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Langages

Constituants immédiats
Rudon S. Wells

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Wells Rudon S. Constituants immédiats. In: Langages, 5ᵉ année, n°20, 1970. Analyse distributionnelle et structurale. pp. 61-
100;

doi : 10.3406/lgge.1970.2037

http://www.persee.fr/doc/lgge_0458-726x_1970_num_5_20_2037

Document généré le 31/05/2016


RUDON S. WELLS
Yale University

CONSTITUANTS IMMÉDIATS*

L'objet de cet article г est de remplacer par une théorie unifiée et


systématique les méthodes hétérogènes et incomplètes qui ont été jusqu'ici
proposées pour déterminer les constituants immédiats (CI). Le principe
unificateur nous est fourni par le concept bien connu de structuration
(patterning), appliqué de façon répétée et sous diverses formes spécifiques.

EXPANSION

1. i Z. Harris, dans son article « Du morphème à l'énoncé 2 », définit


explicitement une opération consistant à substituer une suite de morphèmes
à une autre. En développant quelque peu cette opération et en définissant
certains termes auxiliaires, nous arrivons au concept d'expansion. Ce
dernier caractérise une variété particulière de structuration : deux suites
de morphèmes, dans la mesure où l'une est l'expansion de l'autre, relèvent
de la même structure.
2. Les morphèmes sont classés en classes de morphèmes en fonction de
l'environnement dans lequel ils figurent. Chaque environnement
détermine une classe de morphèmes et une seule : la classe de tous les
morphèmes qui figurent dans cet environnement. A la classe de morphèmes
* Texte traduit avec l'autorisation de l'auteur et de la direction de la revue
Language.
1. L'importance considérable de la question des constituants immédiats m'a été
révélée au cours des nombreuses conversations que j'ai eues avec Z. S. Harris; celui-ci
m'a prêté plusieurs de ses manuscrits, dont certains n'ont pas encore été publiés.
J'ai ensuite eu la chance de me familiariser de près avec la très belle description du
japonais que B. Bloch a donnée. De longues discussions m'ont permis d'entrer dans les
nuances, de peser les alternatives, d'envisager les implications les plus lointaines, ce
qu'aucun exposé écrit ne peut espérer faire.
Je remercie B. Bloch, E. F. Gardner et H. Hoenigswald qui ont lu les premières
versions de cet article et m'ont signalé des corrections nécessaires. La présente étude
iait partie d'un projet parrainé par ГAmerican Council of Learned Societies, que je
remercie de son appui.
2. Language, 22.161-183 (1946), 142. (Traduit dans Langages, n° 9, mars 1968.)
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déterminée par l'environnement ( )ly (adverbial) appartiennent slow,


near, quaint et beaucoup d'autres morphèmes; mais pas dead parce que
le ly de deadly n'est pas le ly adverbial; ni pick, parce que pickly n'existe
pas, ni unhesitating parce que unhesitating n'est pas un morphème 3.
Un morphème A appartient à la classe de morphèmes déterminée par
l'environnement ( )X, si AX est un énoncé ou si AX fait partie d'un
énoncé. Ainsi man figure dans l'environnement a ( ) are, c'est-à-dire
que la séquence de morphèmes a man are se rencontre (dans l'énoncé the
sons and daughters of a man are called his children, par exemple). Ceci
montre qu'un morphème ne peut figurer dans un environnement que si
cet environnement, ainsi que le morphème lui-même, figure dans un
certain environnement plus vaste (ce phénomène est appelé « accord
grammatical »); cet exemple montre aussi que certaines classes de
morphèmes sont sans intérêt; et en pratique le grammairien ne s'en sert pas.
L'intéressant est que certaines classes de morphèmes coïncident
entièrement ou presque. La classe de morphèmes déterminée par le morphème
possessif singulier est presque la même que celle qui est déterminée par
le morphème pluriel, toutes deux étant appelées « noms » dans la langue
commune. C'est sur de tels agglomérats de classes presque coïncidentes
que le grammairien concentre son attention. Il y a aussi des classes qui
sont incluses dans d'autres : ainsi tous les noms propres formés d'un seul
morphème sont des noms formés d'un seul morphème; mais la réciproque
n'est pas vraie.
3. En plus des classes de morphèmes, le grammairien établit des classes
d'autres expressions : nous les appellerons des classes de suites, puisque
chaque expression est une suite d'un ou de plusieurs morphèmes. Étant
donné une suite S, une classe de suites à laquelle S appartient est définie
comme la classe de toutes les suites dont le premier morphème appartient
à la même classe de morphèmes que le premier morphème de S, dont le
deuxième morphème appartient à la même classe de morphèmes que le
deuxième morphème de S, etc. : il s'ensuit que tous les membres d'une
classe de suites contiennent le même nombre de morphèmes. Étant donné
blackbird, redcoat appartient à la même classe de suites, car black
appartient à la même classe de morphèmes que red, bird appartient à la même
classe de morphèmes que coat, et le scheme accentuel, considéré ici
comme un morphème ou une suite de morphèmes (cf. 70), est identique dans
les deux mots. La suite de deux mots black bird appartient à une classe

3. Farly ne se rencontre pas dans les énoncés réels. Le grammairien doit décider
si cette non-occurrence est accidentelle (parce que farly n'aurait pas de sens, ou parce
que le sens qu'il aurait est déjà exprimé par une autre expression courante ou parce
que, comme brownbird vs blackbird, bluebird, il décrit un objet ou une situation dont
on n'a jamais l'occasion de parler) ou si farly est grammaticalement impossible, comme
pickly et kindlily. La démarcation entre ce qui est grammaticalement impossible
(agrammatical) et ce qui ne se rencontre pas pour de simples raisons sémantiques ou
syntaxiques constitue un problème délicat. Nous n'en parlerons pas ici, car cela ne
concerne pas la théorie des CI qui prend pour données les énoncés rencontrés et les
analyse.
Pour noter un environnement, nous utilisons des parenthèses qui marquent la place
des morphèmes ou des suites de morphèmes qui figurent dans un environnement donné.
Ainsi la notation ( ) ly ci-dessus signifie que la position de morphèmes comme slow,
near, quaint est avant le morphème ly.
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de suites différente, parce qu'elle n'a pas le même scheme accentuel. Même
lorsqu'on applique un accent contrastif (It's a black bird, not a red one),
black bird est identique sur le plan phonologique et morphologique à
blackbird (cf. 67, 72, 75), mais il est différent sur le plan de la
construction (cf. 38); en d'autres termes, black bird et blackbird sont homonymes
dans cet environnement.
Une suite appartient à plus d'une classe de suites quand au moins un
des morphèmes qui la constituent appartient à plus d'une classe de
morphèmes, ce qui est habituellement le cas. Puisque city est à la fois un nom
commun et un nom, city-bred appartient au moins à deux classes de
suites; London-bred, qui contient le nom propre London, appartient à
l'une de ces deux classes de suites, mais non à l'autre.
Répétons que par suite nous entendons non seulement une suite
de deux ou plusieurs morphèmes, mais aussi une suite formée d'un seul
morphème, c'est-à-dire le morphème lui-même, si bien que tous les
morphèmes sont des suites, mais l'inverse n'est pas vrai. Il s'ensuit que
chaque classe de morphèmes est une classe de suites, mais chaque classe
de suites n'est pas une classe de morphèmes. Cet emploi de suite nous
dispense d'avoir à préciser « morphème ou suite » chaque fois que nous
devrons l'employer, ce qui sera très fréquent.
4. Le fait de grammaire, simple mais significatif, sur lequel nous fondons
toute notre théorie des CI, est celui-ci : une suite appartenant à une classe
de suites A est souvent substituable à une suite appartenant à une classe
de suites В entièrement différente. Par « entièrement différente », nous
voulons dire que A n'est pas incluse dans В et que В n'est pas incluse dans
A; les deux classes n'ont pas de suites-membres en commun ou elles en
ont très peu (c'est ce qu'on a appelé « clivage de classes »). Ainsi Tom and
Dick peut être substitué à they partout où on trouve they : they wanted
me to corne est une phrase grammaticale, de même que Tom and Dick
wanted me to come 4. They did it because they wanted to est grammatical
et Tom and Dick did it because Tom and Dick wanted to est également
grammatical (c'est seulement pour des raisons stylistiques que cette
phrase n'est pas très courante). De même The stars look small because
they are far away et The stars look small because Tom and Dick are far
away sont toutes les deux grammaticales, c'est seulement pour des raisons
sémantiques que la seconde phrase est peu fréquente (ou non utilisée).
Nous pouvons approximativement exprimer ce fait en disant que
deux suites figurent parfois dans les mêmes environnements bien qu'elles
aient des structures internes différentes. Quand l'une est au moins aussi
longue que l'autre (contient au moins le même nombre de morphèmes),
tout en étant structurellement différente (n'appartenant pas à toutes les
mêmes classes de suites), on dit que cette suite est une expansion de l'autre
et que cette autre est un modèle. Si A est une expansion de В, В est un
modèle de A. L'idée directrice de la théorie des CI développée ici est de
décomposer chaque suite, aussi loin qu'il est possible, en parties qui sont
des expansions; ces parties sont les constituants de la suite. Le problème
est de développer cette idée générale en un ensemble d'instructions définies

4. La réciproque n'est pas vraie. Ainsi on ne peut pas substituer they à Tom and
Dick dans la suite I met Tom and Dick downtown.
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et d'établir les réserves nécessaires qu'exigent les implications à longue


portée de chaque analyse d'une suite en ses constituants.
5. Un exemple donnera un aperçu du fonctionnement de la méthode.
The king of England opened Parliament est une phrase complète, à
décomposer en constituants; nous laissons de côté, pour l'instant, les questions
d'intonation. Cette phrase est une expansion de John, car John se
rencontre en tant que phrase complète. Mais ce n'est une expansion de John
que dans cet environnement particulier, l'environnement zéro; ce n'est
pas une expansion de John dans un environnement comme ( ) worked
[John worked]. Pour l'analyse en CI, il est utile de montrer que la suite
à analyser est une expansion, mais seulement si c'est une expansion de
la même suite plus courte dans tous (ou presque tous) les environnements
où figure cette suite plus courte. Pour la suite, the king oj England opened
Parliament, The king opened ou The king waited ou John worked serviront
de suites plus courtes. (Il n'est pas nécessaire pour que A soit une
expansion de В que A contienne tous les morphèmes de В et dans le même ordre.
Ceci constitue seulement un cas particulier d'expansion, appelé « endocen-
trique » par Bloomfield. D'ailleurs the king of England est une expansion
«ndocentrique de a queen — dans la mesure où a et the appartiennent à la
même classe de morphèmes — tout autant que de the king.)
6. Notre principe général d'analyse en CI ne consiste pas seulement
à considérer une suite, lorsque c'est possible, comme une expansion
d'une suite plus courte, mais aussi à la décomposer en parties dont
quelques-unes, sinon toutes, sont elles-mêmes des expansions. Ainsi, dans notre
«xemple, il est intéressant de considérer The king of England opened
Parliament comme une expansion de John worked parce que the king of
England est une expansion de John et que opened Parliament est une
■expansion de worked. Étant donné ces faits, nous considérons the king
of England et opened Parliament comme les CI de The king of England
■opened Parliament.
Il faut alors analyser The king of England, et John n'est ici d'aucune
aide parce que c'est un seul morphème. The king fera l'affaire; the king
of England est une expansion de the king et, à son tour, king of England
est une expansion de king. The king of England est en conséquence
analysé en the et king of England (cf. 20). King of England sera analysé en
king et of England (plutôt qu'en king of et England) pour des raisons que
nous verrons plus loin.
Quant à la deuxième moitié de la phrase, opened Parliament, à côté de
l'analyse évidente en opened et Parliament, il y en a une autre, que rejette
instantanément le sens commun mais qui demande cependant à être prise
en considération, en open et -ed Parliament Le choix entre ces deux
analyses est déterminé, non pas par le principe de l'expansion tel qu'il a été
établi et illustré plus haut, mais par deux autres principes de structuration
également fondamentaux pour l'anglais et très probablement pour d'autres
langues : le principe que l'on doit choisir des CI aussi indépendants les
uns des autres que possible dans leur distribution, et le principe qu'on
•doit respecter les divisions en mots. Le premier de ces principes sera
vu en 18, le deuxième en 40 et 47.
7. Nous appellerons constituants d'une phrase les CI de cette phrase
«t les CI de ces CI, et ainsi de suite jusqu'aux morphèmes; inversement,
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toute suite constituée de deux ou plus de deux CI sera appelée un constitué.


Nous supposerons donc que les CI de The king of England opened
Parliament sont the king of England et opened Parliament, que ceux du premier
constituant sont the et king of England et ceux du deuxième opened et
Parliament, que king of England est divisé en king et of England, que
of England est divisé en of et England, et que opened est divisé en open
et -ed; tous ces faits peuvent être représentés par le schéma suivant :
the || king \\\ of \\\\ England \ open \\\ ed\\ Parliament; les constituants de
la phrase sont donc au nombre de douze : (1) the king of England, (2) the,
(3) king of England, (4) king, (5) of England, (6) of, (7) England, (8) opened
Parliament, (9) opened, (10) open, (11) -ed, (12) Parliament. Et les six
constitués de la phrase sont les cinq constituants qui ne sont pas des
morphèmes, 1, 3, 5, 8, 9, plus la phrase elle-même. Selon cette analyse, la
suite the king of, par exemple (ou la suite England opened) n'est ni un
constituant ni un constitué dans cette phrase. Et, dans le cadre de cette
nomenclature, on peut définir le principe qui relie les mots à l'analyse
en CI : chaque mot est un constituant (sauf si c'est une phrase) et un
constitué (sauf si c'est un seul morphème). En revanche si on analysait
opened Parliament en open et -ed Parliament, le mot opened ne serait ni
un constituant, ni un constitué.)
8. Nous avons maintenant établi ce que nous considérons comme
l'analyse correcte de The king of England opened Parliament, mais il nous
faut encore dire pourquoi nous avons éliminé les autres analyses possibles
de cette phrase. En effet une analyse en CI n'est jamais acceptée ou rejetée
sur la seule considération de ses mérites; notre procédure a seulement pour
objet, étant donné deux ou plusieurs dichotomies possibles, de permettre
de décider en faveur de l'une d'entre elles. Si tous les mots de The king
of England opened Parliament, sauf opened, sont des morphèmes (nous
laissons de côté la possibilité de découper England et Parliament chacun
en deux morphèmes), il y a six analyses à évaluer; notre analyse en the
king of England et opened Parliament est supérieure aux cinq autres
pour la même raison; aussi n'étudierons-nous qu'une de ces cinq autres
solutions : l'analyse en the king et of England opened Parliament. On pour-
rait objecter immédiatement que cette analyse viole le sens. Ceci est
vrai, mais nous ne ferons intervenir le facteur sémantique que plus tard
(cf. III) pour pousser l'analyse aussi loin que possible sur les seules bases
formelles.
9. On pourrait avancer plusieurs arguments plus subtils et basés sur
la structuration formelle. Ainsi on pourrait dire que of England opened
Parliament n'est pas un CI de la phrase parce que c'est une suite qui ne
se retrouve nulle part ailleurs si ce n'est après un syntagme nominal. Cet
argument est assez pertinent, mais il ne suffît pas à exclure d'autres
analyses également fausses, comme the king of \ England opened
Parliament; en effet England opened Parliament ne pose pas de problème et
the king of peut figurer dans d'autres environnements, comme / wonder
what country he's the king of.
Autre argument : il y a en anglais un scheme actant-action et tout
ce qui figure comme actant ou comme action dans une phrase à actant-
action, figure aussi tout seul comme phrase indépendante (c'est-à-dire
accompagné seulement d'une suite de morphèmes de hauteur). Ainsi :
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[Who opened Parliament?] The king. [What did you say the king of England
did?] Opened Parliament. Cet argument élimine bien the king \ of England
opened Parliament, mais n'écarte ni the king of \ England opened
Parliament, ni the king of England opened | Parliament; pour ces deux analyses,
il faudra avoir recours au sens ou à d'autres principes formels. Par ailleurs,
cet argument n'est utilisable qu'à un stade de la description grammaticale
plus avancé que celui que nous tenons pour acquis au point où nous en
sommes. Les principes décrits dans cet article sont en effet destinés non
seulement à être utilisés pour décider à laquelle des constructions (ou
schemes) connues de la langue une phrase donnée appartient, mais aussi
à contribuer à l'établissement des schemes eux-mêmes. S'ils sont adéquats,
ils permettront, par exemple, d'établir l'existence du scheme général
actant-action.
10. On pourrait avancer un argument fondé sur l'économie ou la
simplicité : les constituants d'une phrase seraient les unités qui permettraient
la description la plus facile de la phrase 5. D'autres phrases comme /
saw the king of England à côté de I saw John, et he opened Parliament
à côté de he came, nous conduisent à considérer the king of England et
opened Parliament comme des unités, mais aucune phrase (si ce n'est
naturellement celles du type examiné) ne nous conduit à traiter of England
opened Parliament comme une unité.
Cet argument, notons-le, n'exclut pas toutes les divisions fausses,
comme, par exemple, the king of | England opened Parliament (cf. plus
haut). Mais peut-être ne faut-il pas s'attendre à ce qu'un quelconque
principe soit absolument suffisant à lui tout seul. Quoiqu'il en soit, on
peut donner une version plus puissante ou plus satisfaisante de cet
argument (version que nous adopterons comme un des principes
fondamentaux de l'analyse en CI), en faisant intervenir l'expansion; pour cela nous
devons remplacer notre définition préliminaire de l'expansion (donnée
en 4Vpar une définition plus complète.
11 . /"Les phrases peuvent être divisées en foyers (focus) et environnements.
Toute suite qui est remplaçable par d'autres suites est un foyer;
corrélativement, le reste de la phrase est l'environnement de cette suite. En
pratique, on peut souvent réduire le foyer-environnement d'une phrase
entière à une partie plus courte de la phrase. En général, cette partie plus
courte se trouve être un constituant au sens technique du terme. Ainsi
nous pouvons chercher quelles suites peuvent jouer le rôle de foyer
(c'est-à-dire remplir le blanc entre parenthèses) dans the ( ) of England,
sans prendre en considération l'environnement plus large dont la suite
the ( ) of England est elle-même le foyer. Dans ces cas, il y a un
environnement pertinent plus petit que l'environnement total. Quand la phrase
entière est considérée comme le foyer, l'environnement est zéro 6.
5. L. Bloomfield, Language, 212 (New York, 1933); K. L. Pike, « Taxemes
and Immediate Constituents », Language, 19, 65-82, partie. 419 (1943). Une version
particulière de la simplicité, qu'on pourrait peut-être proposer, mais qu'il faut rejeter,
prendrait en considération l'ensemble des analyses qui exige la définition du minimum
de classes de suites. Cette proposition est intéressante en soi, mais elle ne permet pas
d'écarter toutes les analyses fausses, comme the king of England. On remarquera que
the king of doit être analysé comme un constituant dans certaines autres occurrences,
comme What country is the king of?
6. Par la suite, nous simplifierons souvent en disant qu'une suite figure dans
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La classe de toutes les suites substituables à un foyer donné dans un


environnement donné sera la classe de foyers (focus-class) relative à cet
environnement. Chaque foyer est une suite (d'un ou plusieurs
morphèmes). Si nous analysons notre phrase en the \\ king \\\ of \\\\ England \
opened \\\ ed \\ Parliament, la coupure principale venant après England,
nous pouvons expliquer les constituants comme des expansions jusqu'au
point suivant : the king of England est une expansion de the king (qui,
à son tour, est une expansion d'un nom propre, comme John) parce que
king of England est une expansion de king; opened Parliament est
une expansion d'un verbe intransitif à un temps passé comme worked.
La phrase entière est donc une expansion de John worked, qui est un type
fondamental de phrase parce que ce n'est pas l'expansion de quelque
chose de plus court (sauf dans un tout petit nombre d'environnements,
comme l'environnement zéro); mais John worked et John works, qui
contiennent chacun trois morphèmes, peuvent être considérés comme des
expansions l'un de l'autre 7. Ainsi la recherche des expansions nous
conduit au type de phrase actant-action; nous n'avons pas besoin de le
tenir pour acquis.
Mais si, d'un autre côté, nous analysons notre phrase en the king | of
England opened Parliament, alors, si poussée que soit notre analyse, of
England opened Parliament ne sera l'expansion de rien de plus court que
of England worked ou of England works; of England opened Parliament est
donc moins intéressant que opened Parliament. L'autre moitié ne
compensera pas ce désavantage puisque the king of England peut tout aussi bien
être une expansion que the king. Par conséquent, le principe de
l'expansion tranche en faveur de l'analyse the king of England \ opened
Parliament. On ne peut pas dire, à proprement parler, que cela confirme ou
corrobore le bon sens, bien que donnant la même analyse; car c'est
précisément sur ce principe que se fonde en partie le jugement du bon
sens (sans qu'on soit capable de le formuler).
12. Il convient d'expliciter certaines des implications de notre
procédure. L'expansion a été définie relativement à un environnement. Si deux
suites appartiennent à toutes les mêmes classes de suites, alors chacune
d'elles figure dans tous les environnements où l'autre figure et nulle part
ailleurs; chacune est Г équivalent absolu de l'autre. Mais en fait il est
extrêmement rare qu'une suite soit l'équivalent absolu d'une suite
appartenant à une classe de suites entièrement différente; c'est pourquoi
notre intérêt se porte sur les expansions non absolues, le problème étant
de trouver des expansions qui se rapprochent le plus possible d'expansions
absolues?!
13. Il arrive souvent qu'une certaine suite figure chaque fois qu'une

l'environnement zéro alors que, en fait, son environnement total est le morphème
intonatif de la phrase (cf. n. 34).
7. Nous supposons ici que worked n'est constitué morphologiquement que des deux
morphèmes work et -ed. Si, comme certains le disent, le rapport they work : John
works = they worked : John worked est parfait, si bien que worked contient aussi une
variante zéro du morphème de 3e personne du singulier -s quand il a un sujet singulier,
alors John works est effectivement plus court que John worked (puisqu'il n'a pas le
morphème de passé -ed), et il constitue un exemple plus simple du type de phrase
fondamental.
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autre figure, mais non l'inverse. Cette asymétrie est caractéristique des
expansions endocentriques. Partout où figure l'expansion oldish, le modèle
old figure aussi, mais l'inverse n'est pas vrai; ainsi old figure dans oldish,
mais oldishish est grammaticalement impossible. (Il se peut que le cas
opposé existe aussi : l'expansion figurant partout où figure le modèle,
mais non l'inverse.) Il est beaucoup plus fréquent que, étant donné deux
suites choisies au hasard, il y ait des environnements dans lesquels elles
figurent toutes deux, d'autres environnements dans lesquels seule la
première suite figure, et d'autres dans lesquels seule la seconde suite figure.
Ainsi boy et boys figurent tous deux dans les environnements I saw the ( )
et The ( ) saw me; mais seul boy figure dans I saw that ( ) et the ( ) sees
me, et seul boys figure dans I saw those ( ) et the ( ) see me. Le premier
type d'environnements détermine une classe des noms, le deuxième et le
troisième type déterminent la division de cette classe en noms singuliers
et noms pluriels.
14 Д II est facile de définir une classe de foyers qui contienne une grande
variété de classes de suites, mais qui soit caractérisée par quelques
environnements seulement; il est facile également de définir une classe de
foyers qui soit caractérisée par un grand nombre d'environnements, mais
qui ne contienne pas beaucoup de classes de suites différentes. Ce qui est
difficile, mais bien plus important, c'est de définir des classes de foyers
qui soient riches à la fois par le nombre de leurs environnements
caractéristiques et par la diversité de leurs classes de suites. Sont de ce type les
classes de foyers actant et action (ou, dans la terminologie classique,
sujet et prédicat), ou la classe de foyers des verbes et des syntagmes
verbaux (qui contient comme sous-classe la classe de foyers des verbes à la
3e personne du singulier et des syntagmes endocentriques ayant un de ces
verbes pour tête). De même, les pronoms he, she, it, this, that, et one,
tous les noms propres singuliers, et tous les syntagmes nominaux au
singulier commençant par the, a, this, that, any, each, every forment ensemble
une classe de foyers dont les membres sont très divers, comme on vient
de le voir, et qui figure dans un grand nombre d'environnements
(environnements qui ne sont pas eux-mêmes unifiés par l'appartenance à une
même grande classe de foyers). Les parties du discours sont des classes de
foyers, mais non des classes de morphèmes ou de suites 8. Ainsi la classe
des noms anglais comprend des composés et des dérivés aussi bien que
des morphèmes uniques/ (Les paradigmes, comprenant toutes les formes
fléchies d'un radical doflné, sont encore un autre type de classe, à moins
qu'il ne se trouve un ou plusieurs environnements dans lequel toutes les
formes fléchies figurent, cf. n. 14.)
15. Pour résumer l'opposition entre classe de suites et classe de foyers,
on peut aussi faire appel aux notions de grammaire interne et grammaire
externe. La grammaire interne d'une suite est la classe de toutes les
classes de suites auxquelles cette suite appartient; sa grammaire externe
est la classe de toutes les classes de foyers auxquelles elle appartient. Si
deux suites ont la même grammaire interne, elles ont nécessairement la
même grammaire externe, mais l'inverse n'est pas vrai; c'est pourquoi la

8. Il en est de même des « classes de formes » de Bloomfield; cf. Language, 185,


190, 194, etc.
69

méthode de l'expansion est possible. Si deux suites ont des grammaires


externes semblables, mais des grammaires internes différentes, alors, par
définition, l'une est une expansion de l'autre. L'opposition entre la
grammaire interne et la grammaire externe explicite ce que l'on désigne parfois
par l'opposition entre la forme et la fonction.
16. fbuand on choisit les grandes classes de foyers qui serviront pour la
division des énoncés en constituants, il faut prendre en considération tout
le système que ces classes de foyers forment ensemble. C'est pour cette
raison qu'une analyse n'est pas jugée bonne ou mauvaise en soi, mais
seulement meilleure ou moins bonne qu'une autre.
17. En vertu de ce critère de conséquences pour l'ensemble, l'analyse
the king of England \ opened Parliament est meilleure que the king \ of
England opened Parliament parce qu'il existe une classe de foyers — à
laquelle opened Parliament appartient — qui comprend plus de classes de
suites et qui figure dans plus d'environnements que toute classe de foyers
à laquelle of England opened Parliament appartient. Il est vrai qu'il y a
certains environnements comme the king of Scotland and ( ) où la seconde
suite figure et non la première; il est vrai également qu'une classe de
foyers à laquelle of England opened Parliament appartient inclut certaines
classes de suites qui ne sont pas comprises dans la classe de foyers de
opened Parliament; par exemple, la classe à laquelle appartient by marriage
runs a bank dans my cousin \ by marriage runs a bank. En fait, cet exemple
montre que les mauvaises analyses en CI tendent à s'appuyer les unes les
autres, tout comme les bonnes 9. Mais les bonnes analyses sont finalement
confirmées de l'extérieur par la méthode qui consiste à les considérer
comme des expansions de suites plus courtes, tandis que les mauvaises
analyses n'ont pas cette confirmation. Et les bonnes analyses renvoient
plus de suites à des classes de foyers plus importantes (par la diversité de
leurs membres et le nombre de leurs environnements caractéristiques)
que les classes de foyers auxquelles les mauvaises analyses renverraient.
Opened Parliament figure après des adverbes, et aussi dans
l'environnement zéro (c'est-à-dire en tant que phrase indépendante), ce qui n'est
pas le cas de of England opened Parliament.
18. C'est là le but fondamental de l'analyse en CI : analyser chaque
énoncé et chaque constitué en suites aussi indépendantes que possible
(suites qui, en conservant toujours le même sens, entrent dans un nombre
maximal d'environnements et appartiennent à des classes de foyers qui
ont une variété maximale de contenu).
19. On pourrait formuler autrement l'utilité fondamentale des
expansions en disant qu'elle fournissent un moyen de procéder du simple au
complexe, de ce qui est établi à ce qui ne l'est pas encore, de ce qui a une
analyse transparente à ce qui a une analyse obscure. Mais la difficulté est
que, étant donné un constitué complexe à analyser, un certain nombre
de modèles différents (cf. 4) semblent se présenter. Nous allons maintenant
voir comment on peut choisir entre ces modèles.
20. Faut-il analyser the king of England en the | king of England ou en

9. Nous disons qu'une analyse en CI est fausse quand il existe une meilleure
analyse possible de la même suite; nous disons qu'elle est juste quand il n'y en a pas
de meilleure.
70

the king \ of England? Nous devons analyser en constituants qui soient


des expansions; mais, à première vue, les avantages des deux analyses
possibles paraissent à peu près équivalents. King of England est une
expansion de king, mais the king est une expansion de John 10. Par
rapport à leurs autres CI, the \ king of England est meilleure que the king \
of England parce que the est un morphème individuel, tandis que of
England n'est ni un morphème, ni cependant une expansion. Mais cet
argument est trop mince pour déterminer la décision. Comme
précédemment, il faut évaluer la substituabilité récripoque de king of England
avec king et de the king avec John. Et il se révèle que, alors que la relation
de king of England avec king est presque une équivalence absolue,
l'environnement poor ( ) différencie the king de John puisqu'on trouve poor
John, mais non poor the king (poor étant ici remplaçable par tout autre
adjectif non pronominal); en revanche on trouve the poor king. The \ king
of England est donc une meilleure analyse; mais si, pour une raison ou
pour une autre, elle était exclue, le fait que the king soit, dans certains
environnements, une expansion de John appuierait la segmentation the
king I of England, par opposition à l'autre analyse possible : the king of \
England; dans un très grand nombre d'environnements, en effet, the king
of n'est pas une expansion." }

II

Autres méthodes.

21 . Ayant provisoirement estimé que the \ king of England est la


meilleure analyse de ce syntagme, étudions les conséquences de ce choix en
voyant comment elle s'harmonise avec d'autres analyses. King of England
et, par exemple, English king appartiennent à une même classe de foyers;
il est par conséquent souhaitable, sauf si d'autres considérations s'y
opposent, de voir dans l'un un constituant et un constitué, s'il en est ainsi
pour l'autre. La paire d'analyses the \ king of England et the \ English king
est la seule paire qui donne ce résultat : aucune autre paire ne le fait11.
22. Une autre étape est maintenant possible. Les deux suites king of
England et English king appartiennent toutes deux à une certaine classe
de foyers et elles ont en commun une même partie, à savoir un nom. La
première suite appartient à la classe des suites composées d'un nom suivi
d'un modificateur, la seconde à la classe des suites composées d'un nom
précédé d'un modificateur. Nous appelons modificateur d'un nom tout ce
qui est soit un modificateur prénominal, soit un modificateur
postnominal 12; nous verrons que la classe des modificateurs de noms n'est ni

10. Le fait que the king of England soit lui-même une expansion de John est
pertinent pour déterminer si the king of England est un constituant de la suite plus longue
dans laquelle il figure, mais il n'est pas pertinent pour déterminer quels sont ses propres
constituants.
11. Jusqu'à ce que nous admettions des constituants discontinus (cf. V).
12. La circularité n'est qu'apparente. Nous supposons définies les expressions
entières « modificateur qui précède » et « modificateur qui suit »; nous verrons en 56
un troisième type de modificateur.
71

une classe de suites, ni une classe de foyers. Ainsi, loin de figurer dans le
même environnement, ces deux types de modificateurs sont, en un sens,
en distribution complémentaire 13. Nous réunissons ces deux classes de
modificateurs (dont chacune est en elle-même une classe de foyers, mais
la classe qui les réunit n'en est pas une) en un nouveau type de classe,
que nous appelons groupe associatif. Nous avons pour ce faire une raison
grammaticale : nous créons ainsi une structure commune pour deux types
de suites qui sont contenus dans la même classe de foyers (modificateur
+ nom, nom + modificateur). Ceci n'implique naturellement pas que
ces deux types de syntagmes avec modificateur et nom aient des structures
absolument identiques; cela ne fait que mettre en évidence une
caractéristique commune (caractéristique qui se révèle liée à une modification
dans le sens, comme c'est souvent le cas pour les caractéristiques
formelles).
La possibilité des groupes associatifs ne constitue pas un argument
en faveur d'une analyse plutôt qu'une autre. Les suites The English, an
English, many a, more than one, all the, de grammaire interne différente,
appartiennent à une même classe de foyers; et il y a une classe de suites
dont un membre (a, the, one) est une sous-suite de chacune de ces suites.
Par conséquent, English, many, more than, all appartiennent à un groupe
associatif. Mais ce n'est pas une raison pour considérer the English, an
English, many a, more than one, all the comme des constituants. Aucune
analyse en CI ne reconnaît toutes les classes de foyers qui existent, ni
tous les groupes associatifs; c'est la décision que certaines classes de
foyers et certains groupes associatifs sont plus importants que d'autres
qui détermine l'analyse. Et les groupes associatifs qui valent la peine
d'être définis sont ceux qui sont en harmonie avec le système des CI.
23. Un autre type de raisonnement s'appuie sur les paradigmes. King
et kings appartiennent au même paradigme 14; par dérivation the king of
et the kings of devraient donc normalement être liés l'un à l'autre comme
king et kings le sont. En conséquence, si on analysait the king of England
en the king of \ England, alors il faudrait analyser the kings of England en
the kings of \ England et the king of England and Scotland en the king of \
England and Scotland. Mais ces dernières analyses doivent être rejetées,
non seulement pour les mêmes raisons que celles qui nous ont fait rejeter
of England opened Parliament, mais aussi pour la raison supplémentaire
que the king of et the kings of ne suivent pas le scheme des modificateurs.
Plus exactement on ne pourrait pas ajouter la classe de foyers de the
king of, the kings of, etc., au groupe associatif « modificateurs » que nous
avons établi, sans en changer radicalement les propriétés caractéristiques.
Toute suite constituée d'un nom singulier -f- un modificateur « a le même
scheme que » les noms singuliers (en est une expansion), et toute suite
constituée d'un nom pluriel + un modificateur est une expansion des
noms pluriels. Ceci n'est pas vrai de the king of, the kings of; car the king

13. Cf en arabe marocain : n- « I will » et -t « I did » dans nmši « I will go »


et mšit « I went » (Harris, op. cit., 3. 1.).
14. Et aussi a un certain nombre de mêmes classes de foyers. Mais le fait qu'un
paradigme soit également une classe de foyers est toujours une coïncidence; il se peut
que certains paradigmes, dans certaines langues, n'aient aucun environnement
caractéristique de tous leurs membres.
72

of England and Scotland est singulier et the kings of England est pluriel.
Ce même fait les différencie des modificateurs pronominaux comme this et
these, qui effectivement sont en eux-mêmes singulier ou pluriel, mais qui,
grammaticalement, s'accordent en nombre avec ce qu'ils modifient. Par
conséquent, des suites comme the king of, si on en fait des modificateurs,
restent isolées dans une classe de foyers à part; puisqu'il existe une autre
analyse de the king of England qui ne comporte pas cette conséquence
fâcheuse, on rejettera l'analyse the king of | England.
24. Prenons quelques autres exemples, qui illustreront les principes déjà
énoncés et qui nous permettront d'introduire quelques principes
supplémentaires.
Tenant pour acquis que / will be ready s'analyse en I \ will be ready,
étudions l'analyse du second CI. Si chacun de ces trois mots est un seul
morphème, les deux analyses possibles sont : will \ be ready et will be \
ready. Chacune de ces analyses reconnaît des classes de foyers
importantes, si bien qu'il serait difficile de décider sur ce seul critère. Ont le
même scheme que will be, non seulement must be, could be, may be, etc.,
ou will become, will seem, will appear, will look, etc., mais aussi des suites
plus complexes comme will pretend to be, et des suites moins complexes
comme am, is, are, was, were 15. Ont le même scheme que be ready, non
seulement become ready, seem ready, look ready, mais aussi go, wait, read a
book, etc. Pour trouver une solution, il faut comparer will be ready avec
d'autres suites, comme par exemple was ready. Même si l'analyse
morphologique de was est be + morphème passé + morphème 3e personne du
singulier, le principe que tout mot est un constitué (cf. 40, 47) conduit à
analyser was ready en was \ ready. Alors, puisque will be est une expansion
de was dans un grand nombre d'environnements, l'analyse will be \ ready
concorde bien avec l'analyse was \ ready.
Ne pourrait-on pas soutenir, par le même raisonnement, que puisque
will wait doit être analysé en will \ wait et que be ready est dans beaucoup
d'environnements une expansion de wait, will be ready s'analyse en will \
be ready? Non, parce que, dans tout environnement où will be n'est pas
une expansion de was, c'est une expansion de were; tandis que, dans les
environnements où be ready n'est pas une expansion de wait, ce n'est en rien
une expansion. Cet exemple montre le rôle des paradigmes dans la
détermination des CI : was, were, will be appartiennent tous au même paradigme.
Les paradigmes sont précieux dans l'analyse en CI quand ils se présentent
par paires entretenant des relations d'accord. Ici, par exemple, les paires
sont constituées par les noms et les pronoms d'un côté, et les verbes de
l'autre : / s'accorde avec am; he, she, it, etc. s'accordent avec is. Grâce
à cette caractéristique, nous pouvons montrer que is et are sont ensemble
des équivalents absolus de will be, si bien que l'analyse will be \ ready
est supérieure à l'analyse will \ be ready.
25. Autre exemple : les infinitifs. Faut-il analyser want to \ go ou
want | to go? Want to est dans certains environnements une expansion de

15. Mais une classe de foyers à laquelle une seule des trois suites am, is, are
appartient est caractérisée par des environnements plus nombreux qu'une classe à laquelle
appartiennent deux de ces suites ou les trois, du fait de l'accord grammatical de ces
mots avec leur sujet, ou actant.
73

can, must, will, should, etc. ie. D'un autre côté, to go est dans certains
environnements une expansion d'un nom propre ou d'un nom non
comptable; ainsi to go et food figurent tous deux dans les
environnements ( ) is pleasant, I wanted ( ), ( ) is better than ( ), etc. Mais il y a
d'autres environnements qui les distinguent (c'est-à-dire des
environnements où l'un peut figurer, mais non l'autre); ainsi seul l'infinitif figure
dans it is pleasant ( ), qui est synonyme de « ( ) is pleasant », dans /
tried not (), I wanted him ( ), it's good for you ( ), alors que seul le nom
figure dans / am waiting for ( ), this kind of ( ). La méthode des
expansions telle que nous l'avons établie jusqu'ici ne permet donc pas de décider
entre want to \ go et want \ to go.
26. Les deux CI de la suite to go is easy sont to go et is easy; cette
analyse est fondée sur les considérations qui établissent la construction
actant-action en général. Puisque to go est un constituant dans cet
environnement, il est souhaitable de le considérer comme un constituant
partout où il figure avec le même sens; c'est pour cette raison que nous
choisissons l'analyse want \ to go.
27. Le principe que nous venons d'énoncer est très important; mais
il a deux exceptions d'égale importance. Une suite continue, considérée
comme un constituant dans* dans un environnement, doit être considérée comme
un constituant tous ses autres environnements sauf (1) s'il existe
une suite plus longue dont elle est à la fois une partie et un modèle
(autrement dit, une expansion endocentrique) et qui est considérée comme un
constituant; et (2) si elle a un sens différent dans ces autres
environnements 17. Le fait que want to soit un constituant dans la phrase / go
there because I want to n'a pas pour conséquence que want to soit considéré
comme un constituant dans want to go, car to (dans want to à la fin d'une
proposition) est un modèle pour to go; par conséquent, l'analyse want \ to
go est compatible avec l'analyse de want to en un constituant quand il
figure en fin de phrase. De même, l'occurrence de the king comme un
constituant de / | saw \\ the king n'implique pas qu'on traite the king
comme un constituant dans / | saw \\ the \\\ king of England.
Cette exception au principe général est nécessaire; sans elle, presque
tous les constitués seraient sujets à des analyses contradictoires. Les suites
/ saw the king et John of England impliqueraient l'analyse the king \ of
England, alors que he became king of England impliquerait l'analyse
the | king of England. Mais, même avec ses exceptions, ce principe est très
puissant et très précieux; il joue un rôle analogue à celui que joue dans
la géométrie euclidienne l'axiome qu'une figure peut être déplacée et
superposée sur une autre tout en gardant sa forme et sa taille.
28. Il est un principe subsidiaire et connexe : si une suite donnée figu-

16. Mais pas, par exemple, dans l'environnement he ( ) go. Ici l'expansion de can
est wants to. Want to et Wants to ont un rapport paradigmatique, comme want et
wants; si on traite want to comme un constituant, il est donc souhaitable de traiter
wants to comme un constituant. Et si, pour d'autres raisons, on a décidé de les traiter
tous les deux comme des constituants, alors ils confirmeront conjointement l'analyse
de toute suite dont ils sont conjointement soit une expansion, soit un modèle.
17. Afin d'énoncer ce principe, nous supposons que chaque suite a un sens, bien
qu'en réalité il soit généralement beaucoup plus difficile de définir le sens des non-
constituants (surtout s'ils sont discontinus) que celui des constituants.
74

rant avec le même sens dans deux environnements est considérée comme
un constitué dans les deux environnements (et, par conséquent aussi,
comme un constituant, sauf si c'est un énoncé complet), alors elle doit
avoir la même analyse en CI dans les deux occurrences. Ce principe,
comme le précédent, est précieux, car il nous permet d'établir un système
cohérent en vérifiant et en testant nos analyses les unes par rapport aux
autres. Il y a un autre principe de ce type (indispensable, mais trop évident
pour être discuté) : si deux suites appartiennent exactement aux mêmes
classes de suites (cf. 3), elles doivent être analysées de façon identique.
Si l'une d'entre elles, figurant avec un certain sens dans un certain
environnement, est analysée de telle ou telle manière, alors l'autre
suite, quand elle figure avec le même sens dans le même environnement,
doit être analysée de la même manière.
29. Une analyse en CI en entraîne d'autres; elle n'est vérifiée que quand
ses conséquences les plus lointaines dans le système ont été explorées.
Finalement, ce qui est accepté ou rejeté, ce n'est pas l'analyse d'une
phrase isolée, mais ce qu'on peut appelé le système de ci de la langue,
ensemble complet d'analyses, menées jusqu'aux constituants ultimes, de
tous les énoncés de la langue. Puisque tout constitué est entièrement
composé de constituants, toute hypothèse que telle ou telle suite est un
constituant entraîne que chaque autre constituant de la phrase dans
laquelle cette suite figure la comprend tout entière, l'exclut tout
entière ou est entièrement inclus en elle. L'analyse the king of \ England
opened Parliament est évidemment exclue si of England est un constituant
de cette phrase; inversement, si l'analyse the king of \ England opened
Parliament est acceptée, of England ne peut pas être un constituant. Par
conséquent, les erreurs, aussi bien que les analyses justes, concordent
les unes avec les autres.
C'est pourquoi nous ne considérons pas notre méthode comme une
procédure automatique au moyen de laquelle le linguiste, à partir des
seules données du corpus de tous les énoncés de la langue et d'une
connaissance des morphèmes contenus dans chaque énoncé, peut découvrir le
bon système de CI. Pour toute langue il y a un très grand nombre de
systèmes CI possibles; mais, en pratique, il est facile de voir que la plupart
des analyses possibles peuvent être laissées de côté. Le linguiste, quand il
travaille sur les CI, comme quand il travaille sur le système phonologique,
découvre de nombreux raccourcis.
Du fait de l'imbrication systématique de toute analyse en CI avec
les autres analyses de la même phrase et d'autres phrases de la langue,
on ne peut pas démontrer de manière concluante sur quelques exemples
choisis que, toutes choses égales d'ailleurs, telles ou telles analyses sont
les meilleures. Tout ce que nous pouvons faire, c'est tracer les grandes
lignes et montrer jusqu'où peuvent mener les conséquences d'une analyse
en CI.
75

III

Les constructions.

30. Nous avons dit en 8 qu'une théorie des CI pouvait faire abstraction
du sens jusqu'à un certain point; ce point est maintenant atteint. En fait
nous avons utilisé déjà plusieurs fois l'expression « avec le même sens »
(18, 26, 27, 28), mais sans expliquer pourquoi cette condition était
nécessaire. Elle est nécessaire tout simplement parce qu'il arrive souvent qu'une
suite ait un sens dans certaines de ses occurrences et un autre dans d'autres
et que, de plus, elle y ait des analyses en CI différentes. Prenons, par
exemple, la suite old men and women. Avec un sens, elle est presque
synonyme de old men and old women; avec un autre sens, de women and old
men. L'une des premières fonctions de l'analyse en CI est de mettre en
évidence une différence formelle correliée à la différence sémantique.
Avec le premier sens, la suite est old \ men and women; avec le second sens,
elle est old men \ and \ women 18.
De même, the king of England's people a deux sens et deux analyses
en CI : (1) the \ king \\ of England's people signifie « le roi d'un certain
peuple, à savoir les Anglais »; (2) the king of England || 's | people signifie
« le peuple d'un certain roi, à savoir le roi d'Angleterre ».
31. Ce type d'ambiguïté, s'il n'existe pas dans toutes les langues du
monde, est certainement très répandu. Il est d'une très grande
importance en grammaire, car il signifie que le grammairien doit inclure dans
ses données plus que les morphèmes et leurs suites. L' « ordre »
grammatical est quelque chose de plus que la simple suite. Pour ce « quelque chose
de plus », nous proposons le nom de construction 19.
32. The king of England's people (1) et the king of England's people (2),
définis ci-dessus, représentent la même suite de phonèmes et ils ont
cependant deux sens différents. Comment expliquer, comment localiser cette
différence? On ne peut pas raisonnablement l'attribuer à une homonymie
des morphèmes individuels, comme celle de of « effectué par » et of «
effectué sur » dans the conquest of Pizarro : the conquest of Peru. On ne peut
pas non plus dire qu'il s'agit de deux suites de morphèmes homophones,
mais appartenant à deux classes différentes, comme Ifs et Its dans It's
father (réponse par exemple à Who is it?) et Its father (réponse par exemple
à Who is the man holding that baby?). Le seul facteur restant auquel on
pourrait attribuer la différence de sens entre (1) et (2) est l'organisation
des morphèmes (la taxis).
On a depuis longtemps reconnu que l'ordre dans lequel les morphèmes
sont disposés est souvent porteur de sens; ainsi John hit Bill vs Bill hit
John. Mais, bien que dans (1) et (2) la différence sémantique soit imputable
à l'arrangement des morphèmes, elle n'est manifestement pas imputable

18. Nous justifierons en 54 l'analyse d'un syntagme nominal A and В en trois CI


A and B.
19. Le lecteur n'oubliera pas que notre définition de ce terme n'est pas la même
que celle de Bloomfleld (Language, 169), bien que toutes les deux soient des
généralisations de ce qu'on désigne en grammaire traditionnelle par des expressions comme
« la construction de l'ablatif absolu ».
76

à leur ordre (qui est identique dans les deux cas). Aussi, comme nous
l'avons déjà dit, l'ordre ne représente-t-il pas toute l'organisation.
33. Avant de définir les constructions, nous distinguerons la suite et
ses occurrences 20. La suite He writes pages and pages contient six
morphèmes : he, write, -s (3e personne du singulier), page, -s (pluriel), and;
mais elle contient huit occurrences morphémiques, puisque les morphèmes
page et -s (pluriel) ont chacun deux occurrences. De même, He writes
pages and pages est la même suite que la première suite en italique de
ce paragraphe, mais c'est une autre occurrence de cette suite. Les suites
sont générales, les occurrences sont particulières 21.
34. Une construction est une classe С d'occurrences, soumise aux
conditions suivantes : (1) il y a au moins une classe de foyers qui comprend
toutes les suites dont les membres de С sont des occurrences; (2) toutes
ces occurrences ont en commun un certain sens; et, facultativement (3),
toutes ces occurrences figurent dans un certain environnement total ou
dans tous les environnements d'une certaine classe d'environnements
totaux. Remarquons que, alors qu'une suite peut figurer dans plusieurs
environnements, une occurrence donnée d'une suite ne figure que dans
une seule occurrence d'un environnement.
Nous venons de donner une définition large du terme construction;
cette définition inclut comme constructions beaucoup de classes qui ne
présentent aucun intérêt dans la théorie des CI 22. Mais il n'y a qu'à laisser
de côté ces cas sans intérêt, plutôt que de s'embarrasser d'une définition
lourde et compliquée. Quand le verbe run figure avec le morphème de
hauteur d'une phrase indicative /24/ 23 comme environnement total

20. V. Y. R. Chao, « The logical structure of Chinese Words », Language, 22.5


(1946).
21. Par conséquent, l'affirmation que « pages and pages contient trois morphèmes
et cinq occurrences de morphèmes » est une simplification de « pages and pages contient
trois morphèmes et chaque occurrence de pages and pages contient cinq occurrences
de morphèmes ». Quand en 3 nous avons dit que deux membres de la même classe de
suites doivent contenir le même nombre de morphèmes, nous voulions dire que ces
membres ou plus exactement toute paire d'occurrences de ces membres doivent contenir
le même nombre d'occurrences de morphèmes. — On pourrait définir une suite comme
une classe d'occurrences; on dirait alors que l'affirmation « la suite A figure dans
l'environnement В » signifie « certains membres de A figurent dans certains membres de
В ».
22. Ainsi, si on n'impose pas de condition de type (3), toute classe de suites est
en même temps une construction.
23. A la suite de K. Pike (The intonation of American English, Ann Arbor 1946),
nous désignerons les 4 phonèmes de hauteur en anglais par 1 (hauteur la plus élevée),
2, 3, 4 (hauteur la plus basse). Dans une transcription phonologique, chaque phonème
de hauteur est écrit en exposant avant le (phonème) syllabique qu'il accompagne;
quand une succession de deux phonèmes de hauteur accompagne un même syllabique,
les deux chiffres sont écrits avant la lettre concernée. L'absence de chiffre en exposant
avant un ou plusieurs syllabiques signifie que ces syllabiques ont le même phonème
de hauteur que le premier syllabique à leur gauche qui porte une notation de hauteur
(V. n. 56). Mais on transcrit I won't go, prononcé avec emphase, par /'ayw'ôwnt-
g24ów/, la notation formulée ci-dessus créerait une confusion avec /3ayw2ôwnt-g*ow/
(cf. 79). Il est souvent commode d'utiliser un mélange d'orthographe courante pour les
phonèmes segmentaux et de transcription phonologique pour les phonèmes de hauteur;
dans cette notation mixte, on indique ou on n'indique pas les phonèmes d'accent (cf. 66
et ss.), cela dépend de leur pertinence.
On identifie généralement les morphèmes de hauteur, comme les morphèmes segmen-
77

(c'est-à-dire en tant que phrase) et avec le sens d'un ordre, la construction


à laquelle il appartient est différente de celle à laquelle il appartient quand
il figure en tant que phrase avec le sens déclaratif (par exemple en réponse
à la question Which would you rather do, walk or run?); et ces deux
constructions sont différentes des constructions respectives de come dans les
phrases Come here, Гт coming et I'll try to come (quels que soient
l'intonation et le sens). Mais il y a plusieurs constructions (proposition, phrase
déclarative, phrase imperative, etc.) qui comprennent à la fois la suite
Come here figurant avec le morphème intonatif d'une phrase indicative
comme environnement total, et le seul morphème corne figurant dans
le même environnement.
Notre définition du terme construction permet à une occurrence
d'appartenir à plus d'une construction. Ainsi, nous pouvons dire que la
suite Come here (en tant que phrase, accompagnée du morphème intonatif
de phrase indicative) appartient simultanément à la construction propo-
sitionnelle et à la construction de phrase déclarative ou imperative (c'est
à la fois une proposition et une phrase), tandis qu'elle n'appartient qu'à
la construction propositionnelle dans la suite Come here and I'll tell you.
De même, dans The king of England opened Parliament, la suite the king
of England appartient simultanément à la construction « syntagme
nominal » et à la construction « sujet » (actant). Il n'y a aucun conflit parce
que les sens des constructions sont compatibles, le sens de l'une
comprenant parfois le sens de l'autre.
Mais il y a conflit dans des cas comme Old men and women et The
king of England's people. Une occurrence ayant un des sens n'a pas
l'autre sens; aussi, bien que Old men and women au sens « Old men and
old women » puisse appartenir à plusieurs constructions à la fois, il y a
des constructions auxquelles n'appartient pas cette suite et auxquelles
appartient la même suite avec l'autre sens « Women and old men ».
35. Nous avons supposé (n. 17) que toute suite a au moins un sens; par
conséquent, chacune de ses occurrences a le même (ou les mêmes) sens
et appartient à au moins une construction. Le sens de the king of England
est un composé formé de sens plus petits : (1) les sens des divers
morphèmes; (2) le sens de la suite the king; (3) le sens de la suite of England;
(4) le sens de la suite composée de the king et of England. Ou, autre
possibilité; (1) les sens des divers morphèmes; (2) le sens de of England;
(3) le sens de la suite composée de king et de of England; (4) le sens de
la suite composée de the et king of England. Puisque nous avons supposé
que toute suite occurrente a un sens, on peut manifestement décrire le
sens de toute suite de trois (ou plus de trois) morphèmes à partir des sens
de deux sous-suites quelconques qui la constituent, -f- le sens de la suite
résultant de leur combinaison. Les deux sous-suites ne sont pas
nécessairement les CI de la suite.

taux, par une de leurs variantes, la variante d'un morphème de hauteur étant une
suite d'un ou plusieurs phonèmes de hauteur. La variante du morphème de hauteur
figurant dans la première prononciation de / won't go serait notée /32(24)/ — les
parenthèses signifiant que les deux premiers phonèmes accompagnent le même sylla-
bique — ou, avec une notation générale délibérément ambiguë, /324/, qui indique quels
phonèmes figurent et dans quel ordre, mais qui n'indique pas le nombre de syllabiques
concernés.
78

Cependant la meilleure explication des deux sens de Old men and


women est la suivante. Avec le sens « Women and old men » cette suite 24
appartient à la construction qui a le sens de conjonction (Nom ou SN +
and + Nom ou SN); le premier SN appartient à la construction
Modificateur + Nom ou SN. Mais avec le sens « Old men and old women », cette
suite appartient à la construction Modificateur + Nom ou SN; le SN
appartient à son tour à la construction Nom ou SN + and -+- Nom ou SN.
L'idée importante est que, bien que ces constructions ne soient pas
les seules qui permettent d'expliquer les deux sens de Old men and women,
ce sont néanmoins les plus efficaces. Si nous disions, par exemple, que
Old men and women, au sens de « Women and old men », appartient à la
construction Modificateur -f Nom ou SN, ce ne serait pas une erreur
théorique puisque nous avons posé que toute suite a un sens; mais cette
analyse serait très complexe : la classe Modificateur -f Nom ou SN avec
ce sens serait par définition une construction différente de la même classe
au sens habituel et la construction résultante serait très peu courante, elle
ne serait vérifiée que par d'autres analyses fausses. Aucun ensemble
d'analyses fausses n'est aussi efficace qu'un ensemble d'analyses justes,
quand on l'applique systématiquement; c'est même précisément ce fait
qui permet de juger si une analyse est juste.
36. Or (et c'est là qu'est la pertinence des constructions dans la théorie
des CI) l'analyse en CI devrait refléter la construction. Par conséquent,
quand la même suite a, dans des occurrences différentes, des sens
différents et donc des constructions différentes (si la différence sémantique n'est
pas imputable aux morphèmes eux-mêmes), elle peut avoir des analyses
en CI différentes 25. L'analyse en CI d'une suite reflète souvent l'analyse
sémantique de sa signification, mais, quand on fait l'analyse, il n'est
nécessaire de tenir compte du sens que lorsque deux occurrences de la
même suite (ou de deux suites appartenant aux mêmes types de suite) ont
des sens incompatibles.
37. Il s'agit alors de Yhomonymie de construction, analogue à
l'homonymie des morphèmes. La définition la plus courante de l'homonymie est
sans doute la suivante : deux morphèmes (ou deux suites en général)
sont homonymes s'ils sont identiques sur le plan phonologique, mais
différents sur le plan sémantique. Une définition plus étroite consiste à
dire que deux morphèmes sont homonymes s'ils ne diffèrent que par le
sens; en vertu de cette définition étroite, deux morphèmes ne peuvent
pas être homonymes s'ils appartiennent à des classes différentes, car ils se
distingueraient alors non seulement sur le plan sémantique, mais aussi
sur le plan grammatical M.
24. Plus exactement, chaque occurrence de cette suite a ce sens.
25. Mais il peut aussi se faire que deux suites, même si elles ont trois ou plus de
trois morphèmes chacune, aient des constructions différentes, mais la même analyse
en CI; par exemple <7o|ťo||ť/ie|||síore : (a) ordre, (b) réponse à la question What are you
going to do? C'est ainsi que nous traitons aussi les cas où d'autres linguistes
reconnaissent un seul CI (cf. 52) et les cas de constructions totalement homonymes (n. 30).
26. Les morphèmes qui ont plus d'une variante présentent des cas particuliers.
Ainsi les quatre variantes du morphème de 3e personne du singulier /-z, -s, ez, -0/
comme dans reads, writes, teaches, can, sont homonymes de quatre des variantes du
morphème de pluriel, comme dans dogs, cats, horses, sheep, mais pas des variantes
qui apparaissent dans oxen, children, geese, etc. Mais nous n'avons pas à nous
préoccuper ici de ce type de cas.
79

38. L'homonymie des constructions ressemble à l'homonymie des


morphèmes en ce sens qu'il existe des suites telles que deux occurrences d'une
suite donnée contiennent les mêmes morphèmes, appartiennent aux mêmes
classes de suites et cependant ont des sens différents pour l'unique raison
qu'elles appartiennent à des constructions différentes. Mais elle se distingue
de l'homonymie des morphèmes en ce sens que les constructions peuvent
n'être que partiellement homonymes. Deux constructions sont totalement
homonymes si chaque suite qui, dans certaines occurrences, appartient à
l'une des constructions, appartient à l'autre dans d'autres occurrences;
elles sont partiellement homonymes si certaines des suites, mais non toutes,
satisfont à cette condition. Les deux constructions de Old men and women
sont partiellement homonymes, parce que old men appartient à la même
construction que Old \ men and women, mais pas à la même construction
que Old men \ and | women; tandis que men and women appartiennent à la
seconde construction, mais non à la première 27.
39. Comme exemples de constructions totalement homonymes en
anglais, considérons les composés accentués sur le premier membre. Une
construction dont les membres sont de cette forme ÁB a le sens « un В
qui est identique à (un) A ou qui a la propriété d'être (un) A »; exemples :
lady-friend, hegoat, postoffice-building 28. Une construction homonyme a le
sens « un В de A ou lié à (un) A »; exemples : birthday, nameplate, lady-
killer. Puisque friend et killer ont en commun un certain nombre de
classes de foyers et puisqu'il y a un composé lady-friend « friend who is a
lady », il devrait y avoir un composé grammaticalement possible lady-
killer « killer who is a lady », homonyme de lady-killer, « killer of ladies »
(au sens métaphorique 2^). La non-existence de ce composé est sans
signification grammaticale 30. De même, dans ses occurrences effectives
Old men and children a généralement le sens de « children and old men,
puisqu'on ne parle pas de « old children ». On trouve le même phénomène
pour l'homonymie des morphèmes : bien que steak et stake appartiennent
aux mêmes classes de morphèmes, /ajûwsiy-stéyk/ a très rarement le sens
de « a juicy stake »; ce sens est exclu par le sens du morphème stake et pas
celui qui en résulte pour juicy stake.
Il reste à remarquer que, tout comme il est souvent difficile de dire
si un certain nombre d'occurrences représente un seul morphème qui a

27. Il y a d'autres constructions auxquelles appartiennent à la fois (A) old\men


and women et (B) old men\and\women, par exemple la construction du SN; mais on
ne peut pas attribuer à ces constructions la différence de sens entre A et B; par
conséquent, elles ne nous intéressent pas ici. La construction spécifique de A et la
construction spécifique de В sont toutes deux compatibles avec toutes les constructions plus
générales auxquelles A et В appartiennent tous deux.
28. En supposant que ces exemples et les autres que nous donnons sont des
composés et non des suites de mots.
29. Sauf si nous choisissons de supposer qu'un mot comme lady-killer « killer who
is a lady » ne peut pas exister; nous conclurons alors que, à cet égard, friend et killer
appartiennent à des classes de foyers différentes.
30. Dans cet exemple, comme dans toutes les constructions totalement
homonymes que j'ai pu rencontrer, l'analyse en CI est la même quelle que soit la
construction à laquelle appartient la suite. Si une suite donnée doit avoir des analyses en CI
différentes selon les différentes constructions auxquelles elle appartient, c'est qu'elle
contient nécessairement trois morphèmes au moins.
80

deux sens ou deux morphèmes homonymes, cette incertitude pratique se


rencontre aussi avec les constructions.

IV

Les mots.

40. Les personnes qui ont une certaine subtilité grammaticale ont le
sentiment qu'il y a quelque chose de « bizarre » dans une expression
comme the president of the bank's daughter. Nous avons déjà formulé
(cf. 6) le principe qui est à la base de ce sentiment : tout mot devrait être
un constituant; or bank's, qui est généralement considéré comme un mot,
n'est certainement pas ici un constituant.
Trois solutions s'offrent au grammairien : (1) abandonner ou modifier
le principe; (2) soutenir que bank's est un constituant; (3) admettre que
bank's n'est pas un constituant, mais soutenir que ce n'est pas un mot non
plus dans cette occurrence.
Sans aller jusqu'à dire que la seconde solution est absurde, nous ne
concevons pas qu'une théorie plausible des CI puisse lui permettre d'être
exacte.
La troisième solution permet deux options. D'un côté, on peut
considérer the president of the bank comme une sorte de mot composé; en ce
cas president-of-the-bank's, qui en est un dérivé, est aussi un seul mot et
bank's n'est pas un mot, mais un fragment de mot, comme writer's dans
typewriter's. C'est la solution qu'a adoptée Bloomfield 81. L'autre
possibilité est de considérer le morphème de possessif 's comme un mot distinct.
Aucune de ces deux analyses n'est satisfaisante. Elles présupposent toutes
deux, de même que la solution (1), une définition claire du mot (ou un
ensemble de critères).
41. La meilleure analyse générale du mot que je connaisse, depuis le
Language de Bloomfield, est celle de Nida 32. Nida distingue deux types
de critères pour déterminer ce que sont les mots d'une langue donnée : les
critères phonologiques et les critères grammaticaux. La joncture est
souvent une marque de frontière de mot, bien qu'il n'y ait peut-être pas de
langues où toutes les suites qu'on voudrait considérer comme des mots
soient marquées dans chaque occurrence par une joncture au début et à
la fin. Il arrive souvent aussi, dans les langues qui ont des jonctures, que
celles-ci se rencontrent non seulement aux frontières de mot, mais aussi à
l'intérieur de certains mots (comme night-rate /nayt-reyt/ en anglais).
Dans beaucoup de langues certains schemes phonologiques marquent la
présence ou, plus fréquemment, l'absence d'une frontière de mot : ainsi le
japonais a un phonème d'accent qui ne peut pas avoir plus d'une
occurrence non automatique par mot. En règle générale ces indices
phonologiques de frontières de mot sont incomplets; même dans les langues qui

31. Language 11.5. Ainsi que E. A. Nida, Morphology, 149-150 (Ann Arbor,
1946); Bloch et Trager, Outline of Linguistic Analysis, 67 (Baltimore, 1942).
32. Chap. 7 de sa Morphology (cf. n. 31). Sont intéressantes aussi la définition
du mot japonais par Bloch « Studies in Colloquial Japanese II; Syntax », Language,
22.202-206, 1.3-6 (1946) et la définition du mot chinois par Chao (op. cit. n. 20).
81

ont plusieurs de ces signaux, certaines des frontières de mot ne sont pas
marquées.
42. Quand nous disons que certains mots n'ont pas telle ou telle marque,
nous voulons dire que certaines suites qu'on aimerait pouvoir considérer
comme des mots n'ont pas cette marque. Le grammairien quand il
entreprend de décrire les mots d'une langue déterminée, part d'une certaine
conception raisonnable de ce qu'est le mot dans cette langue, conception
fondée en grande partie sur ce qu'il sait du mot dans sa langue maternelle
et dans les autres langues qu'il connaît. Il doit alors formuler ses critères
explicitement, les modifier en cas de contradiction et les compléter quand
ils ne lui permettent pas de décider si une occurrence donnée d'une suite
représente un mot ou non.
43. Les critères phonologiques du mot étant insuffisants, on doit les
compléter par des critères grammaticaux, pour toutes les langues ou
presque toutes. Dans certaines langues d'ailleurs (dont le français,
semble-t-il), les critères phonologiques font totalement défaut. En latin
et en grec classiques, de même que dans les autres langues indo-européennes
à dominante flexionnelle, le mot se présente nettement comme une unité
définie grammaticalement : la majorité des mots se terminent par une
désinence appartenant à une petite classe de terminaisons, verbales ou
substantivales. En outre, en grec et en latin, l'ordre des morphèmes à
l'intérieur du mot est fixe, mais l'ordre des mots les uns par rapport aux
autres peut varier. Ceci ne signifie pas que, dans ces langues, l'ordre des
mots soit libre ou indifférent : la prose familière, la prose littéraire, la
poésie sont, chacune, soumises à certains ordres standards, mais les
ordres de la prose et de la poésie sont assez différents, tandis que l'ordre
des morphèmes à l'intérieur du mot est identique dans tous les styles.
Qu'il y ait ou non une différence de sens entre deux ordres différents
pour les mêmes mots, l'existence même de ces deux ordres montre que
les mots sont des unités déplaçables; au contraire, l'ordre à l'intérieur du
mot (sauf dans les composés) n'a aucun sens justement parce qu'il est
automatique. Ceci justifie une distinction entre la morphologie et la
syntaxe, distinction appuyée par les propriétés phonologiques (accentuelles
essentiellement) des mots définis grammaticalement 33.
En fait, le mot constitue surtout une unité dans les langues où les
critères phonologiques et grammaticaux se renforcent mutuellement. La
définition de Bloomfield (le mot est une forme libre minimale) fait
intervenir ces deux types de critères : en tant que suite phonologique, le mot
figure dans un environnement phonologique zéro; en tant que suite
morphologique, il figure dans un environnement morphologique zéro 34. Le

33. Nous prenons ici le terme de grammaire au sens étroit : la grammaire est
coordonnée à la phonologie, mais ne l'inclut pas. Ainsi conçue, la grammaire comprend
généralement deux parties : la morphologie traite de la grammaire interne des mots
(cf. 15), la syntaxe traite de leur grammaire externe et des suites de mots; mais cette
division ne s'applique pas aux langues dans lesquelles le mot n'est pas une unité
distincte. Harris {op. cit. n. 2) montre qu'on peut abandonner la distinction entre
morphologie et syntaxe même dans d'autres langues (cf. 45). On m'a suggéré le nom de
taxématique pour désigner la grammaire au sens étroit; je ne l'ai pas adopté parce que
le terme de taxème, introduit par Bloomfield, n'est pas clairement défini.
34. V. n. 6 et Bloomfield, Language, 168-169. Il faut apporter les modifications
voulues à la définition de Bloomfield si on considère que les intonations de phrase
82

corrolaire qu'un mot doit pouvoir se prononcer hors contexte fait lui aussi
intervenir ces deux critères : une forme peut être « imprononçable » du
fait de sa composition phonologique (par exemple le 's possessif hors
contexte), ou bien parce que c'est une forme liée (par exemple -ness avec
un accent faible). Un linguiste considérerait five et fif (comme dans fifty
ou fifth) comme des variantes du même morphème; mais, du point de vue
du bon sens, ce sont les variantes, et non les morphèmes en tant que tels,
qui sont prononçables ou non. Et l'imprononçabilité des deux types
explique en partie pourquoi le 's possessif de England's est considéré par le
bon sens comme n'étant pas un mot.
44. Quand les critères phonologiques et grammaticaux ne se confirment
pas mutuellement, ils peuvent parfois se compléter. Si certaines suites
appartenant à une classe de suites donnée sont des mots en vertu des
critères phonologiques, alors on peut considérer tous les membres de la
classe comme des mots, qu'ils soient ou non marqués phonologiquement.
45. Dans son article Du morphème à l'énoncé, Harris avançait que la
distinction entre morphologie et syntaxe n'est pas nécessaire pour la
description des énoncés de la langue en question et que le mot n'est pas
une unité grammaticale nécessaire, que ce n'est peut-être même pas une
unité utile. Ceci ne signifie pas que la description d'une langue ne doive
pas comporter une description des corrélations qui peuvent exister entre
les traits phonologiques et les traits grammaticaux des suites morphé-
miques, description qui, pour certaines langues, trouve sa meilleure forme
avec la définition du mot. Harris suggérait simplement que, quand on
effectue une certaine partie de la tâche grammaticale, à savoir la
description des énoncés de la langue en question, on n'est pas obligé de diviser la
description en une phase morphologique et une phase syntaxique.
46. Nous ne commenterons pas ici cette suggestion. Le but de l'analyse
en CI n'est pas d'établir les énoncés de la langue, mais de dire, une fois ces
énoncés donnés, quels sont leurs constituants. Dans la pratique, le
grammairien qui étudie une langue mène les deux études à la fois et il doit
s'être fait une opinion dans les deux domaines avant de commencer à
exposer l'un ou l'autre; mais cet aspect pratique ne nous concerne pas.
Nous ne voulons pas dire non plus, quand nous disons que tous les énoncés
grammaticalement possibles de la langue sont supposés acquis dans
l'analyse en CI, que seule une description complète de ces énoncés est supposée
acquise (description qui pourrait bien être en termes de leurs constituants).
C'est l'exposé qui est circulaire; cette circularité n'est pas vicieuse, mais elle
est inévitable, sauf si on fonde la description grammaticale, au moyen de
l'analyse en CI, sur un échantillon fini de texte. La distinction entre les
méthodes de découverte et les méthodes de démonstration (ou plus
généralement d'exposé), et entre l'ordre dans lequel certains faits sont
découverts et l'ordre dans lequel ils sont exposés, est bien connu des logiciens.
En linguistique descriptive, la découverte consiste à trouver le meilleur
système pour décrire les faits; il ne fait pas strictement partie de l'exposé
de montrer que ce système est le meilleur.

et certains accents (cf. 66) d'une langue comme l'anglais sont des suites de morphèmes
et ne relèvent pas de la modulation (op. cit. 163, 169), qui est une des « quatre manières
d'arranger les formes linguistiques ».
83

47. Mais le mot est une unité pertinente dans l'analyse en CI. On peut
effectuer beaucoup d'analyses sans prendre en considération les frontières
des mots; mais beaucoup d'autres resteront indéterminées. Dans ces
cas d'indétermination, si les frontières de mot et le principe que chaque
mot est un constituant permettent de trouver la solution, il est
raisonnable, nous semble-t-il, de prendre en considération les frontières de mot
et d'invoquer ce principe. Autrement dit, le mot n'est pas une unité dont
on puisse se dispenser dans la théorie actuelle de l'analyse en CI.
48. Harris dit également (178-179) : « La procédure décrite ici pourrait
être mise en parallèle avec une série de substitutions qui commencerait
par l'énoncé complet et serait descendante, au lieu de commencer par les
morphèmes individuels et de remonter. Dans ce cas, il nous faudrait
trouver des critères formels pour découper l'énoncé par étapes successives.
C'est pour l'essentiel le problème difficile de la détermination des
constituants immédiats d'un énoncé. Il n'est pas évident qu'il existe une
méthode générale pour déterminer successivement les constituants
immédiats quand on commence par l'énoncé complet et qu'on descend vers
les morphèmes. De toute façon, la constitution des classes de substitution
(dans notre terminologie, des classes de foyers) présente, semble-t-il,
moins de difficultés théoriques si on commence par les morphèmes en
remontant vers les énoncés.
Mais mon objectif essentiel dans cet article est de montrer que les
expansions et les classes de foyers (c'est-à-dire très exactement les concepts
que Harris a développés dans son article) fournissent l'appareil de base
nécessaire à une théorie des CI. Et une théorie des CI n'est pas
nécessairement liée à l'ordre « vers le bas ». Les constituants d'un énoncé seront
toujours les mêmes quel que soit l'ordre d'exposition de la grammaire
descriptive (de bas en haut ou de haut en bas). Quant à l'ordre de
découverte, qui est ce à quoi Harris pensait, la remontée vers le haut détermine
systématiquement les classes de foyers d'une langue; mais nous avons
déjà souligné qu'un système complet d'analyses en CI doit reposer, non
seulement sur les classes de foyers, mais aussi (a) sur l'importance de
chaque classe de foyers (diversité des membres et nombre des
environnements qui la caractérisent), et (b) sur les constructions.
49. Il y a des cas où la structure de la langue ne se prête pas à l'analyse
selon laquelle tout mot est un constituant. En japonais, le suffixe -rasii
« à l'apparence de » entre en composition avec des noms (kodomorasii :
« ressemble à un enfant i>), des syntagmes nominaux (kodomo norasii :
« ressemble à celui d'un enfant »), des verbes (tabetarasii : « paraît
avoir mangé ») et certaines autres suites. Or on doit considérer
kodomorasii, norasii, tabetarasii (abréviations graphiques de kódómórásíi, norásíi,
tabétárásíi, où l'accent aigu marque une syllabe de hauteur élevée) comme
des mots, car si on considère -rasii (c'est-à-dire -rásíi) comme un mot
distinct; d'une part, ce sera le seul mot de toute la langue qui soit accentué
à la fois sur la première et la seconde syllabe, d'autre part, ce sera le
seul cas où un mot accentué sur la syllabe finale est immédiatement
suivi par un mot accentué sur la première syllabe 35. D'un autre côté,
35. Bloch, op. cit. (cf. n. 32), 1.5 et n. 7. Les cas où on peut attendre ce résultat
sont rares; et, quand ils se présentent (peut-être avec les noms propres?), le mot
d'avant perd morphophonologiquement son accent (Bloch, op. cit. n. 5).
84

d'un point de vue purement syntaxique, on est conduit à considérer


-rasii comme un constituant : kodomo no \ rasii, etc.
Par conséquent, au lieu de soutenir que, dans toute langue, chaque
mot est toujours un constituant de la suite dans laquelle il figure, on
peut seulement dire que chaque mot sera considéré comme un constituant,
sauf si ceci crée des conflits et des complications dans la description de
la langue étudiée.
50. D'ailleurs, même en japonais, le principe est utile; il nous permet
en particulier de traiter comme une classe de mots la classe des
particules 36. Des suites comme ano hito wa « quant à cette personne », ano hito
ni « à cette personne », ano hito kara « de cette personne », ont
manifestement l'analyse ano hito \ wa, ano hito \ ni, ano hito \ kara; c'est ce que
montre clairement la méthode des expansions, puisque ало hito « cette
personne » est une expansion de hito « personne », tandis que hito wa
« quant à la personne », hito ni « à la personne » et hito kara « de la
personne » ne sont des expansions de rien. Les critères phonologiques (en
japonais, accent et occurrence en tant que groupe de pause minimal)
ne permettent pas de dire si les particules wa, ni et kara sont, ou ne sont
pas, des mots; et, puisqu'aucune autre particule n'a d'accent, si ce n'est
dans des environnements phonologiques qui ne permettent pas de décider
si ces particules sont des mots, nous ne pouvons pas nous aider du principe
qu'une suite donnée est un mot si, et seulement si, chaque autre membre
de la même classe de suites est un mot (cf. 44). Mais si hito wa était un
seul mot (ano hito | wa étant alors deux mots), le principe que chaque
mot est un constituant serait inutilement violé; par conséquent, nous
considérons les particules comme des mots individuels.

Constituants multiples et constituants discontinus.

51. Nous avons procédé jusqu'ici comme si chaque analyse en CI


divisait un constitué en deux CI, chacun d'eux étant une suite continue.
Nous devons maintenant considérer d'autres possibilités d'analyse et les
circonstances dans lesquelles on pourra raisonnablement y faire appel.
Première question : y a-t-il des suites dont la meilleure analyse est
en plus (ou en moins) de deux CI?
Deuxième question : peut-il être utile de reconnaître des
constituants discontinus 37?
Par exemple, n'aurait-on pas intérêt à analyser la suite men, women,
and children en trois CI coordonnés, men, I women, | and children? Et

36. Bloch, op. cit. 1.5.


37. Bloomfield admet l'existence possible des constituants uniques (Language,
218) et des constituants multiples (194, 227). Il est suivi par Pike, « Taxemes and
Immediate Constituents », Language, 19.70; Bloch et Trager (op. cit. n. 31, 67)
admettent « habituellement... deux et seulement deux CI ». Nida fait de même semble
t-il (Morphology, 81; Syntax 2.5.3 et passim). Pike admet de plus des constituants
discontinus (op. cit. 4.12-4).
85

n' aurait-on pas intérêt à analyser la suite Call your friend up en un


constituant continu your friend et un constituant discontinu call...up?
52. Dans notre système, aucun constitué n'a qu'un seul CI (rappelons
que les morphèmes individuels ne sont pas considérés comme des
constitués); tout item a au moins deux CI, ou bien il n'en a pas. D'autres systèmes
cependant admettent qu'un constitué n'ait qu'un constituant. Ainsi,
selon Bloch 38, la phrase japonaise est constituée d'une ou plusieurs
propositions; quand il n'y a qu'une proposition, elle est le seul CI de la
phrase (bien qu'elle puisse avoir elle-même, en tant que proposition,
deux CI). De même, suivant la théorie de Bloomfield sur la modulation,
on pourrait dire que le nom verbal japonais yasumi est dérivé de l'infinitif
yasúmi par l'application du taxème de modulation (ici déplacement de
l'accent). L'infinitif serait alors le seul CI du nom (bien que l'infinitif
lui-même contienne deux CI, la base verbale, yasúm-, et la désinence
d'infinitif, -i 39).
Le système que nous avons établi n'ignore pas ces faits, mais il les
traite d'une autre manière, c'est-à-dire en termes de constructions. Quand
une proposition constitue une phrase à elle toute seule, elle participe à la
fois à la construction de phrase et à la construction de proposition; mais
ses CI sont les mêmes, qu'elle participe aux deux constructions ou à une
seule (comme l'exemple anglais come here, cf. 34 et n. 25). En ce qui
concerne le nom yasumi, nous dirions soit qu'il est constitué de l'infinitif
yasúmi et d'un autre morphème, soit qu'il remplace un morphème contenu
dans yasúmi par un autre (la solution dépendant de l'analyse
morphologique du phonème accentuel). Quels que soient les détails, nous affecterions
toujours le phonème accentuel japonais, comme tout phonème de toute
langue, à un certain morphème, soit tout seul, soit faisant partie d'une
suite de phonèmes, nous ne l'affecterions pas à un « processus grammatical»
de modulation (cf. n. 34).
53. Nous admettons l'analyse en CI multiples (trois ou plus) à la seule
et unique condition suivante : Étant donné un constitué formé de trois
suites continues A, В et C, si on ne peut trouver aucune raison de préférer
V analyse en AB \ С à l'analyse en A \ ВС ou vice-versa, alors on doit analyser
ce constitué en trois constituants immédiats, A \ В \ C. De même, on
reconnaîtra quatre CI si aucune analyse en deux CI ni aucune analyse en trois CI
ne s'impose, etc.
54. Prenons comme exemples les syntagmes nominaux anglais du type
A and B. A and ne se rencontre jamais comme constitué si ce n'est devant
un nom (ou un SN) B; and В ne se rencontre jamais en tant que constitué
si ce n'est (a) après un nom A, et (b) comme proposition distincte. Ce
second type d'occurrence ne constitue pas, remarquons-le, un argument
pour l'analyse A \ and B. And women se rencontre comme phrase
indépendante et ses CI sont and et women. Mais la classe de foyers a la structure
and + proposition : c'est la même structure que dans and \ I saw it
myself ou and \ then well go home. Aussi, le sens constructionnel fonda-

38. Bloch, op. cit. 2.4. Pour un cas analogue en morphologie, cf. Bloch, « Studies
in Colloquial Japanese III : Derivation of Inflected Words », JAOS, 66.305, 1.3 (1946).
39. On trouvera les données dans B. Bloch et E. H. Jorden, Spoken Japanese,
135, n. 5, 15, et 504 n. 16, 18 (New York 1945-1946). Bloch n'est plus partisan de cette
manière de décrire la dérivation.
86

mental de and \ women est celui d'une proposition, non celui d'un SN.
Quand and women figure au début d'une proposition, ce n'est jamais un
constitué : and \ women were lined up hours ahead of time, et non pas and
women | were lined up, etc. Il est donc parfaitement clair que la phrase
and women ne confirme pas l'analyse men \ and women. Ainsi la théorie
de l'analyse en CI présentée ici ne permet pas de choisir entre men \ and
women et men and \ women; en conséquence, nous adoptons l'analyse
tripartite men \ and \ women.
Avec la coordination des propositions, le cas est différent. L'analyse
de He huffed and he puffed est manifestement He huffed | and he puffed;
chacun des deux constituants a une grande liberté de combinaison, y
compris l'occurrence en tant que phrase séparée. Quand and he puffed
constitue une phrase à lui tout seul, il participe à la construction de
phrase, ce qui n'est naturellement pas le cas quand il est précédé de he
huffed. Mais ces deux occurrences ont certaines constructions en commun
(la construction propositionnelle, par exemple); tandis qu'il n'y a aucune
construction à laquelle les deux occurrences de and women ([a] phrase
séparée et [b] dans men and women) peuvent appartenir.
Quand il y a trois propositions ou plus reliées par and, il y a autant
de CI que de propositions. Il n'y a aucune raison d'analyser (A) HH
h2uffed, (Sfand he p^uffed, {Cfand he bPew the housed^own (avec une
pause devant chaque and) en AB | С plutôt qu'en A | ВС ou en A | ВС
plutôt qu'en AB | C; aussi chaque proposition est un CI de la
phrase.
Si une étude approfondie de l'anglais révélait une raison qui nous
aurait échappé d'analyser men \ and women plutôt que men and | women
(ou l'inverse), alors ce syntagme cesserait tout simplement d'être un
exemple de constituants multiples. Mais les conditions dans lesquelles
on doit reconnaître des constituants multiples n'en seraient pas pour
autant ébranlées.
55. Les conditions concernant les constituants discontinus relèvent
du même type de raisonnement. L'analyse de the English king en English
et the... king donne des constituants beaucoup plus indépendants et
mobiles que l'analyse en the et English king; de plus, cette analyse est
plus conforme au scheme de poor \ John et English \ littérature. Mais si
l'admission des constituants multiples et des constituants discontinus
n'était soumise à aucune autre restriction que le fait de donner des
constituants aussi indépendants que possible, l'analyse en CI deviendrait
une affaire extraordinairement compliquée; il faudrait en effet étudier
un nombre très élevé de possibilités. Une procédure plus méthodique et
plus pratique consiste à pousser le système des CI aussi loin que possible
en considérant que tout constitué a deux CI continus; ensuite, si
nécessaire, on complétera et on révisera ce système, en admettant les types
d'analyses plus complexes. Pour réduire au minimum cette révision,
nous avons proposé une condition pour les CI multiples et nous proposons
maintenant la condition suivante pour les CI discontinus : une suite
discontinue est un constituant si, dans un certain environnement, la suite
continue correspondante figure en tant que constituant dans une construction
qui est en harmonie sémantique avec les constructions dans lesquelles figure
la suite discontinue en question. Nous ne définirons pas l'expression
87

« en harmonie sémantique »; nous nous contenterons de l'illustrer par


des exemples.
56. Il y a, en anglais, trois types de modificateurs de nom : (I) ceux
qui précèdent le nom (ou le SN) qu'ils modifient; (II) ceux qui le suivent;
et (III) ceux qui en partie le précèdent et en partie le suivent. Exemples :
(I) [a] very interesting [book], only [the finest quality], too expensive [a
choice], such [a method], [a] mere [boy]; (II) [a scholar] second to none,
[a contract] signed by the manager, [a possession] more priceless than jewels;
(III) [a] better [movie] than I expected, [the] best [friend] in the world,
[an] easy [book] to read, too heavy [a box] to lift. Tous les exemples de
type (III), sauf best... in the world, satisfont à la condition proposée pour
les constituants discontinus : chaque suite continue correspondante se
rencontre après une copule; ainsi (IV) [this movie is] better than I expected,
[this book is] easy to read, [this box is] too heavy to lift. Et le sens construe-
tionnel de ces prédicats (better than I expected, etc.) est en harmonie (en
fait il est presque identique) avec le sens des constituants discontinus
correspondants dans les exemples (III) : dans chaque cas, il est question
d'une certaine propriété, que la construction plus large dans laquelle elle
s'insère soit celle de la modification (III) ou de la prédication (IV).
57. Nous avons choisi l'exemple best... in the world pour illustrer le cas
d'un modificateur discontinu qui n'est peut-être pas un constituant. Tout
au moins ne se rencontre-t-il pas dans l'environnement (IV)40;
l'approximation la plus proche est [as a friend, he's] the best in the world. Les prédicats
du type the + adjectif ou syntagme adjectival sont limités; en général
l'adjectif (au singulier) est soit un comparatif (ou un superlatif), soit un
ordinal. Dans ces suites, il y a toujours, semble-t-il, un nom « sous-
entendu », par exemple friend après best dans he's the best in the world
ou day après fifth dans the fifth of January. S'il en est ainsi, la construction
de best (et a fortiori celle de best in the world) dans he's the best est
différente de celle de easy ou easy to read dans this book is easy to read et, par
consequent, best... in the world n'est pas un constituant de the best friend
in the world.
58. La proposition this possession \ is \\ more priceless than jewels, ainsi
analysée, nous permet d'admettre le constituant discontinu correspondant
dans a more priceless possession than jewels, à condition que les sens cons-
tructionnels soient en harmonie. Par « en harmonie », nous entendons,
approximativement, « identique » sauf dans la mesure où il y a une raison
nécessaire de la différence. Si le prédicat I : more priceless than jewels
est en harmonie avec le modificateur discontinu II : more priceless...
than jewels, quelle est alors sa relation au modificateur continu III :
[a possession] more priceless than jewels? Nous sommes obligés de
reconnaître une différence sémantique au moins potentielle entre II et III.
(a) II se peut que I ait deux sens distincts; avec un de ces sens, le sens
constructionnel correspond clairement à celui de II, avec l'autre il
correspond à celui de III. S'il en est ainsi, il n'y a pas de problème. Ou bien
(b) il se peut que I n'ait qu'un seul sens, qui correspond clairement à celui
de II et non à celui de III (ou à celui de III et non à celui de II), dans

40. Les emplois comme [Washington was] first in the hearts of his countrymen ne
sont ni réguliers ni libres.
88

la mesure où les sens de II et de III sont différents l'un de l'autre. Dans


ce cas non plus, il n'y a pas de problème; il se trouve simplement que le sens
distinctif de II (ou de III) n'est pas exprimé par un syntagme adjectival
employé en position de prédicat plutôt qu'en position de modificateur.
Mais (c) il se peut aussi que I n'ait qu'un sens et qu'en même temps
cependant la différence de sens entre II et III soit si mince que ni le sens
distinctif de II, ni le sens distinctif de III ne puissent être détectés dans
le sens de I. Cette possibilité est embarrassante. On pourrait peut-être
imaginer une définition de l'harmonie en vertu de laquelle le sens de I
serait en harmonie à la fois avec le sens de II et le sens de III, même si
les sens de II et de III ne sont pas en harmonie l'un avec l'autre.
59. A côté des modificateurs, il existe un autre type important de
constituants discontinus : il s'agit des propositions interrompues par une
incise, comme dans la phrase His father, according to John, is the richest
man in Scarsdale. Ces propositions interrompues satisfont à la condition
proposée, puisqu'on peut tout simplement enlever l'incise; ce qui était
discontinu devient alors continu, le sens constructionnel restant
pratiquement le même.
60. Considérons maintenant les expressions verbales du type verbe +
adverbe prépositionnel (up, away, through, etc.). On pourrait penser qu'il
faut les traiter comme des constituants, même quand ils sont discontinus :
Wake up your friend et Wake your friend up sont presque synonymes. Mais,
pour d'autres paires, il existe une différence de sens : see through your
friend (perce ton ami à jour) et see your friend through (aide ton ami à
terminer ce qu'il fait) 41. Il y a plusieurs explications de cette différence
de sens : (1) elle est peut-être due à des sens différents de through; (2)
il se peut qu'il n'y ait pas entre la construction de see through your friend
et celle de see your friend through, la même relation sémantique qu'entre
la construction de wake up your friend et wake your friend up, et que
cette différence se reflète dans l'analyse en CI : see || your friend \ through
vs see through \ your friend. Autrement dit, see... through ne serait pas
un constituant. Enfin (3) il se peut que l'analyse soit bien see... through \
your friend, mais que le constituant discontinu see... through entre dans
une construction qui n'a pas le même sens que celle du constituant
continu see through et qui n'est pas en harmonie avec elle; cette différence
dans les sens constructionnels de see through et see... through expliquerait
la différence de sens entre see through your friend et see your friend through.
61. Pike (op. cit, 4.14) analyse le syntagme nominal the large books,
the important papers, the new pens en « un syntagme endocentrique
complexe avec tête et attribut également constitués de membres non
contigus », c'est-à-dire the large... the important... the new + books...
papers... pens. Selon notre critère books... papers... pens pourrait être un
constituant discontinu, mais the large... the important... the new ne le
pourrait pas. Et, en fait, on ne voit pas pourquoi on ne pourrait pas
considérer ce syntagme nominal comme une suite « endocentrique coordi-
native » de trois CI, chaque CI étant une suite « endocentrique subordi-
native » (dans la terminologie de Bloomfield, 195).
41. On remarquera que see through him se rencontre souvent avec le morphème
emphatique sur through; mais wake up him ne se rencontre pas, quelle que soit
l'accentuation.
89

62. L'analyse de the English king en English et the... king satisfait à la


condition proposée pour les constituants discontinus. Si l'on adopte cette
analyse, alors il faudra reconsidérer l'analyse de the king of England.
Rappelons en effet que l'analyse the \ king of England reposait en partie
sur le parallèle avec the \ English king. Ce même argument, appliqué à
la nouvelle analyse English + the... king, permettrait également the king \
of England, qui semble bien après tout l'analyse du bon sens. Le
modificateur prénominal English et le modificateur postnominal of England
appartiennent alors à peu près aux mêmes classes de foyers, comme
the king (et son correspondant discontinu the... king) appartient aux
mêmes classes que les noms propres (John). The English king et poor
John auraient donc des analyses parallèles : English + the... king, poor +
John.
Cette idée d'admettre, en plus des modificateurs nominaux
discontinus (cf. 56), des syntagmes discontinus est intéressante et mériterait
d'être développée. Nous nous bornerons ici à signaler cette suggestion
en remarquant qu'elle est compatible avec notre critère (cf. 55).

VI

JONCTURE, ACCENT ET HAUTEUR EN ANGLAIS.

63. La plupart des exemples que nous avons donnés étaient tirés de
l'anglais, mais nous sommes naturellement très loin d'avoir même esquissé
un système de CI complet pour l'anglais. Il reste cependant une question
si fondamentale que nous ne pouvons pas ne pas en parler, au moins
rapidement, c'est la question des morphèmes prosodiques, juncture,
accent et hauteur. Ce que nous en dirons s'applique, mutatis mutandis,
à un certain nombre de langues, mais nous ne décrirons pas les parallèles.
Les phonèmes anglais (et par extension les morphèmes) de joncture,
d'accent et de hauteur, sont dits « prosodiques », « modulationnels » ou
« suprasegmentaux » 42. En ce qui concerne l'accent et la hauteur, ces
qualificatifs signifient que l'ordre simple linéaire, ou unidimensionnel,
des morphèmes segmentaux tó est compliqué en un ordre bidimensionnel
par l'occurrence des accents et des hauteurs. Dans la phrase What is
it? I hw3àt-2'iz4it/, on peut considérer que le phonème d'accent /'/ et le
phonème de hauteur /2/ sont simultanés à la première occurrence du
phonème vocalique /i/ 44. Comme une série linéaire est toujours plus

42. Bloomfield, Language 163; G. L. Trager, «The Theory of Accentual Systems,


Language Culture and Personality », 131-145 (Sapir Memorial Volume; Menasha
Wis., 1941); Bloch et Trager, op. cit. 41. Pour d'autres références V. R. S. Wells,
« The Pitch Phonemes of English », Language, 21928, n. 10 (1945).
43. Un morphème est dit segmentai si chacune de ses variantes (ou sa seule
variante s'il n'en a qu'une) est constituée soit d'une ou plusieurs voyelles et consonnes
(avec ou sans les accents /*/ et /'/, soit de rien du tout (variante zéro).
44. Bloomfield (Language, 113) suggère de phonologiser l'opposition entre a
name et an aim en termes d'accent plutôt qu'en termes de joncture : /э ňeym/ sv
/en éym/ et non /эпеут/ vs /эп-éym/. Cette suggestion est intéressante, mais, comme
les cas d'opposition ČV : CV sont relativement rares en anglais, nous garderons ici
la notation traditionnelle.
90

facile à manier, on peut essayer de convertir what is it? en une série


strictement linéaire comme /hw3'at-2'iz4it/. Mais la suite de phonèmes /324/
constitue un seul morphème; en convertissant l'ordre bidimensionnel
en un ordre unidimensionnel, on rend discontinus phonologiquement
certains morphèmes (comme /324/) qui étaient continus avant cette
conversion (cf. 88 et n. 52). C'est pour éviter cette difficulté que l'on
distingue phonèmes /morphèmes segmentaux et phonèmes /morphèmes supra-
segmentaux. Quant à la joncture, on la considère comme suprasegmen-
tale, en dépit du fait qu'elle n'est simultanée avec rien, parce qu'elle
ressemble plus par sa distribution et son sens aux accents et aux hauteurs
qu'aux voyelles et aux consonnes.
Nous n'avons pas la prétention de croire que l'analyse qui suit est
satisfaisante. La question est en effet difficile et on en a beaucoup parlé.
Nos suggestions sont des hypothèses de recherche, aussi avons-nous
préféré un système relativement modéré, mais lourd, à un système
économique, mais susceptible d'être controuvé par la découverte d'un fait
irréductible dont il ne pourrait rendre compte.
64. La joncture. Sur le plan phonétique, la validité des phonèmes de
joncture prête à des doutes sérieux. Les linguistes sont tentés d'instituer
des « jonctures » qui ne sont que de simples procédés de notation pour
réduire le nombre de phonèmes. Ainsi quelle justification phonétique
a-t-on pour dire que night-rate diffère de nitrate par /t-r/ vs /tr/ plutôt que
par /Tr/ ou /tR/ vs /tr/? A strictement parler, ne devrions-nous pas dire
que la différence phonologique entre night-rate et nitrate tient à un
phonème différent de type t, ou de type r?
Nous supposons que, d'une manière ou d'une autre, on peut répondre
à ces questions et que le phonème anglais de joncture peut être
maintenu 45.
La question de savoir si la pause au début et à la fin d'un énoncé
peut être considérée comme une variante de la joncture, et la question
-de savoir si l'on devrait reconnaître plusieurs jonctures dans certains
dialectes et certains styles, sont des problèmes mineurs pour ce qui nous
intéresse ici. La pause et les jonctures, si nombreuses qu'elles soient, ont
toutes le même comportement dans l'analyse en CI et elles ont toutes des
sens génériquement semblables.
65. Il existe des paires d'expression qui ne se distinguent
phonologiquement que par la joncture; par exemple thank you /Oge'Tjkyùw/ et
/Gae'iqk-yiiw/, at your leisure /аеЧуигШэг/ et /ae't-yurlézar/. Les deux
membres de chaque paire n'ont pas le même sens, si l'on prend le mot
« sens » dans une acception très large où il recouvre des phénomènes
stylistiques tels que la méticulosité de la parole, etc. Il est donc raisonnable

45. Pour éviter les extravagances, on pourrait adopter la condition suivante :


tout phonème doit avoir au moins un allophone consistant en un segment phonique
«ffectif, ou en un silence entre, avant ou après de tels segments. Ceci signifierait que
certains segments sont affectés à plusieurs phonèmes simultanément, ainsi le premier i
de What is it? serait simultanément affecté au phonème vocalique /i/, au phonème de
hauteur /2/ et au phonème d'accent/'/. Cf. R. S. Wells, op. cit. n. 7. Si nous pouvions
admettre comme allophone de la joncture le silence au début et à la fin de l'énoncé,
nous serions en droit de poser un autre allophone, un allophone zéro, qui figure par
exemple dans night-rate.
91

de dire que la joncture contribue ici au sens de l'expression et, partant,


qu'elle a un sens : elle est donc un morphème.
Dans night-rate, le sens de la joncture est moins évident. Il n'existe
pas de mot /naytrêyt/ contenant les morphèmes night et rate, pour former
avec night-rate une paire minimale. Mais il y a un principe important
en linguistique : tout phonème d'un énoncé donné appartient à un
morphème et à un seul. Par conséquent, la joncture de /nayt-rêyt/ appartient
soit à /náyt-/, soit à /-reyt/, ou bien constitue un morphème à elle toute
seule. Des considérations générales conduisent à choisir la troisième
solution : la joncture, où qu'elle figure, est un morphème, bien que souvent
on ne puisse pas lui trouver de sens.
66. L'accent. Nous considérons ici que l'accent représenté par /'/
constitue un morphème à lui tout seul, où qu'il figure, avec le sens générique
d'emphase. Toute phrase contient au moins une occurrence de /'/ et,
par conséquent, au moins une occurrence du morphème emphatique46.
67. Alors que l'accent /'/ est retiré des morphèmes segmentaux, les
deux autres phonèmes d'accent /A/ et /x/ restent en tant que parties
constituantes. Cette analyse donne des ensembles systématiques de
variantes morphologiques. Dans a blackbird /ablae'k-baAhrd/, bird est
représenté par la variante /ba'hrd/, tandis que black a la variante /Ыэек/,
parce que /'/ appartient à un autre morphème. Mais dans a black bird
/ablse'kba'hrd/ bird a la variante non accentuée /bahrd/ et black a la
variante /Ызелк/. L'accent /'/ n'est pas traité de la même manière que
/A/ et fi en dépit de leur relation phonétique, parce que son rôle
sémantique et son rôle grammatical sont différents des leurs.
68. Il est pratique de classer les variantes de chaque morphème en
rangs selon les accents qu'elles contiennent. Celles du premier rang
contiennent /л/; celles du deuxième rang contiennent /л/, mais pas /A/;
celles du troisième rang ne contiennent pas de phonème d'accent. On peut
alors subdiviser chaque rang selon les autres phonèmes d'accent qui
entrent dans les variantes de ce rang. Ainsi le morphème Balaclava a
deux variantes du premier rang : /baeAbklaeAv9/ (comme dans B. helmeť) et
/baVkklawa/. La seconde variante figure avec le morphème emphatique;
le résultat phonologique de la combinaison de ces deux morphèmes est
/ЬаеЪЫэеЧэ/. Quand la variante qui doit figurer avec le morphème
emphatique contient deux ou plus de deux syllabiques non accentués, il n'y a
pas moyen de dire, en considérant seulement cette variante, avec lequel
de ces syllabiques l'accent /'/ du morphème emphatique va coïncider
46. Sauf peut-être les phrases courtes où une occurrence régulière de /'/ est
remplacée par une occurrence de l'accent contrastif /j/, cf. 70.
Le système des phonèmes accentuels que nous adoptons ici est celui de Bloch
et Tra&er, Language, 17, 226-229, et Outline of Linguistic Analysis, 47-48; nous nous
distinguons cependant de Bloch et Trager en ce que nous considérons leur phonème
d'accent faible comme une simple absence de phonème d'accent. Les trois autres
phonèmes d'accent sont transcrits par un accent sur la voyelle /à / : « accent fort » de
Bloch et Trager; /â/ : « accent fort, réduit »; /à/ : « accent moyen ». Je remercie tout
particulièrement Bloch qui a transcrit phonologiquement, en fonction de son propre
parler, les exemples anglais de cette partie VI. Pour obtenir un système de phonèmes
anglais qui s'applique sans modification à autant de parlers que possible, il nous a paru
bon de prendre pour base de description un parler plus élaboré, comme celui de Bloch,
plutôt qu'un parler plus simple comme le mien, où on ne fait pas de différence entre
l'accent Г/ et l'accent /*/ par exemple.
92

(sauf si l'un des syllabiques ne peut figurer, quand il est précédé ou suivi
de non syllabiques spécifiques, qu'en conjonction avec /'/, Г I ou /'/ 47.
69. Quand un morphème a des variantes qui diffèrent par leurs
phonèmes segmentaux, chacune d'elles peut avoir des variantes d'accent.
Ainsi clear a en tout cinq variantes /klîhr, klihr, klœAr, klaevr, klser/,
figurant respectivement dans clear úp, it's clear (avec le morphème
emphatique), clarify this, clarification, et clarity (là encore avec le morphème
emphatique). En général, pour toute variante contenant une ou plus d'une
occurrence de /A/, il y a une autre variante identique par ailleurs, mais
dans laquelle manque une de ces occurrences 48. Beaucoup de morphèmes
n'ont toutefois pas de variantes contenant /A/; et ceux qui contiennent /7
n'ont pas en général de variante identique par ailleurs, mais n'ayant pas
/'/• Ainsi /èjt/ comme dans rotate et calculate n'a pas de variante
correspondante /ejt/ 49.
70. Il y a deux types d'accent contrastif : (1) l'accent /'/ est placé sur
une syllabique où ni /'/ ni /A/ ne figurent normalement; (2) un phonème
d'accent contrastif /;/, distinct de /'/, soit (a) remplace /'/, soit (b) est
placé sur un syllabique où ni /'/ ni /л/ ne figurent normalement50. Les
cas (1) et (2b) impliquent des variantes autres que celles que nous avons
reconnues ci-dessus. Tous les morphèmes sans exception, pourvu qu'au
moins une de leurs variantes contienne un syllabique, sont sujets à ce
type de variation; en outre, quand il y a plus d'un syllabique, /'/ et /j/
peuvent tomber sur n'importe lequel d'entre eux.
Il y a souvent une variation concomittante à l'intérieur du syllabique
lui-même. Ainsi, quand le premier syllabique de allusion porte un accent
contrastif (pour distinguer ce mot de illusion par exemple), le résultat est
soit /sejllúwžan/ 51 soit /ae'llûwzgn/. Si l'on enlève les morphèmes contrastif

47. Il est naturellement très facile d'inventer une notation qui montre quel
phonème syllabique porte potentiellement l'accent, par exemple /Ьэе*1эк1аеуэ/. Cet
emploi des italiques n'a aucune espèce de statut phonologique, pas plus que les blancs
entre les mots dans une transcription; c'est un pur procédé mnémonique qui équivaut
à dire : «l'accent /'/ (appartenant au morphème emphatique) figure sur tel ou tel
syllabique de ce morphème (quand il figure en conjonction avec un morphème segmentai
donné) ». D'ailleurs on exprime la même information en donnant simplement le résultat
phonologique de la juxtaposition du morphème segmentai et du morphème d'accent
(par exemple /Ьэел1эк1ге'уэ/, résultat de la juxtaposition de /baVteklaeva/ et de /'/); et
il en est de même avec une comparaison des variantes /bae'laklaeva/ et /bae*Iaklae*va/.
48. Font exception les morphèmes comme le loom de heirloom /éhr-lûwm/ qui
accidentellement ne figurent que dans des mots composés.
49. On pourrait considérer que les verbes alternate /ohltarnèyt/, degenerate
/dijénarèyt/, etc. sont dérivés des adjectifs correspondants alternate /óhltarnat/, degere-
rate /dijénarat/, etc. par l'addition d'un morphème; ou bien on pourrait considérer que
l'adjectif est dérivé du verbe par le même procédé. Dans ce cas, le morphème /èyt/
a une variante /et/. De plus, les noms alternation, degeneration, contiennent les variantes
/êys/ et /eyš/ du même morphème. Mais, même s'il en était ainsi, le verbe, en tant
que mot individuel, ne présente jamais de variante /eyt/, ou /9t/, ou /eyš/.
50. Bloch et Trager posent « un /j / d'intonation contrastante impliquant à la
fois une distorsion de l'intonation normale de phrase et un accent très fort » {op.cit. 52).
Mais on peut tout aussi bien considérer l'accent plutôt que la hauteur comme le trait
non automatique. Ceci nous permet de regrouper le phonème /j / (rebaptisé maintenant
« phonème d'accent contrastif ») avec le phonème /'/, auquel il ressemble, d'une part,
en ce qu'il constitue toujours un morphème à lui tout seul, à savoir le morphème
contrastif et, d'autre part, par son sens et son scheme grammatical.
51. Dit oralement par Bloch.
93

et emphatique, il reste /aelluwfon/ ou /sellûwzan/, qui sont tous deux


différents des variantes /alûwzan/ et /aluwzan/ qu'on rencontre
normalement (cette dernière seulement en présence de /'/ et peut-être /j/, ce qui
donne /alúwžan/ et /gluwjžan/ respectivement). Quand l'accent contrastif
est porté sur un syllabique autre que celui sur lequel le morphème
emphatique ordinaire /'/ tombe normalement, on peut considérer que le
morphème est employé hypostatiquement ou qu'il a un complexe particulier
d'hypostase et de sens primaire. Ici nous nous contenterons de considérer
les combinaisons de /'/ et /j/ avec les morphèmes segmentaux dans les
emplois non hypostatiques : la simplification ne concerne que les détails et
n'affecte pas les principes.
71 . Du point de vue phonétique et phonologique, les morphèmes
emphatique et contrastif sont toujours simultanés avec un morphème segmentai.
Il est facile d'en faire, par convention, des morphèmes segmentaux, pour
n'avoir qu'une seule suite de morphèmes à analyser, suite dans laquelle
chaque morphème suit ou précède, immédiatement ou médiatement,
chaque autre morphème. Il y a en fait deux possibilités, entre lesquelles le
choix est indifférent : ou on considère que l'emphase et le contraste
précèdent toujours le morphème avec lequel ils sont simultanés du point de
vue phonétique et phonologique, ou on considère qu'ils le suivent
toujours 52. Mais, une fois qu'on a choisi un ordre conventionnel de
conversion, on doit s'y tenir rigoureusement, même quand ce n'est pas pratique;
sans quoi il ne s'agirait plus d'une simple conversion, mais d'une
véritable tentative d'amélioration de l'ordre réel des morphèmes.
72. La tentation est grande quand on analyse les dérivés et les composés.
Supposons, par exemple, que nous considérions que l'emphase et le
contraste suivent toujours le morphème qu'ils modifient. Alors la phrase
He speaks clearly /h3iyspîykskl2ihrl4iy/ est constituée, du point de vue
morphologique, de la suite de morphèmes : hiy + spîyk + s + joncture
+ klihr + accent emphatique + liy + 324 (chaque morphème est donné,
comme à la note 52, sous la forme de la variante qui figure effectivement
dans la suite étudiée). Du point de vue du simple bon sens, on aimerait
pourtant dire que c'est tout le mot clearly, et non pas seulement le
morphème clear, qui est « affecté » ou « modifié » ou « gouverné » par le
morphème d'accent emphatique, bref que c'est le mot tout entier qui est
emphatisé.

52. On pourrait rendre segmentaux l'emphase et le contraste non seulement du


point de vue morphologique, mais aussi du point de vue phonologique, par la méthode
suggérée en 63 : ce que nous écrivons maintenant /hw8àt-2 iz4it/ deviendrait par
exemple /hw8'at — 2'iz4it/. L'application de cette procédure à tous les énoncés
donnerait deux types de discontinuité : (1) morphèmes discontinus, et (2) suites
discontinues. Les morphèmes seraient discontinus non au sens de Harris « Discontinuous
Morphèmes », Language, 219121-127, 1945), mais au sens où les morphèmes arabes a.. .a... a
« temps passé 3e personne du singulier » et k...t...b « écrire » sont discontinus dans le
mot kataba « il a écrit ». Les suites seraient discontinues au sens que nous avons vu
en V, cf aussi 88. Quand une variante d'un morphème interrompt ou s'insère dans une
variante d'un autre morphème, il est pratique de considérer qu'un des morphèmes
précède l'autre — que, par exemple, ktb suit en bloc ou précède en bloc aaa dans le
mot arabe. Nous en avons déjà donné la raison : une suite parfaitement linéaire d'unités
est toujours plus facile à manipuler. La séquence /hw3'at-2'iz4it/ aurait ainsi pour
description morphologique : hw'at +joncture +iz +' +it + 324 (les signes + isolent
les morphèmes dans les variantes qui figurent dans la phrase What is it?).
94

De même, dans certains environnements, comme Iťs a ( ), blackbird


est blseck + accent emphatique 4- joncture + b9Ahrd; mais, dans d'autres
environnements, comme a ( ) pie, c'est ЫзеАк + joncture + b9Ahrd. Dans
ce dernier type d'environnements, blackbird est homonyme de la suite de
deux mots black bird. On pourrait vouloir dire que blackbird, où qu'il
figure, contient un certain morphème qui assigne l'accent emphatique
potentiel au premier morphème du composé et non au second et qu'ainsi
blackbird se distingue partout de black bird. De plus, on pourrait, pour
réaliser cette idée, poser une variante zéro du morphème emphatique; et ce
morphème serait alors présent à la fois dans (A) [It's a] blackbird et dans
(B) [Iťs a] blackbird [pie].
73. On peut rejeter immédiatement cette suggestion, parce que /'/
peut être simultané à black dans (C) [Iťs a] blackbird [pie] (de même que
/j/; dans cet environnement, /'/ et /j/ représenteraient tous deux des
exemples d'accent contrastif). Par conséquent, dans cet environnement,
la variante /' / et la variante zéro proposée seraient en opposition бз.
Ceci suggère une position de repli. Au lieu de supposer que le
morphème emphatique a une variante zéro, posons un morphème dénué de
forme phonologique, dont le seul sens, ou plutôt la seule fonction, serait de
signaler si c'est le premier ou le second membre du composé qui porte
potentiellement le morphème emphatique; prenons par exemple house-
broken vs heartbroken. Du point de vue morphologique, on pourrait décrire
housebroken comme house + broken ^ ' — ; le fait que broken soit lui-
même un dérivé (brok [variante de break] + en) rend les choses plus
compliquées parce que la notation heart + brok -\- en -\ ' — est ambiguë.
Il faut peut-être ponctuer de la manière suivante : (heart) + (brok + en) +

74. L'hypothèse des morphèmes —' — et ' se heurte à deux types


d'objections. En premier lieu, pour se garantir des analyses
déraisonnables ou de celles qui n'ont pour elles que l'ingéniosité, il est bon
d'observer le principe que tout morphème a au moins une variante composée
d'un ou plusieurs phonèmes. Ce principe, analogue au principe phono-
logique dont nous avons parlé à propos de la joncture, élimine les
morphèmes zéro (c'est-à-dire les morphèmes dont la présence n'est connue
que par l'effet qu'ils ont sur d'autres morphèmes ou par la présence d'un
certain sens). Mais il ratifie une variante zéro pour un morphème si ce
morphème a aussi d'autres variantes. Les morphèmes proposés, — ' —
et ', seraient des morphèmes zéro, c'est-à-dire que leur unique variante
serait un zéro phonologique; ils sont par conséquent exclus en vertu du
principe que nous venons d'énoncer. On pourrait penser que le phonème
/7 est une de leurs variantes, mais il n'en est pas ainsi. En effet, un
phonème, dans toute occurrence donnée, appartient à un morphème et
un seul. Par conséquent, si, à un endroit, on assigne /'/ au morphème
— ' — ou au morphème ', il ne peut pas appartenir, dans cette
occurrence, au morphème emphatique. Une dernière possibilité consiste à dire

53. L'opposition ne serait cependant pas minimale; en effet, quand blackbird a


Vaccent contrastif /'/> pic figure sous la variante /pây/, non accompagné du morphème
emphatique. Les phrases (A), (B), (C) contiennent toutes le même morphème de
hauteur, mais avec des variantes différentes.
95

que chacun des trois morphèmes — ' —, ' et emphatique a une variante
zéro : la variante zéro de — ' — et ' figure quand l'emphatique est
absent et la variante zéro de l'emphatique figure quand ou — ' — ou '
est présent (ces deux morphèmes n'étant présents qu'à la fin des mots
composés). Mais /'/, en tant que variante non-zéro de l'emphatique, figure
quand ni — ' — , ni ' ne sont présents et /'/, entant que variante non-
zéro de — ' — et de ', figure quand le morphème emphatique est présent.
Par ce tour de passe-passe, on évite la première objection; — ' — et '
sont alors libres d'aller se heurter à la seconde objection.
75. Les prétendus morphèmes — ' — et ' sont des inventions. Il est
un fait que blackbird ne figure jamais avec l'accent /'/ sur bird et qu'il
a quelquefois /'/ sur black. Mais ce fait n'est pas exprimé par un quelconque
morphème contenu dans blackbird, pas plus que le fait que blackbird se
rencontre parfois devant le s de pluriel, mais jamais devant le -est de
superlatif. C'est simplement un fait concernant la grammaire externe
(cf. 15) du mot blackbird. Si on considère — ' — et ', non comme des
dénominations de morphèmes, mais comme des symboles
d'environnement analogues à des notations comme it's a ( ) ou the ( ) est thing I
ever saw, alors il est exact de dire que blackbird figure dans
l'environnement (partiel) 64 — ' — mais pas dans l'environnement ', tout comme
il est exact de dire que blackbird figure dans l'environnement it's a ( ),
mais pas dans l'environnement the ( ) est thing I ever saw. Ayant décidé
de faire de la disposition bidimensionnelle des morphèmes ÁB une
disposition unidimensionnelle A'B, nous devons en accepter la conséquence :
AB devient une suite discontinue A... B. Ce A... B, cependant, satisfait
à notre test des constituants discontinus. Par conséquent, on peut dire
que les CI de la suite black + accent emphatique + joncture -f bird
sont (1) black -f- joncture + bird, et (2) accent emphatique; en effet,
ailleurs (c'est-à-dire en l'absence d'emphase), la suite black + joncture +
bird figure en tant que suite continue. On ne pourrait naturellement pas
résoudre le problème en considérant simplement que le morphème
emphatique précède, au lieu de suivre, ce avec quoi il coïncide phonétiquement,
puisqu'on se heurterait à une difficulté exactement analogue pour les
composés qui figurent dans l'environnement ', par exemple
heartbroken.
76. Comme nous l'avons dit, c'est un fait de la grammaire externe de
blackbird qu'il figure dans l'environnement — ' — , mais pas dans
l'environnement '; ajoutons maintenant que ce fait est lié à la construction.
Une paire presque minimale comme housebrôken et heartbroken montre
clairement la différence sémantique qui existe entre les composés de
structure A'B et les composés de structure AB'.
L'erreur fondamentale de l'analyse qui fait de — ' — et de ' des
morphèmes est qu'elle conduit à placer des occurrences différentes de ces
morphèmes dans des positions segmentales relatives différentes, alors que
leur position phonologique suprasegmentale est la même dans toutes
les occurrences. Prenons à titre d'exemple deux suites de morphèmes
ABC et D'EF; supposons, pour éviter les complications, que chacun de
ces six morphèmes contienne un seul syllabique et supposons enfin que

54. V. il.
96

ABC soit une suite de deux mots, un composé AB et un mot simple C,


tandis que DEF est un seul mot composé, constitué du mot simple D
et du dérivé EF (comme night-watchman). Alors, en termes de — ' — ,
ABC aurait l'analyse A+B-j ' 1- C, tandis que D'EF aurait
l'analyse D + (E + F) + —'— •
Cette incohérence ou ce manque de parallélisme ne se justifie pas.
Du point de vue phonologique, le morphème proposé — ' — est simultané
au premier morphème dans les deux cas; en convertissant ou en traduisant
l'ordre bidimensionnel des phonèmes en un ordre unidimensionnel des
morphèmes, on n'est pas justifié à embellir l'ordre originel par des
traductions différentes dans des cas extrinsèquement différents. Mais si on refuse
ce privilège à — ' — et ', on perd l'utilité principale de leur rôle de
morphèmes.
77. Il faut même faire disparaître un dernier vestige d'utilité apparente.
Quelqu'un pourrait admettre que l'attribution d'une place segmentale
au morphème emphatique doit toujours se faire de la même manière
automatique, mais soutenir cependant qu'on peut distinguer plusieurs
morphèmes homonymes (peut-être extrêmement nombreux) El5 E2, E3...
chacun d'eux régissant un domaine différent. Ainsi ABC dans l'exemple
ci-dessus contiendrait les morphèmes A -f Ej^ + В + С, dans cet ordre,
et D'EF contiendrait D + E2 + E + F. Les morphèmes E^tEg auraient
tous deux /'/ pour valeur phonologique, mais Ex signifierait que le
morphème précédent et le morphème suivant forment à eux deux un mot
composé, tandis que E2 signifierait que le morphème précédent est le
premier membre d'un composé dont le second membre est constitué des
deux morphèmes suivants. (Ev E2, etc. auraient des variantes zéro en
l'absence du morphème emphatique et le morphème emphatique aurait
une variante zéro en leur présence, tout comme — ' — et ' en 74).
La fonction de El9 E2, etc. serait triple : (1) identifier les mots composés,
(2) indiquer si c'est le premier ou le second membre qui porte
potentiellement l'accent et (3) indiquer le domaine du morphème emphatique quand
celui-ci est présent, c'est-à-dire indiquer la longueur de la suite emphatisée
{Le domaine est, dans chaque cas, le mot composé tout entier).
A cette suggestion, nous répondrons que le but de l'analyse
linguistique n'est pas d'inventer des morphèmes qui remplissent ce type de
fonction. Ces trois informations sont exprimées par les constructions
dans lesquelles entrent les morphèmes A, В, С, etc., et le morphème
emphatique, et non par un quelconque autre morphème supplémentaire.
Si les morphèmes E15 E2, etc. se distinguaient phonologiquement et qu'on
ne puisse mettre en doute ni leur existence, ni leur caractère distinctif,
il n'y aurait pas de problème et on les admettrait sans difficulté; mais
on ne peut pas poser un morphème pour l'unique raison qu'il serait
pratique de l'avoir.
78. Tel est le type de raisonnement qui nous dissuade d'assigner
/'/ à quoi que ce soit d'autre qu'au morphème emphatique. Le fait
qu'une certaine suite soit un mot composé relève dans notre système
(comme le fait que telle ou telle suite soit un mot d'un quelconque type)
de son appartenance à une certaine construction. Si la suite /blgeAk-baAhrd/
est un seul mot dans une occurrence et deux mots dans une autre, alors cette
suite appartient à des constructions différentes dans les deux occurrences
97

et il n'est aucun besoin d'inventer un morphème invisible qui serait présent


dans l'une et absent dans l'autre.
79. Les morphèmes de hauteur et leurs suites seront étudiés plui.
rapidement que l'accent, car la question a déjà été exposée de manière
très détaillée par K. L. Pike 55. Chaque occurrence d'un morphème de
hauteur a un domaine, qui est la suite de morphèmes segmentaux avec
laquelle elle coïncide et qu'en général elle modifie sémantiquement ou
« module »; et chaque morphème de hauteur a un nombre indéfini de
variantes, qui varient selon le nombre de syllabiques de leurs domaines
respectifs. Un autre facteur de conditionnement est la position du
morphème emphatique. Les exemples suivants illustrent quelques-unes des
variantes du morphème de hauteur le plus courant, celui de la phrase
indicative :
(a) He bought a book. /h3iybôht-ab24uk/; variante /333(24)/.
(b) He bought a book. /h3iybôht-2éy-b4ûk/; variante /3324/.
(c) He bought a book. /h/Hyb^ht-^bûk/; variante /3244/.
(d) he bought a book. /h2iy-b4ôht-9bûk/; variante /2444/.
Chacune de ces variantes concerne quatre syllabiques; le symbole général
pour les trois premières est 324, pour la quatrième, c'est 24 (cf. n.23).
Les parenthèses de la première variante indiquent que les deux phonèmes
de hauteur /24/ se trouvent sur le même syllabique; ceci n'arrive que
quand le dernier syllabique du domaine du morphème de hauteur coïncide
avec l'accent /'/ ou /j/56. En transcription phonologique et quand on cite
les variantes d'un morphème de hauteur (comme en 34 par exemple),
il est pratique de ne noter que la première de plusieurs occurrences
successives d'un même phonème de hauteur (ainsi dans l'exemple (a) on écrit
/h3iybôht-ab24uk/ au lieu de /h3iyb3ôht-3ba24uk/), car ces itérations sont
extrêmement courantes.
80. Les exemples suivants contiennent d'autres variantes de ce même
morphème de hauteur de la phrase indicative :
(e) Hh bought a new B^OOK; variante /3333(24)./
(/) НЧ bought a handsome B^OOK; variante /33333(24)./
(g) H*e bought an expensive B2W0K; variante /333333(24)./
{h) H3e sl4pped*and \4U d^own; variante /3233(24)./
Cette dernière variante /3233(24)/ figure au lieu de /3333(24)/ quand il y
a deux occurrences du phonème accentuel /'/ dans la phrase, l'une sur le
second syllabique, l'autre sur le dernier.
81 . Sous cette variante /3233(24)/, le morphème de hauteur de la phrase
indicative est homonyme (sauf l'absence de pause entre les deux
occurrences successives du phonème /3/) delà suite de deux morphèmes
constituée du morphème de hauteur non final (l'un des morphèmes de hauteur
symbolisé dans l'écriture par une virgule) et du morphème de hauteur
de la phrase indicative, quand ces deux morphèmes figurent sous les

55. « The Intonation of American English », cf. n. 23.


56. Une autre notation possible consisterait à attribuer deux occurrences de
phonèmes de hauteur à chaque syllabique. Alors les phonèmes de hauteur de (a)
seraient écrits /33333324/, ce qui impliquerait 4 syllabiques. Cette notation est peu
économique, car chaque chiffre en position paire (2e, 4e, etc.) est identique au chiffre
immédiatement précédent, sauf quand il accompagne le dernier syllabique du domaine
et que ce dernier syllabique porte le morphème d'accent /'/ ou /j/.
98

variantes /323/ et /324/, respectivement. Un exemple de cette suite


de deux morphèmes est :
(i) 4f h4 сЧп, th4n 4' сЧп.
Si, comme cela se produit parfois, cette phrase est prononcée sans pause
entre les deux propositions, alors elle ne contient pas deux morphèmes
de hauteur, mais un seul, exactement comme la phrase (h). Dans ce
cas, seule la construction montre que la phrase contient deux propositions;
mais dans la phrase (i) l'existence de deux propositions est également
indiquée (est renforcée) par la pause interne et par les morphèmes de
hauteur qui la précèdent et la suivent 67. Ce type de renforcement ou de
surcaractérisation est très répandu. Ainsi, dans les questions oui /non
en anglais, à la fois l'ordre des mots et le morphème de hauteur signifient
l'interrogation, bien qu'on puisse aussi trouver l'un sans l'autre et
réciproquement, mais moins fréquemment.
82. Comme l'impliquait ce qui précède, le domaine d'un morphème
de hauteur est toujours considéré comme un groupe pausal, c'est-à-dire
une suite de morphèmes bornée aux deux extrémités par des pauses,
mais non interrompue par une pause 68. Autrement dit, chaque groupe
pausal contient un morphème de hauteur et un seul. Une pause interne
dans un énoncé devra vraisemblablement être considérée comme un
phonème (symbolisé par /#/ 59 et ce phonème, comme tous les autres,
devra être affecté à un morphème et un seul dans chacune de ses
occurrences. On peut considérer que la pause, comme la joncture, constitue
un morphème à elle toute seule. La suite /323/ est un morphème distinct
quand elle est suivie par /# /, comme dans la phrase (i) ci-dessus : /3ifh2iy-
к3эе*п ф 83еп-2ау-к4эелп/, et peut-être aussi quand elle est suivie du phonème
de joncture /-/; ailleurs cette même suite /323/ fait partie d'un morphème
de hauteur plus long, comme dans la phrase (h).
83. Il reste à décrire le fonctionnement des morphèmes de joncture,
d'accent et de hauteur dans l'analyse en CI.
Il est certain que tout morphème segmentai qui termine le domaine
d'un morphème de hauteur termine aussi un constituant (ou alors l'énoncé
tout entier); mais il n'est pas toujours vrai que le début du domaine
d'un morphème de hauteur coïncide avec le début d'un constituant
(ou de l'énoncé). Si notre système graphique marquait une incise par

57. La question du critère permettant de décider si une suite donnée de la forme


pause + A -f- pause + В est un énoncé avec une pause interne ou deux énoncés est
une question difficile. Nous supposons simplement ici qu'une telle distinction est
possible.
58. La différence de sens entre deux suites A + В et A + pause -f В peut être
extrêmement mince ou totalement imperceptible. Bloomfield (Language, 1293) dit
même que cette différence n'est pas distinctive. Cependant, pour les raisons exposées
à propos de la joncture, il n'est pas bon de dire que la pause (en supposant qu'elle ait
un statut de morphème) a une variante zéro dans la suite A + B. Les deux suites
A + В et A + pause + В ont des sens très proches; mais elles ne sont pas plus
identiques du point de vue des morphèmes que I ate dinner there once et I ate a dinner there
once. Néanmoins, la pause facultative, telle que l'a définie Bloch (Language, 22, 202),
est utile dans l'analyse en CI, car il est plus intéressant de définir initialement les mots
comme des groupes minimaux de pause facultative que comme des formes libres
minimales.
59. Distinct de la joncture, parce qu'il y a des environnements où tous deux
peuvent figurer, par exemple après came dans la phrase When he came IJeft.
99

une parenthèse fermante à la fin, sans parenthèse ouvrante au début,


on aurait là une situation analogue à la délimitation du constituant
par le début et la fin du domaine d'un morphème de hauteur. Dans la
phrase They served me a nice, juicy steak /38ey-sa4irvdmiy-an2âys #
j2ûwsiy-st24éyk/, le domaine du morphème de hauteur 32 est they served
me a nice; mais les deux CI de la phrase sont (1) le morphème de hauteur
de la phrase indicative 24, et (2) tous les autres morphèmes de la phrase.
Ceux-ci, à leur tour, se divisent en deux CI : le constituant « actant »
they, et le constituant « action » served me a nice, juicy steak. Les CI du
constituant « action » sont me et le constituant discontinu served... a nice,
juicy steak, dont les CI sont manifestement served et a nice, juicy steak.
L'analyse de cette dernière suite, telle qu'elle se présente dans cette
phrase, est illustrée par le schéma suivant :
э | nay's |]| 32 ЦП # H jûws ||||| iy |||| 2 ||||| joncture ||| steyk ||[|'
Le constituant auquel est associé le morphème de hauteur n'est pas son
domaine tout entier au sens où nous l'avons défini, mais seulement le
mot nice. Ce même morphème 32 figure une seconde fois dans la même
phrase (sous la variante /2/), il est associé au mot juicy.
84. Par convention, nous plaçons le morphème de hauteur
immédiatement après le dernier morphème de son domaine. Il ne faudrait pas
croire qu'il ne s'agit là que d'un geste symbolique destiné à simplifier
les représentations de CI. Si, tout en écrivant les symboles sur une ligne,
on considérait néanmoins que les morphèmes sont disposés en un ordre
bidimensionnel, il faudrait quand même s'occuper de cet ordre. En
réduisant à une seule dimension l'ordre des morphèmes eux-mêmes
et, par là, l'ordre graphique de leurs symboles, nous éliminons ces
difficultés.
85. C'est la construction qui révèle à combien des morphèmes qui le
précèdent un morphème de hauteur est associé. Dans l'exemple du
paragraphe 83, le morphème de phrase indicative 24 est associé à tout le
reste de la phrase, tandis que le morphème 32 (figurant sous la forme
/32/ et /2/) est associé à un seul mot dans chacune de ses occurrences.
Prenons maintenant une autre phrase. La ligne A représente la
transcription phonologique; la ligne В représente la suite des morphèmes, réduits
conventionnellement à une seule dimension; la ligne С représente
l'analyse en CI de la phrase :
(A) He said so, but I doubt it /h3iys2éd-s3ôw # b3atayd2áwt4it/
(B) hiy -f se + ' + d + joncture + sôw + 323 + # + bat + ay -f
dawt + ' + it 4- 324.
(C) hiy HI se...
dawtlJIIH' milit
НИЦ|| ...d
324.ЩИ ' ЦП joncture |||| sow || 323 | # | bat ||| ay ||||

86. On peut exprimer la même information sur l'analyse en CI de


cette phrase, de manière moins compacte, mais plus explicite, par
l'ensemble suivant de formulations :
— Les CI de la phrase sont : (1) hiy -f- se -f ' -\- à + joncture -f sôw -f-
323; (2) # ; (3) bat + ay + dawt + ' + it + 324.
— Les CI de (1) sont : (4) hiy + se + ' + d + joncture + sôw; (5) 323.
— Les CI de (3) sont : (6) bat + ay + dawt + ' + it; (7) 324.
*— Les CI de (4) sont : (8) hiy; (9) se + ' + d + joncture -f sôw.
— Les CI de (6) sont : (10) bat; (11) ay -f dawt + ' + it.
100

— Les CI de (9) sont : (12) se + ' + d; (13) joncture; (14) sôw.


— Les CI de (11) sont : (15) ay; (16) dawt + ' + it.
— Les CI de (12) sont : (17) se... d; (18) '.
— Les CI de (16) sont : (19) dawt + '; (20) it.
— Les CI de (17) sont : (21) se; (22) d.
— Les CI de (19) sont : (23) dawt; (24) '.
87. Voici donc une analyse en CI exhaustive de la phrase He said so,
but I doubt it. (La liste des constructions dans lesquelles entrent les
morphèmes et les constitués est une autre tâche que nous n'avons pas
entreprise ici). Inutile de dire que cette analyse est provisoire; on remarquera
en particulier qu'elle implique des constituants multiples à deux endroits
différents (dans l'analyse de la phrase entière en (1), (2), (3) et dans
l'analyse du constitué (9) en (12), (13) et (14)), et un constituant
discontinu (dans l'analyse du constitué (12)). Une autre possibilité qui mériterait
d'être étudiée, consisterait à diviser la phrase en deux CI seulement :
(1) la suite initiale se terminant à la pause (pause comprise) et (2) tout
ce qui suit la pause. Si une étude détaillée de la syntaxe anglaise révélait
qu'aucune de ces analyses n'est valable, une troisième possibilité serait
de diviser la phrase en (1) le morphème 324 et (2) tout le reste (comme
l'exemple de 83).
Pour la coordination de la joncture et de la pause avec les suites
qui les suivent et les précèdent, on se reportera à l'analyse en trois CI
de men and women (cf. 54).
88. La question des dimensions appelle une dernière remarque. Dans
la phrase He said so, but I doubt it, les morphèmes de hauteur 323 et
324 constituent une suite suprasegmentale continue. Quand on les fait
entrer dans une suite segmentale unidimensionnelle, on perd cette
continuité : 323-324 devient 323 + ... -f 324. Comme nous l'avons déjà signalé
(84; 63 et n. 52), il ne s'agit pas d'une simple difficulté de notation :
quand on abandonne l'ordre bidimensionnel, on doit abandonner ses
avantages en même temps que ses inconvénients. Il se trouve cependant
que cette transformation de la suite de morphèmes de hauteur en une
suite discontinue n'a pas de résultats fâcheux; en effet, nous n'avons jamais
à considérer cette suite comme un constitué.
Si A et В sont des suites segmentales séparées par une pause et si
S et T sont des morphèmes de hauteur qui ont A et В pour domaines
respectifs, alors l'analyse de la phrase :
s ^ T
A # В
ne présente aucune difficulté. Le critère fondamental de l'indépendance
commande l'analyse AS | # | ВТ (ou peut-être AS # \\ В | T) et exclut
A # В I ST.

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