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15 AOUT 1947

L’INDÉPENDANCE DE L'INDE – LA CRÉTION DU


PAKISTAN ET LEURS CONSÉQUENCES

PRÉAMBULE : PETITE BIBLIOGRAPHIE 

- Sur l’histoire de l’Inde en général : Éric Paul Meyer, Une histoire de l’Inde, Les
Indiens face à leur passé, Albin Michel, 2019. 

- Sur l’histoire de l’Inde au XXe siècle : Dominique Lapierre et Larry Collins : Cette
nuit la liberté, Le Livre de poche, 1975 et Pocket, 2004.

- Sur Lord Mountbatten, le dernier vice-roi des Indes : François Kersaudy : Lord
Mountbatten, L’étoffe des héros, Perrin, 2004. 

- Sur son épouse, Lady Edwina : Bertrand Meyer-Stabley, Edwina Mountbatten,


scandaleuse, libre, vice-reine des Indes, Bartillat, 2005. 
Et surtout, Catherine Clément, Pour l’amour de l’Inde, Flammarion, 1993. 

- De Gandhi et sur Gandhi : 


Mahatma Gandhi, Mon chemin de paix, J’ai lu, 2018. 
Mahatma Gandhi, Mes expériences avec la vérité, L’autobiographie, CreateSpace
Independent Publishing Platform, 2016 
Christine Jordis, Gandhi, Folio Biographies, 2006 
Gilles van Grasdorff, Les vies cachées de Gandhi, Le Cerf, 2018 
Luc Rozsavolgyi, Tuer Gandhi, 2021 

- Sur l’Inde contemporaine : 


Gilles Boquérat, L’Inde d’aujourd’hui en 100 questions, Tallandier, 2021 
Shashi Tharoor, L’Inde selon Modi, Buchet Chastel, 2020 
Christophe Jaffrelot, L’Inde de Modi, National-populisme et démocratie ethnique,
Fayard, 2019. 

Petite filmographie : 

- Gandhi, film indo-britannique de Richard Attenborough sorti en 1982


- Le Dernier Vice-Roi des Indes (Viceroy's House), film britannico-indien réalisé par
Gurinder Chadha, ivre de Lapierre et Collins, sorti en 2017.
COURS
L'Inde indépendante naît officiellement dans la nuit du 14 au 15 août 1947, à minuit. Sa
naissance est annoncée à Delhi par le chef du gouvernement, Jawaharlal Nehru. Quelques
heures plus tôt, à Karachi, le rival de ce dernier, Ali Jinnah, a proclamé la création du
Pakistan. 

Cette double naissance est l'aboutissement de longues et douloureuses tractations entre le


colonisateur britannique et les Indiens mais plus encore entre les Indiens eux-mêmes (les
Anglais s'étaient pour la plupart résignés à quitter les Indes dès 1930) ... 
Les explosions de haine entre majorité hindoue et minorité musulmane ont conduit à la
division du sous-continent indien que les Anglais avaient réussi à unifier pour la première fois
de son Histoire en trois siècles de domination, dont 90 ans sous le British Raj. 

MULTIPLES IDENTITÉS 
1947 : La partition des Indes britanniques 

Le 15 août 1947, après de longues et douloureuses tractations avec hindous et


musulmans, les Britanniques quittent les Indes et consacrent l'indépendance de l'Inde et
du Pakistan.
Les deux pays sont aujourd'hui des Républiques : la première est une fédération laïque, le
second une République islamique, mais tous deux restent fidèles au Commonwealth
britannique. 

La Birmanie (aujourd’hui Myanmar), qui avait été détachée du Raj (l'empire britannique des
Indes) en 1923, devient indépendante le 4 janvier 1948 et, le 4 février 1948, c'est le tour de
Ceylan (aujourd'hui Sri Lanka). Le royaume himalayen du Népal n'avait jamais, quant à lui,
été colonisé. Les Britanniques avaient reconnu sa pleine indépendance dès 1923. 

À la veille de sa dissolution, l'empire britannique des Indes comptait 410 millions d'habitants
dont 281 millions d'hindous, 115 millions de musulmans, 7 millions de chrétiens et 6 millions
de Sikhs, cela sur 4 millions de km2. La scission va laisser 33 millions de musulmans en Inde
(10% de la population), les autres se retrouvant au Pakistan. 
L'État principal issu du British Raj s'appelle officiellement Union indienne ou République de
l'Inde. C'est aujourd'hui une république fédérale de 28 États et 7 territoires, associée au
Commonwealth, dernier vestige de l'empire britannique. 

Les Indiens eux-mêmes appellent volontiers leur pays Bharat en référence à un roi mythique
qui a inspiré l'épopée en vers Mahâbhârata. D'un point de vue religieux, le pays est aussi
appelé Hindoustan parce qu'il est le berceau de l'hindouisme (-stan est un suffixe d'origine
persane qui signifie pays). 

Le Pakistan est une invention du XXe siècle. Son nom, un néologisme en forme d’acronyme),
conçu par un jeune universitaire Choudhary Rahmat Ali en 1933, signifie le « pays des purs »
(de l’ourdou : pâk signifiant « pur » et stân signifiant « pays »), et comporte les initiales de
trois provinces revendiquées par ses promoteurs : P pour Pendjab, A pour Afghanistan, K
pour Cachemire. Devenu une République islamique, il est comme l'Inde resté fidèle au
Commonwealth britannique. 
I. L'INDEPENDANCE DE TOUS LES DANGERS 
Le Parti du Congrès, qui regroupe les élites hindoues, réclame dès le début du XXe siècle
l'autonomie, voire l'indépendance. La Ligue musulmane, toute aussi désireuse de voir partir
les Anglais, exige la création d'un État proprement musulman, le Pakistan. 

Son chef, Muhammad Ali Jinnah, récuse tout idée de confédération entre cet État et la
future Union indienne. Il entretient ses coreligionnaires dans la conviction qu'ils ne pourront
jamais vivre en paix s'ils sont en minorité face aux hindous. Après la conférence de Simla1, le
25 juin 1945, conclue sur un échec le 14 juillet 1946, il les appelle à une journée d'action
directe, le 16 août 1946. Il s'ensuit plusieurs milliers de morts rien qu'à Calcutta. C'est la
première explosion de haine entre les deux communautés. 

Conférence de Simla : Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement anglais se résout à


émanciper les Indes, occupées depuis environ deux siècles. Mais le plus difficile est de concilier les
leaders indiens sur l'avenir du British Raj. Pour tenter d'apaiser les dissensions communautaires,
Lord Wavell, vice-roi des Indes britanniques, présente en mai 1945 un plan de compromis qui vise à
la création d'un Conseil exécutif dans lequel hindous et musulmans seraient équitablement
représentés. Il convoque une conférence à Simla, au nord de l'Inde, le 25 juin 1945, pour en débattre.
Muhammad Ali Jinnah, qui représente la Ligue musulmane, revendique pour celle-ci le droit de
représenter exclusivement les musulmans du pays. Le parti du Congrès National Indien, qui se veut
laïc, unitaire et multiconfessionnel, conteste sa prétention. La conférence se conclut sur un échec le
14 juillet 1946 et le mois suivant, la Ligue musulmane appelle à une journée d'action, le 24 août 1946.
Elle se traduit par les premiers affrontements sanglants entre hindous et musulmans à Calcutta. C'est
la première explosion de haine confessionnelle. En désespoir de cause, le Premier ministre anglais
Clement Attlee demande à Lord Louis Mountbatten de conduire les négociations d'indépendance avec
le titre de vice-roi... 

Les Britanniques n'en confient pas moins la direction du British Raj à un gouvernement
intérimaire dirigé par le pandit Jawaharlal Nehru, compagnon de route de Gandhi. Ils
convoquent par ailleurs une assemblée constituante en décembre 1946 mais celle-ci est
boycottée par la Ligue musulmane. Les affrontements sanglants entre les deux communautés
commencent à se multiplier. 

En février 1947, Londres dépêche lord Louis Mountbatten (46 ans) en qualité de vice-roi en
remplacement de Lord Wavell. Il a mission de mener à bien l'indépendance des Indes
britanniques. 

Arrière-petit-fils de la reine Victoria, cousin de la future reine Elizabeth II, oncle et


tuteur de son époux Philippe d'Édimbourg, c'est un homme remarquable et brillantissime,
doté de tous les dons et en premier lieu de celui de la persuasion. Il a combattu dans la Royal
Navy et notamment organisé des raids contre les ports de Saint-Nazaire et Dieppe, avant
d'assumer le commandement suprême des forces interalliées en Asie du Sud-Est et de chasser
les Japonais de Birmanie. Ce dernier exploit lui a valu la reconnaissance des Indiens. 

Mais quand le Premier ministre Clement Attlee lui demande de relayer Lord Archibald
Wavell à Delhi en vue d'organiser au mieux l'indépendance, Lord Louis Mountbatten
manifeste les plus vives réticences. Il faudra un ordre express de son ami le roi George VI
pour qu'il accepte la mission. 
II. LE COMBAT DES CHEFS 
D'emblée, le nouveau vice-roi, accompagné de son épouse Edwina et de sa fille Pamela,
s'applique à séduire ses interlocuteurs. Il rencontre successivement tous les leaders indiens
dans son somptueux palais des Mille et Une Nuits. 

La préférence de Nehru va à un État centralisé afin de prévenir aussi bien la création du


Pakistan que la sécession de tel ou tel État princier. Il doit aussi contenir les extrémistes de
son propre camp qui réclament la création d'un État purement hindou, l'Hindoustan, pour
faire pendant au futur Pakistan. 

Lady Edwina Mountbatten (épouse de Lord Mountbatten) et le Premier ministre Nehru : Petite
histoire dans la grande Histoire : 1947. Le dernier vice-roi des Indes britanniques, Lord Mountbatten,
est intronisé à New Delhi. Lady Edwina, sa femme, est l'une des grandes dames de l'aristocratie
anglaise, l'une des plus libertines, et sans doute la plus émancipée. Leur interlocuteur privilégié, le
pandit Nehru, vient d'être libéré de prison. Bientôt, il deviendra le premier Premier ministre de l'Inde
libre. Tout semble opposer Edwina et Nehru et, pourtant, entre l'Indien rebelle à l'Angleterre et la
lady anglaise naît une passion impossible que Lord Mountbatten, le mari, accepte avec noblesse. L'un
et l'autre vont se débattre dans les sanglants événements qui suivent le partage des Indes en deux
pays, le Pakistan et l'Inde. Quelques mois plus tard, les Mountbatten retournent en Angleterre. Mais
l'amour continue entre Edwina et Nehru. Pendant douze ans, ils s'écrivent chaque nuit et vivent
ensemble un mois par an. Jusqu'à la mort d'Edwina. Cette incroyable histoire, légendaire dans l'Inde
d'aujourd'hui, fait entrer Nehru et Edwina dans le ciel magnifique des amants séparés, couple
mythique au cœur d'une épopée et cependant nos contemporains. Lire sur cette histoire le beau roman
de Catherine Clément : Pour l’amour de l’Inde, 1993, Ed. Flammarion, 503 p. 

Mountbatten cultive d'excellentes relations avec Nehru mais il désespère de préserver l'unité
du British Raj et, en désespoir de cause, choisit d'accélérer le processus d'indépendance,
quoiqu'il en coûte. 

Le 3 juin 1947, le vice-roi officialise la future partition de l'empire des Indes et, sur le
vif, annonce que la transmission des pouvoirs aura lieu le vendredi 15 août 1947, sans
doute parce que deux ans plus tôt, c'est aussi un 15 août qu'il a reçu la reddition de l'armée
japonaise de Birmanie... 

Les astrologues hindous s'indignent de n'avoir pas été consultés et affirment que le 15 août est
le plus mauvais choix possible... En revanche, le 14 août serait très acceptable. Conciliants,
Mountbatten et Nehru conviennent que l'indépendance sera officialisée le 14 août à
minuit ! 

Sir Cyril Radcliffe3, un juriste anglais de qualité mais sans expérience des Indes, se voit
confier la tâche de délimiter la future frontière entre Pakistan et Inde, au Pendjab et au
Bengale. Pour éviter de ternir la joie de l'indépendance, Lord Mountbatten gardera son
rapport sous le coude et ne le remettra officiellement que le 16 août 1947 à ses successeurs,
Nehru et Ali Jinnah. 

Sir Cyril Radcliffe : Cyril John Radcliffe (1899 - 1977), 1er vicomte Radcliffe, était un avocat
britannique, mandaté par le gouvernement de Londres pour définir en cinq semaines (avec l'aide de
deux hindous et de deux musulmans), le tracé de la ligne qui porte son nom et qui fait office de
frontière lors de la partition des Indes le 17 août 1947, deux jours après l'indépendance du Raj
britannique qui donna naissance à l'Inde et au Pakistan. Avant cette mission, Sir Radcliffe ne
connaissait pas le sous-continent indien, il n'est jamais venu. Il n'y retournera jamais par la suite.

À Westminster, les députés anglais examinent en un temps record le projet Mountbatten


et votent le 4 juillet l’« Indépendance Bill ». Finalement, la passation des pouvoirs a lieu
comme prévu le 15 août 1947, à Delhi, au fort Rouge, l'ancien palais des empereurs
moghols. La fête est réussie, malgré l'absence de Gandhi, plongé dans un nouveau jeûne en
guise de protestation contre la partition, qu'il qualifie à juste titre de « vivisection ».

Nehru devient le premier Premier ministre de l'Union indienne et demande à Lord


Louis Mountbatten de devenir le premier gouverneur général de l'Inde indépendante, le
temps que se mette en place la nouvelle administration.

Mountbatten va conserver son titre jusqu'au 21 juin 1948 et ce qu'il pensait être une
sinécure4 sans véritable autorité va devenir la charge la plus lourde d'une existence déjà bien
remplie : à l'heure des troubles, Nehru et son ministre de l'Intérieur Sardar Patel5 vont faire
appel à son expérience et à son énergie pour mobiliser les forces de l'ordre au service des
réfugiés de toutes confessions...

Sinécure : Emploi rétribué qui n'oblige à aucun travail.

Sardar Patel : Vallabhbhai Patel (Nadiad, 31 octobre 1875 - Bombay, 15 décembre 1950), dit Sardar
Vallabhbhai Patel, était un leader nationaliste et homme d'État indien, originaire, comme Gandhi, du
Gujarat. Après ses études de droits en Angleterre (1910-1913), où il obtient son diplôme en deux
années au lieu des trois habituelles, il retourne en Inde aussitôt et ouvre un cabinet à Ahmadābād. Il
fait bientôt la rencontre de Gandhi et rejoint le mouvement pour la désobéissance civile. Il devient le
président du Parti du Congrès en 1931 et, grâce à ses efforts, le parti recueille 100 % des votes aux
élections de 1937. Il est emprisonné de nombreuses fois par les Britanniques du fait de ses activités
politiques, en particulier du 9 août 1942 à la fin du conflit mondial, à la suite de la résolution « Quit
India » qui enjoignait à la puissance coloniale à se retirer du pays. Candidat naturel du parti à la
fonction de Premier ministre, ayant le soutien de la majorité de ses membres, il se laisse persuader
par Gandhi de laisser cette place à Jawaharlal Nehru. Comme ministre de l'Intérieur, ministre des
États et premier Ministre adjoint (1947-1950), dans le gouvernement de ce dernier, il négociera avec
succès l'intégration des États princiers des Indes au sein de la république, n'hésitant pas à envoyer
l'armée à Jūnāgadh et Hyderabad pour mater les désirs d'indépendance de leur râja. Sa gestion de la
crise après l'assassinat de Gandhi permet à cet « homme de fer », comme on l'appelle alors, d'éviter
qu'une guerre civile n'embrase l'Inde. Le titre de Sardar lui a été conféré par le peuple du Gujarat en
marque de respect.

La veille, à Karachi, Lord Mountbatten a proclamé la création du dominion6 du


Pakistan en vertu de l’« Indian Independence Bill » voté par le Parlement de
Westminster. Beaucoup moins accommodant que Nehru, Ali Jinnah s'est d'emblée attribué
le titre de gouverneur général avec tous les pouvoirs... 

Un dominion : État indépendant membre de l'Empire britannique, mais pas totalement souverain, la
Couronne britannique gardant la souveraineté sur la diplomatie, la guerre, la citoyenneté, la plus
haute instance judiciaire ainsi que la constitution. 
Lord Mountbatten doit aussi gérer le sort des 562 États princiers qui, au fil de l'Histoire,
ont noué des traités avec Westminster en échange de leur autonomie interne. Ils
rassemblent le quart de la population, les autres Indiens étant soumis à l'administration directe
des Britanniques. 

Le vice-roi arrive à convaincre tous les souverains de renoncer à reprendre leur indépendance
et de rejoindre la future Union en échange de généreuses compensations. L'exception la plus
notable est le nizam (souverain musulman) d'Hyderabad, au cœur du pays. Celui-là ne se
ralliera qu'en 1948, sous la contrainte. 

Plus gravement, le maharadjah (souverain hindou) du Cachemire, province à majorité


musulmane, a cru pouvoir reprendre son indépendance. Quand il se rallie enfin à l'Inde,
l'armée pakistanaise envahit son territoire. C'est le début d'une guerre sans fin. En ce
début du XXIe siècle, une ligne de cessez-le-feu indo-pakistanaise coupe toujours cette
province autrefois belle et prospère. 
III. VISIONS D'ENFER 
Immédiatement, dans l'affolement, la plupart des hindous et sikhs7 du nouveau Pakistan
plient bagage et rejoignent vaille que vaille l'Union indienne ; ils sont imités en sens
inverse par de nombreux musulmans. 

Sikhs : Le sikhisme est une religion qui est apparue au XVe siècle, dans la région du Punjab de l'Inde
actuelle. Elle a éclos d'après les enseignements du Guru Nanak et a grandi ensuite en suivant les
paroles des dix autres gurus sikhs. C'est la cinquième religion au monde par le nombre de ses
croyants. Ce système de philosophie et d'expression religieuse est traditionnellement appelé Gurmat,
littéralement : qui vient des gurus. Le sikhisme a été influencé par l'hindouisme et l'islam ; des
principes comme le karma, la mukti (délivrance finale, salut) ou la réincarnation y prennent place, et
il y a dans le livre saint, des écritures de mystiques soufis. Les croyances principales du sikhisme sont
la foi et la justice, en Waheguru — terme que l'on peut traduire par « dieu », « l’Être suprême », « le
créateur de tout »). Le sikhisme prône la poursuite du salut par la discipline, la méditation
personnelle sur le nom et le message de Dieu, le partage. Les adeptes du sikhisme doivent suivre les
enseignements des dix gurus sikhs ou des dirigeants éclairés, ainsi que l'Écriture sainte du Gurū
Granth Sahib (c’est le nom du Livre saint des Sikhs) qui, avec les écrits de six des dix gurus sikhs,
comprend des œuvres sélectionnées de nombreux fidèles de divers milieux socio-économiques et
religieux. Le texte a été décrété par le guru Gobind Singh, le dixième guru, comme le guru final de la
religion sikh, ou onzième guru, uniquement spirituel. Les traditions sikhes et les enseignements sont
associés à l'histoire, la société et la culture du Pendjab. Les adeptes du sikhisme sont connus comme
les sikhs (signifiant élèves ou disciples) et leur nombre avoisine les 25 millions à travers le monde.
Cependant, la plupart des sikhs vivent dans l'état du Punjab en Inde ; avant la scission, des millions
de sikhs vivaient dans ce qui est aujourd'hui la province du Pendjab du Pakistan. 

De 1947 à 1950, dix à quinze millions de personnes se croisent ainsi par-dessus les
frontières des deux nouveaux États, occasionnant au passage d'innombrables incidents
meurtriers. 

Dans les villages où cohabitent les communautés (hindous, musulmans, sikhs) ont lieu des
scènes d'épouvante, pires qu'en Europe pendant la Seconde Guerre mondiale aux dires des
témoins britanniques : massacres à l'arme blanche, viols, mutilations... 

On compte 400 000 à un million de morts rien que dans l’été 1947. 

C'est au Pendjab, entre Delhi, Amritsar et Lahore, que se produisent la plupart des atrocités.
Les hindous mais aussi les Sikhs qui dominaient précédemment cette riche province se voient
chassés de sa capitale Lahore, attribuée au Pakistan. Les Sikhs, pour leur part, chassent les
musulmans de leur ville sainte, Amritsar. 

À Calcutta, capitale du Bengale, Gandhi arrive par sa présence à apaiser les tensions. S'étant
établi au cœur de la métropole, il menace de jeûner à mort s'il advenait du mal à l'une ou
l'autre des communautés. Ce « miracle de Calcutta » va épargner au Bengale les horreurs du
Pendjab, à quelques exceptions près. 

La mansuétude du Mahatma8 à l'égard de toutes les confessions, y compris des musulmans,


lui vaudra d'être assassiné le 30 janvier 1948, six mois seulement après l'indépendance, par un
jeune extrémiste hindou. 
Mahatma : Signifie en sanskrit « Grande âme » (mahā (grande) + ātman [âme]) ; il a un usage
similaire au terme chrétien saint. Cet épithète est communément attribué à certaines grandes
personnalités comme Mohandas Karamchand Gandhi.

Heureusement, le reste de l'Inde va se tenir calme de sorte qu'à la fin des troubles, l'Inde va
conserver en son sein trente millions de musulmans, soit un dixième de sa population d’alors.
 
Sans vouloir refaire l'Histoire, on peut se demander ce qu'il serait advenu si les négociations
de l'indépendance avaient traîné et laissé aux haines religieuses le temps de se diffuser à
l'ensemble du sous-continent, au-delà du Pendjab et du Bengale !... 

Malgré ces funestes débuts, la démocratie indienne va lentement mûrir et croître sous la
direction de dirigeants remarquables, au premier rang desquels Jawaharlal Nehru et sa fille,
Indira Gandhi9 (sans lien de parenté avec le Mahatma, son patronyme lui venant de son
mari). 

Indira Gandhi : Indira Priyadarshini Gandhi née Nehru, le 19 novembre 1917 et morte le 31 octobre
1984, est une femme d'État indienne, Première ministre de 1966 à 1977 puis de 1980 à sa mort en
1984.Fille unique de Jawaharlal Nehru, le premier Premier ministre de l'Inde, elle est la deuxième
femme au monde élue démocratiquement à la tête d'un gouvernement, après Sirimavo Bandaranaike
au Sri Lanka. C'est une figure majeure du Congrès et de la politique indienne de la seconde moitié du
XXe siècle et ses mandats à la tête de l'Inde sont marqués par une forte centralisation du pouvoir. Elle
mène la troisième guerre indo-pakistanaise, développe un programme d'armes nucléaires et accroit
l'influence de l'Inde sur l'Asie du Sud. Son gouvernement préside à la Révolution verte (période de
forte augmentation de la production agricole dans les années 1960 causée par l'amélioration des
techniques et des technologies) et à la nationalisation des banques et des principales industries. De
1975 à 1977, Indira Gandhi instaure un état d'urgence controversé qui lui permet de suspendre les
libertés publiques. Défaite en 1977, Indira Gandhi redevient Première ministre à la suite des élections
de 1980. Elle est assassinée en 1984 par ses gardes du corps sikhs après avoir ordonné l'attaque du
Temple d'Or d’Amritsar contre les séparatistes du Pendjab.

Moins chanceux est le Pakistan. État artificiel fondé sur l'identité musulmane, il perd le 11
septembre 1948 son père fondateur Mohammed Ali Jinnah, victime de la tuberculose. 

En 1971, sa partie orientale fait sécession sous le nom de Bangladesh10. 

Bangladesh : Le 17 avril 1971, le Bangladesh (« pays du Bengale » en bengali) proclame son


indépendance et se sépare de la partie occidentale du Pakistan dont il est séparé par 1 600 km. Les
frontières de la région qui constitue aujourd'hui le Bangladesh résultent de la partition des Indes en
1947, quand le pays devint la partie orientale du Dominion du Pakistan, devenu en 1956 la
République islamique du Pakistan. Le lien entre les deux parties du Pakistan, fondé sur leur religion
majoritaire commune, l'islam, s'est révélé fragile face aux 1 600 km qui les séparaient. Soumis à une
discrimination politique et linguistique — l'ourdou étant proclamé langue officielle du Pakistan —
ainsi qu'à une négligence économique de la part du pouvoir aux mains du Pakistan occidental, les
Bengalis du Pakistan oriental déclarent l'indépendance en 1971, appuyés par l'Inde et l'URSS.
(L'indépendance vient de ce que le général-dictateur pakistanais Yahya Khan refuse à la province
l'autonomie que réclame la Ligue Awami du cheikh Mujibur Rahman, un parti de notables victorieux
aux élections de décembre 1970. Le cheikh lance une campagne de désobéissance civile. La
répression brutale par l'armée lui vaut le ralliement de toute la population). Après la proclamation
d'indépendance, l'Inde d'Indira Gandhi intervient militairement au côté du Bangladesh. Un conflit
d'une rare violence s'ensuit, faisant près de trois millions de morts, dix millions de réfugiés et 200 000
viols avérés, qui se conclut le 17 décembre 1971 par la défaite des Pakistanais. Malgré sa libération,
le Bangladesh voit son développement marqué par des troubles politiques, avec quatorze chefs de
gouvernement et au moins quatre coups d'État dans les années qui suivent. Avec plus de 1 237
hab/km² en 2015, le Bangladesh est l'un des pays du monde dont la population est la plus dense.
Géographiquement, l'essentiel du Bangladesh est occupé par le delta du Gange avec une superficie
totale de 105 000 km2. C'est une plaine fertile mais sujette aux cyclones et inondations des moussons.
Le Bangladesh compte 163 millions d'habitants (2016).

En ce début du XXIe siècle, le Pakistan, le « Pays des Purs » est une dictature dotée de l'arme
atomique, soumise à la charia et confrontée à de nouveaux défis du fait de la montée de
l'intégrisme islamique, aux antipodes de l'empire moghol11 érigé en modèle par les
musulmans du sous-continent indien. 

L'empire moghol  : L'Empire moghol ou mogol est fondé en Inde par Bâbur, un descendant de
Tamerlan, en 1526, après sa victoire sur Ibrahim Lodi, le dernier sultan de Delhi, à la bataille de
Pânipat. Le nom Moghol provient de la zone d'origine des Timurides, ces steppes d'Asie centrale
autrefois conquises par Gengis Khan et connues par la suite sous le nom de Moghulistan, « Terre des
Mongols ». Bien que les premiers Moghols aient parlé la langue tchaghataï, et conservé des coutumes
turco-mongoles, ils avaient pour l'essentiel, été « persanisés ». Ils introduisirent donc la littérature et
la culture persanes en Inde, jetant les bases d'une culture indo-persane. L'empire moghol marque
l'acmé de l'expansion musulmane en Inde. En grande partie reconquis par Sher Shâh Sûrî, puis à
nouveau perdu pendant le règne d'Humâyûn, il se développe considérablement sous Akbar, et son
essor se poursuit jusqu'à la fin du règne d'Aurangzeb. Après la disparition de ce dernier, en 1707,
l'empire entame un lent et continu déclin, tout en conservant un certain pouvoir pendant encore 150
ans. En 1739, il est défait par une armée venue de Perse sous la conduite de Nâdir Châh. En 1756,
une armée menée par Ahmad Shâh pille à nouveau Delhi. Après la révolte des Cipayes (1857-1858),
les Britanniques liquident le dernier empereur moghol resté, jusqu'à cette date, le souverain en titre
de l'Inde.

Les Indes britanniques constituaient au début du XXe siècle la principale région sous tutelle
européenne. Leur indépendance va donner le signal de la décolonisation. Après les Indes
néerlandaises (Indonésie), Ceylan (Sri Lanka) et la Birmanie en 1948, les Européens vont se
résigner à lâcher leurs autres possessions, essentiellement en Indochine et en Afrique. 
IV. COMMENTAIRE : BILAN DE LA COLONISATION
BRITANNIQUE 
En Inde comme au Pakistan ou au Bangladesh, nul n'aurait l'idée aujourd'hui de rendre
l'ancien colonisateur responsable des difficultés du moment. 

Accoutumés à traiter avec des envahisseurs extérieurs (Turcs, Mongols...), les Indiens sont
reconnaissants aux derniers venus, les Britanniques, d'avoir réalisé l'unité de leur aire
culturelle et permis à l'hindouisme et aux traditions védiques12 de renaître au grand jour. 

Védique : Qui a rapport aux Vedas (livres sacrés de l'Inde écrits en sanskrit archaïque). 

Ils leur sont reconnaissants aussi de leur avoir donné une langue véhiculaire, l'anglais,
acceptable par toutes les composantes du pays, et surtout de leur avoir transmis les principes
de l'État de droit, sans lesquels il n'est pas de démocratie ni de paix civile. Grâce à quoi
l'Union indienne peut se flatter d'être aujourd'hui la plus grande démocratie du monde,
en dépit de toutes ses imperfections. 

Au passif de la colonisation britannique, il faut inscrire sans nul doute la ruine de


l'artisanat qui faisait encore au début du XIXe siècle la prospérité des Indes et la renommée
de ses tissus dans le monde entier (indiennes, cachemire, madras...). C'est en inondant le
marché indien de leurs textiles produits à Manchester et Liverpool que les Britanniques ont en
bonne partie bâti leur puissance industrielle, sans égard pour le savoir-faire local,
irrémédiablement détruit (la Chine, notons-le, utilise en ce début du XXIe siècle la même
stratégie à l'égard de l’Occident). Les Anglais ont aussi considérablement appauvri la
paysannerie indienne et livré celle-ci à d'épouvantables famines (la dernière a frappé le
Bengale en 1943).

Si les Indiens se gardent de réclamer des comptes au colonisateurs, c'est aussi parce que ces
violences ont été commises avec la complicité active des castes dirigeantes du pays.
Condamner la domination anglaise reviendrait à condamner aussi une partie de la société
indienne... 
VIDÉOS COMPLÉMENTAIRES

À LA FIN DU POWERPOINT :

 L’indépendance de l’Inde
 India’s great day (en anglais sous-titré)
 India 1947 (en anglais sous-titré)
 Géopolitique : Gandhi et l’indépendance de l’Inde
 Le dessous des cartes : le Cachemire
 Infos : l’attaque du Temple d’or
 Info : Mort d’Indira Gandhi
 Reportage : Le Taj Mahal, indésirable pour les Nationalistes hindous.

SUR VIMEO.COM :
(Mot de passe : Rozsavolgyi)

- Gandhi (film de Richard Attenborough avec Ben Kingsley) :


https://vimeo.com/638358558
- Le Dernier Vice-Roi des Indes (film de Gurinder Chadha avec Hugh Bonneville) :
https://vimeo.com/638363754
- Le Discours d’un roi (film de Tom Hooper avec Colin Firth) :
https://vimeo.com/476813149
QUESTIONS COMPLÉMENTAIRES

I. L’ARME NUCLÉAIRE EN INDE ET AU PAKISTAN

PRÉAMBULE 
Que tout ce qui vit 
Se change en masses mortes
Au ciel et sur terre
A jamais s’anéantisse !
Cela me consolerait. 
Takeo Takahashi, poète, irradié à Hiroshima. 

En août 1945, les bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki ont révélé au monde la


puissance terrifiante de l’arme atomique. Encore ne s’agissait-il que de la bombe A. En 1954,
les Etats-Unis testent avec succès la bombe H, 700 fois plus puissante que celle d’Hiroshima.
En 1961, l’URSS fait exploser une Tsar Bomba de 57 mégatonnes (3 125 fois Hiroshima). Sa
boule de feu mesurait 7 km de diamètre et sa chaleur a été ressentie dans un rayon de 300 km.
Et pourtant, on l’avait bridée pour réduire les risques : sa puissance potentielle était d’environ
100 mégatonnes. 

Deux théories émergent alors. Selon les uns, la capacité terrifiante de l’arme atomique
obligera les Etats à chercher des solutions diplomatiques à leurs conflits. Elle sera donc
facteur de paix. Pour d’autres, le seul risque que l’espèce humaine soit désormais capable de
s’annihiler est inacceptable. L’équilibre de la terreur met le monde tout au bord d’un gouffre
dans lequel il suffirait d’un rien pour qu’il disparaisse. 

En 1962, la crise des missiles à Cuba semble donner raison aux pessimistes. Les cinq
grandes puissances nucléaires – Chine, Etats-Unis, France, Grande-Bretagne, URSS –
réagissent en tentant d’arrêter la course à l’arme atomique, dans l’idée que le risque augmente
avec le nombre de bombes. Signé en 1968, le traité de non-prolifération repose sur un
donnant donnant : les Etats non nucléaires signataires s’engagent à ne pas développer la
bombe et, en échange, les cinq puissances nucléaires ainsi confortées dans leur monopole
partageront avec eux leur technologie nucléaire civile. L’AIEA13 est créée pour permettre
l’application de ce traité et aider les pays signataires à se doter du nucléaire civil tout en
contrôlant la non-prolifération. 

AIEA : L'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) — anglais International Atomic Energy
Agency (IAEA) — est une organisation internationale, sous l'égide de l'ONU. Elle rend un rapport
annuel à l'assemblée générale des Nations unies et à chaque fois que demandé par le Conseil de
sécurité. Fondée en 1957 et basée à Vienne (Autriche), elle cherche à promouvoir les usages
pacifiques de l'énergie nucléaire et à limiter le développement de ses applications militaires. 
A ce jour, 190 États ont signé le TNP. Mais il n’a pas empêché trois pays non-signataires
de se doter de l’arme atomique (Israël, Inde, Pakistan), tout comme la Corée du Nord, qui
s’est retirée du traité en 2003. La prolifération est un fait accompli en Asie, qui compte
désormais quatre puissances nucléaires, plus une virtuelle (le Japon). 

ASIE DU SUD : LA COURSE À LA BOMBE 

« J’espère que l’Inde utilisera l’énergie nucléaire à des fins constructives. Mais si l’Inde est
menacée, elle se défendra par tous les moyens à sa disposition ». 
Jawaharlal Nehru, Premier ministre indien, 1946. 

« Si l’Inde construit la bombe, nous mangerons de l’herbe s’il le faut, mais nous aussi nous
l’aurons ». 
Zulfikar Ali Bhutto, président du Pakistan, 1972. 

LA BOMBE, FACTEUR DE PAIX ? LE CAS INDO-PAKISTANAIS 

Depuis la partition sanglante du sous-continent après l’accession de l’Inde britannique à


l’indépendance, l’Inde et le Pakistan se sont affrontés dans quatre guerres ouvertes (1947-
1949, 1965, 1971, 1999). C’est dans ce contexte que les deux pays sont devenus des
puissances nucléaires, au mépris du TNP. Cela ne les a pas empêchés aujourd’hui d’être
admis dans le « club des Cinq » en recevant en 2008 le blanc-seing des grandes puissances –
dont certaines n’avaient d’ailleurs pas hésité à contourner le TNP pour aider leur protégé à se
doter de la bombe (l’URSS en Inde, les Etats-Unis et la Chine au Pakistan). 

1°) Du Smiling Buddha aux 11 essais nucléaires de 1998 

Officiellement, l’histoire du nucléaire militaire en Asie du Sud n’a commencé qu’en 1998,
avec les essais nucléaires massifs réalisés par l’Inde et le Pakistan. En réalité, l’Inde a réalisé
son premier essai dès 1974 dans le désert du Rajasthan. Joliment baptisé Smiling Buddha
(Bouddha souriant), cet essai est présenté comme une « explosion nucléaire pacifique », dont
l’objectif serait purement scientifique. Mais ce discours trompe d’autant moins le Pakistan
que New Dehli lance en même temps un programme de missiles balistiques. Le premier est
testé en mai 1989. L’Inde dispose dès lors d’une capacité de frappe nucléaire complète. 

Le Pakistan, à l’époque allié des Etats-Unis, alors que l’Inde est proche de Moscou, a en
partie bénéficié de leur aide pour son programme nucléaire civil. Mais en 1990, n’ayant
encore testé aucun engin nucléaire, son statut de puissance nucléaire est encore douteux. On
sait aujourd’hui que la Chine lui avait fourni plusieurs bombes atomiques en 1988, et qu’il
avait procédé à un cold test14. On estime qu’en 1990 le Pakistan possédait entre trois et dix
têtes nucléaires prêtes à l’emploi. 

Cold test : Test sans détonation, au cours duquel la masse critique (la quantité de matériel nucléaire
permettant une réaction en chaîne) n’est pas atteinte. Alternative légale aux tests grandeur nature, ils
sont aujourd’hui encore largement pratiqués par les Etats-Unis ou la Chine. 
L’apparition de deux nouvelles puissances nucléaires devient officielle en mai 1998, lorsque,
dans une inquiétante surenchère, l’Inde procède à cinq essais nucléaires et le Pakistan à six.
L’échec du TNP devient flagrant. Du côté indien, derrière l’argument de la sécurité, la bombe
semble relever au moins autant d’une volonté d’affirmer son prestige national et son statut de
puissance régionale – comme c’est aujourd’hui le cas pour l’Iran. Le Pakistan est évidemment
soucieux de préserver l’équilibre des forces avec son ennemi, mais il escompte aussi que la
menace d’un conflit entre deux puissances nucléaires obligera la communauté internationale à
s’entremettre dans la question brûlante du Cachemire, qui a déjà été le théâtre de trois guerres
entre les deux voisins depuis 1947 sans qu’aucune solution ne soit en vue. 

2°) Quand deux puissances nucléaires s’affrontent (1999-2002) 

Ce calcul de Karachi semble fonctionner quand, en février 1999, les Premiers ministres des
deux pays se rencontrent à Lahore, deuxième ville du Pakistan, où le chef du gouvernement
indien rend un hommage solennel au monument qui commémore l’appel à la création d’un
Etat pakistanais, prélude à la sanglante partition du sous-continent. Il s’ensuit une déclaration
où les deux pays affirment vouloir « intensifier leurs efforts pour résoudre les problèmes, y
compris celui [du] Cachemire ». 

Paradoxalement, trois mois plus tard, le Pakistan se lance dans la « guerre de Kargil » pour
récupérer un glacier occupé par l’Inde en 1984. Ses stratèges escomptent que la peur d’un
conflit nucléaire dissuadera l’Inde de risquer une guerre totale et surtout poussera les grandes
puissances à s’entremettre dans l’affaire du Cachemire. Le calcul était peut-être bon, mais le
Pakistan commet l’erreur de se laisser emporter par ses premiers succès militaires bien au-
delà de ses objectifs initiaux, ce qui entraînera sa défaite. 

L’affrontement des deux puissances nucléaires connaît un nouveau moment critique deux ans
plus tard. En décembre 2001, alors que les attentats du 11 septembre ont mis à l’ordre du jour
la « guerre contre le terrorisme », un attentat suicide contre le Parlement indien remet le feu
aux poudres. New Dehli exige du Pakistan la dissolution de deux groupes islamistes et
l’extradition d’une vingtaine de suspects. L’Inde appuie ces exigences en déployant ses
troupes tout le long des 750 km de la ligne de contrôle, zone militarisée sous haute tension
dans le Cachemire, et son aviation se prépare à frapper des camps d’islamistes au Pakistan.
L’escalade prend fin quand Karachi, sous la pression de Washington, promet d’aider l’Inde à
combattre le terrorisme et de traquer les islamistes sur son territoire. 

Le cas indo-pakistanais a été largement débattu entre les tenants de la dangerosité des armes
nucléaires et ceux de leur caractère dissuasif15. La possession de la bombe par les deux
adversaires n’a pas empêché le conflit de prendre par moments un tour violent. A-t-elle joué
dans le fait que ces épisodes ont été brefs et n’ont pas dérapé, notamment en poussant les
grandes puissances à s’entremettre plus ou moins discrètement ? On peut en discuter,
notamment en pensant à l’effet que pourrait avoir l’émergence d’un Iran doté de la bombe sur
le théâtre moyen-oriental. Mais une chose est sûre : ces armes ont donné aux deux pays qui
s’en sont dotés un statut que le « club des Cinq » n’a pas pu remettre en cause – et qu’il
accepte aujourd’hui, au point que les Etats-Unis eux-mêmes aident désormais l’Inde à
améliorer sa technologie nucléaire civile. 

Caractère dissuasif : Notamment via le débat opposant Scott Sagan (pessimiste) à Kenneth Waltz
(optimiste). Voir The Spread of Nuclear Weapons. A Debate, W. W. Norton, 1995. 
3°) L’accord nucléaire indo-américain de 2008 

L’accord indo-américain de 2008 autorise le transfert de technologie nucléaire civile et la


vente d’uranium à l’Inde, bien qu’elle ait ouvertement ignoré le TNP. Il remet donc
radicalement en cause les principes sur lesquels reposait le système mondial de non-
prolifération. Il est intervenu à point nommé pour l’Inde qui, ne pouvant s’approvisionner que
dans ses propres mines de Jaduguda, commençait à être à court d’uranium. Il s’explique par le
changement radical de la place de l’Inde sur l’échiquier géopolitique. Traditionnellement
proche de l’URSS, puis de la Russie, la montée en puissance de la Chine en fait aujourd’hui
aux yeux de Washington un allié essentiel pour endiguer l’influence du nouveau géant en
Asie du Sud. D’où la décision prise par George W. Bush. Cette décision a été par la suite
entérinée par de multiples accords nucléaires bilatéraux avec l’Inde, dont un accord
controversé avec le Japon signé fin 2015, qui permettra l’export de technologie nucléaire
nippone. 

Pour les défenseurs de l’accord de 2008, cette reconnaissance du fait accompli ne change pas
grand-chose et permet d’ouvrir le très prometteur marché indien aux industriels occidentaux
de l’atome. Ils arguent aussi que l’arsenal nucléaire indien ayant d’ores et déjà atteint la taille
nécessaire à la sécurité du pays, il ne devrait pas proliférer. 

Pour ses critiques, cet accord envoie un très mauvais signal aux autres pays qui cherchent à se
doter de la bombe. Il sape la légitimité des sanctions prises depuis 1979 contre l’Iran, qui ne
fait rien d’autre que ce qui a été pardonné à l’Inde. En outre, il aggrave le risque de
prolifération à partir de l’arsenal indien. En effet, l’Inde a obtenu l’accès à un
approvisionnement en uranium illimité. Elle a déjà signé des contrats avec l’Australie, la
France, la Russie, le Japon et le Kazakhstan, et négocie avec la Mongolie, l’Argentine et la
Namibie. Cela lui permettra de développer à la fois son ambitieux programme civil et un
arsenal nucléaire de plus en plus diversifié (notamment des sous-marins), auquel serait
réservée la production locale, abritée des aléas géopolitiques. Si l’Inde améliore ainsi son
arsenal nucléaire, le risque est très important que le Pakistan et la Chine réagissent, entraînant
toute la région dans une course accélérée aux armements nucléaires. 

Le Pakistan a d’ailleurs immédiatement augmenté sa production d’uranium et de plutonium.


Et l’on sait qu’il a été un acteur essentiel de la prolifération à l’échelle planétaire – au départ
de la Corée du Nord et au profit, entre autres, de l’Iran, via le célèbre réseau d’Abdul Qadeer
Khan. 
B - Dr Khan, le grand maître de la prolifération 

L’affaire Khan débute en 2003, avec l’interception du cargo BBC China, venant de Malaisie
et en route pour la Libye. A bord, des matériaux nucléaires. Le colonel Kadhafi, qui cherche
alors à se réconcilier avec l’Occident, livre le nom de son fournisseur : le Dr Abdul Qadeer
Khan, père de la bombe pakistanaise et indéboulonnable patron du nucléaire de ce pays. 

Abdul Qadeer Khan est né en 1935 à Bhopal, dans une famille musulmane de la classe
moyenne. Au moment de la partition, les Khan choisissent de rester en Inde. Mais en 1952,
les mauvais traitements infligés aux musulmans par les hindous poussent le jeune Abdul à
rejoindre son frère, qui s’est réfugié à Karachi. 

Diplômé de l’université de Karachi, il poursuit ses études d’ingénieur à Berlin-Ouest, aux


Pays-Bas, puis en Belgique. Docteur en ingénierie métallurgique de l’université de Louvain
(1972), il effectue un stage chez un sous-traitant d’Unrenco, un consortium germano-
néerlandais-britannique qui construit des centrifugeuses. Ces machines permettent, entre
autres, de produire de l’uranium enrichi de qualité militaire. Il sera accusé d’en avoir copié
des plans au profit du Pakistan, mais acquitté en appel. Certains y ont vu un écran de fumée
monté par les Etats-Unis pour masquer leur propre implication dans le programme nucléaire
militaire pakistanais. 

Après le test indien Smiling Buddha (1974), le Dr Khan écrit au président Bhutto pour insister
sur la nécessité de doter le Pakistan de la bombe. Il est nommé directeur d’un centre de
recherche et de production d’uranium enrichi près de Karachi, qui deviendra le Khan
Research Laboratories. Afin de se procurer le matériel nécessaire, il tisse un réseau
tentaculaire via des sociétés-écrans basées à Dubaï, où il s’installe. Commerciaux, experts et
intermédiaires occidentaux défilent dans ses bureaux pour vendre discrètement au Pakistan
des composants et de la technologie nucléaires. Même son ancien directeur de thèse à Louvain
devient consultant pour le programme nucléaire militaire pakistanais… La porosité entre
technologies civile et militaire entretient un flou commode autour de ce trafic. 

L’accession du Pakistan au statut de puissance nucléaire et les tests de 1998 en font un héros
national dans son pays. Il est désormais intouchable. Cela n’est peut-être pas étranger à sa
mutation en trafiquant sans scrupules à la tête d’un immense marché noir du nucléaire. 

1°) De l’Iran à la Corée du Nord : un immense marché noir de l’atome 

Dès 1987, celui qu’on surnomme parfois le « tsar du nucléaire » se rend en Iran, alors en
pleine guerre contre l’Irak. Il y vend des plans de centrifugeuses, des dizaines de ces machines
clés en main, et peut-être même des plans d’armes nucléaires16. Ce qui ne l’empêche pas de
proposer également ses services à l’Irak de Saddam Hussein, qui décline l’offre. M. Khan est
également à la manœuvre en Syrie, en Libye et en Corée du Nord, sans que l’on sache
exactement ce qu’il y a vendu. Et peut-être même en Inde17 ! 

Plans d’armes nucléaires : Selon David Albright, inspecteur de l’AIEA en Iran de 1992 à 1997.

En Inde : D’après Georges Perkovich, spécialiste de l’Asie du Sud et de la non-prolifération. 


En 2003, quand le colonel Kadhafi le « balance », M. Khan est conseiller spécial pour la
technologie et la science du président pakistanais. Washington entre en fureur. En février
2004, à la télévision pakistanaise, le trafiquant confesse ses activités en Corée du Nord, en
Iran et en Libye, s’excuse et en assume seul toute la responsabilité. De nombreux
observateurs y voient une simple mise en scène destinée à calmer les Américains tout en
coupant court à des investigations approfondies. Il semble difficile de croire que les autorités
pakistanaises n’aient rien su des agissements du grand patron du nucléaire de leur pays. Mais
les Américains, embourbés en Afghanistan, ont plus besoin que jamais du Pakistan : ils font
donc semblant de croire à la version qu’on leur sert à Karachi. 

Le Dr Khan a été assigné à résidence avec interdiction de s’exprimer dans la presse et auprès
de l’AIEA. Depuis 2009, il est libre de ses mouvements pour raisons de santé, mais reste
muet sur ses activités passées. Ce qui arrange assurément beaucoup de gens – et pas
seulement ceux qui ont été ses clients. 
II. LA QUESTION DU CACHEMIRE ET L’ARME
NUCLÉAIRE 
A) POURQUOI L’INDE ET LE PAKISTAN SONT PRIS DANS UNE
NOUVELLE ESCALADE DE VIOLENCE
Le Monde avec AFP Publié le 27 02 2019

Malgré les appels à la retenue, les deux pays voisins, qui possèdent chacun l’arme
nucléaire, multiplient les menaces. 

(Photo : Manifestation anti-indienne d’étudiants partisans du parti pakistanais Jamaat-e-Islami


à Lahore, le 27 février.) 

Espaces aériens fermés, « frappes préventives » menées, avions abattus…, la tension est
encore montée ces derniers jours entre l’Inde et le Pakistan, deux pays voisins disposant de
l’arme nucléaire. 

Derniers épisodes en date : le Pakistan a annoncé, mercredi 27 février, avoir abattu deux
avions indiens dans la région du Cachemire disputée entre les deux pays et avoir fait
prisonnier un pilote. Une version ensuite contestée par New Delhi (la capitale indienne).
 
Pourquoi ce retour des violences maintenant ? En quoi le Cachemire est une zone sensible de
la région ? Comment a réagi la communauté internationale ? Explications. 

D’où est partie cette nouvelle escalade de violence entre les deux pays ? 

Mardi, l’Inde dirigée par le nationaliste hindou Narendra Modi annonce avoir mené des «
frappes » sur le « plus grand camp d’entraînement » du groupe islamiste Jaish-e-Mohammed
(JeM, « armée de Mohammed »), à Balakot, près du Cachemire, dans le nord du Pakistan.
C’est la première fois depuis la guerre de 1971 que des avions de combat indiens ont lancé
des frappes aussi loin en territoire pakistanais. 

Cette intervention est une réponse à l’attentat-suicide survenu le 14 février dans la partie
indienne du Cachemire. Cette attaque, qui avait provoqué la mort d’au moins 40
paramilitaires indiens, avait été revendiquée par la JeM, qui a donc été visée par les frappes
indiennes mardi. Ce même groupe était aussi impliqué dans l’attaque d’une base militaire
indienne en 2016 à Uri, et du Parlement à New Delhi en 2001. 

(Photo : Des manifestants pakistanais brûlent une affiche du premier ministre indien, Narendra
Modi, le 27 février, à Peshawar.) 

L’Inde n’avait pas connu une attaque-suicide aussi meurtrière contre son armée au Cachemire
depuis 1989. Au lendemain de l’attentat, le premier ministre Narendra Modi avait prévenu :
les responsables devront en « payer le prix lourd ». 

Près de 400 dirigeants séparatistes ou responsables d’organisations musulmanes ont


également été arrêtés samedi et dimanche. New Delhi soupçonne la JeM de préparer d’autres
attentats-suicides et accuse le Pakistan d’abriter et de soutenir le mouvement islamiste. Des «
affirmations absurdes », a répliqué Islamabad. 
Et c’est donc à la suite de ces « frappes préventives » menées par l’Inde que le Pakistan a
répliqué, affirmant avoir abattu deux avions indiens mercredi matin dans son espace aérien et
avoir capturé un pilote. De son côté, l’Inde assure avoir abattu un avion pakistanais,
affrontement au cours duquel un de ses propres avions a été perdu. 

(Le Pakistan affirme avoir abattu deux avions indiens, le 27 février. Une version contredite par
New Delhi.)

Par ailleurs, quatre personnes, dont deux enfants, ont été tuées mardi dans un échange de tirs
entre militaires indiens et pakistanais près de la ligne de démarcation qui sépare les parties du
Cachemire sous contrôle des deux pays. 

Pourquoi un retour des violences maintenant ? 

Outre l’attentat-suicide du 14 février, cette montée de la tension entre l’Inde et le Pakistan,


autour de la région disputée du Cachemire, intervient à quelques semaines des élections
générales indiennes prévues en avril et mai. En 2016, quelques jours après l’attaque contre
une de ses bases militaires à Uri, New Delhi avait envoyé des hélicoptères à quelques
kilomètres à l’intérieur du territoire pakistanais, évoquant des « frappes chirurgicales ». Une
riposte bien moins élevée que celle de mardi matin. 

Pour Christophe Jaffrelot, directeur de recherche au CERI-Sciences Po (CNRS), ce qui se


déroule actuellement « s’explique par la campagne électorale. M. Modi doit apparaître fort à
l’approche de cette échéance et il ne pouvait pas ne pas réagir à l’attentat du 14 février ». 

« Modi a fait toute sa carrière politique sur ce sujet : la défense de l’Inde face au Pakistan.
C’est un rituel chez lui, que ce soit avant des élections nationales ou régionales, de jouer sur
le repoussoir pakistanais. Mais là en frappant aussi loin dans les terres pakistanaises, il a
franchi une ligne rouge. Il sait qu’il joue son avenir politique. » 

Face à ce regain de tensions, le premier ministre pakistanais Imran Khan a toutefois


renouvelé, mercredi, son appel à des « négociations ». « Pouvons-nous nous permettre le
moindre mauvais calcul avec le genre d’armes que vous avez et que nous avons ? », a-t-il
interrogé lors d’un bref discours télévisé, en référence à l’arsenal nucléaire que possèdent
les deux pays. Cette offre a peu de chances d’être entendue par son homologue indien.
D’autant que pour M. Jaffrelot « ce qui s’est passé mercredi, avec notamment la capture d’un
pilote indien haut gradé par le Pakistan a été vécu commune une humiliation en Inde. » 

Pourquoi les deux pays se disputent le Cachemire ? 

Au-delà de la tension qui a ressurgi ces derniers jours, le conflit entre l’Inde et le Pakistan
dure depuis plus de soixante-dix ans. Ils se sont livré trois guerres depuis leur indépendance. 

Le centre névralgique de ces affrontements est au Cachemire. Cette région himalayenne est
revendiquée par les deux pays depuis la fin de la colonisation britannique, en 1947. 
Deux ans plus tard, une ligne de cessez-le-feu a été créée, qui partage le Cachemire en deux :
l’Azad-Cachemire, au nord, appartient au Pakistan ; au sud, le Jammu-et-Cachemire devient
un territoire indien. Mais pour Islamabad, cette partie, à majorité musulmane, devrait lui
revenir. 
B) L'INDE DURCIT SA MAINMISE SUR LE CACHEMIRE EN
RÉVOQUANT SON AUTONOMIE CONSTITUTIONNELLE
20 Minutes avec AFP – Le 05 08 2019

Plus de 80.000 paramilitaires supplémentaires ont été déployés 

Le gouvernement indien a annoncé lundi la révocation de l’autonomie constitutionnelle du


Jammu-et-Cachemire (nord) ainsi que sa dislocation, une décision explosive qui vise à placer
sous une tutelle plus directe de New Delhi cette région rebelle revendiquée par le Pakistan. 

Ces mesures sans précédent, préparées dans le plus grand secret par les nationalistes hindous
du Premier ministre Narendra Modi, sont susceptibles de provoquer un soulèvement sanglant
de la vallée à majorité musulmane de Srinagar. Nombre d’habitants de cette région
himalayenne sont hostiles à l’Inde et attachés à leur autonomie qui prévalait depuis les débuts
de la république fédérale indienne il y a sept décennies. 

Des milliers de troupes déployées 

En prévision de possibles troubles, les autorités indiennes avaient déployé ces dix derniers
jours plus de 80.000 paramilitaires supplémentaires dans cette zone déjà hautement
militarisée. Les Cachemiris étaient totalement coupés du monde lundi, les moyens de
communication ayant tous été bloqués, les déplacements et rassemblements interdits et les
écoles fermées. 

Les nationalistes hindous au pouvoir ont passé un décret présidentiel abolissant avec effet
immédiat un statut spécial de l’État du Jammu-et-Cachemire, inscrit dans la Constitution
indienne. L’annonce en a été faite lundi matin au Parlement par le ministre de l’Intérieur Amit
Shah, noyée dans le tumulte assourdissant venant des rangs de l’opposition. 

La réponse du Pakistan 

L’article 370 de la Constitution indienne conférait un statut spécial au Jammu-et-Cachemire et


autorisait le gouvernement central de New Delhi à légiférer seulement en matière de défense,
affaires étrangères et communications dans la région, le reste relevant de l’assemblée
législative locale. 

Le Pakistan a condamné cette révocation et indiqué qu’il fera « tout ce qui est en son pouvoir
pour contrer les mesures illégales » liées au litige territorial entre les deux puissances
nucléaires d’Asie du Sud, qui se sont livré deux guerres au sujet du Cachemire. 

Les partisans du Bharatiya Janata Party (BJP) de Narendra Modi et les chaînes de télévision
nationalistes ont salué une décision « historique » qui marque, selon eux, l’intégration
complète du Cachemire à l’Inde. 
Responsables politiques cachemiris et d’opposition ont pour leur part dénoncé un « jour noir
pour la démocratie indienne », s’inquiétant notamment de cette réécriture de la Constitution
sans débat parlementaire ou public. 

La révocation de l’autonomie du Cachemire indien « aura des conséquences catastrophiques


pour le sous-continent. Les intentions du gouvernement de l’Inde sont claires. Ils veulent le
territoire du Jammu-et-Cachemire en terrorisant son peuple », a tweeté Mehbooba Mufti,
ancienne dirigeante de l’exécutif de Jammu-et-Cachemire. 

Division du Cachemire 

Le gouvernement de Narendra Modi a également présenté au Parlement un projet de loi pour


diviser le Jammu-et-Cachemire, dont sera séparée la partie orientale, le Ladakh à majorité
bouddhiste. 

Le Jammu-et-Cachemire restant, qui comprendra les plaines à majorité hindoue de Jammu au


sud et la vallée de Srinagar à majorité musulmane dans le nord, va perdre le statut d’État
fédéré, pour être rétrogradé au statut de « territoire de l’Union ». Cela signifie que la région
sera sous l’administration directe de New Delhi et n’aura presque plus aucune autonomie. 

Ce projet de loi doit encore être approuvé par le Parlement indien, où le BJP et ses alliés ont
cependant la majorité absolue. Tout le processus devrait être achevé d’ici mercredi, date de
fin de la session parlementaire de mousson. 

Près de 70.000 morts depuis 30 ans 

La révocation de l’autonomie du Cachemire était une vieille promesse de campagne des


nationalistes hindous de Narendra Modi, qui a été triomphalement réélu au printemps pour un
deuxième mandat. 

Le Cachemire est divisé de fait entre l’Inde et le Pakistan depuis la partition de l’empire
colonial britannique des Indes en 1947, qui le revendiquent tous deux. Une insurrection
séparatiste fait aussi rage depuis 1989 au Cachemire indien et a coûté la vie à plus de 70.000
personnes, principalement des civils. New Delhi accuse son voisin de soutenir en sous-main
les groupes armés à l’œuvre dans la vallée de Srinagar, ce que le Pakistan a toujours démenti. 

« Il y aura une réaction très forte au Cachemire. C’est déjà dans un état d’agitation et cela ne
fera qu’empirer la situation », a déclaré à l’AFP Wajahat Habibullah, ancien haut
fonctionnaire au Jammu-et-Cachemire. Une réunion des chefs de l’armée pakistanaise est
convoquée pour mardi, a indiqué une source sécuritaire pakistanaise. 
INFOGRAPHIE "LE MONDE" 

A la fin des années 1980, un mouvement indépendantiste fait aussi irruption dans la région.
Ces groupes, alimentés par des militants formés au Pakistan, traversent la frontière pour
combattre les forces de sécurité indiennes. New Delhi accuse régulièrement son voisin de
soutenir en sous-main ces infiltrations de militants islamistes et la rébellion armée au
Cachemire indien, ce que les autorités pakistanaises ont toujours démenti. 

Le gouvernement indien est aussi confronté à un nouveau front interne, chez les Cachemiris
indiens. L’auteur de l’attentat du 14 février est d’ailleurs un jeune Indien. « Modi s’est aliéné
la population du Cachemire indien, rappelle M. Jaffrelot. Il souhaite mettre fin au statut
spécial de cette région inscrit dans la Constitution et veut en finir avec son autonomie. Cette
politique assimilationniste, qui est accompagnée notamment d’une répression militaire – et
qui a été critiquée par l’ONU en 2018 –, est très mal vécue par la population cachemirie.
Cela permet aux djihadistes pakistanais de trouver des relais sur place pour commettre des
actions. »

L’insurrection au Cachemire indien s’est ainsi amplifiée et radicalisée au cours des dernières
années. Entre 2014 et 2018, le nombre d’« incidents terroristes », selon la terminologie du
gouvernement indien, a presque triplé, passant de 222 à 614. 

Dans les manifestations, le slogan « Shariyat ya Shahadat » (« la loi islamique ou la mort ») a


remplacé au fil des ans celui d’« Azad » (« liberté »). L’Inde a alors durci la répression en
faisant du Cachemire la région la plus militarisée du monde, avec 600 000 soldats. Et après
l’attentat du 14 février, l’Inde a décidé d’y déployer 10 000 paramilitaires supplémentaires. 
C) UNE ÉTUDE A ÉVALUÉ LES DOMMAGES POUR LA PLANÈTE
D'UNE GUERRE NUCLÉAIRE INDE-PAKISTAN 
Mercredi 2 octobre 2019 

Refroidissement, sécheresse, famines... il faudrait plus d'une dizaine d'années à la Terre


pour s'en remettre, le temps que les fumées et la suie s'éliminent de l'atmosphère... Sans
tenir compte des effets à long terme des radiations. 

Dans les années 80, on s'inquiétait d'une guerre nucléaire totale entre le bloc occidental et le
bloc soviétique. Depuis la chute du mur de Berlin, le spectre d'un tel conflit à l'échelle
mondiale semble s'être un peu éloigné, même si les tensions entre l'Iran et les Etats-Unis
suscitent de vives inquiétudes. Mais les nations qui possèdent l'arme atomique ne sont pas
limitées aux super-puissances, et des conflits locaux ne peuvent être exclus. Des conflits qui,
préviennent des scientifiques américains, ne concerneraient pas que leurs protagonistes. 

Le Cachemire est un point chaud géostratégique. Cette région est aujourd'hui divisée entre la
Chine, l'Inde et le Pakistan, trois pays dotés d'une force de frappe nucléaire. Elle a des
frontières contestées, des problèmes internes, et focalise les tensions entre Indiens et
Pakistanais, rivaux depuis la partition lors de l'indépendance acquise face aux Britanniques. 

Ces dernières semaines, le spectre de l'utilisation de l'arme nucléaire a même été brandi... Que
se passerait-il si l'on en arrivait là ? C'est la question à laquelle tente de répondre une
équipe de scientifiques américains, qui publient mercredi soir une étude dans la revue
Science Advances, où ils envisagent un conflit Inde-Pakistan en 2025 et ses effets
probables. 

Les forces en présence 

L'équipe emmenée par Owen Toon, du laboratoire de physique atmosphérique et spatiale de


l'université du Colorado, a tout d'abord estimé l'état des lieux de l'arsenal nucléaire mondial. 

Si l'on élimine les têtes nucléaires des USA et de la Russie (93% des armes nucléaires à elles
deux), il doit rester environ 1 200 ogives réparties en sept pays (Grande-Bretagne, France,
Chine, Israël, l'Inde, le Pakistan et la Corée du Nord). 

L'Inde et le Pakistan en possèderaient aujourd'hui environ 150 chacune et, dans un contexte de
forte rivalité régionale, ce nombre pourrait être porté à 200 voire 250 par pays d'ici 2025,
estiment les chercheurs. 

Grâce à ses avions et lanceurs de missiles balistiques, équipés de bombes de puissance variant
entre 5 et 12 kilotonnes (celle d'Hiroshima était de 15 kilotonnes), « le Pakistan pourrait
potentiellement attaquer un peu plus d'un tiers des grandes villes et villes moyennes de l'Inde
avec son arsenal actuel, et plus des deux tiers d'ici 2025 ». 

De l'autre côté, l'Inde serait dotée d'armes de 12 à 40 kilotonnes chacune. « L'Inde pourrait
potentiellement attaquer chaque grande ville ou ville moyenne du Pakistan avec deux ogives
nucléaires chacune, et quatre ogives si son arsenal atteint les 250 en 2025 », explique l'étude,
qui ajoute que lorsqu'elle aura déployé de nouveaux missiles, elle pourra même atteindre toute
la Chine, pays avec lequel un conflit est également possible. 
Comment tout pourrait commencer 

Owen Toon et ses collègues récapitulent trois scénarios envisageables pour un conflit Inde-
Pakistan. 

Le premier implique une guerre conventionnelle entre les deux pays, mais l'Inde, pays
beaucoup plus étendu, possède également une supériorité militaire avec une armée de 1,4
million de soldats - deux fois et demie l'armée pakistanaise. 

Si le Pakistan venait à craindre une invasion indienne couronnée de succès, il pourrait alors
faire appel à ses armes nucléaires. 

La seconde possibilité serait que « l'Inde ou le Pakistan perdent le contrôle de leurs structures
de commandement et de contrôle par suite d’une attaque les visant de la part du camp opposé
ou peut-être une attaque de terroristes de l'intérieur de l'Inde, du Pakistan ou d'un autre pays. »
Un scénario dans lequel « il n'est pas clair de savoir qui pourrait contrôler les forces
nucléaires et quelles mesures ils pourraient prendre. » 

Le troisième scénario serait une erreur d'appréciation : l'un des deux pays confondrait une
attaque conventionnelle, ou même un exercice, avec une attaque nucléaire, et déclencherait
une riposte. 

Entre 50 et 125 millions de morts... 

Pour commencer Owen Toon et son équipe ont pris un cas d'école où, en 2025, les deux
puissances en présence disposeraient de 250 ogives nucléaires chacune. Un scénario simplifié
où seules les centres urbains seraient attaqués, négligeant de possibles frappes sur des
installations militaires. Ils supposent également que l'Inde garderait une centaine d'ogives en
réserve, au cas où la Chine déciderait d'entrer dans le conflit du côté du Pakistan. Mais ce cas
d'école permet de donner un ordre de grandeur concernant les pertes humaines et les
conséquences du conflit, localement et au niveau mondial. 

Ils ont par exemple calculé qu'aujourd'hui une explosion d'une bombe de 15 kilotonnes au-
dessus de l'une des régions urbaines les plus peuplées du Pakistan ou de l'Inde ferait 700 000
morts et 300 000 blessés. Si l'on augmente la puissance des bombes pour atteindre 100
kilotonnes, il pourrait y avoir, au même endroit, 2 millions de morts et 1,5 million de blessés. 

Dans l'hypothèse d'un conflit en 2025, prenant en compte à la fois l'évolution de l'arsenal
nucléaire (davantage de bombes, plus puissantes) et des populations impactées (croissance
démographique), le nombre possible de morts est évalué entre 50 et 125 millions en une
semaine, en fonction de la puissance des armes utilisées. En comparaison, le nombre total de
tués durant les sept années de la Seconde Guerre mondiale est estimé entre 70 et 85
millions... 

Le "feu nucléaire" d'une guerre Inde-Pakistan provoquerait une baisse importante des
températures dans le monde. 
L'Inde aurait deux à trois fois plus de victimes que le Pakistan, du fait d'une plus grande
utilisation d'armes par les Pakistanais mais aussi de la plus grande densité de population de
l'Inde. Mais si l'on compte en pourcentage de la population urbaine, les pertes pakistanaises
seraient le double de celles de l'Inde. 

Une catastrophe planétaire 

Les victimes dans les nations belligérantes ne seraient hélas qu'un début. Alman Robock,
professeur émérite du département des sciences environnementales de l'université Rutgers et
co-auteur de l'étude, le résume en une phrase : « Une telle guerre menacerait non seulement
les cibles des bombes, mais aussi le monde entier. » 

Le feu nucléaire allumerait des incendies dégageant des fumées qui projetteraient entre 16 et
36 millions de tonnes de suie qui se répandraient en quelques semaines dans toute
l'atmosphère. Une suie qui bloquerait une partie des rayons du soleil, provoquant un déclin de
20 à 35% de la chaleur solaire, ce qui représente une baisse de 2 à 5 degrés pour atteindre des
valeurs « que l'on n'a pas vues sur Terre depuis le milieu du dernier âge glaciaire ». Elle aurait
également un effet sur les précipitations, qui seraient réduites de 15 à 30%, « avec des impacts
régionaux plus importants, » préviennent les auteurs. 

Les conséquences de la baisse des températures et de la quantité de pluie seraient alors


dramatiques. La productivité des plantes (et par conséquent de l'agriculture) subirait un déclin
de 15 à 30%. Celle des océans (et la nourriture qu'il fournit) chuterait de 5 à 15%. Des chiffres
qui paraissent bien abstraits, mais qui ont pourtant une signification très terre à terre : des
menaces de famines massives venant augmenter le nombre de victimes, et de graves
conséquences sur les écosystèmes de l'ensemble de la planète. 

Il faudrait alors plus d'une dizaine d'années à la Terre pour s'en remettre, le temps que les
fumées et la suie s'éliminent de l'atmosphère... Et on ne prend pas en compte les effets à long
terme des radiations ! 

« Il faut éliminer les armes nucléaires » 

Cette étude a pour mérite d'expliciter un fait évident : il n'y a pas de conflit nucléaire limité à
une région, les conséquences sont toujours mondiales. 

Pour le professeur Robock, l'Inde et le Pakistan sont un exemple parlant. « Neuf pays ont des
armes nucléaires, mais le Pakistan et l'Inde sont les seuls qui augmentent rapidement leurs
arsenaux. Avec les troubles permanents entre ces deux puissances nucléaires, plus
particulièrement au sujet du Cachemire, il est important de comprendre les
conséquences d'une guerre nucléaire. » 

Pour ce scientifique, « les armes nucléaires ne peuvent pas être utilisées dans un scénario
rationnel, mais elles pourraient être utilisées par accident, ou par suite d’un hacking, une
panique ou des dirigeants déséquilibrés. La seule manière de prévenir cela est de les éliminer.
» 
On peut simplement espérer qu'il ne faudra pas que la catastrophe évoquée par cette étude se
produise pour que le monde s'en convainque. 

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