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SV4237 méthodologie pour l’étude des livres prophétiques

Séance 3 : Isaïe 1,2-20

Étudier le langage métaphorique de Is 1,5-6 pour répondre à la demande suivante : quel est à
ton avis le but de l’utilisation du langage métaphorique de la plaie/blessure/coup pour la
description du châtiment en Isaïe 1,5-6 ? (texte de la péricope et traduction en annexe)

Introduction :
Dans cette première péricope du chapitre 1 du livre d’Isaïe (v.2 à 20), la métaphore de
l’homme blessé (Is 1,5-6) interrompt la dénonciation des méfaits moraux d’Israël (v.2 à 9),
avant l’exhortation morale à partir du verset 10. Quelle est sa fonction à cet emplacement
dans le texte ? Après avoir décrit les caractéristiques de cette métaphore (1), nous verrons
deux interprétations possibles, mais incomplètes, de cette métaphore comme punition (2) : un
châtiment corporel d’un père qui éduque son fils (2a), ou la perte des bienfaits d’une alliance
politique (2b). Toutefois, l’intensité des traits de cette métaphore semble plutôt renvoyer à la
prise de conscience de la nécessité d’une conversion d’Israël (3), préparant la fin de la
péricope.

1. Israël est un homme blessé à mort


a. Le destinataire : le peuple du Royaume de Juda appelé « Israël »
Le verset 5 commence par une question rhétorique, qui s’adresse directement au lecteur 1. Bien
que non explicite aux versets 5 et 6, ce destinataire serait le peuple du Royaume de Juda 2,
dans la continuité du verset 1. Il est néanmoins nommé « Israël » au verset 3, mais compris au
sens d’élu du Seigneur Dieu, plus que comme le Royaume d’Israël, et nous supposerons dans
la suite que le destinataire est bien le peuple Royaume Juda.
b. une métaphore intensifiée : Israël est un homme moribond blessé partout
Au verset 5, la métaphore commence avec le verbe ‫נכה(ֻת ּ֛כ ּו‬, frapper) et se poursuit avec une
description des organes atteints, essentiels pour un cors (la tête, le cœur v.5cd). Ils sont
qualifiés de malade (‫ )ֳחִלי‬ou bien défaillant (‫)ַּד ָּֽוי‬, et peuvent qualifier soit un mal moral soit
une blessure au combat3. L’ambivalence poétique entre les deux possibilités est probablement
à conserver, comme transition entre les versets 5 (mal moral) et 7 (combat). La métaphore se
poursuit avec les versets 6a et 6b qui contiennent un mérisme (des pieds (‫ )ַּכף־ֶ֤ר ֶגל‬à la tête (
‫ )ֹראׁש‬et qui renvoie à un corps humain entièrement blessé. De même les deux organes (tête
v.5c et cœur v.5d) qui sont mentionnés au verset précédent sont au singulier et sont
accompagnés du collectif « tout » (‫)ָּכל־ֹ֣ר אׁש… ָכל־ֵלָ֖ב ב‬. Cette image d’un corps blessé permet de
donner une unité organique et vivante, en attente urgente de soins.

1
V.5 : les verbes ‫ ֻת ּ֛כ ּו … ֹּתוִ֣ס יפּו‬sont au yiqtol 2e personne du pluriel (discours). Alors que les V.4 e ‫ ָנֹ֥זרּו‬...‫ ִֽנֲא ֛צ ּו‬...‫ָעְז֣ב ּו‬
‫ ׃‬sont au qatal 3e personne du pluriel (récit). En anticipant sur la 3 e partie, cette adresse directe aux destinataires
participe à la prise de conscience plus vive du besoin grave de se convertir par les destinataires.
2
Il est présenté comme « nation » et « peuple » (v.4), puis comme « pays », « villes » et « terre » (v.7)
3
. J. N. OSWALT, The Book of Isaiah : chapters 1-39 (Grand Rapids MI 1986), 89. Oswalt parle au sujet de ces
termes simplement comme un écart avec un état de santé naturel et normal. Toutefois, le contexte d’invasion
étrangère du verset 7 renvoie aux blessures d’un combat.
La suite de la métaphore semble préciser la raison de cet état, « des coups, des blessures et des
meurtrissures » (v.6c), qui seraient infligés par des armes d’un combat 4. La suite (v.6def)
confirme que ces blessures sont béantes et ne font pas l’objet de soin.
Enfin, remarquons plusieurs caractéristiques dans la construction de cette métaphore de
l’homme blessé : cette métaphore (rythme ternaire suivant un parallélisme et une gradation,
entre les 3 noms au v. 6c, et les 3 verbes aux v. 6 def) qui participent à son intensification.
La métaphore nous présente donc Israël comme un unique corps, entièrement touché, par des
coups occasionnés par un combat, et laissé sans soin.

Notre métaphore assure une transition entre les versets 4 (Israël a abandonné le Seigneur) et le
verset 7 (Le pays a été dévasté par l’ennemi). On pourrait être tenté d’interpréter notre
métaphore comme un lien de cause à effet entre ces deux versets, à la manière d’un châtiment,
dû à la désobéissance à l’alliance avec le Seigneur.

2. Israël subit les conséquences de la rupture de l’alliance


La proximité du passage avec le chapitre 32 du Deutéronome est souligné par plusieurs
commentateurs5, où le Seigneur fait des avertissements à Israël, pour ne pas avoir suivi
l’alliance, même si ce mot (‫ )ברית‬n’apparait pas ni en Is 1 ni en Dt 32. Ce rapprochement
permet de suggérer deux interprétations possibles de cette métaphore comme un châtiment.
a. Israël est un fils rebelle, châtié par son père, en guise d’avertissement
Notre métaphore de l’homme blessé intervient dans un contexte familial, image classique
pour l’alliance, avec la dénonciation de la désobéissance d’un fils à son Père (verbe ‫ גדל‬au
verset 2, adresse à des « fils » ‫ָּבִ֖נים‬, v.4)6. Le manque de sagesse (Israël ne « sait » pas (‫)ֹ֣ל א ָיַ֔ד ע‬
v.3c) et l’invitation à écouter ou obéir (v.10 : écoutez… « prêtez l’oreille à l’instruction »)
renvoient à un contexte d’éducation. Or, l’éducation en Israël incluait certainement des
châtiments corporels, comme l’indique certains proverbes (par exemple Pr 13,24), ce qui fait
le lien avec le verbe frapper ‫ נכה‬au verset 5 de la métaphore, qui signifierait un châtiment
corporel en guise d’avertissement. Ainsi, on pourrait interpréter cet avertissement dans le
cadre du cas d’un fils rebelle (Dt 21,18-21) pour lequel la discipline préalable (‫ יסר‬Dt 21,18)
de ses parents est insuffisante. Toutefois, cette interprétation ne reposerait que sur trop peu de
vocabulaire commun (uniquement ‫ ָסָר ה‬Is 1.5b et Dt 21,18 ‫)ֵּ֚ב ן ֹסוֵ֣ר ר‬. Par ailleurs, on ne sait pas
qui frappe (le verbe ‫ ֻת ּ֛כ ּו‬v. 5a est au pual). Relevons simplement que dans cette interprétation
d’un châtiment pour un fils rebelle, la fin n’est pas si éloignée de notre péricope. (Conversion
aux v.17-18, et « retrancher le mal de la communauté » en Dt 21,21). 7

b. Israël est un peuple rebelle, abandonné par YHWH, son souverain bienfaiteur
et protecteur

4
“the words occurring in v.6 describe injuries received in battle”. Cf. OSWALT, Isaiah, 89. Personnellement, je
n’arrive pas à mettre en évidence ce lien, avec les dictionnaires habituels (DCL, HALOT) ou une recherche avec
une concordance, mais un argument intratextuel, avec les 3 remèdes (v.6 def) semblent confirmer ce lien.
5
Citons deux commentateurs : J. BLENKINSOPP, Isaiah 1-39. A new translation with introduction and
commentary (The Anchor Bible 19; 2000), 83 ; et J. J. M. ROBERTS, First Isaiah. A commentary (Hermeneia;
Minneapolis MN 2015), 89. Le premier, Blenkinsopp, cite cinq points de contacts entre Dt 32 et le chapitre 1
d’Isaïe, relevés déjà par Ibn Ezra et Calvin, mais qu’il juge également peu caractéristiques du Deutéronome.
6
“The description of Israel’s response in political rather than familial terms, i.e., as rebellion (pšʿ), is a prophetic
commonplace”.
7
P. JOÜON – T. MURAHOKA, A grammar of biblical Hebrew (Subsidia Biblica 27; Roma jouon).
L’alliance religieuse avec le Seigneur peut être vu comme une alliance politique. Notre
métaphore prolonge dans les destructions contactées au v. 7, certaines de ses caractéristiques
vues précédemment : le rythme ternaire (pays, villes, terre), la gradation entre les trois termes
de cette accumulation et l’affectation de l’ensemble du corps ou du pays. On remarque aussi
le ton ironique commun (question rhétorique au v.5 et l’isolement ridicule de Jérusalem, telle
une cabane fragile au milieu d’un champ, au v. 8). On pourrait donc interpréter la révolte
préalable (‫ ָּ֥פְׁשעּו‬v.2d, ‫ ָסָר ה‬v.5b) comme celle d’un peuple qui dévoie une alliance politique par
sa désobéissance à YHWH8 et qui en subit les conséquences, par la perte des bienfaits et de la
protection assurés par le souverain9. Toutefois, là encore, cette seule interprétation, classique
pour l’alliance, n’explique pas l’intensité de la métaphore de l’homme blessé, ni l’appel à la
conversion de la suite de la péricope.

3. Israël est une victime en attente de soins par un médecin


Comme on l’a vu à la fin de la première partie, la métaphore de l’homme blessé insiste, par
trois fois, sur son abandon à ses blessures et qu’il a urgemment besoin de soins. Comme un
commentateur10 l’a indiqué, la maladie est le signe d’une mauvaise alliance, qui ne procure
pas le soin attendu. La citation par ce même commentateur d’un passage d’Osée 11 est
éclairante sur ce point : Israël, responsable des méfaits, doit se reconnaitre malade (v.5) et
surtout blessé. Remarquons que la qualité de médecin du Seigneur est aussi présente sous la
métaphore du verset 18, où le Seigneur semble effacer des taches rouge sang, comme un
médecin12.
Ainsi, la métaphore de l’homme malade ne vient pas seulement illustrer les maux dont souffre
Israël, mais son intensité vient plutôt révéler la faiblesse et la gravité de son état pour que
celui-ci revienne au Seigneur. C’est ainsi qu’elle prépare le choix entre les deux voies
présentées à Israël (v. 19-20).

Conclusion :

La métaphore de l’homme blessé aux versets 5 et 6 de notre péricope renvoie probablement,


mais aussi seulement partiellement, aux images classiques des châtiments associés à la rupture
de l’Alliance : les châtiments d’un père pour son fils rebelle, ou le retrait de la protection
politique d’un souverain bienfaiteur. L’intensité caractéristique de cette métaphore semble
plutôt faire appel à la conscience du destinataire, Israël, pour qu’il se reconnaisse comme

8
Cf. OSWALT, Isaiah, 89. : “One of the recurring themes of Deut. 27–30 is the destructive results of forsaking
God. To live in covenant with him is to experience blessing, but to break the covenant is to experience curse.”
9
Dans le Proche Orient ancien, à l’âge de bronze moyen, à l’image de la suprématie du Pharaon d’Égypte sur le
territoire de Canaan, les alliances d’un vassal à un souverain étranger permettaient de bénéficier de la protection
militaire de ce souverain, ainsi que de nourriture, comme en témoigne les lettres d’Armana des souverains des
cités vassales en Canaan, implorant Pharaon de son soutien alimentaire en cas de famine ou bien de sa protection
militaire contre les incursions rebelles.
10
Cf. OSWALT, Isaiah, 89. “if there are wounds, open sores, and sickness, we know that something is wrong (cf.
Hos. 5:13 for a similar use of sickness in a theological sense). If this is the case, measures need to be taken to
combat an unnatural situation.”
11
Osée 5,13 : « Ephraïm a vu sa maladie (‫)ָחְלֹ֗י ו‬, et Juda son ulcère; Ephraïm est allé vers Assour et a envoyé des
messagers au grand roi, mais lui, il ne peut pas vous guérir ni vous débarrasser de votre ulcère. » (traduction de
la TOB). Le dernier mot ‫( ָמֹֽזור‬ulcère) est à rapprocher de ‫( ֹלא־ֹ֨ז רּ֙ו‬ils n’ont pas été pressés, v.6d).
12
Un autre passage fait référence à ce Dieu guérisseur, mais sans vocabulaire commun avec notre passage : Dt
32,39 : c’est moi qui fais mourir et qui fais vivre, quand j’ai brisé, c’est moi qui guéris » (traduction de la TOB)
ayant urgemment besoin de soins et qu’il se convertisse sans tarder, en revenant sur ses
comportements immoraux précédemment dénoncés.
ANNEXE - Texte Is 1,2-20 : texte et traduction de la TOB (sauf pour les versets 5 et 6)

2 3 4
Ecoutez, cieux! Terre, prête Un bœuf connaît son Malheur! Nation pécheresse,
l’oreille! propriétaire peuple chargé de crimes,
C’est le SEIGNEUR qui parle: et un âne la mangeoire chez son race de malfaisants,
J’ai fait grandir des fils, je les maître: fils corrompus.
ai élevés, Israël ne connaît pas, Ils ont abandonné le
eux, ils se sont révoltés contre mon peuple ne comprend pas. SEIGNEUR,
moi. ils ont méprisé le Saint
d’Israël,
ils se sont dérobés.

Texte massorétique (BHS) Traduction personnelle, inspirée de la TOB


5a ‫ ַ֣ע ל ֶ֥מה ֻת ּ֛כ ּו ֹ֖ע וד‬5 Où peut-on vous frapper encore ?

5b ‫ֹּתוִ֣ס יפּו ָסָ֑ר ה‬ Pourquoi continuez-vous à vous rebeller ?

5c ‫ָּכל־ֹ֣ר אׁש ָלֳחִ֔ל י‬ La tête entière est malade

5d ‫ְוָכל־ֵלָ֖ב ב ַּד ָּֽוי׃‬ Le cœur entier est défaillant

6a ‫ ִמַּכף־ֶ֤ר ֶגל ְוַעד־ֹראׁ֙ש‬6 Des pieds à la tête,

6b ‫ֵֽאין־ֹּ֣ב ו ְמֹ֔ת ם‬ Il n’y a rien d’intact :

6c ‫ֶּ֥פַצע ְוַחּבּוָ֖ר ה ּוַמָּ֣כה ְטִר ָּ֑יה‬ Blessure, meurtrissure et plaie ouverte ;

6d ‫ֹלא־ֹ֨ז רּ֙ו‬ non pressées,

6e ‫ְוֹ֣ל א ֻחָּ֔ב ׁשּו‬ non pansées,

6f ‫ְוֹ֥ל א ֻר ְּכָ֖כה ַּבָּֽׁשֶמן׃‬ non soulagée avec de l’huile.

7
Votre pays est désolé, vos villes sacrifices, dit le SEIGNEUR? je suis las de les supporter.
15
brûlées, Les holocaustes de béliers, la Quand vous étendez les mains,
votre terre, devant vous, des graisse des veaux, je me voile les yeux,
étrangers la dévorent: j’en suis rassasié. vous avez beau multiplier les
elle est désolée et comme Le sang des taureaux, des prières, je n’écoute pas:
bouleversée par l’envahisseur. agneaux et des boucs, vos mains sont pleines de sang.
8
La fille de Sion va rester comme je n’en veux plus.
12
une cabane dans une vigne, Quand vous venez vous
16
comme un abri dans un champ de présenter devant moi, Lavez-vous, purifiez-vous.
concombres, qui vous demande de fouler mes Ôtez de ma vue vos actions
comme une ville sur ses gardes. parvis? mauvaises,
9 13
Si le SEIGNEUR, le tout- Cessez d’apporter de vaines cessez de faire le mal.
17
puissant, ne nous avait laissé offrandes: Apprenez à faire le bien,
quelques réchappés, la fumée, je l’ai en horreur! recherchez la justice,
nous serions comme Sodome, Néoménie, sabbat, convocation mettez au pas l’exacteur,
semblables à Gomorrhe. d’assemblée … faites droit à l’orphelin,
je n’en puis plus des forfaits et prenez la défense de la veuve.
10 18
Ecoutez la parole du des fêtes. Venez et discutons, dit le
14
SEIGNEUR, grands de Sodome, Vos néoménies et vos SEIGNEUR.
prêtez l’oreille à l’instruction de solennités, Si vos péchés sont comme
notre Dieu, peuple de Gomorrhe. je les déteste, l’écarlate,
11
Que me fait la multitude de vos elles me sont un fardeau, ils deviendront blancs comme la
19
neige. Si vous voulez écouter, c’est l’épée qui vous mangera.
S’ils sont rouges comme le vous mangerez les bonnes choses La bouche du SEIGNEUR a
vermillon, du pays. parlé.
20
ils deviendront comme de la Si vous refusez, si vous vous
laine. obstinez,

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