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LA GESTION DES INCERTITUDES EN GÉOMÉCANIQUE

DEALING WITH UNCERTAINTY IN GEOMECHANICS

G. AUVINET
Instituto de Ingeniería, UNAM, Mexique

RÉSUMÉ : Cette communication présente quelques réflexions sur la gestion des incertitudes en
géomécanique. On dresse tout d’abord un bilan des sources d’aléas qui affectent les modélisations
en géomécanique: la variation spatiale des propriétés mécaniques, le manque de représentativité des
tests réalisés au laboratoire ou in situ, les erreurs commises dans les procédures expérimentales, le
flou des opinions d’expert, la dispersion des corrélations statistiques, ainsi que le biais introduit par
le modèle mécanique adopté. On examine ensuite les techniques probabilistes qui permettent
d’inclure de façon explicite l’incertitude dans les modélisations. L’interprétation à donner au
concept de probabilité est discutée. On montre l’utilité et les limites de l’emploi des champs
aléatoires pour représenter l’incertitude sur les propriétés des géomatériaux. L’application de la
méthode des éléments finis stochastiques en géomécanique est également examinée.

Mots clés : géomécanique, modélisation, incertitude, champs aléatoires, méthode des éléments finis
stochastiques.

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Les sources d’incertitude dans les modélisations en géomécanique sont nombreuses. Les
propriétés des géomatériaux naturels ou améliorés présentent généralement des variations spatiales
importantes et les techniques directes ou indirectes utilisées pour les déterminer sont souvent peu
fiables. Aux aléas sur les propriétés des matériaux, s’ajoutent ceux concernant les sollicitations, les
conditions aux limites et le modèle mécanique lui-même.
Les techniques probabilistes qui permettent d’évaluer l’incertitude sur les résultats des
modélisations du comportement des géomatériaux, et en particulier des sols et des ouvrages en
terre, dérivant des divers aléas cités ci-dessus ont fait d’importants progrès. Il semble toutefois que
l’ingénieur hésite encore à les utiliser, malgré leur relative simplicité, pour des raisons qu’il faut
sans doute attribuer au flou, voire aux préjugés, qui entourent souvent dans son esprit le concept
même de probabilité. Une révision de l’état actuel des méthodes probabilistes en géomécanique, du
sens qu’il faut leur donner et de l’utilité qu’elles présentent pour l’ingénieur semble donc utile.

2. LES INCERTITUDES DANS LES MODÉLISATIONS EN GÉOMÉCANIQUE

2.1 Les principales sources d’incertitude


Les modélisations de la géomécanique sont réalisées le plus souvent en vue de la détermination
des champs de déplacements, de contraintes et de déformations au sein des ouvrages et de leur
environnement. La géomécanique s’intéresse à des matériaux naturels ou stabilisés dotés de
caractéristiques complexes, dont la mesure est délicate, et qui sont variables dans l’espace et dans le
temps. De ce fait, les paramètres mécaniques à introduire dans les modélisations sont souvent
difficiles à définir. Les incertitudes sur les sollicitations et les conditions aux limites du problème
ainsi que sur l’erreur que peuvent introduire les hypothèses et approximations du modèle mécanique
utilisé s’ajoutent à celles portant sur les matériaux. Les incertitudes provenant d’erreurs humaines
peuvent également être importantes mais elles échappent en général aux modélisations,
probabilistes ou autres.

2.1.1. Incertitudes sur les paramètres mécaniques


En ce qui concerne les paramètres mécaniques des matériaux, il est clair que l’on doit distinguer
deux types d’incertitudes: celles qui sont associées à la mesure ou à l’estimation de ces propriétés et
celles qui proviennent de leurs variations spatiales.
a) Incertitudes sur les mesures et estimations des paramètres mécaniques
Les lois de comportement courantes sont des modèles qui donnent du comportement réel du
matériau une description souvent simpliste voire caricaturale. Une première erreur est donc
introduite par le choix de cette loi, qui contribue au biais du modèle. Par ailleurs, pour une loi
donnée, la détermination des paramètres mécaniques est soumise:
- aux erreurs aléatoires commises lors des essais réalisés.
- aux erreurs systématiques dues à un biais dans la mesure, souvent inhérent à l’essai réalisé (on
observe par exemple des différences systématiques entre la résistance au cisaillement des sols
mesurée au scissomètre et au triaxial) ou lié au remaniement des échantillons et autres facteurs
similaires. Si ce biais est connu, il peut être corrigé mais il reste souvent aléatoire.
Des erreurs et des biais aléatoires sont également introduits dans les modélisations quand les
paramètres mécaniques sont estimés de façon subjective (opinion d’expert) ou à partir de
corrélations statistiques approximatives entre propriétés physiques et mécaniques.
b) Variabilité spatiale
Par nature, les géomatériaux sont hétérogènes : leurs propriétés mécaniques et physiques
présentent une variation souvent considérable d’un point à l’autre du milieu étudié. La connaissance
de la géologie du site ou du procédé de construction de l’ouvrage permet souvent de définir des
sous-domaines à caractéristiques à peu près homogènes. Il ne peut s’agir toutefois que d’une
homogénéité statistique dissimulant des variations locales souvent très significatives. Pour le
géomécanicien, les propriétés des matériaux sont donc des fonctions spatiales aléatoires.

2.1.2. Incertitudes sur les sollicitations et conditions aux limites


Les forces extérieures et de volume à prendre en compte dans les modélisations géomécaniques,
sont souvent elles aussi difficiles à préciser. Il en est ainsi, par exemple, des forces tectoniques ou
des contraintes transmises au sol par les fondations, fréquemment estimées à partir de descentes de
charges approximatives. Les conditions aux limites elles-mêmes ne peuvent souvent être définies
que de façon approchée. Les incertitudes ainsi introduites sont difficiles à évaluer, mais elles
peuvent parfois être représentées par un vecteur de variables aléatoires susceptibles d’être prises en
compte dans les analyses stochastiques (Cornell, 1971).

2.1.3. Incertitudes sur la méthode de calcul


Les méthodes de calcul courantes en géomécanique constituent une source supplémentaire
importante d’incertitude. Les divergences, voire les contradictions existant entre les différentes
solutions analytiques proposées dans la litérature pour les problèmes de force portante en
géotechnique illustrent bien ce point. Les méthodes numériques approchées, de type élément finis
ou similaires, ont permis d’aborder des problèmes de plus en plus complexes, mais la précision de
ces méthodes constitue elle aussi un élément d’incertitude. Il existe bien sûr des techniques
théoriques a priori et a posteriori pour déterminer l’erreur implicite dans ces méthodes (Mestat et
Prat, 1999). On trouve également dans la littérature, mais relativement dispersées, diverses études
de sensibilité sur les différentes caractéristiques d’une modélisation numérique (maillages, méthode
d’intégration,…). Néanmoins, l’approche de ce problème est en fait souvent empirique et passe par
la validation des résultats sur essais, ouvrages types et ouvrage réels. Ce n’est donc que de façon
grossière que l’on peut parfois représenter l’erreur sur la méthode de calcul au moyen d’un terme
aléatoire d’erreur additif ou multiplicatif (Cornell, 1971).
Les sources d’aléas sont donc très nombreuses. On s’accorde toutefois à reconnaître que les
incertitudes les plus graves sont généralement celles qui proviennent d’une mauvaise connaissance
des caractéristiques mécaniques des matériaux.

2.2. Modélisation de l’incertitude sur les propriétés mécaniques


Pour représenter l’incertitude sur les propriétés des géomatériaux, il est devenu courant d’avoir
recours aux champs stochastiques. La valeur V(X), prise par une propriété d’un matériau donné en
chaque point X du domaine R P (p = 1,2,3), est considérée comme une variable aléatoire.
L’ensemble de ces variables aléatoires constitue un champ stochastique qui peut être décrit par son
espérance mathématique E[V(X)], sa variance var[V(X)], ses densités de probabilité conjointes de
divers ordres et sa fonction d’auto-covariance spatiale cov[V(X1),V(X2)]. On admet le plus souvent
que le champ présente une certaine homogénéité statistique, quitte à subdiviser le milieu en
plusieurs sous-domaines, et qu’il est stationnaire au sens large dans toute direction, éventuellement
après élimination de dérives. L’espérance du champ est alors constante, et l’auto-covariance dépend
uniquement de la distance vectorielle entre les points considérés.
On doit souligner que, sous le même formalisme mathématique, l’interprétation donnée à ce
champ peut être extrêmement variable. Selon le sens attribué au concept de probabilité, qui doit
bien sûr être clairement défini avant toute analyse probabiliste, on est amené en fait à considérer
plusieurs types de champs aléatoires.
a) Champs estimatifs
Lorsque les propriétés des matériaux sont estimées principalement à partir de l’expérience et des
opinions d’un expert, le champ stochastique est de type estimatif. Ses paramètres doivent alors
refléter les connaissances mais aussi l’ignorance de l’expert. Cette situation est courante par
exemple en géotechnique car il n’est pas toujours possible de réaliser un nombre de mesures
suffisantes pour pouvoir s’affranchir d’opinions largement subjectives. Dans ce cas, les probabilités
reflètent avant tout le « degré de confiance » (degree of belief) que méritent ces estimations. Ainsi,
au moment du projet des ouvrages en terre, on ne dispose bien entendu d’aucunes données sur la
variabilité spatiale des propriétés, à l’exception du zonage général prévu par le projet lui même.
Dans cette situation, qui est sans doute une de celles où la modélisation stochastique présente le
plus grand intérêt, seul l’emploi d’un champ estimatif reflétant les incertitudes a priori sur les
propriétés des matériaux des différentes zones est possible. Le champ se réduit alors à un groupe de
variables aléatoires, éventuellement corrélées, associées à différentes zones considérées comme
homogènes.
b) Champs descriptifs de la variabilité spatiale
Lorsque l’on dispose d’un nombre important de mesures en place des propriétés du géomatériau,
un champ aléatoire continu de type descriptif peut être utilisé pour décrire les incertitudes
résiduelles. Les paramètres du champ peuvent alors être estimés par analyse statistique des données.
C’est le domaine de la géostatistique au sens qui lui a été donné durant ces dernières décennies.
Dans ce cas, les probabilités doivent être interprétées en termes de fréquence relative. On doit
reconnaître que l’introduction de ces champs descriptifs continus dans les modélisations
mécaniques est souvent délicate ou peu justifiée pour les raisons suivantes :
- les échantillons utilisés pour l’estimation des paramètres du champ doivent en toute rigueur suivre
les règles applicables au prélèvement d’échantillons représentatifs aléatoires ou systématiques
(Cochran, 1977). Le plus souvent, en géomécanique, cette condition n’est pas remplie. Un sondage
trop court ou des mesures faites dans un seul plan horizontal ou toute autre zone particulière du sol
peuvent donner une image incorrecte de la variabilité et de la structure de corrélation du milieu. Il
est également courant que le nombre de données disponibles soit insuffisant et qu’une erreur de
type statistique soit alors introduite dans l’estimation des paramètres du champ ;
- à l’inverse, quand les données sont nombreuses et fiables, il devient possible d’estimer les
paramètres du champ avec une meilleure précision mais c’est alors toute l’approche probabiliste de
la variabilité spatiale qui perd de son intérêt du point de vue de l’ingénieur ;
- la corrélation entre les valeurs du champ associées à deux points du milieu n’est pas une propriété
intrinsèque de ces points. Elle dépend bien entendu du domaine (population) dans lequel elle est
définie et duquel elle ne peut être dissociée. Ainsi, dans un milieu fortement contrasté du point de
vue stratigraphique, les propriétés de deux points appartenant à une même couche peuvent être
fortement corrélées, mais ne plus l’être du tout dans une analyse de corrélation ne portant plus que
sur la couche où ils se trouvent. Compte tenu de cette observation, les résultats obtenus sur
différents sites et concernant en particulier la distance d’influence de la corrélation son difficilement
transposables à d’autres sites ou d’autres ouvrages ;
- les champs stochastiques décrivant la variabilité spatiale des propriétés des sols ne sont connus
que par l’intermédiaire de mesures ou d’estimations qui, comme on l’a vu, sont elles-mêmes
entachées d’incertitude. On n’a donc en fait accès qu’à un champ apparent dont les caractéristiques
diffèrent de celles du champ réel. Les erreurs de mesure aléatoires estompent les corrélations. Les
biais aléatoires introduisent au contraire de fortes corrélations.
Pour introduire l’incertitude sur les propriétés des géomatériaux dans un modèle de calcul, il est
nécessaire de représenter le champ aléatoire continu par un nombre limité de variables aléatoires.
C’est ainsi que, pour les calculs aux éléments finis, on devra finalement associer à chaque élément
:
ou groupe d’éléments correspondant à un volume de sol donné e , des paramètres mécaniques
aléatoires représentatifs. Ce problème est délicat car il est souvent de nature tout autant mécanique
que statistique. Les méthodes de discrétisation les plus courantes (Der Kiureghian, 1988) ignorent
en fait l’aspect mécanique de ce problème qui ressort des techniques d’homogénéisation. Le plus
souvent, le champ est décrit à l’intérieur d’un sous-domaine donné par une variable aléatoire unique
égale à la moyenne spatiale du champ:

³
V X d : e

Ve :e
avec X  (1)
³ :
d e
e

:e
La valeur moyenne ainsi définie est soumise au phénomène de réduction de variance: dans un
champ aléatoire statistiquement homogène, la variance de la valeur moyenne diminue rapidement
avec les dimensions du sous-domaine considéré. Ce phénomène conduit à une perte d’importance
de la variabilité spatiale par rapport aux autres sources d’incertitude.
L’approche précédente ignore le fait que l’existence de données réduit considérablement
l’incertitude au voisinage des points où elles ont été obtenues. Cette réduction peut être prise en
compte grâce aux techniques d’estimation du type Kriging (Matheron, 1971) ou similaire qui
permettent de définir un champ stochastique conditionnel. Dans un tel champ, la perte d’importance
de la variabilité spatiale par rapport aux autres sources d’incertitudes par réduction de variance est
encore plus prononcée et elle pourra souvent être négligée.
Remarquons finalement que les champs stochastiques tridimensionnels ne peuvent être pris en
compte dans les analyses courantes de la géomécanique en état plan de déformation. En effet, ce
type d’analyse suppose une homogénéité parfaite dans la direction perpendiculaire au plan de
l’analyse, ce qui contredit l’hypothèse de variation aléatoire spatiale.
c) Champs mixtes
Dans la pratique, la situation est souvent intermédiaire entre les deux précédentes. Les propriétés
des sols sont définies par une combinaison d’opinions (probabilités a priori) et de résultats
expérimentaux qui peuvent être introduits dans une analyse Bayésienne explicite ou implicite
permettant de définir des probabilités a posteriori (tenant compte des mesures). La définition de la
probabilité devient plus ambiguë, mais l’approche probabiliste reste utile (Ditlevsen, 1996).
3. CALCUL DES INCERTITUDES SUR LES RÉSULTATS DES MODÉLISATIONS

Le calcul des incertitudes sur les résultats des modélisations, dues en particulier à celles qui
existent sur les propriétés des géomatériaux, ne peut le plus souvent être réalisé que de façon
approchée, en raison de la non-linéarité des algorithmes du modèle mécanique. Les techniques qui
permettent de réaliser ce calcul approché peuvent généralement être divisées en deux catégories: les
méthodes des perturbations et les méthodes de simulation. Il en est ainsi dans le cas du couplage
entre les méthodes probabilistes et la méthode des éléments finis qui a donné naissance à la
Méthode des Eléments Finis Stochastiques (Auvinet, 2001) qui peut d’ailleurs déboucher sur un
calcul de fiabilité (Flores, 1997).

3.1. Méthode des perturbations


La méthode des perturbations est basée sur une représentation simplifiée des fonctions explicites
ou implicites qui relient les résultats de la modélisation aux propriétés aléatoires des géomatériaux,
au moyen d’un développement limité en série de Taylor (Matthews, 1964). On représente alors
souvent également de façon simplifiée les densités de probabilités des propriétés mécaniques et des
résultats de la modélisation par leurs ièmes premiers moments (souvent les deux premiers comme
dans la méthode FOSM ; Benjamin et Cornell, 1970) :
Ainsi, dans le cas d’une analyse aux éléments finis pour un milieu continu suivant une loi de
comportement élastique, on doit résoudre le système d’équations:

1
^U ` >K x1 , x 2 , ..., x n @^ F ` ^g x1 , x 2 , ..., x n ` (2)

où {U} est le vecteur des déplacements nodaux, {K} la matrice de rigidité, fonctions des paramètres
aléatoires xi et {F} le vecteur des forces nodales.

Il est possible d’estimer les premiers moments, ainsi que les covariances des déplacements
nodaux, en utilisant le développement en série de Taylor d’ordre 2 de la fonction donnant les
déplacements
E>U k @ E>g k x1 , x 2 , ..., x n @ | gk 2 x1 , 2 x2 ,..., 2 xn (3)

¦¦ MMgx
n n
ª ª Mg º
k º k
Var >U k @ | « » « » Cov>x i , x j @ (4)
i 1 j 1 ¬ i ¼ 2x «¬
Mx j ¼»
i 2x j

¦¦ MMgx
n n
ª ª Mg º
k º l
Cov>U k , U l @ | « » « » Cov >xi , x j @ (5)
i 1 j 1 ¬ i ¼ 2x «¬
Mx j ¼»
i 2x j

En dérivant les équations du système (2), on obtient :

M ^U ` M >K @
^Ff ` > K @ ^U f ` avec : ^U f ` et ^ F f `  ^U ` (6)
Mxi Mx i

^U f ` et ^F f ` définissent respectivement des déplacements et forces fictives (Cambou, 1977) qui


peuvent être utilisés pour obtenir les dérivées partielles des déplacements par rapport à chaque
paramètre aléatoire, en utilisant le même algorithme que pour la résolution du système (2). Ces
dérivées partielles peuvent alors être insérées dans les équations (4) et (5).
Si des non-linéarités géométriques ou mécaniques sont présentes dans les modèles utilisés, la
détermination des déplacements doit généralement se faire de manière itérative. Le calcul explicite
des différentes dérivées des fonctions du développement de Taylor alors devient impossible. La
méthode reste cependant applicable. Il suffit de calculer les dérivées numériquement. Les méthodes
les plus utilisées à cet effet sont celle d’Evans (1967) et celle des rapports polynomiaux (Chowdury,
1993). Les méthodes numériques de calcul des dérivées présentent par rapport aux méthodes de
dérivation explicite, l’avantage de pouvoir être appliquées de façon "externe" au code de calcul par
éléments finis utilisé, sans qu’il soit nécessaire de le modifier. On doit souligner cependant que ces
méthodes peuvent se heurter à certaines difficultés locales si la fonction implicite reliant les
résultats de l’analyse numérique et les paramètres aléatoires n’a pas un comportement régulier.
Rosenblueth (1975) a présenté une méthode qui permet d’estimer les premiers moments d’une
fonction de variables aléatoires sans avoir à linéariser cette fonction. On remplace les densités de
probabilité continues par une distribution discrète à mêmes moments. Une formulation générale de
la méthode est possible avec un nombre quelconque de variables aléatoires corrélées ou non. La
méthode devient malheureusement trop lourde dès que le nombre de variables aléatoires dépasse la
dizaine.

3.2. Méthodes de simulation


Pour se libérer des contraintes liées à l’utilisation des méthodes précédentes dont le champ
d’application est parfois trop restreint et qui sont difficiles à mettre en œuvre, il est toujours
possible d’avoir recours aux techniques de simulation basées sur la méthode de Monte Carlo. Un
jeu de valeurs des variables aléatoires est obtenu par échantillonnage et on procède à l’analyse du
problème avec ces données. On répète cette opération jusqu’à ce qu’une tendance statistique se
définisse et permette de juger de la dispersion des résultats. Si le vecteur de variables aléatoires est à
composantes indépendantes, la simulation se fait pour chacune des composantes. Si le vecteur est à
composantes dépendantes gaussiennes, on peut se ramener au cas précédent, en utilisant la méthode
de Cholesky généralisée qui permet de diagonaliser la matrice des covariances entre les diverses
variables. On peut se ramener au cas gaussien en appliquant différentes transformations (Fogli,
1980). Parmi les techniques qui permettent de déterminer le nombre de simulations nécessaires pour
atteindre une approximation fixée par un intervalle de confiance, citons la méthode classique des
intervalles de confiance et la méthode de Tchebycheff (Cochran, 1977).
Les méthodes de simulation ont parfois été mal comprises. Il est par exemple inacceptable de
simuler un champ stochastique continu descriptif des propriétés mécaniques dans la section
transversale d’un ouvrage et de procéder à des analyses en déformation plane pour chacune des
simulations. Cette approche est équivalente à admettre que la variabilité spatiale ne se présente que
dans la section transversale et que les propriétés sont parfaitement corrélées dans la direction
perpendiculaire au plan, ce qui n’a guère de sens physique. Les vitesses atteintes par les ordinateurs
actuels rendent les méthodes de simulation de plus en plus compétitives. Ces dernières s’imposent
donc de plus en plus, surtout dans le cas des modèles mécaniques à solution analytique.

3.3. Applications
Les techniques exposées dans les paragraphes précédents ont maintenant été appliquées à un bon
nombre de sites ou ouvrages (Benmansour, 1996 ; Bouayed, 1997). A titre d’exemple on présente
sur la figure 1a l’espérance des déplacements à l’intérieur d’un barrage en remblai zoné à noyau
d’argile durant la construction, réalisée par couches (Auvinet, 1996; Mellah 1999). La figure 1b
présente l’écart type de ces déplacements calculé en tenant compte des incertitudes associées aux
neuf paramètres de la loi constitutive simple de Kondner-Duncan (Duncan, 1984) des cinq
matériaux considérés (45 variables aléatoires). Pour construire la matrice de covariance des
différentes propriétés aléatoires, les coefficients de corrélation entre paramètres d’un même
matériau ont été estimés par analyse statistique de la base de données de Duncan (1984). Entre des
matériaux différents, on a introduit des corrélations de type subjectif reflétant le fait que les mêmes
doutes existent sur les mêmes paramètres. Dans ce cas, la méthode FOSM a été mise en oeuvre en
procédant au calcul numérique des dérivées par la méthode des quotients polynomiaux. Un calcul
parallèle par la méthode de Monte-Carlo a permis de vérifier les résultats.

0 50 100 150 200 250 300 350 400 450 500 550 600 650

Figure 1 – Espérance des déplacements verticaux dans un barrage en remblai durant la construction (m).

0 50 100 150 200 250 300 350 400 450 500 550 600 650

Fig. 2 – Ecart type des déplacements verticaux (m).

Ce type d’analyse conduit aux conclusions suivantes :


- l’analyse stochastique renvoie l’analyste à ses propres hypothèses. L’incertitude calculée sur les
déplacements aux frontières où ceux-ci ont été spécifiés, ou sur les axes de symétrie respectés par
les fluctuations aléatoires, est bien entendu nulle. Les incertitudes les plus grandes ont donc
tendance à se présenter dans les zones les plus éloignées des conditions aux limites imposées ;
- les interactions entre matériaux voisins non corrélés conduisent à une réduction de l’incertitude
par effet de moyenne. A la limite, un solide hétérogène constitué par plusieurs matériaux à
propriétés aléatoires, indépendants et uniformément répartis tend à se comporter comme un
matériau homogène déterministe ;
- les incertitudes sur les déplacements et déformations sont généralement plus fortes que sur les
contraintes, beaucoup moins sensibles à la loi de comportement ;
- les paramètres mécaniques qui contribuent le plus aux incertitudes sont ceux qui correspondent au
niveau de sollicitation du matériau : les modules initiaux dans le domaine élastique, les paramètres
de comportement limite près de la rupture. L’analyse stochastique permet d’ailleurs d’identifier les
paramètres qu’il convient de déterminer avec la plus grande précision afin de réduire l’incertitude
qui affecte une modélisation donnée.

5. CONCLUSION

L’incertitude en géomécanique peut être prise en compte explicitement en ayant recours à


l’approche probabiliste. Cette approche permet en particulier d’évaluer l’influence des incertitudes
affectant les propriétés des matériaux sur la validité des résultats des modélisations. Elle peut être
employée pour obtenir les écarts-types ou les coefficients de variation et des intervalles de
confiance associés aux déplacements, déformations et contraintes calculés. Elle peut par ailleurs
déboucher sur une étude de fiabilité. Elle permet donc d’introduire un degré de réalisme
supplémentaire dans les modélisations. Elle est également très utile pour mettre en évidence les
paramètres les plus critiques de la loi de comportement retenue pour la modélisation. Les
commentaires présentés dans cette communication devraient contribuer à mieux cerner son
potentiel et ses limites.

6. RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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