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Alison LOVINFOSSE

Compte rendu du colloque « Écritures


confinées : créer, afficher, diffuser »

28 et 29 juin 2021, Université Paris-Est Créteil, Paris


La crise sanitaire du Covid-19 a ébranlé notre société et nos manières de percevoir
l’enfermement. Une réflexion inédite a émané de cette expérience de confinement conduisant
à l’élaboration du séminaire de recherche « Les écritures confinées » et d’un colloque intitulé
« Écritures confinées » en juin 2021 organisé par les laboratoires CEDITEC et LIS de
l’Université Paris-Est Créteil. Sylvie Ducas, Rossana De Angelis et Agathe Cormier se sont
interrogées sur les effets que le confinement, que l’enfermement, imposé ont eu sur l’écriture
et sur la littérature, à travers la multiplicité de matériaux, de formes et de moyens de diffusion
disponibles à chacun·e·s. Les écrits ont muté, ils se sont adaptés à la situation sanitaire,
mettant en exergue le rôle essentiel du support. En raison de la crise sanitaire, le séminaire de
recherche ainsi que le colloque se sont déroulés en ligne avec des chercheur·e·s, des
étudiant·e·s, des écrivain·e·s professionnel·le·s et amateur·e·s et divers acteur·ice·s du métier
du livre internationaux. Cette réflexion se conclue par la publication d’un ouvrage Les
Écritures confinées corédigé par Sylvie Ducas, Rossana De Angelis et Agathe Cormier,
respectivement enseignante et chercheuse à l’Université Paris-Est Créteil. Afin de préparer au
mieux ce colloque, trois ateliers ont été organiser, axer en thème orbitant autour des écrits
confinés : les différents genres et moyens de diffusion, analyse du support et de l’espace
graphique et la médiamorphose du genre journal.

Journée du 28 juin 2021 :

La première journée du colloque « Écriture confinées » s’est divisée en deux sessions,


la première étant intitulé « Littératures, philosophie et enfermement ». Sylvie Ducas l’a
introduit en parlant de l’écriture dans le cadre carcéral à travers de multiples exemples entre
fiction et témoignage, notamment du Bruit des trousseaux de Philippe Claudel et de
Fragmentation d’un lieu commun de Jeanne Sautière. Ces deux œuvres traitent de
l’enfermement et de l’assignation à résidence, des thèmes qui font écho avec le premier
confinement provoqué par la crise sanitaire du Covid-19. Valentine Cuny-Le Callet est
intervenue durant cette première session afin de présenter Le monde dans 5m2, livre traitant
de la prison et publié lors du premier confinement. Il s’agit du témoignage de Renaldo, un
prisonnier américain, sur le système carcéral. Le livre est composé de l’échange épistolaire
entre Valentine Cuny-Le Callet et ce prisonnier. Les textes étant toujours en mutation, une
adaptation de ce témoignage est prévue en bande dessinée. Aussi noire que soit ma nuit, je
reviendrai vers toi de Jean-Pierre Marongiu témoigne également de l’enfermement carcéral
par l’utilisation du genre autobiographique. L’espace de la prison se fond en un espace de
l’intime où personnage et auteur sont dissociés. L’intimité n’existe plus face aux barreaux.
Jean-Pierre Marongiu écrit l’enfer de la prison et l’injustice qu’il a subie. Sophie Carcquain,
autrice de Nous étions résistantes et Le roman de Molly N. est également intervenue durant
cette session du colloque afin de raconter cette perte d’intimité et même la déshumanisation
résultant de la déportation au sein des camps de concentration. A travers ces diverses
interventions, il semble que la mutation des genres littéraires des œuvres traitant de
l’enfermement se joue en partie dans la friction entre réalité et fiction.
Afin d’ouvrir le colloque sur différents support, Jean-Christophe Boudet, cofondateur
de la revue du9, est intervenu afin d’apporter des éléments sur les relations entre bande
dessinée et confinement. Si la bande dessinée a longtemps été un phénomène de presse à
caractère périodique, à partir des années 1980 elle devient un élément important de librairie. Il
y a une véritable évolution de la perception du genre dans notre société. Les aventures du
Tintin créée par Hergé est un exemple donné pendant le colloque afin d’éclairer le lien entre
enfermement, périodicité et bande dessinée. En effet, une planche était publiée par semaine et
laissant ainsi le·a lecteur·ice en attente de la fin. L’histoire se retrouvait constamment en
suspens. La création de planche dans ce contexte de publication oblige les auteur·ice·s à
s’isoler quotidiennement. Afin d’étayer son propos, Jean-Christophe Boudet utilise un second
exemple en la personne de Chris Ware, qui s’auto confinait afin de créer ses bandes dessinées.
Ses récits sont gorgés de solitude, que cela soit par le caractère des personnages, la situation,
les lieux… Néanmoins, la solitude d’un·e auteur·ice de bande dessinée est bien différente de
celle d’un·e auteur·ice de roman par exemple. En effet, la création nécessite l’intervention de
différents collaborateurs dans un studio commun. Il n’est pas véritablement question
d’enfermement ou de confinement pour Astérix par exemple, où le scénariste René Goscinny
était toujours accompagné par son dessinateur Albert Uderzo. La situation des auteur·ice·s de
bande dessiné fluctuent ainsi de manière très importante lors de la création de leurs planches.
Le confinement est venu dans une certaine mesure éclater cet esprit de studio avec de
nombreux journaux intimes sous forme de bande dessiné. Il est évident que les journaux en
bande dessinée existaient bien avant la crise sanitaire, comme en témoigne les œuvres de
Tezuka, cependant les journaux intimes ont eu une place particulière dans le passage à
l’écriture durant le confinement.
En effet, Rossana De Angelis poursuit le colloque en présentant Diaro Dello Strano
tempo presente, le journal de confinement du philosophe Felice Cimetti, publié
hebdomadairement dans la revue philosophique Fata Morgana durant l’ensemble du
confinement italien. La publication du journal intime dans la sphère publique interroge la
question de l’intimité néanmoins nécessaire au genre. Felice Cimetti accompagne chaque
texte d’un titre et d’une image, il écrit à propos de son expérience quotidienne en se
questionnant sur divers points comme les relations entre les animaux et la vie humaine par
exemple. Ses textes mettent en exergue le rôle de l’écriture dans sa vie, mais également dans
la vie d’un philosophe confiné. Cet universalisme qui s’engage questionne également la place
de l’intime dans un tel journal. Le « je » est questionné, tiraillé de la même manière que la
temporalité semble s’étendre et se flouter. Ce questionnement autour du « je » vis-à-vis de
l’autre, des autres et même de l’ensemble du monde se retrouve également dans Où suis-je,
Leçons de confinement à l’usage des terrestres de Bruno Latour publié en mars 2021. Ce
texte philosophique théorise la bascule entre l’avant et le après confinement, passant d’un
« je » à un « nous », « terrestres » ayant vécu collectivement cette expérience d’enfermement
et les conséquences sur l’économie et l’écologie de notre société. Rossana De Angelis a
également abordé l’essai de Zlavoir Zizek Pandemic ! publié en juillet 2020. L’œuvre traite
des problématiques mise en exergue par la pandémie, notamment la distanciation imposée aux
individus et la manière dont la Covid-19 a impacté un certain nombre de métiers, mais
également la surveillance et l’atmosphère complotiste régnant. Il s’agit d’un ensemble de
textes écrits et publiés durant le confinement, qu’ils soient privés ou publics. Certains
philosophes comme Giorgio Agamben ont choisi une forme hybride pour écrire, comme un
mélange entre chronique et livre par exemple. L’auteur réfléchit à l’impact de l’État
d’exception comme outil de gouvernance et il développe par exemple la suspension de la
moindre relations sociales devenu rapidement une normalité pour les confinés. Cette idée de
l’extraordinaire, de l’éphémère devenant une normalité est une réflexion qui revient chez la
plupart des philosophes ayant écrit durant ou sur le confinement. L’exception devenant la
normalité et non plus une marge nécessaire pendant la crise sanitaire. Les écritures confinées
des philosophes incarnent un « je » et un « nous ». C’est dans cet intermédiaire, frontière
floue entre ces deux positionnements, que l’écriture philosophique naît. Il y a un basculement
constant entre le moi et le nous, que cela soit par un rapprochement ou par des oppositions.
Ainsi, il semble évident que le confinement a conduit à une interrogation générale sur le soi
d’individus, comme le démontre l’utilisation de journaux intimes ou extimes, mais également
sur un nous collectif par des recueils de textes collectifs conduisant à des formes hybrides de
littérature.

La seconde session de la journée du 28 juin 2021 a réuni divers acteur·ice·s des


métiers du livres, qu’iels soient éditeur·ice·s, auteur·ice·s ou médiathécaires. Ensemble, iels
ont partagé leurs expériences sur les enjeux de la diffusion du livre durant le contexte du
confinement et ses conséquences. Elle s’intitule « Publier et diffuser en confinement ». Les
auteur·ice·s Sophie Carquain et Jean-Pierre Mongiu ont parlé de la sortie de leurs livres
respectifs avant et après le premier confinement. Le livre de Sophie Carquain par exemple,
ayant été publié avant le premier confinement, n’a pas eu la visibilité escomptée au vu de
l’ampleur médiatique et l’angoisse générale provoquée par la pandémie. De plus les librairies
étant fermées pendant la période, aucune promotion habituelle n’a pu être réalisée. Pierre
Banos, qui travaille au sein de maisons d’éditions théâtrales, a raconté les difficultés
occasionnées par la Covid-19 dans la gestion des publications. Les reports étaient multiples
amenant ainsi à des problématiques financières. William Jouve est également intervenu en sa
qualité de directeur de médiathèque. Le lien entre les adhérant et la médiathèque ont été rendu
difficiles par la situation et les fermetures exigées par la situation sanitaire. La demande de
biens cultuels ne semble pas avoir chuter, mais satisfaire cette soif de culture était complexe
le bâtiment étant fermé au public. Ainsi, il était nécessaire que les moyens traditionnels soient
revus afin de basculer vers un fonctionnement plus numérique. Les librairies ont rapidement
mis en place des click and collect, les livres numériques ont été grandement utilisés. La valeur
du livre a également été troubler. En effet, une œuvre n’obtenait pas de valeur pour sa qualité
et son fonds, mais par sa visibilité sur les réseaux sociaux. Un·e auteur·ice possédant une
importante communauté obtenait de meilleures chances d’atteindre un lectorat que le reste des
auteur·ice·s.

Journée du 29 juin 2021 :

La deuxième journée du colloque « Écritures confinées » s’est intéressée à d’autres


types de support d’écriture en période de confinement : les écrits urbains. Eve Vayssière est
intervenue pour présenter ses recherches à ce propos. Elle a démontré mis en évidence la
pluralité des supports présents dans les villes mais également les mutations nées du contexte
pandémique sur les écrits courts dans cet espace particulier. Ces écrits sont marqués par les
émotions directes, la violence ou l’humour qu’ils dégagent, par l’utilisation par exemple de
ponctuation forte. Les textes présentés étaient notamment des messages et affiches de
commerçants réagissant à la fermeture de leurs commerces à cause de la Covid-19.
Contrairement au texte philosophique, les écrits urbains voient s’effacer la présence du « je »,
il n’y a pas d’ancrage spatio-temporel. Une valeur injonctive est ajoutée par l’utilisation de
pictogramme. La première session de cette deuxième journée de colloque s’est poursuivie par
la présentation de Sarah Gensburger et Marta Severo autour des « Vitrines en confinement ».
Cette intervention présentait toujours les écrits en milieu urbain mais en s’intéressant plus
particulièrement à leur portée sociologique. Les deux chercheuses ont étudié l’expression du
public au sein de l’espace urbain, qu’elle soit écrite ou symbolique afin d’en extraire un
patrimoine de la mémoire immédiate de la crise sanitaire. Dans ce projet, le confinement et le
politique sont des axes et des marqueurs dans leur recherche. Ainsi, les rapports entre l’espace
public et l’espace privé est au centre de leur questionnement et il en découle un
questionnement quant au rôle de cette espace public dans une société devenue de plus en plus
numérique. Afin de récolter des ressources de textes urbains, Sarah Gensburger et Marta
Severo ont écumé les réseaux sociaux durant la pandémie, comme si ces réseaux avaient
remplacé les trottoirs des villes. L’espace numérique a été un point d’ancrage relationnel très
important durant le confinement, il a permis de maintenir du lien entre les individus. Agathe
Cormier a conclu cette première session avec l’étude « Se comporter en confiné : supports de
communications institutionnelles » composé de 45 éléments de l’espace urbain. Agathe
Cormier a par exemple présenté des affiches montrant que le « nous » inclusif dominait ces
écrits et ainsi la valeur illocutoire et l’effet perlocutoire des énoncés.

La dernière session du colloque « Écritures confinées » abordait la question des écrits


d’amateur·ice·s confiné·e·s, notamment les écrits produits par des étudiant·e·s. Nessirine
Ojeil, enseignante universitaire au Liban, a présenté les travaux d’écritures de ses étudiant·e·s
durant le confinement mais également de la guerre. Elle était intervenue durant une séance du
séminaire. Les ateliers d’écritures ayant été suspendu dû au contexte libanais, l’enseignante
avait recouru à des moyens numériques afin de poursuivre ses échanges avec ses étudiant·e·s.
Les écrits envoyés par whatsapp ont dû s’adapter aux contraintes générées par le passage
d’échanges direct à des échanges numériques uniquement. Néanmoins, ce passage parfois
difficile semble avoir encouragé les auteur·ice·s amateur·ice·s à livrer plus intensément leur
émotion mais aussi à partager leur quête identitaire. L’écriture s’est révélée être une libération
pour les étudiant·e·s. Sylvie Ducas a également mis en place durant le séminaire « Les
écritures confinés » la possibilité pour ses étudiant·e·s de partager leur expérience du
confinement à travers un journal. Les consignes étaient simples : une liberté totale sur la
forme et le fonds tant que les textes se raccrochaient à des éléments abordés durant les
séances. De telles consignes ont conduit les auteur·ice·s amateur·ice·s a exploré des formes et
des thèmes très divers. Les journaux de confinements sont particulièrement riches, passant du
collage, aux extraits audios, à la poésie, aux dessins… Si la liberté semble être aux premiers
abords un élargissement des possibles et donc un fourmillement de créativité, elle semble être
devenue une contrainte pour certains étudiant·e·s qui s’interrogent sur leur légitimité face à
l’écriture. De plus, le passage du journal intime à un journal extime par la lecture peut rendre
l’écriture complexe. Néanmoins, les auteur·ice·s amateur·ice·s ont partagé leurs sentiments,
leurs réflexions à propos du confinement, leur quête identitaire et problèmes personnels dans
une hybridité des supports. La frontière entre la réalité et la fiction s’est montré
particulièrement floue dans certains textes. Rossana De Angelis a également partagé son
expérience des ateliers d’écriture de confinement. En effet, l’enseignante en a organisé dans le
cadre du parcours de médiation culturelle. La thématique d’écriture était les espaces intérieurs
de confinement, « Récits Intérieurs ». Elle constate que durant cette expérience
d’enfermement obligatoire le « chez soi » devient une métaphore de l’auteur·ice·s, et par
extension la relation entretenue avec son espace et l’interprétation qui est en fait. La présence
d’un autre devient prégnante et pressante, un besoin s’échapper de l’enfermement par des
rêveries. Cette envie d’échappatoire se matérialise dans les textes par des ouvertures
physiques comme des fenêtres ou des portes. La fenêtre par sa polysémie renvoie à la fois à
l’objet matériel présent dans une habitation mais également à la fenêtre d’un navigateur
numérique. L’espace et le lieu en confinement, thème central de ces ateliers d’écriture, permet
de catalyser les émotions exprimées et ressenties par les étudiant·e·s.

Le colloque « Écriture confinées » se conclu par l’observation d’une prise de


conscience au sein de ces textes amateurs du rôle de l’écriture durant le confinement. Ce rôle
est également constaté par l’évolution de l’objet livre lui-même et les interactions que les
confiné·e·s ont eu avec l’écriture et la lecture, dans sa manière aussi d’être produit et diffuser.
Dans un contexte sanitaire aussi intense et angoissant, dans un cadre de vie restreint et
anxiogène, l’écriture s’est adaptée et s’est médiamorphosée, se déclinant sous diverses
formes.

Bibliographique

Sylvie Ducas, Rossana de Angelis, Agathe Cormier (dir), Les Écritures confinées, Paris,
éditions Hermann, 2022 (à paraître au printemps)

Michel Foucault, Surveiller et punir, Paris, Gallimard, 1975, rééd. Collection Tel, 1993
Marc-Olivier Padis, « Une littérature de l’enfermement », revue Esprit, n° 206, novembre
1994

Alexandra Saemmer, Rhétorique du texte numérique, Villeurbanne, Presses de l’enssib, 2015

Emmanuël Souchier, Étienne Candel, Gustavo Gomez-Méja, Le Numérique comme écriture.


Théories et méthodes d’analyse, Paris, Armand Colin, 2019

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