cette idée générale en un ensemble d'instructions définies
4. La réciproque n'est pas vraie. Ainsi on ne peut pas substituer they à Tom and
Dick dans la suite I met Tom and Dick downtown.
64
[Who opened Parliament?] The king. [What did you say the king of England
did?] Opened Parliament. Cet argument élimine bien the king \ of England
opened Parliament, mais n'écarte ni the king of \ England opened
Parliament, ni the king of England opened | Parliament; pour ces deux analyses,
il faudra avoir recours au sens ou à d'autres principes formels. Par ailleurs,
cet argument n'est utilisable qu'à un stade de la description grammaticale
plus avancé que celui que nous tenons pour acquis au point où nous en
sommes. Les principes décrits dans cet article sont en effet destinés non
seulement à être utilisés pour décider à laquelle des constructions (ou
schemes) connues de la langue une phrase donnée appartient, mais aussi
à contribuer à l'établissement des schemes eux-mêmes. S'ils sont adéquats,
ils permettront, par exemple, d'établir l'existence du scheme général
actant-action.
10. On pourrait avancer un argument fondé sur l'économie ou la
simplicité : les constituants d'une phrase seraient les unités qui permettraient
la description la plus facile de la phrase 5. D'autres phrases comme /
saw the king of England à côté de I saw John, et he opened Parliament
à côté de he came, nous conduisent à considérer the king of England et
opened Parliament comme des unités, mais aucune phrase (si ce n'est
naturellement celles du type examiné) ne nous conduit à traiter of England
opened Parliament comme une unité.
Cet argument, notons-le, n'exclut pas toutes les divisions fausses,
comme, par exemple, the king of | England opened Parliament (cf. plus
haut). Mais peut-être ne faut-il pas s'attendre à ce qu'un quelconque
principe soit absolument suffisant à lui tout seul. Quoiqu'il en soit, on
peut donner une version plus puissante ou plus satisfaisante de cet
argument (version que nous adopterons comme un des principes
fondamentaux de l'analyse en CI), en faisant intervenir l'expansion; pour cela nous
devons remplacer notre définition préliminaire de l'expansion (donnée
en 4Vpar une définition plus complète.
11 . /"Les phrases peuvent être divisées en foyers (focus) et environnements.
Toute suite qui est remplaçable par d'autres suites est un foyer;
corrélativement, le reste de la phrase est l'environnement de cette suite. En
pratique, on peut souvent réduire le foyer-environnement d'une phrase
entière à une partie plus courte de la phrase. En général, cette partie plus
courte se trouve être un constituant au sens technique du terme. Ainsi
nous pouvons chercher quelles suites peuvent jouer le rôle de foyer
(c'est-à-dire remplir le blanc entre parenthèses) dans the ( ) of England,
sans prendre en considération l'environnement plus large dont la suite
the ( ) of England est elle-même le foyer. Dans ces cas, il y a un
environnement pertinent plus petit que l'environnement total. Quand la phrase
entière est considérée comme le foyer, l'environnement est zéro 6.
5. L. Bloomfield, Language, 212 (New York, 1933); K. L. Pike, « Taxemes
and Immediate Constituents », Language, 19, 65-82, partie. 419 (1943). Une version
particulière de la simplicité, qu'on pourrait peut-être proposer, mais qu'il faut rejeter,
prendrait en considération l'ensemble des analyses qui exige la définition du minimum
de classes de suites. Cette proposition est intéressante en soi, mais elle ne permet pas
d'écarter toutes les analyses fausses, comme the king of England. On remarquera que
the king of doit être analysé comme un constituant dans certaines autres occurrences,
comme What country is the king of?
6. Par la suite, nous simplifierons souvent en disant qu'une suite figure dans
67
l'environnement zéro alors que, en fait, son environnement total est le morphème
intonatif de la phrase (cf. n. 34).
7. Nous supposons ici que worked n'est constitué morphologiquement que des deux
morphèmes work et -ed. Si, comme certains le disent, le rapport they work : John
works = they worked : John worked est parfait, si bien que worked contient aussi une
variante zéro du morphème de 3e personne du singulier -s quand il a un sujet singulier,
alors John works est effectivement plus court que John worked (puisqu'il n'a pas le
morphème de passé -ed), et il constitue un exemple plus simple du type de phrase
fondamental.
68
autre figure, mais non l'inverse. Cette asymétrie est caractéristique des
expansions endocentriques. Partout où figure l'expansion oldish, le modèle
old figure aussi, mais l'inverse n'est pas vrai; ainsi old figure dans oldish,
mais oldishish est grammaticalement impossible. (Il se peut que le cas
opposé existe aussi : l'expansion figurant partout où figure le modèle,
mais non l'inverse.) Il est beaucoup plus fréquent que, étant donné deux
suites choisies au hasard, il y ait des environnements dans lesquels elles
figurent toutes deux, d'autres environnements dans lesquels seule la
première suite figure, et d'autres dans lesquels seule la seconde suite figure.
Ainsi boy et boys figurent tous deux dans les environnements I saw the ( )
et The ( ) saw me; mais seul boy figure dans I saw that ( ) et the ( ) sees
me, et seul boys figure dans I saw those ( ) et the ( ) see me. Le premier
type d'environnements détermine une classe des noms, le deuxième et le
troisième type déterminent la division de cette classe en noms singuliers
et noms pluriels.
14 Д II est facile de définir une classe de foyers qui contienne une grande
variété de classes de suites, mais qui soit caractérisée par quelques
environnements seulement; il est facile également de définir une classe de
foyers qui soit caractérisée par un grand nombre d'environnements, mais
qui ne contienne pas beaucoup de classes de suites différentes. Ce qui est
difficile, mais bien plus important, c'est de définir des classes de foyers
qui soient riches à la fois par le nombre de leurs environnements
caractéristiques et par la diversité de leurs classes de suites. Sont de ce type les
classes de foyers actant et action (ou, dans la terminologie classique,
sujet et prédicat), ou la classe de foyers des verbes et des syntagmes
verbaux (qui contient comme sous-classe la classe de foyers des verbes à la
3e personne du singulier et des syntagmes endocentriques ayant un de ces
verbes pour tête). De même, les pronoms he, she, it, this, that, et one,
tous les noms propres singuliers, et tous les syntagmes nominaux au
singulier commençant par the, a, this, that, any, each, every forment ensemble
une classe de foyers dont les membres sont très divers, comme on vient
de le voir, et qui figure dans un grand nombre d'environnements
(environnements qui ne sont pas eux-mêmes unifiés par l'appartenance à une
même grande classe de foyers). Les parties du discours sont des classes de
foyers, mais non des classes de morphèmes ou de suites 8. Ainsi la classe
des noms anglais comprend des composés et des dérivés aussi bien que
des morphèmes uniques/ (Les paradigmes, comprenant toutes les formes
fléchies d'un radical doflné, sont encore un autre type de classe, à moins
qu'il ne se trouve un ou plusieurs environnements dans lequel toutes les
formes fléchies figurent, cf. n. 14.)
15. Pour résumer l'opposition entre classe de suites et classe de foyers,
on peut aussi faire appel aux notions de grammaire interne et grammaire
externe. La grammaire interne d'une suite est la classe de toutes les
classes de suites auxquelles cette suite appartient; sa grammaire externe
est la classe de toutes les classes de foyers auxquelles elle appartient. Si
deux suites ont la même grammaire interne, elles ont nécessairement la
même grammaire externe, mais l'inverse n'est pas vrai; c'est pourquoi la
9. Nous disons qu'une analyse en CI est fausse quand il existe une meilleure
analyse possible de la même suite; nous disons qu'elle est juste quand il n'y en a pas
de meilleure.
70
II
Autres méthodes.
10. Le fait que the king of England soit lui-même une expansion de John est
pertinent pour déterminer si the king of England est un constituant de la suite plus longue
dans laquelle il figure, mais il n'est pas pertinent pour déterminer quels sont ses propres
constituants.
11. Jusqu'à ce que nous admettions des constituants discontinus (cf. V).
12. La circularité n'est qu'apparente. Nous supposons définies les expressions
entières « modificateur qui précède » et « modificateur qui suit »; nous verrons en 56
un troisième type de modificateur.
71
une classe de suites, ni une classe de foyers. Ainsi, loin de figurer dans le
même environnement, ces deux types de modificateurs sont, en un sens,
en distribution complémentaire 13. Nous réunissons ces deux classes de
modificateurs (dont chacune est en elle-même une classe de foyers, mais
la classe qui les réunit n'en est pas une) en un nouveau type de classe,
que nous appelons groupe associatif. Nous avons pour ce faire une raison
grammaticale : nous créons ainsi une structure commune pour deux types
de suites qui sont contenus dans la même classe de foyers (modificateur
+ nom, nom + modificateur). Ceci n'implique naturellement pas que
ces deux types de syntagmes avec modificateur et nom aient des structures
absolument identiques; cela ne fait que mettre en évidence une
caractéristique commune (caractéristique qui se révèle liée à une modification
dans le sens, comme c'est souvent le cas pour les caractéristiques
formelles).
La possibilité des groupes associatifs ne constitue pas un argument
en faveur d'une analyse plutôt qu'une autre. Les suites The English, an
English, many a, more than one, all the, de grammaire interne différente,
appartiennent à une même classe de foyers; et il y a une classe de suites
dont un membre (a, the, one) est une sous-suite de chacune de ces suites.
Par conséquent, English, many, more than, all appartiennent à un groupe
associatif. Mais ce n'est pas une raison pour considérer the English, an
English, many a, more than one, all the comme des constituants. Aucune
analyse en CI ne reconnaît toutes les classes de foyers qui existent, ni
tous les groupes associatifs; c'est la décision que certaines classes de
foyers et certains groupes associatifs sont plus importants que d'autres
qui détermine l'analyse. Et les groupes associatifs qui valent la peine
d'être définis sont ceux qui sont en harmonie avec le système des CI.
23. Un autre type de raisonnement s'appuie sur les paradigmes. King
et kings appartiennent au même paradigme 14; par dérivation the king of
et the kings of devraient donc normalement être liés l'un à l'autre comme
king et kings le sont. En conséquence, si on analysait the king of England
en the king of \ England, alors il faudrait analyser the kings of England en
the kings of \ England et the king of England and Scotland en the king of \
England and Scotland. Mais ces dernières analyses doivent être rejetées,
non seulement pour les mêmes raisons que celles qui nous ont fait rejeter
of England opened Parliament, mais aussi pour la raison supplémentaire
que the king of et the kings of ne suivent pas le scheme des modificateurs.
Plus exactement on ne pourrait pas ajouter la classe de foyers de the
king of, the kings of, etc., au groupe associatif « modificateurs » que nous
avons établi, sans en changer radicalement les propriétés caractéristiques.
Toute suite constituée d'un nom singulier -f- un modificateur « a le même
scheme que » les noms singuliers (en est une expansion), et toute suite
constituée d'un nom pluriel + un modificateur est une expansion des
noms pluriels. Ceci n'est pas vrai de the king of, the kings of; car the king
of England and Scotland est singulier et the kings of England est pluriel.
Ce même fait les différencie des modificateurs pronominaux comme this et
these, qui effectivement sont en eux-mêmes singulier ou pluriel, mais qui,
grammaticalement, s'accordent en nombre avec ce qu'ils modifient. Par
conséquent, des suites comme the king of, si on en fait des modificateurs,
restent isolées dans une classe de foyers à part; puisqu'il existe une autre
analyse de the king of England qui ne comporte pas cette conséquence
fâcheuse, on rejettera l'analyse the king of | England.
24. Prenons quelques autres exemples, qui illustreront les principes déjà
énoncés et qui nous permettront d'introduire quelques principes
supplémentaires.
Tenant pour acquis que / will be ready s'analyse en I \ will be ready,
étudions l'analyse du second CI. Si chacun de ces trois mots est un seul
morphème, les deux analyses possibles sont : will \ be ready et will be \
ready. Chacune de ces analyses reconnaît des classes de foyers
importantes, si bien qu'il serait difficile de décider sur ce seul critère. Ont le
même scheme que will be, non seulement must be, could be, may be, etc.,
ou will become, will seem, will appear, will look, etc., mais aussi des suites
plus complexes comme will pretend to be, et des suites moins complexes
comme am, is, are, was, were 15. Ont le même scheme que be ready, non
seulement become ready, seem ready, look ready, mais aussi go, wait, read a
book, etc. Pour trouver une solution, il faut comparer will be ready avec
d'autres suites, comme par exemple was ready. Même si l'analyse
morphologique de was est be + morphème passé + morphème 3e personne du
singulier, le principe que tout mot est un constitué (cf. 40, 47) conduit à
analyser was ready en was \ ready. Alors, puisque will be est une expansion
de was dans un grand nombre d'environnements, l'analyse will be \ ready
concorde bien avec l'analyse was \ ready.
Ne pourrait-on pas soutenir, par le même raisonnement, que puisque
will wait doit être analysé en will \ wait et que be ready est dans beaucoup
d'environnements une expansion de wait, will be ready s'analyse en will \
be ready? Non, parce que, dans tout environnement où will be n'est pas
une expansion de was, c'est une expansion de were; tandis que, dans les
environnements où be ready n'est pas une expansion de wait, ce n'est en rien
une expansion. Cet exemple montre le rôle des paradigmes dans la
détermination des CI : was, were, will be appartiennent tous au même paradigme.
Les paradigmes sont précieux dans l'analyse en CI quand ils se présentent
par paires entretenant des relations d'accord. Ici, par exemple, les paires
sont constituées par les noms et les pronoms d'un côté, et les verbes de
l'autre : / s'accorde avec am; he, she, it, etc. s'accordent avec is. Grâce
à cette caractéristique, nous pouvons montrer que is et are sont ensemble
des équivalents absolus de will be, si bien que l'analyse will be \ ready
est supérieure à l'analyse will \ be ready.
25. Autre exemple : les infinitifs. Faut-il analyser want to \ go ou
want | to go? Want to est dans certains environnements une expansion de
15. Mais une classe de foyers à laquelle une seule des trois suites am, is, are
appartient est caractérisée par des environnements plus nombreux qu'une classe à laquelle
appartiennent deux de ces suites ou les trois, du fait de l'accord grammatical de ces
mots avec leur sujet, ou actant.
73
can, must, will, should, etc. ie. D'un autre côté, to go est dans certains
environnements une expansion d'un nom propre ou d'un nom non
comptable; ainsi to go et food figurent tous deux dans les
environnements ( ) is pleasant, I wanted ( ), ( ) is better than ( ), etc. Mais il y a
d'autres environnements qui les distinguent (c'est-à-dire des
environnements où l'un peut figurer, mais non l'autre); ainsi seul l'infinitif figure
dans it is pleasant ( ), qui est synonyme de « ( ) is pleasant », dans /
tried not (), I wanted him ( ), it's good for you ( ), alors que seul le nom
figure dans / am waiting for ( ), this kind of ( ). La méthode des
expansions telle que nous l'avons établie jusqu'ici ne permet donc pas de décider
entre want to \ go et want \ to go.
26. Les deux CI de la suite to go is easy sont to go et is easy; cette
analyse est fondée sur les considérations qui établissent la construction
actant-action en général. Puisque to go est un constituant dans cet
environnement, il est souhaitable de le considérer comme un constituant
partout où il figure avec le même sens; c'est pour cette raison que nous
choisissons l'analyse want \ to go.
27. Le principe que nous venons d'énoncer est très important; mais
il a deux exceptions d'égale importance. Une suite continue, considérée
comme un constituant dans* dans un environnement, doit être considérée comme
un constituant tous ses autres environnements sauf (1) s'il existe
une suite plus longue dont elle est à la fois une partie et un modèle
(autrement dit, une expansion endocentrique) et qui est considérée comme un
constituant; et (2) si elle a un sens différent dans ces autres
environnements 17. Le fait que want to soit un constituant dans la phrase / go
there because I want to n'a pas pour conséquence que want to soit considéré
comme un constituant dans want to go, car to (dans want to à la fin d'une
proposition) est un modèle pour to go; par conséquent, l'analyse want \ to
go est compatible avec l'analyse de want to en un constituant quand il
figure en fin de phrase. De même, l'occurrence de the king comme un
constituant de / | saw \\ the king n'implique pas qu'on traite the king
comme un constituant dans / | saw \\ the \\\ king of England.
Cette exception au principe général est nécessaire; sans elle, presque
tous les constitués seraient sujets à des analyses contradictoires. Les suites
/ saw the king et John of England impliqueraient l'analyse the king \ of
England, alors que he became king of England impliquerait l'analyse
the | king of England. Mais, même avec ses exceptions, ce principe est très
puissant et très précieux; il joue un rôle analogue à celui que joue dans
la géométrie euclidienne l'axiome qu'une figure peut être déplacée et
superposée sur une autre tout en gardant sa forme et sa taille.
28. Il est un principe subsidiaire et connexe : si une suite donnée figu-
16. Mais pas, par exemple, dans l'environnement he ( ) go. Ici l'expansion de can
est wants to. Want to et Wants to ont un rapport paradigmatique, comme want et
wants; si on traite want to comme un constituant, il est donc souhaitable de traiter
wants to comme un constituant. Et si, pour d'autres raisons, on a décidé de les traiter
tous les deux comme des constituants, alors ils confirmeront conjointement l'analyse
de toute suite dont ils sont conjointement soit une expansion, soit un modèle.
17. Afin d'énoncer ce principe, nous supposons que chaque suite a un sens, bien
qu'en réalité il soit généralement beaucoup plus difficile de définir le sens des non-
constituants (surtout s'ils sont discontinus) que celui des constituants.
74
rant avec le même sens dans deux environnements est considérée comme
un constitué dans les deux environnements (et, par conséquent aussi,
comme un constituant, sauf si c'est un énoncé complet), alors elle doit
avoir la même analyse en CI dans les deux occurrences. Ce principe,
comme le précédent, est précieux, car il nous permet d'établir un système
cohérent en vérifiant et en testant nos analyses les unes par rapport aux
autres. Il y a un autre principe de ce type (indispensable, mais trop évident
pour être discuté) : si deux suites appartiennent exactement aux mêmes
classes de suites (cf. 3), elles doivent être analysées de façon identique.
Si l'une d'entre elles, figurant avec un certain sens dans un certain
environnement, est analysée de telle ou telle manière, alors l'autre
suite, quand elle figure avec le même sens dans le même environnement,
doit être analysée de la même manière.
29. Une analyse en CI en entraîne d'autres; elle n'est vérifiée que quand
ses conséquences les plus lointaines dans le système ont été explorées.
Finalement, ce qui est accepté ou rejeté, ce n'est pas l'analyse d'une
phrase isolée, mais ce qu'on peut appelé le système de ci de la langue,
ensemble complet d'analyses, menées jusqu'aux constituants ultimes, de
tous les énoncés de la langue. Puisque tout constitué est entièrement
composé de constituants, toute hypothèse que telle ou telle suite est un
constituant entraîne que chaque autre constituant de la phrase dans
laquelle cette suite figure la comprend tout entière, l'exclut tout
entière ou est entièrement inclus en elle. L'analyse the king of \ England
opened Parliament est évidemment exclue si of England est un constituant
de cette phrase; inversement, si l'analyse the king of \ England opened
Parliament est acceptée, of England ne peut pas être un constituant. Par
conséquent, les erreurs, aussi bien que les analyses justes, concordent
les unes avec les autres.
C'est pourquoi nous ne considérons pas notre méthode comme une
procédure automatique au moyen de laquelle le linguiste, à partir des
seules données du corpus de tous les énoncés de la langue et d'une
connaissance des morphèmes contenus dans chaque énoncé, peut découvrir le
bon système de CI. Pour toute langue il y a un très grand nombre de
systèmes CI possibles; mais, en pratique, il est facile de voir que la plupart
des analyses possibles peuvent être laissées de côté. Le linguiste, quand il
travaille sur les CI, comme quand il travaille sur le système phonologique,
découvre de nombreux raccourcis.
Du fait de l'imbrication systématique de toute analyse en CI avec
les autres analyses de la même phrase et d'autres phrases de la langue,
on ne peut pas démontrer de manière concluante sur quelques exemples
choisis que, toutes choses égales d'ailleurs, telles ou telles analyses sont
les meilleures. Tout ce que nous pouvons faire, c'est tracer les grandes
lignes et montrer jusqu'où peuvent mener les conséquences d'une analyse
en CI.
75
III
Les constructions.
30. Nous avons dit en 8 qu'une théorie des CI pouvait faire abstraction
du sens jusqu'à un certain point; ce point est maintenant atteint. En fait
nous avons utilisé déjà plusieurs fois l'expression « avec le même sens »
(18, 26, 27, 28), mais sans expliquer pourquoi cette condition était
nécessaire. Elle est nécessaire tout simplement parce qu'il arrive souvent qu'une
suite ait un sens dans certaines de ses occurrences et un autre dans d'autres
et que, de plus, elle y ait des analyses en CI différentes. Prenons, par
exemple, la suite old men and women. Avec un sens, elle est presque
synonyme de old men and old women; avec un autre sens, de women and old
men. L'une des premières fonctions de l'analyse en CI est de mettre en
évidence une différence formelle correliée à la différence sémantique.
Avec le premier sens, la suite est old \ men and women; avec le second sens,
elle est old men \ and \ women 18.
De même, the king of England's people a deux sens et deux analyses
en CI : (1) the \ king \\ of England's people signifie « le roi d'un certain
peuple, à savoir les Anglais »; (2) the king of England || 's | people signifie
« le peuple d'un certain roi, à savoir le roi d'Angleterre ».
31. Ce type d'ambiguïté, s'il n'existe pas dans toutes les langues du
monde, est certainement très répandu. Il est d'une très grande
importance en grammaire, car il signifie que le grammairien doit inclure dans
ses données plus que les morphèmes et leurs suites. L' « ordre »
grammatical est quelque chose de plus que la simple suite. Pour ce « quelque chose
de plus », nous proposons le nom de construction 19.
32. The king of England's people (1) et the king of England's people (2),
définis ci-dessus, représentent la même suite de phonèmes et ils ont
cependant deux sens différents. Comment expliquer, comment localiser cette
différence? On ne peut pas raisonnablement l'attribuer à une homonymie
des morphèmes individuels, comme celle de of « effectué par » et of «
effectué sur » dans the conquest of Pizarro : the conquest of Peru. On ne peut
pas non plus dire qu'il s'agit de deux suites de morphèmes homophones,
mais appartenant à deux classes différentes, comme Ifs et Its dans It's
father (réponse par exemple à Who is it?) et Its father (réponse par exemple
à Who is the man holding that baby?). Le seul facteur restant auquel on
pourrait attribuer la différence de sens entre (1) et (2) est l'organisation
des morphèmes (la taxis).
On a depuis longtemps reconnu que l'ordre dans lequel les morphèmes
sont disposés est souvent porteur de sens; ainsi John hit Bill vs Bill hit
John. Mais, bien que dans (1) et (2) la différence sémantique soit imputable
à l'arrangement des morphèmes, elle n'est manifestement pas imputable
à leur ordre (qui est identique dans les deux cas). Aussi, comme nous
l'avons déjà dit, l'ordre ne représente-t-il pas toute l'organisation.
33. Avant de définir les constructions, nous distinguerons la suite et
ses occurrences 20. La suite He writes pages and pages contient six
morphèmes : he, write, -s (3e personne du singulier), page, -s (pluriel), and;
mais elle contient huit occurrences morphémiques, puisque les morphèmes
page et -s (pluriel) ont chacun deux occurrences. De même, He writes
pages and pages est la même suite que la première suite en italique de
ce paragraphe, mais c'est une autre occurrence de cette suite. Les suites
sont générales, les occurrences sont particulières 21.
34. Une construction est une classe С d'occurrences, soumise aux
conditions suivantes : (1) il y a au moins une classe de foyers qui comprend
toutes les suites dont les membres de С sont des occurrences; (2) toutes
ces occurrences ont en commun un certain sens; et, facultativement (3),
toutes ces occurrences figurent dans un certain environnement total ou
dans tous les environnements d'une certaine classe d'environnements
totaux. Remarquons que, alors qu'une suite peut figurer dans plusieurs
environnements, une occurrence donnée d'une suite ne figure que dans
une seule occurrence d'un environnement.
Nous venons de donner une définition large du terme construction;
cette définition inclut comme constructions beaucoup de classes qui ne
présentent aucun intérêt dans la théorie des CI 22. Mais il n'y a qu'à laisser
de côté ces cas sans intérêt, plutôt que de s'embarrasser d'une définition
lourde et compliquée. Quand le verbe run figure avec le morphème de
hauteur d'une phrase indicative /24/ 23 comme environnement total
taux, par une de leurs variantes, la variante d'un morphème de hauteur étant une
suite d'un ou plusieurs phonèmes de hauteur. La variante du morphème de hauteur
figurant dans la première prononciation de / won't go serait notée /32(24)/ — les
parenthèses signifiant que les deux premiers phonèmes accompagnent le même sylla-
bique — ou, avec une notation générale délibérément ambiguë, /324/, qui indique quels
phonèmes figurent et dans quel ordre, mais qui n'indique pas le nombre de syllabiques
concernés.
78
IV
Les mots.
40. Les personnes qui ont une certaine subtilité grammaticale ont le
sentiment qu'il y a quelque chose de « bizarre » dans une expression
comme the president of the bank's daughter. Nous avons déjà formulé
(cf. 6) le principe qui est à la base de ce sentiment : tout mot devrait être
un constituant; or bank's, qui est généralement considéré comme un mot,
n'est certainement pas ici un constituant.
Trois solutions s'offrent au grammairien : (1) abandonner ou modifier
le principe; (2) soutenir que bank's est un constituant; (3) admettre que
bank's n'est pas un constituant, mais soutenir que ce n'est pas un mot non
plus dans cette occurrence.
Sans aller jusqu'à dire que la seconde solution est absurde, nous ne
concevons pas qu'une théorie plausible des CI puisse lui permettre d'être
exacte.
La troisième solution permet deux options. D'un côté, on peut
considérer the president of the bank comme une sorte de mot composé; en ce
cas president-of-the-bank's, qui en est un dérivé, est aussi un seul mot et
bank's n'est pas un mot, mais un fragment de mot, comme writer's dans
typewriter's. C'est la solution qu'a adoptée Bloomfield 81. L'autre
possibilité est de considérer le morphème de possessif 's comme un mot distinct.
Aucune de ces deux analyses n'est satisfaisante. Elles présupposent toutes
deux, de même que la solution (1), une définition claire du mot (ou un
ensemble de critères).
41. La meilleure analyse générale du mot que je connaisse, depuis le
Language de Bloomfield, est celle de Nida 32. Nida distingue deux types
de critères pour déterminer ce que sont les mots d'une langue donnée : les
critères phonologiques et les critères grammaticaux. La joncture est
souvent une marque de frontière de mot, bien qu'il n'y ait peut-être pas de
langues où toutes les suites qu'on voudrait considérer comme des mots
soient marquées dans chaque occurrence par une joncture au début et à
la fin. Il arrive souvent aussi, dans les langues qui ont des jonctures, que
celles-ci se rencontrent non seulement aux frontières de mot, mais aussi à
l'intérieur de certains mots (comme night-rate /nayt-reyt/ en anglais).
Dans beaucoup de langues certains schemes phonologiques marquent la
présence ou, plus fréquemment, l'absence d'une frontière de mot : ainsi le
japonais a un phonème d'accent qui ne peut pas avoir plus d'une
occurrence non automatique par mot. En règle générale ces indices
phonologiques de frontières de mot sont incomplets; même dans les langues qui
31. Language 11.5. Ainsi que E. A. Nida, Morphology, 149-150 (Ann Arbor,
1946); Bloch et Trager, Outline of Linguistic Analysis, 67 (Baltimore, 1942).
32. Chap. 7 de sa Morphology (cf. n. 31). Sont intéressantes aussi la définition
du mot japonais par Bloch « Studies in Colloquial Japanese II; Syntax », Language,
22.202-206, 1.3-6 (1946) et la définition du mot chinois par Chao (op. cit. n. 20).
81
ont plusieurs de ces signaux, certaines des frontières de mot ne sont pas
marquées.
42. Quand nous disons que certains mots n'ont pas telle ou telle marque,
nous voulons dire que certaines suites qu'on aimerait pouvoir considérer
comme des mots n'ont pas cette marque. Le grammairien quand il
entreprend de décrire les mots d'une langue déterminée, part d'une certaine
conception raisonnable de ce qu'est le mot dans cette langue, conception
fondée en grande partie sur ce qu'il sait du mot dans sa langue maternelle
et dans les autres langues qu'il connaît. Il doit alors formuler ses critères
explicitement, les modifier en cas de contradiction et les compléter quand
ils ne lui permettent pas de décider si une occurrence donnée d'une suite
représente un mot ou non.
43. Les critères phonologiques du mot étant insuffisants, on doit les
compléter par des critères grammaticaux, pour toutes les langues ou
presque toutes. Dans certaines langues d'ailleurs (dont le français,
semble-t-il), les critères phonologiques font totalement défaut. En latin
et en grec classiques, de même que dans les autres langues indo-européennes
à dominante flexionnelle, le mot se présente nettement comme une unité
définie grammaticalement : la majorité des mots se terminent par une
désinence appartenant à une petite classe de terminaisons, verbales ou
substantivales. En outre, en grec et en latin, l'ordre des morphèmes à
l'intérieur du mot est fixe, mais l'ordre des mots les uns par rapport aux
autres peut varier. Ceci ne signifie pas que, dans ces langues, l'ordre des
mots soit libre ou indifférent : la prose familière, la prose littéraire, la
poésie sont, chacune, soumises à certains ordres standards, mais les
ordres de la prose et de la poésie sont assez différents, tandis que l'ordre
des morphèmes à l'intérieur du mot est identique dans tous les styles.
Qu'il y ait ou non une différence de sens entre deux ordres différents
pour les mêmes mots, l'existence même de ces deux ordres montre que
les mots sont des unités déplaçables; au contraire, l'ordre à l'intérieur du
mot (sauf dans les composés) n'a aucun sens justement parce qu'il est
automatique. Ceci justifie une distinction entre la morphologie et la
syntaxe, distinction appuyée par les propriétés phonologiques (accentuelles
essentiellement) des mots définis grammaticalement 33.
En fait, le mot constitue surtout une unité dans les langues où les
critères phonologiques et grammaticaux se renforcent mutuellement. La
définition de Bloomfield (le mot est une forme libre minimale) fait
intervenir ces deux types de critères : en tant que suite phonologique, le mot
figure dans un environnement phonologique zéro; en tant que suite
morphologique, il figure dans un environnement morphologique zéro 34. Le
33. Nous prenons ici le terme de grammaire au sens étroit : la grammaire est
coordonnée à la phonologie, mais ne l'inclut pas. Ainsi conçue, la grammaire comprend
généralement deux parties : la morphologie traite de la grammaire interne des mots
(cf. 15), la syntaxe traite de leur grammaire externe et des suites de mots; mais cette
division ne s'applique pas aux langues dans lesquelles le mot n'est pas une unité
distincte. Harris {op. cit. n. 2) montre qu'on peut abandonner la distinction entre
morphologie et syntaxe même dans d'autres langues (cf. 45). On m'a suggéré le nom de
taxématique pour désigner la grammaire au sens étroit; je ne l'ai pas adopté parce que
le terme de taxème, introduit par Bloomfield, n'est pas clairement défini.
34. V. n. 6 et Bloomfield, Language, 168-169. Il faut apporter les modifications
voulues à la définition de Bloomfield si on considère que les intonations de phrase
82
corrolaire qu'un mot doit pouvoir se prononcer hors contexte fait lui aussi
intervenir ces deux critères : une forme peut être « imprononçable » du
fait de sa composition phonologique (par exemple le 's possessif hors
contexte), ou bien parce que c'est une forme liée (par exemple -ness avec
un accent faible). Un linguiste considérerait five et fif (comme dans fifty
ou fifth) comme des variantes du même morphème; mais, du point de vue
du bon sens, ce sont les variantes, et non les morphèmes en tant que tels,
qui sont prononçables ou non. Et l'imprononçabilité des deux types
explique en partie pourquoi le 's possessif de England's est considéré par le
bon sens comme n'étant pas un mot.
44. Quand les critères phonologiques et grammaticaux ne se confirment
pas mutuellement, ils peuvent parfois se compléter. Si certaines suites
appartenant à une classe de suites donnée sont des mots en vertu des
critères phonologiques, alors on peut considérer tous les membres de la
classe comme des mots, qu'ils soient ou non marqués phonologiquement.
45. Dans son article Du morphème à l'énoncé, Harris avançait que la
distinction entre morphologie et syntaxe n'est pas nécessaire pour la
description des énoncés de la langue en question et que le mot n'est pas
une unité grammaticale nécessaire, que ce n'est peut-être même pas une
unité utile. Ceci ne signifie pas que la description d'une langue ne doive
pas comporter une description des corrélations qui peuvent exister entre
les traits phonologiques et les traits grammaticaux des suites morphé-
miques, description qui, pour certaines langues, trouve sa meilleure forme
avec la définition du mot. Harris suggérait simplement que, quand on
effectue une certaine partie de la tâche grammaticale, à savoir la
description des énoncés de la langue en question, on n'est pas obligé de diviser la
description en une phase morphologique et une phase syntaxique.
46. Nous ne commenterons pas ici cette suggestion. Le but de l'analyse
en CI n'est pas d'établir les énoncés de la langue, mais de dire, une fois ces
énoncés donnés, quels sont leurs constituants. Dans la pratique, le
grammairien qui étudie une langue mène les deux études à la fois et il doit
s'être fait une opinion dans les deux domaines avant de commencer à
exposer l'un ou l'autre; mais cet aspect pratique ne nous concerne pas.
Nous ne voulons pas dire non plus, quand nous disons que tous les énoncés
grammaticalement possibles de la langue sont supposés acquis dans
l'analyse en CI, que seule une description complète de ces énoncés est supposée
acquise (description qui pourrait bien être en termes de leurs constituants).
C'est l'exposé qui est circulaire; cette circularité n'est pas vicieuse, mais elle
est inévitable, sauf si on fonde la description grammaticale, au moyen de
l'analyse en CI, sur un échantillon fini de texte. La distinction entre les
méthodes de découverte et les méthodes de démonstration (ou plus
généralement d'exposé), et entre l'ordre dans lequel certains faits sont
découverts et l'ordre dans lequel ils sont exposés, est bien connu des logiciens.
En linguistique descriptive, la découverte consiste à trouver le meilleur
système pour décrire les faits; il ne fait pas strictement partie de l'exposé
de montrer que ce système est le meilleur.
et certains accents (cf. 66) d'une langue comme l'anglais sont des suites de morphèmes
et ne relèvent pas de la modulation (op. cit. 163, 169), qui est une des « quatre manières
d'arranger les formes linguistiques ».
83
47. Mais le mot est une unité pertinente dans l'analyse en CI. On peut
effectuer beaucoup d'analyses sans prendre en considération les frontières
des mots; mais beaucoup d'autres resteront indéterminées. Dans ces
cas d'indétermination, si les frontières de mot et le principe que chaque
mot est un constituant permettent de trouver la solution, il est
raisonnable, nous semble-t-il, de prendre en considération les frontières de mot
et d'invoquer ce principe. Autrement dit, le mot n'est pas une unité dont
on puisse se dispenser dans la théorie actuelle de l'analyse en CI.
48. Harris dit également (178-179) : « La procédure décrite ici pourrait
être mise en parallèle avec une série de substitutions qui commencerait
par l'énoncé complet et serait descendante, au lieu de commencer par les
morphèmes individuels et de remonter. Dans ce cas, il nous faudrait
trouver des critères formels pour découper l'énoncé par étapes successives.
C'est pour l'essentiel le problème difficile de la détermination des
constituants immédiats d'un énoncé. Il n'est pas évident qu'il existe une
méthode générale pour déterminer successivement les constituants
immédiats quand on commence par l'énoncé complet et qu'on descend vers
les morphèmes. De toute façon, la constitution des classes de substitution
(dans notre terminologie, des classes de foyers) présente, semble-t-il,
moins de difficultés théoriques si on commence par les morphèmes en
remontant vers les énoncés.
Mais mon objectif essentiel dans cet article est de montrer que les
expansions et les classes de foyers (c'est-à-dire très exactement les concepts
que Harris a développés dans son article) fournissent l'appareil de base
nécessaire à une théorie des CI. Et une théorie des CI n'est pas
nécessairement liée à l'ordre « vers le bas ». Les constituants d'un énoncé seront
toujours les mêmes quel que soit l'ordre d'exposition de la grammaire
descriptive (de bas en haut ou de haut en bas). Quant à l'ordre de
découverte, qui est ce à quoi Harris pensait, la remontée vers le haut détermine
systématiquement les classes de foyers d'une langue; mais nous avons
déjà souligné qu'un système complet d'analyses en CI doit reposer, non
seulement sur les classes de foyers, mais aussi (a) sur l'importance de
chaque classe de foyers (diversité des membres et nombre des
environnements qui la caractérisent), et (b) sur les constructions.
49. Il y a des cas où la structure de la langue ne se prête pas à l'analyse
selon laquelle tout mot est un constituant. En japonais, le suffixe -rasii
« à l'apparence de » entre en composition avec des noms (kodomorasii :
« ressemble à un enfant i>), des syntagmes nominaux (kodomo norasii :
« ressemble à celui d'un enfant »), des verbes (tabetarasii : « paraît
avoir mangé ») et certaines autres suites. Or on doit considérer
kodomorasii, norasii, tabetarasii (abréviations graphiques de kódómórásíi, norásíi,
tabétárásíi, où l'accent aigu marque une syllabe de hauteur élevée) comme
des mots, car si on considère -rasii (c'est-à-dire -rásíi) comme un mot
distinct; d'une part, ce sera le seul mot de toute la langue qui soit accentué
à la fois sur la première et la seconde syllabe, d'autre part, ce sera le
seul cas où un mot accentué sur la syllabe finale est immédiatement
suivi par un mot accentué sur la première syllabe 35. D'un autre côté,
35. Bloch, op. cit. (cf. n. 32), 1.5 et n. 7. Les cas où on peut attendre ce résultat
sont rares; et, quand ils se présentent (peut-être avec les noms propres?), le mot
d'avant perd morphophonologiquement son accent (Bloch, op. cit. n. 5).
84
38. Bloch, op. cit. 2.4. Pour un cas analogue en morphologie, cf. Bloch, « Studies
in Colloquial Japanese III : Derivation of Inflected Words », JAOS, 66.305, 1.3 (1946).
39. On trouvera les données dans B. Bloch et E. H. Jorden, Spoken Japanese,
135, n. 5, 15, et 504 n. 16, 18 (New York 1945-1946). Bloch n'est plus partisan de cette
manière de décrire la dérivation.
86
mental de and \ women est celui d'une proposition, non celui d'un SN.
Quand and women figure au début d'une proposition, ce n'est jamais un
constitué : and \ women were lined up hours ahead of time, et non pas and
women | were lined up, etc. Il est donc parfaitement clair que la phrase
and women ne confirme pas l'analyse men \ and women. Ainsi la théorie
de l'analyse en CI présentée ici ne permet pas de choisir entre men \ and
women et men and \ women; en conséquence, nous adoptons l'analyse
tripartite men \ and \ women.
Avec la coordination des propositions, le cas est différent. L'analyse
de He huffed and he puffed est manifestement He huffed | and he puffed;
chacun des deux constituants a une grande liberté de combinaison, y
compris l'occurrence en tant que phrase séparée. Quand and he puffed
constitue une phrase à lui tout seul, il participe à la construction de
phrase, ce qui n'est naturellement pas le cas quand il est précédé de he
huffed. Mais ces deux occurrences ont certaines constructions en commun
(la construction propositionnelle, par exemple); tandis qu'il n'y a aucune
construction à laquelle les deux occurrences de and women ([a] phrase
séparée et [b] dans men and women) peuvent appartenir.
Quand il y a trois propositions ou plus reliées par and, il y a autant
de CI que de propositions. Il n'y a aucune raison d'analyser (A) HH
h2uffed, (Sfand he p^uffed, {Cfand he bPew the housed^own (avec une
pause devant chaque and) en AB | С plutôt qu'en A | ВС ou en A | ВС
plutôt qu'en AB | C; aussi chaque proposition est un CI de la
phrase.
Si une étude approfondie de l'anglais révélait une raison qui nous
aurait échappé d'analyser men \ and women plutôt que men and | women
(ou l'inverse), alors ce syntagme cesserait tout simplement d'être un
exemple de constituants multiples. Mais les conditions dans lesquelles
on doit reconnaître des constituants multiples n'en seraient pas pour
autant ébranlées.
55. Les conditions concernant les constituants discontinus relèvent
du même type de raisonnement. L'analyse de the English king en English
et the... king donne des constituants beaucoup plus indépendants et
mobiles que l'analyse en the et English king; de plus, cette analyse est
plus conforme au scheme de poor \ John et English \ littérature. Mais si
l'admission des constituants multiples et des constituants discontinus
n'était soumise à aucune autre restriction que le fait de donner des
constituants aussi indépendants que possible, l'analyse en CI deviendrait
une affaire extraordinairement compliquée; il faudrait en effet étudier
un nombre très élevé de possibilités. Une procédure plus méthodique et
plus pratique consiste à pousser le système des CI aussi loin que possible
en considérant que tout constitué a deux CI continus; ensuite, si
nécessaire, on complétera et on révisera ce système, en admettant les types
d'analyses plus complexes. Pour réduire au minimum cette révision,
nous avons proposé une condition pour les CI multiples et nous proposons
maintenant la condition suivante pour les CI discontinus : une suite
discontinue est un constituant si, dans un certain environnement, la suite
continue correspondante figure en tant que constituant dans une construction
qui est en harmonie sémantique avec les constructions dans lesquelles figure
la suite discontinue en question. Nous ne définirons pas l'expression
87
40. Les emplois comme [Washington was] first in the hearts of his countrymen ne
sont ni réguliers ni libres.
88
VI
63. La plupart des exemples que nous avons donnés étaient tirés de
l'anglais, mais nous sommes naturellement très loin d'avoir même esquissé
un système de CI complet pour l'anglais. Il reste cependant une question
si fondamentale que nous ne pouvons pas ne pas en parler, au moins
rapidement, c'est la question des morphèmes prosodiques, juncture,
accent et hauteur. Ce que nous en dirons s'applique, mutatis mutandis,
à un certain nombre de langues, mais nous ne décrirons pas les parallèles.
Les phonèmes anglais (et par extension les morphèmes) de joncture,
d'accent et de hauteur, sont dits « prosodiques », « modulationnels » ou
« suprasegmentaux » 42. En ce qui concerne l'accent et la hauteur, ces
qualificatifs signifient que l'ordre simple linéaire, ou unidimensionnel,
des morphèmes segmentaux tó est compliqué en un ordre bidimensionnel
par l'occurrence des accents et des hauteurs. Dans la phrase What is
it? I hw3àt-2'iz4it/, on peut considérer que le phonème d'accent /'/ et le
phonème de hauteur /2/ sont simultanés à la première occurrence du
phonème vocalique /i/ 44. Comme une série linéaire est toujours plus
(sauf si l'un des syllabiques ne peut figurer, quand il est précédé ou suivi
de non syllabiques spécifiques, qu'en conjonction avec /'/, Г I ou /'/ 47.
69. Quand un morphème a des variantes qui diffèrent par leurs
phonèmes segmentaux, chacune d'elles peut avoir des variantes d'accent.
Ainsi clear a en tout cinq variantes /klîhr, klihr, klœAr, klaevr, klser/,
figurant respectivement dans clear úp, it's clear (avec le morphème
emphatique), clarify this, clarification, et clarity (là encore avec le morphème
emphatique). En général, pour toute variante contenant une ou plus d'une
occurrence de /A/, il y a une autre variante identique par ailleurs, mais
dans laquelle manque une de ces occurrences 48. Beaucoup de morphèmes
n'ont toutefois pas de variantes contenant /A/; et ceux qui contiennent /7
n'ont pas en général de variante identique par ailleurs, mais n'ayant pas
/'/• Ainsi /èjt/ comme dans rotate et calculate n'a pas de variante
correspondante /ejt/ 49.
70. Il y a deux types d'accent contrastif : (1) l'accent /'/ est placé sur
une syllabique où ni /'/ ni /A/ ne figurent normalement; (2) un phonème
d'accent contrastif /;/, distinct de /'/, soit (a) remplace /'/, soit (b) est
placé sur un syllabique où ni /'/ ni /л/ ne figurent normalement50. Les
cas (1) et (2b) impliquent des variantes autres que celles que nous avons
reconnues ci-dessus. Tous les morphèmes sans exception, pourvu qu'au
moins une de leurs variantes contienne un syllabique, sont sujets à ce
type de variation; en outre, quand il y a plus d'un syllabique, /'/ et /j/
peuvent tomber sur n'importe lequel d'entre eux.
Il y a souvent une variation concomittante à l'intérieur du syllabique
lui-même. Ainsi, quand le premier syllabique de allusion porte un accent
contrastif (pour distinguer ce mot de illusion par exemple), le résultat est
soit /sejllúwžan/ 51 soit /ae'llûwzgn/. Si l'on enlève les morphèmes contrastif
47. Il est naturellement très facile d'inventer une notation qui montre quel
phonème syllabique porte potentiellement l'accent, par exemple /Ьэе*1эк1аеуэ/. Cet
emploi des italiques n'a aucune espèce de statut phonologique, pas plus que les blancs
entre les mots dans une transcription; c'est un pur procédé mnémonique qui équivaut
à dire : «l'accent /'/ (appartenant au morphème emphatique) figure sur tel ou tel
syllabique de ce morphème (quand il figure en conjonction avec un morphème segmentai
donné) ». D'ailleurs on exprime la même information en donnant simplement le résultat
phonologique de la juxtaposition du morphème segmentai et du morphème d'accent
(par exemple /Ьэел1эк1ге'уэ/, résultat de la juxtaposition de /baVteklaeva/ et de /'/); et
il en est de même avec une comparaison des variantes /bae'laklaeva/ et /bae*Iaklae*va/.
48. Font exception les morphèmes comme le loom de heirloom /éhr-lûwm/ qui
accidentellement ne figurent que dans des mots composés.
49. On pourrait considérer que les verbes alternate /ohltarnèyt/, degenerate
/dijénarèyt/, etc. sont dérivés des adjectifs correspondants alternate /óhltarnat/, degere-
rate /dijénarat/, etc. par l'addition d'un morphème; ou bien on pourrait considérer que
l'adjectif est dérivé du verbe par le même procédé. Dans ce cas, le morphème /èyt/
a une variante /et/. De plus, les noms alternation, degeneration, contiennent les variantes
/êys/ et /eyš/ du même morphème. Mais, même s'il en était ainsi, le verbe, en tant
que mot individuel, ne présente jamais de variante /eyt/, ou /9t/, ou /eyš/.
50. Bloch et Trager posent « un /j / d'intonation contrastante impliquant à la
fois une distorsion de l'intonation normale de phrase et un accent très fort » {op.cit. 52).
Mais on peut tout aussi bien considérer l'accent plutôt que la hauteur comme le trait
non automatique. Ceci nous permet de regrouper le phonème /j / (rebaptisé maintenant
« phonème d'accent contrastif ») avec le phonème /'/, auquel il ressemble, d'une part,
en ce qu'il constitue toujours un morphème à lui tout seul, à savoir le morphème
contrastif et, d'autre part, par son sens et son scheme grammatical.
51. Dit oralement par Bloch.
93
que chacun des trois morphèmes — ' —, ' et emphatique a une variante
zéro : la variante zéro de — ' — et ' figure quand l'emphatique est
absent et la variante zéro de l'emphatique figure quand ou — ' — ou '
est présent (ces deux morphèmes n'étant présents qu'à la fin des mots
composés). Mais /'/, en tant que variante non-zéro de l'emphatique, figure
quand ni — ' — , ni ' ne sont présents et /'/, entant que variante non-
zéro de — ' — et de ', figure quand le morphème emphatique est présent.
Par ce tour de passe-passe, on évite la première objection; — ' — et '
sont alors libres d'aller se heurter à la seconde objection.
75. Les prétendus morphèmes — ' — et ' sont des inventions. Il est
un fait que blackbird ne figure jamais avec l'accent /'/ sur bird et qu'il
a quelquefois /'/ sur black. Mais ce fait n'est pas exprimé par un quelconque
morphème contenu dans blackbird, pas plus que le fait que blackbird se
rencontre parfois devant le s de pluriel, mais jamais devant le -est de
superlatif. C'est simplement un fait concernant la grammaire externe
(cf. 15) du mot blackbird. Si on considère — ' — et ', non comme des
dénominations de morphèmes, mais comme des symboles
d'environnement analogues à des notations comme it's a ( ) ou the ( ) est thing I
ever saw, alors il est exact de dire que blackbird figure dans
l'environnement (partiel) 64 — ' — mais pas dans l'environnement ', tout comme
il est exact de dire que blackbird figure dans l'environnement it's a ( ),
mais pas dans l'environnement the ( ) est thing I ever saw. Ayant décidé
de faire de la disposition bidimensionnelle des morphèmes ÁB une
disposition unidimensionnelle A'B, nous devons en accepter la conséquence :
AB devient une suite discontinue A... B. Ce A... B, cependant, satisfait
à notre test des constituants discontinus. Par conséquent, on peut dire
que les CI de la suite black + accent emphatique + joncture -f bird
sont (1) black -f- joncture + bird, et (2) accent emphatique; en effet,
ailleurs (c'est-à-dire en l'absence d'emphase), la suite black + joncture +
bird figure en tant que suite continue. On ne pourrait naturellement pas
résoudre le problème en considérant simplement que le morphème
emphatique précède, au lieu de suivre, ce avec quoi il coïncide phonétiquement,
puisqu'on se heurterait à une difficulté exactement analogue pour les
composés qui figurent dans l'environnement ', par exemple
heartbroken.
76. Comme nous l'avons dit, c'est un fait de la grammaire externe de
blackbird qu'il figure dans l'environnement — ' — , mais pas dans
l'environnement '; ajoutons maintenant que ce fait est lié à la construction.
Une paire presque minimale comme housebrôken et heartbroken montre
clairement la différence sémantique qui existe entre les composés de
structure A'B et les composés de structure AB'.
L'erreur fondamentale de l'analyse qui fait de — ' — et de ' des
morphèmes est qu'elle conduit à placer des occurrences différentes de ces
morphèmes dans des positions segmentales relatives différentes, alors que
leur position phonologique suprasegmentale est la même dans toutes
les occurrences. Prenons à titre d'exemple deux suites de morphèmes
ABC et D'EF; supposons, pour éviter les complications, que chacun de
ces six morphèmes contienne un seul syllabique et supposons enfin que
54. V. il.
96