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2024/1/14 14:59 Mise en perspective de l’article de Jean Duvignaud « L'idéologie, cancer de la conscience »

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SociologieS
Discoveries/rediscoveries
2007
Jean Duvignaud

Mise en perspective de l’article


de Jean Duvignaud « L'idéologie,
cancer de la conscience »
Paru dans les Cahiers internationaux de Sociologie, volume 46,
1969.
Introduction to the Jean Duvignaud’s article entitled “The ideology, cancer of the conscience”

Jean-Pierre Corbeau
https://doi.org/10.4000/sociologies.1363

Abstracts
Français English Español
Introduction à l’article de Jean Duvignaud « L'idéologie, cancer de la conscience », paru en 1969
dans le volume 46 des Cahiers internationaux de sociologie. Sa thématique concerne, depuis
toujours, l'ensemble de la communauté scientifique, au-delà des frontières artificielles ou
obsolètes entre sciences sociales, humaines, politiques, économiques, juridiques, du vivant, etc.
Ses analyses résonnent avec l'actualité, concernent la citoyenneté qui s'interroge sur le
fonctionnement de nos sociétés contemporaines, et enfin sa conclusion propose clairement une
sociologie qui se construit dans la différenciation, la mise à distance critique d'avec une idéologie
dans laquelle « baigne » nécessairement le sociologue. Question centrale il y a quelques décennies
qui mérite d'être réactivée et débattue dans les nouvelles générations de chercheurs.

This article was published in 1969 in the 46th volume of the Cahiers internationaux de sociologie.
Its topic always concerns the entire scientists community, beyond the artificial or obsolete
frontiers between social sciences, human sciences, politics, economics, legal sciences, biology…
Its analyses are in phase with the topical questions, it concerns the citizenship which wonders
about the functioning of our contemporary societies. At last, its conclusion clearly proposes a
sociology based on differentiation, the critical distance from an ideology in which stands
necessarily the sociologist. This question, which is central for a few decades, is worth being
reactivated and discussed in the new generation of researchers.

Reflexión sobre el texto de Jean Duvignaud « L’idéologie, cancer de la conscience »


El artículo de Jean Duvignaud fue publicado en 1969 en el volumen 46 de los Cahiers
internationaux de sociologie. Su temática trata como es habitual en este autor, el conjunto de la
comunidad científica, allende de las fronteras artificiales y obsoletas establecidas entre las
ciencias sociales, humanas, políticas, económicas, jurídicas, etc. Sus análisis son aún actuales y
conciernen una ciudadanía que se plantea la cuestión de como funcionan las sociedades

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contemporáneas y la conclusión propone claramente una sociología basada en la diferenciación y
en la perspectiva crítica con respecto a una ideología en la que el sociólogo se halla
necesariamente inmerso. Es una problemática esencial que merece ser reactualizada y discutida
en las nuevas generaciones de investigadores.

Index terms
Mots-clés : citoyenneté, idéologie, Jean Duvignaud, sociologie critique
Keywords: citizenship, ideology, Jean Duvignaud, critical sociology

Editor’s notes
Pour consulter le texte en ligne de Jean-Duvignaud, cliquez sur :
http://sociologies.revues.org/index1423.html

Full text
1 Presque deux années se sont écoulées depuis que la décision fût prise par le bureau de
notre association de publier dans SociologieS des textes peu connus d'auteurs célèbres
ou d'en exhumer d'autres qui nous paraissent avoir contribué à la construction de notre
réflexion et de notre discipline.
2 Jean Duvignaud était encore en vie. Fidèle à lui-même il m'avait proposé plusieurs
possibilités parmi les articles qu'il avait publiés. Nous hésitions entre deux 1.
Malheureusement, c'est à moi seul qu'est revenue la décision finale. Le texte retenu me
semble présenter une multiplicité d'avantages par rapport au premier, certes plus
représentatif d'une idée que celles et ceux qui ne l'ont pas lu peuvent se faire d'un Jean
Duvignaud débusquant les clairs-obscurs de la vie individuelle et collective, de l'indécis,
des ruptures sociales ; d'un Jean Duvignaud revisitant, à travers son immense culture,
la notion d'anomie, l'appliquant à la compréhension des processus créatifs, à
l'appréhension des imaginaires, depuis une sociologie ancrée dans celle de l'art et du
théâtre. Ce premier texte convenait pour hommage, comme une introduction
didactique, un sas d'entrée dans la complexité de l'œuvre… Ce n'est pas le cadre de cette
rubrique. Alors, le premier article trop illustratif d'une vision simplifiée, sinon
caricaturale, de la démarche de Jean Duvignaud risquait de renforcer cette
représentation. Il risquait de ne pas inciter le lecteur – croyant avoir « tout compris » de
la spécificité et de l'originalité de l'œuvre – à la fréquentation des ouvrages pluriels de
Jean Duvignaud. Mon choix se posait sur « L'idéologie, cancer de la conscience ».
3 N'attendez pas ici un commentaire du texte choisi et donc une analyse forcément
redondante, intrinsèque à cette forme littéraire. Il suffit d'expliquer les multiples
raisons de cette sélection.
4 D'abord la thématique de l'article concerne, depuis toujours, l'ensemble de la
communauté scientifique, au-delà des frontières artificielles ou obsolètes entre sciences
sociales, humaines, politiques, économiques, juridiques, du vivant, etc.
5 Par ailleurs, les analyses de ce texte résonnent avec l'actualité, concernent la
citoyenneté qui s'interroge sur le fonctionnement de nos sociétés contemporaines, que
le « déclaratif » de leurs divers dirigeants théâtralise la filiation idéologique ou qu'il
prône – pour mieux imposer la leur – la fin des idéologies (comme aimait à le répéter
Jean Duvignaud en reprenant Hervé Le Bras, « faire des messes noires, c'est croire à la
messe » !).
6 Ajoutons que la conclusion de l'article propose clairement une sociologie se
construisant dans sa différenciation, sa mise à distance critique d'avec une idéologie
dans laquelle « baigne » nécessairement le sociologue (cette question centrale il y a
quelques décennies mérite d'être réactivée et débattue dans les nouvelles générations de
chercheurs). Cela suppose aussi pour Jean Duvignaud l'obligation de décloisonner nos
productions matérialisées dans des terrains fragmentés en les confrontant à ceux
d'autres terrains. Non pas postuler l'holisme mais se livrer à des « reconstructions
utopiques » grâce à une collaboration scientifique, à une fédération des savoirs
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parcellaires, avec le désir de les situer dans une perspective globale. De ce point de vue,
Jean Duvignaud était exemplaire : alors qu'il pouvait « s'installer » dans le confortable
statut du « spécialiste de la sociologie de l'art et du théâtre », il développait une
sociologie de la connaissance, de l'imaginaire, de la quotidienneté, du rire. Il refusait
même qu'on le considère plus sociologue qu'anthropologue et vice et versa. Sans doute
est-ce aussi pour cela qu'il valorisait toujours l'écriture imbriquant la réflexion
sociologique et la construction romanesque.
7 Mais la raison essentielle du choix de cet article réside dans sa dimension
métaphorique et les jeux qu'il permet de développer (l'utilisation de métaphores et de
jeux s'inscrivent dans la démarche de Duvignaud et dans l'esprit, dans le sous-texte 2 de
l'article)…
8 Jouons d'abord à le remettre dans un double contexte : celui de l'époque de sa
« production » mais aussi celui de la trajectoire du « producteur ».
9 Concernant le premier point nous nous contenterons de rappeler que le texte paraît
juste après les évènements de 1968, à un moment où le débat idéologique traverse
encore les groupes intellectuels, les « chapelles » plus ou moins dogmatiques. C'est
aussi un moment où de nouvelles cohortes « politisées » en amont, développent une
forme d'égotisme et opposent aux contraintes institutionnelles, la revendication d'un
individualisme de plus en plus exacerbé. C'est aussi l'apparition d'une nouvelle
génération de sociologues qui ne tient pas particulièrement à développer les filiations
(pourtant plus que symboliques) avec les « mandarins » disparus.
10 Duvignaud se situe dans l'entre-deux : jouons aux citations qui constituent l'amont et
l'aval de l'article présenté…
11 Départ :

« En 1958, j'évoquais, sans grand espoir d'être entendu, le "massacre des


idéologies" (Pour entrer dans le XXe siècle, Éditions Grasset) en pensant à la
rapidité des changements qui affectaient les sociétés industrielles-capitalistes ou
socialistes et même les pays du "Tiers Monde". J'évoquais l'émergence conjointe,
chez les "intellectuels", de doctrines et de systèmes de croyance également
proliférants et divers… » (Duvignaud, 1979).

12 Vingt ans après et dix ans après le texte présenté :

« On a tué Dieu, le Beau, la Vérité, le Vrai et les Essences, mais on ne donnait en


somme à cette destruction qu'une issue esthétique. Peu à peu, le système des
pouvoirs s'est emparé des principes de la philosophie et de la contestation pour les
détourner vers la politique à son profit : le nietzschéisme, le marxisme,
l'hégélianisme même ont trouvé une vie nouvelle à travers Staline, Hitler et
quelques autres. L'unanimité des adhésions passionnées du nationalisme et
d'autres visions guerrières ont fait basculer pour longtemps la contestation dans
son contraire.
Que reste-t-il alors, quand il ne reste rien ? Rien, sinon le principe même de toute
critique intellectuelle qui échappe aux divers "engagements" que les doctrines
déchaînées tentent de lui imposer, si elle réussit à se placer au niveau de la
réflexion où le pensable n'a pas encore engendré le normatif ni l'ontologique. C'est
là une tâche déjà libératrice que de résister à la prolifération idéologique et c'est
peut-être là, si fragile qu'il soit, le noyau dur sur lequel s'appuie la pensée »
(Duvignaud, 1979, p. 67).

13 Autocritique :

« Permettez une anecdote : au xixe siècle, les gens d'un petit village de Vendée,
entendant beaucoup parler du chemin de fer, ont décidé de construire une gare. Ils
ont mis des rails, une bâtisse à côté, etc. Le train n'est jamais venu. Il me semble
que les intellectuels de ma génération ont construit des gares en pensant que le
train devait venir, et il n'est pas arrivé » 3.

14 Cette interrogation enfin…

« D'où vient le malaise intellectuel qui conduit certains à inventer des notions
fantasmatiques : apocalypse, fin du monde, fin de l'histoire. Comme si l'on

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souhaitait que l'espèce humaine disparût avec nous. Allons ! L'univers ne meurt
pas et nous seuls mourons. L'univers se prolonge sans nous et l'on dirait que les
formes sociales se reproduisent inlassablement en structures imprévisibles dans
l'espace et le temps. […] L'intellectualité se bat avec des termes qui ne
correspondent plus à une réalité qui nous fuit. Ce que les manuels de philosophie
appellent le "nominalisme". Les rapports de l'homme à l'outil ont changé, on parle
encore de travail ou de chômage, les institutions se délitent et l'on évoque la
politique pour des pays devenus ingouvernables, le sacré est en miettes… Une
rhétorique enivrante et inerte, entretenue par le génie des technologies
électroniques, nous enveloppe d'une nébuleuse de certitudes consolantes.
Certains s'enferment dans des apories, des impasses, des "nœuds", ces situations
inextricables où l'on échange moins des idées que des "idées d'idées", allusions à
ce qui devrait être et qui n'est plus. Incantations, redondances, pastiches, cercles
vicieux passionnels ou stériles. Il y a quelque chose de comique dans ce triple jeu
dont seul peut-être la création imaginaire nous délivre. Le grand rire de l'attente.
[…]
À ceux qui naissent ou qui vont naître il revient d'apporter au Sphinx des
réponses, d'affronter joyeusement "l'innocence du devenir" » (Duvignaud, 1998,
pp. 195-198).

15 Ces fragments de textes qui éclairent l'article « L'idéologie, cancer de la conscience »,


permettent aussi d'utiliser celui-ci comme une métaphore de la quête de Duvignaud 4.
Comme Roger Bastide, il est fasciné par la transe, cet état a-structurel qui permet le jeu
des possibles, l'invention, l'expérimentation éphémère. Bref, le contraire de l'institué,
de l'idéologie qui n'est pour lui qu'une possession, la cristallisation d'une passion qui se
désenchante, une structure dont nous serions les victimes plus ou moins consentantes.
Ainsi, le procès de l'idéologie et l'obligation intellectuelle d'un jugement critique
correspondent à l'émergence d'une métonymie (Corbeau, 2000) –
transe/anomie/passion, désir, rêve/jeu, créativité, dérision – dans laquelle la rupture,
la béance, le rien, le possible, l'effervescence créatrice deviennent les matrices du
« peut(-)être » ou d'un « être pouvant » qui concerne l'intellectuel, le savant, l'artiste
comme tous les autres citoyens.

Bibliography
Corbeau J-P. (2000), « Le favori de la Transe, les transes du favori », dans Duvignaud J., « La
scène, le monde, sans relâche », Internationale de l'Imaginaire, Nouvelle Série, n°12, Paris,
Babel-Maison du Monde, Éditions Actes du Sud, pp.153-160.
Duvignaud J. (1979), « Y a-t-il un noyau dur sur lequel prenne appui la pensée ? », dans Sociologie
de la connaissance, études réunies par Jean Duvignaud, Paris, Éditions Payot
Duvignaud J. (1966), Introduction à la sociologie, Paris, Collection Idées, Éditions Gallimard
Duvignaud J. (1998), Le Pandémonium du présent. Idées sages, idées folles, Collection Terre
Humaine/Courant de pensée, Paris, Éditions Plon
Duvignaud J. (2005), Le Sous-texte, Arles, Éditions Actes Sud
Duvignaud J. (2007), Le Don du rien, Paris, Éditions Tétraèdre

Notes
1 . Celui-ci, paru dans les Cahiers internationaux de Sociologie en 1969 (volume 46) aux Presses
Universitaires de France et un autre, antérieur, publié dans la même revue, qui reprenait la
notion de drame chez Georges Politzer en la mettant dans une perspective plus sociologique qui
annonçait le développement futur par Jean Duvignaud de nouvelles thématiques imbriquant
l'acteur et le collectif, utilisant le théâtre comme une métaphore de la société. Ce texte avait été
pour partie repris par Jean dans son Introduction à la sociologie (Duvignaud, 1966, pp. 75-89).
2 .Voir Duvignaud, 2005.
3 . « Débat avec Roger-Pol Droit : un entretien avec Jean Duvignaud », Le Monde, Mardi 18
Janvier 1994.
4 . On peut consulter à ce sujet la préface d'Alain Caillé (même si son analyse, au nom de la
limpidité, nous semble très réductrice de l'effervescence et de la subtilité qui traversent l'œuvre)

https://journals.openedition.org/sociologies/1363 4/5
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et l'avant propos de David Le Breton à la ré-édition de Duvignaud (2007).

References
Electronic reference
Jean-Pierre Corbeau, “Mise en perspective de l’article de Jean Duvignaud « L'idéologie, cancer
de la conscience »”, SociologieS [Online], Discoveries/rediscoveries, Online since 11 December
2007, connection on 14 January 2024. URL: http://journals.openedition.org/sociologies/1363;
DOI: https://doi.org/10.4000/sociologies.1363

About the author


Jean-Pierre Corbeau
Université de Tours – corbeau@univ-tours.fr

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