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20/02/2024, 23:52 La décolonisation de l'Asie | Cairn.

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La décolonisation de l'Asie
Bernard Phan
Dans Colonisation et décolonisation (2017), pages 139 à 151

Chapitre

L es pays d'Asie, à quelques exceptions près, mirent un terme à leur situation de


colonisés, dans les dix années qui suivirent la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Beaucoup étaient des États organisés avant qu'ils ne fussent réduits à la situation de
1

colonies et ils s'étaient dotés de mouvements politiques au fur et à mesure que le


colonisateur avait levé les restrictions pesant sur les libertés publiques des colonisés. Ce
qui permit entre autres e fets, comme on l'a dit, la création de partis communistes dans
certaines de ces colonies.

La décolonisation britannique

En 1945, les gouvernants britanniques n'avaient aucun projet de décolonisation, ni 2


aucune intention de s'engager sur cette voie. Ils n'excluaient pas pour autant des
évolutions. À propos de l'Empire, les travaillistes a fichaient plutôt une volonté de s'y
impliquer davantage et de mieux le développer, considérant que la Grande-Bretagne
l'avait trop négligé. En 1950, le Labour Party fit d'ailleurs voter un important programme
d'investissements pour les équipements collectifs aux colonies. Bevin pensait
qu'appuyée sur les forces du Commonwealth la Grande-Bretagne pouvait e fectivement
devenir « le plus petit des trois grands ».

Mais en 1945, les forces politiques, comme l'opinion publique, comprirent que la 3
décolonisation était un phénomène inéluctable. Elles prirent conscience qu'une
décolonisation sans violence était encore le meilleur moyen de conserver une in luence
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dans les pays qui voulaient accéder à l'indépendance et aussi la seule garantie d'y
préserver les intérêts matériels britanniques. Les Britanniques n'avaient par ailleurs pas
de problèmes de conscience s'agissant de la Seconde Guerre mondiale. Ils l'avaient faite
de bout en bout, avaient la fierté d'avoir été un moment le seul État adversaire du
totalitarisme. Leur appartenance au camp des vainqueurs ne faisait aucun doute et était
indiscutable. La décolonisation n'était pas perçue par l'Angleterre comme une
potentielle humiliation supplémentaire. Les Britanniques, enfin, eurent l'habileté de
penser que l'adversaire le plus résolu pourrait être le partenaire le plus sûr pour les
relations à venir. Ils ne cherchèrent donc pas à opposer aux leaders nationalistes
reconnus des pantins complaisants.

En 1947, le doute n'était plus permis et le gouvernement et la population britanniques 4


durent se rendre à l'évidence : la guerre avait gravement atteint la Grande-Bretagne et
l'impossibilité de rétablir la convertibilité de la livre en juillet 1947 les confirma dans
l'idée que la situation était sérieuse. Il fallait éviter toute charge financière inutile,
comme une guerre coloniale, d'autant que la mise en place du Welfarestate avait aussi un
coût qu'il allait falloir assumer. À la même époque le début du processus qui aboutit à la
guerre froide persuada le gouvernement que les États-Unis allaient assouplir leur
position et qu'il resterait maître de sa politique.

En Inde, les aspirations à l'indépendance étaient très fortes et, en 1942, les Britanniques 5
avaient plus ou moins promis l'indépendance pour la fin de la guerre. C'était du moins
ce que les indigènes avaient compris. Le statut de dominion était dépassé et ne pouvait
pas constituer une réponse au « Quit India ! » de Gandhi.

Dès 1945, la situation devint très di ficile : il fallait faire quelque chose. Les discussions 6
commencèrent aussitôt après la défaite japonaise. Devant les di ficultés, Londres
proposa, lors de la conférence de Simla, de faire élire une assemblée constituante et de
mettre en place un gouvernement intérimaire. Jinnah, lors de cette conférence, exprima
le refus musulman d'un gouvernement provisoire et a ficha clairement la volonté de la
Ligue musulmane d'obtenir une partition de l'Inde. La Ligue prétendait représenter tous
les musulmans, ce que ne pouvait pas accepter le parti du Congrès qui comptait des
musulmans dans ses rangs. En janvier 1946, Londres donna son accord pour une
indépendance dans des délais courts et prépara la passation des pouvoirs.

Les élections de juillet 1946 donnèrent la majorité au parti du Congrès et l'assemblée 7


était bloquée : les élus de la Ligue refusaient de siéger, mais la Ligue était représentée au
gouvernement.

L'agitation musulmane s'organisa autour de la revendication d'un Pakistan 8


indépendant, dont ne voulait pas entendre parler le Congrès. Les troubles s'aggravèrent
et devinrent de plus en plus violents : 1 000 morts à Calcutta en août, 6 000 personnes

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massacrées au Bengale et, en décembre, échec d'une conférence de conciliation à


Londres.

Le 20 février 1947, Attlee annonça que le gouvernement britannique retirerait ses 9


troupes et ses administrateurs, au plus tard en juin 1948, et qu'il laissait les indigènes se
mettre d'accord pour organiser l'avenir. Comme en Palestine, il s'agissait de forcer le
destin en jouant sur un ré lexe de survie, en cantonnant les Britanniques au rôle de bons
o fices. Le vice-roi, Wavell, fut remplacé par Lord Mountbatten, qui était membre de la
famille royale, un homme très fin, jouissant d'un grand prestige, lié à son rôle dans la
guerre en Asie, et en très bons termes avec Gandhi et Nehru.

Grâce à cette autorité personnelle, en avril-mai 1947, il fit accepter au parti du Congrès 10


l'idée d'une partition en deux États qui élaboreraient leurs Constitutions après
l'indépendance. La conférence de « la Table Ronde », en juin 1947, prévoyait divers
plébiscites. Le vice-roi persuada les 600 princes qui contrôlaient 80 millions d'habitants
d'entrer dans l'Union indienne, contre le maintien de leurs titres honorifiques, de leurs
fortunes et propriétés. L'Inde et le Pakistan acceptèrent le statut de dominions,
membres du Commonwealth. Le 15 juillet 1947, le Parlement de Westminster vota
l'« India Independence Act ».

Le 15 août, l'indépendance fut proclamée. Les troupes britanniques se retirèrent et 11


Mountbatten devint gouverneur général en Inde, à la demande du gouvernement
indien. Jinnah le fut au Pakistan. En 1950, l'Inde était organisée en république. Le
Pakistan passa sous l'autorité d'une dictature militaire.

Tout restait à faire. Au Pendjab, les sikhs refusaient la domination des musulmans. Le 12
Pakistan était coupé en deux par l'espace indien dans le sens est-ouest. Au Bengale, les
musulmans étaient majoritaires à l'est, mais minoritaires à Calcutta.

Une lambée de violences accompagna le partage. De 1947 à 1951, 14 millions de 13


personnes furent déplacées. En 1947-1948, les a frontements firent 200 000 morts au
moins. En janvier 1948, Gandhi fut assassiné par un des siens.

Au Cachemire, château d'eau d'une partie du Pakistan, le maharadjah était hindou, les 14
trois quarts de ses sujets musulmans. Une lutte éclata avant le règlement de
l'indépendance. En décembre 1947, l'Inde en appela au Conseil de sécurité qui, en
janvier 1949, fit accepter une trêve sur une ligne de démarcation, en principe provisoire.
Ce di férend n'est toujours pas réglé et la ligne de démarcation tend à devenir une
frontière contestée. Haïderabad était un autre problème en suspens. Le souverain
(Nizam) était musulman et 80 % des sujets hindous. Entièrement enclavés dans l'espace
indien, les « secours » pakistanais étaient impossibles. En août 1947, il proclama son
indépendance et entama des négociations avec l'Inde qui aboutirent le 29 novembre 1947

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à un accord pour un an. À la suite de troubles et d'une agitation communiste, l'Inde


annexa l'État à la fin de 1948, en lui concédant une certaine autonomie, mais en y
maintenant des troupes.

Certes, il y eut des violences mortelles, mais l'armée britannique ne livra aucun combat 15
qui aurait ressemblé à une guerre coloniale. Du point de vue anglais, ce fut une réussite
et la responsabilité des troubles internes ne peut guère être imputée aux Anglais.

En février 1948, Ceylan obtint l'indépendance, aboutissement d'une souveraineté 16


croissante accordée pendant la guerre, en contrepartie de l'e fort de guerre consenti par
l'île.

En Birmanie, après le départ des Japonais, les mouvements nationalistes demandèrent 17


l'indépendance que les Japonais avaient proclamée en 1942. Le 17 mai 1945, un « livre
blanc » britannique a fichait l'intention de Londres de conduire la Birmanie au self-
government et au statut de dominion. Londres annonça des élections pour 1948 et accepta
d'associer partiellement les indigènes à la gestion du pays, dans un statut d'autonomie
interne. Les Birmans trouvèrent le statut insu fisant et le délai trop long et, en
douze jours, un accord fut trouvé le 27 janvier 1947.

En avril 1947, une constituante fut élue et un comité exécutif, associé au gouverneur, 18
devint un quasi-gouvernement, traité par Londres « avec la même considération » que
celui d'un dominion. Le 17 octobre 1947, un traité reconnaissait l'indépendance totale de
la Birmanie, qui décida de ne pas entrer dans le Commonwealth. En janvier 1948, un
accord militaire aboutissait au retrait des troupes britanniques, au maintien de
l'instruction des troupes birmanes par les Britanniques et à des facilités pour les forces
britanniques.

En Malaisie, Londres tenta d'organiser ses protectorats en 1946 en une Union malaise 19
autonome. Elle ne fonctionna guère et les Anglais reprirent les négociations pour
aboutir, en juillet 1948 à un État fédéral de Malaisie. La présence d'une puissante guérilla
communiste, la volonté de conserver le contrôle de l'étain et du caoutchouc naturel
conduisit le gouvernement de Londres, en 1948, à reporter son départ, en invoquant le
danger des divisions et son souci de la sécurité des populations, tout en veillant à
respecter l'évolution institutionnelle dans le sens d'une responsabilité croissante des
Malais. En 1957, la Malaisie était indépendante. En 1958, c'était au tour de Singapour.

En quelques années, la Grande-Bretagne avait vu se réduire très fortement son pouvoir 20


de décision dans le Sud-Est asiatique, mais elle y conservait son in luence. Sans avoir à
combattre les peuples qu'elle avait colonisés, la Grande-Bretagne avait satisfait leur
volonté de recouvrer leur souveraineté, tout en sauvegardant ses propres intérêts. En

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e fet, à l'époque, le commerce avec le sous-continent indien représentait encore 50 % des


échanges de la Grande-Bretagne. La zone sterling pensait encore avoir un avenir et
Londres refusa la proposition des États-Unis de prendre le leadership en Europe.

La décolonisation néerlandaise

Les Néerlandais tentèrent de se réinstaller dans l'archipel indonésien, espérant pouvoir 21


tirer profit des compromissions des nationalistes avec les Japonais et comptant sur la
solidarité des Britanniques. C'était sans compter avec les colonies britanniques d'Asie
qui venaient d'accéder à l'indépendance et intervinrent auprès des Britanniques en
soutenant les aspirations des Indonésiens. C'était surtout sous-estimer la volonté des
États-Unis qui, à travers l'ONU, jouèrent un rôle majeur pour contraindre les
Néerlandais à quitter l'Indonésie. Il fallut trois années, riches en rebondissements, entre
l'accord de Linggadjati, en novembre 1946, qui semblait permettre un retour du
colonisateur, et celui de La Haye, en 1949, dont l'habile utilisation par Sœkarno permit
l'indépendance de l'Indonésie.

La décolonisation française

La France était dans une situation très di férente de celle de la Grande-Bretagne. 22


En 1940, elle avait tout bonnement disparu comme puissance. De Gaulle, par sa
rébellion, non seulement avait sauvé l'honneur, mais avait aussi miraculeusement
permis à la France de retrouver « son rang », du moins le souhaitait-il. Mais nul n'était
dupe et la perte du domaine colonial apparaissait comme une humiliation
supplémentaire insupportable. La France devait se reconstruire et la vie quotidienne
resta di ficile de longues années après la fin des combats. Les questions coloniales
n'étaient donc pas la priorité pour l'opinion. Mais pour les forces politiques, l'empire
colonial était la condition du rétablissement de la France. Le premier projet de
constitution comportait des dispositions permettant une évolution du statut des
colonies et ce projet recueillit la majorité dans les territoires coloniaux. Mais il ne fut pas
adopté. La Constitution de 1946 comportait des dispositions dont la combinaison
rendait impossible toute évolution des colonies, sauf à réviser le titre VIII de la
Constitution. Mais, dans les années 1950-1960, la Constitution était un texte important
que l'on ne révisait pas à la légère. En e fet, le texte constitutionnel déclarait la
République « une et indivisible » et définissait le territoire de la République comme
englobant celui de la France métropolitaine plus ceux de tous les territoires d'outre-mer.
Tout homme politique s'exprimant en faveur de l'émancipation d'une colonie était
accusé de forfaiture et menacé de Haute Cour pour avoir porté atteinte à l'intégrité

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territoriale de la République française. De Gaulle en usa en 1946 pour dénoncer les


partisans d'une négociation en Indochine. Même après le changement de République
de 1958, Charles Pasqua utilisa la menace de la Haute Cour contre François Mitterrand
et Edgard Pisani, en 1984, à propos de la Nouvelle-Calédonie.

La guerre d'Indochine
Depuis 1940, le Japon occupait l'Indochine, que l'administration française, restée aux 23
ordres du régime de Vichy, continuait à administrer en essayant de préserver au mieux
les intérêts français. Le 9 mars 1945, les forces japonaises rompirent ce fragile équilibre,
désarmèrent les troupes françaises, éliminèrent l'administration et o frirent
l'indépendance aux trois États composant l'Indochine française, en échange du
maintien d'une collaboration économique dans le cadre de la Grande Asie. Pour les
nationalistes indochinois, c'était un cadeau empoisonné. Le 11 mars, l'empereur Bao-Daï
dénonça unilatéralement les accords de protectorat et décréta l'indépendance du
Vietnam. Le lendemain, Hô-chi-Minh, plus habile, lança un appel à la résistance contre
les Japonais, suivi du mot d'ordre d'insurrection générale le 10 août 1945. Ayant réussi à
pénétrer à Hanoï, il y proclama l'indépendance de la République démocratique du
Vietnam le 2 septembre, Bao-Daï, qui avait abdiqué quelques jours plus tôt, se
contentant d'être son conseiller. Pendant que se déroulaient ces événements, les alliés
avaient décidé que les Japonais seraient désarmés par les forces chinoises, au nord du
16e parallèle, et par les troupes britanniques, au sud. Roosevelt avait pensé, excluant tout
retour des Français en Indochine, que celle-ci serait dans la zone d'in luence chinoise.
C'est ce qu'il exprime dans une note à son secrétaire d'État, en 1944 :

Chaque cas doit, bien sûr, être réglé séparément, mais celui de l'Indochine est 24
parfaitement clair. Il y a cent ans que la France saigne ce pays. Le peuple d'Indochine
mérite un sort plus enviable.

Le gouvernement français n'eut guère de di ficultés à obtenir l'abandon de sa mission 25


par une Grande-Bretagne qui souhaitait faire des économies. Il obtint le désistement de
la Chine en signant le traité de Chongqing du 28 février 1946, par lequel la France
renonçait à tous les avantages obtenus en Chine au XIXe siècle par les « traités inégaux ».
Dans le même temps, alors que la deuxième division blindée (2e DB) faisait une rapide
progression dans le sud, l'accord Sainteny-Hô-chi-Minh, du 6 mars 1946, était signé. Hô-
chi-Minh acceptait le retour des troupes françaises au Tonkin et la France reconnaissait
la République du Vietnam comme un État « libre » ayant son gouvernement, son
Parlement, ses finances et son armée, et membre de la Fédération indochinoise et de
l'Union française. L'accord laissait deux points en suspens et l'on devait poursuivre la
négociation à Paris, à l'automne. D'une part, se posait la question de la traduction du
mot « doc-lap » que les Français traduisaient par « libre » et les Vietnamiens par
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« indépendant ». Le second point était l'organisation d'un référendum en Cochinchine


pour savoir si la population souhaitait faire partie de la République du Vietnam. Les
Français s'engageaient à accepter les résultats de cette consultation. Pour les
Vietnamiens, il n'y avait aucune hésitation : la Cochinchine était l'un des trois Ky*
composant le Vietnam. Paris finassait en excipant du statut de colonie de la
Cochinchine, avec représentation au Parlement de surcroît, alors qu'Annam et Tonkin
étaient des protectorats.

Bao Daï

En 1925, la France empêcha le nouvel empereur d'Annam, Bao Daï, de mener à bien
les réformes qu'il envisageait et lui imposa comme collaborateur Pham Quynh, qui
le surveillait pour le compte de Paris, au moins autant qu'il l'aidait. Cela entraîna la
démission d'un jeune mandarin, Ngô Dinh Diêm, ulcéré par la politique française.
L'Empereur, pour occuper ses loisirs, céda à son goût pour la grande chasse et
découvrit les charmes de la Côte d'Azur. Il fut donc pour le moins maladroit de
choisir, en spéculant sur le maintien de sa docilité, cet homme qu'on avait
méthodiquement a faibli, pour l'opposer à Hô-chi-Minh, en 1947. Pendant la guerre
d'Indochine, Ngô Dinh Diêm, très hostile à la France, noua de solides liens avec les
États-Unis, grâce à son frère, qui fut évêque de Saïgon et avait été au séminaire le
condisciple de Monseigneur Spellman, archevêque de New York. Les deux hommes
partageaient un anticommunisme viscéral. Persuadés que la France n'avait pas su
s'y prendre, les États-Unis attendaient, dès avant 1954, son échec pour conserver
l'Indochine dans le camp occidental.

De Gaulle avait nommé D'Argenlieu haut-commissaire en Indochine. Sans consignes 26


précises, ce moine soldat avait des convictions et une très haute idée de ce que devait
être l'autorité de la France dans ses colonies. Il l'avait largement prouvé à Nouméa,
pendant la guerre. L'amiral désapprouvait l'accord du 6 mars et voulait empêcher toute
concession supplémentaire de la France en septembre. Il considérait que le Viet-Minh
n'était fort que de la faiblesse de la France. Il fit proclamer la Cochinchine République
autonome, sous l'autorité du complaisant Nguyen van Tinh. Par ailleurs il encouragea le
général Valluy, qui ne demandait que cela, à faire preuve de la plus grande fermeté dans
la défense des intérêts français. Le proconsul et ses collaborateurs espéraient s'appuyer
sur la « bonne » Cochinchine pour s'opposer au « mauvais » Tonkin et permettre à la
France de reprendre le contrôle de l'ensemble de l'Indochine. En métropole, la presse,
après l'échec de la conférence de Rambouillet, entre Français et Vietnamiens, se
déchaîna contre la politique « d'abandon ». En quelques semaines, dans un climat qui
s'était inversé, la situation ne cessa de se dégrader et, après quelques incidents, le

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19 décembre 1946, à 20 h 04, le Viet-Minh tenta un coup de main sur Hanoï, qui marque
le début de la guerre. Le renvoi des ministres communistes du gouvernement, le
glissement vers la guerre froide réduisirent rapidement la force des partisans de la
négociation. Le gouvernement français se trouva en charge d'une guerre qu'il n'avait ni
voulue, ni été capable d'empêcher et qu'il ne sut pas davantage conduire. Seul, ou
presque, avec une grande lucidité, Pierre Mendès France ne cessa de dénoncer cette
guerre ingagnable et inutile. Le MRP s'engagea résolument dans l'approbation de cette
guerre et la SFIO s'en fit la complice consentante.

N'ayant pas compris que l'on ne s'appuie que sur ce qui résiste, au lieu de négocier avec 27
Hô-chi-Minh, Paris chercha à lui opposer un adversaire plus complaisant pour les
intérêts français. La France choisit Bao Daï, qu'elle avait pourtant largement démonétisé
durant l'entre-deux-guerres. Lors de négociations assez longues, elle lui accorda, sous la
pression des États-Unis, bien plus que ne demandait Hô-chi-Minh. Les accords de la
baie d'Along permirent ainsi au Vietnam d'obtenir son indépendance sans « autres
limites que celles que lui imposait son appartenance à l'Union française ». Trois limites
existaient : le Vietnam restait dans la zone franc et la France conservait des droits dans
les champs diplomatique et militaire. Les clauses de ces accords furent étendues au
Cambodge et au Laos. La guerre d'Indochine était devenue la lutte du Vietnam de Bao
Daï, allié à la France, contre la rébellion communiste du Viet-Minh. Sur le terrain, la
majorité des troupes engagées était vietnamienne. Les États-Unis fournirent à la France
une assistance qui revint à prendre en charge près de la moitié de la guerre. Le Viet-
Minh, de son côté, bénéficia d'une aide chinoise dès 1949, qui s'accrut après l'armistice
en Corée, en 1953.

Il existe d'excellentes histoires de la guerre d'Indochine, que l'on n'envisagera donc pas 28
dans le détail. Guerre de guérilla, avec un partage de l'autorité entre le jour et la nuit, la
ville et la campagne, elle débuta par des revers français qui, fin 1950, laissèrent penser
que la France allait évacuer le Tonkin. Jean de Lattre de Tassigny réussit à rétablir la
situation en 1951, obtint un accroissement de l'aide américaine et essaya de mobiliser la
jeunesse vietnamienne pour qu'elle montre plus de résolution dans son combat contre le
Viet-Minh. Gravement malade, le « roi Jean » rentra en France au bout d'un an en
laissant sa succession au général Salan. La guerre s'étendit, géographiquement parlant,
et la France se trouva à nouveau sur la défensive. C'est alors que pour empêcher
l'extension des combats au Laos le commandement français sous l'autorité de Navarre
décida l'opération de Diên Biên Phu. Le camp retranché devait barrer au Viet-Minh la
route du Laos et permettre aux Français, dans une bataille dans laquelle l'aviation leur
donnait une supériorité indiscutable, de briser le corps de bataille adverse. Avec une
certaine su fisance, les responsables avaient sous-estimé les capacités adverses. Les
forces françaises se retrouvèrent prisonnières d'une cuvette de laquelle elles étaient
incapables de s'échapper. L'héroïsme du colonel Bigeard, de Geneviève de Galard et des

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autres, restés dans l'anonymat, n'y changea rien. Outre les morts, 15 000 hommes
durent se rendre aux troupes de Vo Nguyen Giap. Les Français blancs subirent de très
dures conditions de détention, tandis que ceux qui étaient originaires des colonies
d'Afrique reçurent un rapide endoctrinement sur la nécessité de combattre la métropole
s'ils voulaient voir leurs pays accéder à l'indépendance. Enfin, quelques o ficiers,
souvent brillants, crurent avoir compris ce qu'était la guerre révolutionnaire et
comment organiser l'action psychologique si l'occasion s'en présentait dans d'autres
combats.

Certes, la France n'était pas écrasée et elle aurait pu poursuivre le combat. Mais, pour 29
l'opinion, ce fut un réveil brutal vis-à-vis de cette guerre menée par des troupes
professionnelles et considérée comme une lutte contre le communisme. Ce choc
psychologique ressenti par le pays permit à Mendès France d'obtenir l'investiture. Il
arriva à la conférence de Genève avec une vraie volonté de mettre un terme à la guerre.
Ce qu'il put faire en s'appuyant sur le travail de son prédécesseur. Les accords de Genève
furent conclus les 20 et 21 juillet et ratifiés à Paris le 23. Trois accords mettaient fin aux
combats dans les trois États de l'ex-Indochine française. Une commission internationale
devait surveiller le retrait des combattants de part et d'autre du 17e parallèle, ainsi que
les échanges de prisonniers. Les puissances reconnaissaient l'indépendance, la
souveraineté et l'intégrité territoriale des trois nouveaux États indépendants. Dans un
délai de deux ans, des élections libres devaient être organisées au Vietnam sous contrôle
international et le pouvoir ainsi installé opérerait la réunification. Ces élections ne
furent bien évidemment jamais organisées. Cette violation des accords permit aux
États-Unis de justifier leur appui au Vietnam du Sud pour tenter de réaliser l'unité du
pays.

Pierre Mendès France, qui avait joué le rôle d'un syndic de faillite, se vit presque aussitôt 30
reprocher d'être un bradeur de la grandeur française à travers une poussée
d'antisémitisme qui a fecta une partie de la presse nationale. Un peu moins de huit ans
de guerre avaient fait perdre à la France la totalité des intérêts que ces combats étaient
censés protéger en Indochine. Jusqu'à aujourd'hui la France n'a jamais retrouvé, au
Vietnam, l'in luence que le passé lui permettrait d'exercer. Par contre, mesure de la
puissance, après quinze ans de guerre contre les États-Unis, on e fectue ses achats au
Vietnam en dollars.

Chronologie simplifiée de la guerre d'Indochine

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La Conférence de Bandung
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La décolonisation de l'Asie entraîna, mécaniquement, une accélération de celle de


l'Afrique en accroissant le nombre des adversaires du colonialisme à l'ONU, la
Ligue arabe constituant un pont entre Asie et Afrique. Mais cette conférence
n'avait pas pour seul objet de faire triompher la décolonisation et n'avait pas été
préparée prioritairement dans ce but. En avril 1954 à Colombo, puis en décembre
de la même année à Bogor, des États asiatiques s'étaient réunis pour travailler en
vue de rétablir la paix en Indo-Chine mais aussi pour tenter de faire admettre la
République de Chine à l'ONU et pour s'opposer à la politique des blocs, aux essais
nucléaires et au colonialisme. Le développement tenait une place importante dans
l'esprit des organisateurs soucieux de voir le Tiers-Monde, l'expression étant
apparue en 1952 par référence au Tiers État dans la France de 1789, se moderniser.
Du 16 au 25 avril 1955, cette conférence réunit en Indonésie les délégués de 29 pays
(15 d'Asie, 9 du Proche-Orient et 6 d'Afrique) auxquels se joignirent des
observateurs algériens et tunisiens. Parmi les organisateurs ou les participants, on
trouvait des hommes qui, dans l'entre-deux-guerres, s'étaient rencontrés dans les
organismes luttant contre la colonisation et avaient participé à leurs actions. Parmi
eux, Zhou Enlai qui joua un rôle important dans cette conférence. Les trois autres
personnalités importantes étaient Gamal Abdel Nasser, Jawaharlal Nehru et, celle
qui hébergeait la réunion, Sœkarno.
Dans le communiqué final, considérant que la domination coloniale était le
principal obstacle au progrès d'un pays, les participants a firmaient que le principe
d'égalité inscrit dans la Charte des Nations unies légitimait la volonté
d'indépendance des colonies. Les participants demandaient donc aux peuples déjà
libérés d'aider les « dépendants » à recouvrer leur souveraineté.
D'une certaine manière, on peut voir la conférence de Bandung comme une étape
de l'évolution des organisations anticolonialistes de l'entre-deux-guerres vers le
mouvement des non-alignés, dont certains sont aujourd'hui passés dans la
catégorie des pays dits émergents.

Plan
La décolonisation britannique

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La décolonisation néerlandaise

La décolonisation française
La guerre d'Indochine

Auteur
Bernard Phan

Mis en ligne sur Cairn.info le 06/01/2020

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